Vous êtes sur la page 1sur 182

Gilles VERRIER

Nicolas BOURGEOIS

Faut-il libérer
l'entreprise ?

C o n fia n c e , r e s p o n s a b ilité
e t a u t o n o m i e a u tr a v a il

T3
O
crj
Q
O
fN
Préface de
Jean-Dominique
D.
O
Senard
(J

DUNOD
M ise en page : B elle Page

Le pictogramme qui figure ci-contre d'enseignement supérieur, provoquant une


mérite une explication. Son objet est baisse brutale des achats de livres et de
d'alerter le lecteur sur la menace que revues,au pointquc lapossibilité même pour
représente pour l'avenir de l'écrit, les auteurs de créer des œuvres
particulièrement dans le domaine DANGER nouvelles et de les faire éditer cor­
de l'édition technique et universi­ rectement est aujourd'hui menacée.
taire, le développement massif du Nous rappelons donc que toute
photocopillage. reproduction, partielle ou totale,
Le Code de la propriété intellec­ de la présente publication est
tuelle du 1®'"Juillet 1992 interdit interdite sans autorisation de
en effet expressément la photoco TUELELIVRE l'auteur, de son éditeur ou du
pie à usage collectif sans autori - Centre français d'exploitation du
T3 sation des ayants droit. Or, cette pratique droit de copie (CFC, 20, rue des
O
c s'est généralisée dans les établissements Grands- Augustins, 75006 Paris).
rj
Q
O © Dunod, 2016
fN
5 me Laromiguière, 75005 Paris
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-074517-3
D.
O
(J
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article
L. 122-5, 2° et 3° a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »
et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et
d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite
sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est
illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue­
rait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du
Code de la propriété intellectuelle.
T A B L E D E S M A T IE R E S

Remerciements IX
Préface XI
Introduction 1

1 Létat des lieux : quelles réflexions


et pratiques innovantes ? 7
Au cœur des débats, la notion d’entreprise libérée 8
Le taylorisme et sa critique 17
Les innovations organisationnelles
et managériales depuis les années 70 20
Les réflexions récentes 29
Une première analyse 37
2 Lenquète ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 41
Les transformations qui s’imposent aujourd’hui à l’entreprise 41
Les réalités des entreprises aujourd’hui et les blocages 54
T3
O
c:d Réinventer l’entreprise, une nécessité 69
a
3 Les fondations ; quels repères
O
fN et quelles convictions pour transformer l'entreprise ? 79
@
SI Les limites de l’entreprise libérée 79
DI
Les bases d’une démarche 92
D.
O Les cinq notions clés 94
(J
Apprendre des jeunes entreprises 108
Les principes d’action 112
4 La mise en œuvre : quels leviers actionner ? 117
Définir et animer des éléments de sens, boussole
et source d’engagement 118
Formaliser une stratégie construite et portée par tous 122
Assurer la montée en responsabilité et en compétence 124
VIII FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

Mettre en place des structures facilitantes 126


Réguler les interactions 130
Construire des politiques RH partagées 131
Repositionner les managers 133
Centrer les fonctions support sur la création de valeur 138
Repenser le rôle et la posture du dirigeant 140
Par où commencer ? 141

Conclusion 143
Annexe 146
Bibliographie 167
Index 169

T3
O
crj
Q
O
fN

D.
O
(J
R E M E R C IE M E N T S

C et ouvrage est le résultat d’un travail d’équipe. Caroline del Torchio,


Emmanuel Fatras et Adrien Fender, tous trois senior managers au sein
d’identité RH, se sont particulièrement impliqués dans sa production.
Jeune entreprise. Identité RH tente de s’appliquer à elle-même les
convictions développées dans ces pages.

■OD
C
:d
O
O
fN
@
s:gi
Q.
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
о
и
PREFA CE

N ous vivons un moment paradoxal. D ’un côté, tout concourt à pousser


l’entreprise vers des formes de gouvernance et de management
fondées sur la liberté, l’initiative et la responsabilité. De l’autre, jamais les
systèmes de pilotage de la performance et du progrès, servis par l’évolution
galopante des techniques de l’information et de la communication, n’ont
apporté de telles possibilités de centralisation et de contrôle.
Attentifs aux drames qui ont secoué certaines entreprises, les managers
écoutent de plus en plus les sociologues et les psychologues du travail qui
voient dans le développement du pouvoir d ’a gir le moyen de les éviter. Ils
encouragent l’intervention d’ergonomes de l’activité, là où ils perçoivent
des risques psychosociaux. Ils observent avec inquiétude alors même que
les conditions de travail se sont constamment améliorées et continuent de
le faire, jamais la société ne s’est montrée aussi sujette à ce qu’on nomme la
« souffrance au travail ». Ainsi, la souffrance ne proviendrait pas tant de
la pénibilité du travail (puisqu’elle tend à diminuer) que du contexte dans
lequel il s’effectue et de ses formes. Le stress ne serait pas tant généré par
l’intensité de l’effort que par la complexité des organisations et leur lot
(^injonctions contradictoires. Au travail, la personne humaine étoufferait
T3
O sous les prescriptions et le contrôle et développerait la frustration de
crj potentialités ignorées... Sur ces questions, les analyses sont riches et
Q
profondes, la littérature abondante.
La part croissante que prennent les nouvelles générations dans le
fonctionnement des entreprises appelle aussi cette attention aux formes de
5-
l’activité de travail. Je ne crois pas que les attentes de ces générations soient
Q.
O radicalement différentes de celles des générations précédentes. Elles sont
U
l’expression des besoins vitaux de l’âme humaine, et ces besoins sont de
toutes les époques. La différence des générations réside davantage dans la
manière - largement déterminée par l’éducation - dont elles supportent
que ces besoins ne soient qu’imparfaitement satisfaits. L’évolution sociétale
appelle ainsi l’entreprise, soucieuse d’attirer et de conserver les talents, à
plus de liberté et de responsabilité, moins de formalisme, plus d’agilité,
moins de contraintes et d’exercices imposés, plus de développement
3 personnel et de lien social...
Û
©
XII FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

De fait, au moins d’un point de vue intellectuel, la page du taylorisme se


tourne, et il y a maintenant longtemps que le monde de l’entreprise, des
professeurs de management et des consultants s’emploie à la tourner. De
Douglas McGregor, avec sa théorie Y qui prend en 1960 l’exact contre-pied
des prémisses de la théorie taylorienne, à Isaac Getz et Brian M. Carney qui
prônent, de façon quasi-militante, « l’entreprise libérée », en passant par les
dizaines de travaux et d’expériences qui ont fait profondément évoluer nos
modèles de management, nous voyons bien que, dans les choix d’organisation
qui s’offrent à nous, le facteur humain n’a jamais été aussi central.
Nous avons tous grand besoin de remettre l’ensemble de ces travaux en
perspective. L’évolution ne consiste pas en une succession de nouveautés
qui élimineraient les acquis antérieurs. Elle est la combinaison de ce qui,
dans ces acquis, conserve une valeur durable et inspire des pensées nouvelles
qui en modifient la forme, et parfois en infléchissent le fond. Cette mise en
perspective est, de mon point de vue, un premier mérite de l’ouvrage que
nous proposent aujourd’hui Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois.
En tout état de cause, l’entreprise sait désormais que les organisations, les
méthodes et les outils les plus éprouvés ne suffisent plus à fonder sa
compétitivité sur des bases durables. Ces éléments sont certes nécessaires et
je crois qu’ils le resteront. Mais lorsqu’ils ont pour effet de réduire la
motivation et, au-delà de la motivation, l’engagement des personnes, ils
nous font perdre trois atouts essentiels : la qualité de la relation clients,
l’innovation et l’agilité. Or, sans ces atouts, la compétitivité s’évapore
inexorablement.
T3
O
Le paradoxe se tient précisément là. Au moment même où nous nous
c:
3 sommes persuadés que la libération des énergies était devenue à la fois une
Û
obligation morale au titre de la responsabilité sociale de l'entreprise et la
O
fM condition première de son efficience, nous avons développé des systèmes de
(5) commandement et de contrôle d’une extrême sophistication. Là où le
taylorisme avait essentiellement façonné l’activité ouvrière, la combinaison
>-
Q.
O des systèmes d’information, des systèmes qualité et du contrôle interne ont
U
étendu la capacité des grandes organisations à mettre tout et chacun sous
contrôle. L’obligation dans laquelle nous avons été de garantir l’impossibilité
du faux pas ou, pire encore, de la malversation nous a conduits à refuser
l’erreur et à encadrer strictement l’activité de tous les employés au moyen de
référentiels et de standards. Imposés du haut, ceux-ci ont fait naître ce
sentiment d’enfermement, de complexité et de lourdeur administrative, de
lenteur décisionnelle, de réduction du pouvoir d'agir, d’où émane
aujourd’hui l’essentiel de la souffrance au travail, mais aussi certaines limites
à l’efficience opérationnelle.
Préface XIII

La libération des énergies suppose cette liberté et cette responsabilité qui,


combinées, définissent l’autonomie avec son corollaire, le droit à l’erreur.
Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois rendent bien compte des deux modèles
d’entreprise qu’opposent I. Getz et B. M. Carney, l ’entreprise comment et
l ’entreprise pourquoi. C ’est bien entre ces deux modèles que nous avons à
choisir. La nécessaire libération des énergies exclut que ce soit tout l’un.
Nous ne savons pas encore si, au regard de leur taille, de leur complexité, de
leur histoire et de leur culture, toutes les entreprises peuvent demain devenir
tout l’autre.
Pour ma part, je discerne une forte parenté entre cette conception et le
principe de subsidiarité qui m’est cher, tant en ce qui concerne la vie de la
cité que pour ce qui touche l’activité de l’entreprise. Ce principe, qui
recommande que les échelons supérieurs ne se substituent jamais aux
échelons inférieurs dans les affaires dont ceux-ci sont capables de s’acquitter
de leur propre initiative, pose en corollaire le devoir d’assistance des
premiers vis-à-vis des seconds. Aide, et non substitution, c’est-à-dire
développement des capacités des différents échelons à conduire leurs
affaires de façon autonome. En d’autres termes, intervention en cas de
nécessité, puis retrait.
Pour les concepteurs du principe de subsidiarité, il s’agissait de répondre
à deux besoins essentiels : d’une part respecter la dignité humaine en
donnant à chacun la possibilité d’exprimer la plénitude de ses talents ;
d’autre part assurer la capacité de la cité à se gouverner efficacement en
évitant de disperser l’esprit et la volonté des organes dirigeants dans des
T3
affaires qui n’étaient pas de leur niveau, au risque d’amoindrir leur capacité
O
c
rj à prendre la hauteur nécessaire à un bon gouvernement.
Q
On ne voit pas de raison de penser qu’un tel principe ne s’appliquerait
O
fN pas à l’entreprise. Il s’y trouve à tout niveau une somme d’expérience qui
@ inspire une confiance sans laquelle l’autonomie ne saurait être concédée.
CT
‘s_
Un fort maillage managérial et de solides dispositifs de formation
Q.
O permettent la diffusion des valeurs professionnelles, des principes d’action
U
et des buts de l’organisation. Dès lors, point n’est besoin de tout prescrire
ni de tout contrôler a priori. Il suffit que chacun, bien intégré au sein
d’équipes à la fois protectrices et stimulantes, reçoive les compétences et
les autorisations grâce auxquelles il pourra s’acquitter des affaires de son
niveau.
L’ouvrage de Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois pose clairement les
fondements sur lesquels doit reposer l’exercice d’une liberté responsable.
Partie importante de mon point de vue, critique même, car autant je suis
convaincu de la puissance de la subsidiarité dans le fonctionnement de
XIV FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

l’entreprise et la qualité de sa relation avec ses clients, autant je pressens les


catastrophes qui pourraient découler d’une autonomie mal orientée.
Au demeurant, je vois dans ce risque la raison principale de la persistance
du paradoxe que j’ai évoqué. Entre la dynamique d’une gouvernance et
d’un management résolument responsabilisants et la sécurité que procurent
des systèmes de pilotage rigoureux, le cœur autant que l’esprit n’hésitent
pas. Mais ne nous voilons pas la face : choisir la première revient à engager
une transformation culturelle et organisationnelle d’une ampleur
considérable. Or, une telle transformation, appliquée à des entreprises
internationales habituées à fonctionner suivant le principe opposé,
représente une prise de risque inouïe. Surgit ainsi un dilemme entre la
conviction et la confiance, d’une part, la responsabilité et la maîtrise du
risque d’autre part. C ’est parce qu’il est difficile de sortir de ce dilemme
qu’on voit parfois la main droite ignorer ce que fait la main gauche, des
essais de responsabilisation cohabiter avec le renforcement des systèmes de
pilotage et se heurter à de nouvelles exigences de prescription et de contrôle.
Sur ce point encore, l’ouvrage que l’on va lire apporte des réponses utiles.
Il le fait dans l’esprit de ce que certains appelleront la responsabilisation,
d’autres la libération de l’entreprise. Il ne cherche pas à indiquer un comment
procéder, mais à guider le lecteur à travers l’ensemble des réalités de
l’entreprise dont la transformation en cause nécessitera le remodelage. Il ne
faut pas en attendre de recette toute faite. Sur ce point, Gilles Verrier et
Nicolas Bourgeois rejoignent I. Getz et B. M. Carney : chacun doit se
donner sa propre vision, son propre cadre et tracer sa propre route.
T3
O
Ce livre présente avec méthode et mesure des pistes qui permettront à ceux
crj qui, pour reprendre la belle expression de Vincent Lenhardt, choisiront
Q
« d’oser la confiance » d’organiser et de conduire une transition à la fois
O
(N ambitieuse et maîtrisée. Pour ma part, voyant au sein de Michelin les effets de
@ cette démarche sur l’engagement des personnes et la performance des équipes,
je considère que si la libération des énergies, la simplification de l’organisation
5-
Q.
O et des processus sont une réalité vécue par l’ensemble du personnel du groupe,
U
si la digitalisation est un levier de responsabilité plutôt que de mise sous
contrôle, si nos clients sentent nos employés habités par la passion du service
du fait même de cette dynamique nouvelle, alors nous aurons à la fois honoré
notre responsabilité sociale et bien œuvré à notre pérennité.

Jean-Dominique Senard
Président de la gérance du groupe Michelin
IN T R O D U C T IO N

P our qui s’intéresse aux débats qui traversent le monde du travail, est-il
encore possible d’échapper au buzz autour de « l’entreprise libérée » ?
Un tel phénomène, autour d’une notion présentée comme révolutionnaire,
est à ce jour sans précédent par son ampleur.
Point de départ de cet engouement, la publication de Liberté & Cie^ en
France en 2012 par Isaac Getz et Brian M. Carney. Retenons une première
définition de l’entreprise libérée, telle quelle est formulée par les auteurs : il
s’agit d’une entreprise où les salariés sont libres et responsables
d’entreprendre toutes les actions qu’ils estiment les meilleures pour
l’entreprise. Nous reviendrons sur cette définition.
Cet ouvrage est à rapprocher des conférences et témoignages des
dirigeants de quelques entreprises se posant comme libérées. Nombreuses
sont les vidéos postées à leur propos. D’autres livres sont parus ensuite sur le
thème de l’entreprise libérée ou sur des notions connexes. Mais c’est le
documentaire diffusé sur Arte le 24 février 2015 qui a accéléré la dynamique.
Ainsi, le journal Les Echos du 2 mars 2015 affirmait : « Nous étions très
nombreux devant notre écran la semaine dernière à voir “The” film
“Le bonheur au trav air de Martin Meissonnier sur Arte, celui que nous
TO3 avons tous relayé sur les réseaux sociaux à grandes pompes. Impossible d’y
c
rj échapper tant le tintamarre provoqué par la diffusion de ce film fut grand ».
Q
Dans les semaines et mois qui ont suivi, l’ensemble des médias se sont
emparés du thème qui s’impose désormais dans les réflexions sur l’entreprise.
sz Mais cette diffusion large n’est pas toujours synonyme de qualité du débat :
DI

>- l’entreprise libérée est parfois évoquée de façon caricaturale comme la


Q.
O
U
nouvelle forme d’organisation et la solution universelle permettant de
régler tous les problèmes et de rendre les salariés heureux en les libérant des
managers.
Pour ne pas se déconnecter de ce qui se joue autour de l’entreprise, de
nombreux acteurs économiques ont ressenti le besoin d’approfondir le
thème. En parallèle de sa diffusion tous publics, il s’est donc invité dans de

1. Isaac Getz et Brian M. Carney, Liberté & d e : quand la liberté des salariés fait le succès des
entreprises. Éditions Fayard, 2012.
FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

nombreux colloques, conférences, forums ou clubs de dirigeants. Les


chambres de commerce notamment, mais aussi l’Association Progrès du
Management’, organisent régulièrement des initiatives sur le sujet.
L’intérêt est allé plus loin encore, comme en témoigne la façon dont les
échanges se sont enflammés sur les réseaux sociaux. Des groupes se sont par
exemple constitués sur Linkedin, les plus importants regroupant jusqu’à
I 000 membres.
De multiples acteurs, qu’il s’agisse de dirigeants ou d’une population
beaucoup plus large, expriment donc pour cette thématique un vif intérêt.
II se double d’un enthousiasme qui prend parfois beaucoup de vigueur, avec
des prises de positions très tranchées sur les réseaux sociaux.
Cet engouement a une signification : il démontre que la thématique de
l’entreprise libérée répond à des attentes fortes, voire à un véritable besoin.
Elle apporterait des solutions nouvelles aux enjeux auxquels l’entreprise est
confrontée dans la période actuelle : bien-être au travail, attribution du
pouvoir, pratiques managériales, relation client, performance^. Elle
permettrait (enfin !) de déplacer le débat à propos du travail du thème
dominant depuis plus de quinze ans, la quantité de travail et les 35 heures,
vers les enjeux cruciaux du contenu du travail et de sa qualité.
Nous reviendrons sur ces thématiques. Mais à ce stade, retenons que les
réflexions autour de l’entreprise libérée ne peuvent être écartées d’un revers
de main sans avoir tenté de comprendre ces enjeux et d’analyser la
pertinence des réponses dont elles se veulent porteuses.
En réponse à cet enthousiasme, deux critiques ont émergé, avec là aussi
T3
O beaucoup de vigueur. La première assimile les débats sur l’entreprise libérée
c:
:d
Û à un effet de mode. C ’est en ce sens qu’Hubert Landier prend position sur
Ю
t4 son blog^ : « Suis-je pour ou contre l’entreprise libérée ? Ma réponse est la
O
fN suivante : qu’est ce que ça apporte par rapport à ce qui a déjà été dit cent
@
fois ?... Le diagnostic a donc été fait et refait. L’entreprise libérée représente
DI
's_
>- par conséquent l’expression d’un mouvement de mode. » Les promoteurs
Q.
O
U
de l’entreprise libérée s’en défendent"^, et soulignent la réalité des enjeux

1. Inconnue du grand public, l’Association Progrès du Management regroupe près de 7 000


dirigeants d’entreprise dans un réseau de 350 clubs de partage d’expérience et de
développement.
2. Voir la dix-huitième enquête menée en 2015 par PricewaterhouseCoopers auprès de 1 300
dirigeants d’entreprise.
3. www.regard-hubertlandier.fr
4. Avec par exemple la conférence « L’entreprise libérée : effet de mode ou nécessité ?» organisée
avec Jean-François Zobrist à Genève le 20 mai 2015.
Introduction

auxquels cette notion apporterait une réponse. « L’entreprise libérée n’est


pas une mode, c’est un passage obligé », affirme Jean-François Zobrist’,
patron en retraite de l’entreprise FAVI.
Ce qui est indéniable, c’est que les enjeux humains de l’entreprise sont
régulièrement sujets à ces effets de mode. Pour ne prendre qu’un exemple,
la notion de « génération Y » a alimenté ces dernières années de multiples
débats sans jamais être appuyée par le moindre travail de recherche
académique. La critique n’est pas neutre. Si l’entreprise libérée renvoie à un
effet de mode, son impact sur la réalité de l’entreprise sera limité, son
utilisation non durable et la désaffection rapide. Rappelons la dimension
structurante de tout effet de mode : il concerne un élément considéré
comme nouveau. Il a pour vocation de surprendre en proposant une
rupture, notamment pour se faire remarquer, mais porte intrinsèquement
une part d’incertitude quant à sa capacité à «séduire »et donc à être adopté.
Il est porté dans les premiers temps par des acteurs précurseurs, des
« influenceurs », dans une logique d’expérimentation. L’effet de mode
prend fin lorsque l’élément est massivement adopté par une majorité
d’acteurs ou lorsque les expérimentations menées par les précurseurs ne
donnent pas les effets escomptés^. Reconnaissons que le rapprochement
avec ce qui se joue autour de l’entreprise libérée peut être troublant.
La seconde critique apparue dans les débats porte sur la notion même de
« libération » de l’entreprise. S’il faut libérer l’entreprise, cela signifie
quelle est enfermée. Mais par qui ou par quoi ? Et de quoi devrait-elle être
libérée ? Cette critique nous paraît moins pertinente. Elle renvoie au choix
T3
peut-être malheureux (mais ô combien efficace en termes d’impact) de
O
c:
:d l’expression « entreprise libérée ». Rendons grâce aux promoteurs de
Û
l’approche : ce dont ils parlent, ce qu’ils étudient, ce qu’ils expérimentent,
c’est bien la libération des salariés dans l’entreprise, et non celle de
(y ) 2
l’entreprise proprement dite. Le titre de l’édition originale de l’ouvrage de
CT Getz et Carney, parue aux Etats-Unis en 2009, est d’ailleurs « Free Your
Q.
O
Employees and Let Them Lead your Business to Higher Productivity,
U Profits and Growth ». En ce sens, le sujet serait plutôt celui des «entreprises
libérantes ».
Cet ouvrage traite une question, à partir de la connaissance que nous
avons développée des réalités de nombreuses entreprises : l’entreprise libérée
est-elle une réponse pertinente aux enjeux auxquels les organisations sont
confrontées dans la période contemporaine ou bien constitue-t-elle un effet

3 1. La Voix du Nord, 24 avril 2015.


Û
© 2. Sur les effets de mode, voir les travaux de Gilles Lipovetsky et ceux de Guillaume Erner.
FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

de mode, une utopie, une nouvelle idéologie managériale, ou même une


démarche qui ne serait pertinente que pour certaines organisations ?
Par convention, nous considérerons ici que lorsque nous utilisons le
terme « entreprise libérée », nous parlons de la démarche promue par Isaac
Getz et Brian Carney, avec son contenu et ses attributs. Tandis que la notion
de libération renvoie à une approche plus large de transformation, qui reste
à préciser.
Le point de départ de notre approche consistera à présenter et à analyser
les écrits et pratiques qui ont un lien direct ou indirect avec la notion
d’entreprise libérée. Si nous ne revendiquons pas ici une démarche de
chercheur en sciences sociales, il nous paraît néanmoins indispensable de
mener ce travail d’analyse préalable de l’état de l’art. C ’est l’objet du premier
chapitre de cet ouvrage.
Le deuxième chapitre a été construit comme une enquête : l’entreprise
libérée est-elle une réponse pertinente aux enjeux des organisations
actuelles ? C ’est en croisant les enjeux et blocages des entreprises avec
l’approche sur l’entreprise libérée que nous pourrons prendre position.
Sur cette base et à partir d’un regard critique assumé, nous soumettrons à
la réflexion du lecteur, dans le troisième chapitre un certain nombre de
convictions et de partis pris sur les transformations que doit impulser une
entreprise si elle veut répondre aux mutations qui s’imposent à elle en se
libérant des contraintes qui pourraient l’en empêcher : quelles bases, quelles
notions clés, quels principes d’action ?
Nous pratiquons notre activité de conseil avec une obsession : transformer
T3
O la réalité effective des collaborateurs des entreprises que nous accompagnons.
c
rj Notre quatrième chapitre sera très concret en proposant une approche
Q
structurée pouvant être mise en œuvre par toute entreprise pour se
transformer.
Cet ouvrage est un hommage. Un hommage en premier lieu aux
entreprises qui ont permis ces dernières années de dynamiser le débat
Q.
O essentiel sur ce que doivent devenir le travail et l’organisation. Un hommage
U
également aux différents auteurs qui pensent ce qui permet de faire
progresser la réalité de l’entreprise. Après avoir publié il y a près de dix ans
Réinventer les R?R et en centrant notre activité de conseil sur l’innovation
dans ce qui touche à l’humain au travail, comment ne serions-nous pas
particulièrement sensibles à ce qui permet de faire évoluer le management
des hommes et des organisations ?

1, Gilles Verrier, Réinventer les RH, coll. Stratégie et management, Dunod, 2007.
Introduction

Mais cet hommage se veut distancié. Notre ambition, en confrontant ces


analyses et réalisations avec les réalités des entreprises telles que nous les
connaissons de l’intérieur, est de pousser un cran plus loin la réflexion
qu’appelle notre époque sur les organisations. Elle est aussi de travailler au
caractère opérationnel de ces éléments, en nous centrant sur le concret des
hommes et des entreprises.

T3
O
crj
Q

CL
O
(J
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
о
и
L'ÉTA T D E S L IE U X ; Q U E L L E S R E F L E X IO N S
E T P R A T IQ U E S IN N O V A N T E S ?

L ’engouement pour la notion d’entreprise libérée et la couverture


médiatique qui l’a accompagné ont eu une conséquence directe : toutes
les réflexions et initiatives innovantes appliquées au monde du travail
semblent désormais relever de l’entreprise libérée. Le bonheur au travail ?
Entreprise libérée ! L’allégement de la structure managériale ? Entreprise
libérée ! La simplification de l’organisation d’une entreprise ? Entreprise
libérée ! Le développement de l’orientation client ? Entreprise libérée ! La
mise en place d’espaces de travail collaboratifs, le télétravail, le
développement de l’engagement des collaborateurs, le lean management, la
simplicité dans les rapports de travail, l’allègement de la technostructure ?
Encore et toujours l’entreprise libérée.
Même ceux qui travaillent à populariser cette notion trouvent
certainement que c’est là trop d’honneur. Et qu’à force de tout rattacher à
l’entreprise libérée en assimilant à cette approche tout projet ou toute
T3
initiative relevant des transformations de l’entreprise, la notion perd de son
O
c sens en se diluant. Face à cette confusion, il est nécessaire de réintroduire de
rj
Q la cohérence en ordonnant tous ces éléments.
D’autant que si l’ambition est d’alimenter la réflexion sur les démarches
de libération de l’entreprise, un état de l’art sur le sujet doit être établi au
CT préalable. Pour qui veut transformer les réalités de son entreprise, maîtriser
Q.
O
cette notion, ses contenus, les approches qui peuvent lui être rattachées de
U près ou de loin est également utile.
L’enjeu dans un premier temps est de comprendre ce qu’est l’entreprise
libérée telle que pensée par ses promoteurs. D’oîi l’impératif que nous nous
sommes imposé à ce stade vis-à-vis des travaux menés sur ce thème et des
réalisations conduites : adopter la démarche la plus objective possible dans
la présentation et l’analyse.
Pour réaliser cet état des lieux, nous n’en resterons pas à l’entreprise
libérée et élargirons dans un second temps notre analyse à l’ensemble des
réflexions et réalisations qui peuvent y être connectées. C ’est à l’issue de ce
FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

recensement et des analyses qui l’accompagnent qu’il nous sera possible


d’ajuster et de compléter la définition de ce que peut être une démarche de
libération de l’entreprise.

AU CŒ U R DES DÉBATS, LA N OTION D'ENTREPRISE LIBÉRÉE

Louvrage cHsaac Getz et Brian Carney


Liberté & d e constitue aujourd’hui le centre de gravité des échanges sur le
thème de l’entreprise libérée. Non parce que ses auteurs auraient tout
inventé en la matière, mais parce que ce livre est au cœur des débats : c’est sa
diffusion qui les a générés et qui les alimentent. Toute réflexion sur
l’entreprise libérée se doit donc de s’arrêter à son contenu. Notre objectif ici
est de capturer les logiques de ces écrits pour bien les comprendre. Il ne
s’agit pas seulement d’en résumer le contenu, mais bien de l’analyser.
Liberté & d e se présente comme une réflexion appuyée sur la description
de cas d’entreprises, différentes mais s’affirmant toutes libérées. Isaac Getz
et Brian Carney revendiquent une démarche d’ethnographes. A partir de
l’étude de ces entreprises et de leurs évolutions, deux modèles émergent :
l’entreprise «comment »et l’entreprise «pourquoi ».
Sous le terme d’entreprise «comment », c’est l’organisation hiérarchique,
bureaucratique, basée sur une culture sociale de domination et de
prescription, avec un modèle qualifié de « commandement et contrôle »,
qui est décrite. En arrière-plan, une opinion des dirigeants de ces entreprises
T3
O sur la nature humaine, convaincus que leurs salariés n’ont pas envie de
c:
:d
a travailler ni d’apprendre. Il faut donc leur prescrire comment faire leur
travail, via d’innombrables règles, puis les contrôler. Conséquences de cette
O
(N organisation : un désengagement massif des salariés, un potentiel
@ d’innovation inexploité, des coûts cachés exorbitants et, au bout du compte,
DI
's_ beaucoup d’inefficacité. Le maintien dans la durée de ce modèle
Q.
O organisationnel est notamment expliqué par l’attitude des managers, qui
U
décourageraient toute initiative, et par la tentation forte, lorsque l’entreprise
connaît des turbulences, de la mettre sous contrôle via des procédures et des
règles.
L’autre modèle est celui de l’entreprise «pourquoi », ou entreprise libérée.
Elle vise à capitaliser sur les connaissances et les capacités de tous ses
collaborateurs en donnant libre cours à leur esprit d’initiative et à leur
créativité ainsi qu’en facilitant les comportements proactifs. L’entreprise
donne à chacun la liberté de prendre des initiatives personnelles ainsi que
l’autorité nécessaire pour prendre ses propres décisions concernant son
L'état des lieux : quelles réflexions et pratiques innovantes ?

travail. Tout collaborateur rencontrant un problème ou une opportunité


s’en occupe personnellement et applique sa solution s’il en a une. Pour cela,
l’entreprise élimine tous les mécanismes de contrôle, affranchit les
collaborateurs des contraintes qui les paralysent et ne cherche jamais à
imposer de réponse. Pour les auteurs, « une société qui cultive la liberté
repose sur l’idée qu’il ne faut pas dire aux employés ce qu’ils doivent faire -
même si c’est ce qu’ils attendent de vous ».
Certaines des entreprises étudiées dans cet ouvrage sont nées « libérées »,
en réaction à ce qu’avaient vécu leurs fondateurs dans leurs expériences
précédentes. D’autres se sont transformées, passant de l’entreprise
« comment »à l’entreprise «pourquoi ».
Figure centrale et passage obligé de la démarche, un «leader libérateur »à
la tête de l’entreprise : « Est-il possible de transformer une culture sociale
hiérarchique fondée sur la domination et le contrôle ? Oui, mais le
changement doit venir d’en haut », expliquent les auteurs qui dressent le
profil de ce leader libérateur tout au long de l’ouvrage : leadership bien sûr,
naturel selon eux, «valeurs de liberté », mais aussi «qualités exceptionnelles »,
« sagesse » et « intuition créative ». Pour le leader libérateur, « l’expérience
affective, plus que la connaissance rationnelle, joue un rôle de déclencheur
pour passer à Pacte de construction d’une entreprise libérée ».
Même si Isaac Getz et Brian Carney se refusent à « dresser un plan [...]
de libération de n’importe quelle entreprise », les éléments qu’ils capturent
dans les expériences qu’ils décrivent les amènent de fait à poser une
démarche en quatre étapes.
T3
O L’étape 1 consiste à démanteler « les symboles et pratiques qui
c:
:d
Û
empêchaient les salariés de se sentir intrinsèquement égaux. » Il s’agit de
traiter les salariés en égaux, avec équité et dignité. Cela peut passer par
la suppression des organigrammes, des bureaux personnels et plus
largement des pratiques caractéristiques d’une distinction entre la
sz
DI
hiérarchie et les autres. Cette suppression des symboles de l’ancien
D.
O système est posée comme le préalable à la construction de relations d’un
(J
nouveau type.
L’étape 2 porte sur le partage par le leader libérateur de sa vision de
l’entreprise avec tous les salariés. Les auteurs considèrent que la volonté
d’obtenir des performances de niveau mondial est une condition
indispensable à la libération d’une entreprise, et que cette volonté s’incarne
dans une vision. Un des rôles clés d’un leader libérateur est d’obtenir
l’adhésion effective de tous à ce projet et de s’assurer que tous cherchent à le
faire vivre. C ’est pour le réaliser que les salariés seront laissés libres de définir
eux-mêmes les mesures à prendre. Il s’agit donc d’une « liberté ordonnée »
FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

OÙ l’autodiscipline, principalement assurée par la vision commune de


l’entreprise, joue un rôle essentiel.
L’étape 3 est centrée sur la construction d’un environnement favorable à
«l’automotivation ». Les leaders libérateurs, «pour atteindre la performance
forte et durable qu’ils visaient, ont renoncé à agir sur l’homme - le contrôler,
le motiver, le m anager —préférant agir sur l’environnement, pour que ce
dernier [...] satisfasse les besoins fondamentaux de l’homme ». S’appuyant
sur une étude menée par les psychologues de l’université de Rochester, les
auteurs considèrent que l’environnement de travail doit permettre de
satisfaire trois besoins du salarié : être traité avec considération, avoir l’appui
pertinent pour son développement, disposer du soutien nécessaire à son
« autodirection ». Par ce terme, ils entendent « laisser la main-d’œuvre faire
un travail de qualité ».
L’étape 4 vise à entretenir l’entreprise libérée dans la durée. En amont, le
leader libérateur s’était « transformé en designer de la culture. » Il doit
ensuite la préserver en devenant en quelque sorte son garant et en étant
vigilant sur les dérives.
Une fois ces éléments posés, comment l’entreprise libérée fonctionne-t-
elle ? Isaac Getz et Brian Carney apportent une précision importante :
« L’objectif de la libération d’un lieu de travail n’est pas de revenir à un état
de nature rousseauiste où l’individu, affranchi des chaînes de la société,
mène une existence parfaitement libre et individualiste. »La vision promue
par le leader libérateur apporte une première réponse, puisqu’ainsi la
destination est partagée. Les éléments de la culture développée dans cette
T3
O
démarche également, avec une forme de contrôle social intériorisé. Ces
c:
:d réponses aident à maintenir la liberté « sur des rails ». S’y ajoutent par
Û
ailleurs les « règles informelles qui prennent naissance spontanément pour
signaler une habitude commune ».
sz
Dans l’entreprise « comment », les managers et les fonctions support
DI alimentaient et maintenaient le système. Or « leur position et leur statut
's_

D.
O sont menacés et leur avenir est précarisé par la campagne de libération ». Ce
(J
qui a conduit certaines entreprises étudiées à supprimer cet encadrement.
Les pratiques de management doivent être transformées en profondeur,
avec un nouveau rôle : être à l’écoute des autres salariés et satisfaire leurs
besoins. Isaac Getz et Brian Carney évoquent alors l’émergence de leaders
naturels : ceux qui, confrontés à une problématique, saisiront l’occasion et
assumeront spontanément le leadership. Quant aux fonctions support, les
tâches de contrôle disparaissent et leurs autres responsabilités sont soit
diffusées dans l’organisation, soit assumées au sein d’un groupe de travail
spécifique.
L'état des lieux : quelles réflexions et pratiques innovantes ?

Paradoxe ultime, affirment Isaac Getz et Brian Carney, la culture du


bonheur et la qualité de vie conduisent au bout du compte à une
performance exceptionnelle de l’entreprise.
Depuis la publication de Liberté & Cie^ Brian Carney s’est reconverti en
dirigeant d’entreprise et ne s’est plus exprimé sur le thème. Quant à Isaac
Getz, ses écrits, ses conférences et les contenus qu’il poste sur internet portent
pour l’essentiel sur les contenus développés dans cet ouvrage. Une exception
cependant : dans une tribune publiée dans Le Monde\ il apporte une
précision en estimant que «l’être humain peut dépasser l’autonomie. Il peut
devenir libre. » Avec l’autonomie, le pouvoir est confié par le « chef » aux
salariés, mais il en reste le détenteur. «Avec la liberté, le pouvoir est chez le
client, donc par procuration chez les collaborateurs en contact avec le client.
La liberté vient avec la responsabilité [...] pour que chacun fasse de son
mieux pour satisfaire le client, et dans le cadre de la vision de l’entreprise. »

Les réalisations les plus visibles


Liberté & d e s’appuie en grande partie sur des monographies : Gore, FAVI,
Sun Hydraulics, Harley Davidson, SOL, etc. Par ailleurs, d’autres entreprises
ont depuis « rejoint le mouvement » ou s’y réfèrent, comme par exemple
Poult, Semco ou le Ministère belge de la sécurité sociale. Ces organisations
sont les plus visibles dans ces démarches expérimentales ; elles s’expriment
largement sur leurs réalisations ; de nombreux articles leur ont été consacrés.
S’y attarder dans le corps de cet ouvrage aurait eu un intérêt limité, avec
un risque de redondance. Néanmoins, pour capitaliser sur leurs réalisations,
T3
O nous avons établi pour les plus significatives une « fiche signalétique »
c
rj disponible en annexe reprenant leurs principales caractéristiques.
Q
Notre propos ici sera illustré par les réalisations d’autres entreprises. Au
travers de notre activité de conseil, nous connaissons la plupart d’entre elles
de l’intérieur. Chacune de leurs expérimentations se situe sur un terrain
différent. Leurs approches sont spécifiques. Elles revendiquent ou pas une
Cl
O logique de libération. Certaines communiquent sur leurs réalisations,
U
d’autres sont plus discrètes. Toutes ont en commun de vouloir inventer leurs
propres réponses en innovant par rapport aux approches organisationnelles
et managériales classiques. Pour chacune de ces entreprises, nous avons laissé
la parole à un dirigeant, afin qu’il mette lui-même en évidence la spécificité
de l’approche adoptée par son organisation. Ce sont leurs témoignages qui
sont présentés tout au long de notre réflexion.

1. « La liberté n’est pas l’autonomie », Le Monde, 24 février 2015.


F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

— T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------

D u travail sur soi à l’organisation, par N icolas H ennon


N ic o la s H e n n o n est D ir e c t e u r G é n é r a l d u g r o u p e K i a b i q u i e m p l o i e 8 2 0 0 s a l a ­
riés. K i a b i r é a lis e u n c h if fr e d ’a f fa i r e s d e 1 , 8 m i l l i a r d d ’e u r o s a v e c u n e c r o is s a n c e
a n n u e l l e c o m p r is e d e p u is 2 0 1 2 e n t r e 8 e t 1 2 % . P r é s e n t c o m m e r c ia l e m e n t d a n s
d i x p a y s , i l s ’a p p u i e s u r d e s m a g a s in s en p r o p r e , l a f r a n c h i s e e t le w eb . S o n a c t i o n ­
n a ir e d e r é fé r e n c e est l ’A s s o c ia t io n F a m i l i a l e M u llie z .

J ’ ai t o u jo u r s été p a s s io n n é p a r les t h é m a tiq u e s d e l ’ h o m m e et d u m a n a g e m e n t.


E t ce s o n t des é p re u v e s p e rs o n n e lle s q u i m ’o n t p e rm is de fo r m a lis e r ce à q u o i
je v o u la is ê tre u t ile : a c c o m p a g n e r des h o m m e s et des o rg a n is a tio n s à se
ré a lise r, p a r u n e p o s tu re d e d ir ig e a n t h u m a n is te lib é ré .

J ’ ai e u la c h a n c e d e v iv r e u n e e x p é rie n c e s t r u c t u r a n t e lo rs q u e j ’ a i p ris la
d ir e c t io n d e K ia b i It a lie , il y a q u a tre a n s . N o u s a v io n s r é u n i 2 0 0 p e rs o n n e s
d a n s u n e s a lle p e n d a n t t ro is jo u r s p o u r c o n s t r u ir e la s tra té g ie , q u i a lla it
ju s q u ’ à p r é v o ir des fe rm e tu re s d e m a g a s in s . L e s é q u ip e s o n t été p e rtu rb é e s
p a r ces d é c is io n s et n o u s les a v o n s r e n c o n tré e s , p a r g ro u p e s d ’ u n e v in g t a in e
d e c o lla b o ra t e u rs , p o u r les é c o u te r e n le u r d e m a n d a n t c o m m e n t ils v iv a ie n t
ce q u i se p a s s a it. N o u s les a v o n s re s p e c té s , n o u s a v o n s la issé les é m o tio n s
s’ e x p rim e r . E t c ’e st là q u ’e st n é n o tr e p r o je t d e lib é r a t io n .

D e s n iv e a u x h ié ra rc h iq u e s o n t été s u p p rim é s , l ’ a b s e n té is m e s’est e ffo n d ré .


L e s 6 0 0 c o lla b o ra te u rs o n t é c r it le u r liv r e s u r la c u lt u r e d e l ’e n tre p ris e , ave c
le u rs d ix v a le u rs . A u jo u r d ’h u i , l ’It a lie est u n p a y s v r a im e n t lib é ré . Je l ’a i v é c u
c o m m e u n e a v e n tu re h u m a in e , a v e c u n v r a i t e r r a in d ’e x p é r im e n ta tio n .

T3
I l n ’y a pas « u n e » lib é r a t io n K i a b i , p as de m o d e o p é ra to ire de la lib é r a t io n . Il
O
c
rj n ’y a p as d ’é tap e 1 q u i p r é v o ir a it q u e t o u t le m o n d e d o it fa ire ça o u ça : c h a c u n
Q a v a n c e à u n r y t h m e d iff é r e n t o u n ’a v a n c e p as. M a is p o u r e n g a g e r et m e n e r
u n e t r a n s fo r m a t io n d e c e tte n a tu re , n o u s a v o n s tra it é d e u x d im e n s io n s : la
p o s tu re in d iv id u e lle , a v e c u n t r a v a il s u r s o i, e t l ’o rg a n is a t io n .

C e t t e q u e s tio n d e la p o s tu re in d iv id u e lle est c e n tra le . U n n o u v e a u c y c le ne

a. p e u t d é m a rre r p o u r l ’e n tre p ris e q u e q u a n d les p e rs o n n e s se p r e n n e n t en


O
(J m a in . E t la q u e s tio n p o u r K i a b i , c ’est d ’a id e r c h a c u n à fa ire é m e rg e r sa
lib é r a t io n . L a c lé p o u r c h a q u e c o lla b o ra te u r, c ’ est d ’o se r la c o n fia n c e p o u r
e x p r im e r t o u t so n t a le n t , a u s e rv ic e de l ’ e x c e lle n c e .

M a re s p o n s a b ilité , c ’ est d e c ré e r des esp aces d e c o n fia n c e p o u r q u e c h a c u n a it


e n v ie d ’y a lle r. C o m m e c ’est la s o m m e des m o u v e m e n ts in d iv id u e ls q u i fa it la
lib é r a tio n c o lle c t iv e , le rô le du m anager est d ’acco m p ag n e r chaque
c o lla b o ra t e u r d a n s so n é p a n o u is s e m e n t et d a n s s o n d é v e lo p p e m e n t. C ’est u n
m o u v e m e n t d ’ h o m m e s . S i K ia b i n e cré e p as u n e n v ir o n n e m e n t p ro p ic e , ça

—I
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s in n o v a n t e s ?

n e fo n c t io n n e r a p as. C e q u i su p p o s e u n e n o u v e lle p o s tu re , à in c a r n e r e n
p e rm a n e n c e .

