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ma n a g e m e n t s u p

S T R AT é G I E d e l’ e n tr e p ri s e

Stratégies
Des concepts à leur
mise en œuvre
3 e édition

Raymond-Alain Thietart, Jean-Marc Xuereb

Avec la participation de
Jérôme Barthélemy • Carole Donada • Gilles van Wijk
Conseiller éditorial : Christian Pinson
Mise en page : Belle Page

© Dunod, 2015
5 rue Laromiguière, 75005 Paris
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-072254-9
Table des matières

Introduction 1

1 Rôle du dirigeant 7

Section 1 Des défis nombreux 8


Section 2 Que fait un dirigeant ? 12
Section 3 Le style du dirigeant 14

2 Concepts de stratégie 17

Section 1 Définition(s) de la stratégie d’entreprise 19


Section 2 Stratégie délibérée et stratégie émergente 21
Section 3 Concepts de stratégie 23

3 Formation de la stratégie 31

Section 1 Fixation des objectifs 32


Section 2 Du délibéré et de l’émergent 36
Section 3 Les styles de formation de la stratégie 38
Section 4 Démarches économiques et politiques 47
Stratégies

4 Analyse de l’environnement général 57

Section 1 Informations recherchées 59


Section 2 Sources de l’information stratégique 61
Section 3 surveillance de l’environnement 64
Section 4 Prospective stratégique 66

5 Analyse de l’environnement concurrentiel 71

Section 1 Analyse de la demande 73


Section 2 Analyse de l’offre 76
Section 3 Analyse de la concurrence 83

6 Segmentation et groupes stratégiques 91

Section 1 Les critères de segmentation stratégique 93


Section 2 Centre d’activités stratégiques et organisation 97
Section 3 Les groupes stratégiques 98

7 Analyse des capacités stratégiques 103

Section 1 L’audit des ressources 104


Section 2 L’analyse des compétences 108
Section 3 l’analyse de la chaîne de valeur 114
Section 4 L’étalonnage 121
Section 5 durabilité de l’avantage 125

8 Croissance interne 127

Section 1 La pénétration 129


Section 2 L’expansion du marché 130
Section 3 La diversification 131
Section 4 L’innovation 134

9 Croissance externe 147

Section 1 Les fusions et les acquisitions 148


Section 2 Les coopérations 167

IV
Table des matières 

10 Faire ou acheter 179

Section 1 L’intégration verticale 180


Section 2 L’externalisation 186

11 Stratégies et nature de l’industrie 197

Section 1 Stratégies dans les industries nouvelles et en croissance 198


Section 2 Stratégies dans les industries en maturité 201
Section 3 Stratégies dans les industries en mutation 205
Section 4 Stratégies dans les industries globales 208

12 Positionnement stratégique 215

Section 1 Prime de prix ou avantage de coût 217


Section 2 La différenciation 219
Section 3 L’avantage de coût 223
Section 4 Le positionnement mixte 230

13 Gestion et choix du portefeuille d’activités 233

Section 1 Les méthodes d’analyse d’activités individuelles 234


Section 2 Méthodes classiques d’analyse de portefeuilles d’activités 240
Section 3 Les méthodes dérivées de la théorie financière 247

14 Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

261

Section 1 Critères de robustesse d’une stratégie 263


Section 2 La Gestion des risques associés à une stratégie 273

15 Changement stratégique 281

Section 1 De la stratégie à la mise en œuvre 282


Section 2 Ouverture au changement 285
Section 3 Contextes favorables et opposés au changement 287
Section 4 Diversité du changement 290
Section 5 Une démarche émergente 295

V
Stratégies

16 Organisation et alignement stratégique 297

Section 1 Gouvernement de l’entreprise 298


Section 2 Recrutement du directeur général 302
Section 3 Le Dirigeant 304
Section 4 Les salariés 305
Section 5 Structure organisationnelle 307

Conclusion 319

Index 325

VI
Introduction

1979, suite au deuxième choc pétrolier, BSN, par la voix de son président Antoine
Riboud, décide de se séparer de ses activités traditionnelles de verre plat, dévoreuses
d’énergie, et de renforcer plus encore sa position dans une activité émergente mais
prometteuse  : l’agroalimentaire. Vingt-quatre ans plus tard, en mai 1997, Franck
Riboud, nouveau président du même BSN, devenu Danone quelques années aupara-
vant, annonce son intention de céder tous les produits d’épicerie (Amora, La Pie qui
Chante, etc.), dont les pâtes (Agnesi, Panzani), les emballages et les bières (Kanter-
brau, Kronenbourg), renonçant pour ce faire à 60 % de son chiffre d’affaires pour se
concentrer sur trois pôles  : l’eau, les produits laitiers frais, l’alimentation infantile,
réunis dans un seul métier en cohérence avec sa marque et son image. En 2014, les
résultats parlent d’eux-mêmes. Danone a réussi à plus que doubler son chiffre
d’affaires d’avant cession, multiplier trois fois et demi son résultat net avec pour
conséquence le quadruplement de sa valeur boursière.
1995, Microsoft présente sa stratégie « Internet ». Cette dernière se fonde sur des
technologies maison, rassemblées au sein de Microsoft Network qui se lance dans
une attaque frontale contre AOL. Deux ans plus tard, suite à un séjour chez son Alma
Mater, Cornell University, à l’occasion d’une réunion d’anciens, un cadre de l’entre-
prise, bloqué par une tempête de neige, visite le campus pour tuer le temps. Là, il
découvre avec stupéfaction comment les étudiants se promènent sur la « toile » et
prend conscience de l’erreur de Microsoft de vouloir bricoler une technologie pro-
priétaire dans un monde désormais ouvert. Le courrier électronique envoyé à son
président, Bill Gates, a des conséquences monumentales. Ce dernier décide de revoir
de fond en comble la stratégie jusque-là adoptée, de mettre en perte et profit
300 millions de dollars et d’affecter 2 000 ingénieurs à une nouvelle division entiè-
rement consacrée à Internet. En 2002, la première Microsoft Tablet PC est mise sur
le marché avec presque dix ans d’avance sur l’iPad d’Apple.

1
Stratégies

1999, le président de Renault, Louis Schweitzer, annonce une prise de participa-


tion de 36,8 % chez l’une des entreprises modèles des années quatre-vingts, désor-
mais fortement endettée et en passe de disparaître  : Nissan. Renault, le Français,
vient à la rescousse du deuxième constructeur du marché japonais, l’un des modèles
d’organisation des années quatre-vingts, pour l’aider à revoir ses pratiques de
conception et de production et place à sa tête Carlos Ghosn. Quinze ans plus tard,
Nissan va mieux, beaucoup mieux. Il se révèle être un partenaire majeur dans
l’alliance Renault-Nissan, désormais quatrième groupe automobile mondial, au
­
point où les alliés prévoient désormais de réaliser, à l’horizon 2016, 4,6 milliards de
synergies supplémentaires par la mise en commun de plateformes et organes.
Ces exemples illustrent la caractéristique clé de la stratégie, qui peut se résumer
par le mouvement, le changement, l’adaptation, les retours en arrière, les hésitations,
la saisie d’opportunités, l’accompagnement d’émergences. Certains changements
sont progressifs et procèdent par ajustements continus. D’autres sont radicaux et
remettent en cause brutalement les engagements passés. Ils sont le résultat du jeu de
forces externes, telles que les évolutions de technologies, de marchés, de ­concurrences
et celui du jeu de forces internes, telles que les initiatives prises par le personnel, les
plans d’actions et les systèmes d’incitation. Ces forces influencent la stratégie, la
forment et la déforment ; parfois dans le sens souhaité, souvent dans des directions
et avec des intensités non anticipées.

De nombreux acteurs en interaction


Les entreprises se caractérisent par la richesse et l’interdépendance de nombreux
acteurs. Les conséquences de leurs actions sont rarement directes, instantanées et
coordonnées. Ces acteurs ont des agendas, des valeurs, des cadres de référence
divers à l’interne comme à l’externe et essaient de coordonner leurs actions, échan-
ger de l’information, interagir de façon dynamique. Les actions d’hier sont à l’ori-
gine de réactions qui mènent aujourd’hui, à leur tour, à de nouvelles actions demain.
Dans le même esprit, les actions mises en œuvre par certains influencent ou peuvent
contredire celles qui sont initiées par d’autres. Par exemple, lorsqu’un nouveau pro-
duit est lancé, sa réussite dépend bien entendu de son accueil par les clients mais
aussi de la réaction des concurrents. Dans le domaine de la stratégie, on constate que
les approches systématiques, coordonnées, planifiées se combinent aux tâtonne-
ments, aux hésitations et aux réponses impulsives. Le processus rationnel, linéaire,
planifié est mélangé à l’intuition, au hasard. Chacun agit et interagit, hésite, tire parti
d’opportunités, en rate d’autres et ceci de manière dynamique.

2
Introduction

Des interdépendances sources d’incertitudes


Ces interdépendances sont à l’origine de nombreuses incertitudes. Une première
incertitude est liée à l’impossibilité de raisonner en termes de causalité linéaire.
Quand Renault se lance dans sa prise de participation dans Nissan, une multitude
d’acteurs interviennent : le président du conseil du constructeur japonais, son direc-
teur général, un groupe actif d’actionnaires, l’État français, les salariés, etc. Le
succès de l’alliance n’est pas dû à un seul d’entre eux, mais à une combinaison de
leurs actions et prises de position où l’émotionnel, le culturel et le politique prennent
fréquemment le pas sur le rationnel. Une deuxième incertitude est due au fait que le
résultat d’une action est en partie déterminé par l’environnement. Lorsque Microsoft
renonce à une stratégie Internet tournée vers l’interne pour en adopter une plus
ouverte, l’entreprise ne fait que répondre à une évolution de l’environnement qu’elle
a initialement négligée. Enfin, la troisième incertitude tient à l’interdépendance des
parties qui constituent l’entreprise. La décision de BSN (Danone) de se séparer du
verre plat et plus tard de sa branche épicerie est motivée par sa volonté de préserver
ou de renforcer le développement de ses autres activités qui risqueraient de se voir
distraire des ressources nécessaires à leur développement.

De la difficulté du pilotage
Puisque l’on ne peut prédire avec certitude l’enchaînement d’actions et de réactions
que peut déclencher une stratégie, l’élaboration de séquences d’actions prédétermi-
nées semble vouée à l’échec. L’incertitude attachée à l’action pose ainsi des problèmes
de pilotage, car la volonté de maîtrise conduit à imposer au système un ordre arbitraire.
Cette volonté de maîtrise tend à supprimer les désordres internes ou externes qui, tout
en menaçant le fonctionnement de l’entreprise, contribuent paradoxalement à son
organisation. Autrement dit, dans un contexte d’interdépendance, la centralisation du
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pouvoir au sommet et l’idée corollaire d’une stratégie qui s­ ’applique du haut vers le
bas ne peut fonctionner. Elle bloque les capacités autonomes des individus, empêchant
l’entreprise de s’adapter et de trouver par elle-même la voie vers le succès.

La stratégie comme vecteur de création de sens


La stratégie est ainsi faite de mouvements, de réajustements, voire de remises en
cause. Elle se fonde sur un contexte interne et externe sans cesse mouvant où des
acteurs nombreux, concurrents, clients, fournisseurs, pouvoirs publics, organisations
internationales, etc., modifient, par leurs actions, les bases sur lesquelles cette der-
nière repose. La transformation du contexte est difficilement prévisible. L’adaptation
à ce dernier ne peut se satisfaire d’une stratégie traduite par un mot d’ordre pérenne
ou par un plan dont les recommandations sont inscrites dans le marbre. Les

3
Stratégies

dirigeants de Danone, de Renault, de Microsoft et d’un grand nombre d’autres entre-


prises savent tout cela par expérience, lorsqu’ils doivent anticiper l’inconnu, réagir
à des signaux faibles ou rattraper des occasions manquées. Ils procèdent, en temps
réel, à des ajustements et des changements d’importance afin de maintenir un cap
difficile entre l’immobilisme et le chaos. Parce que c’est ce dont il s’agit : maintenir
un cap sans savoir si une tempête va se lever ou si le calme plat demeure, être
capable d’en changer si les conditions espérées ne sont plus au rendez-vous, trouver
ou construire de nouvelles routes quand c’est nécessaire.
Dans un univers où la prévision est impossible, la stratégie devient l’élément fonda-
mental de la conduite des entreprises. Non pas parce qu’elle leur permet de réaliser sans
coup faillir leurs projets mais parce qu’elle permet de créer un sens sans lequel toute
action organisée est difficile. Comme dans l’anecdote citée par le sociologue américain
des organisations, Karl Weick, la stratégie est une carte imparfaite mais elle est fonc-
tionnelle. À la fin de la deuxième guerre mondiale, des soldats américains s’étant égarés
dans les Alpes n’arrivent pas à retrouver le chemin de retour vers leur base. L’un d’eux
déniche alors une carte qui les aide à rejoindre leur camp, où ils se rendent compte que
la carte en question n’est pas une carte des Alpes mais celle des Pyrénées ! Cette carte,
quoiqu’inexacte, a permis à ces soldats de se poser des questions, d’interagir au sein
d’un cadre défini, de prendre des décisions, de continuer à avancer. À l’instar de cette
carte, la stratégie, bien qu’imparfaite et rapidement inadaptée à un contexte en évolu-
tion, permet néanmoins aux acteurs de l’entreprise de mener une action cohérente, de
s’interroger sur les directions à maintenir, de peser le pour et le contre des actions à
entreprendre et de faire en sorte que l’entreprise aussi continue d’avancer.

Un livre à tout faire


La stratégie et tout ce qui s’y rapporte deviennent ainsi la pierre angulaire du déve-
loppement et de la survie de l’entreprise. Elle n’est qu’une condition nécessaire,
certes ! Il faut bien entendu toujours veiller à ce que l’entreprise offre des services et
des produits appréciés de la clientèle, s’assure de la meilleure efficacité de son outil,
vérifie que le personnel soit équitablement traité, c’est-à-dire qu’elle fasse en sorte que
tout ce qui concourt à son bon fonctionnement soit en ordre de marche. Les moyens,
les ressources, les modes d’organisation, les compétences et les savoir-faire servent de
base à la stratégie et induisent certains des choix. Néanmoins, c’est la stratégie qui
prédomine. Ces éléments sont au service de la stratégie et non l’inverse.
Un acteur crucial dans la construction de la stratégie et dans la recherche de l’équi-
libre entre stratégie et moyens est le dirigeant. Par « dirigeant », il ne faut pas entendre
nécessairement un décideur unique au sommet de l’entreprise, mais plutôt le groupe
d’hommes et de femmes qui participent directement ou indirectement à la construction
de la stratégie. Il s’agit de ce que l’on peut appeler un dirigeant collectif. Quels sont
ses rôles et ses fonctions dans l’orientation de l’entreprise et dans son animation  ?

4
Introduction 

C’est ce que nous voyons dans le premier chapitre. Dans un deuxième chapitre,
nous abordons ce dont on a beaucoup parlé jusqu’ici sans vraiment le définir, à savoir
la stratégie. Vaste domaine qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, de Sun Tse à
Michael Porter en passant par Clausewitz et Fievet. Parle-t-on de la même stratégie
lorsque l’on s’adresse à un centre de profit ou à l’entreprise dans son ensemble ? La
stratégie est-elle de même nature lorsqu’elle se construit en marchant ou lorsqu’elle
est décidée dans les États-majors ? Dans le troisième chapitre, nous traitons de la ou
des manières dont la stratégie se construit. Il n’existe pas un processus unique de
détermination de la stratégie. Certaines entreprises ont mis en place des modes de
construction de la stratégie très formalisés avec de nombreux allers-retours entre les
États-majors et les unités opérationnelles. D’autres, en revanche, s’appuient sur des
démarches plus autonomes où l’initiative stratégique est le fait des unités opération-
nelles. Venant du sommet ou initiées par la base, ces démarches ont toutes pour voca-
tion de mettre en évidence les sources de l’avantage concurrentiel. Pour ce faire, deux
réflexions complémentaires sont menées. La première réflexion porte sur le contexte
général (chapitre 4) et sur l’environnement concurrentiel plus particulièrement (cha-
pitre 5). Il s’agit de comprendre la dynamique d’ensemble dans laquelle l’entreprise
est engagée et de mettre en évidence les grandes tendances qui peuvent influencer dans
l’avenir la bonne réalisation de sa stratégie. Il s’agit aussi d’une analyse plus centrée
sur l’entreprise en tant que telle, ses concurrents, ses clients et fournisseurs, c’est-
à-dire tous les acteurs qui contribuent ou qui empêchent la réalisation d’une stratégie
économiquement viable et profitable. Après avoir défini plus précisément le champ
d’analyse dans le chapitre 6 sur la segmentation et les groupes stratégiques, la deu-
xième réflexion porte sur les ressources de l’entreprise (chapitre 7). L’objet ici est la
mise en évidence des atouts sur lesquels la stratégie peut se construire. C’est à partir
de cette réflexion d’ensemble que se feront des choix entre modes de croissance. Parmi
ces modes, nous abordons successivement les différentes stratégies de croissance dont
celles de développement interne (pénétration, expansion, innovation) dans le cha-
pitre  8, puis celles externes (acquisitions, fusions, coopérations et partenariats) au
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chapitre 9, avant d’aborder les formes hybrides telles que les externalisations et les
réseaux, dans le chapitre 10. Dans le chapitre 11, nous étudions les différentes stra-
tégies mises en œuvre selon la maturité et la structure de l’industrie, dont en particulier
celles des industries globales. Le chapitre suivant (chapitre  12) aborde le type de
positionnement porteur d’avantages concurrentiels et le chapitre 13 traite du porte-
feuille d’activités, activités à partir desquelles l’entreprise va déployer sa stratégie. Le
chapitre 14 étudie la robustesse des choix stratégiques faits et met l’accent sur la prise
de risque du dirigeant face à ces choix. Les chapitres 15 et 16 abordent enfin les
dimensions importantes que sont le changement stratégique, le contexte organisation-
nel et sa gestion qui, idéalement, vont orienter les efforts de chacun dans le sens sou-
haité. Ils introduisent aussi le thème de la relation dirigeant-actionnaire, dont en
particulier les systèmes d’évaluation et de récompenses mis en œuvre dans le but
d’aligner des intérêts parfois divergents.

5
Chapitre

1 Rôle du dirigeant

OBJECTIFS
 Expliquer ce qu’est le rôle essentiel du dirigeant.
 Aborder ses styles de « leadership ».

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Des défis nombreux
Sec­­tion 2   Que fait un dirigeant ?
Sec­­tion 3   Le style du dirigeant
  Chapitre 1  ■ Rôle du dirigeant

I l est tentant d’attribuer à une seule personne la responsabilité du succès ou de


l’échec de l’entreprise. C’est la femme ou l’homme qui se trouve à son sommet
qui en porte généralement le poids. Rares sont les entreprises où cette responsabilité
est partagée entre plusieurs individus. Ceci est naturel car c’est elle ou lui qui, de
manière ultime, décide des choix à faire ou donne son approbation aux propositions
qui sont présentées. Toutefois, au-delà de l’affichage institutionnel et médiatique de
la personnalisation de l’entreprise, nous savons bien que le dirigeant n’est pas uni-
quement le héros solitaire qui, du haut de son bureau directorial, prend des décisions
et initie des actions. Il s’agit plus souvent d’un dirigeant collectif qui comprend bien
entendu celle ou celui à qui revient la responsabilité ultime, mais aussi ses conseil-
lers, ses cadres opérationnels et fonctionnels, ses adjoints qui interviennent à diffé-
rents moments de la construction de la stratégie et de sa mise en œuvre. Tous sont
les artisans, à des degrés divers, de l’évolution de l’entreprise ou de l’unité opéra-
tionnelle dont ils ont la charge.
Par simplicité, nous parlerons du dirigeant au sens large, sachant que ce terme peut
recouvrir, dans certaines situations, un individu et dans d’autres, un groupe dont les
membres ont contribué à l’aune de leurs compétences respectives aux choix d’orien-
tation de l’entreprise, à la construction de l’organisation qui les sous-tend et aux
efforts de transformation qui sont nécessaires. De plus, notre dirigeant ne se limite
pas à celui qui dirige toute l’entreprise. Par « dirigeant », il faut entendre aussi celui
qui, en charge d’une unité opérationnelle, doit en assurer le développement et le
succès. Certes, il est contraint par la « stratégie générale » de l’entreprise à laquelle
il appartient. Mais, à l’intérieur de ces contraintes et à son niveau, il doit aussi faire
des choix, fixer des priorités, allouer des ressources, organiser son unité et en assurer
l’évolution quand c’est nécessaire. En résumé, le dirigeant dont on parle peut être un
ou plusieurs, situé au sommet hiérarchique ou dans la ligne managériale, c’est-à-dire
dans la ligne de commandement. Ce qui va le distinguer des autres cadres de l’entre-
prise est l’influence directe qu’il va exercer sur les choix qui peuvent mener au
succès de l’entreprise ou de son unité.

Section 1 Des défis nombreux


Pendant la première moitié du xxe  siècle, diriger est certes difficile mais d’une
c­omplexité moindre qu’aujourd’hui. Les entreprises évoluent dans un cadre connu
et maîtrisé. Les changements technologiques sont rares, le marché local est tout-
puissant. Être un bon dirigeant consiste souvent en l’application de qualités innées
et à l’expression d’un charisme personnel. C’est la période du «  grand homme  »
providentiel.

8
Rôle du dirigeant  ■  Chapitre 1

Cette période dure jusqu’aux années cinquante, qui connaissent une croissance
sans précédent : les « Trente Glorieuses », qui succèdent à la seconde guerre mon-
diale. Les marchés commencent à s’ouvrir, de grands ensembles économiques, tel
que le marché commun, se constituent. La demande pour des biens et services tou-
jours plus nombreux s’accroît, faisant suite aux années de privation de la guerre et
répondant à l’effort de reconstruction. Afin de faire face à cette demande, les entre-
prises grandissent, recrutent massivement et investissent lourdement dans des outils
de production performants. Désormais, il est nécessaire de mieux prévoir et planifier
le développement. L’intuition et le charisme ne suffisent plus. De charismatique, le
dirigeant doit se transformer en manager et planificateur. Sous l’impulsion des pro-
grammes de formation à la gestion dans les écoles et les universités, toujours plus
nombreux, destinés aux cadres de ces entreprises en croissance, gérer devient une
science que l’on peut codifier, acquérir et transmettre. D’inné, l’art de diriger
devient un caractère acquis  ! Ceci fait la part belle d’une industrie en plein essor
celle des sociétés de conseil. Diriger devenant une science, des experts peuvent en
découvrir et maîtriser les lois afin de les appliquer chez les entreprises qui en font la
demande. Nous sommes, dorénavant, dans le règne de la maîtrise économique et
celui des certitudes. Et cela semble marcher. La croissance est là pour cacher les
erreurs de prévision et de gestion. Si tout ne se passe pas exactement comme sou-
haité, qu’importe  ! L­ ’entreprise et son d­ irigeant donnent l’impression de réussir,
même s’ils auraient pu mieux faire encore.

c Focus
Les défis à relever selon les époques,
témoignages de dirigeants
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1940-1955 : guerre et reconstruction 1955-1968 : l’essor industriel


« Il faut adapter notre technologie aux « Le défi est triple  : créer une entreprise
restrictions de matières premières… holding avec un État-major, s’internatio-
Commercialement, nous devons nous
­ naliser et développer le réseau commer-
adapter au rationnement […]. Cela ne cial français […]. La marque Total vient
cessera que bien après le “conflit. Les pro- d’être créée en 1954 […]. La France, qui
duits alimentaires seront libéralisés” par a besoin de devises, récupère toutes
familles, le café, le chocolat […] » (Robert celles de […] nos ventes de pétrole à
Fievet, PDG Fromageries Bel). l’étranger […]. Nos investissements étran-
gers sont encore s­oumis à l’approbation
de la direction du Trésor […]. » (Étienne
Dalmont, PDG de la Compagnie fran-
çaise des pétroles, futur Total).

9
  Chapitre 1  ■ Rôle du dirigeant


1981-1991 : la construction européenne pénurie d’ingénieurs. Ces nouveaux arri-
« Le défi majeur est de transformer un vants doivent adhérer à notre culture,
groupe franco-français avec deux grands nous devons tout faire pour les garder »
clients, Renault et Fiat, en un groupe inter- (Bernard Liautaud, PDG de Business
national avec des clients plus variés. Il s’agit Objects).
également d’innover l’entreprise […], on
2000-2015
doit se lancer dans l’électrique et l’électro-
nique […], imaginer des produits moins Les nouveaux défis sont nombreux en cette
polluants, plus sûrs. Ceci dans un contexte période : crise financière, ralentissement de
d’inflation qui oblige à une constante rééva- la croissance, désindustrialisation, montée
luation des prix, des clients et fournisseurs. » en puissance de la concurrence asiatique,
(Noël Goutard, PDG de Valeo). diversité culturelle des équipes, extension
du commerce et de la communication élec-
1991-2000 tronique, instabilité géopolitique. Dans ce
« Nous devons nous renouveler sans nouveau contexte, diriger nécessite de plus
arrêt, sans jamais nous reposer sur nos encore innover et s’adapter. Cela nécessite
lauriers. Dans un marché en révolution de la clairvoyance, certes, mais aussi une
permanente, une start-up créée il y a six capacité de transformation jamais inégalée
mois dans un garage peut nous mettre en tout en gardant le cap.
danger. Nous devons garder notre agilité,
anticiper, réagir vite. Autre défi, nous D’après : « Cinq entrepreneurs posent
devons gérer notre croissance […]. Il faut leur regard sur le siècle »,
recruter massivement alors qu’il y a Le Monde, mardi 4 avril 2000, p. 20-21.

Toutefois, deux événements majeurs remettent en cause toutes les certitudes. Le


premier est le mouvement étudiant et social de 1968. C’est le révélateur d’une demande
d’hommes et de femmes qui veulent être mieux impliqués dans la vie de la cité et celle
de l’entreprise. Ils veulent être écoutés, participer, comprendre. Cette exigence nou-
velle a des répercussions importantes sur la manière de diriger. Il faut désormais expli-
quer, communiquer, impliquer des personnels qui réclament plus d’autonomie, de
liberté, de respect. C’est que rappelle Antoine Riboud lors du congrès annuel du CNPF
(Centre national du patronat français) de Marseille où il présente son double projet
social et économique, projet mis en œuvre par la suite dans sa société. Le second évé-
nement est le choc pétrolier de 1973, suivi de celui de 1979, qui remettent en cause les
démarches d’extrapolation jusqu’alors en vogue, selon lesquelles le futur n’est qu’un
simple prolongement du passé. D’un univers de certitudes, l’entreprise passe dans un
monde où tout peut être remis en cause en l’espace d’un instant. Le dirigeant planifi-
cateur doit se transformer en un dirigeant stratège où l’humain et l’économique sont
combinés et où sa tâche devient infiniment plus complexe.
Désormais, le dirigeant, aux dires de Steve Case, ancien président d’AOL-Time
Warner, est au volant d’une voiture dans une course automobile. De son poste de

10
Rôle du dirigeant  ■  Chapitre 1

pilotage, il regarde l’horizon en permanence tout en gardant un œil dans le rétro­


viseur pour observer si des concurrents le rejoignent. Sur le siège de droite, les
clients lui disent où et quand il faut les déposer. Les actionnaires et autres partenaires
financiers, sur le siège arrière, lui indiquent quand il faut passer les vitesses. Tout
ceci lui serait encore simple s’il y avait des panneaux de circulation pour l’aider dans
sa conduite et si on avait décidé de quel côté de la route il fallait conduire  !
(J.E. ­Garten, The Mind of the CEO, New York, Basic Books, 2001).
Plus récemment, un autre phénomène vient rendre la tâche du dirigeant encore
plus difficile. Il s’agit de la pression accrue auquel le dirigeant est soumis pour créer
de la valeur pour l’actionnaire. Il n’y a rien d’anormal en cela, toutefois l’accent
nouveau qui y est mis est notoire. La performance de l’entreprise et le cours boursier
de cette dernière sont désormais attachés, ou perçus comme tel, à l’action du diri-
geant. Penser que le dirigeant influence le devenir économique de l’entreprise n’est
pas faux. Mais dire qu’il en est la cause première est largement exagéré. Le diri-
geant, certes, a une influence sur la destinée de l’entreprise mais elle est limitée. Le
secteur industriel, l’état de l’économie en général sont tout aussi, voire plus, impor-
tants. En cas de mauvaise performance, cependant, la sanction ne se fait plus
attendre. C’est ce que montrait une étude du cabinet de conseil Booz, Allen et
Hamilton, rapportée par le Wall Street Journal Europe (Europe’s CEOs Can no
Longer Rest Easy, 1er juillet 2002), où les dirigeants européens, plus particulière-
ment, sont soumis à la loi du siège éjectable en cas de contre performance
Complexité croissante de la tâche mais aussi pression accrue sont devenues les
maîtres mots du métier. Le dirigeant, plus encore que par le passé est tenu respon-
sable du succès de son entreprise. Ceci est naturel, certes, mais il y a là une tendance
lourde et nouvelle qui se renforce avec le temps. Bien avant la prise de conscience
des abus de pouvoir et des dérapages illustrés par les Enron, Parmalat et autre
WorldCom les actionnaires montrent les dents. Dorénavant, un rééquilibrage est fait
entre les pouvoirs des propriétaires et ceux des managers. Ces derniers sont souvent
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les premières victimes d’une performance décevante. Bien rémunéré, bardé de para-
chutes dorés, bonus et autres options, le dirigeant est sur le fil du rasoir. La pression
à laquelle il est soumis renforce plus encore la difficulté de sa mission. Dans ce
nouveau contexte, seuls celles et ceux qui ont des capacités intellectuelles et émo-
tionnelles hors pair, réussissent dans la durée.
Les entreprises non cotées, certes, sont moins sous les feux de l’actualité et font
l’objet de moins d’attention de la part des analystes financiers et journalistes écono-
miques. Elles sont moins étudiées, commentées, analysées que les ténors de la Bourse.
Néanmoins, leurs dirigeants non propriétaires subissent aussi les pressions d’un
actionnariat, souvent familial et omniprésent, qui doit veiller à préserver son patri-
moine. De plus, que ce soit dans l’entreprise cotée ou non, le dirigeant manager, à
d’autres niveaux de la hiérarchie, directeur de filiales ou de centres de profit, est rare-
ment préservé lorsque son patron au sommet est confronté à des échéances raccourcies

11
  Chapitre 1  ■ Rôle du dirigeant

et à une culture du résultat. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les changements
récemment introduits dans les modes de pilotage des entreprises. Ces nouveaux modes
mettent l’accent sur une autonomie et une responsabilité accrues des managers. De
plus, ils mettent l’accent d’une manière renforcée sur la recherche d’une performance
orientée à plus court terme et ce dans le cadre d’un système de reporting contraignant.
C’est le dilemme du dirigeant d’aujourd’hui fournir de la performance à court
terme, tout en construisant l’avenir, créer de la valeur à long terme tout en étant
directement responsable de résultats dont le suivi s’est durci et l’échéance, raccour-
cie. Tâche immense qui nécessite une bonne compréhension de l’environnement
concurrentiel de l’entreprise, de ses compétences et atouts, une maîtrise intelligente
des choix stratégiques possibles, une parfaite mise en œuvre de ces derniers.

Section 2 Que fait un dirigeant ?


Il est tentant d’imaginer le dirigeant se consacrant aux grands plans de développe-
ment de son entreprise, aux constructions d’empires industriels, aux réorientations
stratégiques. C’est lui que l’on voit, dans la presse économique, tirer toutes les ficelles
et ne s’occuper que de choix d’importance. C’est ainsi que chez Orange Stéphane
Richard relance le dossier Bouygues Telecom » (Numerama, 5 juillet 2014) et que,
pour 2 milliards d’euros, Bernard Arnault s’est offert « la quintessence du luxe ita-
lien » (BFMTV, 9 juillet 2013) ; quand « le PDG de GE [Jeffrey Immelt] garantit la
pérennité d’Alstom en cas de rachat de son pôle énergie » (Le Bien public, 27 mai
2014). Toutefois, lorsque l’on observe un dirigeant, on s’aperçoit vite que ses tâches
sont beaucoup plus diversifiées et éclatées qu’on ne le conçoit habituellement.
L’un des premiers à avoir attiré l’attention sur la différence entre théorie et réalité sur
ce que font les dirigeants est Henry Mintzberg (The Manager’s Job Folklore and Facts,
HBR, 1975). Le dirigeant, contrairement à l’imagerie populaire, passe peu de temps à
la stratégie et aux plans de développement. Son activité est très souvent éclatée entre
plusieurs domaines de préoccupation qu’il doit souvent traiter sous la pression du
temps, en parallèle et sans, pour autant, posséder une information complète et fiable.
Trois tâches majeures l’attendent. La première est consacrée à l’information. Il en
diffuse beaucoup et en reçoit autant. Il doit informer ses troupes, les guider et en être
le porte-parole. La deuxième concerne son rôle de contact avec toutes les parties pre-
nantes de l’entreprise aussi bien en interne qu’en externe  : salariés, clients, action-
naires, fournisseurs, organismes publics, etc. Enfin, il a un rôle de décision qui, en
termes de temps, est loin d’être le plus prenant. Par exemple, il va allouer les res-
sources, arbitrer entre projets concurrents, négocier, prendre des initiatives. C’est dans
cette troisième tâche que l’on retrouve le mythe du dirigeant stratège.

12
Rôle du dirigeant  ■  Chapitre 1

Au-delà de sa personnalisation médiatique et dans ce troisième rôle, le dirigeant,


en tant que pilote ultime de l’entreprise, reçoit louanges et critiques en fonction des
résultats qu’il contribue à créer. Pour ce faire, il dispose de trois leviers principaux
et complémentaires : stratégique, organisationnel, transformationnel. Le levier stra-
tégique consiste à imprimer une direction, un sens collectif, une stratégie d’ensemble
au sein de laquelle des actions sont menées. Pour ce faire, il s’appuie sur sa connais-
sance de l’entreprise, des atouts de cette dernière, des compétences qu’elle peut
posséder. Également, pour orienter ses choix, il essaye de répondre aux enjeux
identifiés du marché en termes de concurrence, de clientèle et d’évolution des fac-
teurs d’environnement. Sur cette base, il prend des décisions, parfois intuitives
parfois argumentées à l’aide d’analyses souvent demandées à sa demande, sur le
meilleur cheminement à suivre afin d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixé pour
l’entreprise. Il fait ou valide des choix quant aux priorités dans son action, quant à
la manière dont il souhaite procéder, quant aux ressources qu’il est nécessaire de
mobiliser. Par ses décisions, il définit en quelque sorte le champ de bataille de
l’entreprise. Il gère le contexte stratégique de cette dernière, comme l’a fait Franck
Riboud lorsqu’il est arrivé à la tête de Danone et qu’il a eu « très tôt la conviction
que nous (Danone) n’avions pas les ressources, financières et humaines, pour nous
disperser. Il fallait choisir les secteurs où nous pourrions devenir les meilleurs » (Le
Nouvel Observateur, 15 février 2012).
Le deuxième levier porte sur le cadre organisationnel dans lequel la stratégie est
mise en œuvre. Le dirigeant est l’architecte en chef, maître d’œuvre et maître
d’ouvrage, qui décide de la configuration d’ensemble de l’entreprise et de la struc-
ture de ses opérations. Il crée le cadre dans lequel les opérationnels vont se mouvoir.
Il décide de la distance qu’il souhaite conserver avec ces derniers, du degré d’auto-
nomie qu’il entend leur accorder. Il fait également le choix des critères de perfor-
mance, critères qui sont des mesures du degré de réalisation des objectifs qui sont
fixés à l’organisation et ses différents acteurs externes et internes. Afin de renforcer
les comportements dans le sens souhaité, il choisit un système d’incitations et de
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récompenses qu’il applique à ses collaborateurs. En deux mots, il crée ou modifie


puis gère le contexte organisationnel sans lequel la stratégie demeure un exercice
intellectuel sans prise directe sur la dimension humaine et donc opérationnelle de
l’entreprise. Plus que créer, décider, faire, il s’agit néanmoins en fait de trancher
entre des options différentes d’organisation et non d’élaborer dans le détail les
modes de management souhaités. Faut-il une organisation plus ou moins centralisée,
où les acteurs sont autonomes ou dépendants, récompensés en fonction de leur résul-
tat ou disposant de peu d’incitations ? Telles sont les questions auxquelles le diri-
geant doit répondre, tout en ayant à l’esprit, comme le dit Carlos Ghosn (Les Échos,
9 septembre 2013), « que l’organisation n’est qu’un moyen qui permet d’atteindre
les objectifs » et non pas l’inverse.
Enfin, le troisième levier est celui de la gestion du changement. Aucune stratégie
n’est pérenne. Aucun mode d’organisation n’est parfait dans la durée. Des

13
  Chapitre 1  ■ Rôle du dirigeant

orientations nouvelles sont prises, qui requièrent des fonctionnements différents.


Des réaménagements dans les priorités sont réalisés. Des responsabilités différentes
sont affectées, des reconfigurations de tâches sont faites. Les choix de l’entreprise et
l’organisation qui les sous-tend font l’objet d’une réévaluation constante. Les
concurrents modifient leur stratégie, les attentes des clients se transforment, de nou-
velles réglementations apparaissent, des technologies anciennes sont remplacées par
de plus innovantes. Tout cela remet en cause la stratégie et le cadre organisationnel
dans lequel elle se réalise. La difficulté est de gérer la transition entre l’ancien mode
de fonctionnement en termes d’orientation des efforts et de mise en œuvre, d’une
part, et le nouveau mode requis par une situation différente, d’autre part. Du choix
de la nature, du rythme, de l’amplitude du changement réalisé et la manière dont il
est conduit dépend le succès de la transformation. Le dirigeant en est aussi l’archi-
tecte en chef. Rôle qu’il assume souvent seul, plus encore que pour les précédents
même s’il a intérêt à s’appuyer pour la mise en œuvre sur le plus grand nombre. De
la gestion du changement découle la capacité de l’entreprise à s’adapter et à se
renouveler.
Gestion du contexte stratégique, gestion du contexte organisationnel et gestion du
changement sont ainsi les trois leviers avec lesquels le dirigeant joue dans son rôle
de décision. C’est un rôle critique pour assurer le succès de l’entreprise.

Levier stratégique Levier organisationnel


– atouts – structure
– facteurs de succès – évaluation
Dirigeant – incitation

Levier de changement
– nature
– rythme
– importance

Figure 1.1 – Les trois leviers du dirigeant

Section 3 Le style du dirigeant

Pour décider d’une stratégie, des moyens nécessaires à sa mise en œuvre, du mode
de changement adopté, le dirigeant peut agir seul ou faire participer le plus grand
nombre ou bien encore trouver un juste milieu entre exercice solitaire du pouvoir et
démocratie directe. Le style de direction est amené à varier en fonction de plusieurs

14
Rôle du dirigeant  ■  Chapitre 1

facteurs. En premier lieu, le style dépend du dirigeant lui-même, c’est-à-dire de ses


valeurs, de ce en quoi il croit. Ensuite, le style s’adapte aux attentes et aux compé-
tences du personnel. Enfin, les caractéristiques de la situation, son urgence, sa nature
poussent dans le sens d’une plus grande directivité ou au contraire vers un accrois-
sement de l’autonomie donnée aux uns et aux autres.
Le dirigeant, comme tout un chacun, a des idées préconçues des qualités et des
défauts des hommes. Pour reprendre la typologie de Douglas McGregor, deux
conceptions s’affrontent. Selon la première, la théorie X, les femmes et les hommes
dans l’entreprise sont par essence paresseux, incapables d’initiative et uniquement
intéressés par leur salaire. Dans ce cas, il est vraisemblable que le dirigeant ne soit
pas tenté de déléguer. Dans la deuxième conception, la théorie Y, ce sont des indivi-
dus responsables, entreprenants, impliqués dans leur travail qui y sont décrits. Là, il
est probable que le dirigeant laisse de plus grandes marges de manœuvre à ses
subordonnés. La confiance que le dirigeant a envers ses collaborateurs varie égale-
ment en fonction de son expérience du travail en commun et de sa connaissance de
l’autre. Le goût et l’habitude de la délégation, la confiance en soi et la tolérance
vis-à-vis de situations ambiguës influencent aussi la délégation qu’il peut accorder.
Enfin, la préférence pour un style, autoritaire ou laisser-faire, vient modérer les
­facteurs qui viennent d’être évoqués. Selon le type de représentation de l’homme de
McGregor, le dirigeant penche ainsi pour un style de direction plus ou moins
­autoritaire.
Les attentes du personnel vont également induire le choix d’un style. Les individus
peuvent ou ne pas avoir une expérience, une attirance ou un intérêt personnel dans le
problème à traiter. Ils sont, ou pas, habitués à la prise autonome de décision. Comme
pour le dirigeant, ils peuvent être confortables dans les situations ambiguës ou ne pas
les apprécier. Enfin, ils peuvent préférer être autonomes et prendre eux-mêmes leurs
décisions plutôt qu’être « dirigés » ou au contraire suivre les ordres à la lettre sans
broncher. Selon leurs attentes, un style plus ou moins directif est adopté.
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Le contexte, enfin, modère ce que dirigeants et subordonnés envisageraient idéa-


lement comme style. Par exemple, la taille de l’entreprise, petite ou grande, et la plus
ou moins grande dispersion géographique de ses activités, concentrées ou éclatées,
facilitent ou limitent la capacité du dirigeant à être partout à la fois et à intervenir
directement dans la vie des affaires de l’entreprise. La nature du problème à traiter
peut requérir la participation directe du dirigeant ou au contraire ne pas la nécessiter.
Un problème de stratégie doit être réglé par la hiérarchie, en revanche une réorgani-
sation peut nécessiter la participation des intéressés. L’urgence, par exemple, néces-
site des styles plus ou moins autoritaires. C’est celle ou celui qui se trouve confronté
au problème à régler qui souvent prend les décisions conservatoires nécessaires sans
pour autant en référer dans l’instant aux acteurs concernés. En revanche, lorsque
l’on dispose de temps, le dirigeant peut procéder à plus de concertation et faire par-
ticiper le plus grand nombre.

15
  Chapitre 1  ■ Rôle du dirigeant

Sous la conjonction des trois facteurs que nous venons d’évoquer, plusieurs styles
de direction sont possibles. La figure 1.2 présente l’influence de ces trois facteurs.
À l’un des extrêmes, nous avons le dirigeant autocrate qui prend ses décisions et les
annonce. À l’autre, le dirigeant laisse le personnel libre de choisir tant que certaines
contraintes sont respectées. Entre ces deux styles opposés, de gauche à droite, une
progression dans la délégation se fait en essayant, dans la mesure du possible,
d’adapter le style aux influences respectives des valeurs du dirigeant, des attentes
des subordonnés et des caractéristiques de la situation. C’est ainsi que le dirigeant
peut simplement essayer de convaincre du bien-fondé de ses choix, ou bien c­ onsulter
ses collaborateurs avant de décider, ou bien encore les laisser décider à l’intérieur de
limites plus ou moins imposées.
La stratégie de l’entreprise et sa mise en œuvre dépendent du dirigeant, certes,
mais aussi de sa manière de diriger. Le contrôle absolu dans un environnement
stable et simple peut se justifier. En revanche, lorsque ce dernier est sans cesse en
mouvement, que les marchés se diversifient, que les technologies changent rapide-
ment, que la concurrence même lointaine se manifeste avec vigueur, être le seul
pilote à bord devient une tâche impossible. La construction de la stratégie, son
choix, sa mise en œuvre, son suivi deviennent plus encore que par le passé des élé-
ments clés pour un succès durable de l’entreprise. Le choix du style de direction, car
il induit la manière dont l’entreprise est conduite, devient de ce fait un choix qui est
lui-même stratégique.
Dirigeant

D° de centralisation
Centralisation Décentralisation
totale totale

Style Style
« autocratique » « laissez-faire »
D° d’autonomie

Subordonné Situation

Le dirigeant Le dirigeant Le dirigeant Le dirigeant Le dirigeant Le dirigeant Le dirigeant


prend les « vend » ses présente ses présente une présente le définit des laisse les
décisions décisions idées et décision mais problème, limites et collaborateurs
et les demande à se déclare obtient des demande aux libres de
annonce chacun son prêt à en suggestions collaborateurs décider tant
avis changer et décide de décider à que certaines
l'intérieur de contraintes
ces limites sont respectées

Figure 1.2 – Le choix d’un style (d’après Tannembaum et Schmidt)

16
Chapitre
Concepts
2 de stratégie

OBJECTIFS
 Définir ce qu’est la stratégie d’entreprise.
 Aborder les deux types de formation de la stratégie.
 Décrire les concepts clés de la stratégie.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Définition(s) de la stratégie d’entreprise
Sec­­tion 2   Stratégie délibérée et stratégie émergente
Sec­­tion 3   Concepts de stratégie
  Chapitre 2  ■ Concepts de stratégie

D u grec strategia, la stratégie est l’art du général. L’art de celui qui mène les
armées au combat. Le penseur le plus ancien et toujours influent en matière
de stratégie est sans aucun doute Sun Tse, un théoricien militaire qui vécut en Chine
environ cinq cents ans avant notre ère. Son Art de la guerre est considéré comme le
premier ouvrage sur la stratégie et la guerre. Sun Tse donne un ensemble de règles
et conseils organisés en treize chapitres allant des calculs préliminaires auxquels les
généraux doivent se plier, à l’utilisation d’agents secrets, en passant par les straté-
gies offensives et l’affrontement sur le terrain.
Gil Fievet, dans son ouvrage De la stratégie militaire à la stratégie d’entreprise1,
fait référence à Sun Tse. Il y décrit la stratégie comme se situant entre la pensée et
l’action, ce qui rend la tâche du stratège particulièrement complexe car « pour pen-
ser il faut douter, alors que pour agir il faut croire » (1991, p. 18). Pour l’aider dans
cette tâche, il dispose de principes, très discutés cependant, ceux établis à l’école de
guerre avant 1914 par le maréchal Foch. C’est à leur sujet qu’un parallèle saisissant
est fait avec les enseignements du théoricien chinois, illustrant là leur universalité
millénaire. Le premier principe, la concentration des forces, met l’accent sur l’accu-
mulation de moyens dans le temps et l’espace pour assurer une supériorité décisive.
Le deuxième est la liberté d’action ou la capacité d’agir quelles que soient les cir-
constances. Le troisième, l’économie des forces, est la mise en œuvre dynamique
des moyens dans le but de rendre l’action efficace.
Ces trois principes sont des conditions nécessaires au succès mais sont loin d’être
suffisants. L’adaptabilité aux circonstances, la créativité indispensable face à un
univers d’incertitude, où la décision ne peut se faire à partir d’une vision arrêtée à
l’avance ou lorsque tout est entendu, sont les voies, certes difficiles et complexes,
qui mènent à la réussite. Car, comme le dira Clauzewitz, directeur de l’académie
militaire de Berlin, plus de vingt-cinq siècles après Sun Tse, ce qui caractérise le
plus la guerre est le hasard. Dans un tel contexte, la reproduction de modèles hérités
du passé ne peut fonctionner. En revanche, une remise à plat des circonstances pour
y voir clair et une combinaison renouvelée des principes, en tant que guides pour
l’action plus que comme recette miracle, offrent des voies de solution.
Nous retrouvons dans les principes tous les ingrédients de la stratégie d’entre-
prise : 
• Les atouts, les ressources et compétences sur lesquels les efforts vont idéalement
s’appuyer (premier principe).
• L’adaptation au contexte concurrentiel, technologique, social et de marché à
laquelle il est nécessaire de procéder si l’entreprise veut réussir (deuxième prin-
cipe).

1.  G. Fievet, De la stratégie militaire à la stratégie d’entreprise, Paris, InterEditions, 1992.

18
Concepts de stratégie   ■  Chapitre 2

• La mise en œuvre efficace des moyens, sans laquelle la stratégie demeurerait un


vain exercice intellectuel (troisième principe).
• Enfin, la créativité, qui est indispensable à l’offre de solutions originales et diffé-
renciées et la mise en harmonie de tensions internes et externes contradictoires
auxquelles l’entreprise est soumise (un méta-principe qui transcende tous les
autres).

Section 1 Définition(s) de la stratégie d’entreprise

Les principes donnent les caractéristiques d’une « bonne » stratégie. Mais com-
ment peut-on définir cette dernière ? Différentes définitions de la stratégie d’entre-
prise sont proposées par les experts en gestion. Toutefois, de fortes similitudes
existent entre elles. Par exemple, Michael Porter définit la stratégie comme « la
création d’une position unique et valorisante impliquant un ensemble différent
d’activités » (M. E. Porter, « What is Strategy », Harvard Business Review, nov.-déc.
1996). Cette définition met l’accent sur la réalisation de quelque chose d’unique et
par conséquent d’original. Il ne s’agit pas tant de faire mieux que la concurrence
mais de faire quelque chose qui soit de nature différente afin de pouvoir disposer
d’un avantage unique qui seul peut donner un avantage concurrentiel durable. Sans
cela, la course à l’imitation ou à la meilleure efficacité est obligatoire. Ce qui ne
permet pas de maintenir de manière durable un avantage qu’il faut alors sans cesse
reconstruire.
D’autres auteurs font une distinction plus fine entre la stratégie générale (stra-
tegy corporate) et la stratégie d’activité (business strategy). Par exemple, Kenneth
Andrew définit la stratégie générale comme l’ensemble des décisions « qui déter-
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minent et révèlent les objectifs, la mission et les buts, qui produisent les princi-
pales politiques et plans pour atteindre ces objectifs et définissent le domaine
d’activité que l’entreprise poursuit, le type d’organisation économique et humaine
qu’elle a l’intention d’être et la nature des contributions économiques et non éco-
nomiques qu’elle souhaite faire à ses actionnaires, employés et clients et à la
communauté ». La stratégie d’activité, quant à elle, est moins globale. Elle couvre
« le choix de produits ou de services et le marché des activités de la firme ». La
stratégie générale, ainsi, fixe « les activités dans lesquelles la firme entrera en
concurrence, tout en concentrant ses ressources afin de convertir des compétences
distinctives en avantage concurrentiel », laissant à la stratégie d’activité le soin de
traiter du positionnement des produits en termes de marché et de concurrence
(K.R. Andrews, The Concepts of Corporate Strategy, Homewood Ill., Richard
D. Irwin, 1971).

19
  Chapitre 2  ■ Concepts de stratégie

Dans cet esprit et de manière plus fine, certains autres auteurs proposent de modu-
ler l’importance respective des différents éléments constitutifs de la stratégie selon
leur point d’application : niveau général de l’entreprise, niveau activité et enfin
niveau fonctionnel (voir figure 2.1 et tableau 2.1).

Vision

Objectifs

Stratégie générale

Stratégie activité

Fonctions

Figure 2.1 – Les différents niveaux d’application de la stratégie

Tableau 2.1 – Éléments de la stratégie selon le niveau d’application


Point
Niveau général Niveau activité Niveau fonctionnel
d’application

– Survie – Objectif de croissance, – Part de marché, efficacité


– Mission de marge… technologique…
Buts et objectifs
– Objectif global
poursuivis
de croissance
et de création de valeur

Vision – Crucial – Important – Modéré


d’ensemble

Important Crucial Crucial


Nature financière, Nature variable selon Nature variable selon
Compétence
organisationnelle, le stade de vie de l’activité la fonction, le stade de vie
distinctive
technologique du produit et de la position
vis-à-vis de la concurrence

Important Crucial Important


Avantage
Vis-à-vis de l’industrie Vis-à-vis de concurrents Vis-à-vis de produits/
concurrentiel
spécifiques services spécifiques

Modéré Important Crucial


Synergie
Entre activités Entre fonctions Au sein des fonctions

20
Concepts de stratégie   ■  Chapitre 2


Point
Niveau général Niveau activité Niveau fonctionnel
d’application

– Politique financière – Politique de gamme – Politique de prix


– Politique organisationnelle de produits – Politique de promotion,
– Politique technologique – Politique de d’ordonnancement,
Décisions
– Politique de portefeuille développement de de production, de stock,
fonctionnelles
marché, de distribution, d’encadrement
majeures
d’innovation…
– Politique
de sous-traitance

Allocation de ressources Allocation de ressources Allocation de ressources


Allocation
entre activités entre produits entre fonctions
des ressources
du portefeuille

Adapté de C.W. Hofer et D. Schendel, Strategy Formulation: Analytical Concepts,


St-Paul: West Publishing Co., 1978.

Au niveau général, par exemple, le choix du portefeuille d’activités et celui des


secteurs industriels est primordial, comparé aux préoccupations du niveau fonction-
nel qui sont plus orientées vers la recherche de synergies ou la valorisation de com-
pétences distinctives. Le niveau activité, quant à lui, situé en position intermédiaire,
cherche à développer et valoriser des avantages concurrentiels. La stratégie, selon
son niveau d’application, est ainsi différente : plus conceptuelle lorsque c’est l’en-
semble de l’entreprise qui est concerné, plus orientée marché et concurrence lorsque
nous parlons des activités et enfin, opérationnelle et orientée vers l’action quand ce
sont les fonctions qui sont touchées.
De manière synthétique et au regard de ce qui vient d’être dit, qu’elle soit fonc-
tionnelle, d’activité ou générale, la stratégie peut être enfin définie comme « l’en-
semble des décisions relatives au choix et à l’articulation des moyens en vue
d’atteindre un objectif ». La stratégie est ainsi le chemin que l’entreprise prend pour
arriver à son but.
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Section 2 Stratégie délibérée et stratégie émergente

Toutefois, les dirigeants le savent bien, toutes les stratégies ne sont pas nécessai-
rement construites et délibérées. Certaines se découvrent en marchant. Des impul-
sions déterminées sont certes données dans une direction précise, mais l’entreprise
fait aussi preuve de réactions face à des événements inattendus. Des concurrents
mettent sur le marché un produit révolutionnaire. Une nouvelle technologie apparaît
remettant en cause un avantage concurrentiel durement gagné. Des opportunités de

21
  Chapitre 2  ■ Concepts de stratégie

développement se présentent là où on ne les attendait pas. L’entreprise va tenter de


s’y adapter de manière quasi constante.
La vision du dirigeant qui établit une stratégie et dresse des plans qui guident
toutes les actions futures est une déformation de la réalité. Le dirigeant est, certes,
un élément essentiel pour l’impulsion et les orientations qu’il peut donner. Mais les
meilleurs des plans sont amenés à se modifier avec le temps suite à des « occasions »
qui se présentent et que l’entreprise ne peut se permettre de rater. Et puis, des pro-
blèmes inattendus surgissent auxquels il faut s’adapter. Enfin, des initiatives sont
prises qui modifient le chemin sur lequel la firme s’est engagée. C’est ainsi que de
nouvelles stratégies vont émerger suite à tous ces événements qui poussent l’entre-
prise en dehors de la trajectoire qu’elle s’est initialement donnée.
Pour reprendre la formule de Mintzberg, la stratégie prend forme progressivement
dans un flux continu d’actions. Certaines de ces actions sont délibérées et planifiées,
d’autres sont émergentes et répondent à des événements non prévus auxquels la
firme réagit (voir figure 2.2).

Stratégie
émergente

Stratégie Stratégie
désirée réalisée

Stratégie
abandonnée

D’après H. Mintzberg et J.A. Waters, « Of Strategies, Deliberate and Emergent »,


Strategic Management Journal, 1985, p. 257-272.
Figure 2.2 – Stratégie délibérée et émergente

H. Mintzberg, pour illustrer ce phénomène d’émergence, prend la métaphore du


potier qui fabrique sur son tour vases et statues selon un plan bien défini. Parfois, un
incident survient, ce qui l’oblige de changer de style. Style qui peut se révéler par la
suite des plus prometteurs. Sa production est ainsi le résultat de deux processus l’un
voulu, délibéré, souhaité et l’autre fortuit et émergent. L’entreprise connaît elle aussi
la combinaison de ces deux processus, l’un prévisible (le délibéré, le planifié),
l’autre étant le fruit du hasard (l’émergent).

22
Concepts de stratégie   ■  Chapitre 2

Section
3 Concepts de stratégie
Dans les paragraphes précédents plusieurs termes - mission, portefeuille, syner-
gie, etc. - ont été évoqués. Ces termes aident à définir une stratégie. Ils représentent
les éléments de la trame sur laquelle les stratégies reposent. D’une manière générale
ces éléments recouvrent la mission (métier, vision), le choix du portefeuille d’acti-
vités (produits et services), la recherche de combinaisons optimales de ressources et
d’actions (synergies), les moyens d’action (les ressources mobilisées), le mode de
développement (croissance interne ou externe), les compétences distinctives (les
atouts), les priorités (choix), la préparation à l’imprévu (les scénarios).
On retrouve dans les stratégies, telles qu’énoncées par les entreprises, l’ensemble
de ces éléments. Peut-être que ces éléments ne sont pas énoncés exactement de la
même manière, mais ils s’inspirent d’une logique similaire. On retrouve ainsi les
notions de mission. Par exemple, la mission de Danone est d’« apporter la santé par
l’alimentation au plus grand nombre  ». Ou bien encore pour le groupe LVMH sa
mission est « d’être l’ambassadeur de l’art de vivre occidental en ce qu’il a de plus
raffiné. LVMH veut symboliser l’élégance et la créativité. Nous voulons apporter du
rêve dans la vie par nos produits et par la culture qu’ils représentent, alliant tradition
et modernité ». La mission apporte des réponses aux questions que l’entreprise peut
se poser, du type « qui sommes-nous ? », « que voulons-nous être ? », « qu’aimons-
nous faire ? ». La mission donne la ligne directrice que l’entreprise va suivre. Elle
va lui donner un sens et servir de guide pour les choix à faire. Ce guide ne doit être
ni trop flou, ni trop rigide. Trop flou, comme c’est le cas de l’entreprise qui se défi-
nit comme étant dans les transports. Les transports sont ici une notion trop vague
pour servir de critère de choix et d’orientation des efforts. Trop rigide, comme dans
la situation de l’entreprise dont la vocation est de fabriquer et vendre des annuaires
papier auprès de l’administration. Dans ce dernier cas, les critères sont clairs mais
sont trop contraignants et peu évolutifs. Une fois la mission définie, il s’agit de choi-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sir le champ de bataille. Que va faire l’entreprise de manière précise ? Que va-t-elle
produire  ? Où va-t-elle écouler ses produits  ? Et, en conséquence, quelle concur-
rence va-t-elle affronter ?
La sélection du portefeuille d’activités apporte une réponse à ces interrogations.
Par exemple, cette entreprise va-t-elle s’engager à la fois dans la menuiserie de
décoration pour un marché de particuliers et dans la fabrication de fenêtres en
série pour le bâtiment ? Le choix du portefeuille d’activités permet de focaliser les
efforts de l’entreprise sur un domaine privilégié. À l’instar du particulier qui pos-
sède un portefeuille de valeurs mobilières et qui essaie de trouver un équilibre
entre risque et rentabilité, l’entreprise tente de sélectionner ses activités de
manière que les activités déclinantes soient compensées par des activités de crois-
sance et que les activités profitables supportent celles qui le sont moins ou dont le
développement nécessite l’apport de ressources importantes. Le terme activité est

23
  Chapitre 2  ■ Concepts de stratégie

ici utilisé à dessein. En effet, il ne s’agit pas d’un marché unique ou d’un produit
particulier, mais d’un couple homogène produit(s)-marché(s) dont le comporte-
ment stratégique est identifiable et cohérent. Ainsi, la petite voiture électrique pour
une clientèle urbaine ou un programme d’enseignement supérieur pour un public
de troisième âge sont deux activités identifiables et dont le comportement straté-
gique face à la concurrence et, d’une manière plus générale, face à l’environne-
ment est homogène. Pour Bouygues, par exemple, le portefeuille est défini, d’une
manière large, comme étant composé des télécommunications (Bouygues Tele-
com), de la télévision (TF1), des services (Saur), de la construction avec le BTP
et l’électricité (Bouygues Construction), de la route (Colas) et de l’immobilier.
Pour réaliser l’équilibre entre activités au sein du portefeuille, plusieurs méthodes
sont disponibles. Ces méthodes mobilisent des critères qui seront étudiés plus en
détail ultérieurement. Ces critères concernent, par exemple, la croissance du mar-
ché, la position de l’activité par rapport à la concurrence ou encore la création de
valeur. À partir de ces critères, des choix sont faits, des actions entreprises, des
priorités fixées.
La relation « 2 + 2 = 5 » est désormais bien connue. Elle symbolise le fait que la
complémentarité entre différentes actions peut donner des résultats plus élevés que
la somme des effets de chaque action prise séparément. Par exemple, la mise en
commun de deux forces de vente chargées de produits complémentaires et destinés
à une même clientèle produit un effet de synergie en termes de coût et d’efficacité
de vente. C’est ce que les économistes appellent les effets de champs. La recherche
de synergies sur le plan technique, commercial, humain, financier, grâce aux
­complémentarités qui en sont dérivées, permet à l’entreprise de tirer un profit maxi-
mum des ressources et des moyens qu’elle possède. Par exemple, c’est ce que fait
Carrefour, dont « la stratégie du groupe consiste à renforcer ses parts de marché à
l’international… en jouant sur la complémentarité des trois formats : l’hyper­marché,
le supermarché, le “maxidiscompte” ».

Exemple – Les stratégies racontées par les entreprises sur leur site institutionnel (extraits)
1. Google
La mission de Google : organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre
accessibles et utiles à tous. Pour ce faire, l’entreprise s’appuie sur les 10 principes sui-
vants :
1. Rechercher l’intérêt de l’utilisateur et le reste suivra.
2. Mieux vaut faire une seule chose et la faire bien.
3. Toujours plus vite.
4. La démocratie fonctionne sur le Web.
5. Vous n’êtes pas toujours au bureau lorsque vous vous posez une question.
6. Il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable.

24
Concepts de stratégie   ■  Chapitre 2

7. La masse d’informations continue de croître.


8. Le besoin d’informations ne connaît aucune frontière.
9. On peut être sérieux sans porter de cravate.
10. Il faut toujours aller de l’avant.

2. Danone
La stratégie de Danone s’appuie sur 4 piliers :
1. « Assurer une présence internationale ».
2. « Des produits au service de la santé ».
3. « Des produits pour tous ».
4. Des produits issus d’une « chaîne d’alimentation durable ».

Sa mission : partout dans le monde, faire grandir, mieux vivre et s’épanouir les hommes
en leur apportant chaque jour une alimentation meilleure, des goûts plus variés, des plai-
sirs plus sains :
–– produits laitiers frais, eaux, alimentation infantile, alimentation médicale ;
–– une géographie équilibrée des ventes ;
–– des positions de leader mondial bâties sur de très fortes positions locales ;
–– des marques fortes et concentrées ;
–– une innovation ambitieuse au service du consommateur ;
–– …un modèle de développement durable ;
–– l’excellence opérationnelle au cœur du succès.

3. Renault-Nissan
Afin de réaliser ses deux objectifs  : «  croissance portée par un chiffre d’affaires de
50  milliards d’euros  » et «  de rentabilité pérenne porté par une marge opérationnelle
supérieure à 5  % du chiffre d’affaires avec un free cash-flow positif chaque année  »,
l’entreprise va procéder, sur la période 2014-2016 à : « un renouvellement soutenu de sa
gamme de produits… une expansion internationale et ambition renouvelée en Europe…
un renforcement de sa compétitivité… des synergies avec l’Alliance (Renault-Nissan)…
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et une maîtrise des investissements ».

4. Orange
Les quatre priorités stratégiques d’Orange se déclinent de la manière suivante :
1. Développer les opportunités de croissance sur le réseau.
2. Mettre l’innovation au cœur de notre activité.
3. Améliorer notre relation client.
4. Rechercher l’efficacité avec une meilleure maîtrise de nos coûts.

5. Carrefour
Dans tous les métiers qu’ils exercent et dans tous les pays où ils sont présents, les colla-
borateurs de Carrefour ont une préoccupation majeure, le client. Leur ambition est
d’apporter une réponse de professionnels à toutes ses attentes et de lui offrir au meilleur
prix possible des produits et des services de qualité.

25
  Chapitre 2  ■ Concepts de stratégie

Carrefour est ainsi présent dans les différentes formes du commerce de détail à domi-
nante alimentaire :
–– l’hypermarché avec l’enseigne Carrefour… ;
–– le supermarché, avec Champion, GS, Norte et Gb… ;
–– le maxidiscompte, avec Dia, Ed et Minipreço… ;
–– le commerce de proximité, avec les enseignes Shopi, Marché Plus, 8 à Huit et Di
per Di ;
–– le cash and carry et le food service, destinés aux professionnels de la restauration et de
l’alimentation.
Carrefour développe très rapidement à l’international trois de ces métiers l’hypermarché,
le supermarché, le maxidiscompte.
La stratégie du groupe consiste à renforcer ses parts de marché dans chacun de ces pays
en développant le métier le mieux adapté, et en jouant sur la complémentarité des trois
formats.

Pour réaliser sa mission, l’entreprise fait appel à un certain nombre de ressources :


matérielles, humaines, financières. Il s’agit ici de veiller à la qualité du choix de ces
ressources ainsi qu’à leur mise en œuvre opérationnelle sans laquelle la stratégie
resterait lettre morte. Par exemple, pour Danone, « l’excellence opérationnelle est au
cœur du succès ». Ces ressources sont de natures différentes et des choix doivent être
faits. Certaines produisent un avantage, d’autres moins. Par exemple, quel type de
personnel clé va-t-on utiliser : personnel hautement qualifié ou très spécialisé ? Quel
outil de production va-t-on employer : entièrement automatisé ou faisant appel à une
main-d’œuvre abondante, outil interne ou externalisé ? À quel mode de financement
va-t-on avoir recours : emprunt, autofinancement ou augmentation de capital ? Quel
réseau de distribution va-t-on emprunter : grossiste ou détaillant, possédé en propre
ou pas ? Sur quels acteurs au sein de l’entreprise et dans son environnement va-t-on
s’appuyer  ? La réponse à cette dernière question est tout aussi importante que le
reste. Le succès de la stratégie dépend en partie des acteurs en présence cadres,
employés, syndicats, conseil d’administration, groupement de consommateurs, État,
etc. Ces derniers influencent la réalisation de la stratégie en la favorisant ou, au
contraire, en la freinant. Bien des stratégies, parfaites sur le papier, échouent du fait
d’une mauvaise compréhension du pouvoir de ces acteurs et des buts particuliers
qu’ils peuvent poursuivre. Le choix de ces moyens conditionne la réalisation des
objectifs et le succès même de la stratégie dans sa pérennité.
Pour atteindre ces objectifs, qu’ils soient financiers (rentabilité des investisse-
ments, dividendes, chiffre d’affaires, valeur)  ; commerciaux (part de marché,
volume de ventes) ; ou humains (satisfaction du personnel), divers chemins peuvent
être empruntés. Il s’agit pour l’entreprise de choisir son mode de développement.
Par exemple, Bouygues renforce sa « position d’entrepreneur et engage une politique
ambitieuse de diversification dans les services », ou bien encore, il « poursuit son
développement dans la construction à l’international… ». Quatre types de dévelop-
pement sont possibles  : l’expansion sur des marchés nouveaux avec les produits

26
Concepts de stratégie   ■  Chapitre 2

actuels, comme Carrefour dans son développement international ; la pénétration de


marchés actuels avec les produits actuels quand l’entreprise décide de demeurer
dans sa ligne traditionnelle d’activités et renforcer sa position sur les marchés
qu’elle connaît ; l’innovation avec de nouveaux produits pour les marchés actuels,
comme pour 3M avec sa politique d’innovation ambitieuse  ; et la diversification
grâce à de nouveaux produits pour des marchés non encore exploités, comme le fit
Bouygues avec sa diversification dans les services, les médias et les télécommuni-
cations. Ce faisant, l’entreprise répartit ses risques sur des domaines différents, tout
en accroissant la complexité de sa tâche du fait de la diversité des situations aux-
quelles elle est confrontée et de la méconnaissance des problèmes qu’elle peut ren-
contrer. Elle procède à ces développements en faisant appel à des ressources
internes, en s’appuyant sur ses capacités propres. Elle peut également avoir recours
à des moyens externes qu’elle peut acquérir dans le cadre d’achats ou de prises de
participation, d’alliances stratégiques sous forme de coopérations, de créations de
filiales communes ou de fusions. Le mode de développement – pénétration, expan-
sion, innovation, diversification –, avec les moyens du bord ou par l’intermédiaire
de croissances externes, sert de cadre aux actions entreprises et donne un sens aux
efforts fournis. Ces quatre types de développement sont résumés dans la figure 2.3.

Marchés actuels Marchés nouveaux


Produits actuels Pénétration Expansion

Produits nouveaux Innovation Diversification

Interne Externe
(ressources (alliances,
propres) acquisitions)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Figure 2.3 – Les modes de développement

Toutefois, les actions de développement sont rarement menées simultanément.


Des priorités sont généralement fixées. Par exemple chez Capgemini, les priorités
sont « l’innovation – c’est-à-dire l’accompagnement des clients dans l’adoption du
cloud et des nouvelles technologies – et la compétitivité – via le développement des
plateformes offshore et l’industrialisation des modes de production ». Ne pouvant
tout faire en même temps, les actions ayant un degré d’importance différente, des
priorités sont établies. Si, comme chez Capgemini, l’innovation est une priorité il
faudra entreprendre des recherches, recruter du personnel de haut niveau, construire
des laboratoires, procéder à des fabrications pilotes, préparer l’outil de production,
étudier le marché pour les nouveaux produits, préparer le réseau de distribution,
faire une campagne de promotion, allouer de nouvelles ressources financières et

27
  Chapitre 2  ■ Concepts de stratégie

humaines. Parmi toutes ces tâches, il sera nécessaire de répondre aux questions sui-
vantes : que faire en premier lieu ? Quand ? Qui sera chargé de la mise en œuvre ?
Quels résultats en attendre ? Faire de la stratégie, c’est aussi choisir et planifier ses
actions. La fixation des priorités répond à cette dernière nécessité.
Le mode de développement s’appuie idéalement sur les atouts ou compétences
distinctives de l’entreprise. Par exemple, Danone possède des « positions de leader
mondial bâties sur de très fortes positions locales et des marques fortes et concen-
trées ». C’est à partir de ces « places fortes » que le développement s’effectue. De
même, Danone met en avant l’innovation que le groupe utilise pour conforter sa
position sur les marchés. La valorisation des atouts ou compétences distinctives est
un élément fort de la stratégie et s’oppose à la vision réductrice, mais confortable,
de forces. Il s’agit moins de connaître ses forces que de maîtriser ce qu’il y a
d’unique et de différenciant parmi elles. Posséder des ressources et compétences
n’est pas suffisant si les concurrents bénéficient de similaires. En revanche, avoir des
atouts difficilement imitables donne un avantage concurrentiel sur les autres entre-
prises moins bien loties.
Comme on peut l’imaginer, il n’existe pas un seul chemin menant aux objectifs de
l’entreprise, mais plusieurs. Par exemple, chez Capgemini, qu’elle soit économique
ou stratégique, l’indépendance permet au groupe de garder le contrôle de ses choix
stratégiques, de disposer de la capacité et des ressources pour agir et faire preuve de
souplesse pour saisir les opportunités. La stratégie est élaborée à partir d’une cer-
taine vision de l’environnement et, plus précisément, de son évolution. Toutefois, la
multiplicité des choix fait que plusieurs alternatives entre des voies possibles sont
présentes. Selon les hypothèses retenues concernant les tendances prévisibles de cet
environnement, la stratégie choisie est différente. Il faut ici se préparer à l’imprévu
et introduire une certaine flexibilité. Ainsi, plusieurs jeux d’hypothèses peuvent être
élaborés et synthétisés dans le cadre de scénarios.

Exemple – Les scénarios chez EDF


En vue de la libéralisation du marché de l’électricité en Europe, EDF, dès 1995 avait
envisagé plusieurs hypothèses quant à ses pertes potentielles de part de marché. Le mar-
ché devait s’ouvrir peu à peu à la concurrence. En 2000, l’ouverture du marché ne tou-
chait que 30 % de la demande pour aller, en 2007, jusqu’à 100 %. L’entreprise dans le
cadre de ce qu’elle avait appelé le «management stratégique intégré» bâtit des stratégies
de réponses en fonction de l’érosion possible de ses ventes. Des scénarios furent
construits pour faire face à une perte de 30 % (scénario défavorable), de 15 % (scénario
moyen), de 5  % (scénario optimiste). C’est finalement le dernier scénario qui s’est
presque matérialisé avec une perte de 7,8 % du marché en 2013. Le but était bien entendu
d’anticiper le « qu’est-ce qui se passerait si… ? » mais aussi et surtout de préparer les
esprits, de créer des «  cartes mentales  » permettant de mieux anticiper et réagir de
manière appropriée et non pas dans l’urgence à la découverte subite d’un environnement
auquel elle n’aurait pas été préparée.

28
Concepts de stratégie   ■  Chapitre 2

Les scénarios sont construits et classés en fonction de leur degré de vraisemblance


et, pour chacun de ces derniers, des stratégies sont élaborées. Ne sachant quel scé-
nario retenir, tant le nombre de combinaisons d’hypothèses peut être important,
l’entreprise sélectionne un nombre limité de scénarios, trois par exemple (optimiste,
pessimiste, neutre) et construit, pour chacun d’entre eux, une stratégie. Une seule
stratégie, la plus probable et robuste, est cependant retenue. Les autres – stratégies
de contingence – sont gardées en réserve pour le cas où une évolution différente de
l’environnement que celle prévue dans les hypothèses se ferait jour.
Le processus de suivi des hypothèses et d’adoption de nouvelles stratégies ou de
modification de l’ancienne fait l’objet du contrôle stratégique. Ce type de contrôle,
particulièrement important dans le cycle de formulation, de mise en œuvre et d’éla-
boration de la stratégie, porte essentiellement sur le suivi des hypothèses sur les-
quelles repose la stratégie choisie. Dans le cas d’une déviation des réalisations par
rapport à ces dernières, une évaluation est faite afin d’étudier si la stratégie doit être
remise en cause ou, du fait de sa robustesse, peut être aménagée ou tout simplement
conservée en l’état.

Tableau 2.2 – Les éléments de base de la stratégie

Qu’aimons-nous faire ? Que savons-nous faire ?


Mission
Que voulons-nous faire ?

Champs de bataille (portefeuille d’activités) Que faisons-nous ? Quels sont nos produits-marché ?

Synergie 2 + 2 = 5

Moyens Hommes, matériels, finance

Tactique (mode de développement) Innovation, pénétration, expansion, diversification

Priorités Que faire en premier lieu ?

Atouts Quelles sont nos compétences distinctives ?

Préparation à l’imprévu (stratégies de contingence) Que se passe-t-il au cas où ?

Les éléments de la stratégie qui viennent d’être présentés sont résumés dans le
tableau 2.2. Ces éléments sont ceux que l’on retrouve évoqués à des degrés divers
dans toutes stratégies d’entreprise. Dans leur formulation précise, ils doivent
répondre aux principes (concentration des forces, liberté d’action, économie des
forces) que nous avons vus en début de chapitre. Ces éléments peuvent être
construits de manière délibérée ou bien apparaître de manière émergente. L’impor-
tant étant qu’ils demeurent cohérents entre eux.

29
Chapitre
Formation
3 de la stratégie

OBJECTIFS
 Définir ce que l’on entend par objectif.
 Décrire comment la stratégie se construit.
 Aborder l’influence politique dans la formation de la stratégie.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Fixation des objectifs
Sec­­tion 2   Du délibéré et de l’émergent
Sec­­tion 3   Les styles de formation de la stratégie
Sec­­tion 4   Démarches économiques et politiques
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

E n amont de la stratégie se trouvent des objectifs. La stratégie est le chemin pour


y parvenir. Par exemple, l’entreprise peut avoir pour objectif de doubler ses
ventes en cinq ans, tout en accroissant sa marge opérationnelle de 30 %. Elle peut
aussi, à l’instar de LVMH, vouloir concentrer ses efforts sur « les trois axes clés de
[ses] objectifs à long terme  : [qui sont de] perpétuer le succès de [ses] marques
phares, assurer l’expansion de celles qui ont le potentiel pour marcher sur leurs
traces et saisir les opportunités de grandir lorsque des alliances fondées sur des
valeurs communes peuvent être conclues. » Des ventes plus élevées, une rentabilité
accrue, l’expansion sont ainsi les objectifs poursuivis. Toutefois, selon la nature de
ces objectifs, les actions qu’ils induisent sont soit d’ordre stratégique, soit d’ordre
opérationnel. Stratégique, lorsqu’il s’agit pour une direction générale de faire des
choix difficilement réversibles, tels ceux relatifs à des investissements lourds ; opé-
rationnel quand, par exemple, les responsables de fonctions ou de produits doivent
décider de la meilleure façon d’organiser la production ou d’assurer la promotion
d’un produit. Chaque action et décision, bien entendu, contribuent à l’ensemble,
mais à leur juste mesure et à leur propre niveau. Orientations générales, objectifs,
buts sont issus du même concept. Une direction à suivre est donnée. Un point de
mire, vers lequel tendent toutes les actions, est proposé. Les objectifs influencent la
stratégie dans la mesure où la stratégie est le chemin qui permet de les atteindre.

Section
1 Fixation des objectifs
Idéalement, les objectifs devraient être le résultat d’une démarche logique et
rationnelle. En effet, pour fonctionner efficacement, l’entreprise doit avoir des
objectifs clairement définis qui donnent la direction souhaitée. Dans cette démarche
logique, les objectifs sont formulés à partir d’un accord très large sur ce qui doit être
réalisé et en faisant l’hypothèse que l’on est capable d’en connaître les tenants et les
aboutissants. Par exemple, il s’agira de s’assurer d’une position de chef de file au
sein du secteur industriel ou d’améliorer la rentabilité de l’affaire ou bien encore de
créer de la valeur pour l’actionnaire. À partir de cette formulation générale, des
sous-objectifs seront successivement établis. Ces sous-objectifs contribueront sur un
plan plus opérationnel à la réalisation de l’objectif général.
Toutefois, la fixation de l’objectif général est rarement le fait d’une personne unique,
en l’occurrence son dirigeant-propriétaire. La fixation des objectifs résulte plus sou-
vent d’une « négociation » entre coalitions d’acteurs internes (les dirigeants, les admi-
nistrateurs) et externes (les actionnaires, l’État, les associations) dont les buts ne sont
pas nécessairement convergents. Les objectifs sont alors le résultat de processus dyna-
miques qui s’ajustent en fonction des pressions qui s’y exercent. Il ne s’agit plus ici

32
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

d’une démarche globale et rationnelle mais d’une démarche menant à objectifs négo-
ciés. Parfois, la démarche logique et rationnelle s’impose d’elle-même, lorsque tout est
simple et clair. Dans d’autres cas, la démarche négociée est la voie suivie. La démarche
purement rationnelle est utile mais elle ne prend pas en compte l’ensemble des acteurs
internes et externes de l’entreprise – propriétaires, dirigeants, managers, syndicats,
clients, associations, etc. – qui directement ou indirectement font valoir leur point de
vue. Les acteurs internes et externes exercent une influence d’autant plus forte que
l’entreprise dépend d’eux et qu’ils forment un groupe suffisamment uni. L’influence
s’exerce, par exemple, par les propriétaires de l’entreprise lors de la nomination du
directeur général ou quand un client puissant dicte ses volontés. Elle s’exerce aussi par
l’intermédiaire de coalitions entre managers influents ou entre membres du conseil
d’administration lors de périodes de crise ou de réorientations stratégiques. Elle peut
venir enfin de sources plus diffuses telles que les marchés financiers comme ce fut le
cas de Schneider Electric qui « se fixe des objectifs prudents pour éviter de décevoir
encore les marchés » (Les Échos, 23 février 2012).

1 À quoi sert un objectif ?


À la différence d’une mission qui donne un horizon « stratégique » très large,
ouvert à toute interprétation quant à se réalisation, la réalisation de l’objectif peut
être vérifiée. Sa réalisation constitue une étape souhaitée de l’évolution de l’entre-
prise. L’objectif donne une direction à suivre et influe directement sur le type
­d’actions à entreprendre. Ainsi, accroître une part de marché de 15 % demande des
actions différentes de celles qui sont nécessaires pour améliorer la productivité.
L’objectif est source de mobilisation des efforts et sert d’incitation. Atteindre un
chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros l’année prochaine, alors qu’elle n’en réalise
de 800 millions, peut être un défi mobilisateur pour l’entreprise. L’objectif, enfin, est
utilisé comme base d’évaluation et de contrôle. Il permet :
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––de vérifier si le résultat est conforme à ce qui était projeté (par exemple, observer
si la marge opérationnelle s’est améliorée de deux points) ;
––de mettre en œuvre une action corrective adéquate menant au résultat souhaité (par
exemple, faire plus d’efforts pour réduire les coûts de production) ;
––de récompenser les managers chargés d’une tâche particulière lorsque l’objectif
est atteint.

2 Une multiplicité d’objectifs


L’entreprise possède une multiplicité d’objectifs : objectifs à long terme, à moyen
terme, à court terme. En négliger un, engendre des conséquences en cascade. Un
équilibre doit être trouvé afin de ne pas favoriser le court terme au détriment d’un
horizon plus éloigné. L’exemple de ces directeurs d’usine soviétiques qui, pour

33
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

atteindre et dépasser les objectifs annuels de production, poussaient au maximum les


équipements au détriment de leur entretien, illustre ce propos. Devant leurs bonnes
performances, ces directeurs étaient promus et mutés. Leurs successeurs se trou-
vaient confrontés à des problèmes de pannes et d’usure prématurée des matériels. Si
l’objectif à court terme était bien atteint, il l’était au détriment du maintien de l’usine
à un horizon plus éloigné. Un équilibre entre objectifs de production et de mainte-
nance aurait été, dans ce cas, sans nul doute préférable. Dans un autre domaine, la
publication de résultats trimestriels par les entreprises cotées peut induire ces der-
nières à privilégier la rentabilité à court terme au détriment de leur performance à
long terme. Le « balanced scorecard » (en français, le « tableau de bord prospec-
tif  »), tente de pallier ce type de problème où des objectifs de nature différente
(financiers, commerciaux, organisationnels et d’innovation) sont conjointement
poursuivis en prenant pour précaution qu’aucun d’entre eux ne soit réalisé au détri-
ment d’un autre.

3 Objectif ou contrainte ?
Au sein de l’entreprise, un objectif fixé à un responsable peut être une contrainte
pour un autre. Par exemple, le responsable des ventes, dont l’objectif sera par
exemple de maximiser le chiffre d’affaires, subit les contraintes de capacité de pro-
duction, de délais de livraison, de quantité de produits disponibles et de prix de
revient. Ces contraintes sont parfois elles-mêmes des objectifs assignés au respon-
sable de fabrication. Ces objectifs peuvent alors être en contradiction avec l’objectif
de vente. Minimiser les coûts de production peut, éventuellement, nécessiter des
séries importantes de fabrication et une standardisation accrue des produits. En
revanche, accroître le chiffre d’affaires peut passer par une plus grande diversité des
modèles commercialisés. La multiplicité des objectifs et les contraintes qu’ils
créent, du fait d’une information imparfaite et de rigidités, sont une source de sous-
optimisation. Même avec l’aide de «  balanced scorecards  », il s’agira alors
­d’atteindre des niveaux satisfaisants plus qu’espérer une réalisation optimale. La
complexité de fixation des objectifs et la contrainte de temps auxquelles les mana-
gers font face vont entraver la recherche des objectifs les meilleurs au bénéfice
d’objectifs satisfaisants.

4 Qu’est-ce qu’un bon objectif ?


Question difficile  ! Il faut tout d’abord essayer de fixer des objectifs utiles à
­l’entreprise. Pour ce faire, plusieurs critères servent de guide pour leur formulation.
Il y a, tout d’abord, la clarté. Un objectif vague ne facilite pas une action cohérente
de l’ensemble du personnel. Par exemple, un objectif tel que « devenir un chef de
file sur le marché » induit toutes sortes d’interprétations en termes d’actions

34
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

possibles à entreprendre. Interprétations qui peuvent être divergentes. Il y a ensuite


la spécificité. Là encore, une formulation trop générale du type « accroître la part de
marché de 5 % » ne permet pas de guider les efforts. S’agit-il d’augmenter toutes les
parts de marché, quel que soit le produit, ou seulement de miser sur un produit par-
ticulièrement important ? Il y a également l’équilibre entre difficulté et réalisme. Un
objectif facile n’est pas un élément moteur. De même un objectif irréaliste mène au
découragement. Une cohérence interne entre objectifs doit aussi être respectée. Par
exemple, augmenter les ventes tout en contractant les dépenses commerciales induit
plus de frustrations que d’enthousiasme et est probablement préjudiciable au bon
accomplissement de l’un ou l’autre but. Enfin, l’acceptation et la compréhension des
objectifs par ceux qui les mettent en œuvre et l’engagement des responsables vis-
à-vis de ces derniers sont les ultimes critères permettant un choix satisfaisant des
objectifs à atteindre. S’il n’existe ni cette compréhension, ni cet engagement, ni,
bien entendu, un contrôle de la bonne réalisation des objectifs, il est fort probable
que ces derniers, dont la formation est sujette à de nombreuses pressions, demeurent
lettre morte et ne peuvent servir d’incitation.

Tableau 3.1 – Les caractéristiques d’un bon objectif

 Clair  Compréhensible
 Spécifique  Acceptable
 Réaliste  Contrôlable
 Cohérent

5 Un enchaînement d’objectifs
Au-delà des jeux de pouvoir entre acteurs internes et externes de l’entreprise, si
une orientation dans une direction précise est souhaitée, il est nécessaire qu’un cer-
tain nombre d’étapes soient respectées. La direction générale a ici un rôle primordial
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

à jouer. Au sommet se trouvent les objectifs généraux de l’entreprise, desquels


découle la stratégie. Puis des objectifs plus précis en termes de ressources phy-
siques, humaines et financières sont établis. Ils sont l’étape intermédiaire entre la
stratégie et sa mise en œuvre pour l’ensemble de l’entreprise. Ces objectifs spéci-
fiques servent à formuler des plans opérationnels pour chacune des grandes dimen-
sions de l’entreprise : physique, humaine, financière. Afin de réaliser, en pratique, ce
qui a été décidé à un niveau supérieur, une définition fine est élaborée pour chaque
responsable et dans chaque domaine. De même, un système de contrôle et de récom-
pense est instauré afin de faciliter et de suivre la réalisation de ces objectifs.

35
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

Section
2 Du délibéré et de l’émergent
À partir des objectifs, comment la stratégie est-elle établie ? Est-elle le fruit d’une
démarche systématique ou bien au contraire le résultat d’un ensemble de mini-­
décisions et actions qui peu à peu vont former le futur de l’entreprise  ? Est-elle
induite par les dirigeants de l’entreprise ou est-elle la conséquence d’initiatives
individuelles plus ou moins autonomes ? La vérité est probablement entre les deux.
Le dirigeant est, bien entendu, un élément essentiel pour donner une impulsion et
des orientations, mais il n’est pas le seul et unique acteur pour ce faire. De plus, la
stratégie se modifie avec le temps, des problèmes inattendus surgissent et de nou-
velles initiatives sont prises poussant cette dernière sur des trajectoires inattendues.

Environnement Contraintes
nouvelles internes
et externes

Organisation Stratégie induite

Stratégie Stratégie
désirée réalisée

Stratégie émergente

Choix Hasard

Figure 3.1 – La stratégie comme résultante de choix, de hasards et de nécessités

La stratégie devient alors le fruit d’actions voulues et opportunistes. Les unes


sont le résultat d’un processus planifié. Les autres répondent à des événements non
prévus auxquels la firme réagit. Ce faisant, elle répond à des initiatives prises en
dehors des processus formels de décision. Le délibéré et l’émergent se conjuguent
pour former la stratégie réalisée. Les actions délibérées sont induites par la volonté
et le choix stratégique. Les actions émergentes sont issues d’initiatives au sein de
l’entreprise et d’événements qui se produisent dans l’environnement. Le délibéré
est le fruit d’une démarche formelle et rationnelle. L’émergence est le fruit
­­d’improvisations, favorisées par une forte tolérance à la déviance par rapport aux
normes établies. Elle est encouragée quand la prise de risque n’est pas sanctionnée
en cas d’échec et que le succès est largement récompensé. Elle est enfin favorisée
lorsque l’évolution du contexte général pousse l’entreprise dans des voies de tra-
verse non prévues ; voies qu’elle ne refuse pas d’emprunter sous prétexte qu’elles
l’éloignent de la direction établie. La conjonction de la volonté et du hasard, du
choix et de l’opportunité, interne ou externe, contribue ainsi à la formation de la
stratégie.

36
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

c Focus
Entre hasard, choix et inévitabilité
D’une innovation ratée à un produit impuissants. L’efficacité du médicament,
« champion » : le coup de chance cette fois, ne devait plus faire aucun
de Pfizer doute. Toutefois, en novembre  2000, la
Haute Cour de justice britannique allait
Le développement du médicament pour
annuler le brevet très lucratif de Pfizer sur
traiter les dysfonctions érectiles, le Viagra,
par Pfizer montre comment les interac- le Viagra jugeant la découverte évidente.
tions entre choix, hasard et inévitabilité Lilly ICOS, une filiale commune de Lilly
ont pu mener à la découverte d’un pro- et de ICOS, qui poursuivait un objectif
duit phare. Un programme de recherche similaire (le traitement des dysfonctions
sur l’hypertension artérielle avait été lancé érectiles) et visait un même marché avait
dès 1985. Au bout de quelques années, porté plainte pour invalider le brevet et
on s’était aperçu que les composants faire révoquer ainsi la protection légale
actifs pour traiter l’hypertension avaient dont bénéficiait Pfizer pour l’utilisation
un effet secondaire grâce à un enzyme de plusieurs composants chimiques, dont
situé dans les muscles vasculaires et les le citrate sildenafil. L’un des arguments
globules rouges. Les chercheurs déci- principaux avancés par Lilly-ICOS était
dèrent alors de modifier leur projet pour que le brevet avait été devancé par une
l’orienter vers le développement d’un recherche antérieure et qu’il n’était en
traitement pour combattre l’angine de rien nouveau et original. En d’autres
poitrine par la relaxation des tissus san- termes, Lilly-ICOS affirmait que la décou-
guins. Chemin faisant, en 1989, les scien- verte du Viagra était évidente et inévi-
tifiques de Pfizer identifièrent un nouveau table. Bien que l’application au traitement
composant, le citrate sildenafil, qu’ils des dysfonctions érectiles puisse être
utilisèrent dans des tests cliniques dès considérée comme étant due à la chance,
1991. Avant même la fin de la première l’effet du citrate sildenafil sur les vais-
phase et ayant démontré que le médica- seaux sanguins était déjà bien documenté
ment était suffisamment sûr, Pfizer reçut ce qui permit à Lilly-ICOS de persuader la
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l’autorisation d’entamer la phase suivante Cour d’invalider le brevet. Certes, le


afin de procéder à des tests sur des hasard a joué un rôle dans le développe-
patients souffrant d’angine de poitrine. ment et le succès du produit, mais le
Les résultats furent décevants. Toutefois, choix des dirigeants et l’inévitabilité sont
les chercheurs qui travaillaient encore sur tout aussi importants. Par exemple, l’exis-
la première phase d’essai clinique allaient tence de travaux antérieurs a fourni des
observer des effets secondaires inatten- arguments suffisants pour justifier l’allo-
dus  : les volontaires soumis à de fortes cation supplémentaire de 340 millions de
doses du médicament faisaient part dollars et de 1 500 chercheurs au projet.
d’érections fréquentes et persistantes. Cette décision stratégique avait du sens
­Pfizer décida alors d’engager 1 500 cher- compte tenu de la connaissance médicale
cheurs et de consacrer 340  millions de de l’époque et de l’espoir de récupérer
dollars au projet et de répliquer la phase II des fonds déjà investis dans un projet de
clinique en faisant appel à des hommes recherche en difficulté. La découverte par

37
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie


hasard des effets secondaires permit éga- Pfizer. Omettre l’un de ces éléments don-
lement d’explorer une nouvelle piste. Le nerait une histoire incomplète et trom-
hasard (les effets secondaires inattendus), peuse de la réalité.
le choix (la décision d’allouer de nou- Source : De Rond et Thietart,
velles ressources au projet) et l’inévitabi- « Responsabilité stratégique des dirigeants :
lité (l’état de la connaissance médicale) entre hasard, choix et inévitabilité »,
peuvent être vus comme coopérant à la Revue française de gestion, 2007/3
formation de la stratégie d’innovation de (n° 172), pp. 63-77.

Section
3 Les styles de formation de la stratégie
Comment, dans la pratique, élaborer une stratégie ? Dans de petites structures, la
manière de procéder est relativement simple. On a une idée, une intuition que l’on
valide par une analyse approfondie de la situation. On peut aussi s’appuyer sur ce
que l’on sait faire et ce à quoi on est bon. On cherche alors comment valoriser ses
atouts dans l’environnement dans lequel on évolue. On peut enfin partir de l’envi-
ronnement et y rechercher de nouvelles opportunités et manières de faire. La ques-
tion devient plus difficile lorsque la structure est grande, qu’elle est composée
d’acteurs aux compétences et spécialités multiples, que l’entreprise intervient avec
de nombreux produits sur des marchés divers. La construction individuelle de la
stratégie ou en petit comité fait place à d’autres démarches. Ces démarches peuvent
être regroupées en trois grands styles ; styles mis en évidence par deux universitaires
britanniques : Goold et Campbell1. Le premier style est celui du « planificateur stra-
tégique ». Le second est le « contrôleur stratégique » et, enfin, le troisième est celui
du « contrôleur financier ».

1 Le planificateur stratégique
Le planificateur stratégique suit une logique qui n’est ni un élixir magique, ni une
condition nécessaire du succès. La planification stratégique qui en résulte est la
reconstruction du processus qu’un stratège est censé suivre. Ce processus favorise une
bonne analyse de la situation et une organisation satisfaisante des ressources qu’il
faudra mobiliser si l’entreprise veut atteindre ses objectifs. Il reproduit de manière
rationnelle ce que fait un dirigeant pour élaborer ses choix, déployer des ressources,
fixer des priorités. Il est composé d’un ensemble d’étapes qui, par expérience, donnent

1.  M. Goold et A. Campbell, Strategies and Styles, Oxford, Basil Blackwell, 1987.

38
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

de bons résultats. Ces étapes peuvent paraître contraignantes et empêcher la sponta-


néité. Toutefois, pour un entrepreneur de génie bridé, de nombreux managers sont
ainsi guidés dans leur réflexion. La planification stratégique est, dans ce contexte, le
meilleur garant contre la désorganisation. Il ne s’agit pas pour autant de refuser la
créativité et l’initiative mais, au contraire, de les favoriser en proposant un cadre néces-
saire à leur épanouissement. Au-delà de ses limites, la planification stratégique
­s’attache à résoudre un problème majeur comment faire en sorte pour qu’une collec-
tivité d’acteurs se mobilise pour que l’entreprise atteigne ses objectifs ? Elle couvre
non seulement la phase de formulation de la stratégie mais aborde aussi certains
aspects de sa mise en œuvre. Elle va faire en sorte que la mise en œuvre de la stratégie
soit facilitée par l’ensemble des acteurs en présence en les impliquant très en amont
du processus de formation de la stratégie. Grâce à sa démarche structurée, la planifi-
cation stratégique cherchera à optimiser les ressources disponibles sans pour autant
négliger les opportunités présentes sur le marché.
Dans cet examen d’analyse systématique de la situation, de formulation de la stra-
tégie et d’établissement des plans qui en découlent, trois processus principaux se
distinguent. Le premier est descendant. Le processus de planification est initié au
sommet de l’entreprise et s’articule étape par étape vers le bas de l’organisation. Le
deuxième processus est ascendant. Il est le résultat d’une agrégation progressive de
choix effectués par des niveaux hiérarchiques croissants. Le troisième processus
combine les deux précédents. Un dialogue entre le sommet et la base opérationnelle
est institué afin de permettre à ceux qui mettent en œuvre la stratégie de participer à
son élaboration, tout en laissant aux dirigeants la responsabilité ultime d’orientation
générale de l’entreprise et de fixation des priorités dans l’allocation des ressources.
Il s’agit d’un processus du haut vers le bas et du bas vers le haut qui s’affine à la
suite d’itérations successives. Ce processus « haut-bas-haut » fait appel à l’ensemble
des membres de l’entreprise. C’est une démarche, plus que tout autre, fondée sur la
recherche d’un sens collectif dans le cadre de directives générales et reposant sur
l’expérience et les connaissances de chacun.
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Exemple – Danone ou le planificateur stratège


Danone est probablement l’une des sociétés françaises parmi les plus connues sur la
scène mondiale. En l’espace de cinquante ans, la petite entreprise de fabrication de bou-
teilles est devenue, suite à une succession d’acquisitions, de croissance interne et d’une
reconfiguration de ses activités, un géant de l’agroalimentaire, le sixième mondial.
Cette transformation et cette croissance sans précédent se sont appuyées, jusqu’au début
des années 2000 et amendée depuis, sur une démarche mise en place dès 1973, avec
l’aide de la société McKinsey.
La démarche se décompose en trois grandes étapes. La première étape est stratégique.
Elle consiste à fixer, ce que Danone appelle des objectifs préliminaires. En début d’année
chaque département opérationnel (une filiale) réunit son comité de direction pour une
période de deux à trois jours pendant laquelle les participants vont « rêver » à ce qu’ils

39
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

souhaiteraient que le département devienne dans les trois ou cinq années à venir. On vient
à cette réunion avec peu de chiffres et le raisonnement est essentiellement qualitatif, le
cadrage étant très souple. Il s’agit de faire émerger des intentions stratégiques qui
peuvent même porter sur l’acquisition d’un concurrent majeur. Suite à cette réunion, le
département rencontre la direction générale accompagnée de son état-major et de la
direction de la branche à laquelle il est rattaché. Pendant cette réunion, les résultats de
l’année écoulée sont présentés, les stratégies passées sont évaluées, les événements mar-
quants de la période sont évoqués, les choix passés sont également explicités et les choix
futurs, justifiés. Un débat s’instaure entre le département et la direction générale sur les
objectifs stratégiques à retenir pour les années à venir. Suite à un échange et discussion
qui permettent à chacun de mieux comprendre la position de l’autre, une série de déci-
sions quant aux objectifs à retenir est prise. Ces objectifs sont alors consignés dans un
compte rendu que le responsable du département rédige suite à la réunion. Rapport qui
lui sert alors de cadre pour l’étape suivante, celle de l’établissement du plan opérationnel.
Dans cette étape, il s’agit de transformer en termes d’objectifs opérationnels sur un hori-
zon de trois ans les objectifs stratégiques de la phase précédente et de programmer les
moyens et ressources nécessaires afin de les atteindre. Une fois réalisé, le plan opération-
nel est présenté à la direction de la branche, accompagnée pour ce faire des services
d’état-major.
Une fois discuté et modifié, le plan opérationnel est alors traduit en termes monétaires.
C’est la dernière étape d’établissement du budget pour l’année à venir. Cette étape est
décentralisée. Une fois les budgets établis, ces derniers sont consolidés au niveau du
groupe, la cohérence d’ensemble est vérifiée et finalement approuvé par la direction
générale.

