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S T R AT é G I E d e l’ e n tr e p ri s e
Stratégies
Des concepts à leur
mise en œuvre
3 e édition
Avec la participation de
Jérôme Barthélemy • Carole Donada • Gilles van Wijk
Conseiller éditorial : Christian Pinson
Mise en page : Belle Page
© Dunod, 2015
5 rue Laromiguière, 75005 Paris
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-072254-9
Table des matières
Introduction 1
1 Rôle du dirigeant 7
2 Concepts de stratégie 17
3 Formation de la stratégie 31
IV
Table des matières
261
V
Stratégies
Conclusion 319
Index 325
VI
Introduction
1979, suite au deuxième choc pétrolier, BSN, par la voix de son président Antoine
Riboud, décide de se séparer de ses activités traditionnelles de verre plat, dévoreuses
d’énergie, et de renforcer plus encore sa position dans une activité émergente mais
prometteuse : l’agroalimentaire. Vingt-quatre ans plus tard, en mai 1997, Franck
Riboud, nouveau président du même BSN, devenu Danone quelques années aupara-
vant, annonce son intention de céder tous les produits d’épicerie (Amora, La Pie qui
Chante, etc.), dont les pâtes (Agnesi, Panzani), les emballages et les bières (Kanter-
brau, Kronenbourg), renonçant pour ce faire à 60 % de son chiffre d’affaires pour se
concentrer sur trois pôles : l’eau, les produits laitiers frais, l’alimentation infantile,
réunis dans un seul métier en cohérence avec sa marque et son image. En 2014, les
résultats parlent d’eux-mêmes. Danone a réussi à plus que doubler son chiffre
d’affaires d’avant cession, multiplier trois fois et demi son résultat net avec pour
conséquence le quadruplement de sa valeur boursière.
1995, Microsoft présente sa stratégie « Internet ». Cette dernière se fonde sur des
technologies maison, rassemblées au sein de Microsoft Network qui se lance dans
une attaque frontale contre AOL. Deux ans plus tard, suite à un séjour chez son Alma
Mater, Cornell University, à l’occasion d’une réunion d’anciens, un cadre de l’entre-
prise, bloqué par une tempête de neige, visite le campus pour tuer le temps. Là, il
découvre avec stupéfaction comment les étudiants se promènent sur la « toile » et
prend conscience de l’erreur de Microsoft de vouloir bricoler une technologie pro-
priétaire dans un monde désormais ouvert. Le courrier électronique envoyé à son
président, Bill Gates, a des conséquences monumentales. Ce dernier décide de revoir
de fond en comble la stratégie jusque-là adoptée, de mettre en perte et profit
300 millions de dollars et d’affecter 2 000 ingénieurs à une nouvelle division entiè-
rement consacrée à Internet. En 2002, la première Microsoft Tablet PC est mise sur
le marché avec presque dix ans d’avance sur l’iPad d’Apple.
1
Stratégies
2
Introduction
De la difficulté du pilotage
Puisque l’on ne peut prédire avec certitude l’enchaînement d’actions et de réactions
que peut déclencher une stratégie, l’élaboration de séquences d’actions prédétermi-
nées semble vouée à l’échec. L’incertitude attachée à l’action pose ainsi des problèmes
de pilotage, car la volonté de maîtrise conduit à imposer au système un ordre arbitraire.
Cette volonté de maîtrise tend à supprimer les désordres internes ou externes qui, tout
en menaçant le fonctionnement de l’entreprise, contribuent paradoxalement à son
organisation. Autrement dit, dans un contexte d’interdépendance, la centralisation du
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pouvoir au sommet et l’idée corollaire d’une stratégie qui s ’applique du haut vers le
bas ne peut fonctionner. Elle bloque les capacités autonomes des individus, empêchant
l’entreprise de s’adapter et de trouver par elle-même la voie vers le succès.
3
Stratégies
4
Introduction
C’est ce que nous voyons dans le premier chapitre. Dans un deuxième chapitre,
nous abordons ce dont on a beaucoup parlé jusqu’ici sans vraiment le définir, à savoir
la stratégie. Vaste domaine qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, de Sun Tse à
Michael Porter en passant par Clausewitz et Fievet. Parle-t-on de la même stratégie
lorsque l’on s’adresse à un centre de profit ou à l’entreprise dans son ensemble ? La
stratégie est-elle de même nature lorsqu’elle se construit en marchant ou lorsqu’elle
est décidée dans les États-majors ? Dans le troisième chapitre, nous traitons de la ou
des manières dont la stratégie se construit. Il n’existe pas un processus unique de
détermination de la stratégie. Certaines entreprises ont mis en place des modes de
construction de la stratégie très formalisés avec de nombreux allers-retours entre les
États-majors et les unités opérationnelles. D’autres, en revanche, s’appuient sur des
démarches plus autonomes où l’initiative stratégique est le fait des unités opération-
nelles. Venant du sommet ou initiées par la base, ces démarches ont toutes pour voca-
tion de mettre en évidence les sources de l’avantage concurrentiel. Pour ce faire, deux
réflexions complémentaires sont menées. La première réflexion porte sur le contexte
général (chapitre 4) et sur l’environnement concurrentiel plus particulièrement (cha-
pitre 5). Il s’agit de comprendre la dynamique d’ensemble dans laquelle l’entreprise
est engagée et de mettre en évidence les grandes tendances qui peuvent influencer dans
l’avenir la bonne réalisation de sa stratégie. Il s’agit aussi d’une analyse plus centrée
sur l’entreprise en tant que telle, ses concurrents, ses clients et fournisseurs, c’est-
à-dire tous les acteurs qui contribuent ou qui empêchent la réalisation d’une stratégie
économiquement viable et profitable. Après avoir défini plus précisément le champ
d’analyse dans le chapitre 6 sur la segmentation et les groupes stratégiques, la deu-
xième réflexion porte sur les ressources de l’entreprise (chapitre 7). L’objet ici est la
mise en évidence des atouts sur lesquels la stratégie peut se construire. C’est à partir
de cette réflexion d’ensemble que se feront des choix entre modes de croissance. Parmi
ces modes, nous abordons successivement les différentes stratégies de croissance dont
celles de développement interne (pénétration, expansion, innovation) dans le cha-
pitre 8, puis celles externes (acquisitions, fusions, coopérations et partenariats) au
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chapitre 9, avant d’aborder les formes hybrides telles que les externalisations et les
réseaux, dans le chapitre 10. Dans le chapitre 11, nous étudions les différentes stra-
tégies mises en œuvre selon la maturité et la structure de l’industrie, dont en particulier
celles des industries globales. Le chapitre suivant (chapitre 12) aborde le type de
positionnement porteur d’avantages concurrentiels et le chapitre 13 traite du porte-
feuille d’activités, activités à partir desquelles l’entreprise va déployer sa stratégie. Le
chapitre 14 étudie la robustesse des choix stratégiques faits et met l’accent sur la prise
de risque du dirigeant face à ces choix. Les chapitres 15 et 16 abordent enfin les
dimensions importantes que sont le changement stratégique, le contexte organisation-
nel et sa gestion qui, idéalement, vont orienter les efforts de chacun dans le sens sou-
haité. Ils introduisent aussi le thème de la relation dirigeant-actionnaire, dont en
particulier les systèmes d’évaluation et de récompenses mis en œuvre dans le but
d’aligner des intérêts parfois divergents.
5
Chapitre
1 Rôle du dirigeant
OBJECTIFS
Expliquer ce qu’est le rôle essentiel du dirigeant.
Aborder ses styles de « leadership ».
SOMMAIRE
Section 1 Des défis nombreux
Section 2 Que fait un dirigeant ?
Section 3 Le style du dirigeant
Chapitre 1 ■ Rôle du dirigeant
8
Rôle du dirigeant ■ Chapitre 1
Cette période dure jusqu’aux années cinquante, qui connaissent une croissance
sans précédent : les « Trente Glorieuses », qui succèdent à la seconde guerre mon-
diale. Les marchés commencent à s’ouvrir, de grands ensembles économiques, tel
que le marché commun, se constituent. La demande pour des biens et services tou-
jours plus nombreux s’accroît, faisant suite aux années de privation de la guerre et
répondant à l’effort de reconstruction. Afin de faire face à cette demande, les entre-
prises grandissent, recrutent massivement et investissent lourdement dans des outils
de production performants. Désormais, il est nécessaire de mieux prévoir et planifier
le développement. L’intuition et le charisme ne suffisent plus. De charismatique, le
dirigeant doit se transformer en manager et planificateur. Sous l’impulsion des pro-
grammes de formation à la gestion dans les écoles et les universités, toujours plus
nombreux, destinés aux cadres de ces entreprises en croissance, gérer devient une
science que l’on peut codifier, acquérir et transmettre. D’inné, l’art de diriger
devient un caractère acquis ! Ceci fait la part belle d’une industrie en plein essor
celle des sociétés de conseil. Diriger devenant une science, des experts peuvent en
découvrir et maîtriser les lois afin de les appliquer chez les entreprises qui en font la
demande. Nous sommes, dorénavant, dans le règne de la maîtrise économique et
celui des certitudes. Et cela semble marcher. La croissance est là pour cacher les
erreurs de prévision et de gestion. Si tout ne se passe pas exactement comme sou-
haité, qu’importe ! L ’entreprise et son d irigeant donnent l’impression de réussir,
même s’ils auraient pu mieux faire encore.
c Focus
Les défis à relever selon les époques,
témoignages de dirigeants
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Chapitre 1 ■ Rôle du dirigeant
☞
1981-1991 : la construction européenne pénurie d’ingénieurs. Ces nouveaux arri-
« Le défi majeur est de transformer un vants doivent adhérer à notre culture,
groupe franco-français avec deux grands nous devons tout faire pour les garder »
clients, Renault et Fiat, en un groupe inter- (Bernard Liautaud, PDG de Business
national avec des clients plus variés. Il s’agit Objects).
également d’innover l’entreprise […], on
2000-2015
doit se lancer dans l’électrique et l’électro-
nique […], imaginer des produits moins Les nouveaux défis sont nombreux en cette
polluants, plus sûrs. Ceci dans un contexte période : crise financière, ralentissement de
d’inflation qui oblige à une constante rééva- la croissance, désindustrialisation, montée
luation des prix, des clients et fournisseurs. » en puissance de la concurrence asiatique,
(Noël Goutard, PDG de Valeo). diversité culturelle des équipes, extension
du commerce et de la communication élec-
1991-2000 tronique, instabilité géopolitique. Dans ce
« Nous devons nous renouveler sans nouveau contexte, diriger nécessite de plus
arrêt, sans jamais nous reposer sur nos encore innover et s’adapter. Cela nécessite
lauriers. Dans un marché en révolution de la clairvoyance, certes, mais aussi une
permanente, une start-up créée il y a six capacité de transformation jamais inégalée
mois dans un garage peut nous mettre en tout en gardant le cap.
danger. Nous devons garder notre agilité,
anticiper, réagir vite. Autre défi, nous D’après : « Cinq entrepreneurs posent
devons gérer notre croissance […]. Il faut leur regard sur le siècle »,
recruter massivement alors qu’il y a Le Monde, mardi 4 avril 2000, p. 20-21.
10
Rôle du dirigeant ■ Chapitre 1
les premières victimes d’une performance décevante. Bien rémunéré, bardé de para-
chutes dorés, bonus et autres options, le dirigeant est sur le fil du rasoir. La pression
à laquelle il est soumis renforce plus encore la difficulté de sa mission. Dans ce
nouveau contexte, seuls celles et ceux qui ont des capacités intellectuelles et émo-
tionnelles hors pair, réussissent dans la durée.
Les entreprises non cotées, certes, sont moins sous les feux de l’actualité et font
l’objet de moins d’attention de la part des analystes financiers et journalistes écono-
miques. Elles sont moins étudiées, commentées, analysées que les ténors de la Bourse.
Néanmoins, leurs dirigeants non propriétaires subissent aussi les pressions d’un
actionnariat, souvent familial et omniprésent, qui doit veiller à préserver son patri-
moine. De plus, que ce soit dans l’entreprise cotée ou non, le dirigeant manager, à
d’autres niveaux de la hiérarchie, directeur de filiales ou de centres de profit, est rare-
ment préservé lorsque son patron au sommet est confronté à des échéances raccourcies
11
Chapitre 1 ■ Rôle du dirigeant
et à une culture du résultat. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les changements
récemment introduits dans les modes de pilotage des entreprises. Ces nouveaux modes
mettent l’accent sur une autonomie et une responsabilité accrues des managers. De
plus, ils mettent l’accent d’une manière renforcée sur la recherche d’une performance
orientée à plus court terme et ce dans le cadre d’un système de reporting contraignant.
C’est le dilemme du dirigeant d’aujourd’hui fournir de la performance à court
terme, tout en construisant l’avenir, créer de la valeur à long terme tout en étant
directement responsable de résultats dont le suivi s’est durci et l’échéance, raccour-
cie. Tâche immense qui nécessite une bonne compréhension de l’environnement
concurrentiel de l’entreprise, de ses compétences et atouts, une maîtrise intelligente
des choix stratégiques possibles, une parfaite mise en œuvre de ces derniers.
12
Rôle du dirigeant ■ Chapitre 1
13
Chapitre 1 ■ Rôle du dirigeant
Levier de changement
– nature
– rythme
– importance
Pour décider d’une stratégie, des moyens nécessaires à sa mise en œuvre, du mode
de changement adopté, le dirigeant peut agir seul ou faire participer le plus grand
nombre ou bien encore trouver un juste milieu entre exercice solitaire du pouvoir et
démocratie directe. Le style de direction est amené à varier en fonction de plusieurs
14
Rôle du dirigeant ■ Chapitre 1
15
Chapitre 1 ■ Rôle du dirigeant
Sous la conjonction des trois facteurs que nous venons d’évoquer, plusieurs styles
de direction sont possibles. La figure 1.2 présente l’influence de ces trois facteurs.
À l’un des extrêmes, nous avons le dirigeant autocrate qui prend ses décisions et les
annonce. À l’autre, le dirigeant laisse le personnel libre de choisir tant que certaines
contraintes sont respectées. Entre ces deux styles opposés, de gauche à droite, une
progression dans la délégation se fait en essayant, dans la mesure du possible,
d’adapter le style aux influences respectives des valeurs du dirigeant, des attentes
des subordonnés et des caractéristiques de la situation. C’est ainsi que le dirigeant
peut simplement essayer de convaincre du bien-fondé de ses choix, ou bien c onsulter
ses collaborateurs avant de décider, ou bien encore les laisser décider à l’intérieur de
limites plus ou moins imposées.
La stratégie de l’entreprise et sa mise en œuvre dépendent du dirigeant, certes,
mais aussi de sa manière de diriger. Le contrôle absolu dans un environnement
stable et simple peut se justifier. En revanche, lorsque ce dernier est sans cesse en
mouvement, que les marchés se diversifient, que les technologies changent rapide-
ment, que la concurrence même lointaine se manifeste avec vigueur, être le seul
pilote à bord devient une tâche impossible. La construction de la stratégie, son
choix, sa mise en œuvre, son suivi deviennent plus encore que par le passé des élé-
ments clés pour un succès durable de l’entreprise. Le choix du style de direction, car
il induit la manière dont l’entreprise est conduite, devient de ce fait un choix qui est
lui-même stratégique.
Dirigeant
D° de centralisation
Centralisation Décentralisation
totale totale
Style Style
« autocratique » « laissez-faire »
D° d’autonomie
Subordonné Situation
16
Chapitre
Concepts
2 de stratégie
OBJECTIFS
Définir ce qu’est la stratégie d’entreprise.
Aborder les deux types de formation de la stratégie.
Décrire les concepts clés de la stratégie.
SOMMAIRE
Section 1 Définition(s) de la stratégie d’entreprise
Section 2 Stratégie délibérée et stratégie émergente
Section 3 Concepts de stratégie
Chapitre 2 ■ Concepts de stratégie
D u grec strategia, la stratégie est l’art du général. L’art de celui qui mène les
armées au combat. Le penseur le plus ancien et toujours influent en matière
de stratégie est sans aucun doute Sun Tse, un théoricien militaire qui vécut en Chine
environ cinq cents ans avant notre ère. Son Art de la guerre est considéré comme le
premier ouvrage sur la stratégie et la guerre. Sun Tse donne un ensemble de règles
et conseils organisés en treize chapitres allant des calculs préliminaires auxquels les
généraux doivent se plier, à l’utilisation d’agents secrets, en passant par les straté-
gies offensives et l’affrontement sur le terrain.
Gil Fievet, dans son ouvrage De la stratégie militaire à la stratégie d’entreprise1,
fait référence à Sun Tse. Il y décrit la stratégie comme se situant entre la pensée et
l’action, ce qui rend la tâche du stratège particulièrement complexe car « pour pen-
ser il faut douter, alors que pour agir il faut croire » (1991, p. 18). Pour l’aider dans
cette tâche, il dispose de principes, très discutés cependant, ceux établis à l’école de
guerre avant 1914 par le maréchal Foch. C’est à leur sujet qu’un parallèle saisissant
est fait avec les enseignements du théoricien chinois, illustrant là leur universalité
millénaire. Le premier principe, la concentration des forces, met l’accent sur l’accu-
mulation de moyens dans le temps et l’espace pour assurer une supériorité décisive.
Le deuxième est la liberté d’action ou la capacité d’agir quelles que soient les cir-
constances. Le troisième, l’économie des forces, est la mise en œuvre dynamique
des moyens dans le but de rendre l’action efficace.
Ces trois principes sont des conditions nécessaires au succès mais sont loin d’être
suffisants. L’adaptabilité aux circonstances, la créativité indispensable face à un
univers d’incertitude, où la décision ne peut se faire à partir d’une vision arrêtée à
l’avance ou lorsque tout est entendu, sont les voies, certes difficiles et complexes,
qui mènent à la réussite. Car, comme le dira Clauzewitz, directeur de l’académie
militaire de Berlin, plus de vingt-cinq siècles après Sun Tse, ce qui caractérise le
plus la guerre est le hasard. Dans un tel contexte, la reproduction de modèles hérités
du passé ne peut fonctionner. En revanche, une remise à plat des circonstances pour
y voir clair et une combinaison renouvelée des principes, en tant que guides pour
l’action plus que comme recette miracle, offrent des voies de solution.
Nous retrouvons dans les principes tous les ingrédients de la stratégie d’entre-
prise :
• Les atouts, les ressources et compétences sur lesquels les efforts vont idéalement
s’appuyer (premier principe).
• L’adaptation au contexte concurrentiel, technologique, social et de marché à
laquelle il est nécessaire de procéder si l’entreprise veut réussir (deuxième prin-
cipe).
18
Concepts de stratégie ■ Chapitre 2
Les principes donnent les caractéristiques d’une « bonne » stratégie. Mais com-
ment peut-on définir cette dernière ? Différentes définitions de la stratégie d’entre-
prise sont proposées par les experts en gestion. Toutefois, de fortes similitudes
existent entre elles. Par exemple, Michael Porter définit la stratégie comme « la
création d’une position unique et valorisante impliquant un ensemble différent
d’activités » (M. E. Porter, « What is Strategy », Harvard Business Review, nov.-déc.
1996). Cette définition met l’accent sur la réalisation de quelque chose d’unique et
par conséquent d’original. Il ne s’agit pas tant de faire mieux que la concurrence
mais de faire quelque chose qui soit de nature différente afin de pouvoir disposer
d’un avantage unique qui seul peut donner un avantage concurrentiel durable. Sans
cela, la course à l’imitation ou à la meilleure efficacité est obligatoire. Ce qui ne
permet pas de maintenir de manière durable un avantage qu’il faut alors sans cesse
reconstruire.
D’autres auteurs font une distinction plus fine entre la stratégie générale (stra-
tegy corporate) et la stratégie d’activité (business strategy). Par exemple, Kenneth
Andrew définit la stratégie générale comme l’ensemble des décisions « qui déter-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
minent et révèlent les objectifs, la mission et les buts, qui produisent les princi-
pales politiques et plans pour atteindre ces objectifs et définissent le domaine
d’activité que l’entreprise poursuit, le type d’organisation économique et humaine
qu’elle a l’intention d’être et la nature des contributions économiques et non éco-
nomiques qu’elle souhaite faire à ses actionnaires, employés et clients et à la
communauté ». La stratégie d’activité, quant à elle, est moins globale. Elle couvre
« le choix de produits ou de services et le marché des activités de la firme ». La
stratégie générale, ainsi, fixe « les activités dans lesquelles la firme entrera en
concurrence, tout en concentrant ses ressources afin de convertir des compétences
distinctives en avantage concurrentiel », laissant à la stratégie d’activité le soin de
traiter du positionnement des produits en termes de marché et de concurrence
(K.R. Andrews, The Concepts of Corporate Strategy, Homewood Ill., Richard
D. Irwin, 1971).
19
Chapitre 2 ■ Concepts de stratégie
Dans cet esprit et de manière plus fine, certains autres auteurs proposent de modu-
ler l’importance respective des différents éléments constitutifs de la stratégie selon
leur point d’application : niveau général de l’entreprise, niveau activité et enfin
niveau fonctionnel (voir figure 2.1 et tableau 2.1).
Vision
Objectifs
Stratégie générale
Stratégie activité
Fonctions
20
Concepts de stratégie ■ Chapitre 2
☞
Point
Niveau général Niveau activité Niveau fonctionnel
d’application
Toutefois, les dirigeants le savent bien, toutes les stratégies ne sont pas nécessai-
rement construites et délibérées. Certaines se découvrent en marchant. Des impul-
sions déterminées sont certes données dans une direction précise, mais l’entreprise
fait aussi preuve de réactions face à des événements inattendus. Des concurrents
mettent sur le marché un produit révolutionnaire. Une nouvelle technologie apparaît
remettant en cause un avantage concurrentiel durement gagné. Des opportunités de
21
Chapitre 2 ■ Concepts de stratégie
Stratégie
émergente
Stratégie Stratégie
désirée réalisée
Stratégie
abandonnée
22
Concepts de stratégie ■ Chapitre 2
Section
3 Concepts de stratégie
Dans les paragraphes précédents plusieurs termes - mission, portefeuille, syner-
gie, etc. - ont été évoqués. Ces termes aident à définir une stratégie. Ils représentent
les éléments de la trame sur laquelle les stratégies reposent. D’une manière générale
ces éléments recouvrent la mission (métier, vision), le choix du portefeuille d’acti-
vités (produits et services), la recherche de combinaisons optimales de ressources et
d’actions (synergies), les moyens d’action (les ressources mobilisées), le mode de
développement (croissance interne ou externe), les compétences distinctives (les
atouts), les priorités (choix), la préparation à l’imprévu (les scénarios).
On retrouve dans les stratégies, telles qu’énoncées par les entreprises, l’ensemble
de ces éléments. Peut-être que ces éléments ne sont pas énoncés exactement de la
même manière, mais ils s’inspirent d’une logique similaire. On retrouve ainsi les
notions de mission. Par exemple, la mission de Danone est d’« apporter la santé par
l’alimentation au plus grand nombre ». Ou bien encore pour le groupe LVMH sa
mission est « d’être l’ambassadeur de l’art de vivre occidental en ce qu’il a de plus
raffiné. LVMH veut symboliser l’élégance et la créativité. Nous voulons apporter du
rêve dans la vie par nos produits et par la culture qu’ils représentent, alliant tradition
et modernité ». La mission apporte des réponses aux questions que l’entreprise peut
se poser, du type « qui sommes-nous ? », « que voulons-nous être ? », « qu’aimons-
nous faire ? ». La mission donne la ligne directrice que l’entreprise va suivre. Elle
va lui donner un sens et servir de guide pour les choix à faire. Ce guide ne doit être
ni trop flou, ni trop rigide. Trop flou, comme c’est le cas de l’entreprise qui se défi-
nit comme étant dans les transports. Les transports sont ici une notion trop vague
pour servir de critère de choix et d’orientation des efforts. Trop rigide, comme dans
la situation de l’entreprise dont la vocation est de fabriquer et vendre des annuaires
papier auprès de l’administration. Dans ce dernier cas, les critères sont clairs mais
sont trop contraignants et peu évolutifs. Une fois la mission définie, il s’agit de choi-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
sir le champ de bataille. Que va faire l’entreprise de manière précise ? Que va-t-elle
produire ? Où va-t-elle écouler ses produits ? Et, en conséquence, quelle concur-
rence va-t-elle affronter ?
La sélection du portefeuille d’activités apporte une réponse à ces interrogations.
Par exemple, cette entreprise va-t-elle s’engager à la fois dans la menuiserie de
décoration pour un marché de particuliers et dans la fabrication de fenêtres en
série pour le bâtiment ? Le choix du portefeuille d’activités permet de focaliser les
efforts de l’entreprise sur un domaine privilégié. À l’instar du particulier qui pos-
sède un portefeuille de valeurs mobilières et qui essaie de trouver un équilibre
entre risque et rentabilité, l’entreprise tente de sélectionner ses activités de
manière que les activités déclinantes soient compensées par des activités de crois-
sance et que les activités profitables supportent celles qui le sont moins ou dont le
développement nécessite l’apport de ressources importantes. Le terme activité est
23
Chapitre 2 ■ Concepts de stratégie
ici utilisé à dessein. En effet, il ne s’agit pas d’un marché unique ou d’un produit
particulier, mais d’un couple homogène produit(s)-marché(s) dont le comporte-
ment stratégique est identifiable et cohérent. Ainsi, la petite voiture électrique pour
une clientèle urbaine ou un programme d’enseignement supérieur pour un public
de troisième âge sont deux activités identifiables et dont le comportement straté-
gique face à la concurrence et, d’une manière plus générale, face à l’environne-
ment est homogène. Pour Bouygues, par exemple, le portefeuille est défini, d’une
manière large, comme étant composé des télécommunications (Bouygues Tele-
com), de la télévision (TF1), des services (Saur), de la construction avec le BTP
et l’électricité (Bouygues Construction), de la route (Colas) et de l’immobilier.
Pour réaliser l’équilibre entre activités au sein du portefeuille, plusieurs méthodes
sont disponibles. Ces méthodes mobilisent des critères qui seront étudiés plus en
détail ultérieurement. Ces critères concernent, par exemple, la croissance du mar-
ché, la position de l’activité par rapport à la concurrence ou encore la création de
valeur. À partir de ces critères, des choix sont faits, des actions entreprises, des
priorités fixées.
La relation « 2 + 2 = 5 » est désormais bien connue. Elle symbolise le fait que la
complémentarité entre différentes actions peut donner des résultats plus élevés que
la somme des effets de chaque action prise séparément. Par exemple, la mise en
commun de deux forces de vente chargées de produits complémentaires et destinés
à une même clientèle produit un effet de synergie en termes de coût et d’efficacité
de vente. C’est ce que les économistes appellent les effets de champs. La recherche
de synergies sur le plan technique, commercial, humain, financier, grâce aux
complémentarités qui en sont dérivées, permet à l’entreprise de tirer un profit maxi-
mum des ressources et des moyens qu’elle possède. Par exemple, c’est ce que fait
Carrefour, dont « la stratégie du groupe consiste à renforcer ses parts de marché à
l’international… en jouant sur la complémentarité des trois formats : l’hypermarché,
le supermarché, le “maxidiscompte” ».
Exemple – Les stratégies racontées par les entreprises sur leur site institutionnel (extraits)
1. Google
La mission de Google : organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre
accessibles et utiles à tous. Pour ce faire, l’entreprise s’appuie sur les 10 principes sui-
vants :
1. Rechercher l’intérêt de l’utilisateur et le reste suivra.
2. Mieux vaut faire une seule chose et la faire bien.
3. Toujours plus vite.
4. La démocratie fonctionne sur le Web.
5. Vous n’êtes pas toujours au bureau lorsque vous vous posez une question.
6. Il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable.
24
Concepts de stratégie ■ Chapitre 2
2. Danone
La stratégie de Danone s’appuie sur 4 piliers :
1. « Assurer une présence internationale ».
2. « Des produits au service de la santé ».
3. « Des produits pour tous ».
4. Des produits issus d’une « chaîne d’alimentation durable ».
Sa mission : partout dans le monde, faire grandir, mieux vivre et s’épanouir les hommes
en leur apportant chaque jour une alimentation meilleure, des goûts plus variés, des plai-
sirs plus sains :
–– produits laitiers frais, eaux, alimentation infantile, alimentation médicale ;
–– une géographie équilibrée des ventes ;
–– des positions de leader mondial bâties sur de très fortes positions locales ;
–– des marques fortes et concentrées ;
–– une innovation ambitieuse au service du consommateur ;
–– …un modèle de développement durable ;
–– l’excellence opérationnelle au cœur du succès.
3. Renault-Nissan
Afin de réaliser ses deux objectifs : « croissance portée par un chiffre d’affaires de
50 milliards d’euros » et « de rentabilité pérenne porté par une marge opérationnelle
supérieure à 5 % du chiffre d’affaires avec un free cash-flow positif chaque année »,
l’entreprise va procéder, sur la période 2014-2016 à : « un renouvellement soutenu de sa
gamme de produits… une expansion internationale et ambition renouvelée en Europe…
un renforcement de sa compétitivité… des synergies avec l’Alliance (Renault-Nissan)…
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
4. Orange
Les quatre priorités stratégiques d’Orange se déclinent de la manière suivante :
1. Développer les opportunités de croissance sur le réseau.
2. Mettre l’innovation au cœur de notre activité.
3. Améliorer notre relation client.
4. Rechercher l’efficacité avec une meilleure maîtrise de nos coûts.
5. Carrefour
Dans tous les métiers qu’ils exercent et dans tous les pays où ils sont présents, les colla-
borateurs de Carrefour ont une préoccupation majeure, le client. Leur ambition est
d’apporter une réponse de professionnels à toutes ses attentes et de lui offrir au meilleur
prix possible des produits et des services de qualité.
25
Chapitre 2 ■ Concepts de stratégie
Carrefour est ainsi présent dans les différentes formes du commerce de détail à domi-
nante alimentaire :
–– l’hypermarché avec l’enseigne Carrefour… ;
–– le supermarché, avec Champion, GS, Norte et Gb… ;
–– le maxidiscompte, avec Dia, Ed et Minipreço… ;
–– le commerce de proximité, avec les enseignes Shopi, Marché Plus, 8 à Huit et Di
per Di ;
–– le cash and carry et le food service, destinés aux professionnels de la restauration et de
l’alimentation.
Carrefour développe très rapidement à l’international trois de ces métiers l’hypermarché,
le supermarché, le maxidiscompte.
La stratégie du groupe consiste à renforcer ses parts de marché dans chacun de ces pays
en développant le métier le mieux adapté, et en jouant sur la complémentarité des trois
formats.
26
Concepts de stratégie ■ Chapitre 2
Interne Externe
(ressources (alliances,
propres) acquisitions)
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27
Chapitre 2 ■ Concepts de stratégie
humaines. Parmi toutes ces tâches, il sera nécessaire de répondre aux questions sui-
vantes : que faire en premier lieu ? Quand ? Qui sera chargé de la mise en œuvre ?
Quels résultats en attendre ? Faire de la stratégie, c’est aussi choisir et planifier ses
actions. La fixation des priorités répond à cette dernière nécessité.
Le mode de développement s’appuie idéalement sur les atouts ou compétences
distinctives de l’entreprise. Par exemple, Danone possède des « positions de leader
mondial bâties sur de très fortes positions locales et des marques fortes et concen-
trées ». C’est à partir de ces « places fortes » que le développement s’effectue. De
même, Danone met en avant l’innovation que le groupe utilise pour conforter sa
position sur les marchés. La valorisation des atouts ou compétences distinctives est
un élément fort de la stratégie et s’oppose à la vision réductrice, mais confortable,
de forces. Il s’agit moins de connaître ses forces que de maîtriser ce qu’il y a
d’unique et de différenciant parmi elles. Posséder des ressources et compétences
n’est pas suffisant si les concurrents bénéficient de similaires. En revanche, avoir des
atouts difficilement imitables donne un avantage concurrentiel sur les autres entre-
prises moins bien loties.
Comme on peut l’imaginer, il n’existe pas un seul chemin menant aux objectifs de
l’entreprise, mais plusieurs. Par exemple, chez Capgemini, qu’elle soit économique
ou stratégique, l’indépendance permet au groupe de garder le contrôle de ses choix
stratégiques, de disposer de la capacité et des ressources pour agir et faire preuve de
souplesse pour saisir les opportunités. La stratégie est élaborée à partir d’une cer-
taine vision de l’environnement et, plus précisément, de son évolution. Toutefois, la
multiplicité des choix fait que plusieurs alternatives entre des voies possibles sont
présentes. Selon les hypothèses retenues concernant les tendances prévisibles de cet
environnement, la stratégie choisie est différente. Il faut ici se préparer à l’imprévu
et introduire une certaine flexibilité. Ainsi, plusieurs jeux d’hypothèses peuvent être
élaborés et synthétisés dans le cadre de scénarios.
28
Concepts de stratégie ■ Chapitre 2
Champs de bataille (portefeuille d’activités) Que faisons-nous ? Quels sont nos produits-marché ?
Les éléments de la stratégie qui viennent d’être présentés sont résumés dans le
tableau 2.2. Ces éléments sont ceux que l’on retrouve évoqués à des degrés divers
dans toutes stratégies d’entreprise. Dans leur formulation précise, ils doivent
répondre aux principes (concentration des forces, liberté d’action, économie des
forces) que nous avons vus en début de chapitre. Ces éléments peuvent être
construits de manière délibérée ou bien apparaître de manière émergente. L’impor-
tant étant qu’ils demeurent cohérents entre eux.
29
Chapitre
Formation
3 de la stratégie
OBJECTIFS
Définir ce que l’on entend par objectif.
Décrire comment la stratégie se construit.
Aborder l’influence politique dans la formation de la stratégie.
SOMMAIRE
Section 1 Fixation des objectifs
Section 2 Du délibéré et de l’émergent
Section 3 Les styles de formation de la stratégie
Section 4 Démarches économiques et politiques
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
Section
1 Fixation des objectifs
Idéalement, les objectifs devraient être le résultat d’une démarche logique et
rationnelle. En effet, pour fonctionner efficacement, l’entreprise doit avoir des
objectifs clairement définis qui donnent la direction souhaitée. Dans cette démarche
logique, les objectifs sont formulés à partir d’un accord très large sur ce qui doit être
réalisé et en faisant l’hypothèse que l’on est capable d’en connaître les tenants et les
aboutissants. Par exemple, il s’agira de s’assurer d’une position de chef de file au
sein du secteur industriel ou d’améliorer la rentabilité de l’affaire ou bien encore de
créer de la valeur pour l’actionnaire. À partir de cette formulation générale, des
sous-objectifs seront successivement établis. Ces sous-objectifs contribueront sur un
plan plus opérationnel à la réalisation de l’objectif général.
Toutefois, la fixation de l’objectif général est rarement le fait d’une personne unique,
en l’occurrence son dirigeant-propriétaire. La fixation des objectifs résulte plus sou-
vent d’une « négociation » entre coalitions d’acteurs internes (les dirigeants, les admi-
nistrateurs) et externes (les actionnaires, l’État, les associations) dont les buts ne sont
pas nécessairement convergents. Les objectifs sont alors le résultat de processus dyna-
miques qui s’ajustent en fonction des pressions qui s’y exercent. Il ne s’agit plus ici
32
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
d’une démarche globale et rationnelle mais d’une démarche menant à objectifs négo-
ciés. Parfois, la démarche logique et rationnelle s’impose d’elle-même, lorsque tout est
simple et clair. Dans d’autres cas, la démarche négociée est la voie suivie. La démarche
purement rationnelle est utile mais elle ne prend pas en compte l’ensemble des acteurs
internes et externes de l’entreprise – propriétaires, dirigeants, managers, syndicats,
clients, associations, etc. – qui directement ou indirectement font valoir leur point de
vue. Les acteurs internes et externes exercent une influence d’autant plus forte que
l’entreprise dépend d’eux et qu’ils forment un groupe suffisamment uni. L’influence
s’exerce, par exemple, par les propriétaires de l’entreprise lors de la nomination du
directeur général ou quand un client puissant dicte ses volontés. Elle s’exerce aussi par
l’intermédiaire de coalitions entre managers influents ou entre membres du conseil
d’administration lors de périodes de crise ou de réorientations stratégiques. Elle peut
venir enfin de sources plus diffuses telles que les marchés financiers comme ce fut le
cas de Schneider Electric qui « se fixe des objectifs prudents pour éviter de décevoir
encore les marchés » (Les Échos, 23 février 2012).
––de vérifier si le résultat est conforme à ce qui était projeté (par exemple, observer
si la marge opérationnelle s’est améliorée de deux points) ;
––de mettre en œuvre une action corrective adéquate menant au résultat souhaité (par
exemple, faire plus d’efforts pour réduire les coûts de production) ;
––de récompenser les managers chargés d’une tâche particulière lorsque l’objectif
est atteint.
33
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
3 Objectif ou contrainte ?
Au sein de l’entreprise, un objectif fixé à un responsable peut être une contrainte
pour un autre. Par exemple, le responsable des ventes, dont l’objectif sera par
exemple de maximiser le chiffre d’affaires, subit les contraintes de capacité de pro-
duction, de délais de livraison, de quantité de produits disponibles et de prix de
revient. Ces contraintes sont parfois elles-mêmes des objectifs assignés au respon-
sable de fabrication. Ces objectifs peuvent alors être en contradiction avec l’objectif
de vente. Minimiser les coûts de production peut, éventuellement, nécessiter des
séries importantes de fabrication et une standardisation accrue des produits. En
revanche, accroître le chiffre d’affaires peut passer par une plus grande diversité des
modèles commercialisés. La multiplicité des objectifs et les contraintes qu’ils
créent, du fait d’une information imparfaite et de rigidités, sont une source de sous-
optimisation. Même avec l’aide de « balanced scorecards », il s’agira alors
d’atteindre des niveaux satisfaisants plus qu’espérer une réalisation optimale. La
complexité de fixation des objectifs et la contrainte de temps auxquelles les mana-
gers font face vont entraver la recherche des objectifs les meilleurs au bénéfice
d’objectifs satisfaisants.
34
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
Clair Compréhensible
Spécifique Acceptable
Réaliste Contrôlable
Cohérent
5 Un enchaînement d’objectifs
Au-delà des jeux de pouvoir entre acteurs internes et externes de l’entreprise, si
une orientation dans une direction précise est souhaitée, il est nécessaire qu’un cer-
tain nombre d’étapes soient respectées. La direction générale a ici un rôle primordial
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35
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
Section
2 Du délibéré et de l’émergent
À partir des objectifs, comment la stratégie est-elle établie ? Est-elle le fruit d’une
démarche systématique ou bien au contraire le résultat d’un ensemble de mini-
décisions et actions qui peu à peu vont former le futur de l’entreprise ? Est-elle
induite par les dirigeants de l’entreprise ou est-elle la conséquence d’initiatives
individuelles plus ou moins autonomes ? La vérité est probablement entre les deux.
Le dirigeant est, bien entendu, un élément essentiel pour donner une impulsion et
des orientations, mais il n’est pas le seul et unique acteur pour ce faire. De plus, la
stratégie se modifie avec le temps, des problèmes inattendus surgissent et de nou-
velles initiatives sont prises poussant cette dernière sur des trajectoires inattendues.
Environnement Contraintes
nouvelles internes
et externes
Stratégie Stratégie
désirée réalisée
Stratégie émergente
Choix Hasard
36
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
c Focus
Entre hasard, choix et inévitabilité
D’une innovation ratée à un produit impuissants. L’efficacité du médicament,
« champion » : le coup de chance cette fois, ne devait plus faire aucun
de Pfizer doute. Toutefois, en novembre 2000, la
Haute Cour de justice britannique allait
Le développement du médicament pour
annuler le brevet très lucratif de Pfizer sur
traiter les dysfonctions érectiles, le Viagra,
par Pfizer montre comment les interac- le Viagra jugeant la découverte évidente.
tions entre choix, hasard et inévitabilité Lilly ICOS, une filiale commune de Lilly
ont pu mener à la découverte d’un pro- et de ICOS, qui poursuivait un objectif
duit phare. Un programme de recherche similaire (le traitement des dysfonctions
sur l’hypertension artérielle avait été lancé érectiles) et visait un même marché avait
dès 1985. Au bout de quelques années, porté plainte pour invalider le brevet et
on s’était aperçu que les composants faire révoquer ainsi la protection légale
actifs pour traiter l’hypertension avaient dont bénéficiait Pfizer pour l’utilisation
un effet secondaire grâce à un enzyme de plusieurs composants chimiques, dont
situé dans les muscles vasculaires et les le citrate sildenafil. L’un des arguments
globules rouges. Les chercheurs déci- principaux avancés par Lilly-ICOS était
dèrent alors de modifier leur projet pour que le brevet avait été devancé par une
l’orienter vers le développement d’un recherche antérieure et qu’il n’était en
traitement pour combattre l’angine de rien nouveau et original. En d’autres
poitrine par la relaxation des tissus san- termes, Lilly-ICOS affirmait que la décou-
guins. Chemin faisant, en 1989, les scien- verte du Viagra était évidente et inévi-
tifiques de Pfizer identifièrent un nouveau table. Bien que l’application au traitement
composant, le citrate sildenafil, qu’ils des dysfonctions érectiles puisse être
utilisèrent dans des tests cliniques dès considérée comme étant due à la chance,
1991. Avant même la fin de la première l’effet du citrate sildenafil sur les vais-
phase et ayant démontré que le médica- seaux sanguins était déjà bien documenté
ment était suffisamment sûr, Pfizer reçut ce qui permit à Lilly-ICOS de persuader la
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37
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
☞
hasard des effets secondaires permit éga- Pfizer. Omettre l’un de ces éléments don-
lement d’explorer une nouvelle piste. Le nerait une histoire incomplète et trom-
hasard (les effets secondaires inattendus), peuse de la réalité.
le choix (la décision d’allouer de nou- Source : De Rond et Thietart,
velles ressources au projet) et l’inévitabi- « Responsabilité stratégique des dirigeants :
lité (l’état de la connaissance médicale) entre hasard, choix et inévitabilité »,
peuvent être vus comme coopérant à la Revue française de gestion, 2007/3
formation de la stratégie d’innovation de (n° 172), pp. 63-77.
Section
3 Les styles de formation de la stratégie
Comment, dans la pratique, élaborer une stratégie ? Dans de petites structures, la
manière de procéder est relativement simple. On a une idée, une intuition que l’on
valide par une analyse approfondie de la situation. On peut aussi s’appuyer sur ce
que l’on sait faire et ce à quoi on est bon. On cherche alors comment valoriser ses
atouts dans l’environnement dans lequel on évolue. On peut enfin partir de l’envi-
ronnement et y rechercher de nouvelles opportunités et manières de faire. La ques-
tion devient plus difficile lorsque la structure est grande, qu’elle est composée
d’acteurs aux compétences et spécialités multiples, que l’entreprise intervient avec
de nombreux produits sur des marchés divers. La construction individuelle de la
stratégie ou en petit comité fait place à d’autres démarches. Ces démarches peuvent
être regroupées en trois grands styles ; styles mis en évidence par deux universitaires
britanniques : Goold et Campbell1. Le premier style est celui du « planificateur stra-
tégique ». Le second est le « contrôleur stratégique » et, enfin, le troisième est celui
du « contrôleur financier ».
1 Le planificateur stratégique
Le planificateur stratégique suit une logique qui n’est ni un élixir magique, ni une
condition nécessaire du succès. La planification stratégique qui en résulte est la
reconstruction du processus qu’un stratège est censé suivre. Ce processus favorise une
bonne analyse de la situation et une organisation satisfaisante des ressources qu’il
faudra mobiliser si l’entreprise veut atteindre ses objectifs. Il reproduit de manière
rationnelle ce que fait un dirigeant pour élaborer ses choix, déployer des ressources,
fixer des priorités. Il est composé d’un ensemble d’étapes qui, par expérience, donnent
1. M. Goold et A. Campbell, Strategies and Styles, Oxford, Basil Blackwell, 1987.
38
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
39
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
souhaiteraient que le département devienne dans les trois ou cinq années à venir. On vient
à cette réunion avec peu de chiffres et le raisonnement est essentiellement qualitatif, le
cadrage étant très souple. Il s’agit de faire émerger des intentions stratégiques qui
peuvent même porter sur l’acquisition d’un concurrent majeur. Suite à cette réunion, le
département rencontre la direction générale accompagnée de son état-major et de la
direction de la branche à laquelle il est rattaché. Pendant cette réunion, les résultats de
l’année écoulée sont présentés, les stratégies passées sont évaluées, les événements mar-
quants de la période sont évoqués, les choix passés sont également explicités et les choix
futurs, justifiés. Un débat s’instaure entre le département et la direction générale sur les
objectifs stratégiques à retenir pour les années à venir. Suite à un échange et discussion
qui permettent à chacun de mieux comprendre la position de l’autre, une série de déci-
sions quant aux objectifs à retenir est prise. Ces objectifs sont alors consignés dans un
compte rendu que le responsable du département rédige suite à la réunion. Rapport qui
lui sert alors de cadre pour l’étape suivante, celle de l’établissement du plan opérationnel.
Dans cette étape, il s’agit de transformer en termes d’objectifs opérationnels sur un hori-
zon de trois ans les objectifs stratégiques de la phase précédente et de programmer les
moyens et ressources nécessaires afin de les atteindre. Une fois réalisé, le plan opération-
nel est présenté à la direction de la branche, accompagnée pour ce faire des services
d’état-major.
Une fois discuté et modifié, le plan opérationnel est alors traduit en termes monétaires.
C’est la dernière étape d’établissement du budget pour l’année à venir. Cette étape est
décentralisée. Une fois les budgets établis, ces derniers sont consolidés au niveau du
groupe, la cohérence d’ensemble est vérifiée et finalement approuvé par la direction
générale.
40
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
41
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
2 Le contrôleur stratégique
Le contrôleur stratégique, contrairement au planificateur stratège, laisse une large
marge de manœuvre aux opérationnels. Il ne fait pas appel à un processus formel et
analytique de construction de la stratégie. Il crée un cadre au sein duquel la stratégie va
se former. Certes les choix d’allocation de ressources entre activités sont de son ressort
et de sa responsabilité. Toutefois, mises à part son action dans la gestion du portefeuille
de l’entreprise et la fixation de grands objectifs de rentabilité et de croissance, le contrô-
leur stratégique fait porter ses efforts sur la création d’un cadre d’ensemble qui sert de
direction, de sens, d’incitation et de contrainte à celles et ceux qui élaborent les stratégies
de leurs activités. De plus, il peut s’impliquer dans l’évaluation du bien-fondé de ces
mêmes stratégies sans pour autant s’imposer. Il contrôle. Il ne planifie pas !
Son rôle est de créer des conditions de fonctionnement adéquates pour que les opé-
rationnels proches de leurs marchés et concurrences prennent les initiatives straté-
giques qui conviennent. Il reconnaît que les opérationnels mieux que quiconque savent
ce qu’il est bon d’entreprendre pour leurs activités. Toutefois, les initiatives straté-
giques sont guidées et contrôlées. Elles sont guidées par un ensemble de directives qui
peuvent prendre la forme d’un projet d’entreprise, ou bien d’une mission clairement
établie et appropriée, ou bien encore d’objectifs généraux. Elles sont contrôlées lors
de rendez-vous réguliers entre opérationnels et dirigeant, pendant lesquels ce dernier
42
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
évalue la pertinence des choix et des hypothèses sur lesquelles ils reposent. Elles sont
également contrôlées a posteriori lors des rencontres programmées où un point sur la
situation est fait. Enfin, le contrôleur stratégique fait appel à un système d’incitation
en cohérence avec les grands objectifs de l’entreprise. Système d’incitation qui peut
lier la réalisation d’un objectif à l’obtention de primes et à la progression de carrière.
43
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
Le contrôleur stratégique reconnaît qu’il ne sait pas et qu’il vaut mieux déléguer.
Cela ne veut pas dire pour autant que sa tâche soit simple. Bien au contraire, car le
processus formel de la planification fait place ici à des interactions humaines qui,
pour être efficaces, sont nombreuses et nécessitent de la part du « contrôleur » un
investissement personnel important et une forte implication.
Le style du contrôleur stratégique est approprié pour tous types d’entreprises. Il est
nécessaire, cependant, lorsque ces dernières ont des activités nombreuses réparties
dans des secteurs très différents et dont le contexte concurrentiel est mouvant. Car
il n’est pas pensable que le sommet hiérarchique, dans ces conditions, puisse être
suffisamment informé pour prendre les décisions en matière de stratégie pour des
activités dont il ne peut appréhender tous les enjeux.