E n Ita lie , n o u s a v io n s d ’ab o rd tra v a illé l ’é co u te , u tilis é la c o m m u n ic a tio n n o n


v io le n te et so m m e s p a rtis à la chasse a u x ego, avec u n e p o s itio n basée su r
l’h u m ilit é et le respect. A u n iv e a u d u g ro u p e , toutes les d e u x o u tro is se m a in e s, je
passe u n e jo u rn é e avec u n e v in g ta in e de c o lla b o ra te u rs, sans au tre o b je c t if q u e
d ’ap p re n d re à é co u te r et à se respecter. I l y a u n q u e s tio n n e m e n t en d é b u t de
jo u rn é e ; est-ce q u e cette lib é ra tio n fa it sens p o u r m o i ? E s t- c e q u e c ’est fa cile o u
d iffic ile ? S i c h a c u n en so rt en a y a n t le s e n tim e n t d ’a v o ir été é co uté et d ’a v o ir p u
s’e x p rim e r, il a u ra e n v ie de re p ro d u ire cette e x p é rie n ce . N o u s o rg an iso n s aussi
des « jo u rn é e s lib é ra tio n » avec u n e c in q u a n ta in e de p a rtic ip a n ts que n o us
a m e n o n s à tra v a ille r s u r e u x-m ê m e s : de q u o i ai-je b e so in p o u r c h e m in e r vers
cette lib é ra tio n ? Q u ’est-ce q u e la c o n fia n c e p o u r m o i ? L a c o n fia n c e s’y in c a rn e
d ans u n e é co ute de l’au tre sans ju g e m e n t et avec b ie n v e illa n c e .

U n e fo is la c o n f ia n c e é t a b lie , i l fa u t q u e c h a q u e c o lla b o r a t e u r sa ch e o ù il
v a , e n a y a n t fa ite s ie n n e la s tra té g ie , la v is io n . C e q u i s u p p o s e d e la
c o n s t r u ir e a v e c t o u s . L a v is io n à 1 0 a n s de K i a b i a été é la b o ré e e n é c o u t a n t
1 0 0 % des 8 2 0 0 c o lla b o r a t e u r s . C h a q u e m a g a s in , c h a q u e s ite lo g is t iq u e ,
c h a q u e é q u ip e d u S iè g e a r é p o n d u à q u a tr e q u e s t io n s : d e q u o i e st-ce q u e je
rê v e p o u r m e s c lie n t s , p o u r m o i, p o u r les p a r tie s p r e n a n te s , p o u r les
a c t io n n a ir e s ? C e s in p u t s o n t e n s u ite été s y n th é t is é s p a r t h é m a tiq u e s ,
tra v a illé e s p a r d es g ro u p e s d e v o lo n t a ir e s e t re d e s c e n d u e s ju s q u ’ à la
c o n s e illè re d e v e n te . L ’ u t ilit é d e la v is io n e st d e d o n n e r u n c a p , m ê m e d a n s
la te m p ê te . A v e c n o tr e fo n d d e p e s s im is m e f r a n ç a is , e lle p e r m e t d ’ o ser.
T3
O
c:d
L a stra té g ie s u r 5 a n s a e n s u ite été d é fin ie , p u is c h a q u e s e rv ic e et c h a q u e

a b u sin ess u n i t a é c r it sa fe u ille d e ro u te à u n a n , a v e c p lu s ie u rs a lle rs - re to u rs


p e n d a n t c e tte p h a se d ’ é la b o ra tio n .
O
(N
N o u s n o u s a n im o n s a u ssi a u t o u r d ’ u n e m ê m e c u lt u r e . I l s’ a g it de re g a rd e r les
@
v a le u rs v é c u e s et les c ro y a n c e s q u i e x is t e n t . C e t t e c u lt u r e d o it ê tre in c a rn é e .

5- N o u s a v o n s a in s i m e n é u n e x e rc ic e a v e c u n e c e n ta in e d e c o lla b o ra te u rs p o u r
Q.
O fa ire é m e rg e r n o s c ro y a n c e s .
U
S i ce tra v a il s u r so i d o it ê tre m e n é a v a n t d e d é c id e r des o r g a n is a tio n s , c ’est u n
p e u l ’œ u f et la p o u le . L à s’est p o sée la q u e s tio n d e l ’o rg a n is a t io n à ré in v e n t e r
p o u r m e ttre la d é c is io n a u c œ u r des é q u ip e s d e K ia b i. L a d if f ic u lt é est q u ’ il
n ’y a pas d e m o d è le u n iq u e , rie n n’ est é c r it d ’a v a n c e .

C o m m e n t fa ire é v o lu e r l ’e n tre p ris e de s ilo s p a r e x p e rtise s et m é tie rs ve rs u n e


o rg a n is a tio n p a r e n je u x , q u i se rt u n e stra té g ie ? C o m m e n t p asser d ’u n e
lo g iq u e de « c o m m e n t fa ire fo n c t io n n e r u n m é tie r » à u n e lo g iq u e de
« c o m m e n t o b te n ir u n ré s u lta t
14 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

N o u s n ’ a v o n s p as e n c o re to u te s les ré p o n se s q u a n t à la s t r u c t u r e m a n a g é ria le .
D ’ u n c ô té , je c ro is à u n e p y r a m id e p la te , a v e c des le a d e rs , q u i t o u r n e n t ,
s o n t c h o is is p a r l ’ é q u ip e , c h a n g e a n t e n f o n c t io n de l ’ e n je u . D e l ’ a u tre , si
n o u s s o m m e s s u r d e la lib é r a t io n a v e c u n e a p p ro c h e h u m a n is t e , il n’y a p as
d e m é t ie r à a b a ttre : c a sse r les m a n a g e rs n e re n d ra p as l ’e n tre p ris e p lu s
e ffic a c e .

S u r cette d im e n s io n o r g a n is a t io n n e lle , n o u s s o m m e s e n t r a in de te ste r


p lu s ie u rs in it ia t iv e s . L e c o m ité d e d ir e c t io n a été tra n s fo rm é e n c o m ité de
le a d e rs. C h a c u n d e ses m e m b re s a la re s p o n s a b ilité d ’ u n e z o n e d e c ré a tio n de
v a le u r : la m a rq u e , l ’ in n o v a t io n , le c lie n t , e tc . C hacun a n im e non
h ié r a r c h iq u e m e n t u n e n je u tra n s v e rs a l q u i m o b ilis e des m é tie rs d e to u s les
« s ilo s ». L ’ in f o r m a t iq u e f o n c t io n n e à 1 0 0 % en l e a d m a n a g e m e n t , ave c des
c e rc le s d ’ in t e llig e n c e . La D RH tr a v a ille s e lo n une d é m a rc h e de s e lf
m a n a g em en t.

N o u s a v o n s p a r a ille u r s des p ro to ty p e s : u n m a g a s in est en t r a in de m e n e r


u n te st e n a u to - g e s tio n . U n a u tre n ’ a p lu s d e m a n a g e rs e n d e h o rs d u
d ire c te u r. C e r t a in e s ré g io n s n ’o n t p as d e d ir e c t io n : les m a g a s in s s’a u to -
g è re n t e n tre e u x .

U n e fo is p a r a n , n o u s n o u s ré u n is s o n s à q u e lq u e s c e n ta in e s p o u r m e n e r u n
b ila n de ces in it ia t iv e s : il s’ a g it de fa ire é m e rg e r les p ro to ty p e s les p lu s
e ffic a c e s, p o u r in t r o d u ir e d e la c o n v e rg e n c e d a n s la lib é r a t io n .

D a n s u n e fo rê t, c h a q u e a rb re a sa p la c e , c e u x q u i o n t b e s o in de lu m iè re s o n t
e n h a u t, les g ra in e s n e p o u s s e n t p as to u te s . U n e fo rê t est u n o rg a n is m e v iv a n t
a u to -ré g u lé , a v e c u n e v r a ie « in t e llig e n c e c o lle c t iv e ». N o t r e p ro je t p o u r
T3
O
c
K i a b i , c ’est q u e so n fo n c t io n n e m e n t d e v ie n n e c e lu i de la fo rê t.
rj
Q

Q.
O
U
Communication, médiatisation et marchandisation
L a n o t i o n d ’ e n t r e p r is e lib é r é e n e g é n é r e r a it p a s u n t e l e n g o u e m e n t s i le s
r é f le x io n s et r é a l is a t io n s en la m a t iè r e n ’a v a ie n t f a it l ’ o b je t d ’u n e
c o m m u n i c a t i o n a u s s i la r g e , r e la y é e p a r le s m é d ia s e t p a r d e s o r g a n is a t io n s
q u i e n o n t f a it u n v é r i t a b le b u s in e s s .

L e s p r e m ie r s a c t e u r s d e c e t t e c o m m u n i c a t i o n s o n t b ie n s û r c e u x q u i o n t
f o r m a lis é u n e r é f le x io n s u r le s u je t . Is a a c G e t z , n o t a m m e n t , e s t v i s i b l e d a n s
l ’ e n s e m b le d e s m é d ia s , d e m ê m e q u e le s a u t r e s a u t e u r s s u r c e t h è m e , à
t r a v e r s le u r s b lo g s o u le u r s c o m p t e s T w i t t e r .
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ?

S e lo n le u r s p r o m o t e u r s , le s d iff é r e n t e s d é m a r c h e s q u i se v e u le n t e n r u p t u r e
a v e c le s s y s tè m e s o r g a n is a t io n n e ls a c t u e ls u t ilis e n t d e s a p p e lla t io n s d is t in c t e s .
L ’e n t r e p r is e lib é r é e p o u s s é e p a r Is a a c G e t z , b ie n s û r . M a is a u s s i « l ’h o la c r a t ie »
p a r R o b e r t s o n e t le s c a b in e t s q u ’ i l a la b e llis é s , o u la f o r m e d ’ o r g a n is a t io n
p r o m u e p a r u n a u t e u r c o m m e F r é d é r ic L a l o u x , s u r le s q u e lle s n o u s r e v ie n d r o n s .
I l e st trè s ra re q u ’ ils se r é fè r e n t à d ’a u tr e s a p p r o c h e s q u e c e lle q u ’ ils p r o m e u v e n t ,
o u q u ’ ils é t a b lis s e n t d e s p a r a llè le s e t a n a ly s e n t le u r s d if f é r e n c e s . A i n s i , Is a a c
G e t z n ’ u t ilis e ja m a is le t e r m e d ’h o la c r a t ie . F r é d é r ic L a l o u x n ’ é v o q u e à a u c u n
m o m e n t d a n s ses é c r it s le s n o t io n s d ’ e n t r e p r is e lib é r é e o u d ’ h o la c r a t ie .

L ’ u t i l i s a t i o n d ’ u n t e r m e p r o p r e à c h a c u n p e r m e t d e s o u lig n e r le c a r a c t è r e
in n o v a n t d e le u r a p p ro c h e s p é c if iq u e e t v a p a r f o is j u s q u ’ a u dépôt du
c o n c e p t . L a n o t i o n d ’ e n t r e p r is e lib é r é e a a i n s i f a i t l ’ o b je t d ’ u n d é p ô t d e
m a rq u e à l ’ I N P I . Q u a n t a u te rm e H o la c r a c y , il e st d é p o sé p a r H o la c r a c y O n e
L L C , l ’ e n t r e p r is e d ir ig é e p a r B r i a n R o b e r t s o n . G e s d if f é r e n t s a u t e u r s o n t
c h a c u n u n e a c t i v i t é d e c o n f é r e n c ie r s u r le u r a p p r o c h e d e c e s e n je u x .

C e r t a i n s d e s d ir i g e a n t s d ’ e n t r e p r is e q u i o n t m i s e n o e u v re u n e d é m a r c h e
d e « lib é r a t i o n » s o n t a u s s i t r è s p r é s e n t s d a n s le d é b a t , e n c o n s a c r a n t u n e
p a r t ie d e le u r t e m p s à d e s in t e r v e n t i o n s e n e n t r e p r is e o u à d e s c o n f é r e n c e s
e t c o n v e n t i o n s . C ’ e s t le c a s d e J e a n - F r a n ç o i s Z o b r i s t o u d e V i n e e t N a y a r ,
a n c ie n P D G d e H C L T e c h n o lo g i e s .

U n e d é m a r c h e d e s t o r y t e l l i n g s’ e s t d e f a it d é v e lo p p é e a u t o u r d e la n o t i o n
d ’ e n t r e p r is e lib é r é e e t d e s a p p r o c h e s c o n n e x e s . S y m b o l i q u e , la v id é o d e
l ’ a g e n c e P o s s u m I n t e r a c t i v e , é c r it e a v e c Is a a c G e t z , r é p o n d e n u n e m i n u t e à
la q u e s t io n « Q u ’ e s t - c e q u ’ u n e e n t r e p r is e lib é r é e ? ».

T3 U n e h i s t o i r e , d e s « s p i n d o c t o r s » t r è s a c t i f s , u n e p r é s e n c e s u r le n e t . T o u s
O
c
rj le s in g r é d ie n t s so n t en p la c e pour p asser à l ’ é ta p e s u iv a n te : la
Q
d é m u lt ip lic a t io n d e l ’ i m p a c t p a r le s m é d ia s t r a d i t i o n n e l s . N o u s a v o n s
évoqué dans l ’in t r o d u c t io n le re p o rta g e d ’A r t e su r « Le bonheur au
t r a v a il ». A r r ê t o n s - n o u s s u r s o n c o n t e n u . L e « c a s t in g » d e p e r s o n n e s
sz
DI
s o llic it é e s e s t r i c h e e t p l u t ô t c o m p le t : Is a a c G e t z b ie n s û r , m a is a u s s i J e a n -
>-
Q.
O F r a n ç o i s Z o b r i s t , V i n e e t N a y a r , d e m ê m e q u e d e s d ir i g e a n t s d e P o u l t ,
U
C h r o n o fle x , H a r le y - D a v id s o n , G o re , e tc . Les a sp e c ts c o u v e rts so n t
m u l t i p l e s : le s l i m i t e s d e s s t r u c t u r e s h i é r a r c h i q u e s , l ’ e g o d e s d ir i g e a n t s , le s
m o d è le s a l t e r n a t i f s , l a s u p p r e s s io n d u m a n a g e m e n t , le s é q u ip e s a u t o n o m e s ,
le l i e n a v e c le l e a n m a n a g e m e n t ^ le s e n t r e p r is e s d e la S i l i c o n V a lle y , e t c .

C e t t e v o lo n t é d ’ ê t r e le p lu s c o m p le t p o s s ib le c o n s t it u e la p r e m iè r e l i m i t e
d u r e p o r t a g e : i l d o n n e le s e n t im e n t d ’ u n e c o m p i l a t i o n r a s s e m b la n t d e s
in i t i a t i v e s d e t o u s o r d r e s , is s u e s d e c o n t e x t e s t r è s d if f é r e n t s , a v e c u n e f o r t e
h é t é r o g é n é it é , e t d o n t le s e u l p o i n t c o m m u n e s t d e se v o u l o i r in n o v a n t e s e t
d ’ ê t r e b a s é e s s u r la c o n f ia n c e . L ’ a n a ly s e n e v a p a s p lu s l o i n .
16 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

La c o n n a is s a n c e lim it é e q u ’o n t c e r t a in s jo u r n a lis t e s du m onde de


l ’ e n t r e p r is e le s a m è n e p a r f o is à p r é s e n t e r u n e v i s i o n c a r ic a t u r a le d e c e q u e
s o n t le s o r g a n is a t io n s d ’ a u j o u r d ’ h u i , q u i e n s e r a ie n t re s té e s a u t a y l o r is m e
o r ig in e l le p lu s p u r . C ’ e s t c e t t e c o n c e p t io n q u i r e n d p a r là m ê m e t rè s
f la t t e u s e s le s e x p é r ie n c e s p r é s e n t é e s d a n s le r e p o r t a g e .

L a m é d i a t is a t io n d u p h é n o m è n e n e s’ e s t p a s a r r ê t é e à c e t t e é m is s io n .
D a n s le s m o is q u i o n t s u i v i , c e s o n t p r è s d ’ u n e c e n t a in e d ’ a r t ic le s q u i s o n t
p a r u s s u r le t h è m e d a n s la p re s s e é c r it e . D e la p re s s e é c o n o m iq u e a u x
q u o t id ie n s g é n é r a lis t e s e n p a s s a n t p a r le s h e b d o m a d a ir e s , m a is a u s s i d u J T
d e T F 1 a u x é m is s io n s d e r e p o r t a g e s d e F r a n c e I n t e r o u F r a n c e I n f o , t o u s
o n t c o n t r ib u é à c e t e m b a lle m e n t . La p l u p a r t se s o n t a p p u y é s s u r le s
e n t r e p r is e s p r é s e n t é e s c o m m e le s p lu s e m b lé m a t iq u e s .

U n a u t r e p h é n o m è n e d o it ê t r e n o t é : i l e s t d e p lu s e n p lu s f r é q u e n t q u e
d e s d ir ig e a n t s d ’ e n t r e p r is e se r e v e n d iq u e n t d ’ u n e d é m a r c h e d e « l ib é r a t i o n
d e l ’ e n t r e p r is e » p o u r d o n n e r p lu s d e v i s i b i l i t é à le u r a c t io n e t b é n é f ic ie r
d ’u n e ffe t d ’ im a g e . L a d é m a rc h e du c a b in e t G r e a t P la c e to W o r k ® ’ ,
n o ta m m e n t, c o n s t it u e pour c e r t a in e s o r g a n is a t io n s une c a u t io n qui
p e r m e t t r a it d e s’ a u t o p r o c la m e r e n t r e p r is e lib é r é e . M a i s i c i , la c o n f u s io n e s t
à s o n c o m b le : i l n ’y a a u c u n l i e n e n t r e la la b e llis a t io n « G r e a t P la c e to
W o r k » e t le s r u p t u r e s o r g a n is a t io n n e lle s d é c r it e s p a r le s p r o m o t e u r s d e
l ’ e n t r e p r is e lib é r é e . U n e a n a ly s e o b je c t iv e d e le u r s m o d e s d e f o n c t i o n n e m e n t
d é m o n t r e q u ’ e lle s n ’ e n o n t p a s le s a t t r i b u t s . S a u f à c o n s i d é r e r q u e t o u t e
e n t r e p r is e q u i p r e n d r a it d e s in i t i a t i v e s s u r le b ie n - ê t r e a u t r a v a il s e r a it
lib é r é e .

T3 D a n s u n e a p p r o c h e p r e s q u e m i l i t a n t e , c e r t a in e s e n t r e p r is e s p r o p o s e n t à
O
c
rj c e lle s q u i s e r a ie n t t e n t é e s p a r l ’ a v e n t u r e d e la l i b é r a t i o n d e v e n i r le s v i s it e r .
Q
C ’ e s t le c a s p a r e x e m p le d e C h r o n o F l e x q u i a r e ç u d e n o m b r e u s e s e n t r e p r is e s
O
fN c u r ie u s e s d e la d é m a r c h e . D e s l e a r n i n g e x p e d i t i o n s d a n s le s e n t r e p r is e s
@ lib é r é e s s o n t m ê m e d is p o n ib le s s u r in t e r n e t .
DI
's_ L a m a r c h a n d is a t io n v a p lu s l o i n . C e r t a i n s c a b in e t s d e c o n s e il c o m m e n c e n t
D.
O à in t é g r e r c e t t e t h é m a t iq u e d a n s le u r o f f r e . C e r t a i n e s p r a t iq u e s s o n t t y p iq u e s
(J
de la p a c k a g is a t io n d ’u n e o ffre m a rc h a n d e trè s c la s s iq u e . L ’ e n t r e p r is e
H o l a c r a c y O n e e s t s a n s d o u t e la p lu s e m b lé m a t iq u e d a n s c e t t e s t r a t é g ie d e
m a r c h a n d is a t io n . L ’ o f f r e p a c k a g é e e s t c o m p lè t e : d e s p r o d u it s d ’ a p p e l, a v e c
une o ffre d o c u m e n t a ir e g r a t u it e , une d é m a rc h e de c e r t if ic a t io n , des
m o d a lit é s d e lic e n c e p o u r p e r m e t t r e à d e s c o n s u lt a n t s d ’ u t i l i s e r le u r m a r q u e
e t le u r s m é t h o d e s , d e s a p p l ic a t i o n s , d e s s e r v ic e s e t d e s s o f t w a r e s .

1. Entité française d’un réseau mondial de cabinets de conseil fondé en 1988 par deux
consultants américains.
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 17

A p r è s a v o ir p r é s e n t é c e q u i r e lè v e p r é c i s é m e n t d e l ’ e n t r e p r is e lib é r é e ,
é la r g is s o n s n o t r e c h a m p d e r é f le x io n e n a n a ly s a n t l ’ e n s e m b le d e s a p p r o c h e s ,
m o d é lis a t io n s d ’ e x p é r im e n t a t io n s s o c ia le s et o r g a n is a t io n n e lle s , ou
c o n c e p t s q u i p e u v e n t ê t r e c o n s id é r é s c o m m e c o n n e x e s . I l s o n t p u i n s p i r e r
le s p r o m o t e u r s d e l ’ e n t r e p r is e lib é r é e , q u ’ il s le r e v e n d iq u e n t o u p a s . N o u s
n o u s a u t o r is e r o n s à c o u v r i r a u s s i b ie n c e q u i r e lè v e d e t r a v a u x d e r e c h e r c h e
q u e d e r é a lis a t io n s p r a t iq u e s e t e x p é r im e n t a t io n s . A c h a q u e f o is , n o u s
v e i lle r o n s à p o s i t i o n n e r c e s é lé m e n t s p a r r a p p o r t à l ’ e n je u c e n t r a l t r a it é p a r
n o tre o u v ra g e : la l ib é r a t i o n de l ’ e n t r e p r is e , ou p lu s la r g e m e n t sa
t r a n s f o r m a t io n h u m a i n e e t o r g a n is a t io n n e lle .

LE TAYLORISME ET SA CRITIQUE

Au départ était ¡'o rg a n is a tio n scientifique du travail


B e a u c o u p o n t r e t e n u d e F r e d e r i c k W i n s l o w T a y l o r ’ e t d e ses é m u le s le u r s
t r a v a u x s u r la d é c o m p o s it io n d u p r o c e s s u s d e p r o d u c t io n e n u n e s u it e d e
t â c h e s s im p le s , c h a c u n e é t a n t c o n f ié e à u n o u v r i e r s p é c ia lis é . C e t t e a p p r o c h e ,
d e t y p e h o r iz o n t a l, v is e à a m é lio r e r d e m a n iè r e r a d ic a le la p r o d u c t iv it é d a n s
u n c o n t e x t e d ’ e s s o r d e la p r o d u c t io n i n d u s t r ie lle d e m a s s e .

M a i s le t a y l o r is m e c o m p r e n d é g a le m e n t u n e d im e n s i o n v e r t ic a le , a v e c
u n e d i s t i n c t i o n t o t a le e n t r e « le s in g é n ie u r s [ q u i] p e n s e n t le t r a v a il e t le s
o u v rie r s [ q u i] d o iv e n t l ’ e x é c u t e r c o n f o r m é m e n t a u x i n s t r u c t i o n s e t à la
fo r m a tio n que le s p r e m ie r s le u r fo u r n is s e n t ». C e tte a p p ro c h e a des

XJ c o n s é q u e n c e s e n m a t iè r e d e p a r t a g e d e s i n f o r m a t i o n s : s e u le s s o n t f o u r n i e s
O
c
rj a u x c o lla b o r a t e u r s c e lle s q u i s o n t n é c e s s a ir e s à la r é a l is a t io n d e le u r t â c h e .
Q
T a y l o r e st m o r t i l y a p lu s d e 1 0 0 a n s . P o u r a u t a n t , la d ic h o t o m ie e n t r e
d é c id e u r s e t e x é c u t a n t s g a rd e u n e e m p r is e c o n s id é r a b le s u r n o s m o d e s d e
p e n s é e . E l l e c o n t in u e à m a r q u e r a u q u o t id ie n le s r e la t io n s d e t r a v a il e t le s
JC
O) o r g a n is a t io n s , q u e n o u s e n s o y o n s c o n s c ie n t s o u p a s . C e r t e s i l n ’y a p lu s o u
>-
Q. q u a s im e n t p lu s a u jo u r d ’h u i d ’ o r g a n is a t io n s t a y lo r ie n n e s a u s e n s s t r ic t d u
O
U
t e r m e . M a is q u ’ i l s’ a g isse d e n é o - t a y lo r is m e o u d e p o s t - t a y lo r is m e , le s lo g iq u e s
r e s t e n t le s m ê m e s : u n e o r g a n is a t io n c o n ç u e s u r la p r e s c r ip t io n p a r q u e lq u e s -
u n s d e c e q u e d o it ê tre le t r a v a il d e t o u s le s a u t r e s . « L e s t h é o r ie s d e l ’ o r g a n is a t io n
s c ie n t if iq u e d u t r a v a il o n t b e a u a v o ir é té a b a n d o n n é e s in t e lle c t u e lle m e n t , e lle s
r e s t e n t s o u s - ja c e n t e s à la lo g iq u e d o m in a n t e . O n c o n t in u e à r a is o n n e r c o m m e
3 s i u n e s e u le r a t io n a lit é p o u v a it e x is t e r , d o n t u n e b o n n e o r g a n is a t io n d e s tâ c h e s
I
-ac
c
3 1. Frederick Winslow Taylor, 1911, The Principles o f Scientific Management^ Harper and
G
® brothers Publishers.
F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

e t d e s c ir c u it s d e d é c is io n p o u v a it a s s u r e r la m is e e n œ u v r e » É L o r s q u e M i c h e l
C r o z i e r é c r it c e s m o t s à la f i n d e s a n n é e s 8 0 , i l n ’im a g in e s a n s d o u t e p a s q u ’ ils
s e r o n t t o u jo u r s d ’ a c t u a lit é v i n g t o u t r e n t e a n s p lu s t a r d .

E n c e s e n s , la r é f le x io n s u r la li b é r a t i o n d e l ’ e n t r e p r is e p e u t ê t re a n a ly s é e
c o m m e u n e n o u v e l le t e n t a t i v e d e r o m p r e e n f in a v e c c e t h é r it a g e t a y l o r ie n .

Première prise de distance, l'école des relations humaines


L e s r é f le x io n s a c t u e lle s s’ i n s c r i v e n t d e f a it d a n s le l o i n t a i n p r o lo n g e m e n t
d e s t r a v a u x d e l ’ é c o le d e s r e la t io n s h u m a i n e s , p u is q u e c e u x - c i o n t c o n t r ib u é
à r é in t r o d u i r e l ’ h o m m e d a n s la r é f le x io n s u r l ’ o r g a n is a t io n , a u - d e là d e s a
s e u le d im e n s io n m é c a n is t e . I l s c o n s t i t u e n t la p r e m iè r e a p p r o c h e c r i t i q u e
d ’ e n s e m b le d u m o d è le t a y l o r i e n . A r r ê t o n s - n o u s q u e lq u e s in s t a n t s s u r le s
a p p o rts de M a y o , M c G re g o r, M a s lo w e t H e r z b e r g , p a r m i d ’a u tre s a u te u rs
m a rq u a n ts d e ce m o u v e m e n t.

S u r la b a s e d e s o n a n a ly s e d ’ e x p é r ie n c e s m e n é e s d a n s u n e u s in e d e
W e s t e r n E l e c t r i c e n t r e 1 9 2 7 e t 1 9 3 2 , E l t o n M a y o i n t r o d u i t n o t a m m e n t la
c o n s i d é r a t io n et la s a t is f a c t i o n qui en d é c o u le com m e d é t e r m in a n t s
e s s e n t ie ls d e l ’ e f f ic a c it é a u t r a v a i l .

C e q u i a s u r t o u t é té r e t e n u d e la p r o d u c t i o n d ’A b r a h a m M a s lo w , c ’ e s t la
h ié r a r c h is a t io n q u ’ i l é t a b lit e n t r e le s d if f é r e n t s b e s o in s d e s i n d i v i d u s , a v e c s a
f a m e u s e p y r a m id e , d ’ a i lle u r s c r it i q u é e p a r Is a a c G e t z e t B r i a n C a r n e y . M a i s
la v a l e u r a jo u t é e d e se s a p p o r t s r é s id e e n p r e m i e r l i e u d a n s la m is e e n
é v id e n c e d e t r o is t y p e s d e b e s o in s n o n p r is e n c o m p t e d a n s l ’ o r g a n is a t io n
p r o m u e p a r T a y l o r : le s b e s o in s s o c ia u x d ’ a p p a r t e n a n c e e t a f f e c t if s (s ’ i d e n t i f i e r
X3
O
c à u n g r o u p e e t ê t r e r e c o n n u p a r le s a u t r e s ) , le s b e s o in s d ’ e s t im e e t d e
Û r e c o n n a is s a n c e ( r e c h e r c h e r u n s t a t u t , l ’ a u t o n o m ie , le r e s p e c t ) e t le b e s o in
d ’ a c c o m p lis s e m e n t p e r s o n n e l ( r é a lis e r t o u t c e d o n t o n e s t c a p a b le ) .

L e s a p p o r t s d e D o u g la s M c G r e g o r s e m b le n t t o u jo u r s d ’ a c t u a lit é q u a n t a u
JC r a p p o r t d e l ’ i n d i v i d u a v e c le t r a v a il. I l m e t e n a v a n t d e u x r e p r é s e n t a t io n s
O)
>- p o s s ib le s e t o p p o s é e s du s a la r ié et d u m a n a g e m e n t. La p r e m iè r e , d it e
Q.
O t h é o r ie X , p a r t d ’ u n p o s t u la t : « L f i n d i v i d u m o y e n é p r o u v e u n e a v e r s io n in n é e
U
p o u r le t r a v a il, q u ’ il fe r a t o u t p o u r é v it e r . » C e q u i g é n è re a u s s it ô t u n e r é p o n s e
m a n a g é r ia le : « L e s i n d i v i d u s d o iv e n t ê tre c o n t r a in t s , c o n t r ô lé s , d ir ig é s ,
m e n a c é s d e s a n c t io n s , s i l ’ o n v e u t q u ’ ils f o u r n is s e n t le s e f f o r t s à la r é a lis a t io n
d e s o b je c t if s o r g a n is a t io n n e ls . » C o m b in é e s , ces d e u x d im e n s io n s v o n t
g é n é re r u n c e r c le v i c i e u x q u i d é g ra d e ra p r o g r e s s iv e m e n t l ’ e f f ic a c it é des
in d i v id u s .

1. Michel Crozier, L’entreprise à Vécoute, InterÉditions, 1989.


L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s in n o v a n t e s ?

L a s e c o n d e r e p r é s e n t a t io n d e l ’ e n t r e p r is e , o u t h é o r ie Y , p a r t d u p o s t u l a t
o p p o s é : l ’h o m m e c h e r c h e à se r é a lis e r d a n s le t r a v a i l . E t l ’ o r g a n is a t io n d o it
c r é e r le s c o n d i t io n s p o u r q u e se s c o lla b o r a t e u r s « p u is s e n t a t t e in d r e le u r s
p r o p r e s b u t s a v e c le p lu s d e s u c c è s e n d ir i g e a n t le u r s e f f o r t s v e r s la r é u s s it e
d e l ’ e n t r e p r is e » . C e q u i c r é e r a u n s y s t è m e v e r t u e u x .

D o u g la s M c G r e g o r m e t e n é v id e n c e u n p h é n o m è n e : c h a c u n d e c e s d e u x
s y s t è m e s v a s’ a u t o a l im e n t e r . C ’ e s t d o n c c e lle d e s d e u x t h é o r ie s à la q u e lle le
m a n a g e m e n t c r o i r a q u i se v é r i f i e r a d a n s le s f a it s . L e l ie n a v e c l ’ e n t r e p r is e
lib é r é e e s t d ir e c t : « l ’ e n t r e p r is e c o m m e n t » r e n v o ie à la t h é o r ie X . E t c ’ e s t
p a r c e q u e le d ir i g e a n t c h a n g e r a s a p e r c e p t io n d e l ’ h o m m e a u t r a v a il q u ’ il
s e r a p o s s ib le d ’ e n c le n c h e r la d y n a m i q u e d e l a t h é o r ie Y .

F r e d e r i c k H e r z b e r g se f o c a lis e q u a n t à l u i s u r le c o n t e n u d u t r a v a il
c o m m e s o u r c e d e m o t i v a t i o n . I l e s t im e n é c e s s a ir e d e r e p e n s e r le d é c o u p a g e
d e s t â c h e s d a n s le s e n s d ’ u n é la r g is s e m e n t , e n r é o r g a n is a n t le t r a v a il p o u r
q u ’ i l r e t r o u v e u n s e n s p o u r c e l u i q u i le f a it : d é v e lo p p e m e n t d e l ’ a u t o n o m ie
e t d e s r e s p o n s a b ilit é s c o n f ié e s , m o n t é e e n c o m p é t e n c e s d e l ’ i n d i v i d u .

L ’ é c o le d e s r e la t io n s h u m a i n e s in t r o d u it d o n c une ru p tu re a v e c le s
lo g iq u e s t a y l o r ie n n e s , e n p r e n a n t e n c o m p t e l ’ h o m m e d a n s se s d if f é r e n t e s
d im e n s io n s , a u - d e là d u s e u l a s p e c t m é c a n is t e d e l ’ o r g a n is a t io n s c ie n t if iq u e
d u t r a v a il. C ’ e s t e n c e s e n s q u e l l e f ig u r e d a n s l ’ h é r it a g e r e ç u p a r l ’ e n t r e p r is e
lib é r é e . P o u r a u t a n t , c o n t r a i r e m e n t a u x r é f le x io n s r é c e n t e s , c e lle s d e l ’ é c o le
d e s r e la t io n s h u m a i n e s s’ i n s c r i v e n t d a n s le c a d r e d e la s t r u c t u r e h ié r a r c h iq u e
d e s o r g a n is a t io n s c la s s iq u e s , s a n s la r e m e t t r e e n c a u s e .

T3
O
Une rupture, avec Técole de la contingence
c
rj
Q L e s r é f le x io n s s u r l ’ o r g a n is a t io n s o n t s o u v e n t c e n t r é e s s u r la r e c h e r c h e
n o r m a t i v e d e la m e il le u r e o r g a n is a t io n « e n s o i » . T a y l o r s’ i n s c r i t p le in e m e n t
d a n s c e t t e lo g iq u e . L ’ a p p o r t m a j e u r d e s t h é o r ie s d e la c o n t in g e n c e e s t a u
(y) ^
c o n t r a ir e d e p o s e r l ’ e n v i r o n n e m e n t d e l ’ e n t r e p r is e c o m m e u n e d o n n é e

>- e s s e n t ie lle p o u r d é f i n i r l ’ o r g a n is a t io n q u i lu i est a d a p té e : c e s o n t le s


Q.
O c o n t r a in t e s e n v ir o n n a n t l ’ e n t r e p r is e , so n m a rc h é en p r e m ie r lie u , qui
U
c o n d i t i o n n e n t le s f o r m e s q u e p r e n d c e t t e o r g a n is a t io n .

L e s t r a v a u x d ’A l f r e d C h a n d l e r m e t t e n t e n é v id e n c e u n i m p é r a t i f p o u r
l ’ e n t r e p r is e : a d o p t e r le s c h o i x o r g a n is a t io n n e ls q u i s e r o n t le s p lu s p e r t in e n t s
p o u r p e r m e t t r e la m is e e n o e u v re d e la s t r a t é g ie d é c id é e p a r l ’ e n t r e p r is e . L a
s t r a t é g ie p r é c è d e l ’ o r g a n is a t io n e t d o i t e n ê t re le d é t e r m i n a n t p r e m ie r .

Le c r o is e m e n t d e c e s a p p o r t s a v e c le s é c r it s e t e x p é r ie n c e s a u t o u r d e
-ac l ’ e n t r e p r is e lib é r é e p e u t c o n d u ir e à d e u x c o n c lu s io n s c o n t r a d ic t o ir e s e n
c
3
Û a p p a r e n c e . D ’ u n e p a r t , u n e lé g it im a t io n d e l ’ e n t r e p r is e lib é r é e : a u t a n t
©
20 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

l ’ o r g a n is a t io n t a y lo r ie n n e é t a it u n e r é p o n s e a d a p t é e à u n e n v ir o n n e m e n t
d ’ in d u s t r ia li s a t io n a c c é lé r é e , a u t a n t l ’ e n t r e p r is e lib é r é e s e r a it la r é p o n s e à la
p é r io d e a c t u e lle d e m u t a t i o n s p r o f o n d e s d e l ’ e n v ir o n n e m e n t d e l ’ e n t r e p r is e .
D ’ a u t r e p a r t , u n e c r it i q u e d e l ’ e n t r e p r is e lib é r é e : le m o d è le o r g a n is a t io n n e l
q u e l l e d e s s in e n e s a u r a it ê tre u n e r é p o n s e a b s o lu e , a p p lic a b le q u e ls q u e s o ie n t
l ’ e n v ir o n n e m e n t d e l ’ e n t r e p r is e e t la s t r a t é g ie q u e l l e v e u t m e t t r e e n œ u v r e .

C ’ e st à p a r t ir d e d iff é r e n t s fa c t e u rs d e c o n t in g e n c e q u ’ H e n r y M in t z b e r g
p ro p o s e une t y p o lo g ie des e n t r e p r is e s . L ’e n t r e p r is e lib é r é e s e ra it de fa it
u n e c o m b in a is o n d u m e ille u r d e t r o is d ’ e n t re e lle s : l ’e n t r e p r is e e n t r e p r e n e u r ia le
(a b s e n c e d e f o r m a lis m e , le a d e r f o r t ) , l ’a d h o c r a t ie (o r g a n is a t io n fle x ib le e t
a d a p t a b le ) e t l ’e n t r e p r is e m is s io n n a ir e ( c h o ix s tra té g iq u e s e t m o t iv a t io n fo n d é s
s u r u n e m is s io n f o r t e ) .

E lo ig n o n s - n o u s m a in t e n a n t d e ce s t r a v a u x d e r e c h e r c h e p o u r n o u s in t é r e s s e r
à d if f é r e n t s a p p o r t s r e le v a n t d e l ’ e x p é r im e n t a t io n e t d e la p r a t iq u e .

LES INNOVATIONS ORGANISATIONNELLES ET MANAGERIALES


DEPUIS LES ANNÉES 70

Le lean management
I n s p i r é d e m é t h o d e s n é e s a u J a p o n , le l e a n m a n a g e m e n t a é té e x p é r im e n t é
s u r le s lig n e s d ’ a s s e m b la g e d e T o y o t a a u d é b u t d e s a n n é e s 7 0 . M a i s c ’ e s t a u x
E t a t s - U n i s , d a n s le s a n n é e s 9 0 , q u e se s p r in c ip e s o n t é té f o r m a lis é s ’ . I l s’ e s t
e n s u it e g é n é r a lis é d a n s l ’ i n d u s t r i e a u t o m o b ile , p u is s’ e s t im p o s é c o m m e la
T3
O m é t h o d e d ’ o r g a n is a t io n d e la p r o d u c t i o n d e n o m b r e u x g r a n d s g r o u p e s
c
rj in d u s t r i e l s . Non s e u le m e n t a u n iv e a u d e s a t e lie r s d e f a b r ic a t io n {le a n
Q
m a n u f a c t u r i n g , m a is a u s s i e n a m o n t e t e n a v a l d e la p r o d u c t i o n . L ’ a p p r o c h e
O
fN a e n s u it e é té é la r g ie a u x a c t iv it é s d e s e r v ic e .
@
L e l e a n m a n a g e m e n t , o u p lu s s i m p l e m e n t l e a n , p e u t ê t r e d é f in i c o m m e
DI
's_
une a p p ro c h e o r g a n is a t io n n e lle c e n tré e su r l ’o p t im is a t io n des f lu x de
D.
O l ’ e n t r e p r is e e t v i s a n t d e s o b je c t if s d e p r o d u c t i v i t é , d e q u a lit é , d e d é la is e t d e
(J
r é d u c tio n d es c o û ts .

L a p h ilo s o p h ie d u l e a n e s t s im p le : la v a le u r a jo u t é e d ’ u n e e n t r e p r is e e s t
c o n s t it u é e p a r « t o u t c e q u e le c l i e n t e s t p r ê t à p a y e r » . L e p r é a la b le d e la
d é m a r c h e c o n s is t e d o n c à i d e n t i f i e r c e q u ’ e s t la v a l e u r d u p o i n t d e v u e d u
c l i e n t . P u is à a n a ly s e r l ’ e n c h a î n e m e n t d e s a c t io n s à v a le u r a jo u t é e q u i
p e r m e t d e f o u r n i r le p r o d u i t o u s e r v ic e a u c l i e n t . L ’ e n t r e p r is e s’ a s s u r e r a

1, James R Womack et Daniel T, Jones, 1996, Lean Thinking, Simon & Schuster, Inc.
L 'é t a t d e s lie u x ; q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s in n o v a n t e s ? 2

e n s u it e d e la f l u i d i t é d u p r o c e s s u s , s a n s « f ile s d ’ a t t e n t e » , a v e c d e s a c t io n s
q u i d e v r o n t ê t r e m e n é e s a u n iv e a u d e s p r o c e s s u s g lo b a u x , m a is a u s s i u n e
lo g iq u e d ’a m é lio r a t io n c o n t in u e du t r a v a il in d iv id u e l. C e tte lo g iq u e ,
a p p liq u é e d e m a n iè r e s y s t é m a t iq u e , c o n d u i t à d é v e lo p p e r d e s t e c h n iq u e s
d e lis s a g e p e r m e t t a n t d ’ é v i t e r le s p ic s e t le s c r e u x d e p r o d u c t i o n .

L ’ u n d e s a p p o r t s d u l e a n r é s id e d a n s le r e c e n s e m e n t d e s s o u r c e s p o t e n t ie lle s
d e g a s p illa g e : a t t e n t e d e s p iè c e s d u f a it d ’ u n e m a u v a is e g e s t io n d e s s t o c k s ,
t e m p s d e t r a n s p o r t t r o p lo n g s , p r o c e s s u s e x c e s s iv e m e n t c o m p le x e s , o p é r a t io n s
i n u t il e s , non q u a lit é q u i a p p a r a ît à t e l o u te l m o m e n t, s u r p r o d u c t io n
é v e n t u e lle , e t c . C e t r a v a il a s s o c ie le s s a la r ié s p o s it io n n é s a u x d if f é r e n t e s é ta p e s
d u p r o c e s s u s , d ’ a m o n t e n a v a l, a u p lu s p r è s d u t e r r a in : « Q u i m i e u x q u e c e lu i
q u i p é d a le p e u t t r o u v e r la b o n n e f a ç o n d e m o n t e r la c o lli n e ? »

C e t t e o p é r a t io n s’e ffe c tu e d ’ a u t a n t p lu s f a c ile m e n t q u e le s s a la rié s s o n t d a n s


u n e r e la t io n d e c o n f ia n c e a v e c le u r e m p lo y e u r . I ls p a r t ic ip e n t a in s i à la r e c h e r c h e
d ’ u n e m e ille u r e u t ilis a t io n d e le u r t e m p s e t d e le u r s c o m p é t e n c e s , e t d o n c à la
p e r f o r m a n c e e t a u m a in t ie n d u r a b le d e le u r a c t iv it é e t i n f i n e d e le u r e m p lo i.