Contrairement aux processus haut-bas et bas-haut, la planification « haut-bas-haut »


(figure 3.2) est un processus interactif bien adapté aux entreprises aux activités mul-
tiples et complémentaires dans lesquelles la direction veut garder la main sur la
construction de la stratégie. La planification « haut-bas » (partie gauche de figure 3.3)
peut convenir également aux firmes multi-activités si la diversité des métiers n’est
pas trop importante. Elle est plus directive et est particulièrement bien adaptée
lorsque le choix stratégique est relativement simple. Toutefois, à l’opposé du proces-
sus précédent « haut-bas-haut », elle tire moins parti des managers en termes d’in-
formation, d’expertise, d’expérience et d’initiative. Enfin, la planification « bas-haut »
(partie droite de figure 3.3) s’accorde mieux aux firmes à activités multiples diver-
sifiées où le rôle de la direction générale se cantonne au choix d’allocation de res-
sources entre activités et de sélection du portefeuille.

40
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

Évaluation : objectifs, Formulation de la


Objectifs généraux stratégies, plans des stratégie et du plan
Direction générale unités opérationnelles de l’entreprise
Direction générale Direction générale

Objectifs d'activité Fixation des priorités,


Unité opérationnelle Modifications allocation de ressources
éventuelles Unité opérationnelle

Analyse stratégique Modification des


Établissement des stratégies et plans en
stratégies et plans fonction des priorités
Unité opérationnelle Unité opérationnelle

Figure 3.2 – La planification stratégique « haut-bas-haut »

Processus « haut-bas » Processus « bas-haut »

Objectifs généraux, contraintes Stratégie et objectif consolidé


(moyens ; ressources)
Direction générale Direction générale

Stratégie et plan d’activité Objectifs, stratégies d'activité


Unité opérationnelle Unité opérationnelle

Figure 3.3 – Les planifications stratégiques « haut-bas » et « bas-haut »

De ces trois types de planification, la première (haut-bas-haut) est la meilleure,


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lorsque les conditions le permettent (volonté de la direction de garder la main sur le


choix stratégique, simplicité relative du portefeuille d’activités, recherche de com-
plémentarités), et ceci pour trois raisons. D’une part, c’est un processus dynamique
et interactif permettant de procéder à des vérifications successives du bien-fondé des
choix. D’autre part, la démarche est progressive ; la réflexion s’enrichissant à chaque
étape. Enfin, il s’agit d’une méthode dialectique obligeant chacun des acteurs à jus-
tifier son analyse et ses propositions.
La planification haut-bas-haut peut cependant être perçue comme lourde et n’être
destinée qu’aux grandes entreprises. Il ne faut pas se méprendre. Ce type de proces-
sus a des degrés de complexité variables et peut s’adapter. La grande entreprise aux
niveaux hiérarchiques nombreux, souhaitant impliquer dans cette démarche l’en-
semble des responsables y compris ceux des activités stratégiques de base, mettra en
œuvre un processus long et complexe. La petite entreprise peut, quant à elle, réduire

41
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

la planification à sa plus simple expression en n’incluant dans la démarche que son


dirigeant et ses collaborateurs les plus directs. Ainsi, la mise en œuvre de la planifi-
cation haut-bas-haut est modulée en fonction des circonstances et son point d’appli-
cation est différent selon la nature de l’entreprise. Néanmoins, quel que soit le cas,
les caractéristiques de ce processus demeurent les mêmes, à savoir inter­active, dia-
lectique, faites d’échange et faisant appel aux expertises de chacun.
Ce processus, comme tout autre processus, suit un mode de raisonnement de ce qui
semble être satisfaisant pour établir une stratégie. Il permet de procéder à une analyse
de la situation et de déterminer la stratégie adéquate. Bien entendu, l’idéal serait de
reproduire pas à pas le cheminement de la pensée du meilleur stratège, ce qui est illu-
soire. En revanche, ce processus suit un raisonnement qui s’en inspire. L’objectif doit
être de se libérer de son formalisme afin de ne pas négliger les enjeux stratégiques. La
planification « haut-bas-haut », tout au moins dans ce qu’elle a de plus détaillé et de
rigide, doit viser à un affranchissement de son trop grand formalisme. Il ne s’agit que
d’un outil d’aide permettant une meilleure compréhension du problème stratégique et
de sa résolution. Il est à la disposition du dirigeant qui, peu à peu, doit tenter de le
dépasser et de l’adapter sans oublier que ce n’est pas de la stratégie mais simplement
un moyen pour la construire. Le danger de formalisme, cependant, est grand. Aussi
doit-il être constamment évalué et endigué afin de ne pas le transformer en stériles
procédures bureaucratiques où la forme va compter plus que le fond.

2 Le contrôleur stratégique
Le contrôleur stratégique, contrairement au planificateur stratège, laisse une large
marge de manœuvre aux opérationnels. Il ne fait pas appel à un processus formel et
analytique de construction de la stratégie. Il crée un cadre au sein duquel la stratégie va
se former. Certes les choix d’allocation de ressources entre activités sont de son ressort
et de sa responsabilité. Toutefois, mises à part son action dans la gestion du portefeuille
de l’entreprise et la fixation de grands objectifs de rentabilité et de croissance, le contrô-
leur stratégique fait porter ses efforts sur la création d’un cadre d’ensemble qui sert de
direction, de sens, d’incitation et de contrainte à celles et ceux qui élaborent les stratégies
de leurs activités. De plus, il peut s’impliquer dans l’évaluation du bien-fondé de ces
mêmes stratégies sans pour autant s’imposer. Il contrôle. Il ne planifie pas !
Son rôle est de créer des conditions de fonctionnement adéquates pour que les opé-
rationnels proches de leurs marchés et concurrences prennent les initiatives straté-
giques qui conviennent. Il reconnaît que les opérationnels mieux que quiconque savent
ce qu’il est bon d’entreprendre pour leurs activités. Toutefois, les initiatives straté-
giques sont guidées et contrôlées. Elles sont guidées par un ensemble de directives qui
peuvent prendre la forme d’un projet d’entreprise, ou bien d’une mission clairement
établie et appropriée, ou bien encore d’objectifs généraux. Elles sont contrôlées lors
de rendez-vous réguliers entre opérationnels et dirigeant, pendant lesquels ce dernier

42
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

évalue la pertinence des choix et des hypothèses sur lesquelles ils reposent. Elles sont
également contrôlées a posteriori lors des rencontres programmées où un point sur la
situation est fait. Enfin, le contrôleur stratégique fait appel à un système d’incitation
en cohérence avec les grands objectifs de l’entreprise. Système d’incitation qui peut
lier la réalisation d’un objectif à l’obtention de primes et à la progression de carrière.

Exemple – GE ou le contrôleur stratégique


La General Electric, créée à la fin du xixe siècle, est aujourd’hui une immense entreprise
composée de plus de douze métiers différents allant de son activité d’origine – l’éclairage
et l’équipement électrique – aux services financiers et l’électro­nique médicale. Lorsque
Reginald Jones, son président jusqu’en 1980, se retira de la direction, il décida de nommer
comme successeur une personnalité qui lui était totalement opposée Jack Welch. Reginald
Jones avait été l’un des grands avocats d’un management scientifique qui avait été certes
bien adapté aux années de croissance précédentes mais qui désormais ne correspondait plus
au besoin de flexibilité et de réactivité face à un environnement concurrentiel désormais
plus dur. GE était devenu une grande bureaucratie managériale avec des services fonction-
nels conséquents qui encadraient le rite de l’exercice annuel de planification. Faire de la
stratégie se résumait à faire le plan ! Une fois ce dernier réalisé, on l’oubliait jusqu’à l’année
suivante. Plus de sept niveaux hiérarchiques séparaient le dirigeant des unités opération-
nelles, filtraient les informations, ralentissaient la prise de décision et bloquaient toute
­initiative. Dans un environnement devenu difficile, avec une croissance ralentie, où la
concurrence s’était durcie, un tel système n’était plus viable. C’était au nouveau dirigeant
de mettre en place un mode de pilotage stratégique entièrement rénové.
Les premières décisions de Jack Welch furent de supprimer l’exercice du plan, de suppri-
mer quatre niveaux hiérarchiques entre la direction générale et les activités opérationnelles
et de réduire les services fonctionnels centraux de 80 %. Ce faisant, il donnait plus d’auto-
nomie aux activités opérationnelles qui étaient en charge désormais de leur destinée
­stratégique ; leur seule contrainte étant le respect du budget. En revanche, la plus grande
proximité gagnée entre ces dernières et la direction générale devait faciliter leur suivi direct
par le dirigeant. On aurait encore recours au plan sur une base ad hoc. Toutefois, la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réflexion qui préside à l’établissement de ce dernier devait être séparée de la stratégie.


Le dirigeant est dorénavant aux premières lignes. Il organise des discussions directes et
régulières avec les responsables opérationnels pendant lesquelles il met l’accent sur les
enjeux stratégiques et, ce faisant, contrôle si ces derniers sont bien compris et maîtrisés.
Il n’intervient pas dans le choix stratégique de ses responsables opérationnels mais
s’appuie sur une charte connue de tous et résumée par des slogans tels qu’être « meilleur
que les meilleurs », être « n˚ 1 ou bon n˚ 2 ou disparaître », rester « mince et agile », faire
preuve de « candeur », se comporter comme un véritable « entrepreneur », mettre l’accent
sur la « qualité » etc. De plus, un système d’évaluation et d’incitation individuelle est mis
en place pour conforter les comportements souhaités.
(La vidéo du MIT dans laquelle Jack Welch est interviewé est disponible au lien suivant :
http://vidéo.mit.edu/watch/a-conversation-with-jack-welch-9939/. Cette vidéo illustre
l’importance que ce dirigeant a donnée aux personnes comme clé de voûte du manage-
ment stratégique).

43
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

Le contrôleur stratégique reconnaît qu’il ne sait pas et qu’il vaut mieux déléguer.
Cela ne veut pas dire pour autant que sa tâche soit simple. Bien au contraire, car le
processus formel de la planification fait place ici à des interactions humaines qui,
pour être efficaces, sont nombreuses et nécessitent de la part du « contrôleur » un
investissement personnel important et une forte implication.
Le style du contrôleur stratégique est approprié pour tous types d’entreprises. Il est
nécessaire, cependant, lorsque ces dernières ont des activités nombreuses réparties
dans des secteurs très différents et dont le contexte concurrentiel est mouvant. Car
il n’est pas pensable que le sommet hiérarchique, dans ces conditions, puisse être
suffisamment informé pour prendre les décisions en matière de stratégie pour des
activités dont il ne peut appréhender tous les enjeux.

Le dirigeant établit un cadre, fixe des grands objectifs,


crée un système d’incitation, contrôle le bien-fondé des choix faits } Direction

}
L’unité Unités
opérationnelle idem idem idem opérationnelles
établit
sa stratégie

Figure 3.4 – Le contrôleur stratégique

En résumé, le style du contrôleur stratégique est particulièrement souhaitable


lorsqu’il n’existe pas de thème stratégique fédérateur entre les différentes activités
opérationnelles de l’entreprise et qu’une autonomie est nécessaire. Toutefois, il y a
ici une volonté d’implication de la direction générale dans les choix stratégiques et
les orientations prises par les activités tout en leur laissant une grande marge de
manœuvre. C’est une autonomie surveillée.

3 Le contrôleur financier
Le contrôleur financier suit un processus similaire de celui du contrôleur straté-
gique à la différence près que, pour lui, la seule chose qui compte c’est le résultat.
Son comportement est celui d’un investisseur qui gère un portefeuille de valeurs
mobilières. Il achète et vend ses activités qui jouissent d’une grande autonomie
stratégique. Sa tâche consiste en l’allocation de ressources entre ses activités, en
fonction de l’attrait de ces dernières. Son objectif est d’avoir un portefeuille équili-
bré en termes de risque et de rentabilité.

44
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

Dans sa forme la plus extrême, le contrôleur financier gère son entreprise sans état
d’âme et ne recherche pas de complémentarités entre les différentes activités dont il
a la charge. Il peut ainsi être impliqué dans des secteurs aussi divers que la forma-
tion, l’électronique médicale, la recherche agronomique et la télévision. Ce qui
importe, c’est la valorisation du portefeuille global sans attention particulière, mise
à part le suivi de la rentabilité, portée aux activités prises séparément. L’entreprise
joue ici le rôle d’un marché interne dans lequel les ressources sont allouées en fonc-
tion des prévisions économiques que le contrôleur financier est censé faire. La tâche
stratégique se résume donc en l’identification d’affaires financièrement intéressantes
et en la capacité de prévision de leur rendement.
En matière de pilotage, il dispose pour ce faire d’un système de reporting efficace
qui lui permet de suivre précisément les activités opérationnelles et d’intervenir
rapidement en cas de dérive entre objectifs financiers et réalisations. Les choix stra-
tégiques des activités, en revanche, sont laissés à l’entière initiative des responsables
de ces dernières, liberté leur étant laissée de construire leurs stratégies comme ils
l’entendent et selon les démarches de leur choix. C’est ainsi qu’ils peuvent recourir
en interne et à leur niveau à des processus s’inspirant de la planification ou du
contrôle stratégique, comme vu précédemment.

Exemple – Matsushita ou le contrôleur financier


Matsushita (désormais Panasonic) est un très gros conglomérat japonais présent dans des
secteurs tels que les télécommunications, les équipements ménagers, les composants
électroniques et l’électronique grand public avec des marques comme Victor, JVC ou
National. Depuis sa fondation par Konosuke Matsushita et jusqu’à la disparition de ce
dernier à la fin des années quatre-vingts, la société a toujours eu un mode de fonctionne-
ment décentralisé. Les unités opérationnelles ont le devoir de définir et de mettre en
œuvre leur stratégie sans l’appui de la direction générale. Leur autonomie à cet égard est
totale. Les divisions qui coordonnent les unités opérationnelles se contentent d’avoir un
rôle de support et d’encouragement.
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Les unités opérationnelles sont responsables directement vis-à-vis de la direction géné-


rale quant à la réalisation d’un budget à six mois, qu’elles « promettent » de tenir. En cas
de variance entre la promesse et les réalisations, la direction générale intervient par
l’envoi d’un « groupe spécial » dans le but de redresser la situation. Les problèmes
doivent généralement être résolus de manière autonome. Lorsque la « promesse » ne peut
être tenue, le responsable est alors déplacé dans des fonctions où ses compétences
peuvent être « mieux appréciées ». Tous les trimestres une évaluation ouverte est faite
devant la direction et en présence de tous les responsables opérationnels. Les présenta-
tions ont lieu selon un rite bien établi. Les unités dont les performances sont les meil-
leures sont évaluées en premier, les plus mauvaises à la fin, par ordre décroissant.
Toutefois, le pilotage par la direction de l’entreprise ne s’arrête pas là. Un équilibre
entre le court terme et le long terme est recherché. En tant qu’adepte de la philosophie
zen, Konosuke Matsushita, dès la création de l’entreprise, a traduit en règles de mana-
gement les enseignements de cette philosophie qui mettent l’accent sur la volonté,

45
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

l’humilité, la modestie, l’unité, l’harmonie, l’écoute. Ce sont les valeurs permanentes


de l’entreprise et il est attendu qu’elles soient respectées de tous lors des choix en
matière de stratégie et de gestion. Pour ce faire des déjeuners mensuels entre le
Président et les responsables opérationnels sont organisés afin de discuter de ces
valeurs. De même, le personnel récite quotidiennement le credo de l’entreprise et
chaque trimestre les employés présentent leurs valeurs à leur groupe de travail. Bien
que des aménagements significatifs aient été faits depuis, la philosophie Zen est encore
très prégnante chez Matsushita (Panasonic). C’est elle qui fait en sorte qu’il y ait véri-
tablement une entreprise avec des valeurs partagées qui sont le liant entre des activités
diverses. C’est elle aussi qui rétablit l’équilibre entre la pression opérationnelle à court
terme et l’orientation stratégique à long terme.

Les conglomérats des années soixante, tant décriés, représente bien le style du
contrôleur financier. D’autres entreprises, cependant, tout en adoptant ce mode de
pilotage stratégique dans ses grandes lignes, essaient de développer un mode de
cohésion sociale entre leurs entités. Tout en laissant une grande marge de liberté aux
activités opérationnelles en matière de stratégie, elles tentent de créer un sens par-
tagé d’appartenance à la même entreprise, afin de favoriser de manière naturelle des
complémentarités entre ses entités. Le recours aux symboles d’appartenance, la
construction d’un projet collectif, les occasions de rencontre et d’échange sont, entre
autres, les moyens qui sont mobilisés.

Le dirigeant gère un portefeuille d’activités


opérationnelles, il alloue des ressources
entre ces dernières en fonction de leur attrait et rentabilité } Direction

Flux
financiers

L'unité
opérationnelle
établit sa
stratégie
idem idem idem
} Unités
opérationnelles

Figure 3.5 – Le contrôleur financier

Le style du contrôleur financier est particulièrement approprié pour les entreprises


diversifiées sans thème stratégique fédérateur et où, pour des raisons d’efficacité, la
responsabilité stratégique est laissée aux activités opérationnelles. Dans ces mêmes
entreprises, l’objectif financier est prédominant. Le rôle de la direction est celui de
gestionnaire d’un portefeuille qui choisit là où il faut investir et allouer les

46
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

ressources en fonction de la rentabilité des différentes activités opérationnelles et du


risque qui leur est associé.
Les styles que nous venons de voir sont fortement contrastés. Ils mettent alterna-
tivement l’accent sur l’existence de directions centrales fortes ou sur des activités
plus autonomes, sur une planification détaillée ou sur des décisions « entrepreneu-
riales », sur des objectifs stratégiques à long terme ou sur objectifs financiers à court
terme, sur des contrôles stricts ou sur des stratégies plus ouvertes. Ces styles existent
rarement dans la réalité. Il s’agit dans la plupart des cas d’un aménagement d’un des
trois grands styles que sont le planificateur, le contrôleur stratégique et le contrôleur
financier, comme illustrés dans les exemples donnés. Ces aménagements prennent
alors en compte la spécificité des entreprises.

Section
4 Démarches économiques et politiques

Quel que soit le style adopté, deux démarches essentielles guident la réflexion lors
de l’établissement de la stratégie. La première est la démarche économique qui porte
sur les éléments de concurrence, de marché, de ressources à mobiliser. La seconde
est une démarche politique dont le but est de prendre en compte les jeux d’acteurs
internes et externes à l’entreprise qui peuvent soit faciliter soit au contraire freiner
l’acceptation et le bon déroulement futur de la stratégie une fois établie.

1 La démarche économique
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La démarche économique s’articule autour de quatre questions : que veut l’entre-


prise ? Quelle est sa situation ? Que veut-elle faire ? Que va-t-elle faire ? Ces quatre
questions s’enchaînent. Elles couvrent les étapes suivantes :
• Étape 1: formulation de la mission, à savoir ce que l’entreprise souhaite entreprendre.
C’est la manière dont elle se situe dans son environnement économique, politique,
technologique et social. Par exemple, favoriser le bien-être et la santé des hommes.
• Étape  2  : définition des centres d’activités stratégiques (CAS), c’est-à-dire les
couples produit-marché à comportement stratégique homogène. Par exemple, le
petit appareil ménager pour le grand public et les équipements professionnels de
cuisine pour la restauration.
• Étape 3 : fixation des objectifs quantitatifs et qualitatifs que l’entreprise désire
atteindre au terme d’un horizon donné. Par exemple, accroître de 75  % le chiffre
d’affaires en quatre ans et devenir la première firme en matière d’innovation.

47
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

• Étape 4 : choix du portefeuille d’activités que l’on souhaite avoir dans x années.
Par exemple, avoir un portefeuille équilibré composé d’activités en croissance et
d’avenir reposant sur une base de produits traditionnels générant un flux financier
satisfaisant.
Les étapes 1 à 4 couvrent la première question évoquée précédemment, c’est-à-
dire « Que veut-on ? ».
• Étape  5  : analyse de l’environnement. Il s’agit d’un audit stratégique externe
visant, premièrement, à mettre en évidence, pour chaque centre d’activité straté-
gique (CAS), les grandes tendances de l’environnement en termes d’opportunités
et de menaces ; deuxièmement, à anticiper l’impact de ces dernières. Par exemple,
face à l’ouverture d’un nouveau marché et à l’apparition d’un nouveau concur-
rent, quelles vont être les conséquences pour l’entreprise ?
• Étape 6 : évaluation des ressources et des atouts. C’est un bilan des moyens, des
atouts, des faiblesses, des expertises particulières de chacun des centres d’activité
stratégiques (CAS). Par exemple, l’analyse des ressources met en évidence un bon
outil de production, un réseau commercial satisfaisant, une image de qualité, un
personnel compétent, mais une assise financière précaire.
• Étape 7 : étude de l’écart entre l’état présent et l’état souhaité. Compte tenu des
tendances de l’environnement (étape 5) et des moyens dont la firme dispose (étape
6), sans rien changer de ce qui est fait habituellement, où va l’entreprise  ? Par
exemple, la prévision de chiffre d’affaires de 150 millions d’euros dans quatre ans
va être comparée aux 175 millions qui ont été fixés comme objectif. La différence
de 25 millions constitue l’écart qu’il va falloir analyser et combler.
• Étape 8  : représentation du portefeuille d’activités. Contrairement à l’étape 4,
dans laquelle il s’agit de choisir le portefeuille d’activités souhaité, le problème
présent consiste à décrire le portefeuille actuel et à analyser les différences qui
existent entre ce qu’il est et ce que l’on désire. Par exemple, le portefeuille, tel
qu’il se présente, est composé d’activités déclinantes et peu rentables et de
quelques autres activités arrivant en phase de maturité mais très profitables. Le
problème est de faire évoluer ce portefeuille vers le portefeuille souhaité (étape 4),
à savoir un portefeuille composé d’activités nouvelles reposant sur une base
ancienne mais stable et générant des ressources satisfaisantes.
Les étapes 5 à 8 s’attachent à répondre à la deuxième question, relative à la des-
cription de l’entreprise et de son environnement  : « Quelle est la situation ? ».
• Étape  9  : formulation des stratégies (stratégies correctives, de croissance ou de
contingence). Par exemple, des stratégies visant à améliorer l’outil de production,
à développer le potentiel de recherche, à transformer le réseau de distribution, à
prévoir des plans de rechange au cas où l’environnement évoluerait différemment
de ce qui était prévu, sont proposées.

48
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

• Étape 10 : définition des grandes actions stratégiques. Par exemple, faut-il aban-
donner progressivement une activité, ou bien encore doit-on viser un segment de
marché particulier  ? Pour cette entreprise du secteur électrique-­électronique,
faut-il conserver sa position dominante de l’activité système de détection pour
l’armée, se retirer peu à peu de l’activité réfrigération pour le marché des col-
lectivités et pousser à fond l’activité composants électroniques pour l’industrie ?
• Étape 11 : évaluation des stratégies et des actions. Cette évaluation s’effectue au
regard de la contribution des stratégies à la réalisation des objectifs et de la mis-
sion de l’entreprise, à l’intérieur des contraintes de moyens disponibles et compte
tenu des tendances prévisibles de l’environnement.
Les étapes 9 à 11 traitent de la troisième question : « Que veut-on faire ? ».
• Étape 12 : choix stratégique. Il s’agit ici de la sélection des stratégies et actions qui
seront mises en œuvre en fonction des priorités de l’entreprise. Par exemple, faire
porter tous les efforts sur l’innovation et le développement d’activités nouvelles.
• Étape 13 : établissement de programmes et plans d’action. Que faire en premier
lieu, quand le faire, qui va le faire ? Telles sont les questions abordées dans cette
étape. Par exemple, doit-on tout d’abord assainir la situation des activités décli-
nantes avant de faire porter toute son attention sur les produits nouveaux ? Quelle
activité est-il préférable de lancer en premier ?
• Étape 14  : traduction en termes monétaires des choix stratégiques et des plans
d’action. Quel va être l’impact financier des choix effectués ? Par exemple, quel
va être le revenu supplémentaire généré par l’activité « composants industriels »
et quels sont les coûts y afférant ? De quelles ressources complémentaires a-t-on
besoin pour mener à bien cette activité équipement, personnel, finance ?
• Étape 15 : recherche d’un système de management adapté. Quelle structure, quel
contrôle, quel type d’incitation doit-on adopter pour que la mise en œuvre de la
stratégie ait le plus de chance de succès ? Par exemple, une structure par produit
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est-elle mieux adaptée à la stratégie future qu’une structure par fonction ? Doit-on
intéresser aux résultats ou continuer à rémunérer de manière fixe ?
Les étapes 12 à 15 permettent de répondre à la dernière question de la démarche
« économique » : « Que va-t-on faire ? ».
Au-delà de ces étapes, plus que la réponse aux questions posées, c’est l’articula-
tion même de la démarche qui importe  ; articulation rappelée à la figure 3.6. En
effet, la formulation de la stratégie n’est pas et ne peut être un processus aussi
linéaire que celui qui vient d’être décrit. Il s’agit plutôt d’une démarche itérative
permettant d’arriver progressivement à une décision. Cette décision est le fruit d’une
confrontation entre contraintes, menaces, possibilités offertes par l’environnement,
stratégies de réponse pour y faire face, développement et renforcement des compé-
tences. Cette confrontation ne s’effectue pas d’une manière statique. De nombreux
allers-retours entre chaque étape ont généralement lieu.

49
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

Environnement Ressources de
dynamique l’entreprise

Stratégies

Figure 3.6 – Formulation de la stratégie : un processus interactif

Doit-on toujours suivre chacune de ces étapes ? La réponse est… ça dépend. Dans
l’entreprise plusieurs niveaux de décision coexistent. À chacun de ces niveaux cor-
respondent des caractéristiques différentes de la stratégie. En effet, parler de straté-
gie au niveau d’une direction générale est différent d’en parler de celui d’une
activité. Les points d’application, les préoccupations, les spécificités de la straté­gie
ne sont pas les mêmes.
Au niveau global de l’entreprise, plusieurs thèmes majeurs sont généralement
abordés. Il s’agit, parmi les plus importants, de la mission et des objectifs généraux
de la firme  ; de la vision globale des activités de l’entreprise, c’est-à-dire de son
portefeuille de produits-marchés  ; de la mobilisation des atouts  ; de la recherche
d’avantages concurrentiels durables au sein du secteur industriel ; de l’allocation des
ressources et efforts entre activités en fonction des priorités  ; du développement
d’actions spécifiques, allant au-delà des activités traditionnelles, telles que les
fusions et acquisitions ou les alliances. Dans le processus de formulation de la stra-
tégie, certaines étapes décrites précédemment sont privilégiées au niveau global.
Ainsi, les étapes suivantes revêtent une importance particulière :
• Étape 2 : formulation de la mission.
• Étape 3 : fixation des objectifs.
• Étape 4 : choix du portefeuille d’activités.
• Étapes 5 et 6 : évaluation de l’attrait des secteurs industriels dans lesquels évolue
la firme.
• Étapes 7 et 8 : identification de l’écart entre ce qui est souhaité au niveau global
et ce vers quoi l’entreprise se dirige.
• Étapes 9, 10 et 11 : définition des grandes alternatives stratégiques permettant de
réduire la distance entre le souhaité et le réalisable.
De nouvelles préoccupations s’ajoutent à ces trois dernières étapes. Il s’agit, d’une
part, de la recherche de nouveaux domaines auxquels la firme peut s’intéresser, si elle ne

50
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

peut atteindre l’état auquel elle aspire avec ses activités présentes, et, d’autre part, de
l’identification de priorités stratégiques, non incluses dans le processus formel de déci-
sion, telles que la découverte d’entreprises candidates à une fusion ou à une acquisition.
Concernant les activités opérationnelles, certains autres thèmes prennent la relève ou
revêtent une importance accrue. La recherche de la compétence distinctive et de l’avan-
tage concurrentiel prend ici toute sa force, de même que l’identification des synergies
entre fonctions nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie. L’effort stratégique vise,
dans ces conditions, à l’adaptation des activités aux caractéristiques de leur environne-
ment spécifique, au développement de ces mêmes activités dans des secteurs ou mar-
chés connexes, à l’équilibre de ces dernières en fonction de leur phase de vie, à des
choix opérationnels tels que la gamme de produits, le type de recherche à entreprendre
ou bien encore le mode de production à mettre en œuvre. Les mêmes étapes que celles
décrites précédemment pour le processus de formulation de la stratégie au niveau glo-
bal, à l’exception de la définition de la mission et, dans une moindre mesure, de la
fixation des objectifs (qui sont, à présent, contraints) se retrouvent ici plus fortement
détaillées. À ces étapes viennent s’ajouter les phases 12 à 15 qui abordent le choix des
stratégies à mettre en œuvre ainsi que la formulation des plans et programmes d’action
accompagnés d’une évaluation de leur conséquence financière.
Le processus analytique qui vient d’être décrit, et dont les principales étapes sont
rappelées au tableau 3.2, vise, pour l’essentiel, à rechercher de façon progressive et
itérative l’adéquation entre, d’une part, les ressources, compétences, expertises, carac-
téristiques internes de la firme, d’autre part, les stratégies à adopter face à la concur-
rence et, enfin, l’environnement économique, social, politique, technologique. Il s’agit
d’un processus formel qui ne prend pas en compte la dimension politique de l’entre-
prise, c’est-à-dire le pouvoir respectif des acteurs externes et internes à l’organisation
qui peuvent soit favoriser, soit porter préjudice à la mise en œuvre de la stratégie. Dans
cet esprit, il semble nécessaire d’aborder à présent une démarche complémentaire, à
savoir la démarche politique de formulation de la stratégie.
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Tableau 3.2 – Démarche rationnelle et analytique de formulation de la stratégie :


la dimension « économique »

–– Formulation de la mission
Que veut-on ? –– Fixation des objectifs
–– Choix du portefeuille d’activités

–– Analyse de l’environnement
Que sommes-nous ? –– Évaluation des ressources
–– Détermination de l’écart de planification

–– Formulation des stratégies et des politiques


Que veut-on faire ?
–– Évaluation des stratégies et des politiques

–– Choix de la stratégie
Qu’allons-nous faire ?
–– Établissement des programmes, plan d’action et budget

51
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

2 La démarche politique
La formulation de la stratégie, avec la seule prise en compte de variables écono-
miques, est insuffisante dans le contexte de l’entreprise. La demande des personnels
pour une plus grande information, voire une participation accrue à la prise de décision,
les pressions exercées par des groupes de toutes sortes, écologistes, consommateurs,
syndicats, sans compter le jeu personnel des membres de l’entreprise, font qu’il n’est
pas possible de raisonner sans prendre en compte la dimension politique, c’est-à-dire
le jeu d’acteurs poursuivant des objectifs qui peuvent être contradictoires.
Le processus politique de formulation de la stratégie s’articule autour de quatre
questions, comme l’a proposé il y a déjà longtemps de cela – mais ces dernières sont
toujours d’actualité – Ian Mac Millan, de la Wharton School1 :
• Quels sont les acteurs en présence ?
• Que peuvent-ils faire ?
• Que peut-on faire avec ou contre eux ?
• Que décide-t-on de faire ?
Ces quatre questions recouvrent plusieurs étapes de la démarche politique :
• Étape 1 : identification des acteurs, c’est-à-dire de l’ensemble des groupes, des
individus, des organisations, des entreprises avec lesquels la firme est en interac-
tion. Par exemple, les actionnaires, les associations de consommateurs, les syndi-
cats, l’administration, tel personnage important et influent au sein de l’entreprise
ou bien encore dans le monde politique, peuvent faire partie des acteurs exerçant
une influence sur la destinée de l’entreprise.
• Étape 2 : analyse dynamique des liens entre les acteurs et l’entreprise. Il s’agit d’éva-
luer l’influence respective que chaque acteur peut avoir sur l’entreprise et d’en estimer
l’évolution. De cette analyse doivent ressortir un certain nombre d’indications concer-
nant les possibilités et les risques majeurs auxquels l’entreprise peut être confrontée.
Par exemple, l’éventualité d’un boycottage des produits suscité par un groupement de
consommateurs, ou organisé par mesure de rétorsion par des états, est un risque poli-
tique. En revanche, l’appui des pouvoirs publics par le biais d’une réglementation
favorisant la vente des produits peut être une chance importante pour l’entreprise.
• Étape 3 : recherche d’une base politique et évaluation des oppositions. Parmi l’en-
semble des acteurs en présence, certains sont disposés à aider l’entreprise à atteindre
ses objectifs du fait d’une simple concordance d’intérêt. Certains autres perçoivent
la poursuite des objectifs de l’entreprise comme leur étant préjudiciable. Dans cet
esprit, l’analyse du réseau d’acteurs donne une meilleure connaissance des alliés et

1. L’articulation de ce processus s’inspire de la démarche proposée par I.C. Mac Millan dans son ouvrage
Strategy Formulation : Political Concepts, St-Paul, West Publishing Co., 1978.

52
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

opposants potentiels. Alliés qui facilitent la réalisation des objectifs, opposants qui
les combattent. Par exemple, des entreprises concurrentes peuvent être des alliés
objectifs pour faire évoluer certains textes législatifs ou aider au développement d’un
marché ou bien encore à l’amélioration de l’image d’une profession.
Ces trois étapes répondent à la première question  : « Qui sont les acteurs en
présence ? ».
• Étape 4 : analyse des influences politiques internes et externes. Cette analyse a pour
objet de mettre en évidence les éléments de l’entreprise et de l’environnement qui
exercent une influence déterminante sur la réalisation des objectifs de la firme. Par
exemple, au sein de l’entreprise, des groupes peuvent se former et freiner la bonne
réalisation d’une stratégie mettant en cause leur pouvoir. Les responsables d’une
division de produits en déclin, mais qui possèdent toujours un pouvoir important,
peuvent voir d’un mauvais œil la montée d’une division de produits nouveaux dont
le succès porte préjudice à l’influence et au statut dont ils jouissent. À l’extérieur, le
même scénario se déroule. Certains acteurs peuvent avoir un contrôle important sur
les ressources de l’entreprise. Certains autres sont fortement engagés vis-à-vis de
tiers : un syndicat face à ses adhérents, une administration face à la loi. Il s’agit, ici
comme précédemment, d’anticiper les coalitions qui peuvent se créer, de discerner
les membres dominants et d’évaluer leur marge de manœuvre.
• Étape 5  : évaluation du système politique des acteurs. Par système politique, il
faut entendre les réseaux de relations, d’influence, de conflits potentiels internes
dont l’évaluation permet à la firme d’en estimer les limites et les points forts. Par
exemple, l’existence de luttes de pouvoir au sein de certaines firmes concurrentes
révèle une faiblesse qu’il faut utiliser ; faiblesse qui peut être l’indice d’une réac-
tion éventuelle amoindrie face à la stratégie poursuivie par l’entreprise.
• Étape 6 : anticipation de la réaction des acteurs. Face aux objectifs poursuivis par
la firme et à la stratégie qui en découle, comment vont réagir les acteurs (groupes
d’intérêts, personnel, pouvoir public) ? Quelles coalitions peuvent résulter de la
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mise en œuvre de la stratégie ? Il s’agit d’évaluer les conséquences politiques de


l’utilisation de la stratégie « économique » définie précédemment. Si, par exemple,
la mise en œuvre de cette stratégie crée des problèmes internes, il est probable
qu’il faille soit en changer soit neutraliser les acteurs gênants.
Les étapes 4, 5 et 6 répondent à la seconde question : « Que peuvent faire les acteurs ? ».
• Étape 7 : recherche de l’indépendance stratégique. Que peut faire l’entreprise par
elle-même sans avoir recours à d’autres acteurs  ? Les limites de cette indépen-
dance donnent une indication sur l’autonomie de l’entreprise et, par conséquent,
sur la base à partir de laquelle elle peut négocier l’aide d’autres acteurs.
• Étape 8 : sélection des alliés. Ayant identifié ce qu’elle peut faire par elle-même,
l’entreprise doit rechercher quels sont, parmi les acteurs, ceux qui peuvent faciliter
l’accomplissement de ses objectifs et l’aider à faire face à une opposition. Par

53
  Chapitre 3  ■ Formation de la stratégie

exemple, face à un risque de réglementation contraignante, l’entreprise peut essayer


de trouver auprès d’autres entreprises de son secteur, auprès du public, auprès de
personnalités politiques, un appui qui lui permet de lutter contre ce danger. Devant
un défi technologique, l’entreprise peut, aussi trouver des alliés auprès des pouvoirs
publics ou auprès d’autres entreprises afin de disposer de moyens élargis.
• Étape 9  : sélection et négociation des coalitions. Il s’agit ici de choisir ceux des
acteurs avec qui une coalition est formée. Il faut également définir le cadre dans
lequel une négociation peut s’effectuer. Le choix de la coalition se fait en fonction,
d’une part, de la contribution de cette dernière à la stratégie, d’autre part, du coût
pour la firme d’une telle alliance, enfin, de sa force relative vis-à-vis de l’opposition.
Les étapes 7, 8 et 9 couvrent le problème abordé par la troisième grande question :
« Que peut-on faire avec ou contre les autres acteurs ? ».
• Étape 10 : formulation de la stratégie « politique ». Dans cette étape il va s’agir,
d’une part, d’identifier les actions qui permettent de tirer profit des forces et com-
pétences particulières de la coalition que l’entreprise a su créer ou des faiblesses
des opposants et, d’autre part, de préparer toutes mesures palliant les insuffisances
de l’alliance permettant de résister aux actions des « opposants ».
• Étape 11 : anticipation de la réaction des opposants. Lors de la mise en œuvre
de la stratégie politique, les « acteurs-opposants » vont réagir. Afin que l’entre-
prise puisse intervenir promptement, la réaction des opposants doit être antici-
pée. Comme ce fut le cas pour la stratégie « économique », différentes
contre-stratégies ou stratégies politiques de contingence peuvent être établies.
Par exemple, l’hypothèse peut être faite que ni le personnel, ni les syndicats, ni
l’administration ne s’opposeront à une fusion avec une autre entreprise. On peut
également supposer que des oppositions se manifesteront au sein de l’entreprise
absorbée. Que faire dans chacun des cas  ? Que peut-on essayer de modifier  ?
Que peut-on négocier ?
Ces deux dernières étapes illustrent la dernière question  : « Que décide-t-on de
faire ? ».
Tableau 3.3 – Processus politique de formulation de la stratégie
–– Identification des acteurs
Quels sont les acteurs
–– Analyse dynamique des liens entre l’entreprise et les acteurs
en présence ?
–– Recherche d’une base politique et évaluation de l’opposition

–– Analyse des influences politiques internes et externes


Que peuvent faire
–– Évaluation du système politique des acteurs
les acteurs ?
–– Anticipation de la réaction des acteurs

Que peut-on faire avec –– Recherche de l’indépendance stratégique


ou contre les acteurs ? –– Sélection des alliés et de la coalition

Que décide-t-on –– Formulation de la stratégie politique


de faire ? –– Anticipation de la réaction des opposants

54
Formation de la stratégie   ■  Chapitre 3

Le processus politique de formulation de la stratégie, dont les principales étapes


sont rappelées au tableau 3.3, suit une démarche parallèle de celle décrite précédem-
ment pour l’élaboration de la stratégie « économique ». Ces deux démarches sont
complémentaires dans la mesure où, indépendamment de la qualité du raisonnement
« économique », ce dernier ne peut être concrétisé qu’à travers les personnes qui
composent l’entreprise et grâce à la participation ou à la bienveillante neutralité des
acteurs externes à la firme.
Processus économique et politique sont en étroite interaction pour faire en sorte
que la stratégie imaginée soit réalisable. Le seul processus économique sans prise en
compte des acteurs internes et externes dans la réalisation de la stratégie risque de
ne pas aboutir. Sur la figure 3.7, les deux dimensions sur lesquelles repose la straté-
gie sont rappelées. La dimension politique recouvre tout ce qui touche l’influence
des personnes, des groupes d’individus dans leur recherche du contrôle ou d’un
pouvoir sur les orientations de l’entreprise. La dimension économique concerne plus
particulièrement les aspects formels, analytiques, objectifs de l’environnement et de
l’entreprise. En résumé, et de manière très schématique, la dimension politique
prend en compte l’individu en tant qu’acteur influent ; la dimension économique le
considère comme un consommateur et producteur. Omettre l’une des dimensions
mène à de bonnes stratégies sur le plan théorique, mais irréalistes en pratique.

Dimension « politique » Dimension « économique »

Ressources
Acteurs
internes de
internes
l’entreprise

STRATÉGIE

Caractéristiques
Acteurs
de
externes
l’environnement

Figure 3.7 – L’influence des dimensions politiques et économiques


dans la stratégie

55
Chapitre Analyse de
4 l’environnement
général

OBJECTIFS
 Présenter l’environnement général.
 Analyser l’environnement général.
 Montrer comment construire des scénarios prospectifs.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Informations recherchées
Sec­­tion 2   Sources de l’information stratégique
Sec­­tion 3   Surveillance de l’environnement
Sec­­tion 4   Prospective stratégique
  Chapitre 4  ■ Analyse de l’environnement général

L a performance de l’entreprise et l’efficacité de sa stratégie sont influencées par le


contexte concurrentiel. Toutefois, ce contexte fait lui-même partie d’un environ-
nement plus général qui s’impose à toutes les entreprises, quel que soit le secteur
auquel elles appartiennent. Environnement général qui va servir de cadre au sein
duquel la stratégie va se former. La croissance économique, par exemple, peut favori-
ser ou au contraire handicaper le lancement d’un nouveau produit. De même, l’évolu-
tion de la technologie et ses progrès, comme par exemple les technologies de
l’information, peuvent à la fois ouvrir des opportunités nouvelles pour l’ensemble des
entreprises ou au contraire remettre en cause leur manière de gérer. De plus, les com-
portements d’achat, qui sont spécifiques à une industrie, peuvent évoluer et les entre-
prises doivent s’y adapter. Ou bien encore, une préoccupation croissante pour
l’environnement peut avoir des répercussions qui dépassent les frontières de l’entre-
prise et celles de son industrie. Tous ces changements qui semblent très en amont du
marché et de la concurrence de l’entreprise sont néanmoins importants en tant que
cadre qui structure et influence ce que l’entreprise peut ou doit faire. Ils définissent ses
marges de manœuvre, comme celles d’ailleurs de ses concurrents. Celles parmi les
entreprises qui sont capables d’en détecter les tendances sont probablement mieux
armées pour réagir aux évolutions qui, une fois dévoilées, risquent de prendre au
dépourvu celles parmi les entreprises qui ne les auraient pas ou mal anticipées.
Bien entendu, les changements que l’on anticipe ont des rythmes différents. Cer-
tains ont des rythmes rapides, sont prévisibles et leur échéance est prochaine.
D’autres ont un horizon éloigné et n’ont vraisemblablement pas d’impact significa-
tif sur la stratégie adoptée. Enfin, des événements moins probables se produisent,
remettant en cause en l’espace d’un instant la stratégie imaginée. Néanmoins, une
réflexion sur les grandes hypothèses d’évolution de l’environnement général et leur
impact sur le succès de la stratégie sont toujours nécessaires si l’entreprise ne veut
pas se lancer dans un pari mal fondé. Certes, en stratégie, il y a toujours une prise
de risque, car la prévision parfaite est impossible. Mais cette prise de risque doit être
réfléchie. Robustesse et flexibilité sont les deux qualités d’une bonne stratégie.
Robustesse, c’est-à-dire que la stratégie est valable pour des évolutions différentes
de l’environnement. Flexibilité, c’est-à-dire qu’elle peut s’adapter en fonction des
contingences du contexte. Afin d’évaluer les capacités de robustesse et de flexibilité
de la stratégie, un travail en amont sur l’environnement général est nécessaire.
De nombreuses dimensions de l’environnement influencent le bon déroulement de
la stratégie. Il est nécessaire d’en faire le tour afin d’identifier celles des dimensions,
politiques, économiques, sociales, technologiques (PEST) qui peuvent soit freiner,
soit faciliter ce qui a été imaginé. Pour ce faire, l’un des points clés d’une formula-
tion efficace de la stratégie est, d’une part, le développement et l’utilisation d’un
système de surveillance de l’environnement concurrentiel, et, d’autre part, l’établis-
sement d’une vision prospective d’ensemble des défis auxquels l’entreprise peut être
confrontée dans le futur.

58
Analyse de l’environnement général  ■  Chapitre 4

Afin d’anticiper les opportunités et les problèmes auxquels l’entreprise peut être
confrontée et réagir rapidement à ces derniers, une recherche et une analyse des
informations sur l’environnement sont nécessaires. Disposer d’une information per-
tinente sur l’environnement en général et sur les concurrents en particulier est d’une
importance capitale. Tout d’abord, l’entreprise a besoin de cette information afin de
s’adapter aux différents acteurs – clients, fournisseurs, pouvoirs publics – de l’envi-
ronnement. Ensuite, en tant que système ouvert, l’entreprise échange, entre autres
avec son environnement, de l’information. En conséquence, la qualité du flux d’in-
formations conditionne la viabilité de l’entreprise. Enfin, l’information provenant de
l’environnement est le catalyseur d’innovations et sert de guide aux efforts que
l’entreprise entreprend.
Il s’agit donc d’analyser et de comprendre l’environnement externe, dont l’en-
semble des informations sur les opportunités et les risques qui apparaissent, afin de
placer l’entreprise dans une position concurrentielle avantageuse. Cette information
est issue de sources existantes, expérience des personnels, documents et rapports
divers. Elle provient aussi d’organismes, en interne ou en externe, spécialisés dans
la surveillance et la collecte de données sur l’environnement. Comme dans l’armée,
un service de surveillance existe dans certaines entreprises ; service dont la vocation
est de collecter, synthétiser et répartir l’information aux différents preneurs de déci-
sions. Des sociétés de conseil spécialisées dans l’information et la désinformation
économique, sa collecte ou sa protection vis-à-vis de la concurrence, sont également
présentes sur le marché. Que ce soit en interne ou en externe, la tâche principale de
ces services et sociétés est d’évaluer l’environnement et d’assurer un flux continu
d’informations structurées vers l’entreprise.

Section
1 Informations recherchées
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Pour une bonne vision de l’environnement général, différents types d’informations


sont nécessaires. Ces dernières sont regroupées en quatre grandes catégories,
comme illustré dans l’exemple ci-dessous. Les informations peuvent, toutefois, cou-
vrir des domaines plus précis que ceux exposés. Selon les besoins spécifiques des
entreprises, les champs couverts sont différents.

Exemples de questions à se poser lors de l’analyse de l’environnement général

1. Quels sont les facteurs qui vont affecter l’entreprise ?


2. Comment vont-ils l’affecter ? De manière négative ou positive ?

59
  Chapitre 4  ■ Analyse de l’environnement général

Tableau 4.1

Facteurs politiques/législatifs + – Commentaires

Droits de l’homme

Droit environnemental

Droit commercial

Droit de la concurrence

Droit social

Fiscalité

Etc.

Facteurs économiques + – Commentaires

Taux de croissance

PIB par habitant

Taux d’intérêt

Taux d’inflation

Taux de chômage

Infrastructure

Etc.

Facteurs socioculturels + – Commentaires

Pyramide des âges

Syndicalisation

Formation

Qualité de la main-d’œuvre

Répartition du revenu

Évolution des besoins

Etc.

Facteurs technologiques + – Commentaires

Dépenses en R et D

Innovations

Ruptures technologiques

NTIC

Etc.

60
Analyse de l’environnement général  ■  Chapitre 4

Les informations sont analysées dans le but de fournir, dans un premier temps,
les éléments nécessaires à la fixation d’un cadre, permettant aux décideurs d’éta-
blir une stratégie en connaissance de cause. Stratégie qui, idéalement, doit être
robuste et flexible. Dans l’exemple ci-dessus, si la qualité de la main-d’œuvre d’un
pays où l’entreprise souhaite s’implanter n’est pas la meilleure, peut-être que des
actions appropriées de formation peuvent y suppléer et en conséquence doivent
être prévues. Il s’agit alors d’un facteur négatif qu’il faut prendre en compte et
gérer si nécessaire.
Dans un deuxième temps, le suivi de ces facteurs permet une action stratégique
rapide et adaptée aux circonstances nouvelles de l’environnement général. C’est
ainsi que les informations sont triées, rassemblées, mises en forme afin que le res-
ponsable puisse prendre les mesures nécessaires à une réaction efficace face à un
problème ou anticiper une opportunité qui se présente. Bien entendu, le besoin en
information varie et doit être adapté aux demandes formulées par les décideurs. Il
s’agit d’un processus dynamique qui se renouvelle sans cesse et qui se nourrit de
l’ensemble des données provenant des différentes sources auxquelles l’entreprise a
recours.

Section
2 Sources de l’information stratégique

Les sources d’information sur l’environnement général sont fréquemment les


mêmes que celles utilisées pour analyser l’environnement concurrentiel. Bien que le
présent chapitre soit consacré au seul environnement général, l’ensemble des
sources sont appréhendées ici. Il n’y sera pas à nouveau fait référence par la suite
lors de l’étude de l’environnement concurrentiel.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

De nombreuses sources d’information sont utilisées pour fournir des données


utiles non seulement sur l’environnement général mais aussi sur la concurrence.
Parmi ces sources, il y a d’abord la presse économique. Une lecture attentive de cette
presse spécialisée fournit des indications intéressantes sur les conditions écono-
miques, politiques et sociales générales, sur les évolutions technologiques, ainsi que
sur la concurrence et les marchés. En deuxième lieu, les analyses réalisées par des
cabinets, spécialisés dans une industrie ou dans un ensemble d’entreprises, four-
nissent des informations complémentaires. À ce propos, de nombreuses sociétés
spécialisées en « intelligence économique » réalisent des études approfondies sur les
évolutions de secteurs industriels. Les études, rapports et autres documents adminis-
tratifs diffusés par les administrations nationales et les organismes internationaux,
les tribunaux de commerce, les organismes parapublics et instances de régulation
nationales et internationales contiennent généralement une information détaillée sur

61
  Chapitre 4  ■ Analyse de l’environnement général

la situation des entreprises ainsi que sur l’évolution d’industries entières. La presse
nationale et locale donne aussi des éléments intéressants sur l’économie en général
et sur l’évolution des entreprises situées sur le territoire national ou dans une région
(taux de chômage, aides, réglementation fiscale, projet d’investissement, de recrute-
ment de personnel, d’implantation, etc.). La presse professionnelle diffusée par les
associations et fédérations fournit des indications sur l’état de l’économie, les inno-
vations, les évolutions technologiques ainsi que sur les firmes membres du secteur.
La participation active aux syndicats et associations professionnelles est, également,
une source importante d’information. Le problème demeure, cependant, de pouvoir
obtenir une information intéressante sachant que les membres de ces associations
sont souvent en concurrence. Il n’en est pas de même des congrès scientifiques et
professionnels où souvent des experts du domaine font le point de la situation à
laquelle chacun est confronté. Les rapports annuels de sociétés, au-delà d’informa-
tions spécifiques sur l’entreprise, donnent des indications sur sa vision du futur et du
contexte économique, technologique et social. Dans le même esprit, la participation
aux assemblées générales d’actionnaires complète l’information des rapports
annuels. Posséder une action suffit pour poser directement aux représentants de
l’entreprise des questions dont les réponses peuvent être révélatrices d’une stratégie
en cours ou en préparation ainsi que des anticipations que l’entreprise peut faire de
son environnement futur. Les analystes financiers, les banques d’affaire, les agents
de change peuvent aussi être utilisés comme source intéressante d’information sur
l’état de l’économie en général et sur les entreprises en particulier, pour tout ce qui
n’est pas du ressort du secret professionnel. Leur participation à des opérations
financières touchant certaines firmes leur donne généralement une connaissance
intime de ces dernières. Les clients actuels ou potentiels sont aussi utilisés pour
comparer les produits et services de la firme à ceux des entreprises concurrentes. De
même, ces derniers sont souvent au courant de projets annonciateurs de la vision du
futur des entreprises initiatrices. Les fournisseurs qui s’adressent généralement à des
firmes en concurrence possèdent également une information intéressante. Les distri-
buteurs connaissent souvent les intentions des entreprises ayant recours à leur ser-
vice. Enfin, Internet est une source d’information dans laquelle il est aisé de puiser
à moindre coût. Le revers de la médaille est néanmoins la surabondance d’informa-
tion disponible qu’il faut évaluer, classer, interpréter. Ce qui dans une société désor-
mais fondée sur l’information est une tâche considérable.

62
Analyse de l’environnement général  ■  Chapitre 4

Tableau 4.2 – Sources d’information utilisées à des fins de surveillance


de l’environnement général et de la concurrence
Sources

Presse économique spécialisée

Sociétés en « intelligence économique »

Administration, tribunaux de commerce, organismes


de régulation, etc.

Presse internationale, nationale, locale

Presse professionnelle

Syndicats professionnels

Congrès scientifiques et professionnels

Rapports annuels, assemblées générales

Analystes financiers, sociétés de bourse, banques d’affaires

Clients, fournisseurs, distributeurs

Universités, grandes écoles

Centres de recherche publics et para-publics

Internet

Il faut néanmoins observer une prudence raisonnable face à toutes les informations
recueillies à partir de ces sources. Certaines peuvent être fausses, d’autres contra­
dictoires, d’autres enfin incomplètes. C’est un véritable travail d’analyse, de
confrontation, de comparaison, de « triangulation » qui doit permettre de s’approcher
autant que faire se peut d’une représentation raisonnable de l’environnement futur.
Au-delà de ces sources d’information externes à l’entreprise qui peuvent être
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explorées systématiquement, d’autres sources, à l’intérieur de la firme, existent. Tout


d’abord, les ingénieurs et techniciens des départements de Recherche et Développe-
ment qui entretiennent des contacts avec la communauté scientifique sont au courant
des technologies et innovations qui peuvent se faire jour. De même, les acheteurs,
lors de leurs contacts avec les fournisseurs, apprennent des informations importantes
sur l’industrie de ces derniers. Les cadres dirigeants qui entretiennent des liens avec
d’autres responsables sont informés de leur vision de l’évolution de l’industrie et de
l’économie en général. Enfin, les vendeurs, grâce à leur position privilégiée, vis-
à-vis de la clientèle, sont à même de collecter une information précieuse sur les
tendances du marché, les changements dans les comportements d’achat et les pra-
tiques de la concurrence.
Toutefois, pour tous ces intermédiaires, une clarification des objectifs poursuivis
par l’entreprise est nécessaire, sans laquelle la collecte d’information deviendrait

63
  Chapitre 4  ■ Analyse de l’environnement général

une tâche considérable. Une formation en amont de la démarche d’analyse de l’envi-


ronnement est, à cet effet, primordiale afin que chacun puisse faire la distinction
entre une information banale et une donnée capitale. Un état d’éveil, permettant de
détecter et sélectionner l’information pertinente lorsque cette dernière se présente,
est indispensable. À cet égard, la détection de signaux faibles autorise une réaction
plus rapide que celle de la concurrence et peut donc procurer un avantage. Enfin,
d’autres sources d’information existent. Par exemple, le recrutement d’anciens
cadres de la concurrence peut être d’une très grande efficacité.

Section
3 surveillance DE L’ENVIRONNEMENT
Afin de collecter l’information sur l’environnement et la diffuser au sein de
l’entreprise, plusieurs types d’arrangements organisationnels existent. Ces arran-
gements, selon leur degré de formalisme, permettent l’accomplissement de tâches
plus ou moins complexes. Un département formel de collecte et de diffusion de
l’information, par exemple, a pour vocation essentielle de centraliser, de contrôler
et de distribuer l’information au fur et à mesure qu’elle lui parvient. Le départe-
ment, pour ce faire, s’appuie sur l’ensemble des sources décrites précédemment.
En revanche, lorsque seules des études sont réalisées en fonction des besoins, la
mise en place de procédures dont l’objet est une surveillance continue de l’envi-
ronnement n’est pas nécessaire et ne réclame pas la présence d’un département
formel. Néanmoins, quel que soit l’objectif poursuivi – système de surveillance
continue de l’environnement ou étude ad hoc en fonction des besoins –, il est
important qu’un responsable soit chargé de l’activité de surveillance. Il se peut que
la tâche de ce responsable se limite à un seul temps partiel, venant s’ajouter à
d’autres activités. Il se peut, au contraire, que cette tâche de surveillance couvre
celle de plusieurs responsables mettant en commun leur effort. En tout état de
cause, il est nécessaire qu’une personne puisse coordonner la collecte de l’infor-
mation et la surveillance de l’environnement, en général, et de la concurrence, en
particulier, réalisées par les différents services de l’entreprise vente, recherche,
achat, direction.

Exemple – La surveillance de l’environnement chez Philips


Le cas de l’entreprise Philips illustre le type de surveillance qui peut être mise en
œuvre au sein d’une firme. En 1973, plusieurs membres de la société étaient engagés
dans des activités de surveillance et ce à des degrés divers. Le département des rela-
tions industrielles était chargé d’explorer le développement des politiques de salaire et
de revenu, d’étudier les tendances en matière de marché du travail, d’analyser l’évolu-

64
Analyse de l’environnement général  ■  Chapitre 4

tion de la participation des salariés aux prises de décision, d’anticiper les orientations
nouvelles des syndicats. Le service économique avait pour mission d’étudier les déve-
loppements financiers dans plusieurs pays étrangers avec lesquels la société était en
rapport. Les changements monétaires, les évolutions des taux d’intérêt ainsi que la
stabilité des différentes monnaies étaient analysés. Afin de pouvoir réaliser sa mission,
le service économique s’appuyait sur différentes sources d’information journaux, rap-
ports de l’OCDE, comptes rendus de banques, etc. Le département de recherche en
marketing avait pour tâche d’étudier les évolutions des marchés et des produits pour
plusieurs pays afin de détecter les possibilités nouvelles de développement ou d’iden-
tifier les tendances qui pouvaient se dessiner dans les marchés traditionnels. Afin
d’accomplir cette tâche, le département s’appuyait sur des données économiques,
démographiques, sociales, politiques et technologiques provenant d’organisations
telles que le Hudson Institute, le MIT, le SRI. Enfin, un expert en sciences politiques
avait pour objectif de fournir une image claire de ce qui se passait dans un pays précis.
Pour ce faire, il s’appuyait sur différentes sources d’information celles du ministère des
Affaires étrangères qui fournit quotidiennement des extraits d’articles publiés sur dif-
férents pays ; celles provenant de grands journaux européens ; d’autres issues de revues
spécialisées en sciences politiques  ; d’autres encore tirées d’ouvrages traitant d’une
situation politique dans un pays donné.

Dans un environnement concurrentiel, qui dit surveillance de l’environnement et


observation attentive de la concurrence, dit également protection de l’entreprise
contre des pratiques analogues de la part de cette même concurrence. Plusieurs
méthodes sont utilisées pour préserver une certaine confidentialité sur les informa-
tions stratégiques collectées. Parmi les méthodes les plus fréquemment rencontrées,
peuvent être citées :
––l’identification des documents importants ou des données stockées sur fichier
informatique ;
––la protection renforcée d’informations critiques avec liste restrictive de
diffusion ;
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––l’identification du personnel à l’aide de cartes d’accès ;


––le contrôle à l’entrée des lieux de travail ; l’analyse approfondie des antécédents
du nouveau personnel, etc.
Bien entendu, d’autres méthodes existent tel que le recours à des spécialistes dont
la mission est de découvrir les « informateurs » de la concurrence ou même l’utilisa-
tion de détecteurs de mensonges pour les employés ayant accès à une information
confidentielle. Sans en arriver à ces extrêmes, il va sans dire que s’il est important,
pour une entreprise, de connaître ce qui se passe chez le voisin, il faut s’attendre à
ce que ce dernier en fasse autant. La protection de l’information est l’autre face de
la surveillance de l’environnement qu’il ne faut pas négliger. Des firmes comme
IBM, dont certaines informations ont été détournées par des agents à la solde
­d’entreprises concurrentes, illustrent ce problème de sécurité. Toutefois, les entre-
prises sujettes à ce type de détournement peuvent utiliser à leur profit cette faiblesse

65
  Chapitre 4  ■ Analyse de l’environnement général

en laissant transpirer de fausses informations et essayer de déstabiliser ainsi leurs


concurrents.
Néanmoins il n’est pas toujours nécessaire d’en arriver à ce type d’« espionnage
industriel » ou à sa forme édulcorée d’intelligence économique. La seule observation
de régularités dans le comportement stratégique est parfois suffisante. Quelles que
soient les méthodes employées pour se protéger, il est suffisant parfois d’observer ce
qu’a toujours fait l’entreprise pour en connaître ses intentions.
L’environnement, en général, et la concurrence, en particulier, sont habituellement
difficiles à appréhender. Aussi, est-il nécessaire de mettre en place un système qui
doit permettre une meilleure compréhension des tendances qui se dessinent. Ce
système doit, dans la mesure du possible, être systématique et faire appel à toutes
les ressources dont la firme peut disposer. Comme nous venons de le voir, ces res-
sources existent et parfois même sont disponibles à moindre coût. Une systématisa-
tion, une mise en ordre, une orientation de l’information sont les voies à suivre.
C’est le rôle et la tâche essentielle de la surveillance de l’environnement que d’adop-
ter ces directions.

Section
4 Prospective stratégique
La question demeure de savoir comment, à partir des informations collectées sys-
tématiquement sur l’environnement ou glanées lors de rencontres fortuites, dévelop-
per une vision cohérente d’ensemble des enjeux futurs  ? Nous avons évoqué,
précédemment, la technique des scénarios qui permet à l’entreprise de formuler des
stratégies dans un cadre donné. Ces scénarios, qui correspondent à des visions alter-
natives de l’environnement, servent de base à la réflexion et aux choix stratégiques.
La société Shell a été pionnière dans ce domaine. Ses scénarios prennent en compte
non seulement des variables technologiques (possibilité de forage en grande profon-
deur…) et économiques (évolution du prix du pétrole…), mais aussi des facteurs
socio-politiques tels que les tensions militaires dans certaines régions du globe ou la
montée des extrémismes de toute origine. Fondées sur différents scénarios à cinq,
dix ou vingt ans, des stratégies de contingence sont établies et servent de base aux
choix de l’entreprise.
La construction des scénarios peut s’appuyer sur différentes méthodes. Parmi ces
méthodes, Delphi est la plus connue.

66
Analyse de l’environnement général  ■  Chapitre 4

Exemple – Shell et les scénarios


La société Shell a eu pendant très longtemps un gros très département de planification
dont la tâche était de construire des scénarios prospectifs à dix, voire quinze ans et plus
sur l’évolution de son environnement économique, politique, social et technologique.
En plus de son propre personnel, elle avait régulièrement recours à des experts de dif-
férentes disciplines à l’instar de Philips. Son but était bien entendu de collecter de
l’information sur l’environnement mais aussi et surtout de préparer l’esprit de ses
cadres à des futurs inconnus. L’idée était de créer des cartes mentales dont l’objet
devait faciliter la reconnaissance par les managers d’un contexte lorsque ce dernier
était révélé. Ce faisant, la réaction devait être plus rapide, mieux adaptée que dans le
cas où ces mêmes managers auraient découvert le nouvel environnement pour la pre-
mière fois. La fameuse méthode des scénarios, perfectionnée par Shell, sur laquelle
nous revenons plus loin, est à la base de cette démarche. À titre d’anecdote, parmi ces
scénarios, Shell avait dans ses cartons, dès 1979, un scénario décrivant un conflit entre
pays du golfe Persique obligeant l’intervention des armées occidentales dans le but de
protéger les sources d’approvisionnement en pétrole. Scénario qui se réalisa un peu
plus d’une dizaine d’années plus tard.

Partant du principe que le futur est, dans une certaine mesure, ce que l’on en fait
et que des hommes et des femmes, par leurs compétences et responsabilités, exercent
une influence sur l’environnement, il semble opportun de s’appuyer sur ceux-là
mêmes qui participent à l’émergence du cadre d’action futur, afin d’anticiper de quoi
demain sera fait.
Delphi, la fameuse méthode de prospective (voir figure 4.1), s’appuie sur ce prin-
cipe et fait appel à des « experts ». Toutefois, il s’agit là d’une conception particulière
d’acteurs de l’environnement. Les experts de Delphi, certes, sont des parties pre-
nantes impliquées dans la construction du futur. Mais ils participent plus souvent à
l’évolution du présent en tant que spectateurs que comme acteurs véritables de
changement. Si l’avenir repose en partie dans les mains des acteurs de l’environne-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ment, ce dernier dépend en quelque sorte de leur perception et compréhension des


phénomènes qui se déroulent sous leurs yeux. Perception et compréhension sont des
qualités profondément subjectives influencées par des capacités cognitives obliga-
toirement restreintes. Le problème demeure de savoir comment s’assurer que la
vision du futur et des enjeux stratégiques est la meilleure possible ?
La méthode Delphi, référence obligée des démarches prospectives, propose quant
à elle une structuration progressive des idées pour arriver à un consensus entre
experts sur ce dont demain sera fait. Cette structuration tente de se faire dans la
neutralité. Aucune interaction directe entre experts n’a lieu. Seuls des échanges
d’informations prédigérées sont organisés par l’intermédiaire d’un coordinateur
central dont la tâche est de faire respecter la plus grande objectivité possible. La
subjectivité, la réalité et la dynamique sociale sont proscrites au bénéfice de la ratio-
nalité dont on connaît bien les limites.

67
  Chapitre 4  ■ Analyse de l’environnement général

1. Énoncé du problème

2. Choix des experts

3. Envoi du questionnaire

4. Réponse au
questionnaire
Itérations

5. Envoi de l’analyse
des réponses sous forme
d’un nouveau
questionnaire.
Demande de réévaluation
des réponses

6. Synthèse finale

D’après N.C. Dalkey, The Delphi Method: An Experimental Study of Group Opinion,
Santa Monica : Rand Corporation, 1969.
Figure 4.1 – La méthode Delphi

La figure 4.1 décrit les différentes étapes de la méthode Delphi de construction des


scénarios. Dans un premier temps, après la définition d’un problème, par exemple
l’influence de l’évolution des modes de vie sur les comportements de consommation
ou l’impact des technologies de l’information sur les pratiques d’achat des entreprises
ou bien encore les effets des progrès de la biotechnologie sur la recherche pharmaceu-
tique, des experts sont sélectionnés. La sélection (étape 2) se fait sur la base de leurs
compétences, connaissance, influence présumée sur les évolutions futures étudiées.
Des questionnaires, préalablement pré-testés et validés, sont adressés à ces mêmes
experts (étape 3). Les questions portent sur le jugement des experts quant à la proba-
bilité d’occurrence de certains événements futurs relatifs au problème initialement
identifié. Dans une quatrième étape, les experts répondent aux questionnaires de
manière indépendante et sans connaissance de l’identité des autres répondants. Ils font
mention éventuellement d’un point de vue, d’une idée, d’une information qui
­n’auraient pas été abordés dans le questionnaire initial. Une fois toutes les réponses
recueillies, ces dernières sont analysées, synthétisées sous forme de tableaux et de
graphiques de distribution des réponses (étape 5). Un nouveau questionnaire est alors
établi reprenant ou précisant le précédant avant d’être renvoyé, accompagné des ana-
lyses, aux experts (étape d’itération). À la vue des synthèses qu’ils reçoivent, les
experts sont invités à revoir leur première réponse ou de les conserver en l’état (à
nouveau étape 4). Une nouvelle analyse et une synthèse sont effectuées comme précé-
demment avant d’être renvoyée aux experts. Le processus s’arrête lorsqu’un degré de
convergence entre experts sur leur vision de l’environnement futur est atteint. Une fois

68
Analyse de l’environnement général  ■  Chapitre 4

cette convergence réalisée, une synthèse finale est effectuée (étape 6). Lorsqu’une
convergence n’est pas possible, plusieurs scénarios sont construits mettant en évidence
les divergences qui ont été révélées lors de l’analyse.
La méthode Delphi est une des méthodes de construction des scénarios parmi de nom-
breuses autres. D’autres démarches plus légères et moins structurées sont aussi utilisées.
Toutefois, bien qu’ayant des qualités indéniables, aucune d’elles ne propose de construire
une vision consensuelle du futur et ne s’inspire de ce processus d’aller et retour entre
experts et pilote dont la tâche essentielle est de consolider les informations et de jouer un
rôle d’écran entre les experts, garantissant autant que faire se peut leur objectivité. Parmi
elles, il faut noter les méthodes d’extrapolation en vogue dans les modèles économiques
où le futur ne peut être qu’une prolongation du passé. Ces dernières, néanmoins, sont
plus du ressort de la prévision que de la prospective à proprement parler.
Après avoir analysé l’environnement avec la méthode de son choix, il s’agit à
présent d’établir des scénarios. Dans l’encadré qui suit, nous avons mis un tableau
dans lequel les efforts de collecte et de structuration des données sont résumés.

c Focus
Tableau récapitulatif de collecte et de traitement
des informations sur l’environnement
Sur la base de l’inventaire précédent et après avoir identifié les facteurs clés d’évolu-
tion, trois scénarios (un « optimiste », un « pessimiste », un probable) possibles sur
l’environnement général peuvent être écrits.
L’impact que cet environnement pourrait avoir sur l’industrie, sur l’entreprise, sur les
options stratégiques envisagées doit être mis en évidence.

Scénario optimiste
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Scénario pessimiste

Scénario probable

69
Chapitre
Analyse de
5 l’environnement
concurrentiel

OBJECTIFS
 Analyser l’environnement concurrentiel d’une entreprise.
 Comprendre les ressorts de l’offre et de la demande.
 Savoir identifier les forces concurrentielles.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Analyse de la demande
Sec­­tion 2   Analyse de l’offre
Sec­­tion 3   Analyse de la concurrence
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

L ’analyse de l’environnement concurrentiel est l’une des étapes les plus impor-
tantes du processus de formulation de la stratégie. C’est en partie grâce à cette
analyse que le choix d’une stratégie s’effectue. C’est de l’évaluation des capacités
de l’entreprise et des caractéristiques de l’environnement concurrentiel que des
orientations possibles sont définies (figure 5.1).
L’étape précédente d’analyse du contexte général et de construction de scénarios
probables d’évolution donne un cadre qui s’impose à l’ensemble des entreprises
d’un secteur donné. Il s’agit à présent d’affiner l’analyse en s’interrogeant sur les
fondements de la concurrence entre les entreprises et de répondre à la question : que
faut-il faire pour réussir dans l’environnement concurrentiel ?
Toutefois, parler de l’environnement concurrentiel d’une entreprise sans définir
précisément les activités de cette dernière n’a pas de sens. En effet, à l’exception de
l’entreprise mono-produit, les conditions concurrentielles, les marchés, les techno-
logies sont différents selon les activités de la firme.
La base de référence est le groupe stratégique et la base d’analyse, de manière
plus fine encore, est le segment stratégique (voir chapitre  6). Il s’agit, ainsi, de
mettre en lumière les exigences, les contraintes, les opportunités et les menaces
que l’environnement concurrentiel présente aujourd’hui et dans le futur au niveau
fin du segment stratégique. Les conditions de concurrence, la demande, la techno-
logie, variant d’une activité à l’autre, une trop grande agrégation des informations
est trompeuse. Ainsi, lorsque l’analyse stratégique de la situation est faite, elle
l’est pour chaque segment pris séparément. Bien entendu, ceci ne doit pas éluder
la nécessaire prise en considération des complémentarités entre activités qui
peuvent exister au sein de l’entreprise ; complémentarités qui peuvent exercer un
effet bénéfique global. L’analyse de la situation concurrentielle va ainsi s’articuler
autour de trois phases essentielles et complémentaires évaluation de la demande
du marché, analyse de l’offre faite sur ce dernier, étude de la dynamique concur-
rentielle.

72
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

Environnement général

Technologique Politique
Environnement
concurrentiel

Groupes et
segments
Social stratégiques Économique

Scénarios

Figure 5.1 – Environnement général et environnement concurrentiel

Section
1 Analyse de la demande
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Avant toute chose, il y a le marché. Sans marché, existant ou potentiel, il n’y a pas
d’entreprise. Pour chaque segment stratégique, les caractéristiques de la demande
doivent être analysées. À cet effet, le tableau 5.1 résume les grandes questions à se
poser : quelle est l’évolution de la demande ? Quelles sont les caractéristiques et la
nature de cette demande ? Quelle est la taille et la croissance de chaque segment de
marché ?

73
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

Tableau 5.1 – Analyse de la demande


–– Stabilité (saisonnalité, phase dans le cycle de vie)
–– Influence de la démographie
–– Évolution des attentes des acheteurs
Évolution de la demande
–– Changement dans les styles de vie
–– Apparition de substituts
–– Impact de la technologie, etc.

Taille et croissance –– Taille du marché


des segments de marché –– Croissance passée et envisagée, etc.

–– Besoin et usage
–– Motivation d’achat
Nature –– Sensibilité par rapport aux prix
et caractéristiques –– Capacité financière des acheteurs
de la demande –– Fidélité de la clientèle
–– Fréquence d’achat
–– Caractéristiques des canaux de distribution (concentration, organisation), etc.

L’évolution de la demande est influencée par plusieurs facteurs l’âge du produit,


son caractère saisonnier, la démographie, les attentes des consommateurs, le style de
vie, l’existence de substituts, les utilisations potentielles nouvelles. Ainsi, selon
l’âge du produit, l’intensité de la demande et les actions stratégiques adéquates dif-
fèrent. Le cycle de vie d’un produit donne à cet effet une représentation idéalisée de
l’évolution de la demande.
Ce cycle est généralement décomposé en quatre phases introduction, croissance,
maturité, déclin. Cette représentation théorique de la vie d’un produit, bien qu’éloi-
gnée de la réalité, donne une indication sur l’évolution de la demande d’un produit.
Cela permet ainsi d’anticiper les modifications que va connaître l’environnement
concurrentiel et d’identifier les actions stratégiques à mettre en œuvre. En effet, les
ressources qu’il est bon de posséder et les actions qu’il est nécessaire d’entreprendre
sont différentes d’une phase à l’autre. Par exemple, dans les premières phases, des
efforts de communication, afin de faire connaître le nouveau produit, et une politique
de prix élevés, favorisée par la position de monopole du produit nouveau sont géné-
ralement adoptés. Au fur et à mesure que la maturité s’installe, ces deux variables
tendent à prendre moins d’importance au bénéfice de la recherche d’une productivité
accrue et des coûts les plus faibles possibles. Cependant, si la phase de vie d’un
produit influence les actions qu’il est souhaitable d’entreprendre, d’autres facteurs
sont également pris en considération, tels que les objectifs poursuivis ou bien encore
la nature même du produit. En conséquence, le choix des actions ne peut se faire de
façon mécanique. Tout automatisme dans ce domaine est donc à proscrire.
L’évolution de la démographie, le changement dans les attentes des acheteurs ou
dans leur style de vie, l’arrivée de substituts sont d’autres facteurs qui exercent une
forte influence sur la demande. Par exemple, le vieillissement de la population des
pays riches crée des opportunités et des besoins nouveaux pour ce segment de

74
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

clientèle. De même, la demande pour des produits et des services à connotation de


bien-être et de santé change le type de besoins à satisfaire. Les appareils de photos
numériques, par exemple, suite à une révolution technologique, se sont substitués
aux appareils traditionnels argentiques, faisant chuter la demande de ces derniers.
Autant de facteurs à prendre en considération si l’on souhaite anticiper l’évolution
de la demande.
Le progrès technologique transforme ainsi la demande. Par exemple, l’intro­
duction de microprocesseurs dans un grand nombre d’équipements industriels et de
produits destinés au grand public révolutionne bon nombre d’industries des télé­
communications aux téléphones portables en passant par la télévision numérique et
Internet. Les robots et la pénétration de l’informatique dans toutes les tâches de
bureau entraînent des changements tout aussi importants dans l’industrie et les
services remettant en cause les règles du jeu concurrentiel. Des possibilités nou-
velles sont constamment offertes et des produits bien installés sont écartés. De tels
changements se sont produits dans le passé. Des firmes comme Underwood, dans
les machines à écrire mécaniques, Baldwin Locomotive Co., dans les locomotives
à vapeur, Polaroïd et Kodak, dans la photo, n’ont pas perçu, ou n’ont pas voulu
percevoir, l’importance de changements technologiques tels que l’arrivée de la
machine à écrire électrique, celle de la locomotive diesel-électrique ou bien encore
celle de la photographie numérique. Elles laissèrent le champ libre à des nouveaux
venus tels qu’IBM, dans la machine à écrire initialement et plus tard dans la micro-
informatique, General Motors, dans la locomotive diesel, Sony, Canon et Nikon
dans la photo.
La seconde grande caractéristique de la demande est la taille des segments. En
effet, selon les segments retenus, leur taille et leur croissance sont différentes. Cer-
tains ont une taille insuffisante pour intéresser les grandes entreprises du secteur.
D’autres sont suffisamment importants pour attirer l’ensemble des firmes. Ainsi, de
petits segments délaissés par les firmes dominantes peuvent intéresser des entre-
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prises de taille moindre qui trouveront là une possibilité intéressante de développe-


ment. Enfin, la nature et les caractéristiques de la demande influent sur le type
d’actions stratégiques à mettre en œuvre. Pourquoi la clientèle achète-t-elle ? Dans
quel but, pour quel usage ? Quand achète-t-elle ? Quels sont les critères d’achat ?
Qui effectue l’achat ? Comment les acheteurs réagissent-ils à une modification des
prix ? La marque a-t-elle une importance ? Les achats sont-ils fréquents ? Telles sont
les grandes questions qui permettent d’identifier l’acheteur, de mieux comprendre
ses motivations et de préciser ce qu’est la demande.
L’ensemble des facteurs évoqués  : nature, caractéristiques et évolution de la
demande, taille et croissance des marchés, donne une vision affinée des détermi-
nants de la demande. L’analyse de ces facteurs permet d’anticiper les possibilités
nouvelles de développement ou les risques auxquels les entreprises sont confrontées,
compte tenu, bien entendu, des tendances prévisibles de l’environnement.

75
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

Section
2 Analyse de l’offre
L’offre d’une industrie, comme la demande du marché, influe sur la profitabilité
ou la croissance d’un segment stratégique. Le tableau 5.2 résume les points essen-
tiels caractérisant l’offre.

Tableau 5.2 – Analyse de l’offre


–– Sous ou surcapacitaire
Capacité –– Temps nécessaire à une expansion ou à une réduction de l’offre
de l’industrie –– Coût d’une expansion de la capacité de l’offre
–– Possibilité et coût de stockage

–– Coût de la main-d’œuvre
–– Coût des matières premières
Structure
–– Importance des coûts fixes par rapport aux coûts variables
des coûts
–– Existence d’économies d’échelle
–– Existence d’effets d’expérience

–– Barrières à l’entrée, à la sortie, à la mobilité


Caractéristiques
–– Degré de concentration
du secteur
–– Degré d’intégration

Distribution –– Nature des canaux de distribution (spécificité, taille, nombre, etc.)

–– Nature cyclique ou non de l’industrie


–– Besoin financier de l’industrie
Financement
–– Modes de financement de l’industrie
–– Sources de financement de l’industrie

–– Technologie mobilisée
Technologie –– Degré de maturité de l’industrie
et société –– Défis socio-politiques de l’industrie
–– Nouveaux acteurs (associations de défense de l’environnement, d’actionnaires, etc.)

De la recherche d’une bonne adéquation entre capacité d’un secteur industriel et


demande qui lui est faite dépend, dans une certaine mesure, la performance de ce
secteur. Par exemple, la sous-capacité est typique d’une industrie en pleine crois-
sance. Dans cette situation, la plupart des firmes bénéficient d’une situation favo-
rable dans laquelle les prix sont bien tenus. Le marché absorbe la production. Les
coûts fixes de fabrication sont répartis sur des volumes importants. Toutefois, la
situation de sous-capacité ne dure pas et tend à disparaître avec l’expansion des
firmes en concurrence ou bien avec l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises
attirées par des potentiels de croissance.
La situation inverse de surcapacité, qui risque de se créer au fur et à mesure du
vieillissement du marché, est moins réjouissante. En effet, la surcapacité exerce une
pression sur les prix ; les entreprises désirant vendre leur production sur capacitaire
au coût marginal plutôt que de la laisser inutilisée. De même, en raison d’une

76
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

sous-activité, un volume moindre doit absorber des charges fixes inchangées entraî-
nant une baisse du résultat, voire une situation déficitaire. Le ralentissement de la
demande, le progrès technique, l’anticipation irrationnelle des entrepreneurs sont
souvent à l’origine de ce type de situation. C’est ainsi que la recherche par les entre-
prises d’une plus grande productivité les incite à investir dans des outils technique-
ment plus avancés. Ces derniers leur permettent parfois d’augmenter les volumes de
production, à charges fixes constantes, de 50 %, 100 % ou 200 %. Cet accroissement
peut n’avoir aucune influence lorsque le nombre d’entreprises est très grand, leur
taille faible et qu’une minorité d’entre elles adopte ce type de stratégie. Il en va tout
autrement lorsque plusieurs entreprises importantes choisissent cette démarche dans
un secteur-industriel peu atomisé. Dans ce dernier cas, des surcapacités apparaissent,
déséquilibrant peu à peu le secteur tout entier. Les cas de l’imprimerie lourde de
labeur, des engrais chimiques, des transformateurs de plastique furent révélateurs.
Dans l’imprimerie de labeur, l’introduction de rotatives de deuxième, troisième et
quatrième générations, tournant à des vitesses toujours croissantes, a créé peu à peu
une situation surcapacitaire menant à des effets dépressifs sur les prix. Une surcapa-
cité durable entraîne la disparition des concurrents les plus faibles financièrement
jusqu’au moment où un nouvel équilibre entre l’offre et la demande est retrouvé.
Une estimation du temps et du coût d’expansion ou de réduction des capacités per-
met d’évaluer la durée de la période pendant laquelle les conditions de l’offre ne
varient pas, donnant ainsi aux firmes une indication sur la stabilité de leur situation.
Le second élément important dans l’analyse de l’offre est la structure des coûts.
Ces derniers exercent une influence directe sur le comportement des entreprises. Par
exemple, dans les activités où les coûts fixes sont importants, l’objectif est d’utiliser
l’outil industriel de manière intense, afin de répartir sur de grands volumes les
charges fixes de production. Dans les activités où les coûts variables dominent, les
profits dépendent essentiellement des prix et par conséquent des conditions de
concurrence et de marché. Les entreprises ont alors tendance à adopter une politique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de différenciation qui peut alors justifier la fixation de prix élevés.


Au-delà de leur structure, la nature des coûts fait peser des contraintes fortes sur
l’entreprise. Par exemple, les fabricants de verre et les transporteurs aériens furent
frappés de plein fouet lors du renchérissement du prix du pétrole, comme ce fut le
cas en 1973 et 1979 lors des deux chocs pétroliers. La modification importante des
coûts a des répercussions considérables sur le succès ou l’échec de certains projets
tel que l’Airbus ou le Concorde, donnant à l’un des avantages compétitifs accrus et
à l’autre un handicap qui ne sera jamais surmonté.
Une estimation de l’évolution des coûts permet d’anticiper soit l’arrivée de pro-
duits de substitution plus compétitifs – le nucléaire en remplacement du pétrole pour
la production d’électricité, par exemple –, soit l’ouverture de nouveaux marchés par
suite d’une diminution de prix – les ordinateurs personnels ou le téléphone portable.
La télévision, réservée dans les années cinquante à une classe aisée de la population,

77
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

s’est vue ouvrir le marché des classes moyennes, puis celui d’une population plus
large encore en raison de la diminution rapide des coûts de production accompagnée
d’une baisse des prix. La prise en compte du changement des coûts a permis aux
entreprises de se préparer à ces évolutions dont elles surent tirer parti. L’existence
d’économies d’échelle et de phénomènes d’expérience, sur lesquelles nous revien-
drons ultérieurement, peut enfin induire des comportements stratégiques visant à
produire plus et permettant de bénéficier d’avantages compétitifs en termes de coût.
D’autres caractéristiques influant sur l’offre vont à présent être étudiées. Il s’agit,
tout d’abord, des barrières d’entrée et de sortie d’un secteur, ensuite, du degré de
concentration et d’intégration des firmes en concurrence. Porter1 identifie six
sources principales de barrières à l’entrée. La première est l’existence d’économies
d’échelle.
Si des économies d’échelle existent, c’est-à-dire si des volumes importants de
production permettent de réaliser des coûts de fabrication peu élevés, la firme qui
désire entrer sur le secteur doit le faire en misant dès le départ sur des volumes de
fabrication et de vente substantiels. La taille des investissements, compte tenu de
cette contrainte, risque de dissuader les entrants potentiels qui ne veulent pas risquer,
dès le début, une mise de jeu trop importante.
Les économies d’échelle existent dans tous les domaines et ne sont pas limitées à
la seule dimension technique. Par exemple, si une entreprise voulait entrer
aujourd’hui sur le marché de la voiture de tourisme, au-delà du problème de la
recherche d’un coût compétitif, elle se trouverait confrontée à la difficulté de créer
un réseau de distribution et de service après vente suffisamment étoffé. Lors de
l’introduction de la Dauphine aux États-Unis, dans les années soixante, Renault a
connu des déboires retentissants qui n’étaient pas seulement dus à l’inadaptation de
la voiture au marché américain. La faiblesse du réseau de distribution et du service
aux clients fit rapidement tourner court une stratégie d’expansion ambitieuse. De
même, dans le domaine de l’informatique, les échecs de la General Electric et de
Xerox illustrent la difficulté d’une firme à s’implanter sur un secteur dans lequel une
taille minimum de l’outil de fabrication et des services de recherche est requise.
Toujours dans ce secteur, les tentatives successives de l’industrie française pour s’y
implanter et s’y maintenir n’ont pas été couronnées de succès. La seule raison pour
laquelle l’industrie française des gros ordinateurs a subsisté fut politique.
La deuxième barrière à l’entrée d’un secteur est la différenciation des produits. En
effet, lorsque les produits sont différenciés, une clientèle fidèle peut être créée. Par
exemple, Citroën a eu pendant longtemps ses fervents partisans. Et, dans le domaine
des parfums, le n˚ 5 de Chanel a illustré remarquablement ce propos. Chacun essaye
de trouver la combinaison de traits qui apporte l’adhésion de milliers d’adeptes.
Cette différenciation, bien entendu, peut ne pas porter sur le seul produit mais aussi

1.  M. Porter, Choix stratégiques et concurrence, Paris, Économica, 1982.

78
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

sur d’autres dimensions telles que le service. Darty fut, à ce sujet, un exemple
typique.
Le montant des investissements nécessaires représente une autre barrière à l’en-
trée. Ainsi, dans le domaine de la fabrication du papier, les investissements atteignent
plusieurs dizaines de millions d’euros, ce qui dissuade l’arrivée de nouveaux
concurrents. Les chances de succès associées à de tels investissements et les profits
espérés doivent être importants pour justifier une entrée sur de tels secteurs.
Les coûts de passage, pour un client, de son fournisseur traditionnel à un nouveau
fabricant, représentent aussi un frein à l’entrée sur un secteur. Par exemple, dans le
domaine aéronautique, l’existence de stocks de pièces de rechange pour une marque
d’appareil ou la spécialisation du personnel de maintenance peut être un facteur
dissuasif lors de l’acquisition d’un avion d’un constructeur différent de celui com-
posant la flotte d’une compagnie aérienne. Seuls des avantages concurrentiels fon-
dés sur d’autres caractéristiques, telles que le coût, la performance ou les conditions
de paiement, peuvent faire la différence.
La difficulté d’accès aux canaux de distribution peut également dissuader une
firme d’entrer sur un nouveau secteur ou la forcer à adopter un canal différent. Ce
fut le cas de la société Kelton qui, dans le domaine de la montre, dut opter pour le
réseau des distributeurs de tabac en remplacement des horlogers-bijoutiers tradition-
nels qui lui étaient fermés. De même, dans les produits alimentaires, la concurrence
entre fabricants pour l’espace de linéaires dans les supermarchés rend difficile
l’accès de ce réseau à un nouveau producteur sauf si ce dernier est prêt à faire des
conditions commerciales exceptionnelles. Afin d’être adopté, au détriment parfois
de fournisseurs avec lesquels le distributeur a établi des relations de confiance, le
nouvel arrivant doit être capable de développer des arguments de poids tels que des
remises ou une qualité unique du produit.
Au-delà des barrières qui viennent d’être présentées, d’autres freins à l’entrée d’un
secteur existent. Il s’agit, tout d’abord, des règlements administratifs qui imposent,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans certaines situations, l’obtention d’une autorisation avant qu’un produit ou un


service soit commercialisé. Par exemple, dans les transports aériens, l’ouverture
d’une ligne intérieure régulière est soumise à l’approbation des pouvoirs publics au
vu d’un cahier des charges draconien en termes de maintenance, de formation, etc.
Dans un domaine différent, mais tout aussi révélateur, la commercialisation d’un
médicament prend plusieurs années. Le temps nécessaire, dans chacun de ces cas,
est suffisamment long pour faire renoncer certains concurrents à pénétrer un nou-
veau marché. Et si la décision est positive, la période de temps précédant la com-
mercialisation permet aux firmes installées de préparer une contre-attaque. Ainsi
délai et risque de riposte freinent souvent toutes velléités.
L’existence de brevets, l’expérience acquise dans la fabrication d’un produit, la
possession privilégiée de matières premières empêchent également l’arrivée
de ­nouveaux concurrents. Par exemple, le brevet sur la photographie instantanée de

79
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

Polaroïd ou sur le nylon de DuPont de Nemours a longtemps constitué une barrière


à l’entrée d’éventuels fabricants de ces produits. De même, aux États-Unis, la pos-
session de 90 % des mines d’alumine par Alcoa lui a assuré, pendant de nombreuses
années, la domination du marché américain. Enfin, l’expérience, en termes de
savoir-faire, acquise par une firme comme Texas Instruments, lors de la fabrication
de produits tels que la calculatrice de poche ou le composant MOS, a donné à cette
société un avantage de coût inégalé limitant l’arrivée de nouveaux concurrents.
Les barrières à l’entrée, toutefois, ne sont pas insurmontables. Certaines, tels les
brevets, disparaissent avec le temps. D’autres peuvent être contournées, grâce à la
mise en œuvre de stratégies de différenciation. D’autres encore, comme l’expé-
rience, peuvent être surmontées grâce au débauchage des personnels qualifiés de la
concurrence ou par l’acquisition d’équipements bénéficiant d’une technologie plus
avancée. De nombreux exemples de stratégies innovatrices remettant en cause les
règles du jeu généralement acceptées tendent à démontrer que des failles existent et
que rares sont les cas où les barrières sont infranchissables.
L’entreprise jouissant de barrières à l’entrée doit les défendre efficacement afin de
développer et maintenir les avantages concurrentiels durables qui lui permettent de
bénéficier d’une situation favorable. Néanmoins, afin de déceler les faiblesses des
barrières concurrentes et celles de ses propres activités, un diagnostic détaillé, repre-
nant les points qui viennent d’être évoqués, est nécessaire.
Les barrières à la sortie d’un secteur, comme les barrières à l’entrée, influent sur
les conditions de l’offre faite par les firmes ainsi que sur l’intensité de la concurrence
que l’on peut observer entre elles. En effet, dans certaines industries, les entreprises
continuent à opérer même après que leurs profits ont été substantiellement réduits.
Plusieurs raisons motivent ces firmes à demeurer dans une industrie alors même que
les conditions y sont peu favorables. Parmi ces raisons, il y a tout d’abord l’existence
d’équipements coûteux ne pouvant être reconvertis ; ensuite, les coûts de sortie sur
le plan social et sur le plan commercial. En effet, les frais de licenciement et de
reconversion, sans compter les problèmes générés au sein de l’entreprise, peuvent
être considérables. De même, l’arrêt d’une des activités de l’entreprise peut exercer
une influence négative sur son image et lui retirer une certaine crédibilité. Aussi,
dans certains cas, préférera-t-on maintenir un produit plutôt que d’en arrêter la fabri-
cation et la commercialisation. En revanche, l’arrêt d’une activité accompagné d’un
redéploiement vers d’autres domaines, lors d’un recentrage stratégique, n’aura pas
cette influence négative. Enfin, les contraintes imposées au nom de l’emploi, de la
paix sociale ou de l’indépendance nationale exercent aussi de fortes pressions pour
le maintien d’activités. Le cas de la sidérurgie, du machinisme agricole ou du poids
lourd ont montré combien l’influence de la puissance publique peut être importante.
Autre point intéressant qu’il faut analyser dans l’offre d’un secteur le degré de
concentration. Le degré de concentration d’une industrie va influencer directement
le type de stratégie que les autres entreprises vont pouvoir mettre en œuvre. En effet,

80
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

moins une industrie est concentrée, plus la marge de manœuvre laissée aux diffé-
rentes entreprises est importante. Par exemple, les actions mises en œuvre par un
revendeur de vêtements sont moins visibles et rarement contrecarrées par ses
concurrents. En revanche, une diminution des tarifs aériens sur le réseau Atlantique
Nord, décidée par une compagnie, entraîne des réactions immédiates de la part des
entreprises concurrentes. Un secteur tel que celui de la distribution du vêtement,
plus atomisé que celui du transport aérien, laisse une grande latitude d’actions aux
entreprises qui en sont membres.
Le degré de concentration est influencé par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la
taille des barrières à l’entrée. Selon ces barrières, l’entrée de nouvelles entreprises
dans une industrie est plus ou moins aisée. Si les barrières sont élevées, les firmes
ont des difficultés à pénétrer l’industrie. La concentration dans ce cas est forte. Elle
est faible dans la situation inverse. Ce fut le cas, pendant longtemps, du travail tem-
poraire où le coût et les compétences nécessaires à l’entrée sur ce secteur étaient très
faibles. Un deuxième facteur, influant sur le degré de concentration, est la taille des
barrières de sortie. Moins importantes sont les barrières de sortie et plus grande est
la concentration du secteur. En effet, les entreprises mineures n’hésiteront pas à
quitter une industrie, dans la mesure où le coût économique et psychologique de
sortie demeure faible. Ceci a tendance à favoriser le développement de pôles consti-
tués de grandes entreprises qui ont su traverser avec succès les péripéties de leur
secteur.
L’existence d’économie d’échelle influence également la concentration indus-
trielle. Plus les phénomènes d’échelle et d’expérience sont significatifs et plus les
entreprises de taille importante, à fort volume de production, sont avantagées. Par
exemple, dans le domaine des semi-conducteurs, où les phénomènes d’expérience
sont prédominants, ou dans celui de la fabrication du papier, où le volume de pro-
duction est une des variables déterminantes, on observe l’existence de groupes
importants. En revanche, dans des secteurs, tels que l’édition ou celui du vêtement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de mode, où les coûts fixes sont peu importants et où les phénomènes d’échelle sont
relativement faibles, on observe l’existence d’une plus grande fragmentation et d’un
nombre substantiel de petites entreprises. De la même manière, des contraintes de
marchés, comme la nécessaire adaptation à des contraintes locales ou à des groupes
de clientèles particulières ou encore à des demandes rapidement changeantes dans
la conception des produits, handicapent les entreprises de grande taille  ; ces der-
nières étant, généralement, moins adaptatives et ayant plus de difficultés à répondre
aux spécificités d’un environnement diversifié. Ainsi peut-on observer l’existence
d’industries peu concentrées dans lesquelles les petites entreprises sont très nom-
breuses. Dans le même esprit, l’importance des coûts de transport, comme dans le
cas de l’industrie du ciment, favorise généralement le développement de petites
unités locales. Dans les services également, une présence proche du marché est
nécessaire. Cette contrainte facilite le développement d’entreprises indépendantes

81
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

pour lesquelles la taille n’est pas un atout déterminant. Le secteur industriel a ten-
dance, dans ce cas, à être déconcentré.
D’autres éléments influencent le degré de concentration d’une industrie. Ainsi la
réglementation administrative limite l’ouverture de magasins à grandes surfaces et,
par conséquent, leur nombre. Les règles professionnelles régissent l’entrée d’un
métier et filtrent les nouveaux arrivants. L’âge du secteur agit aussi sur sa concen-
tration. Par exemple, au début de la micro-informatique, cette dernière était caracté-
risée par une très grande fragmentation.
Au-delà des caractéristiques économiques d’une industrie, d’autres dimensions
vont être prises en compte dans une analyse sectorielle. La nature de la distribution
est l’un de ces éléments. Plusieurs questions se posent. Quelle fonction remplit-
elle ? Comment fonctionne-t-elle ? Combien de niveaux existe-t-il entre le produc-
teur et le client final ? Y a-t-il différents canaux concurrents ? Quelle est l’évolution
et la taille de chacun de ces canaux ? Selon les caractéristiques de la distribution, les
actions stratégiques mises en œuvre vont être différentes. Un réseau de distribution
composé de petits détaillants indépendants se comportera différemment d’un réseau
de grandes surfaces et favorisera ou empêchera la mise en œuvre de certaines stra-
tégies. De la même manière, la nature du système financier influencera les stratégies
qui seront adoptées. Là encore, plusieurs questions vont se poser. Par exemple, quels
sont les besoins saisonniers en matière de financement ? Comment ces besoins vont-
ils être financés de manière interne ou par appel à l’extérieur ? À quel marché des
capitaux, l’industrie a-t-elle habituellement recours ? Une bonne compréhension du
système financier et de son fonctionnement permet une appréciation valable des
contraintes qui pèsent sur les entreprises et des possibilités qui leur sont offertes lors
de la phase de choix et d’allocation des ressources financières.
Toujours dans le domaine de l’analyse de l’offre, la dimension technologique
occupe une place capitale. En effet, la technologie va exercer une influence prépondé-
rante, d’une part, sur le degré de maturité du secteur industriel et, d’autre part, sur la
force compétitive de l’entreprise. Par exemple, l’innovation technologique a révolu-
tionné des secteurs entiers comme celui de la montre en rajeunissant de manière radi-
cale cette industrie ou bien encore celui de la photo avec le passage de l’argentique au
numérique. Cette même innovation a permis à des firmes de petite taille de pénétrer
des marchés, tel celui de l’informatique, pourtant dominé par des firmes géantes. La
prise en compte de la technologie dans l’analyse d’un secteur industriel facilite l’iden-
tification de pôles de développement nouveaux et la mise en évidence de menaces qui
pèsent sur les firmes attachées à une conception technique traditionnelle.
Enfin, un dernier mais non moins important élément doit être analysé. Il s’agit de
la dimension socio-politique, à laquelle les entreprises et les dirigeants sont de plus
en plus confrontés. La montée de nouvelles parties prenantes à la vie de l’entreprise
rend la prise en compte de cette dimension particulièrement complexe. Plusieurs
acteurs occupent désormais une place importante dans la stratégie des firmes. Parmi

82
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

eux, nous trouvons, bien sûr, le personnel, les clients, les concurrents, les fournis-
seurs et les syndicats mais aussi et surtout les collectivités locales, l’État, les asso-
ciations de toutes natures ainsi que les comités de représentation du personnel
(délégués du personnel, comité d’entreprise). Parallèlement à l’importance grandis-
sante que tous ces acteurs vont prendre, plusieurs défis semblent se faire jour dont,
par exemple, les pressions de groupes d’intérêt externes, l’évolution des valeurs
sociales, l’émergence de nouvelles idéologies, la baisse de motivation pour le tra-
vail, la demande d’une transparence accrue, le changement des conditions de travail,
le maintien de l’emploi. L’ensemble de ces défis et l’importance croissante de nou-
veaux acteurs rendent les conditions de fonctionnement de l’entreprise plus com-
plexes et nécessitent leur prise en compte dans la formulation de la stratégie des
entreprises. Pour s’en persuader, il suffit d’observer la répartition du temps et des
ressources déployés par les directions générales des entreprises. Il n’est pas rare de
constater que 80 % des efforts fournis par ces directions sont consacrés à la résolu-
tion de ces nouveaux problèmes sans lesquels la plupart des décisions économiques
se trouveraient bloquées.