}
L’unité Unités
opérationnelle idem idem idem opérationnelles
établit
sa stratégie
3 Le contrôleur financier
Le contrôleur financier suit un processus similaire de celui du contrôleur straté-
gique à la différence près que, pour lui, la seule chose qui compte c’est le résultat.
Son comportement est celui d’un investisseur qui gère un portefeuille de valeurs
mobilières. Il achète et vend ses activités qui jouissent d’une grande autonomie
stratégique. Sa tâche consiste en l’allocation de ressources entre ses activités, en
fonction de l’attrait de ces dernières. Son objectif est d’avoir un portefeuille équili-
bré en termes de risque et de rentabilité.
44
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
Dans sa forme la plus extrême, le contrôleur financier gère son entreprise sans état
d’âme et ne recherche pas de complémentarités entre les différentes activités dont il
a la charge. Il peut ainsi être impliqué dans des secteurs aussi divers que la forma-
tion, l’électronique médicale, la recherche agronomique et la télévision. Ce qui
importe, c’est la valorisation du portefeuille global sans attention particulière, mise
à part le suivi de la rentabilité, portée aux activités prises séparément. L’entreprise
joue ici le rôle d’un marché interne dans lequel les ressources sont allouées en fonc-
tion des prévisions économiques que le contrôleur financier est censé faire. La tâche
stratégique se résume donc en l’identification d’affaires financièrement intéressantes
et en la capacité de prévision de leur rendement.
En matière de pilotage, il dispose pour ce faire d’un système de reporting efficace
qui lui permet de suivre précisément les activités opérationnelles et d’intervenir
rapidement en cas de dérive entre objectifs financiers et réalisations. Les choix stra-
tégiques des activités, en revanche, sont laissés à l’entière initiative des responsables
de ces dernières, liberté leur étant laissée de construire leurs stratégies comme ils
l’entendent et selon les démarches de leur choix. C’est ainsi qu’ils peuvent recourir
en interne et à leur niveau à des processus s’inspirant de la planification ou du
contrôle stratégique, comme vu précédemment.
45
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
Les conglomérats des années soixante, tant décriés, représente bien le style du
contrôleur financier. D’autres entreprises, cependant, tout en adoptant ce mode de
pilotage stratégique dans ses grandes lignes, essaient de développer un mode de
cohésion sociale entre leurs entités. Tout en laissant une grande marge de liberté aux
activités opérationnelles en matière de stratégie, elles tentent de créer un sens par-
tagé d’appartenance à la même entreprise, afin de favoriser de manière naturelle des
complémentarités entre ses entités. Le recours aux symboles d’appartenance, la
construction d’un projet collectif, les occasions de rencontre et d’échange sont, entre
autres, les moyens qui sont mobilisés.
Flux
financiers
L'unité
opérationnelle
établit sa
stratégie
idem idem idem
} Unités
opérationnelles
46
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
Section
4 Démarches économiques et politiques
Quel que soit le style adopté, deux démarches essentielles guident la réflexion lors
de l’établissement de la stratégie. La première est la démarche économique qui porte
sur les éléments de concurrence, de marché, de ressources à mobiliser. La seconde
est une démarche politique dont le but est de prendre en compte les jeux d’acteurs
internes et externes à l’entreprise qui peuvent soit faciliter soit au contraire freiner
l’acceptation et le bon déroulement futur de la stratégie une fois établie.
1 La démarche économique
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47
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
• Étape 4 : choix du portefeuille d’activités que l’on souhaite avoir dans x années.
Par exemple, avoir un portefeuille équilibré composé d’activités en croissance et
d’avenir reposant sur une base de produits traditionnels générant un flux financier
satisfaisant.
Les étapes 1 à 4 couvrent la première question évoquée précédemment, c’est-à-
dire « Que veut-on ? ».
• Étape 5 : analyse de l’environnement. Il s’agit d’un audit stratégique externe
visant, premièrement, à mettre en évidence, pour chaque centre d’activité straté-
gique (CAS), les grandes tendances de l’environnement en termes d’opportunités
et de menaces ; deuxièmement, à anticiper l’impact de ces dernières. Par exemple,
face à l’ouverture d’un nouveau marché et à l’apparition d’un nouveau concur-
rent, quelles vont être les conséquences pour l’entreprise ?
• Étape 6 : évaluation des ressources et des atouts. C’est un bilan des moyens, des
atouts, des faiblesses, des expertises particulières de chacun des centres d’activité
stratégiques (CAS). Par exemple, l’analyse des ressources met en évidence un bon
outil de production, un réseau commercial satisfaisant, une image de qualité, un
personnel compétent, mais une assise financière précaire.
• Étape 7 : étude de l’écart entre l’état présent et l’état souhaité. Compte tenu des
tendances de l’environnement (étape 5) et des moyens dont la firme dispose (étape
6), sans rien changer de ce qui est fait habituellement, où va l’entreprise ? Par
exemple, la prévision de chiffre d’affaires de 150 millions d’euros dans quatre ans
va être comparée aux 175 millions qui ont été fixés comme objectif. La différence
de 25 millions constitue l’écart qu’il va falloir analyser et combler.
• Étape 8 : représentation du portefeuille d’activités. Contrairement à l’étape 4,
dans laquelle il s’agit de choisir le portefeuille d’activités souhaité, le problème
présent consiste à décrire le portefeuille actuel et à analyser les différences qui
existent entre ce qu’il est et ce que l’on désire. Par exemple, le portefeuille, tel
qu’il se présente, est composé d’activités déclinantes et peu rentables et de
quelques autres activités arrivant en phase de maturité mais très profitables. Le
problème est de faire évoluer ce portefeuille vers le portefeuille souhaité (étape 4),
à savoir un portefeuille composé d’activités nouvelles reposant sur une base
ancienne mais stable et générant des ressources satisfaisantes.
Les étapes 5 à 8 s’attachent à répondre à la deuxième question, relative à la des-
cription de l’entreprise et de son environnement : « Quelle est la situation ? ».
• Étape 9 : formulation des stratégies (stratégies correctives, de croissance ou de
contingence). Par exemple, des stratégies visant à améliorer l’outil de production,
à développer le potentiel de recherche, à transformer le réseau de distribution, à
prévoir des plans de rechange au cas où l’environnement évoluerait différemment
de ce qui était prévu, sont proposées.
48
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
• Étape 10 : définition des grandes actions stratégiques. Par exemple, faut-il aban-
donner progressivement une activité, ou bien encore doit-on viser un segment de
marché particulier ? Pour cette entreprise du secteur électrique-électronique,
faut-il conserver sa position dominante de l’activité système de détection pour
l’armée, se retirer peu à peu de l’activité réfrigération pour le marché des col-
lectivités et pousser à fond l’activité composants électroniques pour l’industrie ?
• Étape 11 : évaluation des stratégies et des actions. Cette évaluation s’effectue au
regard de la contribution des stratégies à la réalisation des objectifs et de la mis-
sion de l’entreprise, à l’intérieur des contraintes de moyens disponibles et compte
tenu des tendances prévisibles de l’environnement.
Les étapes 9 à 11 traitent de la troisième question : « Que veut-on faire ? ».
• Étape 12 : choix stratégique. Il s’agit ici de la sélection des stratégies et actions qui
seront mises en œuvre en fonction des priorités de l’entreprise. Par exemple, faire
porter tous les efforts sur l’innovation et le développement d’activités nouvelles.
• Étape 13 : établissement de programmes et plans d’action. Que faire en premier
lieu, quand le faire, qui va le faire ? Telles sont les questions abordées dans cette
étape. Par exemple, doit-on tout d’abord assainir la situation des activités décli-
nantes avant de faire porter toute son attention sur les produits nouveaux ? Quelle
activité est-il préférable de lancer en premier ?
• Étape 14 : traduction en termes monétaires des choix stratégiques et des plans
d’action. Quel va être l’impact financier des choix effectués ? Par exemple, quel
va être le revenu supplémentaire généré par l’activité « composants industriels »
et quels sont les coûts y afférant ? De quelles ressources complémentaires a-t-on
besoin pour mener à bien cette activité équipement, personnel, finance ?
• Étape 15 : recherche d’un système de management adapté. Quelle structure, quel
contrôle, quel type d’incitation doit-on adopter pour que la mise en œuvre de la
stratégie ait le plus de chance de succès ? Par exemple, une structure par produit
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est-elle mieux adaptée à la stratégie future qu’une structure par fonction ? Doit-on
intéresser aux résultats ou continuer à rémunérer de manière fixe ?
Les étapes 12 à 15 permettent de répondre à la dernière question de la démarche
« économique » : « Que va-t-on faire ? ».
Au-delà de ces étapes, plus que la réponse aux questions posées, c’est l’articula-
tion même de la démarche qui importe ; articulation rappelée à la figure 3.6. En
effet, la formulation de la stratégie n’est pas et ne peut être un processus aussi
linéaire que celui qui vient d’être décrit. Il s’agit plutôt d’une démarche itérative
permettant d’arriver progressivement à une décision. Cette décision est le fruit d’une
confrontation entre contraintes, menaces, possibilités offertes par l’environnement,
stratégies de réponse pour y faire face, développement et renforcement des compé-
tences. Cette confrontation ne s’effectue pas d’une manière statique. De nombreux
allers-retours entre chaque étape ont généralement lieu.
49
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
Environnement Ressources de
dynamique l’entreprise
Stratégies
Doit-on toujours suivre chacune de ces étapes ? La réponse est… ça dépend. Dans
l’entreprise plusieurs niveaux de décision coexistent. À chacun de ces niveaux cor-
respondent des caractéristiques différentes de la stratégie. En effet, parler de straté-
gie au niveau d’une direction générale est différent d’en parler de celui d’une
activité. Les points d’application, les préoccupations, les spécificités de la stratégie
ne sont pas les mêmes.
Au niveau global de l’entreprise, plusieurs thèmes majeurs sont généralement
abordés. Il s’agit, parmi les plus importants, de la mission et des objectifs généraux
de la firme ; de la vision globale des activités de l’entreprise, c’est-à-dire de son
portefeuille de produits-marchés ; de la mobilisation des atouts ; de la recherche
d’avantages concurrentiels durables au sein du secteur industriel ; de l’allocation des
ressources et efforts entre activités en fonction des priorités ; du développement
d’actions spécifiques, allant au-delà des activités traditionnelles, telles que les
fusions et acquisitions ou les alliances. Dans le processus de formulation de la stra-
tégie, certaines étapes décrites précédemment sont privilégiées au niveau global.
Ainsi, les étapes suivantes revêtent une importance particulière :
• Étape 2 : formulation de la mission.
• Étape 3 : fixation des objectifs.
• Étape 4 : choix du portefeuille d’activités.
• Étapes 5 et 6 : évaluation de l’attrait des secteurs industriels dans lesquels évolue
la firme.
• Étapes 7 et 8 : identification de l’écart entre ce qui est souhaité au niveau global
et ce vers quoi l’entreprise se dirige.
• Étapes 9, 10 et 11 : définition des grandes alternatives stratégiques permettant de
réduire la distance entre le souhaité et le réalisable.
De nouvelles préoccupations s’ajoutent à ces trois dernières étapes. Il s’agit, d’une
part, de la recherche de nouveaux domaines auxquels la firme peut s’intéresser, si elle ne
50
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
peut atteindre l’état auquel elle aspire avec ses activités présentes, et, d’autre part, de
l’identification de priorités stratégiques, non incluses dans le processus formel de déci-
sion, telles que la découverte d’entreprises candidates à une fusion ou à une acquisition.
Concernant les activités opérationnelles, certains autres thèmes prennent la relève ou
revêtent une importance accrue. La recherche de la compétence distinctive et de l’avan-
tage concurrentiel prend ici toute sa force, de même que l’identification des synergies
entre fonctions nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie. L’effort stratégique vise,
dans ces conditions, à l’adaptation des activités aux caractéristiques de leur environne-
ment spécifique, au développement de ces mêmes activités dans des secteurs ou mar-
chés connexes, à l’équilibre de ces dernières en fonction de leur phase de vie, à des
choix opérationnels tels que la gamme de produits, le type de recherche à entreprendre
ou bien encore le mode de production à mettre en œuvre. Les mêmes étapes que celles
décrites précédemment pour le processus de formulation de la stratégie au niveau glo-
bal, à l’exception de la définition de la mission et, dans une moindre mesure, de la
fixation des objectifs (qui sont, à présent, contraints) se retrouvent ici plus fortement
détaillées. À ces étapes viennent s’ajouter les phases 12 à 15 qui abordent le choix des
stratégies à mettre en œuvre ainsi que la formulation des plans et programmes d’action
accompagnés d’une évaluation de leur conséquence financière.
Le processus analytique qui vient d’être décrit, et dont les principales étapes sont
rappelées au tableau 3.2, vise, pour l’essentiel, à rechercher de façon progressive et
itérative l’adéquation entre, d’une part, les ressources, compétences, expertises, carac-
téristiques internes de la firme, d’autre part, les stratégies à adopter face à la concur-
rence et, enfin, l’environnement économique, social, politique, technologique. Il s’agit
d’un processus formel qui ne prend pas en compte la dimension politique de l’entre-
prise, c’est-à-dire le pouvoir respectif des acteurs externes et internes à l’organisation
qui peuvent soit favoriser, soit porter préjudice à la mise en œuvre de la stratégie. Dans
cet esprit, il semble nécessaire d’aborder à présent une démarche complémentaire, à
savoir la démarche politique de formulation de la stratégie.
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–– Formulation de la mission
Que veut-on ? –– Fixation des objectifs
–– Choix du portefeuille d’activités
–– Analyse de l’environnement
Que sommes-nous ? –– Évaluation des ressources
–– Détermination de l’écart de planification
–– Choix de la stratégie
Qu’allons-nous faire ?
–– Établissement des programmes, plan d’action et budget
51
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
2 La démarche politique
La formulation de la stratégie, avec la seule prise en compte de variables écono-
miques, est insuffisante dans le contexte de l’entreprise. La demande des personnels
pour une plus grande information, voire une participation accrue à la prise de décision,
les pressions exercées par des groupes de toutes sortes, écologistes, consommateurs,
syndicats, sans compter le jeu personnel des membres de l’entreprise, font qu’il n’est
pas possible de raisonner sans prendre en compte la dimension politique, c’est-à-dire
le jeu d’acteurs poursuivant des objectifs qui peuvent être contradictoires.
Le processus politique de formulation de la stratégie s’articule autour de quatre
questions, comme l’a proposé il y a déjà longtemps de cela – mais ces dernières sont
toujours d’actualité – Ian Mac Millan, de la Wharton School1 :
• Quels sont les acteurs en présence ?
• Que peuvent-ils faire ?
• Que peut-on faire avec ou contre eux ?
• Que décide-t-on de faire ?
Ces quatre questions recouvrent plusieurs étapes de la démarche politique :
• Étape 1 : identification des acteurs, c’est-à-dire de l’ensemble des groupes, des
individus, des organisations, des entreprises avec lesquels la firme est en interac-
tion. Par exemple, les actionnaires, les associations de consommateurs, les syndi-
cats, l’administration, tel personnage important et influent au sein de l’entreprise
ou bien encore dans le monde politique, peuvent faire partie des acteurs exerçant
une influence sur la destinée de l’entreprise.
• Étape 2 : analyse dynamique des liens entre les acteurs et l’entreprise. Il s’agit d’éva-
luer l’influence respective que chaque acteur peut avoir sur l’entreprise et d’en estimer
l’évolution. De cette analyse doivent ressortir un certain nombre d’indications concer-
nant les possibilités et les risques majeurs auxquels l’entreprise peut être confrontée.
Par exemple, l’éventualité d’un boycottage des produits suscité par un groupement de
consommateurs, ou organisé par mesure de rétorsion par des états, est un risque poli-
tique. En revanche, l’appui des pouvoirs publics par le biais d’une réglementation
favorisant la vente des produits peut être une chance importante pour l’entreprise.
• Étape 3 : recherche d’une base politique et évaluation des oppositions. Parmi l’en-
semble des acteurs en présence, certains sont disposés à aider l’entreprise à atteindre
ses objectifs du fait d’une simple concordance d’intérêt. Certains autres perçoivent
la poursuite des objectifs de l’entreprise comme leur étant préjudiciable. Dans cet
esprit, l’analyse du réseau d’acteurs donne une meilleure connaissance des alliés et
1. L’articulation de ce processus s’inspire de la démarche proposée par I.C. Mac Millan dans son ouvrage
Strategy Formulation : Political Concepts, St-Paul, West Publishing Co., 1978.
52
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
opposants potentiels. Alliés qui facilitent la réalisation des objectifs, opposants qui
les combattent. Par exemple, des entreprises concurrentes peuvent être des alliés
objectifs pour faire évoluer certains textes législatifs ou aider au développement d’un
marché ou bien encore à l’amélioration de l’image d’une profession.
Ces trois étapes répondent à la première question : « Qui sont les acteurs en
présence ? ».
• Étape 4 : analyse des influences politiques internes et externes. Cette analyse a pour
objet de mettre en évidence les éléments de l’entreprise et de l’environnement qui
exercent une influence déterminante sur la réalisation des objectifs de la firme. Par
exemple, au sein de l’entreprise, des groupes peuvent se former et freiner la bonne
réalisation d’une stratégie mettant en cause leur pouvoir. Les responsables d’une
division de produits en déclin, mais qui possèdent toujours un pouvoir important,
peuvent voir d’un mauvais œil la montée d’une division de produits nouveaux dont
le succès porte préjudice à l’influence et au statut dont ils jouissent. À l’extérieur, le
même scénario se déroule. Certains acteurs peuvent avoir un contrôle important sur
les ressources de l’entreprise. Certains autres sont fortement engagés vis-à-vis de
tiers : un syndicat face à ses adhérents, une administration face à la loi. Il s’agit, ici
comme précédemment, d’anticiper les coalitions qui peuvent se créer, de discerner
les membres dominants et d’évaluer leur marge de manœuvre.
• Étape 5 : évaluation du système politique des acteurs. Par système politique, il
faut entendre les réseaux de relations, d’influence, de conflits potentiels internes
dont l’évaluation permet à la firme d’en estimer les limites et les points forts. Par
exemple, l’existence de luttes de pouvoir au sein de certaines firmes concurrentes
révèle une faiblesse qu’il faut utiliser ; faiblesse qui peut être l’indice d’une réac-
tion éventuelle amoindrie face à la stratégie poursuivie par l’entreprise.
• Étape 6 : anticipation de la réaction des acteurs. Face aux objectifs poursuivis par
la firme et à la stratégie qui en découle, comment vont réagir les acteurs (groupes
d’intérêts, personnel, pouvoir public) ? Quelles coalitions peuvent résulter de la
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53
Chapitre 3 ■ Formation de la stratégie
54
Formation de la stratégie ■ Chapitre 3
Ressources
Acteurs
internes de
internes
l’entreprise
STRATÉGIE
Caractéristiques
Acteurs
de
externes
l’environnement
55
Chapitre Analyse de
4 l’environnement
général
OBJECTIFS
Présenter l’environnement général.
Analyser l’environnement général.
Montrer comment construire des scénarios prospectifs.
SOMMAIRE
Section 1 Informations recherchées
Section 2 Sources de l’information stratégique
Section 3 Surveillance de l’environnement
Section 4 Prospective stratégique
Chapitre 4 ■ Analyse de l’environnement général
58
Analyse de l’environnement général ■ Chapitre 4
Afin d’anticiper les opportunités et les problèmes auxquels l’entreprise peut être
confrontée et réagir rapidement à ces derniers, une recherche et une analyse des
informations sur l’environnement sont nécessaires. Disposer d’une information per-
tinente sur l’environnement en général et sur les concurrents en particulier est d’une
importance capitale. Tout d’abord, l’entreprise a besoin de cette information afin de
s’adapter aux différents acteurs – clients, fournisseurs, pouvoirs publics – de l’envi-
ronnement. Ensuite, en tant que système ouvert, l’entreprise échange, entre autres
avec son environnement, de l’information. En conséquence, la qualité du flux d’in-
formations conditionne la viabilité de l’entreprise. Enfin, l’information provenant de
l’environnement est le catalyseur d’innovations et sert de guide aux efforts que
l’entreprise entreprend.
Il s’agit donc d’analyser et de comprendre l’environnement externe, dont l’en-
semble des informations sur les opportunités et les risques qui apparaissent, afin de
placer l’entreprise dans une position concurrentielle avantageuse. Cette information
est issue de sources existantes, expérience des personnels, documents et rapports
divers. Elle provient aussi d’organismes, en interne ou en externe, spécialisés dans
la surveillance et la collecte de données sur l’environnement. Comme dans l’armée,
un service de surveillance existe dans certaines entreprises ; service dont la vocation
est de collecter, synthétiser et répartir l’information aux différents preneurs de déci-
sions. Des sociétés de conseil spécialisées dans l’information et la désinformation
économique, sa collecte ou sa protection vis-à-vis de la concurrence, sont également
présentes sur le marché. Que ce soit en interne ou en externe, la tâche principale de
ces services et sociétés est d’évaluer l’environnement et d’assurer un flux continu
d’informations structurées vers l’entreprise.
Section
1 Informations recherchées
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59
Chapitre 4 ■ Analyse de l’environnement général
Tableau 4.1
Droits de l’homme
Droit environnemental
Droit commercial
Droit de la concurrence
Droit social
Fiscalité
Etc.
Taux de croissance
Taux d’intérêt
Taux d’inflation
Taux de chômage
Infrastructure
Etc.
Syndicalisation
Formation
Qualité de la main-d’œuvre
Répartition du revenu
Etc.
Dépenses en R et D
Innovations
Ruptures technologiques
NTIC
Etc.
60
Analyse de l’environnement général ■ Chapitre 4
Les informations sont analysées dans le but de fournir, dans un premier temps,
les éléments nécessaires à la fixation d’un cadre, permettant aux décideurs d’éta-
blir une stratégie en connaissance de cause. Stratégie qui, idéalement, doit être
robuste et flexible. Dans l’exemple ci-dessus, si la qualité de la main-d’œuvre d’un
pays où l’entreprise souhaite s’implanter n’est pas la meilleure, peut-être que des
actions appropriées de formation peuvent y suppléer et en conséquence doivent
être prévues. Il s’agit alors d’un facteur négatif qu’il faut prendre en compte et
gérer si nécessaire.
Dans un deuxième temps, le suivi de ces facteurs permet une action stratégique
rapide et adaptée aux circonstances nouvelles de l’environnement général. C’est
ainsi que les informations sont triées, rassemblées, mises en forme afin que le res-
ponsable puisse prendre les mesures nécessaires à une réaction efficace face à un
problème ou anticiper une opportunité qui se présente. Bien entendu, le besoin en
information varie et doit être adapté aux demandes formulées par les décideurs. Il
s’agit d’un processus dynamique qui se renouvelle sans cesse et qui se nourrit de
l’ensemble des données provenant des différentes sources auxquelles l’entreprise a
recours.
Section
2 Sources de l’information stratégique
61
Chapitre 4 ■ Analyse de l’environnement général
la situation des entreprises ainsi que sur l’évolution d’industries entières. La presse
nationale et locale donne aussi des éléments intéressants sur l’économie en général
et sur l’évolution des entreprises situées sur le territoire national ou dans une région
(taux de chômage, aides, réglementation fiscale, projet d’investissement, de recrute-
ment de personnel, d’implantation, etc.). La presse professionnelle diffusée par les
associations et fédérations fournit des indications sur l’état de l’économie, les inno-
vations, les évolutions technologiques ainsi que sur les firmes membres du secteur.
La participation active aux syndicats et associations professionnelles est, également,
une source importante d’information. Le problème demeure, cependant, de pouvoir
obtenir une information intéressante sachant que les membres de ces associations
sont souvent en concurrence. Il n’en est pas de même des congrès scientifiques et
professionnels où souvent des experts du domaine font le point de la situation à
laquelle chacun est confronté. Les rapports annuels de sociétés, au-delà d’informa-
tions spécifiques sur l’entreprise, donnent des indications sur sa vision du futur et du
contexte économique, technologique et social. Dans le même esprit, la participation
aux assemblées générales d’actionnaires complète l’information des rapports
annuels. Posséder une action suffit pour poser directement aux représentants de
l’entreprise des questions dont les réponses peuvent être révélatrices d’une stratégie
en cours ou en préparation ainsi que des anticipations que l’entreprise peut faire de
son environnement futur. Les analystes financiers, les banques d’affaire, les agents
de change peuvent aussi être utilisés comme source intéressante d’information sur
l’état de l’économie en général et sur les entreprises en particulier, pour tout ce qui
n’est pas du ressort du secret professionnel. Leur participation à des opérations
financières touchant certaines firmes leur donne généralement une connaissance
intime de ces dernières. Les clients actuels ou potentiels sont aussi utilisés pour
comparer les produits et services de la firme à ceux des entreprises concurrentes. De
même, ces derniers sont souvent au courant de projets annonciateurs de la vision du
futur des entreprises initiatrices. Les fournisseurs qui s’adressent généralement à des
firmes en concurrence possèdent également une information intéressante. Les distri-
buteurs connaissent souvent les intentions des entreprises ayant recours à leur ser-
vice. Enfin, Internet est une source d’information dans laquelle il est aisé de puiser
à moindre coût. Le revers de la médaille est néanmoins la surabondance d’informa-
tion disponible qu’il faut évaluer, classer, interpréter. Ce qui dans une société désor-
mais fondée sur l’information est une tâche considérable.
62
Analyse de l’environnement général ■ Chapitre 4
Presse professionnelle
Syndicats professionnels
Internet
Il faut néanmoins observer une prudence raisonnable face à toutes les informations
recueillies à partir de ces sources. Certaines peuvent être fausses, d’autres contra
dictoires, d’autres enfin incomplètes. C’est un véritable travail d’analyse, de
confrontation, de comparaison, de « triangulation » qui doit permettre de s’approcher
autant que faire se peut d’une représentation raisonnable de l’environnement futur.
Au-delà de ces sources d’information externes à l’entreprise qui peuvent être
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63
Chapitre 4 ■ Analyse de l’environnement général
Section
3 surveillance DE L’ENVIRONNEMENT
Afin de collecter l’information sur l’environnement et la diffuser au sein de
l’entreprise, plusieurs types d’arrangements organisationnels existent. Ces arran-
gements, selon leur degré de formalisme, permettent l’accomplissement de tâches
plus ou moins complexes. Un département formel de collecte et de diffusion de
l’information, par exemple, a pour vocation essentielle de centraliser, de contrôler
et de distribuer l’information au fur et à mesure qu’elle lui parvient. Le départe-
ment, pour ce faire, s’appuie sur l’ensemble des sources décrites précédemment.
En revanche, lorsque seules des études sont réalisées en fonction des besoins, la
mise en place de procédures dont l’objet est une surveillance continue de l’envi-
ronnement n’est pas nécessaire et ne réclame pas la présence d’un département
formel. Néanmoins, quel que soit l’objectif poursuivi – système de surveillance
continue de l’environnement ou étude ad hoc en fonction des besoins –, il est
important qu’un responsable soit chargé de l’activité de surveillance. Il se peut que
la tâche de ce responsable se limite à un seul temps partiel, venant s’ajouter à
d’autres activités. Il se peut, au contraire, que cette tâche de surveillance couvre
celle de plusieurs responsables mettant en commun leur effort. En tout état de
cause, il est nécessaire qu’une personne puisse coordonner la collecte de l’infor-
mation et la surveillance de l’environnement, en général, et de la concurrence, en
particulier, réalisées par les différents services de l’entreprise vente, recherche,
achat, direction.
64
Analyse de l’environnement général ■ Chapitre 4
tion de la participation des salariés aux prises de décision, d’anticiper les orientations
nouvelles des syndicats. Le service économique avait pour mission d’étudier les déve-
loppements financiers dans plusieurs pays étrangers avec lesquels la société était en
rapport. Les changements monétaires, les évolutions des taux d’intérêt ainsi que la
stabilité des différentes monnaies étaient analysés. Afin de pouvoir réaliser sa mission,
le service économique s’appuyait sur différentes sources d’information journaux, rap-
ports de l’OCDE, comptes rendus de banques, etc. Le département de recherche en
marketing avait pour tâche d’étudier les évolutions des marchés et des produits pour
plusieurs pays afin de détecter les possibilités nouvelles de développement ou d’iden-
tifier les tendances qui pouvaient se dessiner dans les marchés traditionnels. Afin
d’accomplir cette tâche, le département s’appuyait sur des données économiques,
démographiques, sociales, politiques et technologiques provenant d’organisations
telles que le Hudson Institute, le MIT, le SRI. Enfin, un expert en sciences politiques
avait pour objectif de fournir une image claire de ce qui se passait dans un pays précis.
Pour ce faire, il s’appuyait sur différentes sources d’information celles du ministère des
Affaires étrangères qui fournit quotidiennement des extraits d’articles publiés sur dif-
férents pays ; celles provenant de grands journaux européens ; d’autres issues de revues
spécialisées en sciences politiques ; d’autres encore tirées d’ouvrages traitant d’une
situation politique dans un pays donné.
65
Chapitre 4 ■ Analyse de l’environnement général
Section
4 Prospective stratégique
La question demeure de savoir comment, à partir des informations collectées sys-
tématiquement sur l’environnement ou glanées lors de rencontres fortuites, dévelop-
per une vision cohérente d’ensemble des enjeux futurs ? Nous avons évoqué,
précédemment, la technique des scénarios qui permet à l’entreprise de formuler des
stratégies dans un cadre donné. Ces scénarios, qui correspondent à des visions alter-
natives de l’environnement, servent de base à la réflexion et aux choix stratégiques.
La société Shell a été pionnière dans ce domaine. Ses scénarios prennent en compte
non seulement des variables technologiques (possibilité de forage en grande profon-
deur…) et économiques (évolution du prix du pétrole…), mais aussi des facteurs
socio-politiques tels que les tensions militaires dans certaines régions du globe ou la
montée des extrémismes de toute origine. Fondées sur différents scénarios à cinq,
dix ou vingt ans, des stratégies de contingence sont établies et servent de base aux
choix de l’entreprise.
La construction des scénarios peut s’appuyer sur différentes méthodes. Parmi ces
méthodes, Delphi est la plus connue.
66
Analyse de l’environnement général ■ Chapitre 4
Partant du principe que le futur est, dans une certaine mesure, ce que l’on en fait
et que des hommes et des femmes, par leurs compétences et responsabilités, exercent
une influence sur l’environnement, il semble opportun de s’appuyer sur ceux-là
mêmes qui participent à l’émergence du cadre d’action futur, afin d’anticiper de quoi
demain sera fait.
Delphi, la fameuse méthode de prospective (voir figure 4.1), s’appuie sur ce prin-
cipe et fait appel à des « experts ». Toutefois, il s’agit là d’une conception particulière
d’acteurs de l’environnement. Les experts de Delphi, certes, sont des parties pre-
nantes impliquées dans la construction du futur. Mais ils participent plus souvent à
l’évolution du présent en tant que spectateurs que comme acteurs véritables de
changement. Si l’avenir repose en partie dans les mains des acteurs de l’environne-
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67
Chapitre 4 ■ Analyse de l’environnement général
1. Énoncé du problème
3. Envoi du questionnaire
4. Réponse au
questionnaire
Itérations
5. Envoi de l’analyse
des réponses sous forme
d’un nouveau
questionnaire.
Demande de réévaluation
des réponses
6. Synthèse finale
D’après N.C. Dalkey, The Delphi Method: An Experimental Study of Group Opinion,
Santa Monica : Rand Corporation, 1969.
Figure 4.1 – La méthode Delphi
68
Analyse de l’environnement général ■ Chapitre 4
cette convergence réalisée, une synthèse finale est effectuée (étape 6). Lorsqu’une
convergence n’est pas possible, plusieurs scénarios sont construits mettant en évidence
les divergences qui ont été révélées lors de l’analyse.
La méthode Delphi est une des méthodes de construction des scénarios parmi de nom-
breuses autres. D’autres démarches plus légères et moins structurées sont aussi utilisées.
Toutefois, bien qu’ayant des qualités indéniables, aucune d’elles ne propose de construire
une vision consensuelle du futur et ne s’inspire de ce processus d’aller et retour entre
experts et pilote dont la tâche essentielle est de consolider les informations et de jouer un
rôle d’écran entre les experts, garantissant autant que faire se peut leur objectivité. Parmi
elles, il faut noter les méthodes d’extrapolation en vogue dans les modèles économiques
où le futur ne peut être qu’une prolongation du passé. Ces dernières, néanmoins, sont
plus du ressort de la prévision que de la prospective à proprement parler.
Après avoir analysé l’environnement avec la méthode de son choix, il s’agit à
présent d’établir des scénarios. Dans l’encadré qui suit, nous avons mis un tableau
dans lequel les efforts de collecte et de structuration des données sont résumés.
c Focus
Tableau récapitulatif de collecte et de traitement
des informations sur l’environnement
Sur la base de l’inventaire précédent et après avoir identifié les facteurs clés d’évolu-
tion, trois scénarios (un « optimiste », un « pessimiste », un probable) possibles sur
l’environnement général peuvent être écrits.
L’impact que cet environnement pourrait avoir sur l’industrie, sur l’entreprise, sur les
options stratégiques envisagées doit être mis en évidence.
Scénario optimiste
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Scénario pessimiste
Scénario probable
69
Chapitre
Analyse de
5 l’environnement
concurrentiel
OBJECTIFS
Analyser l’environnement concurrentiel d’une entreprise.
Comprendre les ressorts de l’offre et de la demande.
Savoir identifier les forces concurrentielles.
SOMMAIRE
Section 1 Analyse de la demande
Section 2 Analyse de l’offre
Section 3 Analyse de la concurrence
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
L ’analyse de l’environnement concurrentiel est l’une des étapes les plus impor-
tantes du processus de formulation de la stratégie. C’est en partie grâce à cette
analyse que le choix d’une stratégie s’effectue. C’est de l’évaluation des capacités
de l’entreprise et des caractéristiques de l’environnement concurrentiel que des
orientations possibles sont définies (figure 5.1).
L’étape précédente d’analyse du contexte général et de construction de scénarios
probables d’évolution donne un cadre qui s’impose à l’ensemble des entreprises
d’un secteur donné. Il s’agit à présent d’affiner l’analyse en s’interrogeant sur les
fondements de la concurrence entre les entreprises et de répondre à la question : que
faut-il faire pour réussir dans l’environnement concurrentiel ?
Toutefois, parler de l’environnement concurrentiel d’une entreprise sans définir
précisément les activités de cette dernière n’a pas de sens. En effet, à l’exception de
l’entreprise mono-produit, les conditions concurrentielles, les marchés, les techno-
logies sont différents selon les activités de la firme.
La base de référence est le groupe stratégique et la base d’analyse, de manière
plus fine encore, est le segment stratégique (voir chapitre 6). Il s’agit, ainsi, de
mettre en lumière les exigences, les contraintes, les opportunités et les menaces
que l’environnement concurrentiel présente aujourd’hui et dans le futur au niveau
fin du segment stratégique. Les conditions de concurrence, la demande, la techno-
logie, variant d’une activité à l’autre, une trop grande agrégation des informations
est trompeuse. Ainsi, lorsque l’analyse stratégique de la situation est faite, elle
l’est pour chaque segment pris séparément. Bien entendu, ceci ne doit pas éluder
la nécessaire prise en considération des complémentarités entre activités qui
peuvent exister au sein de l’entreprise ; complémentarités qui peuvent exercer un
effet bénéfique global. L’analyse de la situation concurrentielle va ainsi s’articuler
autour de trois phases essentielles et complémentaires évaluation de la demande
du marché, analyse de l’offre faite sur ce dernier, étude de la dynamique concur-
rentielle.
72
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
Environnement général
Technologique Politique
Environnement
concurrentiel
Groupes et
segments
Social stratégiques Économique
Scénarios
Section
1 Analyse de la demande
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Avant toute chose, il y a le marché. Sans marché, existant ou potentiel, il n’y a pas
d’entreprise. Pour chaque segment stratégique, les caractéristiques de la demande
doivent être analysées. À cet effet, le tableau 5.1 résume les grandes questions à se
poser : quelle est l’évolution de la demande ? Quelles sont les caractéristiques et la
nature de cette demande ? Quelle est la taille et la croissance de chaque segment de
marché ?
73
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
–– Besoin et usage
–– Motivation d’achat
Nature –– Sensibilité par rapport aux prix
et caractéristiques –– Capacité financière des acheteurs
de la demande –– Fidélité de la clientèle
–– Fréquence d’achat
–– Caractéristiques des canaux de distribution (concentration, organisation), etc.
74
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
75
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
Section
2 Analyse de l’offre
L’offre d’une industrie, comme la demande du marché, influe sur la profitabilité
ou la croissance d’un segment stratégique. Le tableau 5.2 résume les points essen-
tiels caractérisant l’offre.
–– Coût de la main-d’œuvre
–– Coût des matières premières
Structure
–– Importance des coûts fixes par rapport aux coûts variables
des coûts
–– Existence d’économies d’échelle
–– Existence d’effets d’expérience
–– Technologie mobilisée
Technologie –– Degré de maturité de l’industrie
et société –– Défis socio-politiques de l’industrie
–– Nouveaux acteurs (associations de défense de l’environnement, d’actionnaires, etc.)
76
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
sous-activité, un volume moindre doit absorber des charges fixes inchangées entraî-
nant une baisse du résultat, voire une situation déficitaire. Le ralentissement de la
demande, le progrès technique, l’anticipation irrationnelle des entrepreneurs sont
souvent à l’origine de ce type de situation. C’est ainsi que la recherche par les entre-
prises d’une plus grande productivité les incite à investir dans des outils technique-
ment plus avancés. Ces derniers leur permettent parfois d’augmenter les volumes de
production, à charges fixes constantes, de 50 %, 100 % ou 200 %. Cet accroissement
peut n’avoir aucune influence lorsque le nombre d’entreprises est très grand, leur
taille faible et qu’une minorité d’entre elles adopte ce type de stratégie. Il en va tout
autrement lorsque plusieurs entreprises importantes choisissent cette démarche dans
un secteur-industriel peu atomisé. Dans ce dernier cas, des surcapacités apparaissent,
déséquilibrant peu à peu le secteur tout entier. Les cas de l’imprimerie lourde de
labeur, des engrais chimiques, des transformateurs de plastique furent révélateurs.
Dans l’imprimerie de labeur, l’introduction de rotatives de deuxième, troisième et
quatrième générations, tournant à des vitesses toujours croissantes, a créé peu à peu
une situation surcapacitaire menant à des effets dépressifs sur les prix. Une surcapa-
cité durable entraîne la disparition des concurrents les plus faibles financièrement
jusqu’au moment où un nouvel équilibre entre l’offre et la demande est retrouvé.
Une estimation du temps et du coût d’expansion ou de réduction des capacités per-
met d’évaluer la durée de la période pendant laquelle les conditions de l’offre ne
varient pas, donnant ainsi aux firmes une indication sur la stabilité de leur situation.
Le second élément important dans l’analyse de l’offre est la structure des coûts.
Ces derniers exercent une influence directe sur le comportement des entreprises. Par
exemple, dans les activités où les coûts fixes sont importants, l’objectif est d’utiliser
l’outil industriel de manière intense, afin de répartir sur de grands volumes les
charges fixes de production. Dans les activités où les coûts variables dominent, les
profits dépendent essentiellement des prix et par conséquent des conditions de
concurrence et de marché. Les entreprises ont alors tendance à adopter une politique
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77
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
s’est vue ouvrir le marché des classes moyennes, puis celui d’une population plus
large encore en raison de la diminution rapide des coûts de production accompagnée
d’une baisse des prix. La prise en compte du changement des coûts a permis aux
entreprises de se préparer à ces évolutions dont elles surent tirer parti. L’existence
d’économies d’échelle et de phénomènes d’expérience, sur lesquelles nous revien-
drons ultérieurement, peut enfin induire des comportements stratégiques visant à
produire plus et permettant de bénéficier d’avantages compétitifs en termes de coût.
D’autres caractéristiques influant sur l’offre vont à présent être étudiées. Il s’agit,
tout d’abord, des barrières d’entrée et de sortie d’un secteur, ensuite, du degré de
concentration et d’intégration des firmes en concurrence. Porter1 identifie six
sources principales de barrières à l’entrée. La première est l’existence d’économies
d’échelle.
Si des économies d’échelle existent, c’est-à-dire si des volumes importants de
production permettent de réaliser des coûts de fabrication peu élevés, la firme qui
désire entrer sur le secteur doit le faire en misant dès le départ sur des volumes de
fabrication et de vente substantiels. La taille des investissements, compte tenu de
cette contrainte, risque de dissuader les entrants potentiels qui ne veulent pas risquer,
dès le début, une mise de jeu trop importante.
Les économies d’échelle existent dans tous les domaines et ne sont pas limitées à
la seule dimension technique. Par exemple, si une entreprise voulait entrer
aujourd’hui sur le marché de la voiture de tourisme, au-delà du problème de la
recherche d’un coût compétitif, elle se trouverait confrontée à la difficulté de créer
un réseau de distribution et de service après vente suffisamment étoffé. Lors de
l’introduction de la Dauphine aux États-Unis, dans les années soixante, Renault a
connu des déboires retentissants qui n’étaient pas seulement dus à l’inadaptation de
la voiture au marché américain. La faiblesse du réseau de distribution et du service
aux clients fit rapidement tourner court une stratégie d’expansion ambitieuse. De
même, dans le domaine de l’informatique, les échecs de la General Electric et de
Xerox illustrent la difficulté d’une firme à s’implanter sur un secteur dans lequel une
taille minimum de l’outil de fabrication et des services de recherche est requise.
Toujours dans ce secteur, les tentatives successives de l’industrie française pour s’y
implanter et s’y maintenir n’ont pas été couronnées de succès. La seule raison pour
laquelle l’industrie française des gros ordinateurs a subsisté fut politique.
La deuxième barrière à l’entrée d’un secteur est la différenciation des produits. En
effet, lorsque les produits sont différenciés, une clientèle fidèle peut être créée. Par
exemple, Citroën a eu pendant longtemps ses fervents partisans. Et, dans le domaine
des parfums, le n˚ 5 de Chanel a illustré remarquablement ce propos. Chacun essaye
de trouver la combinaison de traits qui apporte l’adhésion de milliers d’adeptes.
Cette différenciation, bien entendu, peut ne pas porter sur le seul produit mais aussi
78
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
sur d’autres dimensions telles que le service. Darty fut, à ce sujet, un exemple
typique.
Le montant des investissements nécessaires représente une autre barrière à l’en-
trée. Ainsi, dans le domaine de la fabrication du papier, les investissements atteignent
plusieurs dizaines de millions d’euros, ce qui dissuade l’arrivée de nouveaux
concurrents. Les chances de succès associées à de tels investissements et les profits
espérés doivent être importants pour justifier une entrée sur de tels secteurs.
Les coûts de passage, pour un client, de son fournisseur traditionnel à un nouveau
fabricant, représentent aussi un frein à l’entrée sur un secteur. Par exemple, dans le
domaine aéronautique, l’existence de stocks de pièces de rechange pour une marque
d’appareil ou la spécialisation du personnel de maintenance peut être un facteur
dissuasif lors de l’acquisition d’un avion d’un constructeur différent de celui com-
posant la flotte d’une compagnie aérienne. Seuls des avantages concurrentiels fon-
dés sur d’autres caractéristiques, telles que le coût, la performance ou les conditions
de paiement, peuvent faire la différence.
La difficulté d’accès aux canaux de distribution peut également dissuader une
firme d’entrer sur un nouveau secteur ou la forcer à adopter un canal différent. Ce
fut le cas de la société Kelton qui, dans le domaine de la montre, dut opter pour le
réseau des distributeurs de tabac en remplacement des horlogers-bijoutiers tradition-
nels qui lui étaient fermés. De même, dans les produits alimentaires, la concurrence
entre fabricants pour l’espace de linéaires dans les supermarchés rend difficile
l’accès de ce réseau à un nouveau producteur sauf si ce dernier est prêt à faire des
conditions commerciales exceptionnelles. Afin d’être adopté, au détriment parfois
de fournisseurs avec lesquels le distributeur a établi des relations de confiance, le
nouvel arrivant doit être capable de développer des arguments de poids tels que des
remises ou une qualité unique du produit.
Au-delà des barrières qui viennent d’être présentées, d’autres freins à l’entrée d’un
secteur existent. Il s’agit, tout d’abord, des règlements administratifs qui imposent,
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79
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
80
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
moins une industrie est concentrée, plus la marge de manœuvre laissée aux diffé-
rentes entreprises est importante. Par exemple, les actions mises en œuvre par un
revendeur de vêtements sont moins visibles et rarement contrecarrées par ses
concurrents. En revanche, une diminution des tarifs aériens sur le réseau Atlantique
Nord, décidée par une compagnie, entraîne des réactions immédiates de la part des
entreprises concurrentes. Un secteur tel que celui de la distribution du vêtement,
plus atomisé que celui du transport aérien, laisse une grande latitude d’actions aux
entreprises qui en sont membres.
Le degré de concentration est influencé par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la
taille des barrières à l’entrée. Selon ces barrières, l’entrée de nouvelles entreprises
dans une industrie est plus ou moins aisée. Si les barrières sont élevées, les firmes
ont des difficultés à pénétrer l’industrie. La concentration dans ce cas est forte. Elle
est faible dans la situation inverse. Ce fut le cas, pendant longtemps, du travail tem-
poraire où le coût et les compétences nécessaires à l’entrée sur ce secteur étaient très
faibles. Un deuxième facteur, influant sur le degré de concentration, est la taille des
barrières de sortie. Moins importantes sont les barrières de sortie et plus grande est
la concentration du secteur. En effet, les entreprises mineures n’hésiteront pas à
quitter une industrie, dans la mesure où le coût économique et psychologique de
sortie demeure faible. Ceci a tendance à favoriser le développement de pôles consti-
tués de grandes entreprises qui ont su traverser avec succès les péripéties de leur
secteur.
L’existence d’économie d’échelle influence également la concentration indus-
trielle. Plus les phénomènes d’échelle et d’expérience sont significatifs et plus les
entreprises de taille importante, à fort volume de production, sont avantagées. Par
exemple, dans le domaine des semi-conducteurs, où les phénomènes d’expérience
sont prédominants, ou dans celui de la fabrication du papier, où le volume de pro-
duction est une des variables déterminantes, on observe l’existence de groupes
importants. En revanche, dans des secteurs, tels que l’édition ou celui du vêtement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
de mode, où les coûts fixes sont peu importants et où les phénomènes d’échelle sont
relativement faibles, on observe l’existence d’une plus grande fragmentation et d’un
nombre substantiel de petites entreprises. De la même manière, des contraintes de
marchés, comme la nécessaire adaptation à des contraintes locales ou à des groupes
de clientèles particulières ou encore à des demandes rapidement changeantes dans
la conception des produits, handicapent les entreprises de grande taille ; ces der-
nières étant, généralement, moins adaptatives et ayant plus de difficultés à répondre
aux spécificités d’un environnement diversifié. Ainsi peut-on observer l’existence
d’industries peu concentrées dans lesquelles les petites entreprises sont très nom-
breuses. Dans le même esprit, l’importance des coûts de transport, comme dans le
cas de l’industrie du ciment, favorise généralement le développement de petites
unités locales. Dans les services également, une présence proche du marché est
nécessaire. Cette contrainte facilite le développement d’entreprises indépendantes
81
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
pour lesquelles la taille n’est pas un atout déterminant. Le secteur industriel a ten-
dance, dans ce cas, à être déconcentré.
D’autres éléments influencent le degré de concentration d’une industrie. Ainsi la
réglementation administrative limite l’ouverture de magasins à grandes surfaces et,
par conséquent, leur nombre. Les règles professionnelles régissent l’entrée d’un
métier et filtrent les nouveaux arrivants. L’âge du secteur agit aussi sur sa concen-
tration. Par exemple, au début de la micro-informatique, cette dernière était caracté-
risée par une très grande fragmentation.
Au-delà des caractéristiques économiques d’une industrie, d’autres dimensions
vont être prises en compte dans une analyse sectorielle. La nature de la distribution
est l’un de ces éléments. Plusieurs questions se posent. Quelle fonction remplit-
elle ? Comment fonctionne-t-elle ? Combien de niveaux existe-t-il entre le produc-
teur et le client final ? Y a-t-il différents canaux concurrents ? Quelle est l’évolution
et la taille de chacun de ces canaux ? Selon les caractéristiques de la distribution, les
actions stratégiques mises en œuvre vont être différentes. Un réseau de distribution
composé de petits détaillants indépendants se comportera différemment d’un réseau
de grandes surfaces et favorisera ou empêchera la mise en œuvre de certaines stra-
tégies. De la même manière, la nature du système financier influencera les stratégies
qui seront adoptées. Là encore, plusieurs questions vont se poser. Par exemple, quels
sont les besoins saisonniers en matière de financement ? Comment ces besoins vont-
ils être financés de manière interne ou par appel à l’extérieur ? À quel marché des
capitaux, l’industrie a-t-elle habituellement recours ? Une bonne compréhension du
système financier et de son fonctionnement permet une appréciation valable des
contraintes qui pèsent sur les entreprises et des possibilités qui leur sont offertes lors
de la phase de choix et d’allocation des ressources financières.