Le le a n a p e r m is à c e r t a in e s e n t r e p r is e s de r é a l is e r des g a in s de
p r o d u c t i v i t é i m p o r t a n t s . S o n i m p l é m e n t a t i o n a é té à l ’ o r i g i n e d e la s u r v i e
d e s it e s i n d u s t r i e l s e n d i f f i c u l t é . L e g r o u p e L ’ O r é a l e s t im e p o u r s a p a r t
q u e s o n d é p l o i e m e n t a p e r m i s d e g a g n e r 2 0 % d e c a p a c it é s s u p p lé m e n t a ir e s
e n d e u x a n s . A v e c c e t t e a p p r o c h e , le g r o u p e E s s i l o r a d i v i s é p a r d e u x le s
t a u x d e n o n - c o n f o r m i t é d e l ’ e n s e m b le d e se s u s in e s e n t r o is a n s h

P o u r a u t a n t , le l e a n f a it l ’ o b je t d e c r it iq u e s . L ’A g e n c e N a t io n a le p o u r
l ’A m é l i o r a t i o n d e s C o n d i t i o n s d e T r a v a i l e x p r im e u n e in q u ié t u d e : « P lu s ie u r s
T3
O é tu d e s et c o m m u n i c a t io n s s c ie n t if iq u e s q u e s t io n n e n t l ’ a t t e in t e de ce s
c:
:d o b je c t if s , a le r t a n t m ê m e s u r d e s r is q u e s d e d é g r a d a t io n d e s c o n d i t io n s d e
Û
t r a v a il. » D e s e n q u ê t e s d e t e r r a in o n t e n e ffe t m is e n é v id e n c e u n lie n é t r o it
d a n s c e r t a in e s e n t r e p r is e s e n t r e le d é p lo ie m e n t d u l e a n e t l ’ a u g m e n t a t io n d e s
(G) 2
a c c id e n t s d u t r a v a il o u le d é v e lo p p e m e n t d e s t r o u b le s m u s c u lo - s q u e le t t iq u e s .
DI
's_ L e l e a n e n t r a în e r a it a u s s i u n e in t e n s if ic a t i o n d u t r a v a il. P o u s s é e à o u t r a n c e , la
D.
O s t a n d a r d is a t io n , p r in c ip e c lé d u l e a n , p e u t é g a le m e n t c o n d u ir e à s u p p r im e r
U
le s m a rg e s de m a n œ u vre e t à t u e r la c r é a t iv it é . E n fin , re la y é s p a r le s
o r g a n is a t io n s s y n d ic a le s d e c e r t a in e s e n t r e p r is e s , d e s s a la r ié s o n t p u e x p r im e r
u n s e n t im e n t d e m a n ip u l a t io n q u a n d la r e c h e r c h e d e g a in s d e p r o d u c t iv it é
a v e c le u r p a r t ic ip a t io n a c t iv e a e n t r a în é n o n s e u le m e n t u n e d é g r a d a t io n d u
b ie n - ê t r e a u t r a v a il, m a is a u s s i d e s s u p p r e s s io n s d e p o s te s .

1, Exemples cités par l’Usine Nouvelle n°3361 du 23 janvier 2014.


22 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

D e f a it , i l n ’y a p a s u n l e a n , m a is p lu s i e u r s , a v e c u n e g r a n d e d iv e r s it é d e s
f o r m e s d ’ a p p l i c a t i o n . C e l l e s - c i d é p e n d e n t e n p r e m i e r l i e u d e s o b je c t if s
r e c h e r c h é s : l ’ e n t r e p r is e e s t - e lle d a n s u n e d é m a r c h e d e p r o g r è s o u d e c o s t
k i l l i n g v i s a n t d e s g a in s im m é d ia t s ? E l l e s v a r i e n t e n s u it e e n f o n c t i o n d e s
m o d a lit é s d e m is e e n œ u v r e : la d é m a r c h e e s t - e lle d e s c e n d a n t e o u c o n s t r u i t e
lo c a le m e n t a v e c le s a c t e u r s c o n c e r n é s ? E l l e s s o n t d if f é r e n t e s , e n f i n , s e lo n le s
o u t i ls d é p lo y é s , c e u x q u i r é p o n d e n t à u n b e s o in e f f e c t i f o u c e u x q u i s o n t
la b e llis é s p a r la m é t h o d e .

L e s d é m a r c h e s d e c o u r t t e r m e , d a n s le s q u e lle s le s d é c is io n s n e s o n t p a s
p r is e s p a r c e u x q u i a u r o n t à le s f a ir e v i v r e , d é n a t u r e n t l ’ e s p r it o r ig in e l d u
l e a n e t le d is c r é d it e n t la d é m a r c h e .

A c o n t r a r i o , c e r t a in e s d é m a r c h e s d e l e a n t r a v a i l l e n t à c o n c i l i e r r e c h e r c h e
d ’ e f f ic a c it é e t b ie n - ê t r e d e s s a la r ié s . E l l e s f o n t c o n f ia n c e à c e l u i q u i f a it , c a r
l u i s e u l s a u r a c e q u i e s t le p lu s e f f ic a c e e n s i t u a t i o n . E l l e s v e i l l e n t à c e q u ’ il
s’ e x p r im e su r la r é a lit é de so n t r a v a il, ce qui f a v o r is e r a b ie n sû r
l ’ a p p r o p r ia t i o n d e la d é m a r c h e e t f a c i l i t e r a le s r e m o n t é e s d ’ i n f o r m a t i o n .
D a n s c e s e n t r e p r is e s , le l e a n e s t p ilo t é s u r le t e r r a i n d ir e c t e m e n t p a r le s
o p é r a t e u r s . R a p p e lo n s q u e c h e z T o y o t a , u n o u v r i e r a le p o u v o i r d ’ a r r ê t e r
u n e c h a în e d e p r o d u c t i o n s’ i l c o n s t a t e u n d é f a u t .

C ’ e s t d a n s c e t t e o p t iq u e q u ’ i l e s t p o s s ib le d e c o n s t r u i r e d e s p o n t s a v e c
l ’ e n t r e p r is e lib é r é e . Les deux a p p ro c h e s c o e x is t e n t a u j o u r d ’h u i dans
c e r t a in e s o r g a n is a t io n s . S u r le f o n d , le m o u v e m e n t e s t le m ê m e : c e l u i d e la
p a r t i c i p a t i o n d e t o u s . E t c e r t a in s c o n s i d è r e n t q u e la t r a n s f o r m a t io n d u
m o d e d e g o u v e r n a n c e i n d u i t e p a r l ’ e n t r e p r is e lib é r é e e s t c o m p lé m e n t a ir e
T3 d e l ’ e s p r it i n i t i a l d u l e a n , a v e c se s p r o c e s s u s s i m p l i f i é s .
O
c:
:d P o u r a u t a n t , l ’ a p p r o c h e d if f è r e s u r u n p o i n t : p o u r le l e a n , la p a r t i c i p a t i o n
Û
e s t la c o n s é q u e n c e d ’ u n e m é t h o d e s t r u c t u r é e e t a n im é e f o r t e m e n t p a r d e s
O
(N r e la is in t e r n e s , le s b l a c k , g r e e n çx y e l l o w b e l t s e t le s c h a m p io n s . A l o r s q u e le s
@
e n t r e p r is e s d it e s lib é r é e s p r i v i l é g i e r o n t le m o u v e m e n t s p o n t a n é .

5-
Q.
O — T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------
U

Le lean m an ag em en t com m e dém arche de responsabilisation


des collaborateurs, par V in cen t Euzenat, M élan ie C ollet
et Alexandre Bernard
V in c e n t E u z e n a t est D ir e c t e u r d e l ’u s in e S u c h a r d - M o n d e le z d e S tra sb o u rg , M é ­
l a n i e C o llet, R e s p o n s a b le R H e t A l e x a n d r e B e r n a r d , R e s p o n s a b le L e a n M a n a g e ­
m e n t. C e tt e u s in e a é t é a c q u is e e n 1 9 3 1 p a r la f a m i l l e S u c h a r d . C e t t e c h o c o l a t e r ie
f a i t p a r t i e d e M o n d e l e z I n t e r n a t i o n a l d e p u is 1 9 9 2 . E lle c o m p t e 2 4 0 c o lla b o r a -
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 23

t e u r s p e r m a n e n t s e t u n e c e n t a in e d e s a is o n n ie r s . P a r m i les 2 3 u sin es d e c e tte d i v i ­


s io n en E u r o p e , e lle est a u jo u r d ' h u i la p lu s p e t i t e m a is a u s s i la p lu s p e r fo r ? n a n te .

En 2009, au m om ent où nous avons la n c é n o tre d é m a rc h e de le a n


m a n u fa c tu r in g , n o u s é tio n s v é rita b le m e n t e n lu tte p o u r n o tre s u rv ie . D è s le
d é p a rt, n o u s a v o n s c h o is i de m e ttre l ’h o m m e a u c e n tre de la d é m a rc h e et n o n
pas de n o u s c o n te n te r de m e ttre en p la ce des o u tils . C ’est ce q u i e x p liq u e e n
g ra n d e p a rtie le re d re sse m e n t de la p e rfo rm a n c e d u site e n 5 an s ave c les m ê m e s
p ro d u its , les m ê m e s é q u ip e m e n ts et les m ê m e s é q u ip e s.

E n fé v rie r 2 0 1 4 , les d ire c te u rs des a u tre s u sin e s d u g ro u p e et le u rs re sp o n sab le s


s o n t v e n u s v is it e r le site p o u r v o ir ce q u e n o u s a v io n s m is en p la ce en m a tiè re de
le a n m a n u fa c tu r in g . Ils s’a tte n d a ie n t à ce q u e n o u s p a rta g io n s n o s b o n n e s
p ra tiq u e s s u r les aspects te c h n iq u e s et m é th o d o lo g iq u e s d u le a n , m a is n o u s
a v o n s v o lo n ta ire m e n t m is l’a c c e n t s u r l ’a c c o m p a g n e m e n t d u c h a n g e m e n t et les
aspects h u m a in s d e cette a p p ro c h e . E n e ffe t, ce q u i l ’e m p o rte la rg e m e n t, c ’est le
tra v a il que n o u s a v o n s c o n d u it p o u r re n d re n o s c o lla b o ra te u rs a u to n o m e s et
c ré e r des re la tio n s d e c o n fia n c e ave c e u x .

N o u s av o n s to u t d ’ a b o rd fa it to m b e r le m u r e n tre les é q u ip e s de p ro d u c tio n et


celle s de m a in te n a n c e . P lu s e x a c te m e n t, la m a in te n a n c e a in té g ré les é q u ip e s de
p ro d u c tio n . L ’é q u ip e a in s i créée d e v e n a it p le in e m e n t re sp o n sa b le des ré su lta ts
d e la lig n e de p ro d u c t io n . C e c i lu i a p e rm is de m o n te r so n n iv e a u d ’e x p e rtise
s u r les é q u ip e m e n ts c o n fié s et d ’être b e a u c o u p p lu s ré a c tiv e e n cas de p a n n e .
N o tre e ffic ie n c e te c h n iq u e a a in s i fo rte m e n t p ro g ressé et est d e ve n u e la
m e ille u re des 2 3 u sin e s.

P a ra llè le m e n t, u n e n o u v e lle fo n c tio n de c o o rd in a te u r de lig n e , resp o nsable de la


T3
O
c: p e rfo rm a n c e g lo b ale de so n secteur, a été créée avec la re sp o n sa b ilité de l ’ense m b le
:d
Û des in d ic a te u rs : san té, sé c u rité , q u a lité , c o û t, d é la i, m o tiv a tio n et e n v iro n n e m e n t.
I l m anage à la fo is les ressources de p ro d u c tio n et de m a in te n a n c e s u r so n secteur,
O
(N
ce q u i lu i d o n n e l’e n se m b le des le vie rs p o u r p ilo te r la p e rfo rm a n c e .

sz P a r a ille u rs , n o u s avo n s b e a u co u p tra v a illé s u r le m a n a g e m e n t : s u iv i ré g u lie r des


DI

>- c o lla b o ra te u rs, q u a lité de l ’é v a lu a tio n de la p e rfo rm a n c e , etc. en re c h e rc h a n t en


Q.
O p e rm a n e n c e le m e ille u r é q u ilib re e n tre d ’ u n côté le n iv e a u d ’e xig e n ce , de l ’ au tre
U
le su p p o rt a u x c o lla b o ra te u rs. L e m a n a g e m e n t de l ’u sin e a a in s i é vo lu é d ’u n rô le
tra d itio n n e l de « c h e f » à c e lu i de m a n a g e r-d é ve lo p p e u r q u i fa it g ra n d ir ses
é q u ip e s.

C ’est e n p re m ie r lie u u n é tat d ’e s p rit q u i a été d é c is if p o u r c o n d u ire no s


t ra n s fo rm a tio n s , en p a ssa n t des « 5 b o n n e s ra iso n s p o u r n e p as fa ire » à « je
p o u rra is fa ire s i . . . ». A v e c l ’e n se m b le d u c o m ité de d ire c tio n n o u s avo n s a in s i
d é m a rré u n e v é rita b le chasse a u x idées re çu e s. P a r e x e m p le , l’ id é e se lo n la q u e lle
d « o n a p e u d ’in flu e n c e p o u r ré d u ire l ’a b s e n té ism e » a été c o m b a ttu e à to u s les
Q
©
24 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

n iv e a u x de l ’o rg a n is a tio n . U n e m é th o d o lo g ie le a n a été a p p liq u é e à la ré s o lu tio n


de cette p ro b lé m a tiq u e R H ave c u n g ro u p e p lu r id is c ip lin a ir e . N o u s so m m e s
a lo rs passés d e la lu tte c o n tre l ’a b se n té ism e a u s u p p o rt a u p ré se n té ism e . C e c i se
t ra d u it p a r u n p la n d ’a c tio n é q u ilib ré e n tre recad rag e et s o u tie n . U n e ré u n io n
q u o tid ie n n e de 15 m in u te s ave c les in g é n ie u rs de p r o d u c t io n , l ’ in fir m iè r e , la
R H , les g e stio n n a ire s p la n n in g a été m is e e n p la ce p o u r l ’é la b o ra tio n et le s u iv i
d u p la n d ’a c tio n . L e s regards cro isés p e rm e tte n t de p re n d re au cas p a r cas les
d é c isio n s les p lu s p e rtin e n te s . E n m o y e n n e , 1 2 0 a c tio n s s o n t m e n ée s c h a q u e
a n n é e . E lle s o n t p e rm is d e ré d u ire l ’a b s e n té ism e de 2 5 % p u is de le m a in t e n ir à
u n n iv e a u a c c e p ta b le .

A u jo u r d ’ h u i, n o u s s o u h a ito n s a lle r p lu s lo in s u r le c h e m in d e la re s p o n s a b ili­


s a tio n des c o lla b o ra te u rs . N o u s a v o n s p ro fité d e la d e rn iè re jo u r n é e a n n u e lle
d ’ a rrê t de l ’ u s in e p o u r la n c e r n o tre « v o y a g e » v e rs l ’e n tre p ris e lib é ré e , d a n s
u n e lo g iq u e e x p é rim e n ta le .

N o u s d isp o so n s e n e ffe t d ’u n te rre a u fa v o ra b le p o u r d o n n e r p lu s de m arg es de


m a n œ u v re a u x a c te u rs : l ’e s p rit de fa m ille est très fo rt d a n s les é q u ip e s. I l y a
p e u de cliva g e s e n tre co ls b le u s et co ls b la n c s . L e s é q u ip e s s a v e n t s’o rg a n ise r de
m a n iè re a u to n o m e se lo n les p ic s d ’a c tiv ité s a is o n n ie rs . L e c o lle c t if passe
so u v e n t a v a n t l ’in d iv id u e l d a n s l ’e s p rit de c h a c u n . L e d ia lo g u e so c ia l est
é g a le m e n t d e b o n n e q u a lité .

N o u s s o u h a ito n s o f f r ir u n e n v iro n n e m e n t p ro p ic e à la p rise d ’ in itia tiv e des


sa larié s su r le t e rra in . L o r s d ’u n c h a n t ie r d ’ u n e se m a in e ave c 3 0 e m p lo y é s et
o u v rie rs d ’ u n e lig n e de p ro d u c t io n , c e u x - c i o n t p ro p o sé de re m e ttre en cause
l ’u n des po stes de t ra v a il. A p rè s de lo n g u e s ré fle x io n s , ils o n t, d e m a n iè re
T3
O
c
u n a n im e , p ris la d é c is io n de s u p p rim e r ce p o ste en s’ o rg a n is a n t d iffé re m m e n t.
rj U n e d é c is io n d iff ic ile q u i est au ssi u n e p re u v e de m a t u rit é c o lle c tiv e : elle le u r a
Q
p e rm is de c o m p re n d re q u ’ils p o u v a ie n t se s a is ir de su je ts p lu s c o m p le x e s q u e
O
fN les seules c o n d itio n s d e tra v a il.
@
D ’au tres th è m e s o n t été tra ité s de la m ê m e m a n iè re s u r d ’au tre s lig n e s de
DI
's_ p ro d u c tio n . I l n ’y a pas de lim it e a u c h a m p o u v e rt p a r la p ris e d ’in itia tiv e .
Q.
O
U

Les équipes autonomes


Moins standardisées et uniformes que les démarches de lean, de multiples
initiatives ont fleuri à partir des années 70 dans l’industrie. Elles visaient
toutes à capitaliser sur l’autonomie accordée aux équipes de production.
Les limites du taylorisme et la nécessité de les dépasser ont rencontré à cette
période tout un courant culturel inspiré par l’autogestion, dans la droite
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 25

lig n e d e m a i 6 8 . N o m b r e d e c e s i n i t i a d v e s o n t d ’ a i lle u r s é té la n c é e s a p r è s u n
c o n f l i t s o c ia l, c o m m e le s m o d u le s a u t o n o m e s m i s e n p la c e p a r R e n a u l t d a n s
s o n u s in e d u M a n s s u it e à la g r è v e d e 1 9 7 3 . L e s t e r m e s u t ilis é s o n t v a r ié
s e lo n le s e n t r e p r is e s e t le s s e c t e u r s : é q u ip e s a u t o n o m e s , î lo t s d e p r o d u c t i o n ,
u n it é s é lé m e n t a ir e s de t r a v a il, m in i- u s in e s , é q u ip e s à r e s p o n s a b ilit é s
é la r g ie s , é q u ip e s s e m i- a u t o n o m e s .

E n a r r iè r e - p la n , c e s n o u v e l le s o r g a n is a t io n s d e t r a v a i l s’ a p p u y a i e n t s u r
u n e lo g iq u e d e r e s p o n s a b i lis a t io n d e l ’ o p é r a t e u r a u s e in d ’ u n e e n t it é d e
t a i l l e l i m i t é e : u n e é q u ip e d e p r o d u c t i o n d e 5 à 2 0 p e r s o n n e s , e n g é n é r a l.
D a n s u n e t e lle e n t it é , le s o p é r a t e u r s a s s u r e n t e u x - m ê m e s le s u i v i q u a lit é d e
l e u r p r o d u c t i o n a i n s i q u e d e s t â c h e s d e m a i n t e n a n c e d e p r e m i e r n iv e a u . I l
e st a tte n d u d ’e u x q u ’ ils p r o p o s e n t d e s a m é lio r a t io n s . Il y a donc un
e n r ic h is s e m e n t d e s t â c h e s , a p p u y é s u r u n e p o ly v a le n c e a c c r u e .

D e p u i s , d e s e n t r e p r is e s o n t f a it m a c h in e a r r iè r e , d u f a it d e c e r t a in e s
lim it e s : le s s u g g e s t io n s n ’ é t a ie n t p a s t o u j o u r s p r is e s e n c o m p t e . L e s p r o c e s s u s
r e s t a ie n t n o r m é s e t m i n u t é s , a f o r t i o r i lo r s q u ’ o n p a r a llè le é t a it m is e e n p la c e
u n e d é m a r c h e d e ju s t e à t e m p s . L a r e c h e r c h e p e r m a n e n t e d e p r o d u c t iv it é
g é n é r a it u n e c h a s s e a u x t e m p s m o r t s , c o n t r a d ic t o ir e a v e c l ’ a u t o n o m ie .

N é a n m o i n s , c e s n o u v e lle s o r g a n is a t io n s o n t in d u b i t a b l e m e n t p e r m is
a u x e n t r e p r is e s q u i le s m e t t a ie n t e n œ u v re d e d é p a s s e r la c o n c e p t io n
t a y l o r ie n n e d e l ’ o p é r a t e u r s t r i c t e x é c u t a n t d e s c o n s ig n e s .

La sociocratie
S i le t e r m e s o c i o c r a t i e e s t e m p r u n t é à A u g u s t e C o m t e , c ’ e s t le d i r i g e a n t
T3
O
c: d ’ u n e e n t r e p r is e f a m i l i a l e n é e r la n d a is e q u i e n a f o r m a l i s é le s p r i n c i p e s a u
:d
Û d é b u t d e s a n n é e s 7 0 . I l c h e r c h a i t a lo r s à a m é l i o r e r l ’ o r g a n is a t io n d e s o n
e n t r e p r is e p o u r t r a i t e r le s c o n f l i t s q u i l ’ a f f a i b l i s s a i e n t r é g u li è r e m e n t . L a
(G) 2 d é m a rc h e s o c io c r a t iq u e v is e à m e ttre e n p la c e un nouveau m o d e de
g o u v e r n a n c e q u i d o n n e la p a r o le a u x m i n o r i t é s e t a c c o r d e u n p o id s à
DI
's_
c h a c u n . L a p r é o c c u p a t i o n e s t d e d é p a s s e r le s e n j e u x d e p o u v o i r e t le s
D.
O lo g iq u e s d ’ e g o p o u r d é v e l o p p e r u n e c o m m u n a u t é d ’ in t é r ê t s .
(J

L ’ o r g a n is a t io n e s t s t r u c t u r é e e n c e r c le s c o m p o s é s d e c o lla b o r a t e u r s a u
p o u v o i r é q u iv a le n t e t p a r t a g e a n t u n e f i n a l i t é c o m m u n e . L a r é p a r t i t i o n d e s
r e s p o n s a b ilit é s e n tre eux est d é c id é e sur p r o p o s it io n du c e r c le , sans
c a n d i d a t d é c la r é . C e s c e r c le s s o n t a u t a n t d ’ o r g a n is a t io n s s e m i - a u t o n o m e s
en c h a rg e des d é c is io n s p o lit iq u e s , a u tre s q u ’ o p é r a t io n n e lle s au sens
q u o t i d i e n d u t e r m e . L e s d é c is io n s s o n t p r is e s s u r l a b a s e d ’ u n c o n s e n t e m e n t
o b t e n u u n e f o is le s o b je c t io n s a r g u m e n t é e s t r a it é e s e t le v é e s . A d é fa u t,
p o u r é v i t e r le b lo c a g e , l a d é c is io n r e m o n t e d a n s la s t r u c t u r e .
26 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

P a r r a p p o r t a u x d é m a r c h e s d e l ib é r a t i o n d e l ’ e n t r e p r is e , la s o c io c r a t ie
a p p o r t e u n e r é p o n s e p o s s ib le q u a n t à la s t r u c t u r a t i o n d u p ro c e s s u s d e
d é c is io n .

Le principe de subsidiarité
L a n o t i o n d e d é lé g a t io n e s t b ie n c o n n u e d e s e n t r e p r is e s : e lle c o n s is t e p o u r
u n e a u t o r it é ( u n e e n t r e p r is e , u n d ir i g e a n t , u n m a n a g e r ) à t r a n s f é r e r à u n
c o lla b o r a t e u r u n e p a r t ie b ie n d é lim it é e d e se s r e s p o n s a b ilit é s , e t n o t a m ­
m e n t d e ses c a p a c it é s d ’ a c t io n e t d e d é c is io n . E l l e e s t e n rè g le g é n é r a le
a c c o m p a g n é e d u c o n t r ô le .

L e p r in c ip e d e s u b s id ia r it é e s t s o u v e n t c o n f o n d u a v e c la d é lé g a t io n . I l
c o n s is t e à c o n s id é r e r q u e t o u t e r e s p o n s a b ilit é d o it ê tre a s s u m é e p a r le n iv e a u
d ir e c t e m e n t c o n f r o n t é à la p r o b lé m a t iq u e à r é s o u d r e , le s é c h e lo n s s u p é r ie u r s
n ’ in t e r v e n a n t q u e s i la r é p o n s e à d o n n e r e x c è d e le s c a p a c it é s d u n iv e a u é v o q u é .

A u jo u r d ’h u i m is en œ u v re com m e p r in c ip e de m anagem ent et


d ’ o r g a n is a t io n p a r d e s e n t r e p r is e s c o m m e V i n c i o u C o f e l y I n e o , le p r i n c i p e
d e s u b s i d ia r i t é a é té t r a n s p o s é à l ’ e n t r e p r is e à p a r t i r d e s a n n é e s 8 0 . I l t r o u v e
s o n o r ig in e d a n s la p e n s é e d e S a i n t T h o m a s d ’ A q u i n e t c h e z p lu s i e u r s
a u te u rs^ d o n t le s r é f le x io n s o n t i n f l u e n c é la r é d a c t io n d e l ’ e n c y c l iq u e
R e r u m n o v a r u m d e 1 8 9 1 , t e x t e f o n d a t e u r d e la d o c t r i n e s o c ia le d e l ’ É g l i s e
c a t h o l iq u e . I l e s t s u r t o u t c o n n u d u g r a n d p u b l i c p o u r s o n a p p l i c a t i o n à
u n e o r g a n is a t io n c o m p le x e , l ’ U n i o n e u r o p é e n n e .

D é lé g a t i o n e t s u b s i d ia r i t é o n t e n c o m m u n d ’ ê t re d e s f o r m e s d ’ a u t o n o m ie ,
q u i r a p p r o c h e n t p o u v o i r d e d é c is io n e t p o u v o i r d e r é a l is a t io n . M a i s le
TO3 p r i n c i p e m ê m e d e la d é lé g a t io n e s t c o n s t r u i t s u r u n p o s t u l a t : la d é c is io n
c
rj
Q a p p a r t ie n t a u s o m m e t , q u i la c o n c è d e p a r e x c e p t io n à la b a s e . A l o r s q u ’ a v e c
le p r i n c i p e d e s u b s i d ia r i t é , a u c o n t r a i r e , la d é c is io n a p p a r t ie n t à la b a s e q u i
O
fN n e f a it a p p e l a u n iv e a u s u p é r ie u r q u e p a r e x c e p t io n .
@
L a d if f é r e n c e e n t r e le s d e u x a p p r o c h e s n ’ e s t p a s q u e d ’ o r d r e c o n c e p t u e l.
DI
's_
En e f f e t , c o n s i d é r e r p a r p r i n c i p e q u e la d é c is io n a p p a r t ie n t a u x a c t e u r s
D.
O c o n f r o n t é s a u x e n je u x , a f f r a n c h i s d e s lo u r d e u r s d e s p r o c e s s u s d e d é c is io n
(J
d e s o r g a n is a t io n s b u r e a u c r a t iq u e s m a is a u s s i d u c o n t r ô le , e s t p le in e m e n t
c o h é r e n t a v e c le s lo g iq u e s d e l i b é r a t i o n d e l ’ e n t r e p r is e .

La sododynamique
In it ié e a u d é b u t d es a n n é e s 7 0 p a r u n c o n s u lt a n t , J e a n - C h r is t ia n F a u v e t ,
p o u r t r a it e r d a n s l ’ e n t r e p r is e le s c o n f l i t s s o c ia u x , la s o d o d y n a m i q u e a

1, Le philosophe Johannes Althusius et le prêtre jésuite Taparelli d’Azeglio, notamment.


L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s in n o v a n t e s ? 27

f a ç o n n é d e p u is le s p r a t iq u e s d e n o m b r e u x d ir i g e a n t s . E l l e e s t e n c o r e u t ilis é e
p a r d e s c a b in e t s d e c o n s e i l d a n s le u r s i n t e r v e n t i o n s e t u n i n s t i t u t d e la
s o c io d y n a m iq u e a é té c r é é e n 2 0 1 3 .

C e t t e é c o le d e p e n s é e a n a ly s e le s o r g a n is a t io n s c o m m e d e s c h a m p s d e
fo r c e s d a n s le s q u e ls le s c o n t r a ir e s s’ a f f r o n t e n t e t se c o m p lè t e n t . E l l e v is e à
r é c o n c i l i e r le s o b je c t if s d e l ’ i n s t i t u t i o n e t le s a s p ir a t io n s d u c o r p s s o c ia l,
d ’ o ù u n d is c o u r s p r i v i l é g i a n t la r e c h e r c h e d e c o n v e r g e n c e . L e s m a n a g e r s
j o u e n t u n r ô le c e n t r a l d a n s c e t é q u i l i b r e , p u is q u ’ ils r e p r é s e n t e n t à la f o is
l ’ i n s t i t u t i o n , e n p o r t a n t la s t r a t é g ie e t e n o r g a n is a n t l ’ a c t i v i t é , e t le c o r p s
s o c ia l d o n t ils f o n t r e m o n t e r le s a t t e n t e s .

L a s o c io d y n a m iq u e s ’ e s t p r o g r e s s iv e m e n t in t é r e s s é e a u x e n je u x o r g a n i­
s a t io n n e l s , c e q u i l ’ a c o n d u it e à d é v e lo p p e r u n e n s e m b le d e c o n c e p t s a u t o u r
d e s s t r a t é g ie s d e c h a n g e m e n t . J e a n - C h r i s t i a n F a u v e t a a i n s i é t a b li u n e
t y p o lo g ie des d if f é r e n t s ty p e s d ’ o r g a n is a t io n en f o n c t io n de deux
d im e n s io n s : le u r n iv e a u d e c o h é s io n in t e r n e e t le u r d e g r é d ’ o u v e r t u r e s u r
l ’ e x t é r ie u r .

L ’ o r g a n is a t io n d it e « h o lo m o r p h e » e s t c e lle q u i c o m b in e le s deux
d im e n s io n s à u n n iv e a u é le v é . L e m a n a g e m e n t n ’ im p o s e p a s , m a is in t e r v i e n t
s u r la b a s e d ’ u n é q u il ib r e e n t r e a n i m a t i o n e t n é g o c i a t io n . C ’ e s t d a n s c e t y p e
d ’ e n t r e p r is e q u ’ é m e r g e n t d e s g r o u p e s a u t o - o r g a n is é s o ù le s a c t e u r s s o n t
lib r e s , m a is e n c lin s à m e ttre le u r lib e r t é au s e r v ic e du p r o je t . C e tte
o r g a n is a t io n h o lo m o r p h e e st trè s p ro c h e de l ’ e n t r e p r is e lib é r é e . J e a n -
C h r i s t i a n F a u v e t p a r le d ’ a i lle u r s d e « l ib é r e r le s g e n s » . P a r a i l l e u r s , i l é v o q u e
« la d é lé g a t io n à r e b o u r s » q u i , d a n s le c o n t e n u q u ’ i l y m e t , e s t trè s p r o c h e
T3 d u p r i n c i p e d e s u b s i d ia r i t é . U n e e n t r e p r is e c o m m e F A V I s’ e s t b e a u c o u p
O
c:d a p p u y é e s u r la s o c io d y n a m iq u e p o u r m e n e r s a t r a n s f o r m a t i o n .
a

L'Entreprise du troisième type


sz D a n s L E n t r e p r i s e d u t r o i s i è m e t y p e p u b lié e n 1 9 8 4 , G e o r g e s A r c h i e r e t H e r v é
DI

>- S e r ie y x , a lo r s d ir ig e a n t s du g ro u p e L e s ie u r , e s t im e n t o u v e rte P è re du
Q.
O « t a y lo r is m e à l ’ e n v e r s » : « O n a lo n g t e m p s c o n s id é r é le s a la r ié c o m m e u n e
U
m a i n ; o n le c o n s id è r e e n c o r e c o m m e u n e m a i n e t u n c œ u r , o u b lia n t q u ’ i l e s t
c e la , c e r t e s , m a is q u ’ i l e s t d ’ a b o r d e t d e p lu s e n p lu s a u jo u r d ’ h u i u n e t ê te ».

L e s a u t e u r s e n d é d u is e n t d e s rè g le s p r a t iq u e s d ’ o r g a n is a t io n e t d e g e s t io n .
L ’ u n e d e s c lé s , c ’ e s t l ’ é la b o r a t io n p a r l ’ e n s e m b le d u p e r s o n n e l d ’ u n p r o je t
d ’ e n t r e p r is e p a r t a g é q u i f o n d e le c o n s e n s u s d e s s a la r ié s s u r d e s o b je c t if s
com m uns.

« C e q u i v a d é s o r m a is p r é v a lo ir , a f f i r m e n t - i l s , c e s e r a u n e r e la t io n e n t r e
Û d ’ u n c ô t é , u n e e n t r e p r is e q u i se d é f i n i t c o m m e u n n o y a u d e c o m p é t e n c e s
®
28 F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

t e n d u v e r s u n p r o je t ; d e l ’ a u t r e , u n p r o f e s s io n n e l s û r d e s a c o m p é t e n c e e t
q u i se c o m p o r t e e n h o m m e l i b r e , à la r e c h e r c h e d e l ’ e n t r e p r is e d a n s la q u e lle
i l p o u r r a i n v e s t i r s o n p o t e n t ie l p e r s o n n e l. »

U n « h o m m e lib r e » q u i a d h è r e à u n p r o je t d ’ e n t r e p r is e o u à u n e v i s i o n :
p lu s i e u r s d e s in g r é d ie n t s d e l ’ e n t r e p r is e lib é r é e s o n t d ’ o re s e t d é jà a r t ic u lé s .

La pyramide inversée
L a n o t i o n d e p y r a m id e in v e r s é e a é té r e p r is e p a r J e a n - M a r i e D e s c a r p e n t r ie s
e t V i n e e t N a y a r , t o u s d e u x d ir i g e a n t s d ’ e n t r e p r is e e t a u t e u r s d ’ o u v r a g e s e n
m a n a g e m e n t . M a i s e lle a é té c o n ç u e à l ’ o r ig in e p a r J a n C a r l z o n , p a t r o n d e
la c o m p a g n ie a é r ie n n e S c a n d in a v e S A S , q u i l ’ a p o p u la r i s é d a n s s o n o u v r a g e
R en v erson s la p y r a m id e .

I l y e x p l i q u e c o m m e n t i l a p u , a v e c c e t t e a p p r o c h e e t e n q u e lq u e s
a n n é e s s e u le m e n t , r e d r e s s e r c e t t e s o c ié t é e t l a h is s e r a u p r e m i e r r a n g
e u r o p é e n : « L a n o u v e l l e o r g a n i s a t i o n d u t r a v a i l s u p p o s a i t q u e le s d é c i s i o n s
n e s o ie n t p lu s s y s t é m a tiq u e m e n t p r is e s a u n iv e a u d e la d ir e c t io n c e n tr a le .
D ans ces c o n d itio n s , on p e u t r é d u ir e le s e jfe c t ifs chargés d 'é la b o r e r le s
r é g le m e n ts e t in s tr u c tio n s , d e v e il le r à le u r d is tr ib u tio n e t d 'en c o n s ta te r
l' e x é c u t io n . C o m m e i l n ' é t a it p l u s q u e s t io n d e t o u t d i r i g e r d 'e n h a u t , n o u s
n ' a v i o n s p l u s b e s o i n d e s r a p p o r t s d e s t i n é s à n o u s r e n s e i g n e r s u r le s d é t a i l s d e
m is e en œ u v re. T o u s c e s d o c u m e n t s o n t é t é s u p p r i m é s . [ . . . ] I l s ' a g is s a it d e
g a g n e r l a c o n fi a n c e d e s g e n s à la b a s e d e l' o r g a n is a t io n . I ls n ' a v a ie n t j a m a i s é t é
h a b it u é s à o p é r e r d e s c h o ix . »

L ’ a p p r o c h e d e J a n C a r l z o n se b a s e s u r u n d i a g n o s t i c : le s o r g a n i s a t i o n s
T3
O
c:d t r a d i t i o n n e l l e s t e n d e n t à é c r a s e r le s e m p lo y é s e t à n é g li g e r le s c l i e n t s , e n

Û f a i s a n t l a p a r t b e lle a u x d i r i g e a n t s e t a u x d i r e c t i o n s f o n c t i o n n e l l e s . S ’ y
a jo u te une c o n v ic t io n : dans le s s o c ié t é s m o d e rn e s, l ’h o m m e est
c o m p é t e n t , re s p o n s a b le e t e n t r e p r e n a n t . I l s ’ a g it d o n c d e m a x i m i s e r

sz l ’ a u t o n o m ie au c o n t a c t d ir e c t d e s c lie n t s en d o n n a n t le p o u v o i r d e
CT
'l- d é c is io n à la b a s e , d e l ’ a p p u y e r p a r u n e o r g a n is a t io n h o r iz o n t a le e t d e
>-
D.
O p l a c e r le r e s t e d e l ’ o r g a n i s a t i o n , à s o n t o u r , a u s e r v i c e d e c e s c o l l a b o r a t e u r s .
(J
P lu s ie u r s d e s é lé m e n t s c a r a c t é r is a n t l ’ e n t r e p r is e lib é r é e f ig u r a ie n t d a n s
c e t t e a p p r o c h e , d é v e lo p p é e i l y a t r e n t e a n s .

L'entreprise libérée, ouvrage paru en 1993


N o u s l ’ a v o n s v u , la m a r q u e « E n t r e p r i s e lib é r é e » a é té d é p o s é e à l ’ I N P I e n
2 0 1 3 . S o n p r o p r ié t a ir e e s t la s o c ié t é p a r a c t io n s s i m p l i f i é e L A B L I B dont

1. Jan Carlzon, Renversons la pyramide l, Inter Éditions, 1986.


L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s in n o v a n t e s ? 29

Is a a c G e t z e s t le P r é s id e n t. P o u r a u t a n t , la n o tio n est b e a u c o u p p lu s
a n c ie n n e e t a u n e h is t o ir e . C ’ e s t e n 1 9 9 3 q u ’ e s t p a r u e n F r a n c e c h e z D u n o d
u n o u v r a g e d e p r è s d e 7 0 0 p a g e s , t it r é L e n t r e p r i s e l i b é r é e , a v e c p o u r s o u s -
t i t r e , e n a n g la is , L i b e r a t i o n m a n a g e m e n t . S o n a u t e u r . T o r n P e t e r s , a n c ie n
c o n s u lt a n t d e M c K i n s e y , e s t s u r t o u t c o n n u p o u r le s u c c è s o b t e n u q u e lq u e s
années a u p a ra v a n t avec Le p r ix de ^ e x c e lle n c e , c o - é c r it avec R o b e rt
W a te rm a n .

L ’ a p p r o c h e d e T o r n P e t e r s d a n s L e n t r e p r i s e l i b é r é e c o m b in e l ’ a n a ly s e d e
q u e lq u e s c a s d ’ e n t r e p r is e q u ’ i l p r é s e n t e a v e c u n s t y le s u r p r e n a n t p o u r q u i
n ’ e s t p a s f a m i l i e r a v e c u n e c e r t a in e v u lg a r is a t io n m a n a g é r ia le m a d e i n U S A .
P o u r a u t a n t , c e r t a in s in g r é d ie n t s c o n s t i t u t i f s d e la n o t i o n d ’ e n t r e p r is e
lib é r é e , t e lle que p ro m u e a u jo u r d ’h u i, so n t bel et b ie n p ré se n ts :
d é c e n t r a lis a t i o n r a d ic a le , e n t r e p r is e o r g a n is é e e n g r o u p e s d e p e r s o n n e s
r e s p o n s a b le s , a u t o n o m e s e t p l u r i d i s c i p l i n a i r e s , s u p p r e s s io n d e s b a r r iè r e s
f o n c t io n n e ll e s , a b s e n c e d ’ o r g a n ig r a m m e , f o n c t i o n n e m e n t e n r é s e a u .

S o n a p p r o c h e t r a it e d e c e q u i r e n v o ie à l ’ i n d i v i d u e t à s a p la c e d a n s
l ’ e n t r e p r is e , m a is a u s s i a u x a s p e c t s p lu s f o r m e ls d e l ’ o r g a n is a t io n : « O n a
b e a u c é d e r u n e a u t o n o m ie i l l i m i t é e à d e s i n d i v i d u s s a c r é m e n t m o t iv é s ,
c e u x - c i n ’ a r r i v e r o n t à r ie n t a n t q u e la s t r u c t u r e d ’ e n s e m b le d a n s la q u e lle ils
a g is s e n t re s te h i é r a r c h i q u e e t s c lé r o s é e . C e n ’ e s t q u ’ e n d é b o u c h a n t le s a r t è r e s
de l ’ e n t r e p r is e ( la s tru c tu re ) et en r e f a is a n t de A à Z l ’in s t a lla t io n
é le c t r iq u e ( le s y s t è m e ) q u ’ o n p o u r r a é v i t e r le g â c h is d e t a le n t s e t d e b o n n e
v o lo n t é a u q u e l o n a s s is t e a u j o u r d ’ h u i » é c r i t - i l .

U n e t e lle a p p r o c h e , s a n s c a r a c t è r e s c ie n t if iq u e e t s a n s c o n t e x t u a li s a t io n

T3 d e s c a s é t u d ié s , l i m i t e b ie n s û r c o n s i d é r a b le m e n t l ’ i n t é r ê t d e la r é f le x io n .
O
c:
3 P o u r a u t a n t , i l f a u t r e c o n n a ît r e à T o r n P e t e r s u n e c e r t a in e i n t u i t i o n q u a n t
Û
a u x f o r m e s o r g a n is a t io n n e lle s é m e r g e n t e s , v i n g t a n s a v a n t le b u z z s u r
l ’ e n t r e p r is e lib é r é e .
(y) ^

CT
Q.
O LES REFLEXIONS RECENTES
U

De rholacratie de Brian Robertson à Texpérience Zappos


L ’ h o la c r a t ie e s t u n m o d è le o r g a n is a t io n n e l c o n ç u p a r B r i a n R o b e r t s o n q u i
en a e x p é r im e n t é le s p r in c ip e s à p e t it e é c h e lle dans l ’ e n t r e p r is e de
d é v e lo p p e m e n t in f o r m a t iq u e q u ’il a v a it c ré é e en 2001. Il e x is t e une
« c o n s t it u t io n » d e l ’ h o la c r a t ie , d o c u m e n t d ’ u n e t r e n t a in e d e p a g e s q u i

-ac d é f i n i t l ’ e n s e m b le d e s é lé m e n t s d ’ u n e t e lle o r g a n is a t io n . D e p u i s 2 0 0 7 à la
c
3 tê te d e l ’ e n t r e p r is e H o l a c r a c y O n e , B r i a n R o b e r t s o n d é d ie s o n a c t iv it é à la
Û
© p o p u la r i s a t io n e t à la c o m m e r c i a l i s a t i o n d e c e t t e a p p r o c h e .
3 0 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

L ’ e n t r e p r is e e s t a b o r d é e c o m m e u n e e n t it é d o té e d e s a p r o p r e m i s s i o n ,
q u i d é p a s s e le s i n d i v i d u s . D è s lo r s , le d ir i g e a n t n e p e u t m a î t r i s e r t o u t e la
c o m p le x it é d e l ’ e n t r e p r is e e t d e s o n e n v i r o n n e m e n t e t d o it d o n c s’ e m p lo y e r
à f a ir e é c lo r e le p o t e n t ie l d e s o n o r g a n is a t io n . L ’ h o la c r a t ie c o n s id è r e le
c o lla b o r a t e u r c o m m e un c a p t e u r s u s c e p t ib le d ’é m e ttre d e s s ig n a u x et
d ’ e n r i c h i r l ’ a p p r o c h e d e l ’ e n t r e p r is e .