Section
3 Analyse de la concurrence
M. Porter1 considère que les conditions de concurrence au sein d’un secteur
dépendent de plusieurs forces (voir figure 5.2). Parmi ces forces, il y a, bien entendu,
les firmes en concurrence au sein du secteur, mais aussi un certain nombre d’autres
éléments que nous avons déjà en partie abordés, à savoir les clients, les fournisseurs,
les produits de substitution, les entrants potentiels.
Par exemple, la nature des firmes en présence influe sur la stabilité de leurs posi-
tions. Plus nombreuses et similaires sont les entreprises, plus grande est l’instabilité
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de leurs situations respectives. Chacun essaie de prendre une part plus importante du
gâteau, se comparant de façon favorable à son voisin. De la même manière, une
croissance faible de l’industrie entraîne une lutte intense entre les firmes qui ne
peuvent se développer qu’au détriment des autres. D’autres facteurs vont également
jouer. Ainsi des coûts fixes et de frais de stockage élevés incitent les firmes à réduire
leur prix afin d’accroître leur volume de vente et minimiser de la sorte le poids de
ces coûts. De même, la nature des produits et des services soit renforce, soit amoin-
drit l’agressivité commerciale entre les concurrents. Moins les produits et les ser-
vices sont différenciés, plus la concurrence porte sur les prix, accroissant ainsi
l’instabilité du secteur.

1. Porter, op. cit.

83
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

Pouvoir des fournisseurs


(voir pouvoir des acheteurs)

Rivalité
Nouveaux concurrents
(équilibre,
(échelle, transfert, Substituts
croissance,
investissement, (obsolescence,
différenciation,
différenciation, coût de transfert,
capacité,
distribution, riposte)
barrières,
barrières légales)
coûts)

Pouvoir des acheteurs


(coût, différenciation, concentration,
coût de transfert, information, intégration)

D’après M. Porter, Choix stratégiques et concurrence,


Paris, Economica, 1982.

Figure 5.2 – Les cinq forces influençant les conditions concurrentielles

L’instabilité sectorielle est sujette à d’autres influences. Tout d’abord, l’augmenta-


tion des capacités de production entraîne des surcapacités et des pressions sur les
prix. Ensuite, l’importance des barrières de sortie freine le retrait du marché de
certaines entreprises contribuant ainsi à accroître l’intensité de la concurrence.
Enfin, dû à l’existence d’enjeux stratégiques, certaines firmes peuvent être prêtes à
sacrifier une rentabilité à court terme pour s’implanter sur un marché considéré
comme crucial.
Le tableau 5.3 ci-après récapitule les différentes questions à se poser pour évaluer
l’intensité de la rivalité entre firmes d’un même secteur.
La deuxième force qui exerce une influence sur l’intensité de la concurrence au
sein d’un secteur est le risque d’entrée de nouveaux concurrents. En effet, de nou-
veaux concurrents, s’ils entrent sur le marché, apportent généralement des capaci-
tés de production supplémentaires et une volonté de vendre leurs produits et
services. La conséquence immédiate de l’entrée de ces nouveaux concurrents est
un accroissement de l’agressivité commerciale entre les entreprises et une pression
sur les prix. Ce risque d’entrée sur le marché de nombreux concurrents doit être
évalué en fonction des barrières à l’entrée du secteur industriel et des mesures de

84
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

Tableau 5.3 – Intensité concurrentielle


Parmi les facteurs de l’environnement concurrentiel (concurrents) :
1. Quels sont ceux qui vont affecter vos profits ?
2. Comment pourriez-vous procéder pour en tirer le meilleur parti ?

Commentaires
Causes + –
Que peut-on faire pour s’en prémunir ?

Équilibre des forces


Oui : +
Non : –

Taux de croissance
Faible : +
Élevé : –

Coût fixe
Élevé : +
Faible : –

Accroissement des capacités


Par paliers importants : +
Par paliers faibles : –

Produits et services
Non différenciés : +
Différenciés : –

Barrières à la sortie
Élevées : +
Faibles : –

représailles que les entreprises attendent de la part des firmes déjà installées. Ces
mesures vont de la mise en œuvre d’actions commerciales agressives de diminu-
tion des prix, de publicité ou de promotion, à des contre-attaques sur le marché
même de ces nouveaux « entrants ». Si les barrières à l’entrée d’un secteur sont
élevées et si l’«  entrant  » potentiel s’attend à de fortes représailles, les risques
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché sont généralement faibles. Il en


va différemment dans le cas contraire. Par exemple, si l’arrivée sur le marché
français de constructeurs auto­mobiles japonais a été freinée, ceci est dû à l’exis-
tence d’une barrière majeure à l­’entrée : le « quota » d’importation. Cette barrière
a limité ainsi l’accroissement de l’intensité de la concurrence entre firmes. Si cette
barrière avait été supprimée, on aurait pu vraisemblablement assister à des luttes
spectaculaires sur les prix, les produits et les services offerts par les différentes
firmes d’automobiles.
Le tableau 5.4 résume l’ensemble des questions à se poser pour évaluer la menace
d’entrée de nouveaux concurrents.

85
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

Tableau 5.4 – Menace des entrants potentiels


Parmi les facteurs de l’environnement concurrentiel (nouveaux entrants) :
1. Quels sont ceux qui vont affecter vos profits ?
2. Comment pourriez-vous procéder pour en tirer le meilleur parti ?

Commentaires
Barrières + –
Que peut-on faire pour accroître les barrières ?
Économie d’échelle
Inexistante : +
Importante : –

« Ticket d’entrée »
Faible : +
Important : –

Difficulté et coût de changement


de fournisseur
Faible difficulté : +
Grande difficulté : –

Effet d’expérience
Faible : +
Important : –

Technologie
Facilement imitable : +
Difficilement imitable : –

Possession de ressources rares


Non : +
Oui : –

Accès au réseau de distribution


Aisé : +
Difficile : –

Phénomène de réputation
Faible : +
Important : –

Tradition de mesures de rétorsion


(commerciale, stratégique, etc.)
Faible rétorsion : +
Forte rétorsion : –

La troisième force, qui exerce une grande influence sur l’intensité de la concur-
rence au sein d’un secteur industriel, est le risque de substitution. Chaque entreprise
dans une industrie est en concurrence, au sens large, avec des entreprises d’autres
secteurs. Par exemple, la concurrence entre la SNCF, par l’intermédiaire du TGV et
Air France sur nombre de lignes intérieures, illustre bien cette notion de produit de
substitution. Tant que les deux services étaient suffisamment différenciés, l’intensité
concurrentielle était faible. Le train mettant le centre de Paris à deux heures du
centre de Lyon, et à trois heures de Marseille Air France est confronté à une intensité
concurrentielle beaucoup plus forte.

86
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

Le tableau 5.5 résume l’ensemble des questions à se poser pour évaluer la menace
de substituts.

Tableau 5.5 – Menace des substituts (directe, indirecte, abandon)


Parmi les facteurs de l’environnement concurrentiel (substituts) :
1. Quels sont ceux qui vont affecter vos profits ?
2. Comment pourriez-vous procéder pour en tirer le meilleur parti ?

Commentaires
Base de la menace + –
Que peut-on faire pour réduire cette menace ?

Risque d’obsolescence
Élevé : +
Forte : –

Coût de transfert
Faible : +
Forte : –

Puissance des entreprises à l’origine


du substitut
Grande : +
Faible : –

Capacité de riposte des entreprises


de l’industrie
Faible : +
Forte : –

La quatrième force est le pouvoir de la clientèle. Les clients pèsent sur la nature
de la concurrence au sein d’un secteur industriel en forçant les prix à la baisse, en
faisant jouer les firmes les unes contre les autres, en réclamant de meilleurs produits.
Leur aptitude à influencer les firmes en concurrence dépend de plusieurs facteurs :
le premier est leur degré de concentration. Plus les clients sont concentrés et plus
vive est la concurrence entre les firmes du secteur. Il leur est, en effet, facile de faire
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

jouer les entreprises (leurs fournisseurs) les unes contre les autres ; puisqu’ils auront
peu de marge de manœuvre en termes de possibilités de nouveaux marchés. Le deu-
xième facteur est l’importance des achats, en termes de coûts, faits à l’industrie par
les clients. Plus ces achats sont importants, plus la recherche du meilleur prix incite
les clients à mettre leurs fournisseurs en concurrence. Le troisième facteur est la
différenciation des produits et le coût de passage, pour les clients, d’un fournisseur
à un autre. Plus les produits sont différenciés, plus le coût de passage d’une entre-
prise à une autre est élevé et moins grande sera la lutte entre concurrents pour attirer
chez eux le client convoité. Le quatrième facteur est la menace d’intégration. La
menace d’intégration verticale en amont, exercée par le client, a un effet dépressif
sur les prix et les marges. Devant ce risque, les entreprises essaient de dissuader leur
clientèle de mettre en œuvre cette stratégie d’intégration en offrant des conditions
commerciales attractives en termes de prix et de service. Ceci a pour conséquence

87
  Chapitre 5  ■ Analyse de l’environnement concurrentiel

une baisse des marges et des profits. Le pouvoir des clients est bien illustré par les
centrales d’achat des grandes surfaces de distribution qui imposent, plus qu’elles ne
subissent, une loi à des producteurs généralement nombreux et dispersés.
Enfin, la dernière et cinquième force qui s’exerce sur les entreprises en concur-
rence est le pouvoir des fournisseurs. Des fournisseurs puissants, c’est-à-dire
concentrés, vendant des produits différenciés et difficilement substituables, faisant
peser un risque d’intégration verticale aval, exercent des pressions sur l’industrie
cliente. Cette pression se manifeste, par exemple, par des augmentations de prix ou
par des modifications de la nature et de la qualité des produits et services fournis
Les tableaux 5.6 et 5.7 résument l’ensemble des questions à se poser pour évaluer
le pouvoir des clients et des fournisseurs.

Tableau 5.6 – Pouvoir des clients


Parmi les facteurs de l’environnement concurrentiel (clients) :
1. Quels sont ceux qui vont affecter vos profits ?
2. Comment pourriez-vous procéder pour en tirer le meilleur parti ?

Commentaires
Base du pouvoir + –
Que peut-on faire pour réduire ce pouvoir ?

Concentration des clients


Concentration élevée : +
Concentration faible : –

Importance des achats


dans le coût global des clients
Grande importance : +
Faible importance : –

Facilité pour le client de changer


de fournisseur
Facile : +
Difficile : –

Risque d’intégration amont


(du client vers son fournisseur)
Risque élevé : +
Risque faible : –

Offre des fournisseurs indifférenciée


Offre standard : +
Offre différenciée : -

Nombre de fournisseurs
Grand nombre : +
Petit nombre : –

88
Analyse de l’environnement concurrentiel  ■  Chapitre 5

Tableau 5.7 – Pouvoir des fournisseurs


Parmi les facteurs de l’environnement concurrentiel (fournisseurs)
1. Quels sont ceux qui vont affecter vos profits ?
2. Comment pourriez-vous procéder pour en tirer le meilleur parti ?

Commentaires
Base du pouvoir + –
Que peut-on faire pour réduire ce pouvoir ?

Concentration des fournisseurs


Forte concentration : +
Faible concentration : –

Existence d’une offre différenciée


Forte différenciation : +
Faible différenciation : –

Difficulté de changement de fournisseur


Grande difficulté : +
Faible difficulté : –

Risque d’intégration aval


vers le client
Risque important : +
Risque faible : –

Nombre des clients


Nombre élevé : +
Faible nombre : –

L’identification des cinq forces permet à l’entreprise d’avoir une vision d’en-
semble des acteurs d’un secteur et d’anticiper leur impact potentiel sur la profitabi-
lité des entreprises en présence. À partir de cette vision d’ensemble, la question à
laquelle l’entreprise doit répondre est de trouver ce qu’il faut faire pour réussir.
Comment peut-elle mieux que les autres firmes en présence tirer son épingle du
jeu ? Par exemple, y a-t-il des moyens de se protéger contre un pouvoir trop impor-
tant des clients ou bien de celui des fournisseurs ? Ou bien encore, comment dissua-
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der des entrants potentiels à pénétrer sur le marché ? Les réponses à ces questions
sont multiples et il n’existe pas de solution unique à ces problèmes. En revanche,
l’identification du problème est une étape cruciale que l’analyse concurrentielle
permet de franchir.
La stratégie est faite d’anticipations et de réactions. Elle est par définition dyna-
mique. Aussi, une évaluation des forces respectives en présence, des objectifs impli-
cites poursuivis par les concurrents et des hypothèses qu’ils ont retenues quant à
l’évolution de leur situation donne une indication supplémentaire sur la dynamique
concurrentielle d’un secteur. L’analyse de ces éléments permet d’anticiper les
actions que les concurrents pourraient entreprendre et par conséquent de s’y prépa-
rer. Elle permet également la mise en évidence des facteurs clés de succès (FCS),
c’est-à-dire ce qu’il faut faire pour réussir dans un secteur.

89
Chapitre
Segmentation
6 et groupes
stratégiques

OBJECTIFS
 Comprendre la raison d’être d’une segmentation stratégique.
 Identifier les critères d’une segmentation stratégique.
 Savoir identifier les différents groupes stratégiques présents.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Les critères de segmentation stratégique
Sec­­tion 2   Centre d’activités stratégiques et organisation
Sec­­tion 3   Les groupes stratégiques
  Chapitre 6  ■ Segmentation et groupes stratégiques

L ’analyse stratégique est l’une des étapes les plus importantes du processus de
formulation de la stratégie. C’est grâce à ce diagnostic que le choix de la stratégie
va pouvoir s’effectuer et que des orientations possibles seront définies (voir figure 6.1).
Toutefois, parler de l’analyse stratégique d’une organisation, sans définir plus
précisément ce que cette dernière recouvre, n’a pas de sens. En effet, les entreprises
mono-produit mises à part, les conditions concurrentielles, les marchés, les techno-
logies, les concurrents vont être différents selon les activités de la firme. Par
exemple, un groupe de presse peut publier plusieurs magazines destinés à des clien-
tèles diverses et pour lesquels tant les concurrents que les annonceurs sont diffé-
rents. Une société d’ingénierie peut être en concurrence sur plusieurs marchés avec
des firmes différentes pour la construction de divers types d’usines, usine de produc-
tion d’engrais ou usine de fabrication de plastique. Dans chacun des cas, les
­marchés, les produits, les conditions de concurrence, l’évolution de la demande
varient comme elles varient pour des entreprises encore plus diversifiées telles que
Thales, 3M, la General Electric ou bien encore Google.

Segmentation stratégique

Identification des groupes


stratégiques

Analyse
Analyse
des caractéristiques
des capacités stratégiques
de l’environnement
des Centres d’activités
des Centres d’activités
stratégiques
stratégiques

Orientations stratégiques
possibles par Centres
d’activités stratégiques

Figure 6.1 – L’analyse stratégique et la détermination des orientations


stratégiques possibles

Afin de prendre en compte la diversité des conditions stratégiques particulières des


activités de l’entreprise, sans être submergé par un nombre trop important de situa-
tions différentes, des choix et des regroupements doivent être faits. Il va falloir ainsi

92
Segmentation et groupes stratégiques   ■  Chapitre 6

déterminer la base d’analyse qui fera l’objet de l’évaluation. Par exemple, si Renault
est l’objet d’un diagnostic stratégique, il est nécessaire d’affiner ce que l’on entend
par Renault. S’agit-il de l’ensemble de l’entreprise ? Ou bien doit-on descendre à un
niveau d’analyse plus fin tel que la voiture familiale Espace, la voiture de ville éco-
nomique Twingo, la berline Laguna, le véhicule utilitaire Master, le véhicule élec-
trique Zoé ?
Selon le niveau d’analyse retenu, des choix stratégiques différents vont être faits. De
même, ce niveau d’analyse va soit faciliter, soit empêcher une comparaison avec la
concurrence ainsi qu’une identification des facteurs clés de succès sur lesquels repose
la réussite des actions qui vont être mises en œuvre. L’une des premières tâches est
donc de choisir un niveau adéquat d’analyse. C’est ce que nous appellerons la segmen-
tation stratégique des activités en centre d’activités stratégiques ou CAS1. Ces CAS
servent de base, par la suite, à l’évaluation des capacités de l’entreprise ainsi qu’à un
diagnostic de l’évolution de son environnement. En d’autres termes, chaque CAS fait
l’objet d’un audit interne, puis d’un audit externe. À l’issue des deux audits, il est
possible de déterminer les orientations stratégiques possibles pour chaque CAS.
La segmentation stratégique est ainsi l’une des étapes les plus critiques et les
plus difficiles dans l’élaboration d’une stratégie. De cette segmentation dépendent,
d’une part, une identification des concurrents ainsi qu’une prise en compte des
attentes spécifiques du marché, d’autre part, un choix de stratégies adaptées au
segment ainsi défini et, enfin, une formulation des politiques fonctionnelles
accompagnée de la structure organisationnelle qui permettra la mise en œuvre de
la stratégie sélectionnée.

Section
1 Les critères de segmentation stratégique
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La définition des CAS, objet de la segmentation stratégique, peut être faite selon
deux perspectives. La première est celle du marché, la seconde celle du produit.
Dans cet esprit, on peut remarquer, tout d’abord, que les deux définitions du produit
et du marché s’articulent autour de trois dimensions (voir figure 6.2).
La première dimension est le type de clientèle concernée. Cette clientèle peut être
définie en termes de localisations géographiques ; comme Paris, la France, l’Europe
du Nord. Elle peut aussi être définie en termes de critères socio-démographiques ;
par exemple, les jeunes ménages de 25 à 35 ans, dont le revenu annuel est supérieur
à 30 000 euros.

1.  Le terme anglo-saxon pour « CAS » est Strategic Business Unit (SBU). Un autre terme est aussi parfois uti-
lisé : le domaine d’activités stratégiques (DAS).

93
  Chapitre 6  ■ Segmentation et groupes stratégiques

La deuxième dimension est le besoin satisfait. Quelle est la fonction remplie ou le


besoin satisfait par le produit ? À quoi sert-il ? Par exemple, le micro-ordinateur peut
être présenté, d’une part, comme remplissant une fonction d’aide à la gestion quoti-
dienne (tenir un budget, faire ses achats, trouver de l’information sur Internet), ou
ayant une fonction ludique (jouer aux échecs ou à la conquête spatiale) et, d’autre
part, comme étant un outil scientifique et de gestion.
La dernière dimension est la manière dont la fonction est assurée. Il s’agit de la
technologie utilisée afin de remplir la fonction. Ainsi, un fabricant de montres aura
le choix entre une technologie mécanique, électrique, à quartz, à affichage numé-
rique, à affichage digital.
Les CAS peuvent être définis à partir de ces trois dimensions de clientèle servie,
de fonction ou de besoin satisfait, de technologie utilisée.

« Clientèle »
A
Marché
global

Marché Besoin Besoins


local unique diversifiés

« Besoin »
Technologie
simple
Technologie
complexe
B

« Technologie »

Figure 6.2 – Les trois dimensions définissant un CAS

Toutefois, la définition des CAS peut être différente selon les concurrents. Sur
la figure 6.2, trois concurrents A, B, C sont représentés. Chacun d’eux a fait des
choix de CAS différents. Le concurrent A, par exemple, a choisi un CAS compre-
nant un produit simple, répondant à des besoins diversifiés pour une clientèle
mondiale. Le concurrent  B a opté pour un CAS correspondant à un produit de
technologie complexe, visant un marché local et répondant à un besoin précis et
unique. Le concurrent  C, enfin, a choisi un CAS caractérisé par un produit de
technologie complexe, répondant à des besoins multiples et ouvert au marché
mondial.

94
Segmentation et groupes stratégiques   ■  Chapitre 6

Afin d’illustrer l’exemple de la figure 6.2, prenons le cas de trois fabricants de


montres. Le premier définit son CAS comme étant la montre pour le marché fran-
çais. Pour le second, le CAS est la montre à bas prix, qui donne l’heure, destinée à
un marché de jeunes à l’échelle mondiale. Enfin, le CAS du troisième est défini
comme étant la montre cadeau, haut de gamme, pouvant être considérée comme un
objet de luxe, destinée à un marché international de consommateurs à revenus éle-
vés. Cet exemple illustre la diversité qui peut exister entre concurrents empêchant,
si l’on n’y prend garde, une comparaison fiable de la capacité stratégique des entre-
prises.
Pour le premier fabricant, l’étendue du CAS est très grande. Alors que, pour les
deux autres, une segmentation plus fine est adoptée. Dans ces circonstances, il n’est
pas possible d’utiliser la même base d’évaluation pour les trois CAS. En effet, d’une
part, l’environnement concurrentiel est différent, d’autre part, les compétences stra-
tégiques requises et la structure de coût ne sont pas similaires.

Même s’il n’existe aucune confusion sur la fonction et la technologie du produit, la


délimitation de la clientèle visée demeure un problème. Selon la définition de la clien-
tèle, la perception des capacités stratégiques du CAS va être différente. Dans la pre-
mière situation – montre pour le marché français –, l’évaluation est faite en termes de
performance sur un marché donné. L’importance du réseau de distribution, l’image, le
service à la clientèle, l’adaptation du produit aux conditions locales sont des variables
prédominantes. Dans la deuxième situation – montre à bas prix pour une clientèle
mondiale – l’évaluation peut être faite en termes de coûts du produit. En effet, l’expé-
rience et l’apprentissage associés à la fabrication d’un produit donné pèsent d’un poids
important sur la structure des coûts. La domination du marché mondial par les moto-
cycles japonais, facilitée par un avantage en termes de coûts de production est une
autre illustration de cette situation. Dans cette dernière situation, où la stratégie est
fondée sur un avantage de coût, une délimitation large du marché est nécessaire.
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Déjà complexe lorsqu’une clientèle différenciée est prise en compte, le problème


de définition des CAS se complique plus encore lorsque la dimension technologique
est abordée. Par exemple, dans le domaine du chauffage domestique, trois technolo-
gies1 sont en concurrence l’électricité, le chauffage au fioul et le chauffage au gaz.
Dans ces circonstances, une segmentation de l’activité chauffage ignorant délibéré-
ment cette donnée technologique est totalement irréaliste et ne permet pas d’appré-
cier la position d’un CAS qui recouvrirait plusieurs procédés. Il est, en effet,
impossible de prendre en compte l’existence de structures de coûts différentes asso-
ciées à des techniques non comparables. L’expérience montre malheureusement
qu’en maintes circonstances, aucune distinction de cette nature n’est faite. La

1.  D’autres technologies, pompe à chaleur, géothermie, énergie solaire… existent bien entendu, mais elles sont
encore peu répandues.

95
  Chapitre 6  ■ Segmentation et groupes stratégiques

définition des produits est très souvent arbitraire et correspond rarement à une ana-
lyse précise des caractéristiques et des contraintes stratégiques auxquelles une acti-
vité peut être soumise.
Les différents exemples ci-dessus nous montrent la complexité de la segmentation
stratégique. À vouloir trop intégrer les différentes dimensions technologiques, pro-
duits et marchés, on aboutit rapidement à une construction trop complexe pour être
utile. Il convient donc de revenir à nos deux critères initiaux, le marché et le produit
et de ne retenir dans notre segmentation que les dimensions pertinentes de ces deux
critères, par rapport à l’entreprise :
• Le marché et ses exigences : quelle est la nature de la demande issue de ce mar-
ché  ? À quelle fonction l’activité doit-elle répondre  ? Quelle est la nature de la
concurrence et la politique de marketing mise en œuvre par cette dernière, en
termes de distribution, de prix, de publicité ? La réponse à ces différentes ques-
tions permet de mesurer les spécificités et les similitudes des différents marchés
dans lesquels l’entreprise est présente. Elle permet donc de regrouper les différents
marchés, géographiques et sectoriels entre eux. Pour reprendre l’exemple des
micro-ordinateurs, évoqué précédemment, un même produit pourra s’adresser à
des segments de marché différents. Le cas du Mac d’Apple est révélateur. Ce
micro-ordinateur peut aussi bien s’adresser à des particuliers qu’à des consultants
ou à des établissements de formation. Le comportement et la nature de la concur-
rence, sur chacun de ces sous-marchés, étant différents, des actions différenciées
doivent être entreprises afin de toucher la clientèle de la manière la plus efficace
possible et répondre, au mieux, aux stratégies développées par les firmes concur-
rentes.
• Le produit et ses caractéristiques : quelle est la structure de coûts du produit ? Sur
quelle base technologique le produit repose-t-il  ? Si des produits similaires
­s’appuyant sur des technologies identiques et possédant une même structure de
coûts existent, le regroupement de ces derniers pourra se faire. Si, en revanche, les
technologies sur lesquelles reposent les produits et les coûts qui leur sont associés
sont différentes, il sera nécessaire de prendre chacun des produits séparément.
Pour reprendre un cas précédemment évoqué, les modes de chauffage utilisant des
technologies différentes doivent être séparés ; les prix de vente et les structures de
coûts étant différents1.
En conclusion, la segmentation stratégique, étape nécessaire dans la phase de dia-
gnostic d’une situation d’entreprise, va, dans un premier temps, permettre l’identifi-
cation de couples « produits-marchés ». Les deux dimensions associées, d’une part
au produit (technologie, coût), d’autre part au marché (clientèle, besoin) servent
ainsi de guide de segmentation. Dans un deuxième temps, il s’agit de regrouper les

1.  Ces technologies différentes et les produits qui en découlent sont bien évidemment évalués lors de l’analyse
de la concurrence et plus précisément lors de l’analyse des produits substituts.

96
Segmentation et groupes stratégiques   ■  Chapitre 6

différents couples produits-marchés de l’entreprise en centres d’activités straté-


giques qui seront homogènes en termes de comportements et d’attentes des clients,
de concurrents, de structure de coûts et de technologie.
Pour reprendre le cas de Renault, on aura par exemple un CAS pour la voiture de
ville, un CAS pour la voiture familiale, un CAS pour le véhicule utilitaire. Cette
segmentation permet de bien prendre en compte des comportements stratégiques
différents, répondant à des conditions concurrentielles et des attentes du marché
différenciées. De même, l’identification de technologies et de structures de coûts
homogènes facilite l’évaluation de capacités compétitives comparables sans les-
quelles aucune appréciation réaliste des forces en présence ne pourrait être réalisée.

Section
2  entre d’activités stratégiques
C
et organisation
La détermination des CAS, au-delà de la difficulté d’isoler des marchés et des pro-
duits homogènes, se heurte à d’autres problèmes. Parmi ces derniers, celui de la rigi-
dité organisationnelle est l’un des plus importants. En effet, traditionnellement certains
produits sont associés à des départements bien spécifiques et ce, souvent du fait du
hasard ou de l’histoire de l’entreprise. Dans le cadre d’une réflexion stratégique, il est
possible que les CAS, qui ont pu être identifiés, ne recouvrent pas le cadre structurel
existant mais chevauchent plusieurs entités organisationnelles différentes. Dans ces
conditions, des confusions, des conflits, des blocages peuvent se produire et freiner ou
même aller à l’encontre de la mise en œuvre de la stratégie développée pour chacun
des centres d’activités stratégiques. Un tel problème ne doit, cependant, pas servir de
prétexte à une réduction de l’effort de réflexion nécessaire à l’identification des CAS.
Il ne doit pas non plus être éludé, mais au contraire être abordé afin de procéder aux
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modifications organisationnelles éventuellement nécessaires.


Les changements organisationnels ne sont certes pas faciles puisque des luttes
entre services peuvent se produire. Ces luttes ont pour origine la volonté de
conserver au sein d’un département les produits rentables et prestigieux ou de lui
voir maintenir une certaine influence ou un quelconque pouvoir. Toutefois, les
modifications de structures étant longues et difficiles à réaliser, des responsables
de CAS sont parfois nommés afin de s’occuper de la formulation de la stratégie et
de la mise en œuvre coordonnée des actions nécessaires à la réalisation des objec-
tifs. Cette solution, adoptée par certaines entreprises, présente néanmoins, plu-
sieurs difficultés. Il existe, tout d’abord, un problème de choix et de compétences
des responsables de CAS. De la qualité de ces responsables dépend la pertinence
des analyses qui sont effectuées et la justesse des stratégies qui sont mises en
œuvre. Ensuite, le responsable de CAS se trouve face à un problème de

97
  Chapitre 6  ■ Segmentation et groupes stratégiques

communication et de coordination entre départements. Sans coordination des uni-


tés opérationnelles, les actions proposées n’entraînent que des résultats médiocres
issus d’un ensemble d’efforts désordonnés. Enfin, il y a le problème du pouvoir
limité dont peuvent souffrir les responsables de CAS. Étant, en général, hors des
voies hiérarchiques, ces responsables ne peuvent imposer leurs décisions. Leur
influence et leur capacité de conviction sont les seuls moyens dont ils disposent
afin de mener à bien leur tâche.
De la qualité de la segmentation stratégique dépendent l’efficacité et la pertinence
d’un grand nombre d’analyses et de choix. La segmentation permet également de
déterminer quels sont les concurrents directs de l’entreprise et quels sont ceux qui
interviennent dans les mêmes segments stratégiques. Afin de compléter cette néces-
saire identification des concurrents, un autre concept est fréquemment utilisé celui
de groupes stratégiques.

Section
3 Les groupes stratégiques

Lors de l’analyse des firmes en présence, il est particulièrement important


d’identifier les entreprises qui ont adopté un même type de stratégie. En effet, les
stratégies des firmes peuvent différer en termes de spécialisation, de canaux de
distribution, de technologie, de degré d’intégration, de service, de politique de
prix. Ainsi, Porsche, BMW, Rolls-Royce, Renault, Fiat et Tesla ont des stratégies
différentes au sein du secteur automobile et s’adressent à des segments de clientèle
différents. Aucun acheteur n’a jamais hésité entre l’achat d’une Porsche et celui
d’une Dacia. Ces deux entreprises ne sont pas concurrentes et Dacia n’a pas un
intérêt particulier à analyser les atouts de Porsche ou à faire une analyse compa-
rative de ses processus de fabrication.
Il existe ainsi des groupes stratégiques différents dans toute industrie. Les entre-
prises ayant recours au même type de stratégie font partie du même « groupe straté-
gique ». Celles, dont les stratégies sont différentes, combattent dans des groupes
stratégiques séparés. On peut ainsi définir un groupe stratégique comme l’ensemble
des concurrents dont les caractéristiques stratégiques sont similaires, qui suivent des
stratégies comparables ou qui s’appuient sur les mêmes facteurs de compétitivité.
En règle générale, la concurrence au sein d’un même groupe stratégique est plus
intense que la concurrence entre les groupes. Chacun des concurrents présents dans
un groupe stratégique donné met en œuvre une stratégie comparable et s’adresse aux
mêmes acheteurs que ses concurrents directs. En conséquence, toute augmentation
du volume de ventes d’un concurrent s’effectue majoritairement au détriment de la
part de marché des entreprises présentes dans le même groupe stratégique. Pour

98
Segmentation et groupes stratégiques   ■  Chapitre 6

reprendre notre exemple automobile, l’augmentation de la part de marché de


Porsche s’effectue :
––principalement au détriment de Ferrari, Lamborghini, Aston-Martin et Lotus ;
––marginalement aux dépens des modèles sportifs des spécialistes du haut de gamme
(Audi, BMW, Mercedes, Lexus…).
Il est néanmoins quasi certain que les ventes de Dacia ne sont pas affectées par les
actions menées par Porsche.
Chaque groupe stratégique connaît des succès divers au sein de l’industrie où il se
trouve, les choix stratégiques faits par les firmes étant plus ou moins adaptés aux cir-
constances du moment. Pour cette raison, les entreprises d’un groupe connaissant un
succès mitigé auront tendance à vouloir passer à un autre groupe dont les stratégies
sont perçues comme plus performantes. Bien entendu, ce passage n’est pas facile. Des
freins et des barrières à la mobilité existent tels que l’existence de produits différen-
ciés, le coût de passage élevé d’un fournisseur à un autre, l’accès limité aux canaux de
distribution, sans compter la difficile remise en cause d’une stratégie précédemment
adoptée. Si ces freins n’existaient pas, on observerait un ballet incessant d’entreprises
malchanceuses tentant d’imiter celles de groupes stratégiques voisins qui connaissent
un grand succès. À titre d’exemple, on peut citer le cas de la distribution alimentaire
en France où le groupe stratégique des épiciers composé de magasins indépendants ou
de chaînes succursalistes est en déclin lent mais régulier depuis des années. Il ne doit
sa survie qu’à sa proximité avec la clientèle et sa capacité à offrir des services (horaires
d’ouverture, livraisons à domicile…). Le groupe stratégique des hypermarchés
(Auchan, Carrefour…) est dominant et cherche à augmenter son chiffre d’affaires en
proposant de nouveaux produits, services et modes de distribution produits blancs et
bruns, vêtement, services non marchands (assurance, voyages, crédit…), supérettes,
vente via Internet, drive. Enfin, le groupe stratégique des hard-discounters (Lidl, Aldi,
Leader Price…), pour certains d’entre eux associés aux hypermarchés, est aujourd’hui
en pleine croissance avec une offre réduite (peu de références par catégorie), un prix
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faible et une proximité géographique.


La concurrence au sein d’un groupe d’entreprises ayant adopté le même type de
stratégie va se faire sur la base d’éléments essentiellement tactiques comme la qua-
lité des produits, les conditions de financement, la nature du service, les coûts. En
revanche, la concurrence entre groupes stratégiques va être fondée sur les actions
stratégiques que les différentes entreprises peuvent entreprendre telles que l’élargis-
sement de la gamme des produits, le changement de canal de distribution, la modi-
fication des caractéristiques techniques.
Afin de bien comprendre la nature des enjeux stratégiques, l’analyse de la concur-
rence doit faire ressortir les différents groupes stratégiques présents dans une indus-
trie. Pour ce faire, une représentation graphique, donnant une « carte » des groupes
stratégiques, est d’une grande utilité. L’exemple ci-dessous présente les groupes
stratégiques présents sur le marché français des services financiers aux particuliers.

99
  Chapitre 6  ■ Segmentation et groupes stratégiques

Sept groupes stratégiques ont été représentés en fonction de deux dimensions choi-
sies pour leur pertinence degré de spécialisation et clientèle cible exprimée ici en
termes de niveau d’épargne financière. Dans chacun des sept groupes, les entreprises
sont en lutte sur une base similaire. Entre groupes, les stratégies diffèrent. Certaines
mettent l’accent sur la personnalisation des services, d’autres sur l’étendue de la
gamme des produits (voir figure 6.3).

Banques privées
OBC
Rothschild
Spécialistes Julius Baer
épargne B. du Louvre
500 KE clientèle aisée
Personal Spécialistes Spécialistes
Bankers paiement crédit Oddo
Épargne CCF, Barclays, Laffite Inv.
financière certaines American AXA
banques Express AGF
de détail Cetelem ...
100 KE Dinners
club Sofinco Spécialiste
Banques épargne
de détail grand public
Cofidis
Crédit
Agricole, AXA
Crédit Mutuel, AGF
BNP, SG... ...

Paiement Crédit Épargne Patrimoine

Généralistes Spécialistes

Figure 6.3 – Les groupes stratégiques présents dans le secteur des services


financiers aux particuliers en France
Cet exemple met en évidence l’importance pour une entreprise de se situer par
rapport à ses véritables concurrents et d’anticiper les menaces majeures que les uns
et les autres peuvent faire peser. Ces menaces sont particulièrement importantes lors
du changement stratégique d’une firme visant à passer dans un nouveau groupe,
accentuant ainsi l’intensité de la concurrence au sein de ce dernier. Dans le secteur
automobile, le passage de VAG du groupe des constructeurs généralistes à celui des
constructeurs haut de gamme, avec la montée en gamme d’Audi, le rachat de Bent-
ley et la « re-création » de Bugatti fait peser une menace importante sur le groupe des
firmes spécialisées dans le haut de gamme (BMW, Mercedes, Jaguar…). De même,
les lancements du X5 par BMW, du ML par Mercedes, du XC 90 par Volvo, du RX
300 par Lexus et du Touareg par Volkswagen ont fortement réduit la part de marché
de Range Rover, auparavant seul acteur du secteur des 4 × 4 de luxe.
La constitution des groupes stratégiques est effectuée en utilisant des caractéris-
tiques de l’industrie stratégiquement déterminantes. Le choix de ces caractéristiques

100
Segmentation et groupes stratégiques   ■  Chapitre 6

doit prendre en compte l’historique et les grands enjeux du secteur, les technologies
et structures de coûts associées ou les différentes stratégies mises en œuvre. À l’ins-
tar de toute classification, l’objectif est de retenir les critères qui minimisent les
différences au sein des groupes mais qui maximisent ces dernières entre les groupes
eux-mêmes. Une liste des critères les plus fréquemment utilisés est présentée dans
le tableau 6.1.
Dans le cadre de l’industrie des services financiers aux particuliers, les deux cri-
tères déterminants sont le niveau d’épargne financière des clients et la spécialisation
de la gamme de produits autour des quatre grands métiers du secteur (paiement,
crédit, épargne et gestion de patrimoine). Ces deux critères permettent de créer des
groupes stratégiques cohérents en termes d’approche stratégique de gamme de pro-
duits et de clientèle cible. Il est important de noter que les grandes entreprises,
banques de détail, dans notre exemple, sont souvent en concurrence, du fait de la
diversité de leurs activités, avec plusieurs groupes stratégiques. La Société Générale,
classée dans le groupe stratégique des banques de détail, a des activités de paiement
via sa carte Visa ou Visa Premier, des activités de crédit à l’instar de Cofidis, des
activités d’épargne et des activités de gestion de patrimoine. Elle est donc en concur-
rence, directement ou indirectement avec l’ensemble des groupes stratégiques. Il
n’en demeure pas moins que ses principaux concurrents sont les autres banques de
détail et au premier rang d’entre elles, pour de raisons historiques d’offre publique
d’achat ratée par deux fois, la BNP. Cet exemple montre également que groupes
stratégiques et segments stratégiques ne se recoupent pas forcément. Pour la Banque
du Louvre ou la Banque Rothschild, groupe stratégique et segment stratégique sont
confondus, alors que la Société Générale, membre du groupe stratégique des
banques de détails a probablement défini en interne différents CAS intégrant la ges-
tion de patrimoine, l’épargne ou le crédit.

Tableau 6.1 – Exemples de critères de constitution des groupes stratégiques


Principaux critères de constitution des groupes stratégiques
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–– Spécialisation/généraliste –– Effort de R & D


–– Canaux de distribution –– Taille
–– Technologies utilisées –– Étendue de la gamme de produits/services
–– Degré d’intégration –– Présence locale/globale
–– Politique de prix –– Taux d’utilisation des équipements industriels
–– Structure de coûts –– Capacités de financement
–– Effort marketing (budgets publicitaires, –– Qualité/performance des produits.
taille et rôle de la force de vente, etc.)

L’analyse des groupes stratégiques offre une idée claire de la situation concurren-
tielle et permet l’analyse des firmes en concurrence. Elle permet également de
connaître les facteurs clés de succès de chacun des groupes stratégiques. Les facteurs
clés de succès sont les activités qu’une entreprise doit maîtriser pour maintenir sa
place au sein d’un groupe stratégique donné et s’efforcer de surpasser sa concurrence.

101
  Chapitre 6  ■ Segmentation et groupes stratégiques

Ils reposent sur des compétences fondamentales présentes dans les différentes fonc-
tions de l’organisation et sur la capacité de cette dernière à les mettre en œuvre au sein
de processus transverses. À titre d’exemple, la figure 6.4 ci-après présente les diffé-
rents facteurs clés de succès afférents aux différents groupes stratégiques présents dans
le secteur des services financiers aux particuliers. La maîtrise de ces facteurs clés de
succès offre une protection vis-à-vis des concurrents appartenant à d’autres groupes
stratégiques du même secteur en créant de véritables barrières à leur mobilité.
La constitution des groupes stratégiques et la segmentation stratégiques sont deux
analyses complémentaires qui s’enrichissent mutuellement. Le groupe stratégique
permet d’identifier les concurrents directs sur une majorité des activités de l’entreprise
alors que la segmentation stratégique permet une analyse plus fine et plus proche du
client, de ses besoins et de ses attentes.

Banquiers privés
• Image
• Stabilité
et fiscalité du
Épargne pays d’accueil
moyen/haut
500 KE Personal Spécialistes de gamme
Banking Spécialistes
paiement
• Image crédit
• Efficacité • Performance
Épargne de la force • Marketing produits
• Data mining
financière commerciale Direct
• Adéquation • Innovation • Image
client/offre/ • Data
et
canal mining
100 KE performance
Banques produits Épargne
de détail
grand public
• Adéquation • Maîtrise
client/offre/ des risques • Rendement
canal de la force
• Efficacité commerciale
de la force
commerciale • Marque

Paiement Crédit Épargne Patrimoine

Généralistes Spécialistes

Figure 6.4 – Les facteurs clés de succès dans le secteur des services financiers
aux particuliers

102
Chapitre
Analyse
7 des capacités
stratégiques

OBJECTIFS
 Comprendre ce que l’on entend par ressources stratégiques.
 Comment mettre en évidence les ressources stratégiques.
 Comment développer un avantage concurrentiel.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   L’audit des ressources
Sec­­tion 2   L’analyse des compétences
Sec­­tion 3   L’analyse de la chaîne de valeur
Sec­­tion 4   L’étalonnage
Sec­­tion 5   Durabilité de l’avantage
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

L ’analyse des capacités stratégiques ou audit interne d’une entreprise permet de


mettre en évidence ce qui fait ou pourrait faire la différence entre cette dernière
et ses concurrents. Cette analyse vise à rechercher les sources existantes ou poten-
tielles d’avantage concurrentiel. La recherche de l’avantage porte moins sur l’étude
des forces et des faiblesses de l’entreprise que sur ses atouts, ses capacités straté-
giques. Capacités stratégiques dont la mobilisation permet à l’entreprise de faire une
offre de valeur originale à ses clients qui soit moins chère ou meilleure que celle de
la concurrence.
L’analyse des capacités stratégiques d’une entreprise s’articule autour de quatre
tâches complémentaires :
1.  L’audit des ressources identifie l’ensemble des moyens, qu’ils soient tangibles,
par exemple les moyens physiques, financiers, humains, ou intangibles, tels que
la fidélité de la clientèle et l’image de marque  ; moyens disponibles tant en
interne qu’en externe et que l’entreprise peut utiliser pour mettre en œuvre ou
faire évoluer sa stratégie.
2.  L’analyse des compétences détermine les connaissances et les savoir-faire d’une
entreprise. Elle permet le développement d’avantages concurrentiels par l’utili-
sation de compétences rares dans la mobilisation des ressources.
3.  L’analyse de la chaîne de valeur a pour but de mettre en évidence les sources de
l’avantage concurrentiel qu’une entreprise possède ou pourrait développer. La
chaîne de valeur décrit de manière séquentielle l’ensemble des activités (concep-
tion, production, distribution, etc.) et des ressources qui leur sont associées, ainsi
que leur articulation, dont le but est de construire une offre de valeur aux clients
qui soit différente de celle de la concurrence (moins chère, meilleure ou les deux
à la fois).
4.  L’analyse financière et l’étalonnage, enfin, mettent en évidence la façon de mieux
positionner l’entreprise vis-à-vis de ses principaux concurrents en termes d’effica-
cité et d’efficience. L’ensemble de ces tâches permet de comprendre les sources de
l’avantage concurrentiel actuel d’une entreprise et d’identifier les bases sur les-
quelles elle pourrait les renforcer plus encore ou en créer de nouvelles.

Section
1 L’audit des ressources
L’audit consiste à passer en revue l’ensemble des ressources de l’entreprise. Ces
ressources sont réparties dans les différentes fonctions de l’entreprise. On analyse
ainsi le marketing, la production, la recherche et développement, la finance, les res-
sources humaines (voir tableau 7.1).

104
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

Les ressources au sein de ces fonctions sont de différentes natures. Elles peuvent
être physiques, humaines, financières, organisationnelles. Par exemple, le réseau de
distribution, les talents, la rentabilité, l’esprit d’équipe sont respectivement des res-
sources physiques, humaines, financières, organisationnelles. Certaines sont tan-
gibles comme le réseau de distribution et d’autres sont intangibles telles que l’esprit
d’équipe. Certaines sont uniques et peuvent procurer un avantage concurrentiel,
telles que la marque, d’autres sont génériques et sont (ou devraient être) possédées
par tous, par exemple, un outil de production performant.
Une fois la nature des ressources identifiée, il faut les évaluer. On les compare,
d’une part, aux ressources des concurrents, et, d’autre part, au profil stratégique
nécessité par les conditions de l’environnement. Par exemple, les tableaux 7.2a et
7.2b permettent de comparer le profil de l’activité CAS X de l’entreprise A, d’une
part, aux profils de deux autres concurrents (B et C) et, d’autre part, au profil requis
par les conditions de l’environnement. Il est important de raisonner ici en termes
relatifs et non en termes absolus. Ainsi, sur les tableaux 7.2a et b, un coût de fabri-
cation « faible » ne signifie pas que l’entreprise dispose d’un coût plus faible que ses
concurrents, mais qu’au contraire elle a une faiblesse sur ce critère (par exemple, un
coût plus élevé que celui de ses concurrents, un outil de production dépassé).

Tableau 7.1 – Analyse des ressources d’une entreprise*


–– La gamme des produits
–– La conception du produit
–– La qualité du produit
–– La part de marché
En marketing
–– La force de vente
–– La loyauté de la clientèle
–– La qualité et le coût de la distribution
–– Le réseau de distribution, etc.
–– La capacité de production
–– La qualité de fabrication
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

–– Le coût de fabrication
En production
–– Le délai de production
–– La localisation des unités de production
–– Les effets d’expérience et d’échelle, etc.
–– Le développement des produits
–– Les nouveaux produits
En recherche et développement
–– Le potentiel de recherche
–– L’existence de brevets, etc.
–– Le niveau d’endettement
–– Le niveau de profit
–– Les réserves
En finance
–– La capacité d’endettement
–– Les sources de financement
–– La liquidité, etc.

* Les rubriques du tableau associées à chaque fonction ne sont pas exhaustives. Elles ne sont données qu’à
titre indicatif.

105
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques


–– Les talents
–– La capacité d’attirer et de retenir un personnel de qualité
En ressources humaines –– La politique de promotion et de récompense
–– Le système de communication
–– Le mode de recrutement, etc.

–– La structure organisationnelle
–– Les procédures administratives
En organisation –– Les modes d’incitation et d’évaluation
–– Le processus de prise de décision
–– La flexibilité organisationnelle, etc.

* Les rubriques du tableau associées à chaque fonction ne sont pas exhaustives. Elles ne sont données qu’à titre
indicatif.

L’observation de ces tableaux permet de conclure que l’entreprise A est en posi-


tion défavorable sur l’ensemble de ses caractéristiques excepté les dimensions de
gamme des produits, de délai de fabrication et de disponibilité de fonds. De plus,
cette même entreprise ne semble pas posséder le profil idéal requis par l’environne-
ment (voir tableau 7.2b). Les deux autres concurrents, en particulier le concurrent C,
semblent mieux adaptés aux conditions de l’environnement. L’un des résultats de
cette analyse est que le CAS X de l’entreprise A dispose de capacités stratégiques
qui sont faibles par rapport à celles de la concurrence et qu’un effort important est
nécessaire si l’entreprise souhaite réduire l’écart existant entre ses capacités et les
exigences de l’environnement.
L’analyse des ressources permet également l’identification des atouts de l’entre-
prise, atouts qu’elle va chercher à mettre en avant dans sa stratégie (délai de fabri-
cation et étendue de la gamme de produits dans le cas de l’entreprise A).
L’audit des ressources, bien que nécessaire, présente l’inconvénient de ne pas
permettre une hiérarchisation des ressources en termes d’importance stratégique. De
fait, si cet audit permet de définir un niveau minimal de ressources exigé par l’envi-
ronnement lors de la comparaison des ressources internes avec les capacités requises
par l’environnement, cette analyse ne permet pas de définir quelles sont les res-
sources prioritaires ou les plus importantes sur le plan stratégique. En d’autres
termes, elle ne permet pas d’affirmer que, par exemple, la qualité des produits est
plus importante, pour ce secteur industriel, que la fidélité des clients. De même,
l’audit des ressources, lorsqu’elle s’effectue par Centre d’Activités Stratégiques, ne
permet pas la création d’une vision globale au niveau de l’organisation et obère ainsi
la capacité de transfert de ressources d’une entité à l’autre. Enfin, l’évaluation est
souvent subjective. Il peut ainsi arriver qu’une entreprise perçoive un atout là où il
n’y en a pas. Il convient donc de compléter l’audit des ressources par l’analyse des
compétences afin de déterminer plus précisément la réalité de ce qui peut faire une
différence et obtenir une évaluation plus fiable du potentiel réel des capacités straté-
giques d’une entreprise.

106
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

Tableau 7.2a – Comparaison des capacités concurrentielles du CAS X de la firme A


aux capacités de la concurrence
Concurrent A Concurrent B Concurrent C

Faible Moyen Fort

Marketing
• Étendue de la gamme de produits
• Qualité des produits
• Part de marché

Production
• Coût de fabrication
• Qualité de la production
• Délai de fabrication

Recherche et Développement
• Flux de nouveaux produits
• Potentiel de recherche

Finance
• Endettement
• Niveau des stocks
• Disponibilité de financement

Personnel
• Talents
• Capacité d’attirer et de retenir un
personnel de qualité
• Promotions et récompenses

Organisation
• Flexibilité
• Processus de décision
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107
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

Tableau 7.2b – Comparaison des capacités concurrentielles du CAS X


de la firme A aux capacités requises par l’environnement
Concurrent A Capacités requises

Faible Moyen Fort

Marketing
• Étendue de la gamme de produits
• Qualité des produits
• Part de marché

Production
• Coût de fabrication
• Qualité de la production
• Délai de fabrication

Recherche et Développement
• Flux de nouveaux produits
• Potentiel de recherche

Finance
• Endettement
• Niveau des stocks
• Disponibilité de financement

Personnel
• Talents
• Capacité d’attirer et de retenir un
personnel de qualité
• Promotions et récompenses

Organisation
• Flexibilité
• Processus de décision

Section
2 L’analyse des compétences
L’avantage concurrentiel d’une entreprise ne dépend pas uniquement des res-
sources dont elle dispose. Il dépend aussi du mode de déploiement de ces ressources
dans les différentes fonctions de l’entreprise et de leur articulation dans les proces-
sus transverses. Déploiement et articulation vont créer des compétences qui seront
comparables à celles des concurrents ou qui seront spécifiques à l’entreprise. Bien

108
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

entendu, seules les compétences spécifiques seront à même de créer un avantage.


Les compétences comparables permettront de demeurer sur un pied d’égalité.
Les compétences sont un savoir ou un savoir-faire que l’entreprise possède et
qu’elle sait utiliser dans le cadre de ses différentes activités, que ces dernières soient
transverses ou internes à une fonction. Les différentes compétences sont la consé-
quence directe des choix effectués par l’entreprise en termes d’investissements
matériels et immatériels, de son organisation et de sa gestion des ressources
humaines.
Il existe trois classes de compétences : les compétences additionnelles, les compé-
tences nécessaires et les compétences fondamentales : 
• Les compétences additionnelles sont liées à l’existence même d’une entreprise.
Elles sont souvent indépendantes du ou des secteurs d’activités dans lesquels
l’entreprise est présente. Toute entreprise doit, par exemple, réaliser chaque année
un bilan et un compte de résultat, elle doit donc disposer d’un minimum de com-
pétences en comptabilité. De même, toute organisation employant du personnel
doit disposer d’un minimum de compétences en droit social, droit du travail et
gestion de la paye. Les compétences additionnelles permettent la gestion de l’in-
frastructure de l’entreprise. Elles sont donc très largement répandues et elles ne
constituent que rarement une source d’avantage concurrentiel pour l’entreprise et
de création de valeur pour ses clients. Il est donc difficile de bâtir un avantage sur
des compétences additionnelles.
• Les compétences nécessaires sont directement fonction du ou des secteurs indus-
triels dans lesquels l’entreprise évolue. De fait, chaque secteur industriel demande
la maîtrise d’un certain nombre de compétences spécifiques à toutes les entreprises
qui souhaitent y exercer une activité. À titre d’exemple, le transport aérien ou
l’hôtellerie se caractérise par une offre fixe (un avion ou un hôtel dispose d’une
capacité maximale fixe de sièges ou de chambres), l’absence de possibilités de
stockage (une place d’avions ou une chambre non occupée ne peut être stockée et
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est définitivement perdue) et une structure de coûts déséquilibrée (les coûts fixes
sont disproportionnés par rapport aux coûts variables). De plus, ces deux indus-
tries doivent répondre à une demande extrêmement fluctuante (très forte saisonna-
lité). En conséquence, les entreprises de ces deux secteurs ont dû développer les
compétences nécessaires de « yield management » et de « revenue management »
qui leur permettent de maximiser les recettes et d’ajuster au mieux la demande à
l’offre par le biais d’une politique tarifaire complexe et fluctuante. En règle géné-
rale, l’ensemble des firmes présentes dans un secteur industriel donné possède les
compétences nécessaires spécifiques à ce secteur. Il peut certes exister des diffé-
rences en termes de maîtrise ou d’expertise sur ces compétences. Mais, à défaut
de posséder les compétences nécessaires à un secteur, une firme ne peut y envisa-
ger un avenir durable. Bien qu’elle participe à la création de valeur, tant pour
l’entreprise que pour le client, il est difficile de créer un avantage concurrentiel

109
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

durable à partir des compétences nécessaires. Même si les niveaux d’expertise


peuvent varier au sein de l’industrie, il n’en demeure pas moins que tous les
concurrents disposent des mêmes bases et peuvent donc développer rapidement
des stratégies d’imitation.
• Les compétences fondamentales sont des savoirs ou des savoir-faire que l’entre-
prise est la seule, ou parmi les rares, à maîtriser dans un secteur industriel donné.
Selon Hamel et Prahalad1, les compétences fondamentales proviennent de l’inté-
gration de multiples technologies et de la coordination de différents « talents ».
À titre d’exemple, la compétence de Sony dans la miniaturisation électronique ou
celle de Dell dans la maîtrise des processus de « build to order » constituent des
compétences fondamentales. Pour mériter le qualificatif de fondamentale, une
compétence doit présenter les trois caractéristiques suivantes :
–– être utilisable dans différentes activités et secteurs industriels ;
–– contribuer significativement à la création de valeur pour le client ;
–– être distinctive et difficile à imiter par les concurrents.
• Du fait de leurs caractéristiques, l’identification des compétences fondamentales
d’une entreprise n’est pas une tâche aisée. Il est pourtant vital qu’une entreprise
connaisse ses compétences fondamentales car un avantage concurrentiel basé sur
une compétence rare ou non présente dans les autres entreprises du même secteur
industriel est difficilement imitable par la concurrence. Par exemple, selon Tesla
Motors, dans son rapport annuel de 2014, la société de voitures électriques fondée
par Elon Musk, « les compétences fondamentales de [notre] société sont le groupe
motopropulseur et l’ingénierie véhicule. La propriété intellectuelle clé porte sur le
groupe motopropulseur. [Notre] groupe motopropulseur électrique se compose des
éléments suivants : batterie, électronique de puissance, moteur, boîte de vitesses et
le logiciel de contrôle qui permet aux composants de fonctionner comme un sys-
tème  ». Ces compétences sont durables, difficilement imitables (sauf si Elon
Musk, comme il l’a laissé entendre, met à la disposition de tous ses technologies)
et crée de la valeur.
Selon Hamel et Prahalad, la création d’une compétence fondamentale ne provient
pas nécessairement d’investissements plus importants (notamment en R & D) ou
d’une intégration verticale ou horizontale plus poussée. Bien que le développement
d’une compétence fondamentale soit facilité par ces actions, elles sont insuffisantes
pour créer une compétence fondamentale nouvelle pour l’entreprise. À titre
d’exemple, une entreprise peut recruter une équipe de scientifiques spécialisés dans
une technologie particulière. L’entreprise ne disposera pas pour autant d’une com-
pétence fondamentale pour cette technologie. En revanche, si l’entreprise est la seule
à savoir utiliser cette technologie pour développer des produits ou des services et
qu’elle a réussi à coordonner l’ensemble des activités liées au développement des

1.  C.K. Prahalad et G. Hamel, « The Core Competencies of the Organisation », Harvard Business Review, 1990.

110
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

produits et services en utilisant cette technologie, elle disposera d’une compétence


fondamentale. Les compétences fondamentales dépendent ainsi tout autant des
connaissances uniques présentes dans l’entreprise que de la capacité de cette der-
nière à coordonner et intégrer les travaux de ses différents personnels autour de ces
connaissances. La société canadienne MethylGène (voir exemple ci-après) illustre
cette intégration nécessaire entre connaissances, savoir-faire et méthodes qui sont à
l’origine des compétences fondamentales.

Exemple – Les compétences fondamentales de MethylGene1


Nos produits et nos composés actifs de base reflètent notre expertise en chimie et en
biologie. En chimie, nos compétences de base sont particulièrement solides dans le
domaine de la conception rationnelle de médicaments (la conception, la synthèse et
l’optimisation de nouveaux produits candidats, notamment des inhibiteurs sélectifs à
l’égard des isoformes) et dans la chimie médicinale. En biologie, notre expertise repose
dans la sélection, la validation et la compréhension du fonctionnement de nouvelles
enzymes cibles (génomique fonctionnelle). Ces compétences de base constituent les
fondements de notre capacité à découvrir et à concevoir des produits qui sont les « pre-
miers ou les meilleurs dans leur catégorie ».
Notre moteur de découverte de médicaments renouvelables est conçu pour générer un
flux continu de produits visant de nouvelles enzymes cibles. Par exemple, nous comptons
tirer profit de notre expertise dans la conception d’inhibiteurs d’HDAC sélectifs pour
d’autres pathologies liées à ces enzymes, incluant les maladies cardiovasculaires, le dia-
bète, l’inflammation, les maladies neuro-dégénératives et les maladies infectieuses, au
moyen de programmes internes et de collaborations avec des partenaires des industries
pharmaceutiques et biotechnologiques.
Notre capacité à renouveler ce portefeuille de produits s’explique par nos compétences
de base en biologie et en chimie, mises en œuvre au moyen d’un vaste éventail de
technologies intégrées, comme le montre la figure 7.1. L’approche que nous appliquons
dans la recherche de médicaments est centrée sur l’utilisation de la génomique fonc-
tionnelle pour valider les enzymes cibles, associée à la conception rationnelle, ainsi
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’à la chimie médicinale et combinatoire, dans l’élaboration, la synthèse et l’optimi-


sation des inhibiteurs d’enzyme. Nous nous concentrons sur les nouvelles enzymes
cibles jouant un rôle clé dans le cancer ou les maladies infectieuses et ayant un poten-
tiel d’exploitation pour des indications non oncologiques multiples. Elles doivent être
également attrayantes d’un point de vue commercial et nous permettre d’établir une
propriété intellectuelle. Enfin, elles doivent se prêter à la conception rationnelle de
médicaments.

1.  MethylGene est une société canadienne. L’ensemble de l’exemple est directement inspiré du site Internet de
la société : www.methylgene.com, section Core Competencies.

111
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

Criblage à haut Artisans Chimie médicinale,


rendement combinatoire, analytique
et computationnelle

Génomique
fonctionnelle
Enzymologie
Nouveaux candidats
thérapeutiques de
Production MethylGene
de protéines
recombinantes
In Vivo et toxicologie
Pharmacologie moléculaire
et cellulaire
Développement
d’essais

Figure 7.1 – Les compétences fondamentales intégrées de MethylGene

L’analyse des compétences est une activité transverse à l’entreprise. Elle per-
met ainsi de s’éloigner du cadre « rigide » des centres d’activités stratégiques.
L’entreprise identifie un portefeuille global de compétences et peut décider de
son utilisation partielle ou totale en fonction des environnements dans lesquels
évoluent ses centres d’activités stratégiques. La gestion du portefeuille de
­compétences est ainsi une source de synergies entre les différentes activités de
l’entreprise. Par ailleurs, une gestion globale du portefeuille de compétences
permet à un centre d’activités stratégiques l’utilisation d’une compétence prove-
nant d’une autre activité, compétence que ses concurrents directs ne posséderont
pas forcément. Le but recherché ici est de développer une stratégie qui ne soit pas
immédiatement imitable par les concurrents du fait de l’emploi de compétences
auxquelles le centre d’activités stratégiques peut accéder rapidement alors que les
concurrents doivent d’abord développer ces mêmes compétences avant de mettre
en œuvre une stratégie comparable. La gestion globale d’un portefeuille de
­compétences est ainsi une source d’avantages concurrentiels pour les différentes
activités de l’entreprise.
L’incapacité d’une entreprise à identifier ses propres compétences tant nécessaires
que fondamentales peut entraîner leur perte. À titre d’exemple, dans les années
soixante-dix, les constructeurs américains d’électronique ont choisi de se désinvestir
du marché de la télévision. Ce marché était mûr et des produits de bonne qualité à
prix faibles étaient fournis par des entreprises originaires d’Asie. Cette décision de
désinvestissement a entraîné la perte, chez ces constructeurs américains, de compé-
tences, notamment en vidéo. Compétences qui leur ont cruellement manqué pour
pénétrer le marché des téléviseurs digitaux. De même, des décisions de sous-­
traitance entraînent fréquemment la perte de compétences. La sous-traitance
empêche une entreprise de développer, voire de maintenir, des compétences

112
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

associées aux activités sous-traitées car l’entreprise devient incapable de consolider


les savoirs et savoir-faire disséminés dans son organisation. La sous-traitance limite
ainsi les capacités d’apprentissage des entreprises et peut entraîner une situation de
dépendance vis-à-vis de fournisseurs extérieurs pour des savoirs clés. Afin d’y remé-
dier, une entreprise peut ainsi choisir de sous-traiter une partie de ses activités tout
en conservant en interne suffisamment de volume pour pouvoir maintenir, voire
enrichir, ses savoirs et savoir-faire.
Il importe également de bien identifier qui possède effectivement les compétences
afin d’en évaluer leur durabilité. Dans des organisations comme les cabinets de
conseil, les hôpitaux, les sociétés d’ingénierie, ce sont souvent quelques individus,
et non l’organisation, qui peuvent posséder les compétences fondamentales et en
maîtriser ainsi l’accès. Leur départ, quelle qu’en soit la raison, entraîne ipso facto la
perte de ces compétences fondamentales et donc celle de son avantage. L’organisa-
tion doit donc s’efforcer de disséminer ses principales compétences afin d’en réduire
le risque de perte suite à des départs de certains personnels clés.
Enfin, s’il est important qu’une entreprise valorise au mieux ses compétences tant
nécessaires que fondamentales à court terme, elle ne doit pas oublier que la durée de
vie d’une compétence est réduite et que les avantages concurrentiels qu’elle permet
de développer sont souvent provisoires. À moyen terme, soit ses concurrents auront
su reproduire les mêmes avantages concurrentiels en utilisant ou non les mêmes
compétences, soit l’environnement aura évolué et l’avantage concurrentiel initial
verra son influence et son pouvoir diminuer voire, dans le cas le plus défavorable,
s’annuler. Il est donc nécessaire de faire coexister à côté du processus de valorisation
des compétences actuelles, un processus de renouvellement de ces mêmes compé-
tences. À défaut d’un renouvellement régulier de ses compétences, l’entreprise va
disposer de capacités de développement et d’expérimentation de plus en plus limi-
tées et va mettre en œuvre de manière stérile et récurrente le même type de stratégie
et le même type d’offre que celles du passé. Comme le déclare Lewis Platt, ancien
CEO d’Hewlett-Packard : « Nous devons chercher à cannibaliser en permanence ce
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

que nous faisons afin d’assurer notre leadership dans le futur. C’est contre la nature
humaine, mais vous devez tuer votre “business” alors qu’il fonctionne encore. » De
même que pour les activités d’une entreprise, les compétences fondamentales d’une
entreprise doivent être renouvelées.

113
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

Section
3 l’analyse de la chaîne de valeur
L’analyse de la chaîne de valeur proposée par M. Porter1 suit une démarche
assez proche des méthodes fondées sur le concept de « business systems » de
McKinsey2. L’analyse de la chaîne de valeur permet de mettre en évidence les
sources d’avantages concurrentiels de l’entreprise et de ses activités. Pour ce
faire, l’entreprise est divisée en une série de fonctions ou activités élémentaires
(conception, fabrication, commercialisation, etc.) qui sont articulées le long
d’une « chaîne » où chaque étape crée successivement de la valeur. La chaîne de
valeur couvre ainsi l’ensemble des tâches élémentaires de l’entreprise de la
génération d’idées jusqu’à la vente des produits et les services qui y sont
­associés.
La figure 7.2 donne une « chaîne de valeur » classique avec l’ensemble des acti­
vités élémentaires qui la compose. Ces activités ou tâches élémentaires sont
­décomposées en deux grandes catégories les activités primaires et les activités de
soutien. Les activités primaires sont celles qui participent directement à la fabrica-
tion et à la vente des produits. Elles sont spécifiques au produit ou centre d’activités
stratégiques analysé. Les activités de soutien, comme leur nom ­l’indique, inter-
viennent indirectement dans la fabrication et la vente. Elles sont généralement
­communes à l’ensemble des produits ou centres d’activités stratégiques de l’entre-
prise et vont faciliter la bonne réalisation des activités ­primaires.

Infrastructure
MARGE

ACTIVITÉS Gestion des ressources humaines


DE SOUTIEN Développement technologique
Achats et approvisionnements

Logistique Logistique Distribution


MARGE

Production Services
interne externe et ventes

ACTIVITÉS PRIMAIRES

Figure 7.2 – La chaîne de valeur (d’après Porter, op. cit.)

1.  M.E. Porter, L’Avantage concurrentiel, Paris, Inter-Editions, 1987.


2. Voir par exemple les articles de R. Buaron, « New-Game Strategies », The McKinsey Quarterly, printemps
1981, et de F.W. Gluck, « Strategic Choice and Resource Allocation », The McKinsey Quarterly, hiver 1980.

114
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

Les activités primaires sont directement impliquées dans la création de valeur.


Elles regroupent les activités de logistique interne et externe, de production, de dis-
tribution et vente et de services :
• La logistique interne concerne les activités de réception, stockage et affectation
des moyens de production nécessaires au produit (manutention, contrôle des
stocks, renvoi aux fournisseurs, etc.).
• La production utilise ces moyens pour les transformer en produits ou services finis
(transformation, emballage, entretien et maintenance du parc de production,
contrôle qualité, etc.).
• La logistique externe collecte, entrepose et livre le produit au client final ou aux
réseaux de distribution (conditionnement, transport, suivi de commande, etc.).
• La distribution et la vente incluent l’ensemble des activités associées à la fourni-
ture des moyens par lesquels les clients peuvent acheter le produit et sont incités
à le faire (publicité, promotion, force de vente, sélection des circuits de distribu-
tion, relations avec les distributeurs, fixation des prix, fidélisation, etc.).
• Les services regroupent l’ensemble des activités qui permettent de maintenir ou
d’accroître la valeur d’un bien (installation, réparation, formation, fourniture de
pièces de rechange, adaptation du produit, etc.).
Les fonctions de soutien servent d’appui aux fonctions primaires et contribuent à
améliorer leur efficacité et leur efficience. Elles comprennent l’infrastructure, la
gestion des ressources humaines, le développement technologique et les achats et
approvisionnements :
• L’infrastructure assume les activités administratives indispensables au bon fonction-
nement de l’entreprise, ces activités englobent la direction générale, la planification,
la finance, la comptabilité, le juridique, les relations extérieures et la gestion de la
qualité. L’infrastructure inclut également les processus transverses aux différentes
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

étapes de la chaîne de valeur et aux activités qu’elles regroupent. Enfin, l’infrastruc-


ture développe et gère les systèmes d’information de l’entreprise.
• La gestion des ressources humaines s’intéresse à l’ensemble des activités qui
touchent au recrutement, à l’embauche, à la formation, au développement et à la
rémunération du personnel.
• Le développement technologique traite exclusivement des technologies directement
liées aux produits et services associés ou au processus de production (procédé, amé-
lioration d’une matière première,…). Le développement ou l’acquisition d’autres
technologies est de la responsabilité des fonctions ou des activités compétentes.
• Les achats et approvisionnements concernent les processus d’acquisition de res-
sources nécessaires aux fonctions primaires et aux fonctions de soutien. Ils inter-
viennent ainsi sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

115
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

La chaîne de valeur ainsi constituée de fonctions primaires et de fonctions de sou-


tien constitue un cadre général d’analyse que l’on doit adapter aux spécificités de
l’entreprise ou de son secteur industriel.
À titre d’exemple (présenté ci-dessous), la chaîne de valeur (hors fonctions de
soutien) d’une compagnie aérienne ne présente que peu de similarités avec le
modèle générique développé par Porter. La logique reste néanmoins la même et
consiste dans tous les cas à représenter la suite d’activités qui permettent de créer de
la valeur tant pour le client que pour l’entreprise.

Exemple – Chaîne de valeur d’une compagnie aérienne

Optimisation Marketing Ventes


Stratégie & Opérations
financière Programme et Revenue Maintenance
de flotte Distribution de transport
de l’actif Management

• Achat & • Déterminer les • Déterminer les • Optimiser la • Vendre et • Transporter les • Optimiser le
Gestion routes et les types d’avions recette de distribuer les passagers fonctionnement
patrimoniale fréquences susceptibles l’avion par le titres de • Fournir des • Optimiser les
d’un parc générant un de couvrir yield et le transport au services aux coûts de
d’avions/de trafic rentable ces routes au développement travers des passagers maintenance
moteurs • Optimiser le meilleur coût de la base canaux directs
opérationnel et passagers et indirects • Entretenir et
• Maîtrise du ROI des slots réparer les
avec la plus • Fidéliser les
coût du capital forte flexibilité • Fidéliser les avions et
passagers à entreprises machines
• Optimiser /standardi-
le taux sation haute Etc.
d’utilisation contribution
• Choisir les
et la valeur moteurs en
résiduelle conséquence

Figure 7.3 – La chaîne de valeur d’une compagnie aérienne

L’analyse de la chaîne de valeur d’une entreprise permet d’affecter à chaque activité un


ensemble de coût spécifique et de déterminer quelles sont les activités qui contribuent le
plus à la création de valeur. À titre d’exemple, les trois activités les plus créatrices de
valeur pour une compagnie aérienne sont le programme, le marketing/revenue manage-
ment et les activités de fidélisation des entreprises (principalement par la négociation
d’accords cadres) réalisées par les services commerciaux. Les autres activités, bien que
nécessaires au bon fonctionnement d’une compagnie aérienne, créent peu de valeur au
regard des trois activités précitées. À l’issue de cette analyse, l’entreprise peut donc iden-
tifier les activités ou parties d’activités qui sont la source d’avantages concurrentiels et
celles qu’il est possible de sous-traiter ou qu’il est inutile de renforcer au-delà des normes
du secteur.

L’optimisation de l’ensemble de la chaîne de valeur est difficilement réalisable du


fait des ressources limitées de toute entreprise. De plus, elle n’est pas forcément
souhaitable car un certain nombre d’activités, bien que nécessaires à la « bonne
marche » de l’entreprise, ne contribuent que fort peu à la création de valeur globale
et ne sont pas sources d’avantages concurrentiels. L’analyse de la chaîne de valeur

116
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

permet ainsi l’identification des activités critiques. Une concentration des investis-
sements sur ces activités critiques est généralement suffisante pour assurer sinon le
succès du moins la pérennité de l’entreprise.
Il convient néanmoins d’examiner avec prudence les conclusions que l’on pourrait
tirer d’une analyse rapide de la chaîne de valeur. De fait, la performance globale
d’une chaîne de valeur dépend autant de la performance de chaque activité que de
la performance des liens entre activités. Une entreprise ne peut considérer qu’une
surperformance sur une activité permet de réduire les conséquences d’une sous-­
performance sur une autre activité. Du fait des liens entre les différentes activités au
sein de la chaîne de valeur, le degré de maîtrise par l’entreprise d’une activité donnée
influence nécessairement le coût et la performance des autres.
On peut reprendre ici l’exemple d’une compagnie aérienne où la maintenance est
une activité moins créatrice de valeur que le « revenue management » ou le « pro-
gramme ». Néanmoins, si cette compagnie est moins efficace que ses concurrents en
termes de maintenance, il en résultera nécessairement des retards importants et fré-
quents voire des incidents en vol qui obéreront totalement les effets des expertises
et compétences qu’elle pourrait posséder en « revenue management » ou en « établis-
sement de programme ». Il convient ainsi de porter autant d’attention aux liens qui
existent entre activités qu’aux activités elles-mêmes, faute de quoi l’entreprise peut
prendre de bonnes décisions concernant certaines activités mais qui au final
s’avèrent néfastes pour l’ensemble de l’entreprise.
Par ailleurs, l’analyse de la chaîne de valeur ne doit pas se limiter à une entreprise
ou à un centre d’activités stratégiques donné. En dehors de quelques firmes forte-
ment intégrées verticalement, il est rare de voir une seule entreprise assurer
­l’ensemble des activités pour concevoir, produire, distribuer et maintenir un produit
ou un service. Dans la plupart des cas, la chaîne de valeur s’insère dans un ensemble
plus global reliant les chaînes des fournisseurs à celles des chaînes des circuits de
distribution, voire à celles des clients. Dans un tel cadre, une part importante de la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

valeur globale est créée en amont, via la chaîne d’approvisionnement et en aval, via
la chaîne de distribution finale aux clients. Il est donc important de ­comprendre
l’intégralité du processus global car un avantage concurrentiel peut être créé ou
renforcé par une meilleure coordination de l’ensemble de ces différentes chaînes qui
vont de l’origine du produit ou du service jusqu’au client final.
Les principales sources d’avantage concurrentiel peuvent également être identi-
fiées en comparant la chaîne de valeur de l’entreprise avec les chaînes de valeur de
ses principaux concurrents. Lors de cette comparaison, deux situations peuvent
apparaître en fonction du degré de similarité des chaînes de valeur des différents
concurrents :
• Les chaînes de valeur des différents concurrents sont comparables  ; dans cette
situation la création d’un avantage concurrentiel ne peut provenir que d’une maî-
trise ou d’une expertise supérieure soit d’une des activités composant la chaîne de

117
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

valeur soit des processus de liaison entre les différentes activités. À titre d’exemple,
l’Oréal dispose d’une chaîne de valeur comparable à celle de ses principaux
concurrents mais l’entreprise a su se créer des avantages concurrentiels par sa
maîtrise des processus d’innovation (processus transverse aux différentes activi-
tés) et ses compétences en marketing.
• Les chaînes de valeur des différents concurrents sont différentes ; dans ce cas, il
est nécessaire d’évaluer les possibilités offertes par les différents schémas d’orga-
nisation de la chaîne de valeur. En effet, une organisation donnée de la chaîne de
valeur permet la création d’activités, de produits et de services spécifiques qu’il
est important d’identifier afin d’en connaître le potentiel, en termes d’avantages
concurrentiels possibles. Ayant identifié ce potentiel d’avantages, il s’agit ensuite
de le comparer aux potentiels des concurrents ayant choisi des modes d’organisa-
tion différents.

Exemple – Comparaison des chaînes de valeur de Dell et de Hewlett-Packard

Conception Vente Production Livraison Services

Figure 7.4 – La chaîne de valeur simplifiée de Dell

Conception Production Distribution Ventes Services

Figure 7.5 – La chaîne de valeur simplifiée d’HP

HP possède une chaîne de valeur « classique » ou conception, production et distribution


se suivent, il est important de noter que cette entreprise ne maîtrise qu’en partie les
activités de ventes et de services puisqu’elle passe, pour une part importante de son
chiffre d’affaires, par des distributeurs spécialisés. En revanche, Dell commence par
vendre ses produits avant de les fabriquer, sous-traite la livraison et assure elle-même
les services après-vente. L’analyse de ces deux chaînes de valeur permet de ­comprendre
la nature des avantages concurrentiels de Dell vis-à-vis d’HP : absence de stocks, pos-
sibilité de fabrication sur mesure et contact direct avec le client final. Ces avantages
sont renforcés par l’obsolescence rapide des produits et des composants informatiques.
Dell n’a pas à financer de stocks, tant de composants que de produits finis, dont la
valeur décroît tous les jours et peut proposer à ses clients les dernières avancées
techno­logiques et un niveau de prix intégrant régulièrement les baisses de tarifs de ses
fournisseurs.

L’analyse comparée des chaînes de valeur permet ainsi d’identifier une des sources
potentielles d’avantages concurrentiels. Il convient néanmoins de remarquer qu’un

118
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

avantage concurrentiel créé à partir d’une chaîne de valeur semblable à celles de ses
concurrents est rarement durable. Disposant de la même organisation, les concur-
rents peuvent développer la même expertise sur une activité donnée ou sur un pro-
cessus transverse. En revanche, lorsque les chaînes de valeur des concurrents sont
différentes, le temps nécessaire à la modification d’une chaîne de valeur et à l’obten-
tion des avantages concurrentiels associés à cette nouvelle organisation est très
important. Un avantage concurrentiel construit sur une organisation originale de la
chaîne de valeur est donc beaucoup plus durable qu’un avantage construit sur une
meilleure maîtrise d’une activité ou d’un processus d’une chaîne de valeur plus lar-
gement répandue.
Cette analyse est également importante quand une entreprise choisit de pénétrer
un secteur industriel qui compte des concurrents installés. Elle a alors tout intérêt à
« inventer » une nouvelle organisation de la chaîne de valeur afin de se démarquer
des concurrents déjà présents.
Enfin, il est nécessaire de bien connaître l’organisation interne de ses clients.
L’acquisition d’un avantage concurrentiel peut résulter de l’analyse de leur propre
chaîne de valeur. À partir de l’identification des activités critiques de leur chaîne,
l’entreprise peut construire une offre adaptée. Offre qui permettra aux clients d’amé-
liorer plus encore ces activités. L’entreprise devra alors évaluer dans sa propre
chaîne celles de ses activités qu’il faudra améliorer, voire créer. L’exemple suivant
illustre cette démarche.

 Cas d’entreprise
Analyse de la chaîne de valeur d’une entreprise
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de nettoyage industriel
Prenons le cas d’une entreprise française de nettoyage industriel. Son activité
majeure consiste en la fourniture à façon de personnels chargés d’effectuer le net-
toyage des pompes, des moteurs et plus généralement de l’outil industriel des
clients. Il s’agit d’une activité standardisée et, en conséquence, les négociations
avec les clients portent essentiellement sur une quantité d’heures nécessaires et sur
un prix horaire. Du fait de négociations commerciales de plus en plus âpres, la
société de nettoyage décide alors d’améliorer son offre et pour ce faire d’analyser
la chaîne de valeur de ses principaux clients.
Au vu des résultats de cette analyse, la société de nettoyage industriel décide de modi-
fier son offre et de proposer à ses clients des ressources dédiées qui peuvent intervenir
rapidement suite à un appel téléphonique. Les équipes de nettoyage peuvent

119
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques


ainsi intervenir quand le client arrête sa chaîne de production pour des opérations
de maintenance curative et non sur des périodes planifiées à l’avance. Cette offre
contribue donc à augmenter le taux d’utilisation des équipements industriels des
clients. Par ailleurs, pour nettoyer un équipement, il est souvent nécessaire de le
démonter et les opérations de démontage – remontage sont plus longues que les
opérations de nettoyage. La société propose donc à ses clients d’effectuer des opé-
rations de maintenance préventive basique (remplacement des joints,…) lorsqu’elle
intervient pour nettoyer. Elle contribue ainsi à augmenter plus encore la disponibi-
lité des équipements industriels de ses clients grâce à la simultanéité du nettoyage
et de la maintenance préventive. Elle participe à la réduction des coûts globaux de
ses clients en réduisant le nombre d’opérations de montage-démontage effectuées
sur l’appareil industriel.
L’amélioration de son offre permet à l’entreprise de nettoyage d’augmenter ses
prix et sa marge. En effet, lors des négociations commerciales avec ses clients, elle
est capable de montrer qu’elle contribue à l’amélioration de leurs propres activi-
tés par une amélioration du taux d’utilisation des équipements et une réduction
des coûts supérieure à l’augmentation des prix de sa nouvelle offre. La société de
nettoyage industriel doit à son tour modifier sa chaîne de valeur afin de pouvoir
intervenir chez ses clients rapidement. Elle doit aussi investir dans de nouvelles
ressources, dont un personnel plus qualifié afin d’assurer les activités de mainte-
nance préventive qui viennent désormais compléter les opérations classiques de
nettoyage.

1. Quelle est la chaîne de valeur du client ?

Conception Développe- ... Production Vente Livraison


ment

Figure 7.6

2. Sur quelle(s) activité(s) de la chaîne du client notre offre intervient-elle ?

Conception Développe- ... Production Vente Livraison


ment

Figure 7.7

3. Quels sont les déterminants du succès de cette activité ?


––diminution du coût de production ;
––accroissement de la qualité de production ;
––augmentation de la réactivité de l’outil de production ;
––amélioration du service rendu aux clients du client, etc.

120
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7


4. En quoi une nouvelle offre de l’entreprise peut renforcer plus encore les détermi-
nants du succès de l’activité « production » de son client ?
––intervenir de manière préventive ;
––intervenir chez le client à sa demande.
5. Que doit-on changer dans la chaîne de l’entreprise pour mettre en œuvre cette
nouvelle offre ?
––accroître la qualification du personnel de maintenance.

Équipes de
Conception Fournisseur Planning Négociation Intervention
maintenance

Figure 7.8

Section
4 L’étalonnage
L’étalonnage (ou «  benchmarking  ») est le dernier type d’analyse des capacités
internes d’une entreprise. L’analyse financière en est la forme la plus courante. Elle
s’articule souvent autour d’une batterie de ratios permettant à l’entreprise de dresser
un diagnostic de ses performances par la comparaison des résultats aux moyens mis
en œuvre.
Elle couvre plus généralement :
–– la rentabilité (rentabilité des investissements, rentabilité des capitaux investis…) ;
––la profitabilité (résultat net/chiffre d’affaires…) ;
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––la productivité des différents facteurs de production (taux d’utilisation des équipe-
ments, production par employé, production par équipement…) ;
––les capacités de financement (marge brute d’autofinancement, capacité
d’endettement…) ;
––la structure des coûts (répartition des coûts entre les différentes fonctions ou
activités, pourcentage de coûts fixes et de coûts variables, nature des différents
coûts…).
Ces différents indicateurs n’ont de valeur que dans la mesure où on peut les
c­ omparer. Dans l’absolu, ils ne présentent qu’un intérêt limité. En effet, chaque
secteur industriel présente des caractéristiques spécifiques qui font varier les normes
dans de grandes proportions. À titre d’exemple, le besoin en fonds de roulement est
négatif dans la grande distribution, alors qu’il est positif dans la majorité des autres
secteurs industriels. Il est donc important d’effectuer un rapprochement avec les

121
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

données historiques de l’entreprise et de comparer les résultats obtenus avec ceux


des principaux concurrents ou avec les normes sectorielles.
L’analyse historique permet de suivre l’évolution des différents indicateurs. Elle
identifie des tendances lourdes qui auraient pu passer inaperçues. La comparaison
avec les normes sectorielles (rapport de broker, centrales des bilans de la Banque de
France…), avec les concurrents, voire avec les produits de substitution, met en évi-
dence la position relative de l’entreprise sur ses principaux indicateurs de perfor-
mance. Elle permet également de déterminer quelles sont les marges de manœuvre,
en termes financiers, de l’entreprise vis-à-vis de ses concurrents. À titre d’exemple,
si une entreprise dispose d’un résultat opérationnel plus élevé que celui de ses
concurrents, elle sait qu’elle peut augmenter ses dépenses en R & D ou en marketing
tout en conservant un résultat positif à court terme alors que le même montant de
dépenses supplémentaires chez ses concurrents va entraîner un résultat négatif.
L’une des principales difficultés liées à l’analyse financière provient de la diffi-
culté d’obtenir des chiffres fiables en provenance des concurrents. De fait, ces der-
niers, dans le cas de grandes entreprises, publient leurs comptes consolidés au
niveau du groupe d’appartenance. Il est alors difficile de reconstituer la structure de
coût et les principaux indicateurs par centres d’activité stratégiques. La comparaison
des indicateurs financiers au niveau consolidé ne présente que peu d’intérêt en
termes stratégiques. Du fait de la diversité des activités et des leurs conditions envi-
ronnementales il est souvent difficile d’en interpréter les résultats. Toutefois, si bien
menée, l’analyse financière permet d’identifier des processus ou des activités de
l’entreprise où il existe un potentiel d’amélioration de la performance au regard des
normes du secteur ou des résultats des concurrents.
Si l’analyse financière permet d’identifier des espaces de moindre performance,
elle ne donne cependant aucune indication sur les ressources, méthodes, compé-
tences ou processus susceptibles de réduire l’écart de performance entre l’entreprise
et son « modèle ». Une autre forme d’étalonnage est nécessaire dont le but est d’amé-
liorer les procédures et de promouvoir les meilleures pratiques. Pour ce faire, il
s’agit, dans un premier temps, de déterminer les processus (innovation, logistique,
gestion de la relation client…) ou activités (centres d’appel, recherche et développe-
ment, production…) qui présentent un écart perçu de performance entre la perfor-
mance actuelle et la performance potentielle. Dans un second temps, il s’agit :
––d’identifier les entreprises qui possèdent les « meilleures pratiques » sur ces pro-
cessus ou activités ;
––d’analyser ces meilleures pratiques ;
–– de les adapter à son propre contexte organisationnel, technologique et concurrentiel.
Dans la plupart des cas, cette adaptation fait l’objet d’une « expérimentation pilote »
avant d’être généralisée à l’ensemble de l’entreprise. En d’autres termes, il s’agit de
mener une étude comparative afin, tout d’abord, d’identifier, puis de s’inspirer des
meilleures pratiques afin d’améliorer la position concurrentielle de l’entreprise en

122
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

augmentant son efficacité, en réduisant ses coûts, ou en répondant mieux aux besoins
de ses clients. L’étalonnage permet enfin de réduire les résistances au changement en
fournissant des bases de comparaison objectives pertinentes et réalistes. Il ne s’agit pas
ici pour l’entreprise d’atteindre un niveau de performance déterminé de manière arbi-
traire mais de mettre en œuvre un processus déjà éprouvé chez d’autres ou d’accéder
à un niveau d’efficacité et d’efficience déjà atteint par d’autres.
L’étalonnage n’est pas réservé aux seules entreprises privées. Il peut être mis en
œuvre quel que soit le type d’organisation. Par exemple, l’aéroport Nice-Côte-d’Azur,
en partenariat avec l’aéroport de Genève, a ainsi initié un groupe de « benchmarking
aéroport », regroupant six aéroports européens de taille comparable engagés dans une
démarche qualité Birmingham, Hambourg, Genève, Nice, Vienne et Oslo. L’objectif
de cette association est de comparer et d’échanger sur les pratiques mises en œuvre
par les différents partenaires.
L’étalonnage est une pratique largement répandue. En France, plus de la moitié des
1 000 premières entreprises l’utilise et 80 % de celles qui l’ont adopté le considèrent
comme une approche efficace. On distingue généralement quatre types d’étalonnage :
• L’étalonnage interne est l’opération la plus facile à réaliser. Il permet des compa-
raisons internes entre les différents produits, services, processus, départements ou
entités d’une même entreprise. Il est très fréquemment mis en œuvre dans les
processus et méthodes de fabrication. Les entreprises comparent ainsi régulière-
ment les écarts de productivité existant entre leurs différents sites industriels et
s’efforcent de généraliser les pratiques de ceux qui obtiennent les meilleurs résul-
tats. L’avantage de l’étalonnage interne repose dans la facilité de recueil des don-
nées et de l’adaptation d’une entité à l’autre (appartenance à la même entreprise,
environnement comparable, possibilité de formation sur site…). En revanche,
l’étalonnage interne atteint rapidement une limite de créativité du fait de l’absence
d’apport extérieur.
• L’étalonnage concurrentiel consiste en une comparaison avec des concurrents
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

directs. La comparaison avec les concurrents est aisée pour les produits et les ser-
vices, il suffit de les acheter et de les utiliser. Les constructeurs automobiles pos-
sèdent ainsi généralement un « laboratoire d’analyse de la concurrence » dans
lequel ils « dissèquent » les produits concurrents. Ils identifient ainsi les fonction-
nalités spécifiques des produits concurrents, en infèrent les méthodes et processus
de production utilisés et reconstituent, certes imparfaitement, les coûts de produc-
tion. De même, les compagnies aériennes testent régulièrement les produits et
services de leurs concurrents en faisant voyager leur personnel sur les lignes des
concurrents. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’obtenir des informations
sur les méthodes, processus et expertises internes des concurrents à moins d’obte-
nir leur accord ou de recourir à des méthodes plus radicales tel que le recrutement
de personnels clés chez les concurrents, voire complètement illégales (espionnage
industriel).

123
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

• L’étalonnage fonctionnel permet la comparaison avec des entreprises non concur-


rentes appartenant à d’autres secteurs industriels. Il concerne principalement les
méthodes d’organisation et de gestion ainsi que les processus. En ne restreignant
pas la comparaison aux seuls concurrents directs, il permet de se calibrer par rap-
port aux meilleurs sur une activité donnée. L’étalonnage fonctionnel offre une
ouverture et une créativité importante. Toutefois, il demande un investissement
conséquent en temps et en ressources lié, d’une part, à la difficulté d’identification
d’entreprises qui soient volontaires et disposant des meilleures pratiques et,
d’autre part, à la complexité d’adaptation de ces meilleures pratiques dans un
contexte organisationnel, technologique et culturel différent. L’étalonnage fonc-
tionnel est souvent une opération de « troc » au cours de laquelle deux entreprises
s’étalonnent mutuellement sur deux processus ou activités distinctes.
• L’étalonnage technologique est le plus difficile à concevoir et à réaliser. Il consiste
en l’identification puis l’adaptation d’une technologie déjà utilisée par un ou plu-
sieurs secteurs industriels mais qui n’a jamais été mise en œuvre par l’entreprise
ou ses concurrents. On peut prendre comme exemple celui du code à barres. Déve-
loppée au départ dans la grande distribution afin de réduire les temps de passage
et de traitement en caisses, cette méthode a été reprise par les compagnies
aériennes pour reconnaître et trier les bagages ou par les laboratoires d’analyses
médicales pour identifier les différents échantillons de patients.
L’étalonnage concurrentiel, grâce à une comparaison avec d’autres entreprises
permet ainsi d’évaluer la présence d’un avantage concurrentiel, de mesurer des
écarts de performance et d’identifier des pistes qui permettent de réduire cet écart de
performance. L’étalonnage fonctionnel et l’étalonnage technologique sont égale-
ment une source potentielle d’avantages concurrentiels en permettant à l’entreprise
soit d’atteindre des niveaux de performance inconnus dans son secteur industriel soit
d’utiliser des pratiques, processus ou méthodes nouvelles. Il faut toutefois noter que
l’étalonnage fait souvent l’objet d’un phénomène de mode. Les pratiques spéci-
fiques d’une entreprise donnée deviennent ainsi le Graal que chacun doit s’efforcer
d’atteindre. À titre d’exemple, nous avons le souvenir d’un cabinet de conseil en
stratégie réputé qui présentait le modèle économique et les meilleures pratiques
d’Enron à l’ensemble des entreprises européennes du secteur des « utilités ». Ce
cabinet a vendu des missions liées à la mise en œuvre des meilleures pratiques
d’Enron puis a dû brutalement changer de discours le 16  novembre  2001, date à
laquelle Enron a annoncé qu’elle était en cessation de paiement. On peut également
citer le livre Le Prix de l’excellence1, best-seller mondial dans les années quatre-
vingts, qui décrivait les meilleures pratiques d’entreprises dont un pourcentage non
négligeable a depuis disparu.