Toujours dans le domaine de l’analyse de l’offre, la dimension technologique
occupe une place capitale. En effet, la technologie va exercer une influence prépondé-
rante, d’une part, sur le degré de maturité du secteur industriel et, d’autre part, sur la
force compétitive de l’entreprise. Par exemple, l’innovation technologique a révolu-
tionné des secteurs entiers comme celui de la montre en rajeunissant de manière radi-
cale cette industrie ou bien encore celui de la photo avec le passage de l’argentique au
numérique. Cette même innovation a permis à des firmes de petite taille de pénétrer
des marchés, tel celui de l’informatique, pourtant dominé par des firmes géantes. La
prise en compte de la technologie dans l’analyse d’un secteur industriel facilite l’iden-
tification de pôles de développement nouveaux et la mise en évidence de menaces qui
pèsent sur les firmes attachées à une conception technique traditionnelle.
Enfin, un dernier mais non moins important élément doit être analysé. Il s’agit de
la dimension socio-politique, à laquelle les entreprises et les dirigeants sont de plus
en plus confrontés. La montée de nouvelles parties prenantes à la vie de l’entreprise
rend la prise en compte de cette dimension particulièrement complexe. Plusieurs
acteurs occupent désormais une place importante dans la stratégie des firmes. Parmi
82
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
eux, nous trouvons, bien sûr, le personnel, les clients, les concurrents, les fournis-
seurs et les syndicats mais aussi et surtout les collectivités locales, l’État, les asso-
ciations de toutes natures ainsi que les comités de représentation du personnel
(délégués du personnel, comité d’entreprise). Parallèlement à l’importance grandis-
sante que tous ces acteurs vont prendre, plusieurs défis semblent se faire jour dont,
par exemple, les pressions de groupes d’intérêt externes, l’évolution des valeurs
sociales, l’émergence de nouvelles idéologies, la baisse de motivation pour le tra-
vail, la demande d’une transparence accrue, le changement des conditions de travail,
le maintien de l’emploi. L’ensemble de ces défis et l’importance croissante de nou-
veaux acteurs rendent les conditions de fonctionnement de l’entreprise plus com-
plexes et nécessitent leur prise en compte dans la formulation de la stratégie des
entreprises. Pour s’en persuader, il suffit d’observer la répartition du temps et des
ressources déployés par les directions générales des entreprises. Il n’est pas rare de
constater que 80 % des efforts fournis par ces directions sont consacrés à la résolu-
tion de ces nouveaux problèmes sans lesquels la plupart des décisions économiques
se trouveraient bloquées.
Section
3 Analyse de la concurrence
M. Porter1 considère que les conditions de concurrence au sein d’un secteur
dépendent de plusieurs forces (voir figure 5.2). Parmi ces forces, il y a, bien entendu,
les firmes en concurrence au sein du secteur, mais aussi un certain nombre d’autres
éléments que nous avons déjà en partie abordés, à savoir les clients, les fournisseurs,
les produits de substitution, les entrants potentiels.
Par exemple, la nature des firmes en présence influe sur la stabilité de leurs posi-
tions. Plus nombreuses et similaires sont les entreprises, plus grande est l’instabilité
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de leurs situations respectives. Chacun essaie de prendre une part plus importante du
gâteau, se comparant de façon favorable à son voisin. De la même manière, une
croissance faible de l’industrie entraîne une lutte intense entre les firmes qui ne
peuvent se développer qu’au détriment des autres. D’autres facteurs vont également
jouer. Ainsi des coûts fixes et de frais de stockage élevés incitent les firmes à réduire
leur prix afin d’accroître leur volume de vente et minimiser de la sorte le poids de
ces coûts. De même, la nature des produits et des services soit renforce, soit amoin-
drit l’agressivité commerciale entre les concurrents. Moins les produits et les ser-
vices sont différenciés, plus la concurrence porte sur les prix, accroissant ainsi
l’instabilité du secteur.
83
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
Rivalité
Nouveaux concurrents
(équilibre,
(échelle, transfert, Substituts
croissance,
investissement, (obsolescence,
différenciation,
différenciation, coût de transfert,
capacité,
distribution, riposte)
barrières,
barrières légales)
coûts)
84
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
Commentaires
Causes + –
Que peut-on faire pour s’en prémunir ?
Taux de croissance
Faible : +
Élevé : –
Coût fixe
Élevé : +
Faible : –
Produits et services
Non différenciés : +
Différenciés : –
Barrières à la sortie
Élevées : +
Faibles : –
représailles que les entreprises attendent de la part des firmes déjà installées. Ces
mesures vont de la mise en œuvre d’actions commerciales agressives de diminu-
tion des prix, de publicité ou de promotion, à des contre-attaques sur le marché
même de ces nouveaux « entrants ». Si les barrières à l’entrée d’un secteur sont
élevées et si l’« entrant » potentiel s’attend à de fortes représailles, les risques
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85
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
Commentaires
Barrières + –
Que peut-on faire pour accroître les barrières ?
Économie d’échelle
Inexistante : +
Importante : –
« Ticket d’entrée »
Faible : +
Important : –
Effet d’expérience
Faible : +
Important : –
Technologie
Facilement imitable : +
Difficilement imitable : –
Phénomène de réputation
Faible : +
Important : –
La troisième force, qui exerce une grande influence sur l’intensité de la concur-
rence au sein d’un secteur industriel, est le risque de substitution. Chaque entreprise
dans une industrie est en concurrence, au sens large, avec des entreprises d’autres
secteurs. Par exemple, la concurrence entre la SNCF, par l’intermédiaire du TGV et
Air France sur nombre de lignes intérieures, illustre bien cette notion de produit de
substitution. Tant que les deux services étaient suffisamment différenciés, l’intensité
concurrentielle était faible. Le train mettant le centre de Paris à deux heures du
centre de Lyon, et à trois heures de Marseille Air France est confronté à une intensité
concurrentielle beaucoup plus forte.
86
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
Le tableau 5.5 résume l’ensemble des questions à se poser pour évaluer la menace
de substituts.
Commentaires
Base de la menace + –
Que peut-on faire pour réduire cette menace ?
Risque d’obsolescence
Élevé : +
Forte : –
Coût de transfert
Faible : +
Forte : –
La quatrième force est le pouvoir de la clientèle. Les clients pèsent sur la nature
de la concurrence au sein d’un secteur industriel en forçant les prix à la baisse, en
faisant jouer les firmes les unes contre les autres, en réclamant de meilleurs produits.
Leur aptitude à influencer les firmes en concurrence dépend de plusieurs facteurs :
le premier est leur degré de concentration. Plus les clients sont concentrés et plus
vive est la concurrence entre les firmes du secteur. Il leur est, en effet, facile de faire
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
jouer les entreprises (leurs fournisseurs) les unes contre les autres ; puisqu’ils auront
peu de marge de manœuvre en termes de possibilités de nouveaux marchés. Le deu-
xième facteur est l’importance des achats, en termes de coûts, faits à l’industrie par
les clients. Plus ces achats sont importants, plus la recherche du meilleur prix incite
les clients à mettre leurs fournisseurs en concurrence. Le troisième facteur est la
différenciation des produits et le coût de passage, pour les clients, d’un fournisseur
à un autre. Plus les produits sont différenciés, plus le coût de passage d’une entre-
prise à une autre est élevé et moins grande sera la lutte entre concurrents pour attirer
chez eux le client convoité. Le quatrième facteur est la menace d’intégration. La
menace d’intégration verticale en amont, exercée par le client, a un effet dépressif
sur les prix et les marges. Devant ce risque, les entreprises essaient de dissuader leur
clientèle de mettre en œuvre cette stratégie d’intégration en offrant des conditions
commerciales attractives en termes de prix et de service. Ceci a pour conséquence
87
Chapitre 5 ■ Analyse de l’environnement concurrentiel
une baisse des marges et des profits. Le pouvoir des clients est bien illustré par les
centrales d’achat des grandes surfaces de distribution qui imposent, plus qu’elles ne
subissent, une loi à des producteurs généralement nombreux et dispersés.
Enfin, la dernière et cinquième force qui s’exerce sur les entreprises en concur-
rence est le pouvoir des fournisseurs. Des fournisseurs puissants, c’est-à-dire
concentrés, vendant des produits différenciés et difficilement substituables, faisant
peser un risque d’intégration verticale aval, exercent des pressions sur l’industrie
cliente. Cette pression se manifeste, par exemple, par des augmentations de prix ou
par des modifications de la nature et de la qualité des produits et services fournis
Les tableaux 5.6 et 5.7 résument l’ensemble des questions à se poser pour évaluer
le pouvoir des clients et des fournisseurs.
Commentaires
Base du pouvoir + –
Que peut-on faire pour réduire ce pouvoir ?
Nombre de fournisseurs
Grand nombre : +
Petit nombre : –
88
Analyse de l’environnement concurrentiel ■ Chapitre 5
Commentaires
Base du pouvoir + –
Que peut-on faire pour réduire ce pouvoir ?
L’identification des cinq forces permet à l’entreprise d’avoir une vision d’en-
semble des acteurs d’un secteur et d’anticiper leur impact potentiel sur la profitabi-
lité des entreprises en présence. À partir de cette vision d’ensemble, la question à
laquelle l’entreprise doit répondre est de trouver ce qu’il faut faire pour réussir.
Comment peut-elle mieux que les autres firmes en présence tirer son épingle du
jeu ? Par exemple, y a-t-il des moyens de se protéger contre un pouvoir trop impor-
tant des clients ou bien de celui des fournisseurs ? Ou bien encore, comment dissua-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
der des entrants potentiels à pénétrer sur le marché ? Les réponses à ces questions
sont multiples et il n’existe pas de solution unique à ces problèmes. En revanche,
l’identification du problème est une étape cruciale que l’analyse concurrentielle
permet de franchir.
La stratégie est faite d’anticipations et de réactions. Elle est par définition dyna-
mique. Aussi, une évaluation des forces respectives en présence, des objectifs impli-
cites poursuivis par les concurrents et des hypothèses qu’ils ont retenues quant à
l’évolution de leur situation donne une indication supplémentaire sur la dynamique
concurrentielle d’un secteur. L’analyse de ces éléments permet d’anticiper les
actions que les concurrents pourraient entreprendre et par conséquent de s’y prépa-
rer. Elle permet également la mise en évidence des facteurs clés de succès (FCS),
c’est-à-dire ce qu’il faut faire pour réussir dans un secteur.
89
Chapitre
Segmentation
6 et groupes
stratégiques
OBJECTIFS
Comprendre la raison d’être d’une segmentation stratégique.
Identifier les critères d’une segmentation stratégique.
Savoir identifier les différents groupes stratégiques présents.
SOMMAIRE
Section 1 Les critères de segmentation stratégique
Section 2 Centre d’activités stratégiques et organisation
Section 3 Les groupes stratégiques
Chapitre 6 ■ Segmentation et groupes stratégiques
L ’analyse stratégique est l’une des étapes les plus importantes du processus de
formulation de la stratégie. C’est grâce à ce diagnostic que le choix de la stratégie
va pouvoir s’effectuer et que des orientations possibles seront définies (voir figure 6.1).
Toutefois, parler de l’analyse stratégique d’une organisation, sans définir plus
précisément ce que cette dernière recouvre, n’a pas de sens. En effet, les entreprises
mono-produit mises à part, les conditions concurrentielles, les marchés, les techno-
logies, les concurrents vont être différents selon les activités de la firme. Par
exemple, un groupe de presse peut publier plusieurs magazines destinés à des clien-
tèles diverses et pour lesquels tant les concurrents que les annonceurs sont diffé-
rents. Une société d’ingénierie peut être en concurrence sur plusieurs marchés avec
des firmes différentes pour la construction de divers types d’usines, usine de produc-
tion d’engrais ou usine de fabrication de plastique. Dans chacun des cas, les
marchés, les produits, les conditions de concurrence, l’évolution de la demande
varient comme elles varient pour des entreprises encore plus diversifiées telles que
Thales, 3M, la General Electric ou bien encore Google.
Segmentation stratégique
Analyse
Analyse
des caractéristiques
des capacités stratégiques
de l’environnement
des Centres d’activités
des Centres d’activités
stratégiques
stratégiques
Orientations stratégiques
possibles par Centres
d’activités stratégiques
92
Segmentation et groupes stratégiques ■ Chapitre 6
déterminer la base d’analyse qui fera l’objet de l’évaluation. Par exemple, si Renault
est l’objet d’un diagnostic stratégique, il est nécessaire d’affiner ce que l’on entend
par Renault. S’agit-il de l’ensemble de l’entreprise ? Ou bien doit-on descendre à un
niveau d’analyse plus fin tel que la voiture familiale Espace, la voiture de ville éco-
nomique Twingo, la berline Laguna, le véhicule utilitaire Master, le véhicule élec-
trique Zoé ?
Selon le niveau d’analyse retenu, des choix stratégiques différents vont être faits. De
même, ce niveau d’analyse va soit faciliter, soit empêcher une comparaison avec la
concurrence ainsi qu’une identification des facteurs clés de succès sur lesquels repose
la réussite des actions qui vont être mises en œuvre. L’une des premières tâches est
donc de choisir un niveau adéquat d’analyse. C’est ce que nous appellerons la segmen-
tation stratégique des activités en centre d’activités stratégiques ou CAS1. Ces CAS
servent de base, par la suite, à l’évaluation des capacités de l’entreprise ainsi qu’à un
diagnostic de l’évolution de son environnement. En d’autres termes, chaque CAS fait
l’objet d’un audit interne, puis d’un audit externe. À l’issue des deux audits, il est
possible de déterminer les orientations stratégiques possibles pour chaque CAS.
La segmentation stratégique est ainsi l’une des étapes les plus critiques et les
plus difficiles dans l’élaboration d’une stratégie. De cette segmentation dépendent,
d’une part, une identification des concurrents ainsi qu’une prise en compte des
attentes spécifiques du marché, d’autre part, un choix de stratégies adaptées au
segment ainsi défini et, enfin, une formulation des politiques fonctionnelles
accompagnée de la structure organisationnelle qui permettra la mise en œuvre de
la stratégie sélectionnée.
Section
1 Les critères de segmentation stratégique
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
La définition des CAS, objet de la segmentation stratégique, peut être faite selon
deux perspectives. La première est celle du marché, la seconde celle du produit.
Dans cet esprit, on peut remarquer, tout d’abord, que les deux définitions du produit
et du marché s’articulent autour de trois dimensions (voir figure 6.2).
La première dimension est le type de clientèle concernée. Cette clientèle peut être
définie en termes de localisations géographiques ; comme Paris, la France, l’Europe
du Nord. Elle peut aussi être définie en termes de critères socio-démographiques ;
par exemple, les jeunes ménages de 25 à 35 ans, dont le revenu annuel est supérieur
à 30 000 euros.
1. Le terme anglo-saxon pour « CAS » est Strategic Business Unit (SBU). Un autre terme est aussi parfois uti-
lisé : le domaine d’activités stratégiques (DAS).
93
Chapitre 6 ■ Segmentation et groupes stratégiques
« Clientèle »
A
Marché
global
« Besoin »
Technologie
simple
Technologie
complexe
B
« Technologie »
Toutefois, la définition des CAS peut être différente selon les concurrents. Sur
la figure 6.2, trois concurrents A, B, C sont représentés. Chacun d’eux a fait des
choix de CAS différents. Le concurrent A, par exemple, a choisi un CAS compre-
nant un produit simple, répondant à des besoins diversifiés pour une clientèle
mondiale. Le concurrent B a opté pour un CAS correspondant à un produit de
technologie complexe, visant un marché local et répondant à un besoin précis et
unique. Le concurrent C, enfin, a choisi un CAS caractérisé par un produit de
technologie complexe, répondant à des besoins multiples et ouvert au marché
mondial.
94
Segmentation et groupes stratégiques ■ Chapitre 6
1. D’autres technologies, pompe à chaleur, géothermie, énergie solaire… existent bien entendu, mais elles sont
encore peu répandues.
95
Chapitre 6 ■ Segmentation et groupes stratégiques
définition des produits est très souvent arbitraire et correspond rarement à une ana-
lyse précise des caractéristiques et des contraintes stratégiques auxquelles une acti-
vité peut être soumise.
Les différents exemples ci-dessus nous montrent la complexité de la segmentation
stratégique. À vouloir trop intégrer les différentes dimensions technologiques, pro-
duits et marchés, on aboutit rapidement à une construction trop complexe pour être
utile. Il convient donc de revenir à nos deux critères initiaux, le marché et le produit
et de ne retenir dans notre segmentation que les dimensions pertinentes de ces deux
critères, par rapport à l’entreprise :
• Le marché et ses exigences : quelle est la nature de la demande issue de ce mar-
ché ? À quelle fonction l’activité doit-elle répondre ? Quelle est la nature de la
concurrence et la politique de marketing mise en œuvre par cette dernière, en
termes de distribution, de prix, de publicité ? La réponse à ces différentes ques-
tions permet de mesurer les spécificités et les similitudes des différents marchés
dans lesquels l’entreprise est présente. Elle permet donc de regrouper les différents
marchés, géographiques et sectoriels entre eux. Pour reprendre l’exemple des
micro-ordinateurs, évoqué précédemment, un même produit pourra s’adresser à
des segments de marché différents. Le cas du Mac d’Apple est révélateur. Ce
micro-ordinateur peut aussi bien s’adresser à des particuliers qu’à des consultants
ou à des établissements de formation. Le comportement et la nature de la concur-
rence, sur chacun de ces sous-marchés, étant différents, des actions différenciées
doivent être entreprises afin de toucher la clientèle de la manière la plus efficace
possible et répondre, au mieux, aux stratégies développées par les firmes concur-
rentes.
• Le produit et ses caractéristiques : quelle est la structure de coûts du produit ? Sur
quelle base technologique le produit repose-t-il ? Si des produits similaires
s’appuyant sur des technologies identiques et possédant une même structure de
coûts existent, le regroupement de ces derniers pourra se faire. Si, en revanche, les
technologies sur lesquelles reposent les produits et les coûts qui leur sont associés
sont différentes, il sera nécessaire de prendre chacun des produits séparément.
Pour reprendre un cas précédemment évoqué, les modes de chauffage utilisant des
technologies différentes doivent être séparés ; les prix de vente et les structures de
coûts étant différents1.
En conclusion, la segmentation stratégique, étape nécessaire dans la phase de dia-
gnostic d’une situation d’entreprise, va, dans un premier temps, permettre l’identifi-
cation de couples « produits-marchés ». Les deux dimensions associées, d’une part
au produit (technologie, coût), d’autre part au marché (clientèle, besoin) servent
ainsi de guide de segmentation. Dans un deuxième temps, il s’agit de regrouper les
1. Ces technologies différentes et les produits qui en découlent sont bien évidemment évalués lors de l’analyse
de la concurrence et plus précisément lors de l’analyse des produits substituts.
96
Segmentation et groupes stratégiques ■ Chapitre 6
Section
2 entre d’activités stratégiques
C
et organisation
La détermination des CAS, au-delà de la difficulté d’isoler des marchés et des pro-
duits homogènes, se heurte à d’autres problèmes. Parmi ces derniers, celui de la rigi-
dité organisationnelle est l’un des plus importants. En effet, traditionnellement certains
produits sont associés à des départements bien spécifiques et ce, souvent du fait du
hasard ou de l’histoire de l’entreprise. Dans le cadre d’une réflexion stratégique, il est
possible que les CAS, qui ont pu être identifiés, ne recouvrent pas le cadre structurel
existant mais chevauchent plusieurs entités organisationnelles différentes. Dans ces
conditions, des confusions, des conflits, des blocages peuvent se produire et freiner ou
même aller à l’encontre de la mise en œuvre de la stratégie développée pour chacun
des centres d’activités stratégiques. Un tel problème ne doit, cependant, pas servir de
prétexte à une réduction de l’effort de réflexion nécessaire à l’identification des CAS.
Il ne doit pas non plus être éludé, mais au contraire être abordé afin de procéder aux
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
97
Chapitre 6 ■ Segmentation et groupes stratégiques
Section
3 Les groupes stratégiques
98
Segmentation et groupes stratégiques ■ Chapitre 6
99
Chapitre 6 ■ Segmentation et groupes stratégiques
Sept groupes stratégiques ont été représentés en fonction de deux dimensions choi-
sies pour leur pertinence degré de spécialisation et clientèle cible exprimée ici en
termes de niveau d’épargne financière. Dans chacun des sept groupes, les entreprises
sont en lutte sur une base similaire. Entre groupes, les stratégies diffèrent. Certaines
mettent l’accent sur la personnalisation des services, d’autres sur l’étendue de la
gamme des produits (voir figure 6.3).
Banques privées
OBC
Rothschild
Spécialistes Julius Baer
épargne B. du Louvre
500 KE clientèle aisée
Personal Spécialistes Spécialistes
Bankers paiement crédit Oddo
Épargne CCF, Barclays, Laffite Inv.
financière certaines American AXA
banques Express AGF
de détail Cetelem ...
100 KE Dinners
club Sofinco Spécialiste
Banques épargne
de détail grand public
Cofidis
Crédit
Agricole, AXA
Crédit Mutuel, AGF
BNP, SG... ...
Généralistes Spécialistes
100
Segmentation et groupes stratégiques ■ Chapitre 6
doit prendre en compte l’historique et les grands enjeux du secteur, les technologies
et structures de coûts associées ou les différentes stratégies mises en œuvre. À l’ins-
tar de toute classification, l’objectif est de retenir les critères qui minimisent les
différences au sein des groupes mais qui maximisent ces dernières entre les groupes
eux-mêmes. Une liste des critères les plus fréquemment utilisés est présentée dans
le tableau 6.1.
Dans le cadre de l’industrie des services financiers aux particuliers, les deux cri-
tères déterminants sont le niveau d’épargne financière des clients et la spécialisation
de la gamme de produits autour des quatre grands métiers du secteur (paiement,
crédit, épargne et gestion de patrimoine). Ces deux critères permettent de créer des
groupes stratégiques cohérents en termes d’approche stratégique de gamme de pro-
duits et de clientèle cible. Il est important de noter que les grandes entreprises,
banques de détail, dans notre exemple, sont souvent en concurrence, du fait de la
diversité de leurs activités, avec plusieurs groupes stratégiques. La Société Générale,
classée dans le groupe stratégique des banques de détail, a des activités de paiement
via sa carte Visa ou Visa Premier, des activités de crédit à l’instar de Cofidis, des
activités d’épargne et des activités de gestion de patrimoine. Elle est donc en concur-
rence, directement ou indirectement avec l’ensemble des groupes stratégiques. Il
n’en demeure pas moins que ses principaux concurrents sont les autres banques de
détail et au premier rang d’entre elles, pour de raisons historiques d’offre publique
d’achat ratée par deux fois, la BNP. Cet exemple montre également que groupes
stratégiques et segments stratégiques ne se recoupent pas forcément. Pour la Banque
du Louvre ou la Banque Rothschild, groupe stratégique et segment stratégique sont
confondus, alors que la Société Générale, membre du groupe stratégique des
banques de détails a probablement défini en interne différents CAS intégrant la ges-
tion de patrimoine, l’épargne ou le crédit.
L’analyse des groupes stratégiques offre une idée claire de la situation concurren-
tielle et permet l’analyse des firmes en concurrence. Elle permet également de
connaître les facteurs clés de succès de chacun des groupes stratégiques. Les facteurs
clés de succès sont les activités qu’une entreprise doit maîtriser pour maintenir sa
place au sein d’un groupe stratégique donné et s’efforcer de surpasser sa concurrence.
101
Chapitre 6 ■ Segmentation et groupes stratégiques
Ils reposent sur des compétences fondamentales présentes dans les différentes fonc-
tions de l’organisation et sur la capacité de cette dernière à les mettre en œuvre au sein
de processus transverses. À titre d’exemple, la figure 6.4 ci-après présente les diffé-
rents facteurs clés de succès afférents aux différents groupes stratégiques présents dans
le secteur des services financiers aux particuliers. La maîtrise de ces facteurs clés de
succès offre une protection vis-à-vis des concurrents appartenant à d’autres groupes
stratégiques du même secteur en créant de véritables barrières à leur mobilité.
La constitution des groupes stratégiques et la segmentation stratégiques sont deux
analyses complémentaires qui s’enrichissent mutuellement. Le groupe stratégique
permet d’identifier les concurrents directs sur une majorité des activités de l’entreprise
alors que la segmentation stratégique permet une analyse plus fine et plus proche du
client, de ses besoins et de ses attentes.
Banquiers privés
• Image
• Stabilité
et fiscalité du
Épargne pays d’accueil
moyen/haut
500 KE Personal Spécialistes de gamme
Banking Spécialistes
paiement
• Image crédit
• Efficacité • Performance
Épargne de la force • Marketing produits
• Data mining
financière commerciale Direct
• Adéquation • Innovation • Image
client/offre/ • Data
et
canal mining
100 KE performance
Banques produits Épargne
de détail
grand public
• Adéquation • Maîtrise
client/offre/ des risques • Rendement
canal de la force
• Efficacité commerciale
de la force
commerciale • Marque
Généralistes Spécialistes
Figure 6.4 – Les facteurs clés de succès dans le secteur des services financiers
aux particuliers
102
Chapitre
Analyse
7 des capacités
stratégiques
OBJECTIFS
Comprendre ce que l’on entend par ressources stratégiques.
Comment mettre en évidence les ressources stratégiques.
Comment développer un avantage concurrentiel.
SOMMAIRE
Section 1 L’audit des ressources
Section 2 L’analyse des compétences
Section 3 L’analyse de la chaîne de valeur
Section 4 L’étalonnage
Section 5 Durabilité de l’avantage
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
Section
1 L’audit des ressources
L’audit consiste à passer en revue l’ensemble des ressources de l’entreprise. Ces
ressources sont réparties dans les différentes fonctions de l’entreprise. On analyse
ainsi le marketing, la production, la recherche et développement, la finance, les res-
sources humaines (voir tableau 7.1).
104
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
Les ressources au sein de ces fonctions sont de différentes natures. Elles peuvent
être physiques, humaines, financières, organisationnelles. Par exemple, le réseau de
distribution, les talents, la rentabilité, l’esprit d’équipe sont respectivement des res-
sources physiques, humaines, financières, organisationnelles. Certaines sont tan-
gibles comme le réseau de distribution et d’autres sont intangibles telles que l’esprit
d’équipe. Certaines sont uniques et peuvent procurer un avantage concurrentiel,
telles que la marque, d’autres sont génériques et sont (ou devraient être) possédées
par tous, par exemple, un outil de production performant.
Une fois la nature des ressources identifiée, il faut les évaluer. On les compare,
d’une part, aux ressources des concurrents, et, d’autre part, au profil stratégique
nécessité par les conditions de l’environnement. Par exemple, les tableaux 7.2a et
7.2b permettent de comparer le profil de l’activité CAS X de l’entreprise A, d’une
part, aux profils de deux autres concurrents (B et C) et, d’autre part, au profil requis
par les conditions de l’environnement. Il est important de raisonner ici en termes
relatifs et non en termes absolus. Ainsi, sur les tableaux 7.2a et b, un coût de fabri-
cation « faible » ne signifie pas que l’entreprise dispose d’un coût plus faible que ses
concurrents, mais qu’au contraire elle a une faiblesse sur ce critère (par exemple, un
coût plus élevé que celui de ses concurrents, un outil de production dépassé).
–– Le coût de fabrication
En production
–– Le délai de production
–– La localisation des unités de production
–– Les effets d’expérience et d’échelle, etc.
–– Le développement des produits
–– Les nouveaux produits
En recherche et développement
–– Le potentiel de recherche
–– L’existence de brevets, etc.
–– Le niveau d’endettement
–– Le niveau de profit
–– Les réserves
En finance
–– La capacité d’endettement
–– Les sources de financement
–– La liquidité, etc.
☞
* Les rubriques du tableau associées à chaque fonction ne sont pas exhaustives. Elles ne sont données qu’à
titre indicatif.
105
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
☞
–– Les talents
–– La capacité d’attirer et de retenir un personnel de qualité
En ressources humaines –– La politique de promotion et de récompense
–– Le système de communication
–– Le mode de recrutement, etc.
–– La structure organisationnelle
–– Les procédures administratives
En organisation –– Les modes d’incitation et d’évaluation
–– Le processus de prise de décision
–– La flexibilité organisationnelle, etc.
* Les rubriques du tableau associées à chaque fonction ne sont pas exhaustives. Elles ne sont données qu’à titre
indicatif.
106
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
Marketing
• Étendue de la gamme de produits
• Qualité des produits
• Part de marché
Production
• Coût de fabrication
• Qualité de la production
• Délai de fabrication
Recherche et Développement
• Flux de nouveaux produits
• Potentiel de recherche
Finance
• Endettement
• Niveau des stocks
• Disponibilité de financement
Personnel
• Talents
• Capacité d’attirer et de retenir un
personnel de qualité
• Promotions et récompenses
Organisation
• Flexibilité
• Processus de décision
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
107
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
Marketing
• Étendue de la gamme de produits
• Qualité des produits
• Part de marché
Production
• Coût de fabrication
• Qualité de la production
• Délai de fabrication
Recherche et Développement
• Flux de nouveaux produits
• Potentiel de recherche
Finance
• Endettement
• Niveau des stocks
• Disponibilité de financement
Personnel
• Talents
• Capacité d’attirer et de retenir un
personnel de qualité
• Promotions et récompenses
Organisation
• Flexibilité
• Processus de décision
Section
2 L’analyse des compétences
L’avantage concurrentiel d’une entreprise ne dépend pas uniquement des res-
sources dont elle dispose. Il dépend aussi du mode de déploiement de ces ressources
dans les différentes fonctions de l’entreprise et de leur articulation dans les proces-
sus transverses. Déploiement et articulation vont créer des compétences qui seront
comparables à celles des concurrents ou qui seront spécifiques à l’entreprise. Bien
108
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
est définitivement perdue) et une structure de coûts déséquilibrée (les coûts fixes
sont disproportionnés par rapport aux coûts variables). De plus, ces deux indus-
tries doivent répondre à une demande extrêmement fluctuante (très forte saisonna-
lité). En conséquence, les entreprises de ces deux secteurs ont dû développer les
compétences nécessaires de « yield management » et de « revenue management »
qui leur permettent de maximiser les recettes et d’ajuster au mieux la demande à
l’offre par le biais d’une politique tarifaire complexe et fluctuante. En règle géné-
rale, l’ensemble des firmes présentes dans un secteur industriel donné possède les
compétences nécessaires spécifiques à ce secteur. Il peut certes exister des diffé-
rences en termes de maîtrise ou d’expertise sur ces compétences. Mais, à défaut
de posséder les compétences nécessaires à un secteur, une firme ne peut y envisa-
ger un avenir durable. Bien qu’elle participe à la création de valeur, tant pour
l’entreprise que pour le client, il est difficile de créer un avantage concurrentiel
109
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
1. C.K. Prahalad et G. Hamel, « The Core Competencies of the Organisation », Harvard Business Review, 1990.
110
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
1. MethylGene est une société canadienne. L’ensemble de l’exemple est directement inspiré du site Internet de
la société : www.methylgene.com, section Core Competencies.
111
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
Génomique
fonctionnelle
Enzymologie
Nouveaux candidats
thérapeutiques de
Production MethylGene
de protéines
recombinantes
In Vivo et toxicologie
Pharmacologie moléculaire
et cellulaire
Développement
d’essais
L’analyse des compétences est une activité transverse à l’entreprise. Elle per-
met ainsi de s’éloigner du cadre « rigide » des centres d’activités stratégiques.
L’entreprise identifie un portefeuille global de compétences et peut décider de
son utilisation partielle ou totale en fonction des environnements dans lesquels
évoluent ses centres d’activités stratégiques. La gestion du portefeuille de
compétences est ainsi une source de synergies entre les différentes activités de
l’entreprise. Par ailleurs, une gestion globale du portefeuille de compétences
permet à un centre d’activités stratégiques l’utilisation d’une compétence prove-
nant d’une autre activité, compétence que ses concurrents directs ne posséderont
pas forcément. Le but recherché ici est de développer une stratégie qui ne soit pas
immédiatement imitable par les concurrents du fait de l’emploi de compétences
auxquelles le centre d’activités stratégiques peut accéder rapidement alors que les
concurrents doivent d’abord développer ces mêmes compétences avant de mettre
en œuvre une stratégie comparable. La gestion globale d’un portefeuille de
compétences est ainsi une source d’avantages concurrentiels pour les différentes
activités de l’entreprise.
L’incapacité d’une entreprise à identifier ses propres compétences tant nécessaires
que fondamentales peut entraîner leur perte. À titre d’exemple, dans les années
soixante-dix, les constructeurs américains d’électronique ont choisi de se désinvestir
du marché de la télévision. Ce marché était mûr et des produits de bonne qualité à
prix faibles étaient fournis par des entreprises originaires d’Asie. Cette décision de
désinvestissement a entraîné la perte, chez ces constructeurs américains, de compé-
tences, notamment en vidéo. Compétences qui leur ont cruellement manqué pour
pénétrer le marché des téléviseurs digitaux. De même, des décisions de sous-
traitance entraînent fréquemment la perte de compétences. La sous-traitance
empêche une entreprise de développer, voire de maintenir, des compétences
112
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
que nous faisons afin d’assurer notre leadership dans le futur. C’est contre la nature
humaine, mais vous devez tuer votre “business” alors qu’il fonctionne encore. » De
même que pour les activités d’une entreprise, les compétences fondamentales d’une
entreprise doivent être renouvelées.
113
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
Section
3 l’analyse de la chaîne de valeur
L’analyse de la chaîne de valeur proposée par M. Porter1 suit une démarche
assez proche des méthodes fondées sur le concept de « business systems » de
McKinsey2. L’analyse de la chaîne de valeur permet de mettre en évidence les
sources d’avantages concurrentiels de l’entreprise et de ses activités. Pour ce
faire, l’entreprise est divisée en une série de fonctions ou activités élémentaires
(conception, fabrication, commercialisation, etc.) qui sont articulées le long
d’une « chaîne » où chaque étape crée successivement de la valeur. La chaîne de
valeur couvre ainsi l’ensemble des tâches élémentaires de l’entreprise de la
génération d’idées jusqu’à la vente des produits et les services qui y sont
associés.
La figure 7.2 donne une « chaîne de valeur » classique avec l’ensemble des acti
vités élémentaires qui la compose. Ces activités ou tâches élémentaires sont
décomposées en deux grandes catégories les activités primaires et les activités de
soutien. Les activités primaires sont celles qui participent directement à la fabrica-
tion et à la vente des produits. Elles sont spécifiques au produit ou centre d’activités
stratégiques analysé. Les activités de soutien, comme leur nom l’indique, inter-
viennent indirectement dans la fabrication et la vente. Elles sont généralement
communes à l’ensemble des produits ou centres d’activités stratégiques de l’entre-
prise et vont faciliter la bonne réalisation des activités primaires.
Infrastructure
MARGE
Production Services
interne externe et ventes
ACTIVITÉS PRIMAIRES
114
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
115
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
• Achat & • Déterminer les • Déterminer les • Optimiser la • Vendre et • Transporter les • Optimiser le
Gestion routes et les types d’avions recette de distribuer les passagers fonctionnement
patrimoniale fréquences susceptibles l’avion par le titres de • Fournir des • Optimiser les
d’un parc générant un de couvrir yield et le transport au services aux coûts de
d’avions/de trafic rentable ces routes au développement travers des passagers maintenance
moteurs • Optimiser le meilleur coût de la base canaux directs
opérationnel et passagers et indirects • Entretenir et
• Maîtrise du ROI des slots réparer les
avec la plus • Fidéliser les
coût du capital forte flexibilité • Fidéliser les avions et
passagers à entreprises machines
• Optimiser /standardi-
le taux sation haute Etc.
d’utilisation contribution
• Choisir les
et la valeur moteurs en
résiduelle conséquence
116
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
permet ainsi l’identification des activités critiques. Une concentration des investis-
sements sur ces activités critiques est généralement suffisante pour assurer sinon le
succès du moins la pérennité de l’entreprise.
Il convient néanmoins d’examiner avec prudence les conclusions que l’on pourrait
tirer d’une analyse rapide de la chaîne de valeur. De fait, la performance globale
d’une chaîne de valeur dépend autant de la performance de chaque activité que de
la performance des liens entre activités. Une entreprise ne peut considérer qu’une
surperformance sur une activité permet de réduire les conséquences d’une sous-
performance sur une autre activité. Du fait des liens entre les différentes activités au
sein de la chaîne de valeur, le degré de maîtrise par l’entreprise d’une activité donnée
influence nécessairement le coût et la performance des autres.
On peut reprendre ici l’exemple d’une compagnie aérienne où la maintenance est
une activité moins créatrice de valeur que le « revenue management » ou le « pro-
gramme ». Néanmoins, si cette compagnie est moins efficace que ses concurrents en
termes de maintenance, il en résultera nécessairement des retards importants et fré-
quents voire des incidents en vol qui obéreront totalement les effets des expertises
et compétences qu’elle pourrait posséder en « revenue management » ou en « établis-
sement de programme ». Il convient ainsi de porter autant d’attention aux liens qui
existent entre activités qu’aux activités elles-mêmes, faute de quoi l’entreprise peut
prendre de bonnes décisions concernant certaines activités mais qui au final
s’avèrent néfastes pour l’ensemble de l’entreprise.
Par ailleurs, l’analyse de la chaîne de valeur ne doit pas se limiter à une entreprise
ou à un centre d’activités stratégiques donné. En dehors de quelques firmes forte-
ment intégrées verticalement, il est rare de voir une seule entreprise assurer
l’ensemble des activités pour concevoir, produire, distribuer et maintenir un produit
ou un service. Dans la plupart des cas, la chaîne de valeur s’insère dans un ensemble
plus global reliant les chaînes des fournisseurs à celles des chaînes des circuits de
distribution, voire à celles des clients. Dans un tel cadre, une part importante de la
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valeur globale est créée en amont, via la chaîne d’approvisionnement et en aval, via
la chaîne de distribution finale aux clients. Il est donc important de comprendre
l’intégralité du processus global car un avantage concurrentiel peut être créé ou
renforcé par une meilleure coordination de l’ensemble de ces différentes chaînes qui
vont de l’origine du produit ou du service jusqu’au client final.
Les principales sources d’avantage concurrentiel peuvent également être identi-
fiées en comparant la chaîne de valeur de l’entreprise avec les chaînes de valeur de
ses principaux concurrents. Lors de cette comparaison, deux situations peuvent
apparaître en fonction du degré de similarité des chaînes de valeur des différents
concurrents :
• Les chaînes de valeur des différents concurrents sont comparables ; dans cette
situation la création d’un avantage concurrentiel ne peut provenir que d’une maî-
trise ou d’une expertise supérieure soit d’une des activités composant la chaîne de
117
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
valeur soit des processus de liaison entre les différentes activités. À titre d’exemple,
l’Oréal dispose d’une chaîne de valeur comparable à celle de ses principaux
concurrents mais l’entreprise a su se créer des avantages concurrentiels par sa
maîtrise des processus d’innovation (processus transverse aux différentes activi-
tés) et ses compétences en marketing.
• Les chaînes de valeur des différents concurrents sont différentes ; dans ce cas, il
est nécessaire d’évaluer les possibilités offertes par les différents schémas d’orga-
nisation de la chaîne de valeur. En effet, une organisation donnée de la chaîne de
valeur permet la création d’activités, de produits et de services spécifiques qu’il
est important d’identifier afin d’en connaître le potentiel, en termes d’avantages
concurrentiels possibles. Ayant identifié ce potentiel d’avantages, il s’agit ensuite
de le comparer aux potentiels des concurrents ayant choisi des modes d’organisa-
tion différents.
L’analyse comparée des chaînes de valeur permet ainsi d’identifier une des sources
potentielles d’avantages concurrentiels. Il convient néanmoins de remarquer qu’un
118
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
avantage concurrentiel créé à partir d’une chaîne de valeur semblable à celles de ses
concurrents est rarement durable. Disposant de la même organisation, les concur-
rents peuvent développer la même expertise sur une activité donnée ou sur un pro-
cessus transverse. En revanche, lorsque les chaînes de valeur des concurrents sont
différentes, le temps nécessaire à la modification d’une chaîne de valeur et à l’obten-
tion des avantages concurrentiels associés à cette nouvelle organisation est très
important. Un avantage concurrentiel construit sur une organisation originale de la
chaîne de valeur est donc beaucoup plus durable qu’un avantage construit sur une
meilleure maîtrise d’une activité ou d’un processus d’une chaîne de valeur plus lar-
gement répandue.
Cette analyse est également importante quand une entreprise choisit de pénétrer
un secteur industriel qui compte des concurrents installés. Elle a alors tout intérêt à
« inventer » une nouvelle organisation de la chaîne de valeur afin de se démarquer
des concurrents déjà présents.
Enfin, il est nécessaire de bien connaître l’organisation interne de ses clients.
L’acquisition d’un avantage concurrentiel peut résulter de l’analyse de leur propre
chaîne de valeur. À partir de l’identification des activités critiques de leur chaîne,
l’entreprise peut construire une offre adaptée. Offre qui permettra aux clients d’amé-
liorer plus encore ces activités. L’entreprise devra alors évaluer dans sa propre
chaîne celles de ses activités qu’il faudra améliorer, voire créer. L’exemple suivant
illustre cette démarche.
Cas d’entreprise
Analyse de la chaîne de valeur d’une entreprise
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de nettoyage industriel
Prenons le cas d’une entreprise française de nettoyage industriel. Son activité
majeure consiste en la fourniture à façon de personnels chargés d’effectuer le net-
toyage des pompes, des moteurs et plus généralement de l’outil industriel des
clients. Il s’agit d’une activité standardisée et, en conséquence, les négociations
avec les clients portent essentiellement sur une quantité d’heures nécessaires et sur
un prix horaire. Du fait de négociations commerciales de plus en plus âpres, la
société de nettoyage décide alors d’améliorer son offre et pour ce faire d’analyser
la chaîne de valeur de ses principaux clients.
Au vu des résultats de cette analyse, la société de nettoyage industriel décide de modi-
fier son offre et de proposer à ses clients des ressources dédiées qui peuvent intervenir
rapidement suite à un appel téléphonique. Les équipes de nettoyage peuvent
119
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
☞
ainsi intervenir quand le client arrête sa chaîne de production pour des opérations
de maintenance curative et non sur des périodes planifiées à l’avance. Cette offre
contribue donc à augmenter le taux d’utilisation des équipements industriels des
clients. Par ailleurs, pour nettoyer un équipement, il est souvent nécessaire de le
démonter et les opérations de démontage – remontage sont plus longues que les
opérations de nettoyage. La société propose donc à ses clients d’effectuer des opé-
rations de maintenance préventive basique (remplacement des joints,…) lorsqu’elle
intervient pour nettoyer. Elle contribue ainsi à augmenter plus encore la disponibi-
lité des équipements industriels de ses clients grâce à la simultanéité du nettoyage
et de la maintenance préventive. Elle participe à la réduction des coûts globaux de
ses clients en réduisant le nombre d’opérations de montage-démontage effectuées
sur l’appareil industriel.
L’amélioration de son offre permet à l’entreprise de nettoyage d’augmenter ses
prix et sa marge. En effet, lors des négociations commerciales avec ses clients, elle
est capable de montrer qu’elle contribue à l’amélioration de leurs propres activi-
tés par une amélioration du taux d’utilisation des équipements et une réduction
des coûts supérieure à l’augmentation des prix de sa nouvelle offre. La société de
nettoyage industriel doit à son tour modifier sa chaîne de valeur afin de pouvoir
intervenir chez ses clients rapidement. Elle doit aussi investir dans de nouvelles
ressources, dont un personnel plus qualifié afin d’assurer les activités de mainte-
nance préventive qui viennent désormais compléter les opérations classiques de
nettoyage.
Figure 7.6
Figure 7.7
120
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
☞
4. En quoi une nouvelle offre de l’entreprise peut renforcer plus encore les détermi-
nants du succès de l’activité « production » de son client ?
––intervenir de manière préventive ;
––intervenir chez le client à sa demande.
5. Que doit-on changer dans la chaîne de l’entreprise pour mettre en œuvre cette
nouvelle offre ?
––accroître la qualification du personnel de maintenance.
Équipes de
Conception Fournisseur Planning Négociation Intervention
maintenance
Figure 7.8
Section
4 L’étalonnage
L’étalonnage (ou « benchmarking ») est le dernier type d’analyse des capacités
internes d’une entreprise. L’analyse financière en est la forme la plus courante. Elle
s’articule souvent autour d’une batterie de ratios permettant à l’entreprise de dresser
un diagnostic de ses performances par la comparaison des résultats aux moyens mis
en œuvre.
Elle couvre plus généralement :
–– la rentabilité (rentabilité des investissements, rentabilité des capitaux investis…) ;
––la profitabilité (résultat net/chiffre d’affaires…) ;
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––la productivité des différents facteurs de production (taux d’utilisation des équipe-
ments, production par employé, production par équipement…) ;
––les capacités de financement (marge brute d’autofinancement, capacité
d’endettement…) ;
––la structure des coûts (répartition des coûts entre les différentes fonctions ou
activités, pourcentage de coûts fixes et de coûts variables, nature des différents
coûts…).
Ces différents indicateurs n’ont de valeur que dans la mesure où on peut les
c omparer. Dans l’absolu, ils ne présentent qu’un intérêt limité. En effet, chaque
secteur industriel présente des caractéristiques spécifiques qui font varier les normes
dans de grandes proportions. À titre d’exemple, le besoin en fonds de roulement est
négatif dans la grande distribution, alors qu’il est positif dans la majorité des autres
secteurs industriels. Il est donc important d’effectuer un rapprochement avec les
121
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
122
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
augmentant son efficacité, en réduisant ses coûts, ou en répondant mieux aux besoins
de ses clients. L’étalonnage permet enfin de réduire les résistances au changement en
fournissant des bases de comparaison objectives pertinentes et réalistes. Il ne s’agit pas
ici pour l’entreprise d’atteindre un niveau de performance déterminé de manière arbi-
traire mais de mettre en œuvre un processus déjà éprouvé chez d’autres ou d’accéder
à un niveau d’efficacité et d’efficience déjà atteint par d’autres.
L’étalonnage n’est pas réservé aux seules entreprises privées. Il peut être mis en
œuvre quel que soit le type d’organisation. Par exemple, l’aéroport Nice-Côte-d’Azur,
en partenariat avec l’aéroport de Genève, a ainsi initié un groupe de « benchmarking
aéroport », regroupant six aéroports européens de taille comparable engagés dans une
démarche qualité Birmingham, Hambourg, Genève, Nice, Vienne et Oslo. L’objectif
de cette association est de comparer et d’échanger sur les pratiques mises en œuvre
par les différents partenaires.
L’étalonnage est une pratique largement répandue. En France, plus de la moitié des
1 000 premières entreprises l’utilise et 80 % de celles qui l’ont adopté le considèrent
comme une approche efficace. On distingue généralement quatre types d’étalonnage :
• L’étalonnage interne est l’opération la plus facile à réaliser. Il permet des compa-
raisons internes entre les différents produits, services, processus, départements ou
entités d’une même entreprise. Il est très fréquemment mis en œuvre dans les
processus et méthodes de fabrication. Les entreprises comparent ainsi régulière-
ment les écarts de productivité existant entre leurs différents sites industriels et
s’efforcent de généraliser les pratiques de ceux qui obtiennent les meilleurs résul-
tats. L’avantage de l’étalonnage interne repose dans la facilité de recueil des don-
nées et de l’adaptation d’une entité à l’autre (appartenance à la même entreprise,
environnement comparable, possibilité de formation sur site…). En revanche,
l’étalonnage interne atteint rapidement une limite de créativité du fait de l’absence
d’apport extérieur.
• L’étalonnage concurrentiel consiste en une comparaison avec des concurrents
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
directs. La comparaison avec les concurrents est aisée pour les produits et les ser-
vices, il suffit de les acheter et de les utiliser. Les constructeurs automobiles pos-
sèdent ainsi généralement un « laboratoire d’analyse de la concurrence » dans
lequel ils « dissèquent » les produits concurrents. Ils identifient ainsi les fonction-
nalités spécifiques des produits concurrents, en infèrent les méthodes et processus
de production utilisés et reconstituent, certes imparfaitement, les coûts de produc-
tion. De même, les compagnies aériennes testent régulièrement les produits et
services de leurs concurrents en faisant voyager leur personnel sur les lignes des
concurrents. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’obtenir des informations
sur les méthodes, processus et expertises internes des concurrents à moins d’obte-
nir leur accord ou de recourir à des méthodes plus radicales tel que le recrutement
de personnels clés chez les concurrents, voire complètement illégales (espionnage
industriel).