C h a q u e c o lla b o r a t e u r a s s u r e p lu s i e u r s r ô le s e t d is p o s e p o u r c e la d ’ u n
e s p a c e d e lib e r t é , s a n s d i m e n s i o n h ié r a r c h i q u e . C o m m e p o u r la s o c io c r a t ie ,
d e s c e r c le s s o n t c o n s t it u é s , c h a c u n e n g lo b a n t u n e é q u ip e . I l s d is p o s e n t
d ’ u n e la r g e a u t o n o m ie p o u r a t t e in d r e le u r s o b je c t if s .

D i f f é r e n t s o u t i ls d e r é g u la t io n s o n t m i s e n p la c e p o u r t r a it e r le s é c a r t s e t
p re n d re des d é c is io n s . Une d é c is io n est a d a p té e quand il n ’y a p lu s
d ’ o b je c t io n a r g u m e n t é e . C e f o n c t i o n n e m e n t p e r m e t d ’ a s s u r e r u n p ilo t a g e
d y n a m i q u e d e l ’ a c t io n d u r a n t s o n d é p lo ie m e n t , à l ’ o p p o s é d e s lo g iq u e s d e
p la n if ic a t io n .

L e s u c c è s d e l ’ h o la c r a t ie e s t p o u r p a r t ie l ié à l ’ h is t o ir e d ’ u n e e n t r e p r is e ,
Z a p p o s . F o n d é e n 1 9 9 9 , Z a p p o s e s t u n e p la t e f o r m e d e v e n t e e n lig n e d e
c h a u s s u r e s e t d e v ê t e m e n t s , q u i r é a lis e a u j o u r d ’ h u i u n c h i f f r e d ’ a f f a ir e s
a n n u e l d ’ e n v ir o n u n m i l l i a r d d e d o lla r s . S o n c o - f o n d a t e u r , T o n y H s i e h ,
t o u j o u r s à sa tê te m a lg r é le r a c h a t e n 2 0 0 9 p a r A m a z o n , a v a i t d é jà c r é é
l’é v é n e m e n t en 2010 avec la p u b lic a t io n de so n o u v ra g e D e liv e r in g
H a p p in e s s ^ , q u i l ’ a v a i t i n s t a llé c o m m e u n e f ig u r e m a je u r e d e la n o u v e lle
é c o n o m ie e t d e se s p r a t iq u e s d e m a n a g e m e n t . F i n 2 0 1 3 , i l a a n n o n c é la
s u p p r e s s io n d e s t it r e s e t d e s f o n c t i o n s d e m a n a g e r s a i n s i q u e la m is e e n

T3 p la c e d e 4 0 0 c e r c le s q u i s o n t a u t a n t d ’ e s p a c e s o ù le s 1 5 0 0 c o lla b o r a t e u r s
O
c
rj p o u r r o n t a s s u m e r p l u s i e u r s r ô le s .
Q
E n 2 0 1 4 , d e s c r it iq u e s ^ se s o n t é le v é e s c o n t r e c e m o d è le . L a p r e m i è r e
O
fN s o u lig n e q u e l ’ h o la c r a t ie n e f a i t p a s d is p a r a î t r e la h i é r a r c h i e , m a is e n
@ c o n s t r u it une n o u v e l le avec le s c e r c le s e n c h e v ê tré s. Sont é g a le m e n t
DI
's_ c o n t e s t é e s la c o m p l e x i t é e t l a l o u r d e u r d e s p r o c é d u r e s d e g o u v e r n a n c e .
D.
O U n e d e r n iè r e c r i t i q u e c o n c e r n e la p la c e d u c l i e n t , a b s e n t d ’ u n m o d è le
(J
h o la c r a t iq u e f o c a lis é s u r le s m o d e s d e f o n c t i o n n e m e n t in t e r n e s .

1. Version en français : Tony Hsieh, L’entreprise du Bonheur, Leduc.s Éditions, 2011.


2. Par exemple ; Is Holacracy Succeeding at Zappos?, Steve Denning, Forbes, 23 mai 2015.
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s in n o v a n t e s ?

Les employés d'abord, les clients ensuite’, ouvrage de Vineet Nayar


À la tê te d e H C L T e c h n o lo g i e s , s o c ié t é i n d i e n n e d e s e r v ic e s in f o r m a t iq u e s ,
V i n e e t N a y a r d é v e lo p p e d a n s c e t o u v r a g e u n e v i s i o n in v e r s é e d e s p r io r it é s
p o u r l ’ e n t r e p r is e . I l s o u lig n e q u e la v é r i t a b le « z o n e d e v a le u r » se s it u e là o ù
le s o p é r a t io n n e ls in t e r a g is s e n t a v e c le s c lie n t s p o u r c r é e r d e s s o lu t io n s s u r
m e s u r e . E t d o n c q u ’ e n se c e n t r a n t d ’ a b o r d s u r se s c o lla b o r a t e u r s e t e n le u r
p e r m e t t a n t d ’ e x p r i m e r le u r c r é a t iv it é , l ’ e n t r e p r is e c r é e r a p lu s d e v a le u r
a jo u t é e p o u r se s c lie n t s q u ’ e n é t a n t d ’ a b o r d f o c a lis é e s u r c e s d e r n ie r s o u s u r
le s p r o d u it s : « L e s c lie n t s c o m m e n c è r e n t à c o m p r e n d r e q u ’ e n f a is a n t p a s s e r
le s e m p lo y é s d ’ a b o r d , n o t r e o b j e c t i f é t a it d e c r é e r p lu s d e v a l e u r p o u r e u x . »

I l s ’ a p p u ie p o u r c e la s u r le s d é m a r c h e s q u ’ i l a m is e s e n p la c e p o u r m e n e r
e n p lu s i e u r s é t a p e s la t r a n s f o r m a t i o n c u l t u r e l l e d e s o n e n t r e p r is e . D a n s u n
p r e m i e r t e m p s , i l a a n a ly s é la r é a l it é d e s a s i t u a t i o n e t i d e n t i f i é le s f a ib le s s e s
e n m u l t i p l i a n t le s é c h a n g e s . P a r a l l è l e m e n t , l ’ e n t r e p r is e a m i s s u r p ie d s a
v i s i o n d u f u t u r : « E n 2 0 0 9 , n o u s a v o n s d é c id é q u e le s t r o is c e n t s d ir e c t e u r s
p r é p a r e r a ie n t le u r s p la n s s t r a t é g iq u e s e t e n f e r a ie n t d e s e n r e g is t r e m e n t s
a u d i o , q u i s e r a ie n t p o s t é s s u r u n p o r t a i l [ . . . ] . T o u t le m o n d e se s e n t a i t
c a p a b le d e c o n t r i b u e r à c e p r o c e s s u s d e r é f le x io n e t d e p l a n i f i c a t i o n s t r a t é ­
g iq u e . L e s g e n s c o m p r e n a i e n t m i e u x le s c h a lle n g e s , in t é g r a ie n t le p la n
s t r a t é g iq u e , e t p o u v a i e n t s ’ a l ig n e r d e s s u s d ’ u n e f a ç o n in c o n n u e a u p a r a ­
v a n t. »

A l l e r p lu s l o i n i m p l i q u a i t d e c r é e r u n e c u lt u r e d e c o n f ia n c e : « J ’ é t a is
c o n v a in c u q u e l ’ u n e d e s m a n iè r e s d e lib é r e r c e t a le n t s e r a it d e r e n d r e n o t r e
c u lt u r e p a r t ic ip a t iv e . P o u r o b t e n ir d e s g e n s q u ’ ils p a r t i c i p e n t p lu s , n o u s
T3
O d e v io n s c r é e r u n e c u lt u r e d e la c o n f ia n c e , e t p o u r c e f a ir e , i l n o u s f a lla it p lu s
c:
:d
Û de tra n s p a re n c e . »

L a t r o is iè m e é t a p e c o n c e r n a it t o u s le s m o y e n s d ’ in v e r s e r la p y r a m id e
o r g a n is a t io n n e lle e n p la ç a n t le s e m p lo y é s a u s o m m e t a v e c u n e lo g iq u e d e

sz r e s p o n s a b ilit é in v e r s é e ; « N ous v o u lio n s que c e r t a in s é lé m e n t s de la


DI

>- h ié r a r c h ie r e n d e n t u n p e u p lu s d e c o m p t e s à la z o n e d e c r é a t io n d e v a le u r . »
Q.
O L e r ô le d u P D G a e n s u it e é té r e d é f in i, a v e c u n e d é c e n t r a lis a t i o n d u
U

p r o c e s s u s d e d é c is io n . « J ’ a i a p p r is à c e t t e é p o q u e q u ’ e n t a n t q u e P D G [...],
i l f a u t r é s is t e r à l ’ o b s e s s io n d e r é p o n d r e à c h a q u e q u e s t io n o u d e d o n n e r
u n e s o lu t io n à c h a q u e p r o b lè m e . A u c o n t r a ir e , i l f a u t c o m m e n c e r à p o s e r
s o i- m ê m e le s q u e s t io n s , à e n v is a g e r le s a u tre s com m e so u rc e s de
c h a n g e m e n t , e t t r a n s m e t t r e la r e s p o n s a b ilit é d e la c r o is s a n c e d e l ’ e n t r e p r is e

3 1. Vineet Nayar, Les employés d’abord, les clients ensuite : comment renverser les règles du manage­
Û
© ment, Diateino, 2011.
32 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

à u n e n o u v e lle c a t é g o r ie d e le a d e r s , c e lle q u i e s t p lu s p r o c h e d e la z o n e d e
c r é a t io n d e v a le u r . »

L e s a c t io n s m is e s e n œ u v r e a u s e in d e H C L T e c h n o lo g i e s s o n t c la s s iq u e s :
d ia g n o s t ic p a r t i c i p a t i f , t r a n s p a r e n c e s u r le s p r o c e s s u s d e d é c is io n , b lo g d u
P D G , f o ir e a u x q u e s t io n s , a p p r é c ia t io n a u t r a v e r s d ’ u n e d é m a r c h e 3 6 0 ° ,
e t c . N é a n m o i n s , d e u x é lé m e n t s r e n f o r c e n t l ’ in t é r ê t d e c e t t e e x p é r ie n c e .
D ’ u n e p a r t , le p r a g m a t is m e d e V i n e e t N a y a r , q u i a jo u é d e t o u s c e s le v ie r s
d a n s u n la p s d e t e m p s t r è s c o u r t , s a n s p la n d ’ a c t io n p r é é t a b li, s’a d a p t a n t
a u x r é a c t io n s d e se s s a la r ié s e t d e se s c lie n t s e t f o n c t i o n n a n t p a r e s s a i- e r r e u r ,
t a n d i s q u ’ i l re s t e a n c r é s u r se s c o n v i c t i o n s e t p a r t is p r i s . D ’ a u t r e p a r t , c e s
p a r t is p r is e u x - m ê m e s , e n r u p t u r e a v e c le s p r a t iq u e s d e m a n a g e m e n t n é o -
t a y l o r ie n d u s e c t e u r i n f o r m a t i q u e d a n s le s a n n é e s 1 9 9 0 - 2 0 1 0 .

- T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------

Les collaborateurs d’abord : leitm otiv d’une transform ation


réussie, par A nne-M arie H u bert et San drine Bened etti
A n n e - M a r ie H u b e r t est D ir e c t r ic e I l e - d e - F r a n c e d e M a n p o w e r e t S a n d r in e B e n e ­
d e t ti, R e s p o n s a b le d u d é v e l o p p e m e n t d e s c o m p é te n c e s m a n a g é r ia le s . M a n p o w e r est
l u n d e s le a d e r s m o n d i a u x d u r e c r u te m e n t, a c t e u r m a j e u r en F r a n c e d e p u is 1 9 5 7 ,
a v e c u n résea u d e 6 5 0 ag en ces. L I l e - d e - F r a n c e est u n e d e s 5 z o n e s g é o g r a p h iq u e s
d u g r o u p e en F r a n c e .

En 2011, la s it u a t io n é c o n o m iq u e de l ’ a c t iv it é Île - d e - F r a n c e é ta it très


d é g ra d é e et les c o lla b o ra te u rs se d is a ie n t é p u is é s . Ils v e n a ie n t d e v iv r e u n e
X3 p é rio d e de r e s t r u c tu r a t io n s s u c c e s s iv e s , le m a rc h é a y a n t fo rt e m e n t régressé en
O
c u n a n . L e s d irig e a n ts p ré c é d e n ts a v a ie n t d û a lo rs ré a g ir trè s v ite : des ag ences
Û
o n t été fu s io n n é e s , le b a c k - o f f i c e sé p aré d .u .fi'o n t-o jjice, de n o u v e a u x p ro ce ssu s
O
fM
m is e n p la c e , des d é p a rts n o n re m p la c é s .
(5) N o u s a v o n s p r is le te m p s de p o s e r u n d ia g n o s tic d é t a illé s u r l ’ e n s e m b le de
n o tr e sy s tè m e c o m m e r c ia l. L a p re m iè r e q u e s t io n a été : « C o m m e n t fo n t les
>-
Q. c lie n t s p o u r s’y r e t ro u v e r ? » L e p o s it io n n e m e n t c o m m e r c ia l d e n o s ag en ces
O
U
é t a it très v a r ia b le , c e rta in e s é ta ie n t s p é c ia lis é e s s u r u n m é t ie r, d ’ a u tre s s u r
u n e z o n e g é o g ra p h iq u e . L e c lie n t p o u v a it d o n c a v o ir p lu s ie u r s in t e r lo c u t e u r s
p o u r u n e m ê m e m is s io n e t n o s c o lla b o ra t e u rs in t e r v e n a ie n t c h a c u n s u r u n e
p a r tie s e u le m e n t d e la re la t io n c lie n t . A u c u n n ’é ta it p le in e m e n t r e s p o n s a b ilis é
s u r la s a tis fa c tio n fin a le des e n tre p ris e s .

P a r a ille u rs , n o u s m a n q u io n s de ré a c tiv ité alo rs q u e les b e so in s de nos c lie n ts


d e v e n a ie n t p lu s c o m p le xe s et e xig e a ie n t des rép o nses im m é d ia te s . D a n s u n
c o n te x te de c h ô m a g e élevé, avec u n e c o n c u rre n c e a c c ru e , u n e seule p o s s ib ilité :
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 33

c h a n g e r to ta le m e n t de m o d è le , re sp o n sa b ilise r les c o lla b o ra te u rs et a lig n e r nos


m o d e s de fo n c tio n n e m e n t s u r les v é rita b le s b e so in s de n o s c lie n ts .
D e p u is le d é b u t, n o u s é tio n s c o n v a in c u s q u e c e tte t r a n s fo r m a t io n s e ra it u n
su c cè s si n o u s p a r v e n io n s à re d o n n e r a u x c o lla b o ra te u rs c o n fia n c e en e u x .
N o u s a v o n s d é c id é d e fa ire c o n v e rg e r n o s o b je c t ifs e n m e t t a n t e n p la c e u n e
o rg a n is a tio n s im p le et p é re n n e , c e n tré e s u r les b e s o in s d e n o s c lie n ts et q u i
p e rm e tte d e re m o t iv e r les c o lla b o ra te u rs .

N o u s a v o n s d e ssin é u n e n o u v e lle o rg a n is a tio n , ave c des agences sp écialisé es p a r


lig n e m é tie r. L ’id ée é ta it d e t ra n s fo rm e r 4 5 p e tite s agences en 2 6 p lu s g ra n d e s,
ré p a rtie s s u r 14 site s, c h a c u n e é ta n t re sp o n sa b le d ’u n e lig n e m é tie r. C e tte
o rg a n is a tio n a p p o rte u n e n o u v e lle fo rce de fra p p e c o m m e rc ia le et u n e v ra ie
s im p lic ité o p é ra tio n n e lle . L e c lie n t a u n e ag ence u n iq u e c o m m e p o in t d ’e n tré e
p o u r passer ses c o m m a n d e s , q u e l q u e s o it le m é tie r c o n c e rn é . L e s in té rim a ire s
b é n é fic ie n t d ’u n e p ro x im it é t e rra in et d ’ u n e ré p o n se p ro fe s s io n n e lle d ’e x p e rt
m é tie r. L e s c o lla b o ra te u rs p e u v e n t c o n s tru ire des re la tio n s p riv ilé g ié e s avec
le u rs c lie n ts , en é ta n t e n p o s itio n de ré p o n d re à to u te s le u rs atte n te s et e n
re c e v a n t in f i n e la re c o n n a issa n c e d ’ u n tra v a il de q u a lité .

T r a v a ille r u n iq u e m e n t s u r l ’ o r g a n is a t io n n e p o u v a it s u f fir e . N o u s a v o n s
d o n c a m o rc é u n im p o r t a n t p ro je t d ’a c c o m p a g n e m e n t d es c o lla b o ra t e u rs .
L ’ o b je c t if é ta it q u ’ ils r e t r o u v e n t d u p la is ir a u t r a v a il. C e m o t , « p la is ir »,
n ’é ta it pas u n m o t q u e n o u s a v io n s l ’ h a b itu d e d ’ u t ilis e r . L a D ir e c t io n des
R e s s o u rc e s H u m a in e s M a n p o w e r F r a n c e e t la D ir e c t io n In n o v a t io n et
O r g a n is a t io n s o u h a it a ie n t d e le u r c ô té m e t t re e n p la c e u n d is p o s it if de
fo r m a t io n à la c o n d u it e d u c h a n g e m e n t p o u r s o u t e n ir le d é p lo ie m e n t d u
"D
cO
p la n stra té g iq u e d u g ro u p e . E n v e r g u r e 2 0 1 6 . D é b u t 2 0 1 4 , la ré o rg a n is a tio n
:d d e la d ir e c t io n ré g io n a le Île - d e - F r a n c e é ta it id e n t ifié e c o m m e u n e c o n d it io n
Û
d e ré u ssite d e ce p la n .

N o u s é tio n s c o n v a in c u s q u e ce la n ’a v a it p lu s de sens de re g a rd e r le c h a n g e m e n t
c o m m e u n e m e n a c e o u d e p a rle r des fre in s au c h a n g e m e n t. N o u s d e v io n s
d o n n e r à no s c o lla b o ra te u rs la c a p a c ité d ’être é p a n o u is d a n s u n c o n te x te
CL
O m o u v e m e n té . L e b ie n -ê tre a u tra v a il est u n e c o m p é te n c e q u i p e u t être tra v a illé e .
U
N o u s a v o n s d é fin i u n p ro g ra m m e d ’a c c o m p a g n e m e n t p e rm e t ta n t de d o n n e r
a u x m a n a g e rs d e la ré g io n des clé s p o u r s u s c ite r les c o m p o rt e m e n t s n é ce ssaires
à n o tre p la n s tra té g iq u e : in it ia t iv e , c r é a t iv it é , c o o p é ra t io n , e ffic a c ité . C e c i à
p a r t ir de la s a tis fa c tio n des a tte n te s d e le u rs c o lla b o ra te u rs v is - à - v is de le u r
t r a v a il.

N o u s a v o n s c o m m e n c é p a r fa ire t r a v a ille r e n s e m b le les d ire c te u rs d e se cte u rs


s u r des a c tio n s v is a n t le d é v e lo p p e m e n t d e la m o t iv a t io n d e le u rs re sp o n sa b le s
34 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

d ’a g e n ce . Ils o n t id e n t ifié les c o m p o rt e m e n t s m a n a g é ria u x et les d é c is io n s à


p re n d re p o u r q u e les re sp o n sa b le s d ’ag e n ce s se s e n te n t u tile s et e ffic a c e s ,
t r o u v e n t d u sens à le u r t r a v a il et p r e n n e n t des in it ia t iv e s . D a n s u n s e c o n d
te m p s , d ire c te u rs d e se c te u rs e t re sp o n sa b le s d ’ ag e n ce o n t été fo rm é s de fa ç o n
a p p ro fo n d ie a u d é v e lo p p e m e n t d e la « m o t iv a t io n a u to n o m e ».

P u is , n o u s a v o n s m is e n p la c e la n o u v e lle o rg a n is a t io n , a v e c u n im p o r t a n t
d é m é n a g e m e n t e n u n w e e k - e n d . L e s re sp o n sa b le s d ’ ag en ces se re t ro u v a ie n t à
p lu s ie u rs s u r u n m ê m e site : n o u s d e v io n s les p ré p a re r à t r a v a ille r e n s e m b le a u
q u o t id ie n . N o u s a v o n s m is e n p la c e des g ro u p e s d e c o - d é v e lo p p e m e n t p o u r
le u r p e rm e ttre de p a rta g e r, de s’e n t r a id e r e n tre p a irs e t de c ré e r les c o n d itio n s
d e le u r c o o p é ra tio n .

R é c e m m e n t , n o u s a v o n s o rg a n is é des g ro u p e s d ’é c o u te , e n re c e v a n t les
1 8 0 c o lla b o ra te u rs d e la ré g io n p a r g ro u p e d e q u in z e . N o u s a v o n s r e c u e illi
le u rs p e rc e p tio n s c o n c e r n a n t les a m é lio r a t io n s o b te n u e s et ce q u ’ il reste à
a m é lio re r.

Les p re m ie rs ré s u lta ts de c e tte t r a n s fo r m a t io n so n t d é jà p a lp a b le s .


L ’e n th o u s ia s m e des é q u ip e s est a u re n d e z - v o u s . L e s c o lla b o ra te u rs se s e n te n t
à n o u v e a u u t ile s , e n a p p o rt a n t à le u rs c lie n ts u n e v é rita b le e x p e rtis e e t u n e
v a le u r a jo u té e . N o s c h iffr e s s o n t e n p ro g re s s io n et n o u s re p re n o n s des p a rts
d e m a rc h é . C e p ro je t est u n v r a i su c c è s . I l a t o u t p a r t ic u liè r e m e n t c o n t r ib u é à
d o n n e r de n o u v e lle s m a rg e s d e m a n o e u v re a u x re sp o n sa b le s d ’ a g e n ce , a lo rs
q u ’ ils a v a ie n t a u p a ra v a n t l ’ im p re s s io n d ’ê tre e n fe rm é s d a n s l ’a p p lic a tio n de
p ro ce ssu s. A v e c c e tte r é o rg a n is a t io n , n o u s le u r a v o n s d o n n é la p o s s ib ilit é de
p re n d re des in it ia t iv e s et des d é c is io n s lo c a le s s u r le u r o rg a n is a t io n .
-O
O
c A u jo u r d ’h u i, n o tre c o m ité de d ir e c t io n a d é c id é de d é p lo y e r les fo rm a tio n s
Û s u r la m o t iv a t io n a u to n o m e à to u s les m a n a g e rs d e l ’ e n tre p ris e et n o tre p la n

O E n v e r g u r e in tè g re d é s o rm a is u n « v o le t h u m a in », n o u r r i p a r u n e p o lit iq u e de
(N
q u a lit é de v ie a u t ra v a il p o rté e p a r la D R H .
@

Q.
O
U

Autre apport essentiel, celui de Frédéric Laloux


Les tra v a u x d e F r é d é r ic L a lo u x ^ p e u v e n t ê tre ra p p ro c h é s de ceu x su r
l ’ e n t r e p r is e lib é r é e , b ie n q u ’ i l n ’ e m p lo ie j a m a i s le t e r m e . T o u t d ’ a b o r d
p a rce que c e r t a in e s e n t r e p r is e s q u i se p r é s e n t e n t a u j o u r d ’ h u i c o m m e
lib é r é e s se r é f è r e n t à l u i . M a i s a u s s i p a r c e q u e l ’ o r g a n is a t io n q u ’ i l p r o m e u t

1. Frédéric Laloux, 2014, Reinventing organizations: A Guide to Creating Organizations Inspired


by the Next Stage of Human Consciousness, Nelson Parker.
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 3 5

p ré se n te de n o m b re u s e s c a r a c t é r is t iq u e s com m unes avec l ’ e n t r e p r is e


lib é r é e .

E n a r r iè r e - p la n d e se s r é f le x io n s s u r le s r é a lit é s a c t u e lle s , i l a s s o c ie u n e
n o u v e l le f o r m e d ’ o r g a n is a t io n à c h a q u e è re d e l ’ h u m a n i t é t e lle q u e la s é d e n ­
t a r is a t io n , l ’u r b a n is a t io n ou l ’ in d u s t r ia lis a t io n . Il d é c r it p lu s p a r t i­
c u liè r e m e n t c e lle q u i é m e r g e r a it d a n s la p h a s e d a n s la q u e lle n o u s e n t r o n s .
P o u r c e la , i l m o b ilis e u n e d o u z a in e d e c a s d ’ e n t r e p r is e s , d o n t p lu s i e u r s
a v a ie n t d é jà é té c o u v e rte s par L ib e r té & d e. Il s o u lig n e que si ces
o r g a n is a t io n s o p è r e n t d a n s d e s d o m a in e s e t d e s p a y s t r è s d if f é r e n t s , le u r s
m o d e s o p é r a t o ir e s s o n t p o u r a u t a n t t r è s s im i l a i r e s .

Il d é c r it le f o n c t io n n e m e n t d ’ é q u ip e s a u to n o m e s a u to g é r é e s , en
s’ a p p u y a n t e n p r e m i e r l i e u s u r le c a s d e B u u r t z o r g , a s s o c ia t io n n é e r la n d a is e
c ré é e e n 2 0 0 6 p o u r a s s u r e r u n e m i s s io n d e s o in s i n f i r m i e r s d e p r o x i m i t é .
C o n s t it u é e p o u r l ’ e s s e n t ie l d e p e t it e s e n t it é s a u t o n o m e s d ’ u n e d o u z a in e
d ’ in f ir m iè r e s e t i n f i r m i e r s , e lle c o m p t e 7 0 0 0 c o lla b o r a t e u r s r é p a r t is s u r
l ’ e n s e m b le d u t e r r it o ir e . D a n s d e t e lle s e n t it é s , le s é q u ip e s o n t u n e a u t o n o m ie
t o t a le dans l ’ o r g a n is a t io n du t r a v a il, le p la n n in g , la r é m u n é r a t io n , le
r e c r u t e m e n t e t la f o r m a t i o n .

I l n ’y a p a s d e le a d e r s o u d e m a n a g e r s a u s e in d e c e s é q u ip e s a u t o n o m e s
lo c a le s . L e s a c t iv it é s d e m a n a g e m e n t n ’ o n t p a s d i s p a r u , m a is e lle s n e s o n t
p lu s c o n c e n tré e s dans des r ô le s d é d ié s . Il s u b s is t e t o u jo u r s dans ces
o r g a n is a t io n s u n d ir i g e a n t d o n t le s o u t ie n e s t in d i s p e n s a b l e au su ccès
d u r a b le , m a is s o n r ô le s’ e s t d é p la c é d u m a n a g e m e n t à l ’ a u t o r it é m o r a le e t
a u s u p p o r t a c t i f d e s p e r s o n n e s e t d e s é q u ip e s .

T3 « I l n ’y a p lu s d e h ié r a r c h ie s d e p o u v o i r [ . . . ] e t ç a p e r m e t à d e s h ié r a r c h ie s
O
c
rj n a t u r e lle s d e n a ît r e e t d e v r a i m e n t é c lo r e . [...] I l y a a b s o lu m e n t d e s
Q
h ié r a r c h ie s de t a le n t , de s a v o ir s qui é m e rg e n t, [...] d ’a u ta n t p lu s
n a t u r e lle m e n t q u e lle s ne so n t pas é to u ffé e s » a f f ir m e - t - il dans une
c o n f é r e n c e t e n u e le 1 4 m a r s 2 0 1 4 à B r u x e l l e s .
sz
DI L e s t â c h e s h a b it u e lle m e n t d é v o lu e s a u x f o n c t i o n s s u p p o r t s o n t a s s u ré e s
>-
Q.
O p o u r l ’ e s s e n t ie l e n d ir e c t p a r le s é q u ip e s . U n e lo g iq u e d e s u b s i d ia r i t é
U
s’ a p p liq u e : p a r d é f a u t le s é q u ip e s a u t o n o m e s s o n t r e s p o n s a b le s d e t o u t ,
s a u f p o u r le s s u je t s q u ’ e lle s d é c id e n t e lle s - m ê m e s de tra n s m e ttre aux
f o n c t io n s c e n t r a le s . D e s é q u ip e s p r o je t v o lo n t a ir e s p e u v e n t ê t r e m is e s e n
p la c e p o u r in v e s t i g u e r d e s s u je t s n o u v e a u x .

Les e n t it é s é t u d ié e s p o ssèd en t le u r s tru c tu re , le u r s r è g le s et le u r s


p ro c e ssu s. L a stru c tu re e s t é v o l u t i v e , c a r b a s é e s u r le p o s t u l a t q u e la
« fo rm e e s t la c o n s é q u e n c e d u b e s o in » , c e q u i la is s e la p a r t b e lle à
l ’ é m e r g e n c e d e n o u v e a u x r ô le s , e n f o n c t i o n d e s b e s o in s id e n t if i é s p a r le s
c o lla b o r a t e u r s .
3 6 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

I l a n a ly s e é g a le m e n t le s p r o c e s s u s e x is t a n t d a n s c e s o r g a n is a t io n s . L e s
d é c is io n s n e s o n t p a s b a s é e s s u r le c o n s e n s u s , m a is s u r u n e d é m a r c h e d e
c o n s u lt a t io n . U n c o lla b o r a t e u r s e r a a lo r s t o t a le m e n t r e s p o n s a b le d e la
d é c is io n f in a le s u r le s u je t q u ’ i l a p r is e n c h a r g e , s o u s r é s e r v e q u ’ i l a i t a u
p r é a la b le r e c u e i l l i l ’ a v is d ’ u n p a n e l d e c o llè g u e s , r e c o n n u s c o m m e e x p e r t s
d u s u je t o u p o t e n t ie lle m e n t im p a c t é s p a r la d é c is io n à p r e n d r e . L a r é s o lu t io n
d e c o n f lit s e s t , e lle a u s s i, a s s u r é e d ir e c t e m e n t e n t r e c o lla b o r a t e u r s , d e s p a ir s
é t a n t m o b ilis é s c o m m e m é d ia t e u r s .

L e s d é c is io n s d ’ in v e s t is s e m e n t s o n t p r is e s a u n iv e a u d e s é q u ip e s a u t o n o m e s .
L a c o n f ia n c e d o n n é e p a r l ’ o r g a n is a t io n a m è n e le s c o lla b o r a t e u r s à n e p a s
a b u s e r d e ce p o u v o ir , e n é t a n t r a is o n n a b le s d a n s le u r s c h o i x d ’ in v e s t is s e m e n t s .
D e p lu s , l ’ in f o r m a t io n é t a n t t o t a le m e n t d is p o n ib le , la p r e s s io n d e s p a ir s e st
c o n s id é r é e c o m m e u n p u is s a n t r é g u la t e u r d e s e x c è s p o t e n t ie ls .

F r é d é r i c L a l o u x a n a ly s e é g a le m e n t le s lo g iq u e s R H m is e s e n o e u v re d a n s
c e s e n t r e p r is e s . L a g e s t io n d e c a r r iè r e a u se n s t r a d it io n n e l p e rd d e sa
p e r t in e n c e d a n s u n e o r g a n is a t io n h o r i z o n t a l e o ù le s r ô le s s o n t m o u v a n t s .
C ’ e s t e n c o n t i n u q u e le s c o lla b o r a t e u r s f o n t é v o lu e r le c h a m p d e le u r s
r e s p o n s a b i lit é s , ce qui a u g m e n te le s o p p o r t u n it é s d ’ a p p r e n t is s a g e .
L ’ é v a lu a t io n p e u t se f a ir e a u s e in d e s é q u ip e s a u t o n o m e s , s u r la b a s e d e
m o d è le s d e c o m p é t e n c e s d é f in is p a r c h a c u n e . L a p l u p a r t d e s o r g a n is a t io n s
o b se rv é e s d é t e r m in e n t le s a u g m e n t a t io n s de s a la ir e de m a n iè r e
c o lla b o r a t iv e .

« B o n d s d e c o n s c ie n c e d e l ’ h u m a n i t é » , c h e m i n p e r s o n n e l r é a lis é p a r le s
d ir ig e a n t s d e c e s o r g a n is a t io n s , p a r t a g e d e s é m o t io n s e t t r a v a il i n t é r i e u r : le

T3 p ro p o s de F r é d é r ic L a lo u x n ’e st p as e x e m p t d ’ u n e d im e n s io n m y s tiq u e ,
O
c:
:d v o ir e é s o t é r iq u e , c e q u i p e u t e n a f f a i b l i r la p o r t é e . U n e d e s s p é c if ic it é s d e c e s
a
o r g a n is a t io n s , s e lo n l u i , e s t e n e f f e t d e m e t t r e e n p la c e c e q u i p e r m e t t r a à
O
(N chacun d ’e x p r i m e r p le in e m e n t c e q u ’ i l e s t , s a n s m a s q u e , p o u r p o u v o i r
@ a t t e in d r e la « p l é n i t u d e » . E l l e s i n c i t e n t le s c o lla b o r a t e u r s à p a r t a g e r e n
« i n v i t a n t l e u r h u m a n i t é » a u t r a v a i l . D a n s c e r t a in e s d e c e s o r g a n is a t io n s ,
5-
Q. d e s p r a t iq u e s se m e t t e n t e n p la c e p o u r a id e r le s c o lla b o r a t e u r s à se s o u t e n ir
O
U
le s u n s le s a u t r e s d a n s le u r « t r a v a il i n t é r i e u r » t o u t e n r é a l is a n t le u r « t r a v a il
e x t é r ie u r » a u s e in d e l ’ o r g a n is a t io n .

A u f i n a l , F r é d é r i c L a l o u x e s t im e q u e c e s m o d è le s d ’ o r g a n is a t io n n e s o n t
p lu s e x p é r i m e n t a u x , p u i s q u ’ ils o n t m o n t r é l e u r r o b u s t e s s e e t l e u r d u r a b i l i t é
dans c e r t a in e s e n t r e p r is e s . Se ré fé ra n t à la n o tio n d é v e lo p p é e par
R o b e r t s o n , i l d é c r i t c e s e n t it é s c o m m e d e s o r g a n is m e s v i v a n t s , a n im é s p a r
une r a is o n d ’ê tre . V ia sa p r o p r e é n e r g ie c r é a t r ic e et so us ré se rv e de
d é v e lo p p e r l ’é c o u te , c ’e st c e tte r a is o n d ’ê tre qui va c o n d u ir e ces
o r g a n is a t io n s à é v o lu e r .
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 37

UNE PREMIERE ANALYSE

La dimension géographique et culturelle


Y a - t - il d a n s d ’ a u t r e s p a y s u n e n g o u e m e n t s u r le t h è m e d e l ’ e n t r e p r is e
lib é r é e t e l q u e c e l u i c o n s t a t é e n F r a n c e ? C e r t e s , l ’ a p p r o c h e e s t n é e a u x
E t a t s - U n i s . E l l e s’y in c a r n e d a n s c e r t a in e s e n t r e p r is e s , m a is le u r n o m b r e e s t
l i m i t é e t n e v a p a s b e a u c o u p p lu s l o i n q u e le s c a s é t u d ié s d a n s le s o u v r a g e s
d é jà c it é s . A u c u n t r a v a il d e r e c h e r c h e a u s e n s p r o p r e d u t e r m e n ’ a é té r é a lis é
s u r le s u je t p a r le s é q u ip e s d e s i n s t i t u t i o n s q u i f o n t r é f é r e n c e s u r le s e n je u x
o r g a n is a t io n n e ls e t m a n a g é r ia u x , c o m m e la H a r v a r d B u s in e s s S c h o o l.

P o u r c e q u i e s t d e l ’ E u r o p e , c ’ e s t e n B e l g iq u e q u e le d é b a t s u r l ’ e n t r e p r is e
lib é r é e e s t le p lu s r ic h e . E n p a r t i c u l i e r d u f a i t d e q u e lq u e s r é a lis a t io n s
m a r q u a n t e s c o m m e c e lle s d u m i n is t è r e d e la s é c u r it é s o c ia le o u d u m i n is t è r e
d e la m o b i l i t é e t d e s t r a n s p o r t s . L e m a g a z in e H R S q u a r e s’ e n e n f a it l ’ é c h o .
D a n s le s a u t r e s p a y s d ’ E u r o p e d u N o r d , é m e r g e n t q u e lq u e s e x p é r ie n c e s
c o m m e c e lle d e B l i n d k i s t e n A l l e m a g n e , a v e c d e s d é b a t s e t o u v r a g e s p lu t ô t
c e n t r é s s u r l ’ h o la c r a t ie q u e s u r l ’ e n t r e p r is e lib é r é e . A c o n t r a r i o , le s u je t
s e m b le p o u r le m o m e n t n e p a s i n s p i r e r l ’ E u r o p e d u S u d . N o s r e c h e r c h e s n e
n o u s o n t p a s p e r m i s d ’ i d e n t i f i e r d e r é a l is a t io n s m a r q u a n t e s , d ’o u v r a g e s
n o v a t e u r s , n i m ê m e d e p u b l i c a t i o n p o n c t u e lle o u d e d é b a t m a r q u a n t s u r
c e s d if f é r e n t e s n o t i o n s .

L ’ o u v ra g e L ib e r té & d e a é té s u c c e s s iv e m e n t t r a d u it en Tchèque,
H o n g r o i s , S u é d o is , F r a n ç a i s , p u is H o l l a n d a i s . C e s c h o i x c o n f i r m e n t la
d if f é r e n c e e n t r e E u r o p e d u N o r d e t E u r o p e d u S u d q u a n t à la s e n s i b i lit é s u r
T3
O le t h è m e .
c:
:d
Û F a u t - i l y v o i r u n e d i m e n s i o n c u l t u r e l l e , l ’ e s p r it l a t i n s’ a c c o m m o d a n t
m o in s d e c e t t e a p p r o c h e q u e le s c u lt u r e s d u n o r d ? U n e h y p o t h è s e p e u t ê t re
t e n t é e : la s e n s i b i lit é a u t h è m e r e n v e r r a it p o u r p a r t ie a u r a p p o r t à la r e lig i o n .

sz O u p lu s e x a c t e m e n t a u x p r is e s d e p o s it i o n d e s é g lis e s s u r l ’ h o m m e a u
DI

>- t r a v a il. Q ue ce s o it dans le s c u lt u r e s p ro te s ta n te s , avec le s lo g iq u e s


Q.
O d é c o r t iq u é e s p a r M a x W e b e r e n 1 9 0 5 d a n s U E t h i q u e p r o t e s t a n t e e t l ’e s p r i t
U
d u c a p it a lis m e ' ' ^ o u d a n s la d r o it e f ile d u c a t h o l ic is m e s o c ia l, q u i a s u r t o u t
m a r q u é le s é g lis e s c a t h o l iq u e s d e la m o i t i é n o r d d e l ’ E u r o p e . C e n ’ e s t p e u t -
ê t r e p a s u n h a s a r d s i la n o t i o n d ’ e n t r e p r is e lib é r é e a a u t a n t d ’ é c h o s d a n s le s
e n t r e p r is e s d u n o r d d e la F r a n c e , m a r q u é e s d a n s l e u r h is t o ir e p a r c e t t e
in f l u e n c e .

© 1. Max Weber, ÜEthiqueprotestante et l’esprit du capitalisme, Plon, 1964.


3 8 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

Une définition
D a n s le s é c r it s e t c o m m u n i c a t i o n s , s o u s le v o c a b le e n t r e p r is e lib é r é e f ig u r e ,
d is o n s - le , t o u t e t n ’ i m p o r t e q u o i . C ’ e s t la r a is o n p o u r la q u e lle la q u e s t io n
d ’ u n e d é f i n i t i o n p r é c is e d e c e q u e r e c o u v r e la l ib é r a t i o n d e l ’ e n t r e p r is e se
p o se à n o u v e a u .

P o u r la c o n s t r u i r e , t e n t o n s t o u t d ’ a b o r d d ’y v o i r p lu s c l a i r s u r l ’ e n s e m b le
d e s n o t i o n s a u x q u e lle s p e u t r e n v o y e r la v i e d e l ’ e n t r e p r is e , e n d i s t in g u a n t
t r o is n iv e a u x . Le p r e m ie r r e n v o ie aux d é t e r m in a n t s de ses c h o ix
o r g a n is a t io n n e ls : s o n e n v i r o n n e m e n t , e t n o t a m m e n t se s c l i e n t s , m a is a u s s i
la c u l t u r e d o n t e lle a h é r it é e e t le s c h o i x à c a r a c t è r e s t r a t é g iq u e f a it s p o u r
a p p o rt e r u n e ré p o n s e a d a p té e à c e t e n v ir o n n e m e n t .

L e d e u x iè m e n iv e a u c o n c e r n e la s t r u c t u r e o r g a n is a t io n n e lle e lle - m ê m e ,
a i n s i q u e le s p r a t iq u e s d e m a n a g e m e n t , le s y s t è m e d e c o m p é t e n c e s e t le
p r o je t h u m a in . L ’ e n s e m b le des tra v a u x et des e x p é r im e n t a t io n s su r
l ’ e n t r e p r is e lib é r é e p o r t e s u r c e s d im e n s io n s .

L e t r o is iè m e n iv e a u s e r a c e l u i d e s « c o n s é q u e n c e s » d u d e u x iè m e , c e q u ’ i l
g é n è r e , c e q u i e n d é c o u le : é p a n o u is s e m e n t a u t r a v a i l , n iv e a u d ’ e n g a g e m e n t
d e s c o lla b o r a t e u r s , i n n o v a t i o n , p e r f o r m a n c e d e l ’ e n t r e p r is e .

L e s u je t , lo r s q u e n o u s p a r lo n s d e l i b é r a t i o n d e l ’ e n t r e p r is e , e s t d o n c e n
g ra n d e p a r t ie un s u je t d ’ o r g a n is a t io n . O r g a n is a t io n au s e n s la r g e : la
s t r u c t u r e b ie n s û r , m a is a u s s i e t s u r t o u t le s m o d e s d e f o n c t i o n n e m e n t d e
l ’ e n t r e p r is e , se s m é c a n is m e s de c o o r d in a t io n et de r é g u la t io n , le
p o s it i o n n e m e n t r e s p e c t i f d e s a c t e u r s a i n s i q u e le u r s p o s t u r e s .