1.  Peters T. et D. Waterman, Le Prix de l’excellence, Paris, Dunod, 1999 pour la dernière édition.

124
Analyse des capacités stratégiques   ■  Chapitre 7

Section
5 durabilité de l’avantage
Un avantage n’est véritablement un avantage que s’il est durable, ce qui n’est que
rarement le cas. Dans un monde qui bouge, où les concurrents n’attendent pas pour
apprendre, réagir, innover, un avantage n’est que trop souvent transitoire. Peu
d’entreprises réussissent à garder leur avantage dans la durée. Celles qui réussissent
sont celles qui ont été capables de créer de la valeur (V) pour leurs clients à partir
de ressources rares (R), ressources qui sont difficilement imitables (I) et qu’elles
savent organiser (O) tout au long de la chaîne de valeur. Nous avons là le fameux
acronyme VRIO1 qui définit ce qu’est un avantage durable. Sans l’une des caracté-
ristiques, le V, le R, le I et le O, l’avantage ne peut être que temporaire. Par exemple,
le premier « drive », Auchan Express, fut introduit en 2000 dans la banlieue de Lille
créant un avantage certain chez ce grand distributeur. Quelques années plus tard, en
2008, Leclerc, s’inspirant de l’expérience de son concurrent et grâce au développe-
ment d’Internet lance son propre concept près de Toulouse. Rapidement imité par le
reste de la grande distribution, plus de 3 000 « drives » sont créés dans la foulée,
dont 800 par le seul Système U. Nous avons ici le cas d’un avantage non durable car
facilement imitable. En revanche, dans le domaine d’un autre type de distribution,
celui de l’ameublement, Ikea, leader incontesté de son secteur depuis sa création a
été capable de créer une valeur certaine pour ses clients tout en maintenant son
avantage concurrentiel grâce à une logistique amont de production et aval de distri-
bution qu’il a su sans cesse améliorer, tout en gardant une longueur d’avance diffi-
cilement rattrapable grâce à son expérience cumulée.
Malheureusement, ce dernier exemple fait plus figure d’exception que de règle.
Plus fréquemment, les règles du jeu changent : les besoins de la clientèle évoluent,
une technologie nouvelle apparaît, un concurrent invente une offre plus attirante.
Les ressources, autrefois critiques pour conserver un avantage, ne sont plus adap-
tées. Il faut alors reconstruire ce qui n’a été que transitoire. Mais comment procéder
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

alors ? Comme le dit Lou Gerstner, ancien CEO d’IBM qu’il a ressuscité en 1993
pour le laisser dix ans plus tard complètement transformé, « la longévité repose dans
la capacité de changer, pas de rester avec ce que l’on a… Le leadership qui compte
vraiment est celui qui maintient l’entreprise dans un changement incrémental
constant… en restant focalisé sur l’extérieur, sur ce qui se passe sur le marché, sur
ce qui change, tout en observant ce que fait la concurrence ».2
Pour ce faire, les entreprises qui réussissent sont celles qui sont capables de penser
large, c’est-à-dire en ayant comme point de référence, non plus seulement l’indus-
trie, mais un espace stratégique, une arène, comme l’appelle Rita McGrath3, où,

1.  Barney, J. B. et W.S. Hesterly, W. S. Strategic Management and Competitive Advantage. New Jersey: Pearson, 2010.
2.  « Lou Gerstner on corporate reinvention and values », The McKinsey Quarterly, septembre 2014.
3.  R. G. McGrath, « Transient advantage », Harvard Business Review, juin 2013.

125
  Chapitre 7  ■ Analyse des capacités stratégiques

au-delà de l’industrie qui demeure toujours pertinente, se retrouvent tout un ensemble


d’acteurs dont les clients, les concurrents avec leur offre, les fournisseurs, mais aussi
les innovateurs, diverses organisations avec leurs initiatives. Cet espace stratégique
est un lieu où ces acteurs, qu’ils soient physiques ou dématérialisés, vont se rencon-
trer pour façonner des liens entre eux, créer des opportunités, mettre des contraintes.
Il ne s’agit plus ici uniquement de raisonner en terme de barrières à l’entrée ou à la
mobilité au sein d’une industrie mais d’imaginer la manière de reconfigurer une
offre en essayant d’anticiper comment les besoins vont évoluer et comment ces der-
niers pourront être satisfaits. Le marketing et l’analyse stratégique reviennent ici en
force pour éclairer mieux encore les sources potentielles d’un avantage futur. Pour
ce faire, la deuxième piste réside dans l’observation et le captage de signaux faibles
qui peuvent provenir du client (nouvelles habitudes de consommation, importance
grandissante des réseaux, plus grande accessibilité à l’information, etc.), mais aussi
des évolutions en matière de technologie et de réglementations, des mouvements de
la concurrence. Signaux qui doivent être analysés et interprétés. Troisièmement, le
rôle de l’expérimentation interne, en dehors des cycles d’allocation budgétaire clas-
sique, guidée par une vision partagée et renforcée par un système d’incitations
appropriées, permet l’exploration de nouvelles voies et participe au renouvellement
de l’entreprise. Quatrièmement, savoir remettre en cause en toute confiance en
créant des lieux contrôlés de dissension, où la parole est libre et où chacun se res-
pecte. Les démarches de nature dialectique participent à cet objectif. Enfin, avoir
conscience que rien ne peut être comme avant et que les sources du succès passé ne
peuvent être que différentes de celles pour de succès futurs. Comme l’a dit Boileau
dans son Art poétique, « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ». Tel devrait
être désormais la devise du stratège qui ne peut plus reposer sur ses lauriers, malgré
ses réussites passées.

126
Chapitre

8 Croissance interne

OBJECTIFS
 Présentation des différents modes de croissance interne.
 Comprendre pourquoi l’innovation est devenue indispensable.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   La pénétration
Sec­­tion 2   L’expansion du marché
Sec­­tion 3   La diversification
Sec­­tion 4   L’innovation
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

L a période de croissance des années cinquante et soixante se caractérise, au


regard de la situation actuelle, par la stabilité de l’environnement tant en termes
de marché que de technologies.
La hausse rapide du pouvoir d’achat entraîne une forte augmentation des débou-
chés industriels. Cette croissance, tant en nombre qu’en importance des marchés,
réduit considérablement la pression concurrentielle. Les entreprises ont alors la
possibilité de repérer des marchés à croissance durable sur lesquels l’établissement
d’une position de force assure leur pérennité. Dans un tel contexte, le facteur essen-
tiel du succès est la recherche d’économies d’échelle grâce à une production de
masse.
Les années soixante-dix marquent la fin de ce contexte. La croissance des débou-
chés se ralentit et la demande se déplace, en partie, vers de nouveaux types de
besoins ou vers de nouveaux marchés. Parallèlement, les économies des grands pays
industriels connaissent un ralentissement de la croissance de leurs performances et
une baisse de la productivité des facteurs de production, dans un premier temps, un
affaiblissement des taux de marge et de rentabilité du capital, dans un second. En
conséquence, la concurrence devient plus rude pour les entreprises, tant pour main-
tenir leur position dans les marchés sur lesquels elles opèrent que pour pénétrer des
marchés en croissance ou présentant de bonnes perspectives de développement.
L’accroissement des innovations est la conséquence de cette situation. Le dépasse-
ment des limites de la technique permet, en effet, de changer les règles du jeu
concurrentiel. Le fait de détenir une avance technologique sur ses concurrents
apporte un avantage compétitif – avantage de coût –, un produit mieux adapté aux
attentes des consommateurs, plus fiable… Ceci peut assurer soit le maintien dans
des activités anciennes, soit l’entrée sur de nouveaux marchés. L’innovation devient
un support indispensable de la puissance industrielle. La pérennité d’une entreprise
repose désormais sur sa capacité à générer un flux constant de produits nouveaux.
L’accélération des innovations en période de crise n’est pas le seul fait de l’éco­
nomie moderne. Kondratiev attribue un rôle déterminant au progrès technologique
dans l’alternance semi-séculaire croissance-récession. Il est rejoint dans cette ana-
lyse par Schumpeter qui explique la présence de périodes longues de profit par
l’introduction et la généralisation d’innovations majeures (machines à vapeur au
début du xixe siècle, moteur à explosion et électricité au début du xxe siècle…).
Enfin Mensch1, en mettant en parallèle les cycles économiques de longue période et
la fréquence des innovations, montre que les périodes de crise sont des moments
particulièrement propices à la naissance d’innovations majeures.
Les entreprises désirant maintenir leur position sur un marché donné doivent
désormais déceler toutes les nouvelles évolutions tant technologiques que liées aux

1.  G. Mensch, Stalemate in Technology, Ballinger, Cambridge, 1979.

128
Croissance interne  ■  Chapitre 8

marchés afin d’être en mesure de développer les innovations nécessaires pour


conserver ou acquérir un avantage concurrentiel décisif.
L’innovation est, de ce fait, un enjeu au niveau de la concurrence mondiale. Elle
apparaît en ce début du xxie siècle comme une arme indispensable à la survie des
entreprises sur les marchés internationaux. De nombreux secteurs industriels,
comme l’agroalimentaire, où les activités de recherche et développement n’étaient
traditionnellement qu’une activité secondaire, voire marginale, investissent désor-
mais massivement dans le développement de nouveaux produits et axent une part
importante de leur communication tant interne qu’externe sur les nouvelles techno-
logies maîtrisées. L’importance actuelle des politiques d’innovation dans les straté-
gies d’entreprise est telle que les autres options de croissance interne (voir
tableau 8.1), que nous aborderons néanmoins, deviennent des axes mineurs de déve-
loppement en comparaison de la nécessaire créativité dont une organisation doit
faire preuve pour assurer sa survie.

Tableau 8.1 – Options de croissance interne


Mêmes marchés Nouveaux marchés

Mêmes produits Pénétration Expansion

Nouveaux produits Innovation Diversification

Section
1 La pénétration
La pénétration est souvent la stratégie associée aux entreprises naissantes. La
concentration des moyens sur un savoir-faire particulier, le choix d’une niche qui
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sera facilement dominée demeurent une voie raisonnable pour les entreprises en
phase de démarrage. Toutefois, il n’est pas rare de constater que certaines de ces
mêmes entreprises, quelques années plus tard, ont conservé leur stratégie initiale.
Par exemple, des entreprises comme BIC, pendant plusieurs années avec la fameuse
pointe, le Club Méditerranée avec ses villages, Carrefour dans la distribution, SCOA
dans l’import-export, Michelin dans les pneumatiques ont gardé globalement leurs
spécialisations d’origine et ont réussi à se maintenir à des niveaux de performance
élevés. L’entreprise choisissant une telle option de croissance concentre ses res-
sources sur un seul type de produit, un seul marché et une seule technologie. Elle
s’efforce d’augmenter ses parts de marché afin de devenir le leader et de bénéficier
de tous les avantages qui sont associés à cette position.
Une option de pénétration présente des avantages et des inconvénients. Parmi les
avantages, on peut noter la concentration des ressources sur un objectif unique. De

129
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

plus, une option de pénétration est fondée sur des compétences connues de l’entre-
prise. Elle ne nécessite donc pas de développements complémentaires. Enfin,
­l’option de pénétration implique une plus faible complexité de gestion. La faible
diversité des activités autorise une grande clarté des objectifs et une définition pré-
cise des orientations de l’entreprise.
La relative simplicité de gestion des entreprises ayant opté pour une stratégie de
pénétration permet aux dirigeants de concentrer leurs efforts sur les choix fonda-
mentaux de la firme et sur leur mise en œuvre. Ainsi, ces responsables peuvent
tenter de développer une image unique auprès du marché, d’améliorer la qualité de
leurs produits, d’agir sur la structure des coûts, ou tisser des relations privilégiées
avec les clients du fait de leur parfaite connaissance des besoins et attentes du mar-
ché. De plus, en raison de leur spécialisation, les entreprises qui mettent en œuvre
une telle option de croissance sont plus à même de comprendre, voire anticiper, les
grandes évolutions qui touchent leur clientèle.
Toutefois, la stratégie de pénétration présente les défauts de ses qualités. Par défi-
nition, elle oblige l’entreprise à concentrer sur une activité principale la quasi-­
intégralité de ses ressources. L’organisation est ainsi prisonnière de cette activité et
subit directement toutes les modifications qui peuvent survenir dans son environne-
ment immédiat. L’apparition d’une nouvelle technologie, l’entrée d’un concurrent
puissant ou le commencement de la phase de déclin de l’industrie implique l’appa-
rition de difficultés importantes. De plus, la spécialisation des hommes et des
moyens peut créer des rigidités organisationnelles qui vont empêcher l’entreprise de
saisir les possibilités nouvelles qui se présentent et de développer, en son sein, les
capacités d’adaptation et de changements nécessaires pour répondre aux modifica-
tions de son environnement. Pour ces différentes raisons, une entreprise qui met en
œuvre une stratégie de pénétration se doit d’être extrêmement attentive au suivi de
son environnement. C’est ce suivi permanent qui lui permet de développer des avan-
tages compétitifs et de répondre aux menaces que toute évolution de l’environne-
ment pourrait faire peser sur sa pérennité.

Section
2 L’expansion du marché

La mise en œuvre d’une option d’expansion du marché suppose que l’entreprise


maintienne ses positions sur ses marchés actuels tout en s’aventurant sur de nou-
veaux marchés avec les mêmes produits. Une telle option de croissance interne
couvre les activités suivantes :
––entrée sur de nouveaux segments du marché d’origine ;
––exploitation de nouvelles utilisations des produits de l’entreprise ;

130
Croissance interne  ■  Chapitre 8

––accès à de nouveaux réseaux de distribution ;


––déploiement de l’entreprise sur de nouvelles zones géographiques.
Cette option d’expansion du marché est fréquemment mise en œuvre par des
entreprises appartenant à des secteurs industriels à forte intensité capitalistique. De
fait, les organisations appartenant à de tels secteurs possèdent des actifs qui sont
spécialisés autour de la fabrication d’un produit donné et qui ne peuvent que très
difficilement intégrer des changements technologiques. Dans un tel cadre, la com-
pétence de l’entreprise se définit par rapport à ses produits et non en fonction de ses
marchés. L’exploitation de ses compétences « produits » ne peut être mise en valeur
que grâce à une stratégie d’expansion du marché. Un raisonnement semblable peut
être appliqué par des entreprises possédant de fortes compétences de recherche et
développement qui ne s’appliquent qu’à une gamme réduite de produits. Ces entre-
prises sont ainsi dans l’obligation d’accroître leurs marchés géographiques poten-
tiels afin de rentabiliser leurs investissements en recherche et développement. Par
ailleurs, la globalisation des marchés, notamment dans les services, oblige un certain
nombre d’industries à s’internationaliser afin de suivre leurs principaux clients sur
les marchés où ils sont présents. Enfin, les entreprises se trouvant sur un secteur en
déclin dans une zone géographique donnée peuvent également rechercher à l’inter-
national des marchés où leurs produits se trouvent encore dans des phases de matu-
rité, voire de croissance.
Afin de bénéficier des avantages d’une option d’expansion du marché, une entre-
prise se doit de modifier sa structure et son organisation afin de prendre en compte
une plus grande diversité d’environnements. Les avantages et inconvénients associés
à l’option d’expansion sont sensiblement équivalents à ceux liés à une stratégie de
pénétration. Il s’agit dans la plupart des cas d’une option de croissance temporaire
car l’entreprise, arrivée au bout de ses possibilités de croissance avec ses produits
initiaux sur les nouveaux marchés, se posera alors la question de la diversification.
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Section
3 La diversification
Afin de limiter les risques liés à la trop grande spécialisation de l’entreprise
qu’induit la mise en œuvre d’une politique d’expansion ou de pénétration, de nom-
breuses entreprises choisissent une option stratégique de diversification afin de
répartir leurs activités sur plusieurs couples produits-marchés.
Le choix d’une stratégie de diversification répond à plusieurs motifs. Tout d’abord,
lorsque les produits traditionnels de l’entreprise commencent à stagner, pour des
raisons de faiblesse de la demande ou d’accroissement de la concurrence, la firme
peut être tentée par une diversification dans des activités ou des marchés nouveaux.

131
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

Une autre raison de se diversifier est la recherche d’une meilleure répartition du


risque et d’un équilibre satisfaisant dans les flux des profits et des revenus générés
par des activités différentes qui se compensent les unes les autres. Enfin, une entre-
prise peut également désirer se diversifier lorsque les ressources dégagées par des
produits de base sont plus que suffisantes pour assurer leur croissance. Des
­possibilités d’investissements rentables dans d’autres secteurs industriels sont alors
recherchées.
On distingue généralement deux types de diversification, la diversification concen-
trique (ou liée) et la diversification conglomérale (ou non liée) en fonction du degré
de proximité des nouvelles activités avec les métiers traditionnels de l’entreprise.
Dans une diversification concentrique, les nouveaux développements conservent un
lien avec les activités traditionnelles par l’entremise de la clientèle, de la techno­
logie, de la distribution, des compétences de gestion, de la marque…
La mise en œuvre d’une diversification liée implique donc que l’entreprise a su
identifier ses compétences de base, qu’elles soient technologiques, industrielles,
marketing ou financières. En pénétrant de nouveaux couples produits-marchés,
l’entreprise rentabilise au mieux les investissements réalisés pour développer ses
compétences quitte à les organiser différemment ou à les compléter par de nouveaux
développements. Il s’agit, par exemple, de faire appel à une compétence technique
de base, comme Texas Instruments qui passe de la fabrication de calculettes à la
production de montres en s’appuyant sur sa maîtrise de la microélectronique ; ou
bien d’optimiser l’utilisation d’une force de vente ou d’une capacité de production.
Il peut aussi s’agir de capitaliser sur un point fort, comme BIC qui a recours à son
expertise commerciale, acquise pendant plusieurs années sur un produit unique – le
stylo à bille – pour vendre de nouveaux produits – les rasoirs jetables – similaires
sur de nombreux points. Enfin, les vélos tout terrain ou les vêtements développés par
BMW montrent le lien qui peut exister sur le plan de l’image, entre une entreprise
et des produits nouveaux – vêtements et autres produits dérivés – qui n’ont rien à
voir avec l’activité traditionnelle de transport  ; le seul lien étant celui de l’image
créée initialement autour de la firme et exploitée par ailleurs.
Si la diversification concentrique est une source potentielle de synergies entre les
nouvelles et les anciennes activités de l’entreprise, il en est tout autrement de la
diversification conglomérale. De fait, une diversification conglomérale repose sur
des développements hors des frontières de l’industrie et sur des activités qui ne pré-
sentent que des liens forts ténus avec les métiers et les compétences de base tradi-
tionnels de l’entreprise. Si la diversification concentrique est source de synergies
entre les différentes activités de l’entreprise, la diversification conglomérale a un
tout autre objet. En effet, pour les entreprises dont la spécialisation est très étroite,
tout développement d’une nouvelle activité ne peut se faire qu’en dehors de la voca-
tion de base. Les entreprises hôtelières, dont la spécificité de service est grande, ont
adopté tout naturellement une diversification « conglomérale ». Par exemple, la

132
Croissance interne  ■  Chapitre 8

société Accor a pénétré le domaine des services aux entreprises avec le ticket restau-
rant ou le déploiement de programmes sociaux avec le ticket service. Pour d’autres
firmes, ce type de diversification répond à un besoin d’équilibre entre plusieurs
domaines, la croissance des uns compensant le déclin des autres. Ainsi, une entre-
prise sans soucis financiers immédiats, mais avec peu de perspective de développe-
ment, peut s’engager dans des secteurs prometteurs nécessitant des ressources
nouvelles. De même, une autre entreprise peut choisir de diversifier ses activités
dans des secteurs dont le cycle économique est inversé par rapport au cycle de ses
produits actuels.
La diversification « conglomérale » n’est pas sans poser de problèmes. Le premier
problème est naturellement le manque de cohérence stratégique entre les différentes
activités de l’entreprise, qui empêche le développement de toute synergie autre que
financière. Deux scénarios se présentent. Selon un premier scénario – favorable – les
divers composants de l’entreprise se comportent comme des entités indépendantes
dont les performances sont aussi bonnes que celles que ces mêmes entités pourraient
obtenir en dehors de toute attache au conglomérat. Dans un second scénario – défa-
vorable – des pressions vers une centralisation de la prise de décision sont exercées,
limitant la liberté des unités opérationnelles en dehors de toute logique ou lien stra-
tégique et entraînant un résultat consolidé souvent décevant. Un autre problème est
directement lié à cette dernière remarque. Il s’agit de la difficulté, voire l’impossibi-
lité, qu’ont les dirigeants du conglomérat à connaître et maîtriser les divers aspects
de leurs divisions opérationnelles. Dans un environnement porteur et lorsque la prise
de décision est décentralisée auprès des responsables des unités opérationnelles, le
fonctionnement global de l’ensemble ne peut être satisfaisant que dans la mesure où
chacun est à la hauteur de la tâche demandée. En revanche, en cas de crise, les diri-
geants de l’entreprise ont rarement les compétences et l’expérience requises pour
analyser et résoudre des problèmes qui sont souvent sans rapport avec leurs exper-
tises antérieures. Ce phénomène explique la fragilité de certains conglomérats en
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

temps de crise et la prudence avec laquelle ce type de diversification doit être adopté.
Une diversification conglomérale va ainsi entraîner de nombreux problèmes tant
au niveau de la recherche de cohérence entre les différentes activités du « conglomé-
rat » qu’à celui de la complexité de la gestion que va entraîner la diversification. Si
une diversification conglomérale permet d’équilibrer les risques entre les différentes
activités de l’entreprise, elle ne permet généralement pas la création de synergies
autre que financières et entraîne une complexité de gestion croissante qui peut
­s’avérer dangereuse pour l’ensemble de l’entreprise.
Une entreprise qui met en œuvre une politique de diversification se doit de déter-
miner, d’une part, le plus faible niveau de diversification dont l’organisation a besoin
pour atteindre ses objectifs et demeurer une entité rentable et saine et, d’autre part,
le niveau maximum de diversification que la firme peut supporter du fait de la
­complexité additionnelle créée. Toutefois, une grande prudence s’impose compte

133
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

tenu des problèmes nouveaux de gestion généralement créés. La recherche d’une


moindre complexité doit être la règle afin d’éviter de se trouver dans une situation
difficilement maîtrisable. Dans cette perspective, la diversification « conglomérale »
semble être la plus risquée et celle dont la dimension stratégique semble s’estomper
au profit d’une préoccupation essentiellement financière. Une diversification
concentrique doit donc être préférée à une diversification conglomérale car elle peut
permettre la création de nombreuses synergies et trouve ainsi une justification éco-
nomique importante tout en permettant de répartir les risques pour l’entreprise.
Au-delà des quelques remarques précédentes sur la diversification, certains auteurs
ont fait remarquer, à juste titre, que sur un plan purement économique, la diversifica-
tion est rarement justifiée. En effet, l’actionnaire de l’entreprise n’a pas besoin que
cette dernière se diversifie pour mieux répartir ses risques dans différentes activités. Il
peut tout aussi bien le faire, et à un coût beaucoup plus faible, en investissant directe-
ment dans des entreprises appartenant à d’autres secteurs industriels. La diversification
peut être cependant justifiée lorsqu’elle permet de créer une richesse économique du
fait, par exemple, de synergies. Richesse qui aurait été impossible à réaliser par une
simple diversification du portefeuille d’actifs financiers.

Section
4 L’innovation
Une stratégie d’innovation est probablement l’option de croissance interne dont
les effets externes sont les plus importants. L’innovation peut avoir un impact fon-
damental sur l’environnement économique à trois niveaux différents :
• Sur la structure de la concurrence, de nouveaux concurrents peuvent surgir sur un
marché grâce à l’acquis de leurs technologies initiales. Par exemple, les innovations
successives dans le domaine de l’informatique et des télécommunications ont
entraîné l’apparition de nouveaux concurrents tels que Cisco. Parallèlement IBM
s’est, peu à peu, rapproché du secteur des télécommunications et ATT s’est introduit
dans l’informatique  ; l’un et l’autre percevant dans les activités de son voisin un
prolongement logique, voire nécessaire, de sa propre mission. Le résultat en est un
accroissement de l’intensité concurrentielle qui, sans nul doute, provoque de nou-
velles… innovations. L’innovation peut aussi entraîner la disparition de concurrents.
Tel est le cas, par exemple, du développement de l’électronique qui a entraîné la
disparition de nombre d’industriels spécialisés en électromécanique.
• Sur la croissance, l’innovation permet de créer de nouveaux segments d’activités
par la nature des applications qu’elle offre. Elle autorise la création et la satisfac-
tion de nouveaux besoins ou la transformation de besoins préexistants. Le déve-
loppement du premier PDA « fonctionnel » par Palm Pilot a ainsi permis la

134
Croissance interne  ■  Chapitre 8

création d’un nouveau segment d’activités dans le cadre de la micro-informatique.


Dans un autre secteur et antérieurement, le lancement de l’autofocus par Minolta
et Nikon a entraîné, à l’époque, une forte croissance des ventes d’appareils photo-
graphiques. De même, l’innovation fait œuvre de substitution, comme c’est le cas,
toujours dans le secteur de photographie, entre les produits basés sur l’argentique
et ceux basés sur le numérique.
• Sur les positions concurrentielles, l’innovation peut entraîner des avantages de
coûts de production ou peut permettre la différenciation des produits de l’entre-
prise. L’innovation qui porte sur les processus d’opérations donne à l’entreprise
instigatrice un avantage en termes de coût. Par exemple, l’adoption par les Bres-
ciani d’un procédé sidérurgique nouveau a permis à leurs mini-aciéries d’obtenir
des coûts faibles de production de ronds à béton. Ceci les a placés dans une posi-
tion compétitive favorable vis-à-vis des sidérurgistes traditionnels pourtant beau-
coup plus puissants. L’innovation qui porte sur le produit ou le service permet,
quant à elle, de renforcer la nature différenciée de l’activité de l’entreprise. Par
exemple, l’invention du nylon par DuPont, du procédé de photo instantanée par
Polaroïd, du Scotch-Brite par 3M, de Windows par Microsoft dûment protégée par
des brevets, a donné à ces entreprises un avantage concurrentiel fort grâce à l’uni-
cité de leur produit. Ces dernières ont ainsi bénéficié pendant plusieurs années
d’un monopole de fait et en ont retiré une rente substantielle.
Au-delà de ces effets externes, l’innovation est également une des sources d’avan-
tages concurrentiels majeurs d’une entreprise. Afin d’appréhender l’innovation
comme une source d’avantages concurrentiels pour l’entreprise, nous avons retenu
les définitions des stratégies génériques exposées par Porter1. Dans un premier
temps, nous allons essayer de définir l’impact du renouveau technologique sur les
stratégies fondées sur un avantage-coût puis sur les stratégies de différenciation.
L’objectif est ici de montrer comment les entreprises utilisent l’innovation pour
créer un avantage concurrentiel et renforcer ainsi leurs positions sur leurs marchés.
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1 Innovation et avantage concurrentiel


1.1  Innovation et avantage de coût
Le recours à des technologies plus performantes, en utilisant des innovations,
permet à l’entreprise d’améliorer sa position sur certains éléments de sa structure de
coûts, et acquérir ainsi un avantage sur ses concurrents. L’avantage-coût des firmes
les plus compétitives se traduit par des marges supérieures et une profitabilité accrue
sur des marchés où le prix s’impose à l’entreprise. L’innovation apparaît donc
comme un facteur réducteur de coûts ; les compétences technologiques de l’entre-
prise sont directement à la base de l’avantage concurrentiel.

1.  Op. cit.

135
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

En fonction de l’importance de l’entreprise, nous constatons que l’avantage-coût,


fondé sur la technologie et l’innovation, peut être vu de deux manières différentes :
––d’une part, les grandes entreprises, dominantes sur leurs marchés, renforcent leur
recherche et développement en termes d’investissements pour être à l’origine des
innovations tournées vers la réduction des coûts ;
––d’autre part, les entreprises de moindre envergure s’efforcent d’apporter des chan-
gements technologiques et ainsi, permettre la création d’une nouvelle courbe
d’expérience où elles auront un avantage.

1.2  Innovation et différenciation


Les stratégies de différenciation fondent l’avantage concurrentiel de l’entreprise
sur la spécificité de son offre, elle-même reconnue et valorisée par le marché. Le
caractère durable de la spécificité de l’offre peut être obtenu de deux manières : 
––par un produit ou un service détenu par l’entreprise de façon exclusive (protégé
par des brevets ou par un secret de fabrication et/ou d’opérations) ;
––par l’adoption d’une politique de services, de qualité, etc., qui différencie l’offre
de l’entreprise.
On constate que l’avantage fondé sur une technologie ou un ensemble exclusif de
technologies, assure à l’entreprise un avantage concurrentiel significatif. On peut
citer comme exemple Microsoft qui avec la mise au point et la commercialisation de
Windows s’est assuré une remarquable prospérité. En situation de monopole sur ce
marché, cette entreprise a « joué la carte » de la technologie ; l’objectif étant ­d’acquérir
un avantage durable dans un univers concurrentiel identifié.
Dans ce cadre général, l’innovation est très fréquemment à la base des stratégies
de différenciation car elle est un moyen puissant de donner à l’offre de l’entreprise
un caractère unique, défendable contre les tentatives d’imitation de la concurrence.
L’innovation peut ainsi être à la source des deux grands types d’avantages concur-
rentiels et ce tant pour une entreprise dominante que pour un nouvel acteur sur un
marché donné. La place révolue à l’innovation dans le cadre d’une stratégie d’entre-
prise est donc essentielle.

2 Maintien d’une position concurrentielle innovante

Les entreprises occidentales ont trop souvent tendance à considérer l’innovation


comme Clausewitz considère une bataille un engagement total qui doit permettre
l’anéantissement de l’adversaire dont résulte un avantage durable. Dans un tel cadre,
l’entreprise est amenée à privilégier l’innovation radicale, seule source potentielle
d’avantages compétitifs durables et à négliger l’innovation incrémentale qui s’asso-
cie davantage à une politique d’encerclement et de guérilla telle que développée par

136
Croissance interne  ■  Chapitre 8

Sun Tzu. L’entreprise responsable de l’innovation radicale va s’épuiser à créer un


nouveau marché adapté à son produit nouveau. Si elle néglige de continuer ses
investissements en Recherche et Développement sous prétexte de rentabiliser au
plus vite ses investissements initiaux, elle va peu à peu voir ses concurrents appa-
raître et lancer des produits qui dans un premier temps seront comparables puis
deviendront supérieurs. Faute d’avoir su développer des innovations incrémentales
complétant son innovation radicale, l’entreprise va peu à peu perdre son leadership
technologique et disparaître du marché.
La référence à Clausewitz et Sun-Tzu est quelque peu galvaudée pour avoir été
trop utilisée, mais le management stratégique de l’innovation est sans doute l’une
des rares activités de l’entreprise où ces deux approches sont parfaitement complé-
mentaires. Une innovation radicale ne pourra être une source d’avantages durables
que si elle est complétée par une suite d’innovations qui permettront à l’entreprise
de conserver son leadership technologique. De plus, la conjugaison de ces deux
approches stratégiques peut permettre à l’entreprise innovatrice d’imposer ses choix
technologiques comme le standard du marché.
Il convient néanmoins de savoir gérer ce flux constant d’innovations car il peut
présenter, à moyen et long terme, des inconvénients majeurs :
• Création d’un écart grandissant entre le produit et les besoins réels des consom-
mateurs  : les besoins et attentes des consommateurs ne sont pas extensibles à
l’infini et, à force d’innovations, on peut très bien s’écarter progressivement du
niveau réel d’attentes et de besoins des consommateurs. Cet éloignement progres-
sif entre possibilités des produits et attentes et besoins des consommateurs a pour
effet majeur l’ouverture d’une « fenêtre d’opportunités » à des entrants de deu-
xième rang qui pénètrent alors le marché avec des produits « de base » ne disposant
que des fonctionnalités qui correspondent réellement aux besoins des consomma-
teurs et à un prix bien plus faible que celui pratiqué par les acteurs qui ont main-
tenu cette course à l’innovation. À titre d’exemple, on peut citer l’industrie des
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smartphones où les industriels, pris dans une course à l’innovation, ont développé
des fonctionnalités à l’intérêt réduit et ce parfois au détriment de la fonction pre-
mière, « téléphoner ». Chacun se souvient de « l’antennagate » de l’iPhone 4 où
les utilisateurs tenaient leur Iphone en appuyant sur l’antenne de l’appareil et
créaient ainsi des problèmes de réception.
• Cannibalisation entre des générations de produits trop rapprochées : l’appari-
tion d’une nouvelle génération de produits entraîne la disparition de la généra-
tion précédente. Si le rythme est trop rapide, il entraîne une diminution
mécanique de la marge globale par la disparition de produits rentables ayant
atteint ou dépassé leur point mort. Les constructeurs automobiles, notamment
japonais, ont ainsi augmenté récemment la durée de vie de leurs modèles de
quatre à cinq ans afin d’éviter cette cannibalisation entre des générations trop
rapprochées.

137
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

• Report de l’achat par le consommateur devant une suite constante d’innovations,


le consommateur a tendance à reporter son achat car il sait que pour le même
montant, il disposera d’une configuration supérieure à court terme ou qu’il paiera
la configuration initiale à un prix plus faible s’il attend quelques mois. La micro-
informatique est un bon exemple de cette dérive.
Afin d’éviter les inconvénients décrits ci-dessus, il convient de faire varier tant la
politique d’innovation que la nature des innovations en fonction du cycle de vie des
produits.

3 Innovation et cycle de vie des produits


La phase de création (voir figure 8.1) se caractérise par l’apparition des premiers
produits nouveaux. Les entreprises pionnières doivent créer un marché et persuader
le consommateur final ou le client industriel de l’intérêt de leur offre. Dans nos
économies occidentales où les besoins fondamentaux, au sens de Maslow, sont lar-
gement couverts, il peut également s’agir de créer besoins et attentes là où les
consommateurs ou clients n’éprouvaient rien avant cette phase de création de mar-
ché. Cette phase se caractérise également par une très faible connaissance des
besoins réels des clients qui ne peuvent donner de réponses fiables aux enquêtes
consommateurs qu’après avoir compris et utilisé les produits et/ou services nouvel-
lement créés. À titre d’exemple, essayons d’imaginer ce que nous aurions répondu
en 1980 si on nous avait interrogés sur nos besoins et attentes vis-à-vis de la micro-
informatique ou si en 1995, on nous avait interrogés sur l’avenir d’Internet. Cette
phase se caractérise enfin par une activité de standardisation. Les consommateurs et
clients potentiels ont de fait tendance à ajourner leur achat s’ils perçoivent une
incompatibilité d’usage ou de transfert entre les différents produits et technologies
présents sur le marché.
La phase de croissance se caractérise par une forte progression des ventes et une
connaissance de plus en plus fine des attentes et des besoins réels des clients et
consommateurs. L’entreprise va alors développer une suite d’innovations incrémen-
tales afin de tirer le niveau de besoins et d’attentes vers le haut tout en répondant de
mieux en mieux, grâce à une fiabilité accrue des études marketing, aux besoins et
attentes de clients.

138
Croissance interne  ■  Chapitre 8

Phase de création
• Innovation radicale
• Peu de connaissances
des besoins réels des Phase de maturité
clients
• Création du marché • Vente à des clients
avertis
• Standardisation
• Le prix devient le
• Peu de ventes Phase de croissance facteur clé de choix
• Suite d'innovations • Innovation tournée
incrémentales vers la réduction des
• Adaptation aux besoins coûts
réels des clients • Innovation radicale
• Forte croissance des (technique) pour
ventes relancer le marché

Figure 8.1 – Innovation et cycle de vie des produits

La phase de maturité est généralement une phase où les clients ne sont plus des
« primo acheteurs » mais des clients avertis qui ont déjà utilisé les produits,
connaissent précisément leurs besoins et attentes et savent juger les différentes
offres qui leur sont proposées. Dans un tel cadre, le prix devient un facteur décisif
de choix et l’entreprise se doit donc d’innover majoritairement dans une optique de
réduction de ses coûts (analyse de la valeur, « reverse engineering », « étalonnage »,
nouvelles technologies de production…). Elle peut continuer à améliorer ses pro-
duits par innovation incrémentale dans les domaines où le consommateur est encore
insatisfait (qualité, longévité, fonctionnalités…) mais cette innovation demeurera
marginale par rapport à la réduction des coûts. Enfin, l’entreprise peut essayer, par
une innovation radicale à forte composante technologique, de relancer le marché et
recréer ainsi de la croissance tant en volume qu’en valeur. À titre d’exemple, le lan-
cement des technologies autofocus puis, dix ans plus tard, des technologies numé-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

riques ont permis de relancer à deux reprises le marché des appareils photographiques
arrivé à maturité et qui entamait alors un déclin sinon en volume du moins en valeur.
La conservation de la rente associée à l’innovation va donc dépendre de critères
tant endogènes qu’exogènes à l’entreprise innovatrice. De fait, l’entreprise ne peut
agir directement que sur la poursuite, à bon escient, de sa politique de Recherche et
Développement et la recherche d’une protection forte fondée sur des compétences
tacites peu imitables. L’influence que peut avoir une entreprise sur le degré de stan-
dardisation du marché et sur ses relations avec ses fournisseurs d’actifs complémen-
taires nécessaires au développement de l’innovation, est beaucoup plus incertaine.
Cette influence sera fonction de la taille relative de l’entreprise par rapport à ses
concurrents et ses fournisseurs, et de la masse critique qu’elle a pu atteindre sur le
marché. Néanmoins son impact sur la conservation de la rente associée à l’innova-
tion demeure aléatoire.

139
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

4 Innovation et coopération
Les stratégies d’innovation présentent un fort potentiel pour l’entreprise. Néan-
moins les risques et incertitudes associés à de telles options stratégiques sont impor-
tants, alors même que leurs coûts sont très élevés. Les entreprises répondent
fréquemment aux difficultés de mise en œuvre d’une politique d’innovation par la
mise en œuvre de coopération et d’alliance. Ces dernières permettent de répartir les
investissements nécessaires à la réalisation d’une innovation tout en permettant la
création de synergies entre les compétences technologiques des différents parte-
naires. L’alliance entre General Electric et Snecma (présentée dans l’exemple ci-
dessous), dans la construction du réacteur d’avion CFM56, relève de cette volonté.
En partageant les investissements et en utilisant tant les compétences techniques que
commerciales présentes dans les deux firmes, ces deux entreprises ont connu un
succès important tout en réduisant les risques associés à un projet d’innovation.
De plus, les coopérations permettent de créer une masse critique autour des tech-
nologies développées en commun. Masse critique qui facilite une standardisation du
marché autour des choix effectués par les alliés. Les deux standards à la base du
DVD, MPEG II et AC3 ont ainsi été développés et négociés par la quasi-totalité des
firmes présentes dans le domaine de l’électronique grand public. Cette standardisa-
tion autorisée par des collaborations interentreprises n’est pas neutre financièrement
dans la mesure où on a pu constater que la somme des marges brutes d’autofinance-
ment dégagées par les entreprises présentes sur un nouveau marché devenait positive
plus rapidement dans le cas d’une standardisation coopérative que dans le cas d’une
standardisation concurrentielle. En règle générale, on peut constater que le marché
se crée beaucoup plus rapidement lorsqu’une masse critique d’entreprises promeut,
ensemble et d’une même voix, une nouvelle technologie. Cette coopération a pour
effet principal de rassurer le consommateur potentiel quant à la pérennité des inves-
tissements qu’il effectuera sur la technologie développée en commun.
La multiplication des alliances technologiques n’exclut pas pour autant la compé-
tition. Elle ne fait que la repousser après l’établissement du standard du marché et
la maturité de la technologie. À titre d’exemple, on peut prendre le cas de l’industrie
de la pellicule photographique, ou les deux leaders du marché, Kodak et Fuji, ont
développé puis lancé ensemble un nouveau standard, celui de l’APS tout en restant
en concurrence, sur leurs différents produits, y compris ceux utilisant le nouveau
standard.

Exemple – L’alliance General Electric-Snecma et le CFM 56


Un avion équipé de CFM56 décolle toutes les quatre secondes dans le monde. Moteur
préféré des compagnies aériennes, le CFM56 propulse plus de la moitié des avions de
plus de cent places livrés depuis quinze ans. Il est commercialisé par CFM International,
filiale 50/50 de Snecma et de General Electric.

140
Croissance interne  ■  Chapitre 8

Avec plus de 13 800 exemplaires en service, le CFM56 est le moteur de choix pour les
applications court et moyen courriers de Boeing et Airbus. Il est le seul moteur de sa
catégorie à équiper tous les avions des grandes familles mono-couloir des deux avion-
neurs. Le CFM56 propulse en exclusivité toute la famille Boeing 737. Chez Airbus, il
équipe non seulement la totalité de la famille A320, mais aussi le quadrimoteur long-
courrier A340 200/300.
La famille CFM56 offre la plus large gamme de moteurs de sa catégorie. Déclinée en six
modèles, elle couvre des puissances de 82 à 151 kN (18 500 à 34 000 lb) de poussée.
Le succès commercial du CFM56 repose sur plusieurs avantages compétitifs. Il s’agit
tout d’abord d’une réussite technologique. Les premiers moteurs de la famille ont été
créés dans les années soixante-dix à partir du prototype M56 de Snecma Moteurs et d’une
version CF (commercial fan) du corps haute pression militaire F101 de General Electric.
Le CFM56 fut le premier moteur double flux à fort taux de dilution destiné aux avions
mono-couloir. Livré à partir de 1982, il a permis de diminuer d’environ 20 % la quantité
de carburant consommée par les moteurs alors en service.
Quelques années plus tard, les deux partenaires ont mis au point un nouveau système de
combustion, le DAC (pour Double Annular Combustor) qui a permis de diminuer les
émissions d’oxyde d’azote de plus de 40 % et de satisfaire aux normes environnemen-
tales les plus exigeantes. La fiabilité du CFM56 constitue aussi un atout majeur. Sa durée
de vie sous l’aile est parmi les plus longues, avec une durée de vie moyenne sous l’aile
avant la première visite de seize mille heures, et avec de nombreux moteurs atteignant
trente mille heures sans visite.
Afin de préparer le futur du CFM56, Snecma Moteurs et General Electric ont lancé un
programme de recherche et de technologie baptisé TECH 56. L’objectif de ce pro-
gramme est d’anticiper et d’être prêt à répondre à une demande éventuelle des clients
en matière d’amélioration de performances, de coûts d’exploitation et de respect de
l’environnement.
D’après le site Snecma, www.snecma.fr.

Au vu des avantages que présente une stratégie de coopération dans le cadre du


développement de nouvelles technologies, il n’est pas étonnant de constater que de
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nombreuses entreprises de haute technologie gèrent un véritable portefeuille


­d’alliances avec leurs concurrents et dans certains cas avec leurs fournisseurs et
leurs clients. Les stratégies d’alliance et de coopération dans le domaine de la haute
technologie ne constituent toutefois pas une panacée. Elles permettent à l’entreprise
de limiter les risques et les investissements inhérents au développement d’une nou-
velle technologie mais l’entreprise doit également continuer à développer seule des
innovations afin de pouvoir conserver ses positions compétitives et ne pas être pri-
sonnière de l’alliance. La pérennité d’une entreprise repose ainsi sur sa capacité à
générer un flux constant d’innovations au-delà du standard défini en coopération
dans le cadre de stratégies d’alliance.

141
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

5 Innovation et imitation

Les premiers produits présents sur un nouveau marché bénéficient généralement


d’un avantage compétitif durable sur les derniers entrants (voir tableau 8.2). Cet
avantage s’appuie sur les barrières à l’entrée que les entreprises ont su créer. Il est
effectivement primordial pour une entreprise de développer rapidement ses produits
nouveaux afin de bénéficier des avantages liés à l’ordre d’entrée et au renouvelle-
ment rapide de ses gammes de produits.

Tableau 8.2 – Avantages de l’innovateur et de l’imitateur

Avantagesdedel'innovateur
Avantages l'innovateur Avantagesdedel'imitateur
Avantages l'imitateur

ï • Image
Image et
et rÈputation
réputation
ï • Eviter
Éviter les
les produits
produits sans
sans potentiel
potentiel
ï • PossibilitÈ
Possibilité de
de choisir
choisir le
le meilleur
meilleur
positionnement
positionnement ï• RÈduction
Réduction des
des risques
risques financiers
financiers

ï • Leadership
Leadership technologique
technologique ï• RÈduction
Réduction des
des dÈpenses
dépenses de
de R&D
R&D

ï • PossibilitÈ
Possibilité d'imposer
d'imposer son
son standard
standard ï• RÈduction
Réduction du
du temps
temps de
de R&D
R&D

ï • Bon
Bon accËs
accès ‡àla
ladistribution
distribution ï• RÈduction
Réduction des
des co˚ts
coûtslies
liés‡à
l'éducation des consommateurs
l'Èducation des consommateurs
ï • Effets
Effets d'expÈrience
d'expérience
ï• "Saute
« Sautemouton"
mouton »technologique
technologique
ï • CrÈation
Création de
de barriËres
barrières ‡à l'entrÈe
l'entrée
ï• Imposition
Imposition d'un
d'un nouveau
nouveau standard
standard
–ñBrevets
Brevets
ï Synergies avec activitÈs existantes
–ñCanal
Canalde
dedistribution
distribution

Toutefois, l’avantage du premier entrant n’est pas systématique car les nouveaux
marchés sont caractérisés par des incertitudes tant technologiques qu’économiques.
L’une des conséquences majeures de ces incertitudes est que la validité des résultats
obtenus par les études marketing dans des environnements économiques émergents
est faible. L’avantage du premier entrant est donc loin d’être systématique car, faute
d’informations fiables sur les marchés et les attentes des consommateurs, l’entre-
prise pionnière risque de développer un produit qui ne correspond pas, ou qui ne
correspond que partiellement, aux besoins des consommateurs. Les imitateurs dis-
posent ainsi d’un avantage certain, ils n’imiteront qu’un produit qui connaît le suc-
cès et réduiront ainsi fortement les risques associés à une stratégie d’innovation.
En fait, les avantages liés à l’ordre d’entrée des concurrents existent bel et bien mais
il suppose que l’innovateur soit capable de maintenir sa prééminence technologique et
qu’il sache développer une masse critique de consommateurs autour de ses produits
rapidement. Tant que cette masse critique de clients n’existe pas, ­l’entreprise pionnière
ne bénéficie d’aucun des avantages décrits dans le tableau 8.2. Il existe donc, comme

142
Croissance interne  ■  Chapitre 8

décrit dans la figure 8.2, une fenêtre d’opportunités pour les imitateurs, à l’issue de la
phase de latence et lorsque le marché entre en phase de croissance.
La figure 8.2 présente les phases successives caractéristiques d’un nouveau marché.
L’apparition du premier produit entraîne la création d’un marché, mais il n’y a que peu
de clients et cette phase de latence où le produit est à la disposition des consommateurs
potentiels mais sans réelle croissance des ventes peut s’avérer relativement longue.
À titre d’exemple, les premiers lecteurs de DVD sont apparus sur le marché français
en 1996 alors même que le marché n’a réellement commencé à croître qu’en 2000.
L’innovateur va donc devoir éduquer le marché et persuader les consommateurs poten-
tiels que le produit nouveau correspond bel et bien à des besoins et attentes que jusqu’à
présent, ils n’éprouvaient pas. Nombre de nouveaux marchés ne sont jamais sortis de
cette période de latence car les clients potentiels n’ont pas réagi aux efforts marketing
des innovateurs et n’ont pas acheté les produits nouvellement développés.

Phase de croissance

• Forte croissance des


ventes
• Création de masse
critique et baisse des
coûts de production
par économies
d’échelle et effet
d’expérience

Phase de latence • Création d’un pouvoir


de marché
• Création du marché
• Peu de connaissances
des besoins réels des
clients
• Standardisation
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• Produits présents mais


peu de ventes

« Fenêtre d’opportunités »

• Début de la croissance
des ventes
• Les pionniers n’ont
pas pu créer une masse
critique suffisante pour
bénéficier des
avantages liés à l’ordre
d’entrée des
concurrents

Figure 8.2 – « Fenêtre d’opportunités » pour l’imitation

143
  Chapitre 8  ■ Croissance interne

Par la suite, si les innovateurs réussissent à créer une demande pour leurs offres nou-
velles, le marché va entrer en phase de croissance. Les entreprises présentes lors de cette
phase voient leurs ventes augmenter et, par la création de la masse critique qui en résulte,
elles bénéficient des avantages généralement attribués aux innovateurs. Une entreprise
qui chercherait à pénétrer le marché au cours de cette phase de croissance serait alors
contrainte à des investissements importants pour conquérir des parts de marché.
Il existe ainsi une « fenêtre d’opportunités » pour des imitateurs ou des entrants
tardifs à la jonction de ces phases de latence et de croissance. Le marché commence
à se créer et les entreprises peuvent déterminer avec un degré de fiabilité élevé tant
les caractéristiques futures du marché en termes de taille potentielle, de prix… que
les facteurs clés de succès et les besoins et attentes réels des clients. En revanche,
les ventes cumulées étant encore faibles, les innovateurs n’ont pas encore pu béné-
ficier des avantages liés à leur statut de premier entrant. Alors même qu’ils ont dû
consacrer des sommes importantes, au-delà des investissements en Recherche et
Développement, dans la création du marché et l’éducation des consommateurs. Les
imitateurs qui choisissent de bénéficier de cette « fenêtre d’opportunités » disposent
également d’informations marchés plus fiables que les innovateurs car les produits
de ces derniers sont disponibles et les consommateurs sont informés.
Le problème principal qui se pose pour les imitateurs est de réussir à pénétrer le
marché durant cette « fenêtre d’opportunités ». S’ils découvrent les produits des
innovateurs lors de leur lancement commercial, il est fort probable qu’ils n’arrivent
pas à développer leurs propres solutions durant la période de latence du marché et
qu’ils arrivent sur le marché trop tard. Ils pourront alors obtenir leur part de marché
naturelle mais au prix d’investissements bien supérieurs à ceux nécessaires dans le
cas d’une entrée en fin de période de latence.
L’analyse du tableau 8.3 permet d’apporter une solution. On peut constater à sa
lecture que les coûts de R & D d’une innovation radicale représentent environ 20 %
des coûts totaux de développement. Une fois, les activités de R & D terminées,
l’entreprise dispose alors d’un « prototype fonctionnel » qu’elle sait industrialiser et
lancer commercialement dans les trois à six mois. Les activités d’industrialisation et
de lancement commercial pouvant être menées en parallèle, alors que les activités
de recherche et de développement sont structurellement séquentielles.
Par analogie financière, l’entreprise dispose donc d’une option (d’un coût de
20 %) qui lui permet de pénétrer un marché donné en l’espace de trois à six mois.
Elle n’investira les 80 % restants que lorsqu’elle saura que le risque marché a dis-
paru à l’instant où les ventes commencent à croître. Une entreprise peut ainsi choisir
de retarder tant l’industrialisation que le lancement et attendre qu’un concurrent
prenne le risque de créer le marché. Elle étudiera alors avec attention les premiers
consommateurs, adaptera son propre prototype à leurs réactions puis pénétrera le
marché lors de la « fenêtre d’opportunités » décrite précédemment. Il ne s’agit pas,
dans cette logique, d’être le premier entrant, mais de laisser à d’autres le soin de

144
Croissance interne  ■  Chapitre 8

prendre les risques marché pour n’investir l’essentiel des coûts de développement
que lorsque ces risques se réduisent, voire disparaissent.

Tableau 8.3 – Répartition des coûts de développement d’une innovation radicale

Répartition des coûts


Délai de réalisation
en base 100

Recherches 5-10 % 5-10 ans

Développement 15-20 % 1-4 ans

Industrialisation 40-50 % 3-6 mois

Marketing
20-30 % 3-6 mois
Lancement commercial

La encore, nous trouvons une différence dans les approches possibles entre
grandes et petites entreprises. Une organisation importante va développer un porte-
feuille d’options de produits nouveaux et laissera le soin à des petites entreprises de
tester le marché. En fonction des réactions des consommateurs et des analyses réa-
lisées sur les produits présents sur le marché, elle choisit alors dans son portefeuille
l’option à adapter pour pénétrer le marché et elle ne lance commercialement et
industriellement son produit que lorsque les risques tant technologiques que marché
sont beaucoup plus limités. Dans cette approche, il est vital que l’entreprise établie
exerce des activités de veille technologique et concurrentielle permanente afin de ne
pas se laisser surprendre par des concurrents ou des offres totalement nouvelles pour
elle. De par ses activités de veille et ses propres programmes de développement,
l’entreprise établie aurait pu lancer le produit nouveau en même temps, ou avec un
léger décalage, que son concurrent, innovateur sur le marché. Elle choisit simple-
ment de décaler les investissements les plus lourds en sachant que si elle pénètre le
marché au cours de la fenêtre d’opportunités, elle bénéficiera des mêmes avantages
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que les premiers entrants sans avoir connu le même niveau de risques.
Les stratégies d’innovation, bien que fortes d’un potentiel remarquable, sont diffi-
ciles à mettre en œuvre. Aussi bien sur le plan organisationnel que stratégique, des
précautions doivent être prises si la firme ne veut pas tomber sur les nombreux
écueils qui sèment sa route. Toutefois, des méthodes et des démarches existent ; elles
sont là pour aider les entreprises qui se sont engagées dans cette voie. Là, plus
encore que pour toute autre stratégie, le choix stratégique est lié à la mise en œuvre.
La récompense est forte mais les risques sont grands pour les entreprises qui
­n’auraient pas su ou pu gérer efficacement leur stratégie d’innovation.
Les quatre options de croissance interne que nous venons de définir constituent le
mode de croissance que les entreprises devraient privilégier. Sur le long terme,
la croissance organique s’avère être plus rentable et globalement moins risquée que
la croissance externe à laquelle le chapitre 9 est en partie consacré.

145
Chapitre

9 Croissance externe

OBJECTIFS
 Expliquer les mécanismes des fusions et acquisitions.
 Montrer les avantages et les dangers des alliances et coopérations.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Les fusions et les acquisitions
Sec­­tion 2   Les coopérations
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

L es stratégies de croissance externe prennent le relais lorsque la croissance orga-


  nique ou interne n’est plus au rendez-vous. Les acquisitions, les fusions, les
alliances, partenariats et coopérations offrent des moyens complémentaires à l’en-
treprise pour se développer lorsque les ressources internes ne suffisent plus. Elles
offrent aussi des possibilités nouvelles de faire. Facilitées par la globalisation des
économies et le développement des systèmes d’information, ces stratégies, s’ap-
puyant sur des partenaires ou des ressources nouvelles externes, modifient ce faisant
les frontières des organisations.

Section
1 LES FUSIONS ET LES AcquisitionS
Après la croissance sans précédent des années quatre-vingt-dix et une pause
depuis le milieu des années 2000, les acquisitions semblent être redevenues à l’ordre
du jour dans les stratégies de croissance externe des entreprises de par le monde. Le
montant cumulé des opérations d’acquisition en 2014 dépasse les 2 000 milliards
d’euros en augmentation de 60 % par rapport à l’année précédente. Elles couvrent,
bien entendu, l’achat par le Suisse Holcim de Lafarge pour une trentaine de milliards
et l’acquisition par l’Américain General Electric des actifs «  énergie  » d’Alstom
pour un petit 14 milliards d’euros mais aussi l’achat de DirectTV par AT & T pour
53  milliards d’euros. Les sommes en jeu sont énormes mais les motivations sont
différentes. Si lors du dernier boom d’acquisitions on acquérait fréquemment dans
le simple but d’acquérir, les acquisitions et les fusions sont devenues plus straté-
giques. Elles portent désormais sur des reconfigurations de portefeuilles, sur la
recherche de la taille critique, sur l’expansion dans de nouveaux marchés.

Exemple – La saga du rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric


Le 5 novembre 2014, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie et de l’Industrie, en
entérinant l’accord du gouvernement, mettait fin à la saga du rachat par l’Américain
General Electric de l’essentiel de la branche énergie du Français Alstom pour 12,4 mil-
liards d’euros. Saga qui avait démarré le 24  avril de la même année lorsque General
Electric avait proposé de racheter une partie des activités de l’entreprise française.
Proposition qui devait être contrée quelques jours plus tard par l’Allemand Siemens avec
son offre d’acquisition de la branche énergie en échange de ses activités ferroviaires. Fin
avril, le conseil d’administration d’Alstom acceptait l’offre de General Electric à laquelle
le gouvernement français, s’inquiétant du sort des activités nucléaires, s’opposait dès le
5  mai. Le 16  mai, un décret du gouvernement, surnommé dans la presse «  décret
Alstom », étend au secteur de l’énergie son droit de veto sur les investissements étrangers
dans des secteurs « stratégiques ». Un mois plus tard, le 16 juin, Siemens maintenant allié

148
Croissance externe  ■  Chapitre 9

de Mitsubishi Heavy Industries, fait une nouvelle offre aussitôt remise en question par
General Electric qui dorénavant propose davantage d’échanges d’actifs et de partenariats
industriels. Dès le 20 juin, Siemens-Mitsubishi font monter les enchères qui ne sont sui-
vies d’aucun effet. Le gouvernement français, ayant obtenu satisfaction quant à sa sou-
veraineté sur le nucléaire et aux contreparties sociales, vient enfin de donner son accord
au projet de General Electric.

1 Les acquisitions, un jeu dangereux !

Les acquisitions sont un jeu dangereux qu’il faut savoir parfaitement maîtriser si
l’entreprise ne veut pas détruire par ambition ou mauvaise gestion ce qu’elle a par-
fois mis des années à construire. La communauté économique est consciente de ce
fait. Il suffit pour s’en convaincre de lire la presse financière qui rapporte le senti-
ment mitigé des investisseurs lorsqu’une acquisition est annoncée. Iliad en a fait les
frais en juillet 2014, lorsqu’il s’est attaqué à l’Américain T-Mobile avec une capita-
lisation en baisse de 10 % lors de l’annonce de son projet.

Exemple – Iliad s’attaque à plus gros que lui


Fin juillet 2014, Iliad, société mère de Free, par la voix de son président Xavier Niel, annonce
son intention de racheter 56,6 % du capital de T-Mobile US, entreprise détenue à 67 % par
Deutsche Telekom, pour un montant de 15 milliards de dollars. T-Mobile est le quatrième
opérateur américain, juste derrière Sprint. Le marché qui s’attendait à voir Free participer à la
consolidation entamée en France suite à l’acquisition par Numericable de SFR est pris par
surprise. Dès l’ouverture, le cours de l’action d’Iliad baisse de 10 % à 191 euros. En revanche,
T-Mobile clôture la séance à Wall Street en hausse de près de 7 % à 33 dollars.

Annonce Iliad
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232

205

177

149
01/14 03/14 05/14 07/14 09/14 11/14

Figure 9.1 – Cours de l’action Iliad après l’annonce de l’offre d’acquisition


de T-Mobile

149
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Réaction T-Mobile
36,00

34,00

32,00

30,00

28,00

26,00

24,00
01/14 03/14 05/14 07/14 09/14 11/14
Figure 9.2 – Réaction de Wall Street : cours de l’action T-Mobile

On peut voir la chute du cours de l’acquéreur présumé suite à l’annonce de son


projet, reflétant le manque de confiance des investisseurs pour ce type d’opération.
Car ces derniers savent par expérience qu’une acquisition, une fois consommée, est
très difficile à gérer et que les synergies espérées entre les deux entités réunies ne se
concrétisent que très difficilement. Ils savent aussi, par expérience, que plus de 50 %
des entreprises acquises sont revendues ultérieurement avec des moins-values en
capital parfois conséquentes. Comme ce fut le cas, par exemple, de Novell, concep-
teur de logiciels, qui avait acheté WordPerfect pour 1,4 milliard de dollars pour le
revendre quelques mois plus tard 200  millions. Ou bien encore Quaker, grande
entreprise agroalimentaire, qui avait acquis Snapple, un fabricant de jus de fruits,
pour 1,3 milliard de dollars pour le revendre 300 millions.
La probabilité d’échec est d’autant plus importante que l’entreprise acquise se
trouve dans des secteurs éloignés du métier de l’acquéreur. C’est ainsi que plus de
60  % des entreprises acquises dans des secteurs nouveaux mais liés au métier de
l’entreprise acquéreuse, comme par exemple, l’ordinateur et le logiciel ou les bis-
cuits et les glaces, et que plus de 70 % des entreprises de domaines non liés, comme
par exemple, la haute couture et l’électroménager ou la grande distribution et l’aéro-
nautique, sont désinvesties dans les cinq ans à partir de la date de leur achat.
L’acquéreur est rarement le gagnant. En revanche, l’acquis, ou plutôt ses proprié-
taires et actionnaires, tire généralement bien son épingle du jeu avec des plus-values
en capital de 20 à 30 % en moyenne. On peut d’ailleurs voir dans l’exemple sur Iliad
l’appréciation importante par le marché du cours de l’action de l’entreprise cible
T-Mobile révélant ainsi l’anticipation favorable des investisseurs pour ce type d’opé-
ration au bénéfice de l’entreprise acquise.

150
Croissance externe  ■  Chapitre 9

2 … Et pourtant, une frénésie d’acquisitions


Pas un jour ne se passe sans qu’une acquisition ou fusion ne soit annoncée. Tous les
secteurs sont touchés, mais plus particulièrement les télécommunications, la banque,
la pharmacie. L’internationalisation des opérations est croissante. Elle passe, en
volume, d’un petit 20 % sur la totalité des opérations au début des années quatre-vingt-
dix à 50 % vingt ans plus tard. Plus fréquemment que par le passé, l’acquéreur passe
les frontières pour aller chercher sa cible. Le nombre des acquisitions a aussi augmenté
considérablement pendant cette même période. Au début des années quatre-vingt-dix,
on dénombrait environ dix mille opérations au niveau mondial pour atteindre en 2000
près de trente mille acquisitions avec des opérations de plus en plus importantes en
valeur. Parmi ces dernières, on peut mentionner la plus grande opération de tous les
temps : AOL-Time Warner, réalisée pour un montant de 155 milliards d’euros (AOL
sera revendu 15 ans plus tard pour un petit 4,4 milliards de dollars), suivie de près par
Vodaphone-Mannesmann, évaluée à 144 milliards d’euros. Ce qui laisse encore, loin
derrière, les plus grandes opérations françaises que sont Sanofi-Synthelabo-Aventis et
Total-Fina-Elf, pour une « petite » cinquantaine de milliards d’euros chacune. Après
une chute du nombre d’opérations dans un contexte de crise, le marché mondial est à
nouveau en pleine effervescence avec plus de 3 500 milliards de dollars de transactions
annoncées pour la seule année 2014, soit un rebond de 33 % par rapport à l’année
précédente. Plusieurs opérations phares ont marqué l’année avec, par exemple, dans la
pharmacie Valeant-Allergan, dans les médias AT&T-DirectTV et Comcast-Time War-
ner, et dans l’énergie Halliburton-Baker Hughes.
La vidéo sur le marché américain des fusions-acquisitions (M & A) par John
Reiss, associé au cabinet White & Case, donne un témoignage sur ce rebond. La
vidéo (White & Case : US M & A roared back in 2014) est lisible à partir du lien
suivant : https://www.youtube.com/watch?v=u1jZdsTM5lQ.
Les secteurs et les entreprises touchés par ces vagues d’acquisition évoluent dans
des contextes qui sont caractérisés par une globalisation croissante de leur marché.
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Globalisation facilitée par une plus grande mobilité des biens et des capitaux grâce
à la constitution de grands ensembles économiques régionaux tels que l’Union euro-
péenne, l’Asean en Asie, Mercosur en Amérique Latine et Nafta en Amérique du
Nord. Dans cette situation, faire face à la concurrence sur tous les fronts est un
impératif. Plutôt que de se développer par croissance interne ou de tisser des
alliances avec des partenaires étrangers, certaines entreprises, par choix ou par
nécessité, ont recours à des achats d’entreprises dans les pays où elles ne sont pas
implantées. De même, l’intensification de la concurrence, suite à cette globalisation,
nécessite parfois que les entreprises atteignent une taille critique leur permettant de
répartir des coûts croissants de R & D ou de dépenses publicitaires sur des volumes
de vente plus importants. De plus, dans certaines industries, le raccourcissement des
cycles de vie des produits, conséquence soit de l’accroissement de la concurrence,
soit du progrès technologique, entraîne des coûts de Recherche et Développement en

151
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Nombre d’acquisitions
par trimestre
au niveau mondial
5 000

4 500

4 000

3 500

3 000

2 500

2 000

1 500

1 000

500

0
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Années

Figure 9.3 – Évolution du nombre trimestriel d’opérations d’acquisition


au niveau mondial

Valeur cumulée
des transactions trimestrielles
au niveau mondial
(en milliards de dollars)
1 600

1 400

1 200

1 000

800

600

400

200

0
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Années

Figure 9.4 – Évolution des transactions trimestrielles en valeur


au niveau mondial

152
Croissance externe  ■  Chapitre 9

constante augmentation qu’il est plus facile de supporter a plusieurs que seul. Dans
le même esprit, il est rare que l’entreprise, dans des secteurs de hautes technologies,
sache maîtriser toutes les techniques nécessaires au développement de nouveaux
produits. Elle doit donc s’appuyer sur des compétences externes qu’il est parfois
nécessaire d’entièrement contrôler pour des raisons d’indépendance stratégique.
Enfin, dans des industries en forte maturité certaines entreprises entrent dans de
nouveaux métiers. Ce fut le cas, par exemple, de Preussag, grand sidérurgiste alle-
mand, devenu premier voyagiste mondial en quelques années suite à une série
d’acquisitions dont le français Nouvelles Frontières.

3 Pourquoi acquérir ?
3.1  Raison 1 : réaliser des synergies opérationnelles et/ou financières
(recherche d’économies de champs)
C’est la raison la plus fréquemment avancée pour justifier une acquisition. Par
exemple, « l’acquisition de Sika est basée sur des synergies de développement et
de croissance », selon Laurent Guillot, directeur financier de Saint-Gobain, pour
expliquer l’achat du Suisse Sika par Saint-Gobain (L’Usine nouvelle, 10 décembre
2014).
La recherche de synergies opérationnelles, par complémentarités géographiques
ou par complémentarités produits, est présente dans les objectifs visés dans plus de
50  % des acquisitions. Des complémentarités entre l’acquéreur et la firme cible
peuvent exister. Leur mise en œuvre peut, ainsi, créer de la richesse. Par exemple,
informatique et télécommunication sont étroitement liées. Leur rapprochement per-
met à l’entreprise, qui en a la maîtrise, de fournir un service et un produit d’une
nature nouvelle à une clientèle qui, jusqu’alors, doit en faire sa propre intégration.
C’est cette logique qui avait poussé IBM à faire l’acquisition de ROLM spécialisé
dans les télécommunications. La nouvelle entité (IBM +  ROLM) pouvait créer
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effectivement une richesse économique supplémentaire, qu’aucune autre des deux


entités prises indépendamment n’aurait été capable de générer.
La recherche de synergies financières part d’autres préoccupations. La première,
souvent formulée, consiste à diversifier les activités de l’entreprise (de manière
interne ou par acquisition) afin de réduire le risque auquel cette dernière est confron-
tée. C’est une raison invoquée dans un cas sur dix environ. Cette justification, cepen-
dant, n’a pas de fondement économique. En effet, plutôt que réduire le risque de
l’entreprise en diversifiant le portefeuille d’activités, les actionnaires propriétaires
peuvent tout aussi bien le faire en achetant directement, sur le marché financier, les
titres de l’entreprise visée et ce, au prix du marché. Ainsi, ils diversifient tout aussi
bien leur portefeuille en économisant dans ce cas la prime de 50 %, voire 100 % en
sus du prix qu’une entreprise acquéreuse est souvent obligée de payer pour rempor-
ter la firme convoitée.

153
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Exemple – Recherche de synergies opérationnelles


IBM Global Services et PricewaterhouseCoopers
IBM Global Services (150 000 personnes, 35 milliards de dollars de chiffre d’affaires),
premier fournisseur mondial de services et de solutions informatiques, a acheté l’activité
conseil de PricewaterhouseCoopers (30 000 personnes, 4,9 milliards de dollars de chiffre
d’affaires) pour un montant de 3,5 milliards de dollars. Quelques semaines auparavant,
Hewlett Packard avait refusé de se lancer dans cette même opération, préférant des par-
tenariats avec des sociétés de conseil à une acquisition.
IBM Global Services, la division d’IBM, souhaitait se renforcer grâce à cette acquisition
dans la planification et l’installation de logiciels complexes de comptabilité d’entreprise,
dans ses relations commerciales avec ses clients et dans la gestion des chaînes logistiques.

PepsiCo et Quaker Oats


Afin de faire face à la tendance nouvelle des consommateurs pour l’eau en bouteille, les
boissons à base de fruits et les thés aux arômes fruités au détriment des sodas, PepsiCo
souhaitait élargir son portefeuille de produits non gazeux. Pour ce faire, Quaker Oats, qui
possédait, en plus de ses produits céréaliers, la fameuse boisson Gatorade, était une cible
idéale qui devait permettre à PepsiCo de contrôler 33  % du marché des boissons non
gazeuses et dépasser son concurrent Coca-Cola (21 %).
L’opération, d’un montant de 14 milliards de dollars, portait sur l’intégralité de Quaker
Oats (12  000  personnes, 4  milliards de chiffre d’affaires). Ce faisant, PepsiCo
(118 000 personnes, 14 milliards de chiffre d’affaires) renforçait son portefeuille produits
en complétant sa gamme et rattrapait ainsi son retard par rapport au leader de l’industrie,
Coca-Cola, qui se trouva désormais dans une position de défense.

Microsoft Corporation et Nokia Handset and Services Business


Afin de renforcer sa position dans les systèmes d’exploitation pour les nouveaux termi-
naux dont la croissance est particulièrement forte : téléphones mobiles, tablettes et autres
phablettes, Microsoft, leader incontesté dans les systèmes d’exploitation pour ordinateurs
portables et de bureaux, devait réagir. Face au système propriétaire iOS d’Apple et au
système ouvert Android de Google, Windows risquait de rater cette nouvelle opportunité
de croissance et demeurer relégué à une position de concurrent mineur. Sans réaction de
sa part, Windows pouvait ne plus être l’un des systèmes d’exploitation de référence avec
l’adoption de terminaux moins encombrants, plus « intelligents » dans un monde désor-
mais constamment connecté. Avec l’acquisition de Nokia pour un petit 7,2 milliards de
dollars, Microsoft s’assurait ainsi un débouché poids pour ses systèmes d’exploitation,
quoiqu’encore handicapé de par ses choix passés.

Le deuxième objectif poursuivi par la recherche de synergies financières est


l’obtention de faibles taux d’intérêt sur les emprunts contractés par l’entreprise.
Cette recherche de faibles taux d’intérêt, fondée sur l’effet de coassurance, n’est pas
plus justifiée que la diversification du risque. Partant du principe que si deux entre-
prises ont des flux financiers non parfaitement corrélés, l’une peut venir en aide à
l’autre en cas de cessation de paiement ou de faillite. Dans ce cas, le risque de
défaillance étant diminué, la nouvelle entité composée des deux entreprises peut

154
Croissance externe  ■  Chapitre 9

emprunter à un taux réduit. Cependant, si les entreprises bénéficient effectivement


d’un taux d’intérêt plus faible, elles supportent néanmoins le coût supplémentaire de
garantie d’une défaillance éventuelle réciproque.
Le troisième but, de loin le plus rationnel, concerne l’accroissement de la capacité
d’emprunt. Profitant de la présence d’une capacité d’emprunt inutilisée chez l’entre-
prise cible, l’acquéreur peut bénéficier de cette capacité et, en conséquence, des
retombées du levier financier qu’il pourra faire jouer. Toutefois, s’il y a effective-
ment création de valeur pour les actionnaires de l’acquéreur, il n’y a pas, à propre-
ment parler, création de richesse au niveau global dans la mesure où il s’agit d’un
simple aménagement technique auquel l’entreprise cible aurait indépendamment pu
procéder.

3.2  Raison 2 : réaliser des économies d’échelle


La deuxième raison avancée pour justifier une acquisition est la recherche d’éco-
nomies d’échelle. C’est la raison que l’on trouve exposée dans environ 25  % des
acquisitions. Les économies d’échelle sont en effet une source importante de créa-
tion de richesse. En combinant deux entreprises, les économies dégagées peuvent
être de plusieurs ordres, et ce, en fonction du degré de proximité de leurs activités.
Être gros a parfois des avantages. Par exemple, l’acquisition de Péchiney par Alcan,
de Goodrich par Michelin, de Bank One par JP Morgan, de Compaq par Hewlett
Packard vise, entre autres, la réalisation d’économies d’échelle en matière de
recherche et développement ou de production. Ce faisant, la mise en commun de
ressources permet de répartir sur des volumes beaucoup plus importants les inves-
tissements en matière de recherche ou de production qu’une firme indépendante
aurait du mal à supporter. De même, l’achat par 3M de Spontex, au-delà des syner-
gies commerciales, a permis de réaliser des économies d’échelle en matière d’admi-
nistration de la force de vente et de marketing.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Exemple – Réaliser des économies d’échelle


JP Morgan s’empare de Bank One pour 60 milliards de dollars
« JP Morgan va acheter Bank One pour 60  milliards de dollars. La nouvelle entité se
placera, en termes d’actifs, au deuxième rang des plus grandes institutions financières
internationales, derrière Citigroup. […] Hier, à l’annonce de l’opération, le cours de
Bank One […] a gagné jusqu’à plus de 10  % quand JP Morgan, au contraire, perdait
autour de 3 % […]. Si JP Morgan cherche, comme les autres banques de Wall Street, à
préserver son rang en accroissant sa taille, c’est aussi le nouvel intérêt des investisseurs
américains pour la banque de détail qui semble avoir motivé l’opération […]. Mais de
son côté, Bank One […] cherchait aussi à faire des économies d’échelle. »
D’après un article de L. J. Baudu, La Tribune,
15 janvier 2004.

155
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Le Suisse Holcim et le Français Lafarge créent LafargeHolcim : une fusion entre


égaux
La nouvelle société verra le jour en 2015. Sa capacité de production dépassera les
420 millions de tonnes et le siège social sera en Suisse. Les anciens actionnaires d’Hol-
cim posséderont plus de 50 % de LafargeHolcim. Cette fusion-acquisition devrait écono-
miser plus de 1,4 milliard d’euros sur une base annuelle suite à la mise en commun des
systèmes d’information, de la maintenance, de la gestion, mais surtout suite à une réor-
ganisation des achats et de la force de vente.

Toutefois, les économies d’échelle n’existent pas seulement dans le domaine tech-
nique, commercial et organisationnel. Elles peuvent également se trouver dans le
domaine financier. En effet, le lancement d’un emprunt important est moins onéreux
que deux emprunts dont la somme lui serait identique. Si la nouvelle entité compo-
sée de l’acquéreur et de sa cible profite de sa taille pour émettre des emprunts plus
importants pour répondre aux besoins des deux partis précédemment séparés, il y a
alors des économies qui peuvent être réalisées et, par là même, création de valeur.

3.3  Raison 3 : améliorer la coordination entre activités


Comme nous l’avons vu précédemment, une entreprise, pour mener à bien son
activité économique, a le choix entre, d’une part, recourir au marché et, d’autre part,
intégrer ses tâches. Son objectif est d’économiser sur ses coûts de transaction tout
en se gardant de sa rationalité limite, grâce à une organisation appropriée, et en se
préservant du comportement opportuniste des acteurs, par la mise en place d’un
système de contrôle et d’incitation adéquat. Il existe, toutefois, des situations où le
recours au marché est tellement complexe, du fait de la répétitivité des relations, du
risque de tromperie, de la spécificité des transactions, que l’entreprise trouve avan-
tage à intégrer. C’est le cas des intégrations fondées sur des acquisitions de compé-
tences que fournisseurs ou sous-traitants apportent, ou de débouchés que les clients
peuvent offrir. Par exemple, l’acquisition de Columbia Pictures Entertainment Inc.,
l’un des studios américains de films, par Sony, géant mondial de l’électronique
grand public, visait en partie l’intégration de l’activité production de film de l’entre-
prise américaine, au-delà de sa filmothèque considérable, dans la filière vidéo de la
firme japonaise. Ce faisant, l’acquéreur est mieux à même de s’assurer un approvi-
sionnement en œuvres cinématographiques en conformité avec les standards de ses
produits.

3.4  Raison 4 : transférer des modes de gestion uniques


à d’autres entreprises
Une entreprise mal gérée dans ses opérations ou sur le plan financier peut créer de
la richesse, si elle est bien reprise en main. Ce raisonnement est souvent suivi par

156
Croissance externe  ■  Chapitre 9

des acquéreurs qui pensent être capables d’insuffler un dynamisme nouveau et


d’appliquer des modes de gestion bien maîtrisés. Ce transfert d’expertise ne crée pas
de richesse à proprement parler car l’entreprise acquise aurait pu, par elle-même,
faire les transformations qui s’imposaient, sauf, bien entendu, si les modes de ges-
tion transférés sont uniques. En revanche, l’acquéreur dans tous les cas, peut tirer
parti de l’efficacité accrue de l’entreprise acquise, ce qui a une répercussion sur la
valeur de la nouvelle entité. C’est la logique suivie par les repreneurs et redresseurs
d’entreprises. Ce fut le cas lors de la reprise de Smoby, 1re entreprise française dans
le domaine des jouets, en dépôt de bilan, par l’Allemand Simba Dickie Group qui
lui apporta son expertise en matière logistique et le transforma en une firme à nou-
veau florissante.

3.5  Raison 5 : rechercher des économies d’impôts


Parfois, certaines entreprises largement déficitaires bénéficient d’un crédit d’impôt
substantiel du fait des pertes antérieures accumulées. Ces entreprises peuvent être la
cible privilégiée de firmes qui, largement bénéficiaires, peuvent tirer profit de ces
crédits d’impôts une fois l’acquisition consommée. Toutefois, ce gain à court terme
ne peut créer de la richesse économique s’il n’est accompagné d’autres actions
visant à faire jouer, par exemple, les synergies ou les économies d’échelle.

3.6  Raison 6 : utiliser des surplus de liquidités


pour des investissements rentables
Lorsqu’une entreprise dispose de liquidités importantes, cette dernière a plusieurs
options. La première est de distribuer, sous forme de dividendes, ces liquidités. Tou-
tefois, la fiscalité sur les bénéfices étant généralement moins avantageuse que celle
portant sur les plus-values en capital, l’entreprise a peu intérêt à procéder à ce type
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’opération. L’autre option est d’investir ces liquidités dans des projets rentables.
Néanmoins, ces projets n’existent pas toujours et la meilleure option demeure
encore de racheter ses propres actions. Ce type d’opération est, dans certains pays
comme la France, assimilable à des versements de dividendes, ce qui, sur le plan
fiscal, n’est pas toujours la meilleure solution. Alors, la dernière option est d’acqué-
rir, en investissant dans les actions d’une société cible, dont la rentabilité espérée est
supérieure au coût du capital, le surplus de liquidité disponible.

3.7  Raison 7 : acheter des actifs sous-évalués pour les revendre
à bon prix
Il existe d’assez nombreux cas où l’entreprise cible possède des actifs de grande
valeur  : équipements, marques, immeubles, qui ne sont pas, ou insuffisamment,

157
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

pris en compte par le marché pour la fixation du prix de l’action. C’est le cas, par
exemple, de certaines compagnies aériennes telles que TWA, dont la flotte avait
une valeur de revente supérieure à celle de ses actions ou encore de compagnies
pétrolières dont la valeur des réserves est supérieure à celle de leurs titres. Ces
sociétés, qui sont le type même de cibles convoitées par les « raiders », ont sou-
vent une plus grande valeur, si vendues en morceaux (par appartement ou à la
découpe) que celle révélée par le marché. Dans ce cas de figure, l’acquisition est
parfois moins recherchée pour les synergies qu’elle peut apporter que pour « faire
un coup » dans un but essentiellement spéculatif. Toutefois, celles des entreprises
qui, non seulement savent tirer parti de ce déséquilibre entre valeur de marché et
valeur « physique » pour acquérir la cible à bon compte, mais aussi qui savent
faire jouer les synergies, bénéficient ici d’un potentiel appréciable de création de
valeur.

Exemple – BlackBerry : une vente par appartements à des fonds d’investissement ?


« L’avenir de BlackBerry semble se dessiner… Si la vente du fabricant semble désormais
acquise, elle risque bien de ne pas se faire en un bloc : le Canadien serait dépecé et cédé
par appartements. […] Un groupe réunissant notamment des fonds d’investissement
plancherait sur une offre pour les actifs les plus juteux, à savoir les technologies liées à
BB10, le système d’exploitation des BlackBerry et bien sûr, les 9 000 brevets (valorisés
entre 2 et 5 milliards de dollars) au cœur de la valeur du Canadien. BlackBerry dispose
en outre d’une trésorerie de 2,8 milliards de dollars. »
Source : ZDNet.fr, 16 septembre 2013.

3.8  Raison 8 : rechercher la rapidité, anticiper la concurrence,


dominer le marché
Il est parfois impératif d’aller vite pour acquérir la taille suffisante ou la compé-
tence qui permet de demeurer concurrentiel. La recherche de rapidité est souvent
incompatible avec un développement interne dans la mesure où les expertises et les
équipements n’existent pas toujours. Dans cette situation, l’acquisition est une voie
privilégiée que les entreprises n’hésitent plus à emprunter. Car il faut savoir que,
bien souvent, la voie du développement interne est longue et parfois semées
­d’embûches. Entre un développement interne, qui peut prendre de cinq à dix ans, et
une acquisition dont la matérialisation paraît immédiate, souvent la deuxième voie
est préférée.
Dans un cadre de concurrence exacerbée, les entreprises perçoivent, également,
comme menace, le renforcement de leurs pairs ou l’arrivée d’une menace potentielle
non encore bien identifiée. C’est ainsi qu’une acquisition peut être réalisée pour
empêcher un concurrent de faire en sorte qu’il ne devienne pas un ennemi redou-
table. L’acquisition est ici un instrument de tactique au-delà même de la création

158
Croissance externe  ■  Chapitre 9

potentielle de richesse. Les acquisitions réalisées dans le passé par la BNP et Nestlé
furent probablement en partie motivées par la crainte de voir respectivement Paribas
et Buitoni tomber dans les mains de leurs concurrents Société Générale, pour le
premier et Danone pour le second. Il en est probablement de même pour Facebook
qui fait l’acquisition d’une société de 35  personnes, WhatsApp, pour l’équivalent
de 10 % de sa capitalisation boursière : 19 milliards de dollars soit l’équivalent de
543 millions par employé !

Exemple – Facebook fait l’acquisition d’une société de 35 personnes pour 19 milliards


de dollars : WhatsApp
WhatsApp offrait une application de messagerie instantanée pour téléphone mobile
utilisant les ressources offertes par Internet. Cette messagerie utilisable partout dans
le monde était un substitut des SMS et ce à un prix défiant toute concurrence.
L’utilisateur devait payer 99  cents par an pour utiliser cette application après une
première année d’essai gratuite. Cette messagerie instantanée avait attiré plus de
450 millions d’utilisateurs et sa croissance était facilement maîtrisable. Pas mal pour
une jeune pousse de cinq ans d’âge localisée à Santa Clara dans la Silicon Valley !
Facebook dont sa propre messagerie, Messenger, n’avait jamais décollé et étant
convaincu que son avenir dépendait de sa présence sur les terminaux mobiles voyait
en WhatsApp un concurrent potentiel dangereux. Ce dernier, dont l’application était
utilisée plusieurs fois par jour par les propriétaires de mobile risquait de détourner
l’attention des membres de Facebook qui auraient ainsi pu s’investir avec un autre
canal dans des réseaux sociaux parallèles. Or le modèle économique de Facebook
repose sur la présence de ses membres et leur activité sur son site. Leurs activités,
leurs centres d’intérêts, leurs profils servent de monnaie d’échange pour le service
– le réseau social – auquel ils ont accès. Ce qu’ils font et ce qu’ils sont est la source
de financement d’une entreprise comme Facebook qui peut ainsi revendre cette infor-
mation pour construire de la publicité ciblée. Sans les ressources publicitaires fon-
dées sur l’utilisation de son réseau social, Facebook serait en grand danger. Or selon
Mark Zuckerberg, WhatsApp était « la seule application avec une plus grande impli-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

cation des utilisateurs que dans Facebook  ». La seule solution était d’acquérir
WhatsAPP (voir l’entretien de Marc Zuckerberg dans la vidéo mise en ligne par
CNNMoney «  Zuckerberg on WhatsApp acquisition  »  : https://www.youtube.com/
watch?v=vgoctV4AcNw).

Enfin, la recherche d’une position dominante dans un secteur donné permet à


l’entreprise qui en bénéficie, de jouir d’une rente monopolistique en imposant plus
facilement ses prix. Il n’y a pas ici, cependant, de création de richesse au sens
global, mais simplement un transfert de l’acheteur vers l’actionnaire. Ce type
­
­d’approche, généralement très surveillée par les organismes de régulation de la
concurrence, demeure néanmoins un motif important d’acquisition.

159
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

4 Quand faut-il avoir recours à des acquisitions ?


En résumé, plusieurs raisons sont avancées pour justifier une acquisition : syner-
gies opérationnelles et financières, économies d’échelle, coordination, transfert de
­compétences, économies d’impôt, achat d’actifs sous-évalués, rapidité, anticipation
de la concurrence, pouvoir de marché. Toutefois, certaines d’entre elles ont un
potentiel de création de valeur plus fort que d’autres (voir tableau 9.1) et ne peuvent
être justifiées que lorsque des conditions précises sont réunies. C’est ainsi que la
proximité technologique des activités (secteurs liés ou non) facilitera ou, au
contraire, empêchera la réalisation de synergies, transferts de compétences et autres
économies d’échelle.

Tableau 9.1 – Motifs d’acquisition et potentiel de création de valeur


Motif Création de valeur (potentiel)
Synergie opérationnelle Fort

Synergie financière Neutre (simple transfert des actionnaires aux créanciers)

Économie d’échelle Fort

Coordination Fort

Économie d’impôt Neutre

Sous-évaluation des actifs Neutre

Rapidité Moyen

Anticipation de la concurrence Moyen

Pouvoir de marché Neutre (transfert de valeur des clients aux actionnaires)

Au-delà des raisons qui viennent d’être évoquées, il est intéressant de se poser
la question de savoir si sur le plan économique stricto sensu, une stratégie
­d’acquisition est justifiée. Les nombreux travaux qui ont porté sur ce problème
tendent à montrer que l’acquéreur, en général, retire peu, voire rien du tout, d’une
acquisition. En revanche, les actionnaires de la société cible semblent être les
grands gagnants avec des primes de 20 % à 50 % selon les modalités de paiement
utilisées (espèces ou échange d’actions). Ce phénomène peut avoir deux origines.
La première est l’existence d’une efficience suffisante du marché financier pour
fixer le prix de l’action à un niveau qui prenne en compte l’anticipation des
actionnaires. En effet, ces derniers, suite à l’annonce du projet d’acquisition,
peuvent intégrer la création de valeur qui va pouvoir être réalisée dans le futur et
la répercuter sur le prix qu’ils sont prêts à accepter. La deuxième explication est
la nature concurrentielle du marché pour le contrôle des entreprises. Dans ce cas,
il n’est pas étonnant que le prix d’acquisition soit au moins égal au prix fixé par
le marché. Compte tenu de ces dernières observations, il semble impératif de

160
Croissance externe  ■  Chapitre 9

considérer l’acquisition comme un moyen et non comme une fin en soi. Elle doit
se faire dans le cadre d’une vision stratégique claire de l’entreprise. Dans cet
esprit, l’analyse stratégique qui s’appuie sur une évaluation des compétences de
l’entreprise et des défis auxquels elle est confrontée doit mettre en évidence les
options souhaitables, dont peut-être l’acquisition, lui permettant d’assurer son
développement. Par conséquent, l’opportunité du choix d’une acquisition doit
être appréciée au seul regard de la valeur qu’elle peut créer pour l’entreprise
initiatrice et du risque pris.

5 Quel processus suivre pour acquérir ?


Un processus d’acquisition s’articule en six grandes étapes (voir figure 9.5). Il faut
savoir, cependant, qu’il s’agit là d’un processus idéal et que dans la réalité, souvent,
cette démarche n’est pas celle observée. Les étapes se chevauchent et ne suivent pas
la séquence bien ordonnée qui est décrite. Des opportunités se présentent auxquelles
l’entreprise doit réagir. Il n’est donc pas question, alors, d’imposer un cadre rigide
mieux adapté à une démarche volontariste. En revanche, les entreprises qui ont
effectué un travail préliminaire d’analyse sont mieux à même de répondre de façon
raisonnée aux occasions qui peuvent apparaître et ainsi accroître leur chance de
succès.
En amont du processus, l’option stratégique d’acquisition doit avoir été validée.
Pour ce faire, la démarche classique de comparaison de l’évolution de l’environ-
nement aux capacités de l’entreprise est suivie. Une fois que l’option d’acquisition
a été validée, on entre dans le processus d’acquisition proprement dit. Dans une
première étape, un diagnostic fin des capacités de l’acquéreur est réalisé afin de
mettre en évidence les domaines où il est possible de créer un plus, suite, par
exemple, à la mise en œuvre de synergies et d’économies d’échelle. Pour ce faire,
l’utilisation de la chaîne de valeur est d’un grand intérêt. Ayant déterminé les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

domaines où il y a un potentiel de création de valeur, l’acquéreur doit dans une


deuxième étape établir les critères qui lui permettent d’identifier le type d’indus-
tries et d’entreprises cibles qu’il va rechercher. Les critères relatifs aux industries
peuvent porter sur les proximités en termes de technologies, de marchés, de
concurrences entre l’acquéreur et la cible. Les critères d’identification des entre-
prises cibles répondent à la même préoccupation mais à un degré de détail plus
élevé. C’est ainsi que peuvent être pris en compte des éléments tels que la synergie
entre les entreprises, la qualité du management, la taille, la rentabilité, la compa-
tibilité culturelle, etc.
Les entreprises cibles étant sélectionnées, il s’agit, dans une troisième étape, de
procéder à une analyse fine de ces dernières : analyse de la position concurrentielle,
analyse des secteurs dans lesquels elles sont engagées, analyse des possibilités de
création de valeur et de développement d’un avantage concurrentiel durable de la

161
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

future entité. Une fois que les (ou la) cible(s) ont été identifiées, il faut, dans une
quatrième étape, en établir la valeur ainsi que le prix maximum à payer. La question
d’évaluation demande à être développée et nous y reviendrons plus tard. L’évalua-
tion financière étant réalisée, l’étape suivante (étape cinq) porte sur la négociation
des termes de l’acquisition. La réussite de cette phase dépend du travail préliminaire
qui a été réalisé.

Analyse de Analyse de
l’environnement l’entreprise

Options stratégiques
(dont l’acquisition)

Étape 1
Diagnostic de l’acquéreur

Étape 2
Critères d’acquisition

Étape 3
Analyse des cibles

Étape 4
Évaluation financière

Étape 5
Négociation

Étape 6
Intégration

Figure 9.5 – Processus d’acquisition

162
Croissance externe  ■  Chapitre 9

 Cas d’entreprise
La Sanofi, une histoire d’acquisitions
1973, le premier choc pétrolier venait d’avoir lieu. Un grand nombre de sociétés
pétrolières sentant le déclin relatif d’une activité dévoreuse de capitaux, commençait
à s’engager dans la voie de la diversification. Au-delà de ce problème prévisible, la
SNPA (Société nationale des pétroles d’Aquitaine, ancêtre de la SNEA, Société natio-
nale Elf-Aquitaine) voulait compenser l’épuisement prévisible du gisement de Lacq
par le développement d’activités nouvelles dans une région dont elle se sentait socia-
lement responsable  : l’Aquitaine. Il fallait faire vite. La voie de l’acquisition était
ouverte et la SANOFI (Omnium financier pour l’hygiène et la santé) devait en être son
vecteur essentiel. Pour ce faire, plusieurs secteurs d’activités porteurs furent identifiés.
Dans un premier temps, des secteurs tels que l’hôtellerie, les loisirs, les travaux
publics furent éliminés en raison de leur éloignement de la vocation de base de la
société. En revanche, d’autres secteurs plus proches du métier de l’entreprise tels que
la chimie de spécialité et la parachimie devaient retenir toute l’attention. C’est ainsi
que les produits chimiques destinés à l’alimentaire, la pharmacie, le papier, l’électro-
nique, l’habitat, la peinture, les revêtements, la parachimie, constituèrent un domaine
privilégié d’investigation. Ces secteurs, à forte valeur ajoutée et à faible intensité
capitalistique, devaient permettre le rééquilibrage des activités pétrolières et de
chimie lourde de l’entreprise. Ayant défini les secteurs industriels, la deuxième étape
visait à établir les critères de sélection des entreprises cibles.
Sept critères furent retenus, le premier était la taille. Disposant de peu de temps du fait
du déclin du gisement de Lacq, il était impératif d’acquérir dès l’origine une base impor-
tante autour de laquelle pourrait, par la suite, venir se fédérer un ensemble d’entreprises
moyennes. La taille devait être européenne afin de donner rapidement à l’activité un
poids suffisant pour être compétitive. Le deuxième critère était la croissance du secteur
industriel spécifique de l’entreprise retenue. Cette croissance devait être supérieure au
PIB afin de pouvoir créer des emplois dans la perspective du déclin du gisement de
Lacq après 1980 et minimiser les problèmes sociaux que cela entraînerait. Le troisième
critère était la rentabilité des entreprises cibles. Ne disposant ni des hommes, ni du
temps, ni des compétences nécessaires au redressement d’entreprises éloignées du
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métier de base, il était important de sélectionner des entreprises en bonne santé. Le


quatrième critère était la présence d’activités à forte valeur ajoutée afin de minimiser
l’impact des coûts de transport et faciliter, ainsi, l’implantation des entreprises en région
Aquitaine. Le sixième critère consistait en la recherche de complémentarités avec les
activités de l’entreprise. De manière plus précise, les entreprises cibles devaient per-
mettre un accès à un marché final de consommateurs. Enfin, le dernier critère portait
sur l’existence d’équipes dirigeantes de qualité capables de continuer à assurer la ges-
tion des entreprises acquises. Après une analyse précise des entreprises cibles, la
SANOFI partit en chasse. Cette dernière se continue encore aujourd’hui avec le succès
qu’on lui connaît. En l’espace de trente ans, un géant industriel s’est ainsi constitué, qui
est aujourd’hui un leader mondial dans la pharmacie avec sa dernière grande acquisi-
tion : Aventis. Le rôle des dirigeants historiques de la SANOFI, René Sautier et Jean-
François Dehecq, n’est pas à sous-estimer dans le succès de cette véritable aventure. Ils
ont su procéder intelligemment à l’analyse de leurs cibles, à l’évaluation de ces der-
nières et à prévoir un mode d’intégration adéquat.

163
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Enfin, la sixième et dernière étape concerne la préparation de l’intégration des


deux entités. Il n’est pas rare, en effet, que des problèmes organisationnels appa-
raissent du fait de cultures, de modes de gestion, de personnalités différentes. Ces
problèmes sont à l’origine de nombreux échecs qui, sur le plan purement écono-
mique, semblaient improbables ; la nouvelle entité étant incapable de créer la valeur
anticipée.