123
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
1. Peters T. et D. Waterman, Le Prix de l’excellence, Paris, Dunod, 1999 pour la dernière édition.
124
Analyse des capacités stratégiques ■ Chapitre 7
Section
5 durabilité de l’avantage
Un avantage n’est véritablement un avantage que s’il est durable, ce qui n’est que
rarement le cas. Dans un monde qui bouge, où les concurrents n’attendent pas pour
apprendre, réagir, innover, un avantage n’est que trop souvent transitoire. Peu
d’entreprises réussissent à garder leur avantage dans la durée. Celles qui réussissent
sont celles qui ont été capables de créer de la valeur (V) pour leurs clients à partir
de ressources rares (R), ressources qui sont difficilement imitables (I) et qu’elles
savent organiser (O) tout au long de la chaîne de valeur. Nous avons là le fameux
acronyme VRIO1 qui définit ce qu’est un avantage durable. Sans l’une des caracté-
ristiques, le V, le R, le I et le O, l’avantage ne peut être que temporaire. Par exemple,
le premier « drive », Auchan Express, fut introduit en 2000 dans la banlieue de Lille
créant un avantage certain chez ce grand distributeur. Quelques années plus tard, en
2008, Leclerc, s’inspirant de l’expérience de son concurrent et grâce au développe-
ment d’Internet lance son propre concept près de Toulouse. Rapidement imité par le
reste de la grande distribution, plus de 3 000 « drives » sont créés dans la foulée,
dont 800 par le seul Système U. Nous avons ici le cas d’un avantage non durable car
facilement imitable. En revanche, dans le domaine d’un autre type de distribution,
celui de l’ameublement, Ikea, leader incontesté de son secteur depuis sa création a
été capable de créer une valeur certaine pour ses clients tout en maintenant son
avantage concurrentiel grâce à une logistique amont de production et aval de distri-
bution qu’il a su sans cesse améliorer, tout en gardant une longueur d’avance diffi-
cilement rattrapable grâce à son expérience cumulée.
Malheureusement, ce dernier exemple fait plus figure d’exception que de règle.
Plus fréquemment, les règles du jeu changent : les besoins de la clientèle évoluent,
une technologie nouvelle apparaît, un concurrent invente une offre plus attirante.
Les ressources, autrefois critiques pour conserver un avantage, ne sont plus adap-
tées. Il faut alors reconstruire ce qui n’a été que transitoire. Mais comment procéder
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alors ? Comme le dit Lou Gerstner, ancien CEO d’IBM qu’il a ressuscité en 1993
pour le laisser dix ans plus tard complètement transformé, « la longévité repose dans
la capacité de changer, pas de rester avec ce que l’on a… Le leadership qui compte
vraiment est celui qui maintient l’entreprise dans un changement incrémental
constant… en restant focalisé sur l’extérieur, sur ce qui se passe sur le marché, sur
ce qui change, tout en observant ce que fait la concurrence ».2
Pour ce faire, les entreprises qui réussissent sont celles qui sont capables de penser
large, c’est-à-dire en ayant comme point de référence, non plus seulement l’indus-
trie, mais un espace stratégique, une arène, comme l’appelle Rita McGrath3, où,
1. Barney, J. B. et W.S. Hesterly, W. S. Strategic Management and Competitive Advantage. New Jersey: Pearson, 2010.
2. « Lou Gerstner on corporate reinvention and values », The McKinsey Quarterly, septembre 2014.
3. R. G. McGrath, « Transient advantage », Harvard Business Review, juin 2013.
125
Chapitre 7 ■ Analyse des capacités stratégiques
126
Chapitre
8 Croissance interne
OBJECTIFS
Présentation des différents modes de croissance interne.
Comprendre pourquoi l’innovation est devenue indispensable.
SOMMAIRE
Section 1 La pénétration
Section 2 L’expansion du marché
Section 3 La diversification
Section 4 L’innovation
Chapitre 8 ■ Croissance interne
128
Croissance interne ■ Chapitre 8
Section
1 La pénétration
La pénétration est souvent la stratégie associée aux entreprises naissantes. La
concentration des moyens sur un savoir-faire particulier, le choix d’une niche qui
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sera facilement dominée demeurent une voie raisonnable pour les entreprises en
phase de démarrage. Toutefois, il n’est pas rare de constater que certaines de ces
mêmes entreprises, quelques années plus tard, ont conservé leur stratégie initiale.
Par exemple, des entreprises comme BIC, pendant plusieurs années avec la fameuse
pointe, le Club Méditerranée avec ses villages, Carrefour dans la distribution, SCOA
dans l’import-export, Michelin dans les pneumatiques ont gardé globalement leurs
spécialisations d’origine et ont réussi à se maintenir à des niveaux de performance
élevés. L’entreprise choisissant une telle option de croissance concentre ses res-
sources sur un seul type de produit, un seul marché et une seule technologie. Elle
s’efforce d’augmenter ses parts de marché afin de devenir le leader et de bénéficier
de tous les avantages qui sont associés à cette position.
Une option de pénétration présente des avantages et des inconvénients. Parmi les
avantages, on peut noter la concentration des ressources sur un objectif unique. De
129
Chapitre 8 ■ Croissance interne
plus, une option de pénétration est fondée sur des compétences connues de l’entre-
prise. Elle ne nécessite donc pas de développements complémentaires. Enfin,
l’option de pénétration implique une plus faible complexité de gestion. La faible
diversité des activités autorise une grande clarté des objectifs et une définition pré-
cise des orientations de l’entreprise.
La relative simplicité de gestion des entreprises ayant opté pour une stratégie de
pénétration permet aux dirigeants de concentrer leurs efforts sur les choix fonda-
mentaux de la firme et sur leur mise en œuvre. Ainsi, ces responsables peuvent
tenter de développer une image unique auprès du marché, d’améliorer la qualité de
leurs produits, d’agir sur la structure des coûts, ou tisser des relations privilégiées
avec les clients du fait de leur parfaite connaissance des besoins et attentes du mar-
ché. De plus, en raison de leur spécialisation, les entreprises qui mettent en œuvre
une telle option de croissance sont plus à même de comprendre, voire anticiper, les
grandes évolutions qui touchent leur clientèle.
Toutefois, la stratégie de pénétration présente les défauts de ses qualités. Par défi-
nition, elle oblige l’entreprise à concentrer sur une activité principale la quasi-
intégralité de ses ressources. L’organisation est ainsi prisonnière de cette activité et
subit directement toutes les modifications qui peuvent survenir dans son environne-
ment immédiat. L’apparition d’une nouvelle technologie, l’entrée d’un concurrent
puissant ou le commencement de la phase de déclin de l’industrie implique l’appa-
rition de difficultés importantes. De plus, la spécialisation des hommes et des
moyens peut créer des rigidités organisationnelles qui vont empêcher l’entreprise de
saisir les possibilités nouvelles qui se présentent et de développer, en son sein, les
capacités d’adaptation et de changements nécessaires pour répondre aux modifica-
tions de son environnement. Pour ces différentes raisons, une entreprise qui met en
œuvre une stratégie de pénétration se doit d’être extrêmement attentive au suivi de
son environnement. C’est ce suivi permanent qui lui permet de développer des avan-
tages compétitifs et de répondre aux menaces que toute évolution de l’environne-
ment pourrait faire peser sur sa pérennité.
Section
2 L’expansion du marché
130
Croissance interne ■ Chapitre 8
Section
3 La diversification
Afin de limiter les risques liés à la trop grande spécialisation de l’entreprise
qu’induit la mise en œuvre d’une politique d’expansion ou de pénétration, de nom-
breuses entreprises choisissent une option stratégique de diversification afin de
répartir leurs activités sur plusieurs couples produits-marchés.
Le choix d’une stratégie de diversification répond à plusieurs motifs. Tout d’abord,
lorsque les produits traditionnels de l’entreprise commencent à stagner, pour des
raisons de faiblesse de la demande ou d’accroissement de la concurrence, la firme
peut être tentée par une diversification dans des activités ou des marchés nouveaux.
131
Chapitre 8 ■ Croissance interne
132
Croissance interne ■ Chapitre 8
société Accor a pénétré le domaine des services aux entreprises avec le ticket restau-
rant ou le déploiement de programmes sociaux avec le ticket service. Pour d’autres
firmes, ce type de diversification répond à un besoin d’équilibre entre plusieurs
domaines, la croissance des uns compensant le déclin des autres. Ainsi, une entre-
prise sans soucis financiers immédiats, mais avec peu de perspective de développe-
ment, peut s’engager dans des secteurs prometteurs nécessitant des ressources
nouvelles. De même, une autre entreprise peut choisir de diversifier ses activités
dans des secteurs dont le cycle économique est inversé par rapport au cycle de ses
produits actuels.
La diversification « conglomérale » n’est pas sans poser de problèmes. Le premier
problème est naturellement le manque de cohérence stratégique entre les différentes
activités de l’entreprise, qui empêche le développement de toute synergie autre que
financière. Deux scénarios se présentent. Selon un premier scénario – favorable – les
divers composants de l’entreprise se comportent comme des entités indépendantes
dont les performances sont aussi bonnes que celles que ces mêmes entités pourraient
obtenir en dehors de toute attache au conglomérat. Dans un second scénario – défa-
vorable – des pressions vers une centralisation de la prise de décision sont exercées,
limitant la liberté des unités opérationnelles en dehors de toute logique ou lien stra-
tégique et entraînant un résultat consolidé souvent décevant. Un autre problème est
directement lié à cette dernière remarque. Il s’agit de la difficulté, voire l’impossibi-
lité, qu’ont les dirigeants du conglomérat à connaître et maîtriser les divers aspects
de leurs divisions opérationnelles. Dans un environnement porteur et lorsque la prise
de décision est décentralisée auprès des responsables des unités opérationnelles, le
fonctionnement global de l’ensemble ne peut être satisfaisant que dans la mesure où
chacun est à la hauteur de la tâche demandée. En revanche, en cas de crise, les diri-
geants de l’entreprise ont rarement les compétences et l’expérience requises pour
analyser et résoudre des problèmes qui sont souvent sans rapport avec leurs exper-
tises antérieures. Ce phénomène explique la fragilité de certains conglomérats en
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
temps de crise et la prudence avec laquelle ce type de diversification doit être adopté.
Une diversification conglomérale va ainsi entraîner de nombreux problèmes tant
au niveau de la recherche de cohérence entre les différentes activités du « conglomé-
rat » qu’à celui de la complexité de la gestion que va entraîner la diversification. Si
une diversification conglomérale permet d’équilibrer les risques entre les différentes
activités de l’entreprise, elle ne permet généralement pas la création de synergies
autre que financières et entraîne une complexité de gestion croissante qui peut
s’avérer dangereuse pour l’ensemble de l’entreprise.
Une entreprise qui met en œuvre une politique de diversification se doit de déter-
miner, d’une part, le plus faible niveau de diversification dont l’organisation a besoin
pour atteindre ses objectifs et demeurer une entité rentable et saine et, d’autre part,
le niveau maximum de diversification que la firme peut supporter du fait de la
complexité additionnelle créée. Toutefois, une grande prudence s’impose compte
133
Chapitre 8 ■ Croissance interne
Section
4 L’innovation
Une stratégie d’innovation est probablement l’option de croissance interne dont
les effets externes sont les plus importants. L’innovation peut avoir un impact fon-
damental sur l’environnement économique à trois niveaux différents :
• Sur la structure de la concurrence, de nouveaux concurrents peuvent surgir sur un
marché grâce à l’acquis de leurs technologies initiales. Par exemple, les innovations
successives dans le domaine de l’informatique et des télécommunications ont
entraîné l’apparition de nouveaux concurrents tels que Cisco. Parallèlement IBM
s’est, peu à peu, rapproché du secteur des télécommunications et ATT s’est introduit
dans l’informatique ; l’un et l’autre percevant dans les activités de son voisin un
prolongement logique, voire nécessaire, de sa propre mission. Le résultat en est un
accroissement de l’intensité concurrentielle qui, sans nul doute, provoque de nou-
velles… innovations. L’innovation peut aussi entraîner la disparition de concurrents.
Tel est le cas, par exemple, du développement de l’électronique qui a entraîné la
disparition de nombre d’industriels spécialisés en électromécanique.
• Sur la croissance, l’innovation permet de créer de nouveaux segments d’activités
par la nature des applications qu’elle offre. Elle autorise la création et la satisfac-
tion de nouveaux besoins ou la transformation de besoins préexistants. Le déve-
loppement du premier PDA « fonctionnel » par Palm Pilot a ainsi permis la
134
Croissance interne ■ Chapitre 8
135
Chapitre 8 ■ Croissance interne
136
Croissance interne ■ Chapitre 8
smartphones où les industriels, pris dans une course à l’innovation, ont développé
des fonctionnalités à l’intérêt réduit et ce parfois au détriment de la fonction pre-
mière, « téléphoner ». Chacun se souvient de « l’antennagate » de l’iPhone 4 où
les utilisateurs tenaient leur Iphone en appuyant sur l’antenne de l’appareil et
créaient ainsi des problèmes de réception.
• Cannibalisation entre des générations de produits trop rapprochées : l’appari-
tion d’une nouvelle génération de produits entraîne la disparition de la généra-
tion précédente. Si le rythme est trop rapide, il entraîne une diminution
mécanique de la marge globale par la disparition de produits rentables ayant
atteint ou dépassé leur point mort. Les constructeurs automobiles, notamment
japonais, ont ainsi augmenté récemment la durée de vie de leurs modèles de
quatre à cinq ans afin d’éviter cette cannibalisation entre des générations trop
rapprochées.
137
Chapitre 8 ■ Croissance interne
138
Croissance interne ■ Chapitre 8
Phase de création
• Innovation radicale
• Peu de connaissances
des besoins réels des Phase de maturité
clients
• Création du marché • Vente à des clients
avertis
• Standardisation
• Le prix devient le
• Peu de ventes Phase de croissance facteur clé de choix
• Suite d'innovations • Innovation tournée
incrémentales vers la réduction des
• Adaptation aux besoins coûts
réels des clients • Innovation radicale
• Forte croissance des (technique) pour
ventes relancer le marché
La phase de maturité est généralement une phase où les clients ne sont plus des
« primo acheteurs » mais des clients avertis qui ont déjà utilisé les produits,
connaissent précisément leurs besoins et attentes et savent juger les différentes
offres qui leur sont proposées. Dans un tel cadre, le prix devient un facteur décisif
de choix et l’entreprise se doit donc d’innover majoritairement dans une optique de
réduction de ses coûts (analyse de la valeur, « reverse engineering », « étalonnage »,
nouvelles technologies de production…). Elle peut continuer à améliorer ses pro-
duits par innovation incrémentale dans les domaines où le consommateur est encore
insatisfait (qualité, longévité, fonctionnalités…) mais cette innovation demeurera
marginale par rapport à la réduction des coûts. Enfin, l’entreprise peut essayer, par
une innovation radicale à forte composante technologique, de relancer le marché et
recréer ainsi de la croissance tant en volume qu’en valeur. À titre d’exemple, le lan-
cement des technologies autofocus puis, dix ans plus tard, des technologies numé-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
riques ont permis de relancer à deux reprises le marché des appareils photographiques
arrivé à maturité et qui entamait alors un déclin sinon en volume du moins en valeur.
La conservation de la rente associée à l’innovation va donc dépendre de critères
tant endogènes qu’exogènes à l’entreprise innovatrice. De fait, l’entreprise ne peut
agir directement que sur la poursuite, à bon escient, de sa politique de Recherche et
Développement et la recherche d’une protection forte fondée sur des compétences
tacites peu imitables. L’influence que peut avoir une entreprise sur le degré de stan-
dardisation du marché et sur ses relations avec ses fournisseurs d’actifs complémen-
taires nécessaires au développement de l’innovation, est beaucoup plus incertaine.
Cette influence sera fonction de la taille relative de l’entreprise par rapport à ses
concurrents et ses fournisseurs, et de la masse critique qu’elle a pu atteindre sur le
marché. Néanmoins son impact sur la conservation de la rente associée à l’innova-
tion demeure aléatoire.
139
Chapitre 8 ■ Croissance interne
4 Innovation et coopération
Les stratégies d’innovation présentent un fort potentiel pour l’entreprise. Néan-
moins les risques et incertitudes associés à de telles options stratégiques sont impor-
tants, alors même que leurs coûts sont très élevés. Les entreprises répondent
fréquemment aux difficultés de mise en œuvre d’une politique d’innovation par la
mise en œuvre de coopération et d’alliance. Ces dernières permettent de répartir les
investissements nécessaires à la réalisation d’une innovation tout en permettant la
création de synergies entre les compétences technologiques des différents parte-
naires. L’alliance entre General Electric et Snecma (présentée dans l’exemple ci-
dessous), dans la construction du réacteur d’avion CFM56, relève de cette volonté.
En partageant les investissements et en utilisant tant les compétences techniques que
commerciales présentes dans les deux firmes, ces deux entreprises ont connu un
succès important tout en réduisant les risques associés à un projet d’innovation.
De plus, les coopérations permettent de créer une masse critique autour des tech-
nologies développées en commun. Masse critique qui facilite une standardisation du
marché autour des choix effectués par les alliés. Les deux standards à la base du
DVD, MPEG II et AC3 ont ainsi été développés et négociés par la quasi-totalité des
firmes présentes dans le domaine de l’électronique grand public. Cette standardisa-
tion autorisée par des collaborations interentreprises n’est pas neutre financièrement
dans la mesure où on a pu constater que la somme des marges brutes d’autofinance-
ment dégagées par les entreprises présentes sur un nouveau marché devenait positive
plus rapidement dans le cas d’une standardisation coopérative que dans le cas d’une
standardisation concurrentielle. En règle générale, on peut constater que le marché
se crée beaucoup plus rapidement lorsqu’une masse critique d’entreprises promeut,
ensemble et d’une même voix, une nouvelle technologie. Cette coopération a pour
effet principal de rassurer le consommateur potentiel quant à la pérennité des inves-
tissements qu’il effectuera sur la technologie développée en commun.
La multiplication des alliances technologiques n’exclut pas pour autant la compé-
tition. Elle ne fait que la repousser après l’établissement du standard du marché et
la maturité de la technologie. À titre d’exemple, on peut prendre le cas de l’industrie
de la pellicule photographique, ou les deux leaders du marché, Kodak et Fuji, ont
développé puis lancé ensemble un nouveau standard, celui de l’APS tout en restant
en concurrence, sur leurs différents produits, y compris ceux utilisant le nouveau
standard.
140
Croissance interne ■ Chapitre 8
Avec plus de 13 800 exemplaires en service, le CFM56 est le moteur de choix pour les
applications court et moyen courriers de Boeing et Airbus. Il est le seul moteur de sa
catégorie à équiper tous les avions des grandes familles mono-couloir des deux avion-
neurs. Le CFM56 propulse en exclusivité toute la famille Boeing 737. Chez Airbus, il
équipe non seulement la totalité de la famille A320, mais aussi le quadrimoteur long-
courrier A340 200/300.
La famille CFM56 offre la plus large gamme de moteurs de sa catégorie. Déclinée en six
modèles, elle couvre des puissances de 82 à 151 kN (18 500 à 34 000 lb) de poussée.
Le succès commercial du CFM56 repose sur plusieurs avantages compétitifs. Il s’agit
tout d’abord d’une réussite technologique. Les premiers moteurs de la famille ont été
créés dans les années soixante-dix à partir du prototype M56 de Snecma Moteurs et d’une
version CF (commercial fan) du corps haute pression militaire F101 de General Electric.
Le CFM56 fut le premier moteur double flux à fort taux de dilution destiné aux avions
mono-couloir. Livré à partir de 1982, il a permis de diminuer d’environ 20 % la quantité
de carburant consommée par les moteurs alors en service.
Quelques années plus tard, les deux partenaires ont mis au point un nouveau système de
combustion, le DAC (pour Double Annular Combustor) qui a permis de diminuer les
émissions d’oxyde d’azote de plus de 40 % et de satisfaire aux normes environnemen-
tales les plus exigeantes. La fiabilité du CFM56 constitue aussi un atout majeur. Sa durée
de vie sous l’aile est parmi les plus longues, avec une durée de vie moyenne sous l’aile
avant la première visite de seize mille heures, et avec de nombreux moteurs atteignant
trente mille heures sans visite.
Afin de préparer le futur du CFM56, Snecma Moteurs et General Electric ont lancé un
programme de recherche et de technologie baptisé TECH 56. L’objectif de ce pro-
gramme est d’anticiper et d’être prêt à répondre à une demande éventuelle des clients
en matière d’amélioration de performances, de coûts d’exploitation et de respect de
l’environnement.
D’après le site Snecma, www.snecma.fr.
141
Chapitre 8 ■ Croissance interne
5 Innovation et imitation
Avantagesdedel'innovateur
Avantages l'innovateur Avantagesdedel'imitateur
Avantages l'imitateur
ï • Image
Image et
et rÈputation
réputation
ï • Eviter
Éviter les
les produits
produits sans
sans potentiel
potentiel
ï • PossibilitÈ
Possibilité de
de choisir
choisir le
le meilleur
meilleur
positionnement
positionnement ï• RÈduction
Réduction des
des risques
risques financiers
financiers
ï • Leadership
Leadership technologique
technologique ï• RÈduction
Réduction des
des dÈpenses
dépenses de
de R&D
R&D
ï • PossibilitÈ
Possibilité d'imposer
d'imposer son
son standard
standard ï• RÈduction
Réduction du
du temps
temps de
de R&D
R&D
ï • Bon
Bon accËs
accès ‡àla
ladistribution
distribution ï• RÈduction
Réduction des
des co˚ts
coûtslies
liés‡à
l'éducation des consommateurs
l'Èducation des consommateurs
ï • Effets
Effets d'expÈrience
d'expérience
ï• "Saute
« Sautemouton"
mouton »technologique
technologique
ï • CrÈation
Création de
de barriËres
barrières ‡à l'entrÈe
l'entrée
ï• Imposition
Imposition d'un
d'un nouveau
nouveau standard
standard
–ñBrevets
Brevets
ï Synergies avec activitÈs existantes
–ñCanal
Canalde
dedistribution
distribution
Toutefois, l’avantage du premier entrant n’est pas systématique car les nouveaux
marchés sont caractérisés par des incertitudes tant technologiques qu’économiques.
L’une des conséquences majeures de ces incertitudes est que la validité des résultats
obtenus par les études marketing dans des environnements économiques émergents
est faible. L’avantage du premier entrant est donc loin d’être systématique car, faute
d’informations fiables sur les marchés et les attentes des consommateurs, l’entre-
prise pionnière risque de développer un produit qui ne correspond pas, ou qui ne
correspond que partiellement, aux besoins des consommateurs. Les imitateurs dis-
posent ainsi d’un avantage certain, ils n’imiteront qu’un produit qui connaît le suc-
cès et réduiront ainsi fortement les risques associés à une stratégie d’innovation.
En fait, les avantages liés à l’ordre d’entrée des concurrents existent bel et bien mais
il suppose que l’innovateur soit capable de maintenir sa prééminence technologique et
qu’il sache développer une masse critique de consommateurs autour de ses produits
rapidement. Tant que cette masse critique de clients n’existe pas, l’entreprise pionnière
ne bénéficie d’aucun des avantages décrits dans le tableau 8.2. Il existe donc, comme
142
Croissance interne ■ Chapitre 8
décrit dans la figure 8.2, une fenêtre d’opportunités pour les imitateurs, à l’issue de la
phase de latence et lorsque le marché entre en phase de croissance.
La figure 8.2 présente les phases successives caractéristiques d’un nouveau marché.
L’apparition du premier produit entraîne la création d’un marché, mais il n’y a que peu
de clients et cette phase de latence où le produit est à la disposition des consommateurs
potentiels mais sans réelle croissance des ventes peut s’avérer relativement longue.
À titre d’exemple, les premiers lecteurs de DVD sont apparus sur le marché français
en 1996 alors même que le marché n’a réellement commencé à croître qu’en 2000.
L’innovateur va donc devoir éduquer le marché et persuader les consommateurs poten-
tiels que le produit nouveau correspond bel et bien à des besoins et attentes que jusqu’à
présent, ils n’éprouvaient pas. Nombre de nouveaux marchés ne sont jamais sortis de
cette période de latence car les clients potentiels n’ont pas réagi aux efforts marketing
des innovateurs et n’ont pas acheté les produits nouvellement développés.
Phase de croissance
« Fenêtre d’opportunités »
• Début de la croissance
des ventes
• Les pionniers n’ont
pas pu créer une masse
critique suffisante pour
bénéficier des
avantages liés à l’ordre
d’entrée des
concurrents
143
Chapitre 8 ■ Croissance interne
Par la suite, si les innovateurs réussissent à créer une demande pour leurs offres nou-
velles, le marché va entrer en phase de croissance. Les entreprises présentes lors de cette
phase voient leurs ventes augmenter et, par la création de la masse critique qui en résulte,
elles bénéficient des avantages généralement attribués aux innovateurs. Une entreprise
qui chercherait à pénétrer le marché au cours de cette phase de croissance serait alors
contrainte à des investissements importants pour conquérir des parts de marché.
Il existe ainsi une « fenêtre d’opportunités » pour des imitateurs ou des entrants
tardifs à la jonction de ces phases de latence et de croissance. Le marché commence
à se créer et les entreprises peuvent déterminer avec un degré de fiabilité élevé tant
les caractéristiques futures du marché en termes de taille potentielle, de prix… que
les facteurs clés de succès et les besoins et attentes réels des clients. En revanche,
les ventes cumulées étant encore faibles, les innovateurs n’ont pas encore pu béné-
ficier des avantages liés à leur statut de premier entrant. Alors même qu’ils ont dû
consacrer des sommes importantes, au-delà des investissements en Recherche et
Développement, dans la création du marché et l’éducation des consommateurs. Les
imitateurs qui choisissent de bénéficier de cette « fenêtre d’opportunités » disposent
également d’informations marchés plus fiables que les innovateurs car les produits
de ces derniers sont disponibles et les consommateurs sont informés.
Le problème principal qui se pose pour les imitateurs est de réussir à pénétrer le
marché durant cette « fenêtre d’opportunités ». S’ils découvrent les produits des
innovateurs lors de leur lancement commercial, il est fort probable qu’ils n’arrivent
pas à développer leurs propres solutions durant la période de latence du marché et
qu’ils arrivent sur le marché trop tard. Ils pourront alors obtenir leur part de marché
naturelle mais au prix d’investissements bien supérieurs à ceux nécessaires dans le
cas d’une entrée en fin de période de latence.
L’analyse du tableau 8.3 permet d’apporter une solution. On peut constater à sa
lecture que les coûts de R & D d’une innovation radicale représentent environ 20 %
des coûts totaux de développement. Une fois, les activités de R & D terminées,
l’entreprise dispose alors d’un « prototype fonctionnel » qu’elle sait industrialiser et
lancer commercialement dans les trois à six mois. Les activités d’industrialisation et
de lancement commercial pouvant être menées en parallèle, alors que les activités
de recherche et de développement sont structurellement séquentielles.
Par analogie financière, l’entreprise dispose donc d’une option (d’un coût de
20 %) qui lui permet de pénétrer un marché donné en l’espace de trois à six mois.
Elle n’investira les 80 % restants que lorsqu’elle saura que le risque marché a dis-
paru à l’instant où les ventes commencent à croître. Une entreprise peut ainsi choisir
de retarder tant l’industrialisation que le lancement et attendre qu’un concurrent
prenne le risque de créer le marché. Elle étudiera alors avec attention les premiers
consommateurs, adaptera son propre prototype à leurs réactions puis pénétrera le
marché lors de la « fenêtre d’opportunités » décrite précédemment. Il ne s’agit pas,
dans cette logique, d’être le premier entrant, mais de laisser à d’autres le soin de
144
Croissance interne ■ Chapitre 8
prendre les risques marché pour n’investir l’essentiel des coûts de développement
que lorsque ces risques se réduisent, voire disparaissent.
Marketing
20-30 % 3-6 mois
Lancement commercial
La encore, nous trouvons une différence dans les approches possibles entre
grandes et petites entreprises. Une organisation importante va développer un porte-
feuille d’options de produits nouveaux et laissera le soin à des petites entreprises de
tester le marché. En fonction des réactions des consommateurs et des analyses réa-
lisées sur les produits présents sur le marché, elle choisit alors dans son portefeuille
l’option à adapter pour pénétrer le marché et elle ne lance commercialement et
industriellement son produit que lorsque les risques tant technologiques que marché
sont beaucoup plus limités. Dans cette approche, il est vital que l’entreprise établie
exerce des activités de veille technologique et concurrentielle permanente afin de ne
pas se laisser surprendre par des concurrents ou des offres totalement nouvelles pour
elle. De par ses activités de veille et ses propres programmes de développement,
l’entreprise établie aurait pu lancer le produit nouveau en même temps, ou avec un
léger décalage, que son concurrent, innovateur sur le marché. Elle choisit simple-
ment de décaler les investissements les plus lourds en sachant que si elle pénètre le
marché au cours de la fenêtre d’opportunités, elle bénéficiera des mêmes avantages
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
que les premiers entrants sans avoir connu le même niveau de risques.
Les stratégies d’innovation, bien que fortes d’un potentiel remarquable, sont diffi-
ciles à mettre en œuvre. Aussi bien sur le plan organisationnel que stratégique, des
précautions doivent être prises si la firme ne veut pas tomber sur les nombreux
écueils qui sèment sa route. Toutefois, des méthodes et des démarches existent ; elles
sont là pour aider les entreprises qui se sont engagées dans cette voie. Là, plus
encore que pour toute autre stratégie, le choix stratégique est lié à la mise en œuvre.
La récompense est forte mais les risques sont grands pour les entreprises qui
n’auraient pas su ou pu gérer efficacement leur stratégie d’innovation.
Les quatre options de croissance interne que nous venons de définir constituent le
mode de croissance que les entreprises devraient privilégier. Sur le long terme,
la croissance organique s’avère être plus rentable et globalement moins risquée que
la croissance externe à laquelle le chapitre 9 est en partie consacré.
145
Chapitre
9 Croissance externe
OBJECTIFS
Expliquer les mécanismes des fusions et acquisitions.
Montrer les avantages et les dangers des alliances et coopérations.
SOMMAIRE
Section 1 Les fusions et les acquisitions
Section 2 Les coopérations
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Section
1 LES FUSIONS ET LES AcquisitionS
Après la croissance sans précédent des années quatre-vingt-dix et une pause
depuis le milieu des années 2000, les acquisitions semblent être redevenues à l’ordre
du jour dans les stratégies de croissance externe des entreprises de par le monde. Le
montant cumulé des opérations d’acquisition en 2014 dépasse les 2 000 milliards
d’euros en augmentation de 60 % par rapport à l’année précédente. Elles couvrent,
bien entendu, l’achat par le Suisse Holcim de Lafarge pour une trentaine de milliards
et l’acquisition par l’Américain General Electric des actifs « énergie » d’Alstom
pour un petit 14 milliards d’euros mais aussi l’achat de DirectTV par AT & T pour
53 milliards d’euros. Les sommes en jeu sont énormes mais les motivations sont
différentes. Si lors du dernier boom d’acquisitions on acquérait fréquemment dans
le simple but d’acquérir, les acquisitions et les fusions sont devenues plus straté-
giques. Elles portent désormais sur des reconfigurations de portefeuilles, sur la
recherche de la taille critique, sur l’expansion dans de nouveaux marchés.
148
Croissance externe ■ Chapitre 9
de Mitsubishi Heavy Industries, fait une nouvelle offre aussitôt remise en question par
General Electric qui dorénavant propose davantage d’échanges d’actifs et de partenariats
industriels. Dès le 20 juin, Siemens-Mitsubishi font monter les enchères qui ne sont sui-
vies d’aucun effet. Le gouvernement français, ayant obtenu satisfaction quant à sa sou-
veraineté sur le nucléaire et aux contreparties sociales, vient enfin de donner son accord
au projet de General Electric.
Les acquisitions sont un jeu dangereux qu’il faut savoir parfaitement maîtriser si
l’entreprise ne veut pas détruire par ambition ou mauvaise gestion ce qu’elle a par-
fois mis des années à construire. La communauté économique est consciente de ce
fait. Il suffit pour s’en convaincre de lire la presse financière qui rapporte le senti-
ment mitigé des investisseurs lorsqu’une acquisition est annoncée. Iliad en a fait les
frais en juillet 2014, lorsqu’il s’est attaqué à l’Américain T-Mobile avec une capita-
lisation en baisse de 10 % lors de l’annonce de son projet.
Annonce Iliad
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
232
205
177
149
01/14 03/14 05/14 07/14 09/14 11/14
149
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Réaction T-Mobile
36,00
34,00
32,00
30,00
28,00
26,00
24,00
01/14 03/14 05/14 07/14 09/14 11/14
Figure 9.2 – Réaction de Wall Street : cours de l’action T-Mobile
150
Croissance externe ■ Chapitre 9
Globalisation facilitée par une plus grande mobilité des biens et des capitaux grâce
à la constitution de grands ensembles économiques régionaux tels que l’Union euro-
péenne, l’Asean en Asie, Mercosur en Amérique Latine et Nafta en Amérique du
Nord. Dans cette situation, faire face à la concurrence sur tous les fronts est un
impératif. Plutôt que de se développer par croissance interne ou de tisser des
alliances avec des partenaires étrangers, certaines entreprises, par choix ou par
nécessité, ont recours à des achats d’entreprises dans les pays où elles ne sont pas
implantées. De même, l’intensification de la concurrence, suite à cette globalisation,
nécessite parfois que les entreprises atteignent une taille critique leur permettant de
répartir des coûts croissants de R & D ou de dépenses publicitaires sur des volumes
de vente plus importants. De plus, dans certaines industries, le raccourcissement des
cycles de vie des produits, conséquence soit de l’accroissement de la concurrence,
soit du progrès technologique, entraîne des coûts de Recherche et Développement en
151
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Nombre d’acquisitions
par trimestre
au niveau mondial
5 000
4 500
4 000
3 500
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
500
0
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Années
Valeur cumulée
des transactions trimestrielles
au niveau mondial
(en milliards de dollars)
1 600
1 400
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1 000
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0
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Années
152
Croissance externe ■ Chapitre 9
constante augmentation qu’il est plus facile de supporter a plusieurs que seul. Dans
le même esprit, il est rare que l’entreprise, dans des secteurs de hautes technologies,
sache maîtriser toutes les techniques nécessaires au développement de nouveaux
produits. Elle doit donc s’appuyer sur des compétences externes qu’il est parfois
nécessaire d’entièrement contrôler pour des raisons d’indépendance stratégique.
Enfin, dans des industries en forte maturité certaines entreprises entrent dans de
nouveaux métiers. Ce fut le cas, par exemple, de Preussag, grand sidérurgiste alle-
mand, devenu premier voyagiste mondial en quelques années suite à une série
d’acquisitions dont le français Nouvelles Frontières.
3 Pourquoi acquérir ?
3.1 Raison 1 : réaliser des synergies opérationnelles et/ou financières
(recherche d’économies de champs)
C’est la raison la plus fréquemment avancée pour justifier une acquisition. Par
exemple, « l’acquisition de Sika est basée sur des synergies de développement et
de croissance », selon Laurent Guillot, directeur financier de Saint-Gobain, pour
expliquer l’achat du Suisse Sika par Saint-Gobain (L’Usine nouvelle, 10 décembre
2014).
La recherche de synergies opérationnelles, par complémentarités géographiques
ou par complémentarités produits, est présente dans les objectifs visés dans plus de
50 % des acquisitions. Des complémentarités entre l’acquéreur et la firme cible
peuvent exister. Leur mise en œuvre peut, ainsi, créer de la richesse. Par exemple,
informatique et télécommunication sont étroitement liées. Leur rapprochement per-
met à l’entreprise, qui en a la maîtrise, de fournir un service et un produit d’une
nature nouvelle à une clientèle qui, jusqu’alors, doit en faire sa propre intégration.
C’est cette logique qui avait poussé IBM à faire l’acquisition de ROLM spécialisé
dans les télécommunications. La nouvelle entité (IBM + ROLM) pouvait créer
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153
Chapitre 9 ■ Croissance externe
154
Croissance externe ■ Chapitre 9
155
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Toutefois, les économies d’échelle n’existent pas seulement dans le domaine tech-
nique, commercial et organisationnel. Elles peuvent également se trouver dans le
domaine financier. En effet, le lancement d’un emprunt important est moins onéreux
que deux emprunts dont la somme lui serait identique. Si la nouvelle entité compo-
sée de l’acquéreur et de sa cible profite de sa taille pour émettre des emprunts plus
importants pour répondre aux besoins des deux partis précédemment séparés, il y a
alors des économies qui peuvent être réalisées et, par là même, création de valeur.
156
Croissance externe ■ Chapitre 9
d’opération. L’autre option est d’investir ces liquidités dans des projets rentables.
Néanmoins, ces projets n’existent pas toujours et la meilleure option demeure
encore de racheter ses propres actions. Ce type d’opération est, dans certains pays
comme la France, assimilable à des versements de dividendes, ce qui, sur le plan
fiscal, n’est pas toujours la meilleure solution. Alors, la dernière option est d’acqué-
rir, en investissant dans les actions d’une société cible, dont la rentabilité espérée est
supérieure au coût du capital, le surplus de liquidité disponible.
3.7 Raison 7 : acheter des actifs sous-évalués pour les revendre
à bon prix
Il existe d’assez nombreux cas où l’entreprise cible possède des actifs de grande
valeur : équipements, marques, immeubles, qui ne sont pas, ou insuffisamment,
157
Chapitre 9 ■ Croissance externe
pris en compte par le marché pour la fixation du prix de l’action. C’est le cas, par
exemple, de certaines compagnies aériennes telles que TWA, dont la flotte avait
une valeur de revente supérieure à celle de ses actions ou encore de compagnies
pétrolières dont la valeur des réserves est supérieure à celle de leurs titres. Ces
sociétés, qui sont le type même de cibles convoitées par les « raiders », ont sou-
vent une plus grande valeur, si vendues en morceaux (par appartement ou à la
découpe) que celle révélée par le marché. Dans ce cas de figure, l’acquisition est
parfois moins recherchée pour les synergies qu’elle peut apporter que pour « faire
un coup » dans un but essentiellement spéculatif. Toutefois, celles des entreprises
qui, non seulement savent tirer parti de ce déséquilibre entre valeur de marché et
valeur « physique » pour acquérir la cible à bon compte, mais aussi qui savent
faire jouer les synergies, bénéficient ici d’un potentiel appréciable de création de
valeur.
158
Croissance externe ■ Chapitre 9
potentielle de richesse. Les acquisitions réalisées dans le passé par la BNP et Nestlé
furent probablement en partie motivées par la crainte de voir respectivement Paribas
et Buitoni tomber dans les mains de leurs concurrents Société Générale, pour le
premier et Danone pour le second. Il en est probablement de même pour Facebook
qui fait l’acquisition d’une société de 35 personnes, WhatsApp, pour l’équivalent
de 10 % de sa capitalisation boursière : 19 milliards de dollars soit l’équivalent de
543 millions par employé !
cation des utilisateurs que dans Facebook ». La seule solution était d’acquérir
WhatsAPP (voir l’entretien de Marc Zuckerberg dans la vidéo mise en ligne par
CNNMoney « Zuckerberg on WhatsApp acquisition » : https://www.youtube.com/
watch?v=vgoctV4AcNw).
159
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Coordination Fort
Rapidité Moyen
Au-delà des raisons qui viennent d’être évoquées, il est intéressant de se poser
la question de savoir si sur le plan économique stricto sensu, une stratégie
d’acquisition est justifiée. Les nombreux travaux qui ont porté sur ce problème
tendent à montrer que l’acquéreur, en général, retire peu, voire rien du tout, d’une
acquisition. En revanche, les actionnaires de la société cible semblent être les
grands gagnants avec des primes de 20 % à 50 % selon les modalités de paiement
utilisées (espèces ou échange d’actions). Ce phénomène peut avoir deux origines.
La première est l’existence d’une efficience suffisante du marché financier pour
fixer le prix de l’action à un niveau qui prenne en compte l’anticipation des
actionnaires. En effet, ces derniers, suite à l’annonce du projet d’acquisition,
peuvent intégrer la création de valeur qui va pouvoir être réalisée dans le futur et
la répercuter sur le prix qu’ils sont prêts à accepter. La deuxième explication est
la nature concurrentielle du marché pour le contrôle des entreprises. Dans ce cas,
il n’est pas étonnant que le prix d’acquisition soit au moins égal au prix fixé par
le marché. Compte tenu de ces dernières observations, il semble impératif de
160
Croissance externe ■ Chapitre 9
considérer l’acquisition comme un moyen et non comme une fin en soi. Elle doit
se faire dans le cadre d’une vision stratégique claire de l’entreprise. Dans cet
esprit, l’analyse stratégique qui s’appuie sur une évaluation des compétences de
l’entreprise et des défis auxquels elle est confrontée doit mettre en évidence les
options souhaitables, dont peut-être l’acquisition, lui permettant d’assurer son
développement. Par conséquent, l’opportunité du choix d’une acquisition doit
être appréciée au seul regard de la valeur qu’elle peut créer pour l’entreprise
initiatrice et du risque pris.
161
Chapitre 9 ■ Croissance externe
future entité. Une fois que les (ou la) cible(s) ont été identifiées, il faut, dans une
quatrième étape, en établir la valeur ainsi que le prix maximum à payer. La question
d’évaluation demande à être développée et nous y reviendrons plus tard. L’évalua-
tion financière étant réalisée, l’étape suivante (étape cinq) porte sur la négociation
des termes de l’acquisition. La réussite de cette phase dépend du travail préliminaire
qui a été réalisé.
Analyse de Analyse de
l’environnement l’entreprise
Options stratégiques
(dont l’acquisition)
Étape 1
Diagnostic de l’acquéreur
Étape 2
Critères d’acquisition
Étape 3
Analyse des cibles
Étape 4
Évaluation financière
Étape 5
Négociation
Étape 6
Intégration
162
Croissance externe ■ Chapitre 9
Cas d’entreprise
La Sanofi, une histoire d’acquisitions
1973, le premier choc pétrolier venait d’avoir lieu. Un grand nombre de sociétés
pétrolières sentant le déclin relatif d’une activité dévoreuse de capitaux, commençait
à s’engager dans la voie de la diversification. Au-delà de ce problème prévisible, la
SNPA (Société nationale des pétroles d’Aquitaine, ancêtre de la SNEA, Société natio-
nale Elf-Aquitaine) voulait compenser l’épuisement prévisible du gisement de Lacq
par le développement d’activités nouvelles dans une région dont elle se sentait socia-
lement responsable : l’Aquitaine. Il fallait faire vite. La voie de l’acquisition était
ouverte et la SANOFI (Omnium financier pour l’hygiène et la santé) devait en être son
vecteur essentiel. Pour ce faire, plusieurs secteurs d’activités porteurs furent identifiés.
Dans un premier temps, des secteurs tels que l’hôtellerie, les loisirs, les travaux
publics furent éliminés en raison de leur éloignement de la vocation de base de la
société. En revanche, d’autres secteurs plus proches du métier de l’entreprise tels que
la chimie de spécialité et la parachimie devaient retenir toute l’attention. C’est ainsi
que les produits chimiques destinés à l’alimentaire, la pharmacie, le papier, l’électro-
nique, l’habitat, la peinture, les revêtements, la parachimie, constituèrent un domaine
privilégié d’investigation. Ces secteurs, à forte valeur ajoutée et à faible intensité
capitalistique, devaient permettre le rééquilibrage des activités pétrolières et de
chimie lourde de l’entreprise. Ayant défini les secteurs industriels, la deuxième étape
visait à établir les critères de sélection des entreprises cibles.
Sept critères furent retenus, le premier était la taille. Disposant de peu de temps du fait
du déclin du gisement de Lacq, il était impératif d’acquérir dès l’origine une base impor-
tante autour de laquelle pourrait, par la suite, venir se fédérer un ensemble d’entreprises
moyennes. La taille devait être européenne afin de donner rapidement à l’activité un
poids suffisant pour être compétitive. Le deuxième critère était la croissance du secteur
industriel spécifique de l’entreprise retenue. Cette croissance devait être supérieure au
PIB afin de pouvoir créer des emplois dans la perspective du déclin du gisement de
Lacq après 1980 et minimiser les problèmes sociaux que cela entraînerait. Le troisième
critère était la rentabilité des entreprises cibles. Ne disposant ni des hommes, ni du
temps, ni des compétences nécessaires au redressement d’entreprises éloignées du
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163
Chapitre 9 ■ Croissance externe
164
Croissance externe ■ Chapitre 9
c Focus
Prise en compte des anticipations dans l’évaluation d’une cible
Supposons que le marché ait commencé l’entreprise cible), soit 40 %. Si le prix de
à anticiper l’acquisition il y a six mois de l’action de la cible était de 100 euros il y
cela. En six mois, l’indice de valeur du a 6 mois, ce dernier devrait être de
marché financier (CAC pour la Bourse de 140 euros aujourd’hui, toute chose étant
Paris, ou le Dow Jones pour la Bourse de égale par ailleurs. Ce prix de 140 euros
New York) a augmenté, disons, de 20 %. est celui qui doit être retenu pour calcu-
Par définition, il s’agit de l’accroissement ler le PER. Ce PER est celui qui sera uti-
de valeur d’un portefeuille diversifié, lisé comme référence pour estimer le prix
donc sans risque (facteur de risque β égal maximum d’achat de la cible après prise
à 1). En revanche, l’entreprise cible, objet en compte des gains supplémentaires
de l’acquisition est plus ou moins ris- durables que l’acquéreur projette de
quée. Considérons que son facteur de créer. Par exemple, supposons que le
risque β est égal à 2. Par conséquent, résultat par action soit de 10 euros. Le
l’accroissement du prix de l’action de PER dans le cas présent est de 14 (140/10).
l’entreprise cible devrait refléter ce fac- Si l’acquéreur pense qu’il est capable de
teur. Dans le cas présent, l’augmentation créer des gains supplémentaires, chez la
sera de 20 % (croissance de la valeur cible, de 5 euros par action, le prix maxi-
d’un portefeuille diversifié sans risque) mum à payer doit être de (10 + 5) × 14,
multiplié par 2 (facteur de risque de soit 210 euros pour une action.
165
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Où :
MBAt = marge brute d’autofinancement à l’année t.
Ra = taux de rentabilité requise pour un coefficient de risque systématique β.
t = année.
Vf = valeur actualisée finale de l’entreprise.
Dans l’application de cette méthode d’évaluation financière de la cible, plusieurs
difficultés sont présentes. La première concerne l’estimation des flux prévisionnels
de marge brute d’autofinancement compte tenu de l’impact des synergies et de
l’amélioration de productivité pouvant être réalisée. La deuxième porte sur le choix
de l’horizon à prendre en compte pour l’actualisation. Ce dernier est souvent choisi
de manière empirique en fonction de la nature de l’acquisition. En théorie, l’horizon
devrait être celui pour lequel la rentabilité marginale est égale au coût marginal
(c’est-à-dire, au coût du capital), Enfin, la dernière difficulté est relative au taux
d’actualisation, c’est-à-dire la rentabilité requise. En effet, la rentabilité requise
dépend, en partie, des actions que les gestionnaires pourraient mettre en œuvre pour
réduire le risque systématique en déconnectant l’activité de l’entreprise cible de
l’environnement économique dans son ensemble, par exemple en obtenant des
contrats de longue durée. Toutefois, au-delà de ses faiblesses, cette méthode
demeure néanmoins l’un des moyens les plus complets et rationnels pour évaluer la
valeur de l’entreprise convoitée.
c Focus
Cas de l’évaluation d’entreprises non cotées
Mis à part le cas de la méthode d’évalua- le MEDAF, il s’agit de prendre comme
tion des actifs, toutes les méthodes d’éva- taux d’actualisation la rentabilité requise
luation font l’hypothèse que l’entreprise calculée en prenant comme facteur de
cible est cotée. Ceci n’est pas toujours le risque le β moyen de l’industrie à laquelle
cas. Afin de pouvoir appliquer la méthode appartient la cible. Dans le cas d’une
du PER à une entreprise non cotée, il faut entreprise ayant des activités dans diffé-
prendre comme prix celui d’une entre- rentes industries, un β moyen pondéré en
prise cotée comparable, ajusté par le fait fonction de l’importance relative de cha-
que le titre de la cible n’est pas négo- cune des activités de l’entreprise est
ciable. Concernant la méthode fondée sur retenu.