R e g a rd o n s m a i n t e n a n t d e q u o i l ’ e n t r e p r is e d o it se lib é r e r , s e lo n le s
T3
O
c: p r o m o t e u r s d e c e t t e a p p r o c h e . S i x d im e n s io n s é m e r g e n t , q u i p o u r r a i e n t
:d
Û ê tre re p ré se n té e s so us fo rm e de c e r c le s c o n c e n t r iq u e s a u to u r du
O
(N
c o lla b o r a t e u r :

@ 1) Le c e r c le d e c o n t r a in t e s le p lu s la r g e e s t c o n s t it u é d e s n o r m e s , d e s
p r o c é d u r e s e t r è g le s q u e l ’ e n t r e p r is e d o it r e s p e c t e r o u s’ im p o s e . N o u s
>- p a r le r o n s là d e c o n t r a in t e s b u r e a u c r a t iq u e s .
Q.
O
U
2) N o u s p o u v o n s p o s i t i o n n e r e n s u it e le s d is p o s it if s d e c o n t r ô le , p lu s o u
m o in s p u is s a n t s e t s t r u c t u r é s . I l s r e n v o ie n t à u n e lo g iq u e d e d é f ia n c e
e t p e u v e n t e x is t e r a u s s i b ie n d a n s u n e o r g a n is a t io n b u r e a u t i q u e q u e
d a n s u n e o r g a n is a t io n n o n b u r e a u c r a t iq u e . I l s s o n t e n t r e le s m a in s d e s
m a n a g e r s o u a u t o m a t is é s .

3) P u i s v i e n n e n t le s p r o c e s s u s , e n s e m b le s d ’ a c t iv it é s q u i d é c r iv e n t le s f l u x
d e l ’ e n t r e p r is e s e lo n u n e v i s i o n t r a n s v e r s a le . A n e p a s c o n f o n d r e a v e c
le s p r o c é d u r e s q u i e x p l i c i t e n t le « c o m m e n t f a ir e » p r e s c r it d a n s c e t t e
o r g a n is a t io n . F o r m e ls o u in f o r m e l s , ils p e u v e n t s e r v i r le s d e u x c e r c le s
L 'é t a t d e s lie u x : q u e lle s r é f le x io n s e t p r a t iq u e s i n n o v a n t e s ? 3 9

d é c r it s c i- d e s s u s ou a u c o n t r a ir e ê tre c o n s t r u it s a u s e r v ic e d ’ a u tre s
f in a lit é s : s a t is f a c t i o n d u c l i e n t , c a p a c it é d ’ i n n o v a t i o n , e t c .

4) I n t e r v i e n n e n t e n s u it e le s m é c a n is m e s d e c o o r d i n a t i o n e t d e r é g u la t io n ,
c e q u i d a n s le la n g a g e c o u r a n t e s t a p p e lé « le s m o d e s d e f o n c t i o n n e m e n t »
d e l ’ e n t r e p r is e .

5) R e s s e r r o n s la f o c a le : le s f o n c t io n s s u p p o r t a s s u r e n t e s s e n t ie lle m e n t u n e
a c t iv it é d e p r e s c r i p t i o n e t d e c o n t r ô le d a n s « l ’ e n t r e p r is e c o m m e n t ».

6) C e r c le le p lu s p ro c h e du c o lla b o r a t e u r au q u o t id ie n , la stru c tu re
h ié r a r c h iq u e , e t d o n c le s m a n a g e r s . D a n s l ’ o r g a n is a t io n t a y l o r ie n n e ,
le u r f o n c t i o n p r i n c i p a l e e s t le c o m m a n d e m e n t e t le c o n t r ô le .

C e tte r e p r é s e n t a t io n est n é c e s s a ir e m e n t a r t if ic ie lle . D ’u n e p a rt, le s


a c t e u r s q u e s o n t le s m a n a g e r s e t le s f o n c t i o n s s u p p o r t n e p e u v e n t ê t re
a n a ly s é s s u r le m ê m e p la n q u e le s d is p o s it if s . D ’ a u t r e p a r t le s d if f é r e n t s
n iv e a u x co m p o sen t u n sy s tè m e et ne p e u v e n t ê tre « d é c o r r é lé s ». E t
p o u r t a n t , e s t - c e a b s u r d e d ’ im a g in e r q u e le s m a n a g e r s o u le s f o n c t io n s
s u p p o r t p u is s e n t ê t r e a u s e r v ic e d ’ a u t r e s lo g iq u e s q u e c e lle s r e le v a n t d e s
m o d e s d ’ o r g a n is a t io n h é r it é s d u p a s s é ?

R e p ré s e n te r a in s i ces s ix n iv e a u x o ffre u n a v a n ta g e : n o u s p o u r r o n s q u e s ­
t i o n n e r e t r e v i s it e r c h a c u n d e f a ç o n d i s t i n c t e , p u is d a n s se s a r t i c u l a t i o n s
a v e c le s c i n q a u t r e s , s a n s p r e n d r e le r is q u e d e « je t e r le b é b é a v e c l ’ e a u d u
b a in ». E n e f f e t , l ’ e n t r e p r is e d o it v e i l l e r à n e p a s d é t r u ir e o u se s é p a r e r
d ’ é lé m e n t s q u i, r e c o n f ig u r é s , se ro n t in d is p e n s a b le s à so n bon fo n c ­
t i o n n e m e n t q u a n d e lle se r é in v e n t e r a .

P o u r le s p r o m o t e u r s d e l ’ e n t r e p r is e lib é r é e , c e lle - c i d o it s’ a f f r a n c h i r d e
T3
O
c
l ’ e n s e m b le d e c e s s i x n i v e a u x . L e u r m a illa g e d a n s l ’ e n t r e p r is e « c o m m e n t »
D
Û f a i t u n t o u t c o h é r e n t . C ’ e s t d o n c l ’ e n s e m b le q u i d o i t ê t re r e m is e n c a u s e .

À c e s t a d e d e n o t r e r é f l e x i o n , a v e c l ’ é c la ir a g e d e s a u t r e s a p p o r t s r a p p e lé s
c i- d e s s u s , n o u s s e r o n s m o in s a f f i r m a t i f s , e n c o n s i d é r a n t q u e le s d é m a r c h e s
d e l ib é r a t i o n d e l ’ e n t r e p r is e c o n s i s t e n t à p r o m o u v o i r la r e s p o n s a b ilit é d e s
s a la r ié s e n le s l i b é r a n t d e c e q u i p e u t e n t r a v e r le u r s m a r g e s d e d é c is io n e t
CL
O d ’ a c t io n e t q u e c e s s o u r c e s s u p p o s é e s d e b lo c a g e m é r i t e n t i n v e n t a ir e .
U

L a d e u x iè m e p a r t ie d e c e t o u v r a g e , e n n o u s a m e n a n t à d é p a s s e r c e t é t a t
des lie u x des r é f le x io n s et des p r a t iq u e s pour r é a lis e r un d ia g n o s t ic
a rg u m e n té d e s b e s o in s d e s e n t r e p r is e s , nous p e rm e ttra d ’ a f f in e r n o t r e
a n a ly s e .
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
о
и
L 'E N Q U E T E ; L 'E N T R E P R IS E A -T-ELLE B E S O IN
D E S E L IB É R E R ?

N OUS a v o n s é v o q u é d a n s le c h a p it r e p r é c é d e n t le s a p p o r t s d e l ’ é c o le d e
la c o n t in g e n c e . E lle m et en é v id e n c e la n é c e s s it é , pour d é fin ir
l ’ o r g a n is a t io n a d a p t é e à l ’ e n t r e p r is e , d e p r e n d r e e n c o m p t e se s in t e r a c t io n s
a v e c s o n e n v i r o n n e m e n t c o m m e d e s d é t e r m in a n t s . C ’ e s t à p a r t i r d e c e t t e
lo g iq u e que nous a l lo n s m a in t e n a n t t r a it e r une q u e s t io n : de quel
m a n a g e m e n t d e s h o m m e s e t d e s o r g a n is a t io n s l ’ e n t r e p r is e a - t - e lle b e s o in
p o u r r é p o n d r e a u x e n je u x q u e l l e r e n c o n t r e a u j o u r d ’ h u i ?

C o n s t r u i r e u n e t e lle r é p o n s e s u p p o s e t o u t d ’ a b o r d d e c a r a c t é r is e r le s
t r a n s f o r m a t io n s qui s’ im p o s e n t à to u te o r g a n is a t io n dans la p é r io d e
c o n t e m p o r a i n e . P u i s d ’ a n a ly s e r le s r é a lit é s d e s e n t r e p r is e s p o u r v o i r s i le u r s
m o d e s d e f o n c t i o n n e m e n t p e r m e t t e n t d e r é p o n d r e à c e s e n je u x . C e t t e
a p p r o c h e n o u s p e r m e t t r a d e v é r i f i e r e n s u it e s i l ’ e n t r e p r is e a e f f e c t i v e m e n t
b e s o in d e se lib é r e r .

T3
O
c LES TRANSFORMATIONS OUI S'IMPOSENT
rj
Q
AUJOURD'HUI À L'ENTREPRISE

L ’ e n t r e p r is e e s t d é p e n d a n t e d e s o n e n v i r o n n e m e n t , e t p lu s la r g e m e n t d e la
s o c ié t é d a n s la q u e lle e lle s’ in s è r e . E l l e d o i t s’y a d a p t e r e t c o m p o s e r a u m i e u x
5- a v e c le s m u t a t i o n s d e c e t t e s o c ié t é , q u e l l e s s o ie n t d e n a t u r e é c o n o m iq u e ,
Q.
O s o c ié t a le o u t e c h n o lo g iq u e .
U

La transformation de Tenvironnement business


L a p r e m iè r e d e s t r a n s f o r m a t i o n s a u x q u e lle s le s e n t r e p r is e s s o n t c o n f r o n t é e s
e s t c e lle d e l e u r c h a m p c o n c u r r e n t i e l : c e l u i - c i s’ e s t c o n s i d é r a b le m e n t
é la r g i. « L ’o u v e r t u r e t o u j o u r s p lu s la r g e d e s f r o n t iè r e s , la c o m p é t i t i o n p lu s
v iv e qui en d é c o u le nous com m andent des c h a n g e m e n ts p ro fo n d s
d ’ o b je c t if s , d e s t r u c t u r e s , d e m o y e n s e t m ê m e , e t p e u t - ê t r e s u r t o u t , d e
m e n t a l i t é . » d é c la r a it d é jà e n 1 9 6 9 J a c q u e s C h a b a n - D e l m a s , a lo r s P r e m i e r
42 F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

m i n i s t r e . P r è s d ’ u n d e m i - s iè c le a p r è s , p o u r u n n o m b r e t o u j o u r s c r o is s a n t
d ’ e n t r e p r is e s , la m is e en c o n c u rre n c e se f a i t à l ’ é c h e lle d ’u n e p la n è t e
r é t r é c ie .

P o u r a u t a n t , c e t t e r é a lit é g é o g r a p h iq u e n ’ e x p liq u e q u e p o u r p a r t ie la
c o m p le x it é c r o is s a n t e de l ’ e n v ir o n n e m e n t c o n c u r r e n t ie l. S ’y a jo u t e un
r is q u e d e r e c o m p o s it io n d u m a r c h é q u e g é n é r e r a ie n t d e n o u v e a u x e n t r a n t s
p r o p o s a n t u n e o f f r e a l t e r n a t iv e e t r e c o m p o s é e . U n s e u l e x e m p le , c e l u i d u
m a r c h é d e la p h o t o g r a p h ie : a p r è s q u e le n u m é r iq u e a it t u é l ’ a r g e n t iq u e , le s
e n t r e p r is e s p h a re du s e c t e u r s o n t à le u r t o u r b a la y é e s p a r c e lle s d e la
t é lé p h o n ie . P lu s la r g e m e n t e n c o re , dans de n o m b re u x s e c te u rs , le
« m o u v e m e n t d ’ u b e r is a t io n d e l ’ é c o n o m ie » , a v e c la lo g iq u e d e c o n s o m m a t io n
c o lla b o r a t iv e , v i e n t é c r a s e r le s a c t e u r s in s t a llé s , y c o m p r is le s p lu s r é g le m e n t é s ,
e n in v e n t a n t u n e o f f r e r e c o m p o s é e s o u v e n t p lu s a t t r a c t iv e . C e t t e i r r u p t i o n
d ’ a c t e u r s I n t e r n e t p r o p o s a n t d e s s e r v ic e s à la d e m a n d e e t s o u m is à d e s rè g le s
p lu s s o u p le s s’é t e n d p r o g r e s s iv e m e n t à d e n o m b r e u x d o m a in e s : im m o b ilie r ,
a s s u r a n c e s , c o n s e il j u r i d i q u e , f o r m a t i o n , m o b i l i t é o u h ô t e ll e r ie , p a r e x e m p le .
C r é é e n 2 0 0 8 , A i r b n b a a u j o u r d ’h u i u n e c a p it a li s a t io n b o u r s iè r e q u i e s t
d o u b le d e c e lle d u g r o u p e A c c o r . S ’ a p p u y a n t s u r d e s p la t e f o r m e s n u m é r iq u e s ,
c e s m o d è le s é c o n o m iq u e s a l t e r n a t if s , b a s é s s u r la g r a t u it é o u l ’ é c o n o m ie d u
p a r t a g e , f o n t é m e r g e r d e s s c h é m a s c o m m e r c ia u x e n r u p t u r e a v e c l ’ e x is t a n t ,
p o u v a n t c o n d u ir e à r e c o n f ig u r e r le m a r c h é e n p r o f o n d e u r .

P lu s la r g e m e n t , y a - t - il a u j o u r d ’ h u i d a n s le d o m a in e c o n c u r r e n t i e l u n
s e c t e u r d a n s le q u e l u n e e n t r e p r is e p e u t s u r v i v r e s a n s in n o v e r ? P r e n o n s
l ’ e x e m p le d u s e c t e u r b a n c a ir e . I l e s t d é s o r m a is p o s s ib le d e d is p o s e r e n

T3
q u e lq u e s m i n u t e s d ’ u n c o m p t e e t d ’ u n e c a r t e b le u e e n e n t r a n t d a n s u n
O
c:
:d b u r e a u d e t a b a c . L e c o m p t e N i c k e l e s t d e v e n u e n q u e lq u e s m o is le n u m é r o
Û u n d e l ’ o u v e r t u r e d e c o m p t e s . L a p r e s s io n c o n c u r r e n t i e l l e q u e s u b is s e n t le s
O
fN e n t r e p r is e s e s t d o n c s a n s p r é c é d e n t . U n e e n t r e p r is e p e u t v o i r s o n c h i f f r e
@ d ’ a f f a ir e s s’ e f f o n d r e r e t sa p é r e n n it é r e m is e e n q u e s t io n e n l ’esp ace de
DI q u e lq u e s m o is . C e t t e p r e s s io n n ’ e s t p a s s a n s c o n s é q u e n c e s q u a n t à la f a ç o n
's_

D. d o n t e lle g è re se s s a la r ié s .
O
(J
C e t t e s it u a t io n im p o s e a u x e n t r e p r is e s d e r é a g ir . E l l e s n e p e u v e n t p lu s se
c o n t e n t e r d ’ a p p o r t e r à le u r s c lie n t s p o t e n t ie ls d e s r é p o n s e s s t a n d a r d is é e s e t ,
a u f i n a l , in a d a p t é e s a u x r é a lit é s d e p lu s e n p lu s h é t é r o g è n e s q u ’ ils v i v e n t .
E lle s se d o iv e n t d e r e n f o r c e r c o n s i d é r a b le m e n t le u r a d a p t a b ili t é . E t la
r é p o n s e n e r é s id e p a s s e u le m e n t d a n s le s in n o v a t io n s m a je u r e s , d it e s d e
r u p t u r e . C ’ e s t a u q u o t id ie n e t e n s i t u a t i o n q u ’ i l s’ a g it d e m u l t i p l i e r le s
i n i t i a t i v e s . C e q u i s u p p o s e , p o u r d é v e lo p p e r c e t t e c a p a c it é d ’ i n n o v a t i o n , d e
c r é e r le s c o n d i t io n s p e r m e t t a n t d e c a p it a li s e r s u r le p o t e n t ie l c r é a t i f d e
chacun.
L 'e n q u ê t e : l ' e n t r e p r is e a - t - e lle b e s o i n d e s e lib é r e r ? 43

Cet im p é r a t if d ’ a d a p t a b ili t é se d o u b le d ’u n b e s o in de r é a c t iv it é .
L ’ i n s t a b i l i t é e s t d e v e n u e u n e d o n n é e . E t i l s e r a it i l l u s o i r e d ’ i m a g in e r q u ’ i l
p u is s e y a v o ir u n j o u r u n e s t a b il is a t io n d e c e t e n v i r o n n e m e n t m o u v a n t .
« P o u r n o s e n t r e p r is e s , le s c h a n g e m e n t s m a je u r s s o n t d o n c là , n o n p a s
com m e u n e p e r s p e c t iv e m a is c o m m e un m o u v e m e n t p e rm a n e n t avec
le q u e l i l f a u t a p p r e n d r e à v i v r e e t à t r a v a i l l e r a u t r e m e n t .

C e s o n t l ’ e n s e m b le d e s a c t e u r s e x t e r n e s a u x q u e ls l ’ e n t r e p r is e s’ a d re s s e q u i
s o n t e n m u ta tio n . L e c lie n t e n p r e m ie r lie u b ie n sû r. D e n o m b re u se s
e n t r e p r is e s o n t d é s o r m a is in t é g r é q u e n o u s é t io n s p a s s é s d e la c i v i l i s a t i o n
d u p r o d u i t à c e lle d u c l i e n t , la r a r e t é se d é p la ç a n t d e l ’ u n à l ’ a u t r e . L ’ e n je u
n ’ e s t p lu s s e u le m e n t d e v e n d r e , m a is d e f id é l is e r c e c l i e n t . C o m m e le s
lo g iq u e s d e R S E le s o u lig n e n t b ie n , d ’ a u t r e s p a r t ie s p r e n a n t e s d o iv e n t
é g a le m e n t ê t r e s a t is f a it e s , q u i a p p a r t ie n n e n t d e f a it à l ’ é c o s y s t è m e de
l ’ e n t r e p r is e , a v e c a m i n i m a u n r is q u e d ’ im a g e à g é re r. L ’ e n t r e p r is e n e p e u t
p l u s , c o m m e p a r le p a s s é , r e s t e r c e n t r é e s u r se s lo g iq u e s in t e r n e s . L e f o c u s
s u r l ’ e x t é r ie u r e s t d é s o r m a is p o u r e lle u n i m p é r a t i f , v o ir e u n e c o n d i t i o n d e
s u r v ie .

A d a p t a b i l i t é , r é a c t iv it é , o r i e n t a t i o n c l i e n t , f o c a lis a t i o n s u r l ’ e x t é r ie u r :
c e s c a r a c t é r is t iq u e s s o n t r e q u is e s d e l ’ e n t r e p r is e p a r u n e n v ir o n n e m e n t
e x ig e a n t e t p lu s c o m p le x e . C e s o n t c e s m u t a t i o n s d e s o n e n v ir o n n e m e n t
q u i l u i im p o s e n t d e se t r a n s f o r m e r . P o u r y f a ir e fa c e , e lle a b e s o in d e f a v o r is e r
l ’ é la b o r a t io n e t la m is e e n o e u v re p a r t o u s se s c o lla b o r a t e u r s d e r é p o n s e s
a d a p t é e s à la v r a ie v i e , d e r e n d r e p o s s ib le « l ’ in t e llig e n c e d e s s it u a t io n s » , d e
l ib é r e r l ’ i n i t i a t i v e e t la c r é a t iv it é d e c h a c u n .

T3 S a c h a n t d e p lu s q u e c e t t e t r a n s f o r m a t i o n d e l ’ e n t r e p r i s e , s i e lle e s t
O
c
rj r e q u is e p a r s o n e n v i r o n n e m e n t , d o i t ê t r e m e n é e d a n s u n c h a m p d e p lu s
Q
e n p lu s c o n t r a i n t . L e s n o r m e s e t o b l i g a t i o n s q u i s’ im p o s e n t à e lle v o n t
c r o is s a n t . D a n s une s o c ié t é q u i a b e s o in d e se s é c u r is e r , du f a it d u
« p r in c ip e d e p r é c a u t io n » ou d e s d é r iv e s a n t é r ie u r e s , de n o m b re u x
sz
DI s e c t e u r s d ’ a c t i v i t é v o i e n t l e u r c o r p u s r é g le m e n t a ir e s’ é t o f f e r . P e u i m p o r t e ,
>-
Q.
O l ’ e n t r e p r is e d o i t se t r a n s f o r m e r , e n p r e n a n t e n c o m p t e c e s c o n t r a i n t e s q u i
U
s’ i m p o s e n t à e lle .

"2
C-

c
3
Û
© 1. « La transition permanente », Entreprise&Personnel, 2014.
44 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

- T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------

D u besoin du clien t au p ro jet de l’équipe, par A n n ick Verdier


A n nick Verdier est D irectrice des Ressources H um aines d e la ban qu e de d éta il
France du groupe B N P P aribas. A vec ses 2 0 0 0 agences et son organisation m ulti­
canal, l ’a ctiv ité ban qu e d e d éta il d e B N P P aribas en France réalise un p ro d u it net
b an caire supérieur à 10 m illiards d ’euros, et com pte 2 8 0 0 0 collaborateurs.
Le secteur bancaire dans son ensemble a hérité d’un modèle relationnel de type
m ilitaire, très directif, avec une dimension statutaire forte. Dans ce mode de
management, ce qui était demandé tout au long de la chaîne hiérarchique, c’était
essentiellement d’appliquer des procédures et de contrôler. Il a été efficace, mais
dans le contexte actuel, il est sérieusement remis en cause : les clients ont changé,
de même que les collaborateurs d’ailleurs. Tout est effectivement parti de nos
clients et de leurs attentes. Ils demandent un service plus personnalisé, une
évolution dans la relation bancaire : plus pragmatique, plus collaborative, plus
durable. Et nos modes de fonctionnement ne répondaient plus aux besoins de
clients très bien informés, plus exigeants et qui ont changé leur mode de
consommation, y compris de la banque. Il fallait absolument en tenir compte et
nous adapter. Nous n’avons plus besoin que nos process influencent le service,
mais du contraire.
Nous avons réalisé que nous ne pouvions pas rendre un service de haut niveau,
très personnalisé comme nous le voulons, si nous ne revisitions pas notre mode
de management. C ’est en particulier le cas dans les moments d’attention pour
nos clients sur lesquels nous devons être exemplaires, comme par exemple une
ouverture de compte, une demande de crédit imm obilier, une perte de carte
X3
O bleue, une fraude, un décès.
c
Û Tout est parti du comité de direction, avec un travail collectif encouragé par la
fonction R H , la fonction commerce et les dirigeants opérationnels. Nos
échanges ont d’abord porté sur la définition d’une ambition commune autour
de la relation client puis sur les modalités de mise en œuvre.
>' Avec le cadre réglementaire qui s’impose à nous, nous savons que sur les risques
CL
O et la conformité, nous devons conserver une grande vigilance et être exemplaires.
U
En revanche, sur toute la partie commerciale, nous devons sortir de l’ancien
modèle et redonner des marges de manœuvre. C ’est devenu absolument
indispensable pour délivrer la qualité de service que nous ciblons.
Cette transformation radicale a été matérialisée par un nouveau modèle
relationnel qui se concrétise sur le terrain au travers d’un Projet de service.
Chaque équipe avec son manager commence par réaliser un diagnostic sur le
contexte local, qui est bien sûr très différent d’une agence à l’autre, par
exemple entre Aubusson et Place de l’Opéra : quel environnem ent, quel type
—J
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 45

11^

de clients ? Puis, une fois ce diagnostic réalisé, les conseillers bâtissent le


m eilleur projet dans le sens du service client : quelle sera l’organisation de
l’équipe, quel agencement pour l’entité, à quel moment mettre à l’accueil un
spécialiste des clients professionnels ? etc.
Ce projet a été rédigé en toute autonomie, sans contrôle et l’agence n’a aucun
reporting2i faire sur ce projet de service. Pour le produire, il a fallu beaucoup plus
partager, ce qui demande des efforts par rapport aux habitudes. Les
collaborateurs ont fait leur propre expérience, en partant de leur contexte. Une
logique d’expérimentation du type « test and learn » a été encouragée, en
intégrant donc le droit à l’erreur. C ’est assez nouveau dans notre culture,
puisqu’auparavant, tout devait fonctionner du premier coup.
Cette approche a été facilitée par la mise en place de conseillers spécialisés,
répondant à une demande des clients pour un conseil un peu plus pointu. O n
trouve dans l’agence des conseillers généralistes qui font intervenir le cas échéant
des spécialistes. Sachant que c’est le client qui choisit d’avoir affaire à chaque fois
à la même personne ou d’être reçu immédiatement par le conseiller disponible.
Ces transformations ont d’abord porté sur le réseau commercial. Mais pour
délivrer la qualité de service que nous ambitionnons, le back-ojfice aussi fait sa
mue. Et dans ce contexte, toutes les fonctions évoluent également. C ’est ainsi
qu’en partant du client, toute l’entreprise a été mise en mouvement.
M odifier la relation client en ayant des équipes confiantes, responsables et
libérées supposait de repenser le management. Le rôle du manager est très
important, sans doute même plus important qu’avant. D ire que son rôle décline
serait un non-sens. Le Projet agence est basé sur la co-construction et la
T3
O
crj délégation. Il y a donc un enjeu (^em powerm ent, de responsabilisation. Sans le
Q manager, ces transformations de la relation client et du positionnement proactif
du collaborateur ne sont pas possibles. C ’est le manager qui est à la manoeuvre.
(G) 2 Le modèle managérial promu est beaucoup plus basé sur l’écoute, le
collaboratif, la délégation, en construisant avec les collaborateurs. Ce rôle est
DI
plus difficile. Il s’agit de tirer les équipes vers le haut, donc de garder un fort
D.
O niveau d’exigence sur les résultats. Mais cela passe par plus de com m unication,
(J
plus de diffusion de l’inform ation en lui donnant du sens, plus de
développement des compétences. Ce management n’est plus basé sur un
statut, mais sur la capacité à apporter une plus value à son collaborateur, avec
un renversement de la relation.
Cela a amené notamment les Directeurs d’agence, qui suivaient directement
beaucoup de clients à en confier une partie aux conseillers pour pouvoir passer
plus de temps sur la partie managériale. C ’est en améliorant ce qui se joue avec
3 ses collaborateurs que ceux-ci amélioreront ce qui se joue avec les clients.
Û
®
—I
46 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

Les Directeurs d’agence ont été formés à la conduite du changement et à la


qualité de service. Nous avons mis en place des espaces d’échanges entre eux sur
leurs bonnes pratiques, leurs réussites, leurs difficultés. Au sein d’une même
région, certains entraînent les autres.
Dès le départ, la majorité des collaborateurs a été très enthousiaste : « En fin , on
nous fait confiance, on nous rend le pouvoir et on nous donne les moyens. C ’est
nous qui faisons le diagnostic et nous pouvons prendre en compte nos
spécificités. » Pour d’autres, ça a été plus difficile. Appliquer, c’est parfois plus
facile que construire soi-même, c’est protecteur.
Ce Projet a débuté il y a six mois, nous n’en sommes qu’au début et nous veillons
à ne pas précipiter les choses. Mais nous avons déjà de beaux résultats, avec en
premier lieu la réappropriation par les équipes de leur agence, de leur
environnement : le lien avec l’exercice du métier est transformé.
Le projet agence a souvent été construit avec les retours des clients et leur a
systématiquement été présenté. Il y a eu quelques surprises dans les contenus : des
collaborateurs ont décidé d’adopter un dress-code différent pendant le lancement
de l’opération pour montrer que la réalité avait changé. Pour expliquer ce qu’ils
allaient faire, certains ont organisé un évènement festif avec leurs clients. Ils ont
agencé leur entité différemment. Les clients ont été surpris de ce changement de
pied, mais leur accueil a été extraordinaire. Dans une agence de Marne-la-Vallée,
des clients sont allés acheter des fleurs pour les offrir aux conseillères. Dans les
agences qui sont déjà passées à ce format de service, les incivilités ont été réduites
de 10 % en trois mois, alors que leur nombre avait augmenté avec la crise.
Cette approche a modifié l’ensemble de notre politique R H . La démarche
T3
O
c: d’évaluation bien sûr, mais aussi la rémunération. Dans l’ancien système, elle était
Û pour partie calculée sur la production, avec un commissionnement à l’acte. Nous
sommes passés à un variable basé sur la qualité de service et le travail d’équipe. Avec
une dimension plus collective, puisque la moitié est calculée sur les résultats de
l’agence et non sur des critères individuels. Le dispositif de formation a été repensé.
Les parcours de carrière sont aussi en train d’évoluer : il y a moins de métiers dans
a.
O l’agence, les fonctions de généralistes sont valorisées. Les rôles sont enrichis, ce qui
(J
permet aux collaborateurs de rester plus longtemps dans une même agence.
Notre challenge, c’est maintenant de poursuivre la construction d’un modèle
R H et des outils en cohérence avec ce nouveau modèle relationnel client. C ’est
pourquoi nous revisitons également nos politiques de gestion individuelle, de
recrutement, etc.
Aujourd’hui, il n’y a aucun risque de retour en arrière, mais il faudra entretenir
cette démarche dans le temps.
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 47

La mutation du travail
Les activités in d u strie lle s représentent 19,8 % du P IB en Fran ce, 2 3 ,4 %
p o ur l’ensem ble de l’U n io n européenne^ L a p art des m étiers peu q u alifiés
s’y ré d u it d’année en année. E t p o u rtan t, nous co n tin u o n s à penser le
tra v a il com m e s’il s’in c a rn a it d ’abord dans des activité s in d u strie lle s
rép étitives. C ’est d ’aille u rs encore a in si que les m édias le représentent
souvent.
Q u e lle est la p h o to g rap hie réelle ? L e « tra v a il p re scrit », basé su r la
m ise en œ uvre ré p é titive de tâches standardisées et co d ifié e s, s’ in ca rn e
encore dans une p a rtie des m é tie rs, que ce so it dans l ’in d u strie ou dans le
te rtia ire , l ’illu s tra tio n alo rs la p lu s so u ven t évoquée étan t le centre
d ’app els. M ais cette ré a lité co existe avec celle des « tra v a ille u rs du
sa vo ir ». C e u x que l ’éco n o m iste R o b e rt R e ic h , an cien m in istre du tra v a il
des E ta ts -U n is , ap p elait les « m a n ip u late u rs de sym boles » et q u i tra ite n t
de l ’in fo rm a tio n , de la co n n aissan ce, de la cré atio n ou de l ’ém o tio n . Le
ca p ita l du co lla b o ra te u r est alors essen tiellem en t com posé de ses
com pétences et de ses réseaux. L a d é fin itio n ne correspond pas
exactem ent au tra v a il du sa vo ir, m ais le pourcentage en Fran ce de
l ’e m p lo i to tal situ é dans les services consid érés in te n sifs en connaissance
s’é levait en 2 0 0 6 à 3 6 ,9 %^. E n in c lu a n t ic i dans les tra v a ille u rs du sa vo ir
tous ceux q u i ne so n t pas su r du tra v a il p re sc rit, nous adoptons de fa it
une accep tio n larg e, q u i ne se lim ite n i à ceu x d o n t le m é tie r est e n ric h i
par les technologies de l ’in fo rm a tio n et de la c o m m u n ica tio n , n i à la
sphère m arch an d e. P lu s que « la p h o to g rap hie » de l ’e xista n t, c’est « le
T3
O film » q u i est in téressan t : les m étiers co m p ren an t une p a rt d ’in itia tiv e et
c:
:d de ré fle xio n au-delà des tâches p rescrites représentent une p a rt to u jo u rs
Û
cro issan te des personnes au tra v a il.
« Vous ne pouvez pas faire le travail d’au jo urd ’h u i avec les m éthodes d’h ier
et être dans le business dem ain » exp rim ait George W . B u sh , lucide sur ces
DI
's_ transform atio ns. C ette m u tatio n du travail co n d u it à faire basculer
D.
O l’entreprise de la conform ité à l’in tellig ence. Avec le travail du savoir, ce sont
(J
les savoir-faire, talents et in itiative s des collaborateurs q ui deviennent la
prem ière source d’avantage co n cu rrentiel pour l’entreprise. Il est donc
im p é ra tif qu’ils puissent s’exp rim er pleinem ent et qu’ils ne soient pas
handicapés, freinés ou lim ités par les modes de fonctionnem ent de
l’entreprise. À défaut, le gâchis serait énorm e, aussi bien pour les intéressés
que pour ceux q ui les em ploient.

1. Source : Banque Mondiale 2013.


2. Source : Eurostat.
48 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

Le développem ent du travail du savoir donne par ailleu rs une im portance


renforcée à la n o tio n d’engagem ent. Q u an d le tra vail est p rescrit, peu
im porte pour l’entreprise le niveau d’engagem ent du collaborateur : la
perform ance est d’abord le résultat de processus norm és et des contrôles
opérés. A co n tra rio , le niveau d ’engagem ent du tra vaille u r du savoir aura un
im pact d irect sur la perform ance qu’il d élivre , puisque c’est lu i qui décide
avec plus ou m oins de bonne volo nté de m o b iliser ses com pétences. Selon
son niveau d ’engagem ent, il prendra l’in itia tiv e adaptée ou s’abstiendra. Il
adoptera les com portem ents nécessaires, notam m ent vis-à-vis du clie n t, ou
pas. I l so rtira du cadre lorsque la situ atio n le nécessitera ou évitera de toute
in itia tiv e .
L a m utation du tra v a il, de sa nature et de ses contenus, a donc des
conséquences im portantes. E lle appelle une autre m u tatio n , tout aussi
profonde, des relations entre l’entreprise et ses collaborateurs, qui
p erm ettrait à l’ensem ble de leurs capacités de s’exp rim er et créerait les
co n d itio n s de le u r engagem ent. A co n tra rio , l’entreprise q u i co n tin u e à
gérer le travail du savoir com m e elle procédait avec le tra vail p rescrit se p rive
d’une grande p artie de son po tentiel et génère chez les intéressés un
désengagem ent in h ib ite u r de perform ance.

Les aspirations émergentes


N o tre m onde, les rapports q u i y régnent et les in teractio n s entre les
personnes, leurs besoins, attentes et asp iratio n s, évoluent rapidem ent. E t ce
q u i se joue dans l’ensem ble de la société n’est pas neutre po ur ce q ui émerge
T3
O dans l ’entreprise : il n’y a pas d ’un côté l’in d iv id u hors tra vail et de l’autre le
c:
:d salarié, m ais bien une personne unique avec des ressentis cohérents où
Û
q u e lle se situ e. Q u atre caractéristiques nous paraissent devoir être
O
(N soulignées.
@
L a prem ière concerne l’asp iratio n des in d ivid u s à se réaliser. Jam ais dans
l’h isto ire elle n’a été aussi largem ent partagée qu’au jo u rd ’h u i. E lle est
5-
Q.
O exprim ée par tous, quel que soit le m ilie u social et cu ltu re l. C ette volonté
U
d ’exp lo iter p leinem ent son p o tentiel in d iv id u e l et de le m ettre en valeu r
s’applique aussi bien à la vie hors tra vail qu’à la sphère professionnelle. M ais
c’est sans doute au tra vail que l’évo lu tio n est la plus nette. D e m u ltip les
enquêtes’ d ém ontrent l ’im portance croissante accordée au tra v a il. E t la
France est un des pays dans lesquels le pourcentage de personnes cita n t
l’in térêt du tra vail com m e une d im ension essentielle est le plus élevé.

1. Notamment I’lnternational Social Survey Programme, dont la participation française est


assurée par les équipes du CNRS, et l’European Values Study.
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 49

D e m êm e, dans l’enquête réalisée en 2 0 1 2 par Radio-France^ 75 % des


répondants exp rim aien t le souhait que leurs enfants aient un m étier
épanouissant, 9 % seulem ent qu’ils aient un m étier « où l’on gagne
beaucoup d’argent. »
« D ’indigne et de m éprisé, le tra vail est devenu, au cours des trois derniers
siècles, le p rin cip a l lie u d ’investissem ent des énergies utopiques » écriven t
les sociologues D o m in iq u e M éda et P a tricia Vendram in^. Pendant plusieurs
siècles, la conception largem ent dom inante était celle du travail conçu
com m e un « devoir » vis-à-vis de sa fa m ille , des grandes in stitu tio n s et de la
société dans son ensem ble. I l y a donc là une ru p tu re , engagée d u ran t les
Trente G lo rieu ses, m ais q u i s’accentue. C ette asp iratio n v ie n t parfois se
heu rter durem ent aux réalités du m onde du tra v a il. A co n tra rio , l’entreprise
q u i apporte une réponse satisfaisante à cette asp iratio n est pleinem ent en
phase avec ces caractéristiques contem poraines, avec un effet m u ltip lica te u r
sur l’engagem ent de ces collaborateurs.
L a deuxièm e asp iratio n à noter est celle de la quête de sens. Rappelons
que le term e « sens » a plusieurs sig n ifica tio n s. Il peut désigner le
« pourquoi » (« exp liq u er le sens d ’une d écision », par exem ple), la d irectio n
(« dans quel sens allons-nous ? »), ou bien encore l’u tilité (« je veux donner
du sens à ce que je fais ».) Les tro is acceptions sont utilisées dans le m onde
de l’entreprise. C e dont nous parlons ic i, c’est bien de la troisièm e : quelle
est l ’u tilité de ce que nous faisons ? A quoi servons-nous ? Q u elle
co n trib u tio n apportons-nous à la société dans laquelle nous vivo n s ?
Sur le plan individuel, le sens renvoie à la capacité de trouver une
T3 justification à ses actions et à ses efforts. Sur le plan collectif, il permet de se
O
c
rj référer à une raison d’être qui confère leur légitimité aux grandes décisions.
Q
Les réponses à ces questions o nt longtem ps été apportées par les grandes
in stitu tio n s que sont l’E g lise , la Patrie ou la R ép u b liq u e, vo ire les p artis
@ Ü
p o litiq u es : il y a quelques décennies, elles étaient dans nos sociétés les
grandes pourvoyeuses de sens. L e u r baisse d ’in flu en ce et le recul des
5-
Q.
O appartenances m o n o lith iq u es ont co n d u it à une situ atio n dans laquelle les
U
sources de sens ont peu ou prou d isp aru .
Est-ce co n trad icto ire avec ce glissem ent, de nom breuses enquêtes
d’o p in io n et études sociologiques récentes soulignent que jam ais le besoin
de sens n’a été aussi fo rt qu’au jo u rd ’h u i.

1. Jan Krauze, Dominique Méda, Patrick Légeron, Yves Schwartz, Quel travail voulons-nous i
La grande enquête. Les Arènes, 2012.
2. Dominique Méda et Patricia Vendramin, Réinventer le travail, PUF, 2013.
50 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

C ette évolution peut être rapprochée de l’asp iratio n croissante à un


projet co lle ctif. So cio visio n réalise depuis plusieurs décennies une enquête
récurrente sur les attentes des Fran ça is. A la question sur le u r aspiration à
une approche co llective et à un « grand dessein », la p art de ceux q u i
répondaient po sitivem ent dans les années 200 0 était tom bée dans une
fourchette entre 60 et 62 % . E lle co n n aît au jo u rd ’h u i une rem ontée
sig n ificative : 76 % en 201 0 et 78 % en 2 0 1 3 . I l y a au jo urd ’h u i une
dem ande d ’u tilité qui dépasse la personne et p articip e du c o lle c tif
A u tra va il, plus personne ne veut perdre sa vie à la gagner. « I l n’est pas de
p u n itio n plus terrib le que le tra vail in u tile et sans espoir^ ». « A lo rs que c’est
justem ent la p o ssib ilité de réaliser un rêve q u i rend la vie intéressante^ ». Les
entreprises q ui prennent en com pte cette asp iratio n d’épanouissem ent au
tra vail m arquent des po ints auprès de leurs collaborateurs.
L a troisièm e attente porte sur le type de relations entre les personnes au
tra v a il. U ne enquête réalisée par la Sofres po ur Té lé ram a sur la devise de la
R ép u b liq ue avait m ontré il y a quelques années que la n o tio n la plus
im portante dans la société française, après la lib e rté , l’égalité et la fratern ité,
était po ur 68 % des personnes le respect. U n e enquête réalisée en 2 01 3 par
le cabinet Mercer"^ so u lig n ait le lie n d irect entre « le fa it d ’être traité avec
respect » et le niveau de m o b ilisatio n et d ’im p lica tio n . D e m u ltip les autres
études ont m ontré l ’im portance de la co nsid ératio n et de la reconnaissance"*
dans le cadre des relations de tra va il.
E n quelques décennies, le rapp ort à l’autorité a considérablem ent évolué.
A u sein de la fa m ille , lie u de co n stru ctio n de l’au to rité, elle est beaucoup
T3 m oins descendante, davantage basée sur le dialogue, la co n certatio n , le
O
c
rj p o u vo ir de co n victio n . E ffe t D o lto ou effet m ai 6 8 , peu im p o rte, notre
Q
société a progressivem ent évolué vers ce nouveau m odèle. L ’affaiblissem ent
des grandes in stitu tio n s, déjà évoqué, et la suppression du service natio n al
ont co ntribué à la d isp aritio n de l’ancien m odèle.
C e q u i se dessine de plus en plus nettem ent, c’est le besoin d’une société
>-
Q.
O « dé-hiérarchisée », dans laquelle l ’in d iv id u se co n stru it com m e adulte et
U
in terag it avec les autres sur la base de rapports éq u ilib rés, quelles que soient
leurs fo n ctio n s. R em arquons au passage que c’est le type de relations que
l’entreprise dem ande à ses collaborateurs de co n stru ire avec ses clie n ts. E t
qu’il est d iffic ile d ’im ag iner que ces rapports soient déployés par les

1. Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, 1942.