6 Quel prix payer ?


Un dernier point doit être exploré. Il s’agit de l’évaluation financière des acquisi-
tions. Plusieurs méthodes existent. Elles sont utilisées soit de manière indépendante,
soit de façon complémentaire. Parmi ces méthodes, la plus répandue, mais pas la
plus rigoureuse, est celle du PER (Price Earning Ratio, prix de l’action/ résultat par
action). Partant de l’hypothèse que le PER ne changera pas dans le futur, la méthode
consiste à calculer le prix d’acquisition en utilisant un résultat prévisionnel qui
prenne en compte la richesse économique nouvelle créée suite à l’acquisition. Pour
avoir une idée du prix à payer pour une action de la cible, il suffit alors de multiplier
le résultat anticipé par le PER (Prix de l’action = Résultat futur × PER). Cela donne
le prix d’une action. Le prix de l’entreprise est obtenu en multipliant à nouveau le
prix estimé d’une action par leur nombre total.
La deuxième méthode est dérivée de la précédente. Il s’agit ici, cependant, de
prendre en compte les anticipations de création de valeur que les investisseurs
peuvent avoir faites. Se fondant sur un PER à un instant donné, il est important de
s’assurer que ce dernier n’a pas été surévalué suite à une anticipation de l’acquisi-
tion. Pour ce faire, il est nécessaire de comparer l’accroissement du prix de l’action,
sur une période donnée, avec celle du marché, pondérée par le facteur de risque β
relatif à l’entreprise visée. Bien que plus élaborée que la précédente, cette méthode
pèche par l’hypothèse simplificatrice qui la sous-tend la fixité du PER.
La troisième méthode est celle de l’évaluation des actifs. Il s’agit ici d’évaluer les
actifs en utilisant soit leur valeur de liquidation, soit leur valeur de remplacement,
soit encore et a contrario la valeur de l’entreprise sans ces actifs, soit, enfin une
combinaison des trois démarches. Toutefois, cette méthode est purement statique et
ne prend nullement en compte la rentabilité future de la firme.

164
Croissance externe  ■  Chapitre 9

c Focus
Prise en compte des anticipations dans l’évaluation d’une cible
Supposons que le marché ait commencé l’entreprise cible), soit 40 %. Si le prix de
à anticiper l’acquisition il y a six mois de l’action de la cible était de 100 euros il y
cela. En six mois, l’indice de valeur du a 6  mois, ce dernier devrait être de
marché financier (CAC pour la Bourse de 140 euros aujourd’hui, toute chose étant
Paris, ou le Dow Jones pour la Bourse de égale par ailleurs. Ce prix de 140  euros
New York) a augmenté, disons, de 20 %. est celui qui doit être retenu pour calcu-
Par définition, il s’agit de l’accroissement ler le PER. Ce PER est celui qui sera uti-
de valeur d’un portefeuille diversifié, lisé comme référence pour estimer le prix
donc sans risque (facteur de risque β égal maximum d’achat de la cible après prise
à 1). En revanche, l’entreprise cible, objet en compte des gains supplémentaires
de l’acquisition est plus ou moins ris- durables que l’acquéreur projette de
quée. Considérons que son facteur de créer. Par exemple, supposons que le
risque β est égal à 2. Par conséquent, résultat par action soit de 10  euros. Le
l’accroissement du prix de l’action de PER dans le cas présent est de 14 (140/10).
l’entreprise cible devrait refléter ce fac- Si l’acquéreur pense qu’il est capable de
teur. Dans le cas présent, l’augmentation créer des gains supplémentaires, chez la
sera de 20  % (croissance de la valeur cible, de 5 euros par action, le prix maxi-
d’un portefeuille diversifié sans risque) mum à payer doit être de (10 + 5) × 14,
multiplié par 2 (facteur de risque de soit 210 euros pour une action.

La quatrième méthode d’évaluation, dérivée de la théorie financière du porte-


feuille, est fondée sur le modèle d’équilibre des actifs financiers (MEDAF). Selon
ce modèle, une relation entre rentabilité et risque d’une action cotée sur un marché
financier efficient, peut être établie. Cette relation s’exprime de la manière suivante :
Ra = Rs + β (Rm – Rs)
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Ra = rentabilité attendue ; Rs = rentabilité sans risque ; β = coefficient de risque ;


Rm – Rs = prix du risque (systématique ou de marché).
Cette relation donne la rentabilité requise d’un actif financier (Ra) en fonction
d’un facteur de risque (β) qui le caractérise, de la rentabilité sans risque qui peut être
obtenue par un investisseur et de la rentabilité d’un portefeuille diversifié de valeurs.
Le taux de rentabilité ainsi calculé est celui qui sera requis de la société cible. Pour
en établir sa valeur, un simple calcul d’actualisation des marges brutes d’autofinan-
cement futures au taux de rentabilité requise (Ra) est effectué.
La valeur de la cible est donnée par la relation suivante :
t=n
M B A t
Vc = ∑ (1 + R ) t + Vf
t=1 a

165
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Où :
MBAt = marge brute d’autofinancement à l’année t.
Ra = taux de rentabilité requise pour un coefficient de risque systématique β.
t = année.
Vf = valeur actualisée finale de l’entreprise.
Dans l’application de cette méthode d’évaluation financière de la cible, plusieurs
difficultés sont présentes. La première concerne l’estimation des flux prévisionnels
de marge brute d’autofinancement compte tenu de l’impact des synergies et de
l’amélioration de productivité pouvant être réalisée. La deuxième porte sur le choix
de l’horizon à prendre en compte pour l’actualisation. Ce dernier est souvent choisi
de manière empirique en fonction de la nature de l’acquisition. En théorie, l’horizon
devrait être celui pour lequel la rentabilité marginale est égale au coût marginal
(c’est-à-dire, au coût du capital), Enfin, la dernière difficulté est relative au taux
d’actualisation, c’est-à-dire la rentabilité requise. En effet, la rentabilité requise
dépend, en partie, des actions que les gestionnaires pourraient mettre en œuvre pour
réduire le risque systématique en déconnectant l’activité de l’entreprise cible de
l’environnement économique dans son ensemble, par exemple en obtenant des
contrats de longue durée. Toutefois, au-delà de ses faiblesses, cette méthode
demeure néanmoins l’un des moyens les plus complets et rationnels pour évaluer la
valeur de l’entreprise convoitée.

c Focus
Cas de l’évaluation d’entreprises non cotées
Mis à part le cas de la méthode d’évalua- le MEDAF, il s’agit de prendre comme
tion des actifs, toutes les méthodes d’éva- taux d’actualisation la rentabilité requise
luation font l’hypothèse que l’entreprise calculée en prenant comme facteur de
cible est cotée. Ceci n’est pas toujours le risque le β moyen de l’industrie à laquelle
cas. Afin de pouvoir appliquer la méthode appartient la cible. Dans le cas d’une
du PER à une entreprise non cotée, il faut entreprise ayant des activités dans diffé-
prendre comme prix celui d’une entre- rentes industries, un β moyen pondéré en
prise cotée comparable, ajusté par le fait fonction de l’importance relative de cha-
que le titre de la cible n’est pas négo- cune des activités de l’entreprise est
ciable. Concernant la méthode fondée sur retenu.

166
Croissance externe  ■  Chapitre 9

7 Les dernières difficultés


En conclusion, nous pouvons dire que l’acquisition est une option stratégique
importante à la disposition des entreprises. Toutefois, la facilité apparente de sa mise
en œuvre ne doit faire oublier ni la complexité de la tâche, ni les problèmes auxquels
un acquéreur est souvent confronté.
Parmi les difficultés, la résistance de la cible et tous les moyens de défense déployés
en sont probablement l’illustration la plus médiatique, mais certainement pas la seule.
Les problèmes d’intégration surgissent et se révèlent parfois insurmontables. Fré-
quemment il est difficile d’harmoniser les forces de vente et les réseaux de distribution
qui peuvent être redondants. De même, les portefeuilles de produits doivent être res-
tructurés, ce qui n’est pas une mince affaire. L’organisation de la production doit être
entreprise si la nouvelle entité veut réussir à créer les synergies souhaitées. Au-delà de
ces problèmes qui varient d’une situation à l’autre, des problèmes récurrents sont pré-
sents dans toutes les acquisitions. Parmi ces derniers, les susceptibilités personnelles,
les différences de culture et de valeurs entre les personnels en sont les plus prégnants.
À cet égard, il faut noter que les acquisitions de petites entités sont relativement
plus faciles que celles concernant de grandes entreprises. Aussi est-il prudent de
considérer la taille de la cible avant de se lancer dans ce type d’opération. Enfin,
l’expérience en matière d’acquisition donne des atouts certains.
Un dernier problème concerne ce qui est acheté. Il y a une différence importante
entre acheter un actif industriel, une marque, un brevet, un réseau de distribution et
acquérir des savoirs et savoir-faire, un portefeuille de clientèle ou un actif humain.
Dans ces derniers cas, que l’on rencontre souvent dans les services, le risque pris par
l’acquéreur est des plus grands.
Le prix payé, du fait d’une surenchère entre plusieurs acquéreurs potentiels,
dépasse souvent la valeur de la cible. Aussi, n’est-il pas surprenant que 50 % des
entreprises acquises soient généralement revendues dans une période de cinq ans.
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Au-delà de ces dangers, l’acquisition, bien comprise et convenablement gérée, est


néanmoins une option stratégique importante, si tant est que le gestionnaire ne perde
pas de vue l’objectif prioritaire de l’entreprise : créer une richesse durable pour ses
actionnaires certes, mais aussi pour ses salariés et ses clients.

Section
2 Les coopérations
Ces vingt dernières années ont vu se développer un nombre considérable de
c­ oopérations entre firmes. L’évolution est exponentielle avec plus de 40 000 accords
formels sur les dix dernières années. Tous les secteurs industriels sont concernés et

167
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

en particulier ceux dont les facteurs clés de succès sont la diminution des coûts par
les volumes et la création de valeur par l’adjonction de ressources et compétences
complémentaires. Les accords de coopération peuvent être signés entre des organi-
sations concurrentes (alliances et coopétitions), entre des organisations non concur-
rentes mais appartenant à une même filière (partenariats verticaux et accords de
franchise) ou encore entre des organisations appartenant à des filières complémen-
taires (écosystèmes de complémenteurs).

c Focus
Les théories économiques explicatives des coopérations
La nature des coopérations et les motiva- Au-delà des coûts de transaction, Oliver
tions sous-jacentes à ces dernières sont très Williamson propose de prendre en compte
diverses. La théorie des coûts de transac- les caractéristiques de la transaction. Ces
tion développée par Ronald Coase et Oli- caractéristiques, ou attributs, sont de trois
ver Williamson, tous deux prix Nobel ordres : la fréquence avec laquelle la tran-
d’économie, offre un cadre pour com- saction se produit, son degré d’incertitude,
prendre les raisons du choix de l’entreprise sa spécificité. Par exemple, si la transaction
pour ce mode de développement. Partant est unique, certaine et si elle ne nécessite
du principe que l’activité économique pas de ressources particulières, alors l’en-
d’une entreprise peut être représentée par treprise n’a pas intérêt à intégrer cette
un réseau de transactions auxquelles sont dernière. Il est préférable de passer par
associés des coûts (coûts de coordination, l’extérieur, c’est-à-dire le marché, plutôt
de contrôle, de planification et de suivi, que de mettre en place une organisation
coûts de négociation et de rédaction des spécifique qui ne sera probablement plus
contrats, d’apprentissage des relations utile par la suite. En revanche, si la transac-
avec les fournisseurs ou sous-traitants, tion est fréquente, incertaine et spécifique,
etc.), le but recherché est leur minimisa- tel est le cas, par exemple de l’utilisation
tion. Ces coûts varient en fonction du répétée d’un même composant dont la
mode de fonctionnement choisi. Si l’entre- qualité est critique au bon fonctionnement
prise décide de tout faire elle-même (stra- d’un produit et qui est fabriqué par un seul
tégie d’intégration verticale – voir section 1 fournisseur, alors l’entreprise a tout intérêt
du chapitre 10), les coûts « externes » sont à produire elle-même ce composant. Elle
minimisés. En revanche, si elle décide de ne court pas, ainsi, le risque d’avoir un
passer systématiquement par le marché, produit dégradé, de se trouver dans une
les coûts «  internes  » sont réduits. Entre position de dépendance vis-à-vis d’un
l’intégration totale et le recours au marché tiers, de renégocier et de contrôler à
il existe toute une série d’options plus ou chaque fois le bon déroulement de son
moins coopératives. Afin de déterminer les contrat avec le fournisseur.
options les meilleures, une évaluation Deux facteurs supplémentaires viennent
comparative des coûts de transaction asso- influencer le type d’arrangements organi-
ciés à chaque mode de fonctionnement est sationnels et, par conséquent, le mode de
ainsi faite. coopération. Il s’agit, d’une part,

168
Croissance externe  ■  Chapitre 9


de la limite cognitive des gestionnaires de minimiser l’impact négatif de la limite
dans la formulation et la résolution de cognitive des gestionnaires (par une
problèmes complexes et, d’autre part, de décomposition hiérarchique des tâches et
la nature opportuniste du comportement des responsabilités) ainsi que celui du
des acteurs. En effet, l’opportunisme fait comportement opportuniste des acteurs
peser un « hasard moral » sur les parte- (par un système d’incitation et de
naires d’une transaction (ou d’une coopé- contrôle).
ration) dans la mesure où des buts En fonction des différents facteurs que
personnels peuvent être poursuivis au nous venons de voir, le manager décide
détriment de l’intérêt collectif. Quant à la du mode de coopération le mieux adapté.
limite cognitive, cette dernière va nécessi- Comme on peut le deviner, plusieurs
ter la mise en place de systèmes organisa- modes existent. Ces derniers sont influen-
tionnels qui vont devoir simplifier la cés par l’intensité des attributs des tran-
nature des tâches à accomplir. sactions et par leur coût. Il est ainsi
En résumé, devant le choix d’un mode de possible de représenter les grands types
développement ou de fonctionnement de coopération observés dans la pratique,
donné, le manager doit procéder à une sur un continuum qui part d’un mode de
comparaison des coûts associés à chaque développement s’appuyant essentielle-
option. Il va ensuite chercher le mode de ment sur le marché (fréquence de transac-
fonctionnement le mieux adapté aux tion faible, certitude, faible spécificité) et
caractéristiques des transactions qui sont qui va jusqu’à l’intégration totale des
nécessaires. Enfin, il va mettre en place activités (fréquence de transaction élevée,
les mécanismes nécessaires dans le but incertitude, grande spécificité).

1 Les coopérations entre concurrents


Les coopérations entre firmes concurrentes sont aussi appelées coopétitions ou
alliances. Elles se formalisent sous de multiples possibilités juridiques, contractuelles et
capitalistiques. Les plus souples ne reposent sur aucune structure particulière ni partici-
pation financière. Certaines n’ont même pas de contrat formel liant les coopérants. Les
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alliances les plus rigides sont structurées dans des sociétés communes (joint ventures)
capitalisées et bordées par des dispositifs contractuels étendus. Ce choix se justifie tout
particulièrement lorsque les échanges sont fréquents et spécifiques, qu’il n’existe pas de
contraintes fortes en matière d’indépendance ou de séparation des actifs ou tout simple-
ment lorsque les réglementations industrielles l’imposent. C’est le cas notamment pour
la plupart des alliances entre des entreprises occidentales et chinoises ou indiennes car
les autorités de ces pays obligent à la création de sociétés communes.

Définition
La coopétition : néologisme (« coopération » et « compétition ») caractérisant une rela-
tion collaborative entre des entreprises concurrentes. La coopétition permet de coopérer
sur des ressources complémentaires tout en gardant une stratégie compétitive sur les pro-
duits et les services vendus.

169
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Certaines entreprises sont culturellement plus ouvertes aux alliances que d’autres.
Dans l’automobile par exemple, le réseau d’alliance de Toyota sur les activités de R
& D, production, distribution et après-vente est trois fois plus étendu que celui de
PSA Peugeot Citroën. Par ailleurs, certaines industries sont plus ouvertes que
d’autres aux alliances. Il s’agit généralement des industries où les économies
d’échelle et les effets d’expérience sont importants, comme dans l’automobile, par
exemple. Il s’agit ensuite d’industries où les technologies évoluent très rapidement
et où les dépenses de R & D sont importantes alors même que les cycles de vie des
produits raccourcissent comme dans les télécommunications, la pharmacie ou l’in-
formatique. Le coût d’entrée sur de nouveaux marchés et les risques opérationnels
sont également à l’origine de coopérations comme dans l’électronique. Enfin, la
globalisation des marchés et de la concurrence nécessite une présence et des moyens
élargis comme dans la banque ou l’agroalimentaire.

Exemple – La grande diversité des alliances


En 2014, Danone renforce son alliance avec les Chinois Mengniu et COFCO (entreprise
publique leader de l’industrie agroalimentaire en Chine) dans les produits laitiers frais pour
les enfants. Danone se donne ainsi les moyens de poursuivre son développement en Asie et
ses partenaires profitent de l’expertise internationale et du savoir-faire français dans les laits
infantiles. Cette alliance doit permettre le développement d’une offre de produits répondant
exactement aux besoins locaux tout en suivant les meilleurs standards de leur catégorie.
En 2014, Samsung et Google signent un accord global de licences croisées d’une durée
de dix ans. L’alliance donne l’accès au portefeuille de brevets de chacun des partenaires
pour développer ou commercialiser leurs propres produits.
Depuis 2011, la Global M2M Association (GMA) allie Deutsche Telekom, Orange,
TeliaSonera, Telecom Italia, SoftBank Mobile et Bell Mobility. L’objectif de cette
alliance est de permettre à chacun des partenaires d’offrir une plus grande intéropérabi-
lité, un accès à un réseau inégalé dans le monde, des services harmonisés et un meilleur
roaming pour leurs clients du secteur du Machine-to-Machine (M2M).
Les constructeurs PSA Peugeot Citroën et Toyota sont alliés dans une coentreprise de
production de véhicules : la TPCA (Toyota Peugeot Citroën Automobile). Les partenaires
partagent le site industriel de Kolin en République tchèque pour fabriquer leurs petits
véhicules : Peugeot 107, Citroën C1 et la Toyota Aygo.

On peut classer les alliances en deux grandes catégories : les alliances supplémen-
taires et les alliances complémentaires. Les alliances supplémentaires ont pour
objectif la mise en commun de ressources de même nature afin d’obtenir une taille
critique sur un marché, de réaliser des économies d’échelle ou de bénéficier de phé-
nomène d’expérience. Par exemple, de 1988 à 2012, Fiat a fabriqué conjointement
avec PSA Peugeot Citroën des utilitaires légers et des voitures monospace au sein
d’une filiale commune détenue à 50/50, la Sevelnord. Cette alliance permettait à
chacun des constructeurs d’atteindre leur point mort économique sur des volumes
deux fois moins importants que ceux habituellement requis.

170
Croissance externe  ■  Chapitre 9

Exemple – Une alliance supplémentaire européenne : Euro Millions


Une coopération majeure dans les loteries en Europe fête ses dix ans  : Euro Millions.
Cette alliance entre la Française des Jeux, société d’économie mixte, l’Espagnol LAE
(Loterias y Apuestas del Estado), société publique et le Britannique Camelot, société
privée sous licence d’exploitation a pour objectif d’organiser un jeu de masse commun,
c’est-à-dire organisé entre plusieurs États. Les prises de jeu en France, en Espagne et au
Royaume-Uni sont mises en commun. Les joueurs ont les mêmes chances de gagner quel
que soit le pays d’origine. Il leur suffit de faire valider leur bulletin dans l’un des points
de vente de leur pays. L’alliance est gérée par une société commune localisée à Bruxelles
– la SLE (Services aux loteries en Europe) – qui assure en direct un certain nombre de
services tels la gestion des flux financiers et coordonne les actions qu’elle a déléguées à
ses membres.

Les alliances complémentaires ont pour objectif de procurer des actifs complé-
mentaires et nécessaires. Chaque allié apporte dans la coopération des ressources et/
ou des compétences différentes. Par exemple, l’alliance de 40 ans entre la Snecma
et la General Electric dans les moteurs d’avions juxtapose des compétences techno-
logiques, commerciales et relationnelles auprès d’Airbus pour le premier et des
compétences en moteur ainsi qu’un réseau de vente et de services mondiaux, pour
le second.

Exemple – Une alliance complémentaire célèbre : Disney et Pixar


Entre 1995 et 2005, la relation entre Disney et Pixar a généré près de 3 milliards de dol-
lars au box-office mondial. Comment expliquer le succès de cette alliance qualifiée par
Steve Jobs d’une des « plus remarquables dans l’histoire d’Hollywood » ? Si le succès
de la relation entre Disney et Pixar repose sur la qualité intrinsèque de leurs ressources
et compétences, il doit également beaucoup à leur complémentarité. Ni Disney ni Pixar
n’ont les ressources et les compétences nécessaires pour surclasser Dreamworks. Disney
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

est en retard par rapport à Dreamworks en matière d’animation 3D et de créativité. Pixar


ne dispose pas des compétences marketing de Dreamworks. En revanche, la combinaison
des ressources et des compétences de Disney et de Pixar leur permet d’être plus perfor-
mants que Dreamworks. Les deux partenaires ont bien conscience de cette complémen-
tarité. Comme l’a dit un dirigeant de Disney : « Nous formons une bonne équipe. Nous
sommes une meilleure équipe ensemble que pris séparément ».

Supplémentaires ou complémentaires, les alliances peuvent porter sur toutes les


activités d’une chaîne de valeur mais l’observation des pratiques fait apparaître
qu’elles sont plus nombreuses sur la R & D. Ces alliances sont motivées par l’impor-
tance des coûts et des risques en matière technologique que les entreprises doivent
supporter. Elles sont facilitées par leur caractère pré-concurrentiel car il est, en effet,
plus facile de coopérer lorsque la sanction du marché est éloignée que lorsque la

171
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

conséquence économique est immédiate. Par exemple, l’échec de l’alliance entre


Deutsche Telekom, France Télécom et Sprint dans le cadre de leur société Global One
illustre la difficulté d’être à la fois partenaires et concurrents. En revanche, cet échec
n’a pas remis en cause la volonté des deux entreprises de coopérer dans le domaine de
la recherche. La coopération en matière de recherche a aussi un autre avantage celui
d’offrir une taille critique sur le plan technique, facilitant par là même une standardi-
sation amont. Les alliances en matière de production viennent au second rang. Ces
dernières sont motivées, comme nous l’avons vu, par la recherche d’économies
d’échelle et d’effets d’expérience. Enfin, les alliances dans le domaine du marketing
portent sur la distribution, la communication ou la promotion.

Exemple – Des stratégies d’alliances marketing avec le co-branding


Leader du libre-service de la vente de fleurs et de plantes, Monceau Fleurs s’allie au
joaillier parfumeur Mauboussin pour offrir à la Saint-Valentin un bouquet renfermant en
son cœur le parfum «  rose pour elle  ». Cette stratégie permet au fleuriste d’assoir son
positionnement haut de gamme par une alliance avec une grande marque et d’augmenter
le panier moyen lors de la Saint Valentin. Pour Mauboussin, c’est l’occasion de faire
connaître son produit et de récupérer les clients indécis qui hésitent toujours entre fleurs
ou parfums.
Air France s’allie à Sofitel pour équiper en oreiller et matelas les suites Première de ses
avions. « En tant qu’ambassadeur de l’élégance française autour du monde, Sofitel est
ravi d’offrir avec Air France, le meilleur du savoir-faire français pour de magnifiques
nuits. Accompagner les voyageurs jusque dans leur sommeil au milieu des étoiles, et cela
avec le même confort et luxe qu’une nuit dans un Sofitel était notre défi », a déclaré le
vice-président marketing mondial des marques de luxe et haut de gamme du groupe
Accor.
Pour communiquer sur les vertus naturelles de ses produits allégés, la marque de fromage
St Moret s’allie à Weight Watchers. Les deux partenaires proposent d’un guide nutrition-
nel pour les membres du programme Weight Watchers France, une application Facebook
et un jeu concours.

Les alliances supposent certaines conditions de succès et présentent aussi des


inconvénients. Coopérer implique une coordination soutenue entre partenaires. Ceci
réclame du temps et des ressources. Les partenaires peuvent s’opposer sur certaines
décisions ainsi que sur la répartition des tâches, des risques et des bénéfices. Dans
le même esprit, une coopération peut entraîner un déséquilibre dans la position
concurrentielle de chacun des partenaires. Certains peuvent, en effet, profiter plus
d’une collaboration que d’autres et sortir renforcés d’une alliance. Un concurrent
mineur, avec lequel une entreprise a collaboré, peut devenir, ainsi, un concurrent
formidable aux dépens de son partenaire. Enfin, une coopération doit être fondée sur
la confiance, le respect mutuel et la tolérance de chacun des partenaires. Souvent ces
ingrédients indispensables au succès font défaut. Des mécanismes compensateurs

172
Croissance externe  ■  Chapitre 9

incitant chacun à un bon comportement peuvent être mis en place, mais ces derniers
ne remplacent jamais l’expérience du travail en commun. Ainsi, si les alliances, tant
à la mode de nos jours, demeurent une option stratégique fondamentale, cette der-
nière doit être bien pensée afin d’en tirer tous les bénéfices et d’en limiter coûts et
frustrations qui y sont parfois associés. C’est pourquoi de plus en plus d’entreprises
mettent en place des structures spécifiques pour gérer leur portefeuille d’alliances.
Samsung est un bon exemple de firme qui doit son avantage concurrentiel à sa capa-
cité à tirer le meilleur profit de son réseau d’alliances. Chacune des coopérations est
analysée de manière à pouvoir réutiliser les ressources et compétences acquises dans
d’autres projets collaboratifs.

2 Les partenariats verticaux


Le partenariat vertical est une forme de coopération avancée entre des entreprises
clientes et leurs fournisseurs dans une même filière. C’est un contrat d’engagement
dans la durée entre des entreprises qui vont coopérer, investir et déployer des actifs
spécifiques et nécessaires à la conduite de leurs relations. Ce qui différencie un par-
tenariat vertical d’une simple relation d’externalisation ou de sous-traitance indus-
trielle c’est le degré élevé de l’interdépendance des entreprises partenaires. En outre
dans un partenariat, les objectifs à atteindre et les règles de partage des gains sont
fixés conjointement par les partenaires.

Définition
Partenariat vertical : le partenariat vertical est une relation client-fournisseur entre des
entreprises fortement interdépendantes qui partagent un même « état d’esprit rendant pos-
sible la création de relations privilégiées, fondées sur la recherche en commun d’objectifs
à moyen ou long terme menée dans des conditions permettant d’assurer la réciprocité des
avantages » (in le Livre blanc du partenariat, 1980).
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Si le partenariat vertical est un « état d’esprit », c’est aussi une forme de coopéra-
tion qui suppose l’alignement des orientations stratégiques avec les structures orga-
nisationnelles et les systèmes de pilotage des ressources et des compétences. Un
partenariat ne se décrète pas, il se construit dans le temps et son développement peut
conduire à des modifications structurelles importantes dans les filières industrielles.

Exemple – Le partenariat vertical dans l’industrie automobile


Les constructeurs d’automobiles sont souvent considérés comme les pionniers du parte-
nariat vertical. Dès le milieu des années quatre-vingts, Renault a proposé une charte de
partenariat à quelques équipementiers en s’inspirant largement des pratiques collabora-
tives de Toyota avec ses fournisseurs japonais. Pour Renault, les objectifs stratégiques du
partenariat vertical étaient doubles. Premièrement, il s’agissait de réduire les coûts de

173
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

transaction (voir focus) sur les achats en réduisant le nombre de fournisseurs et en allon-
geant la durée des contrats. Deuxièmement, il s’agissait d’augmenter la valeur des pro-
duits par l’innovation et l’amélioration de la qualité. Dans ce cadre, Renault a modifié
l’organisation de sa Direction des achats qui a changé de nom pour devenir la Direction
des relations fournisseurs. Le constructeur a aussi mis en place des systèmes d’évaluation
spécifiques pour distinguer les potentiels partenaires des autres sous-traitants et presta-
taires de services. Ces démarches ont eu des répercussions sur toutes les entreprises de la
filière automobile qui s’est ensuite structurée selon un schéma pyramidal. Au sein de
cette pyramide, seuls les fournisseurs des premiers rangs pouvaient entrer en contact
direct avec les constructeurs et signer des partenariats verticaux.

On attribue souvent le succès d’un partenariat vertical à la confiance mutuelle de


ses partenaires. Au-delà de la confiance, le succès dépend du respect de normes
relationnelles qui réduisent les comportements opportunistes défavorables à une
coopération avancée, stimulent l’innovation et améliorent la performance. Ces
normes sont prioritairement celles garantissant l’intégrité des personnes et des orga-
nisations, le juste partage des gains et des informations y compris des objectifs
stratégiques, l’acception des contraintes de flexibilité et le partage des informations.

 Cas d’entreprise
Le partenariat vertical comme stratégie pour ARaymond
ARaymond est un groupe familial de 37  sociétés qui développe, fabrique et
commercialise des solutions de fixation et d’assemblage pour des clients indus-
triels sur 6 grands marchés et 4 continents. Mondialement reconnu dans l’indus-
trie automobile depuis 1865 pour son « bouton-pression » ARaymond doit son
succès à sa «  stratégie d’innovation au moyen de la coopération  » avec ses
clients : « Notre valeur ajoutée repose sur notre capacité à offrir à nos clients
un très haut niveau de technicité, mais aussi à aller bien au-delà, avec une offre
de services très complète, de bout en bout du projet. C’est ce qui fait toute la
différence de notre offre  : apporter non seulement la solution technique, mais
faire en sorte que notre client puisse totalement se l’approprier et l’intégrer avec
un niveau de soutien élevé jusqu’au dernier jour de production  ». L’approche
partenariale est donc au cœur de l’avantage concurrentiel de l’entreprise
ARaymond. Plus qu’une démarche exclusivement centrée sur le produit, elle se
déploie à tous les niveaux de l’entreprise : process de fabrication, service client,
méthodes de management. Pour cela, ARaymond a développé une structure
collaborative inter-fonctionnelle et souple, organisée en réseau et adaptable en
fonction des besoins, pour faciliter le partage de compétences, d’idées, d’exper-
tises. Par ailleurs, en encourageant l’initiative, ARaymond permet à chacun
d’avoir un rôle « d’entrepreneur collaboratif ».

174
Croissance externe  ■  Chapitre 9


En 2014 ARaymond décroche un important contrat de partenariat avec Renault
pour une innovation sur le collage de fixation. Parmi les défis technologiques et
économiques des constructeurs automobiles, la question du poids des véhicules
est stratégique car plus un véhicule est léger, moins il consomme, moins le
constructeur est assujetti à la taxe carbone, plus ses critères RSE sont remplis et
plus le client est satisfait. L’une des solutions imaginée pour réduire le poids d’une
voiture est de substituer des composants en acier par d’autres, plus légers, en
aluminium, en fibre de carbone ou en magnésium. Le problème qui se pose alors
est que les solutions existantes de fixation et d’assemblage ne sont plus compa-
tibles. Le constructeur doit alors trouver de nouvelles solutions qui menacent les
fournisseurs traditionnels sur leurs produits phares. En réaction, ARaymond a pris
en charge la totalité de la problématique du constructeur dans une approche
partenariale. Avec les équipes du Technocentre de Renault ARaymond a travaillé
sur une technologie innovante mais aussi sur la définition d’un cahier des charges
concernant les modalités de mise en œuvre industrielle et le suivi des futures
séries. Grâce au partenariat vertical le constructeur a profité d’une innovation
technologique majeure qui réduit le poids de ses véhicules et le fournisseur a reçu
la garantie d’un marché sur des volumes. « Nous sommes particulièrement fiers
d’avoir participé au développement ­d’EOLAB, qui constitue un très bel exemple
de ce que deux entreprises industrielles françaises peuvent réaliser en coopérant
de cette façon particulière ».

Miroir aux alouettes ou auberge espagnole, le partenariat vertical n’est souvent


qu’un simple discours ou une relation trompeuse imposée à des fournisseurs par de
grands donneurs d’ordres cherchant à tirer avantage de leurs fournisseurs. Et, dans un
contexte de ralentissement de la croissance économique, les partenariats se transfor-
ment souvent en simple stratégie d’externalisation avec mise en concurrence systéma-
tique des prestataires et application des programmes de réduction de coûts. On perd
alors toute notion de réciprocité des avantages et des relations de longue durée.
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3 Les réseaux et les écosystèmes


Les réseaux d’entreprises correspondent à des coopérations formelles mais non
financières entre des organisations échangeant ou partageant certaines ressources et
compétences. Leurs formes varient selon les types d’interdépendances entre les
partenaires et le rôle de sa ou ses organisations pivots. Les pivots organisent les
échanges entre les organisations périphériques, dessinent le format du réseau et
garantissent son bon fonctionnement. Le type et la structure d’un réseau sont donc
très dépendants de la ligne stratégique de son organisation pivot. Les réseaux de
Benetton ou Toyota sont conçus pour aider à l’exécution de leurs stratégies indus-
trielles prédéterminées alors que ceux d’Ikea ou de Samsung permettent avant tout
l’exploration d’innovations variées à moindre coût.

175
  Chapitre 9  ■ Croissance externe

Exemple – Le réseau comme véhicule de la stratégie d’innovation de Samsung


Samsung est au cœur d’un vaste réseau de coopérations servant directement sa stratégie
d’innovation. Les partenaires ne sont pas reliés entre eux. Ils n’ont de relations directes
qu’avec le conglomérat coréen qui trouve chez Kia motors des possibilités d’innovations
pour le développement des voitures connectées, des solutions de sécurisation informa-
tique avec Intel et Juniper Networks, des systèmes de divertissement en 3D avec
Dreamworks et Technicolor ou encore des nano-technologies avec Nanosys pour de
meilleurs écrans et batteries.

Avec la croissance exponentielle des innovations et des combinaisons techno­


logiques issues d’industries très éloignées les unes des autres, une forme particulière
de réseaux se développe, les écosystèmes d’affaires entre complémenteurs.

Définition
Écosystème d’affaires  : un écosystème d’affaires est une méta-structure organisation-
nelle avec un «  milieu  » constitué des environnements institutionnels, géographiques,
culturels, sociaux, économiques (etc.) ; des « parties prenantes » qui sont les clients, les
fournisseurs, les producteurs, les complémenteurs, les concurrents ou les substituts, les
actionnaires et plus généralement l’ensemble des individus qui occupent le milieu ; des
« interrelations » entre les parties prenantes pour promouvoir, développer et échanger des
ressources et des compétences dans le cadre d’un projet et d’une vision partagés.

Cette forme organisationnelle permet de formaliser des alliances et des partena-


riats dans des environnements beaucoup plus larges que ceux traditionnellement
définis par la chaîne de valeur d’une industrie. Initiés dans les secteurs des techno-
logies de l’information et de la communication, les écosystèmes d’affaires s’invitent
désormais dans les industries traditionnelles comme l’aéronautique et l’automobile.

Exemple – Les écosystèmes de l’électromobilité


Le développement des voitures électriques et connectées conduit les constructeurs
d’automobiles vers des écosystèmes d’affaires avec des partenaires qui, jusqu’à pré-
sent, n’étaient jamais directement mobilisés dans la chaîne de valeur de l’auto­
mobile. Les parties prenantes sont bien évidemment les fournisseurs de batteries et
de composants électroniques indispensables aux évolutions technologiques des
modes de propulsion des véhicules (Samsung, Motorola, Qualcomm). Mais, ­s’invitent
aussi les fournisseurs de contenus et d’informations pour connecter les voitures entre
elles ou à des réseaux de données (Google, Apple, IBM), les énergéticiens et les
stockeurs d’énergie qui permettent la connexion de la voiture au réseau électrique
(V2G vehicle to grid), les opérateurs de mobilité qui facilitent l’inter-modalité des
systèmes de transport (Véolia, SNCF, AVIS, BlaBlaCar) ou les aménageurs d’infras-
tructures pour installer des bornes de recharge, des éléments de voirie spécifiques
(Vinci, collectivités locales).

176
Croissance externe  ■  Chapitre 9

Opérateurs
Gestionnaires de mobilité
de données

Industriels
du transport
Électroniciens

Réseaux sociaux Constructeurs Aménagement


et équipementiers des territoires

Services Energéticiens
complémentaires Stockeurs
d’énergie

Communautés
d’utilisateurs
Infrastructures de recharge

Figure 9.6 – L’écosytème de l’électromobilité

Chaque réseau et écosystème ont une dynamique particulière qui dépend de


l­’interdépendance de leurs parties prenantes et des règles qui structurent leurs com-
portements. Leur forme peut être fermée, c’est-à-dire réservée à quelques parte-
naires sélectionnés, ou ouverte à une communauté élargie. Les communautés Open
Source sont les formes les plus ouvertes puisqu’aucune firme pivot ne contrôle la
ressource clef et toutes les parties prenantes peuvent théoriquement y participer.
L’ouverture des marchés et le nouvel ordre économique global ravivent les struc-
tures en réseau considérées comme des solutions aux difficultés des organisations
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

traditionnelles. C’est pourquoi les politiques et les institutions de commerce encou-


ragent leur développement et mettent à disposition de leurs membres des infrastruc-
tures spécifiques. Dans le meilleur des cas, des clusters régionaux se créent. Un
cluster régional regroupe souvent des entreprises, des institutions d’enseignement et
des centres de recherche pour le développement de projets innovants. Il facilite la
préservation des emplois dans une zone économique, accroît la visibilité internatio-
nale de ses organisations et les aide à se développer sur de nouveaux marchés. Tous
les clusters régionaux n’ont pas la notoriété de la Silicon Valley mais beaucoup sont
devenus les fers de lance des industries locales. En France, Grenoble pour les nano-
technologies, la région Bretagne pour l’agroalimentaire ou Paris pour la mode et la
haute couture. Le succès de ces clusters donne raison aux théoriciens de l’échange
qui mettent en avant les bénéfices de l’avantage relationnel et critiquent les seules
stratégies de recherche d’avantage concurrentiel entre les entreprises.

177
Chapitre

10 Faire ou acheter

OBJECTIFS
 Aborder les problèmes liés au choix des frontières de l’entreprise.
 Expliquer les mécanismes d’intégration et d’externalisation.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   L’intégration verticale
Sec­­tion 2   L’externalisation
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

L es frontières des entreprises dépendent des choix stratégiques des dirigeants en


matière d’intégration verticale ou d’externalisation. Deux grandes théories jus-
tifient ces décisions  : la théorie des coûts de transaction (voir chapitre 9, section 2,
focus), développée par Ronald Coase et Olivier Wiliamson, et la théorie des res-
sources et compétences, initiée par Edith Penrose puis popularisée par Gary Hamel
et C. K. Prahalad. Selon ces théories, les frontières d’entreprises évoluent d’une part
avec le différentiel des coûts de production et des coûts de transaction et, d’autre
part, avec leurs besoins en ressources et compétences. Lorsque les coûts de produc-
tion de l’entreprise intégrée dépassent ceux de ses transactions sur les marchés,
l’externalisation se justifie. Mais, lorsqu’il s’agit de protéger des ressources et des
compétences stratégiques, il est préférable d’assurer un contrôle interne que seule
l’intégration verticale autorise pleinement.

Section
1 L’INTÉGRATION verticale

1 Qu’est-ce que l’intégration verticale ?


L’intégration verticale est un choix stratégique qui détermine les frontières de l’entre-
prise dans sa filière. Elle permet le regroupement, au sein de la même organisation, de
tout ou partie des différentes étapes d’une chaîne de valeur. L’intégration verticale est
une internalisation des relations fournisseur et/ou distributeur sous une autorité unique
assurant un contrôle formel et hiérarchique. L’intégration peut être totale ou partielle.
Les sociétés pétrolières maîtrisant toute leur filière du puits à la pompe sont souvent
citées en exemple d’intégration totale. L’intégration est partielle et en amont lorsque
seulement les activités des fournisseurs sont intégrées. Par exemple, les services de res-
tauration à bord ou la maintenance des appareils d’une compagnie aérienne, les infras-
tructures hôtelières des tours opérateurs etc. Par symétrie, l’intégration est partielle et en
aval lorsque les activités des distributeurs sont internalisées pour assurer les débouchés
sur les différents marchés. Par exemple, les réseaux de distribution des groupes de presse
(Relay pour le groupe Lagardère) ou les boutiques des fabricants de vêtements.
La nature et le degré de l’intégration verticale d’une entreprise résultent plus des
choix stratégiques de ses dirigeants que de lois économiques ou concurrentielles
immuables. C’est pourquoi dans un même secteur d’activités, les taux d’intégration
peuvent être très différents selon les entreprises. Dans le secteur de l’habillement par
exemple, Zara a choisi d’intégrer toutes les étapes importantes de sa chaîne de valeur
alors qu’H & M est très peu intégré. Dans les smartphones, Samsung a joué la carte
de l’intégration verticale de la conception et de la fabrication alors qu’Apple a dis-
socié les deux maillons de la chaîne de valeur en ne gardant que la conception.

180
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

Exemple – Ces grandes enseignes intégrées


Intermarché est le champion de l’intégration verticale dans la grande distribution alimen-
taire. Contrairement à ses principaux concurrents, Intermarché a investi dans une soixan-
taine d’usines de productions alimentaires. Il fabrique des produits de la mer, des pâtis-
series ou des charcuteries mais il a aussi des usines d’abattage ou des centres d’embou-
teillage. C’est également l’un des premiers armateurs de pêche français avec une impor-
tante flotte de navires.
Zara, l’enseigne phare du groupe espagnol Inditex, est devenue la référence qui justifie
les avantages d’une chaîne de valeur intégrée pour gagner en flexibilité et en réactivité
sur des marchés à forte rotation de marchandises. Zara conçoit tous ses modèles dont
l’essentiel de la fabrication est réalisé dans ses usines d’Espagne ou des pays limitrophes.
La logistique est aussi internalisée à l’exception du transport final vers les boutiques.
Enfin, 80 % des emplacements des points de vente appartiennent à sa maison mère. Le
modèle d’intégration à la Zara est appliqué dans les autres enseignes du groupe Inditex
qui gère en 2014 plus de 10 000 points de vente dans le monde.
Lapeyre distribue, au grand public et aux professionnels, des produits pour l’aménage-
ment durable de la maison. À la différence de ses compétiteurs, Lapeyre est une entre-
prise très intégrée verticalement en amont dans sa filière puisqu’elle conçoit et fabrique
80 % de son offre en magasin. L’intégration amont de la production est dans l’ADN de
cette entreprise qui, dès les années trente, s’est dotée d’un outil industriel pour fabriquer
les pièces de menuiserie de ses produits (principalement fenêtres et portes).
Weill est une des plus anciennes marques française de prêt à porter féminin haut de
gamme. L’enseigne conçoit tous ses modèles et assure une grande partie de la fabrication
dans son usine de Laon. Toute la logistique est intégrée depuis les sites de stockage
jusqu’aux moyens de livraison aux boutiques.

2 Pourquoi intégrer ?
Une stratégie d’intégration verticale ne vise pas seulement à récupérer les marges
des partenaires de la chaîne de valeur. Elle répond à des préoccupations écono-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

miques mais aussi stratégiques et sociales.

2.1  Les raisons économiques


Deux postulats économiques expliquent l’intégration verticale. Le premier est que le
contrôle des ressources réduit leur coût d’acquisition sur les marchés tout en permet-
tant la réappropriation des marges intermédiaires. Ce postulat est celui des théoriciens
des coûts de transaction (voir l’encadré Focus sur les coopérations du chapitre précé-
dent) qui voient dans l’intégration verticale la forme organisationnelle la plus effi-
ciente lorsque les coûts de transaction sont élevés. Le second est que l’intégration
favorise les économies d’échelle et les effets d’expérience par la répartition des
charges fixes sur une chaîne de valeur étendue et l’atteinte d’une taille critique permet-
tant la réduction des coûts marginaux et le retour sur investissement (ROI) plus rapide.

181
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

À ces deux postulats économiques s’ajoutent des motivations de synergie techno-


logique et commerciale. L’addition de ressources et compétences complémentaires
au sein d’une même entité accélère la création d’une valeur économique supérieure
par effet d’entraînement. L’entreprise intégrée compte ainsi sur un plus grand trans-
fert des actifs entre les différentes unités et espère créer des sources de développe-
ment bien supérieures à celles qu’elle obtiendrait sur les marchés.

2.2  Les raisons concurrentielles


L’intégration verticale permet de verrouiller des points clefs de la filière et de
construire des barrières à l’entrée. En contrôlant les étapes amont de R & D et les
activités fournisseurs, l’entreprise intégrée bloque l’accès aux ressources pour tout
autre concurrent. Elle se donne alors les moyens d’exercer un véritable pouvoir de
marché et d’orienter les stratégies concurrentielles dans son secteur. La mythique
« guerre des photographes américains » qui a opposé Kodak et Polaroïd pour la
conquête du marché de la photographie instantanée est sans doute l’illustration la
plus connue des conséquences concurrentielles de la détention d’une ressource
exclusive (les brevets de Polaroïd). En outre, l’intégration en aval permet le contrôle
des circuits commerciaux et la constitution d’un réseau de distributeurs exclusifs.
Elle permet de limiter le pouvoir de négociation des distributeurs fortement concen-
trés qui parviennent à dicter leurs règles dans une industrie donnée. De même,
l’intégration en aval permet le lien direct avec le marché et donc une meilleure
connaissance des comportements et des besoins des consommateurs (voir le cas
Decathlon ci-après). Ces avantages renforcent l’avantage compétitif, limitent l’in-
certitude et facilitent les prévisions.

2.3  Les raisons sociales


Souvent oubliées des analystes, les préoccupations sociales influencent aussi les
stratégies d’internalisation. L’entreprise intégrée crée les conditions d’un marché
interne du travail à rendements de productivité potentiellement élevés. Il est en effet
moins coûteux de former le personnel issu de la mobilité interne que celui provenant
de l’extérieur car les routines organisationnelles et la culture d’entreprise sont déjà
connues. Par ailleurs, le sentiment d’appartenance à une entreprise qui contrôle sa
filière rassure les salariés plus enclins à l’innovation et à la prise de risque.

182
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

 Cas d’entreprise
Une intégration verticale amont et localisée,
le choix stratégique de Decathlon
Le premier magasin Decathlon est ouvert en 1976 dans la zone commerciale
d’Englos, près de Lille, par Michel Leclerq (membre de la famille Mulliez, à la tête
des marques Auchan, Boulanger Brice, Bricoman, Flunch, Gros Bill, Home Market,
Jules, Kiabi, Kiloutou, Leroy Merlin, Norauto, Phildar, Pimkie, Pizza Paï, Saint-
Maclou, Top Office…). Leader sur le marché français de la distribution de matériel
pour les sportifs, Decathlon est aussi en passe de le devenir sur le marché européen
et mondial avec un chiffre d’affaires de plus de 7  milliards d’euros en 2014. Le
concept est d’offrir, sous un même toit et au meilleur prix, les équipements néces-
saires à tous les sportifs, du débutant au passionné. Après des débuts difficiles avec
des fournisseurs qui n’ouvraient pas facilement leur catalogue et bloquaient les
accès à leurs centrales d’achat, Decathlon est resté un simple distributeur jusqu’en
1986, date la création de la filiale (Decathlon Production) en charge de la concep-
tion et de la fabrication des produits « maison » de l’entreprise. L’histoire retient que
c’est parce que Peugeot refusa de vendre ses vélos à Michel Leclercq qu’il décida
de les concevoir et de les fabriquer dans le cadre d’une stratégie d’intégration ver-
ticale, localisée dans des zones géographiques de référence.
Depuis, la moitié des produits vendus en magasins sont des produits «  maison  »
100 % conçus par les ingénieurs de l’entreprise. Le principal centre de conception
est à Villeneuve d’Ascq mais l’entreprise a délocalisé la R & D de produits spéci-
fiques dans des centres régionaux pour être encore plus proche de ses marchés.
C’est ainsi que la conception des produits de montagne se fait dans la région du
Mont Blanc pour les marques Quechua, Simond et Wed’ze. De même, les produits
nautiques sont conçus à Hendaye « parce que ce site est situé au carrefour de lieux
de pratique faits pour les amoureux de l’océan : dans la baie de Txingudi, dans le
golfe de Gascogne, sur la côte espagnole, dans la baie d’Hendaye plage… ».
50 % des produits vendus sous les 7 « marques passion » du distributeur (Tribord Kipsta,
Quechua, Inesis, Geologic, Domyos, Decathlon Cycle) sont fabriqués en interne et la
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moitié le sont en France pour optimiser les opérations de logistique. Les autres usines
de production sont principalement dans des pays à bas coût de main-d’œuvre.
L’intégration verticale amont de Decathlon s’intègre dans un plan stratégique cohé-
rent et la clef de répartition entre les produits « maison » et les produits « achetés »
est savamment pensée. Elle permet de récupérer les marges des filières et réaliser
des économies. Elle réduit les niveaux d’information entre l’aval et l’amont, le client
final et les concepteurs. Elle augmente la taille du portefeuille de produits à distri-
buer. En proposant ainsi d’autres produits que ceux de ses marques internes,
Decathlon se donne les moyens d’un meilleur pouvoir de négociation vis-à-vis de
ses fournisseurs de marques incontournables (Adidas, Nike, Pumas etc.), d’une
différenciation vis-à-vis de ses concurrents (Go Sport, Intersport, Sport 2000, Foot
Locker, etc.) et d’une ouverture sur des marchés B2B jusqu’alors non exploités par
les distributeurs traditionnels.

183
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

3 Comment intégrer ?

L’outil d’analyse généralement utilisé pour définir la nature et le taux d’intégration


verticale est la chaîne de valeur. Il s’agit d’isoler chaque activité primaire et secon-
daire de l’amont à l’aval, puis de définir leurs facteurs clefs de succès dans l’indus-
trie. Cette analyse sera couplée d’une analyse interne de la création de valeur à
partir de la structure des coûts et des potentialités de valeur sur les ressources et les
compétences distinctives.
La structure organisationnelle de l’entreprise intégrée est généralement fonction-
nelle. Elle s’appuie sur une structure de contrôle formel et hiérarchique avec des
outils de gestion (tableaux de bords, procédures de reporting, etc.) qui renseignent
très précisément sur les coûts et les prix de cession internes. La standardisation des
procédés est indispensable pour obtenir les synergies entre les unités et maximiser
les économies d’échelle. Enfin, la flexibilité interne de toutes les ressources doit
créer des conditions de marché interne moins coûteuses que celles des marchés
externes. Souvent négligé, ce dernier point est peut-être le plus critique. Standardi-
sation et flexibilité ne sont pas antinomiques et les entreprises qui travaillent ces
deux aspects présentent des réussites spectaculaires. La performance des enseignes
du groupe Inditex, Massimo Dutti, Oysho, Pull & Bear, Stradivarius Uterqüe, Zara,
etc.) en témoigne. Des processus très standardisés qui permettent un changement des
collections de vêtements dans leurs points de ventes quatre à cinq fois plus rapides
que pour la moyenne de l’industrie.

Tableau 10.1 – Les analyses pour une réorientation de son intégration verticale
Analyse interne Analyse externe

Isoler chaque activité de la chaîne de valeur Identifier les facteurs clefs de succès de chaque
activité

Associer la structure de coûts et l’analyse de valeur Analyser les combinaisons possibles pour obtenir des
sur chaque activité synergies entre les activités

Calculer les potentialités d’économies et de création Analyser les conséquences de la décision sur la
de valeur structure de l’industrie

Définir la structure organisationnelle et les outils de


gestion adaptés

Les stratégies d’intégration verticale donnent de meilleurs résultats lorsqu’elles


sont définies très tôt dans le cœur du business model de l’entreprise. Decathlon, Ikea,
Lapeyre, Louis Vuitton, Zara, ne sont pas venus à l’intégration récemment, ils le sont
depuis leur début. Lorsque l’entreprise est à un stade de maturité avancé, la mise en
œuvre d’une stratégie d’intégration verticale peut conduire à des changements orga-
nisationnels importants et coûteux pour des résultats incertains. En outre, lorsque

184
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

l’intégration verticale résulte d’une croissance externe par fusion et acquisition, les
problèmes de résistance de la cible, de restructuration des portefeuilles ou d’harmo-
nisation des ressources et compétences peuvent conduire à une baisse générale de la
rentabilité de l’entreprise intégrée dans son nouveau périmètre.

4 Les limites de l’intégration verticale


Les limites de l’intégration verticale décident des stratégies d’externalisation
(s­ection 2). Souvent victimes de leur gigantisme et de leur autarcie, les entreprises
intégrées se rigidifient au point de ne plus pouvoir s’adapter aux changements de
leur environnement. Leur manque de flexibilité et le sous-emploi de leurs ressources
et compétences augmentent leurs coûts internes. Les bénéfices économiques et stra-
tégiques disparaissent. Trop centrée sur elle-même, l’entreprise intégrée ne voit pas
venir les nouveaux entrants mobiles et innovants qui grignotent ses parts de marché.
Elle dépense pour protéger ses actifs sans même se rendre compte qu’ils n’ont plus
de valeur. Finalement, elle perd sa capacité d’innovation.

Exemple – Le poids de l’intégration verticale chez General Motors


Les déboires de General Motors illustrent cette limite. Lorsqu’un fournisseur interne au
constructeur ne satisfaisait pas un directeur de projet, et que celui-ci envisageait de passer
commande à un prestataire extérieur, le responsable de la division fournisseur se précipitait
au siège de Detroit. Il expliquait avec force que son unité ne pouvait pas laisser passer une
telle décision sans risquer la perte d’économies d’échelle sur l’ensemble des produits de sa
gamme. Sensible à de tels arguments, la direction générale décidait alors de conserver en
interne la production du composant. C’est ainsi que pendant longtemps le premier construc-
teur américain affichait des coûts de production parmi les plus élevés du monde.
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Si étendue soit-elle, une entreprise intégrée dispose toujours d’un accès limité aux
ressources. Et enfin il existe une limite institutionnelle à l’intégration totale. Long-
temps utilisées comme un tremplin vers le monopole, les stratégies d’intégration
verticale sont de plus en plus bloquées par les institutions régulatrices des marchés
qui s’efforcent de dissoudre les structures en position dominante.

185
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

Section
2 L’externalisation

1 Qu’est-ce que l’externalisation ?


Le phénomène de l’externalisation n’est pas nouveau. En effet, le problème de
l’arbitrage entre ressources internes et externes s’est toujours posé et de nombreuses
activités historiquement intégrées par les entreprises ont été peu à peu externalisées.
Les activités périphériques comme la restauration, le jardinage, le nettoyage ou le
gardiennage par exemple sont externalisées depuis longtemps. En revanche, l’exter-
nalisation massive d’activités critiques pour la bonne marche des entreprises (infor-
matique, télécommunications, logistique, R & D…) est plus récente.
L’essor des formes modernes de l’externalisation a eu pour corollaire l’évolution
des motivations des entreprises. Traditionnellement, l’externalisation avait pour seul
objectif la réduction des coûts. Aujourd’hui, la nécessité accrue de créer de la valeur
pour l’actionnaire incite les entreprises à transférer hommes et équipements vers des
prestataires spécialisés afin d’alléger leur bilan et d’accroître leur rentabilité. En
d’autres termes, l’externalisation permet aux entreprises de concentrer leurs res-
sources financières et managériales sur les activités créatrices de valeur : le « cœur
du métier ». De nombreuses entreprises se rendent compte qu’elles ont dépassé la
taille optimale en intégrant des activités trop éloignées de leur « cœur du métier ».
L’externalisation leur apparaît alors comme un moyen de remédier à cette erreur.
Outre des motivations sensiblement différentes, les opérations d’externalisation
actuelles présentent plusieurs caractéristiques originales par rapport aux opérations
plus anciennes :
––elles induisent souvent un transfert de moyens humains et matériels vers le pres-
tataire. Dans certains cas, les droits de propriété sur les équipements et les contrats
de travail des employés sont transférés vers une entité différente de l’entreprise
externalisatrice et de son prestataire. Cette entité héberge alors les activités à céder
en attendant que le prestataire en prenne définitivement le contrôle ;
––elles reposent généralement sur des contrats de moyen ou long terme. Des durées
supérieures ou égales à cinq ans sont nécessaires pour que les prestataires puissent
amortir le transfert initial de l’activité externalisée et investir dans du personnel et
des équipements propres à chacun de leurs clients. Elles permettent également à
l’entreprise externalisatrice de ne pas devoir renégocier le contrat avec son presta-
taire en permanence ;
––elles comportent une dimension organisationnelle non négligeable. En effet, le
prestataire s’engage à se substituer totalement aux services internes dans le cadre
de prestations effectuées au sein même de l’entreprise externalisatrice. Les opéra-
tions d’externalisation ne sont pas de simples cessions car le prestataire a égale-
ment pour mission de réorganiser les activités qui lui sont transférées.

186
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

2 Les activités touchées par l’externalisation

Aujourd’hui, on constate une forte croissance de l’externalisation pour l’ensemble


des activités de l’entreprise. Une étude a été menée récemment par l’observatoire
Cegos sur ce thème. L’étude portait sur 127  entreprises françaises de toutes les
tailles. L’étude distinguait neuf types d’activités :
• Achats.
• Finance/gestion/comptabilité.
• Logistique/transport/distribution.
• Marketing/ventes/SAV.
• Production/maintenance industrielle.
• Ressources humaines/formation.
• R & D.
• Services généraux/facilities management.
• Systèmes d’information/télécommunications.
Comme on peut le constater, il existe des différences importantes selon les activi-
tés. Des activités comme « systèmes d’information/télécommunications » et « logis-
tique/transport/distribution » sont externalisées par près de la moitié des entreprises.
Les chiffres sont plus proches de 10 % pour des activités comme la R & D ou les
achats.

Systèmes d’information / …

Logistique / transport / distribution


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Production / maintenance industrielle

Ressources humaines / formation

Services généraux / facilities…

Marketing / ventes / SAV

Finance / gestion / comptabilité

R& D

Achats

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5

Figure 10.1 – Les principales activités touchées par l’externalisation

187
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

L’informatique est l’activité la plus externalisée. Comme le montre l’exemple ci-


après, même l’audiovisuel public y a recours.

Exemple – L’externalisation de l’informatique chez France Télévisions


Début 2013, France Télévisions a décidé de confier ses infrastructures informatiques à
Atos. L’objectif est clairement affiché  : réduire les coûts. Atos prendra en charge «  la
supervision, l’administration, l’exploitation et la maintenance des infrastructures et des
applications ». Le prestataire a trois ans pour atteindre l’objectif qui lui a été fixé par son
client. Pour y parvenir, il va notamment mutualiser les équipements informatiques des
cinq chaînes du groupe France Télévisions.

3 Le cas de l’externalisation offshore


Le terme d’externalisation offshore s’applique à toute opération d’externalisation
réalisée hors du pays d’origine de l’entreprise externalisatrice. À l’origine, ce terme
était assimilé aux activités de production mais il touche de plus en plus les services.
Par exemple, AIG Europe, l’un des leaders mondiaux de l’assurance et des services
financiers, a externalisé la souscription, l’indemnisation et l’administration de ses
contrats à destination des PME auprès d’Accenture depuis une plate-forme informa-
tique à Bucarest, en Roumanie.
Par rapport à l’externalisation traditionnelle, l’externalisation offshore présente
plusieurs avantages. Elle permet de réduire les coûts mais également d’accroître la
flexibilité. Comme les clients sont européens ou américains et les prestataires sou-
vent asiatiques, le décalage horaire entre les zones géographiques permet de déve-
lopper les projets 24 heures sur 24).
En revanche, l’externalisation offshore induit des risques nouveaux. D’une part,
la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans des pays comme l’Inde risque d’aug-
menter les salaires et d’annuler en partie la baisse de coûts tant recherchée.
D’autre part, la gestion des prestataires est rendue plus difficile par la distance
géographique et culturelle. Il est alors possible que la réduction des coûts soit en
partie compensée par une augmentation des coûts liés à la gestion et au suivi des
prestataires.
Dans quelle mesure les entreprises françaises ont-elles recours à l’externalisa-
tion offshore  ? L’étude de l’observatoire Cegos fournit des éléments de réponse
intéressants à cette question. Comme le montre la figure ci-après, l’externalisation
offshore reste rare. Moins de 10 % des entreprises y ont recours. L’externalisation
nearshore (en Europe ou en Afrique du Nord) est à peine plus répandue. Face aux
risques de l’externalisation offshore, les entreprises françaises semblent encore
hésiter.

188
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

En France, hors de l’entreprise

Dans l’entreprise en France

En zone nearshore (Europe / Afrique du Nord)

En zone offshore (autres zones)

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5

Figure 10.2 – L’externalisation offshore

4 Pourquoi externaliser ?
Pourquoi les entreprises ont-elles recours à l’externalisation  ? Quatre grandes
raisons peuvent motiver cette décision  : les raisons financières, les raisons straté-
giques, les raisons organisationnelles et les raisons liées au mimétisme.

4.1  Les raisons financières


L’externalisation permet de bénéficier d’économies d’échelle résultant de la mutua-
lisation des équipements et du personnel par le prestataire. Le transfert d’équipements
vers le prestataire peut également constituer un apport financier non négligeable pour
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l’entreprise externalisatrice. Enfin, l’externalisation autorise la flexibilisation des


coûts. Au lieu d’investir dans des hommes et des équipements (frais fixes), l’entreprise
externalisatrice verse une rémunération au prestataire (frais variables).
Ainsi, les deux grands risques inhérents à tout type d’opération d’investissement
(les surcoûts liés au surinvestissement et le risque de sous-capacité lié au sous-­
investissement) sont transférés au prestataire. Par exemple, l’externalisation des
centres d’appels téléphoniques auprès de prestataires spécialisés permet de bénéfi-
cier de la mutualisation des équipements et du personnel avec d’autres clients.

4.2  Les raisons stratégiques


Les raisons stratégiques de l’externalisation se fondent sur un postulat : les res-
sources de l’entreprise sont limitées et doivent prioritairement être affectées aux

189
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

activités qui contribuent à l’avantage concurrentiel. L’externalisation permet alors


de dégager des ressources financières et du temps pour les managers en les débar-
rassant des activités « périphériques ».
Dans une entreprise, la valeur ajoutée est souvent créée à partir d’un petit nombre
d’activités « stratégiques ». Les activités « périphériques » peuvent aisément et avan-
tageusement être gérées par des prestataires extérieurs. Il s’agit d’activités qui ne
sont pas cruciales pour l’entreprise et pour lesquelles elle n’a pas de ressources et
de compétences particulièrement développées. À titre d’illustration, la plupart des
entreprises agroalimentaires externalisent la distribution de leurs produits parce
qu’elles ne disposent pas des compétences nécessaires pour l’effectuer elles-mêmes.
Comme la distinction entre les activités « stratégiques » et les activités « périphé-
riques  » est parfois délicate, il peut être judicieux d’appliquer ce raisonnement à
l’intérieur de chaque activité. L’externalisation dite « sélective » consiste à externa-
liser les composantes « périphériques » d’une activité tout en conservant les compo-
santes « stratégiques » en interne.

Exemple – Merck utilise l’externalisation pour régénérer sa recherche


Le laboratoire pharmaceutique Merck a longtemps dû son succès à ses compétences en
matière de R & D. En 2002, les dirigeants constatent que le « pipeline » de recherche de
l’entreprise est en train de s’épuiser. La décision est alors prise de recourir plus largement
à l’externalisation… sans pour autant réduire les efforts de R & D interne. Quatre ans
plus tard, le « pipeline » de recherche de Merck s’est à nouveau rempli avec cinq produits
(dont un externe) en cours d’évaluation, quatre (dont un externe) en phase 3, dix-huit
(dont six externes) en phase 2 et vingt-huit (dont cinq externes) en phase 1. Notons que
Merck utilise l’externalisation pour compléter son activité de R & D interne et non pour
la remplacer.

4.3  Les raisons organisationnelles


Le transfert d’une activité à un prestataire peut permettre d’améliorer sa gestion.
Si de nombreuses pratiques permettent d’améliorer le fonctionnement de fonctions
de support, elles sont souvent difficiles à mettre en œuvre pour deux raisons. D’une
part, les services opérationnels de l’entreprise sont souvent exigeants envers « leurs »
fonctions de support. La réduction des coûts est rarement leur priorité. D’autre part,
les fonctions de support interne ne disposent pas toujours du pouvoir nécessaire pour
imposer des mesures visant à réduire les coûts. Le recours à un prestataire extérieur,
soutenu par la direction générale, peut permettre d’imposer des mesures impopu-
laires comme la standardisation des équipements informatiques par exemple.
Indépendamment des demandes des utilisateurs, de nombreuses fonctions de sup-
port subissent des dysfonctionnements internes. Ce manque d’efficience résulte

190
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

souvent d’un fonctionnement trop bureaucratique. Certains services prennent par-


fois la forme de véritables fiefs mal gérés et inefficaces. Paradoxalement, l’externa-
lisation peut permettre à la direction générale de «  reprendre le pouvoir  » par
l’intermédiaire d’un prestataire.

4.4  Les raisons liées au mimétisme


L’essor de l’externalisation peut également s’expliquer par un phénomène de
mimétisme. Le mimétisme externe permet d’expliquer l’essor de l’externalisation
par un phénomène d’imitation au sein d’une population d’entreprises. Une étude a
montré de quelle manière l’externalisation de l’informatique s’est répandue parmi
les entreprises américaines au début des années quatre-vingt-dix. En étudiant un
ensemble de contrats, ils ont constaté que leur nombre cumulé a connu un accrois-
sement rapide à partir de septembre 1989. Ils ont alors rapproché cette observation
d’un événement important survenu en juillet  1989  : la signature d’un contrat très
particulier. Ce contrat présentait en effet plusieurs caractéristiques, qui ont contribué
à lui donner une très grande visibilité :
1.  Il impliquait deux grandes entreprises très renommées (Kodak et IBM).
2.  Son montant était très élevé (500 millions de dollars).
3.  Il portait sur un très large périmètre d’activités.
4.  Il prévoyait le transfert de 300 employés.
5.  Le prestataire (IBM) s’était engagé à réaliser des économies de coûts importantes
(de l’ordre de 50 %).
Le mimétisme interne fonctionne selon des mécanismes similaires mais à l’intérieur
d’une même entreprise. L’externalisation réussie de certaines activités dans une entre-
prise contribue parfois à motiver l’externalisation d’autres activités. Sous la pression
de difficultés financières, une entreprise commence par externaliser de nombreuses
activités « périphériques ». Par la suite, l’expérience accumulée en matière d’externa-
lisation facilite l’externalisation d’activités de plus en plus « stratégiques ».
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5 Les limites de l’externalisation


Si elle présente de nombreux avantages, l’externalisation présente également des
limites. Elles sont au nombre de quatre  : la perte de compétence, la dépendance
envers le prestataire, la capacité à réaliser des économies et le risque social.

5.1  La perte de compétence


Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, l’externalisation est parfois entendue
comme un moyen de se recentrer sur les activités jugées les plus « stratégiques ».
Cette démarche n’est pas sans risque. En effet, un risque important consiste à

191
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

externaliser une activité considérée comme « périphérique »… avant de revenir sur


son jugement quelques années plus tard.
La difficulté de réintégration provient essentiellement de la perte de compétence, qui
est un corollaire fréquent d’une opération d’externalisation. Lorsqu’une entreprise trans-
fère l’ensemble d’une activité (le personnel et les équipements) vers un prestataire, elle
se retrouve rapidement dans une situation similaire à celle d’une entreprise qui n’aurait
jamais réalisé cette activité en interne. Elle ne dispose plus d’aucune expertise en interne.

c Focus
Externaliser les activités dont on aura besoin demain
Au début des années quatre-vingts, IBM valeur ajoutée (comme la production de
lance le PC. Elle prend la décision composants) ?
d’externaliser les microprocesseurs à En externalisant le microprocesseur et le
Intel et le système d’exploitation à système d’exploitation des PC, IBM s’est
Microsoft. Avec le recul, cette décision focalisé sur les activités qui généraient le
s’est avérée désastreuse. À l’époque, le plus d’argent par le passé… et a confié à
fait de se focaliser sur le développement ses fournisseurs les activités qui génére-
et l’assemblage des PC avait pourtant ront le plus d’argent dans le futur. À ce
été salué comme une excellente déci- moment, les entreprises qui vendaient les
sion  ! N’était-il pas logique d’internali- systèmes informatiques captaient 80 % de
ser les activités à forte valeur ajoutée la valeur de la filière. Quelques années
(comme l’architecture et l’assemblage) plus tard, leurs fournisseurs en accapa-
et d’externaliser les activités à faible raient la plus grande part.

5.2  La dépendance envers le prestataire


Lorsqu’une entreprise se défait d’une activité, il en résulte inévitablement une
situation de dépendance par rapport au prestataire.
Plus les prestataires sont rares, plus l’entreprise externalisatrice se met en situation
de dépendance asymétrique défavorable. Il lui faut composer avec ses quelques pres-
tataires attitrés, même si leurs performances sont peu satisfaisantes. Deux facteurs
concourent généralement à expliquer un nombre limité de prestataire. Le premier
(sans doute appelé à perdre de son importance) est la relative nouveauté du phénomène
d’externalisation. Le second, plus permanent, réside dans le degré d’intensité capita-
listique du secteur. Plus cette intensité est forte, plus le prestataire doit investir des
sommes importantes pour assurer la production de l’activité externalisée. Ces barrières
à l’entrée dissuadent de nouveaux prestataires de rentrer sur le marché.
La dépendance asymétrique défavorable provient également de la disponibilité des
ressources recherchées et de l’importance des activités externalisées pour le succès

192
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

de l’entreprise. Un revendeur qui s’engage formellement à une livraison rapide de


ses produits est souvent à la merci de ses prestataires logistiques.

5.3  Des économies toujours réalisées ?


La nécessité de recourir à un prestataire pour bénéficier d’économies d’échelle est
parfois contestée. Dans le cas de l’informatique ou de la logistique par exemple, les
services internes des grandes entreprises achètent leur matériel à un prix proche de
celui dont bénéficient les grands prestataires. Par conséquent, les services internes
peuvent atteindre des économies d’échelle proches de celles des prestataires.
Plus généralement, certains auteurs mettent en garde contre l’espoir d’obtenir des
économies de coûts importantes grâce à l’externalisation. En effet, l’évaluation des
coûts suite à une opération d’externalisation est souvent difficile à effectuer pour deux
raisons. D’une part, les économies ne sont pas constantes d’une année sur l’autre.
D’autre part, l’impact sur les fonctions non externalisées est difficile à apprécier.
Enfin, l’externalisation génère des coûts cachés souvent difficiles à évaluer comme
les coûts de contractualisation ou de gestion du prestataire.

5.4  Le risque social


La dernière limite de l’externalisation est liée aux ressources humaines. Les opé-
rations d’externalisation sont fréquemment accompagnées de transferts de personnel
mais également de licenciements. Par conséquent, il n’est pas étonnant que leur
simple évocation suscite des réactions de rejet de la part des salariés concernés.
La perspective d’une opération d’externalisation suscite souvent deux types d’oppo-
sition de la part des salariés : une opposition ouverte et une opposition latente. Dans
le premier cas, les syndicats ou le comité d’entreprise font entendre leur hostilité au
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projet. Ce type d’opposition ouverte n’est pas le seul à se manifester. L’opposition peut
également être larvée. Dans ce cas, les employés (aussi bien ceux qui ont été transférés
chez le prestataire que ceux qui ont conservé leur poste en interne) essaient de faire
échouer en diminuant leur productivité. Il ne faut pas oublier que l’externalisation est
souvent perçue comme une trahison par les employés de la fonction externalisée. C’est
pourquoi le succès d’une opération d’externalisation repose très largement sur la
bonne gestion de tous les aspects humains.

6 Comment gérer une opération d’externalisation ?


Le passage de l’internalisation à l’externalisation implique des changements très
importants, aussi bien au niveau de l’activité concernée que de l’ensemble de l’entre-
prise. Lorsqu’une activité est réalisée en interne, le rôle du service qui en a la charge

193
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

est clair. Il consiste à fournir une prestation aux autres services de l’entreprise, en
s’appuyant sur les ressources disponibles en interne. Avec l’externalisation, il serait
faux de conclure que le service interne disparaît complètement. Si l’on ne veut pas se
retrouver à la merci du prestataire, il est impératif de conserver des compétences en
interne :
• Le rôle de la direction d’activité reste assez proche de celui qu’elle assurait aupa-
ravant. Elle est chargée de l’orientation de l’activité. La seule différence réside
dans le fait que les moyens ne sont plus situés à l’intérieur mais à l’extérieur de
l’entreprise. Le contrôle direct (exercé par la possession des hommes et des équi-
pements) est remplacé par le contrôle indirect (exercé par l’intermédiaire du
contrat).
• Le suivi du prestataire au jour le jour doit être assuré par une cellule de super­
vision. Concrètement, la mission de la cellule de supervision est de s’assurer que
le prestataire remplit bien les exigences du contrat. Cette tâche n’est pas toujours
aisée. Si certains critères sont faciles à mesurer (par exemple le nombre de
camions mis à disposition par le prestataire dans le cadre d’une opération d’exter-
nalisation de la logistique), les évaluations plus qualitatives (par exemple le main-
tien des équipements informatiques « au niveau de l’état de l’art ») nécessitent de
conserver une véritable expertise technique en interne.

Exemple – Les déboires de Boeing avec le 787


En 2000, Airbus annonce le lancement du projet A380. Les observateurs doutent alors
que Boeing puisse résister à la concurrence d’Airbus. C’est dans ces conditions que
Boeing annonce le lancement du 787. L’entreprise n’a pas droit à l’erreur.
Boeing se contentera d’assembler les modules qui lui seront livrés par ses fournisseurs.
Cette méthode représente un changement radical pour l’entreprise américaine. Auparavant,
elle fonctionnait selon de principe du «  build to print  ». Elle développait les plans et
demandait à ses fournisseurs de fabriquer les composants à partir de ces plans. Pour le
787, Boeing demande à ses fournisseurs de travailler selon le principe du « build to per-
formance ». C’est aux fournisseurs de développer les plans à partir des spécifications de
Boeing. Au total, quinze fournisseurs de premier rang sont choisis dans le monde entier
(États-Unis, Canada, Australie, Japon, Corée et Europe).
À partir de 2004, les commandes s’accumulent. Le succès est énorme… mais les retards
s’accumulent. Les fournisseurs ne semblent pas en mesure de répondre aux attentes de
Boeing.
Pour reprendre la main, Boeing prend trois grandes décisions :
••Elle envoie des ingénieurs chez les fournisseurs pour les aider à résoudre leurs pro-
blèmes.
••Elle rapatrie une partie de la production en interne.
••Elle développe une fonction qui permettra de mieux assurer le suivi des fournisseurs.
Malgré tous ses efforts, Boeing ne parviendra jamais à rattraper le retard. Le premier 787
finit par être livré en 2011.

194
Faire ou acheter  ■  Chapitre 10

La valeur créée par une opération d’externalisation est toujours amputée par deux
types de coûts :
––les coûts qui interviennent lors de la genèse du contrat d’externalisation (coûts du
recueil de l’information nécessaire au choix du prestataire, coûts de rédaction du
contrat…). Ces dépenses sont nécessaires car le prestataire est souvent mieux
informé que l’entreprise externalisatrice sur sa structure de coûts et ses compé-
tences réelles. Il faut donc s’assurer qu’il ne fait pas miroiter des qualités qu’il ne
possède pas ;
––les coûts qui interviennent pendant la durée de vie du contrat (coûts de vérification
du respect du contrat par le prestataire, coûts de renégociation du contrat s’il n’a
pas su s’adapter efficacement aux variations de l’environnement…). Notons que
lorsqu’une entreprise externalise une activité, elle perd progressivement l­ ’ensemble
de son savoir-faire. Le suivi du prestataire devient alors de plus en plus difficile et
coûteux.
Ces coûts sont tout à fait naturels dans une opération d’externalisation. Le véri-
table risque réside dans l’existence de coûts anormaux, liés à l’impossibilité de
changer de prestataire ou de réintégrer une activité externalisée. Dans ce cas, le
prestataire peut utiliser sa position de force pour augmenter ses tarifs et/ou réduire
la qualité de ses prestations. Contrairement à ce que l’on peut croire, cette situation
est loin d’être exceptionnelle.
Dans une opération d’externalisation, le risque de destruction de valeur par
l­ ’externalisation provient de l’existence d’intérêts divergents entre les prestataires et
leurs clients. Pour les prestataires, les premiers mois de la relation sont source de
coûts importants (dépenses générées par l’obtention du contrat et la reprise des équi-
pements…). Ils comptent donc sur la suite de la relation pour rentrer dans leurs frais.
C’est généralement à ce moment que leurs clients leur demandent d’investir dans de
nouveaux équipements ou d’introduire de nouvelles technologies. La relation
«  client-prestataire  » reste avant tout une relation commerciale dans laquelle les
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deux parties cherchent à s’approprier la plus grande partie de la valeur créée par
l’externalisation. Pour éviter que le prestataire ne s’approprie une trop grande part
de cette valeur, des mécanismes contractuels soignés doivent être mis en place.
Plusieurs conseils peuvent donc permettre de rédiger de meilleurs contrats :
• Refuser le contrat standard du prestataire.
• Ne pas signer de contrats incomplets car le prestataire n’a aucune obligation légale
de modifier le contrat, même s’il a été signé sous la pression du temps.
• Mesurer toutes les activités durant une période de référence (« baseline period »)
afin de préciser la prestation qui sera délivrée.
• Développer des mesures de niveau de service.
• Mettre en place des rapports de niveau de service.

195
  Chapitre 10  ■ Faire ou acheter

• Mettre en place des procédures d’escalade pour régler les conflits éventuels.
• Mettre en place un système de pénalités en cas de non-respect du contrat (c’est-à-
dire des pénalités croissantes en cas de défaillances répétées).
• Essayer de prendre en compte la baisse constante des coûts de la technologie.
• Intégrer dans le contrat les éventuelles fluctuations du volume d’activité.
• Sélectionner avec soin son interlocuteur chez le prestataire.
• Inclure une clause de sortie du contrat, imposant au prestataire son assistance pour
remettre en place un service interne.
• Se méfier des clauses indiquant que tout changement de fonctionnalités est facturé.

196
Chapitre
Stratégies
11 et nature
de l’industrie

OBJECTIFS
 Identifier et caractériser les différents types d’industries : nouvelle et en crois-
sance, mûre ou en déclin, locale ou globale.
 Déterminer les options stratégiques adaptées aux différents contextes industriels.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Stratégies dans les industries nouvelles et en croissance
Sec­­tion 2   Stratégies dans les industries en maturité
Sec­­tion 3   Stratégies dans les industries en mutation
Sec­­tion 4   Stratégies dans les industries globales
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

Section
1 Stratégies dans les industries nouvelles
et en croissance

1 Un environnement incertain
Les industries nouvelles et en croissance sont caractérisées, tout d’abord, par une
incertitude technique sur le plan des produits et sur celui des procédés de fabrication.
S’agissant de nouvelles activités, pour lesquelles aucune solution technique n’a
vraiment fait ses preuves, chaque entreprise utilise son propre savoir-faire et a
recours à des conceptions originales. Toutefois, nul ne peut dire quelle est l’option
technologique qui deviendra le standard lorsque l’industrie entrera dans sa phase de
maturité. Par exemple, dans le cas de la voiture électrique, plusieurs options tech-
niques sont actuellement en présence sans que l’on puisse dire laquelle des techno-
logies concurrentes – piles à combustible (hydrogène ou méthanol) ou batteries
d’accumulateur classiques – l’emportera.
La deuxième caractéristique découle directement de cette incertitude technolo­gique.
Il s’agit de l’incertitude stratégique. En effet, les règles du jeu concurrentiel n’étant pas
claires, une multiplicité d’options stratégiques et de business model sont en présence.
Tout est encore possible. Rien n’est encore décidé. Cette situation est d’autant plus
complexe que, d’une part, la croissance cache les erreurs stratégiques qui peuvent être
commises et que, d’autre part, l’analyse des comportements concurrentiels est rendue
difficile, voire impossible, en raison du peu d’information disponible sur le nouvel
environnement. De plus, il est fréquent que des phénomènes de mode se développent
et que la rationalité économique disparaisse au profit de croyances partagées, pour des
raisons diverses, par un grand nombre d’acteurs. À titre d’exemple, on peut considérer
le cas d’Internet à la fin des années quatre-vingt-dix où les « pure players » devaient
surpasser, quasi sans combat, les « Bricks and Mortars », où les règles de « l’ancienne
économie » ne s’appliquaient plus et où les modes de valorisation des entreprises ne
reposaient plus sur des données factuelles (actif, CA, bénéfices) mais sur des notions
aussi intangibles que le nombre de pages lues ou des valorisations des clients telles
qu’il aurait fallu plusieurs siècles pour atteindre un quelconque point mort !
La troisième caractéristique est le nombre important de petites entreprises qui
accompagnent un secteur en développement. En l’absence de règles bien définies et
de barrières à l’entrée, telles qu’une taille minimum critique ou un outil de produc-
tion performant et fiable, un grand nombre de petites firmes peuvent espérer prospé-
rer au sein d’un nouveau secteur. La micro-informatique a vu, à ses débuts, la
création de plusieurs dizaines de fabricants d’ordinateurs, aujourd’hui tous disparus
à l’exception de quelques filiales de grands groupes (HP, IBM Lenovo…) et de rares
succès (Apple, Dell…).
La quatrième caractéristique est la rapidité relative avec laquelle des gains de pro-
ductivité et des diminutions de coût peuvent être réalisés. En effet, selon le

198
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

phénomène d’expérience, le coût unitaire de production tend à diminuer d’un pour-


centage fixe lors de tout doublement du volume cumulé de production. À mesure que
le volume s’accroît, le temps nécessaire à son doublement devient de plus en plus
long. En revanche, lors du lancement d’une activité nouvelle, les doublements des
volumes cumulés de fabrication peuvent être réalisés rapidement.
La cinquième caractéristique est l’absence d’une clientèle informée. En effet,
quand une activité totalement nouvelle entre en concurrence avec les autres produits
présents sur le marché, elle tente de divertir des ressources du consommateur celles
qui étaient destinées à ces derniers. Il s’agit donc de convaincre le client que l’achat
du nouveau produit est d’une utilité supérieure à celle de ses anciennes consomma-
tions. Pour ce faire, il faut informer et former le client à l’utilisation du produit ;
faute de quoi, les premiers achats d’impulsion risquent d’être sans suite. Consé-
quence de ce problème d’absence de clientèle formée et informée, les études de
marché réalisées dans des industries nouvelles sont très rarement fiables car les
clients potentiels ne peuvent juger une offre qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont
pas utilisée. En conséquence, l’entreprise procède à des études de marché en temps
réel, une fois l’offre développée ou en fin de développement, et ne fonde pas les
caractéristiques de son offre sur des études réalisées bien avant l’arrivée des pre-
miers produits sur le marché.
La dernière caractéristique est la vision trop souvent à court terme des différents
acteurs de l’industrie donnant parfois et souvent à juste titre une impression de
désordre et d’improvisation. Impression qui ne fait que renforcer le non-achat des
consommateurs potentiels. D’autres caractéristiques existent enfin absence de stan-
dards techniques (chacun utilise ses propres normes et approches technologiques
incompatibles les unes avec les autres), obsolescence rapide des produits (le client,
dans l’expectative et pressentant une qualité supérieure ou un prix inférieur, attend
le produit de la prochaine génération), qualité irrégulière des produits (des produits
de qualités diverses sont commercialisés par l’ensemble des concurrents), absence
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d’une infrastructure technique et commerciale (les réseaux de service et de distribu-


tion ne peuvent suivre le développement des activités), difficulté d’approvisionne-
ment (les fournisseurs devant l’afflux des demandes en faveur de la nouvelle
industrie ne peuvent honorer les commandes).

2 Stratégies adaptées aux industries nouvelles


Du fait de la grande incertitude et de l’instabilité qui règnent dans les industries
nouvelles et en croissance, il n’existe pas, à proprement parler, de stratégie optimale
à mettre en œuvre. La plasticité du secteur est telle que plusieurs options sont pos-
sibles. Néanmoins des orientations peuvent être conseillées. Parmi ces dernières il y
a d’abord l’effort que l’entreprise peut fournir en imposant ses propres règles du jeu
en matière de produit, de prix, de distribution, de manière que sa position soit la plus

199
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

forte possible dans le futur. Il y a également l’action que l’entreprise peut mettre en
œuvre afin d’organiser l’industrie dans le but de donner une image cohérente et aussi
rassurante que possible au marché, aux investisseurs potentiels, aux fournisseurs et
aux pouvoirs publics. Bien entendu, entre cette action générale, au niveau de l’in-
dustrie, et sa stratégie particulière, l’entreprise doit trouver un compromis. Par
exemple, entre la standardisation des produits, souhaitée par la clientèle, et la diffé-
renciation que la firme désire adopter, un équilibre doit être trouvé.
Au-delà des deux types d’actions qui viennent d’être suggérés, l’entreprise peut
aussi tirer parti d’une évolution favorable dans l’attitude des fournisseurs et des
distributeurs. En effet, au fur et à mesure de l’acceptation du secteur par l’ensemble
des parties prenantes, des possibilités nouvelles vont s’offrir. Les fournisseurs,
notamment, acceptent plus facilement d’accroître leur service en termes de délai, de
qualité, de paiement. L’entreprise qui sait anticiper ces évolutions possède un avan-
tage sur celles qui demeurent bloquées dans leurs habitudes anciennes. De même,
l’évolution des conditions concurrentielles au sein de l’industrie va donner un avan-
tage à celles des firmes qui ont su prédire ces changements. Par exemple, au démar-
rage de l’industrie, le caractère unique du produit est souvent l’atout essentiel.
Lorsque le secteur commence à mûrir, l’atout critique est, généralement, la faculté
de produire en masse et la compétence commerciale. Ainsi, l’entreprise qui sait
anticiper cette évolution et s’adapter à ces nouvelles contraintes possède un avantage
sur celles qui n’en ont pas saisi l’enjeu. Enfin, le dernier problème stratégique, qui
se pose dans des industries nouvelles, est de savoir quand entrer sur le marché.
Il est en général aisé à une entreprise de pénétrer tôt un marché. C’est la crois-
sance. Aucune entreprise ne domine réellement le secteur. Nulle marque n’est véri-
tablement identifiée par la clientèle. Toutefois, les risques techniques sont
habituellement importants. Il n’est pas rare que les premiers entrants paient les pots
cassés technologiques de l’industrie. Attendre que le marché se soit développé et que
les produits commencent à être acceptés présente l’avantage de limiter les risques.
En effet, au bout d’un certain temps, l’incertitude technologique tend à se réduire.
Une certaine standardisation apparaît. La clientèle est mieux informée. Néanmoins,
des qualités d’adaptation et des ressources importantes sont nécessaires, dans ce cas,
afin de rattraper le retard pris vis-à-vis des firmes plus anciennement installées.
Une entrée précoce sur le marché est souhaitable lorsque l’ancienneté, la réputation,
l’image sont des facteurs importants pour la clientèle. De même, elle est nécessaire
lorsque l’expérience technique et commerciale est cruciale pour la maîtrise d’un pro-
duit. Une entrée rapide est également indispensable quand des coûts faibles peuvent
seulement être réalisés par les premières firmes sur le marché. Ainsi, le contrôle d’un
réseau de distribution par une entreprise peut entraîner des coûts supplémentaires
substantiels chez la firme concurrente qui se voit dans l’obligation de créer un nouveau
réseau si elle s’implante ultérieurement dans le secteur. En revanche, une entrée pré-
coce est dangereuse quand les coûts de développement du marché sont trop grands et

200
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

que les risques techniques sont importants. Cette entrée doit aussi être repoussée
quand une concurrence potentielle puissante attend, pour pénétrer les marchés, que
l’industrie se stabilise. Enfin, lorsque les règles du jeu concurrentiel que l’on peut
anticiper pour l’avenir sont trop différentes de celles qui, dans le présent, nécessitent
des expertises spécifiques, l’entrée dans l’industrie doit être suspendue.
En résumé, une entreprise fait un bon choix en pénétrant une nouvelle industrie si
elle est capable de bâtir une stratégie à long terme qui lui permette de maintenir une
position concurrentielle forte et durable. Si tel n’est pas le cas, beaucoup d’efforts et
d’espoirs se solderont inévitablement par un échec.
En conséquence (voir tableau 11.1), quelle que soit sa stratégie d’ordre d’entrée,
une entreprise se doit de privilégier au maximum la flexibilité de sa stratégie dans
ce type d’environnement. Pour ce faire, l’entreprise doit éviter autant que possible
tout investissement dans des actifs spécialisés, avoir recours à la sous-traitance et
s’efforcer de construire une offre aussi large que possible afin de pouvoir répondre
à des opportunités mouvantes en termes de besoins et attentes des acheteurs. À cet
effet, l’entreprise construit des solutions modulaires de manière à pouvoir réagir
rapidement et sans investissements trop importants aux évolutions rapides des
besoins et attentes des acheteurs. Cette modularité permet également la construction
d’une gamme large, une amélioration rapide des performances et une vitesse de
réaction importante face à des opportunités présentes ou pressenties sur le marché.
Enfin, et afin de maîtriser l’incertitude, l’entreprise peut construire des réseaux avec
trois partenaires différents :
––les fournisseurs, afin de pouvoir bénéficier de leurs propres réflexions et de pou-
voir intégrer leurs produits dans l’offre modulaire construite par l’entreprise ;
––les concurrents, afin de créer ou de négocier ensemble un standard ;
–– les clients, car il est vital dans ce type d’environnement d’identifier au plus tôt les
leaders d’opinion puis de travailler avec eux sur la construction de l’offre future. Cette
collaboration avec des clients permet également de contourner l’absence de validité et
de précision des études de marché réalisées dans un environnement nouveau.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Section
2 Stratégies dans les industries en maturité

1 Un environnement prévisible
Les industries en maturité sont caractérisées par un certain nombre d’éléments. Le
premier est le ralentissement de la croissance du marché et, par conséquence, l’aug-
mentation de la concurrence entre les entreprises en présence. Du fait d’une crois-
sance lente du secteur, les firmes tendent à se tourner vers le marché de leurs

201
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

concurrents et à mettre en œuvre des actions commerciales agressives. La deuxième


caractéristique est le pouvoir grandissant de la clientèle. Mieux informée sur les
firmes en présence, sur les divers produits disponibles, sur la qualité respective des
services offerts, la clientèle tend à être plus exigeante et à faire jouer éventuellement
les entreprises les unes contre les autres. La satisfaction croissante du marché et la
pression concurrentielle tendent à pousser les entreprises vers la recherche des
moindres coûts ainsi que vers l’offre d’un service accru. La troisième caractéristique
est la situation de surcapacité dans laquelle se situe généralement une industrie en
maturité. Il est fréquent que, sur la lancée des habitudes anciennes de croissance, les
firmes fassent des erreurs de prévision de la demande et surévaluent les besoins en
capacité de production par rapport à ce qui est réellement nécessaire. Cette situation
de surcapacité, qui vient s’ajouter aux autres pressions concurrentielles exercées sur
les entreprises, contribue plus encore à une diminution des prix et, par conséquent,
à une contraction des marges et des profits. La quatrième caractéristique est
l­’accroissement de la concurrence internationale. Par suite d’une plus grande stan-
dardisation des produits et des procédés de fabrication, les technologies de base
deviennent accessibles à de nouveaux concurrents qui peuvent jouir d’une structure
de coûts qui est souvent à leur avantage.
Le cas des entreprises des pays en voie de développement illustre ce phénomène.
Grâce à des coûts de production faibles, ces dernières ont su s’implanter dans un
grand nombre d’industries mûres le textile et l’acier hier, l’informatique et la télé-
phonie aujourd’hui et probablement, demain, l’automobile, l’aéronautique et le
spatial. La cinquième caractéristique est le changement des méthodes de gestion des
entreprises. Un marché difficile, une concurrence accrue, des prix réduits, une évo-
lution technologique ralentie, des distributeurs moins diligents créent des contraintes
auxquelles les anciennes politiques commerciales, de recherche et de production ne
peuvent plus répondre.

2 Les stratégies de la maturité

Devant cet ensemble de caractéristiques spécifiques aux industries en maturité,


seules des actions stratégiques adaptées peuvent être mises en œuvre. Par exemple,
l’une des préoccupations majeures guidant le choix de stratégies est la recherche des
coûts les plus faibles possibles. Pour ce faire, une mise au point de procédés de
fabrication particulièrement productifs, un développement de réseaux de distribution
efficaces, une conception rationnelle des produits sont à la base de cette politique.
Toutefois, si pendant la période de fort développement les erreurs étaient aisément
compensées par la croissance, lorsque la maturité est là, tout faux pas risque d’être
fatal. C’est ainsi que la recherche d’un système productif et commercial compétitif
doit s’accompagner d’un meilleur suivi des coûts et d’un contrôle plus efficace de
l’activité de l’entreprise. La fixation des prix, dans un environnement particulièrement

202
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

concurrentiel, est une décision critique. Sans une maîtrise des éléments de coûts, les
pressions exercées sur l’entreprise risquent d’entraîner des niveaux de prix fixés de
façon inadéquate pouvant se solder, en conséquence, par des résultats financiers peu
satisfaisants.
À la différence d’une industrie nouvelle qui demande une forte flexibilité straté-
gique, l’industrie en maturité permet à l’entreprise de s’engager stratégiquement
(voir tableau 11.1). Du fait de la prévisibilité de l’environnement, l’entreprise choi-
sit une stratégie et s’y tient. Dans cette perspective, l’entreprise va posséder son outil
de production et rechercher, du fait de la pression sur les prix exercés par les ache-
teurs, la production de produits standard à faible coût. Des coûts faibles peuvent
provenir d’économies d’échelle, d’un meilleur contrôle des différents processus
internes, d’un contrôle des canaux de distribution, d’une redéfinition des produits
afin de diminuer leurs coûts de production ou d’une adaptation des produits à des
innovations réalisées par les fournisseurs. Enfin, la sélection des acheteurs participe
également à la réduction des coûts. En période de maturité, il est difficile et coûteux
d’étendre son marché et de trouver de nouveaux acheteurs. Une clientèle infidèle,
faisant jouer les entreprises les unes contre les autres, doit être évitée. En revanche,
des clients sûrs, fidèles, solvables et coopératifs doivent être, dans la mesure du
possible, recherchés.
L’extension du marché au niveau international est une autre option stratégique
offerte aux firmes en maturité. Un marché peut, en effet, arriver en maturité sur un
secteur géographique donné alors qu’il existe des opportunités de croissance ail-
leurs. Par exemple, dans le cas des entreprises liées à la téléphonie mobile ou à
l’accès à Internet, par suite du ralentissement de la croissance dans les pays occiden-
taux à partir de 2000, un certain nombre d’entre elles se sont tournées vers les pays
en voie de développement. Orange illustre bien ce type de stratégie. Au départ
exclusivement européen, le groupe Orange SA a des participations dans vingt pays
en 2003 et compte être présent dans cinquante pays d’ici 2015.
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Une certaine forme de différenciation est également nécessaire afin de tirer parti
le mieux possible de ses expertises propres. Telle entreprise est capable de fournir
un service rapide, de qualité, à moindre coût. Telle autre peut, en revanche, fabriquer
de grands volumes à un coût compétitif. Le risque à éviter est d’essayer d’imiter
l’autre à partir d’un savoir-faire différent.
Enfin, la mise en place d’un système de management, en accord avec la situation
de maturité, est cruciale. En effet, les contraintes nouvelles auxquelles l’entreprise
est soumise et les actions qu’il est souhaitable de mettre en œuvre rendent nécessaire
l’adoption de nouveaux comportements et styles de management. L’accent mis sur
les coûts, le service, le choix sélectif de la clientèle viennent remplacer la créativité
et flexibilité de la période antérieure. Plus de contrôle, une meilleure coordination,
une analyse précise des résultats deviennent nécessaires. Le passage de l’ancienne
organisation à la nouvelle n’est pas sans créer de difficultés. Pendant la phase de

203
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

croissance, l’initiative, l’indépendance, la recherche d’objectifs ambitieux étaient


les caractéristiques essentielles de l’organisation. Entrant dans la maturité, ces
caractéristiques disparaissent au profit d’une gestion plus serrée et moins « dyna-
mique », créant des blocages chez un personnel habitué à un autre style de manage-
ment, motivé par d’autres incitations et récompensé pour des actions différentes.
Dans la phase de maturité, de nouvelles caractéristiques organisationnelles vont
primer. Les objectifs seront moins ambitieux mais tout aussi difficiles à atteindre.
La recherche de taux élevés de croissance ou de profit va faire place à des objectifs
d’efficacité et de productivité adaptés à la nouvelle situation. Les possibilités de
promotion interne seront moins nombreuses. Ceci entraînera la mise en place d’un
système d’incitation et de motivation qui ne sera plus fondé sur la seule crois-
sance. Les décisions seront plus centralisées du fait même de la priorité donnée au
contrôle des opérations et des coûts. Une meilleure coordination des fonctions et
une plus grande rigueur dans la réalisation des tâches seront nécessaires. Toutes
ces actions seront entreprises au détriment des facultés d’adaptation et d’innova-
tion moins cruciales dans cette phase. Le style de direction, enfin, devra être en
accord avec les nouvelles contraintes de croissance et de centralisation de la prise
de décision.
L’ensemble des actions qu’il est souhaitable de mettre en œuvre lors de la maturité
se heurte à plusieurs difficultés :
• La perception trompeuse qu’ont les firmes de la situation véritable dans laquelle
elles se trouvent, perception généralement déformée par l’expérience passée. Il
s’agit d’un problème grave dans la mesure où les stratégies découlent de l’évalua-
tion faussée que les entreprises peuvent faire d’elles-mêmes et de leur environne-
ment.
• La frénésie de faire du volume lorsque l’on commence à se rendre compte que des
capacités importantes de fabrication demeurent inutilisées. Cette situation est sou-
vent compliquée par la recherche d’une productivité accrue qui se traduit souvent
par l’achat de nouveaux équipements beaucoup plus performants, contribuant plus
encore à l’accroissement des capacités de production. Afin de faire du volume, les
firmes hésitent rarement à baisser les prix, décision qui mène, par le jeu de la
concurrence, à une détérioration progressive de la profitabilité du secteur, entraî-
nant les entreprises dans une situation financière difficile.
• L’attachement des responsables aux valeurs du passé avec pour conséquence des
actions en accord avec les habitudes acquises d’innovation plutôt que visant à une
rentabilisation de l’existant et à une efficacité de gestion.
• Le biais en faveur du seul profit et des conséquences associées de diminution de
l’effort commercial et de recherche. Ceci, toutefois, doit être évité si l’activité veut
assurer sa pérennité. Pour ce faire, des actions importantes de restructuration et de
redéploiement des efforts sont nécessaires.