166
Croissance externe ■ Chapitre 9
Section
2 Les coopérations
Ces vingt dernières années ont vu se développer un nombre considérable de
c oopérations entre firmes. L’évolution est exponentielle avec plus de 40 000 accords
formels sur les dix dernières années. Tous les secteurs industriels sont concernés et
167
Chapitre 9 ■ Croissance externe
en particulier ceux dont les facteurs clés de succès sont la diminution des coûts par
les volumes et la création de valeur par l’adjonction de ressources et compétences
complémentaires. Les accords de coopération peuvent être signés entre des organi-
sations concurrentes (alliances et coopétitions), entre des organisations non concur-
rentes mais appartenant à une même filière (partenariats verticaux et accords de
franchise) ou encore entre des organisations appartenant à des filières complémen-
taires (écosystèmes de complémenteurs).
c Focus
Les théories économiques explicatives des coopérations
La nature des coopérations et les motiva- Au-delà des coûts de transaction, Oliver
tions sous-jacentes à ces dernières sont très Williamson propose de prendre en compte
diverses. La théorie des coûts de transac- les caractéristiques de la transaction. Ces
tion développée par Ronald Coase et Oli- caractéristiques, ou attributs, sont de trois
ver Williamson, tous deux prix Nobel ordres : la fréquence avec laquelle la tran-
d’économie, offre un cadre pour com- saction se produit, son degré d’incertitude,
prendre les raisons du choix de l’entreprise sa spécificité. Par exemple, si la transaction
pour ce mode de développement. Partant est unique, certaine et si elle ne nécessite
du principe que l’activité économique pas de ressources particulières, alors l’en-
d’une entreprise peut être représentée par treprise n’a pas intérêt à intégrer cette
un réseau de transactions auxquelles sont dernière. Il est préférable de passer par
associés des coûts (coûts de coordination, l’extérieur, c’est-à-dire le marché, plutôt
de contrôle, de planification et de suivi, que de mettre en place une organisation
coûts de négociation et de rédaction des spécifique qui ne sera probablement plus
contrats, d’apprentissage des relations utile par la suite. En revanche, si la transac-
avec les fournisseurs ou sous-traitants, tion est fréquente, incertaine et spécifique,
etc.), le but recherché est leur minimisa- tel est le cas, par exemple de l’utilisation
tion. Ces coûts varient en fonction du répétée d’un même composant dont la
mode de fonctionnement choisi. Si l’entre- qualité est critique au bon fonctionnement
prise décide de tout faire elle-même (stra- d’un produit et qui est fabriqué par un seul
tégie d’intégration verticale – voir section 1 fournisseur, alors l’entreprise a tout intérêt
du chapitre 10), les coûts « externes » sont à produire elle-même ce composant. Elle
minimisés. En revanche, si elle décide de ne court pas, ainsi, le risque d’avoir un
passer systématiquement par le marché, produit dégradé, de se trouver dans une
les coûts « internes » sont réduits. Entre position de dépendance vis-à-vis d’un
l’intégration totale et le recours au marché tiers, de renégocier et de contrôler à
il existe toute une série d’options plus ou chaque fois le bon déroulement de son
moins coopératives. Afin de déterminer les contrat avec le fournisseur.
options les meilleures, une évaluation Deux facteurs supplémentaires viennent
comparative des coûts de transaction asso- influencer le type d’arrangements organi-
ciés à chaque mode de fonctionnement est sationnels et, par conséquent, le mode de
ainsi faite. coopération. Il s’agit, d’une part,
☞
168
Croissance externe ■ Chapitre 9
☞
de la limite cognitive des gestionnaires de minimiser l’impact négatif de la limite
dans la formulation et la résolution de cognitive des gestionnaires (par une
problèmes complexes et, d’autre part, de décomposition hiérarchique des tâches et
la nature opportuniste du comportement des responsabilités) ainsi que celui du
des acteurs. En effet, l’opportunisme fait comportement opportuniste des acteurs
peser un « hasard moral » sur les parte- (par un système d’incitation et de
naires d’une transaction (ou d’une coopé- contrôle).
ration) dans la mesure où des buts En fonction des différents facteurs que
personnels peuvent être poursuivis au nous venons de voir, le manager décide
détriment de l’intérêt collectif. Quant à la du mode de coopération le mieux adapté.
limite cognitive, cette dernière va nécessi- Comme on peut le deviner, plusieurs
ter la mise en place de systèmes organisa- modes existent. Ces derniers sont influen-
tionnels qui vont devoir simplifier la cés par l’intensité des attributs des tran-
nature des tâches à accomplir. sactions et par leur coût. Il est ainsi
En résumé, devant le choix d’un mode de possible de représenter les grands types
développement ou de fonctionnement de coopération observés dans la pratique,
donné, le manager doit procéder à une sur un continuum qui part d’un mode de
comparaison des coûts associés à chaque développement s’appuyant essentielle-
option. Il va ensuite chercher le mode de ment sur le marché (fréquence de transac-
fonctionnement le mieux adapté aux tion faible, certitude, faible spécificité) et
caractéristiques des transactions qui sont qui va jusqu’à l’intégration totale des
nécessaires. Enfin, il va mettre en place activités (fréquence de transaction élevée,
les mécanismes nécessaires dans le but incertitude, grande spécificité).
alliances les plus rigides sont structurées dans des sociétés communes (joint ventures)
capitalisées et bordées par des dispositifs contractuels étendus. Ce choix se justifie tout
particulièrement lorsque les échanges sont fréquents et spécifiques, qu’il n’existe pas de
contraintes fortes en matière d’indépendance ou de séparation des actifs ou tout simple-
ment lorsque les réglementations industrielles l’imposent. C’est le cas notamment pour
la plupart des alliances entre des entreprises occidentales et chinoises ou indiennes car
les autorités de ces pays obligent à la création de sociétés communes.
Définition
La coopétition : néologisme (« coopération » et « compétition ») caractérisant une rela-
tion collaborative entre des entreprises concurrentes. La coopétition permet de coopérer
sur des ressources complémentaires tout en gardant une stratégie compétitive sur les pro-
duits et les services vendus.
169
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Certaines entreprises sont culturellement plus ouvertes aux alliances que d’autres.
Dans l’automobile par exemple, le réseau d’alliance de Toyota sur les activités de R
& D, production, distribution et après-vente est trois fois plus étendu que celui de
PSA Peugeot Citroën. Par ailleurs, certaines industries sont plus ouvertes que
d’autres aux alliances. Il s’agit généralement des industries où les économies
d’échelle et les effets d’expérience sont importants, comme dans l’automobile, par
exemple. Il s’agit ensuite d’industries où les technologies évoluent très rapidement
et où les dépenses de R & D sont importantes alors même que les cycles de vie des
produits raccourcissent comme dans les télécommunications, la pharmacie ou l’in-
formatique. Le coût d’entrée sur de nouveaux marchés et les risques opérationnels
sont également à l’origine de coopérations comme dans l’électronique. Enfin, la
globalisation des marchés et de la concurrence nécessite une présence et des moyens
élargis comme dans la banque ou l’agroalimentaire.
On peut classer les alliances en deux grandes catégories : les alliances supplémen-
taires et les alliances complémentaires. Les alliances supplémentaires ont pour
objectif la mise en commun de ressources de même nature afin d’obtenir une taille
critique sur un marché, de réaliser des économies d’échelle ou de bénéficier de phé-
nomène d’expérience. Par exemple, de 1988 à 2012, Fiat a fabriqué conjointement
avec PSA Peugeot Citroën des utilitaires légers et des voitures monospace au sein
d’une filiale commune détenue à 50/50, la Sevelnord. Cette alliance permettait à
chacun des constructeurs d’atteindre leur point mort économique sur des volumes
deux fois moins importants que ceux habituellement requis.
170
Croissance externe ■ Chapitre 9
Les alliances complémentaires ont pour objectif de procurer des actifs complé-
mentaires et nécessaires. Chaque allié apporte dans la coopération des ressources et/
ou des compétences différentes. Par exemple, l’alliance de 40 ans entre la Snecma
et la General Electric dans les moteurs d’avions juxtapose des compétences techno-
logiques, commerciales et relationnelles auprès d’Airbus pour le premier et des
compétences en moteur ainsi qu’un réseau de vente et de services mondiaux, pour
le second.
171
Chapitre 9 ■ Croissance externe
172
Croissance externe ■ Chapitre 9
incitant chacun à un bon comportement peuvent être mis en place, mais ces derniers
ne remplacent jamais l’expérience du travail en commun. Ainsi, si les alliances, tant
à la mode de nos jours, demeurent une option stratégique fondamentale, cette der-
nière doit être bien pensée afin d’en tirer tous les bénéfices et d’en limiter coûts et
frustrations qui y sont parfois associés. C’est pourquoi de plus en plus d’entreprises
mettent en place des structures spécifiques pour gérer leur portefeuille d’alliances.
Samsung est un bon exemple de firme qui doit son avantage concurrentiel à sa capa-
cité à tirer le meilleur profit de son réseau d’alliances. Chacune des coopérations est
analysée de manière à pouvoir réutiliser les ressources et compétences acquises dans
d’autres projets collaboratifs.
Définition
Partenariat vertical : le partenariat vertical est une relation client-fournisseur entre des
entreprises fortement interdépendantes qui partagent un même « état d’esprit rendant pos-
sible la création de relations privilégiées, fondées sur la recherche en commun d’objectifs
à moyen ou long terme menée dans des conditions permettant d’assurer la réciprocité des
avantages » (in le Livre blanc du partenariat, 1980).
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Si le partenariat vertical est un « état d’esprit », c’est aussi une forme de coopéra-
tion qui suppose l’alignement des orientations stratégiques avec les structures orga-
nisationnelles et les systèmes de pilotage des ressources et des compétences. Un
partenariat ne se décrète pas, il se construit dans le temps et son développement peut
conduire à des modifications structurelles importantes dans les filières industrielles.
173
Chapitre 9 ■ Croissance externe
transaction (voir focus) sur les achats en réduisant le nombre de fournisseurs et en allon-
geant la durée des contrats. Deuxièmement, il s’agissait d’augmenter la valeur des pro-
duits par l’innovation et l’amélioration de la qualité. Dans ce cadre, Renault a modifié
l’organisation de sa Direction des achats qui a changé de nom pour devenir la Direction
des relations fournisseurs. Le constructeur a aussi mis en place des systèmes d’évaluation
spécifiques pour distinguer les potentiels partenaires des autres sous-traitants et presta-
taires de services. Ces démarches ont eu des répercussions sur toutes les entreprises de la
filière automobile qui s’est ensuite structurée selon un schéma pyramidal. Au sein de
cette pyramide, seuls les fournisseurs des premiers rangs pouvaient entrer en contact
direct avec les constructeurs et signer des partenariats verticaux.
Cas d’entreprise
Le partenariat vertical comme stratégie pour ARaymond
ARaymond est un groupe familial de 37 sociétés qui développe, fabrique et
commercialise des solutions de fixation et d’assemblage pour des clients indus-
triels sur 6 grands marchés et 4 continents. Mondialement reconnu dans l’indus-
trie automobile depuis 1865 pour son « bouton-pression » ARaymond doit son
succès à sa « stratégie d’innovation au moyen de la coopération » avec ses
clients : « Notre valeur ajoutée repose sur notre capacité à offrir à nos clients
un très haut niveau de technicité, mais aussi à aller bien au-delà, avec une offre
de services très complète, de bout en bout du projet. C’est ce qui fait toute la
différence de notre offre : apporter non seulement la solution technique, mais
faire en sorte que notre client puisse totalement se l’approprier et l’intégrer avec
un niveau de soutien élevé jusqu’au dernier jour de production ». L’approche
partenariale est donc au cœur de l’avantage concurrentiel de l’entreprise
ARaymond. Plus qu’une démarche exclusivement centrée sur le produit, elle se
déploie à tous les niveaux de l’entreprise : process de fabrication, service client,
méthodes de management. Pour cela, ARaymond a développé une structure
collaborative inter-fonctionnelle et souple, organisée en réseau et adaptable en
fonction des besoins, pour faciliter le partage de compétences, d’idées, d’exper-
tises. Par ailleurs, en encourageant l’initiative, ARaymond permet à chacun
d’avoir un rôle « d’entrepreneur collaboratif ».
174
Croissance externe ■ Chapitre 9
☞
En 2014 ARaymond décroche un important contrat de partenariat avec Renault
pour une innovation sur le collage de fixation. Parmi les défis technologiques et
économiques des constructeurs automobiles, la question du poids des véhicules
est stratégique car plus un véhicule est léger, moins il consomme, moins le
constructeur est assujetti à la taxe carbone, plus ses critères RSE sont remplis et
plus le client est satisfait. L’une des solutions imaginée pour réduire le poids d’une
voiture est de substituer des composants en acier par d’autres, plus légers, en
aluminium, en fibre de carbone ou en magnésium. Le problème qui se pose alors
est que les solutions existantes de fixation et d’assemblage ne sont plus compa-
tibles. Le constructeur doit alors trouver de nouvelles solutions qui menacent les
fournisseurs traditionnels sur leurs produits phares. En réaction, ARaymond a pris
en charge la totalité de la problématique du constructeur dans une approche
partenariale. Avec les équipes du Technocentre de Renault ARaymond a travaillé
sur une technologie innovante mais aussi sur la définition d’un cahier des charges
concernant les modalités de mise en œuvre industrielle et le suivi des futures
séries. Grâce au partenariat vertical le constructeur a profité d’une innovation
technologique majeure qui réduit le poids de ses véhicules et le fournisseur a reçu
la garantie d’un marché sur des volumes. « Nous sommes particulièrement fiers
d’avoir participé au développement d’EOLAB, qui constitue un très bel exemple
de ce que deux entreprises industrielles françaises peuvent réaliser en coopérant
de cette façon particulière ».
175
Chapitre 9 ■ Croissance externe
Définition
Écosystème d’affaires : un écosystème d’affaires est une méta-structure organisation-
nelle avec un « milieu » constitué des environnements institutionnels, géographiques,
culturels, sociaux, économiques (etc.) ; des « parties prenantes » qui sont les clients, les
fournisseurs, les producteurs, les complémenteurs, les concurrents ou les substituts, les
actionnaires et plus généralement l’ensemble des individus qui occupent le milieu ; des
« interrelations » entre les parties prenantes pour promouvoir, développer et échanger des
ressources et des compétences dans le cadre d’un projet et d’une vision partagés.
176
Croissance externe ■ Chapitre 9
Opérateurs
Gestionnaires de mobilité
de données
Industriels
du transport
Électroniciens
Services Energéticiens
complémentaires Stockeurs
d’énergie
Communautés
d’utilisateurs
Infrastructures de recharge
177
Chapitre
10 Faire ou acheter
OBJECTIFS
Aborder les problèmes liés au choix des frontières de l’entreprise.
Expliquer les mécanismes d’intégration et d’externalisation.
SOMMAIRE
Section 1 L’intégration verticale
Section 2 L’externalisation
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
Section
1 L’INTÉGRATION verticale
180
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
2 Pourquoi intégrer ?
Une stratégie d’intégration verticale ne vise pas seulement à récupérer les marges
des partenaires de la chaîne de valeur. Elle répond à des préoccupations écono-
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Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
182
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
Cas d’entreprise
Une intégration verticale amont et localisée,
le choix stratégique de Decathlon
Le premier magasin Decathlon est ouvert en 1976 dans la zone commerciale
d’Englos, près de Lille, par Michel Leclerq (membre de la famille Mulliez, à la tête
des marques Auchan, Boulanger Brice, Bricoman, Flunch, Gros Bill, Home Market,
Jules, Kiabi, Kiloutou, Leroy Merlin, Norauto, Phildar, Pimkie, Pizza Paï, Saint-
Maclou, Top Office…). Leader sur le marché français de la distribution de matériel
pour les sportifs, Decathlon est aussi en passe de le devenir sur le marché européen
et mondial avec un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards d’euros en 2014. Le
concept est d’offrir, sous un même toit et au meilleur prix, les équipements néces-
saires à tous les sportifs, du débutant au passionné. Après des débuts difficiles avec
des fournisseurs qui n’ouvraient pas facilement leur catalogue et bloquaient les
accès à leurs centrales d’achat, Decathlon est resté un simple distributeur jusqu’en
1986, date la création de la filiale (Decathlon Production) en charge de la concep-
tion et de la fabrication des produits « maison » de l’entreprise. L’histoire retient que
c’est parce que Peugeot refusa de vendre ses vélos à Michel Leclercq qu’il décida
de les concevoir et de les fabriquer dans le cadre d’une stratégie d’intégration ver-
ticale, localisée dans des zones géographiques de référence.
Depuis, la moitié des produits vendus en magasins sont des produits « maison »
100 % conçus par les ingénieurs de l’entreprise. Le principal centre de conception
est à Villeneuve d’Ascq mais l’entreprise a délocalisé la R & D de produits spéci-
fiques dans des centres régionaux pour être encore plus proche de ses marchés.
C’est ainsi que la conception des produits de montagne se fait dans la région du
Mont Blanc pour les marques Quechua, Simond et Wed’ze. De même, les produits
nautiques sont conçus à Hendaye « parce que ce site est situé au carrefour de lieux
de pratique faits pour les amoureux de l’océan : dans la baie de Txingudi, dans le
golfe de Gascogne, sur la côte espagnole, dans la baie d’Hendaye plage… ».
50 % des produits vendus sous les 7 « marques passion » du distributeur (Tribord Kipsta,
Quechua, Inesis, Geologic, Domyos, Decathlon Cycle) sont fabriqués en interne et la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
moitié le sont en France pour optimiser les opérations de logistique. Les autres usines
de production sont principalement dans des pays à bas coût de main-d’œuvre.
L’intégration verticale amont de Decathlon s’intègre dans un plan stratégique cohé-
rent et la clef de répartition entre les produits « maison » et les produits « achetés »
est savamment pensée. Elle permet de récupérer les marges des filières et réaliser
des économies. Elle réduit les niveaux d’information entre l’aval et l’amont, le client
final et les concepteurs. Elle augmente la taille du portefeuille de produits à distri-
buer. En proposant ainsi d’autres produits que ceux de ses marques internes,
Decathlon se donne les moyens d’un meilleur pouvoir de négociation vis-à-vis de
ses fournisseurs de marques incontournables (Adidas, Nike, Pumas etc.), d’une
différenciation vis-à-vis de ses concurrents (Go Sport, Intersport, Sport 2000, Foot
Locker, etc.) et d’une ouverture sur des marchés B2B jusqu’alors non exploités par
les distributeurs traditionnels.
183
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
3 Comment intégrer ?
Tableau 10.1 – Les analyses pour une réorientation de son intégration verticale
Analyse interne Analyse externe
Isoler chaque activité de la chaîne de valeur Identifier les facteurs clefs de succès de chaque
activité
Associer la structure de coûts et l’analyse de valeur Analyser les combinaisons possibles pour obtenir des
sur chaque activité synergies entre les activités
Calculer les potentialités d’économies et de création Analyser les conséquences de la décision sur la
de valeur structure de l’industrie
184
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
l’intégration verticale résulte d’une croissance externe par fusion et acquisition, les
problèmes de résistance de la cible, de restructuration des portefeuilles ou d’harmo-
nisation des ressources et compétences peuvent conduire à une baisse générale de la
rentabilité de l’entreprise intégrée dans son nouveau périmètre.
Si étendue soit-elle, une entreprise intégrée dispose toujours d’un accès limité aux
ressources. Et enfin il existe une limite institutionnelle à l’intégration totale. Long-
temps utilisées comme un tremplin vers le monopole, les stratégies d’intégration
verticale sont de plus en plus bloquées par les institutions régulatrices des marchés
qui s’efforcent de dissoudre les structures en position dominante.
185
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
Section
2 L’externalisation
186
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
Systèmes d’information / …
R& D
Achats
187
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
188
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
4 Pourquoi externaliser ?
Pourquoi les entreprises ont-elles recours à l’externalisation ? Quatre grandes
raisons peuvent motiver cette décision : les raisons financières, les raisons straté-
giques, les raisons organisationnelles et les raisons liées au mimétisme.
189
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
190
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
191
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
c Focus
Externaliser les activités dont on aura besoin demain
Au début des années quatre-vingts, IBM valeur ajoutée (comme la production de
lance le PC. Elle prend la décision composants) ?
d’externaliser les microprocesseurs à En externalisant le microprocesseur et le
Intel et le système d’exploitation à système d’exploitation des PC, IBM s’est
Microsoft. Avec le recul, cette décision focalisé sur les activités qui généraient le
s’est avérée désastreuse. À l’époque, le plus d’argent par le passé… et a confié à
fait de se focaliser sur le développement ses fournisseurs les activités qui génére-
et l’assemblage des PC avait pourtant ront le plus d’argent dans le futur. À ce
été salué comme une excellente déci- moment, les entreprises qui vendaient les
sion ! N’était-il pas logique d’internali- systèmes informatiques captaient 80 % de
ser les activités à forte valeur ajoutée la valeur de la filière. Quelques années
(comme l’architecture et l’assemblage) plus tard, leurs fournisseurs en accapa-
et d’externaliser les activités à faible raient la plus grande part.
192
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
projet. Ce type d’opposition ouverte n’est pas le seul à se manifester. L’opposition peut
également être larvée. Dans ce cas, les employés (aussi bien ceux qui ont été transférés
chez le prestataire que ceux qui ont conservé leur poste en interne) essaient de faire
échouer en diminuant leur productivité. Il ne faut pas oublier que l’externalisation est
souvent perçue comme une trahison par les employés de la fonction externalisée. C’est
pourquoi le succès d’une opération d’externalisation repose très largement sur la
bonne gestion de tous les aspects humains.
193
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
est clair. Il consiste à fournir une prestation aux autres services de l’entreprise, en
s’appuyant sur les ressources disponibles en interne. Avec l’externalisation, il serait
faux de conclure que le service interne disparaît complètement. Si l’on ne veut pas se
retrouver à la merci du prestataire, il est impératif de conserver des compétences en
interne :
• Le rôle de la direction d’activité reste assez proche de celui qu’elle assurait aupa-
ravant. Elle est chargée de l’orientation de l’activité. La seule différence réside
dans le fait que les moyens ne sont plus situés à l’intérieur mais à l’extérieur de
l’entreprise. Le contrôle direct (exercé par la possession des hommes et des équi-
pements) est remplacé par le contrôle indirect (exercé par l’intermédiaire du
contrat).
• Le suivi du prestataire au jour le jour doit être assuré par une cellule de super
vision. Concrètement, la mission de la cellule de supervision est de s’assurer que
le prestataire remplit bien les exigences du contrat. Cette tâche n’est pas toujours
aisée. Si certains critères sont faciles à mesurer (par exemple le nombre de
camions mis à disposition par le prestataire dans le cadre d’une opération d’exter-
nalisation de la logistique), les évaluations plus qualitatives (par exemple le main-
tien des équipements informatiques « au niveau de l’état de l’art ») nécessitent de
conserver une véritable expertise technique en interne.
194
Faire ou acheter ■ Chapitre 10
La valeur créée par une opération d’externalisation est toujours amputée par deux
types de coûts :
––les coûts qui interviennent lors de la genèse du contrat d’externalisation (coûts du
recueil de l’information nécessaire au choix du prestataire, coûts de rédaction du
contrat…). Ces dépenses sont nécessaires car le prestataire est souvent mieux
informé que l’entreprise externalisatrice sur sa structure de coûts et ses compé-
tences réelles. Il faut donc s’assurer qu’il ne fait pas miroiter des qualités qu’il ne
possède pas ;
––les coûts qui interviennent pendant la durée de vie du contrat (coûts de vérification
du respect du contrat par le prestataire, coûts de renégociation du contrat s’il n’a
pas su s’adapter efficacement aux variations de l’environnement…). Notons que
lorsqu’une entreprise externalise une activité, elle perd progressivement l ’ensemble
de son savoir-faire. Le suivi du prestataire devient alors de plus en plus difficile et
coûteux.
Ces coûts sont tout à fait naturels dans une opération d’externalisation. Le véri-
table risque réside dans l’existence de coûts anormaux, liés à l’impossibilité de
changer de prestataire ou de réintégrer une activité externalisée. Dans ce cas, le
prestataire peut utiliser sa position de force pour augmenter ses tarifs et/ou réduire
la qualité de ses prestations. Contrairement à ce que l’on peut croire, cette situation
est loin d’être exceptionnelle.
Dans une opération d’externalisation, le risque de destruction de valeur par
l ’externalisation provient de l’existence d’intérêts divergents entre les prestataires et
leurs clients. Pour les prestataires, les premiers mois de la relation sont source de
coûts importants (dépenses générées par l’obtention du contrat et la reprise des équi-
pements…). Ils comptent donc sur la suite de la relation pour rentrer dans leurs frais.
C’est généralement à ce moment que leurs clients leur demandent d’investir dans de
nouveaux équipements ou d’introduire de nouvelles technologies. La relation
« client-prestataire » reste avant tout une relation commerciale dans laquelle les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
deux parties cherchent à s’approprier la plus grande partie de la valeur créée par
l’externalisation. Pour éviter que le prestataire ne s’approprie une trop grande part
de cette valeur, des mécanismes contractuels soignés doivent être mis en place.
Plusieurs conseils peuvent donc permettre de rédiger de meilleurs contrats :
• Refuser le contrat standard du prestataire.
• Ne pas signer de contrats incomplets car le prestataire n’a aucune obligation légale
de modifier le contrat, même s’il a été signé sous la pression du temps.
• Mesurer toutes les activités durant une période de référence (« baseline period »)
afin de préciser la prestation qui sera délivrée.
• Développer des mesures de niveau de service.
• Mettre en place des rapports de niveau de service.
195
Chapitre 10 ■ Faire ou acheter
• Mettre en place des procédures d’escalade pour régler les conflits éventuels.
• Mettre en place un système de pénalités en cas de non-respect du contrat (c’est-à-
dire des pénalités croissantes en cas de défaillances répétées).
• Essayer de prendre en compte la baisse constante des coûts de la technologie.
• Intégrer dans le contrat les éventuelles fluctuations du volume d’activité.
• Sélectionner avec soin son interlocuteur chez le prestataire.
• Inclure une clause de sortie du contrat, imposant au prestataire son assistance pour
remettre en place un service interne.
• Se méfier des clauses indiquant que tout changement de fonctionnalités est facturé.
196
Chapitre
Stratégies
11 et nature
de l’industrie
OBJECTIFS
Identifier et caractériser les différents types d’industries : nouvelle et en crois-
sance, mûre ou en déclin, locale ou globale.
Déterminer les options stratégiques adaptées aux différents contextes industriels.
SOMMAIRE
Section 1 Stratégies dans les industries nouvelles et en croissance
Section 2 Stratégies dans les industries en maturité
Section 3 Stratégies dans les industries en mutation
Section 4 Stratégies dans les industries globales
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
Section
1 Stratégies dans les industries nouvelles
et en croissance
1 Un environnement incertain
Les industries nouvelles et en croissance sont caractérisées, tout d’abord, par une
incertitude technique sur le plan des produits et sur celui des procédés de fabrication.
S’agissant de nouvelles activités, pour lesquelles aucune solution technique n’a
vraiment fait ses preuves, chaque entreprise utilise son propre savoir-faire et a
recours à des conceptions originales. Toutefois, nul ne peut dire quelle est l’option
technologique qui deviendra le standard lorsque l’industrie entrera dans sa phase de
maturité. Par exemple, dans le cas de la voiture électrique, plusieurs options tech-
niques sont actuellement en présence sans que l’on puisse dire laquelle des techno-
logies concurrentes – piles à combustible (hydrogène ou méthanol) ou batteries
d’accumulateur classiques – l’emportera.
La deuxième caractéristique découle directement de cette incertitude technologique.
Il s’agit de l’incertitude stratégique. En effet, les règles du jeu concurrentiel n’étant pas
claires, une multiplicité d’options stratégiques et de business model sont en présence.
Tout est encore possible. Rien n’est encore décidé. Cette situation est d’autant plus
complexe que, d’une part, la croissance cache les erreurs stratégiques qui peuvent être
commises et que, d’autre part, l’analyse des comportements concurrentiels est rendue
difficile, voire impossible, en raison du peu d’information disponible sur le nouvel
environnement. De plus, il est fréquent que des phénomènes de mode se développent
et que la rationalité économique disparaisse au profit de croyances partagées, pour des
raisons diverses, par un grand nombre d’acteurs. À titre d’exemple, on peut considérer
le cas d’Internet à la fin des années quatre-vingt-dix où les « pure players » devaient
surpasser, quasi sans combat, les « Bricks and Mortars », où les règles de « l’ancienne
économie » ne s’appliquaient plus et où les modes de valorisation des entreprises ne
reposaient plus sur des données factuelles (actif, CA, bénéfices) mais sur des notions
aussi intangibles que le nombre de pages lues ou des valorisations des clients telles
qu’il aurait fallu plusieurs siècles pour atteindre un quelconque point mort !
La troisième caractéristique est le nombre important de petites entreprises qui
accompagnent un secteur en développement. En l’absence de règles bien définies et
de barrières à l’entrée, telles qu’une taille minimum critique ou un outil de produc-
tion performant et fiable, un grand nombre de petites firmes peuvent espérer prospé-
rer au sein d’un nouveau secteur. La micro-informatique a vu, à ses débuts, la
création de plusieurs dizaines de fabricants d’ordinateurs, aujourd’hui tous disparus
à l’exception de quelques filiales de grands groupes (HP, IBM Lenovo…) et de rares
succès (Apple, Dell…).
La quatrième caractéristique est la rapidité relative avec laquelle des gains de pro-
ductivité et des diminutions de coût peuvent être réalisés. En effet, selon le
198
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
199
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
forte possible dans le futur. Il y a également l’action que l’entreprise peut mettre en
œuvre afin d’organiser l’industrie dans le but de donner une image cohérente et aussi
rassurante que possible au marché, aux investisseurs potentiels, aux fournisseurs et
aux pouvoirs publics. Bien entendu, entre cette action générale, au niveau de l’in-
dustrie, et sa stratégie particulière, l’entreprise doit trouver un compromis. Par
exemple, entre la standardisation des produits, souhaitée par la clientèle, et la diffé-
renciation que la firme désire adopter, un équilibre doit être trouvé.
Au-delà des deux types d’actions qui viennent d’être suggérés, l’entreprise peut
aussi tirer parti d’une évolution favorable dans l’attitude des fournisseurs et des
distributeurs. En effet, au fur et à mesure de l’acceptation du secteur par l’ensemble
des parties prenantes, des possibilités nouvelles vont s’offrir. Les fournisseurs,
notamment, acceptent plus facilement d’accroître leur service en termes de délai, de
qualité, de paiement. L’entreprise qui sait anticiper ces évolutions possède un avan-
tage sur celles qui demeurent bloquées dans leurs habitudes anciennes. De même,
l’évolution des conditions concurrentielles au sein de l’industrie va donner un avan-
tage à celles des firmes qui ont su prédire ces changements. Par exemple, au démar-
rage de l’industrie, le caractère unique du produit est souvent l’atout essentiel.
Lorsque le secteur commence à mûrir, l’atout critique est, généralement, la faculté
de produire en masse et la compétence commerciale. Ainsi, l’entreprise qui sait
anticiper cette évolution et s’adapter à ces nouvelles contraintes possède un avantage
sur celles qui n’en ont pas saisi l’enjeu. Enfin, le dernier problème stratégique, qui
se pose dans des industries nouvelles, est de savoir quand entrer sur le marché.
Il est en général aisé à une entreprise de pénétrer tôt un marché. C’est la crois-
sance. Aucune entreprise ne domine réellement le secteur. Nulle marque n’est véri-
tablement identifiée par la clientèle. Toutefois, les risques techniques sont
habituellement importants. Il n’est pas rare que les premiers entrants paient les pots
cassés technologiques de l’industrie. Attendre que le marché se soit développé et que
les produits commencent à être acceptés présente l’avantage de limiter les risques.
En effet, au bout d’un certain temps, l’incertitude technologique tend à se réduire.
Une certaine standardisation apparaît. La clientèle est mieux informée. Néanmoins,
des qualités d’adaptation et des ressources importantes sont nécessaires, dans ce cas,
afin de rattraper le retard pris vis-à-vis des firmes plus anciennement installées.
Une entrée précoce sur le marché est souhaitable lorsque l’ancienneté, la réputation,
l’image sont des facteurs importants pour la clientèle. De même, elle est nécessaire
lorsque l’expérience technique et commerciale est cruciale pour la maîtrise d’un pro-
duit. Une entrée rapide est également indispensable quand des coûts faibles peuvent
seulement être réalisés par les premières firmes sur le marché. Ainsi, le contrôle d’un
réseau de distribution par une entreprise peut entraîner des coûts supplémentaires
substantiels chez la firme concurrente qui se voit dans l’obligation de créer un nouveau
réseau si elle s’implante ultérieurement dans le secteur. En revanche, une entrée pré-
coce est dangereuse quand les coûts de développement du marché sont trop grands et
200
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
que les risques techniques sont importants. Cette entrée doit aussi être repoussée
quand une concurrence potentielle puissante attend, pour pénétrer les marchés, que
l’industrie se stabilise. Enfin, lorsque les règles du jeu concurrentiel que l’on peut
anticiper pour l’avenir sont trop différentes de celles qui, dans le présent, nécessitent
des expertises spécifiques, l’entrée dans l’industrie doit être suspendue.
En résumé, une entreprise fait un bon choix en pénétrant une nouvelle industrie si
elle est capable de bâtir une stratégie à long terme qui lui permette de maintenir une
position concurrentielle forte et durable. Si tel n’est pas le cas, beaucoup d’efforts et
d’espoirs se solderont inévitablement par un échec.
En conséquence (voir tableau 11.1), quelle que soit sa stratégie d’ordre d’entrée,
une entreprise se doit de privilégier au maximum la flexibilité de sa stratégie dans
ce type d’environnement. Pour ce faire, l’entreprise doit éviter autant que possible
tout investissement dans des actifs spécialisés, avoir recours à la sous-traitance et
s’efforcer de construire une offre aussi large que possible afin de pouvoir répondre
à des opportunités mouvantes en termes de besoins et attentes des acheteurs. À cet
effet, l’entreprise construit des solutions modulaires de manière à pouvoir réagir
rapidement et sans investissements trop importants aux évolutions rapides des
besoins et attentes des acheteurs. Cette modularité permet également la construction
d’une gamme large, une amélioration rapide des performances et une vitesse de
réaction importante face à des opportunités présentes ou pressenties sur le marché.
Enfin, et afin de maîtriser l’incertitude, l’entreprise peut construire des réseaux avec
trois partenaires différents :
––les fournisseurs, afin de pouvoir bénéficier de leurs propres réflexions et de pou-
voir intégrer leurs produits dans l’offre modulaire construite par l’entreprise ;
––les concurrents, afin de créer ou de négocier ensemble un standard ;
–– les clients, car il est vital dans ce type d’environnement d’identifier au plus tôt les
leaders d’opinion puis de travailler avec eux sur la construction de l’offre future. Cette
collaboration avec des clients permet également de contourner l’absence de validité et
de précision des études de marché réalisées dans un environnement nouveau.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Section
2 Stratégies dans les industries en maturité
1 Un environnement prévisible
Les industries en maturité sont caractérisées par un certain nombre d’éléments. Le
premier est le ralentissement de la croissance du marché et, par conséquence, l’aug-
mentation de la concurrence entre les entreprises en présence. Du fait d’une crois-
sance lente du secteur, les firmes tendent à se tourner vers le marché de leurs
201
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
202
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
concurrentiel, est une décision critique. Sans une maîtrise des éléments de coûts, les
pressions exercées sur l’entreprise risquent d’entraîner des niveaux de prix fixés de
façon inadéquate pouvant se solder, en conséquence, par des résultats financiers peu
satisfaisants.
À la différence d’une industrie nouvelle qui demande une forte flexibilité straté-
gique, l’industrie en maturité permet à l’entreprise de s’engager stratégiquement
(voir tableau 11.1). Du fait de la prévisibilité de l’environnement, l’entreprise choi-
sit une stratégie et s’y tient. Dans cette perspective, l’entreprise va posséder son outil
de production et rechercher, du fait de la pression sur les prix exercés par les ache-
teurs, la production de produits standard à faible coût. Des coûts faibles peuvent
provenir d’économies d’échelle, d’un meilleur contrôle des différents processus
internes, d’un contrôle des canaux de distribution, d’une redéfinition des produits
afin de diminuer leurs coûts de production ou d’une adaptation des produits à des
innovations réalisées par les fournisseurs. Enfin, la sélection des acheteurs participe
également à la réduction des coûts. En période de maturité, il est difficile et coûteux
d’étendre son marché et de trouver de nouveaux acheteurs. Une clientèle infidèle,
faisant jouer les entreprises les unes contre les autres, doit être évitée. En revanche,
des clients sûrs, fidèles, solvables et coopératifs doivent être, dans la mesure du
possible, recherchés.
L’extension du marché au niveau international est une autre option stratégique
offerte aux firmes en maturité. Un marché peut, en effet, arriver en maturité sur un
secteur géographique donné alors qu’il existe des opportunités de croissance ail-
leurs. Par exemple, dans le cas des entreprises liées à la téléphonie mobile ou à
l’accès à Internet, par suite du ralentissement de la croissance dans les pays occiden-
taux à partir de 2000, un certain nombre d’entre elles se sont tournées vers les pays
en voie de développement. Orange illustre bien ce type de stratégie. Au départ
exclusivement européen, le groupe Orange SA a des participations dans vingt pays
en 2003 et compte être présent dans cinquante pays d’ici 2015.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Une certaine forme de différenciation est également nécessaire afin de tirer parti
le mieux possible de ses expertises propres. Telle entreprise est capable de fournir
un service rapide, de qualité, à moindre coût. Telle autre peut, en revanche, fabriquer
de grands volumes à un coût compétitif. Le risque à éviter est d’essayer d’imiter
l’autre à partir d’un savoir-faire différent.
Enfin, la mise en place d’un système de management, en accord avec la situation
de maturité, est cruciale. En effet, les contraintes nouvelles auxquelles l’entreprise
est soumise et les actions qu’il est souhaitable de mettre en œuvre rendent nécessaire
l’adoption de nouveaux comportements et styles de management. L’accent mis sur
les coûts, le service, le choix sélectif de la clientèle viennent remplacer la créativité
et flexibilité de la période antérieure. Plus de contrôle, une meilleure coordination,
une analyse précise des résultats deviennent nécessaires. Le passage de l’ancienne
organisation à la nouvelle n’est pas sans créer de difficultés. Pendant la phase de
203
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
204
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
Section
3 Stratégies dans les industries en mutation
Il est fréquent qu’une industrie en période de maturité depuis de nombreuses
années traverse une phase d’évolution dont l’origine est soit le marché, soit la tech-
nologie, voire les deux à la fois. Ces évolutions vont avoir un impact positif ou
négatif sur le volume (en augmentant ou en réduisant le nombre de clients) et la
valeur (en autorisant des fonctionnalités nouvelles ou en standardisant des fonction-
nalités anciennes) du secteur. Elles vont également contribuer à modifier les repères
classiques de l’entreprise en termes de modèles économiques, d’offres et de facteurs
clés de succès. Ces périodes d’évolutions ou de mutations sont également propices
à l’apparition de nouveaux concurrents, les barrières à l’entrée « traditionnelles » du
secteur perdant de leur force du fait des évolutions en cours.
À titre d’exemple, on peut prendre le cas de la téléphonie. L’apparition de la tech-
nologie cellulaire a accéléré la déréglementation du secteur, favorisé l’apparition de
nouveaux concurrents tels Vodaphone, Bouygues Télécom ou Free, permis une
croissance importante tant en volume qu’en valeur, modifié profondément les modes
de consommation et autorisé la création et/ou la généralisation de nouveaux ser-
vices. Certaines entreprises traditionnelles ont su s’adapter à cette nouvelle donne
alors que d’autres ont vu leur part de marché globale diminuer, parfois fortement.
205
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
206
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
nement. Puis elle va en identifier les conséquences tant sur la demande, en termes
de modifications possibles, que sur l’offre, en termes de réponses désormais appro-
priées ou rendues impossibles. Il va sans dire que si l’entreprise découvre cette
évolution alors même qu’elle est déjà largement engagée dans son environnement,
il ne lui sera pas possible de construire une réponse originale et qu’elle se verra, dans
le meilleur des cas, contrainte d’imiter les stratégies mises en œuvre par ses concur-
rents. Dans le pire des cas, l’entreprise peut même disparaître ou se retirer du secteur
industriel du fait de son incapacité à développer dans les temps une offre répondant
à ces nouvelles conditions environnementales. À cette phase d’évolution de son
environnement, l’entreprise doit répondre par la recherche puis la construction d’une
nouvelle gamme optimale de produits tant en termes de fonctionnalités que de mix-
marketing. Si l’entreprise ne réalise pas la « reconstruction » de son offre, elle ne
pourra ni bénéficier des opportunités ni répondre aux menaces créées par l’évolution
207
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
L’entreprise doit ainsi faire évoluer tant sa stratégie que son organisation afin de
profiter au mieux des mutations de son environnement. Si elle ne sait pas profiter de
cette période pour se remettre en question, elle ne bénéficiera pas des opportunités
offertes par l’évolution de son environnement et, dans le pire des cas, elle sera
condamnée à disparaître du fait de l’obsolescence rapide de ses produits.
Section
4 Stratégies dans les industries globales
Les trois types d’industries que nous venons de voir, correspondent aux phases de
ce que l’on peut appeler un cycle de vie industriel. Toutefois, un type particulier
d’industrie « transversale » mérite le détour. Il s’agit de l’industrie globale. Cette
dernière n’est pas récente, mais connaît depuis une trentaine d’années un dévelop-
pement conséquent. L’industrie globale peut être définie comme le lieu où des entre-
prises de même métier sont en concurrence pour la domination d’un marché mondial
approvisionné avec des produits similaires. L’industrie globale implique donc, d’une
part, une certaine forme de standardisation des produits, et d’autre part, une homo-
généisation des besoins des acheteurs. Enfin, certaines industries sont devenues
globales car le niveau d’investissement nécessaire pour développer un nouveau
modèle et pour disposer d’une offre intégrant les dernières évolutions technologiques
208
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
est tel qu’il ne peut être rentabilisé que par une approche globale des marchés et des
ventes. C’est, par exemple, le cas de l’aéronautique civile ou la plupart des concur-
rents locaux ont disparu, ont été rachetés ou ont fusionné dans des structures trans-
nationales. Au début du xxie siècle, il ne reste ainsi que deux concurrents globaux
(Airbus et Boeing) et une poignée d’acteurs, certes globaux, mais contraints à une
stratégie de niche (Embraer, Bombardier, Dassault…).
Le développement de ces champs concurrentiels globaux est facilité par les pro-
grès réalisés dans le domaine des transports, des communications et dans la diminu-
tion des taxes à l’importation. Ces progrès sont à l’origine de l’homogénéisation des
besoins. Le Perrier est devenu ainsi un produit mondial que l’on retrouve aussi bien
sur les courts de Rolland-Garros que sur les tables de la 5e avenue à New York.
L’Airbus est également un produit mondial acheté par des compagnies aériennes de
tous les pays.
1 Le dilemme standardisation-adaptation
Afin de tirer profit de la globalisation, une conception de produits standardisés, pou-
vant être vendus partout dans le monde, est rendue nécessaire. Cette standardisation
permet de réaliser des économies d’échelle en recherche, production et marketing
donnant à l’entreprise qui les maîtrise un avantage concurrentiel en termes de coût.
L’industrie globale s’oppose, en effet, à l’industrie « multinationale » (ou multi-
domestique) où l’avantage concurrentiel est indépendant d’un pays à un autre. Une
banque, par exemple, peut être très forte en France et faible à l’étranger sans que sa
position hors des frontières vienne porter préjudice à sa compétitivité sur le territoire
national. Dans ce type d’industrie, les réglementations en vigueur limitent le trans-
fert de compétences et de savoir-faire d’un pays à un autre. Ceci freine la standardi-
sation. L’entreprise doit s’adapter aux conditions concurrentielles du marché
géographique sur lequel elle évolue si elle veut réussir. Nous sommes ici dans le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
209
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
Ainsi, la stratégie dans les industries globales doit s’appuyer sur un équilibre déli-
cat entre « standardisation » pour profiter de la taille du marché mondial et « adapta-
tion » aux conditions spécifiques des marchés géographiques visés. Peugeot-Citröen,
Renault-Nissan, Volkswagen, ont toutes une stratégie globale s’appuyant sur des
produits standardisés. Il n’empêche qu’en Europe continentale, la direction d’une
voiture se trouve à gauche alors qu’en Grande-Bretagne elle est à droite, ce qui
nécessite une adaptation du produit.
Afin d’aider le dirigeant dans la recherche de l’équilibre entre standardisation et
adaptation, Porter1 a suggéré une utilisation originale de la chaîne de valeur. Partant
du principe selon lequel une entreprise est une collection d’activités participant à la
création de valeurs, la question à se poser, dans le cas d’une firme globale, est de
savoir comment les activités doivent être réparties au niveau mondial afin de béné-
ficier à la fois de la standardisation et de procéder, quand cela est nécessaire, à une
adaptation.
Une chaîne de valeur peut être décomposée, d’une part, en une série d’activités,
dites de soutien, (qui sont communes à l’ensemble des produits de l’entreprise) et,
d’autre part, en activités primaires (qui participent directement à la production et à
la vente de ces mêmes produits). Une autre distinction peut également être faite. Il
s’agit de celle entre activités primaires amont, qui sont plus directement liées à la
production, et activités primaires aval, qui sont directement associées à la vente et
donc à l’acheteur.
Les activités de soutien et primaires amont sont loin de l’acheteur et peuvent théo-
riquement être séparées du marché. En revanche, les activités primaires aval, qui
sont proches de l’acheteur, peuvent difficilement être éloignées de ce dernier. Le
choix d’une stratégie globale va donc dépendre de l’importance relative de ces deux
grands groupes d’activités (soutien/primaires amont, d’une part, et primaires aval,
d’autre part) dans le développement d’un avantage concurrentiel durable (voir
figure 11.1). Si les activités de soutien et primaires amont sont cruciales pour le
succès de l’entreprise, alors une stratégie globale doit être adoptée. Dans le cas où
les activités primaires aval déterminent le succès ou l’échec de l’entreprise, une
stratégie « domestique » est de rigueur dans la mesure où le succès dépend de la prise
en compte des conditions concurrentielles spécifiques des marchés sur lesquels
l’entreprise opère.
Dans le cadre d’une industrie globale et se fondant sur le concept de chaîne de
valeur, la question demeure de savoir quel degré de synergie et quelles économies
d’échelle doit-on rechercher entre les différentes activités de l’entreprise ? Ou, plus
simplement, quelle coordination entre tâches élémentaires va-t-on rechercher au
niveau mondial, et quelle localisation va-t-on adopter à l’échelle planétaire pour les
différentes activités ?
1. M.E. Porter, « Changing Patterns of International Competition », California Management Review, XXVIII, 2, 1986.
210
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
- Flexibilité stratégique
- Rareté des actifs - Engagement stratégique - Changement stratégique
spécialisés - Possession de l’actif - Partenariats et alliances
Stratégie - Recherche de réseaux de production - Re-ingénierie
générale - Coordination - Intégration hiérarchique des processus
par la modularité - Contrôle des processus - Recherche et création
- Réponses flexibles - Défense des positions d’un avantage compétitif
envers des opportunités concurrentielles durable
mouvantes
- « Timing » de l’introduction
- Vitesse - Augmentation des parts des innovations
- Amélioration rapide de marché - « Timing » de la transition
des performances - Bénéfice d’économies technologique
Stratégie - Réseau de distribution d’échelle - « Re-Design » des canaux
produit flexible - Contrôle des canaux de distribution
- Gamme large de distribution - Recherche d’un produit
- Forte rotation - Production de produits optimal (fonctionnalités,
des modèles standards à faible coût mix-marketing...)
211
Chapitre 11 ■ Stratégies et nature de l’industrie
212
Stratégies et nature de l’industrie ■ Chapitre 11
Une stratégie globale « standardisée » n’existe que dans certains types d’industries
telles que les motocycles ou les boissons. Toutefois, dans un grand nombre d’autres
secteurs, le besoin de différenciation des produits est tel qu’une standardisation n’est
pas possible. Par exemple, certains produits alimentaires doivent s’adapter au goût
du consommateur ; de même, les pratiques de distribution vont différer selon les
pays. Entre les deux se situent les options mixtes, qui sont les plus répandues, et qui,
selon l’industrie et le choix de l’entreprise s’appuient à la fois sur des éléments
standardisés (globaux) et différenciés (adaptés au marché). Par exemple, Ford a des
lignes de produits spécifiquement européennes pour répondre à une attente diffé-
rente de celle de l’acheteur américain. En revanche, ce constructeur automobile fait
bénéficier à l’ensemble de ses modèles des retombées des innovations réalisées au
niveau mondial.