2. L’alchimiste, 1988.
3. Enquête Global Performance Management Survey, Mercer, 2013
4. Voir par exemple les travaux et publications de Christophe Laval.
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ?

collaborateurs vis-à-vis de l’extérieu r si subsistent en in tern e des relations


m arquées par le m odèle an cien . I l y a un im p é ra tif de « sym étrie des
attentions » entre ce q u i se passe avec les collaborateurs et ce q u i se joue avec
les clie n ts. E n in tern e com m e en externe, il s’agit de reconstruire du lien
so cial.
Q u atrièm e asp iratio n p articu lièrem en t forte dans le m onde contem ­
p o rain : la volo nté d ’apprendre et de se développer en co n tin u . D an s le
contexte de tran sfo rm atio n profonde de notre société, les com pétences
requises évoluent de plus en plus v ite . Selon différentes études, la som m e
des connaissances disponibles à l’échelle de la planète a doublé ces six
dernières années.
C haque in d iv id u a donc un enjeu de m ise à jo u r et de renouvellem ent
co n tin u de son cap ital com pétence. L e tra va il qu’il réalise sur ce capital est
une des clés de la m aîtrise de son aven ir : il co n d itio n n e son em p lo yab ilité.
« Q u els que soient les contextes professionnels, et m êm e les territo ires et les
q u alifica tio n s, l ’in d iv id u devra dem ain se m ettre en p o sitio n d’apprentissage
co n tin u . [ ...] A p prend re est un effo rt q u i se renouvelle sans cesse, parce que
les connaissances changent et évoluent elles-m êm es » é crit Sandra E n la rt
dans la note d ’o rie n tatio n 2 0 1 5 -2 0 1 9 ^ E n trep rise& P erso n n el^ .
L a conscience de cet im p é ra tif, q u i peut être vécu com m e une
co n tra in te et un risq u e, ou au co n tra ire com m e une o p p o rtu n ité
en th o u siasm an te, est variab le selon les p o p u latio n s. E lle est sans doute
p a rticu liè re m e n t fo rte chez les p lu s jeu n es, p o ur q u i ce ren o u vellem en t
c o n tin u fa it p artie de la donne : ils ont g rand i avec. « A p p ren d re des
T3 choses nouvelles » ap p araît dans une enquête de C S A su r la q u alité de vie
O
crj au tra v a il réalisée en octobre 2 0 1 3 com m e une des cin q p rio rité s de vie au
Q
tra v a il des salariés fra n ça is.
L a capacité d ’une entreprise à accom pagner ce renouvellem ent sera donc
de plus en plus un critère de ch o ix et d’engagem ent po ur ch acu n, dans un
contexte de guerre des talents q ui ira croissant pour ce q u i est des p ro fils les
CL
O plus q u alifiés.
U
O r, dans cet en viro n n em en t, le développem ent des com pétences ne se
fa it pas d’abord au travers des m om ents q u i lu i sont dédiés, com m e par
exem ple les actions de fo rm atio n . I l s’opère essentiellem ent en situ a tio n , en
faisant son m étier. À une co n d itio n : que les systèm es organisationnels
l’auto risent. Selon les m arges de m anœ uvre dont il disposera dans son
a ctivité , l ’in d iv id u stagnera en exécutant dem ain com m e h ie r les mêmes

Û
® 1. « La transition permanente », Entreprise&Personnel, 2014.
52 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

activités et son cap ital com pétence s’érodera alors jo u r après jo u r. O u bien il
apprendra en sortant du cadre, en élargissant son cham p d’in te rve n tio n , en
ayant à m o b iliser de nouveaux savoirs.
Besoin de se réaliser, quête de sens, attente de relations basées sur la
consid ération, volonté de se développer : l’approche « entreprise libérée »
entre en résonance avec ces différentes aspirations. C ’est sans doute une des
raisons pour lesquelles cette notion co n n aît un tel succès : l’hom m e au travail
n’est qu’une part de l’hom m e dans la société. E t il s’agit en quelque sorte de
rem ettre en cohérence ce qu’il v it dans l’entreprise et ce q ui évolue plus
largem ent dans la société en cette prem ière m oitié du XXI^ siècle. Les décalages
entre ce qui caractérise notre société contem poraine et les réalités vécues
dans l’entreprise sont sans n u l doute une des causes du désengagem ent, des
risques psycho-sociaux ou des phénom ènes de b u rn -o u t.
C ertain es des tran sfo rm atio ns sociétales recensées ic i s’im poseront
inexorablem ent à l’agenda de l’entreprise po ur des raisons qui lu i sont
externes : réactions de l ’o p in io n p u b liq u e, réglem entation par les pouvoirs
p u b lics, avec des D R H d ont les p rio rités et le calend rier de négociation
d evront s’aligner sur ces obligations nouvelles.

La révolution digitale
In te rn e t, réseaux so ciau x, te rm in au x m obiles : du fa it du d ig ita l, notre
q u o tid ien a plus été bouleversé en quelques années que dans les siècles
précédents. Tentons d’id e n tifie r ic i les p rin cip ales transform atio ns
qu’in d u isen t ces technologies sur les entreprises.
T3
O
c
L a prem ière est sans n u l doute dans l’accès à l ’in fo rm a tio n . N ous som m es
rj tous surexposés à une in fo rm atio n im m éd iatem ent d isp o n ib le, en quantité
Q
in fin ie et de q u alité hétérogène, com m e l’illu stre la no tio n d ’infobésité.
N ous ne vivo n s déjà plus au jo u rd ’h u i dans une économ ie de la connaissance,
m ais bel et bien dans une « économ ie de l’attention : notre capacité à
v é rifie r les données, à penser rapidem ent de m anière synthétiq ue et à gérer
a.
O la sim u ltanéité devient cru ciale .
(J
C ette nouvelle donne transform e la relatio n entre p o u vo ir et in fo rm a tio n .
D an s le m onde an cien , le p o u vo ir s’ap p u yait sur la capacité à récupérer et à
d étenir l’in fo rm a tio n , dans une logique de stock. D éso rm ais, le po uvo ir et
l’in flu en ce se renforcent de la capacité à tra ite r cette in fo rm atio n et à la
transm ettre, dans une logique de flu x .

1. Herbert Simon, 1971, Designing Organizations for an Information-Rich World, The Johns
Hopkins Press.
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 53

D eu xièm e tran sfo rm atio n d ’envergure, le d ig ital rend naturelles les


logiques de réseaux et de co m m unautés. L e réseau se déploie tous azim u ts,
à l’opposé de la logique h iérarch iq u e descendante. L ’entreprise d o it faire
face à « l’irru p tio n d ’échanges h o rizo n ta u x q u i co u rt-circu ite n t tous les
schém as habituels de pensée, de p o u vo ir, de savo ir, d ’expertise ».^
A vec deux conséquences m ajeures : d ’une p a rt, là au ssi, la nature du
p o u vo ir se tran sfo rm e, avec une log iq ue de co o p ératio n q u i prend le pas
su r les fo n ctio n n em en ts en silo s. D ’autre p art les in te ra ctio n s m u ltip le s
que perm et le d ig ita l ren fo rcen t la capacité du groupe à développer ses
com pétences, son in te llig e n ce co lle ctive et donc son p o ten tiel
d ’in n o va tio n co lla b o ra tive . L ’a rtic u la tio n entre d im en sio n in d iv id u e lle et
d im en sio n co lle ctive est de fa it à ré in ve n te r dans toute o rg anisatio n
h u m ain e , lo in des logiques d ’in d iv id u a lisa tio n à to u t c rin de ces dernières
décennies.
T ro isiè m e m u ta tio n : cette ré vo lu tio n peut être source de satu ratio n
m entale et de surcharge co g n itiv e . N o tam m e n t en co n trib u a n t sin o n à la
d isp a ritio n , du m o in s à l ’effacem ent de la d istin c tio n entre vie
p erso n n elle et v ie p ro fe ssio n n e lle . Le thèm e du « d ro it à la d éco nn exio n »
est d ’a ille u rs lo in d ’a vo ir tro u vé toutes ses réponses, ta n t il est fa cile de
m esurer des heures dans la lo g iq u e ta y lo rie n n e , m ais beaucoup p lu s
com plexe de m esurer la m o b ilisa tio n de l ’a tte n tio n dans le m onde
ém ergent.
D éveloppem ent du tra vail à d istance, « v irtu a lisa tio n » des rapports de
tra v a il, autom atisation et d ig italisatio n de nom breux processus, réorgani­
T3 sation des espaces de tra va il : l ’entreprise est bien sûr déjà im pactée par la
O
c:
:d révo lu tio n d ig itale, m êm e si le niveau d ’engagem ent est très variab le d’une
a
organisation à l ’autre. E lle d o it p o urtan t se garder de deux écueils. Le
O
(N prem ier, de m oins en m oins fréq u en t, est de ne v o ir dans cette
tran sfo rm atio n qu’une évo lu tio n des o u tils, sans intégrer que la fro n tière
entre réel et v irtu e l est désorm ais poreuse. L e second est de ne tra ite r cette
Q.
O tran sfo rm atio n qu’à travers sa d im ension technologique. Faire aussi peu ou
U
tant d ’honneur au d ig ital renvoie à la m êm e erreur : c’est o u b lie r qu’il n’est
pas possible de toucher à l ’un sans im p acter l ’autre. Le d ig ital ne co ntrib uera
à transform er l’entreprise que si d’autres dim ensions sont traitées en
parallèle, en p a rticu lie r ce q u i renvoie au systèm e organisationnel et
m anagérial.

1, Sandra Enlart et Olivier Charbonnier, À quoi ressemblera le travail demain i Dunod, 2013.
54 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

LES REALITES DES ENTREPRISES A U JO U RD 'H U I ET LES BLOCAGES

D resser un constat générique des réalités internes des entreprises est en


p artie illu so ire . E lle s sont hétérogènes. L’autonom ie effective des
collaborateurs est très variab le, d’un D anone q u i a théorisé le p rin cip e de
su b sid iarité p o ur ses salariés à des entreprises q u i sont connues pour leu r
d ire ctivité , souvent génératrice de risques psychosociaux. Q u a n t au niveau
d’engagem ent des collaborateurs, les résultats des enquêtes d ’o p in io n des
salariés m ontrent des écarts très im p o rtan ts selon les entreprises. C es
différences dépendent bien sûr du secteur d ’a ctivité de l’entreprise, de sa
situ atio n économ ique, et plus encore de son h isto ire et de la cu ltu re q u e lle
a développée.
Pour au tan t, la réalité org anisationnelle que vive n t l’ensem ble des salariés
au jo u rd ’h u i n’est pas celle dans laquelle ils baignaient il y a d ix ou vin g t ans
et de grandes lignes se dégagent. E lle s peuvent notam m ent être m ises en
cohérence à travers ce qu’exp rim en t ceux q u i com posent l’entreprise : ses
collaborateurs, ses m anagers, ses d irig eants, m ais aussi ses clie n ts.

Ce que ressentent et expriment les acteurs de l'entreprise


E x a m in o n s d ’abord où en so nt les co llab o rate u rs v is-à -vis de le u r
en tre p rise . D isse rte r su r le désengagem ent des salariés est devenu un lie u
co m m u n . Q u ’en e st-il ré ellem en t ? P o u r répond re à cette q u estio n ,
com m enço ns p ar d é fin ir l ’engagem ent en reven an t à l’o rig in e scie n tifiq u e
du concept : dans la psych o lo g ie so ciale , l ’engagem ent se réfère à des
T3
actes, alors que l ’im p lic a tio n se réfère à des attitu d es et la m o tiva tio n à
O
crj un état d’e sp rit. C a ra cté riso n s m a in te n a n t le désengagem ent : « E s t
Q
désengagé le co lla b o ra te u r d o n t les actes tra d u ise n t u n d ésin vestissem ent
O
fN dans son a c tiv ité professionnelle^ ». C es actes p eu vent être recensés :
@ absentéism e, tra v a il so u s-in ve sti, retard s, co m p o rtem en ts in a p p ro p rié s,
DI d ép arts, etc.
‘s_
D.
O Force est de constater que ces caractéristiques du désengagement ne
U
s’exprim ent pas franchem ent aujourd ’h u i. C e qui co n d uit d’ailleurs E n tre-
p rise& P erso n n el à écrire, après avo ir observé une absence d’augm entation
de l’absentéism e : « N ous n’avons pas de rem ontées significatives d’évolutions
de com portem ents q ui trad u iraien t une attitude de retrait accru, un dés­
engagement dans le travail. [ ...] N os études de terrain se font plutôt l’écho

1, Ouvrage collectif sous la direction de Charles-Henri Besseyre des Horts, RH au quotidien,


chapitre 3 sur « L’engagement des collaborateurs » rédigé par Gilles Verrier, Dunod, 2®éd.
2015.
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 55

d’un engagement, voire d’un surengagem ent de beaucoup de salariés très


conscients de la dureté de la situation économ ique’ ».
C e qui émerge de l’entreprise ces dernières années, c’est davantage un
problèm e de surinvestissem ent du collaborateur dans son activité, plus qu’un
désengagement dans les actes. T o u t sim plem ent parce qu’il subit une double
contrainte. D ’une part l’absence d’alternative : le contexte de crise globale
l’oblige à rester dans son entreprise. D ’autre part, celle de son environnem ent
im m éd iat : in ten sificatio n du travail, objectifs parfois inatteignables, délais
raccourcis, m anque de m oyens, porosité entre vie professionnelle et vie
personnelle, avec une in strum entalisation des outils m odernes qui accentue
ces contraintes. Les enquêtes sur les conditions de travail de la D A R ES^
confirm ent cette in ten sificatio n du travail. A vec, pour un nom bre croissant
de salariés, un état de surcharge qui peut aller jusqu’à l’épuisem ent.
C ette d ifficu lté liée à la q uantité de travail se double parfois d’un enjeu
quant à sa q u alité. O u plus exactem ent quant aux obstacles pour réaliser un
travail de q ualité dans le cadre d éfin i par l ’entreprise. C e q u i pose problèm e
au collaborateur, c’est le décalage entre ce qu’il so u h aiterait réaliser dans son
a ctivité , en lie n avec sa conception de professionnel sur le « travail bien
fa it », et ce q u i lu i est dem andé par l ’entreprise, ou tout au m oins ce q u i est
possible dans le cadre du systèm e org anisatio n n el. Le tra vail de q ualité
auquel aspire le collaborateur est de fa it « empêché^ ».
C e sont ces d ifficu lté s, à la fois sur la q uantité de tra vail m ais aussi sur la
q ualité possible, q u i se trad u isen t par des sentim ents de m al-être au tra vail
et q u i exp liq u en t au m oins pour partie le développem ent des risques
T3 psychosociaux.
O
c:
Q S ’il n’y a pas désengagem ent dans l’a ctivité et au co n traire un
surinvestissem ent, com m ent exp liq u er alors le d é cla ra tif de nom breux
collaborateurs sur le u r absence d ’engagem ent vis-à-vis de le u r entreprise,
(y) 2
présent dans de m u ltip les enquêtes ? D e nom breux travau x ont m is en
évidence depuis une d izaine d’années le renforcem ent d’attitudes de
>-
Q.
O d istan ciatio n . U n salarié se d istancie de son entreprise lorsq u’il ne s’id en tifie
U
plus à ce q ui la caractérise. Il adopte de fa it une attitud e de scepticism e,
vo ire de cynism e par rapp ort aux discours de l ’org anisation. « Les gens sont

1. « Confusion(s) sociale(s) : le téléscopage des crises, note de conjoncture », n° 325


d’Entreprise&Personnel, Michèle Rescourio-Gilabert et Jeran-Pierre Basilien, novembre
2014.
2. Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques du Ministère du
3
Û travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.
® 3. Yves Clot, Le travail à cœur : pour enfinir avec les risquespsychosociaux, La Découverte, 2010.
56 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

devenus capables et désireux de d ém ystifier, de résister aux tentatives de


m an ip u latio n et de lire entre les lignes, m êm e si par aille u rs ils co n tin u en t,
nécessité oblige, à se soum ettre au m oins en apparence aux norm es de
fo n ctio n nem en t des organisations » f
C ette notion de « d istanciation » nous perm et de m ieux com prendre ce qui
se joue aujourd’h u i en m atière d’engagement. Les collaborateurs com binent
dans le même tem ps d istanciation vis-à-vis de leu r entreprise et investissem ent
dans leu r activité professionnelle. Ils font preuve de désengagement vis-à-vis
de l’entreprise, sans qu’il y ait pour autant désengagement vis-à-vis de leur
m étier. C ette d istanciation et le désengagement a ffe ctif auquel elle cond uit
sont encore plus lourds de conséquences qu’un seul désinvestissem ent dans
les actes : l’entreprise a un long chem in à p arco u rir pour renouer le lien.
A rrêtons-nous m ainten an t sur la po p u latio n des m anagers. U n e d ifficu lté
supplém entaire pèse sur eux du fa it des attentes auxquelles ils sont
confrontés. D ’un côté, il existe dans de nom breuses entreprises un niveau
d’in satisfactio n élevé des collaborateurs vis-à-vis des pratiques de leurs
m anagers. C e constat est régulièrem ent co n firm é par les analyses menées
par les entreprises auprès de leurs salariés, q u elle s soient q u an ti­
tatives (enquêtes d ’o p in io n des salariés) ou q u alitatives (in te rvie w s, focus
groupes). D e nom breuses études ont m ontré que le p rem ier m o tif de
dém ission était à rechercher dans la relatio n avec le m anager d irect. E t selon
la D A R E S , une p art croissante des co n flits co llectifs lo cau x naissent d’un
problèm e de m anagem ent.
D ’un autre cô té, les d irig e an ts d ’en trep rise o n t p a rfo is le se n tim en t de
X3 ne p o u vo ir s’ap p uyer p le in e m en t su r la co m m u nau té m anag ériale p o ur
O
c co n d u ire l’e n tre p rise . Ils co n staten t que certain es de leu rs d écisio n s ne se
Û
tra d u ise n t pas dans la ré a lité et co n sid ère n t que la « co u rro ie de
O
(N tra n sm issio n » est in e ffica ce . Ils estim en t les m anagers in su ffisa m m e n t
@ im p liq u é s dans les changem ents im p u lsés et les p e rço ive n t p arfo is
com m e le « ven tre m ou » de l ’e n tre p rise . Ils o n t peu de rem ontées du
5-
Q.
O te rra in de la p a rt de ces m anagers, d o n t ils o n t le se n tim en t qu’ ils se
U
co n ce n tre n t su r la d im e n sio n tech n iq u e de le u r m é tie r au d é trim e n t de
ses aspects h u m a in s.
Conséquence : entre les attentes de leurs collaborateurs et celles de leu r
d ire ctio n , soum is à des in jo n ctio n s co n trad icto ires, les m anagers de
p ro xim ité peuvent avo ir le sentim ent d ’être p ris entre le m arteau et
l’enclum e. Q u an d nous échangeons de m anière in fo rm e lle avec eux, ils
exp rim en t souvent de la souffrance et v ive n t m al cette situ a tio n . Ils o nt le

1. Le rapport des cadres à l’entreprise, APEC, 2011.


L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 57

sentim ent d ’être abandonnés : seuls 15 % estim ent que leurs d ifficu lté s sont
prises en com pte par l ’entrepriseb A u p o in t de constater dans certaines
entreprises une volo nté d’évitem ent des responsabilités m anagériales par
une partie de la p o p u latio n q u i p o u rrait y prétendre, avec « des signaux
faibles d’une désaffection naissante po ur la fo n ctio n ».^
Q u els sont au jo u rd ’h u i les ressentis des dirigeants quant aux modes de
fo n ctio n nem en t de l’entreprise ? Dépassons l’approche q u i en resterait au
p rem ier degré en consid érant que le prem ier d irig ean t de l ’entreprise est
celui qui décide en toute lib erté de ses réalités o rg anisationnelles. Il est lu i
aussi soum is à un cham p de co ntraintes fortes, portées en prem ier lie u par
son actio n n ariat. A vec, selon les entreprises, deux variables : d’une part le
degré d ’autonom ie de l’activité du d irig ean t vis-à-vis des actio n n aires,
d’autre part les tem poralités que ces derniers im posent.
R ap pelons que ce n’est que depuis les années q u atre-vin g t que les
d irig ean ts d ’en trep rise n’o nt pas eu d ’autre ch o ix que de s’alig n er de façon
aussi rapprochée su r les o b je ctifs des actionnaires^ . Lo rsq u e ceu x-ci vise n t
p lu tô t le développem ent long term e de l’en trep rise, dans une logique
p a trim o n ia le , le d irig e an t bénéficie en général d’ une autonom ie plus
fo rte . C ’est souvent le cas lorsq ue l ’a ctio n n aire est fa m ilia l, m êm e si la
co rré latio n n’est pas absolue et qu’il existe a c o n tr a rio des fonds
d ’in vestissem en t q u i sont su r des logiques de m oyen term e. A in s i, entre
2 0 0 6 et 2 0 0 9 , L io n C a p ita l et B lacksto n e o n t laissé beaucoup plus
d ’autonom ie au x d irig ean ts d ’O ran g ina-Sch w ep p es p o ur développer
l ’entreprise que le m anagem ent n’en avait quand l ’actio n n aire était le
T3
groupe C a d b u ry, avec des résultats q u i sont venus v a lid e r p lein em en t ce
O
c
rj ch o ix.
Û
L a recherche de pro fits im m éd iats et l’autonom ie lim itée de la D ire ctio n
O
(N générale sont néanm oins la norm e. E t le m oindre désalignem ent entre
(5) actionnaires et D G am ène ce d ern ier vers la so rtie, com m e l ’a illu stré par
exem ple l ’évictio n de C h ris V ieh b ach er de la tête du groupe San o fi. E n une
>-
Q.
O décennie, la durée m oyenne du m andat d’un d irig ean t a été réduite d’un
U
tiers"^. P arfo is, le niveau d’in te rve n tio n des m em bres du conseil
d’ad m in istratio n va très lo in . Le D ire cte u r G én éral d’une stru ctu re en

1. Baromètre CFE-CGC.
2. Aine O’Donnell, Patricia Vesin, Patrick Perrier, Manager de proximité, non merci !
Entreprise&Personnel, 2011.
-O
c 3. Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder Ventreprise, Seuil, 2012.
c
d 4. Source : Strategy&, précédemment Booz & Company, racheté en 2013 par
Û
© PricewaterhouseCoopers.
58 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

charge d’une m ission de service p u b lic a ain si été rem ercié m i-2015 :
l ’opération de tran sfert des responsabilités vers les structures opérationnelles
qu’il avait in itié e se h e u rtait à la volo nté de la Présidence de co n trô ler les
détails du q u o tid ien .
D e nom breux dirigeants agissent donc dans un cham p de contraintes
fortes. Pour échanger q uo tid iennem ent avec des dirigeants d ’entreprise,
le u r m ission n’est pas to u jo u rs sim p le, ten tan t de co n cilie r ces contraintes
et les besoins de le u r entreprise. C e rta in s sont écartelés entre l’im p é ra tif
d ’alignem ent sur les logiques à co u rt term e de leurs actionnaires et ce qu’ils
savent bénéfique pour l’entreprise qu’ils d irig e n t. Ils ont eux-aussi une
autonom ie co n train te quant au pro jet de développem ent de le u r entreprise.
E t la pression que vive n t collaborateurs et m anagers est en partie la
conséquence de cet im p é ra tif de résultats à co u rt term e pesant sur le prem ier
d irig ean t de leu r entreprise.
Venons-en m ain ten an t à ce lu i q u i d o it être l’acteur cen tral po ur
l ’entreprise : le c lie n t. A travers les d ifférentes in te ractio n s qu’il peut avo ir
avec l’entreprise, tro u ve-t-il son com pte dans les m odes de fo n ctio n n em en t
auxquels il est co n fro n té ? Le discours sur la satisfactio n du clie n t est
présent dans toutes les entreprises. L e su jet est effectivem en t d ’im p o rtan ce :
entre les m arques ayant les m e ille u rs n ive au x de recom m andation de leurs
clie n ts et celles q u i ont les plus m au vais, il y au ra it un écart de 27 % de
croissanceh
Pour autant, il y a parfois un décalage im p o rtan t entre le discours et ce
que vive n t les clients dans les fa its. Peut-être parce que sur 1 000 clients
T3 in satisfaits, 40 seulem ent le disent à l’entreprise, alors que 600 vo nt acheter
O
c aille u rs par la suite.^
Û
Q uelles sont les marges de m anœ uvre des collaborateurs en contact
O
ГМ d irect avec le clie n t pour m ettre en œ uvre en situ atio n des réponses adaptées
(5) aux besoins ? « Pas de réussite sans des collaborateurs m otivés et autonom es »
CT répond le M ed e f dans son L iv re b lanc sur la q ualité de la relation clients^.
Q.
O B ie n v u . Pour au tan t, ces dernières années, le niveau de satisfaction des
U
consom m ateurs stagne en France à un niveau m édiocre.
D ista n cia tio n des salariés, d ifficu lté s des m anagers, dirigeants sous
co n train te, clients d ont le niveau de satisfactio n ne décolle pas. Ces constats
am ènent à interroger l’entreprise et ses m odes de fo n ctio n nem en t.

1. Palmarès HCG 2015 de la relation client.


2. Étude « biens de consommation » du Technical Assistance Research Program Institute.
3. Satisfaction clients : six bonnes pratiques d’entreprises pour un résultat gagnant-gagnant,
Medef.
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 59

De quoi certaines entreprises sont-elles malades ?


C e qu’exp rim en t ces d ifférents acteurs, m ais aussi l’observation des
entreprises et l’analyse de leurs réalités, perm ettent d’id e n tifie r ce que nous
appellerons ic i des « m aladies » q u i frappent certaines organisations.
M aladies dans le sens où elles em pêchent l’entreprise d’apporter des
réponses satisfaisantes à son en viro n n em en t. M aladies aussi parce que ces
dérives peuvent être traitées po ur q u i au rait fa it le d iag nostic, puis en au rait
la volonté et les leviers. U n e entité peut so u ffrir d’une seule de ces
« m aladies », ou bien en co m b in er p lu sieu rs, q ui se renforceront alors entre
elles.
« L ’entreprise hiérarch iq u e », to u t d’abord, est centrée sur la place dans
l’o rg anisation, m atérialisée par le statu t. Précisons qu’il ne s’agit pas pour
nous à ce stade de m ettre en cause la n o tio n de h iérarch ie dans l ’entreprise,
m ais de questionner les form es que peuvent prendre les relations entre les
rôles positionnés aux d ifférents n iveaux de la stru ctu re h iérarch iq u e.
D an s ce groupe in d u strie l du N o rd , aucun salarié ne s’aventure à
prononcer le prénom et le nom du D ire cte u r G én éral sans les faire précéder
de son titre de c iv ilité : M o nsieu r, ce q ui n’est fa it pour aucune autre
personne de l’entreprise. D an s ce groupe pétro lier, lorsque le D G est entré
dans la salle où étaient réunis une vin g tain e de cadres supérieurs, tous se
sont levés d ’un m êm e m ouvem ent. Lorsq ue le d irig ean t fondateur de ce
groupe pharm aceutique a pénétré dans le chapiteau où étaient rassem blés
plusieurs m illie rs de ses salariés, ceux-ci l ’ont applaudi debout pendant
18 m in utes. C es différentes situ atio n s, vécues en d irect par les auteurs,
T3
O ren vo ien t toutes à une attitu d e de déférence surprenante. C ertes, elle est
c:
:d
Û héritée de l’h isto ire et d’anciens rapports d ’au to rité, m ais elle est décalée
dans une société d ’adultes.
E lle est p articu lièrem en t m arquée en France où existe une « logique de
@ Ü
l’honneur, aussi exigeante dans les devoirs q u e lle p rescrit que dans les
5- privilèges q u e lle perm et de défendre. »^ D an s une enquête menée il y a
Q.
O quelques années auprès de dirigeants d’entreprise européens, à la question
U
« Acceptez-vous de v o ir vos décisions challengées par vos collaborateurs ? »
96 % des dirigeants d’entreprise anglais répondaient p o sitivem ent, pour
52 % des dirigeants allem ands et seulem ent 29 % des dirigeants fran çais.
C es différences illu stre n t la force de la h iérarch ie dans la cu ltu re française.
A u q u o tid ien , cette conception très h iérarch iq u e des rapports dans
l’entreprise s’in carne dans d ifférents signes ou attrib u ts de p o u vo ir : la tenue

© 1. Philippe d’Iribarne, La Logique de l ’honneur. Seuil, 1989.


60 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

bien sûr, m ais aussi l’espace de travail et le m o b ilie r attrib u é ainsi que
l ’étage, le véh icu le de fo n ctio n et l ’em placem ent où le garer, etc. E lle est
renforcée dans certaines organisations par l’abondance de n iveaux
hiérarch iq u es. Lorsq ue nous avons com m encé à accom pagner une société
du secteur de l’assurance, son organigram m e ne co n ten ait pas m oins que
h u it n iveau x.
C e type de relations est com plètem ent aligné avec le m odèle taylo rie n . Il
est cohérent avec la d istin ctio n entre décideurs et exécutants. M ais il est
com plètem ent inadapté et co n tre -p ro d u ctif po ur ce q u i est des enjeux
d ’au jo urd ’h u i. A ntag onique avec le besoin de respect des collaborateurs.
In co h éren t avec la nécessité de développer avec les in terlo cu teu rs extérieurs,
et en prem ier lie u avec les clie n ts, des rapports éq u ilib rés et adultes.
Inadaptés aux travailleu rs du savoir.
Passons m ainten an t à « l ’entreprise bureaucratique ». L a recherche de
co n fo rm ité par rapp ort à une norm e y stru ctu re l’a ctivité , plus que l’autorité
descendante. C ertain es entreprises sont à la fois hiérarchiques et
bureaucratiques. M ais il existe des entreprises très hiérarchiques et peu
bureaucratisées et, à l’inverse, des entreprises bureaucratiques dans
lesquelles les rapports h iérarchiq ues ne sont pas p articu lièrem en t m arqués.
À la source de ces m odes de fo n ctio n n em en t, très souvent, une volo nté
de cohérence fo rte. Face à une m êm e situ a tio n , il s’agit de ve ille r à ce que
to ut acteur apporte une réponse id en tiq u e, en se protégeant des risques de
réponses in d ivid u alisées et non cohérentes entre elles. L à encore, nous
retrouvons la d icho to m ie entre décideurs et exécutants, les prem iers
T3 d éfinissant précisém ent la norm e q u i devra être m ise en œ uvre par les
O
c
rj seconds. C ette norm e est alors u tilisée à la fois p o ur prescrire l’a ctivité , m ais
Q
aussi pour l’o u tille r et en fin po ur co n trô ler sa m ise en œ uvre effective. Les
procédures standardisées ain si définies par le haut de l ’organisation
perm ettent d ’éviter l’arb itraire des « petits chefs ». E lle s garantissent que
l ’activité est régulée. E t elles assurent une rem ontée de l’in fo rm atio n
a.
O indispensable po ur d irig e r l’entreprise.
(J
L a co n stru ctio n de tel ou tel m ode de fo n ctio n nem en t standard peut
a vo ir un m o tif lég itim e. M ais sa raison d ’être, son p o urq u o i, se perd
aussitôt. Conséquence : m êm e quand le com m ent n’est pas adapté à la
situ atio n dans laquelle il est déployé, il est néanm oins m is en œ uvre, en
co n trad ictio n avec le po urq uoi in itia l.
Les dém arches « q u alité totale », passage obligé po ur de nom breux
secteurs dans les années 80 et 9 0 , o nt largem ent alim enté la bureaucratisation
des organisations. S itu a tio n vécue, lors de la dém arche de ce rtifica tio n
q u alité du site in d u strie l P h ilip s d’E v re u x, p ro ducteur de ferrites :
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 61

le référentiel p révoyait que su r chacune des m achines devait figurer son


m ode opératoire. U n tra vail d’in terview s a donc été m ené auprès des
techniciens po ur capturer, fo rm aliser et rédiger ces élém ents. D e jo lis
panneaux ont été in stallés. Les auditeurs ont ain si pu valid e r le respect de la
norm e requise par le référen tiel, ce q u i a co n trib u é à ce que le site soit
ce rtifié . Seul problèm e : une partie des opérateurs ne savaient pas lire !
Le pourquoi de l ’o b lig atio n , éviter la m auvaise u tilisa tio n de la m achine en
perm ettant à tout opérateur de disposer en tem ps réel du m ode opératoire,
avait été oublié au p ro fit du com m ent, respect d ’une o b lig ation fo rm elle
q u i su ffisait aux aud iteurs.
Procédures, règlem ents, norm es, protocoles, rep ortin g , co n trô le, a u d it,
gestion des risques, c o m p lia n ce sont des ingrédients q u i, assem blés,
co n stitu en t un d isp o sitif cohérent dans l’entreprise bureaucratique. C haque
fo n ctio n , chaque m étier va p ro duire ses règles avec sa propre logique. D es
silos vo nt apparaître. Les coopérations d isp araîtro n t puisq u’on l’absence de
fin a lité exogène, com m e la satisfactio n du c lie n t, c’est la défense des
logiques de chaque activité q u i va p révaloir.
A vec son p ro jet am b itieu x de tran sfo rm atio n engagé début 2 0 1 4 , c’est à
la « dé-bureaucratisation » de l’A g efip h que s’est attaqué son nouveau
D ire cte u r G é n é ral. A près sa création en 198 9, cet organism e à gestion
p a rita ire , dont la m ission est de fa c ilite r l’in sertio n et le m aintien dans
l’em ploi des travailleu rs handicapés, a vu des in itia tiv e s très hétérogènes
ém erger de ses antennes régionales. U n e volo nté légitim e de cohérence a
donc poussé cet organism e à co n stru ire année après année un corpus de
T3
norm es extrêm em ent développé. M ais avec la baisse des m oyens dont elle
O
c
rj dispose, l’A gefiph a désorm ais une p o sitio n d’ensem blier dans les régions,
Q en m o b ilisan t à ses côtés les autres acteurs in terven an t dans cette m issio n :
conseils régionaux. Pôle E m p lo i, C h éo p s, etc. O r selon les régions, ces
(y) ^ acteurs peuvent avo ir des approches, des p o litiq u es et des p rio rités très
CT variab les. E t l’approche norm ée et « processée » d’une organisation
Q. bureaucratique ne serait plus adaptée à cette variété des terrain s. D ’o îi le
O
U ch o ix avec le pro jet « A g efip h C ohérences » de tran sfo rm er cette stru ctu re
en redonnant la m ain aux acteurs de terrain su r un certain nom bre de ch o ix.
C ep en d an t, le m ouvem ent de bureaucratisation des organisations se
p o u rsu it au jo urd ’h u i. L a p ro p o rtio n de salariés dont le ryth m e de travail est
déterm iné par au m oins tro is co ntraintes est passé de 6 % en 1984 à 35 %
3 en 20 1 3 h Les technologies de l’in fo rm a tio n et de la co m m u nicatio n o nt été
I perçues par beaucoup com m e pouvant lib érer l’hom m e au tra vail de tâches
-ac
c
3
Û
© 1. DARES, analyses n° 049, juillet 2014.
62 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

à faib le valeur ajoutée. M ais elles sont p arfois utilisées au contraire pour
« re-taylo riser » certaines activité s, en v é rifia n t le u r adéquation à une norm e
préétablie. Selon l’étude de la D A R E S déjà citée, la part des salariés d ont le
ryth m e de tra vail est im posé par un contrôle ou un su ivi in fo rm atisé est
passé de 25 % en 2005 à 35 % en 2 0 1 3 .
« Le signe le plus avéré de la décadence d ’une société est la p ro lifératio n
des lo is » é criva it M ontesquieu il y a presque tro is siècles. L ’inadéquation
des fonctionnem ents bureaucratiques aux enjeux auxquels sont confrontées
les entreprises au jo u rd ’h u i donne à cette affirm atio n une actu alité plus forte
que jam ais.
Proche de l ’entreprise bureaucratique au p o in t q u elle s se confondent
p arfo is, l’entreprise autocentrée raisonne, décide et agit à p a rtir de ses
logiques internes : son organisation est pensée à p a rtir de ses logiques
m étiers, et non à p a rtir des enjeux externes. Ses po litiq u es sont pensées pour
« pousser du p ro d u it » plus que po ur répondre aux besoins de ses clie n ts. Ses
logiques endogènes sont de fa it antinom iq ues avec les ajustem ents à son
environnem ent q u i lu i seraient p o u rtan t nécessaires po ur se développer.
Lorsq ue cet en viro n n em en t est peu co n cu rren tiel et protégé, ces modes de
fo n ctio n nem en t peuvent être pérennisés. M ais une fois que ce n’est plus le
cas, l’entreprise peut p é riclite r et d isp araître. D es pans entiers d’a ctivité ,
com m e le secteur bancaire, fo n t depuis quelques années le u r m ue, à des
rythm es différents selon les enseignes, en d o n nan t progressivem ent au
c lie n t toute sa place. D an s le m onde de la d istrib u tio n , les enquêtes
co n firm en t que D é cath lo n est en pointe su r cette d im ension depuis sa
T3
créatio n , tandis qu’une enseigne d ’électrom énager a longtem ps fa it figure
O
c
rj d’anti-m odèle avec un systèm e de variab le de ses vendeurs co n stru it sur des
Q
critères de m arge très lo in de l ’in térêt du c lie n t.
O
CM M êm e le secteur du conseil n’est pas à l ’ab ri d ’un fonctionnem ent
@ « autocentré ». N ous avons pu constater que les dirigeants d ’un grand
cabinet in te rn atio n al passaient m oins de 10 % de le u r tem ps au contact de
>-
Q.
O leurs clien ts. A ssu rer une présence dans les instances diverses de l’entreprise,
U
p a rticip e r aux m u ltip les réunions annuelles organisées par les lignes
d’a ctivité , pays, régions, est beaucoup plus im p o rtan t que de renforcer la
présence du cabinet sur les m archés et de so u ten ir ses équipes com m erciales.
Les processus de rep o rting de cette organisation sont si pesants que la
fin a lité clie n t est reléguée dans les faits au second p lan . M êm e si le décalage
entre ces com portem ents effectifs et le discours clie n t, toujours o ffen sif,
suscite l’incom préhension des équipes.
A u tre type d ’entreprise que nous rencontrons parfois : l’entreprise floue,
dans laquelle plus personne ne com prend ce que sont les modes de
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 63

fo n ctio n nem en t effectifs : q u i fa it quoi ? Q u i décide de q u o i, au bout du


com pte ? C ’est ce qu’exprim e le D R H de cette entreprise p o urtant très
innovante : « N ous avons une organisation à cin q d im ensio ns. C o m m ent
rester une entreprise agile avec une m atrice o rg anisationnelle aussi lourde ? »
D ernières entreprises m alades que nous évoquerons ic i : celles q u i,
inlassablem ent, tentent de se tran sfo rm er sans jam ais y p arven ir. C o n fro n té
à des résultats nettem ent en deçà de ceux de ses co n cu rrents, le groupe
U n ile ve r a ain si red éfin i à de m u ltip les reprises son organisation pendant
toute la décennie 2 0 0 0 , sans jam ais atteindre sur cette période ses objectifs
de croissance et de résultats, avant de réussir en fin à faire sa m ue vers le
développem ent durable dans la décennie suivante.
T e l Sisyphe avec son rocher, ces entreprises lancent program m e de
transform atio n sur program m e de tran sfo rm atio n. Les prétendues
« résistances au changem ent » sont ensuite bien com m odes pour expliquer
l’échec. D e fa it, certaines entités souffrent de deux lim ites : d’une part elles
ne revisitent qu’une partie de leurs modes de fonctionnem ent et laissent
inchangées des caractéristiques organisationnelles ou culturelles qui vien n en t
bloquer la transform atio n effective. D ’autre part elles tentent d’im pulser la
transform atio n d’en h au t, sans associer à sa conception ceux q u i auront à la
m ettre en œ uvre. « S i nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que
tout c h a n g e ... » faisait dire l’auteur du Guépard^ à son personnage. Les
tentatives avortées de transform atio n de certaines entreprises ont généré
chez leurs collaborateurs une déception à la hauteur des illu sio n s in itiales et
m iné toute confiance dans la capacité de l’organisation à se transform er.
T3
O
c:
:d Les acteurs bloquants ou en frein
Û
N ous avons évoqué plus haut les ressentis négatifs q u i peuvent être ceux des
acteurs de l’entreprise. M ais ce sont eux qui la fo n t. N ’o n t-ils pas une
(G) '■§
responsabilité dans les dérives que nous venons de d écrire ? O u plus
DI
's_ exactem ent n’adoptent-ils pas des com portem ents, ne fo n t-ils pas des ch o ix,
D.
O certes cond itionnés par leu r en viro n n em en t, q u i alim en ten t le statu quo ?
(J
S ’en te n ir aux aspirations d ont ils sont porteurs sans analyser leu r part de
responsabilité ne p erm ettrait pas de com prendre les blocages de certaines
organisations.
C om m ençons par la tête de l’entreprise : son d irig ean t et les représentants
des actio n n aires. Les discours sont abondants sur « l’hom m e, prem ière

1. Roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa paru en 1958, puis film de Luchino Visconti,
Palme d’or au Festival de Cannes en 1963
64 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

richesse de l’entreprise ». Ils co n stitu en t m êm e un passage obligé de la


co m m u n icatio n de ces acteurs. M ais si certaines entreprises tire n t toutes les
conséquences de cette co n victio n , il est des dirigeants po ur q u i l ’hom m e est
de fa it une variab le d ’ajustem ent. L’exigence de résultats q u an titatifs
im m édiats les cond uits à re tire r à leurs collaborateurs les marges de
m anoeuvre q ui leu r p erm ettraient de prendre des décisions et d ’im p u lser
des transfo rm atio ns en fo n ctio n des op portunités que ces derniers sont
seuls, sur le te rra in , à p o u vo ir id en tifie r.
L a situ atio n n’est pas nouvelle : A n to in e R ib o u d , en pro nonçant en 1972
son discours de M arseille sur le « double pro jet économ ique et social », avait
contre lu i la q uasi-to talité du C N P F , ancêtre du M E D E F . Les tentatives
de Jean G an d o is, Présid ent de cette organisation de 1994 à 1997, les efforts
de dirigeants hum anistes ou les travaux d ’un organism e com m e le C e n tre
des Jeunes D irig ean ts (C J D ) po ur p ro m o u vo ir « une économ ie au service
de l’hom m e » n’o nt pas été suffisants po ur in flé c h ir ces p o sitio ns.
D an s de nom breuses entreprises, l’hom m e au tra vail n’est traité que
com m e un coût et une co n train te , certes plus d ifficile m e n t m aîtrisables que
les autres. Pourquoi dès lors revisiter un systèm e org anisationnel bâti il y a
un siècle, q u i certes génère de l ’in efficacité et de la souffrance, m ais perm et
d ’atteindre les ob jectifs de co u rt term e ?