204
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

Section
3 Stratégies dans les industries en mutation
Il est fréquent qu’une industrie en période de maturité depuis de nombreuses
années traverse une phase d’évolution dont l’origine est soit le marché, soit la tech-
nologie, voire les deux à la fois. Ces évolutions vont avoir un impact positif ou
négatif sur le volume (en augmentant ou en réduisant le nombre de clients) et la
valeur (en autorisant des fonctionnalités nouvelles ou en standardisant des fonction-
nalités anciennes) du secteur. Elles vont également contribuer à modifier les repères
classiques de l’entreprise en termes de modèles économiques, d’offres et de facteurs
clés de succès. Ces périodes d’évolutions ou de mutations sont également propices
à l’apparition de nouveaux concurrents, les barrières à l’entrée « traditionnelles » du
secteur perdant de leur force du fait des évolutions en cours.
À titre d’exemple, on peut prendre le cas de la téléphonie. L’apparition de la tech-
nologie cellulaire a accéléré la déréglementation du secteur, favorisé l’apparition de
nouveaux concurrents tels Vodaphone, Bouygues Télécom ou Free, permis une
croissance importante tant en volume qu’en valeur, modifié profondément les modes
de consommation et autorisé la création et/ou la généralisation de nouveaux ser-
vices. Certaines entreprises traditionnelles ont su s’adapter à cette nouvelle donne
alors que d’autres ont vu leur part de marché globale diminuer, parfois fortement.

1 Les problèmes liés à un environnement en mutation


Les problèmes spécifiques de la phase de mutation de l’environnement à laquelle
toute industrie en maturité peut, un jour, être confrontée sont nombreux. L’un des
premiers est celui du « timing » : quand l’entreprise doit-elle lancer la nouvelle géné-
ration de produits répondant à l’évolution technique ou commerciale en cours sur
son marché ? Si elle effectue ce lancement trop tôt, avant que le marché ne soit prêt,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

elle ne bénéficie d’aucun des avantages liés à sa position d’innovateur ou de « pre-


mier entrant » mais doit, en revanche, financer l’ensemble des coûts associés à ce
lancement et supporter un chiffre d’affaires réduit. Si elle intervient trop tard, alors
que la substitution entre l’ancienne et la nouvelle génération de produits s’est déjà
réalisée, l’obtention de la part de marché naturelle (c’est-à-dire la part de marché à
laquelle l’entreprise peut légitimement prétendre compte tenu de ses parts de marché
et positionnements concurrentiels historiques) va demander des investissements
conséquents, plus importants que ceux nécessaires lors d’une entrée précoce. L’en-
treprise peut bien évidemment choisir de faire coexister deux gammes de produits
et, dans la plupart des cas, les deux outils de production qui permettent de les obte-
nir. Toutefois, si cette option permet de gérer au mieux la période de substitution,
elle entraîne des coûts tels qu’une entreprise ne peut se permettre de la mettre en
œuvre sur une longue période.

205
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

L’entreprise doit également s’interroger sur le degré de recouvrement entre l’an-


cienne et la nouvelle génération d’offres. Cette problématique est double :
• Les acheteurs de l’ancienne offre vont-ils accepter de passer à la nouvelle généra-
tion de produits ou assistera-t-on à la naissance de poches de demande résiduelle
plus ou moins importantes. De fait, dans la plupart des cas d’évolution techno­
logique ou de marché, on constate, au-delà des rythmes de substitution, qu’une
partie des acheteurs choisit, par habitude, tradition ou choix rationnel, de rester
fidèle à l’ancienne offre. À titre d’exemple, la technologie des transistors a sup-
planté celle des tubes à vide en l’espace de trois ans du fait de ses avantages
conséquents en termes de longévité, de consommation d’énergie et de moindre
dégagement de chaleur. Néanmoins, plus de cinquante années après cette substitu-
tion, il existe toujours une poche de demande résiduelle pour les tubes à vides dans
des applications comme les amplificateurs HiFi haut de gamme. L’entreprise doit
ainsi évaluer la présence, l’importance et la pérennité de ces poches de demande
résiduelle avant de choisir d’abandonner définitivement ses anciennes gammes de
produit. Les problèmes à résoudre et les options stratégiques possibles sont, à ce
titre, comparables à celles développées dans la section 4 consacrée aux industries
en déclin.
• Le lancement d’une nouvelle gamme de produits et de services répondant à l’évo-
lution technologique ou de marché peut entraîner l’apparition de nouveaux ache-
teurs pour lesquels les besoins et les attentes préexistaient mais auxquels la
génération précédente d’offre ne répondait pas ou ne répondait que partiellement.
À titre d’exemple, le lancement du numérique a permis de quasiment doubler tant
en volume qu’en valeur le marché des appareils photographiques. Bien qu’une
partie de cette croissance soit liée à des phénomènes de renouvellement, la majo-
rité de cette augmentation est liée à l’apparition de nouveaux acheteurs, séduits par
cette nouvelle gamme de produits alors qu’ils n’étaient pas ou peu consommateurs
des produits de l’ancienne génération argentique. Le danger lié à l’arrivée de ces
nouveaux consommateurs repose sur le fait qu’ils ont souvent des besoins et
attentes sensiblement différents des plus anciens et qu’en conséquence, les fac-
teurs clés de succès traditionnels, valables pour l’ancienne génération de produits,
ne sont plus adaptés à eux. Pour reprendre l’exemple du numérique, les anciens
consommateurs de boîtiers reflex 24/36 étaient des amateurs plus ou moins pas-
sionnés pour lesquels la technicité était le facteur clé d’achat. Pour les nouveaux
consommateurs, apparus avec le numérique, ce n’est plus tant la technicité qui
importe que la simplicité d’utilisation. Une entreprise qui choisit de répondre à
une évolution technologique ou de marché avec des réponses classiques se voit
ainsi privée d’une partie du potentiel résultant de cette évolution.

206
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

2 Les stratégies adaptées aux environnements en mutation


La période d’évolution ou de mutation que peut traverser tout secteur industriel est
une opportunité pour l’entreprise car elle permet de desserrer le carcan de la matu-
rité. De fait, de par la rigidité des positionnements concurrentiels choisis par les
différents acteurs, la pression sur les prix mise en œuvre par les consommateurs et
les réseaux de distribution, il est difficile pour une entreprise située dans un secteur
en mutation de se réinventer ou de créer des avantages concurrentiels nouveaux.
Tant la pression à la conformité exercée par l’environnement que le degré de risque
important associé à tout mouvement stratégique majeur réalisé dans un secteur en
mutation conduisent généralement les entreprises à reproduire la même approche
stratégique. En revanche, la période de mutation permet à l’entreprise de retrouver
des marges de liberté et d’inventer une offre et/ou une approche nouvelle du marché.
Alors que dans un environnement mûr, c’est la défense des positions concurren-
tielles qui domine la pensée et l’action stratégique, en période de mutation, l’entre-
prise peut rechercher et créer aussi bien les bases de son futur positionnement
concurrentiel que celles d’un avantage concurrentiel inédit. Comme nous l’avons
évoqué précédemment, la nouvelle pensée stratégique ne peut être la continuité de
l’ancienne car de nouveaux acheteurs et de nouveaux concurrents apparaissent et les
facteurs clés de succès, voire les modèles économiques, évoluent. L’entreprise va
donc traverser une phase de changement stratégique au cours de laquelle les anciens
repères et référentiels doivent évoluer, provoquant ainsi de l’anxiété, voire de la
résistance au changement chez une partie des acteurs. Si l’entreprise ne sait surmon-
ter ces différentes résistances, elle ne pourra rechercher puis créer un nouvel avan-
tage concurrentiel durable et verra sa performance rapidement affectée par
l’application d’anciens facteurs clés de succès qui ne sont plus adaptés au nouvel
environnement.
Afin de gérer au mieux cette phase de transition (voir tableau 11.1), l’organisation
doit analyser la nature et l’origine de l’évolution susceptible d’affecter son environ-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nement. Puis elle va en identifier les conséquences tant sur la demande, en termes
de modifications possibles, que sur l’offre, en termes de réponses désormais appro-
priées ou rendues impossibles. Il va sans dire que si l’entreprise découvre cette
évolution alors même qu’elle est déjà largement engagée dans son environnement,
il ne lui sera pas possible de construire une réponse originale et qu’elle se verra, dans
le meilleur des cas, contrainte d’imiter les stratégies mises en œuvre par ses concur-
rents. Dans le pire des cas, l’entreprise peut même disparaître ou se retirer du secteur
industriel du fait de son incapacité à développer dans les temps une offre répondant
à ces nouvelles conditions environnementales. À cette phase d’évolution de son
environnement, l’entreprise doit répondre par la recherche puis la construction d’une
nouvelle gamme optimale de produits tant en termes de fonctionnalités que de mix-
marketing. Si l’entreprise ne réalise pas la « reconstruction » de son offre, elle ne
pourra ni bénéficier des opportunités ni répondre aux menaces créées par l’évolution

207
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

de son environnement. Au-delà d’une redéfinition de son offre, l’entreprise doit


également s’attacher à réévaluer l’ensemble de ses principaux processus internes
(chaîne logistique amont et aval, production, commercialisation, innovation…) afin
de les adapter à l’évolution de l’environnement.
Par ailleurs, il arrive fréquemment que l’on assiste à une multiplication d’alliances
entre entreprises lors de cette phase. Ces alliances peuvent être de deux types :
––alliances entre concurrents, afin d’établir rapidement une masse critique autour
d’un nouveau type d’offres destinées à répondre à l’évolution ou à la mutation et
à faciliter ainsi la substitution ;
––alliances avec des fournisseurs afin de pouvoir développer plus rapidement une
réponse globale, partagée entre les différents acteurs et susceptible de répondre à
l’intégralité des changements introduits par l’évolution en cours.

Tableau 11.1 – Options stratégiques et nature de l’industrie

Mêmes marchés Nouveaux marchés


Mêmes produits Pénétration Expansion
Nouveaux produits Innovation Diversification

L’entreprise doit ainsi faire évoluer tant sa stratégie que son organisation afin de
profiter au mieux des mutations de son environnement. Si elle ne sait pas profiter de
cette période pour se remettre en question, elle ne bénéficiera pas des opportunités
offertes par l’évolution de son environnement et, dans le pire des cas, elle sera
condamnée à disparaître du fait de l’obsolescence rapide de ses produits.

Section
4 Stratégies dans les industries globales
Les trois types d’industries que nous venons de voir, correspondent aux phases de
ce que l’on peut appeler un cycle de vie industriel. Toutefois, un type particulier
d’industrie « transversale » mérite le détour. Il s’agit de l’industrie globale. Cette
dernière n’est pas récente, mais connaît depuis une trentaine d’années un dévelop-
pement conséquent. L’industrie globale peut être définie comme le lieu où des entre-
prises de même métier sont en concurrence pour la domination d’un marché mondial
approvisionné avec des produits similaires. L’industrie globale implique donc, d’une
part, une certaine forme de standardisation des produits, et d’autre part, une homo-
généisation des besoins des acheteurs. Enfin, certaines industries sont devenues
globales car le niveau d’investissement nécessaire pour développer un nouveau
modèle et pour disposer d’une offre intégrant les dernières évolutions technologiques

208
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

est tel qu’il ne peut être rentabilisé que par une approche globale des marchés et des
ventes. C’est, par exemple, le cas de l’aéronautique civile ou la plupart des concur-
rents locaux ont disparu, ont été rachetés ou ont fusionné dans des structures trans-
nationales. Au début du xxie siècle, il ne reste ainsi que deux concurrents globaux
(Airbus et Boeing) et une poignée d’acteurs, certes globaux, mais contraints à une
stratégie de niche (Embraer, Bombardier, Dassault…).
Le développement de ces champs concurrentiels globaux est facilité par les pro-
grès réalisés dans le domaine des transports, des communications et dans la diminu-
tion des taxes à l’importation. Ces progrès sont à l’origine de l’homogénéisation des
besoins. Le Perrier est devenu ainsi un produit mondial que l’on retrouve aussi bien
sur les courts de Rolland-Garros que sur les tables de la 5e avenue à New York.
L’Airbus est également un produit mondial acheté par des compagnies aériennes de
tous les pays.

1 Le dilemme standardisation-adaptation
Afin de tirer profit de la globalisation, une conception de produits standardisés, pou-
vant être vendus partout dans le monde, est rendue nécessaire. Cette standardisation
permet de réaliser des économies d’échelle en recherche, production et marketing
donnant à l’entreprise qui les maîtrise un avantage concurrentiel en termes de coût.
L’industrie globale s’oppose, en effet, à l’industrie « multinationale » (ou multi-
domestique) où l’avantage concurrentiel est indépendant d’un pays à un autre. Une
banque, par exemple, peut être très forte en France et faible à l’étranger sans que sa
position hors des frontières vienne porter préjudice à sa compétitivité sur le territoire
national. Dans ce type d’industrie, les réglementations en vigueur limitent le trans-
fert de compétences et de savoir-faire d’un pays à un autre. Ceci freine la standardi-
sation. L’entreprise doit s’adapter aux conditions concurrentielles du marché
géographique sur lequel elle évolue si elle veut réussir. Nous sommes ici dans le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

règne de l’entreprise nationale ou multinationale et dans celui de la stratégie de type


domestique.
Sur le plan stratégique, les conséquences sont grandes. Dans le cas de l’industrie
globale, l’entreprise doit tirer partie de la taille de son marché et prendre en consi-
dération la nature mondiale de la concurrence. Pour ce faire, il lui est impératif de
savoir comment bénéficier des synergies entre différents marchés domestiques et des
économies d’échelle potentielles qu’elle peut réaliser grâce à la taille du marché
servi. Elle doit, parallèlement à cela, s’assurer de maintenir une certaine spécificité
dans son offre afin de répondre au mieux aux attentes nécessairement différenciées
de ses acheteurs. Cette approche s’oppose sensiblement à celle adoptée dans les
industries multinationales où le choix de vendre à l’étranger est laissé à la discrétion
du dirigeant Il ne s’agit pas d’un impératif concurrentiel ; le succès de la stratégie
dépendant essentiellement des conditions de concurrence, marché par marché.

209
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

Ainsi, la stratégie dans les industries globales doit s’appuyer sur un équilibre déli-
cat entre « standardisation » pour profiter de la taille du marché mondial et « adapta-
tion » aux conditions spécifiques des marchés géographiques visés. Peugeot-Citröen,
Renault-Nissan, Volkswagen, ont toutes une stratégie globale s’appuyant sur des
produits standardisés. Il n’empêche qu’en Europe continentale, la direction d’une
voiture se trouve à gauche alors qu’en Grande-Bretagne elle est à droite, ce qui
nécessite une adaptation du produit.
Afin d’aider le dirigeant dans la recherche de l’équilibre entre standardisation et
adaptation, Porter1 a suggéré une utilisation originale de la chaîne de valeur. Partant
du principe selon lequel une entreprise est une collection d’activités participant à la
création de valeurs, la question à se poser, dans le cas d’une firme globale, est de
savoir comment les activités doivent être réparties au niveau mondial afin de béné-
ficier à la fois de la standardisation et de procéder, quand cela est nécessaire, à une
adaptation.
Une chaîne de valeur peut être décomposée, d’une part, en une série d’activités,
dites de soutien, (qui sont communes à l’ensemble des produits de l’entreprise) et,
d’autre part, en activités primaires (qui participent directement à la production et à
la vente de ces mêmes produits). Une autre distinction peut également être faite. Il
s’agit de celle entre activités primaires amont, qui sont plus directement liées à la
production, et activités primaires aval, qui sont directement associées à la vente et
donc à l’acheteur.
Les activités de soutien et primaires amont sont loin de l’acheteur et peuvent théo-
riquement être séparées du marché. En revanche, les activités primaires aval, qui
sont proches de l’acheteur, peuvent difficilement être éloignées de ce dernier. Le
choix d’une stratégie globale va donc dépendre de l’importance relative de ces deux
grands groupes d’activités (soutien/primaires amont, d’une part, et primaires aval,
d’autre part) dans le développement d’un avantage concurrentiel durable (voir
figure 11.1). Si les activités de soutien et primaires amont sont cruciales pour le
succès de l’entreprise, alors une stratégie globale doit être adoptée. Dans le cas où
les activités primaires aval déterminent le succès ou l’échec de l’entreprise, une
stratégie « domestique » est de rigueur dans la mesure où le succès dépend de la prise
en compte des conditions concurrentielles spécifiques des marchés sur lesquels
l’entreprise opère.
Dans le cadre d’une industrie globale et se fondant sur le concept de chaîne de
valeur, la question demeure de savoir quel degré de synergie et quelles économies
d’échelle doit-on rechercher entre les différentes activités de l’entreprise ? Ou, plus
simplement, quelle coordination entre tâches élémentaires va-t-on rechercher au
niveau mondial, et quelle localisation va-t-on adopter à l’échelle planétaire pour les
différentes activités ?

1.  M.E. Porter, « Changing Patterns of International Competition », California Management Review, XXVIII, 2, 1986.

210
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

Industrie Industrie Industrie


nouvelle en maturité en mutation

- Flexibilité stratégique
- Rareté des actifs - Engagement stratégique - Changement stratégique
spécialisés - Possession de l’actif - Partenariats et alliances
Stratégie - Recherche de réseaux de production - Re-ingénierie
générale - Coordination - Intégration hiérarchique des processus
par la modularité - Contrôle des processus - Recherche et création
- Réponses flexibles - Défense des positions d’un avantage compétitif
envers des opportunités concurrentielles durable
mouvantes

- « Timing » de l’introduction
- Vitesse - Augmentation des parts des innovations
- Amélioration rapide de marché - « Timing » de la transition
des performances - Bénéfice d’économies technologique
Stratégie - Réseau de distribution d’échelle - « Re-Design » des canaux
produit flexible - Contrôle des canaux de distribution
- Gamme large de distribution - Recherche d’un produit
- Forte rotation - Production de produits optimal (fonctionnalités,
des modèles standards à faible coût mix-marketing...)

- « Re-design » des produits


- Recherche marché standards pour diminuer
en temps réel les coûts - Recherche marketing
- Multitude - Adaptation conventionnelle
Processus de collaboration aux innovations - Partenariat
d’innovation de court terme des fournisseurs avec des fournisseurs
- Multitude de processus - Processus - Partenariat
d’innovation concurrents de développement avec des concurrents
et autonomes séquentiel
et fonctionnel

Figure 11.1 – Chaîne de valeur et stratégies globales


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Selon Porter, la localisation des activités, ou configuration, pour reprendre ses


termes, peut aller d’une concentration totale (une usine immense, par exemple,
approvisionne le marché mondial) à la dispersion complète (une usine par pays sert
son marché local). La coordination entre activités peut, quant à elle, aller d’une
grande décentralisation de la prise de décision (chaque usine, par exemple, a sa
propre politique de production, ses méthodes, ses standards, etc.) à une centralisa-
tion parfaite (les usines, par exemple, sont liées au sein d’un réseau mondial géré à
un niveau central). Dans l’industrie globale, les stratégies mises en œuvre reposent
sur une forte concentration des activités, pour tirer parti des effets d’échelle, et sur
une coordination serrée, afin de bénéficier des effets de synergie.

211
  Chapitre 11  ■ Stratégies et nature de l’industrie

2 Stratégies adaptées aux environnements globaux

Au-delà de ce stéréotype de stratégie globale, il existe toute une série de stratégies


sélectionnées en fonction de facteurs spécifiques à l’industrie. Par exemple, dans les
industries où les économies d’échelle, les effets d’expérience, les avantages liés à
une localisation dans un lieu donné sont importants, la concentration des activités
est source d’avantage concurrentiel. En revanche, lorsque la demande locale est
spécifique, les coûts de transport importants, les risques monétaires et politiques
appréciables, l’entreprise a alors intérêt à disperser ses activités. Dans un autre ordre
d’idée, une forte coordination entre activités est souhaitable quand il y a un enrichis-
sement mutuel, du fait d’expériences multiples, entre différents marchés géo­
graphiques. De même, lorsqu’il existe une spécialisation des tâches par pays, du fait
de l’existence d’avantages comparatifs locaux tels que la présence d’institutions
d’enseignement et de recherche de haut niveau, ou une main-d’œuvre de qualité bon
marché, une forte coordination est nécessaire.
Une bonne coordination peut également faciliter le transfert de charge entre acti-
vités similaires localisées en différents lieux en fonction, par exemple des fluctua-
tions des taux de change ou d’autres facteurs pesant sur la structure des coûts ou
bien encore du risque politique. Une bonne coordination, enfin, offre l’avantage de
pouvoir jouer sur plusieurs marchés à la fois dans le cadre d’une concurrence glo-
bale. Tel fut le cas de la société Goodyear qui, pour freiner l’avancée de Michelin
sur le marché nord-américain, préféra attaquer ce dernier sur le marché européen où
sa présence était moins forte. Ce faisant, Goodyear pouvait préserver ses marges aux
états-Unis tout en limitant à moindre coût les ressources que Michelin aurait pu
dégager sur son marché de base. La conséquence fut, de ce fait, un ralentissement
de la percée de l’entreprise française aux états-Unis. Toutefois, la coordination n’est
pas toujours possible du fait de différences entre pratiques locales. Par exemple, des
méthodes de production similaires peuvent empêcher de tirer parti d’avantages
comparatifs spécifiques aux pays où les unités de fabrication sont implantées. De
plus, la coordination peut créer une lourdeur bureaucratique telle que les coûts admi-
nistratifs ne soient plus compensés par les bénéfices. Enfin, une entreprise peut
souhaiter mettre en œuvre une stratégie de différenciation retardée, ou elle va s’ef-
forcer de standardiser le plus possible pour ne procéder à une différenciation qu’au
niveau local à partir d’une offre standardisée.
Comme on peut aisément s’en rendre compte, il n’existe pas de stratégie unique
pour l’entreprise en concurrence dans une industrie globale, mais toute une pano-
plie. Ces diverses stratégies se situent sur un continuum qui va de la stratégie globale
pure avec une forte coordination et concentration des activités à une stratégie diffé-
renciée par marché géographique. Entre les deux se situe tout un ensemble de posi-
tions stratégiques intermédiaires qui doivent être adaptées aux conditions structurelles
et concurrentielles spécifiques des industries.

212
Stratégies et nature de l’industrie   ■  Chapitre 11

Une stratégie globale « standardisée » n’existe que dans certains types d’industries
telles que les motocycles ou les boissons. Toutefois, dans un grand nombre d’autres
secteurs, le besoin de différenciation des produits est tel qu’une standardisation n’est
pas possible. Par exemple, certains produits alimentaires doivent s’adapter au goût
du consommateur  ; de même, les pratiques de distribution vont différer selon les
pays. Entre les deux se situent les options mixtes, qui sont les plus répandues, et qui,
selon l’industrie et le choix de l’entreprise s’appuient à la fois sur des éléments
standardisés (globaux) et différenciés (adaptés au marché). Par exemple, Ford a des
lignes de produits spécifiquement européennes pour répondre à une attente diffé-
rente de celle de l’acheteur américain. En revanche, ce constructeur automobile fait
bénéficier à l’ensemble de ses modèles des retombées des innovations réalisées au
niveau mondial.
La stratégie dans les industries globales, comme nous venons de le voir, n’est pas
spécifique à une phase de vie industrielle mais concerne l’ensemble des secteurs
nouveaux ou anciens. Toutefois, le montant des investissements considérables par-
fois nécessaires en matière de R & D rend impérative, dès l’introduction d’un pro-
duit, la vision mondiale du marché visé afin de répartir sur de larges volumes l’effort
de développement. Ainsi, les industries nouvelles ont tendance à être globales dès
leur origine. Tel est le cas, par exemple, de la micro-informatique, de la bio-­
industrie, des disques compacts, etc. Les industries mûres, également, évoluent ou
ont déjà évolué vers la globalisation afin d’améliorer leur position concurrentielle,
tel est le cas, par exemple, de l’automobile ou du motocycle. Sans dire pour autant
qu’à terme, toutes les industries se globaliseront et que les segments géographiques
particuliers disparaîtront, il y a un mouvement vers la globalisation qui se renforce
et qui nécessite la mise en œuvre de stratégies prenant en compte la dimension et la
complexité nouvelle d’un marché mondial.

213
Chapitre
Positionnement
12 stratégique

OBJECTIFS
 Définir ce qu’est un avantage concurrentiel.
 Décrire les deux grands types d’avantages concurrentiels.
 Présenter l’avantage de différenciation et ses sources.
 Présenter l’avantage par les coûts et ses sources.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Prime de prix ou avantage de coût
Sec­­tion 2   La différenciation
Sec­­tion 3   L’avantage de coût
Sec­­tion 4   Le positionnement mixte
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

L ’analyse externe a mis en évidence ce qu’il faut faire pour réussir au sein d’une
industrie afin de contrer non seulement la concurrence directe, mais aussi celle
potentielle de nouveaux entrants ou qui offre des substituts ; réussir aussi en satis-
faisant les clients et en gérant correctement la relation avec les fournisseurs. L’ana-
lyse interne, quant à elle, s’est penchée sur ce que l’entreprise peut ou pourrait faire
pour développer un avantage sur la concurrence, dont notamment gérer de manière
appropriée sa chaîne de valeur. Selon Michael Porter1, cet avantage doit se traduire
par un positionnement clair. Il propose que les entreprises adoptent l’une des deux
stratégies génériques : de coût ou de différenciation, stratégies génériques qui soit
s’adresseront à l’ensemble du marché, soit seront focalisées sur un segment précis.
Pour ce faire, l’offre de valeur aux clients sera soit moins coûteuse à mettre en
place qu’une autre comparable de la concurrence (l’entreprise alors jouira d’un
avantage de coût), soit, à coût équivalent, l’offre de valeur lui sera supérieure et
fera bénéficier l’entreprise d’une prime de prix. L’avantage concurrentiel dans ces
deux situations est respectivement celui d’une domination par les coûts et celui
d’une différenciation.
Un avantage concurrentiel s’exprime ainsi vis-à-vis des concurrents, mais aussi
par rapport aux besoins et attentes des clients. En d’autres termes, la supériorité
d’une entreprise sur une dimension stratégique donnée (produit, services, coût de
production…) ne devient un avantage concurrentiel que si cette supériorité est
valorisée (offre moins chère ou meilleure) par le client. Il ne sert à rien d’être
meilleur que ses concurrents sur une dimension non perçue ou non valorisée par
ce dernier.
Sur le long terme, une entreprise dépourvue d’un positionnement adéquat et
donc d’un avantage concurrentiel est condamnée sinon à disparaître, du moins à
n’obtenir que ce que les économistes qualifient de «  profits normaux  ». Le
tableau  12.1 montre ainsi qu’il existe une relation forte entre l’existence d’un
avantage concurrentiel et la rentabilité. Seules les entreprises capables de faire une
offre valorisée par les clients, qui s’appuie sur des compétences distinctives, arti-
culées de manière appropriée dans une chaîne de valeur complexe et qui traduit un
positionnement (coût ou différenciation, pour le marché dans son ensemble ou
seulement focalisée sur un segment) difficile à répliquer, connaîtront le succès.
Les autres seront « coincés au milieu » sans grand avantage, que ce soit celui de
coût ou de différenciation.

1.  M. Porter, L’Avantage concurrentiel. Paris, Dunod. 2003.

216
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

Tableau 12.1 – Avantage concurrentiel et rentabilité


Retour sur investissements moyen en  %

– de différenciation Faible Faible Élevé Élevé


Avantage concurrentiel :
– d’avantage par les coûts Faible Élevé Faible Élevé

Biens de grande consommation


Produits durables 14,2 20,2 21 38,7
Produits non durables   9,7 27 15 33,2

Biens industriels
Biens d’équipement   8,1 19,7 28,5 35,2
Matières premières et biens semi-finis   2,9 28,8 15,1 34,9
Composants 10,5 22,8 29 38,8
Biens consommables 14,1 33,3 31 38,4
Services 10 22,8 26,8 31,5
Moyenne   9,5 26,2 22 34,7

D’après : G. Dess et A. Miller, Strategic management, Mac Graw Hill, 1993. Ces résultats proviennent
de l’analyse par les auteurs de la base de données PIMS présentée dans la section 1 du chapitre 13.

Section
1 PRIME DE PRIX OU AVANTAGE DE COûT

La recherche d’un avantage ne se fait pas qu’à partir des capacités stratégiques de
l’entreprise. Elle doit prendre en compte la nature de l’industrie. Il y a des industries plus
sensibles que d’autres au prix. D’autres où la recherche de faibles coûts est déterminante.
Enfin, certaines industries voient ces deux types de comportements se côtoyer. Le BCG
a formalisé et enrichi cette observation, complétant ce faisant sa fameuse matrice (voir
chapitre 13) fondée pour l’essentiel sur des notions de volume et d’expérience.
Selon le BCG, dans sa démarche fondée sur la nature de l’industrie, l’entreprise a
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

deux possibilités pour accroître ses profits. La première est de bénéficier d’une prime
de prix que le client est prêt à payer pour obtenir les produits recherchés. Cette prime
de prix va, bien entendu, varier en fonction de la valeur que le client pense retirer du
produit : service de premier ordre, qualité, unicité, style, etc. Autant de facteurs qui
vont différencier le produit ou le service de ceux de ses concurrents directs ou de ses
substituts. La seconde manière est de jouer sur les coûts. L’entreprise, ou l’activité,
peut jouir d’effets d’expérience ou tirer profit d’économies d’échelle. Elle peut égale-
ment bénéficier de ressources moins onéreuses que celles de ses concurrents. Tout ceci
va contribuer à lui donner un avantage en termes de coûts.
Si l’on croise les deux dimensions de prime de prix, fondée sur la différenciation, et
d’avantage de coût, fondé sur la recherche d’une domination par les coûts, nous pouvons
représenter les quatre environnements concurrentiels les plus fréquemment observés.
Sur la figure 12.1, la prime de prix (différenciation) se trouve en ordonnée, avec une

217
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

échelle en deux points  : possibilité de se différencier, impossibilité de se différencier. En


abscisse, l’avantage de coût (domination par les coûts) est donné sur une échelle en deux
points : possibilité de dominer par les coûts, impossibilité de dominer par les coûts.
Dans la situation en bas, à droite de la figure, l’avantage en termes de coûts est
prépondérant. Il s’agit ici d’un environnement concurrentiel où les stratégies de
domination par les coûts donnent un avantage important aux entreprises qui les
mettent en œuvre. Il s’agit pour l’essentiel d’industries de volume. Dans la situation
en haut, à gauche de la figure, les stratégies de différenciation ouvrent la voie de la
compétitivité et de la profitabilité. Celles des entreprises qui savent tirer parti de
stratégies différenciées vont bénéficier d’une prime de prix  : c’est-à-dire que le
client accepte de payer plus pour avoir accès au produit ou au service offert. Les
conditions concurrentielles qui prédominent dans une telle industrie, où la différen-
ciation permet à l’entreprise de jouir d’une prime de prix, mènent à une grande
fragmentation. C’est le règne de petites et moyennes entreprises (ou activités) où la
taille ne mène pas forcément au succès. Dans la situation en bas, à gauche de la
figure, aucun des avantages en termes de prix ou de coûts n’existe. Il s’agit d’envi-
ronnements concurrentiels dans l’impasse, où les effets de volume et la différencia-
tion ne donnent aucun avantage aux entreprises qui y ont recours. Enfin, dans la
situation en haut, à droite, deux stratégies sont ouvertes aux entreprises. Certaines
vont faire jouer la différenciation. D’autres, en revanche, vont s’appuyer sur la domi-
nation par les coûts. Nous retrouvons ici la situation bien connue d’industries où des
concurrents de tailles diverses vont coexister et prospérer tout en mettant en œuvre
des stratégies génériques différentes. Chacun se spécialisera pour ses produits : pro-
duits hautement différenciés, produits standardisés et à fort volume. Dans ce type
d’industrie, il n’est pas rare non plus que les deux positionnements coexistent au
sein d’une même entité, bien que portant sur des activités organiquement séparées.

Prime de prix Prix/Coûts Industries fragmentées Industries de spécialisation


Prix Prix
OUI

Coûts Coûts
Effort d’obtention Effort d’obtention
Ex.: industrie du luxe de l’avantage Ex.: automobile de l’avantage

Industries dans l’impasse Industries de volume


Prix/Coûts Prix/Coûts

NON Prix Prix


Coûts
Coûts
Effort d’obtention Effort d’obtention
de l’avantage Ex.: écran TV de l’avantage

NON OUI
Avantage de coût

Figure 12.1 – Prime de prix vs avantage de coût

218
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

Ainsi, en fonction du type d’industrie dans laquelle l’entreprise évolue, il sera


préférable d’avoir recours à l’un des deux positionnements. Dans certaines indus-
tries, l’avantage concurrentiel sera obtenu grâce à des coûts les plus faibles possible,
dans d’autres c’est la différenciation qui va plus compter et pour d’autres, un choix
entre ces deux options reste ouvert. Enfin, il y a des industries qui sont dans une
sorte d’impasse stratégique où seules des actions innovatrices remettant en cause la
manière de faire ou une fine segmentation de marché pourra apporter des solutions.

Section
2 La DIFFéreNCIATION
La différenciation consiste à associer aux produits ou services des caractéristiques
uniques. Le profit vient de la prime de prix que les clients sont prêts à payer pour
cette caractéristique. L’avantage concurrentiel trouve sa source dans l’augmentation
de la valeur perçue par le client vis-à-vis de l’offre des concurrents. L’entreprise va
ainsi s’efforcer de construire une offre de produits et de services qui crée une valeur
supplémentaire pour les clients sur une partie, voire la totalité de ses critères d’achat.
Disposant d’un avantage de différenciation, elle va faire payer plus cher, à des coûts
à peu près équivalents, son offre par rapport à la concurrence.
Sur la figure 12.2, la comparaison entre, d’une part, les besoins des clients expri-
més en termes d’attributs recherchés dans les produits et/ou services et d’autre part,
les attributs des produits/services que l’entreprise pourrait fournir permet de
construire une offre adéquate. La question demeure de savoir si les coûts addition-
nels pour faire une offre avec les attributs recherchés sont compensés par la valeur
que leur accordent les clients et par conséquent par le prix que ces derniers sont prêts
à payer.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les sources de différenciation sont multiples. Elles peuvent s’obtenir à partir de


l’ensemble des activités de la chaîne de valeur. Les critères de différenciation les
plus fréquemment utilisés sont :
––les fonctionnalités du produit ;
––le service après-vente ;
––l’image ;
––l’innovation technologique ;
––la réputation de l’entreprise ;
––la qualité et la consistance de l’offre ;
––le statut social que procure le produit ou le service ;
––la réactivité globale de l’entreprise ;
––le design, etc.

219
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

Besoins des clients

Attributs recherchés du produit et/ou du service


(caractéristiques/performance)

Est-ce que les attributs répondent


aux attentes des clients ?

Attributs des produits/services que l’entreprise


peut ou pourrait offrir
(caractéristiques/performance)

Quels sont les coûts additionnels pour fournir


ces attributs ?
La valeur (prix) que les clients leur accordent
compense-t-elle ces coûts ?

Figure 12.2 – Recherche d’un avantage de différenciation

Une stratégie de différenciation peut reposer sur l’un des critères ou sur une combi-
naison des différents critères présentés ci-dessus. L’exemple qui suit montre comment
ABB a su utiliser le développement durable pour créer des avantages concurrentiels en
termes de fonctionnalité des produits, de services, d’image et de réputation de la firme.

Exemple – ABB : le développement durable comme source d’un avantage concurren-


tiel de différenciation
À l’instar de nombreuses autres sociétés, ABB s’est lancée sur la voie du développement
durable en commençant par améliorer ses performances environnementales et en analy-
sant ses sites, ses produits et ses projets.
« Le développement durable doit faire partie intégrante de notre planification stratégique,
de nos conceptions produit et de nos outils de gestion pour influer positivement sur les
performances de nos deux divisions clés Énergie et Automation. Il s’agit de développer

220
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

un programme d’action convaincant nous conférant un avantage concurrentiel, sous-ten-


dant nos ambitions futures, attirant des forces vives et nous aidant à développer une
main-d’œuvre motivée et compétente. L’ensemble constituant le véritable atout d’une
société ambitieuse. Le développement durable renforce notre position financière et amé-
liore nos ventes en :
–– créant des opportunités et en accroissant l’avantage concurrentiel par une réduction
des coûts de fabrication et des heures perdues, le développement de produits éco-effi-
caces, la résolution des problèmes client, le renforcement de la réputation d’ABB comme
« fournisseur de choix » vis-à-vis des clients et des partenaires et la préqualification pour
des projets difficiles ;
–– contribuant à l’innovation et au développement produit par une « perspective sur toute
la durée de vie du produit », des déclarations environnementales des produits améliorant
la conception et offrant un avantage concurrentiel et par l’identification des tendances du
développement durable et des besoins futurs des clients ;
–– renforçant notre marque et en favorisant la communication par des classements favo-
rables, des employés motivés, de nouveaux arguments de vente, des rapports sur le déve-
loppement durable de grande qualité, etc. »
Source : d’après le site ABB France, www.abb.fr.

Ayant déterminé les caractéristiques de l’offre qui sera valorisée par le client, il
s’agit à présent d’en traduire les conséquences dans la chaîne de valeur de l’entre-
prise. Pour ce faire, la chaîne de valeur de l’entreprise et de son(ses) client(s) sera
construite. Puis, on déterminera dans la chaîne de l’entreprise les activités qui sont
les plus prometteuses pour mettre en œuvre une stratégie de différenciation. Enfin,
des liens entre les activités de la chaîne de l’entreprise et celles du client seront
établis afin d’évaluer en quoi la différenciation peut créer de la valeur pour le client.
L’exemple de Caterpillar ci-dessous illustre la démarche.

Exemple – Caterpillar : distribution et service comme sources d’un avantage


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

concurrentiel de différenciation
L’entreprise Caterpillar, leader mondial des engins de chantier, a des clients dans des
secteurs aussi divers que la construction, les industries extractives (minerai, pétrole, car-
riers), les exploitants forestiers  ; clients qui sont répartis sur les cinq continents. Ces
clients attachent une importance capitale à la fiabilité de leur matériel et la qualité de
service, dont en particulier la rapidité des interventions en cas de panne d’un engin sur
un site d’opération. Fiabilité et rapidité sont les attributs des produits et services recher-
chés. Caterpillar et ses distributeurs s’engagent à « fournir le meilleur produit de qualité
du monde  ». Caterpillar est conscient que ses «  clients sont localisés partout dans le
monde et travaillent dans toutes sortes de conditions ». C’est donc « sa responsabilité de
s’assurer de leur succès en leur fournissant ce dont ils ont besoin afin qu’ils puissent faire
correctement leur travail ». L’entreprise veut « atteindre l’excellence et remplir ses enga-
gements en termes de service auprès de ses clients » grâce à « son système de distribution
[qui] est un avantage concurrentiel » et sa « chaîne d’offre qui est de classe mondiale ».

221
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

Caterpillar n’hésite pas à affirmer que ses « clients réussissent mieux avec [elle] qu’avec
ses concurrents ».1 Parmi toutes les actions entreprises, Caterpillar s’engage par exemple
à livrer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les composants nécessitant un remplacement.
Les deux chaînes de valeur, Caterpillar et ses clients, sont représentées ci-dessous. Ses deux
capacités stratégiques clés que sont la distribution et le service, combinées à une grande
qualité des produits fabriqués, vont contribuer à créer une valeur supérieure pour ses clients,
renforçant ce faisant le propre avantage concurrentiel de ces derniers, soit en termes de
coûts (pannes moins nombreuses et longues, donc une plus grande efficacité des opéra-
tions), soit en termes de différenciation vis-à-vis de leurs propres clients par exemple, dans
le respect des délais de fourniture de leurs produits et prestations.

Caterpillar

Conception Développe- … Fabrication Distribution Service


ment

Qualité, Conseil, Proximité,


fiabilité, maintenance, disponibilité,
performance réparation conseil

Conception Développe- … Opérations Vente Livraison


ment

Fiabilité, efficacité

Client

Figure 12.3 – Chaîne de valeur de Caterpillar et chaîne de valeur du client

Si l’entreprise parvient à construire une offre différenciée de celles de ses concur-


rents, elle va pouvoir fidéliser ses clients et réduire leur sensibilité aux prix. Elle
pourra ainsi pratiquer des niveaux de prix et de marges plus élevés que ceux de ses
concurrents. Toutefois, la performance d’une stratégie de différenciation n’est
pérenne que si l’entreprise parvient à maintenir un surcroît de valeur perçu comme
tel par les clients et que les concurrents ne peuvent égaler. Si plusieurs concurrents
poursuivent des stratégies similaires de différenciation, leurs offres risqueraient
d’être perçues comme semblables par les clients et au final, leurs choix seraient
effectués en fonction du prix et non des attributs de différenciation retenus. Enfin,
l’entreprise doit s’efforcer de ne pas se différencier au-delà des niveaux de percep-
tion ou de reconnaissance d’une valeur accrue par les clients. L’ajout, à un produit
ou un service, de fonctionnalités jugées inutiles par le client ne constitue pas une
création de valeur et ne renforce pas l’avantage concurrentiel de l’entreprise.

1.  Extraits tirés de la stratégie exprimée par Caterpillar en 2014 (www.caterpillar.com).

222
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

Section
3 L’AVANTAGE de coût
La création d’un avantage concurrentiel par les coûts suppose que l’entreprise soit
capable d’atteindre un niveau de coût globalement inférieur à celui de ses concur-
rents. On peut donc regrouper sous cette notion tout ce qui permet à une entreprise
d’obtenir des coûts de mise en œuvre de ses activités de la «  chaîne de valeur  »
inférieurs de ceux des concurrents ou tout ce qui permet d’obtenir une chaîne de
valeur optimisée par rapport à celles des concurrents sur le marché ou segment de
marché convoité. La stratégie adoptée s’exprime alors par des prix significativement
inférieurs de ceux pratiqués par la concurrence.
Pour ce faire, l’entreprise développe généralement un produit ou un service stan-
dardisé et s’adresse à des marchés ou des segments de marché suffisamment impor-
tants pour qu’une production de masse soit possible. Elle peut ainsi bénéficier à
plein des effets d’économies d’échelle et d’expérience. La construction d’un tel
avantage suppose généralement d’investir moins en recherche et développement
orienté produit et en marketing et communication que les concurrents qui mettent en
œuvre une politique de différenciation. En revanche, les investissements en
recherche et développement orientés processus et méthodes seront plus élevés afin
de réduire les coûts et le temps de fabrication. Il en est de même des investissements
dans l’outil de production, la construction d’un avantage par les coûts reposant fré-
quemment sur un outil de production très spécialisé.
Les deux sources principales de l’avantage coût résident dans les économies
d’échelle et dans les effets d’expérience. Les économies d’échelle sont l’une des
raisons avancées pour expliquer la faiblesse relative des coûts de production d’entre-
prises de taille importante. En effet, le coût d’un équipement industriel ne croît pas
de façon proportionnelle au volume de production qu’il permet d’atteindre. Ainsi, le
coût unitaire d’une unité de production supplémentaire tend à décroître avec la taille
de l’équipement. Par exemple, sur la figure 12. 4 sont présentés les coûts d’opération
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de navires cargos en fonction de leur taille en TEU (twenty feet equivalent unit ou
EVP, «  équivalent vingt pieds  » en français) pour différentes voies maritimes  :
Europe-Asie, Trans-Pacifique, Trans-Atlantique. Plus le navire est grand et moins le
coût unitaire de transport ramené à la taille est important. Si le coût unitaire décroît
avec la taille, il en est généralement de même avec le coût de fonctionnement. Il
n’est pas nécessaire, par exemple, de faire appel à deux fois plus de membres d’équi-
page pour piloter un navire deux fois plus gros. L’équipage de 25 personnes du plus
gros porte-container du monde, le Marco Polo (16  000  containers, 396  mètres de
long, soit environ 15 000 EVP), a une taille équivalente de celle de bateaux qui ne
transportent que 8 000 containers.

223
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

700
C
o 600
û
t 500
s
400
p
a
r 300
Série 1 : Europe-Far East
T 200
Série 2 : TransPacific
E
U 100 Série 3 : TransAtlantic
$
Capacité en TEU (milliers)
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9

TEU (EVP) est utilisé pour estimer la capacité de chargement d’un navire.
Source : Cullinane, K. and M. Khanna (2000) « Economies of Scale in Large Containerships »,
Journal of Transport Economics and Policy, vol. 33, pp. 185-208.
Figure 12.4 – Économie d’échelle dans le transport maritime

Au-delà de l’économie de coût réalisée grâce à l’agrandissement des équipe-


ments, d’autres économies peuvent s’effectuer lorsque la taille s’accroît. Il s’agit,
en particulier, des dépenses commerciales, de recherche ou d’administration.
Ainsi, le siège social d’une entreprise ne comptera pas deux fois plus de personnes
que le nombre nécessaire pour faire fonctionner une firme deux fois plus petite.
Bien entendu, il n’existe pas de relation de cause à effet entre taille et coût de
production. La taille est, en quelque sorte, une possibilité offerte à l’entreprise
pour tirer parti d’une meilleure répartition des coûts sur un volume important
d’opérations. Il ne s’agit que d’une possibilité qui nécessite la mise en œuvre d’un
ensemble d’actions organisées.
La deuxième source de l’avantage coût, l’effet d’expérience, a d’autres origines.
Bien que déjà observé antérieurement, il n’a été analysé et utilisé rigoureusement
qu’à partir de 1925. On observa, à cette époque, que le temps consacré au montage
d’avions diminuait à mesure que le nombre cumulé d’avions assemblés augmentait.
Par la suite, le Boston Consulting Group, sous l’impulsion de Bruce Henderson,
étendait cette première observation à d’autres activités et montrait que le coût asso-
cié à la fabrication d’un produit ou d’un service tendait à diminuer d’un pourcentage
fixe lors de tout doublement du volume cumulé de sa production. Cette relation fut
formalisée par la loi suivante :
Cn = C1n– α (voir figure 12.5)

224
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

Avec C1 le coût de la première unité produite, Cn le coût de la énième unité pro-


duite, n le volume cumulé de production, α le coefficient d’expérience (élasticité de
coût en fonction du volume) :

Coût
unitaire

100

70
Courbe d’expérience à 70 %

49

10 000 20 000 40 000


Volume
cumulé

Figure 12.5 – Exemple de courbe d’expérience

Sous forme logarithmique, la courbe prend la forme d’une droite :


log (Cn) = log (C1) – αlog (n), où α est la pente de la droite.
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À titre d’illustration, la figure  12. 6 présente deux courbes d’expérience qui


décrivent l’évolution des prix et indirectement des coûts de production de modules
photovoltaïques à base de tranches (wafer) de silicium cristallin (c-Si) et de tellurure
de cadmium (CdTe). On retrouve là une évolution des coûts unitaires en fonction de
l’expérience ; l’expérience étant représentée par le volume cumulé de production.
Les origines de l’effet d’expérience sont multiples. On peut citer, tout d’abord,
l’accroissement de la vitesse à laquelle les opérations sont réalisées. Par exemple, au
fur et à mesure de la répétition d’un geste ou d’une tâche, ce dernier devient de plus
en plus facile à réaliser du fait de l’expérience acquise. Le temps qui lui est consacré
tend alors à se réduire. La deuxième origine est l’amélioration des procédés de pro-
duction grâce aux observations répétées réalisées lors d’une opération. La redéfini-
tion d’un produit, de manière que celui-ci puisse être plus facilement fabriqué, est la

225
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

Global average module selling price (2011 USD/W) 100.00


1979 22 % price reduction for each
doubling of cumulative volume

2006 c-Si price increase


1992
10.00 1998 due to polysilicon shortage
2002
2004 - c-Si
- CdTe

2011
1.00
2012

0.10
1 10 100 1000 10000 100000 1000000
Cumulative production volume (MW)

CdTe : Tellurure de cadmium


C-Si : Silicium cristallin
Source : International Renewable Energy Agency, Renewable energy technologies :
cost analysis series. Working paper series, vol. 1, issue 4/5, 2012.
Figure 12. 6 – Effet d’expérience dans la fabrication de modules photovoltaïques

troisième origine de l’effet d’expérience. En effet, avec le temps, on peut s’aperce-


voir que certaines caractéristiques du produit ne sont pas nécessaires ou bien que
certains composants peuvent être remplacés sans problème par des éléments moins
coûteux. De même, la standardisation du produit, limitant la multiplicité des carac-
téristiques, tend à améliorer les coûts de production grâce à une diminution des
temps de fabrication. Standardisation qui peut, dans certains cas, faciliter la spécia-
lisation de la main-d’œuvre et, ainsi, contribuer plus encore à une meilleure produc-
tivité.
Toutefois, comme on peut le remarquer, ces sources d’expérience ne sont ni liées
de façon directe, ni dérivées de manière automatique au temps consacré à une opé-
ration. Comme c’est le cas pour les économies d’échelle, les gains obtenus grâce à
l’expérience acquise proviennent d’un ensemble d’efforts faits en vue d’améliorer le
coût des opérations. L’expérience est à nouveau une occasion de mieux faire, mais
n’est, en aucune manière, la cause directe des gains de productivité. Lorsque le coût
peut être effectivement lié à l’expérience, l’une des stratégies utilisées par les entre-
prises est d’avoir l’expérience la plus forte possible et de bénéficier, ainsi, des coûts
les plus faibles.
Néanmoins, lors des choix stratégiques faits par les firmes, et en particulier s’ils
visent à accroître le volume de production dans le but d’accumuler rapidement de

226
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

l’expérience, plusieurs précautions doivent être prises. La première concerne


l’existence de certaines contraintes, telles que celle des ressources, auxquelles
l’entreprise est confrontée. En d’autres termes, l’entreprise doit disposer des res-
sources suffisantes pour assurer la croissance de ses parts de marché et doit savoir
répondre aux actions que ses concurrents ne manqueront pas de mettre en place
pour la contrer.
La deuxième précaution à prendre, lors de l’utilisation de stratégies fondées sur
l’expérience, est de bien identifier ce dont on parle. En effet, tout produit est géné-
ralement composé de plusieurs éléments. Une voiture, par exemple, est une combi-
naison d’éléments bien distincts – le moteur, le châssis, la boîte de vitesses – pour
lesquels les expériences de fabrication diffèrent. En conséquence, le coût de produc-
tion d’une voiture ne sera pas fonction du volume de véhicules manufacturés, mais
dépendra d’un index composite fondé sur des expériences multiples dont les struc-
tures de coûts sont dissemblables. Pour cette raison, il faut prendre en compte les
différents composants et étudier leur comportement en fonction des volumes pro-
duits, avant de les rassembler pour estimer l’évolution des coûts de fabrication du
produit final.
La troisième précaution repose dans le choix d’une stratégie fondée sur l’expé-
rience. Qui dit expérience, dit généralement standardisation des processus de
production, spécialisation de la main-d’œuvre et de l’outil de fabrication. Toutes
ces caractéristiques contribuent à rendre la production efficace mais, en même
temps, limite sa souplesse d’adaptation. Opter pour une stratégie fondée sur l’ex-
périence implique que le choix fait en termes de produit et de marché soit et
demeure le bon. Une remise en cause de ce choix est en effet difficile compte tenu
de la structure du processus de production élaboré en vue de réaliser une efficacité
maximum.
La dernière précaution est de comparer des choses comparables. Chaque concur-
rent peut avoir sa propre expérience, c’est-à-dire sa propre technologie, ses
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

propres procédés de fabrication, sa propre conception de produits. Ainsi, deux


concurrents ayant des volumes cumulés de production différents peuvent, en fait,
bénéficier de coûts unitaires de production similaires. En effet, ils peuvent avoir
recours à deux technologies différentes les plaçant sur deux courbes d’expérience
distinctes.
La notion d’expérience est une notion fort utile pour élaborer des stratégies fon-
dées sur des avantages de coûts. Toutefois, comme nous venons de le voir, plu-
sieurs précautions doivent être prises. Précautions sans lesquelles les choix
réalisés seraient mal fondés. Au-delà des réserves qui ont été émises précédem-
ment, il est nécessaire de tracer les limites d’une telle approche. En effet, si la
relation entre coût et expérience était parfaite, il serait impossible d’expliquer
comment une entreprise dominante peut perdre sa position. De même, tout espoir
de rattraper la première entreprise sur le marché serait vain. Or, dans la réalité, de

227
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

nombreux exemples nous montrent que, malgré une position apparemment avan-
tageuse, en termes d’expérience et de coûts, une entreprise peut perdre sa position
et demeure, de ce fait, très vulnérable. Le progrès technologique, la mise en œuvre
de politiques de différenciation, l’évolution des goûts font qu’une stratégie fondée
sur l’expérience et sur des coûts compétitifs doit être contrôlée afin de permettre
à l’entreprise de réagir aux modifications de l’environnement qui viendraient
changer la donne concurrentielle.
Au-delà des économies d’échelle et de l’expérience, les entreprises qui recherchent
un avantage par les coûts ont recours à tout un ensemble d’actions qui commencent
bien entendu par une grande efficacité de leur outil de production, mais qui prennent
en compte toutes les dimensions de leur gestion. Elles seront particulièrement atten-
tives dans la maîtrise des coûts de leurs stocks et des approvisionnements et mettront
en œuvre une logistique performante. Elles auront recours, autant que faire se peut,
à une distribution à faible marge. Elles auront aussi tendance à ne retenir que des
clients importants et à éliminer une clientèle marginale. Enfin, elles auront un mix
limité de produits et recourront plus à l’imitation  ; les efforts d’innovation étant
réservés à l’amélioration des processus.
Les entreprises qui souhaitent développer un avantage de coût peuvent s’appuyer
sur l’analyse de leur chaîne de valeur pour identifier les sources de leur avantage,
qu’il soit sous forme d’économie d’échelle ou découlant d’une forte expérience ou
bien encore grâce à une gestion optimisée de l’ensemble de leurs activités. Pour ce
faire, comme dans l’exemple ci-dessous, elles décomposeront leurs différentes
tâches en activités séparées dont elles établiront l’importance relative par rapport au
coût global. Elles feront de même, dans la mesure du possible, avec celles de la
concurrence. Elles rechercheront les potentiels de réduction de coûts par activité tout
en prenant en compte les liens pouvant exister avec les autres activités de la chaîne.
Enfin, elles examineront les réductions les plus prometteuses qui peuvent être réali-
sées et leur donner un avantage par rapport à la concurrence. L’exemple suivant
donne une illustration de la démarche.

Exemple – La recherche d’un avantage concurrentiel par les coûts


Une entreprise spécialisée dans les imprimantes et photocopieurs professionnels, ayant
du mal à faire des offres plus attractives que celles de la concurrence, décide de tout
analyser afin de pouvoir faire des propositions comparables mais qui reviennent moins
cher aux clients. Elle a donc décomposé sa chaîne de valeur comme ci-après et s’est
rapidement rendue compte que sa seule variable d’action était le service. Toutes les
autres activités avaient une structure de coûts comparable et les efforts à réaliser pour
diminuer plus encore les coûts auraient été disproportionnés par rapport au gain de
productivité que l’on pouvait réaliser. Une seule activité en revanche offrait un poten-
tiel de diminution des coûts et en conséquence des prix consentis aux clients. Il s’agis-
sait du service.

228
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

Entreprise à la recherche d’un avantage de coût

Conception Développe- … Production Vente Coût du


ment service

Potentiel
de diminution des coûts

Concurrents

Conception Développe- … Production Vente Service


ment

Figure 12.7

Une analyse approfondie devait mettre en lumière que l’un des coûts du service était le
temps passé par les techniciens à réparer les machines en panne. Le temps consacré était
directement associé à la conception et au développement du matériel vendu. Ce dernier
en effet était compliqué à démonter pour changer une pièce dont le coût était parfois
dérisoire. À partir de cette observation, l’entreprise décida de concevoir et développer son
nouveau matériel en prenant en compte le temps des interventions de ses techniciens afin
que ces derniers puissent opérer de manière plus efficace. Le matériel fut dorénavant
conçu de telle manière qu’il soit composé non plus de centaines de parties indépendantes,
mais d’une dizaine de modules, facilement accessibles et rapidement changeables. Le
coût du service fut réduit de manière significative et permit à l’entreprise de bénéficier
d’un avantage de coût qui fut certes rattrapé après quelques années, mais qui l’aida à
s’affirmer sur le marché et à développer une base fidèle de clientèle.

L’obtention d’un avantage concurrentiel par les coûts permet aux entreprises de
dissuader leurs concurrents d’entrer dans une guerre des prix et les protège, en par-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tie, du pouvoir de négociation des clients puisqu’ils sont la « référence » en termes


de prix. Du fait d’un niveau de coût plus faible, un tel avantage permet généralement
de pratiquer des prix plus bas que les concurrents tout en conservant un niveau de
marge confortable. Cette stratégie de domination par les coûts présente néanmoins
des inconvénients. L’ensemble des concurrents qui la mettent en œuvre produisent
et vendent des produits standardisés qui sont globalement comparables. Cette stan-
dardisation ne fait que renforcer le seul critère de « différenciation » restant, le prix
de vente. Elle conduit généralement à une baisse rapide des prix et des marges, par
le biais du jeu concurrentiel. De plus, les différentes techniques de réduction des
coûts utilisées peuvent rapidement être dupliquées par les concurrents et ce d’autant
plus facilement qu’ils disposent généralement de la même organisation de la chaîne
de valeur. Enfin, la recherche à tout prix du niveau de coût le plus faible, conjuguée
à de faibles investissements en recherche et développement produit et en marketing

229
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

peut détourner l’attention de l’entreprise de l’apparition d’une nouvelle technologie


ou d’une évolution des besoins et attentes des clients ce qui rendra alors son offre
obsolète. À titre d’exemple, on peut reprendre le cas de Ford à ses origines. La stra-
tégie de recherche d’un avantage concurrentiel par les coûts lui a permis de réduire
drastiquement le prix de la Ford T, en partie en refusant toute innovation non liée au
processus de production. Parallèlement, General Motors a su percevoir et analyser
la demande des clients pour de nouveaux modèles et de nouvelles fonctionnalités et
s’est assuré ainsi une place de leader alors que Ford, incapable de s’adapter, a frôlé
la faillite.

Section
4 Le positionnement mixte
Quel que soit le positionnement, différenciation ou coût, les entreprises essaient
néanmoins de prendre en compte la dimension qu’elles ne privilégient pas en prio-
rité. Mêmes les distributeurs à bas coûts tels que Costco, grand spécialiste américain
de la distribution en gros, prêtent attention à la qualité de leur produit et au service
offert. Les entreprises qui se différencient, de la même manière, sont soucieuses et
essaient de maîtriser leurs coûts. Par exemple, Daimler-Benz, dans le secteur auto-
mobile, tout en jouant la carte de la différenciation, optimise ses coûts grâce à ses
partenariats avec Renault dans la fourniture de moteurs et composants ainsi que dans
le développement et l’assemblage. Il n’y a là qu’un bon souci de gestion.
En revanche, des entreprises telles qu’Emirates dans les transports aériens et Ikea
dans la distribution de meubles jouent une carte plus fine de mélange de styles.
Emirates, par exemple, a adopté une stratégie de différenciation avec un positionne-
ment de qualité, de confort, de service, de performance. Cependant, tout en offrant
une valeur perçue supérieure à celle de la concurrence, Emirates pratique des tarifs
en moyenne significativement inférieurs. Ce positionnement qui peut paraître para-
doxal repose sur une gestion optimisée de sa chaîne de valeur qui tire partie d’une
flotte récente de grande performance, de son hub à Dubaï et d’une focalisation de
marché qui se limite pour l’essentiel à l’Asie-Pacifique.
Ikea, dans l’ameublement, est un autre exemple d’un positionnement mixte. À pre-
mière vue, l’avantage recherché est celui d’un avantage coût, ce qui permet à l’entre-
prise de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux de la concurrence. Toutefois, la valeur
perçue de l’expérience d’achat chez Ikea est souvent supérieure à celle de la concur-
rence. Ce positionnement qui peut sembler à nouveau paradoxal, à savoir une plus
grande valeur à un prix moindre, donne à l’entreprise un avantage concurrentiel
durable et difficilement imitable. Dans l’exemple qui suit, une analyse de la chaîne de
valeur de l’entreprise met en lumière les déterminants de ce double avantage.

230
Positionnement stratégique  ■  Chapitre 12

 Cas d’entreprise
Ikea : un avantage concurrentiel mixte
Tout le monde ou beaucoup d’entre nous a déjà eu une expérience avec Ikea.
Lorsqu’on entre dans l’un de ses immenses magasins ouverts 7 jours sur 7, après
s’être garé facilement dans l’un de ses parkings, la première chose que l’on voit est
une garderie avec des enfants qui jouent. Puis, après avoir pris son sac jaune mis à
disposition pour faire ses achats, la déambulation commence en suivant un chemin
tracé au sol qui vous fait passer dans les différents rayons où tous les produits en
vente, simples, peu chers mais de bon design, sont exposés et mis en scène dans la
reproduction de pièces de lieux d’habitation. Au bout d’un certain temps, un res-
taurant fait son apparition avec au menu des spécialités suédoises et le chemine-
ment continue vers d’autres rayons. Rayons où, pour l’un des plus importants, la
cuisine, des conseillers vous aident dans vos choix d’aménagement. De plus, tous
les produits pour la maison sont disponibles, y compris les fleurs et les bougies.
Enfin, après avoir pris ses meubles démontés et empaquetés dans des emballages
plats pour en faciliter le transport, on arrive aux caisses qui donnent sur une épice-
rie où on peut acheter certains des produits goûtés au restaurant. Si la voiture est
insuffisamment grande pour le transport de vos objets, un service de location de
camionnette est disponible. Sinon, un service de livraison est prévu à cet effet.
Ikea a su, grâce à une chaîne de valeur parfaitement optimisée pour réduire ses coûts,
développer un avantage concurrentiel de coût. Une fabrication de volume, des meubles
à monter soi-même, des emballages plats pour en faciliter le transport, des magasins
immenses ouverts tous les jours de l’année parfaitement rentabilisés, peu de vendeurs
mais une très bonne information client grâce à un étiquetage approprié sont les ingré-
dients d’une recherche des coûts les plus faibles possibles. Cet avantage de coût permet
à l’entreprise d’offrir des produits à des prix moins élevés ou à un prix équivalent à ceux
de la concurrence. Toutefois, cet avantage de coût s’accompagne d’une différenciation
dans l’accueil (garderie pour les familles, restaurant), les produits grâce à un design
recherché et le service offert (épicerie, camionnette de location, service de crédit,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

conseil pour des achats importants tels que le choix de meubles de cuisine). Cette dif-
férenciation fait qu’au-delà de son avantage de coût, Ikea offre un « plus » difficilement
imitable, sauf après de considérables efforts pour rattraper une expérience acquise
depuis 1946, date de sa création par Ingvar Kamprad, son fondateur.

Dans cet exemple sur Ikea, comme celui sur Emirates, le positionnement est
c­ omposé d’un thème majeur et d’un thème mineur, le thème mineur venant renforcer
le thème majeur. La recherche d’un avantage de coût chez Emirates vient appuyer son
positionnement de différenciation : faire mieux, mais moins cher. La recherche de la
différenciation chez Ikea épaule sa stratégie de coût : faire moins cher, mais mieux.
Ces deux positionnements, s’ils sont tenables dans la durée, assurent aux entreprises
qui les ont adoptés un avantage de grande force difficilement reproductible par la

231
  Chapitre 12  ■ Positionnement stratégique

Chaîne de valeur d’Ikea

« Technologie » Développement Production Marketing Distribution Service


•Design original •Produits •Opérations •Large gamme •Immenses •Garderie
centralisé modulaires standardisées •Produits signés magasins •Restaurant
prêts à être •Production •Prix bas entrepôts •Location de
assemblés de masse •Bonne •Produits camionnettes
•Bon design •Coûts faibles information exposés
•Efficaces •Logistique produit •Large stock
•Accessoires de premier plan •Larges horaires
complémentaires •Peu d’assemblage d’ouverture

Avantage de coût

Avantage
de différenciation

Chaîne de valeur du client

Valeurs Éducation Cellule Modes de vie


/Culture familiale

Figure 12.8 – Chaîne de valeur d’Ikea

concurrence. Toutefois, il s’agit là d’un exercice difficile à réaliser pour ne pas être,
comme on dit, « coincé au milieu », à savoir sans véritablement d’avantages, qu’ils
soient de coût ou de différenciation. Ce positionnement ne peut véritablement fonc-
tionner que si les actions entreprises respectivement pour la mise en œuvre des avan-
tages de coût et de différenciation ne viennent pas se cannibaliser mais au contraire se
renforcer. Les efforts de différenciation pour appuyer un positionnement de domina-
tion par les coûts ne doivent pas impacter significativement la recherche d’économies ;
il en est de même pour la recherche de moindres coûts pour la différenciation.
Quel que soit l’avantage concurrentiel recherché par l’entreprise, différenciation, avan-
tage de coût, mixte, il lui sera toujours nécessaire de connaître ses capacités stratégiques
en termes de ressources, de compétences, d’organisation et d’efficacité de sa chaîne de
valeur. Un avantage concurrentiel durable ne peut être construit que sur une ressource
rare, une compétence fondamentale et une organisation originale de la chaîne de valeur.
À défaut de respecter cette règle, l’avantage développé par l’entreprise peut être facile-
ment imité par ses concurrents. Connaître son portefeuille de ressources et de compé-
tences, ainsi que bien appréhender les possibilités que lui offre sa chaîne de valeur,
permet à l’entreprise d’identifier les avantages potentiels dont elle peut tirer parti, avan-
tages qu’elle peut ainsi comparer à ceux de ses concurrents. Il lui appartient alors de
choisir, en fonction de la connaissance de son environnement concurrentiel, l’avantage
qui lui est le mieux adapté.

232
Chapitre
Gestion et choix
13 du portefeuille
d’activités

OBJECTIFS
 Présenter les méthodes classiques de gestion de portefeuille.
 Aborder les méthodes dérivées de la théorie financière appliquée à la stratégie.
 Mettre en évidence les fondements et limites des différentes méthodes.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Les méthodes d’analyse d’activités individuelles
Sec­­tion 2   Méthodes classiques d’analyse de portefeuilles d’activités
Sec­­tion 3   Les méthodes dérivées de la théorie financière
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

R ares sont les entreprises qui n’ont qu’une seule activité (ou centre d’activité
stratégique : CAS). Plus souvent, elles possèdent plusieurs CAS, c’est-à-dire
plusieurs couples homogènes de produits-marchés. Par exemple, un constructeur
automobile produira des berlines haut de gamme pour une clientèle fortunée, des
monospaces pour les familles, de petits modèles visant des clients plus jeunes et des
sportives pour ceux qui recherchent des sensations fortes. Ce constructeur aura ainsi
quatre « couples produits-marchés ». Ces produits-marchés ont différentes caracté-
ristiques. Certains sont nouveaux, risqués, avec un gros potentiel de croissance,
d’autres sont anciens et évoluent dans des contextes bien connus. À l’instar d’un
investisseur qui doit gérer son portefeuille de placements, l’entreprise essaiera
d’équilibrer son portefeuille avec, par exemple, des activités risquées mais tournées
vers l’avenir et des activités plus sûres mais ancrées dans le passé. La question est
de savoir comment gérer cet équilibre et ce au-delà du type d’équilibre recherché ?
Plusieurs méthodes sont utilisées par les entreprises pour gérer leur portefeuille
d’activités. Ces méthodes permettent d’évaluer la pertinence et la cohérence tant
immédiate que future de leur portefeuille. Toutefois, une utilisation de ces méthodes
faite sans discernement, c’est-à-dire sans la prise en compte des hypothèses sous-
jacentes à leur construction, mène à des conclusions parfois dénuées de sens. Un trop
grand automatisme dans l’interprétation et le suivi des analyses faites à partir des
méthodes de gestion de portefeuille est à éviter. Ces méthodes sont des guides. Elles
donnent une information utile complémentaire mais elles ne sont qu’un outil. Elles ne
peuvent en aucun cas se substituer à la réflexion stratégique et l’évaluation du porte-
feuille doit demeurer fondée sur un jugement global de la situation. Pour cette raison,
il est important de bien connaître, d’une part, les bases sur lesquelles elles reposent et,
d’autre part, dans quelles circonstances il est préférable d’y avoir recours. À cette fin,
après avoir présenté les méthodes qui peuvent aussi être appliquées à l’analyse d’acti-
vités individuelles – PIMS et cycle de vie –, les approches classiques de gestion de
portefeuille – BCG, Shell, McKinsey-General Electric – ainsi que les démarches déri-
vées de la théorie financière – méthode Fruhan-McKinsey, Marakon Associates, Stra-
tegic Planning Associates, Zakon-BCG – seront abordées.

itre 13
Section
1 LES MéTHODES D’ANALYSE D’ACTIVITéS
INDIVIDUELLES

Bien que les deux méthodes présentées dans cette section ne soient pas, à propre-
ment parler, des outils d’analyse et de choix de portefeuille, elles sont des complé-
ments utiles pour évaluer les activités individuelles qui composent ce dernier. Elles
donnent un éclairage supplémentaire à la gestion du portefeuille qui, comme il a été

234
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

dit, ne peut en aucun cas se faire de manière mécanique mais doit reposer sur des
perspectives multiples qui l’enrichissent. De plus, un portefeuille étant composé
d’activités individuelles, il est nécessaire de bien connaître ces activités ; ces activi-
tés étant ses éléments de base.

1 Le PIMS
PIMS (Profit Impact of Marketing Strategy) est le nom donné à un projet ambi-
tieux développé à l’initiative de la General Electric avec la collaboration de la Har-
vard Business School au début des années soixante-dix. Depuis lors, ce projet s’est
étendu à plusieurs centaines d’entreprises et couvre1, à l’heure actuelle, environ
quatre mille activités différentes, réparties dans différents types d’industries pré-
sentes sur des marchés régionaux, nationaux et globaux. Initialement, le projet avait
pour but d’identifier les causes de succès et d’échec de l’ensemble des SBUs (stra-
tegic business unit ou centre d’activités stratégiques, CAS) de la General Electric et
de déterminer quelles étaient les lois du marché dont la connaissance pourrait guider
les dirigeants dans leurs décisions concernant ces activités. Depuis lors, ces objectifs
ont été étendus à un panel élargi d’activités.
Pour atteindre ces objectifs, un modèle fut construit dont l’objet était d’identifier
les variables (37 variables) qui influent sur la rentabilité des activités stratégiques.
Ces variables se répartissent entre des variables de contexte telles que la concentra-
tion de l’industrie et des variables stratégiques actionnables telles que les investisse-
ments en R & D ou les dépenses en marketing. Afin d’étudier un CAS, après avoir
paramétré l’activité stratégique en fonction de ces variables, le modèle devait per-
mettre de répondre aux questions suivantes :
1.  Quelles sont les variables qui sont à l’origine de différences de performance
(rentabilité ou marge brute d’autofinancement) ?
2.  Quelles sont les performances (rentabilité ou marge brute d’autofinancement)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

jugées normales pour une activité donnée, pour des conditions spécifiques de
marché et pour une stratégie particulière ?
3.  Comment les performances, pour une activité et pour des conditions de concur-
rence données, sont-elles affectées par une modification de la stratégie ?
4.  Quels sont les changements de stratégies qui, pour une activité et pour des condi-
tions de marché données, permettent d’améliorer la performance en termes de
rentabilité ou de marge brute d’autofinancement ?
La stratégie doit être comprise ici comme la déclinaison sous forme opérationnelle
d’actions telles que des efforts de qualité, de publicité, de R & D etc. Actions qui
trouvent leur traduction dans les variables du modèle. Cette déclinaison interprète

1.  Le PIMS est à l’heure actuelle géré par une association à but non lucratif, le SPI (Strategic Planning Institute).
Le site internet est : www.pimsonline.com.

235
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

bien entendu un positionnement décidé en amont et qui peut être un positionnement


de différenciation, de coût ou de spécialisation (pour un marché donné, pour une
clientèle spécifique, etc.).
Depuis les années de la General Electric, les entreprises participant au projet ont
continué à fournir plus de cent informations pour chacune de leurs activités. À cette
fin, un questionnaire très complet, décomposé en cinq parties portant sur l’ensemble
des dimensions opérationnelles, stratégiques et de contexte sert à la collecte de
d­onnées.
La première partie du questionnaire porte sur une description de l’activité produits
et services, clients, organisation interne. La deuxième partie du questionnaire traite des
résultats du compte d’exploitation et du bilan. La troisième partie du questionnaire
concerne le marché et la concurrence. La quatrième partie traite d’informations géné-
rales sur le marché servi. Enfin, la cinquième partie porte sur des hypothèses concer-
nant les ventes futures, les prix de ventes futurs, les coûts futurs de fournitures, dont
les matières premières, en vue des analyses de simulation de stratégies.
Les entreprises qui ont recours au PIMS reçoivent quatre types de rapports dont
deux peuvent être utilisés dans le cadre d’une analyse de portefeuille. Tout d’abord,
le rapport « PAR » qui donne les niveaux de rentabilité et de marge brute d’auto­
financement considérés comme normaux, compte tenu d’un certain nombre de
conditions environnement, position sur le marché, degré de différenciation, alloca-
tion des ressources, type d’entreprise, historique des décisions stratégiques. De plus,
le rapport PAR (voir tableau  13.1) permet la comparaison des performances de
l’activité de l’entreprise avec un ensemble d’activités similaires observées dans le
cadre du projet. Enfin, ce rapport donne une indication sur les variables qui contri-
buent à améliorer la performance au-dessus du niveau moyen. Si, par exemple, la
rentabilité d’une activité dépasse la rentabilité moyenne de 10 %, le rapport indique
à quels facteurs le surplus doit être attribué : part de marché, qualité des produits,
etc. Le rapport « PAR » permet ainsi d’apprécier la performance des différentes acti-
vités de l’entreprise.

Tableau 13.1 – Exemple d’impact que chaque facteur peut avoir sur la rentabilité
des investissements : cas des facteurs de différenciation
Facteurs Impact du facteur sur la rentabilité en %

Prix relatif (par rapport à la concurrence) – 1,1

Salaire relatif – 1,4

Qualité relative du produit 0

Nouveaux produits 1,2

Coût de fabrication 2,5

Impact total 1,3

236
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

Le deuxième rapport (voir tableau 13.2) est le rapport dit de sensibilité ou de straté-


gie. Ce rapport est essentiellement fondé sur les évaluations faites par l’entreprise sur
les évolutions du marché, des prix et des coûts. Il détermine comment varierait la
rentabilité d’une activité si l’on modifiait, par exemple, sa politique de différenciation
ou si l’entreprise procédait à une intégration verticale. Les dirigeants peuvent ainsi
anticiper les résultats auxquels leurs décisions mènent. En faisant varier les évalua-
tions de prix, de coûts et de marché, on peut également mesurer la sensibilité d’une
stratégie donnée face à des évolutions différentes de celles anticipées. Le rapport de
sensibilité, donné en exemple dans le tableau 13.2, indique le changement que l’on
peut observer dans le « PAR » de rentabilité si un facteur est augmenté ou diminué.
C’est ainsi que, si le prix relatif est diminué de 0,15, la rentabilité est diminuée de
0,27. En revanche, si le salaire est augmenté de 0,09, la rentabilité va chuter de 0,17.
Le PIMS peut aussi être utilisé pour une analyse de portefeuille. Il s’agit là
­d’explorer différentes combinaisons stratégiques de plusieurs activités à la fois et de
voir comment un résultat satisfaisant peut être obtenu. Le PIMS permettant d’éva-
luer la rentabilité des investissements et la sensibilité des stratégies de chaque acti-
vité, il permet de tester différentes combinaisons et de rechercher le portefeuille
d’activités optimal en termes de rentabilité et de risques. Le PIMS bien que critiqué
demeure une aide efficace à la prise de décision sans toutefois la remplacer. Comme
ses responsables le font remarquer, « il ne faut pas ignorer ce que dit le modèle, mais
il ne faut pas, pour autant, croire ce qu’il dit ».

Tableau 13.2 – Exemple d’informations données dans le cadre


du « rapport de sensibilité (ou de stratégie) » : cas des facteurs de différenciation
Changement du « PAR » de rentabilité

Changement Cas d’une diminution Cas d’une augmentation


dans le facteur de 1/10 d’écart type de 1/10 d’écart type
(1/10 d’écart type) du facteur du facteur
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Prix relatif 0,15 – 0,27 + 0,27

Salaire relatif 0,09 + 0,17 – 0,17

Qualité relative 2,50 + 0,85 – 0,85

Nouveaux produits 1,35 – 0,12 + 0,12

Coût de fabrication 1,75 – 0,17 + 0,17

2 Le cycle de vie des activités

L’approche par le cycle de vie des activités est dérivée de celle éponyme du pro-
duit dans laquelle on remplace le produit par l’activité. Aussi ce sera cette dernière
qui sera étudiée ici. Le cycle de vie d’un produit est construit à partir de plusieurs

237
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

hypothèses et observations empiriques. Il s’inspire des modèles de diffusion et


d’adoption des innovations. Il décrit l’évolution des ventes d’un produit en fonction
du temps depuis son introduction sur le marché jusqu’à son retrait. La représentation
la plus classique de cette évolution est la courbe en forme de U renversé (figure 13.1).

Ventes
Maturité

Croissance Déclin

Introduction

Temps

Figure 13.1 – Représentation classique de la courbe de vie d’un produit

Le cycle de vie d’un produit est généralement décomposé en phases (entre quatre
et six). Le modèle le plus classique comprend quatre phases : introduction, crois-
sance, maturité et déclin. Au début de la vie d’un produit, les ventes sont faibles car
les consommateurs ne connaissent pas ou peu son existence. Au fur et à mesure de
l’installation du produit sur le marché, la diffusion de l’information va s’accélérer
menant à la croissance des ventes. Puis, le marché atteint la saturation, les ventes
commencent à stagner. C’est la maturité. Enfin, le produit vieillit et se trouve
dépassé par de nouveaux substituts ; le consommateur va, peu à peu, se tourner vers
ces derniers. Ceci annonce la phase de déclin.
Afin d’utiliser le cycle de vie d’un produit comme outil d’analyse stratégique et de
gestion de portefeuille d’activités, une ambigüité doit être levée. Une activité straté-
gique peut recouvrir plusieurs produits et marchés. Certes, ces ensembles de produits-
marchés sont homogènes en termes de comportement concurrentiel, de marché et de
structure de coûts, aussi peut-on s’attendre à ce que leur comportement soit similaire
de celui de produits uniques. Toutefois, ce n’est que par extension que la théorie du
cycle de vie peut être appliquée à la gestion de portefeuille. Là encore aucun auto­
matisme n’est autorisé. Au sein même d’une activité peuvent se retrouver des produits
qui suivent un rythme différencié. Une analyse fine est nécessaire pour les identifier et
donc tirer les conséquences qui s’imposent, à savoir les considérer comme des activi-
tés stratégiques différentes. Dans les lignes qui suivent, toutefois, une activité stra­
tégique sera considérée comme étant homogène. Il s’agit bien entendu d’une
simplification que l’on pourra relaxer si nécessaire lors d’analyse de cas concrets.

238
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

Pour appliquer l’approche du cycle de vie des produits à la gestion et l’analyse du


portefeuille d’activités, il faut, tout d’abord, identifier la phase dans laquelle se
trouvent les activités. En pratique, cette identification peut être difficile et doit alors
reposer sur de simples critères subjectifs. Certains utilisent le pourcentage d’augmen-
tation des ventes de l’activité (agrégat de l’ensemble des produits que l’activité
recouvre) pour déterminer les points de transition d’une phase à une autre. Lorsque les
ventes s’accroissent de plus de 10 % par an, on considère que l’activité est dans une
phase de croissance ; lorsque l’augmentation se situe entre 0 % et 10 %, l’activité est
en phase de maturité. Enfin, lorsque la tendance annuelle est négative, c’est le déclin.
D’autres indicateurs de phases sont également utilisés tels que le nombre de concur-
rents, le taux de changement technologique et la fréquence de modification des activi-
tés. Là encore, dans ce dernier cas, il faudra bien savoir de quoi on parle, c’est-à-dire
de produits bien identifiés ou d’activités stratégiques regroupant plusieurs produits.
Une fois identifiée la phase de l’activité sur son cycle, il s’agit de déterminer les
actions à entreprendre en fonction de la nature même de la phase (introduction, crois-
sance, maturité, déclin). À cette fin, plusieurs modèles liant chaque phase à des actions
stratégiques données ont été proposés. Par exemple, lors de la phase de croissance, le
marketing et la conception technique semblent être les facteurs décisifs : promotion et
publicité agressive, bonne distribution, prix élevé, produits différenciés et de qualité.
Lorsque la maturité commence à se faire sentir, des coûts faibles et une bonne effica-
cité commerciale deviennent cruciaux : utilisation optimale de l’outil de production,
standardisation des procédures commerciales, recours à des canaux de distribution de
masse, segmentation des marchés, réduction des dépenses de R & D. Enfin, quand le
déclin apparaît, un retrait rapide du marché, accompagné d’un écrémage des activités,
est recommandé : diminution des dépenses commerciales, simplification des lignes de
produits, élimination des produits non rentables, suppression de la recherche.
Bien que pouvant mener à des recommandations erronées si utilisées de manière
mécanique, l’approche du cycle de vie appliquée à la gestion de portefeuille est utile
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

car elle donne une vision globale des activités de l’entreprise et de leur répartition dans
le temps. Au-delà des actions à entreprendre en fonction de la phase de vie, une bonne
gestion du portefeuille consistera à trouver un équilibre dynamique satisfaisant entre
flux d’activités : flux d’activités nouvelles qui se substituent au cours du temps à un
flux déclinant d’activités anciennes. Elle permet ainsi de vérifier si la pérennité de
l’entreprise repose sur des bases solides. Par exemple, on vérifiera si des activités,
aujourd’hui en maturité et qui vont entrer à terme en phase de déclin, sont remplacées
par d’autres activités actuellement en phase d’introduction ou de croissance.
D’autres approches sont plus particulièrement adaptées aux entreprises diversi-
fiées qui possédant un portefeuille composé de plusieurs activités. Il s’agit de la
matrice du BCG « croissance-part de marché », du tableau « attrait du marché-­
position concurrentielle » développé par General Electric et McKinsey qui vont
maintenant être présentées.

239
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

Section
2 MéTHODES CLASSIQUES D’Analyse
de portefeuilles d’activités

1 Matrice croissance-part de marché


Avec la « matrice » « croissance-part de marché » qui prend en compte ­l’ensemble
du portefeuille d’activités de l’entreprise, le Boston Consulting Group (BCG) a
probablement été l’un des cabinets de conseil les plus écoutés, puis critiqués, des
années soixante-dix-quatre-vingts. Un phénomène de rejet est ainsi apparu suite à
une mauvaise utilisation et interprétation de cette méthode. Trop simpliste pour les
uns, trop réductrice pour les autres, cette approche a eu tendance à être rejetée en
bloc. La matrice est néanmoins un outil utile pour aider à gérer des portefeuilles
d’activités sous réserve d’être bien comprise et utilisée dans le cadre de ses hypo-
thèses.
Le BCG part de la constatation qu’une entreprise diversifiée ne peut raisonner sur
ses activités prises indépendamment, mais doit avoir une vue globale de ces dernières.
Cette vue globale permet de procéder à des transferts de ressources entre activités et
de concentrer les investissements sur celles les plus rentables à terme. Pour ce faire, il
propose d’analyser le portefeuille de l’entreprise en prenant en compte deux dimen-
sions principales la croissance du marché et la part de marché relative.
Dans le cadre de cette méthode, un tableau à deux dimensions est construit,
tableau dans lequel les différents centres d’activités stratégiques (CAS) sont posi-
tionnés (voir figure 13.2). En abscisse, la part de marché relative permet de position-
ner chaque CAS en fonction de sa part de marché par rapport à celle du concurrent
le plus important. En ordonnée, la croissance du marché permet de classer les diffé-
rentes activités en fonction de leur taux de croissance des ventes.
Deux lignes séparent le tableau en quatre cases distinctes. Une ligne verticale
coupe le tableau en deux parties. La partie de droite représente les activités dont
la part de marché relative (Part de marché de l’activité/  Part de marché du plus
gros concurrent) est inférieure à 1. Ceci signifie que ces activités ont, au moins,
un concurrent plus gros qu’elles. Dans la partie de gauche, toutes les activités
jouissent d’une position dominante dans leur secteur. L’hypothèse sous-jacente de
cette classification est la suivante. Les activités bénéficiant d’une position domi-
nante sont celles qui ont vraisemblablement le volume de production cumulée le
plus important, c’est-à-dire l’expérience la plus grande et donc les coûts de pro-
duction les plus faibles ainsi que les marges les plus fortes de tout le secteur. Ce
sont des activités très profitables. En revanche, les activités situées dans la partie
droite du tableau ne bénéficiant pas d’une position de coût favorable ont, par
conséquent, une position concurrentielle plus délicate et des marges plus faibles,
voire négatives.

240
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

Surplus de Besoin de
ressources ressources

Part de marché relative

« Étoile » « Dilemme »

Équilibre entre
ressources
Besoin de

besoin et surplus de Besoin de ressources


ressources
(Renforcement -
Segmentation -
Croissance du marché

(Maintien - Abandon)
Renforcement)
10 %
« Vache à lait » « Canard boiteux »

Équilibre entre
Surplus de

Surplus de
ressources

ressources besoin et surplus de


ressources

(Abandon - Maintien
(Maintien) sans effort -
Segmentation)

Figure 13.2 – Part de marché/Croissance du marché ou Matrice BCG

La ligne horizontale sépare les activités en forte croissance de celles qui le sont
moins. Généralement, la ligne de séparation est située aux alentours de 10 %. Ce
taux, qui peut varier d’une industrie à l’autre, est une simple indication du besoin de
ressources de l’activité. En effet, la croissance d’une activité nécessite le finance-
ment d’investissements et de fonds de roulement supplémentaires. Lorsque la crois-
sance du marché est faible, par exemple inférieure à 10 % dans le cas présent, les
fonds générés par l’activité sont plus que suffisants pour financer ses besoins. En
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

revanche, lorsque la croissance est forte, les fonds générés sont insuffisants pour
couvrir l’intégralité des besoins.
En conséquence, dès que les activités se rapprochent de la partie gauche du
tableau, elles ont tendance à générer davantage de ressources que leurs concurrents
respectifs. Toutefois, afin de pouvoir se trouver dans une position dominante et par
conséquent gagner en part de marché, l’entreprise devra fournir un effort substantiel
sur le plan commercial et sur celui des investissements. De même, la croissance du
marché va nécessiter des fonds supplémentaires. À part de marché constante, plus
importante sera la croissance, plus importants seront les fonds nécessaires à son
financement. A contrario, une diminution de parts de marché ou un ralentissement
de la croissance aura tendance à réduire le besoin de fonds supplémentaires.
La figure 13.2 résume l’ensemble de ces différentes remarques et montre com-
ment les caractéristiques des activités peuvent induire divers comportements

241
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

stratégiques. Quatre grands types d’activités sont représentés. Chacun est associé
à une stratégie donnée. Par exemple, les activités « étoiles », dominantes en part de
marché et bénéficiant d’une forte croissance, sont caractérisées par une position
forte. Généralement, ces activités équilibrent leur besoin en ressources, dû à leur
forte croissance, par un apport substantiel de fonds, grâce à leur position domi-
nante. Les activités « vaches à lait », toujours dominantes mais évoluant sur un
marché en faible croissance, sont représentatives de produits « murs » mais géné-
rant plus de ressources qu’ils n’en consomment. Les activités « dilemmes », carac-
térisées par une forte croissance mais ayant une faible part de marché, sont
considérées comme représentant le futur de l’entreprise. Toutefois, leur position
ne leur permet pas de générer suffisamment de fonds, et leur bilan, en termes de
ressources, est largement négatif. Enfin, les activités « canards boiteux », ne béné-
ficiant ni d’une bonne croissance, ni d’une forte position sur le marché et ce en
dépit d’un bilan de ressources équilibré, représentent généralement les activités
marginales que l’entreprise n’a jamais su ou pu pleinement développer. De plus,
leur maintien contribue à distraire l’attention des dirigeants au détriment d’autres
activités plus prometteuses.
À chaque catégorie d’activités correspondent diverses stratégies. Par exemple,
pour les activités « dilemmes », trois sortes de stratégies sont possibles. Il s’agit soit
du renforcement de la position, soit de l’abandon, soit du choix d’un sous-segment
de marché  ; la solution intermédiaire de maintien en l’état n’étant pas viable. En
effet, lors du ralentissement de la croissance, seules les firmes les mieux armées
demeurent profitables et ont des chances de rester sur le marché. Ces stratégies de
maintien, de renforcement ou d’abandon de position doivent se compléter et s’équi-
librer afin de faire en sorte que les ressources générées par certaines activités
assurent la mise en œuvre d’actions permettant le développement d’autres. Par
exemple, des activités mûres servent de base au développement d’activités à fort
potentiel mais pas encore établies.
L’approche développée par le BCG présente plusieurs avantages. D’une part,
elle facilite l’analyse du portefeuille d’activités de l’entreprise dans son intégra-
lité ; elle permet de vérifier si le flux de fonds générés par certaines activités com-
pense les besoins ressentis ailleurs et de contrôler si des activités nouvelles vont
pouvoir remplacer à terme les produits en déclin. Elle permet également de mesu-
rer l’équilibre du portefeuille d’activités de l’entreprise. À titre d’exemple, une
entreprise dont le portefeuille est majoritairement composé d’activités vaches à
lait, avec une minorité d’activités dilemmes et étoiles, dispose d’un surplus de
ressources qu’elle n’utilise pas pour assurer sa pérennité. A contrario, un porte-
feuille équilibré est composé principalement d’activités vaches à lait et étoiles
accompagnées d’un faible nombre d’activités dilemmes. Les activités fortes
contributrices de ressources sont là pour épauler celles qui en ont besoin et
assurent le renouvellement et le futur de l’entreprise. D’autre part, cette approche
aide à une formulation d’objectifs en termes de portefeuilles et des stratégies qui

242
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

s’y rattachent. De fait, elle permet de déterminer les activités (étoiles voire
dilemmes) dans lesquelles l’entreprise peut investir et celles dont elle doit se reti-
rer (canard boiteux).
Toutefois, cette approche présente quelques faiblesses. La première est la difficulté
de classer les activités dans les quatre catégories qui ont été décrites et de déduire
de leur position respective les stratégies adéquates à mettre en œuvre. Par exemple,
lorsque l’effet d’expérience est faible, une position dominante en part de marché n’a
pas la même signification, ni les mêmes conséquences que lorsque l’expérience
exerce un effet significatif sur les coûts. Seules les entreprises bénéficiant d’avan-
tages d’échelle et/ou d’expérience savent ici tirer leur épingle du jeu. De même, les
conditions particulières en termes de coûts, dont jouit un concurrent, peuvent com-
penser favorablement sa faiblesse apparente sur le marché. Pour ces raisons, les
hypothèses sur lesquelles repose l’approche développée par le BCG doivent être
évaluées de façon précise et complétées par d’autres éléments, tels ceux évoqués lors
du diagnostic stratégique décrit dans les chapitres précédents. Quelles que soient les
variables supplémentaires à prendre en considération, variables qui permettent une
meilleure compréhension et évaluation de la situation, il est nécessaire, en tout état
de cause, d’éviter un automatisme qui, dans l’utilisation de cette approche, risque de
réduire à néant l’effort d’analyse et de réflexion.

2 Méthode « General Electric – McKinsey »


Dans la « matrice » du BCG, seules deux variables, celle de marché et celle de
croissance, sont utilisées pour déduire les actions à entreprendre dans la gestion du
portefeuille. Afin de recourir à un plus grand nombre de variables, une autre méthode
a été développée. Cette méthode a pour ambition de donner une vision détaillée et
complète de la réalité. Pour ce faire, une matrice à deux dimensions est utilisée (voir
figure 13.3). Néanmoins, au lieu de représenter des caractéristiques particulières,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ces dimensions sont mesurées à l’aide d’un index résultant de l’agrégation de plu-
sieurs variables.
La première dimension, horizontale, donne une indication sur la position
concurrentielle, ou force compétitive, de l’activité. La seconde dimension, verti-
cale, représente l’attrait du marché à moyen terme. Mesurée sur une échelle à trois
niveaux – élevé, modéré, faible – chacune des dimensions permet de positionner
l’ensemble des activités sur la matrice. La représentation globale du portefeuille
donne donc une indication sur la position de l’entreprise et sur ses possibilités de
développement.
Le problème d’évaluation de l’attrait d’un marché et de la force compétitive d’une
activité, toutefois, demeure Pour ce faire, chaque activité est mesurée à partir de
plusieurs variables. Les tableaux 13.3 et 13.4 donnent un exemple des différentes
variables qui peuvent être utilisées pour évaluer les deux dimensions. Dans ces

243
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

tableaux, un calcul hypothétique a été réalisé permettant de positionner une activité


sur la « matrice » « General Electric – McKinsey ».
Dans le tableau 13.4, la force compétitive de l’activité est égale à 4,00. Si on se
reporte aux échelles utilisées dans les tableaux décrits précédemment, l’activité
devrait bénéficier d’une forte position concurrentielle. Le maximum étant de 5,00.
De même, l’attrait du marché, dans le tableau 13.4, est de 3,6. Ce score place l’acti-
vité dans un marché à fort attrait (le maximum étant de 5,00). Le résultat global, en
termes de force compétitive et d’attrait du marché, montre que l’activité fait partie
du groupe des gagnants (voir figure 13.3) pour lesquels une stratégie de maintien,
voire de renforcement de la situation, est conseillée.
Plusieurs commentaires doivent être faits. Le premier concerne l’identification
des variables pertinentes permettant de mesurer les deux dimensions de force
compétitive et d’attrait pour chaque activité. Selon le produit et selon le marché,
les variables à prendre en considération diffèrent. Ce qui rend attrayant un mar-
ché de biens industriels ne le sera pas forcément pour des produits de grande
consommation. Le deuxième commentaire est relatif aux mesures effectuées sur
chaque variable afin d’en estimer la valeur. Par exemple, est-ce qu’un marché
segmenté est plus intéressant qu’un marché unique ? Est-ce qu’une politique de
prix élevé est meilleure qu’une politique de prix modéré ? Là encore, un lien de
causalité entre variables et dimensions résultantes doit être établi. De même, le
poids affecté à chaque variable dépend du contexte et de l’évaluation subjective
faite par le responsable. Afin de résoudre ces différents problèmes, peu d’outils
sont disponibles. Seule, peut-être, une bonne compréhension de la dynamique
concurrentielle peut aider. La qualité du jugement et l’expérience des respon-
sables sont ici primordiales. Il n’en demeure pas moins que le fait de ne pas
utiliser les mêmes variables et la même pondération entraîne un biais si ces
matrices sont utilisées pour juger de l’équilibre d’un portefeuille d’activités,
prendre des décisions sur la composition même du portefeuille et sur les actions
à entreprendre.

Tableau 13.3 – Exemple de variables influençant la force compétitive


d’une activité*
Variables mesurant la force compétitive Poids Évaluation Note pondérée

Part de marché 0,05 3 0,15

Taux de croissance 0,10 3 0,30

Éventail de la ligne de produit – – –

Efficacité de la force de vente 0,05 4 0,20

Prix compétitif 0,10 4 0,40

Efficacité de la publicité et de la promotion 0,15 5 0,75


244
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13


Variables mesurant la force compétitive Poids Évaluation Note pondérée

Localisation des établissements – – –

Capacité de production – – –

Productivité 0,05 3 0, 15

Effet d’expérience 0,10 2 0,20

Coût des matières premières 0,10 4 0,40

Valeur ajoutée – – –

Qualité relative des produits 0,15 5 0,75

Qualité de la recherche et développement – – –

Qualité du personnel 0,05 4 0,20

Image 0,10 5 0,50

1 4

* Chaque variable est mesurée sur une échelle à 5 points : 1 représente une position faible ; 5 représente une position
forte. Il s’agit d’une mesure relative par rapport aux concurrents et non d’une mesure absolue.