La stratégie dans les industries globales, comme nous venons de le voir, n’est pas
spécifique à une phase de vie industrielle mais concerne l’ensemble des secteurs
nouveaux ou anciens. Toutefois, le montant des investissements considérables par-
fois nécessaires en matière de R & D rend impérative, dès l’introduction d’un pro-
duit, la vision mondiale du marché visé afin de répartir sur de larges volumes l’effort
de développement. Ainsi, les industries nouvelles ont tendance à être globales dès
leur origine. Tel est le cas, par exemple, de la micro-informatique, de la bio-
industrie, des disques compacts, etc. Les industries mûres, également, évoluent ou
ont déjà évolué vers la globalisation afin d’améliorer leur position concurrentielle,
tel est le cas, par exemple, de l’automobile ou du motocycle. Sans dire pour autant
qu’à terme, toutes les industries se globaliseront et que les segments géographiques
particuliers disparaîtront, il y a un mouvement vers la globalisation qui se renforce
et qui nécessite la mise en œuvre de stratégies prenant en compte la dimension et la
complexité nouvelle d’un marché mondial.
213
Chapitre
Positionnement
12 stratégique
OBJECTIFS
Définir ce qu’est un avantage concurrentiel.
Décrire les deux grands types d’avantages concurrentiels.
Présenter l’avantage de différenciation et ses sources.
Présenter l’avantage par les coûts et ses sources.
SOMMAIRE
Section 1 Prime de prix ou avantage de coût
Section 2 La différenciation
Section 3 L’avantage de coût
Section 4 Le positionnement mixte
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
L ’analyse externe a mis en évidence ce qu’il faut faire pour réussir au sein d’une
industrie afin de contrer non seulement la concurrence directe, mais aussi celle
potentielle de nouveaux entrants ou qui offre des substituts ; réussir aussi en satis-
faisant les clients et en gérant correctement la relation avec les fournisseurs. L’ana-
lyse interne, quant à elle, s’est penchée sur ce que l’entreprise peut ou pourrait faire
pour développer un avantage sur la concurrence, dont notamment gérer de manière
appropriée sa chaîne de valeur. Selon Michael Porter1, cet avantage doit se traduire
par un positionnement clair. Il propose que les entreprises adoptent l’une des deux
stratégies génériques : de coût ou de différenciation, stratégies génériques qui soit
s’adresseront à l’ensemble du marché, soit seront focalisées sur un segment précis.
Pour ce faire, l’offre de valeur aux clients sera soit moins coûteuse à mettre en
place qu’une autre comparable de la concurrence (l’entreprise alors jouira d’un
avantage de coût), soit, à coût équivalent, l’offre de valeur lui sera supérieure et
fera bénéficier l’entreprise d’une prime de prix. L’avantage concurrentiel dans ces
deux situations est respectivement celui d’une domination par les coûts et celui
d’une différenciation.
Un avantage concurrentiel s’exprime ainsi vis-à-vis des concurrents, mais aussi
par rapport aux besoins et attentes des clients. En d’autres termes, la supériorité
d’une entreprise sur une dimension stratégique donnée (produit, services, coût de
production…) ne devient un avantage concurrentiel que si cette supériorité est
valorisée (offre moins chère ou meilleure) par le client. Il ne sert à rien d’être
meilleur que ses concurrents sur une dimension non perçue ou non valorisée par
ce dernier.
Sur le long terme, une entreprise dépourvue d’un positionnement adéquat et
donc d’un avantage concurrentiel est condamnée sinon à disparaître, du moins à
n’obtenir que ce que les économistes qualifient de « profits normaux ». Le
tableau 12.1 montre ainsi qu’il existe une relation forte entre l’existence d’un
avantage concurrentiel et la rentabilité. Seules les entreprises capables de faire une
offre valorisée par les clients, qui s’appuie sur des compétences distinctives, arti-
culées de manière appropriée dans une chaîne de valeur complexe et qui traduit un
positionnement (coût ou différenciation, pour le marché dans son ensemble ou
seulement focalisée sur un segment) difficile à répliquer, connaîtront le succès.
Les autres seront « coincés au milieu » sans grand avantage, que ce soit celui de
coût ou de différenciation.
216
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Biens industriels
Biens d’équipement 8,1 19,7 28,5 35,2
Matières premières et biens semi-finis 2,9 28,8 15,1 34,9
Composants 10,5 22,8 29 38,8
Biens consommables 14,1 33,3 31 38,4
Services 10 22,8 26,8 31,5
Moyenne 9,5 26,2 22 34,7
D’après : G. Dess et A. Miller, Strategic management, Mac Graw Hill, 1993. Ces résultats proviennent
de l’analyse par les auteurs de la base de données PIMS présentée dans la section 1 du chapitre 13.
Section
1 PRIME DE PRIX OU AVANTAGE DE COûT
La recherche d’un avantage ne se fait pas qu’à partir des capacités stratégiques de
l’entreprise. Elle doit prendre en compte la nature de l’industrie. Il y a des industries plus
sensibles que d’autres au prix. D’autres où la recherche de faibles coûts est déterminante.
Enfin, certaines industries voient ces deux types de comportements se côtoyer. Le BCG
a formalisé et enrichi cette observation, complétant ce faisant sa fameuse matrice (voir
chapitre 13) fondée pour l’essentiel sur des notions de volume et d’expérience.
Selon le BCG, dans sa démarche fondée sur la nature de l’industrie, l’entreprise a
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
deux possibilités pour accroître ses profits. La première est de bénéficier d’une prime
de prix que le client est prêt à payer pour obtenir les produits recherchés. Cette prime
de prix va, bien entendu, varier en fonction de la valeur que le client pense retirer du
produit : service de premier ordre, qualité, unicité, style, etc. Autant de facteurs qui
vont différencier le produit ou le service de ceux de ses concurrents directs ou de ses
substituts. La seconde manière est de jouer sur les coûts. L’entreprise, ou l’activité,
peut jouir d’effets d’expérience ou tirer profit d’économies d’échelle. Elle peut égale-
ment bénéficier de ressources moins onéreuses que celles de ses concurrents. Tout ceci
va contribuer à lui donner un avantage en termes de coûts.
Si l’on croise les deux dimensions de prime de prix, fondée sur la différenciation, et
d’avantage de coût, fondé sur la recherche d’une domination par les coûts, nous pouvons
représenter les quatre environnements concurrentiels les plus fréquemment observés.
Sur la figure 12.1, la prime de prix (différenciation) se trouve en ordonnée, avec une
217
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
Coûts Coûts
Effort d’obtention Effort d’obtention
Ex.: industrie du luxe de l’avantage Ex.: automobile de l’avantage
NON OUI
Avantage de coût
218
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Section
2 La DIFFéreNCIATION
La différenciation consiste à associer aux produits ou services des caractéristiques
uniques. Le profit vient de la prime de prix que les clients sont prêts à payer pour
cette caractéristique. L’avantage concurrentiel trouve sa source dans l’augmentation
de la valeur perçue par le client vis-à-vis de l’offre des concurrents. L’entreprise va
ainsi s’efforcer de construire une offre de produits et de services qui crée une valeur
supplémentaire pour les clients sur une partie, voire la totalité de ses critères d’achat.
Disposant d’un avantage de différenciation, elle va faire payer plus cher, à des coûts
à peu près équivalents, son offre par rapport à la concurrence.
Sur la figure 12.2, la comparaison entre, d’une part, les besoins des clients expri-
més en termes d’attributs recherchés dans les produits et/ou services et d’autre part,
les attributs des produits/services que l’entreprise pourrait fournir permet de
construire une offre adéquate. La question demeure de savoir si les coûts addition-
nels pour faire une offre avec les attributs recherchés sont compensés par la valeur
que leur accordent les clients et par conséquent par le prix que ces derniers sont prêts
à payer.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
219
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
Une stratégie de différenciation peut reposer sur l’un des critères ou sur une combi-
naison des différents critères présentés ci-dessus. L’exemple qui suit montre comment
ABB a su utiliser le développement durable pour créer des avantages concurrentiels en
termes de fonctionnalité des produits, de services, d’image et de réputation de la firme.
220
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Ayant déterminé les caractéristiques de l’offre qui sera valorisée par le client, il
s’agit à présent d’en traduire les conséquences dans la chaîne de valeur de l’entre-
prise. Pour ce faire, la chaîne de valeur de l’entreprise et de son(ses) client(s) sera
construite. Puis, on déterminera dans la chaîne de l’entreprise les activités qui sont
les plus prometteuses pour mettre en œuvre une stratégie de différenciation. Enfin,
des liens entre les activités de la chaîne de l’entreprise et celles du client seront
établis afin d’évaluer en quoi la différenciation peut créer de la valeur pour le client.
L’exemple de Caterpillar ci-dessous illustre la démarche.
concurrentiel de différenciation
L’entreprise Caterpillar, leader mondial des engins de chantier, a des clients dans des
secteurs aussi divers que la construction, les industries extractives (minerai, pétrole, car-
riers), les exploitants forestiers ; clients qui sont répartis sur les cinq continents. Ces
clients attachent une importance capitale à la fiabilité de leur matériel et la qualité de
service, dont en particulier la rapidité des interventions en cas de panne d’un engin sur
un site d’opération. Fiabilité et rapidité sont les attributs des produits et services recher-
chés. Caterpillar et ses distributeurs s’engagent à « fournir le meilleur produit de qualité
du monde ». Caterpillar est conscient que ses « clients sont localisés partout dans le
monde et travaillent dans toutes sortes de conditions ». C’est donc « sa responsabilité de
s’assurer de leur succès en leur fournissant ce dont ils ont besoin afin qu’ils puissent faire
correctement leur travail ». L’entreprise veut « atteindre l’excellence et remplir ses enga-
gements en termes de service auprès de ses clients » grâce à « son système de distribution
[qui] est un avantage concurrentiel » et sa « chaîne d’offre qui est de classe mondiale ».
221
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
Caterpillar n’hésite pas à affirmer que ses « clients réussissent mieux avec [elle] qu’avec
ses concurrents ».1 Parmi toutes les actions entreprises, Caterpillar s’engage par exemple
à livrer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les composants nécessitant un remplacement.
Les deux chaînes de valeur, Caterpillar et ses clients, sont représentées ci-dessous. Ses deux
capacités stratégiques clés que sont la distribution et le service, combinées à une grande
qualité des produits fabriqués, vont contribuer à créer une valeur supérieure pour ses clients,
renforçant ce faisant le propre avantage concurrentiel de ces derniers, soit en termes de
coûts (pannes moins nombreuses et longues, donc une plus grande efficacité des opéra-
tions), soit en termes de différenciation vis-à-vis de leurs propres clients par exemple, dans
le respect des délais de fourniture de leurs produits et prestations.
Caterpillar
Fiabilité, efficacité
Client
222
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Section
3 L’AVANTAGE de coût
La création d’un avantage concurrentiel par les coûts suppose que l’entreprise soit
capable d’atteindre un niveau de coût globalement inférieur à celui de ses concur-
rents. On peut donc regrouper sous cette notion tout ce qui permet à une entreprise
d’obtenir des coûts de mise en œuvre de ses activités de la « chaîne de valeur »
inférieurs de ceux des concurrents ou tout ce qui permet d’obtenir une chaîne de
valeur optimisée par rapport à celles des concurrents sur le marché ou segment de
marché convoité. La stratégie adoptée s’exprime alors par des prix significativement
inférieurs de ceux pratiqués par la concurrence.
Pour ce faire, l’entreprise développe généralement un produit ou un service stan-
dardisé et s’adresse à des marchés ou des segments de marché suffisamment impor-
tants pour qu’une production de masse soit possible. Elle peut ainsi bénéficier à
plein des effets d’économies d’échelle et d’expérience. La construction d’un tel
avantage suppose généralement d’investir moins en recherche et développement
orienté produit et en marketing et communication que les concurrents qui mettent en
œuvre une politique de différenciation. En revanche, les investissements en
recherche et développement orientés processus et méthodes seront plus élevés afin
de réduire les coûts et le temps de fabrication. Il en est de même des investissements
dans l’outil de production, la construction d’un avantage par les coûts reposant fré-
quemment sur un outil de production très spécialisé.
Les deux sources principales de l’avantage coût résident dans les économies
d’échelle et dans les effets d’expérience. Les économies d’échelle sont l’une des
raisons avancées pour expliquer la faiblesse relative des coûts de production d’entre-
prises de taille importante. En effet, le coût d’un équipement industriel ne croît pas
de façon proportionnelle au volume de production qu’il permet d’atteindre. Ainsi, le
coût unitaire d’une unité de production supplémentaire tend à décroître avec la taille
de l’équipement. Par exemple, sur la figure 12. 4 sont présentés les coûts d’opération
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
de navires cargos en fonction de leur taille en TEU (twenty feet equivalent unit ou
EVP, « équivalent vingt pieds » en français) pour différentes voies maritimes :
Europe-Asie, Trans-Pacifique, Trans-Atlantique. Plus le navire est grand et moins le
coût unitaire de transport ramené à la taille est important. Si le coût unitaire décroît
avec la taille, il en est généralement de même avec le coût de fonctionnement. Il
n’est pas nécessaire, par exemple, de faire appel à deux fois plus de membres d’équi-
page pour piloter un navire deux fois plus gros. L’équipage de 25 personnes du plus
gros porte-container du monde, le Marco Polo (16 000 containers, 396 mètres de
long, soit environ 15 000 EVP), a une taille équivalente de celle de bateaux qui ne
transportent que 8 000 containers.
223
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
700
C
o 600
û
t 500
s
400
p
a
r 300
Série 1 : Europe-Far East
T 200
Série 2 : TransPacific
E
U 100 Série 3 : TransAtlantic
$
Capacité en TEU (milliers)
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9
TEU (EVP) est utilisé pour estimer la capacité de chargement d’un navire.
Source : Cullinane, K. and M. Khanna (2000) « Economies of Scale in Large Containerships »,
Journal of Transport Economics and Policy, vol. 33, pp. 185-208.
Figure 12.4 – Économie d’échelle dans le transport maritime
224
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Coût
unitaire
100
70
Courbe d’expérience à 70 %
49
225
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
2011
1.00
2012
0.10
1 10 100 1000 10000 100000 1000000
Cumulative production volume (MW)
226
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
227
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
nombreux exemples nous montrent que, malgré une position apparemment avan-
tageuse, en termes d’expérience et de coûts, une entreprise peut perdre sa position
et demeure, de ce fait, très vulnérable. Le progrès technologique, la mise en œuvre
de politiques de différenciation, l’évolution des goûts font qu’une stratégie fondée
sur l’expérience et sur des coûts compétitifs doit être contrôlée afin de permettre
à l’entreprise de réagir aux modifications de l’environnement qui viendraient
changer la donne concurrentielle.
Au-delà des économies d’échelle et de l’expérience, les entreprises qui recherchent
un avantage par les coûts ont recours à tout un ensemble d’actions qui commencent
bien entendu par une grande efficacité de leur outil de production, mais qui prennent
en compte toutes les dimensions de leur gestion. Elles seront particulièrement atten-
tives dans la maîtrise des coûts de leurs stocks et des approvisionnements et mettront
en œuvre une logistique performante. Elles auront recours, autant que faire se peut,
à une distribution à faible marge. Elles auront aussi tendance à ne retenir que des
clients importants et à éliminer une clientèle marginale. Enfin, elles auront un mix
limité de produits et recourront plus à l’imitation ; les efforts d’innovation étant
réservés à l’amélioration des processus.
Les entreprises qui souhaitent développer un avantage de coût peuvent s’appuyer
sur l’analyse de leur chaîne de valeur pour identifier les sources de leur avantage,
qu’il soit sous forme d’économie d’échelle ou découlant d’une forte expérience ou
bien encore grâce à une gestion optimisée de l’ensemble de leurs activités. Pour ce
faire, comme dans l’exemple ci-dessous, elles décomposeront leurs différentes
tâches en activités séparées dont elles établiront l’importance relative par rapport au
coût global. Elles feront de même, dans la mesure du possible, avec celles de la
concurrence. Elles rechercheront les potentiels de réduction de coûts par activité tout
en prenant en compte les liens pouvant exister avec les autres activités de la chaîne.
Enfin, elles examineront les réductions les plus prometteuses qui peuvent être réali-
sées et leur donner un avantage par rapport à la concurrence. L’exemple suivant
donne une illustration de la démarche.
228
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Potentiel
de diminution des coûts
Concurrents
Figure 12.7
Une analyse approfondie devait mettre en lumière que l’un des coûts du service était le
temps passé par les techniciens à réparer les machines en panne. Le temps consacré était
directement associé à la conception et au développement du matériel vendu. Ce dernier
en effet était compliqué à démonter pour changer une pièce dont le coût était parfois
dérisoire. À partir de cette observation, l’entreprise décida de concevoir et développer son
nouveau matériel en prenant en compte le temps des interventions de ses techniciens afin
que ces derniers puissent opérer de manière plus efficace. Le matériel fut dorénavant
conçu de telle manière qu’il soit composé non plus de centaines de parties indépendantes,
mais d’une dizaine de modules, facilement accessibles et rapidement changeables. Le
coût du service fut réduit de manière significative et permit à l’entreprise de bénéficier
d’un avantage de coût qui fut certes rattrapé après quelques années, mais qui l’aida à
s’affirmer sur le marché et à développer une base fidèle de clientèle.
L’obtention d’un avantage concurrentiel par les coûts permet aux entreprises de
dissuader leurs concurrents d’entrer dans une guerre des prix et les protège, en par-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
229
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
Section
4 Le positionnement mixte
Quel que soit le positionnement, différenciation ou coût, les entreprises essaient
néanmoins de prendre en compte la dimension qu’elles ne privilégient pas en prio-
rité. Mêmes les distributeurs à bas coûts tels que Costco, grand spécialiste américain
de la distribution en gros, prêtent attention à la qualité de leur produit et au service
offert. Les entreprises qui se différencient, de la même manière, sont soucieuses et
essaient de maîtriser leurs coûts. Par exemple, Daimler-Benz, dans le secteur auto-
mobile, tout en jouant la carte de la différenciation, optimise ses coûts grâce à ses
partenariats avec Renault dans la fourniture de moteurs et composants ainsi que dans
le développement et l’assemblage. Il n’y a là qu’un bon souci de gestion.
En revanche, des entreprises telles qu’Emirates dans les transports aériens et Ikea
dans la distribution de meubles jouent une carte plus fine de mélange de styles.
Emirates, par exemple, a adopté une stratégie de différenciation avec un positionne-
ment de qualité, de confort, de service, de performance. Cependant, tout en offrant
une valeur perçue supérieure à celle de la concurrence, Emirates pratique des tarifs
en moyenne significativement inférieurs. Ce positionnement qui peut paraître para-
doxal repose sur une gestion optimisée de sa chaîne de valeur qui tire partie d’une
flotte récente de grande performance, de son hub à Dubaï et d’une focalisation de
marché qui se limite pour l’essentiel à l’Asie-Pacifique.
Ikea, dans l’ameublement, est un autre exemple d’un positionnement mixte. À pre-
mière vue, l’avantage recherché est celui d’un avantage coût, ce qui permet à l’entre-
prise de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux de la concurrence. Toutefois, la valeur
perçue de l’expérience d’achat chez Ikea est souvent supérieure à celle de la concur-
rence. Ce positionnement qui peut sembler à nouveau paradoxal, à savoir une plus
grande valeur à un prix moindre, donne à l’entreprise un avantage concurrentiel
durable et difficilement imitable. Dans l’exemple qui suit, une analyse de la chaîne de
valeur de l’entreprise met en lumière les déterminants de ce double avantage.
230
Positionnement stratégique ■ Chapitre 12
Cas d’entreprise
Ikea : un avantage concurrentiel mixte
Tout le monde ou beaucoup d’entre nous a déjà eu une expérience avec Ikea.
Lorsqu’on entre dans l’un de ses immenses magasins ouverts 7 jours sur 7, après
s’être garé facilement dans l’un de ses parkings, la première chose que l’on voit est
une garderie avec des enfants qui jouent. Puis, après avoir pris son sac jaune mis à
disposition pour faire ses achats, la déambulation commence en suivant un chemin
tracé au sol qui vous fait passer dans les différents rayons où tous les produits en
vente, simples, peu chers mais de bon design, sont exposés et mis en scène dans la
reproduction de pièces de lieux d’habitation. Au bout d’un certain temps, un res-
taurant fait son apparition avec au menu des spécialités suédoises et le chemine-
ment continue vers d’autres rayons. Rayons où, pour l’un des plus importants, la
cuisine, des conseillers vous aident dans vos choix d’aménagement. De plus, tous
les produits pour la maison sont disponibles, y compris les fleurs et les bougies.
Enfin, après avoir pris ses meubles démontés et empaquetés dans des emballages
plats pour en faciliter le transport, on arrive aux caisses qui donnent sur une épice-
rie où on peut acheter certains des produits goûtés au restaurant. Si la voiture est
insuffisamment grande pour le transport de vos objets, un service de location de
camionnette est disponible. Sinon, un service de livraison est prévu à cet effet.
Ikea a su, grâce à une chaîne de valeur parfaitement optimisée pour réduire ses coûts,
développer un avantage concurrentiel de coût. Une fabrication de volume, des meubles
à monter soi-même, des emballages plats pour en faciliter le transport, des magasins
immenses ouverts tous les jours de l’année parfaitement rentabilisés, peu de vendeurs
mais une très bonne information client grâce à un étiquetage approprié sont les ingré-
dients d’une recherche des coûts les plus faibles possibles. Cet avantage de coût permet
à l’entreprise d’offrir des produits à des prix moins élevés ou à un prix équivalent à ceux
de la concurrence. Toutefois, cet avantage de coût s’accompagne d’une différenciation
dans l’accueil (garderie pour les familles, restaurant), les produits grâce à un design
recherché et le service offert (épicerie, camionnette de location, service de crédit,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
conseil pour des achats importants tels que le choix de meubles de cuisine). Cette dif-
férenciation fait qu’au-delà de son avantage de coût, Ikea offre un « plus » difficilement
imitable, sauf après de considérables efforts pour rattraper une expérience acquise
depuis 1946, date de sa création par Ingvar Kamprad, son fondateur.
Dans cet exemple sur Ikea, comme celui sur Emirates, le positionnement est
c omposé d’un thème majeur et d’un thème mineur, le thème mineur venant renforcer
le thème majeur. La recherche d’un avantage de coût chez Emirates vient appuyer son
positionnement de différenciation : faire mieux, mais moins cher. La recherche de la
différenciation chez Ikea épaule sa stratégie de coût : faire moins cher, mais mieux.
Ces deux positionnements, s’ils sont tenables dans la durée, assurent aux entreprises
qui les ont adoptés un avantage de grande force difficilement reproductible par la
231
Chapitre 12 ■ Positionnement stratégique
Avantage de coût
Avantage
de différenciation
concurrence. Toutefois, il s’agit là d’un exercice difficile à réaliser pour ne pas être,
comme on dit, « coincé au milieu », à savoir sans véritablement d’avantages, qu’ils
soient de coût ou de différenciation. Ce positionnement ne peut véritablement fonc-
tionner que si les actions entreprises respectivement pour la mise en œuvre des avan-
tages de coût et de différenciation ne viennent pas se cannibaliser mais au contraire se
renforcer. Les efforts de différenciation pour appuyer un positionnement de domina-
tion par les coûts ne doivent pas impacter significativement la recherche d’économies ;
il en est de même pour la recherche de moindres coûts pour la différenciation.
Quel que soit l’avantage concurrentiel recherché par l’entreprise, différenciation, avan-
tage de coût, mixte, il lui sera toujours nécessaire de connaître ses capacités stratégiques
en termes de ressources, de compétences, d’organisation et d’efficacité de sa chaîne de
valeur. Un avantage concurrentiel durable ne peut être construit que sur une ressource
rare, une compétence fondamentale et une organisation originale de la chaîne de valeur.
À défaut de respecter cette règle, l’avantage développé par l’entreprise peut être facile-
ment imité par ses concurrents. Connaître son portefeuille de ressources et de compé-
tences, ainsi que bien appréhender les possibilités que lui offre sa chaîne de valeur,
permet à l’entreprise d’identifier les avantages potentiels dont elle peut tirer parti, avan-
tages qu’elle peut ainsi comparer à ceux de ses concurrents. Il lui appartient alors de
choisir, en fonction de la connaissance de son environnement concurrentiel, l’avantage
qui lui est le mieux adapté.
232
Chapitre
Gestion et choix
13 du portefeuille
d’activités
OBJECTIFS
Présenter les méthodes classiques de gestion de portefeuille.
Aborder les méthodes dérivées de la théorie financière appliquée à la stratégie.
Mettre en évidence les fondements et limites des différentes méthodes.
SOMMAIRE
Section 1 Les méthodes d’analyse d’activités individuelles
Section 2 Méthodes classiques d’analyse de portefeuilles d’activités
Section 3 Les méthodes dérivées de la théorie financière
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
R ares sont les entreprises qui n’ont qu’une seule activité (ou centre d’activité
stratégique : CAS). Plus souvent, elles possèdent plusieurs CAS, c’est-à-dire
plusieurs couples homogènes de produits-marchés. Par exemple, un constructeur
automobile produira des berlines haut de gamme pour une clientèle fortunée, des
monospaces pour les familles, de petits modèles visant des clients plus jeunes et des
sportives pour ceux qui recherchent des sensations fortes. Ce constructeur aura ainsi
quatre « couples produits-marchés ». Ces produits-marchés ont différentes caracté-
ristiques. Certains sont nouveaux, risqués, avec un gros potentiel de croissance,
d’autres sont anciens et évoluent dans des contextes bien connus. À l’instar d’un
investisseur qui doit gérer son portefeuille de placements, l’entreprise essaiera
d’équilibrer son portefeuille avec, par exemple, des activités risquées mais tournées
vers l’avenir et des activités plus sûres mais ancrées dans le passé. La question est
de savoir comment gérer cet équilibre et ce au-delà du type d’équilibre recherché ?
Plusieurs méthodes sont utilisées par les entreprises pour gérer leur portefeuille
d’activités. Ces méthodes permettent d’évaluer la pertinence et la cohérence tant
immédiate que future de leur portefeuille. Toutefois, une utilisation de ces méthodes
faite sans discernement, c’est-à-dire sans la prise en compte des hypothèses sous-
jacentes à leur construction, mène à des conclusions parfois dénuées de sens. Un trop
grand automatisme dans l’interprétation et le suivi des analyses faites à partir des
méthodes de gestion de portefeuille est à éviter. Ces méthodes sont des guides. Elles
donnent une information utile complémentaire mais elles ne sont qu’un outil. Elles ne
peuvent en aucun cas se substituer à la réflexion stratégique et l’évaluation du porte-
feuille doit demeurer fondée sur un jugement global de la situation. Pour cette raison,
il est important de bien connaître, d’une part, les bases sur lesquelles elles reposent et,
d’autre part, dans quelles circonstances il est préférable d’y avoir recours. À cette fin,
après avoir présenté les méthodes qui peuvent aussi être appliquées à l’analyse d’acti-
vités individuelles – PIMS et cycle de vie –, les approches classiques de gestion de
portefeuille – BCG, Shell, McKinsey-General Electric – ainsi que les démarches déri-
vées de la théorie financière – méthode Fruhan-McKinsey, Marakon Associates, Stra-
tegic Planning Associates, Zakon-BCG – seront abordées.
itre 13
Section
1 LES MéTHODES D’ANALYSE D’ACTIVITéS
INDIVIDUELLES
Bien que les deux méthodes présentées dans cette section ne soient pas, à propre-
ment parler, des outils d’analyse et de choix de portefeuille, elles sont des complé-
ments utiles pour évaluer les activités individuelles qui composent ce dernier. Elles
donnent un éclairage supplémentaire à la gestion du portefeuille qui, comme il a été
234
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
dit, ne peut en aucun cas se faire de manière mécanique mais doit reposer sur des
perspectives multiples qui l’enrichissent. De plus, un portefeuille étant composé
d’activités individuelles, il est nécessaire de bien connaître ces activités ; ces activi-
tés étant ses éléments de base.
1 Le PIMS
PIMS (Profit Impact of Marketing Strategy) est le nom donné à un projet ambi-
tieux développé à l’initiative de la General Electric avec la collaboration de la Har-
vard Business School au début des années soixante-dix. Depuis lors, ce projet s’est
étendu à plusieurs centaines d’entreprises et couvre1, à l’heure actuelle, environ
quatre mille activités différentes, réparties dans différents types d’industries pré-
sentes sur des marchés régionaux, nationaux et globaux. Initialement, le projet avait
pour but d’identifier les causes de succès et d’échec de l’ensemble des SBUs (stra-
tegic business unit ou centre d’activités stratégiques, CAS) de la General Electric et
de déterminer quelles étaient les lois du marché dont la connaissance pourrait guider
les dirigeants dans leurs décisions concernant ces activités. Depuis lors, ces objectifs
ont été étendus à un panel élargi d’activités.
Pour atteindre ces objectifs, un modèle fut construit dont l’objet était d’identifier
les variables (37 variables) qui influent sur la rentabilité des activités stratégiques.
Ces variables se répartissent entre des variables de contexte telles que la concentra-
tion de l’industrie et des variables stratégiques actionnables telles que les investisse-
ments en R & D ou les dépenses en marketing. Afin d’étudier un CAS, après avoir
paramétré l’activité stratégique en fonction de ces variables, le modèle devait per-
mettre de répondre aux questions suivantes :
1. Quelles sont les variables qui sont à l’origine de différences de performance
(rentabilité ou marge brute d’autofinancement) ?
2. Quelles sont les performances (rentabilité ou marge brute d’autofinancement)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
jugées normales pour une activité donnée, pour des conditions spécifiques de
marché et pour une stratégie particulière ?
3. Comment les performances, pour une activité et pour des conditions de concur-
rence données, sont-elles affectées par une modification de la stratégie ?
4. Quels sont les changements de stratégies qui, pour une activité et pour des condi-
tions de marché données, permettent d’améliorer la performance en termes de
rentabilité ou de marge brute d’autofinancement ?
La stratégie doit être comprise ici comme la déclinaison sous forme opérationnelle
d’actions telles que des efforts de qualité, de publicité, de R & D etc. Actions qui
trouvent leur traduction dans les variables du modèle. Cette déclinaison interprète
1. Le PIMS est à l’heure actuelle géré par une association à but non lucratif, le SPI (Strategic Planning Institute).
Le site internet est : www.pimsonline.com.
235
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Tableau 13.1 – Exemple d’impact que chaque facteur peut avoir sur la rentabilité
des investissements : cas des facteurs de différenciation
Facteurs Impact du facteur sur la rentabilité en %
236
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
L’approche par le cycle de vie des activités est dérivée de celle éponyme du pro-
duit dans laquelle on remplace le produit par l’activité. Aussi ce sera cette dernière
qui sera étudiée ici. Le cycle de vie d’un produit est construit à partir de plusieurs
237
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Ventes
Maturité
Croissance Déclin
Introduction
Temps
Le cycle de vie d’un produit est généralement décomposé en phases (entre quatre
et six). Le modèle le plus classique comprend quatre phases : introduction, crois-
sance, maturité et déclin. Au début de la vie d’un produit, les ventes sont faibles car
les consommateurs ne connaissent pas ou peu son existence. Au fur et à mesure de
l’installation du produit sur le marché, la diffusion de l’information va s’accélérer
menant à la croissance des ventes. Puis, le marché atteint la saturation, les ventes
commencent à stagner. C’est la maturité. Enfin, le produit vieillit et se trouve
dépassé par de nouveaux substituts ; le consommateur va, peu à peu, se tourner vers
ces derniers. Ceci annonce la phase de déclin.
Afin d’utiliser le cycle de vie d’un produit comme outil d’analyse stratégique et de
gestion de portefeuille d’activités, une ambigüité doit être levée. Une activité straté-
gique peut recouvrir plusieurs produits et marchés. Certes, ces ensembles de produits-
marchés sont homogènes en termes de comportement concurrentiel, de marché et de
structure de coûts, aussi peut-on s’attendre à ce que leur comportement soit similaire
de celui de produits uniques. Toutefois, ce n’est que par extension que la théorie du
cycle de vie peut être appliquée à la gestion de portefeuille. Là encore aucun auto
matisme n’est autorisé. Au sein même d’une activité peuvent se retrouver des produits
qui suivent un rythme différencié. Une analyse fine est nécessaire pour les identifier et
donc tirer les conséquences qui s’imposent, à savoir les considérer comme des activi-
tés stratégiques différentes. Dans les lignes qui suivent, toutefois, une activité stra
tégique sera considérée comme étant homogène. Il s’agit bien entendu d’une
simplification que l’on pourra relaxer si nécessaire lors d’analyse de cas concrets.
238
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
car elle donne une vision globale des activités de l’entreprise et de leur répartition dans
le temps. Au-delà des actions à entreprendre en fonction de la phase de vie, une bonne
gestion du portefeuille consistera à trouver un équilibre dynamique satisfaisant entre
flux d’activités : flux d’activités nouvelles qui se substituent au cours du temps à un
flux déclinant d’activités anciennes. Elle permet ainsi de vérifier si la pérennité de
l’entreprise repose sur des bases solides. Par exemple, on vérifiera si des activités,
aujourd’hui en maturité et qui vont entrer à terme en phase de déclin, sont remplacées
par d’autres activités actuellement en phase d’introduction ou de croissance.
D’autres approches sont plus particulièrement adaptées aux entreprises diversi-
fiées qui possédant un portefeuille composé de plusieurs activités. Il s’agit de la
matrice du BCG « croissance-part de marché », du tableau « attrait du marché-
position concurrentielle » développé par General Electric et McKinsey qui vont
maintenant être présentées.
239
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Section
2 MéTHODES CLASSIQUES D’Analyse
de portefeuilles d’activités
240
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
Surplus de Besoin de
ressources ressources
« Étoile » « Dilemme »
Équilibre entre
ressources
Besoin de
(Maintien - Abandon)
Renforcement)
10 %
« Vache à lait » « Canard boiteux »
Équilibre entre
Surplus de
Surplus de
ressources
(Abandon - Maintien
(Maintien) sans effort -
Segmentation)
La ligne horizontale sépare les activités en forte croissance de celles qui le sont
moins. Généralement, la ligne de séparation est située aux alentours de 10 %. Ce
taux, qui peut varier d’une industrie à l’autre, est une simple indication du besoin de
ressources de l’activité. En effet, la croissance d’une activité nécessite le finance-
ment d’investissements et de fonds de roulement supplémentaires. Lorsque la crois-
sance du marché est faible, par exemple inférieure à 10 % dans le cas présent, les
fonds générés par l’activité sont plus que suffisants pour financer ses besoins. En
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
revanche, lorsque la croissance est forte, les fonds générés sont insuffisants pour
couvrir l’intégralité des besoins.
En conséquence, dès que les activités se rapprochent de la partie gauche du
tableau, elles ont tendance à générer davantage de ressources que leurs concurrents
respectifs. Toutefois, afin de pouvoir se trouver dans une position dominante et par
conséquent gagner en part de marché, l’entreprise devra fournir un effort substantiel
sur le plan commercial et sur celui des investissements. De même, la croissance du
marché va nécessiter des fonds supplémentaires. À part de marché constante, plus
importante sera la croissance, plus importants seront les fonds nécessaires à son
financement. A contrario, une diminution de parts de marché ou un ralentissement
de la croissance aura tendance à réduire le besoin de fonds supplémentaires.
La figure 13.2 résume l’ensemble de ces différentes remarques et montre com-
ment les caractéristiques des activités peuvent induire divers comportements
241
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
stratégiques. Quatre grands types d’activités sont représentés. Chacun est associé
à une stratégie donnée. Par exemple, les activités « étoiles », dominantes en part de
marché et bénéficiant d’une forte croissance, sont caractérisées par une position
forte. Généralement, ces activités équilibrent leur besoin en ressources, dû à leur
forte croissance, par un apport substantiel de fonds, grâce à leur position domi-
nante. Les activités « vaches à lait », toujours dominantes mais évoluant sur un
marché en faible croissance, sont représentatives de produits « murs » mais géné-
rant plus de ressources qu’ils n’en consomment. Les activités « dilemmes », carac-
térisées par une forte croissance mais ayant une faible part de marché, sont
considérées comme représentant le futur de l’entreprise. Toutefois, leur position
ne leur permet pas de générer suffisamment de fonds, et leur bilan, en termes de
ressources, est largement négatif. Enfin, les activités « canards boiteux », ne béné-
ficiant ni d’une bonne croissance, ni d’une forte position sur le marché et ce en
dépit d’un bilan de ressources équilibré, représentent généralement les activités
marginales que l’entreprise n’a jamais su ou pu pleinement développer. De plus,
leur maintien contribue à distraire l’attention des dirigeants au détriment d’autres
activités plus prometteuses.
À chaque catégorie d’activités correspondent diverses stratégies. Par exemple,
pour les activités « dilemmes », trois sortes de stratégies sont possibles. Il s’agit soit
du renforcement de la position, soit de l’abandon, soit du choix d’un sous-segment
de marché ; la solution intermédiaire de maintien en l’état n’étant pas viable. En
effet, lors du ralentissement de la croissance, seules les firmes les mieux armées
demeurent profitables et ont des chances de rester sur le marché. Ces stratégies de
maintien, de renforcement ou d’abandon de position doivent se compléter et s’équi-
librer afin de faire en sorte que les ressources générées par certaines activités
assurent la mise en œuvre d’actions permettant le développement d’autres. Par
exemple, des activités mûres servent de base au développement d’activités à fort
potentiel mais pas encore établies.
L’approche développée par le BCG présente plusieurs avantages. D’une part,
elle facilite l’analyse du portefeuille d’activités de l’entreprise dans son intégra-
lité ; elle permet de vérifier si le flux de fonds générés par certaines activités com-
pense les besoins ressentis ailleurs et de contrôler si des activités nouvelles vont
pouvoir remplacer à terme les produits en déclin. Elle permet également de mesu-
rer l’équilibre du portefeuille d’activités de l’entreprise. À titre d’exemple, une
entreprise dont le portefeuille est majoritairement composé d’activités vaches à
lait, avec une minorité d’activités dilemmes et étoiles, dispose d’un surplus de
ressources qu’elle n’utilise pas pour assurer sa pérennité. A contrario, un porte-
feuille équilibré est composé principalement d’activités vaches à lait et étoiles
accompagnées d’un faible nombre d’activités dilemmes. Les activités fortes
contributrices de ressources sont là pour épauler celles qui en ont besoin et
assurent le renouvellement et le futur de l’entreprise. D’autre part, cette approche
aide à une formulation d’objectifs en termes de portefeuilles et des stratégies qui
242
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
s’y rattachent. De fait, elle permet de déterminer les activités (étoiles voire
dilemmes) dans lesquelles l’entreprise peut investir et celles dont elle doit se reti-
rer (canard boiteux).
Toutefois, cette approche présente quelques faiblesses. La première est la difficulté
de classer les activités dans les quatre catégories qui ont été décrites et de déduire
de leur position respective les stratégies adéquates à mettre en œuvre. Par exemple,
lorsque l’effet d’expérience est faible, une position dominante en part de marché n’a
pas la même signification, ni les mêmes conséquences que lorsque l’expérience
exerce un effet significatif sur les coûts. Seules les entreprises bénéficiant d’avan-
tages d’échelle et/ou d’expérience savent ici tirer leur épingle du jeu. De même, les
conditions particulières en termes de coûts, dont jouit un concurrent, peuvent com-
penser favorablement sa faiblesse apparente sur le marché. Pour ces raisons, les
hypothèses sur lesquelles repose l’approche développée par le BCG doivent être
évaluées de façon précise et complétées par d’autres éléments, tels ceux évoqués lors
du diagnostic stratégique décrit dans les chapitres précédents. Quelles que soient les
variables supplémentaires à prendre en considération, variables qui permettent une
meilleure compréhension et évaluation de la situation, il est nécessaire, en tout état
de cause, d’éviter un automatisme qui, dans l’utilisation de cette approche, risque de
réduire à néant l’effort d’analyse et de réflexion.
ces dimensions sont mesurées à l’aide d’un index résultant de l’agrégation de plu-
sieurs variables.
La première dimension, horizontale, donne une indication sur la position
concurrentielle, ou force compétitive, de l’activité. La seconde dimension, verti-
cale, représente l’attrait du marché à moyen terme. Mesurée sur une échelle à trois
niveaux – élevé, modéré, faible – chacune des dimensions permet de positionner
l’ensemble des activités sur la matrice. La représentation globale du portefeuille
donne donc une indication sur la position de l’entreprise et sur ses possibilités de
développement.
Le problème d’évaluation de l’attrait d’un marché et de la force compétitive d’une
activité, toutefois, demeure Pour ce faire, chaque activité est mesurée à partir de
plusieurs variables. Les tableaux 13.3 et 13.4 donnent un exemple des différentes
variables qui peuvent être utilisées pour évaluer les deux dimensions. Dans ces
243
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
244
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
☞
Variables mesurant la force compétitive Poids Évaluation Note pondérée
Capacité de production – – –
Productivité 0,05 3 0, 15
Valeur ajoutée – – –
1 4
* Chaque variable est mesurée sur une échelle à 5 points : 1 représente une position faible ; 5 représente une position
forte. Il s’agit d’une mesure relative par rapport aux concurrents et non d’une mesure absolue.
Les
Fortes
Le
profitables
sg
ag
na
nt
s
Les
Forces Moyennes acceptables
compétitives
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Le
sp
er
dan
ts
Faibles Les dilemmes
Attrait du marché
245
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Vulnérabilité à l’inflation – – –
Caractère saisonnier – – –
Climat social – – –
1 3,60
* Chaque variable est mesurée sur une échelle à 5 points, 1 représente un attrait faible, 5 représente un attrait fort.
Il s’agit d’une mesure relative entre les différents environnements que l’entreprise peut connaître et non d’une
mesure absolue.
Cette méthode présente d’autres difficultés. En effet, comme dans celle du BCG
décrite précédemment, les recommandations « stratégiques » sont formulées en termes
très généraux renforcer et croître, pour les activités « gagnantes » ; maintenir et
attendre, pour les activités en position intermédiaire ; rentabiliser ou désinvestir, pour
les activités « perdantes ». Bien qu’utiles, pour donner une direction générale, ces
recommandations ne permettent pas d’identifier avec précision les actions appropriées
à mettre en œuvre dans chaque situation. Il s’agit là d’une simple indication. Un autre
problème, déjà évoqué, est le risque d’automatisme dans les décisions prises au regard
des caractéristiques de chaque activité. La difficulté d’évaluer avec précision chacune
des deux dimensions peut induire un certain nombre d’erreurs ; comme c’est, par
exemple, le cas d’erreurs issues de compensations entre variables composant une
dimension. Deux activités peuvent ainsi avoir le même attrait sans, pour autant, être
mesurées de façon similaire sur chacune des variables associées à la dimension.
D’autres approches similaires ont été développées, que nous ne reprendrons pas
dans le détail. Le groupe Shell, par exemple, a utilisé une « matrice » d’orientation
stratégique permettant de déterminer pour chaque activité de l’entreprise les actions
à entreprendre. Cette « matrice » comprend deux dimensions (voir figure 13.4).
246
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
• Domination
• Segmentation du marché
Fortes • Diversification du marché
• Innovation
• Imitation
Faibles • Retrait • Retrait • Rentabilisation
progressif
MARCHÉ POTENTIEL
Section
3 L es méthodes dérivées
de la théorie financière
Au-delà des méthodes présentées ci-dessus et qui sont, pour la plupart, de nature empi-
rique, des approches fondées sur des concepts de théorie financière ont été développées.
Ces approches introduisent une notion capitale : la valeur économique de l’entreprise.
1 Le modèle M/B
En théorie financière, la valeur de l’entreprise peut être définie comme la valeur
nette actualisée (VAN) des marges brutes d’autofinancement (MBA) futures. Il
s’agit, en fait, de la richesse économique que l’entreprise est potentiellement capable
247
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
de créer. Lorsque cette dernière est cotée sur un marché financier, le cours de
l’action représente sa valeur économique. En effet, si le marché est efficient1, le
cours de l’action est le reflet du consensus établi entre investisseurs quant à la
richesse future créée par l’entreprise. Cette richesse comprend non seulement les
MBA futures générées par les activités présentes, mais prend en compte les anti
cipations faites concernant les MBA dégagées par des investissements à venir.
Si le cours de l’action ou la valeur actualisée des MBA futures est une indication
de la richesse future, encore faut-il disposer d’une base de comparaison afin de pou-
voir dire s’il y a création ou pas de richesse. La base de comparaison, généralement
retenue, est l’actif net comptable2.
L’utilisation conjointe de ces deux éléments cours de l’action, d’une part, comme
indication de la valeur de l’entreprise fondée sur les développements futurs et,
d’autre part, actif net comptable, comme critère d’évaluation de la valeur présente
de la firme fondée sur ses stratégies passées, a mené au modèle M/B (M pour valeur
de marché et B pour valeur de bilan).
En résumé, le modèle M/B se présente de la manière suivante :
M = Valeur de marché (cours de l’action)
B Valeur de bilan (actif net comptable)
Soit Valeur de l’entreprise (fondée sur son potentiel présent et futur) / Évaluation
de l’entreprise (fondée sur les développements passés)
Quand M est égal à B, on estime qu’il n’y aura pas de création de richesse dans le
futur. L’entreprise va continuer à se maintenir telle qu’elle est. Quand M est supé-
rieur à B, les investisseurs anticipent que l’entreprise va être capable de générer une
rentabilité supérieure à celle qui lui est nécessaire pour demeurer à son niveau
actuel. Il y a ici création de valeur. Enfin, lorsque M est inférieur à B, il y a destruc-
tion de valeur. Les investisseurs estiment que l’entreprise ne sera pas capable, dans
le futur, de créer une richesse qui soit suffisante pour la maintenir à son niveau
présent (voir tableau 13.5).
1. On entend par marché efficient, un marché où toutes les informations sont disponibles, ou facilement acces-
sibles à un faible coût. De plus, on fait l’hypothèse que, dans un marché efficient, le cours de l’action intègre
l’ensemble de ces informations.
2. L’actif net comptable est ajusté afin d’avoir une estimation réaliste de la valeur comptable de l’entreprise. Pour
ce faire, les ajustements portent aussi bien sur les actifs incorporels que sur l’intégration dans les immobilisations
de certaines dépenses publicitaires et de recherche et développement.
248
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
M= ( Kr ––gg × B
c
c
(
Où :
M est la valeur de l’entreprise.
B est l’actif net comptable.
rc est la rentabilité des capitaux propres.
Kc est le coût du capital.
g est le taux de croissance de l’entreprise.
1. Un certain nombre d’hypothèses simplificatrices sont faites afin d’arriver à cette relation. Toutefois, une
démonstration de la relation est donnée ci-après. La valeur de la firme peut être estimée par la part de MBA dont
bénéficient les actionnaires sous forme de dividendes. De manière simplifiée, cette dernière peut se définir comme
étant égale à (1 – p) × rc × B, avec 1) p = taux de rétention des profits et 1 – p = taux de profits distribués sous forme
de dividendes ; 2) rc = rentabilité du capital ; 3) B = actif net comptable ; et 4) rc × B = profits totaux générés par
l’entreprise (sachant que la valeur de l’actif net comptable est égale à la valeur comptable des capitaux propres de
la firme). De plus, si nous acceptons que le taux de croissance de l’entreprise g est égal à la croissance des profits
réutilisés à des fins d’investissements nouveaux, (soit p × rc), les dividendes deviennent : (1 – p) × rc × B = rc × B
– p × rc × B ou rc × B – g × B = (rc – g) × B.
Sachant que l’actif net B croît à un taux g par an et que le taux d’actualisation retenue est le coût du capital Kc, la
( rc - g) ( 1+ g) t ( rc - g)
valeur présente de (rc – g) × B actualisée à perpétuité est Σ t = 1 B soit B
∞
( 1+ Kc ) t ( Kc - g) qui est égal à M.