- T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------

L’im pact de la gouvernance sur le m odèle organisationnel


T3
O et m anagérial, par C atherine C ou pet
c:
:d
a C atherin e C oupet est P résidente-D irectrice G énérale du groupe Up (ex-groupe
O C hèqu e D éjeuner). L e groupe Up a p o u r m aison-m ère L e C hèqu e D éjeuner. C ette
(N

@ société a été créée en 1 9 6 4 sous fo rm e d e Scop (S ociété coopérative et p a rticip a ­


tive) : son ca p ita l social ap p artien t à 1 0 0 % à ses salariés q u i p ren n en t p a r t au x
5- décisions stratégiques, notam m en t en élisan t le C onseil d ’A dm inistration. L e
Q.
O groupe Up dans son ensem ble réalise aujou rd'hui un volum e d'ajfaires an n u el de
U
6 m illiards d'euros, avec 2 7 m illions d e bén éficiaires. I l com pte 2 5 0 0 collabora­
teurs et est im p lan té dans 1 7 pays.
Tout au long de ses 50 ans de développement et d’expansion géographique,
notre groupe a su faire perdurer ses valeurs coopératives, qui ont permis
d’assurer sa pérennité et son indépendance. Soumise au même impératif de
profitabilité que tout entreprise, la Scop bénéficie d’une répartition des
résultats prioritairement affectée à la pérennité des emplois et du projet
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 65

d’entreprise. C ’est dans ce cadre que nous veillons à articuler de façon


harmonieuse le « couple de tension » entre économique et social.
Déployer notre culture et nos valeurs au sein du groupe, nous le faisons assez
spontanément. M ais ces dernières années, le groupe s’était surtout concentré
sur son développement, plus que sur l’élargissement des pratiques
entrepreneuriales de la coopérative aux autres sociétés. Dans les entreprises
filiales de la Scop, qui n’étaient donc pas en coopérative, nous avions certes
mis en place un collège salarié de représentants du personnel au sein du
conseil d’adm inistration. M ais seuls les 350 salariés de la société mère
bénéficiaient d’une gouvernance participative telle que celle de la coopérative.
Il y a deux ans, le conseil d’adm inistration s’est emparé de cette question.
L’élargissement de l’actionnariat salarié et le développement des principes de
démocratie participative sont devenus des mesures phares du plan stratégique
du groupe. Cette décision, en phase avec nos valeurs fondatrices, renforce
notre différence avec les autres acteurs de notre secteur. L’association d’un
plus grand nombre de salariés au capital social de la coopérative doit nous
aider à inventer le groupe coopératif de demain et à devenir l’ambassadeur
emblématique de l’économie sociale dans le monde.
Nous avons appelé ce projet « des racines et des ailes ». Dans une période de
grande transform ation, il vise en effet à nous doter des « ailes » pour réussir,
tout en capitalisant sur ce qui a fait notre réussite, nos « racines ». En
ju in 2014, ce projet a fait l’objet d’un vœu en Assemblée générale, où 75 %
des 350 sociétaires ont donné mandat au conseil d’adm inistration pour
étudier toutes les solutions permettant d’ouvrir le capital des filiales de la
T3
O société mère à leurs salariés.
c
rj
Û Nous avons travaillé pendant un an, avec un mode décisionnel intégrant une
gouvernance projet très structurée, des outils de com m unication du type
(g) 3
intranet, un point régulier en conseil d’adm inistration et surtout, tout au
long de ces 12 mois, des ateliers-débats avec les 350 salariés sociétaires pour
O)
faire valider les avancées du projet.
Q.
O Le 12 juin 2015, l’Assemblée générale de la Scop Chèque Déjeuner a adopté
U
l’élargissement de la coopérative aux filiales Cadhoc, Rev&sens et Chèque
D om icile. Dans cette première vague, 300 collaborateurs viennent donc
grossir les rangs des coopérateurs. Nous avions fait le choix de ne pas en rester
à une démarche institutionnelle de validation par le conseil d’adm inistration,
mais d’en proposer l’adoption à l’ensemble des salariés. 88 % d’entre eux ont
dit oui et ont ainsi revalidé le modèle. Un taux d’adhésion aussi m assif doit
beaucoup à la façon dont le projet avait été conduit.
66 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

Quelles conséquences sur nos modes de fonctionnem ent ? Le système


coopératif, ce n’est pas seulement partager les bénéfices. Nous disposons
d’une gouvernance démocratique sur des projets aussi structurants et dont
les enjeux sont aussi forts. Dans notre A D N , chaque salarié est un acteur de
la réussite d’un projet co lle ctif Nos modes de décision sont différents, les
projets sont menés de manière beaucoup plus collaborative. E t si un projet
n’est pas largement validé, nous n’hésitons pas à le remettre en cause.
Quand je dois décrire le modèle coopératif et pourquoi il est plus efficace, je mets
en avant une constante : la recherche de pérennité. C ’est notre cadre de référence
fondamental. Il s’agit de transmettre l’entreprise aux générations suivantes. Toutes
les décisions se prennent donc sur la durée. Nous ne sommes pas une entreprise
qui « fait des coups ». Et c’est cette dimension qui oriente notre politique
d’investissement et notre politique de remontées de dividendes dans les filiales.
Cette recherche de pérennité embarque chaque collaborateur dans un projet
collectif, où il est à la fois contributeur et acteur. Il n’est pas que salarié, mais
propriétaire d’une part sociale de son entreprise. Ce n’est pas l’anarchie non
plus : il y a une organisation hiérarchique. Mais nous n’oublions jamais qu’en
Assemblée générale, chaque salarié compte pour une voix et a pour
responsabilité de valider ou non les comptes de l’entreprise. Il élit le conseil
d’adm inistration, qui choisit son Président.
Le partage de lucidité est plus fort que dans n’importe quelle autre
organisation. Lors de l’Assemblée générale qui a voté l’élargissement par
exemple, j ’ai rappelé aux participants qu’ils prenaient une décision collective
sur un enjeu co llectif
T3
O
c
Dans la coopérative, il nous faut en permanence donner du sens à ce que nous
r3
Q faisons, et notamment expliquer le projet à tous les niveaux de l’organisation.
Je rencontre les collaborateurs de toutes les filiales une fois par an pour partager
avec eux sur la stratégie du groupe. J ’anime deux fois par semaine des petits-
JC
déjeuners sur la base du volontariat, pour renforcer ce sens des responsabilités :
O)
>-
chacun a le droit d’être informé en tant qu’actionnaire, chacun a le devoir de
Q.
O s’informer en tant qu’actionnaire. Il n’y a pas d’ordre du jour et chacun y parle
U
de ce dont il a envie, ce qui l’intéresse, ce qui l’inquiète, ce qui n’est pas clair.
Notre modèle coopératif impacte aussi fortement le mode de management. Ce
n’est pas seulement un salarié que le manager a en face de lu i, c’est aussi un
actionnaire. Les ressorts utilisés ne sont pas les mêmes que dans d’autres
modèles de gouvernance. Le management est beaucoup plus participatif Nous
n’hésitons pas à mobiliser les personnes autour d’une question, même sur les
sujets les plus sensibles. Elles donnent leur avis, elles font des propositions. Elles
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 67

ne sont pas seulement autorisées, mais encouragées à le faire. E t le manager doit


faire fonctionner cet automatisme naturel du double statut salarié-actionnaire.
Certes il prend des décisions. Mais les relations sont beaucoup moins
hiérarchisées que dans l’entreprise traditionnelle. Les bornes de responsabilité
ne sont pas les mêmes. Ic i, avec cette double casquette, nous nous sentons
tous responsables de la réflexion sur un sujet. E t nous apportons donc en
permanence notre contribution à la prise de décision. Le manager qui
comprend bien cela réussit très bien dans le groupe.
D ’ailleurs, tous les managers sont issus de la promotion interne. Ils ont pris le
leadership et ont été validés par leurs pairs. Nous ne nommerions pas à des
fonctions de manager quelqu’un qui ne serait pas accepté par l’équipe.
D ’autant que nous im pliquons beaucoup la hiérarchie, qui joue un rôle
essentiel dans l’anim ation sur le modèle.
Nous menons en ce moment un gros travail d’appropriation sur les valeurs. Il
s’agit de toujours m ieux faire comprendre à chacun que l’appropriation de ces
valeurs dans son quotidien est source de performance. E t que plus largement,
c’est notre modèle de gouvernance qui nous permet d’avoir une telle
performance. C ’est un modèle plus performant parce qu’il induit
naturellement ces relations adultes et ce sens des responsabilités.
Quelle sera la suite de ce projet ? D ’ici la fusion qui sera effective au E" janvier
2016, les 300 nouveaux sociétaires bénéficieront d’un dispositif
d’accompagnement adapté leur permettant de prendre pleinement en main
leur rôle de coopérateur.
Nous allons ensuite travailler sur les deux autres périmètres qui ne bénéficient
X3
O
c pas encore du statut coopératif : les autres entreprises en France, sur des
rj
Q métiers un peu différents où la fusion n’est pas automatiquement la solution.
Puis l’international, où chaque pays a sa législation et où la forme coopérative
n’est pas toujours possible.
J ’ai pris la présidence du groupe il y a un an avec une envie, un projet :
5-
Q.
inventer la coopérative de dem ain, adapter les ressorts qui la rendent
O pertinente, lu i donner la forme correspondant aux nouveaux enjeux. Dans le
U
groupe, nous savons par expérience que ce modèle est plus performant : la
petite coopérative créée il y a 50 ans est devenue le troisième opérateur
m ondial sur le marché des titres de paiement de services et de biens, face à
des concurrents aussi puissants que Sodexo et Edenred. Avec « des racines et
des ailes », nous avons franchi une étape majeure qui renforce les principes
coopératifs fondateurs de notre Groupe. L’association d’un m axim um de
salariés au capital social et aux décisions du groupe Up va se poursuivre et
d’autres phases de ce projet verront le jour dans les années à venir.
68 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

Q u a n t au m anager, dont nous p o urrio n s p o u rtan t considérer qu en tant


qu acteur de p ro xim ité il est de fa it le passage obligé de toute tran sfo rm atio n ,
il ne capitalise pas to u jo u rs sur le p o ten tiel h u m ain que l’entreprise lu i a
confié. Le m odèle m anagérial h isto riq u e était sim p le, calqué sur celu i de
l’autorité paternelle à l ’ancienne : beaucoup d ’exigence, peu de
b ien veillan ce. E n fo n ctio n des entreprises, m ais aussi des in d iv id u s, cet
ancien m odèle a parfois été prolongé. O u bien s’y est substitué celu i du
m anager-copain, q u i fa it certes preuve de b ien veillan ce m ais a renoncé à
l’exigence. C o m m e si les deux notions étaient incom patibles !
A la décharge du m anager, reconnaissons que son rôle est co n d itio n n é
par le cadre org anisationnel dans lequel il tente d’assurer cette responsabilité.
C o m m en t basculer dans un m odèle m anagérial basé su r la confiance, le
dialogue, la décision concertée, le développem ent de ses collaborateurs
quand pèsent sur lu i les contraintes posées par l’entreprise. C ito n s les
pressions qu’il su b it po ur o b ten ir des résultats im m éd iats, m ais aussi
l’accroissem ent de sa charge de tra vail du fa it de l’allégem ent des structures
hiérarch iq u es, du tran sfert d’activités auparavant assurées par des
fo n ctio n nels et de l’em pilem ent de réunions^ de reporting et d’autres
activités co n train tes.
L e collaborateur lui-m êm e peut tro u ver son com pte dans ces modes de
fo n ctio n nem en t. C ertain es dérives présentent des avantages : la bureaucratie
par exem ple génère une form e de co n fo rt, en o ffran t un cadre pérenne,
stable et rassurant. Les entreprises ayant engagé une tran sfo rm atio n en
profondeur de le u r m odèle org anisationnel se sont parfois vues exp rim er en
T3
retour par une p artie de leurs collaborateurs : « M o i, j ’ai besoin qu’on me
O
c:d dise ce que je dois faire. »
a
Pour qui travaille com m e nous depuis des années sur une approche des
O
(N ressources hum aines fondée sur l’in n o va tio n , la fo n ctio n R H est fondée à
@ prétendre à un rôle d ’éclaireu r et d ’architecte de ces tran sfo rm atio ns. C ’est
le cas dans quelques org anisations. M ais dans de nom breuses autres, le
>-
Q.
O constat est m alheureusem ent celu i d’une fo n ctio n R H au périm ètre lim ité ,
U
réduite à ses responsabilités régaliennes et ad m in istratives, d ont la lég itim ité
est faib le pour in ve stir les terrains où elle p o u rra it créer de la valeur. Pour
certains praticien s R H , c’est un ch o ix im posé et une souffrance. C o m m ent
faire autrem ent quand les autres acteurs vous p o sitio n n en t ain si et que
vous-m êm es êtes co n d itio n n é par une conception ancienne de la fo n ctio n
RH?

1. Selon l’enquête IFOP-Wisembly 2015 sur « les cadres et les réunions », les cadres français
passent en moyenne 23 jours par an en réunion (soit 10 % de leur temps).
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 69

U ne seule illu stratio n : l’u tilisatio n toujours aussi fréquente de la


description de fo n ctio n , o u til taylorien par excellence. E n détaillant les
activités et tâches que le collaborateur d oit réaliser, elle les lim ite et les
co n train t, réduisant d’autant son in itia tive et sa liberté. A lo rs qu’une approche
centrée sur les com pétences à m aîtriser et sur les principales contributions
attendues répond au besoin in itia l sans im poser les mêmes contraintes.
D an s ce systèm e bloqué, les partenaires sociaux o nt eux aussi leur p art de
responsabilité. Conséquence de notre h isto ire sociale et faute d ’un travail
su ffisan t sur la m ontée en com pétence des représentants des salariés, les
parties en présence réduisent parfois les relations sociales à un théâtre
d’om bre, avec ses je u x d’acteurs sur une scène p arfois bien éloignée des
enjeux de l’entreprise et des préoccupations des collaborateurs. Sachant que
cette dérive est alim entée depuis des années par le législateur, avec les
m u ltip les obligations de négocier qu’il im pose à l’agenda de l’entreprise. Il
se n o u rrit d’une im age fausse de l’org anisatio n , q u i ne m e ttrait en présence
que les dirigeants et les représentants des salariés, o u b lian t que le corps
social a un rôle et une vie autonom es.
P o in ter ain si la responsabilité des actionnaires et d irig eants, des m anagers,
des collaborateurs et des partenaires so ciau x dans les lim ite s de l’entreprise
p o u rra it toutefois co nd uire à une erreur d ’in te rp ré tatio n . A u cu n de ces
acteurs ne souhaite que l ’entreprise en reste là. E t c’est bien l’organisation
telle q u e lle existe q u i co n d u it chacun à adopter ces po sitio ns bloquantes.
L’entreprise a les d irig ean ts, les m anagers, les collaborateurs et les partenaires
sociaux q u e lle m érite.
T3 C e n’est donc pas en m ettant en cause la responsabilité de tel ou tel
O
c:
:d d’entre eux qu’il sera possible de tran sfo rm er la réalité. M ais au contraire en
Û
re visitan t chacun des sous-systèm es et leurs a rticu latio n s.

sz
DI RÉINVENTER L'ENTREPRISE, UNE NÉCESSITÉ
>-
Q.
O
U Se transformer ou disparaître
L ’en trep rise, avec tous les acteurs q u i la fo n t v iv re au q u o tid ie n , est
confrontée à un im p é ra tif q u i dépasse tous les autres : g aran tir sa
p éren n ité. Po u r l ’assurer, elle d o it p o u vo ir m ettre en œ uvre son p ro jet de
développem ent et sa stratég ie. E lle d o it e n fin v e ille r à répondre aux
attentes des d ifféren tes p arties prenantes. D e q u o i a-t-elle besoin p o ur
cela ?
C e rte s, les prises de conscience in d ivid u e lle s de certains dirigeants à
p a rtir de situatio ns douloureuses vécues dans leurs entreprises précédentes
70 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

ont pu faire office de déclencheur. B ie n sûr, les approches de nature


psychologique, centrées sur l’in d iv id u au tra v a il, peuvent cond uire à la
nécessité d ’in ven ter de nouvelles m odalités d’o rg anisatio n . A ssurém ent,
des préoccupations hum anistes am ènent de nom breux acteurs à appeler de
leurs vœ ux ou à œ uvrer à l ’avènem ent d’une entreprise nouvelle.
M ais la prem ière raison po ur laquelle les m odes de fo n ctio n nem en t de
l’entreprise d o iven t être transform és et son systèm e organisationnel
réinventé est à rechercher dans les co n d itio n s de sa su rvie. C ’est
l’environnem ent dans lequel s’in sc rit au jo u rd ’h u i l’entreprise qui appelle
des transform atio ns radicales de ses m odes de fo n ctio n nem en t. « Les
espèces q ui su rvive n t ne sont pas les espèces les plus fortes, n i les plus
in tellig en tes, m ais celles q u i s’adaptent le m ieu x aux changem ents. »
a ffirm a it D a rw in . A in s i, une entreprise com m e K o d ak est m orte, ou
quasim ent, d ’avo ir refusé de prendre en com pte la m ontée in éluctab le du
num ériq ue. A co n tra rio , la W ells Fargo a su s’adapter à son environnem ent :
elle n’est évidem m ent plus une entreprise v iv a n t de ses diligences, m ais est
devenue la quatrièm e banque des E ta ts-U n is.
A ssum ons-le, quitte à paraître cyniques : cet im p é ra tif de transform ation
pour des raisons économ iques est p lu tô t une bonne nouvelle. T o u t
sim plem ent parce cette m o tivatio n peut avo ir un im pact considérable.
Q u an d il s’agit d’assurer la perform ance de l’entreprise et sa pérennité, nous
savons tous par expérience que la m o b ilisatio n est tout autre que si le sujet
est éthique ou m oral. Pour ne prendre qu’un exem ple, les entreprises qui
obtiennent les m eilleurs résultats en m atière de pro m otio n de la diversité ou
XJ
d’accès des fem m es aux postes à responsabilité ne sont pas celles qui en font
O
c un com bat m oral, m ais bien celles qui m ettent en évidence l’im pact sur la
Û perform ance future de l ’organisation des progrès à réaliser en la m atière.
O
fM I l ne s’agit pas ic i de challenger ceux q u i adopteraient une dém arche de
(5) tran sfo rm atio n en pro fond eur des m odes de fo n ctio n nem en t de leu r
entreprise à p a rtir de leurs co n victio n s hum anistes. C ’est parce que nous les
>-
CL
O partageons que nous avons ch o isi de tra va ille r dans les ressources hum aines
U
et c’est là que nous puisons notre m o tivatio n au q u o tid ien . C e dont il s’agit,
c’est seulem ent de faire preuve de lu cid ité en m ettant en évidence que de
nom breuses entreprises ne se m ettro n t en m ouvem ent que parce q u elle s
n’au ro n t plus le ch o ix si elles veu len t rester perform antes.

Tuer Taylor
Les systèm es de type h ié rarch iq u e, bureaucratique, à l ’organisation floue ou
paraissant in tran sfo rm ab le, sont inadaptés aux besoins de l’entreprise. S o it.
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 71

M ais alors, com m ent exp liq u er alors qu’ils co n stitu en t au jo urd ’h u i la
norm e ? Revenons-en aux logiques de contingence. Le m odèle
organisationnel de type taylo rien était celu i dont l’entreprise avait besoin
po ur faire face à l’in d u stria lisa tio n de m asse. I l a perm is de répondre aux
défis qui lu i étaient alors posés. L à aussi, gardons-nous de considérations
d ’ordre m oral : l’organisation taylo rien n e n’était pas m auvaise en so i. A u
co n traire : elle était pleinem ent adaptée au m onde d’hier.
N ous vivo n s, parfois douloureusem ent, l’entrée dans une nouvelle ère.
E t l’organisation taylo rien n e, ain si que les p rin cip es su r lesquels elle se
fonde, se h eu rten t de p lein fouet à un en viro n n em en t auquel elle n’est plus
adaptée.
C e à quoi sont confrontés les in d ivid u s et les co llectifs de tra vail
au jo u rd ’h u i, c’est au décalage entre une norm e o rg anisationnelle co n stru ite
pour faire face au x enjeux d’h ie r et les réalités q u i ém ergent dans nos sociétés
contem poraines. L a nécessité d’adaptation d evrait être évidente pour tous.
M ais elle vie n t se h eu rter à la d ifficu lté de dépasser un cadre cu ltu re l q u i a
stru ctu ré les fonctionnem ents et les m odes de pensée de tous les acteurs de
l’entreprise depuis des générations. Q u e nous le vo u lio n s ou pas, que nous
en soyons conscients ou pas, nous som m es influencés par ce m odèle an cien .
« U n chef, c’est fa it po ur cheffer » d isait Jacques C h ira c . Pas de délégation
sans co n trô le, affirm e n t de nom breux m anagers et R H . « Q u i d it nouvelles
fo n ctio n s d it d escrip tio n de fo n ctio n n o rm ant les activités à réaliser »,
systém atisent la p lu p art des entreprises. E t nous p o u rrio n s liste r ic i des
T3
O dizaines de réflexes, intégrés par tous com m e évidents et n atu rels, alors
c:
:d
Û qu’ils n’ont été acquis que po ur faire face à un enviro nnem ent qui a d isp aru .

O M algré ce m onde q u i ém erge, les in certitu d es actuelles et les d ifficu lté s


(N
économ iques cond uisent au co n traire certaines entreprises à développer le
@
taylo rism e : d é fin ir plus précisém ent ce q u i est attendu de chacun, an im er
5- sur les étapes in term éd iaires, m u ltip lie r les contrôles, m ettre en place des
Q.
O d isp o sitifs inform atisés de su ivi de l’activité des personnes, d é fin ir des
U

in d icateu rs supplém entaires, etc. L a boucle est bouclée : des d ifficu lté s liées
pour partie à des systèm es organisationnels q u i ne sont plus adaptés
am ènent à renforcer ces m êm es systèm es.
Le diagnostic est sim ple : la co n stru ctio n de nouvelles form es
d’org anisation, s’in sp ira n t des réflexio ns et exp érim entations recensées
dans la prem ière partie de cet ouvrage, répond à un im p é ra tif de dépassem ent
du taylo rism e q u i s’im pose à l ’entreprise si elle veut s’adapter à la société
p o st-in d u strielle.
72 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

C ’est bien de « lib érer l’entreprise » dont il s’agit. O u plus exactem ent
d’in ven ter un m anagem ent des hom m es et des organisations dans lequel les
collaborateurs seront libérés de ce q u i entrave le u r activité au q u o tid ien ,
afin que l’entreprise puisse répondre aux enjeux contem porains. C ’est
devenu aujourd ’h u i un im p é ra tif po ur elle.

Faire naître de nouvelles organisations


Repartons des tran sfo rm atio ns q u i s’im posent au jo u rd ’h u i à l’entreprise,
telles que décrites au début de ce ch ap itre. Se m ettre en capacité de répondre
en situ atio n aux évolutions d’un enviro n n em en t de plus en plus com plexe
et exigeant, en développant ad ap tab ilité, réactivité , o rien tatio n clie n t et
focus su r l’extérieur. A d ap ter ses relations avec ses collaborateurs en prenant
en com pte le développem ent du tra va il du savo ir et ses conséquences sur
l’engagem ent. C a p ita lise r sur les aspirations croissantes chez les in d ivid u s :
se réaliser dans chacune des sphères de leu r vie y com pris au tra va il, po uvo ir
s’appuyer sur des élém ents de sens, co n stru ire des relations à l ’autre basées
sur le respect, apprendre et se développer en co n tin u . In tég rer toutes les
conséquences de la révo lu tio n d ig itale.
S i l ’entreprise veut prendre en com pte ces tran sfo rm atio ns et y répondre
p leinem ent, elle d o it opérer une véritab le m ue. C e dont il s’agit, c’est de
déplacer l’auto rité et le p o u vo ir là où se tro u ven t l’in fo rm atio n et la
connaissance, de p o sitio n n er la prise de décision là où elle devra être m ise
en œ uvre.
Le v ra i su jet, c’est donc bien l’autonom ie du collaborateur et du c o lle c tif
T3
O de tra v a il, les m arges de m anœ uvre effectives q u i sont les leurs, leu r
c:
:d
Û po ssib ilité réelle de faire preuve d’in tellig en ce des situ atio n s, l’organisation
lib re de leu r activité po ur m ettre en œ uvre le pro jet c o lle c tif
O
(N
N ous po urrio n s disserter sur la différence entre autonom ie et lib e rté .
@
P o u rtant le Larousse d é fin it une personne autonom e com m e étant « capable
5- d ’agir sans avo ir recours à a u tru i » et une personne lib re com m e ayant « le
Q.
O p o u vo ir d’agir, de se d éterm iner à sa guise ». L a d ifférence est pour le m oins
U
faib le. Isaac G e tz considère quant à lu i que l’autonom ie peut être reprise,
pas la liberté^ I l évoque p o urtan t dans son ouvrage la situ atio n des
entreprises q ui ont m ené une dém arche de lib é ratio n et sont ensuite
revenues à des m odes de fo n ctio n nem en t plus tra d itio n n e ls.
N ous considérerons ic i que les deux term es peuvent être utilisés de façon
in d ifféren ciée. N ous les u tilisero n s l’un et l ’autre dans la suite de cet ouvrage

1. Isaac Getz, « Dans l’entreprise, la liberté n’est pas l’autonomie », Le Monde, 24 février 2015.
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 73

comme des synonymes. Pour l’autonomie comme pour la liberté se pose la


question du degré auquel elle est poussée : une personne a plus ou moins
d’autonomie, plus ou moins de liberté. Et l’enjeu identifié ici est bien de les
pousser le plus loin possible tout en garantissant la dimension collective de
l’entreprise.

- T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------

Assurer l’avenir d’un site indu striel, par P h ilip p e R ob in


P hilippe R obin est Président d e Potasse et P roduits C him iques (P P C ) SAS,
entreprise classée Seveso II, spécialisée dans la conception et la synthèse d e com posés
organiques brom és et la fa b ric a tio n d e produ its dérivés d e la potasse et de chlore.
E lle est située à Thann en Alsace, sur le plu s an cien site ch im iqu e d e France, q u i
d ate d e 1808.
La reprise de P P C par un groupe allemand en 2006 a ouvert une première
période durant laquelle il s’est agi de sauver l’entreprise en reconstruisant son
activité commerciale et en procédant à un plan d’économies. Puis, au vu du
redressement progressif de l’entreprise, il a été décidé d’un investissement de
53 m illions d’euros entre 2014 et 2015, pour répondre aux nouvelles
exigences environnementales et permettre la m utation technologique
nécessaire en incluant un nouveau procédé de fabrication.
Au moment de ma prise de fonction, il y a cinq ans, il y avait des habitudes de
travail issues du groupe qui possédait précédemment P P C , rendant les employés
plus exécutants que décideurs. L’autonomie du site était faible. Il s’agissait
seulement de produire aux standards attendus. Cela a généré des effets pervers
TO 3
cZ2 importants. Parmi eux, le fait que les salariés de chaque site se soient
Û recroquevillés sur ce qui se passait exclusivement au sein de leur unité de travail,
avec peu de coopération. Le groupe était arrivé à une sorte de sous-optimum,
(g) ^ ne profitant pas des opportunités conjointes et des bienfaits de la transversalité.
Mais cela a aussi entraîné un fort engagement pour le site. J ’ai clairement
CT
bénéficié de cela en arrivant à Thann pour remobiliser les collaborateurs autour
Q.
O d’un projet de « sauvetage » de l’entreprise. Mais chaque service fonctionnait
U
pour lui-même. Nous avions des silos, juxtaposés. Avec une culture technique
forte, mais sans comportement réellement solidaire entre les salariés.
Les collaborateurs et les managers étaient fermés, n’exprim ant pas leurs
émotions. O r, je voyais bien qu’en dehors de leur activité professionnelle, ils
étaient actifs, avenants voire réactifs. Ils osaient être qui ils étaient vraim ent.
Au travail, il y avait ce masque. Si je sim plifie un peu, je dirais que mon
objectif est de rendre les gens naturels, comme ils sont dans la vie, exprimant
3 le m eilleur d’eux-mêmes. J ’ai donc essayé de parler à leur tête et à leur cœur
û
©
74 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

KW

avec un seul objectif : qu’ils osent. Il s’agissait de les positionner comme des
« entrepreneurs de leur fonction ».
Cette entreprise, issue des heures de gloires de la chim ie alsacienne, devait
accepter de se repenser totalement. M on diagnostic était simple : il fallait
jouer sur plusieurs registres à la fois, celui de l’usine et de ses processus de
production, celui des rôles de chacun, en privilégiant la responsabilisation et
l’autonomie, celui du management, en le positionnant au service de l’équipe,
celui de la culture, en conduisant les évolutions nécessaires pour être en phase
avec notre époque.
Le reengineering, que nous avons conçu comme une page blanche pour définir
les processus et l’organisation de demain, a été une opération complexe car je
voulais la conduire de manière participative, en cherchant à ce que chaque chef
de service associe ses collaborateurs. E t cela n’a pas été simple. Personne n’y
était habitué. Il a fallu 24 mois pour que les nouveaux réflexes soient adoptés,
que les collaborateurs soient réellement associés au projet et surtout entendus.
Le reengineering supposait de s’affranchir d’une organisation historique pour
rendre l’entreprise plus compétitive. Je n’avais pas le choix, il y avait des « trous
dans la raquette », des activités mal prises en charge, des redondances. Par
ailleurs, j ’héritais alors d’une précédente réorganisation, conduite sans les
collaborateurs. Pour repenser la nouvelle organisation, j ’ai constitué un groupe
de managers et je me suis fait accompagné sur la démarche par Identité R H . Je
ne voulais pas de solutions prêtes à l’emploi. La méthode de travail était
simple : un objectif économique à atteindre, toutes les marges de manœuvre
possibles pour y parvenir et l’identification d’un bénéfice client à chaque étape.
T3
O
c: Il est intéressant d’observer comment les managers réagissent quand on leur
:d
a donne une page blanche et le choix des couleurs : certains foncent, y trouvent
O une occasion de renouveler l’échange avec leurs équipes, d’autres sont
(N
terrorisés et craignent de perdre leur crédibilité vis-à-vis de leurs troupes. Au
@
final, les résultats sont bien plus précis dans les services qui ont joué le jeu.
05
Tout le monde l’a perçu.
Q.
O Le reengineering était une étape importante du changement, mais n’a été que
U
son point de départ. Il faut se donner le temps pour que les gens apprennent à
travailler différem ment, et y prennent du plaisir. J ’ai donc lancé plusieurs
projets en parallèle et attaqué à la fois la transform ation du management, une
forte évolution de nos modes de com m unication, ainsi que la mise en œuvre
d’une démarche de gestion anticipée des effectifs et des compétences. En
même temps que nous sauvions le site, nous nous forcions à voir l’évolution à
trois ans. De même, nous avons travaillé à un plan d’action R H qui soutient
la stratégie de l’entreprise.
—I
L'enquête : l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 75

Je ne réduis pas la transform ation à ce que peut faire un seul homme, même
un dirigeant. M ais je crois quelle n’est pas possible, surtout si on veut
desserrer les écrous du taylorisme, sans quelle soit incarnée par un homme et
ses valeurs. Ensuite, tout dépend de la méthode qu’il propose : soit il casse le
management et devient le « maître des lieux », soit il s’appuie sur celui-ci en
lui donnant une place nouvelle.
Dans un univers comme celui de P P C , ancré dans une culture de la hiérarchie
depuis plus d’un siècle et contrainte par la réglementation Seveso II, il est
naturel d’avancer par étape et de ne pas détruire tous les points de repère.
M ais le sens de ce qui a été entrepris et le mouvement à im pulser sont clairs :
donner plus de marges de manœuvre aux collaborateurs et positionner le
management dans une logique d’accompagnement des équipes. C ’est ce qui
génère la créativité, l’innovation et la performance.
J ’ai voulu laissé des zones d’initiative à mon comité de direction, pour
lesquelles il n’a pas besoin de mon accord préalable. A in si, à un moment où
nous avions une contre-performance sur l’un de nos produits, mes
collaborateurs directs ont eu toute liberté pour compenser cette perte de
résultat. Un seul im pératif : ils devaient coopérer pour trouver la solution.
Évidem m ent, cela a marché.
Notre objectif, sur le site de P P C , est de « bien produire », au bon volume, en
respectant nos « recettes », au bon coût. Pour y parvenir, les différents ateliers
ont toute capacité d’agir. Ce sont les managers de terrain et leurs collaborateurs
qui connaissent les dosages pertinents et les divers tours de main pour que nos
produits soient conformes. Dès lors, au delà du respect des normes de sécurité
T3
O et de respect de l’environnem ent, leur travail est peu cadré.
c:
:d
Û Les managers ont ici un vrai rôle, et je ne m’inscris pas dans la logique de leur
suppression. Tout dépend de ce qui leur est demandé. Nous avons totalement
revu leur rôle, y compris en m odifiant profondément leur fiche métier. Cette
@ 3
dernière est beaucoup plus générique qu’avant, et surtout elle est totalement
DI
's_ orientée vers un rôle de développement de l’équipe, de form ation de celle-ci.
D.
O Dans ce cadre, le manager, qui est le plus souvent celui qui a le plus
(J
d’expérience et d’expertise, se positionne en accompagnateur de son équipe.
Il est à disposition de ses collaborateurs, et non l’inverse. Nous remplaçons
l’autorité hiérarchique par l’anim ation et le développement des compétences.
Le responsable d’un atelier est garant des résultats, mais les moyens pour y
arriver sont libres.
Plus les processus sont souples, moins le management est directif, plus le sens
de ce qui est entrepris doit être clair et partagé par tous. Desserrer le cadre de
3 travail quotidien, surtout dans une industrie soumise à des règles strictes.
Û
©
76 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

suppose de revenir très régulièrement sur le sens de ce que nous faisons. Nous
avons multiplié les occasions de donner du sens, en faisant le lien entre les
objectifs stratégiques et le quotidien des collaborateurs ; des supports
mensuels de communication, un kit à destination des managers pour faciliter
la présentation de la stratégie, une enquête trimestrielle auprès de l’ensemble
des collaborateurs pour nous assurer de leur compréhension et de leur
adhésion aux transformations en cours. Je passe beaucoup de temps en
réunions d’équipe, partout sur le site, pour expliquer les changements.
Nous avons des résultats économiques meilleurs, la société s’est redressée.
Mais l’esprit de responsabilité et d’initiative n’est pas encore totalement ancré.
Nous sommes sur une transformation culturelle et nous sommes conscients
que ce changement sera long.

L’entreprise de la méfiance et du contrôle doit laisser la place à celle de la


responsabilité et de la confiance. Puisque bien sûr, la liberté dont dispose le
salarié doit aller de pair avec la responsabilité dont il fait preuve.
En situation, face à un client ou à un collègue de travail, devant un
problème à traiter, avec une réponse à apporter, une initiative à prendre, le
collaborateur doit être libre d’agir en son âme et conscience. C ’est ainsi
qu’il sera possible de réveiller le potentiel humain de chacun et de faire
T3
O
c: avancer l’entreprise. La part de ce potentiel aujourd’hui inexploitée dans
:d
Û l’entreprise est gigantesque. Il s’agit de lui permettre de s’exprimer enfin.
O « Si nous faisions tout ce dont nous sommes capables, nous nous
fN
@ surprendrions vraiment » disait Thom as Edison.
DI D ’autant que les décalages sont allés croissant entre les transformations
's _

D. qu’appellent nos sociétés modernes et les dérives organisationnelles


O
U constatées au sein de nombreuses entités. C ’est la raison pour laquelle le
besoin de rupture dans les modes de fonctionnem ent de l’entreprise est
beaucoup plus fort aujourd’hui que dans les années 70, 80 ou 90.
Ceux qui étaient à l’origine des innovations conceptuelles en matière
d’organisation, ainsi que ceux qui ont expérimenté de nouvelles modalités
de fonctionnem ent dans leurs entreprises durant toute cette période, étaient
en avance sur leur temps. Ils ont parfois été à l’origine de résultats
remarquables. Mais aujourd’hui, pour l’entreprise, ne pas engager ces
transformations, c’est prendre du retard.
L'enquête ; l'entreprise a-t-elle besoin de se libérer ? 77

Elle doit inventer un nouveau management des hommes et des


organisations. Et ce constat affaiblit l’argumentaire des critiques qui
affirment que les démarches de libération de l’entreprise n’apportent rien
de nouveau. Sur le plan de la pensée, c’est sans doute vrai. Sur le plan plus
opérationnel, c’est commettre une erreur parce que c’est occulter l’urgence
nouvelle à laquelle l’émergence de ces débats apporte une réponse.
Pour autant, faut-il tout prendre de l’entreprise libérée ? La troisième
partie de cet ouvrage, en adoptant une approche critique quant aux réponses
apportées par les promoteurs de cette notion, nous permettra d’identifier
les bases, les notions clés et les principes d’action à retenir pour transformer
l’entreprise en profondeur.

TO 3
c=J
Q

JC
DI
CL
O
(J

c
3
Û
®
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
о
и
L E S F O N D A T IO N S ; O U E L S R E P E R E S E T O U E L L E S
C O N V IC T IO N S P O U R T R A N S F O R M E R L 'E N T R E P R IS E ?

N ous disposons d’un diagnostic détaillé des besoins de l’entreprise.


Nous allons pouvoir définir quelles sont les voies à adopter pour y
répondre.
Dans la première partie de cet ouvrage, nous nous étions attachés à
présenter les apports et réalisations des promoteurs de l’entreprise libérée,
ainsi que tout autre élément permettant de contextualiser et d’enrichir cette
réflexion. Mais pour apprécier leur pertinence au regard des besoins
identifiés, nous nous devons d’adopter une approche critique. Non pour
porter un jugement, qui ne ferait qu’ajouter à la dimension polémique des
débats sur l’entreprise libérée tels qu’ils ont pu se déployer sur les réseaux
sociaux. Mais pour construire ensuite des réponses intégrant les progrès à
réaliser dans la réflexion.
C ’est en effet après avoir identifié et analysé les limites de ces apports que
nous serons en mesure de formaliser les réponses adaptées à l’entreprise en
X3
capitalisant sur les propositions et expérimentations disponibles.
O
c3
Û

LES LIMITES DE LENTREPRISE LIBEREE

sz U n e a p p ro c h e c e n tré e su r les d é te rm in a n ts in d iv id u e ls
O)
>-
Q.
O Les premières limites dans la réflexion portée par les promoteurs de
U
l’entreprise libérée renvoient à une approche psychologisante des enjeux.
Contrairement à la plupart des apports sur le dépassement du taylorisme
qui ont précédé ces travaux, ils ne mobilisent qu’à la marge les apports de
disciplines mettant en exergue les relations entre acteurs et groupes, telle
que la sociologie des organisations.
Toute l’approche de L iberté & d e , ainsi que les communications
-O
O d’entreprises ayant mené ces expérimentations, sont ainsi centrées sur des
c
û
3 déterminants et des enjeux individuels. Il n’est pas en soi surprenant
® qu’Isaac Getz s’intéresse en priorité aux comportements individuels : il est
80 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

Docteur en psychologie. Il est également vrai que depuis quelques années,


notre société ramène tout à l’individu. Il n’est qu’à voir le succès ces dix
dernières années d’un acteur nouveau dans l’entreprise : le coach.
Mais les enjeux que nous avons recensés renvoient en premier lieu aux
modes de fonctionnem ent de l’entreprise et à ses choix d’organisation. Et
les réponses individuelles ne sont pas suffisantes : chacun dans l’entreprise
est impliqué dans un système organisationnel.
Dans cette logique, nous aurions tout intérêt à tirer les enseignements de la
façon dont beaucoup d’entreprises ont évolué ces dernières années dans leur
approche de la qualité de vie au travail. Alors que certaines étaient, il y a dix ans
encore, dans le déni, l’accroissement du stress au travail et sa médiatisation les
ont conduites à se saisir du sujet. Dans un premier temps, sous l’influence du
législateur, c’est le recours au psychologue qui est apparu comme la solution
pour réduire les risques psychosociaux. Sur le principe, une telle approche était
assez confortable : elle évitait à l’entreprise de s’interroger sur sa responsabilité
dans le mal-être au travail de ses collaborateurs. Mais la démarche est vite
apparue comme insuffisante au vu de ses résultats et des autres enjeux qui
émergeaient. C ’était bien le sujet de l’organisation de l’entreprise, de ses modes
de fonctionnement, de ce qu’ils génèrent sur les personnes et les collectifs de
travail qui devait être traité pour régler ces problèmes.
Nous l’avons vu, les réponses apportées par l’entreprise aux sollicitations
de son écosystème apparaissent de plus en plus souvent décalées, voire
inadaptées. Mais le nœud pour expliquer cette situation est-il dans les
caractéristiques individuelles de ses collaborateurs, de ses managers et de ses
T3
dirigeants ou bien dans son système organisationnel ?
O
c Un groupe de grands magasins a réussi à transformer en profondeur les
Q
comportements de ses collaborateurs en travaillant sur le déploiement dans
O
fN toute l’entreprise des quatre valeurs qui avaient été formalisées. Comm ent
@ s’y est-il pris ? Pas en travaillant les valeurs individuelles de chacun de ses
DI
's _
collaborateurs. Mais en définissant avec eux et en mettant en place des
D.
O politiques de recrutement, de développement des compétences, de gestion
(J
des carrières, de rémunération redéfinies à partir de ces valeurs. Et c’est la
mise en œuvre de modes de fonctionnement réalignés qui a conduit à faire
évoluer les comportements dans le sens d’une mise en œuvre effective des
valeurs.

L h o m m e c o n s id é ré c o m m e b o n p a r n a tu re

L’entreprise libérée pose comme postulat que « l’homme est bon » par
nature. Certes le développement des coopérations, indispensable dans
l’entreprise contemporaine, requiert sans doute de considérer comme
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 8

Rousseau que rhom m e est digne de confiance, plutôt que de suivre Hobbes
qui estime que l’homme est un loup pour l’homme et qu’il défend ses
intérêts au détriment de ses semblables. Mais prenons garde à une réalité :
l’entreprise n’est pas un monde de « bisounours » dans lequel tout enjeu de
pouvoir pourrait disparaître. Se placer dans cette optique, c’est prendre le
risque de fortes désillusions.
Au vu de notre diagnostic, il nous paraît évident que dans la société du
xxi^" siècle, l’entreprise ne peut plus se construire sur le contrôle. De plus,
définir les modes de fonctionnem ent d’une organisation à partir d’un
nombre limité de « déviants » est malsain. Ce sont ces éléments qui
conduisent les promoteurs de l’entreprise libérée à poser comme postulat
que l’homme est bon. Mais autant le contrôle systématisé et la définition
des modes de fonctionnem ent de l’entreprise à partir d’une toute petite
minorité de déviants nous paraissent devoir effectivement être revisités,
autant cette affirmation de « l’homme bon », facilement contestable,
affaiblit leur propos.
Dans sa fonction, dans son rôle, chacun est en partie ce que l’entreprise a
fait de lui. Ici encore, l’impact du système sur l’acteur. C ’est l’apport
principal des travaux de Renaud Sainsaulieu démontrant le développement
d’identités au trav ail. La question réelle des effets pervers du contrôle et de
la construction de dispositifs applicables à tous sur la base des quelques
déviants doit être traitée. Mais que l’homme soit bon ou qu’il soit mauvais,
est-ce vraiment le sujet ? Il nous semble plus pertinent de mobiliser la
notion de confiance préalable : a priori les personnes vont bien faire leur
T3
travail. Et si ce n’est pas le cas, il sera toujours temps d’ajuster.
O
c
rj Notons toutefois que cette approche de « l’homme bon » explique sans
Q
doute pour partie le buzz autour de l’entreprise libérée, dans une société qui
souffre de la défiance et du pessimisme et qui aspire profondément à du
(y ) ^
positif et à de la bienveillance.
CT
Q.
O Le b o n h e u r a u tra v a il
U
Troisième point sur lequel l’approche entreprise libérée peut être
questionnée : la recherche du « bonheur au travail », posée comme objectif
premier de la démarche de transformation. Nous avons vu dans la deuxième
partie que l’aspiration à se réaliser au travail est forte. Par ailleurs, en réaction
à une approche purement défensive sur les risques psychosociaux, les débats
de ces dernières années ont été riches sur le bien-être au travail. Le terme de

1, Renaud Sainsaulieu, L’identité au travail. Presses de Sciences Po, 1988.