Les
Fortes
Le

profitables
sg
ag
na
nt
s

Les
Forces Moyennes acceptables
compétitives
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le
sp
er
dan
ts
Faibles Les dilemmes

Attrait faible Attrait modéré Attrait élevé

Attrait du marché

Figure 13.3 – Matrice General Electric, McKinsey

245
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

Tableau 13.4 – Exemple de variables influençant l’attrait d’un marché*


Variables mesurant l’attrait des marchés Poids Évaluation Note pondérée

Taille 0,10 3 0,30

Croissance 0,20 4 0,80

Prix 0,05 2 0,10

Structure concurrentielle 0,05 5 0,25

Profitabilité 0,10 5 0,50

Vulnérabilité à l’inflation – – –

Caractère saisonnier – – –

Maturité 0,05 5 0,25

Différenciation des marchés 0,15 2 0,30

Solvabilité de la clientèle 0,15 4 0,60

Tendances sociales 0,05 4 0,20

Contraintes légales 0,10 3 0,30

Climat social – – –

1 3,60

* Chaque variable est mesurée sur une échelle à 5 points, 1 représente un attrait faible, 5 représente un attrait fort.
Il s’agit d’une mesure relative entre les différents environnements que l’entreprise peut connaître et non d’une
mesure absolue.

Cette méthode présente d’autres difficultés. En effet, comme dans celle du BCG
décrite précédemment, les recommandations « stratégiques » sont formulées en termes
très généraux renforcer et croître, pour les activités « gagnantes »  ; maintenir et
attendre, pour les activités en position intermédiaire ; rentabiliser ou désinvestir, pour
les activités « perdantes ». Bien qu’utiles, pour donner une direction générale, ces
recommandations ne permettent pas d’identifier avec précision les actions appropriées
à mettre en œuvre dans chaque situation. Il s’agit là d’une simple indication. Un autre
problème, déjà évoqué, est le risque d’automatisme dans les décisions prises au regard
des caractéristiques de chaque activité. La difficulté d’évaluer avec précision chacune
des deux dimensions peut induire un certain nombre d’erreurs  ; comme c’est, par
exemple, le cas d’erreurs issues de compensations entre variables composant une
dimension. Deux activités peuvent ainsi avoir le même attrait sans, pour autant, être
mesurées de façon similaire sur chacune des variables associées à la dimension.
D’autres approches similaires ont été développées, que nous ne reprendrons pas
dans le détail. Le groupe Shell, par exemple, a utilisé une « matrice » d’orientation
stratégique permettant de déterminer pour chaque activité de l’entreprise les actions
à entreprendre. Cette « matrice » comprend deux dimensions (voir figure 13.4).

246
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

• Domination
• Segmentation du marché
Fortes • Diversification du marché
• Innovation

• Retrait • Domination • Expansion


CAPACITÉS progressif du marché
Moyennes • Différenciation
DE LA FIRME
• Fusion • Innovation des produits

• Imitation
Faibles • Retrait • Retrait • Rentabilisation
progressif

Attrait faible Attrait modéré Attrait élevé

MARCHÉ POTENTIEL

Figure 13.4 – Matrice d’orientation stratégique du groupe Shell

La dimension horizontale représente le marché potentiel. La dimension verticale


mesure la capacité de l’entreprise. Comme dans l’approche de GE – McKinsey ces
deux dimensions sont des résultantes de plusieurs variables. En conséquence, les
risques d’erreurs ou de mauvaise interprétation, mentionnées précédemment, sont
également valables pour cette dernière approche.
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Section
3 L es méthodes dérivées
de la théorie financière

Au-delà des méthodes présentées ci-dessus et qui sont, pour la plupart, de nature empi-
rique, des approches fondées sur des concepts de théorie financière ont été développées.
Ces approches introduisent une notion capitale : la valeur économique de l’entreprise.

1 Le modèle M/B
En théorie financière, la valeur de l’entreprise peut être définie comme la valeur
nette actualisée (VAN) des marges brutes d’autofinancement (MBA) futures. Il
s’agit, en fait, de la richesse économique que l’entreprise est potentiellement capable

247
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

de créer. Lorsque cette dernière est cotée sur un marché financier, le cours de
­l’action représente sa valeur économique. En effet, si le marché est efficient1, le
cours de l’action est le reflet du consensus établi entre investisseurs quant à la
richesse future créée par l’entreprise. Cette richesse comprend non seulement les
MBA futures générées par les activités présentes, mais prend en compte les anti­
cipations faites concernant les MBA dégagées par des investissements à venir.
Si le cours de l’action ou la valeur actualisée des MBA futures est une indication
de la richesse future, encore faut-il disposer d’une base de comparaison afin de pou-
voir dire s’il y a création ou pas de richesse. La base de comparaison, généralement
retenue, est l’actif net comptable2.
L’utilisation conjointe de ces deux éléments cours de l’action, d’une part, comme
indication de la valeur de l’entreprise fondée sur les développements futurs et,
d’autre part, actif net comptable, comme critère d’évaluation de la valeur présente
de la firme fondée sur ses stratégies passées, a mené au modèle M/B (M pour valeur
de marché et B pour valeur de bilan).
En résumé, le modèle M/B se présente de la manière suivante :
M = Valeur de marché (cours de l’action)
B Valeur de bilan (actif net comptable)
Soit Valeur de l’entreprise (fondée sur son potentiel présent et futur) / Évaluation
de l’entreprise (fondée sur les développements passés)
Quand M est égal à B, on estime qu’il n’y aura pas de création de richesse dans le
futur. L’entreprise va continuer à se maintenir telle qu’elle est. Quand M est supé-
rieur à B, les investisseurs anticipent que l’entreprise va être capable de générer une
rentabilité supérieure à celle qui lui est nécessaire pour demeurer à son niveau
actuel. Il y a ici création de valeur. Enfin, lorsque M est inférieur à B, il y a destruc-
tion de valeur. Les investisseurs estiment que l’entreprise ne sera pas capable, dans
le futur, de créer une richesse qui soit suffisante pour la maintenir à son niveau
présent (voir tableau 13.5).

Tableau 13.5 – Le modèle M/B


M/B = 1 Ni création ni destruction de valeur

M/B > 1 Création de valeur

M/B < 1 Destruction de valeur

1.  On entend par marché efficient, un marché où toutes les informations sont disponibles, ou facilement acces-
sibles à un faible coût. De plus, on fait l’hypothèse que, dans un marché efficient, le cours de l’action intègre
­l’ensemble de ces informations.
2.  L’actif net comptable est ajusté afin d’avoir une estimation réaliste de la valeur comptable de l’entreprise. Pour
ce faire, les ajustements portent aussi bien sur les actifs incorporels que sur l’intégration dans les immobilisations
de certaines dépenses publicitaires et de recherche et développement.

248
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

2 Bases conceptuelles des modèles financiers stratégiques


À partir du modèle M/B, plusieurs méthodes de gestion de portefeuille d’activités
stratégiques ont été élaborées.
Partant du principe que dans un marché efficient, le cours de l’action représente la
valeur de l’entreprise, cette dernière peut être exprimée de la manière suivante1 :

M= ( Kr ––gg × B
c

c
(
Où :
M est la valeur de l’entreprise.
B est l’actif net comptable.
rc est la rentabilité des capitaux propres.
Kc est le coût du capital.
g est le taux de croissance de l’entreprise.

L’une des variables de la relation exposée ci-dessus nécessite un petit développe-


ment. Il s’agit du coût du capital Kc. Le coût du capital peut être considéré comme
un coût d’opportunité. Ce dernier est égal au taux de rentabilité pouvant être obtenu,
sur le marché financier, d’un actif sans risque augmenté d’une prime de risque cor-
respondant à la nature des activités de l’entreprise. Le modèle d’équilibre des actifs
financiers (MEDAF) donne le taux de rentabilité espéré ra pour tout actif financier.
L’actif, dans le cas présent, est le capital et, plus généralement les fonds propres de
l’entreprise. Ce taux est égal à la somme, d’une part, du taux de rentabilité qu’un
actionnaire, ou un investisseur, pourrait obtenir s’il plaçait son argent sur un actif
financier sans risque, par exemple en achetant des bons du trésor, et, d’autre part, de
la prime nécessaire pour que l’investisseur prenne le risque d’investir dans l’entre-
prise plutôt que de placer son argent dans un portefeuille diversifié de valeurs, soit :
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ra (taux de rentabilité espéré ou coût du capital) = 


Taux de rentabilité sans risque + Prime de risque

1. Un certain nombre d’hypothèses simplificatrices sont faites afin d’arriver à cette relation. Toutefois, une
démonstration de la relation est donnée ci-après. La valeur de la firme peut être estimée par la part de MBA dont
bénéficient les actionnaires sous forme de dividendes. De manière simplifiée, cette dernière peut se définir comme
étant égale à (1 – p) × rc × B, avec 1) p = taux de rétention des profits et 1 – p = taux de profits distribués sous forme
de dividendes ; 2) rc = rentabilité du capital ; 3) B = actif net comptable ; et 4) rc × B = profits totaux générés par
l’entreprise (sachant que la valeur de l’actif net comptable est égale à la valeur comptable des capitaux propres de
la firme). De plus, si nous acceptons que le taux de croissance de l’entreprise g est égal à la croissance des profits
réutilisés à des fins d’investissements nouveaux, (soit p × rc), les dividendes deviennent : (1 – p) × rc × B = rc × B
– p × rc × B ou rc × B – g × B = (rc – g) × B.
Sachant que l’actif net B croît à un taux g par an et que le taux d’actualisation retenue est le coût du capital Kc, la
( rc - g) ( 1+ g) t ( rc - g)
valeur présente de (rc – g) × B actualisée à perpétuité est Σ t = 1 B soit B

( 1+ Kc ) t ( Kc - g) qui est égal à M.

249
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

Au-delà d’un placement sans risque, l’investisseur peut en effet investir ses fonds
dans un portefeuille diversifié de valeurs, représentant l’ensemble des actifs financiers
disponibles sur le marché, et espérer en obtenir une rentabilité rm. Ainsi, le taux de
rentabilité est égal à rs (rentabilité sans risque) plus « rm – rs » (rentabilité excédentaire
ou prix du risque, obtenue grâce à un portefeuille diversifié). Toutefois, l’actif finan-
cier représenté par les fonds propres de l’entreprise peut être plus ou moins risqué1. Ce
risque est exprimé par un coefficient β. Ce coefficient vient pondérer le prix du risque
que l’investisseur est prêt à payer pour l’actif financier que représentent les actions de
l’entreprise. Pour résumer, le coût du capital Kc est donné par la relation :
ra = rs + β(rm – rs) = Kc
ra = Rentabilité attendue.
rs = Rentabilité sans risque.
β = Coefficient de risque.
(rm – rs) = Prix du risque.

Après ce développement financier, nous pouvons à présent aborder les modèles de


gestion de portefeuille d’activités stratégiques qui reposent sur les notions abordées
ci-dessus.

3 Modèles de gestion de portefeuille basés sur la valeur de la firme

Revenons au modèle M/B, qui est à la base de la plupart des méthodes de diagnostic
et d’évaluation des stratégies s’appuyant sur la notion de valeur. Nous avons vu que :

Avec : M
B
Kc (coût du capital) = ra (rentabilité attendue).
À partir de cette relation, plusieurs représentations ont été faites. La première,
développée par le Strategic Planning Associates va lier M/B au ratio rc/ra, également
appelé « levier de valeur » (voir figure 13.5).
Les activités dans la partie droite (E2) de la « droite de valeur » sont évaluées par
le marché comme devant avoir, dans le futur, une performance plus faible que celle
du passé. En revanche, celles dans la partie gauche (E1) sont perçues comme devant
améliorer leur performance dans l’avenir. Celles situées sur la droite de valeur
devraient maintenir, dans l’avenir, leur valeur.

1.  Par risque, il faut entendre ici le coefficient de volatilité de la rentabilité de l’actif concerné. Ce coefficient est
égal à la covariance entre la rentabilité espérée de l’actif ra et celle du marché rm divisée par la variance de la ren-
tabilité du marché rm.

250
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

M/B Droite de valeur


Indicateur M/B= rc /ra
de performance
des stratégies futures Performance future >
Performance passée
M/B > r c /ra

ss =
pa ure
ée
ce ut
an f
m ce
E1 E2

or an
rf m
Pe for
r
Pe
1
M/B < r c /ra
Performance future < Performance passée

1
r c /ra r c /ra
(Taux de rentabilité Indicateur de performance
= Coût du capital) des stratégies passées
(levier de valeur)

Figure 13.5 – Méthode d’évaluation d’après le Strategic Planning Associates

Une approche, légèrement différente de la précédente a été développée par le


groupe Marakon Associates. Dans son modèle, dont les implications sont similaires
à l’approche ci-dessus, M/B est non plus donné en fonction du ratio « rentabilité des
capitaux investis/ coût du capital » (rc/ra) mais en fonction de l’écart rc – ra.
Dans la figure 13.6, l’activité E4 (cadran gauche du haut) a obtenu par le passé une
rentabilité de ses capitaux inférieure à leur coût, compte tenu du risque qui leur était
associé et des autres possibilités de placement. En revanche, les investisseurs
­s’attendent dans le futur à un renversement de situation. Il s’agit ici du cas typique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’une stratégie de revitalisation ou de redressement. L’activité E3 (cadran gauche du


bas) représente le cas typique d’activités qui dans le passé ont bénéficié d’une ren-
tabilité inférieure aux coûts des capitaux investis et qui dans le futur ne donnent
aucune indication quant à un redressement éventuel. Nous nous trouvons ici dans
une « ornière ». L’activité E2 (cadran droit du bas) illustre le cas d’activités qui ont
connu dans le passé un succès important mais sont perçues comme allant vers le
déclin. Enfin, l’activité E1 (cadran droit du haut) représente l’excellente activité
stratégique qui a bénéficié dans le passé de taux de rentabilité élevés et qui semble
capable dans le futur de maintenir sa performance.

251
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

M/B
Indicateur de performance des stratégies futures

E4 1,8 E1 Création
de valeur
1,6
La revitalisation L’excellence
1,4
1,2
rc - ra
Écart de profitabilité
-4 -3 -2 -1 1 2 3 4 (performance passée)
0,8
0,6
E3 E2
0,4 Destruction
de valeur
L’ornière 0,2 Le déclin

Rentabilité du capital < Rentabilité du capital >


coût du capital coût du capital

Figure 13.6 – Méthode d’évaluation du Marakon Associates

M/B Droite de valeur


Indicateur M/B= R/B
de performance
des stratégies futures Amélioration E3
M/B > R/B
(Création de valeur)
va ion
ur
de at
le
n rv
ie se

E1 E2
nt n
ai Co
M

Détérioration
M/B < R/B
(Destruction de valeur)

R/B
Indicateurs de performance
des stratégies passées

Figure 13.7 – Méthode d’évaluation Fruhan-McKinsey

252
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

Enfin, une troisième méthode fondée sur les travaux de Fruhan et formalisée par
le cabinet McKinsey s’appuie, d’une part, sur le ratio M/B comme indicateur de
performances futures et, d’autre part, sur le ratio R/B où R représente la valeur
future de l’activité estimée à partir de données historiques (voir figure 13.7).
L’activité E1 voit sa situation s’améliorer alors que celle de E2 est perçue comme
devant se détériorer. Seule E3 va conserver sa position dans le futur. Elle ne créera
ni ne détruira de valeur.
Nous en avons terminé avec les modèles fondés sur la notion de valeur et nous
allons nous tourner, à présent, vers les méthodes prenant en compte la croissance.

4 Modèles de croissance de Marakon Associates et Zakon-BCG


La méthode de Marakon Associates s’appuie sur les mêmes concepts évoqués
précédemment. Toutefois, son articulation est sensiblement différente. Il va s’agir de
représenter les activités de l’entreprise en fonction de deux critères : la rentabilité du
capital rc et le taux de croissance g. Le taux de croissance g des activités est comparé
à G qui représente quant à lui le taux de croissance du marché que l’on approximera
comme étant similaire toutes activités confondues.
Si l’on accepte l’hypothèse que la croissance de l’entreprise et de ses activités va
de paire avec la croissance de ses capitaux propres, nous avons (dans le cas où il n’y
a pas de distribution de dividendes) : g (taux de croissance) = P/K où P représente
les profits et K les capitaux propres. De plus, nous savons que, par définition, les
profits « P » sont donnés par la relation suivante : rc × K, où rc est la rentabilité du
capital K. Ainsi la croissance g est directement fonction de la rentabilité rc1.
En résumé, nous pouvons dire que lorsque :
g = rc, l’activité absorbe la totalité des ressources dégagées pour assurer sa croissance.
g >  rc, l’activité ne génère pas suffisamment de ressources pour maintenir sa
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croissance.
g < rc, l’activité dégage plus de ressources qu’il lui en faut pour assurer sa croissance.
Enfin, une dernière variable doit être prise en compte. Il s’agit du coût du capital ra.
Nous avons vu précédemment qu’il était nécessaire que la rentabilité des capitaux inves-
tis soit supérieure à leur coût pour qu’il y ait création de valeur. C’est-à-dire rc  >  ra.
Lorsque rc = ra, l’activité maintient sa valeur. Quand rc < ra, il y a perte de valeur.
La figure 13.8 reprend et résume ce qui vient d’être dit. Sur cette figure, la diago-
nale sépare les activités génératrices de ressources (à gauche) de celles qui en uti-
lisent (à droite). La barre horizontale met une frontière entre activités créatrices de
richesse (en haut) et celles qui détruisent de la valeur (en bas). Enfin, la droite

1.  g = P/K= rcK/K = rc.

253
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

verticale permet de faire la distinction entre activités qui gagnent de la part de mar-
ché (à droite) et celles qui en perdent (à gauche).

rc
Rentabilité Création de
du capital ressources
(r c > g)

Création
de valeur Utilisation
(rc > R a ) de ressources
(rc < g)
Ra
Coût du
capital
Destruction
de valeur
(rc< R a)

Perte Gain de part


de part de marché
de marché (g > G)
(g < G)

G g
Croissance (Croissance)
du marché

Figure 13.8 – Matrice de profitabilité de Marakon Associates

Portefeuille équilibré, créateur


Portefeuille équilibré et Portefeuille déséquilibré de valeur avec des activités maintenant
destructeur de valeur et créateur de valeur ou renforçant leur position de marché
rc rc rc
A1 A5 A1
A2 A3
A4 A2
A3 A4
A5
Ra Ra Ra
A2
A1 A5

A3 A4

G g G g G g

Figure 13.9 – Exemples de portefeuilles d’activités

La figure 13.9 donne quelques exemples de portefeuilles, qui remettent en question


certaines conclusions de modèles plus anciens. C’est ainsi que le portefeuille repré-
senté dans la partie gauche de la figure 13.9 doit être considéré comme équilibré en
termes de flux de ressources dégagées et utilisées par les différentes activités de l’en-
treprise. Toutefois, ce dernier portefeuille, lorsque le critère de rentabilité est introduit,

254
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

apparaît comme détruisant de la richesse et n’est pas, en conséquence, satisfaisant. En


revanche, sur la partie du milieu de la figure 13.9, nous nous trouvons dans le cas d’un
portefeuille déséquilibré en termes de ressources mais créateur de richesse. Enfin, seul
le portefeuille présenté à droite de la figure 13.9 crée, à la fois, de la richesse, est équi-
libré en termes de ressources dégagées et utilisées, et est composé d’activités qui soit
maintiennent, soit renforcent leur position de part de marché.
Dans un autre esprit, mais toujours fondé sur la notion de croissance, un modèle,
mettant en évidence la croissance maximum supportable par l’entreprise, a été pro-
posé par Zakon et développé par le BCG. On entend souvent dire que telle ou telle
entreprise a été victime de sa croissance, c’est-à-dire que, se développant très vite,
elle a été incapable de générer les ressources lui permettant de financer son expan-
sion. Afin d’éclairer les firmes sur le taux maximum de croissance supportable, un
modèle a été développé permettant d’identifier la croissance limite pouvant être
atteinte avec les moyens de financement dont dispose l’entreprise.
Partant de l’hypothèse que la croissance dépend des profits non distribués, cette
dernière va pouvoir être exprimée comme suit :
G = (p × Π)/ K
Où :
G taux de croissance maximum.
p taux de rétention des profits.
Π profits après impôts.
K capitaux propres.
Si r est la rentabilité de l’actif total, les profits Π s’expriment de la manière suivante :
Π = r × (D + K) – i × D
Où :
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r taux de rentabilité de l’actif.


D + K dettes + capitaux propres = actif.
i intérêt des emprunts après impôt.

La croissance G devient1 :
px∏ P
G= = × (r × (D + K) – i × D)
K K
D
= p × (r – i)
K

1.  Dans la formule donnée ci-dessus, les hypothèses d’un ratio d’endettement D/K constant, d’une rentabilité de
l’actif r constante, d’un taux de rétention des profits p constant, d’intérêt i constants, sont faites. Certaines d’entre
elles pourraient être relaxées. Toutefois, le taux maximum de croissance supportable G ainsi obtenu est une indica-
tion satisfaisante pour une première approximation.

255
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

Il s’agit de la croissance maximum que l’entreprise peut avoir avec les moyens
présents dont elle dispose.

Taux maximum de
gm croissance supportable
Croissance
du marché
Cas 5
Cas 3
Perte de part
de marché

Cas 1 • C Cas 2
ar la
m de
é
ch
de en
rt ti
pa ain
M

Cas 4

Gain de part de
marché

G g
Croissance de
l’activité
Figure 13.10 – « Matrice » d’évolution des parts de marché
et croissance maximum supportable

Sur la figure 13.10, le graphe d’évolution des parts de marché proposé par le BCG
donne le positionnement des activités d’une entreprise. En ordonnée, nous retrouvons
la croissance du marché, et en abscisse la croissance de l’activité. Ainsi, les activités
sur la diagonale ne gagnent ni ne perdent de la part de marché. En revanche, celles à
gauche de la diagonale croissent moins vite que le marché sur lequel elles se trouvent
et perdent, en conséquence, du terrain par rapport aux concurrents. À droite de la dia-
gonale, nous nous trouvons dans la situation inverse avec des activités qui se déve-
loppent plus vite que le marché. La droite verticale est la limite à ne pas dépasser.
Cette dernière représente le taux maximum de croissance supportable. Lorsqu’il s’agit
d’une entreprise mono-activité, il suffit de comparer cette croissance maximum G avec
la croissance de l’entreprise. Lorsque nous nous trouvons dans le cas d’une entreprise
avec un portefeuille d’activités, le taux moyen pondéré de croissance des diverses
activités est pris comme base de référence. Ceci signifie, dans le cas de l’exemple de
la figure 13.10, que le « centre de gravité » C des activités doit se trouver à gauche du
taux maximum1 si la croissance doit être maîtrisée.

1. Dans le cas de la figure 13.8, le centre de gravité C se trouve à gauche du taux maximum de crois-
sance G. L’entreprise ne court pas ici le risque d’être victime de son développement.

256
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

5 Influence de l’endettement et cas des entreprises non cotées


Dans ce que nous venons de voir, l’hypothèse suivant laquelle l’entreprise était
cotée a souvent été faite. Le problème demeure de savoir comment estimer la valeur
d’une entreprise lorsqu’elle n’est pas cotée sur un marché financier ou lorsque nous
nous intéressons aux seuls CAS. De plus, l’endettement a été mis de côté. Ce dernier
a, toutefois, un impact sur la valeur et le risque de l’entreprise dont il faut maintenant
tenir compte.
Lorsque l’entreprise n’est pas cotée, la démarche est identique à celle que nous
avons vue précédemment. Nous pouvons utiliser le modèle M/B et ses dérivés
sans problème. La différence repose sur l’identification de la valeur M de
­l’entreprise. Pour ce faire, on peut calculer la MBA (marge brute d’autofinance-
ment) et l’actualiser. Le taux d’actualisation retenu est le coût du capital calculé
en prenant comme coefficient de risque « β », celui de l’industrie à laquelle
appartient l’entreprise1. Dans le cas d’une activité (CAS), les choses sont un peu
plus complexes. Il s’agit ici de calculer la MBA de l’activité. À cette fin, il faut
évaluer les profits et les intérêts de la dette correspondant à l’activité. Le coût du
capital retenu pour actualiser la MBA est calculé en prenant comme facteur de
risque β celui de l’industrie à laquelle appartient l’activité. Enfin la rentabilité
des capitaux investis peut se calculer en prenant, comme variable représentative,
les profits après impôts rapportés aux actifs de l’activité. Dans les tableaux 13.6
et 13.7, les deux modèles M/B pour une entreprise non cotée et pour une activité,
sont donnés.

Tableau 13.6 – Modèle M/B dans le cas d’une entreprise non cotée

ra = rs + βi (rm – rs)


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rm rentabilité d’un portefeuille diversifié


ra rentabilité attendue (coût du capital)
rs rentabilité sans risque
rc rentabilité du capital
g taux de croissance
B actif net comptable
VAN valeur actuelle nette (horizon : perpétuité)
MBA marge brute d’autofinancement
βi coefficient de risque de l’industrie à laquelle appartient l’entreprise (cas d’une entreprise mono-activité)

βi = w1 β1 + w2 β2 +....... wn βn
avec w1, w2, ..., wn poids des différentes activités de l’entreprise.
et β1, β2, …, βn coefficient de risque des industries correspondantes.

1.  Si l’entreprise possède plusieurs activités appartenant à diverses industries, le β sera donné par la somme
pondérée, suivant l’importance relative des activités de la firme, des β des industries concernés.

257
  Chapitre 13  ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités

Tableau 13.7 – Modèle M/B dans le cas d’une activité (CAS)

ra se calcule comme dans le cas d’une entreprise mono-activité


MBA marge brute d’autofinancement
La MBA se calcule à partir des profits générés par l’activité après affectation des intérêts de la dette relative à
cette dernière.
VAN valeur actuelle nette (horizon en fonction de l’activité)
rc rentabilité des capitaux investis
rc se calcule à partir des profits générés par l’activité et des actifs spécifiques de cette dernière.
g taux de croissance
B actif net comptable (relatif à l’activité)

Ainsi que nous l’avons précisé dans l’introduction du présent chapitre, les matrices
d’analyses de portefeuille et les méthodes formelles d’aide à la décision stratégique
ont été décriées ces dernières années. On peut leur reprocher une certaine rigidité
dans l’approche et une incapacité à prendre en compte les spécificités d’environne-
ments très distincts. De même, on peut leur reprocher de considérer chaque activité
comme isolée du reste de l’organisation et de ne pas prendre en compte les synergies
qui peuvent exister entre elles. Ces matrices constituent néanmoins un outil irrem-
plaçable dans le cadre d’une analyse de l’équilibre d’un portefeuille d’activités et ce
tant dans sa dimension financière à court terme que dans l’évolution de l’entreprise
à long terme. Ces outils permettent également de structurer les réflexions et aider
dans les choix relatifs à la gestion d’un portefeuille d’activités.
Quelle que soit la méthode retenue, un critère d’équilibre sera toujours retenu dans
le choix d’un portefeuille d’activités. Ce critère d’équilibre peut s’appuyer sur l’un
des référentiels suivants, référentiels qui ne sont pas exclusifs :
• Temporel : si l’entreprise souhaite assurer sa pérennité, elle se doit d’intégrer la
notion de cycle de vie des activités dans ses choix de portefeuille d’activités et
s’assurer ainsi que les activités mûres seront remplacées quand elles entreront en
phase de déclin par des activités actuellement nouvelles ou en croissance. Au-delà
de la pérennité, une entreprise ne pourra durablement faire augmenter son chiffre
d’affaires global qu’en investissant régulièrement dans des activités nouvelles ou
en croissance.
• Cycle industriel : il est important que l’entreprise soit présente dans des activités
suivant différents cycles économiques. Si l’entreprise n’est présente que dans des
activités fortement cycliques, elle éprouvera beaucoup de difficultés à surmonter
les crises économiques. L’entreprise doit ainsi rechercher un équilibre entre acti-
vités cycliques (carton d’emballage, transport aérien, matières premières…) et
activités peu cycliques (agroalimentaire, hôtellerie économique…), voire contre-
cycliques. À titre d’exemple, en cas de récession, la demande pour les bateaux de
plaisance diminue alors que la demande pour les transports publics augmente. Le

258
Gestion et choix du portefeuille d’activités  ■  Chapitre 13

chiffre d’affaires global d’une entreprise présente dans ces deux secteurs est ainsi
peu affecté par une récession économique, la baisse des ventes dans un secteur
étant compensée par la hausse du chiffre d’affaires réalisée dans l’autre.
• Financier  : en fonction de la nature de leur environnement (taux de croissance,
niveau d’investissements nécessaires…) et de leur position concurrentielle, les dif-
férentes activités de l’entreprise génèrent ou demandent des ressources financières.
Il convient de s’assurer que le solde est positif ou qu’il est compatible avec la pos-
sibilité d’endettement tant actuelle que future de l’entreprise. Sur ce même plan
financier, il convient également de s’assurer que l’entreprise ne privilégie pas la
rentabilité à court terme de son portefeuille d’activités au détriment de sa pérennité.
• Risques et rentabilité : les différents environnements dans lesquels les activités de
l’entreprise évoluent présentent des niveaux de risques (d’origine technologique,
économique, concurrentiel…) différents. Il convient de s’assurer que l’entreprise
n’est pas uniquement présente dans des secteurs très risqués et qu’il existe un
équilibre entre des activités risquées mais offrant une forte rentabilité et des acti-
vités certes moins rentables mais plus sûres. À l’instar de la gestion d’un porte-
feuille boursier, chaque entreprise détermine le niveau de risque global qu’elle est
prête à assumer et privilégie ainsi soit un portefeuille d’activités de « père de
famille » soit un portefeuille d’activités plus « spéculatif » mais plus volatil.
Au-delà de cette notion d’équilibre entre les différentes activités, deux autres cri-
tères vont fortement influencer les choix effectués quant à la composition du porte-
feuille d’activités : la notion de synergies et la compatibilité organisationnelle et
stratégique entre les différentes activités. Lors de choix relatifs à la composition de
son portefeuille d’activités, une entreprise peut choisir de privilégier l’investisse-
ment dans des activités qui partagent des ressources et des compétences (sur les
plans industriels, technologiques, marketing, de la distribution…) avec des activités
existantes et diminuer ainsi les investissements nécessaires à son entrée dans un
nouvel environnement. De même, une entreprise habituée à mettre en œuvre des
stratégies d’avantage par les coûts éprouvera des difficultés si elle choisit de créer
ou racheter une activité où les stratégies dominantes reposent sur une politique de
différenciation. Elle aura ainsi tendance à privilégier l’entrée dans des activités dont
les modèles économiques, les facteurs clés de succès et les stratégies possibles sont
proches de ceux qu’elles maîtrisent.

259
Chapitre
Robustesse
de la stratégie
14 et prise en compte
du risque

OBJECTIFS
 Savoir ce que l’on entend par robustesse d’une stratégie.
 Comment évaluer la robustesse d’une stratégie.
 Comment identifier et évaluer les risques associés à une stratégie.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Critères de robustesse d’une stratégie
Sec­­tion 2   La gestion des risques associés à une stratégie
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

Q uelles que soient la quantité et la qualité des analyses effectuées, quel que soit
le niveau des réflexions réalisées, le stratège se doit d’être modeste car il sait
qu’il a dû faire des choix au cours du processus d’analyse et de détermination d’une
stratégie. Il a privilégié certaines informations ou certaines analyses parce qu’elles
lui paraissaient plus fiables ou plus pertinentes. Il a mis en avant un faisceau d’hypo-
thèses d’évolution de l’environnement plutôt qu’un autre parce qu’il lui paraissait
plus cohérent et/ou plus conforme aux évolutions passées de son secteur industriel.
Il a enfin identifié différentes options stratégiques ainsi que leurs avantages et incon-
vénients avant d’effectuer son choix et de travailler à leur mise en œuvre.
À chacune de ces différentes étapes, le stratège a dû effectuer des choix à partir
d’informations incomplètes ou peu fiables et en utilisant tant son intuition que sa
réflexion ; il lui appartient maintenant de valider la robustesse de la stratégie qu’il a
choisie en la passant au crible de six critères : opportunité, validité, faisabilité, vul-
nérabilité, flexibilité et rentabilité (voir focus).

c Focus
Critères d’évaluation de la robustesse d’une stratégie
Opportunité : la stratégie choisie permet- hommes, du savoir-faire et de la volonté
tra-t-elle la construction ou le maintien de réussite nécessaires ?
d’un avantage concurrentiel durable et Vulnérabilité  : quels sont les principaux
défendable compte tenu de l’environne- facteurs de vulnérabilité ou de stabilité
ment, des réactions de la concurrence et susceptibles d’affecter la mise en œuvre
des ressources de l’entreprise ? La straté- de la stratégie ?
gie choisie permettra-t-elle la croissance Flexibilité  : dans quelle mesure l’entre-
de l’entreprise ? prise est-elle prisonnière des choix straté-
Validité : les hypothèses d’évolution de giques effectués  ? Est-il possible de
l’environnement retenues lors de l’éla- modifier ces choix en fonction des évolu-
boration de la stratégie sont-elles réa- tions de l’environnement ou des caracté-
listes et quelles sont la qualité et la ristiques de la mise en œuvre en interne ?
fiabilité des informations sur lesquelles Rentabilité : quelles sont les conséquences
elles reposent ? financières de la mise en œuvre de la
Faisabilité  : l’entreprise dispose-t-elle de stratégie en termes d’investissement et de
l’ensemble des ressources financières, des rentabilité des investissements ?

262
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

Section
1 Critères de robustesse d’une stratégie

1 Opportunité
L’objectif poursuivi par une stratégie est de créer ou de maintenir un avantage
concurrentiel durable et défendable. L’analyse d’opportunité consiste à s’assurer
que la mise en œuvre de la stratégie permet effectivement cette création ou ce ren-
forcement compte tenu des évolutions prévisibles de l’environnement et des diffé-
rentes actions que pourraient développer les concurrents. De même, l’entreprise
vérifie le taux de croissance que permet sa stratégie et compare ce taux à celui du
secteur. Il s’agit donc d’un exercice essentiellement empirique au cours duquel
l’entreprise s’interroge sur la finalité de sa stratégie.
Au-delà de cet exercice de validation de l’intérêt final de la stratégie choisie, l’ana-
lyse d’opportunité porte également sur les possibilités de croissance ou de construc-
tion d’avantages concurrentiels que l’entreprise a choisi de ne pas privilégier au
cours de l’élaboration de sa stratégie. Ces opportunités non retenues ont-elles été
identifiées et analysées et l’organisation est-elle raisonnablement sure de les avoir
écartées à bon escient. Enfin, l’analyse d’opportunité se doit d’étudier les « trade
off » de la stratégie. Une stratégie est avant tout un pari et comme tout pari il permet
de mettre en œuvre un certain nombre d’actions et exclut, de fait, d’autres actions
ou possibilités. L’entreprise se doit de connaître les différentes possibilités que sa
stratégie ne pourra mettre en œuvre. Il arrive ainsi qu’une entreprise choisisse de ne
pas mettre en œuvre la « meilleure » stratégie mais celle qui lui offrira à terme la
gamme de réponses la plus large en excluant le moins d’options possibles.

2 Validité
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’utilisation d’outils d’analyse de l’environnement comme le modèle PEST (Poli-


tique, Économique, Social et Technologique) permet d’identifier les principales
tendances susceptibles d’influencer l’évolution de l’environnement d’une entreprise
et de construire des scénarios d’évolution de l’organisation.
Ces tendances identifiées et analysées par l’entreprise peuvent être caractérisées par
leur ancienneté. Très récentes, elles sont qualifiées d’émergentes par les prospecti-
vistes et leurs conséquences, tant sur les offres de l’entreprise que sur les besoins et
attentes des clients, sont mal connues. Anciennes, elles ont déjà été largement étudiées
par l’entreprise. L’attitude la plus fréquente consiste le plus souvent à considérer que
les évolutions passées continueront sur le même rythme et avec les mêmes consé-
quences tant sur l’environnement que sur l’entreprise que par le passé. Face à l’ancien-
neté des tendances, les critères de validité à retenir sont sensiblement différents.

263
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

Pour une tendance émergente, l’entreprise doit principalement s’interroger sur la


fiabilité des données qu’elle a collectées. Les experts rencontrés sont-ils réellement
au fait de ces nouvelles évolutions et disposent-ils des connaissances nécessaires
pour juger de cette nouvelle tendance ou sont-ils les experts habituels avec lesquels
l’entreprise a l’habitude d’être en relation ? Les clients interrogés sont-ils représen-
tatifs du marché actuel et/ou du marché futur ?

Exemple – Le choix d’un expert


On peut citer ici l’anecdote qui veut que le président Roosevelt ait, au cours de la seconde
guerre mondiale, interrogé son aide de camp personnel, un amiral expert en artillerie, sur
ce qu’il pensait du projet Manhattan, projet de création de la première bombe atomique
américaine. L’amiral répondit alors que le projet Manhattan ne fonctionnerait jamais et
qu’il parlait en tant qu’expert en explosif. Cette anecdote, si elle est exacte, illustre par-
faitement le problème majeur d’une tendance émergente. Dans un souci de simplicité et
de facilité et afin de la comprendre et de l’analyser, on va chercher à rattacher cette ten-
dance émergente à un référentiel connu et déjà largement utilisé sans s’apercevoir que ce
référentiel peut être totalement inadéquat pour juger des effets ou des possibilités de cette
tendance. Dans notre exemple, une explosion est une réaction chimique, la bombe ato-
mique est une réaction physique et vouloir juger des possibilités d’une réaction physique
dans des référentiels de chimie ne peut qu’entraîner la réponse donnée par l’aide de camp
de Roosevelt.

Il convient dans le cas d’une tendance émergente de raisonner avec la plus


extrême prudence car les informations collectées sont souvent divergentes et/
contradictoires. L’entreprise doit chercher à identifier puis à comprendre les diffé-
rentes causes ou événements qui ont suscité l’émergence de cette tendance. Cette
analyse, au-delà de la compréhension de la tendance permet également d’évaluer
sa pérennité. S’agit-il d’un effet de mode ou d’un épiphénomène ou d’une ten-
dance plus lourde qui va s’installer durablement dans l’environnement de l’entre-
prise  ? Enfin, l’entreprise doit déterminer les conséquences, tant à court qu’a
moyen terme, de cette tendance aussi bien sur son environnement que sur son offre
de produits et services et vérifier que sa stratégie est cohérente avec les effets
anticipés de la tendance émergente.
Face à une tendance ancienne, l’entreprise doit identifier les causes initiales
d’apparition de cette évolution de l’environnement et s’interroger sur leur validité
dans l’environnement actuel. Les conditions environnementales, sociales ou techno-
logiques qui ont prévalu lors de l’apparition de la tendance sont-elles toujours aussi
importantes ? Les réponses successives apportées en termes d’offres suite à l’inté-
gration de la tendance dans la stratégie de l’entreprise constituent-elles une réponse
suffisante ou faut-il continuer à améliorer encore l’offre  ? Cette question se pose
notamment au regard du degré de réponse actuel face aux attentes et aux besoins des

264
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

clients. Si la majorité des clients est satisfaite au niveau actuel de réponse, est-il
vraiment aussi utile qu’auparavant de développer un produit plus performant, un
temps de réponse plus faible ou d’augmenter plus encore l’amplitude horaire d’ou-
verture du service après vente ? Une avancée sur ces différents points entraînerait-
elle une amélioration de la position concurrentielle de l’entreprise ?

Exemple – Les rasoirs masculins


À titre d’exemple, on peut considérer une tendance à l’œuvre sur le marché du rasoir à
main masculin  : celle du nombre de lames qui va en augmentant depuis une trentaine
d’années. Nous en sommes aujourd’hui avec le « wilkinson quattro » à quatre lames et
l’on peut légitimement s’interroger sur l’utilité marginale de la dernière lame au regard
du niveau de satisfaction des clients. Verrons-nous un jour arriver « la révolution tech-
nique » que constituera l’implantation d’une cinquième lame, puis d’une sixième… !1

L’entreprise doit ensuite procéder à une analyse de sensibilité de ces tendances en


faisant varier les hypothèses d’évolution autour des valeurs retenues lors des phases
d’analyse de l’environnement. Par exemple, la stratégie retenue est-elle toujours
aussi efficace si la croissance de la demande est de 4 % alors que le chiffre retenu
initialement est de 8 %. L’option industrielle adoptée est-elle efficiente et rentable si
le prix d’une matière première augmente ou si le taux d’utilisation des équipements
diminue ? La technologie sur laquelle la firme compte investir permet-elle de déve-
lopper les produits/services désirés en 18 mois ou en deux ans ?
La généralisation des tableurs permet de faire varier à l’infini les hypothèses rete-
nues et d’envisager une multitude de situations possibles. Ces tableurs permettent
également d’identifier la « valeur de point mort »2 de chaque hypothèse. L’entreprise
peut alors mesurer la sensibilité de la stratégie par rapport à chacune des hypothèses
d’évolution qu’elle a émises et s’assurer ainsi de la sensibilité de ses choix.
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Exemple – Test de sensibilité d’une stratégie


Dans le tableau ci-dessous, un test de sensibilité de deux options stratégiques A et B est
réalisé. Ces deux options, d’une durée de mise en œuvre comparable de 4 ans, permettent
une production équivalente tant en termes de volume que de qualité, mais avec des
niveaux de coût fixes (20  millions d’euros pour A et 15  millions d’euros pour B) et
variables (200 plus 3  unités de matière première Z pour A et 250 plus 2,5  unités de
matière première Z pour B) différents.

1.  Cet exemple date de l’édition précédente de ce livre. Le lecteur aura bien sur remarqué l’arrivée de la cinquième
lame chez Wilkinson et Gilette et saura mesurer la révolution du rasage que cette lame supplémentaire a provoqué…
2.  Par valeur de point mort, nous entendons la valeur de chaque hypothèse qui ne permet pas à l’entreprise
d’améliorer ses positions concurrentielles, ses avantages concurrentiels ou ses ratios financiers internes.

265
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

Tableau 14.1 – Test de sensibilité


Test de sensibilité de l’option A

Part Prix futur


Taux Prix
de marché de la matière
Hypothèses de croissance de vente
future première A
de base réduit futur réduit
réduite augmenté
de 10 % de 10 %
de 10 % de 10 %

Marché actuel 1 000 000 1 000 000 1 000 000 1 000 000 1 000 000

Taux de croissance 10 % 9 % 10 % 10 % 10 %

Marché futur 1 464 100 1 411 582 1 464 100 1 464 100 1 464 100

Part de marché
10 % 10 % 10 % 10 % 10 %
actuelle

Part de marché
12 % 12 % 10.80 % 12 % 12 %
future

Prix de vente actuel 530 530 530 530 530

Prix de vente futur 510 510 510 459 510

Coût fixe futur 20 000 000 20 000 000 20 000 000 20 000 000 20 000 000

Coût variable futur 350 350 350 350 365

Prix futur de la
50 50 50 50 55
matière première A

Marge 8 110 720 7 102 367 5 299 648 – 849 572 5 475 340

Point mort quantité 125 000

Point mort
8,54 %
part de marché

Point mort
1,03 %
croissance

Point mort
65,39
matière première

Point mort prix 463,84

Test de sensibilité de l’option B

Part Prix futur


Taux Prix
de marché de la matière
Hypothèses de croissance de vente
future première A
de base réduit futur réduit
réduite augmenté
de 10 % de 10 %
de 10 % de 10 %

Marché actuel 1 000 000 1 000 000 1 000 000 1 000 000 1 000 000

Taux de croissance 10 % 9 % 10 % 10 % 10 %

Marché futur 1 464 100 1 411 582 1 464 100 1 464 100 1 464 100


266
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14


Part de marché
10 % 10 % 10 % 10 % 10 %
actuelle

Part de marché
12 % 12 % 10,80 % 12 % 12 %
future

Prix de vente actuel 530 530 530 530 530

Prix de vente futur 510 510 510 459 510

Coût fixe futur 15 000 000 15 000 000 15 000 000 15 000 000 15 000 000

Coût variable futur 375 375 375 375 388

Prix futur de la
50 50 50 50 55
matière première A

Marge 8 718 420 7 867 622 6 346 578 -241 872 6 522 270

Point mort quantité 111 111

Point mort
7,59 %
part de marché

Point mort
– 1,91 %
croissance

Point mort
69,85
matière première

Point mort prix 460,38

Ainsi qu’indiqué dans la colonne hypothèses de base, l’entreprise évolue actuellement


dans un marché de 1 000 000 d’unités vendues au prix de 530 euros où elle possède une
part de marché de 10 %. Cette entreprise anticipe un taux de croissance de 10 % pendant
les 4 prochaines années, considère qu’elle peut augmenter sa part de marché à 12 % en
4 ans et estime que le prix sera, au terme de 4 ans, réduit à 510 euros.
Nous pouvons constater que si ces hypothèses se réalisent, la marge dégagée par l’entre-
prise en année 4, date de la mise en œuvre de ces deux options, est équivalente. En revanche
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme nous l’indique le niveau de valeur de point mort de chaque hypothèse de base,
sensiblement plus bas dans le cas de l’option B que de l’option A, ainsi que les colonnes
où les valeurs de base de chaque hypothèse varient successivement de 10 % par rapport à
leur valeur initialement estimée, l’option B est beaucoup moins sensible que l’option A à
des évolutions de l’environnement différentes de celles anticipées par ­l’entreprise. De fait,
on peut constater que la marge dégagée est sensiblement supérieure pour l’option B que
pour l’option A lorsque les hypothèses d’évolutions de l’environnement sont dégradées.
L’analyse de ces deux facteurs, points morts plus faibles ainsi qu’une moindre diminution
de la marge à un environnement dégradé, permet de montrer que l’option B du fait de sa
moindre sensibilité est moins risquée que l’option A pour l’entreprise.

L’exemple présenté est simple voire simpliste, mais il est possible de complexifier
à l’envie un tableur Excel et de faire évoluer simultanément et non successivement,

267
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

comme dans notre exemple, différentes hypothèses d’évolution de l’environnement,


de structure de coût ou de prix. Ces différentes analyses permettent alors de mesurer
la sensibilité d’une stratégie aux évolutions de l’environnement et assurent ainsi une
plus grande validité.

3 Faisabilité
L’analyse de la faisabilité est double. L’entreprise doit tout d’abord s’assurer
qu’elle dispose de l’intégralité des ressources et moyens nécessaires à la réalisation
de sa stratégie. Il convient donc de comparer le plan de mise en œuvre de la stratégie
avec les moyens et ressources disponibles, de mesurer les éventuels écarts de plani-
fication et de vérifier que les modes d’acquisition des compétences, ressources ou
moyens non disponibles sont réalistes.
L’entreprise doit également vérifier que sa stratégie et son « ambition stratégique »
sont compatibles avec son pouvoir de marché. En d’autres termes, les objectifs rete-
nus dans le cadre de la stratégie sont-ils réalistes au regard de la position concurren-
tielle de l’entreprise vis-à-vis de ses concurrents et/ou de son pouvoir de négociation
vis-à-vis des clients et fournisseurs. À titre d’exemple, une société qui s’efforcerait
de mettre sur le marché des produits inachevés à des prix élevés sans bénéficier d’un
pouvoir de marché important vis-à-vis de ses clients poursuivrait une stratégie irréa-
liste de faible faisabilité.

4 Vulnérabilité
Pour déterminer la vulnérabilité d’une stratégie, il convient de s’interroger sur la
présence, tant dans le cadre de l’environnement de l’entreprise que dans les options
de mise en œuvre de sa stratégie, de facteurs de vulnérabilité ou d’instabilité.
La stratégie retenue par l’entreprise est-elle une réponse à des valeurs ou des
besoins de base de ses clients ou repose-t-elle sur un phénomène de mode  ? Les
produits et services nouveaux développés dans le cadre de la stratégie seront-ils
destinés à un type d’utilisation unique ou à couple produit-marché précis ou pour-
ront-ils être utilisés dans différentes circonstances, répondre à des besoins clients
sensiblement différents ou s’adresser à de nombreux couples produits-marchés ? Les
options retenues entraînent-elles une dépendance technologique ou est-il possible de
recourir à des technologies différentes et non liées pour réaliser la stratégie  ? La
mise en œuvre de la stratégie demande-t-elle une capitalisation élevée, des investis-
sements fixes et spécialisés importants ou est-il prévu de recourir à un leasing, à de
la propriété partagée ou à la sous-traitance ?
La réponse à ces différentes questions permet de mesurer la vulnérabilité de la
stratégie de l’entreprise à des évolutions ou des prévisions différentes de celles

268
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

anticipées. Parallèlement, l’entreprise doit s’assurer que la réussite de la stratégie


n’est pas dépendante de facteurs qui ne sont pas sous son contrôle. Il est de fait
fréquent que la pleine réussite d’une stratégie soit fonction de facteurs totalement
indépendants d’une entreprise donnée comme une décision gouvernementale, la
mise à disposition d’une technologie ou d’une pièce essentielle par un fournis-
seur… La présence de tels facteurs hors du contrôle de l’entreprise renforce la
vulnérabilité de la stratégie choisie car même si elle a réalisé effectivement et
efficacement les différentes actions qui sont de son ressort, la stratégie sera néan-
moins un échec du fait de la déficience d’acteurs externes. L’analyse de la vulné-
rabilité consiste ainsi à rechercher l’assurance que les principaux facteurs
externes influençant le succès final d’une stratégie sont bien sous le contrôle de
l’organisation.

5 Flexibilité
La flexibilité d’une stratégie va être directement conditionnée par son degré de
spécialisation et par la nature de l’échéancier de mise en œuvre des moyens et des
investissements nécessaires à son accomplissement. Plus une stratégie, ses diffé-
rentes options et les moyens qu’elle met en œuvre sont spécialisés, plus l’entreprise
est contrainte par les choix qu’elle a réalisés et plus elle est incapable de réagir aux
évolutions qui se produisent dans son environnement. Il convient d’effectuer un
choix entre efficacité et efficience stratégique, d’une part, et recherche de degré de
liberté, d’autre part. Il est fréquent de voir une entreprise renoncer à la meilleure
stratégie sur le plan économique pour privilégier des options stratégiques moins
performantes mais présentant une gamme de réponses potentielles plus large. La
recherche du bon équilibre entre efficacité/efficience et flexibilité est en grande par-
tie influencée par la stabilité de l’environnement et les niveaux d’investissements
nécessaires. Dans le cadre d’un environnement stable et face à des investissements
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

limités, l’entreprise peut privilégier l’efficacité sur la flexibilité. En revanche, dans


le cadre d’un environnement naissant, caractérisé par une très forte incertitude,
l’entreprise choisit généralement une stratégie plus flexible, y compris si elle néces-
site des investissements plus importants ou des niveaux de coûts de production plus
élevés.
S’interroger sur la flexibilité d’une stratégie permet par ailleurs d’identifier la
gamme des réponses qu’autorise une stratégie donnée. Ceci permet de choisir parmi
un ensemble de possibilités lorsque l’environnement évolue dans une direction non
prévue.
La flexibilité d’une stratégie est également dépendante de l’échéancier d’actions
et d’investissements retenu pour la mettre en œuvre. Plus des actions lourdes
impliquant des moyens et investissements importants sont éloignées sur cet
échéancier, plus l’entreprise dispose de flexibilité. En effet, elle peut facilement

269
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

remettre en cause l’ensemble de sa stratégie n’ayant pas encore réalisé d’investis-


sements ou de changements organisationnels importants. Il convient donc de cal-
culer le « point de non-retour » d’une stratégie et s’assurer ainsi que la mise en
œuvre de stratégies de contingence ou l’évolution des objectifs stratégiques sont
possibles à un coût financier acceptable. Ce point de non-retour doit être situé à
un horizon qui, dans l’idéal, est le plus proche possible de la date de mise en
œuvre sur le marché de la stratégie choisie. L’entreprise conserve ainsi des marges
de manœuvre face à des évolutions non prévues sans être contrainte par des inves-
tissements importants et spécialisés.

6 Rentabilité
L’entreprise doit transcrire sa stratégie en termes financiers afin de calculer le
montant d’investissement nécessaire et prévoir l’évolution du chiffre d’affaires
résultant de sa mise en œuvre. Les différentes estimations réalisées permettent de
calculer des niveaux de point mort et de rentabilité des investissements. Il convient
alors de rapprocher ces estimations des objectifs financiers globaux de la société et
de s’assurer de leur compatibilité.
Il est également nécessaire de comparer ces prévisions avec les ordres de grandeur
classiques de l’industrie ou du secteur d’activités. Une rentabilité des investisse-
ments dont le niveau est nettement supérieur aux valeurs classiques de l’industrie est
certes possible mais elle doit néanmoins faire l’objet d’un doute légitime. Un point
mort à deux ans est possible dans le cadre d’un secteur en croissance ou en maturité
mais il est douteux de pouvoir le réaliser dans un marché émergent compte tenu du
temps de latence présent dans cet environnement. De même, en dehors de secteurs
industriels extrêmement stables, il est illusoire de penser qu’un point mort à plus de
cinq ans sera atteint. Il est, de fait, fort probable qu’au-delà d’un horizon de moyen
terme, les conditions économiques et concurrentielles auront évolué au point de
remettre en cause les choix stratégiques effectués initialement. Il est donc important
de choisir des stratégies disposant d’un point mort relativement proche afin de ne pas
être contraint de conserver une stratégie initiale de moins en moins adaptée aux
évolutions de l’environnement, du fait d’investissements importants non encore
­rentabilisés.
Le cas ci-dessous présente la stratégie mise en œuvre par Hewlett Packard dans le
secteur des disques durs. Puis, il développe une analyse de la robustesse de cette
stratégie au moyen des critères qui viennent d’être exposés.

270
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

 Cas d’entreprise
Analyse de la robustesse d’une stratégie :
HP et le développement du Kittyhawk1
1991, la division disques durs d’Hewlett Packard décide de lancer le développe-
ment d’un disque dur d’un diamètre de 1,3 pouce. Le standard du marché est alors
le diamètre de 2,5  pouces (diamètre utilisé dans les ordinateurs portables). HP
souhaite prendre ses concurrents par surprise en développant le plus petit disque
dur jamais construit. Après une rapide étude de marché qui démontre un marché
potentiel dans le cadre des PDA (Personal Digital Assistant) et des cartouches de jeu
Nintendo, HP prend la décision de créer une équipe de recherche, isolée du reste
de la structure, qui aboutit en juin  1992 au lancement du Kittyhawk, disque dur
d’un diamètre de 1,3 pouce, doté d’une grande capacité de résistance aux chocs (le
Kittyhawk peut supporter une chute d’un mètre sur du béton en assurant l’intégrité
des données stockées) et d’une capacité de 20  MB (une extension à 40  MB est
planifiée). En cours de développement, HP choisit d’abandonner l’option cassette
de jeu demandé par Nintendo et de se consacrer au marché des Personal Digital
Assistant (PDA) ; le prix demandé par Nintendo, 50 dollars, ne permettant pas à HP
de respecter les objectifs financiers ambitieux fixés au projet. La ligne de produc-
tion, sous-traitée à Citizen Watch Corporation, a une capacité de production de
150 000 unités par mois. Le Kittyhawk est lancé commercialement en juin 1992 à
un prix unitaire de 230 dollars et ce produit fait l’objet d’un nombre d’articles de
presse supérieur à ceux obtenus par l’ensemble des produits lancés préalablement
par HP. Néanmoins, les ventes ne décollèrent jamais, les fabricants de PDA ne
réussissant pas à développer les autres technologies nécessaires au bon fonctionne-
ment du produit. Les ventes totales du Kittyhawk (165 000) n’atteignirent pas 30 %
des objectifs fixés et le marché majeur ne fut pas celui des PDA mais celui des
« Japanese word processors ». En 1994, HP décide d’abandonner la production et
la vente du Kittyhawk et en 1996 HP prend la décision d’arrêter la production de
disques durs.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Opportunité
HP a pris la décision de développer un disque dur de 1,3 pouce afin de prendre de
vitesse l’ensemble de ses concurrents préférant selon les dires de ses dirigeants
investir une colline vierge plutôt que s’attaquer à une colline fortifiée (en l’occur-
rence le marché des disques durs de 2,5 pouces de diamètre). Il a donc choisi entre
une opportunité potentielle et une opportunité existante en considérant qu’un nou-
veau design technologique pouvait prendre le marché par surprise et assurer ainsi
des avantages concurrentiels importants à l’entreprise. Cette décision a pour consé-
quence une quasi-absence d’HP sur le marché des disques durs de 2,5 pouces.

1.  Le lecteur pourra se reporter au cas: « Hewlett-Packard: The Fly of the Kittyhawk », n°9-697-060, Harvard
Business School de G Rogers et C Christensen qui décrit le développement et la vie commerciale du Kittyhawk.
Kitty Hawk est le nom de la plage de Caroline du Nord où les frères Wright ont effectué les premiers essais de leur
« aéroplane ».

271
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque


Validité
La décision prise par HP de fixer le diamètre du Kittyhawk à 1,3 pouce est directe-
ment liée à l’analyse de la tendance vers une diminution du diamètre des disques
durs, tendance qui existe depuis les débuts de l’informatique. Le premier disque dur
développé par IBM en 1956 avait la taille de deux réfrigérateurs placés côte à côte et
une capacité de stockage de 5 MB. En 1992, le diamètre minimum des disques durs
était de 2,5 pouces (utilisés majoritairement dans les ordinateurs portables) pour une
capacité variant de 300 MB à plus d’1 GB. Cette tendance de réduction des disques
durs a tout à la fois permis et accompagné la réduction de taille et de volume des
ordinateurs. Toutefois en 1992, le critère bloquant la « miniaturisation » des ordina-
teurs n’est plus le disque dur mais le clavier, ou plus exactement, du fait de l’interface
retenue, la taille des doigts des utilisateurs. Un disque dur de 1,3 pouce n’est donc
plus destiné au marché classique de l’informatique mais à de nouvelles applications
dans l’informatique mobile comme les PDA. Par ailleurs, HP ignore l’importance
d’une autre tendance, celle de la densité des disques durs qui améliore, année après
année, leur capacité de stockage (la norme en 1992 est de 400 MB). Parallèlement,
HP ne prend pas en compte l’apparition d’une nouvelle technologie, la «  spintro-
nic », émergente depuis 1988 et qui, dès 1994, deviendra le standard technologique
de fabrication des disques durs. Enfin, HP ignore les capacités de technologies subs-
tituts comme les mémoires RAM ou les mémoires flash qui permettent au lancement
du Kittyhawk des capacités de stockage supérieures à un coût unitaire proche. Par
ailleurs, HP a développé ses hypothèses de volume de ventes en fonction de celles
réalisées par les développeurs de PDA et a donc un plan d’affaires fondé sur les rai-
sonnements et prévisions effectués par d’autres. Dans un tel cas de figure, il est
essentiel de valider les hypothèses de ses clients en analysant les besoins et attentes
des clients de ses propres clients. Cette validation est d’autant plus nécessaire si les
clients directs sont des « jeunes pousses » dont les compétences marketing et straté-
giques sont loin d’être éprouvées.

Faisabilité
La réussite technique du Kittyhawk démontre qu’HP a su analyser les compétences
et investissements nécessaires à la mise en œuvre de cette stratégie. En revanche, la
division disque dur d’HP a toujours été un acteur de niche sur le marché des
disques durs, bien en deçà des positions traditionnelles de leader des autres divi-
sions d’Hewlett Packard. Le lancement d’un nouveau design technologique sur un
marché émergent est-il réaliste pour une division habituée à des stratégies de sui-
veur sur des tendances technologiques bien établies et avec un client principal, HP
elle-même, assuré ?

Vulnérabilité
En choisissant de développer son disque dur en fonction des demandes spécifiques
des fabricants de PDA, HP se place dans une situation de vulnérabilité extrême. De
fait, le succès de son produit est directement lié au succès des premiers PDA, succès
qui est lui-même lié au développement de technologies hors du champ de compé-
tences d’HP (miniaturisation, reconnaissance de caractères, systèmes d’opérations
spécifiques,…). Or les premiers fabricants de PDA ont tous échoué à développer ces

272
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14


technologies à des niveaux de qualité et de performance acceptables par le grand
public. HP, en dépit de la qualité technique de son produit, connaît donc l’échec
car son disque dur aurait dû être intégré à un produit que ses concepteurs sont dans
l’impossibilité de réaliser. Dans un tel cas de figure, une entreprise doit identifier les
facteurs hors de son contrôle et analyser la capacité de ses partenaires à y apporter
des réponses.

Flexibilité
La stratégie choisie par HP repose sur le succès d’un disque dur de 1,3 pouce déve-
loppé spécifiquement pour les PDA. Si cette stratégie échoue, l’entreprise n’a plus
qu’à espérer que des clients non anticipés se manifestent. Si des fabricants de
« Japanese word processors » se montrent effectivement intéressés, tous les autres
clients contactés demandent un prix inférieur à 50  dollars qu’HP ne peut pas
atteindre, du fait des choix techniques effectués pour servir le marché des PDA. La
stratégie d’HP n’a donc aucune flexibilité sur les plans technologiques et de mar-
chés et s’est montrée incapable de s’adapter aux évolutions de son environnement.

Rentabilité
Les objectifs de rentabilité et de volume assignés au projet, point mort de 36 mois
(y compris 12 mois de développement) et 100 millions de dollars de chiffre d’af-
faires deux ans après le lancement sont des chiffres réalistes sur un marché préexis-
tant comme l’informatique traditionnelle. En revanche, espérer des résultats aussi
rapides et aussi importants sur un marché émergent comme celui des PDA manque
de réalisme ou est trop ambitieux.

Une analyse, certes « post-mortem », de la stratégie suivie par la division disques


durs d’Hewlett-Packard permet de montrer que les options stratégiques retenues
manquent de robustesse et que l’entreprise était incapable de s’adapter à une évolu-
tion de son environnement différente de celle anticipée. Au-delà de la mesure de la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

robustesse d’une stratégie, cette analyse permet également l’identification des nom-
breux risques qu’il convient de qualifier et de gérer avant de mettre en œuvre la
stratégie retenue.

Section
2 L a Gestion des risques
associés à une stratégie

Un risque peut être défini comme un événement interne ou externe susceptible


de compromettre l’atteinte des objectifs de la stratégie en termes de performance, de
résultats, de coûts, d’investissements et de délais.

273
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

La gestion des risques est une démarche anticipative, présente tout au long de la
démarche d’analyse et de mise en œuvre d’une stratégie. Quel que soit le degré de
réflexion et d’analyse effectué lors de la détermination de la stratégie, il existe tou-
jours des risques liés à sa mise en œuvre. La gestion des risques permet d’assurer la
tenue des objectifs du projet en anticipant les événements susceptibles de se pro-
duire au cours de la réalisation de la stratégie. Il s’agit donc d’améliorer la capacité
d’anticipation des difficultés de mise en œuvre. Cette analyse permet également de
faciliter la prise de décision concernant le choix entre deux stratégies possibles pré-
sentant des niveaux de risques différents. Enfin, elle permet, au cours de la mise en
œuvre, d’éviter d’être surpris et de prendre les actions correctrices prévues si les
risques anticipés se produisent.
La gestion des risques s’articule en trois étapes distinctes :
1.  Identification des risques : inventaire de tous les risques potentiels qui sont sus-
ceptibles d’affecter le « bon déroulement » de la stratégie.
2.  Évaluation de l’impact possible de chacun des risques sur les principaux objectifs
de la stratégie : définition pour chaque risque d’un niveau de gravité, de probabi-
lité et de « criticité ».
3.  Détermination d’un plan d’action : création d’un plan de surveillance des risques
et choix, puis planification des actions et des modes de traitement des risques.

1 L’identification des risques


L’identification des risques débute lors de l’analyse des différentes options straté-
giques possibles pour l’entreprise. Il s’agit, lors de cette étape de la construction de
la stratégie, de déterminer les risques majeurs des différentes options possibles. À ce
titre, les premières analyses de risque effectuées, bien que grossières, sont un des
facteurs que l’entreprise utilise pour hiérarchiser les différentes options envisagées
par cette dernière. Une fois la stratégie arrêtée, un examen approfondi des risques
est réalisée. Il s’agit, tout d’abord d’identifier les points critiques de la mise en
œuvre de la stratégie : éléments critiques sur le plan financier, éléments nouveaux
(équipements, développement d’offre de produits et/ou de services, nouveaux four-
nisseurs, nouveaux clients,…), éléments critiques de la performance, éléments cri-
tiques de la mise en œuvre de la stratégie (planning, lancement,…).
Une fois que les éléments critiques de la stratégie sont identifiés, il convient d’ana-
lyser tous les risques. Pour ce faire, on s’appuie sur l’expérience des opérationnels,
en se focalisant sur toutes les nouveautés induites par, ou présentes dans, la stratégie
ainsi que sur les points critiques de sa réalisation. Il s’agit essentiellement d’une
démarche empirique où l’entreprise envisage tous les événements susceptibles de se
produire sans s’interroger, à ce stade, sur l’importance de l’influence de ces événe-
ments sur la bonne réalisation de la stratégie. Il s’agit donc d’un « brainstorming »
impliquant des acteurs provenant des différentes fonctions de l’entreprise et

274
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

disposant de l’ensemble des éléments stratégiques en termes d’objectifs, d’options


retenues, de plan de mise en œuvre et de sa traduction sur le plan économique. En
s’aidant de l’analyse des points critiques effectuée préalablement, il est alors pos-
sible d’identifier les risques spécifiques aux différentes actions et aux différentes
options stratégiques ainsi que les risques transversaux à l’ensemble de la stratégie.
Afin d’aider à la réalisation de cette démarche, une liste des principaux risques
possibles peut être utilisée comme guide (voir focus).

c Focus
Risques fréquemment rencontrés par les entreprises
Risques financiers et commerciaux Risques liés aux ressources
–– Spéculation (sur des matières pre- –– Manque de compétences ;
mières, etc.) ; –– destruction de moyens ;
–– pression des actionnaires ; –– manque de potentiel humain ;
–– défaillance commerciale ; –– dysfonctionnement des principaux
–– retournement économique ; processus (systèmes d’information,
–– évolution des coûts des achats, etc. production, services après vente, etc.).

Risques techniques Risques liés au développement


–– Nouveaux fournisseurs ; –– Retards internes ;
–– innovation technique ; –– retard ou défaillance de fournisseurs ;
–– « criticité » de la faisabilité technique ; –– faillite de sous-traitant ;
–– nouveaux processus industriels, etc. –– aléas.

2 L’analyse des risques


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Une fois les risques identifiés, il convient de déterminer leur « criticité » qui est
principalement fonction de leur gravité et de leur probabilité d’occurrence. Il est
essentiel de séparer l’étape d’identification de l’étape d’analyse, faute de quoi,
comme dans tout brainstorming, la recherche d’une rationalisation immédiate peut
rendre difficile l’identification des risques.
L’évaluation de la gravité globale d’un risque s’effectue en deux étapes. L’entre-
prise réalise, tout d’abord, une estimation des conséquences de l’occurrence d’un
risque sur les principaux objectifs et mesures de performance de la stratégie (délai,
coûts, investissement,…). Puis, elle procède à une évaluation globale, fonction de la
pondération affectée à chacun des objectifs stratégiques (voir figure 14.1).
L’entreprise s’efforce ensuite de déterminer la probabilité de réalisation d’un risque
sachant que, par nature, un risque a une probabilité d’occurrence relativement faible.

275
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

À défaut de respecter cette règle, un événement prévisible n’est plus un risque mais une
donnée qui doit être, d’une manière ou d’une autre, réintégrée dans les raisonnements et
analyses qui ont conduit à l’élaboration de la stratégie. On considère généralement que
si un risque a une probabilité d’occurrence de plus de 30 à 40 %, il ne s’agit plus d’un
risque mais d’un fait qui doit être pris en compte dans la stratégie de l’entreprise.

Exemple – L’analyse d’un risque


À titre d’exemple, prenons le cas d’une entreprise qui souhaite développer un produit
nouveau, en partie basé sur l’utilisation d’une pièce spécifique réalisée par l’un de ses
fournisseurs. L’entreprise identifie un risque lié à la capacité de son fournisseur à fournir
les quantités nécessaires de cette pièce. L’impact d’une défaillance de ce fournisseur aura
un impact élevé sur les recettes futures puisque n’étant pas livrée en quantité suffisante,
elle ne pourra elle-même livrer ses propres clients. Les coûts et les performances tech-
niques du projet sont eux-mêmes indirectement affectés, dans la mesure où l’entreprise
devra avoir recours à des solutions alternatives auprès d’autres fournisseurs dont les
produits impliquent des coûts plus élevés et des performances techniques différentes.
Enfin, le délai de réalisation sera lui-même retardé de par la défaillance du fournisseur
initial. L’ensemble donne une note de gravité de 2 soit un risque dont les conséquences
peuvent affecter la performance du projet dans son ensemble (voir figure 14.1).
Parallèlement, l’entreprise a établi des relations privilégiées avec ce fournisseur, elle
connaît ainsi sa capacité à respecter ses engagements en termes de quantité, de coût et de
délais. Elle a également pu auditer sa capacité à développer la pièce en question. Elle
estime donc que la probabilité d’occurrence du risque est de 10 %.
Ces deux estimations de la gravité et de la probabilité d’occurrence nous permettent de
positionner ce risque sur la matrice de criticité des risques présentée dans la figure 14.1.
Il s’agit d’un risque de rang 2, soit un risque important qui remet en cause des solutions
fondamentales. Ce niveau de criticité va contraindre l’entreprise à mettre en œuvre rapi-
dement des actions correctrices permettant de réduire soit la gravité, soit la probabilité
d’occurrence du risque.
Afin de réduire la probabilité d’occurrence du risque, l’entreprise peut nouer des contacts
avec d’autres fournisseurs susceptibles de lui assurer un approvisionnement régulier. Afin
de réduire la gravité du risque, l’entreprise peut redéfinir ses choix techniques afin d’être
moins dépendante de la pièce réalisée par le fournisseur.

La gravité et la probabilité de réalisation de chaque risque sont déterminées par


simulation, analyse, expérience, calculs, essais ou extrapolation. Il ne s’agit en
aucun cas d’une science exacte mais de la construction d’un ensemble d’approxima-
tions qui, par comparaison, permettent de déterminer quels sont les risques les plus
critiques. Pour des risques dont la gravité est importante, l’entreprise peut éventuel-
lement recourir aux services d’un actuaire qui est susceptible pour certaines classes
de risque d’ordre financier, technologique ou climatique de donner une estimation
chiffrée de la probabilité d’occurrence d’un risque identifié par l’entreprise.

276
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

Une fois ces deux mesures de gravité et de probabilité établies, il est possible de
placer chaque risque sur une «  matrice de criticité  » du risque. On obtient alors
quatre classes de risque différent :

Critique
Gravité et Probabilité
du risque

Gravité 0 1 2 3 3
Probabilité 2
Délai d’occurence

Gravité
1
Coûts 0 : nulle
1:<5% 0
2 : 5 % < < 20 %
Recettes
3 : > 20 % 0 1 2 3
Performances
techniques Probabilité

Autres : ...

Globale Gravité ou probabilité


0
d’occurrence nulle ou mineure

0- Aucun impact sur la stratégie 1 Problème courant


1- Objectifs stratégiques affectés
« à la marge » Remise en cause des solutions
2- Performance de la stratégie 2
fondamentales
significativement affectée
3- La stratégie est condamnée 3 Inacceptable

Figure 14.1 – Calcul de la criticité d’un risque

1.  Les risques mineurs dont la gravité ou la probabilité d’occurrence est nulle ou
très faible. Ces risques ne sont pas suivis par l’entreprise et aucun plan spécifique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de traitement ou de réduction du risque n’est mis en place.


2.  Les risques courants qui ont une probabilité de réalisation et une gravité faible ou
moyenne. Ces risques font l’objet d’un suivi. L’entreprise définit en amont les
actions correctrices à mettre en œuvre si le risque se réalise.
3.  Les risques importants qui ont une probabilité d’occurrence et une gravité
moyenne à élevée. Ils peuvent conduire l’entreprise à remettre en cause certains
des choix qu’elle a effectués de manière à supprimer le risque ou à réduire sa
gravité par une mise en œuvre différente. À défaut, ils font l’objet d’un plan
d’action et d’un plan de surveillance détaillés.
4.  Les risques inacceptables qui ont une probabilité d’occurrence et une gravité telle
que l’entreprise se doit de modifier sa stratégie ou sa mise en œuvre afin de
réduire leur « criticité » dans son ensemble.

277
  Chapitre 14  ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque

Une fois le degré de « criticité » mesuré, il convient de déterminer, en premier lieu,


les dates clés associées à un risque donné et principalement sa date d’apparition
potentielle, la période de vulnérabilité maximale et sa date de disparition. À titre
d’exemple, considérons une entreprise qui souhaite développer puis lancer un pro-
duit nouveau. L’un des risques qu’elle a identifié est celui associé à l’un de ses
concurrents qui développe un produit comparable et qui prenne l’entreprise de
vitesse en lançant ce dernier avant elle sur le marché. La date d’apparition poten-
tielle du risque correspond à la date de décision de lancement du projet. Auparavant,
il ne s’agissait pas d’un risque puisque l’entreprise n’avait pas d’intention définie.
La date de disparition du risque correspond à la date de lancement par l’entreprise
de son propre produit. Une fois cette date passée, le risque disparaît car l’entreprise
est le premier entrant sur le marché. La période de vulnérabilité maximale corres-
pond aux quelques mois qui précèdent le lancement du produit. Les développements
sont alors trop avancés pour que l’entreprise puisse repositionner son produit par
rapport à celui de son concurrent déjà présent sur le marché. Son concurrent a, quant
à lui, pu prendre l’avantage en tant que premier entrant. Dans cet exemple, le risque
est présent sur l’intégralité du projet. Il est fréquent toutefois que des risques n’af-
fectent un projet ou une stratégie que sur une partie de sa durée de mise en œuvre.
Il est donc important de savoir quels sont les risques présents aux différentes étapes
de mise en œuvre afin de pouvoir les suivre et anticiper leur apparition.
Dans un deuxième temps, l’entreprise détermine quelles actions peuvent être mises
en œuvre pour réduire la criticité du risque. Il existe quatre actions différentes (réduc-
tion de la probabilité d’occurrence ou de la gravité, transfert du risque et absence
d’actions), éventuellement cumulables, parmi lesquelles l’entreprise peut choisir :
• Réduction de la probabilité d’occurrence. L’entreprise peut réduire la probabi-
lité d’occurrence d’un risque en affectant différemment des ressources et des
moyens internes. Elle peut ainsi choisir d’augmenter les moyens affectés à une
activité donnée, voire créer des doublons et réduire ainsi la probabilité d’occur-
rence. À titre d’exemple, si un risque d’ordre technologique a été identifié, l’entre-
prise peut choisir d’investir dans deux technologies différentes et réduire ainsi la
probabilité d’apparition du risque. De même, si l’entreprise perçoit un risque lié à
la capacité de ses fournisseurs de lui livrer en temps et en heure les produits com-
mandés, un audit approfondi des capacités financières, technologiques et indus-
trielles de ses fournisseurs lors de l’appel d’offres lui permet d’identifier celui
parmi ses fournisseurs potentiels qui présente les meilleures garanties de succès.
• Réduction de la gravité. En organisant différemment les moyens et ressources
utilisés dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie ou en modifiant sensible-
ment ses objectifs stratégiques, l’entreprise peut réduire la gravité d’un risque.
À titre d’exemple, si l’entreprise perçoit un risque de retournement de conjonc-
ture, elle peut recourir à de la sous-traitance pour sa production ou ses forces
commerciales. Si une crise économique se réalise effectivement, les conséquences
financières sont alors réduites.

278
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque  ■  Chapitre 14

• Transfert du risque. Il est parfois possible de transférer le risque vers un sous-­


traitant, vers une compagnie d’assurance ou vers une banque. Dans un tel cas,
l’entreprise transfère l’activité porteuse de risque vers un sous-traitant qui, parce
qu’il dispose de compétences et de moyens différents de l’entreprise initiale a, par
là même, un degré de criticité différent associé au même risque. Ainsi, une entre-
prise qui souhaite développer un produit nécessitant une technologie de produc-
tion qu’elle ne connaît pas peut confier la production à un industriel qui la maîtrise
et l’utilise déjà. L’entreprise peut également s’efforcer de couvrir les pertes finan-
cières liées à la réalisation du risque par le paiement d’une prime d’assurance ou
l’achat d’un instrument financier adéquat. À titre d’exemple, tous les risques
financiers liés à des évolutions de taux de change, d’évolution de taux d’intérêts,
d’évolution des cours de matières premières ou de l’énergie peuvent être couverts
par l’achat d’instruments financiers développés par les banques voire les compa-
gnies d’assurance.
• Absence d’action immédiate. L’entreprise choisit de ne mettre en œuvre aucune
action préventive. En revanche, pour des risques de criticité élevée, l’entreprise
s’efforce de suivre l’évolution de la probabilité du risque en identifiant des indica-
teurs précoces et prévoit un repli possible ou une série d’actions correctrices à
mettre en œuvre immédiatement dans le cas où le risque se réalise.
L’analyse de la robustesse et l’analyse des risques associés à une stratégie donnée
facilitent souvent les choix entre différentes options stratégiques et préparent la mise
en œuvre de l’option retenue en anticipant les risques potentiels associés à la straté-
gie choisie. Ces deux analyses permettent également la préparation d’actions de
contingence au cas où les risques anticipés se produiraient.

279
Chapitre
Changement
15 stratégique

OBJECTIFS
 Expliquer le passage de la stratégie à l’action.
 Préciser la variété des changements stratégiques.
 Analyser les conditions favorables ou non au changement.
 Conclure sur le caractère émergent du changement.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   De la stratégie à la mise en œuvre
Sec­­tion 2   Ouverture au changement
Sec­­tion 3   Contextes favorables et opposés au changement
Sec­­tion 4   Diversité du changement
Sec­­tion 5   Une démarche émergente
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

R ien de plus simple a priori que de mettre en œuvre le changement dès lors
qu’une nouvelle stratégie est définie, pourrait-on croire. Pourtant, c’est un
processus qui présente de grandes difficultés et qui est de ce fait un facteur détermi-
nant de succès ou d’échec de la stratégie. Deux types de difficultés sont à anticiper.
D’une part, la traduction de la stratégie en termes opérationnels et d’autre part,
l’acceptation des nouveaux modes de fonctionnement et de nouvelles priorités par
les salariés de l’entreprise. Ces difficultés sont d’autant plus délicates que de mul-
tiples facteurs internes et externes à l’entreprise impactent le lancement des opéra-
tions, leur développement, et le succès. Après avoir présenté les enjeux et les
méthodes d’implication des acteurs et de la mise en place formelle du changement,
c’est la capacité de changement et le déclic du changement qui seront analysés.
Ensuite, la discussion des facteurs favorables au changement et les résistances per-
mettent d’anticiper un certain nombre d’obstacles à surmonter. Enfin, on esquissera
la diversité du changement et on soulignera en conclusion à quel point le change-
ment est le résultat d’une démarche émergente.

Section
1 DE LA STRATéGIE à LA MISE EN ŒUVRE
La vision stratégique qui préside au changement doit être partagée et traduite en
termes opérationnels pour son déploiement. C’est une traduction de l’abstrait au
concret, de l’idée à l’action. La vision stratégique dessine le devenir de l’entreprise
à grands traits, mais le détail opérationnel reste largement à définir. En effet, l’action
qui doit être conduite sur le terrain nécessite une organisation adaptée avec des uni-
tés coordonnées et un système d’information qui assure le suivi. La nouvelle straté-
gie est encore très abstraite pour les acteurs au moment de sa première formulation.
Il est nécessaire parallèlement au déploiement de la nouvelle organisation de mener
des actions de formation qui permettent de faire reconnaître l’intérêt du nouveau
cadre organisationnel et de le mettre en pratique. En outre, lorsque la stratégie est
mise en œuvre par la nouvelle organisation, le cadre organisationnel est mis à
l’épreuve, autant dire que la traduction est testée. Les choix stratégiques se précisent
dans l’action au fur et à mesure de la mise en œuvre. Les pratiques organisation-
nelles se perfectionnent dans une dernière phase d’apprentissage et de stabilisation.
La définition des nouveaux processus, la coordination des unités organisationnelles,
l’encadrement hiérarchique qui assure l’intégration et le contrôle du bon fonction-
nement de l’ensemble grâce à des circuits d’information adaptés ne se programment
que très partiellement. En effet, si cette étape est formellement assurée par le plan
d’action qui définit les étapes et les objectifs intermédiaires, il reste beaucoup de
choix à faire par les acteurs directement impliqués sur le terrain qui seuls pourront

282
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

assurer localement la mise en œuvre à partir de leur compréhension de la nouvelle


stratégie. S’il y a bien traduction en fin de compte, il faut aussi reconnaître que le
processus n’est pas lisse ni continu, c’est un développement plutôt chaotique fait
d’expérimentations et de fréquents réajustements qui génère très progressivement
une nouvelle organisation par apprentissage, et pour laquelle même la stratégie ini-
tiale peut évoluer « à l’épreuve des faits » donnant lieu à une stratégie émergente.
Ce n’est qu’à ce terme qu’il devient possible d’évaluer le succès de la stratégie…
qui n’est pas forcément celle qui avait été à l’origine du processus.

1 Implication des acteurs dans le changement


L’implication des acteurs à tous les niveaux est nécessaire pour que le changement
réussisse. Pour réussir la mise en œuvre de la nouvelle stratégie et permettre
­l’apprentissage des nouvelles routines, seule une implication sérieuse va permettre
la communication, la coordination, et tous les ajustements. Ce n’est pas l’œuvre du
management, c’est le résultat du travail collectif. Les acteurs connaissent leur envi-
ronnement et sont les premiers à constater l’impact de la réorganisation en cours. Ils
sont aussi seuls à décider des informations à faire remonter. C’est pourquoi la com-
munication est essentielle dans le processus de changement. Ensuite ils sont à même
de juger et de développer des réponses à leur échelle adaptées aux situations nou-
velles, en accord avec leurs collaborateurs immédiats. C’est le travail d’ajustement
et de coordination qui se fait ainsi de façon très fluide : l’organisation définitive n’est
pas encore arrêtée, il y a comme un tâtonnement pour trouver les bonnes solutions
sur le plan opérationnel qui est ainsi rendu possible. Progressivement l’organisation
se définit, les routines se stabilisent, les acteurs peuvent formaliser plus avant la
division du travail et les procédures de coordination.
Obtenir l’implication des acteurs est un enjeu crucial pour le changement. Il s’agit
pour le management de communiquer l’objectif stratégique de telle sorte que les
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acteurs le comprennent et l’acceptent. Pour obtenir l’implication, les démarches


varient entre deux pôles : la réflexion collective, ou le leadership charismatique. La
réflexion collective au cours de séminaires stratégiques par exemple permet à
­chacun de s’approprier la nouvelle stratégie en la développant dans un cadre assez
général. De tels séminaires sont souvent animés par des consultants externes à
l’entreprise qui donnent à la fois l’occasion à l’ensemble des participants de réfléchir
aux problèmes posés de façon très libre et de converger ensuite sur des solutions
opérationnelles.
Le défi est de développer une vision du futur sans que les attentes ne soient trop
élevées et ne conduisent à des déconvenues dommageables pour la stratégie elle-
même. Le leadership charismatique est d’une tout autre nature  ; il repose sur le
rapport que le dirigeant crée avec son équipe et transmet à l’entreprise. Le charisme
c’est la qualité d’une personnalité qui fait qu’on la considère comme extraordinaire.

283
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

Les membres de l’entreprise traiteront leur dirigeant comme disposant de pouvoirs


ou de qualités exceptionnelles. Le charisme peut opérer une réorientation subjective
et aboutir à une transformation radicale des attitudes et des conduites envers les
problèmes de l’entreprise et de son environnement. Suivant les entreprises et leurs
dirigeants, l’implication est obtenue par une combinaison du travail de réflexion des
acteurs et du travail de direction par un leader charismatique.

Exemple – Implication dans la qualité totale


L’adoption d’une politique de Qualité Totale « TQM » (Total Quality Management) est un
choix stratégique car, bien qu’il soit largement tourné sur l’organisation elle-même, il
engage le long terme et des ressources significatives, et il a un impact significatif sur la
performance. L’implication des salariés dans ce type de processus est obtenue par un
ensemble de méthodes classiques, utilisées avec beaucoup de cohérence. Lors du recrute-
ment un soin important est apporté à la sélection des candidats, avec des tests et des entre-
tiens. Quelle que soit la sélectivité, cette attention à chaque candidature valorise les indivi-
dus qui sont recrutés. Une fois recrutés, l’accueil permet de communiquer la mission de
l’entreprise et le rôle que les nouvelles recrues sont amenées à y jouer. Les activités de
chacun deviennent vraiment sa responsabilité, dont il doit s’acquitter pour que la mission
soit respectée. Chacun est formé et est initié au travail en petite équipe. Chacun a aussi la
responsabilité du travail en équipe, à tel point que si l’un des salariés est absent, il n’est pas
remplacé : les membres de l’équipe amputée doivent assurer le même travail. Cet arrange-
ment a plusieurs conséquences ; d’une part le groupe restant sera fier d’avoir réussi à faire
le travail en remplaçant à plusieurs l’absent, et d’autre part l’absent sera dûment entendu
pour comprendre cette absence. Le contrôle est mutuel. Le flux de travail arrivant à l’équipe
est toujours contrôlé d’abord pour vérifier sa conformité, et repérer les insuffisances éven-
tuelles. Dans ce dernier cas, le flux de travail entier est interrompu, et la non-qualité est
étudiée et éliminée de façon définitive. La routine du travail est surmontée par la possibilité
pour chacun de proposer des idées d’amélioration des processus. Chaque suggestion donne
lieu à la formation d’un groupe de travail comprenant tous les acteurs touchés par celle-ci
afin d’étudier et de réaliser la mise en œuvre de l’idée. Encore une fois l’effet sur l’impli-
cation individuelle est très fort, puisque la mise en œuvre de la suggestion reconnaît
­l’apport, et le valorise créant un effet d’émulation parmi tous les acteurs de la chaîne.
À chaque étape, le mécanisme organisationnel favorise l’implication.

2 Mise en place formelle de la structure organisationnelle

Les principaux choix opérationnels résultant de la stratégie sont faits en amont lors de
l’annonce de la nouvelle stratégie. Qu’il s’agisse de l’internalisation ou non de certaines
activités, de l’adoption d’une nouvelle technologie, ou de l’abandon d’une ligne de pro-
duits, les grandes lignes sont tracées sur la base d’une réflexion stratégique globale qui
précède la mise en œuvre. C’est le cadre général qui va servir par la suite lors de la
définition du cadre organisationnel détaillé qui va porter la nouvelle stratégie.

284
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

Sans nécessairement imposer a priori une organisation finalisée, il est nécessaire


à ce stade de prendre deux facteurs en compte. D’une part, le cadre organisationnel
a priori est semblable à une expérimentation organisationnelle. Elle permet de véri-
fier si « ça peut marcher », et particulièrement de constater ce qu’il faudra encore
modifier. D’autre part, le changement doit se faire dans la continuité. L’organisation
doit continuer à fonctionner pendant sa réorganisation. Les membres du manage-
ment engagés dans la transformation ne peuvent pas toujours être libérés de leurs
autres responsabilités. Ils ne peuvent pas non plus être «  doublés  » très aisément
dans la mesure où c’est eux qui connaissent le mieux l’organisation et que c’est eux
qui savent comment la faire évoluer dans la direction voulue. C’est un défi sur le
plan humain qu’il est nécessaire d’accompagner tant sur le plan matériel que sur
le plan moral par une présence de la direction sur le terrain.
Sur le plan de la structure organisationnelle proprement dite, les choix stratégiques
sont définis par des principes simples. Dans sa dimension verticale, les priorités de
l’entreprise se trouveront au premier niveau placées directement sous la responsabilité
du dirigeant  : la recherche pour une entreprise pharmaceutique innovante comme
Sanofi qui aura par ailleurs une organisation par pays pour ses produits soumis à une
stricte législation, la fabrication et la logistique pour une entreprise du secteur techno-
logique très décentralisée comme Airbus. Au second niveau, on place les activités qui
viennent en support aux premières. Les choix deviennent plus difficiles lorsque des
activités importantes, coûteuses, ou utilisant des ressources rares de l’organisation sont
à mettre en œuvre en parallèle dans plusieurs divisions. Ici, la dimension horizontale
de l’organisation doit permettre soit de mettre en commun ces ressources et résoudre
un éventuel problème de coordination, soit de les dupliquer ce qui peut entraîner un
problème d’apprentissage et des coûts supplémentaires.

2
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Section
ouverture au changement

1 Capacité de changement
Toute organisation, pour assurer son bon fonctionnement, développe des routines,
des procédures, des structures et des systèmes d’information qui prennent en compte
l’information utile, qui l’intègrent à la fois pour assurer la veille dans l’environne-
ment et pour piloter le système de production propre à l’organisation. Le dévelop-
pement des routines et des pratiques habituelles, tant pour l’action que pour l’analyse
et le contrôle rend l’organisation existante invisible. Elle constitue un prisme au
travers lequel le monde environnant, les ressources, les marchés, les concurrents, les
réglementations, etc. sont perçus.

285
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

Une fois l’organisation en place, celle-ci conduit les acteurs à avoir une vision
sélective de la situation  : les fins, les moyens, les risques et les opportunités sont
définis d’avance. Ils suscitent une tendance à reproduire l’existant et à rester aveugle
à des évolutions de l’environnement parce qu’elles tombent en dehors du prisme des
choses concevables.

Exemple – Le paradoxe du SWOT


Une méthode favorite des aspirants stratèges, le SWOT est très illustratif de la vision
sélective. Les forces (Strengths), les faiblesses (Weaknesses), les opportunités
(Opportunities) et les menaces (Threats) ne sont définies que par rapport à une stratégie.
Prenons l’exemple d’une entreprise qui a le talent de concevoir des voitures de sport,
mais ce constructeur a pour stratégie de faire du volume et de développer le marché des
voitures utilitaires. De deux choses l’une, soit elle doit changer de stratégie, soit cette
« force » n’en est pas une. À part le simplisme excessif de cette approche qui ignore la
dynamique de la situation dans laquelle se trouve l’entreprise, un autre problème est
posé : le SWOT encourage le maintien de la stratégie existante implicite, en y apportant
tout au plus des améliorations incrémentales. Bien peu d’aspirants stratèges le com-
prennent, et ils se trouvent donc largement enfermés dans une compréhension a priori du
monde.

La capacité de changement s’en trouve très significativement limitée du fait de la


vision très sélective sur l’environnement et du fait des organes de gouvernance qui
trop souvent ont une attitude très réservée vis-à-vis de « l’aventure » que représen-
terait une stratégie réellement nouvelle. Cette situation justifie parfois des change-
ments de dirigeants ou l’appel à un accompagnement externe afin d’apporter des
perspectives nouvelles sur l’activité de l’entreprise.

2 Le déclic du changement
Le déclic initial d’un changement sera l’œuvre d’un dirigeant visionnaire ou le
résultat d’une crise. Le travail de veille qui consiste à assurer une collecte d’infor-
mation sans questionnement sérieux court le risque de ne pas repérer menaces et
opportunités. Il est imprégné de la culture (pratiques du secteur et de la profession)
et de la stratégie de l’entreprise. Maints changements viennent de l’extérieur et ne
peuvent être vus que par un regard extérieur libre d’a priori. De plus, le dirigeant
visionnaire doit, outre la reconnaissance de la nécessité d’une nouvelle stratégie,
convaincre les membres du conseil d’administration. Tant qu’il suit un parcours sage
dans le prolongement de l’existant, avec une prise en compte des tendances de
l’environnement, son action sera appréciée par la gouvernance qui aura l’impression
de mériter la confiance des propriétaires. Mais ce sera une stratégie de suiveur sans
réel renouvellement. Si le secteur d’activité connaît des difficultés, l’entreprise

286
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

risque fort de souffrir, à cause de sa stratégie conservatrice. Dans certains cas, la


contre-performance ou l’échec peuvent signaler un besoin de remise en cause.

Exemple – La gestion de la crise du 11 septembre 2001 par Rudy Giuliani


La crise déclenchée par l’acte de terrorisme du 11 septembre 2001 a laissé la population
newyorkaise totalement déboussolée. Les transports, les communications, les services
d’urgence, la police, plus rien ne fonctionnait. Le sentiment d’égarement et de fin du
monde était partout. Dans cette ville sous l’emprise du chaos, un homme a su rapidement
reprendre le contrôle de la situation, le maire de New York, Rudy Giuliani. Il a montré
du sang-froid, fait l’état des lieux, donné des ordres pour la coordination des premiers
efforts entre les services, communiqué aux habitants de la ville pour les informer et pour
les rassurer. Il s’est montré sur place, proche des habitants, visitant les blessés, encoura-
geant les pompiers, demandant l’intervention des forces armées pour assister aux opéra-
tions de sauvetage. Son leadership a permis de constituer une organisation improvisée
efficace dans ce contexte de panique générale. À part la force de caractère dont Giuliani
a fait preuve, il faut souligner qu’il était convaincu qu’un tel drame pouvait se produire
et il avait procédé à des simulations : une préparation est utile voire nécessaire, même si
la crise se développe généralement de façon imprévue.

Toute forme de crise, anticipée ou réelle, permet d’entamer un changement plus


radical, fréquemment sous la direction d’un nouveau dirigeant qui apporte un œil neuf
sur la situation et qui aura la confiance de la gouvernance. La crise a donc la vertu de
permettre la remise en cause des pratiques et des évidences auprès de l’ensemble des
acteurs. Le management du changement peut mettre à profit cette situation en faisant
reconnaître la crise imminente et en proposant une nouvelle orientation stratégique.
Les acteurs inquiets face à la crise seront bien plus disposés à adopter la nouvelle
perspective qu’ils ne l’étaient auparavant dans le confort de la routine.
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Section
3 contextes favorables
et opposés au changement

1 Facteurs favorables au changement


Dans un certain nombre de circonstances, le changement n’est pas une réaction dans
l’urgence à une situation de crise, mais une volonté délibérée. Il est utile d’en donner
un aperçu car certains changements, même voulus, peuvent engager des évolutions
négatives. Dans une première partie, les changements voulus et porteurs d’avenir
seront évoqués. Les situations plus problématiques suivront dans une deuxième partie.

287
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

Le changement de dirigeant engendre presque toujours un changement de straté-


gie. Le nouveau dirigeant apporte une autre vision du devenir de l’entreprise et c’est
a priori un événement souhaitable et mobilisateur. Le changement sera perçu
comme un défi et, mis en œuvre de façon pertinente, il permettra de susciter l’adhé-
sion du plus grand nombre.

Exemple – L’avènement d’Orange


Lorsqu’en 2006, l’opérateur France Télécom a intégré les possibilités du téléphone fixe,
de l’Internet et du haut débit, il a marqué sa transformation par le choix d’une marque
unique Orange qui était celle de la téléphonie mobile auparavant présente dans 14 pays.
La marque simple et moderniste étend naturellement le marché à l’international pour
l’internet et le multiplay ainsi que pour les services aux entreprises. La communication
externe a été déployée progressivement sur les 14 pays pendant deux mois, et en interne,
une forte mobilisation a été obtenue par des sessions d’information et des réunions dans
2 000 sites qui accompagnaient une intégration formelle.

Dans d’autres cas, l’échec d’une stratégie peut pousser le dirigeant en place à un
aggiornamento. Plusieurs cas célèbres illustrent de tels retournements  : BMW
abandonnant sa stratégie de constructeur généraliste en revendant Rover et en
s’engageant délibérément dans une stratégie de luxe. Il faut noter que ce retourne-
ment a été grandement facilité par le contrôle du capital par un noyau familial
d’actionnaires très ramassé, la famille Quandt, qui prenait la responsabilité du
changement. Danone qui était fortement engagé dans le verre plat et qui fait volte-
face sous la houlette d’Antoine Riboud, pour devenir un grand groupe alimen-
taire  : la crise pétrolière et la difficulté d’acquérir une masse critique ayant
déclenché cette mutation profonde. Honda qui, au début des années soixante, veut
entrer sur le marché américain de la moto sans autre stratégie que de vendre des
motos en concurrence avec les constructeurs en place. Après quelques difficultés
initiales, le constructeur finit par découvrir le marché des petites cylindrées ignoré
jusque-là. Populaires au Japon, ces petites motos vont de façon totalement inatten-
due faire fureur sur le marché californien et permettre à l’entreprise de prendre
pied dans ce marché. La découverte de cette stratégie des petites cylindrées est
due, d’une part, à l’échec initial des motos plus grosses prévues pour ce marché
et, d’autre part, à l’écoute de la direction de l’entreprise qui accepte de donner
suite à l’étrange idée de l’équipe sur le terrain de vendre des petites cylindrées aux
états-Unis. Les trois cas illustrent plusieurs choses : les décideurs ont eu la capa-
cité de remettre en cause leur vision stratégique, le conseil d’administration et
autres organes de gouvernance se sont laissés convaincre et l’organisation de
l’entreprise a été révolutionnée. Le risque pris est considérable révélant la forte
volonté du dirigeant et la confiance des conseils qui ont maintenu et suivi le diri-
geant en place.