249
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Au-delà d’un placement sans risque, l’investisseur peut en effet investir ses fonds
dans un portefeuille diversifié de valeurs, représentant l’ensemble des actifs financiers
disponibles sur le marché, et espérer en obtenir une rentabilité rm. Ainsi, le taux de
rentabilité est égal à rs (rentabilité sans risque) plus « rm – rs » (rentabilité excédentaire
ou prix du risque, obtenue grâce à un portefeuille diversifié). Toutefois, l’actif finan-
cier représenté par les fonds propres de l’entreprise peut être plus ou moins risqué1. Ce
risque est exprimé par un coefficient β. Ce coefficient vient pondérer le prix du risque
que l’investisseur est prêt à payer pour l’actif financier que représentent les actions de
l’entreprise. Pour résumer, le coût du capital Kc est donné par la relation :
ra = rs + β(rm – rs) = Kc
ra = Rentabilité attendue.
rs = Rentabilité sans risque.
β = Coefficient de risque.
(rm – rs) = Prix du risque.
Revenons au modèle M/B, qui est à la base de la plupart des méthodes de diagnostic
et d’évaluation des stratégies s’appuyant sur la notion de valeur. Nous avons vu que :
Avec : M
B
Kc (coût du capital) = ra (rentabilité attendue).
À partir de cette relation, plusieurs représentations ont été faites. La première,
développée par le Strategic Planning Associates va lier M/B au ratio rc/ra, également
appelé « levier de valeur » (voir figure 13.5).
Les activités dans la partie droite (E2) de la « droite de valeur » sont évaluées par
le marché comme devant avoir, dans le futur, une performance plus faible que celle
du passé. En revanche, celles dans la partie gauche (E1) sont perçues comme devant
améliorer leur performance dans l’avenir. Celles situées sur la droite de valeur
devraient maintenir, dans l’avenir, leur valeur.
1. Par risque, il faut entendre ici le coefficient de volatilité de la rentabilité de l’actif concerné. Ce coefficient est
égal à la covariance entre la rentabilité espérée de l’actif ra et celle du marché rm divisée par la variance de la ren-
tabilité du marché rm.
250
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
ss =
pa ure
ée
ce ut
an f
m ce
E1 E2
or an
rf m
Pe for
r
Pe
1
M/B < r c /ra
Performance future < Performance passée
1
r c /ra r c /ra
(Taux de rentabilité Indicateur de performance
= Coût du capital) des stratégies passées
(levier de valeur)
251
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
M/B
Indicateur de performance des stratégies futures
E4 1,8 E1 Création
de valeur
1,6
La revitalisation L’excellence
1,4
1,2
rc - ra
Écart de profitabilité
-4 -3 -2 -1 1 2 3 4 (performance passée)
0,8
0,6
E3 E2
0,4 Destruction
de valeur
L’ornière 0,2 Le déclin
E1 E2
nt n
ai Co
M
Détérioration
M/B < R/B
(Destruction de valeur)
R/B
Indicateurs de performance
des stratégies passées
252
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
Enfin, une troisième méthode fondée sur les travaux de Fruhan et formalisée par
le cabinet McKinsey s’appuie, d’une part, sur le ratio M/B comme indicateur de
performances futures et, d’autre part, sur le ratio R/B où R représente la valeur
future de l’activité estimée à partir de données historiques (voir figure 13.7).
L’activité E1 voit sa situation s’améliorer alors que celle de E2 est perçue comme
devant se détériorer. Seule E3 va conserver sa position dans le futur. Elle ne créera
ni ne détruira de valeur.
Nous en avons terminé avec les modèles fondés sur la notion de valeur et nous
allons nous tourner, à présent, vers les méthodes prenant en compte la croissance.
croissance.
g < rc, l’activité dégage plus de ressources qu’il lui en faut pour assurer sa croissance.
Enfin, une dernière variable doit être prise en compte. Il s’agit du coût du capital ra.
Nous avons vu précédemment qu’il était nécessaire que la rentabilité des capitaux inves-
tis soit supérieure à leur coût pour qu’il y ait création de valeur. C’est-à-dire rc > ra.
Lorsque rc = ra, l’activité maintient sa valeur. Quand rc < ra, il y a perte de valeur.
La figure 13.8 reprend et résume ce qui vient d’être dit. Sur cette figure, la diago-
nale sépare les activités génératrices de ressources (à gauche) de celles qui en uti-
lisent (à droite). La barre horizontale met une frontière entre activités créatrices de
richesse (en haut) et celles qui détruisent de la valeur (en bas). Enfin, la droite
253
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
verticale permet de faire la distinction entre activités qui gagnent de la part de mar-
ché (à droite) et celles qui en perdent (à gauche).
rc
Rentabilité Création de
du capital ressources
(r c > g)
Création
de valeur Utilisation
(rc > R a ) de ressources
(rc < g)
Ra
Coût du
capital
Destruction
de valeur
(rc< R a)
G g
Croissance (Croissance)
du marché
A3 A4
G g G g G g
254
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
La croissance G devient1 :
px∏ P
G= = × (r × (D + K) – i × D)
K K
D
= p × (r – i)
K
1. Dans la formule donnée ci-dessus, les hypothèses d’un ratio d’endettement D/K constant, d’une rentabilité de
l’actif r constante, d’un taux de rétention des profits p constant, d’intérêt i constants, sont faites. Certaines d’entre
elles pourraient être relaxées. Toutefois, le taux maximum de croissance supportable G ainsi obtenu est une indica-
tion satisfaisante pour une première approximation.
255
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Il s’agit de la croissance maximum que l’entreprise peut avoir avec les moyens
présents dont elle dispose.
Taux maximum de
gm croissance supportable
Croissance
du marché
Cas 5
Cas 3
Perte de part
de marché
Cas 1 • C Cas 2
ar la
m de
é
ch
de en
rt ti
pa ain
M
Cas 4
Gain de part de
marché
G g
Croissance de
l’activité
Figure 13.10 – « Matrice » d’évolution des parts de marché
et croissance maximum supportable
Sur la figure 13.10, le graphe d’évolution des parts de marché proposé par le BCG
donne le positionnement des activités d’une entreprise. En ordonnée, nous retrouvons
la croissance du marché, et en abscisse la croissance de l’activité. Ainsi, les activités
sur la diagonale ne gagnent ni ne perdent de la part de marché. En revanche, celles à
gauche de la diagonale croissent moins vite que le marché sur lequel elles se trouvent
et perdent, en conséquence, du terrain par rapport aux concurrents. À droite de la dia-
gonale, nous nous trouvons dans la situation inverse avec des activités qui se déve-
loppent plus vite que le marché. La droite verticale est la limite à ne pas dépasser.
Cette dernière représente le taux maximum de croissance supportable. Lorsqu’il s’agit
d’une entreprise mono-activité, il suffit de comparer cette croissance maximum G avec
la croissance de l’entreprise. Lorsque nous nous trouvons dans le cas d’une entreprise
avec un portefeuille d’activités, le taux moyen pondéré de croissance des diverses
activités est pris comme base de référence. Ceci signifie, dans le cas de l’exemple de
la figure 13.10, que le « centre de gravité » C des activités doit se trouver à gauche du
taux maximum1 si la croissance doit être maîtrisée.
1. Dans le cas de la figure 13.8, le centre de gravité C se trouve à gauche du taux maximum de crois-
sance G. L’entreprise ne court pas ici le risque d’être victime de son développement.
256
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
1. Si l’entreprise possède plusieurs activités appartenant à diverses industries, le β sera donné par la somme
pondérée, suivant l’importance relative des activités de la firme, des β des industries concernés.
257
Chapitre 13 ■ Gestion et choix du portefeuille d’activités
Ainsi que nous l’avons précisé dans l’introduction du présent chapitre, les matrices
d’analyses de portefeuille et les méthodes formelles d’aide à la décision stratégique
ont été décriées ces dernières années. On peut leur reprocher une certaine rigidité
dans l’approche et une incapacité à prendre en compte les spécificités d’environne-
ments très distincts. De même, on peut leur reprocher de considérer chaque activité
comme isolée du reste de l’organisation et de ne pas prendre en compte les synergies
qui peuvent exister entre elles. Ces matrices constituent néanmoins un outil irrem-
plaçable dans le cadre d’une analyse de l’équilibre d’un portefeuille d’activités et ce
tant dans sa dimension financière à court terme que dans l’évolution de l’entreprise
à long terme. Ces outils permettent également de structurer les réflexions et aider
dans les choix relatifs à la gestion d’un portefeuille d’activités.
Quelle que soit la méthode retenue, un critère d’équilibre sera toujours retenu dans
le choix d’un portefeuille d’activités. Ce critère d’équilibre peut s’appuyer sur l’un
des référentiels suivants, référentiels qui ne sont pas exclusifs :
• Temporel : si l’entreprise souhaite assurer sa pérennité, elle se doit d’intégrer la
notion de cycle de vie des activités dans ses choix de portefeuille d’activités et
s’assurer ainsi que les activités mûres seront remplacées quand elles entreront en
phase de déclin par des activités actuellement nouvelles ou en croissance. Au-delà
de la pérennité, une entreprise ne pourra durablement faire augmenter son chiffre
d’affaires global qu’en investissant régulièrement dans des activités nouvelles ou
en croissance.
• Cycle industriel : il est important que l’entreprise soit présente dans des activités
suivant différents cycles économiques. Si l’entreprise n’est présente que dans des
activités fortement cycliques, elle éprouvera beaucoup de difficultés à surmonter
les crises économiques. L’entreprise doit ainsi rechercher un équilibre entre acti-
vités cycliques (carton d’emballage, transport aérien, matières premières…) et
activités peu cycliques (agroalimentaire, hôtellerie économique…), voire contre-
cycliques. À titre d’exemple, en cas de récession, la demande pour les bateaux de
plaisance diminue alors que la demande pour les transports publics augmente. Le
258
Gestion et choix du portefeuille d’activités ■ Chapitre 13
chiffre d’affaires global d’une entreprise présente dans ces deux secteurs est ainsi
peu affecté par une récession économique, la baisse des ventes dans un secteur
étant compensée par la hausse du chiffre d’affaires réalisée dans l’autre.
• Financier : en fonction de la nature de leur environnement (taux de croissance,
niveau d’investissements nécessaires…) et de leur position concurrentielle, les dif-
férentes activités de l’entreprise génèrent ou demandent des ressources financières.
Il convient de s’assurer que le solde est positif ou qu’il est compatible avec la pos-
sibilité d’endettement tant actuelle que future de l’entreprise. Sur ce même plan
financier, il convient également de s’assurer que l’entreprise ne privilégie pas la
rentabilité à court terme de son portefeuille d’activités au détriment de sa pérennité.
• Risques et rentabilité : les différents environnements dans lesquels les activités de
l’entreprise évoluent présentent des niveaux de risques (d’origine technologique,
économique, concurrentiel…) différents. Il convient de s’assurer que l’entreprise
n’est pas uniquement présente dans des secteurs très risqués et qu’il existe un
équilibre entre des activités risquées mais offrant une forte rentabilité et des acti-
vités certes moins rentables mais plus sûres. À l’instar de la gestion d’un porte-
feuille boursier, chaque entreprise détermine le niveau de risque global qu’elle est
prête à assumer et privilégie ainsi soit un portefeuille d’activités de « père de
famille » soit un portefeuille d’activités plus « spéculatif » mais plus volatil.
Au-delà de cette notion d’équilibre entre les différentes activités, deux autres cri-
tères vont fortement influencer les choix effectués quant à la composition du porte-
feuille d’activités : la notion de synergies et la compatibilité organisationnelle et
stratégique entre les différentes activités. Lors de choix relatifs à la composition de
son portefeuille d’activités, une entreprise peut choisir de privilégier l’investisse-
ment dans des activités qui partagent des ressources et des compétences (sur les
plans industriels, technologiques, marketing, de la distribution…) avec des activités
existantes et diminuer ainsi les investissements nécessaires à son entrée dans un
nouvel environnement. De même, une entreprise habituée à mettre en œuvre des
stratégies d’avantage par les coûts éprouvera des difficultés si elle choisit de créer
ou racheter une activité où les stratégies dominantes reposent sur une politique de
différenciation. Elle aura ainsi tendance à privilégier l’entrée dans des activités dont
les modèles économiques, les facteurs clés de succès et les stratégies possibles sont
proches de ceux qu’elles maîtrisent.
259
Chapitre
Robustesse
de la stratégie
14 et prise en compte
du risque
OBJECTIFS
Savoir ce que l’on entend par robustesse d’une stratégie.
Comment évaluer la robustesse d’une stratégie.
Comment identifier et évaluer les risques associés à une stratégie.
SOMMAIRE
Section 1 Critères de robustesse d’une stratégie
Section 2 La gestion des risques associés à une stratégie
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
Q uelles que soient la quantité et la qualité des analyses effectuées, quel que soit
le niveau des réflexions réalisées, le stratège se doit d’être modeste car il sait
qu’il a dû faire des choix au cours du processus d’analyse et de détermination d’une
stratégie. Il a privilégié certaines informations ou certaines analyses parce qu’elles
lui paraissaient plus fiables ou plus pertinentes. Il a mis en avant un faisceau d’hypo-
thèses d’évolution de l’environnement plutôt qu’un autre parce qu’il lui paraissait
plus cohérent et/ou plus conforme aux évolutions passées de son secteur industriel.
Il a enfin identifié différentes options stratégiques ainsi que leurs avantages et incon-
vénients avant d’effectuer son choix et de travailler à leur mise en œuvre.
À chacune de ces différentes étapes, le stratège a dû effectuer des choix à partir
d’informations incomplètes ou peu fiables et en utilisant tant son intuition que sa
réflexion ; il lui appartient maintenant de valider la robustesse de la stratégie qu’il a
choisie en la passant au crible de six critères : opportunité, validité, faisabilité, vul-
nérabilité, flexibilité et rentabilité (voir focus).
c Focus
Critères d’évaluation de la robustesse d’une stratégie
Opportunité : la stratégie choisie permet- hommes, du savoir-faire et de la volonté
tra-t-elle la construction ou le maintien de réussite nécessaires ?
d’un avantage concurrentiel durable et Vulnérabilité : quels sont les principaux
défendable compte tenu de l’environne- facteurs de vulnérabilité ou de stabilité
ment, des réactions de la concurrence et susceptibles d’affecter la mise en œuvre
des ressources de l’entreprise ? La straté- de la stratégie ?
gie choisie permettra-t-elle la croissance Flexibilité : dans quelle mesure l’entre-
de l’entreprise ? prise est-elle prisonnière des choix straté-
Validité : les hypothèses d’évolution de giques effectués ? Est-il possible de
l’environnement retenues lors de l’éla- modifier ces choix en fonction des évolu-
boration de la stratégie sont-elles réa- tions de l’environnement ou des caracté-
listes et quelles sont la qualité et la ristiques de la mise en œuvre en interne ?
fiabilité des informations sur lesquelles Rentabilité : quelles sont les conséquences
elles reposent ? financières de la mise en œuvre de la
Faisabilité : l’entreprise dispose-t-elle de stratégie en termes d’investissement et de
l’ensemble des ressources financières, des rentabilité des investissements ?
262
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
Section
1 Critères de robustesse d’une stratégie
1 Opportunité
L’objectif poursuivi par une stratégie est de créer ou de maintenir un avantage
concurrentiel durable et défendable. L’analyse d’opportunité consiste à s’assurer
que la mise en œuvre de la stratégie permet effectivement cette création ou ce ren-
forcement compte tenu des évolutions prévisibles de l’environnement et des diffé-
rentes actions que pourraient développer les concurrents. De même, l’entreprise
vérifie le taux de croissance que permet sa stratégie et compare ce taux à celui du
secteur. Il s’agit donc d’un exercice essentiellement empirique au cours duquel
l’entreprise s’interroge sur la finalité de sa stratégie.
Au-delà de cet exercice de validation de l’intérêt final de la stratégie choisie, l’ana-
lyse d’opportunité porte également sur les possibilités de croissance ou de construc-
tion d’avantages concurrentiels que l’entreprise a choisi de ne pas privilégier au
cours de l’élaboration de sa stratégie. Ces opportunités non retenues ont-elles été
identifiées et analysées et l’organisation est-elle raisonnablement sure de les avoir
écartées à bon escient. Enfin, l’analyse d’opportunité se doit d’étudier les « trade
off » de la stratégie. Une stratégie est avant tout un pari et comme tout pari il permet
de mettre en œuvre un certain nombre d’actions et exclut, de fait, d’autres actions
ou possibilités. L’entreprise se doit de connaître les différentes possibilités que sa
stratégie ne pourra mettre en œuvre. Il arrive ainsi qu’une entreprise choisisse de ne
pas mettre en œuvre la « meilleure » stratégie mais celle qui lui offrira à terme la
gamme de réponses la plus large en excluant le moins d’options possibles.
2 Validité
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263
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
264
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
clients. Si la majorité des clients est satisfaite au niveau actuel de réponse, est-il
vraiment aussi utile qu’auparavant de développer un produit plus performant, un
temps de réponse plus faible ou d’augmenter plus encore l’amplitude horaire d’ou-
verture du service après vente ? Une avancée sur ces différents points entraînerait-
elle une amélioration de la position concurrentielle de l’entreprise ?
1. Cet exemple date de l’édition précédente de ce livre. Le lecteur aura bien sur remarqué l’arrivée de la cinquième
lame chez Wilkinson et Gilette et saura mesurer la révolution du rasage que cette lame supplémentaire a provoqué…
2. Par valeur de point mort, nous entendons la valeur de chaque hypothèse qui ne permet pas à l’entreprise
d’améliorer ses positions concurrentielles, ses avantages concurrentiels ou ses ratios financiers internes.
265
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
Part de marché
10 % 10 % 10 % 10 % 10 %
actuelle
Part de marché
12 % 12 % 10.80 % 12 % 12 %
future
Prix futur de la
50 50 50 50 55
matière première A
Point mort
8,54 %
part de marché
Point mort
1,03 %
croissance
Point mort
65,39
matière première
266
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
☞
Part de marché
10 % 10 % 10 % 10 % 10 %
actuelle
Part de marché
12 % 12 % 10,80 % 12 % 12 %
future
Prix futur de la
50 50 50 50 55
matière première A
Point mort
7,59 %
part de marché
Point mort
– 1,91 %
croissance
Point mort
69,85
matière première
comme nous l’indique le niveau de valeur de point mort de chaque hypothèse de base,
sensiblement plus bas dans le cas de l’option B que de l’option A, ainsi que les colonnes
où les valeurs de base de chaque hypothèse varient successivement de 10 % par rapport à
leur valeur initialement estimée, l’option B est beaucoup moins sensible que l’option A à
des évolutions de l’environnement différentes de celles anticipées par l’entreprise. De fait,
on peut constater que la marge dégagée est sensiblement supérieure pour l’option B que
pour l’option A lorsque les hypothèses d’évolutions de l’environnement sont dégradées.
L’analyse de ces deux facteurs, points morts plus faibles ainsi qu’une moindre diminution
de la marge à un environnement dégradé, permet de montrer que l’option B du fait de sa
moindre sensibilité est moins risquée que l’option A pour l’entreprise.
L’exemple présenté est simple voire simpliste, mais il est possible de complexifier
à l’envie un tableur Excel et de faire évoluer simultanément et non successivement,
267
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
3 Faisabilité
L’analyse de la faisabilité est double. L’entreprise doit tout d’abord s’assurer
qu’elle dispose de l’intégralité des ressources et moyens nécessaires à la réalisation
de sa stratégie. Il convient donc de comparer le plan de mise en œuvre de la stratégie
avec les moyens et ressources disponibles, de mesurer les éventuels écarts de plani-
fication et de vérifier que les modes d’acquisition des compétences, ressources ou
moyens non disponibles sont réalistes.
L’entreprise doit également vérifier que sa stratégie et son « ambition stratégique »
sont compatibles avec son pouvoir de marché. En d’autres termes, les objectifs rete-
nus dans le cadre de la stratégie sont-ils réalistes au regard de la position concurren-
tielle de l’entreprise vis-à-vis de ses concurrents et/ou de son pouvoir de négociation
vis-à-vis des clients et fournisseurs. À titre d’exemple, une société qui s’efforcerait
de mettre sur le marché des produits inachevés à des prix élevés sans bénéficier d’un
pouvoir de marché important vis-à-vis de ses clients poursuivrait une stratégie irréa-
liste de faible faisabilité.
4 Vulnérabilité
Pour déterminer la vulnérabilité d’une stratégie, il convient de s’interroger sur la
présence, tant dans le cadre de l’environnement de l’entreprise que dans les options
de mise en œuvre de sa stratégie, de facteurs de vulnérabilité ou d’instabilité.
La stratégie retenue par l’entreprise est-elle une réponse à des valeurs ou des
besoins de base de ses clients ou repose-t-elle sur un phénomène de mode ? Les
produits et services nouveaux développés dans le cadre de la stratégie seront-ils
destinés à un type d’utilisation unique ou à couple produit-marché précis ou pour-
ront-ils être utilisés dans différentes circonstances, répondre à des besoins clients
sensiblement différents ou s’adresser à de nombreux couples produits-marchés ? Les
options retenues entraînent-elles une dépendance technologique ou est-il possible de
recourir à des technologies différentes et non liées pour réaliser la stratégie ? La
mise en œuvre de la stratégie demande-t-elle une capitalisation élevée, des investis-
sements fixes et spécialisés importants ou est-il prévu de recourir à un leasing, à de
la propriété partagée ou à la sous-traitance ?
La réponse à ces différentes questions permet de mesurer la vulnérabilité de la
stratégie de l’entreprise à des évolutions ou des prévisions différentes de celles
268
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
5 Flexibilité
La flexibilité d’une stratégie va être directement conditionnée par son degré de
spécialisation et par la nature de l’échéancier de mise en œuvre des moyens et des
investissements nécessaires à son accomplissement. Plus une stratégie, ses diffé-
rentes options et les moyens qu’elle met en œuvre sont spécialisés, plus l’entreprise
est contrainte par les choix qu’elle a réalisés et plus elle est incapable de réagir aux
évolutions qui se produisent dans son environnement. Il convient d’effectuer un
choix entre efficacité et efficience stratégique, d’une part, et recherche de degré de
liberté, d’autre part. Il est fréquent de voir une entreprise renoncer à la meilleure
stratégie sur le plan économique pour privilégier des options stratégiques moins
performantes mais présentant une gamme de réponses potentielles plus large. La
recherche du bon équilibre entre efficacité/efficience et flexibilité est en grande par-
tie influencée par la stabilité de l’environnement et les niveaux d’investissements
nécessaires. Dans le cadre d’un environnement stable et face à des investissements
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269
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
6 Rentabilité
L’entreprise doit transcrire sa stratégie en termes financiers afin de calculer le
montant d’investissement nécessaire et prévoir l’évolution du chiffre d’affaires
résultant de sa mise en œuvre. Les différentes estimations réalisées permettent de
calculer des niveaux de point mort et de rentabilité des investissements. Il convient
alors de rapprocher ces estimations des objectifs financiers globaux de la société et
de s’assurer de leur compatibilité.
Il est également nécessaire de comparer ces prévisions avec les ordres de grandeur
classiques de l’industrie ou du secteur d’activités. Une rentabilité des investisse-
ments dont le niveau est nettement supérieur aux valeurs classiques de l’industrie est
certes possible mais elle doit néanmoins faire l’objet d’un doute légitime. Un point
mort à deux ans est possible dans le cadre d’un secteur en croissance ou en maturité
mais il est douteux de pouvoir le réaliser dans un marché émergent compte tenu du
temps de latence présent dans cet environnement. De même, en dehors de secteurs
industriels extrêmement stables, il est illusoire de penser qu’un point mort à plus de
cinq ans sera atteint. Il est, de fait, fort probable qu’au-delà d’un horizon de moyen
terme, les conditions économiques et concurrentielles auront évolué au point de
remettre en cause les choix stratégiques effectués initialement. Il est donc important
de choisir des stratégies disposant d’un point mort relativement proche afin de ne pas
être contraint de conserver une stratégie initiale de moins en moins adaptée aux
évolutions de l’environnement, du fait d’investissements importants non encore
rentabilisés.
Le cas ci-dessous présente la stratégie mise en œuvre par Hewlett Packard dans le
secteur des disques durs. Puis, il développe une analyse de la robustesse de cette
stratégie au moyen des critères qui viennent d’être exposés.
270
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
Cas d’entreprise
Analyse de la robustesse d’une stratégie :
HP et le développement du Kittyhawk1
1991, la division disques durs d’Hewlett Packard décide de lancer le développe-
ment d’un disque dur d’un diamètre de 1,3 pouce. Le standard du marché est alors
le diamètre de 2,5 pouces (diamètre utilisé dans les ordinateurs portables). HP
souhaite prendre ses concurrents par surprise en développant le plus petit disque
dur jamais construit. Après une rapide étude de marché qui démontre un marché
potentiel dans le cadre des PDA (Personal Digital Assistant) et des cartouches de jeu
Nintendo, HP prend la décision de créer une équipe de recherche, isolée du reste
de la structure, qui aboutit en juin 1992 au lancement du Kittyhawk, disque dur
d’un diamètre de 1,3 pouce, doté d’une grande capacité de résistance aux chocs (le
Kittyhawk peut supporter une chute d’un mètre sur du béton en assurant l’intégrité
des données stockées) et d’une capacité de 20 MB (une extension à 40 MB est
planifiée). En cours de développement, HP choisit d’abandonner l’option cassette
de jeu demandé par Nintendo et de se consacrer au marché des Personal Digital
Assistant (PDA) ; le prix demandé par Nintendo, 50 dollars, ne permettant pas à HP
de respecter les objectifs financiers ambitieux fixés au projet. La ligne de produc-
tion, sous-traitée à Citizen Watch Corporation, a une capacité de production de
150 000 unités par mois. Le Kittyhawk est lancé commercialement en juin 1992 à
un prix unitaire de 230 dollars et ce produit fait l’objet d’un nombre d’articles de
presse supérieur à ceux obtenus par l’ensemble des produits lancés préalablement
par HP. Néanmoins, les ventes ne décollèrent jamais, les fabricants de PDA ne
réussissant pas à développer les autres technologies nécessaires au bon fonctionne-
ment du produit. Les ventes totales du Kittyhawk (165 000) n’atteignirent pas 30 %
des objectifs fixés et le marché majeur ne fut pas celui des PDA mais celui des
« Japanese word processors ». En 1994, HP décide d’abandonner la production et
la vente du Kittyhawk et en 1996 HP prend la décision d’arrêter la production de
disques durs.
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Opportunité
HP a pris la décision de développer un disque dur de 1,3 pouce afin de prendre de
vitesse l’ensemble de ses concurrents préférant selon les dires de ses dirigeants
investir une colline vierge plutôt que s’attaquer à une colline fortifiée (en l’occur-
rence le marché des disques durs de 2,5 pouces de diamètre). Il a donc choisi entre
une opportunité potentielle et une opportunité existante en considérant qu’un nou-
veau design technologique pouvait prendre le marché par surprise et assurer ainsi
des avantages concurrentiels importants à l’entreprise. Cette décision a pour consé-
quence une quasi-absence d’HP sur le marché des disques durs de 2,5 pouces.
☞
1. Le lecteur pourra se reporter au cas: « Hewlett-Packard: The Fly of the Kittyhawk », n°9-697-060, Harvard
Business School de G Rogers et C Christensen qui décrit le développement et la vie commerciale du Kittyhawk.
Kitty Hawk est le nom de la plage de Caroline du Nord où les frères Wright ont effectué les premiers essais de leur
« aéroplane ».
271
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
☞
Validité
La décision prise par HP de fixer le diamètre du Kittyhawk à 1,3 pouce est directe-
ment liée à l’analyse de la tendance vers une diminution du diamètre des disques
durs, tendance qui existe depuis les débuts de l’informatique. Le premier disque dur
développé par IBM en 1956 avait la taille de deux réfrigérateurs placés côte à côte et
une capacité de stockage de 5 MB. En 1992, le diamètre minimum des disques durs
était de 2,5 pouces (utilisés majoritairement dans les ordinateurs portables) pour une
capacité variant de 300 MB à plus d’1 GB. Cette tendance de réduction des disques
durs a tout à la fois permis et accompagné la réduction de taille et de volume des
ordinateurs. Toutefois en 1992, le critère bloquant la « miniaturisation » des ordina-
teurs n’est plus le disque dur mais le clavier, ou plus exactement, du fait de l’interface
retenue, la taille des doigts des utilisateurs. Un disque dur de 1,3 pouce n’est donc
plus destiné au marché classique de l’informatique mais à de nouvelles applications
dans l’informatique mobile comme les PDA. Par ailleurs, HP ignore l’importance
d’une autre tendance, celle de la densité des disques durs qui améliore, année après
année, leur capacité de stockage (la norme en 1992 est de 400 MB). Parallèlement,
HP ne prend pas en compte l’apparition d’une nouvelle technologie, la « spintro-
nic », émergente depuis 1988 et qui, dès 1994, deviendra le standard technologique
de fabrication des disques durs. Enfin, HP ignore les capacités de technologies subs-
tituts comme les mémoires RAM ou les mémoires flash qui permettent au lancement
du Kittyhawk des capacités de stockage supérieures à un coût unitaire proche. Par
ailleurs, HP a développé ses hypothèses de volume de ventes en fonction de celles
réalisées par les développeurs de PDA et a donc un plan d’affaires fondé sur les rai-
sonnements et prévisions effectués par d’autres. Dans un tel cas de figure, il est
essentiel de valider les hypothèses de ses clients en analysant les besoins et attentes
des clients de ses propres clients. Cette validation est d’autant plus nécessaire si les
clients directs sont des « jeunes pousses » dont les compétences marketing et straté-
giques sont loin d’être éprouvées.
Faisabilité
La réussite technique du Kittyhawk démontre qu’HP a su analyser les compétences
et investissements nécessaires à la mise en œuvre de cette stratégie. En revanche, la
division disque dur d’HP a toujours été un acteur de niche sur le marché des
disques durs, bien en deçà des positions traditionnelles de leader des autres divi-
sions d’Hewlett Packard. Le lancement d’un nouveau design technologique sur un
marché émergent est-il réaliste pour une division habituée à des stratégies de sui-
veur sur des tendances technologiques bien établies et avec un client principal, HP
elle-même, assuré ?
Vulnérabilité
En choisissant de développer son disque dur en fonction des demandes spécifiques
des fabricants de PDA, HP se place dans une situation de vulnérabilité extrême. De
fait, le succès de son produit est directement lié au succès des premiers PDA, succès
qui est lui-même lié au développement de technologies hors du champ de compé-
tences d’HP (miniaturisation, reconnaissance de caractères, systèmes d’opérations
spécifiques,…). Or les premiers fabricants de PDA ont tous échoué à développer ces
☞
272
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
☞
technologies à des niveaux de qualité et de performance acceptables par le grand
public. HP, en dépit de la qualité technique de son produit, connaît donc l’échec
car son disque dur aurait dû être intégré à un produit que ses concepteurs sont dans
l’impossibilité de réaliser. Dans un tel cas de figure, une entreprise doit identifier les
facteurs hors de son contrôle et analyser la capacité de ses partenaires à y apporter
des réponses.
Flexibilité
La stratégie choisie par HP repose sur le succès d’un disque dur de 1,3 pouce déve-
loppé spécifiquement pour les PDA. Si cette stratégie échoue, l’entreprise n’a plus
qu’à espérer que des clients non anticipés se manifestent. Si des fabricants de
« Japanese word processors » se montrent effectivement intéressés, tous les autres
clients contactés demandent un prix inférieur à 50 dollars qu’HP ne peut pas
atteindre, du fait des choix techniques effectués pour servir le marché des PDA. La
stratégie d’HP n’a donc aucune flexibilité sur les plans technologiques et de mar-
chés et s’est montrée incapable de s’adapter aux évolutions de son environnement.
Rentabilité
Les objectifs de rentabilité et de volume assignés au projet, point mort de 36 mois
(y compris 12 mois de développement) et 100 millions de dollars de chiffre d’af-
faires deux ans après le lancement sont des chiffres réalistes sur un marché préexis-
tant comme l’informatique traditionnelle. En revanche, espérer des résultats aussi
rapides et aussi importants sur un marché émergent comme celui des PDA manque
de réalisme ou est trop ambitieux.
robustesse d’une stratégie, cette analyse permet également l’identification des nom-
breux risques qu’il convient de qualifier et de gérer avant de mettre en œuvre la
stratégie retenue.
Section
2 L a Gestion des risques
associés à une stratégie
273
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
La gestion des risques est une démarche anticipative, présente tout au long de la
démarche d’analyse et de mise en œuvre d’une stratégie. Quel que soit le degré de
réflexion et d’analyse effectué lors de la détermination de la stratégie, il existe tou-
jours des risques liés à sa mise en œuvre. La gestion des risques permet d’assurer la
tenue des objectifs du projet en anticipant les événements susceptibles de se pro-
duire au cours de la réalisation de la stratégie. Il s’agit donc d’améliorer la capacité
d’anticipation des difficultés de mise en œuvre. Cette analyse permet également de
faciliter la prise de décision concernant le choix entre deux stratégies possibles pré-
sentant des niveaux de risques différents. Enfin, elle permet, au cours de la mise en
œuvre, d’éviter d’être surpris et de prendre les actions correctrices prévues si les
risques anticipés se produisent.
La gestion des risques s’articule en trois étapes distinctes :
1. Identification des risques : inventaire de tous les risques potentiels qui sont sus-
ceptibles d’affecter le « bon déroulement » de la stratégie.
2. Évaluation de l’impact possible de chacun des risques sur les principaux objectifs
de la stratégie : définition pour chaque risque d’un niveau de gravité, de probabi-
lité et de « criticité ».
3. Détermination d’un plan d’action : création d’un plan de surveillance des risques
et choix, puis planification des actions et des modes de traitement des risques.
274
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
c Focus
Risques fréquemment rencontrés par les entreprises
Risques financiers et commerciaux Risques liés aux ressources
–– Spéculation (sur des matières pre- –– Manque de compétences ;
mières, etc.) ; –– destruction de moyens ;
–– pression des actionnaires ; –– manque de potentiel humain ;
–– défaillance commerciale ; –– dysfonctionnement des principaux
–– retournement économique ; processus (systèmes d’information,
–– évolution des coûts des achats, etc. production, services après vente, etc.).
Une fois les risques identifiés, il convient de déterminer leur « criticité » qui est
principalement fonction de leur gravité et de leur probabilité d’occurrence. Il est
essentiel de séparer l’étape d’identification de l’étape d’analyse, faute de quoi,
comme dans tout brainstorming, la recherche d’une rationalisation immédiate peut
rendre difficile l’identification des risques.
L’évaluation de la gravité globale d’un risque s’effectue en deux étapes. L’entre-
prise réalise, tout d’abord, une estimation des conséquences de l’occurrence d’un
risque sur les principaux objectifs et mesures de performance de la stratégie (délai,
coûts, investissement,…). Puis, elle procède à une évaluation globale, fonction de la
pondération affectée à chacun des objectifs stratégiques (voir figure 14.1).
L’entreprise s’efforce ensuite de déterminer la probabilité de réalisation d’un risque
sachant que, par nature, un risque a une probabilité d’occurrence relativement faible.
275
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
À défaut de respecter cette règle, un événement prévisible n’est plus un risque mais une
donnée qui doit être, d’une manière ou d’une autre, réintégrée dans les raisonnements et
analyses qui ont conduit à l’élaboration de la stratégie. On considère généralement que
si un risque a une probabilité d’occurrence de plus de 30 à 40 %, il ne s’agit plus d’un
risque mais d’un fait qui doit être pris en compte dans la stratégie de l’entreprise.
276
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
Une fois ces deux mesures de gravité et de probabilité établies, il est possible de
placer chaque risque sur une « matrice de criticité » du risque. On obtient alors
quatre classes de risque différent :
Critique
Gravité et Probabilité
du risque
Gravité 0 1 2 3 3
Probabilité 2
Délai d’occurence
Gravité
1
Coûts 0 : nulle
1:<5% 0
2 : 5 % < < 20 %
Recettes
3 : > 20 % 0 1 2 3
Performances
techniques Probabilité
Autres : ...
1. Les risques mineurs dont la gravité ou la probabilité d’occurrence est nulle ou
très faible. Ces risques ne sont pas suivis par l’entreprise et aucun plan spécifique
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277
Chapitre 14 ■ Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque
278
Robustesse de la stratégie et prise en compte du risque ■ Chapitre 14
279
Chapitre
Changement
15 stratégique
OBJECTIFS
Expliquer le passage de la stratégie à l’action.
Préciser la variété des changements stratégiques.
Analyser les conditions favorables ou non au changement.
Conclure sur le caractère émergent du changement.
SOMMAIRE
Section 1 De la stratégie à la mise en œuvre
Section 2 Ouverture au changement
Section 3 Contextes favorables et opposés au changement
Section 4 Diversité du changement
Section 5 Une démarche émergente
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
R ien de plus simple a priori que de mettre en œuvre le changement dès lors
qu’une nouvelle stratégie est définie, pourrait-on croire. Pourtant, c’est un
processus qui présente de grandes difficultés et qui est de ce fait un facteur détermi-
nant de succès ou d’échec de la stratégie. Deux types de difficultés sont à anticiper.
D’une part, la traduction de la stratégie en termes opérationnels et d’autre part,
l’acceptation des nouveaux modes de fonctionnement et de nouvelles priorités par
les salariés de l’entreprise. Ces difficultés sont d’autant plus délicates que de mul-
tiples facteurs internes et externes à l’entreprise impactent le lancement des opéra-
tions, leur développement, et le succès. Après avoir présenté les enjeux et les
méthodes d’implication des acteurs et de la mise en place formelle du changement,
c’est la capacité de changement et le déclic du changement qui seront analysés.
Ensuite, la discussion des facteurs favorables au changement et les résistances per-
mettent d’anticiper un certain nombre d’obstacles à surmonter. Enfin, on esquissera
la diversité du changement et on soulignera en conclusion à quel point le change-
ment est le résultat d’une démarche émergente.
Section
1 DE LA STRATéGIE à LA MISE EN ŒUVRE
La vision stratégique qui préside au changement doit être partagée et traduite en
termes opérationnels pour son déploiement. C’est une traduction de l’abstrait au
concret, de l’idée à l’action. La vision stratégique dessine le devenir de l’entreprise
à grands traits, mais le détail opérationnel reste largement à définir. En effet, l’action
qui doit être conduite sur le terrain nécessite une organisation adaptée avec des uni-
tés coordonnées et un système d’information qui assure le suivi. La nouvelle straté-
gie est encore très abstraite pour les acteurs au moment de sa première formulation.
Il est nécessaire parallèlement au déploiement de la nouvelle organisation de mener
des actions de formation qui permettent de faire reconnaître l’intérêt du nouveau
cadre organisationnel et de le mettre en pratique. En outre, lorsque la stratégie est
mise en œuvre par la nouvelle organisation, le cadre organisationnel est mis à
l’épreuve, autant dire que la traduction est testée. Les choix stratégiques se précisent
dans l’action au fur et à mesure de la mise en œuvre. Les pratiques organisation-
nelles se perfectionnent dans une dernière phase d’apprentissage et de stabilisation.
La définition des nouveaux processus, la coordination des unités organisationnelles,
l’encadrement hiérarchique qui assure l’intégration et le contrôle du bon fonction-
nement de l’ensemble grâce à des circuits d’information adaptés ne se programment
que très partiellement. En effet, si cette étape est formellement assurée par le plan
d’action qui définit les étapes et les objectifs intermédiaires, il reste beaucoup de
choix à faire par les acteurs directement impliqués sur le terrain qui seuls pourront
282
Changement stratégique ■ Chapitre 15
283
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
Les principaux choix opérationnels résultant de la stratégie sont faits en amont lors de
l’annonce de la nouvelle stratégie. Qu’il s’agisse de l’internalisation ou non de certaines
activités, de l’adoption d’une nouvelle technologie, ou de l’abandon d’une ligne de pro-
duits, les grandes lignes sont tracées sur la base d’une réflexion stratégique globale qui
précède la mise en œuvre. C’est le cadre général qui va servir par la suite lors de la
définition du cadre organisationnel détaillé qui va porter la nouvelle stratégie.
284
Changement stratégique ■ Chapitre 15
2
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Section
ouverture au changement
1 Capacité de changement
Toute organisation, pour assurer son bon fonctionnement, développe des routines,
des procédures, des structures et des systèmes d’information qui prennent en compte
l’information utile, qui l’intègrent à la fois pour assurer la veille dans l’environne-
ment et pour piloter le système de production propre à l’organisation. Le dévelop-
pement des routines et des pratiques habituelles, tant pour l’action que pour l’analyse
et le contrôle rend l’organisation existante invisible. Elle constitue un prisme au
travers lequel le monde environnant, les ressources, les marchés, les concurrents, les
réglementations, etc. sont perçus.
285
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
Une fois l’organisation en place, celle-ci conduit les acteurs à avoir une vision
sélective de la situation : les fins, les moyens, les risques et les opportunités sont
définis d’avance. Ils suscitent une tendance à reproduire l’existant et à rester aveugle
à des évolutions de l’environnement parce qu’elles tombent en dehors du prisme des
choses concevables.
2 Le déclic du changement
Le déclic initial d’un changement sera l’œuvre d’un dirigeant visionnaire ou le
résultat d’une crise. Le travail de veille qui consiste à assurer une collecte d’infor-
mation sans questionnement sérieux court le risque de ne pas repérer menaces et
opportunités. Il est imprégné de la culture (pratiques du secteur et de la profession)
et de la stratégie de l’entreprise. Maints changements viennent de l’extérieur et ne
peuvent être vus que par un regard extérieur libre d’a priori. De plus, le dirigeant
visionnaire doit, outre la reconnaissance de la nécessité d’une nouvelle stratégie,
convaincre les membres du conseil d’administration. Tant qu’il suit un parcours sage
dans le prolongement de l’existant, avec une prise en compte des tendances de
l’environnement, son action sera appréciée par la gouvernance qui aura l’impression
de mériter la confiance des propriétaires. Mais ce sera une stratégie de suiveur sans
réel renouvellement. Si le secteur d’activité connaît des difficultés, l’entreprise
286
Changement stratégique ■ Chapitre 15
Section
3 contextes favorables
et opposés au changement
287
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
Dans d’autres cas, l’échec d’une stratégie peut pousser le dirigeant en place à un
aggiornamento. Plusieurs cas célèbres illustrent de tels retournements : BMW
abandonnant sa stratégie de constructeur généraliste en revendant Rover et en
s’engageant délibérément dans une stratégie de luxe. Il faut noter que ce retourne-
ment a été grandement facilité par le contrôle du capital par un noyau familial
d’actionnaires très ramassé, la famille Quandt, qui prenait la responsabilité du
changement. Danone qui était fortement engagé dans le verre plat et qui fait volte-
face sous la houlette d’Antoine Riboud, pour devenir un grand groupe alimen-
taire : la crise pétrolière et la difficulté d’acquérir une masse critique ayant
déclenché cette mutation profonde. Honda qui, au début des années soixante, veut
entrer sur le marché américain de la moto sans autre stratégie que de vendre des
motos en concurrence avec les constructeurs en place. Après quelques difficultés
initiales, le constructeur finit par découvrir le marché des petites cylindrées ignoré
jusque-là. Populaires au Japon, ces petites motos vont de façon totalement inatten-
due faire fureur sur le marché californien et permettre à l’entreprise de prendre
pied dans ce marché. La découverte de cette stratégie des petites cylindrées est
due, d’une part, à l’échec initial des motos plus grosses prévues pour ce marché
et, d’autre part, à l’écoute de la direction de l’entreprise qui accepte de donner
suite à l’étrange idée de l’équipe sur le terrain de vendre des petites cylindrées aux
états-Unis. Les trois cas illustrent plusieurs choses : les décideurs ont eu la capa-
cité de remettre en cause leur vision stratégique, le conseil d’administration et
autres organes de gouvernance se sont laissés convaincre et l’organisation de
l’entreprise a été révolutionnée. Le risque pris est considérable révélant la forte
volonté du dirigeant et la confiance des conseils qui ont maintenu et suivi le diri-
geant en place.
288
Changement stratégique ■ Chapitre 15
2 Résistance au changement
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289
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
changement engagé, ils se trouvent dans une situation de dépendance totale par
rapport à leur direction et des éventuels consultants en charge de la mise en œuvre.
Confrontés à cette situation, ils vont tout faire pour décrédibiliser le projet, pour
maintenir leur situation au besoin en déformant ou en taisant des informations cri-
tiques pour l’opération de changement. Dans cet environnement, même s’il est dif-
ficile pour les collaborateurs de se désolidariser, il y a quand même des acteurs qui
seront plus ouverts. Ils constitueront une ressource importante pour surmonter la
résistance au changement, étant à la fois avocats et acteurs du changement au sein
des différentes unités organisationnelles.
Enfin, l’organisation en place constitue un obstacle : elle est conçue pour résister
aux… changements ! Face à l’incertitude de l’environnement, il est nécessaire de
créer une enveloppe organisationnelle robuste pour que les différentes activités de
l’entreprise puissent se dérouler dans les meilleures conditions avec les ressources,
les expertises et les contrôles nécessaires. Le changement se fait comme une mue,
avec une phase de transition délicate où l’organisation quitte sa coquille protectrice
pour s’en faire une autre, autour d’activités qui auront elles-mêmes changé dans un
environnement qui évolue ! Dans cet environnement incertain, tant interne
qu’externe, les règles, la hiérarchie, les unités, les pratiques permettent à l’organisa-
tion de fonctionner temporairement sans visibilité. L’ancienne organisation résiste
au changement parce qu’elle est perçue comme normale, légitime, et rassurante.
Pour changer, il faut réviser la structure, les processus et les circuits d’information
et y exprimer la nouvelle stratégie. Il faut se diriger et prendre des décisions alors
que justement l’environnement stratégique n’est pas encore bien défini et que les
acteurs de l’entreprise cherchent de façon souvent imprévisible et parfois opportu-
niste à retirer leur épingle du jeu. La phase de transition est caractérisée par le deve-
nir, se détachant du passé mais sans encore connaître le futur. La vision stratégique
est le premier ingrédient nécessaire lors d’un tel changement.
Section
4 Diversité du changement
Le changement est presque consubstantiel à la stratégie, tout particulièrement dans
un monde qui évolue rapidement, des marchés qui s’ouvrent, des technologies nou-
velles qui sont développées et une concurrence mondialisée. L’entreprise doit
s’adapter sans cesse à un environnement nouveau et y définir à partir des moyens
dont elle dispose, une stratégie qui lui permette au moins de survivre mais surtout
de se développer dans l’intérêt de toutes ses parties prenantes. La variété des situa-
tions de changement est appréhendée tout d’abord en distinguant le changement
voulu du changement subi. Le changement voulu comprend la croissance et l’inno-
vation. Le changement subi c’est celui causé par les situations de crise, notamment
290
Changement stratégique ■ Chapitre 15
1 Le changement voulu
car il devient plus difficile de maintenir un bon niveau de croissance dans un sec-
teur en recul. L’acquisition n’est pas non plus la panacée : l’entreprise peut entrer
dans de nouveaux secteurs, augmenter son chiffre d’affaires et son profit, mais la
situation en termes de création de valeur et de rentabilité est moins évidente. Pour
intégrer l’acquisition, et réaliser une croissance supérieure à la moyenne, le défi
est grand ; la stratégie du groupe et la mise en œuvre organisationnelle doivent être
conduites avec le plus grand soin à chaque étape : vision stratégique – traduction –
mise en œuvre.
L’alternative est d’innover. Mettre en place une organisation pour générer des
idées nouvelles est simple. Réunir des individus de talent, leur donner des res-
sources, du temps et des indications assez ouvertes sur l’objectif, les laisser commu-
niquer avec des collègues, mettre en place un système d’incitation adapté à la culture
des innovateurs, et le tour est joué. La difficulté est de transformer les bonnes idées
291
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
en « business ». Le problème a été posé par James G. March1 (1991) qui a distingué
l’activité d’exploration de l’activité d’exploitation. L’intégration des deux au sein
d’une même entreprise est particulièrement ardue.
L’incompatibilité entre exploration et exploitation est relativement simple à
comprendre : l’entreprise qui innove développe une structure et une culture efficaces
pour l’innovation comme on vient de la décrire. Mais le cadre nécessaire à l’explo-
ration est « mou » : ressources, délai, et même objet ne sont pas prévisibles de façon
précise. L’activité d’exploitation s’en trouve désorganisée car elle fonctionne avec
un cadre « ferme » : budget, échéances, produit. Cette désorganisation génère des
tensions importantes qu’il est difficile de surmonter. Peu d’organisations y réus-
sissent : 3M est un exemple historique datant des années soixante. Elle a mis au
point un système organisationnel particulier. Il s’agit de développer des projets
« fous », en rupture avec les habitudes, de prendre des risques, d’accepter les échecs
(en reconnaissant au passage leurs mérites), et d’y consacrer des ressources de façon
assez libre. 15 % du temps des salariés pouvait être consacré à travailler sur des
sujets librement choisis.
Chez 3M, plusieurs groupes se sont formés sans trop de coordination, mais avec la
liberté de beaucoup échanger. Plusieurs approches d’un même problème suscitaient
une concurrence, des débats et des avancées par fertilisation croisée. Même lorsqu’un
projet avait officiellement été abandonné, ceux qui avaient quand même persévéré
avaient toute l’estime de la direction. Google pratique aujourd’hui la même démarche.
1. J.G. March, « Exploration and Exploitation in Organizational Learning », Organization Science, vol. 2, n° 1,
1991, pp. 71-87.
292
Changement stratégique ■ Chapitre 15
Elle encourage les innovations dans un environnement très libre avec un jour par
semaine consacré à des projets prometteurs. La promesse doit toutefois pouvoir se
réaliser dans un cadre donné par la direction pour focaliser les projets. Les développe-
ments du type Google Glass et les voitures sans chauffeur sont considérés rétrospecti-
vement comme des errements sans rapport avec le cœur du métier. La mise en œuvre
d’autres innovations comme Gmail est bien plus en ligne avec la volonté de dévelop-
pement de services. Ces innovations peuvent être mises en production par l’entreprise
parce qu’elles profitent d’un effet de levier énorme typique du secteur des technologies
de l’information. Le coût du développement et de la mise en œuvre est faible par rap-
port à celui du déploiement pour un impact très élevé.
2 Le changement subi
293
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
Le défi est grand ! Si le dirigeant veut tirer parti de l’atmosphère d’incertitude qui
règne, il doit avant tout se préoccuper d’avoir la confiance des salariés faute de quoi
son action sera mal comprise voire contestée. S’il n’y a pas de confiance tirée
d’expériences communes antérieures entre les salariés et le dirigeant, celle-ci doit
être suscitée dans toute la mesure du possible. Pour un dirigeant venant de l’exté-
rieur, sa présence sur le terrain, sa compétence technique, et sa communication
clairement suivie d’actions correspondantes peuvent établir une bonne crédibilité et
par là, le crédit de confiance nécessaire pour conduire le changement dans le
contexte de la crise.
D’autres changements subis sont liés à des modifications de la réglementation.
L’impact peut être plus lent mais non moins important. La déréglementation dans le
secteur du transport aérien a causé des transformations considérables dans l’environ-
nement concurrentiel. Aux États-Unis comme en Europe, cette déréglementation a
entraîné d’amples mouvements stratégiques de consolidation et l’émergence de
nombreuses compagnies nouvelles. En Europe, la déréglementation est achevée
depuis 1997. Chaque compagnie aérienne peut proposer des vols sur les destinations
de son choix au sein de l’Union européenne, à des prix résultant du jeu des forces
concurrentielles de marché. Trois phénomènes en ont résulté :
1. Les compagnies traditionnelles ont privilégié les vols avec correspondance en
créant des « hubs ».
2. Elles ont aussi formé des alliances pour constituer un réseau mondial.
3. Des compagnies à bas coûts (les « low-cost ») se sont développées.
La mise en place de l’organisation pour tirer le meilleur parti des hubs, pour
assurer une qualité de service élevée et rester compétitifs face aux « low-cost »
s’est avérée extrêmement difficile. La nature décentralisée de l’organisation mon-
diale en réseau, la nécessité d’assurer la réorganisation en maintenant la continuité
du service et l’existence de structures bureaucratiques résistantes au changement
furent autant d’entraves à une réorganisation stratégique. Pratiquement vingt ans
après la libéralisation du transport aérien les ajustements stratégiques sont encore
en cours. Les tentatives de faire coexister le transport aérien traditionnel avec un
transporteur « low-cost » posent problème. La coexistence de deux modèles éco-
nomiques dans la même organisation engendre une complexité et des coûts élevés.
Elle a pourtant souvent été tentée avec des succès mitigés. Les compagnies « low-
costs » indépendantes ont quant à elles réussi à s’imposer comme des acteurs
incontournables du secteur du transport. Le changement subi dans le cas de la
déréglementation et s’appliquant à de grandes entreprises est plus lent et plus dif-
ficile que celui des cas de crise. La taille de l’entreprise, son rôle souvent straté-
gique du point de vue national, lui permet de réagir plus lentement mais sans
nécessairement gagner en efficacité.
294
Changement stratégique ■ Chapitre 15
Section
5 une démarche émergente
Le développement d’un équilibre toujours en devenir pendant la mise en œuvre
d’un changement stratégique est complexe. Entre la stratégie initiale, le déploiement
de la structure organisationnelle et l’implication des acteurs, l’ajustement est
continu, créant un contexte mouvant. En fonction de la stratégie, de l’urgence, des
forces qui l’opposent et des autres qui la portent, la tâche du dirigeant est délicate
justement parce qu’il ne maîtrise pas tout. Il a choisi la stratégie, il détermine une
structure organisationnelle, mais ayant lancé le changement il s’arrête et regarde.
Tout se passe comme dans une expérimentation, il observe les points de tension, les
progrès, il reçoit les avis des acteurs engagés dans le processus et il se fait une image
de la situation. Il exerce alors son pouvoir en concentrant les efforts sur les points
névralgiques, apportant de nouvelles ressources pour surmonter une difficulté, relan-
çant les efforts sur les développements qui faiblissent, modifiant certains aspects
problématiques de l’organisation.
Quel que soit son style de management, le dirigeant doit être à l’écoute du chan-
gement. Il le façonnera progressivement plutôt par petites touches que par une action
d’envergure. Qu’il soit plutôt autoritaire et distant ou impliqué et proche de son
équipe, il doit trouver les moyens de communiquer, d’expliquer et de convaincre. Il
doit aussi savoir s’engager, prendre ses responsabilités plutôt que de les faire porter
par d’autres.
Un dirigeant est toujours pris entre le besoin de déléguer une partie de ses tâches,
lui permettant de se concentrer sur les problèmes à plus longue échéance, et la
volonté de conserver la maîtrise des opérations. À mesure que la complexité et la
diversité des activités s’accroissent, la nécessité de décentraliser les décisions se fait
sentir. Mais qui dit décentralisation dit autonomie des responsables. Dans ce cas, un
cadre est fixé pour les opérations ; pour les décisions importantes la délégation sera
limitée. Engagements, investissements nouveaux, recrutement de personnels spécia-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
lisés ou toute autre décision pouvant mettre en danger l’entreprise seront normale-
ment soumis à une décision du dirigeant. Pour conserver un contrôle suffisant des
opérations, en particulier dans les grandes entreprises où la délégation est incontour-
nable et certains développements se font rapidement et sont imprévisibles, la
confiance prolonge le système de contrôle formel et permet aux responsables de
faire face. L’autonomie dont dispose l’équipe rapprochée chargée du changement lui
permet de prendre l’initiative d’une action compétente. Le dirigeant peut quant à lui
se consacrer davantage au long terme et à l’esprit du changement plutôt qu’au détail
des actions. Dans certains cas, suivant la culture managériale, la « délégation
confiante » n’est pas légitime et elle sera étayée par un système de suivi plus formel.
Le supérieur hiérarchique souhaitera de toute façon être tenu informé des problèmes
qui peuvent se manifester et un certain degré de formalisme est de bon aloi.
Confiance et contrôle formel se renforcent mutuellement, la confiance permet à
295
Chapitre 15 ■ Changement stratégique
296
Chapitre
Organisation
16 et alignement
stratégique
OBJECTIFS
Définir le gouvernement d’entreprise.
Évaluer les rôles du directeur général.
Situer les salariés dans leur rôle d’opérateurs.
Déterminer l’organisation en fonction de la stratégie.
SOMMAIRE
Section 1 Gouvernement de l’entreprise
Section 2 Recrutement du directeur général
Section 3 Le dirigeant
Section 4 Les salariés
Section 5 Structure organisationnelle
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
Section
1 Gouvernement de l’entreprise
Le gouvernement de l’entreprise est assuré par le conseil d’administration qui est
formellement en charge de la définition de la stratégie de l’entreprise et du contrôle
des résultats. En outre, le conseil désigne les dirigeants – mandataires sociaux –
chargés de gérer l’entreprise dans le cadre de la stratégie, il choisit le mode d’orga-
nisation avec concentration ou non des fonctions de président et de directeur général,
et il veille à la qualité de l’information fournie aux actionnaires et aux marchés, à
travers les comptes ou à l’occasion d’opérations importantes.
La double mission de gouvernance du conseil d’administration, c’est-à-dire défi-
nition de la stratégie d’une part et contrôle des résultats de l’autre, est contradictoire.
Comme le conseil est responsable de la stratégie, il sera toujours porté à être moins
critique face aux résultats. A priori, le problème est résolu par la séparation de ces
responsabilités, mais les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre suggèrent
que le problème de la concentration des deux pouvoirs n’est pas entièrement résolu.
Tant qu’il n’y a pas indépendance entre les deux pouvoirs, les risques d’errements
sont nombreux. Les choix d’organisation seront tout d’abord décrits avant d’aborder
les problèmes constatés.
Une mise en garde est utile en préalable à une discussion plus approfondie du
gouvernement d’entreprise. En France, moins de 700 entreprises sont cotées en
bourse sur un total de plus de 100 000 sociétés anonymes. Plus de 50 % du capital
en moyenne est détenu par un seul actionnaire (holding, particuliers, banques et
investisseurs institutionnels confondus) pour les sociétés cotées. Pour les sociétés
non cotées, plus de 65 % du capital est en moyenne entre les mains d’une personne
ou d’un groupe de personnes. On a dans ces cas un actionnaire majoritaire qui veut
être maître chez lui et qui décidera de cumuler les fonctions de président et de
directeur général. Si l’actionnariat est dispersé, comme c’est le cas pour les
298
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
1 Composition du conseil
Le conseil chargé du gouvernement de l’entreprise est une instance collégiale
de représentation des actionnaires et d’autres parties prenantes. Du fait de sa
nature collégiale, ce conseil détermine par lui-même sa composition et son mode
d’organisation. Dans sa composition il visera une bonne représentation des
actionnaires et il pourra choisir de faire entrer également des représentants des
principales parties prenantes de l’entreprise, des représentants des fournisseurs et
des clients, des banques, etc. Bien que le code de gouvernement des entreprises1
qui fait référence indique que « chaque conseil est le meilleur juge » de sa com-
position, le nombre d’associations de défense des intérêts des petits actionnaires
suggère qu’il y a des problèmes de représentation. À côté du capital avec les
représentants des actionnaires, il existe une volonté de faire entrer au conseil des
représentants des salariés. Le rapport Gallois2 sur la compétitivité en fait la
recommandation :
nistrateurs, et deux au-delà (loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 – voir
le commentaire de P.-Y. Gomez3). De plus, le mode de désignation du représentant
est à la discrétion de l’assemblée générale des actionnaires. La voix des salariés
risque d’être difficile à entendre, à rebours du modèle de cogestion allemand.
L’horizon temporel dans lequel s’inscrit l’action du conseil suivant sa composi-
tion et son organisation va privilégier plutôt le court terme ou le long terme (voir
les rapports qui sont disponibles sur les sites mentionnés dans la note de bas de
1. http://www.afep.com/uploads/medias/documents/Code_gouvernement_entreprise_societes_cotees_
Juin_2013.pdf
2. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-
publics/124000591/0000.pdf
3. http://www.alternatives-economiques.fr/administrateurs-salaries--une-nouvelle-occasion-manquee_fr_
art_1260_65725.html
299
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
2 Organisation du conseil
Le gouvernement de l’entreprise peut être organisé de plusieurs façons. Il peut y
avoir un conseil de surveillance avec directoire, qui sépare la direction de l’entreprise,
exercée de façon régulière par le directoire, du contrôle périodique de son activité par
le conseil de surveillance. Cette structure dualiste permet une séparation des pouvoirs
claire comparable au système allemand. Entre le directoire qui est formé de directeurs
et le conseil de surveillance qui est composé d’administrateurs, chaque groupe a un
président et une définition claire de ses attributions. Dans ce cas, c’est le président du
directoire qui présente le rapport financier et le rapport de gestion au conseil de sur-
veillance. Ce mode d’organisation repose sur l’indépendance des uns vis-à-vis des
autres et il est considéré comme exigeant. Une exigence que l’on peut considérer
comme nécessaire au vu des nombreux pouvoirs et intérêts croisés et de leurs effets
souvent néfastes. C’est le président du directoire qui va donner délégation de gestion
au directeur général. Cette forme juridique est minoritaire : 11 % des sociétés ano-
nymes en général, mais 22 % des sociétés anonymes cotées en Bourse2.
Il peut y avoir aussi un conseil d’administration regroupant les missions de
contrôle et de définition de la stratégie. Ce mode d’organisation est largement pré-
féré puisqu’il concerne 78 % des sociétés anonymes cotées. Pour la définition de la
stratégie et sa mise en œuvre, le conseil d’administration nomme un directeur géné-
ral auquel la fonction exécutive est déléguée. Le directeur général s’il n’est pas
président du conseil d’administration, fera ses propositions et présentera son rapport
1. 2003 Hampel Committee, The Combined Code on Corporate Governance http://www.ecgi.org/codes/documents/
combined_code_final.pdf ; 1995, Viénot, Marc, Le Conseil d’administration des sociétés cotées, http://www.ecgi.org/
codes/documents/vienot1_fr.pdf ; 1999, Viénot, Marc, Rapport du comité sur le gouvernement d’entreprise, http://www.
ecgi.org/codes/documents/vienot2_fr.pdf ; 1992, Cadbury, Adrian, Report of the Committee on the Financial Aspects of
Corporate Governance, http://www.ecgi.org/codes/documents/cadbury.pdf ; 2012, Gallois, Louis, Pacte pour la compé-
titivité de l’industrie française, http://www.fondafip.org/f1420_Rapport_.pdf ; 2002, Bouton, Daniel, « Pour un meilleur
gouvernement des entreprises cotées », Rapport du groupe de travail, http://www.ethosfund.ch/pdf/Code_France_
Bouton_FR.pdf ; 1996, Marini, Philippe, Modernisation du droit des sociétés, La Documentation Française ; 2003,
Clément, Pascal, Rapport sur la réforme du droit des sociétés, http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i1270.asp.
2. Données de la base DIANE – 2013.
300
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
1. http://www.afep.com/uploads/medias/documents/Code_gouvernement_entreprise_societes_cotees_
Juin_2013.pdf
2. http://discours.vie-publique.fr/notices/006003833.html
301
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
Section
2 RECRUTEMENT DU DIRECTEUR GéNéRAL
En recrutant un dirigeant, le conseil prend une décision importante. Il choisit une
personnalité qui devra assurer la défense des intérêts des actionnaires et qui bénéficiera
d’une grande autonomie de décision. Souvent, les personnes jugées les plus aptes à
assumer ces responsabilités sont recrutées de façon plutôt informelle dans les réseaux
des membres du conseil. L’appartenance aux réseaux des membres du conseil permet
en principe une connaissance de la personnalité, de la formation et du bon contrôle de
son comportement : tout abus le discréditerait face à son réseau. Un comité de sélec-
tion est formé par le conseil. Il joue un rôle important pour l’avenir de l’entreprise : il
est en charge de la composition des instances dirigeantes. L’existence d’un comité de
sélection formel lors du recrutement, plus qu’une instance ad hoc comme le « search
committee » et l’utilisation d’un cabinet de « chasseur de têtes », permet d’espérer une
démarche plus ouverte à des compétences en dehors du réseau. Pour conclure on peut
souligner que les nouveaux dirigeants recrutés à l’intérieur de l’entreprise elle-même
obtiennent dans l’ensemble de meilleurs résultats1.
La succession à la tête de l’entreprise doit être préparée avec soin. En préparant
un groupe de managers à ce type de responsabilités, en développant un plan de suc-
cession et ayant des administrateurs activement engagés dans la recherche, la per-
formance de l’entreprise est meilleure et le taux de départs rapides des nouveaux
recrutés moindre. Or le processus est souvent peu transparent même pour les
grandes entreprises, et même aux États Unis2. En moyenne, les recrutements exté-
rieurs sont pourtant source de problèmes beaucoup plus fréquemment, et donnent
lieu à un turnover plus rapide à la tête de l’entreprise.
La méthode de sélection des dirigeants n’est donc pas à l’abri de problèmes. Sur
les 40 sociétés du CAC 40, 39 ont au moins un administrateur en commun faisant
craindre des échanges de « bonnes manières » qui ont effectivement encore lieu.
Ainsi Patrick Kron, PDG d’Alstom, siège chez Bouygues, tandis qu’Olivier
Bouygues, directeur général de la société du même nom, est chez Alstom. C’est ce
qu’on appelle des « administrateurs croisés ». La figure 16.1 présente l’ensemble des
liens entre les entreprises du CAC40, constitués par des administrateurs communs.
Au total, sur les 480 administrateurs recensés, 15 % cumulent plus d’un poste.
Volontairement ou non, les dirigeants en place bénéficieront de l’indulgence du
conseil et d’appuis de nature « politique » dans leur réseau. La mission de surveil-
lance du conseil n’est plus assurée de façon très rigoureuse. Même lorsque le diri-
geant présente des résultats médiocres, ou lorsque la croissance est faible, ou encore
1. Voir Charan R. « Ending The CEO Succession Crisis », Harvard Business Review, Feb. 2005, 83, pp. 72-81
et Robertson R. : « Recruiting Your Next CEO: Practical Advice For Canadian Boards », Ivey Business Journal,
May/June 2008.
2. Charan (2005), op cit.
302
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
s’il y a des retards ou des dépassements sur les objectifs fixés, le conseil reste géné-
ralement très compréhensif.
En lui déléguant les pouvoirs exécutifs, le conseil charge aussi le directeur général
de proposer une stratégie. Le dirigeant est sur le terrain, il connaît l’entreprise et il
connaît aussi l’environnement. Il est donc le mieux placé pour définir une stratégie.
Le conseil peut cependant se saisir de toute question concourant à la bonne marche
de l’entreprise et aux affaires qui la concernent. Il dispose donc, en principe, d’un
vaste domaine d’intervention. Pour juger de la stratégie qui lui est proposée, le
conseil peut se doter d’un comité spécifiquement mandaté pour éclairer le conseil,
mais la procédure est lourde et difficile à mettre en œuvre. La gouvernance de
l’entreprise dépend donc de façon importante de la qualité du dirigeant. Une fois
qu’il est choisi, il est difficile de le révoquer et les quelques épisodes de révocation
ont été source de conflits au lieu d’être des actes de gestion normaux d’un conseil
d’administration soucieux de la performance de l’entreprise.
303
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
Section
3 Le Dirigeant
Le dirigeant reçoit une délégation de gestion du conseil d’administration ou du
directoire suivant les cas. Il est alors investi de pouvoirs étendus pour agir dans
l’entreprise et peut agir en son nom dans ses rapports avec des tiers. Chef de l’exé-
cutif par délégation, il est en charge de la définition de la stratégie, de la gestion
opérationnelle et de rendre des comptes au conseil d’administration ou au directoire.
Dans le cadre de cette définition, le dirigeant dispose en fait de pouvoirs très éten-
dus. Ce pouvoir n’est pas seulement déterminé par la délégation qui lui est donnée
mais aussi par un ensemble d’autres facteurs :
1. L’information concernant l’activité de l’entreprise et la situation de l’environne-
ment est centralisée par le dirigeant.
2. La définition de la stratégie, même si elle doit être validée, n’est généralement
pas contestée par le conseil d’administration.
3. L’organisation de l’entreprise est déterminée par le dirigeant, en cohérence avec
la stratégie.
4. Le recrutement et la désignation des responsables, ainsi que leur renvoi éventuel,
sont à la discrétion du dirigeant.
5. Le dirigeant bénéficie de la compréhension du conseil même en cas de résultats
moins bons qu’espérés.
Le contrôle de l’information qu’il centralise du fait même de ses responsabilités
donne au dirigeant une position forte tant par rapport à son entreprise que par rap-
port au conseil. L’exigence de transparence même si elle est respectée ne s’applique
qu’a posteriori, sur ce qui a été acquis et non sur ce qui est en train de se faire. La
présentation des comptes permet d’avoir une certaine idée du développement de
l’activité, mais les découpages, les consolidations et les clefs de répartition laissent
au dirigeant une discrétion importante. La mise en œuvre d’une stratégie est toujours
émergente et les manœuvres du dirigeant sont difficilement contestables. Enfin, pour
le management quotidien, les choix de structure organisationnelle, les nominations
et les départs sont entièrement du ressort du dirigeant. Il détermine la meilleure
organisation et les meilleures compétences pour la réalisation des objectifs.
Le pouvoir et l’autonomie qui se trouvent ainsi concentrés entre les mains du
dirigeant, lui permettent d’assumer pleinement ses responsabilités vis-à-vis du
directoire ou du conseil et des actionnaires. Mais c’est un couteau à double tran-
chant, l’autonomie du dirigeant peut aussi l’amener à des excès dont le conseil
pourrait ne prendre la mesure que tardivement. Pour éviter cet écueil, réintroduire
l’intérêt de l’actionnaire et inciter le dirigeant à inscrire son action dans le long
terme, les conseils d’administration ont parfois fait appel au système des stock-
options. C’est une forme de rémunération pour le dirigeant et certains cadres qui
donne l’option d’acheter, à un prix et à une date fixés d’avance, des actions de
304
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
Section
4 Les salariés
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1. Sanders W. G.and Hambrick D. C., “Swinging for the Fences: The Effects of Ceo Stock Options on Company
Risk Taking and Performance”, Academy of Management Journal. (2007), 50: 1055-1078.
2. http://www.lesechos.fr/04/05/2014/lesechos.fr/0203477674029_les-salaires-des-patrons-du-cac-40-reculent-
pour-la-troisieme-annee-d-affilee.htm
305
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
en œuvre la stratégie. Elle développe ainsi les routines et pratiques les plus effi-
cientes qui seront ensuite formalisées par la structure les règles et les procédures. De
même, l’alignement de l’action des membres de l’organisation n’est pas le simple
fruit de la hiérarchie et des incitations. Ici aussi d’autres éléments jouent un rôle
important dans le rôle actif que certains peuvent jouer dans l’adaptation de la struc-
ture organisationnelle et dans la réalisation des tâches dans le sens de la stratégie.
Le façonnement de l’environnement de travail contribue de façon importante à la
mise en œuvre de la stratégie et à l’implication des acteurs.
Le recrutement et la promotion des membres de l’organisation sont une étape impor-
tante non seulement pour identifier les compétences, mais aussi pour valoriser les
individus. L’attention qui est donnée à l’évaluation et à la sélection des personnes
permet à la fois de repérer des talents qui s’inséreront bien dans l’équipe mais aussi de
dire à quel point chacun est important et difficilement remplaçable. C’est pourquoi,
après une présélection et d’éventuels tests, il faut prendre le temps d’avoir des entre-
tiens avec les candidats, il faut les écouter et les informer sur les exigences du poste à
pourvoir. Quand le candidat sera choisi, il saura que c’est vraiment lui qu’on a cherché
et il sera disposé à donner le meilleur de lui-même. Des programmes personnalisés
d’introduction aux nouvelles responsabilités et aux membres de son équipe renforce-
ront encore le message. On a vu que la promotion interne est généralement un facteur
de stabilité et de performance pour le directeur général. C’est tout aussi vrai pour la
mobilité interne. La performance des cadres issus de la promotion interne est en
moyenne supérieure aux recrutements extérieurs. L’apprentissage de la culture et des
méthodes propres à l’entreprise est simplifié, ils sont aussi plus fidèles à l’entreprise
et leur rémunération est plus faible que pour ceux recrutés à l’extérieur1.
Le style de management doit être en ligne avec la personnalité du dirigeant. Qu’il soit
autoritaire ou participatif importe finalement assez peu. Il faut par contre rester cohérent
dans son style. De plus, ce qui compte c’est qu’il assume ses responsabilités, qu’il com-
munique clairement les décisions qui auront été prises, et qu’il sache être à l’écoute. Un
manager participatif ne doit pas prendre prétexte d’une décision collective pour pré-
tendre que personne n’est responsable. Le manager doit assumer la décision collective
ou la refuser et trouver une modalité de décision, ou encore démissionner de sa respon-
sabilité. Tous ces facteurs concourent à une chose essentielle : la confiance entre les
salariés. La confiance ne se décrète pas. Le dirigeant ne peut faire qu’une seule chose :
se montrer fiable. En constituant une équipe qui sait où elle en est grâce à la qualité de
la communication et qui sait à quoi s’en tenir de la part du dirigeant en matière de
méthode de management et de reconnaissance, le dirigeant bénéficiera d’une équipe qui
agira de façon juste même dans des circonstances difficiles. De haut en bas, l’organisa-
tion est marquée par les comportements de son dirigeant : en l’absence d’information,
des rumeurs vont se propager, une mauvaise information va donner lieu à de nombreuses
1. Bidwell M., « Paying More to Get Less. The Effects of External Hiring versus Internal Mobility »
Administrative Science Quarterly, 2011, 56, pp. 369-407.
306
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
interprétations sur lesquelles les uns et les autres vont s’engager, créant des conflits.
Hormis le style personnel et le comportement en cohérence, il faut que la stratégie du
dirigeant soit parfaitement articulée. Il ne peut pas être clair avec son équipe si sa straté-
gie ne l’est pas ! Mais avec une stratégie claire, une communication efficace, un style et
une méthode cohérents, la mise en œuvre est considérablement renforcée notamment par
le relais positif donné par l’encadrement.
Section
5 Structure organisationnelle
La configuration de l’organisation et l’alignement des actions à tous les niveaux
sont le résultat de la conjugaison de facteurs différents. D’une part, d’après l’école
de la contingence structurelle l’organisation était déterminée par l’environnement et
en particulier par la taille et la technologie. Mais la prise de conscience du rôle des
dirigeants qui ont une vision stratégique et qui s’efforcent de la mettre en œuvre,
révèle une tension entre le pouvoir du dirigeant et les contingences environnemen-
tales. Les dirigeants peuvent faire des choix stratégiques sur l’environnement, sur les
critères et niveaux de performance et sur l’organisation elle-même. Ces décisions à
la fois délibérées et réactives nécessitent l’exercice d’un pouvoir exécutif et sont de
nature politique : les intérêts des acteurs influencent les choix stratégiques.
Sous l’influence du dirigeant, l’organisation tout entière va traduire sur le terrain les
orientations et les choix stratégiques. Les moyens pour cette mise en œuvre sont mul-
tiples : systèmes d’information et de contrôle, systèmes d’incitation à court et à long
terme, individuels ou par groupes, plans d’actions, etc. Le problème est de savoir com-
ment définir les tâches de chacun et les regrouper sous une même personne ou au sein
d’entités organisationnelles, telles que services et départements. Trois règles sont géné-
ralement retenues. La première est de définir la meilleure coordination possible d’un
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307
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
308
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
subordonnées aux activités stratégiques. Les achats peuvent ainsi faire partie inté-
grante de la production, ou être séparés s’ils sont jugés d’importance stratégique ou
critique pour l’activité de l’entreprise. Après le découpage, les unités doivent être
coordonnées. Elles ont une certaine autonomie, mais elles doivent servir le flux
d’activité de l’entreprise de façon continue ou de façon périodique. Cette coordina-
tion est programmée et fait partie de la routine de fonctionnement. Mais l’activité
est toujours confrontée à des incertitudes, que ce soient des ruptures d’approvision-
nement, l’installation de nouveaux équipements, des contrôles et des opérations de
maintenance, des pannes, etc. Dans ces cas, lorsque l’une des unités est affectée
alors que les autres tournent normalement, le dirigeant doit assurer la coordination,
et prendre les mesures appropriées. Il travaillera pour ce faire avec les directeurs
d’unités.
L’organisation par fonctions, du fait de la spécialisation des unités génère parfois
des conflits entre ces dernières. La spécialisation des uns les rend insensibles aux
priorités des autres. La recherche technologique est essentielle pour le développe-
ment, mais elle peut retarder ou désorganiser la production. Il appartient alors au
directeur général d’anticiper ou de trancher ce genre de conflits. Les organisations
par fonctions demeurent néanmoins l’une des formes organisationnelles les plus
adéquates pour une activité industrielle ou de service dans des environnements
stables. En effet, la spécialisation des unités, la répétitivité des tâches et leur stan-
dardisation permet de bénéficier à plein des effets d’échelle et d’assurer une produc-
tivité élevée.
Direction
Services centraux
(finance, personnel,
contrôle, etc.)
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309
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
une même entité, avec des stratégies propres. Dans certains cas, l’acquisition ou la
fusion donne lieu temporairement ou non, à une structure par opérations si la déci-
sion est de laisser les organisations d’origine fonctionner sans interférence. C’est
parfois le cas si l’acquisition vise à apprendre un nouveau métier, ou à connaître un
nouveau marché.
Dans une organisation par opérations chaque unité va regrouper l’ensemble des
moyens, des ressources et des expertises en vue d’assurer la fourniture d’un produit ou
d’un service. Ainsi, chez Danone, on trouve quatre activités (produits laitiers frais, les
eaux, la nutrition infantile et la nutrition médicale), elles-mêmes divisées en départe-
ments responsables d’une gamme de produits ou d’une marque. Il y a ici deux niveaux
« d’opération » : la division ou l’activité qui regroupe les produits qui ont des caracté-
ristiques essentielles communes, comme les produits frais. Parmi les produits frais,
des produits sont distingués par marque : Danone, Activia, Actimel, etc. Cette struc-
ture organisationnelle permet de développer une stratégie de groupe, qui encadre une
stratégie par division, et finalement une stratégie produit/marché. De plus, tout en
reflétant les choix stratégiques à différents niveaux, ce mode d’organisation permet de
mutualiser certaines fonctions (logistique ou approvisionnement par exemple), d’en
singulariser d’autres (technologie de production ou marketing par exemple) et enfin de
partager des savoir-faire essentiels par rotation du personnel ou par groupes de travail
qui assurent la coordination latérale. Les entreprises du secteur pétrolier présentent un
autre profil. Elles regroupent des activités qui ne sont liées que par le flux de produc-
tion, de l’exploration, à l’exploitation, au transport, au raffinage, à la distribution. Pour
pouvoir tirer le meilleur parti du potentiel de valeur créé par l’exploitation d’un puits
de pétrole, l’entreprise doit faire à la fois la recherche en amont et tout le processus de
transport et de traitement faute de quoi elle perdrait le contrôle sur un maillon de la
chaîne. Peu d’activités sont sous-traitées, sauf l’exploration et le forage où des sociétés
de service, comme Schlumberger et Halliburton, se sont développées comme presta-
taires incontournables du fait de leur maîtrise technologique.
Dans ce type d’organisation, chaque responsable qu’il soit au niveau de la division
ou du produit ne se trouve plus dans une situation d’interdépendance fonctionnelle,
mais à la tête d’une unité qui fonctionne pratiquement de façon autonome. De plus,
cette forme organisationnelle en unités opérationnelles quasi-indépendantes permet un
contrôle des performances de l’activité sous la direction du responsable, au lieu d’être
noyé dans un système fonctionnel relativement complexe. Le prix à payer pour cette
simplification est la redondance d’un certain nombre de fonctions comme la compta-
bilité ou les ressources humaines, par exemple. L’existence d’une fonction marketing
assez développée pour chaque ligne de produit est au contraire souhaitable si cette
fonction est considérée comme une activité stratégique. Les avantages d’une organisa-
tion par opération ne doivent donc pas faire oublier son coût. Pour bénéficier des
avantages de l’autonomie, les unités doivent disposer d’une large indépendance de
moyens, en ayant, par exemple, leurs propres forces de vente. Mais ce principe d’indé-
pendance de moyens peut être mitigé par la mise en commun de certaines ressources.
310
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CONSEIL D’ADMINISTRATION
COMITÉ EXÉCUTIF
Achats
Contrôle interne et Audit Affaires publiques
Développement Ressources humaines Systèmes Direction Direction Conseillers
Appréciation
Direction d’information de la Direction Direction stratégie auprès du
durable & Environnement Sûreté des risques
financière & Télé- commu- juridique scientifique et Intelligence directeur
et Assurances
Executive Careers Sécurité industrielle communications nication économique général
and Management
Exemple de l’organisation par activités chez Total en 2015
Upstream
- Exploration Raffinage - Chimie Marketing & Services
311
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
3 L’organisation « matricielle »
L’organisation matricielle permet de traduire sur le terrain la double priorité don-
née à des objectifs stratégiques interdépendants de grandes entreprises. Dans cer-
tains cas, le développement de l’entreprise dans différentes régions du monde est
considéré comme essentiel, tout comme la fabrication à grande échelle de produits
complexes. Il en va ainsi pour la pharmacie et notamment pour les produits géné-
riques. D’une part, il s’agit d’être reconnu et en conformité avec les réglementations
locales, et de l’autre de produire et d’acheminer les quantités suffisantes. L’organi-
sation matricielle permet ainsi de mettre en œuvre la stratégie qui doit s’adapter à
l’environnement et un système de production élaboré à l’échelle mondiale pour
assurer les coûts les plus faibles.
Comme dans les autres structures, le contenu des divisions, des activités ou des
fonctions est défini par le dirigeant lorsqu’il déploie sa stratégie. L’organisation
matricielle a la particularité de croiser les lignes d’autorité, puisque justement ce
choix n’a pas été fait avec cette structure. À l’intersection, le manager est soumis à
une double autorité et doit intégrer des objectifs potentiellement incompatibles. Cela
lui laisse une certaine discrétion dans son action puisqu’il se trouve dans la nécessité
d’arbitrer entre les deux. Mais cette responsabilité et l’ambiguïté qui se développe
sont aussi une source de stress. Seul un profil capable de gérer ce stress réussira dans
ce type de position. Confronté à des contradictions sérieuses, le manager pourra
aussi réunir ses supérieurs et les mettre en face de son dilemme, ou encore demander
l’arbitrage de la direction générale. Mais ce sont des solutions difficiles à mettre en
œuvre qui, de plus, risquent de lui coûter son poste. La structure matricielle adaptée
pour des stratégies à objectifs complexes fonctionnera si les acteurs aux différents
niveaux de direction savent se faire confiance, non pas les yeux fermés mais dans
une collaboration constructive. L’équilibre se trouve en marchant.
L’organisation matricielle permet aux grandes entreprises de poursuivre des prio-
rités stratégiques interdépendantes sans imposer de redondances excessives en
termes de coût et d’organisation., L’entreprise pharmaceutique Teva (voir figure
16.4) peut, par exemple, maintenir une stratégie de générique dans un environne-
ment intensément compétitif, et s’attaquer au marché des médicaments innovants en
s’appuyant sur la même organisation fonctionnelle. Pour réussir, les dirigeants de
l’entreprise doivent communiquer intensément pour faire les ajustements perma-
nents entre les directions croisées.
312
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
Erez Vigodman
President & CEO Nir Baron
SVP, Chief
Internal Auditor
Richard Egosi
Group EVP,
Chief Legal Officer
Eyal Desheh
Group EVP,
Chief Financial Officer
Mark Sabag
Group EVP,
Chief Human
Resources Officer
Iris Beck-Codner
Group EVP, Notes :
Corporate Marketing • Nir Baron, SVP, Chief Internal Auditor, reports also to the
Excellence & Communication Chairman of the Board, and is not an executive member
• Also reporting to the CEO: Eric Drapé, Group EVP, Global Quality
TBD
(reports dotted-line to President and CEO, Global Operations);
Corporate Development,
Kevin Mannix, VP, Head of Global Investor Relations
Strategy and Innovation
(dual reporting to the CFO); and Tomer Amitai, VP, Corporate
Group
Coordination & Support, Office of the President & CEO
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
4 L’entreprise en réseau
L’entreprise en réseau est constituée d’unités décentralisées qui coordonnent leur
action à distance. Ce type d’organisation permet de mettre en œuvre une stratégie de
collecte, d’échange et de distribution flexible de ressources et d’informations. Les
unités sont plus ou moins autonomes et sont généralement coordonnées de façon
centrale. Avec le développement des technologies de l’information, la centralité de
la coordination est devenue plus simple. Un réseau d’écoles supérieures, par
exemple, peut développer des complémentarités et des spécificités tout en laissant
313
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
314
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
FONCTIONNEMENT DE
MÉDECINS SANS FRONTIÈRES
PROJET (terrain)
COORDINATION (capitale)
315
Chapitre 16 ■ Organisation et alignement stratégique
Cette organisation est remarquable par sa simplicité avec seulement trois niveaux
pour un déploiement mondial. Elle repose sur une division claire des tâches et des
lignes hiérarchiques spécialisées. Outre l’organisation opérationnelle et comme
beaucoup d’organisations non gouvernementales, Médecins Sans Frontières com-
prend un exécutif composé de la direction générale, des opérations, du département
médical, de la collecte, de la communication, des ressources humaines, de la logis-
tique, etc. La partie collecte de l’organisation se trouve dans le secteur concurrentiel.
Du fait de sa visibilité et de sa réputation, cette activité est relativement aisée. 90 à
95 % des fonds collectés sont d’origine privée.
L’organisation en réseau permet d’agir de façon décentralisée sur le terrain ou au
contraire de mettre en commun des ressources pour un objectif collectif ou bien
central. La réaffirmation de la raison d’être de l’organisation est continuellement
nécessaire, portée par une combinaison d’actions qui aboutissent et par la commu-
nication. L’identité forte d’une organisation, comme celle de Médecins Sans Fron-
tières qui porte à la fois secours à ceux qui en ont besoin et qui maintient son
indépendance, renforce plus encore le lien entre ses membres. Plus l’organisation est
professionnelle, plus ce genre de valeurs est nécessaire au maintien de la perfor-
mance sur le terrain.
5 L’organisation internet
L’organisation internet présente des caractéristiques radicalement nouvelles. Toute
entreprise pouvant tirer parti d’une relation directe avec le public au sens le plus
large trouvera avec Internet un outil essentiel. En tout premier lieu, les moteurs de
recherche qui permettent un accès rapide à une masse quasiment infinie d’informa-
tion. Ces organisations qui se caractérisent par une taille relativement petite pour un
impact énorme peuvent profiter d’un effet de levier important. Tout avantage dans le
marché a un effet accélérateur. Plus elles sont consultées, plus elles gagnent en puis-
sance et plus elles sont rentables. Les profits sont faits de façon indirecte car le
service est gratuit. La vente aux enchères de mots clés et des activités liées comme
la publicité sur le site permettent de rentabiliser l’activité. L’effet d’accélération lié
à la taille explique la domination de Google, d’Amazon pour les sites marchands et
de Facebook pour les réseaux sociaux. Dans chaque cas, ces organisations per-
mettent d’atteindre gratuitement le plus d’information, de choix, ou de monde au
travers d’un seul lien. Face à eBay dont les services sont payants, la stratégie défen-
sive du site marchand Alibaba en Chine a été de créer Taobao qui offrait les mêmes
services gratuitement. Taobao a ainsi su conquérir une position dominante très rapi-
dement et forcer eBay à quitter le marché ; eBay n’ayant pas su se libérer d’une
conception classique de commission sur les transactions.
Face à cette dominance, la stratégie des organisations de moindre taille a été de se
spécialiser ou de se démarquer autrement. Pour une entreprise commerciale, la
316
Organisation et alignement stratégique ■ Chapitre 16
relation directe avec le client a permis de développer des communautés qui peuvent
contribuer au produit ou au service. Le site de tourisme cherchera à obtenir des cri-
tiques de restaurants et d’hôtels. Un site de vente de T-shirts a même réussi à déve-
lopper une communauté qui développe des graphismes pour orner les T-shirts.
L’interaction entre les internautes est très organisée. Chacun peut soumettre des
graphismes qui seront vus en ligne et critiqués. Par l’accumulation de commentaires,
les meilleurs projets sont identifiés. Ils gagnent un prix et le graphisme sera imprimé
sur les T-shirts mis en vente, en tirage limité. Au sein de la communauté, les
échanges sont dynamisés par la diversité des rôles que les uns et les autres peuvent
jouer et des avantages qu’ils y trouvent. Cette entreprise a entièrement extériorisé la
conception et se limite à produire les maillots, à les expédier et à animer le site. De
façon non-commerciale, Wikipedia tire parti des connaissances du public pour
constituer une encyclopédie très complète, financée pour sa part par des dons indi-
viduels. De nombreuses initiatives voient ainsi le jour, qui développent une écono-
mie de partage, du « crowdsourcing », où les petits apports individuels financent des
projets intéressants, à l’autopartage et aux sites d’échange.
Par le développement d’Internet, le coût marginal de biens et de services est réduit
voire nul. L’industrie musicale, le cinéma, le livre et les journaux sont tous lourde-
ment affectés et ont de grandes difficultés à se transformer. Le partage de moyens
comme l’automobile ou l’échange de logements réduit les besoins et donc la
demande. Dans cet environnement, la stratégie consiste à inventer un modèle écono-
mique qui fasse intervenir des activités complémentaires couplant l’achat d’un pro-
duit ou d’un service avec des éléments comme l’information ou la création ou
l’évaluation. La stratégie de l’entreprise implique une bonne connaissance de la
communauté et de ses réactions afin de pouvoir la gérer. Certaines informations,
certaines manœuvres, une alliance stratégique peuvent générer un « buzz » positif
ou négatif capable de faire et de défaire l’entreprise. Pour toutes ces potentialités,
l’organisation internet est donc le plus fragile des modèles évoqués mais aussi celle
qui connaît les développements les plus impressionnants.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
317
Conclusion
Dans les systèmes complexes, l’ordre, imposé par le sommet, n’est que tempo-
raire. De manière fréquente, l’entreprise se trouve dans un univers où la prévision
est impossible. La seule manière de procéder est alors d’avancer à petits pas et de
revoir fréquemment le déroulement des actions qui ont été entreprises dans le but de
les réactualiser. Il s’agit ici de rendre le déroulement des actions plus linéaire. Dans
le domaine de l’organisation, on parle d’approches incrémentales, suivant lesquelles
aucune action irréversible n’est mise en œuvre afin d’éviter de pousser le système
en dehors de son cadre de fonctionnement. Ce faisant, l’entreprise peut, en temps
réel, réorienter sa stratégie, la modifier, la remettre en cause si nécessaire en fonction
des opportunités qui se présentent, des modifications non anticipées de l’environne-
ment, des événements de toutes natures qui viennent peser sur le bon déroulement
de ce qui a été initialement projeté.
Nous sommes dans la situation similaire de celle d’un enfant qui souhaite
construire un Lego géant sans en avoir le plan précis, mais seulement une vision
d’ensemble. Vision qui se forme et se déforme au fur et à mesure que chaque pièce
est ajoutée et retirée en fonction des difficultés et des possibilités nouvelles d’amé-
nagement qui apparaissent. Bien entendu, cette approche a des limites dans la
mesure où il est parfois difficile à l’entreprise de procéder par ajustements succes-
sifs. Des sauts qualitatifs et quantitatifs sont parfois nécessaires afin qu’elle puisse
320
Conclusion
devenir ou demeurer un acteur crédible du marché. Il s’agit enfin d’un pis-aller, car
même une petite action peut entraîner à terme des changements d’envergure, remet-
tant en cause l’ordre initial souhaité.
Favoriser le débat
Dans les contextes caractérisés par l’incertitude et la complexité, une démarche
plus ouverte de choix stratégique, où le débat a lieu, où le chef n’a pas forcément
raison et où les a priori peuvent être remis en cause, peut aider à la découverte de
voies inhabituelles qui rompent avec les cadres de référence du passé. Il s’agit, pour
ce faire, d’adopter une véritable dialectique dans laquelle les acteurs ont la possibi-
lité de s’exprimer, de remettre en cause les schémas dominants, d’en proposer des
alternatives et d’arriver à une représentation plus fidèle du monde. La société Shell,
depuis longtemps, procède ainsi avec sa méthode fondée sur les scénarios prospec-
tifs dont l’objectif est de créer, chez son personnel, de véritables cartes mentales lui
permettant, lorsque l’environnement se découvre, d’être prêt à apporter les réponses
appropriées. De même, les réunions entre le personnel et ses dirigeants à tous les
niveaux de la hiérarchie de la General Electric, les fameux « work-out » organisés
pour critiquer, débattre, suggérer, s’inscrivent dans une perspective analogue. Enfin,
chez d’autres, la fixation des objectifs stratégiques entre opérationnels et leur direc-
tion est une occasion pour discuter des enjeux et des orientations futures souhai-
tables dans un débat ouvert, pendant lequel chacun s’exprime et a la possibilité de
remettre en cause les normes établies.
Expérimenter
Une autre voie à suivre pour l’entreprise est l’expérimentation. L’expérimentation
permet de préparer l’entreprise à des futurs inconnus. L’entreprise, en développant
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
321
Stratégies
ce que le futur leur réserve. Elles ont une intuition vague de l’évolution de leur envi-
ronnement, mais ne connaissent pas la tournure que prendront les événements. Dans
un autre registre, il y a quelques années, la société Kenwood, dans l’électroménager,
expérimentait lorsqu’elle mettait sur le marché une dizaine de nouveaux produits par
an et laissait ce dernier décider de ceux, parmi ces produits, qu’elle devait retenir.
322
Conclusion
la routine et des stratégies qui ont « fait leur preuve ». C’est ce qu’avait bien compris
General Electric, en mettant en place son programme « destroyourbusiness.com » à
l’arrivée d’Internet, afin de remettre à plat l’intégralité de ses pratiques au regard de
la révolution à venir. Le passage d’une stratégie produit à une stratégie de marque
chez Danone s’inscrit dans une démarche analogue. La stratégie de l’entreprise et
son portefeuille d’activités ont été revus de fond en comble au regard de cette nou-
velle orientation. De façon similaire, Microsoft a procédé à un changement radical
de sa stratégie initiale face au développement de nouveaux types de terminaux tels
que les téléphones mobiles, les tablettes et autres « phablettes » et « clamshells »,
remettant en cause des pratiques qui avaient bien réussi dans le passé. De même,
aucune entreprise ne pouvant se trouver dans des situations fidèlement comparables,
il est peu vraisemblable que le transfert de stratégies éprouvées chez l’une au béné-
fice d’une autre puisse apporter les mêmes résultats. Dans ce cas, l’entreprise doit
faire preuve d’imagination en s’appuyant sur les pratiques externes comme sources
d’inspiration, mais doit surtout éviter de tomber dans le piège de la simple imitation.
Nous passons ainsi de la mesure industrielle au cousu main, de la démarche pla-
nifiée à l’artisanat, du volontarisme à l’adaptation, des certitudes à l’imagination. Le
dirigeant de l’entreprise complexe navigue entre l’immobilisme et le chaos, là où les
émergences sont possibles, où les changements se font. Il crée les conditions qui
favorisent l’émergence de nouvelles stratégies et formes d’organisations, il instaure
une véritable dialectique, il expérimente, il offre des espaces de liberté tout en
conservant en tête enjeux et sens de l’action.
323
Index
Avantage
A
concurrentiel 19, 109, 114, 116, 117,
Acquisition 149, 160 135, 223
Acteur(s) 2, 33, 52 de coût 135
Actif net comptable 252 de différenciation 219
Actionnaire 134
Activités primaires 115 B
Adaptation 209
Barrière(s)
Alignement stratégique 307
à la mobilité 99
Alliance 140, 168, 208
à la sortie 80
Alliés 53
à l’entrée 78, 80
Analyse
Barrières à l’entrée 182
de la concurrence 83
Base politique 52
de la demande 73
Bas-haut 40
de l’environnement 48
Boston Consulting Group 240
de l’offre 76
Business strategy 19
de portefeuilles d’activités 240
des compétences 104, 108
C
financière 104, 121
Approches incrémentales 320 Canaux de distribution 79
Atouts 28, 48 Cannibalisation 137
Attrait du marché 243 Capacités stratégiques 104
Audit Centres d’activités stratégiques 47, 93
des ressources 104 Chaîne de valeur 104, 114, 180, 210
interne 104 Changement émergent 295
Autonomie 310, 320 Changement organisationnel 97
Stratégies
326
Index
327
Stratégies
328
Index
de contingence 29 Système
délibérée 21 de management 49
émergente 21 d’incitation 43
générale 19 politique 53
politique 54
Structure T
des coûts 77
organisationnelle 184 Tâches 12
Style du dirigeant 14 Taux de rentabilité 249
Substitution 205 Traitement des informations 69
Sun Tse 18 Transactions 180
Surcapacité 76 Transfert d’expertise 157
Surplus de liquidités 157
Surveillance de l’environnement 58, 63, 64 V
SWOT 104, 286
Synergies 132, 182, 184, 209 Valeur
financières 153 de la cible 165
opérationnelles 153 économique 247
329
Management Sup
Strat�gie de l’entreprise
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