288
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

Des situations plus problématiques peuvent freiner le changement. En principe, le


dirigeant est suivi par un conseil d’administration auquel il soumet son projet stra-
tégique. Ce dernier devrait être sérieusement discuté avant accord du conseil. Or, le
dirigeant dispose d’une information privilégiée concernant son entreprise et de son
environnement dont les autres membres du conseil n’ont pas le bénéfice. De plus, le
dirigeant est souvent nommé par ses pairs et fait partie d’un milieu très exclusif.
Enfin, le dirigeant est souvent président du conseil lui-même, ce qui fait que ses
choix et ses propositions sont difficiles à contester. Comme il siège dans d’autres
conseils d’administration, une entente tacite peut se développer, permettant à chacun
de maintenir sa position et lui laissant les coudées franches.

Exemple – Des dirigeants tenaces


Michael Eisner a pu ainsi se maintenir très longtemps à la tête de Disney, même lorsque
les résultats de l’entreprise étaient catastrophiques. Il avait profité de sa première phase
de succès pour installer au conseil d’administration salariés et consultants qui dépen-
daient largement de lui. La situation de Jean-Marie Messier à la tête de l’ancienne
Générale des Eaux après un parcours dans la fonction publique à l’inspection des
finances, puis à la banque Lazard, pour enfin être recruté à la « Générale », un conglo-
mérat très diversifié comprenant des activités très rentables dans les secteurs de l’eau et
de la propreté illustre ce même phénomène. Après un recentrage, Jean-Marie Messier,
PDG du groupe nouvellement nommé Vivendi s’est lancé dans la téléphonie avec SFR,
et dans la production et la distribution cinématographique avec le rachat d’Universal. La
stratégie tous azimuts et l’endettement colossal de l’entreprise n’ont pas suffi pour obte-
nir l’éviction du dirigeant par le conseil d’administration. De très vigoureux efforts ont
dû être faits par certains membres du conseil d’administration pour qu’on lâche finale-
ment J.-M. Messier et que l’on réoriente la stratégie.

2 Résistance au changement
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Un certain nombre de facteurs s’opposent au changement. Tout d’abord du point


de vue stratégique, le changement constitue une décision de rupture qui comporte
un risque évident. Les décideurs peuvent être tentés d’éviter l’aventure, mais cette
aversion est souvent surcompensée par une direction stratégique qui est disposée à
engager une nouvelle politique pour des raisons matérielles ou politiques. Au niveau
de la direction stratégique on est donc plutôt enclin à entamer un changement stra-
tégique. Cet enthousiasme des dirigeants conduit parfois à des opérations impro­
visées avec des résultats très aléatoires. Au contraire, un changement se prépare et
se conduit de façon très soigneuse faute de quoi le risque d’échec est grand.
Du point de vue des acteurs, salariés, de l’entreprise la situation est différente. Le
changement remet en cause leur fonctionnement et leur rôle au sein de l’entreprise.
Comme, de plus, ils ne maîtrisent absolument pas les tenants et les aboutissants du

289
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

changement engagé, ils se trouvent dans une situation de dépendance totale par
rapport à leur direction et des éventuels consultants en charge de la mise en œuvre.
Confrontés à cette situation, ils vont tout faire pour décrédibiliser le projet, pour
maintenir leur situation au besoin en déformant ou en taisant des informations cri-
tiques pour l’opération de changement. Dans cet environnement, même s’il est dif-
ficile pour les collaborateurs de se désolidariser, il y a quand même des acteurs qui
seront plus ouverts. Ils constitueront une ressource importante pour surmonter la
résistance au changement, étant à la fois avocats et acteurs du changement au sein
des différentes unités organisationnelles.
Enfin, l’organisation en place constitue un obstacle : elle est conçue pour résister
aux… changements ! Face à l’incertitude de l’environnement, il est nécessaire de
créer une enveloppe organisationnelle robuste pour que les différentes activités de
l’entreprise puissent se dérouler dans les meilleures conditions avec les ressources,
les expertises et les contrôles nécessaires. Le changement se fait comme une mue,
avec une phase de transition délicate où l’organisation quitte sa coquille protectrice
pour s’en faire une autre, autour d’activités qui auront elles-mêmes changé dans un
environnement qui évolue  ! Dans cet environnement incertain, tant interne
­qu’externe, les règles, la hiérarchie, les unités, les pratiques permettent à l’organisa-
tion de fonctionner temporairement sans visibilité. L’ancienne organisation résiste
au changement parce qu’elle est perçue comme normale, légitime, et rassurante.
Pour changer, il faut réviser la structure, les processus et les circuits d’information
et y exprimer la nouvelle stratégie. Il faut se diriger et prendre des décisions alors
que justement l’environnement stratégique n’est pas encore bien défini et que les
acteurs de l’entreprise cherchent de façon souvent imprévisible et parfois opportu-
niste à retirer leur épingle du jeu. La phase de transition est caractérisée par le deve-
nir, se détachant du passé mais sans encore connaître le futur. La vision stratégique
est le premier ingrédient nécessaire lors d’un tel changement.

Section
4 Diversité du changement
Le changement est presque consubstantiel à la stratégie, tout particulièrement dans
un monde qui évolue rapidement, des marchés qui s’ouvrent, des technologies nou-
velles qui sont développées et une concurrence mondialisée. L’entreprise doit
s’adapter sans cesse à un environnement nouveau et y définir à partir des moyens
dont elle dispose, une stratégie qui lui permette au moins de survivre mais surtout
de se développer dans l’intérêt de toutes ses parties prenantes. La variété des situa-
tions de changement est appréhendée tout d’abord en distinguant le changement
voulu du changement subi. Le changement voulu comprend la croissance et l’inno-
vation. Le changement subi c’est celui causé par les situations de crise, notamment

290
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

les opérations de recentrage et les acquisitions hostiles. Le management du change-


ment dans les deux circonstances reste le même dans ses principes et il ne varie que
sur certains points qui seront évoqués ci-dessous.

1 Le changement voulu

Le changement voulu en situation de croissance correspond aussi bien à la


volonté des actionnaires qu’à l’intérêt des salariés. La croissance crée des oppor-
tunités de développement intéressantes pour chacun et diminue tendanciellement
les causes de conflit à l’intérieur de l’entreprise. Mais il n’est pas forcément
simple d’assurer une croissance sans remettre en cause par moments la perfor-
mance courante. Dans un premier temps, tant que le potentiel initial n’est pas
épuisé, il peut y avoir à la fois rentabilité et croissance. La seule difficulté à
prendre en compte, c’est que la croissance va rendre l’organisation plus complexe.
Le changement dans ce contexte consiste à repenser l’organisation en prenant en
compte ses nouvelles contraintes tout au long de son évolution. Celle-ci est
influencée par le cycle du secteur  : création, croissance, maturité, et déclin. La
plupart des entreprises ne suivent pas le cycle entier. Certaines entrent dans le
secteur en cours de route, et d’autres disparaissent avant la phase de déclin. Par
exemple, le secteur automobile a connu une croissance forte dans la première
moitié du xxe  siècle, attirant de nouveaux constructeurs dans des marchés en
expansion, pour connaître ensuite une phase de consolidation et une surproduction
au niveau mondial. Le secteur de l’informatique et des composants électroniques
a connu une croissance explosive dans la deuxième moitié du siècle dernier.
Lorsque la croissance du secteur ralentit, plusieurs voies s’ouvrent à l’entreprise :
la concurrence, les nouveaux marchés, et les acquisitions. Toutes ces voies sont
possibles mais offrent des opportunités parfois coûteuses et en tout cas limitées.
Et si le secteur est en décroissance, l’entreprise doit trouver de nouvelles activités
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

car il devient plus difficile de maintenir un bon niveau de croissance dans un sec-
teur en recul. L’acquisition n’est pas non plus la panacée : l’entreprise peut entrer
dans de nouveaux secteurs, augmenter son chiffre d’affaires et son profit, mais la
situation en termes de création de valeur et de rentabilité est moins évidente. Pour
intégrer l’acquisition, et réaliser une croissance supérieure à la moyenne, le défi
est grand ; la stratégie du groupe et la mise en œuvre organisationnelle doivent être
conduites avec le plus grand soin à chaque étape : vision stratégique – traduction –
mise en œuvre.
L’alternative est d’innover. Mettre en place une organisation pour générer des
idées nouvelles est simple. Réunir des individus de talent, leur donner des res-
sources, du temps et des indications assez ouvertes sur l’objectif, les laisser commu-
niquer avec des collègues, mettre en place un système d’incitation adapté à la culture
des innovateurs, et le tour est joué. La difficulté est de transformer les bonnes idées

291
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

en « business ». Le problème a été posé par James G. March1 (1991) qui a distingué
l’activité d’exploration de l’activité d’exploitation. L’intégration des deux au sein
d’une même entreprise est particulièrement ardue.
L’incompatibilité entre exploration et exploitation est relativement simple  à
c­omprendre : l’entreprise qui innove développe une structure et une culture efficaces
pour l’innovation comme on vient de la décrire. Mais le cadre nécessaire à l’explo-
ration est « mou » : ressources, délai, et même objet ne sont pas prévisibles de façon
précise. L’activité d’exploitation s’en trouve désorganisée car elle fonctionne avec
un cadre « ferme » : budget, échéances, produit. Cette désorganisation génère des
tensions importantes qu’il est difficile de surmonter. Peu d’organisations y réus-
sissent  : 3M est un exemple historique datant des années soixante. Elle a mis au
point un système organisationnel particulier. Il s’agit de développer des projets
« fous », en rupture avec les habitudes, de prendre des risques, d’accepter les échecs
(en reconnaissant au passage leurs mérites), et d’y consacrer des ressources de façon
assez libre. 15  % du temps des salariés pouvait être consacré à travailler sur des
sujets librement choisis.

Exemple – Terra Nova : de l’invention à l’industrialisation


Terra Nova est une entreprise qui a développé une technologie pour la production de
métaux purs (du cuivre à l’or et au palladium), à partir de déchets électroniques. Le pro-
cessus entier peut être conduit en vase clos sans déchet ultime : l’énergie nécessaire au
processus de raffinage est contenue dans la résine qui compose les circuits imprimés.
Forte de cette prouesse technologique, la société a levé les 10  millions d’euros néces-
saires à la première phase du projet à l’échelle industrielle permettant d’éliminer fer,
aluminium, résine et fibre de verre. Bien que le projet fût élégant et profitable, les diffi-
cultés se sont ensuite accumulées : problèmes techniques lors de la mise en place, retards
sur l’agenda, difficultés d’approvisionnement et coût de la matière première en hausse,
faible engouement des métallurgistes pour le produit semi-traité. Ne disposant plus de
l’appui des investisseurs, l’entreprise a dû déposer le bilan et a été rachetée par un groupe
américain. Terra Nova ne disposait pas de l’infrastructure d’une organisation de produc-
tion. Une entreprise du secteur aurait disposé des moyens et de la crédibilité pour mener
à bien le projet. Terra Nova n’a pas pu franchir le seuil de l’invention à l’industrialisation.

Chez 3M, plusieurs groupes se sont formés sans trop de coordination, mais avec la
liberté de beaucoup échanger. Plusieurs approches d’un même problème suscitaient
une concurrence, des débats et des avancées par fertilisation croisée. Même lorsqu’un
projet avait officiellement été abandonné, ceux qui avaient quand même persévéré
avaient toute l’estime de la direction. Google pratique aujourd’hui la même démarche.

1.  J.G. March, « Exploration and Exploitation in Organizational Learning », Organization Science, vol. 2, n° 1,
1991, pp. 71-87.

292
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

Elle encourage les innovations dans un environnement très libre avec un jour par
semaine consacré à des projets prometteurs. La promesse doit toutefois pouvoir se
réaliser dans un cadre donné par la direction pour focaliser les projets. Les développe-
ments du type Google Glass et les voitures sans chauffeur sont considérés rétrospecti-
vement comme des errements sans rapport avec le cœur du métier. La mise en œuvre
d’autres innovations comme Gmail est bien plus en ligne avec la volonté de dévelop-
pement de services. Ces innovations peuvent être mises en production par l’entreprise
parce qu’elles profitent d’un effet de levier énorme typique du secteur des technologies
de l’information. Le coût du développement et de la mise en œuvre est faible par rap-
port à celui du déploiement pour un impact très élevé.

2 Le changement subi

Le changement subi correspond souvent à une situation de crise. Le changement qui


s’impose est à la fois urgent et profond. Le dirigeant, la stratégie, l’organisation et dans
certains cas l’activité changent pratiquement simultanément. L’alarme des salariés est
grande qui craignent de perdre leur emploi et qui n’ont pas de visibilité sur l’avenir.
Heureusement, une certaine malléabilité du tissu organisationnel, liée à la situation de
crise, favorise la mise en place d’une organisation nouvelle. Cette mise en place doit
être conduite de façon résolue, attribuant à chacun sa place et ses nouvelles responsa-
bilités pour couper court aux rumeurs et aux crispations qui se font souvent jour dans
ce contexte. Du point de vue du dirigeant qui prend la direction des opérations,
­l’urgence est particulièrement sensible. Il doit préciser au mieux l’orientation straté-
gique, définir l’organisation correspondante, identifier les acteurs et leur attribuer leurs
nouvelles responsabilités, communiquer clairement ses intentions, conduire les entre-
tiens, et désigner les responsables tout en maintenant les opérations courantes.
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Exemple – Redressement de l’industrie horlogère suisse


L’industrie horlogère suisse a subi de plein fouet le développement d’une technologie
nouvelle avec la puce électronique. Le secteur souffrait de pertes considérables. D’une
part de marché mondiale de 80  %, la production suisse était tombée à 40  % dans les
années soixante-dix, et l’électronique semblait sonner le glas de l’industrie. Un consor-
tium de banques cherchait à vendre aux Japonais les deux dernières grandes entreprises
horlogères, ASUAG et SSIH, qui étaient au bord de la faillite, elles-mêmes fruit d’un
certain nombre de rachats et fusions antérieurs. Nicholas Hayek, consultant pour les
banques recommanda au contraire une nouvelle fusion des deux entreprises et prit le
contrôle du groupe ainsi créé en achetant un paquet d’actions important. Il a ensuite su
opérer un redressement inespéré en s’appuyant d’une part sur le nouveau concept de
montre développé par Ernst Thomke, la Swatch, et d’autre part sur le redéploiement des
marques de luxe de Tissot à Bréguet, dont il doubla audacieusement le prix en mettant en
avant le label « Made in Switzerland » .

293
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

Le défi est grand ! Si le dirigeant veut tirer parti de l’atmosphère d’incertitude qui
règne, il doit avant tout se préoccuper d’avoir la confiance des salariés faute de quoi
son action sera mal comprise voire contestée. S’il n’y a pas de confiance tirée
d’expériences communes antérieures entre les salariés et le dirigeant, celle-ci doit
être suscitée dans toute la mesure du possible. Pour un dirigeant venant de l’exté-
rieur, sa présence sur le terrain, sa compétence technique, et sa communication
clairement suivie d’actions correspondantes peuvent établir une bonne crédibilité et
par là, le crédit de confiance nécessaire pour conduire le changement dans le
contexte de la crise.
D’autres changements subis sont liés à des modifications de la réglementation.
L’impact peut être plus lent mais non moins important. La déréglementation dans le
secteur du transport aérien a causé des transformations considérables dans l’environ-
nement concurrentiel. Aux États-Unis comme en Europe, cette déréglementation a
entraîné d’amples mouvements stratégiques de consolidation et l’émergence de
nombreuses compagnies nouvelles. En Europe, la déréglementation est achevée
depuis 1997. Chaque compagnie aérienne peut proposer des vols sur les destinations
de son choix au sein de l’Union européenne, à des prix résultant du jeu des forces
concurrentielles de marché. Trois phénomènes en ont résulté :
1.  Les compagnies traditionnelles ont privilégié les vols avec correspondance en
créant des « hubs ».
2.  Elles ont aussi formé des alliances pour constituer un réseau mondial.
3.  Des compagnies à bas coûts (les « low-cost ») se sont développées.
La mise en place de l’organisation pour tirer le meilleur parti des hubs, pour
assurer une qualité de service élevée et rester compétitifs face aux «  low-cost  »
s’est avérée extrêmement difficile. La nature décentralisée de l’organisation mon-
diale en réseau, la nécessité d’assurer la réorganisation en maintenant la continuité
du service et l’existence de structures bureaucratiques résistantes au changement
furent autant d’entraves à une réorganisation stratégique. Pratiquement vingt ans
après la libéralisation du transport aérien les ajustements stratégiques sont encore
en cours. Les tentatives de faire coexister le transport aérien traditionnel avec un
transporteur « low-cost » posent problème. La coexistence de deux modèles éco-
nomiques dans la même organisation engendre une complexité et des coûts élevés.
Elle a pourtant souvent été tentée avec des succès mitigés. Les compagnies « low-
costs  » indépendantes ont quant à elles réussi à s’imposer comme des acteurs
incontournables du secteur du transport. Le changement subi dans le cas de la
déréglementation et s’appliquant à de grandes entreprises est plus lent et plus dif-
ficile que celui des cas de crise. La taille de l’entreprise, son rôle souvent straté-
gique du point de vue national, lui permet de réagir plus lentement mais sans
nécessairement gagner en efficacité.

294
Changement stratégique  ■  Chapitre 15

Section
5 une démarche émergente
Le développement d’un équilibre toujours en devenir pendant la mise en œuvre
d’un changement stratégique est complexe. Entre la stratégie initiale, le déploiement
de la structure organisationnelle et l’implication des acteurs, l’ajustement est
continu, créant un contexte mouvant. En fonction de la stratégie, de l’urgence, des
forces qui l’opposent et des autres qui la portent, la tâche du dirigeant est délicate
justement parce qu’il ne maîtrise pas tout. Il a choisi la stratégie, il détermine une
structure organisationnelle, mais ayant lancé le changement il s’arrête et regarde.
Tout se passe comme dans une expérimentation, il observe les points de tension, les
progrès, il reçoit les avis des acteurs engagés dans le processus et il se fait une image
de la situation. Il exerce alors son pouvoir en concentrant les efforts sur les points
névralgiques, apportant de nouvelles ressources pour surmonter une difficulté, relan-
çant les efforts sur les développements qui faiblissent, modifiant certains aspects
problématiques de l’organisation.
Quel que soit son style de management, le dirigeant doit être à l’écoute du chan-
gement. Il le façonnera progressivement plutôt par petites touches que par une action
d’envergure. Qu’il soit plutôt autoritaire et distant ou impliqué et proche de son
équipe, il doit trouver les moyens de communiquer, d’expliquer et de convaincre. Il
doit aussi savoir s’engager, prendre ses responsabilités plutôt que de les faire porter
par d’autres.
Un dirigeant est toujours pris entre le besoin de déléguer une partie de ses tâches,
lui permettant de se concentrer sur les problèmes à plus longue échéance, et la
volonté de conserver la maîtrise des opérations. À mesure que la complexité et la
diversité des activités s’accroissent, la nécessité de décentraliser les décisions se fait
sentir. Mais qui dit décentralisation dit autonomie des responsables. Dans ce cas, un
cadre est fixé pour les opérations ; pour les décisions importantes la délégation sera
limitée. Engagements, investissements nouveaux, recrutement de personnels spécia-
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lisés ou toute autre décision pouvant mettre en danger l’entreprise seront normale-
ment soumis à une décision du dirigeant. Pour conserver un contrôle suffisant des
opérations, en particulier dans les grandes entreprises où la délégation est incontour-
nable et certains développements se font rapidement et sont imprévisibles, la
confiance prolonge le système de contrôle formel et permet aux responsables de
faire face. L’autonomie dont dispose l’équipe rapprochée chargée du changement lui
permet de prendre l’initiative d’une action compétente. Le dirigeant peut quant à lui
se consacrer davantage au long terme et à l’esprit du changement plutôt qu’au détail
des actions. Dans certains cas, suivant la culture managériale, la «  délégation
confiante » n’est pas légitime et elle sera étayée par un système de suivi plus formel.
Le supérieur hiérarchique souhaitera de toute façon être tenu informé des problèmes
qui peuvent se manifester et un certain degré de formalisme est de bon aloi.
Confiance et contrôle formel se renforcent mutuellement, la confiance permet à

295
  Chapitre 15  ■ Changement stratégique

l’acteur d’explorer une situation nouvelle, et le contrôle formel y donne ensuite un


cadre, ouvrant à nouveau la possibilité à la confiance d’avancer dans son explora-
tion. L’action du responsable est davantage celle d’un facilitateur que d’un dirigeant.
Avec la relation de confiance, c’est une sorte d’autocontrôle des personnes par elles-
mêmes qui s’impose.
Les styles d’animation changent selon les individus du fait de systèmes de valeurs
différents, de circonstances ou de tâches diverses à accomplir, d’attentes variées,
d’habitudes ou d’expériences multiples. Et ils peuvent aller de la plus grande liberté
à l’autoritarisme le plus prononcé. Selon le style de management, la nature du
contrôle varie. Une direction autoritaire va de pair avec un système de reporting
formel, et une surveillance étroite des opérations, et elle est acceptée comme telle.
Une direction libérale exercera un suivi plus souple avec davantage de délégation et
de confiance. Mais une incohérence entre le style de direction et le contrôle peut
devenir rapidement insupportable pour les personnes qui y sont soumises. Le
contrôle doit renforcer le style de commandement et non être en porte-à-faux. Dans
le cas contraire, des réactions négatives risquent de se développer et mener à une
mise en œuvre déficiente de la stratégie.
Globalement, la mise en œuvre de la stratégie doit se faire en cohérence avec
l’histoire de l’entreprise, son style de management et ses caractéristiques organisa-
tionnelles. Tout au long du déploiement opérationnel de la stratégie une bonne
cohérence doit être façonnée entre l’objectif, la structure, les acteurs, et le style de
management pour traduire la stratégie dans les faits. La gestion du contexte organi-
sationnel est probablement l’une des tâches les plus critiques auxquelles un dirigeant
ait à faire face. Si cette mission aboutissait à l’échec, tout l’effort de réflexion et de
préparation antérieure se verrait réduit à néant et la crédibilité même de la stratégie
remise en cause. Sans une bonne application dans les faits de décisions d’ensemble,
nulle stratégie, quelle qu’en soit la qualité, ne pourrait porter les fruits des espoirs
qu’elle a fait naître.

296
Chapitre
Organisation
16 et alignement
stratégique

OBJECTIFS
 Définir le gouvernement d’entreprise.
 Évaluer les rôles du directeur général.
 Situer les salariés dans leur rôle d’opérateurs.
 Déterminer l’organisation en fonction de la stratégie.

SOMMAIRE
Sec­­tion 1   Gouvernement de l’entreprise
Sec­­tion 2   Recrutement du directeur général
Sec­­tion 3   Le dirigeant
Sec­­tion 4   Les salariés
Sec­­tion 5   Structure organisationnelle
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

L ’organisation est une entité complexe du fait de l’interdépendance des activités


qu’elle intègre et de la multiplicité des parties prenantes. Des actionnaires
aux salariés, il y a beaucoup de niveaux relativement indépendants qui doivent être
­coordonnés pour atteindre des objectifs privés et collectifs. L’idéal organisationnel
est d’avoir une organisation simple qui permette à la fois de voir clairement ce qui
doit être fait et de contrôler les conduites des uns et des autres en ce sens ; une
organisation qui puisse prendre en charge la variété des tâches dans le respect
d’intérêts croisés. L’alignement de la multiplicité des intérêts en jeu vise à faire
coïncider ces intérêts à la fois par la structure organisationnelle et par des sys-
tèmes d’incitation.

Section
1 Gouvernement de l’entreprise
Le gouvernement de l’entreprise est assuré par le conseil d’administration qui est
formellement en charge de la définition de la stratégie de l’entreprise et du contrôle
des résultats. En outre, le conseil désigne les dirigeants – mandataires sociaux –
chargés de gérer l’entreprise dans le cadre de la stratégie, il choisit le mode d’orga-
nisation avec concentration ou non des fonctions de président et de directeur général,
et il veille à la qualité de l’information fournie aux actionnaires et aux marchés, à
travers les comptes ou à l’occasion d’opérations importantes.
La double mission de gouvernance du conseil d’administration, c’est-à-dire défi-
nition de la stratégie d’une part et contrôle des résultats de l’autre, est contradictoire.
Comme le conseil est responsable de la stratégie, il sera toujours porté à être moins
critique face aux résultats. A priori, le problème est résolu par la séparation de ces
responsabilités, mais les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre suggèrent
que le problème de la concentration des deux pouvoirs n’est pas entièrement résolu.
Tant qu’il n’y a pas indépendance entre les deux pouvoirs, les risques d’errements
sont nombreux. Les choix d’organisation seront tout d’abord décrits avant d’aborder
les problèmes constatés.
Une mise en garde est utile en préalable à une discussion plus approfondie du
gouvernement d’entreprise. En France, moins de 700  entreprises sont cotées en
bourse sur un total de plus de 100 000 sociétés anonymes. Plus de 50 % du capital
en moyenne est détenu par un seul actionnaire (holding, particuliers, banques et
investisseurs institutionnels confondus) pour les sociétés cotées. Pour les sociétés
non cotées, plus de 65 % du capital est en moyenne entre les mains d’une personne
ou d’un groupe de personnes. On a dans ces cas un actionnaire majoritaire qui veut
être maître chez lui et qui décidera de cumuler les fonctions de président et de
directeur général. Si l’actionnariat est dispersé, comme c’est le cas pour les

298
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

sociétés du CAC 40, le conseil est responsable du devenir de l’entreprise. Il faudra


alors éviter dans toute la mesure du possible l’opacité et les conflits d’intérêt, par
exemple avec un management qui pourrait jouer sur la division de l’actionnariat.
C’est ce deuxième cas qui donne toute son importance au gouvernement d’entre-
prise.

1 Composition du conseil
Le conseil chargé du gouvernement de l’entreprise est une instance collégiale
de représentation des actionnaires et d’autres parties prenantes. Du fait de sa
nature collégiale, ce conseil détermine par lui-même sa composition et son mode
d’organisation. Dans sa composition il visera une bonne représentation des
actionnaires et il pourra choisir de faire entrer également des représentants des
principales parties prenantes de l’entreprise, des représentants des fournisseurs et
des clients, des banques, etc. Bien que le code de gouvernement des entreprises1
qui fait référence indique que « chaque conseil est le meilleur juge » de sa com-
position, le nombre d’associations de défense des intérêts des petits actionnaires
suggère qu’il y a des problèmes de représentation. À côté du capital avec les
représentants des actionnaires, il existe une volonté de faire entrer au conseil des
représentants des salariés. Le rapport Gallois2 sur la compétitivité en fait la
recommandation :

« Introduire dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de


5 000 salariés au moins 4 représentants des salariés, sans dépasser le tiers des membres,
avec voix délibérative, y compris dans les comités des conseils » (p. 21).

Malgré cette recommandation visant à donner droit de citer au travail à côté du


capital comme c’est le cas dans une douzaine de pays européens, il n’y a d’obliga-
tion actuellement que d’un représentant des salariés lorsqu’il y a moins de 12 admi-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

nistrateurs, et deux au-delà (loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 – voir
le commentaire de P.-Y. Gomez3). De plus, le mode de désignation du représentant
est à la discrétion de l’assemblée générale des actionnaires. La voix des salariés
risque d’être difficile à entendre, à rebours du modèle de cogestion allemand.
L’horizon temporel dans lequel s’inscrit l’action du conseil suivant sa composi-
tion et son organisation va privilégier plutôt le court terme ou le long terme (voir
les rapports qui sont disponibles sur les sites mentionnés dans la note de bas de

1.  http://www.afep.com/uploads/medias/documents/Code_gouvernement_entreprise_societes_cotees_
Juin_2013.pdf
2.  http://www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-
publics/124000591/0000.pdf
3.  http://www.alternatives-economiques.fr/administrateurs-salaries--une-nouvelle-occasion-manquee_fr_
art_1260_65725.html

299
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

page1). La tendance anglo-saxonne qui prend davantage en considération l’intérêt


des actionnaires privilégie une vision court-terme de la stratégie (rapport Cadbury
de 1992). Mais faisant le bilan de cinq années d’application, le rapport Hampel
(1998 : §1.1) change d’orientation. Il souligne que la prospérité est au moins aussi
importante que le contrôle. Le contrôle viserait les résultats à court terme alors que
la prospérité s’oriente plutôt vers la performance à plus long terme. Dans cet esprit,
le rapport Gallois (p. 21) fait la proposition de doubler le droit de vote après deux
ans de détention des actions. Cette volonté des experts de réduire le caractère spé-
culatif et d’encourager une vision stratégique au sein du conseil d’administration
reste toutefois très contestée.

2 Organisation du conseil
Le gouvernement de l’entreprise peut être organisé de plusieurs façons. Il peut y
avoir un conseil de surveillance avec directoire, qui sépare la direction de l’entreprise,
exercée de façon régulière par le directoire, du contrôle périodique de son activité par
le conseil de surveillance. Cette structure dualiste permet une séparation des pouvoirs
claire comparable au système allemand. Entre le directoire qui est formé de directeurs
et le conseil de surveillance qui est composé d’administrateurs, chaque groupe a un
président et une définition claire de ses attributions. Dans ce cas, c’est le président du
directoire qui présente le rapport financier et le rapport de gestion au conseil de sur-
veillance. Ce mode d’organisation repose sur l’indépendance des uns vis-à-vis des
autres et il est considéré comme exigeant. Une exigence que l’on peut considérer
comme nécessaire au vu des nombreux pouvoirs et intérêts croisés et de leurs effets
souvent néfastes. C’est le président du directoire qui va donner délégation de gestion
au directeur général. Cette forme juridique est minoritaire : 11 % des sociétés ano-
nymes en général, mais 22 % des sociétés anonymes cotées en Bourse2.
Il peut y avoir aussi un conseil d’administration regroupant les missions de
contrôle et de définition de la stratégie. Ce mode d’organisation est largement pré-
féré puisqu’il concerne 78 % des sociétés anonymes cotées. Pour la définition de la
stratégie et sa mise en œuvre, le conseil d’administration nomme un directeur géné-
ral auquel la fonction exécutive est déléguée. Le directeur général s’il n’est pas
président du conseil d’administration, fera ses propositions et présentera son rapport

1.  2003 Hampel Committee, The Combined Code on Corporate Governance http://www.ecgi.org/codes/documents/
combined_code_final.pdf  ; 1995, Viénot, Marc, Le Conseil d’administration des sociétés cotées, http://www.ecgi.org/
codes/documents/vienot1_fr.pdf ; 1999, Viénot, Marc, Rapport du comité sur le gouvernement d’entreprise, http://www.
ecgi.org/codes/documents/vienot2_fr.pdf ; 1992, Cadbury, Adrian, Report of the Committee on the Financial Aspects of
Corporate Governance, http://www.ecgi.org/codes/documents/cadbury.pdf ; 2012, Gallois, Louis, Pacte pour la compé-
titivité de l’industrie française, http://www.fondafip.org/f1420_Rapport_.pdf ; 2002, Bouton, Daniel, « Pour un meilleur
gouvernement des entreprises cotées  », Rapport du groupe de travail, http://www.ethosfund.ch/pdf/Code_France_
Bouton_FR.pdf  ; 1996, Marini, Philippe, Modernisation du droit des sociétés, La Documentation Française  ; 2003,
Clément, Pascal, Rapport sur la réforme du droit des sociétés, http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i1270.asp.
2.  Données de la base DIANE – 2013.

300
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

au conseil d’administration, et devra obtenir leur validation. Si le directeur général 


est également président du conseil d’administration, il cumulera les responsabilités
de direction et de contrôle. Dans ce cas, la transparence sera maximisée et le conseil
d’administration fonctionnera de façon collégiale. La discussion de la stratégie et
l’évaluation des résultats auront tendance à être traitées de façon plus informelle,
laissant au PDG la responsabilité de la mise en forme définitive.
Le conseil, s’il peut largement s’organiser lui-même en fonction des circonstances
et des besoins, va néanmoins former un certain nombre de comités qui seront char-
gés de tâches considérées comme essentielles par le comité ou prescrites par la loi.
La formation d’un comité d’audit est une obligation légale. Il doit assurer la tâche
du contrôle au sein du conseil. Ce comité doit comprendre deux tiers d’administra-
teurs indépendants d’après le code de gouvernement (c’est-à-dire qu’ils n’entre-
tiennent aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société ou son groupe
qui puisse compromettre l’exercice de leur liberté de jugement). Aucun dirigeant ne
peut faire partie du comité. L’indépendance du comité d’audit est ainsi assurée dans
la limite où les administrateurs ne sont pas « croisés ». D’autres comités sont for-
més, notamment le comité des rémunérations et celui des nominations.
Le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées1 pose comme principe
premier la transparence « transparence entre la direction générale et le conseil d’admi-
nistration, transparence de la gestion de la société vis-à-vis du marché et transparence
dans la relation avec les actionnaires, notamment lors de l’assemblée générale. » (p. 3)
Si au nom de la transparence le rapprochement entre direction et contrôle semble sou-
haitable, il ne l’est pas du point de vue de l’indépendance de ces deux responsabilités.
Curieusement, le code n’insiste pas sur l’importance de l’indépendance des pouvoirs
qui est pourtant un problème récurrent. Depuis le premier rapport Viénot en 1995, les
rapports visant à renforcer l’indépendance des administrateurs se sont succédé
jusqu’en 2003, avec les rapports Marini, Viénot 2, Bouton et Clément sans véritable-
ment réussir à modifier la concentration du pouvoir entre les mains du directeur géné-
ral. En effet, cette double mission crée une tension entre la volonté de maintenir la
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maîtrise sur l’ensemble et le principe de séparation des deux responsabilités. Le pré-


sident du conseil d’administration sera plus enclin à plaider voire encourager l’indul-
gence du conseil envers le directeur général si c’est lui-même !
Pourtant, malgré le projet adopté en Conseil des ministres le 15  mars 20002, la
dissociation est restée facultative. Aux États-Unis, c’est aussi le conseil qui choisit
de réunir ou de dissocier les fonctions de président et de directeur général. En pra-
tique, la réunion des deux responsabilités prédomine. Certaines des plus grandes
entreprises américaines ont restauré la réunion après avoir expérimenté la dissocia-
tion. Les interrogations sur cette concentration de pouvoirs restent posées.

1.  http://www.afep.com/uploads/medias/documents/Code_gouvernement_entreprise_societes_cotees_
Juin_2013.pdf
2.  http://discours.vie-publique.fr/notices/006003833.html

301
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

Section
2 RECRUTEMENT DU DIRECTEUR GéNéRAL
En recrutant un dirigeant, le conseil prend une décision importante. Il choisit une
personnalité qui devra assurer la défense des intérêts des actionnaires et qui bénéficiera
d’une grande autonomie de décision. Souvent, les personnes jugées les plus aptes à
assumer ces responsabilités sont recrutées de façon plutôt informelle dans les réseaux
des membres du conseil. L’appartenance aux réseaux des membres du conseil permet
en principe une connaissance de la personnalité, de la formation et du bon contrôle de
son comportement : tout abus le discréditerait face à son réseau. Un comité de sélec-
tion est formé par le conseil. Il joue un rôle important pour l’avenir de l’entreprise : il
est en charge de la composition des instances dirigeantes. L’existence d’un comité de
sélection formel lors du recrutement, plus qu’une instance ad hoc comme le « search
committee » et l’utilisation d’un cabinet de « chasseur de têtes », permet d’espérer une
démarche plus ouverte à des compétences en dehors du réseau. Pour conclure on peut
souligner que les nouveaux dirigeants recrutés à l’intérieur de l’entreprise elle-même
obtiennent dans l’ensemble de meilleurs résultats1.
La succession à la tête de l’entreprise doit être préparée avec soin. En préparant
un groupe de managers à ce type de responsabilités, en développant un plan de suc-
cession et ayant des administrateurs activement engagés dans la recherche, la per-
formance de l’entreprise est meilleure et le taux de départs rapides des nouveaux
recrutés moindre. Or le processus est souvent peu transparent même pour les
grandes entreprises, et même aux États Unis2. En moyenne, les recrutements exté-
rieurs sont pourtant source de problèmes beaucoup plus fréquemment, et donnent
lieu à un turnover plus rapide à la tête de l’entreprise.
La méthode de sélection des dirigeants n’est donc pas à l’abri de problèmes. Sur
les 40 sociétés du CAC 40, 39 ont au moins un administrateur en commun faisant
craindre des échanges de «  bonnes manières  » qui ont effectivement encore lieu.
Ainsi Patrick Kron, PDG d’Alstom, siège chez Bouygues, tandis qu’Olivier
­Bouygues, directeur général de la société du même nom, est chez Alstom. C’est ce
qu’on appelle des « administrateurs croisés ». La figure 16.1 présente l’ensemble des
liens entre les entreprises du CAC40, constitués par des administrateurs communs.
Au total, sur les 480  administrateurs recensés, 15  % cumulent plus d’un poste.
Volontairement ou non, les dirigeants en place bénéficieront de l’indulgence du
conseil et d’appuis de nature « politique » dans leur réseau. La mission de surveil-
lance du conseil n’est plus assurée de façon très rigoureuse. Même lorsque le diri-
geant présente des résultats médiocres, ou lorsque la croissance est faible, ou encore

1. Voir Charan R. « Ending The CEO Succession Crisis », Harvard Business Review, Feb. 2005, 83, pp. 72-81
et Robertson R. : « Recruiting Your Next CEO: Practical Advice For Canadian Boards », Ivey Business Journal,
May/June 2008.
2.  Charan (2005), op cit.

302
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

s’il y a des retards ou des dépassements sur les objectifs fixés, le conseil reste géné-
ralement très compréhensif.

Avec l’autorisation du journal Alternatives économiques.


Source : www.alternatives-economiques.fr
Figure 16.1 – Cartographie du réseau d’administrateurs des entreprises du CAC40
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En lui déléguant les pouvoirs exécutifs, le conseil charge aussi le directeur général
de proposer une stratégie. Le dirigeant est sur le terrain, il connaît l’entreprise et il
connaît aussi l’environnement. Il est donc le mieux placé pour définir une stratégie.
Le conseil peut cependant se saisir de toute question concourant à la bonne marche
de l’entreprise et aux affaires qui la concernent. Il dispose donc, en principe, d’un
vaste domaine d’intervention. Pour juger de la stratégie qui lui est proposée, le
conseil peut se doter d’un comité spécifiquement mandaté pour éclairer le conseil,
mais la procédure est lourde et difficile à mettre en œuvre. La gouvernance de
l’entreprise dépend donc de façon importante de la qualité du dirigeant. Une fois
qu’il est choisi, il est difficile de le révoquer et les quelques épisodes de révocation
ont été source de conflits au lieu d’être des actes de gestion normaux d’un conseil
d’administration soucieux de la performance de l’entreprise.

303
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

Section
3 Le Dirigeant
Le dirigeant reçoit une délégation de gestion du conseil d’administration ou du
directoire suivant les cas. Il est alors investi de pouvoirs étendus pour agir dans
l’entreprise et peut agir en son nom dans ses rapports avec des tiers. Chef de l’exé-
cutif par délégation, il est en charge de la définition de la stratégie, de la gestion
opérationnelle et de rendre des comptes au conseil d’administration ou au directoire.
Dans le cadre de cette définition, le dirigeant dispose en fait de pouvoirs très éten-
dus. Ce pouvoir n’est pas seulement déterminé par la délégation qui lui est donnée
mais aussi par un ensemble d’autres facteurs :
1.  L’information concernant l’activité de l’entreprise et la situation de l’environne-
ment est centralisée par le dirigeant.
2.  La définition de la stratégie, même si elle doit être validée, n’est généralement
pas contestée par le conseil d’administration.
3.  L’organisation de l’entreprise est déterminée par le dirigeant, en cohérence avec
la stratégie.
4.  Le recrutement et la désignation des responsables, ainsi que leur renvoi éventuel,
sont à la discrétion du dirigeant.
5.  Le dirigeant bénéficie de la compréhension du conseil même en cas de résultats
moins bons qu’espérés.
Le contrôle de l’information qu’il centralise du fait même de ses responsabilités
donne au dirigeant une position forte tant par rapport à son entreprise que par rap-
port au conseil. L’exigence de transparence même si elle est respectée ne s’applique
qu’a posteriori, sur ce qui a été acquis et non sur ce qui est en train de se faire. La
présentation des comptes permet d’avoir une certaine idée du développement de
l’activité, mais les découpages, les consolidations et les clefs de répartition laissent
au dirigeant une discrétion importante. La mise en œuvre d’une stratégie est toujours
émergente et les manœuvres du dirigeant sont difficilement contestables. Enfin, pour
le management quotidien, les choix de structure organisationnelle, les nominations
et les départs sont entièrement du ressort du dirigeant. Il détermine la meilleure
organisation et les meilleures compétences pour la réalisation des objectifs.
Le pouvoir et l’autonomie qui se trouvent ainsi concentrés entre les mains du
dirigeant, lui permettent d’assumer pleinement ses responsabilités vis-à-vis du
directoire ou du conseil et des actionnaires. Mais c’est un couteau à double tran-
chant, l’autonomie du dirigeant peut aussi l’amener à des excès dont le conseil
pourrait ne prendre la mesure que tardivement. Pour éviter cet écueil, réintroduire
l’intérêt de l’actionnaire et inciter le dirigeant à inscrire son action dans le long
terme, les conseils d’administration ont parfois fait appel au système des stock-
options. C’est une forme de rémunération pour le dirigeant et certains cadres qui
donne l’option d’acheter, à un prix et à une date fixés d’avance, des actions de

304
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

l’entreprise elle-même. Ce système incite les bénéficiaires à mettre en œuvre une


stratégie qui maximise la création de valeur pour l’actionnaire. Bien qu’il soit
fondamentalement efficace, ce système d’incitation engendre aussi des effets per-
vers plus ou moins graves.
Alors que l’objectif est d’aligner les objectifs des dirigeants et leurs rémunéra-
tions sur le long terme, le système pousse parfois les managers à adopter une
orientation à court terme, en jouant le jeu de la bourse pour des plus-values à court
terme plutôt que l’intérêt de l’entreprise. Une recherche menée par Sanders et
Hambrick1 a montré que l’attribution de stock-options incitait les dirigeants à faire
de gros investissements avec des résultats très contrastés en profits ou en pertes
mais où finalement les pertes dominent. Les auteurs concluent que ce système
d’incitation conduit les dirigeants à prendre des risques élevés, sans effectivement
servir l’intérêt des actionnaires.
Les rémunérations des dirigeants, hors stock-options, comprennent une partie fixe
et une partie variable. La partie variable est généralement indexée sur la perfor-
mance de l’entreprise au cours de l’exercice et constitue donc un facteur de conver-
gence à court terme. Reflet d’une conjoncture difficile ces rémunérations, fixes plus
variables, ont reculé pour les patrons du CAC 40 au cours des trois dernières années.
La rémunération variable a en effet diminué de 12 % au cours de l’exercice 20132.
De plus, de nombreux appels à la modération se sont fait entendre conduisant à des
réductions particulièrement importantes dans les entreprises du secteur public ou
proches (EDF, Orange).

Section
4 Les salariés
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La stratégie et a fortiori le changement stratégique posent lors de la mise en œuvre


un double problème : celui de la structure organisationnelle et celui de la volonté des
acteurs d’agir dans le sens de la stratégie. Comme on l’a vu au chapitre 15, ni l’orga-
nisation, ni la volonté des acteurs ne peuvent être alignées a priori avec la stratégie.
Tous deux sont le fruit d’un apprentissage. La structure organisationnelle est élabo-
rée lors du choix de l’orientation stratégique. Elle révèle à l’usage un besoin d’ajus-
tements faisant varier la plupart des paramètres, notamment la centralisation et
l’autonomie des unités, l’importance de la coordination latérale, le degré d’intégra-
tion des sous-traitants et des prestataires. L’organisation doit être souple pour mettre

1.  Sanders W. G.and Hambrick D. C., “Swinging for the Fences: The Effects of Ceo Stock Options on Company
Risk Taking and Performance”, Academy of Management Journal. (2007), 50: 1055-1078.
2. http://www.lesechos.fr/04/05/2014/lesechos.fr/0203477674029_les-salaires-des-patrons-du-cac-40-reculent-
pour-la-troisieme-annee-d-affilee.htm

305
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

en œuvre la stratégie. Elle développe ainsi les routines et pratiques les plus effi-
cientes qui seront ensuite formalisées par la structure les règles et les procédures. De
même, l’alignement de l’action des membres de l’organisation n’est pas le simple
fruit de la hiérarchie et des incitations. Ici aussi d’autres éléments jouent un rôle
important dans le rôle actif que certains peuvent jouer dans l’adaptation de la struc-
ture organisationnelle et dans la réalisation des tâches dans le sens de la stratégie.
Le façonnement de l’environnement de travail contribue de façon importante à la
mise en œuvre de la stratégie et à l’implication des acteurs.
Le recrutement et la promotion des membres de l’organisation sont une étape impor-
tante non seulement pour identifier les compétences, mais aussi pour valoriser les
individus. L’attention qui est donnée à l’évaluation et à la sélection des personnes
permet à la fois de repérer des talents qui s’inséreront bien dans l’équipe mais aussi de
dire à quel point chacun est important et difficilement remplaçable. C’est pourquoi,
après une présélection et d’éventuels tests, il faut prendre le temps d’avoir des entre-
tiens avec les candidats, il faut les écouter et les informer sur les exigences du poste à
pourvoir. Quand le candidat sera choisi, il saura que c’est vraiment lui qu’on a cherché
et il sera disposé à donner le meilleur de lui-même. Des programmes personnalisés
d’introduction aux nouvelles responsabilités et aux membres de son équipe renforce-
ront encore le message. On a vu que la promotion interne est généralement un facteur
de stabilité et de performance pour le directeur général. C’est tout aussi vrai pour la
mobilité interne. La performance des cadres issus de la promotion interne est en
moyenne supérieure aux recrutements extérieurs. L’apprentissage de la culture et des
méthodes propres à l’entreprise est simplifié, ils sont aussi plus fidèles à l’entreprise
et leur rémunération est plus faible que pour ceux recrutés à l’extérieur1.
Le style de management doit être en ligne avec la personnalité du dirigeant. Qu’il soit
autoritaire ou participatif importe finalement assez peu. Il faut par contre rester cohérent
dans son style. De plus, ce qui compte c’est qu’il assume ses responsabilités, qu’il com-
munique clairement les décisions qui auront été prises, et qu’il sache être à l’écoute. Un
manager participatif ne doit pas prendre prétexte d’une décision collective pour pré-
tendre que personne n’est responsable. Le manager doit assumer la décision collective
ou la refuser et trouver une modalité de décision, ou encore démissionner de sa respon-
sabilité. Tous ces facteurs concourent à une chose essentielle  : la confiance entre les
salariés. La confiance ne se décrète pas. Le dirigeant ne peut faire qu’une seule chose :
se montrer fiable. En constituant une équipe qui sait où elle en est grâce à la qualité de
la communication et qui sait à quoi s’en tenir de la part du dirigeant en matière de
méthode de management et de reconnaissance, le dirigeant bénéficiera d’une équipe qui
agira de façon juste même dans des circonstances difficiles. De haut en bas, l’organisa-
tion est marquée par les comportements de son dirigeant : en l’absence d’information,
des rumeurs vont se propager, une mauvaise information va donner lieu à de nombreuses

1. Bidwell M., «  Paying More to Get Less. The Effects of External Hiring versus Internal Mobility  »
Administrative Science Quarterly, 2011, 56, pp. 369-407.

306
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

interprétations sur lesquelles les uns et les autres vont s’engager, créant des conflits.
Hormis le style personnel et le comportement en cohérence, il faut que la stratégie du
dirigeant soit parfaitement articulée. Il ne peut pas être clair avec son équipe si sa straté-
gie ne l’est pas ! Mais avec une stratégie claire, une communication efficace, un style et
une méthode cohérents, la mise en œuvre est considérablement renforcée notamment par
le relais positif donné par l’encadrement.

Section
5 Structure organisationnelle
La configuration de l’organisation et l’alignement des actions à tous les niveaux
sont le résultat de la conjugaison de facteurs différents. D’une part, d’après l’école
de la contingence structurelle l’organisation était déterminée par l’environnement et
en particulier par la taille et la technologie. Mais la prise de conscience du rôle des
dirigeants qui ont une vision stratégique et qui s’efforcent de la mettre en œuvre,
révèle une tension entre le pouvoir du dirigeant et les contingences environnemen-
tales. Les dirigeants peuvent faire des choix stratégiques sur l’environnement, sur les
critères et niveaux de performance et sur l’organisation elle-même. Ces décisions à
la fois délibérées et réactives nécessitent l’exercice d’un pouvoir exécutif et sont de
nature politique : les intérêts des acteurs influencent les choix stratégiques.
Sous l’influence du dirigeant, l’organisation tout entière va traduire sur le terrain les
orientations et les choix stratégiques. Les moyens pour cette mise en œuvre sont mul-
tiples : systèmes d’information et de contrôle, systèmes d’incitation à court et à long
terme, individuels ou par groupes, plans d’actions, etc. Le problème est de savoir com-
ment définir les tâches de chacun et les regrouper sous une même personne ou au sein
d’entités organisationnelles, telles que services et départements. Trois règles sont géné-
ralement retenues. La première est de définir la meilleure coordination possible d’un
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

point de vue technique. La deuxième met cette organisation à l’épreuve de la pratique et


notamment du comportement des acteurs. Enfin, la troisième règle consiste à prendre en
compte l’émergence de spécialisations. Les acteurs apprennent le fonctionnement de la
nouvelle organisation, et deviennent les spécialistes de leurs tâches. Ces trois règles
marquent les étapes de la mise en œuvre d’une nouvelle organisation.
Il y a trois structures organisationnelles classiques qui ont chacune des caractéris-
tiques propres et qui permettent de concevoir l’organisation qui va opérationnaliser
la stratégie. Il s’agit de l’organisation par fonction, de l’organisation par division (ou
opération) et de l’organisation matricielle. L’organisation par division comprend des
arrangements très divers tels que l’organisation par produit comme par exemple
la division produits frais, ou la division poids lourds. L’organisation par fonction, la
plus courante, est composée typiquement par des unités comme le département
finance, le département production, ou encore le département ressources humaines.

307
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

Dans la structure matricielle, deux lignes d’autorité se croisent et permettent en


principe de mener de front deux priorités. On trouve par exemple l’organisation
géographique avec une division internationale et une division France, qui pourra être
croisée avec une organisation par produit ou par grands processus comme par
exemple, un département composition, un département impression, un département
finition. Le choix des lignes d’autorité dans la structure matricielle est libre.
Hormis ces trois structures traditionnelles que l’on retrouvera dans la plupart des
grandes entreprises, de nouvelles formes se développent. Elles sont importantes parce
qu’elles fonctionnent sur la base de logiques différentes. Les deux principales sont
l’entreprise en réseau et l’entreprise internet. L’entreprise en réseau a une structure par
unités séparées sur le terrain pour répondre aux circonstances particulières de son
activité. À la fois pour assurer la prestation, pour prendre en charge le processus de
production et pour être proche des ressources, le réseau peut être le meilleur choix :
grande distribution, transports, sous-traitance, aide humanitaire, etc. L’entreprise inter-
net a des caractéristiques d’organisation en réseau, mais les unités qui la constituent
sont hétérogènes et leur participation au réseau est intermittente. Les sites marchands
sont un exemple simple où l’organisation consiste à mettre en relation fournisseurs et
autres membres du réseau autour d’une transaction en B2C, B2B ou C2C, c’est-à-dire
fournisseur-client (business to customer), firme à firme (business to business) ou
client-client (customer to customer). D’autres entreprises internet ont développé une
organisation spontanée qui se substitue au système formel intégré de l’organisation
classique pour des activités de recherche ou de création avec des communautés actives
et changeantes. Enfin, il y a les moteurs de recherche et les réseaux sociaux qui
donnent accès à des masses illimitées d’information, qui organisent et donnent le plus
grand impact aux expressions individuelles et qui rejoignent les sites marchands dans
leur logique économique même si c’est de façon indirecte.

1 L’organisation par fonctions

L’organisation par fonctions a le mérite de la simplicité et de la flexibilité. La


décomposition des activités par département de production, de recherche et dévelop-
pement et de marketing, par exemple, permet une mise en œuvre directe de la stra-
tégie. La vision stratégique qui guide l’entreprise est traduite dans le découpage en
fonctions principales et la fixation d’objectifs pour chaque fonction. Lorsque
­l’implantation régionale est importante pour le devenir de l’entreprise, une direction
régionale est mise en place. Si c’est le marketing ou la R & D, on créera à chaque
fois un département ou une direction qui se consacrera de façon spécialisée à la
question. Le découpage par fonction est ainsi le reflet de choix stratégiques.
Chaque unité est supervisée par un responsable qui vérifie son bon fonctionnement
et qui peut intervenir en cas de problème, en apportant des ressources supplémen-
taires par exemple. Les activités considérées plus secondaires sont intégrées ou

308
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

subordonnées aux activités stratégiques. Les achats peuvent ainsi faire partie inté-
grante de la production, ou être séparés s’ils sont jugés d’importance stratégique ou
critique pour l’activité de l’entreprise. Après le découpage, les unités doivent être
coordonnées. Elles ont une certaine autonomie, mais elles doivent servir le flux
d’activité de l’entreprise de façon continue ou de façon périodique. Cette coordina-
tion est programmée et fait partie de la routine de fonctionnement. Mais l’activité
est toujours confrontée à des incertitudes, que ce soient des ruptures d’approvision-
nement, l’installation de nouveaux équipements, des contrôles et des opérations de
maintenance, des pannes, etc. Dans ces cas, lorsque l’une des unités est affectée
alors que les autres tournent normalement, le dirigeant doit assurer la coordination,
et prendre les mesures appropriées. Il travaillera pour ce faire avec les directeurs
d’unités.
L’organisation par fonctions, du fait de la spécialisation des unités génère parfois
des conflits entre ces dernières. La spécialisation des uns les rend insensibles aux
priorités des autres. La recherche technologique est essentielle pour le développe-
ment, mais elle peut retarder ou désorganiser la production. Il appartient alors au
directeur général d’anticiper ou de trancher ce genre de conflits. Les organisations
par fonctions demeurent néanmoins l’une des formes organisationnelles les plus
adéquates pour une activité industrielle ou de service dans des environnements
stables. En effet, la spécialisation des unités, la répétitivité des tâches et leur stan-
dardisation permet de bénéficier à plein des effets d’échelle et d’assurer une produc-
tivité élevée.

Direction

Services centraux
(finance, personnel,
contrôle, etc.)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Production Marketing R&D

Figure 16.2 – Organisation par fonctions

2 L’organisation par opérations

Si l’on parle généralement « d’organisation par produit » et de « structure division-


nelle », l’appellation « organisation par opérations » est mieux adaptée à la diversité
des situations qui peuvent être prises en charge par ce type de structure. L’organisa-
tion par opérations a pour vocation de servir soit des produits, soit des métiers, soit
des marchés. La stratégie qui peut donner lieu à l’organisation par opérations définit
des opérations à la fois différentes et importantes pour être menées séparément dans

309
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

une même entité, avec des stratégies propres. Dans certains cas, l’acquisition ou la
fusion donne lieu temporairement ou non, à une structure par opérations si la déci-
sion est de laisser les organisations d’origine fonctionner sans interférence. C’est
parfois le cas si l’acquisition vise à apprendre un nouveau métier, ou à connaître un
nouveau marché.
Dans une organisation par opérations chaque unité va regrouper l’ensemble des
moyens, des ressources et des expertises en vue d’assurer la fourniture d’un produit ou
d’un service. Ainsi, chez Danone, on trouve quatre activités (produits laitiers frais, les
eaux, la nutrition infantile et la nutrition médicale), elles-mêmes divisées en départe-
ments responsables d’une gamme de produits ou d’une marque. Il y a ici deux niveaux
« d’opération » : la division ou l’activité qui regroupe les produits qui ont des caracté-
ristiques essentielles communes, comme les produits frais. Parmi les produits frais,
des produits sont distingués par marque : Danone, Activia, Actimel, etc. Cette struc-
ture organisationnelle permet de développer une stratégie de groupe, qui encadre une
stratégie par division, et finalement une stratégie produit/marché. De plus, tout en
reflétant les choix stratégiques à différents niveaux, ce mode d’organisation permet de
mutualiser certaines fonctions (logistique ou approvisionnement par exemple), d’en
singulariser d’autres (technologie de production ou marketing par exemple) et enfin de
partager des savoir-faire essentiels par rotation du personnel ou par groupes de travail
qui assurent la coordination latérale. Les entreprises du secteur pétrolier présentent un
autre profil. Elles regroupent des activités qui ne sont liées que par le flux de produc-
tion, de l’exploration, à l’exploitation, au transport, au raffinage, à la distribution. Pour
pouvoir tirer le meilleur parti du potentiel de valeur créé par l’exploitation d’un puits
de pétrole, l’entreprise doit faire à la fois la recherche en amont et tout le processus de
transport et de traitement faute de quoi elle perdrait le contrôle sur un maillon de la
chaîne. Peu d’activités sont sous-traitées, sauf l’exploration et le forage où des sociétés
de service, comme Schlumberger et Halliburton, se sont développées comme presta-
taires incontournables du fait de leur maîtrise technologique.
Dans ce type d’organisation, chaque responsable qu’il soit au niveau de la division
ou du produit ne se trouve plus dans une situation d’interdépendance fonctionnelle,
mais à la tête d’une unité qui fonctionne pratiquement de façon autonome. De plus,
cette forme organisationnelle en unités opérationnelles quasi-indépendantes permet un
contrôle des performances de l’activité sous la direction du responsable, au lieu d’être
noyé dans un système fonctionnel relativement complexe. Le prix à payer pour cette
simplification est la redondance d’un certain nombre de fonctions comme la compta-
bilité ou les ressources humaines, par exemple. L’existence d’une fonction marketing
assez développée pour chaque ligne de produit est au contraire souhaitable si cette
fonction est considérée comme une activité stratégique. Les avantages d’une organisa-
tion par opération ne doivent donc pas faire oublier son coût. Pour bénéficier des
avantages de l’autonomie, les unités doivent disposer d’une large indépendance de
moyens, en ayant, par exemple, leurs propres forces de vente. Mais ce principe d’indé-
pendance de moyens peut être mitigé par la mise en commun de certaines ressources.

310
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CONSEIL D’ADMINISTRATION

Comité d’éthique DIRECTEUR GÉNÉRAL

COMITÉ EXÉCUTIF

Secrétariat général Finances

Achats
Contrôle interne et Audit Affaires publiques
Développement Ressources humaines Systèmes Direction Direction Conseillers
Appréciation
Direction d’information de la Direction Direction stratégie auprès du
durable & Environnement Sûreté des risques
financière & Télé- commu- juridique scientifique et Intelligence directeur
et Assurances
Executive Careers Sécurité industrielle communications nication économique général
and Management
Exemple de l’organisation par activités chez Total en 2015

Upstream
- Exploration Raffinage - Chimie Marketing & Services

Figure 16.3 – Organisation par opérations


- Production

Gas & Power Trading - Shipping Énergies Nouvelles

SECTEUR UPTREAM SECTEUR RAFFINAGE - CHIMIE SECTEUR MARKETING & SERVICES


AMONT AVAL

Avec l’aimable autorisation de Total.

311
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

3 L’organisation « matricielle »
L’organisation matricielle permet de traduire sur le terrain la double priorité don-
née à des objectifs stratégiques interdépendants de grandes entreprises. Dans cer-
tains cas, le développement de l’entreprise dans différentes régions du monde est
considéré comme essentiel, tout comme la fabrication à grande échelle de produits
complexes. Il en va ainsi pour la pharmacie et notamment pour les produits géné-
riques. D’une part, il s’agit d’être reconnu et en conformité avec les réglementations
locales, et de l’autre de produire et d’acheminer les quantités suffisantes. L’organi-
sation matricielle permet ainsi de mettre en œuvre la stratégie qui doit s’adapter à
l’environnement et un système de production élaboré à l’échelle mondiale pour
assurer les coûts les plus faibles.
Comme dans les autres structures, le contenu des divisions, des activités ou des
fonctions est défini par le dirigeant lorsqu’il déploie sa stratégie. L’organisation
matricielle a la particularité de croiser les lignes d’autorité, puisque justement ce
choix n’a pas été fait avec cette structure. À l’intersection, le manager est soumis à
une double autorité et doit intégrer des objectifs potentiellement incompatibles. Cela
lui laisse une certaine discrétion dans son action puisqu’il se trouve dans la nécessité
d’arbitrer entre les deux. Mais cette responsabilité et l’ambiguïté qui se développe
sont aussi une source de stress. Seul un profil capable de gérer ce stress réussira dans
ce type de position. Confronté à des contradictions sérieuses, le manager pourra
aussi réunir ses supérieurs et les mettre en face de son dilemme, ou encore demander
l’arbitrage de la direction générale. Mais ce sont des solutions difficiles à mettre en
œuvre qui, de plus, risquent de lui coûter son poste. La structure matricielle adaptée
pour des stratégies à objectifs complexes fonctionnera si les acteurs aux différents
niveaux de direction savent se faire confiance, non pas les yeux fermés mais dans
une collaboration constructive. L’équilibre se trouve en marchant.
L’organisation matricielle permet aux grandes entreprises de poursuivre des prio-
rités stratégiques interdépendantes sans imposer de redondances excessives en
termes de coût et d’organisation., L’entreprise pharmaceutique Teva (voir figure
16.4) peut, par exemple, maintenir une stratégie de générique dans un environne-
ment intensément compétitif, et s’attaquer au marché des médicaments innovants en
s’appuyant sur la même organisation fonctionnelle. Pour réussir, les dirigeants de
l’entreprise doivent communiquer intensément pour faire les ajustements perma-
nents entre les directions croisées.

312
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

Exemple de Teva Pharmaceutical Industries

Erez Vigodman
President & CEO Nir Baron
SVP, Chief
Internal Auditor

Dr. Michael Hayden Sigurdur Olafsson Dr. Rob Koremans


President of Global R&D President & CEO President & CEO
and Chief Scientific Officer Global Generic Medicines Global Specialty Medicines

Dr. Carlo De Notaristefani


President & CEO
Global Operations

Richard Egosi
Group EVP,
Chief Legal Officer

Eyal Desheh
Group EVP,
Chief Financial Officer

Mark Sabag
Group EVP,
Chief Human
Resources Officer

Iris Beck-Codner
Group EVP, Notes :
Corporate Marketing • Nir Baron, SVP, Chief Internal Auditor, reports also to the
Excellence & Communication Chairman of the Board, and is not an executive member
• Also reporting to the CEO: Eric Drapé, Group EVP, Global Quality
TBD
(reports dotted-line to President and CEO, Global Operations);
Corporate Development,
Kevin Mannix, VP, Head of Global Investor Relations
Strategy and Innovation
(dual reporting to the CFO); and Tomer Amitai, VP, Corporate
Group
Coordination & Support, Office of the President & CEO
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Figure 16.4 – Organisation matricielle

4 L’entreprise en réseau
L’entreprise en réseau est constituée d’unités décentralisées qui coordonnent leur
action à distance. Ce type d’organisation permet de mettre en œuvre une stratégie de
collecte, d’échange et de distribution flexible de ressources et d’informations. Les
unités sont plus ou moins autonomes et sont généralement coordonnées de façon
centrale. Avec le développement des technologies de l’information, la centralité de
la coordination est devenue plus simple. Un réseau d’écoles supérieures, par
exemple, peut développer des complémentarités et des spécificités tout en laissant

313
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

chaque institution garder son indépendance. Une «  alliance  » entre compagnies


aériennes permet des transferts améliorés pour les passagers, une réduction des
redondances et un service optimisé. La qualité du réseau dépend beaucoup de la
qualité de chacune de ses unités. D’autres réseaux, comme ceux regroupant des
unités de recherche, nécessitent la communication d’information plus riche. Dans ce
cas, l’organisation en réseau favorise l’émulation entre les unités et le partage que
ce soit à l’occasion de rencontres ou d’échange de chercheurs.
Le principal défi des organisations en réseau qui ont des tâches complexes, comme
la recherche ou la prestation de services professionnels, est le contrôle et la maîtrise
de la qualité. L’organisation traditionnelle intégrée permet un contrôle rapproché des
processus de production et réussit en général à éviter les gaspillages, tout en étant
assez efficace. Pour l’entreprise en réseau, les unités sont dispersées, et les activités
professionnelles se développent de façon imprévisible loin de la supervision mana-
gériale et du cadre stratégique. Une partie seulement de l’activité qui se déploie de
façon décentralisée peut être programmée par la mise à disposition des compétences
et des ressources jugées nécessaires a priori. La conduite de l’activité et son aligne-
ment avec les objectifs stratégiques de l’organisation ne peuvent être assurés que par
le professionnalisme qui détermine la nature de l’action et les valeurs de l’entreprise
qui inspirent les acteurs à tous les niveaux. Un esprit d’entreprise fort est nécessaire
pour permettre une coordination entre des unités très autonomes portées pour leurs
ressources matérielles par une organisation centrale ou collective, mais agissant
autrement comme de petites organisations indépendantes.

Exemple – Une organisation en réseau : Médecins Sans Frontières


Ancrée dans sa mission, cette organisation non gouvernementale définit sa stratégie par
l’adéquation de ses moyens et des besoins sur le terrain. L’organisation opérationnelle se
fait sur trois niveaux en partant du terrain, et non du sommet. Au premier niveau on
trouve un « projet » constitué d’une équipe médicale et paramédicale, d’une équipe admi-
nistrative, d’une équipe logistique et d’un coordinateur de projet. Le projet est appuyé au
niveau du pays par une équipe de coordination qui comprend un coordinateur médical,
un coordinateur financier, un coordinateur des ressources humaines et un coordinateur
logistique encadrés par un chef de mission.
« Médecins Sans Frontières apporte une assistance médicale à des populations dont la vie
ou la santé est menacée partout dans le monde. […] Indépendante de tous pouvoirs poli-
tiques, militaires ou religieux, MSF agit en toute impartialité,  après évaluation des
besoins médicaux des populations. La garantie de l’indépendance de l’association s’enra-
cine dans son financement, assuré par la générosité de ses donateurs privés. »
« Déployer des secours et des soins à des milliers de kilomètres nécessite une organisa-
tion complexe et des moyens importants. […] Du médecin au logisticien en passant par
l’administrateur ou le traducteur, des individus de nationalité et de profil différents sont
amenés à travailler ensemble. Sur le terrain, une équipe peut être composée de quelques
dizaines de personnes jusqu’à plusieurs centaines : tout dépend du projet et de ses objec-

314
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

tifs. La structure reste néanmoins la même : un(e) responsable de terrain organise et


supervise la mise en œuvre des activités en lien avec l’équipe de coordination en capitale,
développe les contacts avec les autorités et les partenaires locaux et veille au respect des
consignes de sécurité. » (http://www.msf.fr/msf/organisation).
L’équipe de coordination gère les actions régulières et réagit aux urgences dans le pays.
Au niveau du siège de l’organisation, un «  desk  » centralise la mise à disposition des
ressources et la communication avec les médias. Le desk qui assiste en moyenne quatre
pays, comprend le médecin du desk, le chargé de gestion pour les questions financières,
le chargé de ressources humaines, le superviseur logistique et le chargé de communica-
tion. Le desk comprend ainsi un représentant de chaque département en appui au repré-
sentant des opérations qui est le responsable de programmes.

FONCTIONNEMENT DE
MÉDECINS SANS FRONTIÈRES

PROJET (terrain)

Le projet médical se trouve au plus Équipe médicale et Équipe


près des bénéficiaires. Les équipes paramédicale administrative Équipe logistique
sont constituées de personnels
nationaux et internationaux et sont
dimensionnées et composées en
fonction de la nature du programme
et de ses objectifs. Il y a plusieurs PC (COORDINATEUR DE PROJET)
projets dans un même pays.

COORDINATION (capitale)

Une seule équipe de coordination


vient en appui technique des équipes Coordinateur Coordinateur Coordinateur Coordinateur
terrain, et travaille sur les médical financier RH logistique
orientations à court et moyen terme
des différents projets dans le pays.
Le chef de mission est le
représentant de MSF dans le pays.
L’équipe de coordination assure une
réactivité aux urgences qui peuvent CHEF DE MISSION
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survenir dans le pays.

DESK (siège MSF)

L’équipe du desk est constituée d’un Chargé de Superviseur


représentant de chaque département, gestion logistique
en appui au département des Médecin Chargé des Chargé de
opérations, auquel appartient le du desk RH communication
responsable de programmes.
Un desk gère environ 4 pays
(4 équipes de coordination).
MSF France est organisé en 6 desks RESPONSABLE DE PROGRAMMES
dits « réguliers », et un desk dédié aux
urgences.

Avec l’aimable autorisation de Médecins Sans Frontières.


Figure 16.5 – Schéma de principe de Médecins Sans Frontières

315
  Chapitre 16  ■ Organisation et alignement stratégique

Cette organisation est remarquable par sa simplicité avec seulement trois niveaux
pour un déploiement mondial. Elle repose sur une division claire des tâches et des
lignes hiérarchiques spécialisées. Outre l’organisation opérationnelle et comme
beaucoup d’organisations non gouvernementales, Médecins Sans Frontières com-
prend un exécutif composé de la direction générale, des opérations, du département
médical, de la collecte, de la communication, des ressources humaines, de la logis-
tique, etc. La partie collecte de l’organisation se trouve dans le secteur concurrentiel.
Du fait de sa visibilité et de sa réputation, cette activité est relativement aisée. 90 à
95 % des fonds collectés sont d’origine privée.
L’organisation en réseau permet d’agir de façon décentralisée sur le terrain ou au
contraire de mettre en commun des ressources pour un objectif collectif ou bien
central. La réaffirmation de la raison d’être de l’organisation est continuellement
nécessaire, portée par une combinaison d’actions qui aboutissent et par la commu-
nication. L’identité forte d’une organisation, comme celle de Médecins Sans Fron-
tières qui porte à la fois secours à ceux qui en ont besoin et qui maintient son
indépendance, renforce plus encore le lien entre ses membres. Plus l’organisation est
professionnelle, plus ce genre de valeurs est nécessaire au maintien de la perfor-
mance sur le terrain.

5 L’organisation internet
L’organisation internet présente des caractéristiques radicalement nouvelles. Toute
entreprise pouvant tirer parti d’une relation directe avec le public au sens le plus
large trouvera avec Internet un outil essentiel. En tout premier lieu, les moteurs de
recherche qui permettent un accès rapide à une masse quasiment infinie d’informa-
tion. Ces organisations qui se caractérisent par une taille relativement petite pour un
impact énorme peuvent profiter d’un effet de levier important. Tout avantage dans le
marché a un effet accélérateur. Plus elles sont consultées, plus elles gagnent en puis-
sance et plus elles sont rentables. Les profits sont faits de façon indirecte car le
service est gratuit. La vente aux enchères de mots clés et des activités liées comme
la publicité sur le site permettent de rentabiliser l’activité. L’effet d’accélération lié
à la taille explique la domination de Google, d’Amazon pour les sites marchands et
de Facebook pour les réseaux sociaux. Dans chaque cas, ces organisations per-
mettent d’atteindre gratuitement le plus d’information, de choix, ou de monde au
travers d’un seul lien. Face à eBay dont les services sont payants, la stratégie défen-
sive du site marchand Alibaba en Chine a été de créer Taobao qui offrait les mêmes
services gratuitement. Taobao a ainsi su conquérir une position dominante très rapi-
dement et forcer eBay à quitter le marché  ; eBay n’ayant pas su se libérer d’une
conception classique de commission sur les transactions.
Face à cette dominance, la stratégie des organisations de moindre taille a été de se
spécialiser ou de se démarquer autrement. Pour une entreprise commerciale, la

316
Organisation et alignement stratégique   ■  Chapitre 16

relation directe avec le client a permis de développer des communautés qui peuvent
contribuer au produit ou au service. Le site de tourisme cherchera à obtenir des cri-
tiques de restaurants et d’hôtels. Un site de vente de T-shirts a même réussi à déve-
lopper une communauté qui développe des graphismes pour orner les T-shirts.
L’interaction entre les internautes est très organisée. Chacun peut soumettre des
graphismes qui seront vus en ligne et critiqués. Par l’accumulation de commentaires,
les meilleurs projets sont identifiés. Ils gagnent un prix et le graphisme sera imprimé
sur les T-shirts mis en vente, en tirage limité. Au sein de la communauté, les
échanges sont dynamisés par la diversité des rôles que les uns et les autres peuvent
jouer et des avantages qu’ils y trouvent. Cette entreprise a entièrement extériorisé la
conception et se limite à produire les maillots, à les expédier et à animer le site. De
façon non-commerciale, Wikipedia tire parti des connaissances du public pour
constituer une encyclopédie très complète, financée pour sa part par des dons indi-
viduels. De nombreuses initiatives voient ainsi le jour, qui développent une écono-
mie de partage, du « crowdsourcing », où les petits apports individuels financent des
projets intéressants, à l’autopartage et aux sites d’échange.
Par le développement d’Internet, le coût marginal de biens et de services est réduit
voire nul. L’industrie musicale, le cinéma, le livre et les journaux sont tous lourde-
ment affectés et ont de grandes difficultés à se transformer. Le partage de moyens
comme l’automobile ou l’échange de logements réduit les besoins et donc la
demande. Dans cet environnement, la stratégie consiste à inventer un modèle écono-
mique qui fasse intervenir des activités complémentaires couplant l’achat d’un pro-
duit ou d’un service avec des éléments comme l’information ou la création ou
l’évaluation. La stratégie de l’entreprise implique une bonne connaissance de la
communauté et de ses réactions afin de pouvoir la gérer. Certaines informations,
certaines manœuvres, une alliance stratégique peuvent générer un « buzz » positif
ou négatif capable de faire et de défaire l’entreprise. Pour toutes ces potentialités,
l’organisation internet est donc le plus fragile des modèles évoqués mais aussi celle
qui connaît les développements les plus impressionnants.
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Pour la mise en œuvre de la stratégie, le choix organisationnel est déterminant. Les


modèles traditionnels, par fonction, par opération ou matricielle ainsi que l’organi-
sation en réseau s’appuient sur l’idée d’une activité entièrement maîtrisée valori-
sable sur le marché. Des activités complexes peuvent être menées avec des stratégies
locales ou mondialisées. Mais après les transformations liées aux technologies de
l’information, une nouvelle vague de transformations liée aux problèmes d’environ-
nement et aux économies d’énergie pousse à de nouveaux changements, encoura-
geant le partage. Plutôt que la possession, c’est probablement l’usage que les
nouvelles générations chercheront ; l’organisation Internet répond de façon remar-
quable à cette évolution.

317
Conclusion

L ’ouvrage arrive à sa fin. Tout au long de ce dernier, la stratégie d’entreprise a


été présentée, analysée, construite, discutée. Toutefois, le dirigeant sait qu’entre
les démarches rationalisantes décrites et la réalité de l’action quotidienne, le grand
écart doit souvent être fait. Car la réalité est plus complexe que ne le laisse entendre
ce qui a été présenté. Le véritable défi pour le dirigeant est alors de construire la
stratégie et de piloter l’entreprise selon les préceptes énoncés tout en prenant en
compte le désordre naturel que les actions entrepreneuriales induisent. Comment
assurer la stabilité nécessaire à la stratégie tout en évitant de tomber dans le piège
d’un fonctionnement artificiel qui ne tient pas compte de la dynamique des forces
de désordre et de changement ?
Dans un univers complexe, le dirigeant se trouve souvent dans l’impossibilité de
prédire les conséquences attachées à ses actions et il ne peut non plus répliquer les
modèles à succès du passé. La gestion de l’entreprise, où ordre et désordre exercent
des forces centrifuges, rend la tâche d’une telle complexité qu’il est souvent impos-
sible de la maîtriser. Toutefois, si des objectifs moins ambitieux sont fixés, alors tout
est possible. La stratégie reprend tout son sens. La réalisation d’un objectif précis
selon un chemin donné est illusoire. En revanche, la mise en place de conditions
facilitantes permettant à l’entreprise et à ses acteurs de trouver leur voie, tout en
avançant, est une ambition moins grande, moins volontariste, certes, mais plus réa-
liste et qui peut être satisfaite.
Stratégies

Libérer les initiatives

Dans la mesure où il n’est pas possible de diriger seul, du sommet, un ensemble


complexe et que l’opposition de forces contradictoires vient contrarier le déroule-
ment stable de la stratégie, la décentralisation, l’autonomie, la liberté d’initiative et
l’acceptation de déviances doivent être recherchées et favorisées. Par exemple, dans
certaines entreprises, l’autonomie est donnée aux responsables des unités opération-
nelles pour élaborer les stratégies qui leur semblent les meilleures. Autonomie, bien
entendu, guidée par un objectif simple de domination des marchés et un système
d’incitation, qui poussent les dirigeants de ces unités dans le sens souhaité par
l’entreprise. Chez Danone, les responsables de pôles jouissent d’une autonomie
similaire, ainsi d’ailleurs que certaines de leurs unités opérationnelles. Autonomie,
là aussi surveillée par le dialogue constant avec la direction et les systèmes d’éva-
luation et de récompenses. On retrouve là le principe de subsidiarité cher aux mili-
taires, selon lequel celui ou celle engagé dans le feu de l’action a la possibilité de
prendre les dispositions qui s’imposent, même si elles vont à l’encontre des plans
établis par l’État-major. L’autonomie est ainsi favorisée par l’espace de liberté dont
les acteurs de l’entreprise bénéficient, leur donnant le droit et le devoir de trouver
des réponses aux problèmes qui se posent en fonction de la situation.

Procéder pas à pas

Dans les systèmes complexes, l’ordre, imposé par le sommet, n’est que tempo-
raire. De manière fréquente, l’entreprise se trouve dans un univers où la prévision
est impossible. La seule manière de procéder est alors d’avancer à petits pas et de
revoir fréquemment le déroulement des actions qui ont été entreprises dans le but de
les réactualiser. Il s’agit ici de rendre le déroulement des actions plus linéaire. Dans
le domaine de l’organisation, on parle d’approches incrémentales, suivant lesquelles
aucune action irréversible n’est mise en œuvre afin d’éviter de pousser le système
en dehors de son cadre de fonctionnement. Ce faisant, l’entreprise peut, en temps
réel, réorienter sa stratégie, la modifier, la remettre en cause si nécessaire en fonction
des opportunités qui se présentent, des modifications non anticipées de l’environne-
ment, des événements de toutes natures qui viennent peser sur le bon déroulement
de ce qui a été initialement projeté.
Nous sommes dans la situation similaire de celle d’un enfant qui souhaite
construire un Lego géant sans en avoir le plan précis, mais seulement une vision
d’ensemble. Vision qui se forme et se déforme au fur et à mesure que chaque pièce
est ajoutée et retirée en fonction des difficultés et des possibilités nouvelles d’amé-
nagement qui apparaissent. Bien entendu, cette approche a des limites dans la
mesure où il est parfois difficile à l’entreprise de procéder par ajustements succes-
sifs. Des sauts qualitatifs et quantitatifs sont parfois nécessaires afin qu’elle puisse

320
Conclusion

devenir ou demeurer un acteur crédible du marché. Il s’agit enfin d’un pis-aller, car
même une petite action peut entraîner à terme des changements d’envergure, remet-
tant en cause l’ordre initial souhaité.

Favoriser le débat
Dans les contextes caractérisés par l’incertitude et la complexité, une démarche
plus ouverte de choix stratégique, où le débat a lieu, où le chef n’a pas forcément
raison et où les a priori peuvent être remis en cause, peut aider à la découverte de
voies inhabituelles qui rompent avec les cadres de référence du passé. Il s’agit, pour
ce faire, d’adopter une véritable dialectique dans laquelle les acteurs ont la possibi-
lité de s’exprimer, de remettre en cause les schémas dominants, d’en proposer des
alternatives et d’arriver à une représentation plus fidèle du monde. La société Shell,
depuis longtemps, procède ainsi avec sa méthode fondée sur les scénarios prospec-
tifs dont l’objectif est de créer, chez son personnel, de véritables cartes mentales lui
permettant, lorsque l’environnement se découvre, d’être prêt à apporter les réponses
appropriées. De même, les réunions entre le personnel et ses dirigeants à tous les
niveaux de la hiérarchie de la General Electric, les fameux « work-out » organisés
pour critiquer, débattre, suggérer, s’inscrivent dans une perspective analogue. Enfin,
chez d’autres, la fixation des objectifs stratégiques entre opérationnels et leur direc-
tion est une occasion pour discuter des enjeux et des orientations futures souhai-
tables dans un débat ouvert, pendant lequel chacun s’exprime et a la possibilité de
remettre en cause les normes établies.

Expérimenter
Une autre voie à suivre pour l’entreprise est l’expérimentation. L’expérimentation
permet de préparer l’entreprise à des futurs inconnus. L’entreprise, en développant
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de nouvelles réponses, grâce à la création d’un répertoire d’expériences, peut réagir


à des situations qu’elle n’a pas prévues. Les activités qui ne sont pas directement
liées à la mission de l’entreprise permettent ainsi d’améliorer sa capacité de réponse
à la complexité et aux conditions changeantes. Ce faisant, l’entreprise est plus à
même de remettre en question ses manières de procéder et de trouver le chemin le
plus approprié. Dans ce dessein, pour évoluer et s’adapter de manière continue,
l’entreprise doit laisser de la liberté à ses composantes. De même, grâce à l’expéri-
mentation, l’entreprise peut découvrir des réponses à des problèmes mal identifiés
en proposant des solutions possibles, expérimentées dans le passé et parmi les-
quelles elle peut venir puiser lorsque la situation le réclame. C’est ce à quoi se
préparent Google et beaucoup d’autres entreprises, lorsqu’elles investissent dans des
activités, telles que la robotique, l’intelligence artificielle, la domotique, les services
financiers, les transports, pour voir, pour tester, pour apprendre, sans bien connaître

321
Stratégies

ce que le futur leur réserve. Elles ont une intuition vague de l’évolution de leur envi-
ronnement, mais ne connaissent pas la tournure que prendront les événements. Dans
un autre registre, il y a quelques années, la société Kenwood, dans l’électroménager,
expérimentait lorsqu’elle mettait sur le marché une dizaine de nouveaux produits par
an et laissait ce dernier décider de ceux, parmi ces produits, qu’elle devait retenir.

Accompagner les émergences


Les innovations, l’expérimentation, les initiatives individuelles sont des sources de
désordre. Elles créent des demandes qui ne sont pas forcément en cohérence avec
les objectifs planifiés de l’entreprise. Les forces de changement favorisent l’émer-
gence de nouvelles formes d’ordre. Elles préparent l’entreprise à un ordre nouveau
à venir. Par la création d’une instabilité interne, le désordre offre une occasion
d’explorer de nouvelles manières de faire et d’agir. En conséquence, ce dernier faci-
lite l’adaptation de l’entreprise à des demandes inconnues de l’environnement. Cette
forme d’auto-organisation apparaît à la frontière du chaos et loin de l’équilibre.
Dans ce cadre, l’entreprise peut remettre en question sa manière de faire et trouver
ainsi les actions adéquates lui permettant de se renouveler. De même, lorsque des
stratégies émergent suite à des opportunités ou des initiatives individuelles, il ne
s’agit pas pour autant de les rejeter sous prétexte qu’elles n’entrent pas dans la stra-
tégie établie. Que serait Danone aujourd’hui, si Antoine Riboud, à la tête du groupe
verrier BSN, avait refusé la proposition de Daniel Carasso de fusionner avec son
entreprise Gervais-Danone ? Il faut au contraire étudier ces stratégies, les surveiller,
les laisser se développer. Les émergences, dues à une dynamique interne ou issues
d’une évolution externe, doivent être accompagnées jusqu’au moment où elles se
révèlent porteuses de progrès pour l’entreprise, afin de les faire fructifier ou au
contraire, si elles se montrent sans avenir, les abandonner.

Vingt fois, réinventer


Enfin, la complexité à laquelle l’entreprise est soumise montre les limites des
recettes à succès, de l’imitation des modes de management et de la reconduction de
pratiques qui ont réussi dans le passé. De nombreux travaux ont montré que les
entreprises échouent pour les mêmes raisons que celles qui ont fait leur succès dans
le passé. Les mêmes actions, qui ont fourni d’excellents résultats, se révèlent un jour
être des sources d’échec. Au-delà de l’imprévisibilité du contexte dans lequel
­l’entreprise évolue, nous rencontrons là une autre forme d’incertitude. L’entreprise
ne peut jamais se retrouver dans deux situations identiques. Dans ce cas, du fait des
interactions multiples qui caractérisent tous les systèmes complexes, des actions
similaires ne mènent jamais au même résultat. Afin de faire face à ce problème,
l’entreprise doit apprendre à désapprendre, afin d’éviter de tomber dans le piège de

322
Conclusion

la routine et des stratégies qui ont « fait leur preuve ». C’est ce qu’avait bien compris
General Electric, en mettant en place son programme « destroyourbusiness.com » à
l’arrivée d’Internet, afin de remettre à plat l’intégralité de ses pratiques au regard de
la révolution à venir. Le passage d’une stratégie produit à une stratégie de marque
chez Danone s’inscrit dans une démarche analogue. La stratégie de l’entreprise et
son portefeuille d’activités ont été revus de fond en comble au regard de cette nou-
velle orientation. De façon similaire, Microsoft a procédé à un changement radical
de sa stratégie initiale face au développement de nouveaux types de terminaux tels
que les téléphones mobiles, les tablettes et autres « phablettes » et « clamshells »,
remettant en cause des pratiques qui avaient bien réussi dans le passé. De même,
aucune entreprise ne pouvant se trouver dans des situations fidèlement comparables,
il est peu vraisemblable que le transfert de stratégies éprouvées chez l’une au béné-
fice d’une autre puisse apporter les mêmes résultats. Dans ce cas, l’entreprise doit
faire preuve d’imagination en s’appuyant sur les pratiques externes comme sources
d’inspiration, mais doit surtout éviter de tomber dans le piège de la simple imitation.
Nous passons ainsi de la mesure industrielle au cousu main, de la démarche pla-
nifiée à l’artisanat, du volontarisme à l’adaptation, des certitudes à l’imagination. Le
dirigeant de l’entreprise complexe navigue entre l’immobilisme et le chaos, là où les
émergences sont possibles, où les changements se font. Il crée les conditions qui
favorisent l’émergence de nouvelles stratégies et formes d’organisations, il instaure
une véritable dialectique, il expérimente, il offre des espaces de liberté tout en
conservant en tête enjeux et sens de l’action.

323
Index

Avantage
A
concurrentiel 19, 109, 114, 116, 117,
Acquisition 149, 160 135, 223
Acteur(s) 2, 33, 52 de coût 135
Actif net comptable 252 de différenciation 219
Actionnaire 134
Activités primaires 115 B
Adaptation 209
Barrière(s)
Alignement stratégique 307
à la mobilité 99
Alliance 140, 168, 208
à la sortie 80
Alliés 53
à l’entrée 78, 80
Analyse
Barrières à l’entrée 182
de la concurrence 83
Base politique 52
de la demande 73
Bas-haut 40
de l’environnement 48
Boston Consulting Group 240
de l’offre 76
Business strategy 19
de portefeuilles d’activités 240
des compétences 104, 108
C
financière 104, 121
Approches incrémentales 320 Canaux de distribution 79
Atouts 28, 48 Cannibalisation 137
Attrait du marché 243 Capacités stratégiques 104
Audit Centres d’activités stratégiques 47, 93
des ressources 104 Chaîne de valeur 104, 114, 180, 210
interne 104 Changement émergent 295
Autonomie 310, 320 Changement organisationnel 97
Stratégies

Changement stratégique 285


D
Charismatique 9
Choix stratégique 49 Décentralisation 320
Clauzewitz 18 Déclin 239
Clientèle 95 Défis 8
Clients 83 Degré de concentration 80, 82
Clusters 177 Delphi 67, 69
Coalitions 54 Destruction de valeur 248
Dialectique 321
Coefficient de risque 250
Différenciation 136, 212, 217
Cohérence stratégique 133
des produits 78
Compétence(s) 109, 175, 180, 192, 194
Dilemmes 242
additionnelles 109
Dimension
distinctives 28 socio-politique 82
fondamentales 110 technologique 82
nécessaires 109 Dirigeant 8, 12
Complémentarités collectif 8
géographiques 153 manager 11
produits 153 stratège 12
Concepts de stratégie 23 Distribution 82
Conflit(s) 309 Diversification 131
Contingence 48 concentrique 132
Contrôle stratégique 29 conglomérale 132
Contrôleur
financier 44, 45, 46
E
stratégique 42, 44
Coopération 140, 167 Économies
Coopétition 169 d’échelle 78, 81, 155, 181, 184, 189
Coordination 156, 307 d’impôts 157
Couples produits-marchés 96 Écosystème d’affaires 176
Coûts Ecosystèmes 175
de passage 79 Effets d’expérience 181
de production 180 Émergences 322
Entrant(s) potentiel(s) 83
de transaction 168, 180, 181
Entreprise intégrée 184
du capital 249
Entreprises non cotées 166, 257
internes 185
Environnement
Création concurrentiel 72
de richesse 248 externe 59
de valeur 160, 248 général 58, 59
Critère(s) de sélection 163 Équilibre 242, 258
Croissance 48, 239 Étalonnage 104
du marché 240 Évaluation
interne 129 des actifs 164
Cycle de vie 74, 138, 237 financière 164

326
Index

Évolution 205 globales 208


Expansion 130 nouvelle(s) 198
Expérimentation 321 Influences
Externalisation 180, 186, 191, 193, 304 de l’endettement 257
offshore 188 politiques 53
Information 12, 59
F externes 63
Initiative(s) 320
Facteurs
stratégique(s) 42
clés de succès 101
Innovation 134
de risque 165
Instabilité sectorielle 84
Fievet 18
Intégration
Firme(s) en concurrence 83
en amont 180
Flexibilité 184, 201
verticale 180, 185, 282, 285, 287, 290, 302
Foch 18
Intelligence économique 66
Forces
Interdépendance 2, 3
compétitives 243
Internalisation 180
et faiblesses 104
Formulation des stratégies 48
Fournisseurs 83, 192 L
Frontières d’entreprise 180
Levier 13
Frontières des organisations 148
stratégique 13
Lois du marché 235
G
General Electric - McKinsey 243 M
Gestion
du changement 13, 14 Manager 9
du contexte organisationnel 14 Marché interne 184
du contexte stratégique 14 Matrice 240, 243
Gouvernement d’entreprise 300 croissance part de marché 240
Groupes stratégiques 98, 101 dérivée de la théorie financière 247
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d’orientation stratégique 246


Maturité 239
H MEDAF 165
Haut-bas 40 Meilleure(s) pratique(s) 122
Haut-bas-haut 40 Mintzberg (Henry) 12, 22
Mise en œuvre de la stratégie 282, 283
Mission 23, 47
I
Mode
Imitation 142 de coopération 168
Incertitude 3 de développement 26, 27
Indépendance stratégique 53 Modèle
Industrie(s) de diffusion 238
en maturité 201 M/B 247
en mutation 205 Montant des investissements 79

327
Stratégies

Problèmes d’intégration 167


N
Processus
Nature des firmes en présence 83 d’acquisition 161, 162
économique 55
O haut-bas-haut 39
politique 54, 55
Objectif(s) 33, 34, 47 rationnel 51
Opportunisme 169 Produits de substitution 83
Opposants 54 Programmes
Oppositions 52 et plans d’action 49
Organisation Prospective stratégique 66
en réseau 313 Protection
internet 316 de l’entreprise 65
matricielle 312 de l’information 65
par fonctions 308
par opérations 309 R
pivots 175 Rémunération 304
Rentabilité
P des capitaux propres 249
requise 165
Part de marché Réseau d’administrateurs 303
naturelle 205 Réseaux 175
relative 240 Résistance au changement 289
partenariat vertical 173, 175 Responsable 11
Pénétration 129 Ressources 26, 105, 175, 180, 182
PER 164 Rigidité organisationnelle 97
Pérennité 239, 242 Rôle
Pilotage 3, 45 de contact 12
Planificateur 9 de décision 12
stratégique 38
Planification
S
bas-haut 40
haut-bas 40 Scénarios 28, 66, 69
haut-bas-haut 42 Segmentation stratégique 93
stratégique 38 Segments 75
Planifiée(s) 36 Sensibilité 237
Portefeuille Sources d’information 61, 63
d’activités 23, 48, 234 Sous-capacité 76
Porter (Michael) 19, 78, 83, 84, 114, 135, Sous-traitance 112, 116
210, 216 Standardisation 140, 208
Position concurrentielle 240, 243 Stock-options 304
Prévision 4 Stratégie 18
Principes 18 corporate 19
Prix corrective 48
du risque 250 d’activité 19

328
Index

de contingence 29 Système
délibérée 21 de management 49
émergente 21 d’incitation 43
générale 19 politique 53
politique 54
Structure T
des coûts 77
organisationnelle 184 Tâches 12
Style du dirigeant 14 Taux de rentabilité 249
Substitution 205 Traitement des informations 69
Sun Tse 18 Transactions 180
Surcapacité 76 Transfert d’expertise 157
Surplus de liquidités 157
Surveillance de l’environnement 58, 63, 64 V
SWOT 104, 286
Synergies 132, 182, 184, 209 Valeur
financières 153 de la cible 165
opérationnelles 153 économique 247

329
Management Sup

Strat�gie de l’entreprise
Diagnostic et décisions stratégiques, 2011 Analyse stratégique – Les fondements
T. Atamer, R. Calori économiques, 2011
Psychosociologie en Sciences de gestion, 2013 P. Jeanblanc
V. Bertrand Management stratégique – Projets, inter­
Politique d’achat et gestion des approvision- actions et contexte, 2e éd., 2004
nements – Enjeux, problématiques, organisation, G. Koenig
changement, 4e éd., 2014
O. Bruel, P. Ménage Stratégies d’internationalisation, 3e éd., 2013
J.-P. Lemaire
Management des entreprises du tourisme –
Stratégie et organisation, 2014 La responsabilité sociale des entreprises –
C. Clergeau Théories et pratiques, 2010
11 Cas de stratégie, 2015 F. Lépineux, J.-J. Rosé, C. Bonanni, S. Hudson
I.  Calmé, M.  Polge (coord.)
Diagnostic de la performance de l’entre­prise
Introduction à la gestion, 3e éd., 2013 – Concepts et méthodes, 2012
I.  Calmé, J.  Hamelin, J.-Ph.  Lafontaine, A. Marion, A. Asquin, C. Everaere, D. Vinot,
S. Ducroux, F. Gerbaud M. Wissler
L’entreprise en 20 leçons, 4e éd., 2006
Stratégies et changement – Innovations et
P. Conso, F. Hémici
transformations des organisations, 2013
Organisations et stratégie, 2004 O. Meier et al.
M. Crémadez
Fusions acquisitions – Stratégie, finance,
Entrepreneuriat – Apprendre à entreprendre,
management, 4e éd., 2012
2e éd., 2012
A. Fayolle O. Meier, G. Schier

La prospective stratégique – Pour les Stratégies – Des concepts à leur mise en œuvre,
entreprises et les territoires, 2e éd., 2011. 3e éd., 2015
M. Godet, Ph. Durance R.-A.  Thietart, J.-M.  Xuereb, J.  Barthélemy,
Le management des risques et des crises, C. Donada, G. Van Wijk
3e éd., 2011 Management du sport – Marketing et gestion
O. Hassid
des clubs sportifs, 4e éd., 2015
L’innovation managériale – Comptabilité. G. Tribou, N. Dermit, C. Wojak
Finance. Marketing. Contrôle de gestion.
Stratégie. Management. Systèmes d’infor­ Le développement durable – Théories et
mation. Production. Entrepreneuriat. RSE, 2013 applications au management, 2e éd., 2010
A. Jaouen, F. Le Roy (coord.) D. Wolff

072254 - (I) - (1,8) - OSB 80° - BPA - CDD


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