82 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

« qualité de vie au travail » semble avoir été consacré, avec l’Accord National
Interprofessionnel signé en juin 2 0 1 3 par les partenaires sociaux. Mais le
bonheur au travail... L’entreprise a-t-elle vraiment la responsabilité de
rendre ses salariés heureux ?
Il est certain que la période est porteuse, qui privilégie et promeut la
recherche d’accomplissement de soi : multiplication des ouvrages dédiés au
bonheur, avec un rayon « bien-être » dans les Fnac, succès des méthodes de
méditation, du yoga, du shiatsu, etc.
Ceci alors que le travail devient peu à peu le premier lieu d’identification
sociale et de relations humaines. Christian Baudelot, professeur à Normale
sup, et M ichel Gollac, membre du Centre de recherche en économie et
statistiques, ont étudié la question du bonheur au travail pendant plusieurs
années, avant de publier Travailler pour être heureux ?’ Parmi les éléments
constitutifs du bonheur, les personnes interrogées citent le travail en
deuxième position, après la santé certes, mais devant la famille, l’argent, les
enfants, l’amour ou le couple.
Certaines organisations sont allées jusqu’à créer une fonction dédiée.
Aux Etats-Unis, des C h ief Happiness Officers ont été mis en place dans de
jeunes entreprises technologiques, mais leur fonction est d’abord centrée
sur l’organisation d’activités récréatives. Plus largement, le D R H d’un
grand groupe bancaire reprenait récemment à son compte devant nous
l’affirmation selon laquelle : « R H , ça doit signifier Rendre Heureux ».
Laurence Vanhée, auteur de Happy R H : le bonheur au travaiH , estime que
« les D R H se doivent d’évoluer d’un rôle de gestionnaire de capital humain
T3 vers un rôle de développeur de patrimoine humain pour finalement
O
crj s’épanouir dans une fonction de “C h ief Happiness Officer” ». Des
Q
organisations comme Kiabi, Le C oq Sportif, Poult ou le Ministère belge de
O
(N la Sécurité sociale ont ainsi transformé le titre de D R H en C h ief Happiness
@ Officer.
La première critique sur cette approche porte sur la dimension
>-
Q.
O personnelle du bonheur. « La question du bonheur semblait, depuis la
U
Grèce antique, plutôt intime et personnelle : il relevait d’une recherche
personnelle prenant en compte les différentes facettes de l’existence,
affective, professionnelle, sociale et spirituelle. Mais le bonheur devient
public : c’est le sens d’une politique, ce serait même un impératif pour la

1, Christian Baudelot et Michel Gollac, Travaillerpour être heureux ?Éditions Fayard, 2003
2. Laurence Vanhée, Happy RH : Le bonheur au travail: rentable et durable. Éditions La Charte,
2013
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 83

gestion des ressources humaines et le management » constate Maurice


Théveneth Professeur au CN A M et à l’E SSE C .
Ce qui conduit à plusieurs objections : le bonheur renvoie à une
dimension trop personnelle pour qu’il soit possible de ne le traiter que par
le contenu du travail. Par ailleurs, le bonheur est différent pour chacun :
rien n’est plus subjectif que ce qui rend les salariés heureux. Enfin, tout
sentiment de bonheur ne peut être que « relatif », par rapport à d’autres
états. Avec au bout du compte une conclusion : le bonheur est une question
trop importante et trop personnelle pour que l’individu en confie la
responsabilité à d’autres, et notamment à son entreprise.
Seconde critique, plus importante encore à nos yeux, l’enjeu éthique
posé par cette supposée responsabilité de l’entreprise quant au bonheur de
ses collaborateurs. Dans un article titré « Faut-il se méfier du
bonheur ? »^, Maurice Thévenet prend position : « La question éthique se
pose à tout dirigeant, manager ou simple salarié de voir comment il peut
contribuer aussi au bonheur des autres, mais cela doit-il devenir une
responsabilité institutionnelle contrainte par des règles, déclinée en
politiques, mesurée par des indicateurs dont l’institution serait
comptable ? » D ’ailleurs, un collaborateur a-t-il le droit d’être malheureux
dans une entreprise qui a décrété le bonheur au travail ? Christian Baudelot
met en garde : « Etre heureux au travail est devenu une norme, et les gens
qui oseraient dire ou montrer qu’ils ne le sont pas s’exposent à des positions
marginales ».
Pour ces raisons, l’entreprise ne peut considérer que c’est à elle
T3 qu’incombe cette responsabilité. Ce n’est pas le bonheur au travail quelle
O
c:
:d doit rechercher. Elle a une tout autre responsabilité : créer les conditions
Û
pour que ses collaborateurs puissent s’épanouir dans leur travail. Mais elle
ne peut aller au-delà. Elle ne peut laisser croire à ses collaborateurs quelle
(g) ^ est responsable de leur bonheur. D ’autant que certains considéreront,
comme Voltaire, que « Le bonheur n’existe pas, il n’existe que des instants
>-
Q.
O de bonheur. »
U
Affirmer que la finalité de l’entreprise est la recherche du bonheur et non
la performance, et que celle-ci sera donnée de surcroît, c’est être proche de
la manipulation, en s’exposant aux conséquences de désillusions inévitables.
En revanche, affirmer que la performance passe désormais par
l’épanouissement au travail, au travers de l’engagement, est démontrable et
peut parfaitement être assumé par toute organisation.

c
3 1. Maurice Thévenet, Le bonheur est dans l’équipe, Eyrolles, 2008
Û
© 2. Maurice Thévenet, La Lettre du Cadre Territorial, 19 février 2015
84 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

La p la c e d u le a d e r lib é ra te u r

Pour les promoteurs de l’entreprise libérée, ce qui permet à une entité


d’enclencher et d’entretenir cette dynamique, c’est l’existence à sa tête d’un
« leader libérateur ». Dans l’environnement nord-américain, marqué par
quelques siècles d’une histoire bien spécifique, cette approche est sans doute
audible. Mais dans nos cultures européennes, elle renvoie à un modèle déjà
bien ancien.
Y a-t-il un système moins libéré, moins moderne, que celui du leader
ayant tout saisi des enjeux, affranchi de tout corps intermédiaire, tenant
bon le cap et aidant ses ouailles à prendre progressivement conscience de la
réalité ? Sur le plan des institutions, ce mode de fonctionnem ent renvoie au
mieux au monarque éclairé et à l’autocratie. Dans l’entreprise, il est le digne
descendant du système paternaliste.
Et s’il s’agit de construire une organisation avec des rapports basés sur la
responsabilité, un tel positionnement du dirigeant de l’entreprise est pour
le moins surprenant. Il ne peut incarner à lui seul le pouvoir. D evenir
adulte, c'est reconnaître, sans trop soujfrir, que le Père N oël n existe pas » affirme
Hubert Reeves.
Le recours à un leader libérateur n’est pas sans conséquence. Cette
supposée liberté dépend d’un homme providentiel. D onc si votre entreprise
n’a pas à sa tête un leader libérateur, elle ne pourra pas s’engager dans une
démarche de libération et se transformer. Quelle excuse facile pour en rester
au statu quo ! De plus, il sera possible de retourner à la situation initiale si le
dirigeant change.
T3
O
c: C ’est d’une autre libération dont l’entreprise a besoin. Tous dans
:d
Û l’entreprise doivent participer en acteurs responsables à cette mutation
O des modes de fonctionnem ent, sur laquelle il ne sera alors plus possible de
(N

@ revenir. Arrêtons de prolonger le modèle descendant et autorisons-nous,


DI
enfin, à faire confiance aux collaborateurs. Faut-il rappeler que si les
's _
grands moments de l’Histoire ont parfois été incarnés par un homm e, ils
D.
O étaient d’abord le résultat de mouvements travaillant la société en
(J
profondeur ?
Bien sûr, il n’est pas question de nier ici que le dirigeant de l’entreprise a
un rôle central dans cette transformation. Et qu’il doit modifier ses priorités
et ses postures. Pour libérer l’initiative et l’autonomie, toute tentative dans
laquelle il est proactif dispose d’un atout majeur. M êm e si des organisations
se transforment tous les jours sous d’autres impulsions.
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 85

Les risq u e s d e d é riv e

Être centré sur l’individu et ses déterminants psychologiques, considérer


que l’homme est bon, rechercher le bonheur, concentrer entre les seules
mains d’un seul homme le pouvoir de libérer son organisation : ces quatre
premières limites renvoient aux caractéristiques des organisations de type
sectaire. Nous ne faisons ici aucun amalgame entre entreprises libérées et
sectes. Mais nous évoquons les risques de dérive lorsqu’un tel équilibre des
pouvoirs s’établit dans une organisation humaine.
D ’autant que le vocabulaire employé alimente le parallèle : sont évoqués
non seulement les « leaders libérateurs », ainsi que la « grâce », la « sagesse »,
mais aussi les « croyances », la « rééducation », etc. Certes le vocabulaire
actuel de l’entreprise, hérité du taylorisme et des techniques de management
venus des États-Unis après la seconde guerre mondiale, doit évoluer pour
s’adapter aux enjeux contemporains. Mais le choix des mots n’est jamais
neutre.
Isaac Getz et Brian Carney ont d’ailleurs bien identifié ce risque. A
propos d’un des exemples sur lesquels leur ouvrage est construit, ils
écrivent : « Ces salariés se rendent bien com pte que, vu de l’extérieur, le
fonctionnem ent de FAVI pourrait faire penser à un culte et que Zobrist^ a
tout du sauveur de leurs âm es perdues. » Nous avons vu par ailleurs que
dans leur ouvrage, ils parlent d’une forme de contrôle social intériorisé,
exercé par l’ensemble des collaborateurs sur chacun d’entre eux sur la base
des éléments de la culture développée dans cette démarche de libération.
Là aussi les deux auteurs le reconnaissent : « C ette perception du « contrôle
"O
O social » qu’une culture d’entreprise exerce sur le com portem ent peut être
c
Û si forte que, vues de l’extérieur, certaines entreprises libérées com m encent
à ressembler à des sectes. [...] Mais les règles du jeu d’une entreprise
libérée ne sont pas imposées par une instance supérieure. [...] [Les
(y) ^
salariés] ne sont pas soumis à l’emprise du gourou de quelque secte
>-
malfaisante. Ils sont contents de travailler dans leur entreprise. » Ce
Q.
O dernier argument oublie que les membres d’une secte sont heureux d’en
U
faire partie.
La question essentielle posée ici est celle du libre-arbitre, de la pensée
autonome et du regard critique. La culture d’une entreprise est plus ou
moins marquée, de même, pour prendre une image, que la personnalité
d’un individu. Mais parmi les cultures fortes, certaines sont incluantes et

3 1. Présenté par Les Echos du 17 août 2015 comme « une sorte de gourou de l’entreprise
û
© libérée ».
8 6 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

capitalisent sur les différences, alors que d’autres sont excluantes et refusent
la contradiction. C ’est ainsi que dans un groupe pharmaceutique français,
les plus anciens font la distinction dans les profils internes entre « patriotes »
et « mercenaires ».
Pour Isaac Getz, l’entreprise libérée est affaire de philosophie^ Mais
alors, cette dernière implique-t-elle de renoncer à son autonomie de pensée,
à ses croyances personnelles et à ses différences ? Dans un mode
organisationnel taylorien, qui ne mobilise pas l’initiative, il est beaucoup
plus simple de faire la part des choses. Dans les entreprises qui mobilisent
l’intelligence de tous, il est autrement plus délicat de laisser une place à
l’individu pour exercer son regard critique vis-à-vis de l’organisation.
L’enjeu est celui de la place faite à la dimension individuelle dans le projet
collectif En ayant bien en tête qu’il n’y a pas un curseur à déplacer entre
individuel et collectif, mais que les deux dimensions doivent être
maximisées.
Autre question soulevée par cette approche, celle de la base sur laquelle la
confiance est construite. S ’agit-il d’une confiance fondée sur le partage
d’émotions ou bien d’une confiance plus rationnelle, construite sur des
projets débouchant sur l’innovation et le développement ? Veillons à ce que
la première ne soit jamais développée au détriment de la seconde.

La re sp o n sa b ilité d é c ré té e

<< Tout ce qu i augm ente la liberté augmente la responsabilité » écrivait Victor


Hugo. Liberté et responsabilité vont de pair, nous y reviendrons. Mais si
T3

cO « libérer » est simple, « responsabiliser » l’est moins. La responsabilité se


Q construit, elle doit être accompagnée. Le collaborateur a besoin d’appuis
pour l’assumer progressivement. Tout simplement parce que « l’ancien
monde » ne l’y a pas préparé et l’a, au contraire, conditionné à s’abstenir.
La responsabilité ne peut être « posée par décret », si l’entreprise veut
qu elle soit effectivem ent acceptée et assurée. Puisque ce dont il s’agit,
a.
O c’est de construire pas à pas des relations et des comportem ents adultes.
(J
Q ue met alors en place l’entreprise pour engager et soutenir ce
mouvement ? C ette question ne peut être évacuée. A défaut, c’est un
système organisé de m altraitance qui risque de se mettre en place, avec
des individus qui se sentiront dépourvus face aux injonctions de
l’organisation. Com m e l’enfant jeté au milieu de la piscine pour lui
apprendre à nager.

1. Le Monde, tribune du 5 juin 2015


Les fondations ; quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 87

La critiq u e d es m a n a g e rs

Le jugement porté sur les managers est radical : leur fonction est présentée
comme uniquement dédiée au commandement et au contrôle, avec un rôle de
« petit chef ». De plus, ils seraient les premiers opposants aux transformations.
Cette critique nous paraît non pertinente pour deux raisons. Tout d’abord
parce que cela fait bien longtemps que la posture des managers s’est
transformée en profondeur dans un certain nombre d’entreprises. Pour ne
citer que quelques exemples que nous connaissons bien, les managers de
Nexans, Eurovia, Roquette Frères, Lesaffre ou Lacoste sont depuis des
années accompagnés pour se positionner en ressources pour les collaborateurs
et être tout aussi investis dans le développement de leur équipe que dans son
animation. Un grand groupe français, comptant 150 000 collaborateurs,
sélectionne ses futurs dirigeants en organisant une ou deux fois par an une
session d’assessment dont nous concevons le contenu pour ce qui est de
l’évaluation du potentiel managérial de chacun des candidats. Sont en
particulier appréciées deux capacités : d’une part celle à manager les talents,
par exemple en faisant du développement des personnes un axe prioritaire
pour son entité, d’autre part celle à donner du sens et à créer l’engagement
dans la réalisation par l’énergie, l’enthousiasme, l’exemple.
Le modèle du « manager qui vous cassait une chaise sur la tête quand ça
n’allait pas », selon les dires d’un opérateur de production interviewé lors
d’une de nos interventions, n’en est plus un depuis bien longtemps dans
ces entreprises. Q u’il subsiste dans certaines organisations des pratiques
autoritaires, c’est également vrai. Mais les faits obligent à dire que la
T3
diversité des pratiques est aussi large que celle des entreprises.
O
c:
:d C ’est aussi oublier que les managers sont eux-mêmes le produit d’un
Û
système organisationnel. La même personne sera dans le cadre familial sur de
l’échange, de l’écoute, de la négociation et, ultimement, dans l’explication de
@ Ü ses décisions. Et dans son environnement professionnel, sur des décisions
unilatérales, sans écoute, échange ni explication. Si le modèle d’autorité s’est
5-
Q.
O transformé radicalement et de façon quasi généralisée dans le cadre familial
U
en une génération, comment expliquer qu’il soit resté inchangé dans certaines
entreprises ? C ’est bien parce l’organisation est porteuse de ce modèle ancien.
Supprimer les managers conduit à éliminer des situations de pouvoir, pas
à éliminer les enjeux de pouvoir. Au contraire : les managers jouent bien
souvent un rôle essentiel de tampon permettant d’alléger le poids de ces
questions de pouvoir.
Notons enfin que stigmatiser les managers, voire annoncer leur
disparition, n’est peut-être pas non plus l’approche la plus porteuse pour en
faire les alliés d’une démarche de transformation.
8 8 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

La critiq u e d es fo n c tio n s su p p o rt

Pour les promoteurs de l’entreprise libérée, les fonctions support sont


directement associées, voire responsables de la dimension bureaucratique
et autoritaire des organisations traditionnelles. Le plus virulent en la
matière est sans doute Jean-François Zobrist : « L’ouvrier nourrit tout le
monde. Les improductifs, le problème ce n’est pas ce qu’ils coûtent en
salaire, c’est ce qu’ils font. O n les paierait au soleil à rien faire, ça libérerait
l’entreprise. [...] O n n’a jamais eu 4 0 % de parasites dans les boîtes comme
maintenant. »
C ette critique se retrouve dans plusieurs écrits publiés récemment.
David Graeber, anthropologue à la London School o f Econom ies, a ainsi
publié en août 2 0 1 3 dans le magazine Strike ! un pamphlet consacré aux
« bullshits jobs », littéralem ent « les jobs à la con ». Selon lui, l’ensemble
de ces fonctions support, au-delà de leur coût, nuisent au bon
fonctionnem ent des entreprises en n’ayant d’autre utilité que d’éviter le
chômage.
Dans son dernier ouvrage^ Marie-Anne Dujarier, sociologue et chercheuse
au C N R S, met en cause ceux quelle désigne comme « les planneurs »,
gestionnaires chargés de rationaliser les tâches et d’optimiser la performance
des organisations à distance. Outre une critique renouvelée des organisations
bureaucratiques, elle détaille les dispositifs à l’œuvre, tout en soulignant qu’ils
« présentent également un caractère impersonnel et impartial susceptible de
protéger de l’arbitraire et de l’improvisation des “petits chefs” ».
Les attaques les plus virulentes concernent souvent la fonction RH : « Les
T3
O
c: R H sont des parasites à l’état pur [...] . Cela fait partie de ces sorciers devins
:d qui se sont auto-générés » affirme Jean-François Zobrist.
Û
Ces critiques sont donc anciennes, récurrentes et multiformes. Analysons
en quoi elles peuvent être justifiées et en quoi elles seraient abusives, sous
sz
DI
deux angles : le contenu de ces fonctions tout d’abord, la posture adoptée
>- par ceux qui les occupent ensuite.
Q.
O
U Pour ce qui est des contenus, les tâches réalisées par les fonctions support
relèvent de trois catégories : certaines renvoient à l’administration et à la
gestion et doivent être assurées par toute entreprise, soit du fait du cadre
légal et réglementaire, soit du fait d’impératifs internes : produire les
déclarations et documents obligatoires, payer ses salariés, etc. Les faire
assurer par les opérationnels ou les externaliser se traduit en général par des
surcoûts et présente donc un intérêt limité.

1, Marie-Anne Dujarier, Le management désincarné, La Découverte, 2015.


Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 89

Dans certaines entreprises, une deuxième catégorie de tâches s’est


développée, sans valeur ajoutée. Liées aux processus et au contrôle, les
entretenant et les alimentant, elles caractérisent l’organisation
bureaucratique. Ces tâches justifient les critiques des fonctions support
évoquées ci-dessus et doivent être supprimées.
Fort heureusement, dans certaines organisations, les fonctions support
ont su construire un autre positionnement en investissant une troisième
catégorie d’activités. Pour l’illustrer, prenons l’exemple de la fonction RFi.
Certains en sont restés à une image héritée du XIX^siècle, lorsque son activité
était centrée sur la discipline et le contrôle. C ’est omettre que dans un
certain nombre d’entreprises, la fonction R H se positionne sur le champ de
la création de valeur.
Nous nous contenterons de citer ici quelques exemples d’organisations
que nous connaissons bien. En remettant en cohérence l’ensemble des
dispositifs sociaux de ses différentes branches avec la stratégie du groupe.
Total a renforcé leur impact sur l’engagement des collaborateurs. En
transformant la réalité quotidienne vécue par les équipiers dans les
restaurants, la fonction R H de M cD o France a modifié l’image de l’enseigne
et généré un chiffre d’affaires additionnel. En menant une analyse détaillée
de sa culture et en veillant à ce quelle soit partagée par tous, la D R H de
Chèque Déjeuner a formalisé de nouveaux arguments de vente pour les
commerciaux. En identifiant les craintes et les attentes du corps social, la
fonction RH de la Gendarmerie Nationale a permis la réussite du
rapprochement avec la Police.
T3 A cet enjeu de contenu s’ajoute un enjeu de posture. L’ensemble des
O
c:
:d fonctions de l’entreprise, quelles soient dites opérationnelles ou support,
Û
doivent créer de la valeur pour le client final. Dans cette chaîne de création
de valeur, certaines sont plus proches du client final, d’autres plus en amont.
Mais toutes doivent n’avoir qu’une boussole : la logique de service qui
permettra de servir ce client. Il est vrai que dans certaines organisations, au
Q.
O lieu d’être centrée sur le service apporté au client final, et donc sur l’attitude
U
en découlant avec les opérationnels, la posture des fonctionnels est inversée.
Com m e si les opérationnels étaient à leur service et les clients au service de
l’entreprise.
La critique des fonctions support par les promoteurs de l’entreprise
libérée est justifiée pour certaines organisations, dans lesquelles coexistent
une hyperinflation de tâches sans valeur ajoutée et une posture inadaptée.
Mais elle est complètement décalée d’une approche moderne de ces
3 fonctions, centrée sur la valeur ajoutée quelles apportent et la posture de
Û
© service.
90 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

Cette question de la création de valeur par les fonctions support, mais


aussi par les managers, amène à questionner le business model de l’entreprise
libérée. « Une façon de regarder la durabilité de ces entreprises libérées, c’est
alors de regarder leur business model [...] pour identifier les points
originaux en termes de coût et de revenu et d’en apprécier la pérennité. »
écrit Jean-François Gagne, enseignant chercheur en management à
l’Université Paris Dauphineh
Si les managers et les fonctionnels ne représentent que des coûts, il est
clair que la structure économique de l’entreprise sera grandement améliorée
par leur suppression. Pour autant que les tâches que ces acteurs assuraient
ne soient pas reprises in extenso par les opérationnels ou externalisées avec
un coût plus élevé. Une logique purement comptable vient donc valider
que cet allégement de la structure de coûts donne un avantage au business
model de l’entreprise libérée. Le problème est que si ce gain est écrasé par
une perte dans la création de valeur, cet avantage est perdu.
Comm e lorsqu’il s’agit des managers, la remise en cause des fonctions
support telle quelle est opérée revient à stigmatiser des personnes. Alors
que ce ne sont pas elles, mais leurs rôles et fonctions qui sont à revisiter,
pour les aligner sur ce que requiert la nouvelle organisation et les centrer sur
de la création de valeur. Plutôt que de chercher des boucs émissaires, l’enjeu
est de réinventer ces fonctions.

U n e lo g iq u e d u to u t o u rien

Pour les promoteurs de la libération de l’entreprise, une entreprise est


T3
O libérée ou elle ne l’est pas. La cible est unique, définie à partir de quelques
c
rj critères, et une organisation qui ne répond pas à l’ensemble de ces critères
Q
ne peut être considérée comme libérée. Nous sommes ici dans une logique
O
(N
de « labellisation », avec une approche qui a certes le mérite de la cohérence.
@
Pour autant, cette logique du « tout ou rien » appelle plusieurs remarques.
5- Notons que l’enjeu premier pour l’entreprise n’est pas de respecter une
Q.
O nouvelle norme, mais d’engager un processus de transformation, celui qui
U
lui sera utile pour répondre à ses enjeux. Pourquoi y aurait-il un « one best
way » alors que les réalités des organisations à transformer sont hétérogènes ?
L’entreprise doit-elle inévitablement s’appuyer sur un « leader libérateur »
pour engager sa démarche de progrès ? Ne peut-elle s’autoriser des
expérimentations sur quelques-unes de ses entités avant d’aller plus loin ?
Faut-il absolument supprimer les fonctions support, même quand elles

1. Les Échos du 2 avril 2015.


Les fondations ; quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 9

créent de la valeur ? Est-il im pératif de remettre en cause la fonction des


managers même quand ceux-ci sont positionnés comme ressources de leurs
collaborateurs ?
Deuxième remarque : les opérations de transformation réussies n’ont pas
toutes adopté une logique de rupture. Faut-il prendre le risque d’une
démarche traumatisante parce que radicale et immédiate ?
Dernier point, le « tout ou rien » a une conséquence : il garantit que de
nombreuses entreprises n’initieront pas la démarche, pour ne pas risquer de
bouleverser en profondeur leur quotidien sans avoir la certitude du résultat.
Alors qu’une approche plus ouverte, plus pragmatique, menée par étape
leur paraîtra moins risquée. En arrière-plan de la logique du « tout ou rien »,
l’idée que la rupture serait le seul moyen de faire bouger l’entreprise. Mais
ne peut-on faire confiance aux collaborateurs dans leur capacité à se
transformer, eux-mêmes et leur organisation ?
Nous nous autoriserons à ce stade une prise de position affirmée : l’enjeu
pour une entité n’est pas de rejoindre la liste des entreprises libérées, mais
d’entrer dans une logique de transformation qui réponde aux enjeux qui
sont les siens. Les témoignages qui illustrent cet ouvrage sont des exemples
d’une telle approche. Les entreprises qui partagent ici leur expérience sont-
elles libérées ou pas ? Peu importe. Ce qui compte, c’est quelles ont initié
une démarche qui leur est propre et qui va dans le sens de la libération de
leur potentiel.

L a b s e n c e d e ré g u la tio n d e s in te ra c tio n s
"O
O
c:
:d Si l’initiative de chaque collaborateur est libérée et que l’organisation n’est
Û plus régulée par des processus et par les managers, com m ent vont se gérer
les articulations entre les collaborateurs ? Au-delà des éléments de sens,
qu’est-ce qui fera que l’ensemble de leurs initiatives convergeront ? Si des
arbitrages doivent être réalisés, quelle sera la démarche ? Q ui prendra les
>-
CL décisions, et sur quelle base ?
O
U
La vidéo construite par l’agence Possum avec Isaac Getz aborde le sujet :
« Pour que cette absence de hiérarchie ne devienne pas l’anarchie au bout de
dix minutes, ça demande une vision d’entreprise exaltante que chacun
s’approprie, quelques règles de savoir-vivre, et aussi de la part du dirigeant
un peu de travail sur son ego ». Quelques règles de savoir-vivre ? L’approche
est pour le moins légère.
-ac Le corps social d’une entreprise, ce n’est pas seulement une collection
c
3 d’individus, mais un ensemble de relations organisées. Des ajustements
Û
© entre les individus et entre les groupes sont construits en permanence. C ’est
92 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

une erreur de croire que les interactions vont se réguler harmonieusement


toutes seules. Pour que cela se fasse naturellement, il faudrait des logiques
purement rationnelles chez l’ensemble des acteurs. Ce qui bien sûr n’est
jamais le cas. De plus, ne nous faisons pas d’illusion sur les fonctionnements
effectifs des acteurs dans les structures fonctionnant en réseau : faute de
modalités de régulation, des hiérarchies effectives mais officieuses se créent,
des structures d’allégeance se m ettent en place, les jeux politiques internes
prennent le dessus.
Cette situation renvoie à un paradoxe de nos sociétés modernes, avec le
décalage entre l’accent extrêmement fort mis sur les libertés individuelles
d’une part et ce qui est bon pour le collectif d’autre part. Deux siècles et
demi de libéralisme économique et politique ont fortement ancré dans nos
lois, mais aussi dans nos consciences, la liberté et l’autonomie de chacun.
Jusqu’à Disney qui en a fait un must en 2 0 1 3 avec « Libérée, délivrée », la
chanson du film d’animation « La reine des neiges ». Mais cet optimum
individuel correspond-il à l’intérêt collectif? Le philosophe M ark Hunyadi’
en doute, qui estime que la défense de nos libertés individuelles a conduit à
abandonner en chemin la question « antique » sur ce qui serait bon et juste
pour la société prise collectivement.

LES BASES D 'U N E DEMARCHE

Com m e nous avons vu, les transformations qui s’imposent à l’entreprise lui
dictent de muter elle aussi en profondeur pour s’adapter à ce nouvel
XJ
O environnement. Rapprocher les caractéristiques de notre société
c
rj contemporaine et les réalités des organisations ne peut que conduire à cette
Q
conclusion. Il y a donc bien un besoin de transformation radicale des modes
O
fN de fonctionnem ent de l’entreprise, certains diront de libération.
x: Tirer cette conclusion de déterminants externes nous fournit une clé
CT
essentielle. Ce qui est en jeu, c’est tout simplement la pérennité de
Q.
O l’entreprise et donc la performance quelle est capable de délivrer, avant la
U
question du bien-être des salariés ou de leur épanouissement au travail.
L’enjeu est moins celui des droits de l’individu face à son entité que l’énorme
besoin qu’a désormais l’entreprise de libérer l’initiative. Les choix
organisationnels, leur philosophie et les méthodes adoptées sont des
moyens pour satisfaire le client et obtenir ainsi des résultats, dans un
système de contraintes externes qui sont loin d’être négligeables.

1. Mark Hunyadi, La tyrannie des modes de vie. Éditions du bord de l’eau, 2015.
Les fondations ; quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 93

Cette « commande par l’extérieur » donne toute sa légitimité et sa


puissance à la démarche : en effet, l’expérience montre que les approches
qui partent de l’individu et du social pour aller vers l’entreprise et
l’économique conduisent à l’échec. Nous nous devons de constater que
c’est la démarche contraire qui est efficace dans notre système. Il n’est
possible de réconcilier l’économique et l’humain qu’en partant de
l’économique. Tout simplement parce que dans la grande majorité des
organisations, particulièrement au sein des entreprises à capitaux privés, il
est illusoire d’imaginer construire une mobilisation forte et durable des
actionnaires, dirigeants et managers sur le bonheur au travail. Alors que
cette mobilisation peut être obtenue si l’objectif est la performance, qui est
en permanence au cœur de leurs priorités et de leurs préoccupations. En
affirmant cette position, le risque est de paraître cynique, alors qu’il s’agit
seulement ici de faire preuve de réalisme.
Pour autant, cette performance ne pourra être atteinte qu’au travers de
l’épanouissement au travail. Le résultat est une résultante. Nous avons vu le
lien, plus fort pour les travailleurs du savoir, entre engagement et
performance. Mais la chaîne complète part de l’épanouissement au travail.
C ’est parce que le collaborateur s’épanouira dans son activité professionnelle
qu’il sera engagé, c’est parce qu’il sera engagé qu’il sera performant.
Ce à quoi conduisent notre diagnostic et les limites identifiées dans
l’approche des promoteurs de l’entreprise libérée, ce sont des réponses pour
partie différentes de celles qu’ils proposent. Il s’agit moins de mettre en
place une recette avec une liste d’ingrédients et un assemblage précis,
T3
constituant « l’entreprise libérée », que d’agir pour la libération du potentiel
O
c
rj individuel et collectif de ceux qui font l’entreprise, avec certes des notions à
Q retenir et à préciser, mais aussi d’autres à ajouter.
A l’issue de notre première partie, nous avions représenté en six cercles
concentriques l’ensemble des dimensions dont l’entreprise doit se libérer,
selon Isaac Getz et Brian Carney :
a. 1) Les normes, procédures et règles que l’entreprise s’impose, à caractère
O
(J
bureaucratique.
2) Les dispositifs de contrôle, qui renvoient à une logique de défiance.
3) Les processus, ensembles d’activités décrivant la réalité de l’entreprise
de façon transversale.
4) Les mécanismes de coordination et de régulation, « modes de
fonctionnem ent » de l’entreprise.
5) Les fonctions support, avec une activité de prescription et de contrôle.
6) Les managers, avec une fonction principale de contrôle.
94 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

À ce stade, il nous est possible de prendre position. Oui, les deux cercles
les plus larges, normes, procédures et règles d’une part, dispositifs de
contrôle d’autre part, doivent être abolis. A défaut, l’entreprise ne changera
pas de logique. Les deux cercles intermédiaires, constitués des processus et
de mécanismes de coordination et de régulation, doivent être réinventés :
ils sont indispensables au fonctionnem ent de l’entreprise, mais leur finalité
et leur construction actuelle sont inadaptées aux enjeux contemporains.
Quant aux deux cercles les plus proches du collaborateur, constitués par les
fonctions support et les managers, ils doivent faire l’objet d’un
repositionnement radical sur d’autres rôles, avec d’autres postures.
C ’est sur cette base qu’il y a de la part de l’entreprise un mouvement à
engager et un chemin à tracer. M ouvement et chemin qui sont propres à
chaque entité : nous en revenons à l’im pératif de contingence. L’entreprise
doit se libérer à partir de ses réalités et de ses enjeux propres. Il ne peut
donc y avoir de méthodologie unique. Pour autant, des notions clés se
dégagent.

LES CINQ N O TIO N S CLES

La lib erté et la re sp o n sa b ilité

L’entreprise a besoin de rendre leur liberté à ceux qui la composent. Il


s’agit là d’une condition indispensable pour qu elle se développe en étant
capable de prendre en com pte les transformations majeures de son
T3 environnement.
O
c:
:d Par le passé, les revendications portant sur la liberté et l’autonomie étaient
Û
souvent de nature idéaliste, basées sur la volonté de mieux prendre en compte
O
(N l’humain : principe de subsidiarité de l’Eglise catholique, mouvement
@ anarchiste, autogestion des années 60 et 70 ou mouvements patronaux à
fibre humaniste. Cet enjeu d’autonomie et de liberté doit aujourd’hui être
5-
Q.
O abordé sous un angle nouveau : il s’agit du principe organisationnel qui
U
permettra à l’entreprise d’assurer la meilleure performance, notamment en
déplaçant au plus près du client le pouvoir de décision et en permettant à
tous les collaborateurs d’être source d’innovation.
Cette liberté suppose la confiance a priori. À défaut, elle ne peut se
déployer et sera très rapidement remise en cause. Elle suppose aussi qu’ait
été posé un cadre d’exercice dans lequel elle pourra s’appliquer. Le
footballeur est libre de jouer le match qu’il veut du mom ent qu’il respecte
les règles du jeu. Le citoyen est libre d’organiser sa vie comme il l’entend, du
mom ent qu’il respecte les lois. Le collaborateur doit être libre d’agir comme
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise 1
? 95

bon lui semble, du moment qu’il respecte les éléments posés par l’entreprise
et le collectif de travail.
La liberté dont le collaborateur bénéficie renvoie à la responsabilité dont
il fait preuve. Responsabilité à double sens : il s’agit de respecter le cadre
d’exercice évoqué ci-dessus, mais aussi d’en utiliser toutes les possibilités.
En effet, donner à un collaborateur toute liberté sans traiter la question de
la responsabilité renvoie à deux écueils possibles : l’utilisation de cette
liberté au détriment des éléments posés par l’entreprise, qui conduit de fait
à mettre en cause la liberté des autres. Mais aussi l’absence d’utilisation de
cette liberté, faute de responsabilité.
La responsabilité ne se décrète pas, elle se construit. Dans cette entreprise
de la distribution spécialisée, le constat avait été fait d’une réactivité faible
du personnel en magasin. L’analyse des chiffres m ettait en évidence que
selon les magasins, selon les jours, ce n’était pas toujours le bon levier qui
était activé pour développer le chiffre d’affaires : taux de transformation (part
des clients entrés dans le magasin qui achète), m ontant du panier moyen,
vente additionnelle, etc. Les vendeurs avaient été formés à déployer une
méthode de vente standard, sans se poser de questions. L’entreprise a
décidé de redonner à chacun d’entre eux une liberté complète dans son
approche du client, sur la base d’indicateurs fournis en direct sur les
ordinateurs de la surface de vente. Le constat établi lors du premier bilan,
quatre mois après, a été rude : les pratiques étaient inchangées et il n’y avait
eu aucun effet sur le chiffre d’affaires. L’entreprise a repris le projet à zéro.
Les vendeurs ont été sensibilisés aux enjeux économiques. Des moniteurs
~Oo sont venus accompagner les équipes, en déployant eux-mêmes les bonnes
c:
:d pratiques, puis en aidant les vendeurs à les mettre en œuvre avec une
O autonomie de plus en plus forte. Cette démarche aboutissait à une
validation formelle, reconnaissant que le collaborateur s’était approprié
dans la pratique cette nouvelle responsabilité. Pour permettre cette montée
en puissance, l’entreprise s’était assurée que ce changement de rôle était
>-
CL compris, qu’il était accepté, qu’il était maîtrisé, puis, enfin qu’il était
O
(J encouragé. Dans les six mois qui ont suivi, le chiffre d’affaires a crû de près
de 1 0 % .
Autre illustration, cette entreprise du secteur bancaire a formalisé une
compétence quelle veut développer en priorité chez ses managers : « Pour
satisfaire le client, il est autonome et à l’initiative, décide. Pour cela, il veille
à ce que toutes les marges de manœuvre soient pleinement utilisées, il
tranche en son âme et conscience quand la satisfaction du client est en jeu,
il sort du cadre quand la situation le nécessite, il arbitre en faveur de la
qualité de la relation long terme avec le client. » Afin que chacun puisse
96 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

s’évaluer sur cette compétence, nous avons mis en place un dispositif


d’assessments comprenant une simulation de la situation suivante : « Je suis
un de vos collaborateurs. En réponse à la demande de prêt impromptue
d’un de nos plus gros clients, je ne vous ai pas fait valider le dossier comme
le prévoit la procédure, et l’ai transmis directement au service concerné. Ce
qui a permis de fidéliser le client qui s’apprêtait à accepter une offre
concurrente. C ’est votre propre patron qui vous a alerté : il trouve ce type
de comportement risqué ». Alors que l’entreprise travaille depuis plusieurs
années le développement de la culture client, elle a eu la surprise de voir un
tiers des collaborateurs imposer l’application de la procédure au détriment
du client. Le mouvement de responsabilisation restait à consolider.
L’approche consistant à articuler liberté et responsabilité renvoie à un
autre « couple de tensions » dans l’entreprise : celui entre bienveillance et
exigence, déjà évoqué à propos des pratiques managériales défaillantes.
L’échec du modèle que nous pourrions qualifier de « presse-citron »,
consistant à accroître la pression sur les collaborateurs pour améliorer leur
performance, ne doit pas pour autant disqualifier la notion même de
performance : toute organisation humaine doit intégrer des impératifs
d’efficacité pour exister dans la durée. Développer en parallèle liberté et
responsabilité permet de répondre à la contradiction apparente entre
bienveillance et exigence : la liberté donnée au collaborateur, basée sur la
confiance a priori, renvoie à la logique de bienveillance. Tandis que la
logique de responsabilité qu’il développe l’amène à être lui-même porteur
d’exigence par rapport à son activité.
T3
O
c
rj
Q
— T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------
O
ГМ
@ L ibérer l’entreprise, c’est accepter de lâcher prise,
par Pascal D em urger
5-
Q.
O
U
Pascal Demurger est Directeur du groupe MAIF, société d'assurance mutuelle créée en
1934dont le siège social est basé à Niort. Elle rassemble 7 0 0 0 collaborateurs au sein de
22 0 établissements, avec 3,7 millions de sociétaires. La MAIF occupe la premièreplace
du podium de la relation client depuis la création du prix en 2003. Elle est lepremier
assureur des associations et des établissementspublics, le cinquième assureur automobile
et habitation.
Je souhaite aujourd’hui donner de nouvelles marges de manœuvre à nos
collaborateurs. Tout ne se fera pas en un claquement de doigt, et notre
approche est progressive. C ’est notre large transformation conduite de 2009 à
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 97

2014 qui nous a conduits à souhaiter que les collaborateurs s’expriment plus
largement et libèrent tout leur potentiel.
Nous avons en effet mis en place une large modification des organisations
et des processus de production de notre entreprise. Cette organisation
supposait de rassembler des compétences très différentes dans des unités de
taille réduite, avec de ce fait la nécessité d’assurer une polyvalence
importante des collaborateurs. Nous avions non seulement un déficit de
productivité mais aussi des problèmes de qualité dans les réponses que
nous pouvions apporter parfois à nos sociétaires. Nous avons donc mis en
place des centres d’appel et spécialisé un peu plus nos structures. Nos
plateaux téléphoniques rassemblent aujourd’hui une cinquantaine de
personnes au maximum, les salariés saluent ces changements comme en
témoigne notre baromètre social et, pour éviter certaines confusions, nous
avons également mieux réparti les rôles entre nos salariés et notre structure
militante, qui est une spécificité importante de la MAIF.
Nous sommes un « assureur militant ». Avant la réorganisation, nos militants
et les salariés de la MAIF travaillaient ensemble au sein des délégations
départementales. Une forme d’acculturation s’est développée et rendait
l’expérience client incroyablement riche. Les militants infléchissaient la
relation client, ils étaient exigeants quant à la qualité et la rapidité des
réponses apportées par les salariés aux sociétaires, ils portaient ainsi à un haut
niveau l’excellence du service à fournir. C ’est ce que nous nommons parfois
la « zone grise ». C ’est une forme d’adaptation des processus dans l’intérêt du
client, une marge de manœuvre que prend chaque acteur pour mieux faire,
~Oo des relations informelles qui génèrent aussi de la qualité et de la performance.
c:
:d Cela, je ne voulais pas le casser, et la transformation faisait peser un risque en
Q
la matière, celui de la banalisation de notre relation client tandis que cette
dernière est clairement notre axe de différenciation.
Q 3
s:D I Dès lors, à toutes les étapes du changement, nous avons cherché à préserver notre
's _ « touche » MAIF. Nous avons industrialisé tout en gardant le sens de notre action
D.
O et en le partageant avec les collaborateurs. Nous avons réussi à générer 25 % de
(J
gains productivité et à aller plus loin dans l’attention portée aux sociétaires.
Nous avons tout fait pour que les processus au cœur de nos activités soient
les plus légers possibles. Dans le monde de l’assurance dire « vous êtes
compétents, vous pouvez donc faire ce que vous voulez » n’a pas de sens ;
nous devons respecter certaines règles. Il y a des processus qui sont
incontournables. Mais durant ces cinq années de transformation, j ’ai engagé
les collaborateurs à faire remonter tous les obstacles, toutes les barrières qui
font perdre du temps, de la qualité de service ou de la qualité de vie au
98 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

travail. Cette démarche, conduite avec de nombreuses réunions sur le


terrain et des forums en ligne, a bien fonctionné au sein du réseau même si
elle a été plus complexe à conduire au niveau du siège où les activités sont
plus diverses.
Cette étape liée aux modifications organisationnelles est derrière nous. Il nous
faut à présent passer à un travail plus profond sur les comportements. Il doit
nous éviter les déviances technocratiques et responsabiliser chaque collaborateur.
Ce qui va nous permettre de faire bien vivre cette organisation, c’est
d’essayer de devenir une entreprise où les initiatives sont encore plus
« libérées ». C ’est un véritable nouveau projet, stimulé par trois enjeux. Tout
d’abord, si nous sommes exemplaires dans notre relation client, je voudrais
que nous le soyons aussi avec nos collaborateurs ; ce qui se pratique au sein
de l’entreprise se voit à l’extérieur. La « symétrie des attentions », vers les
clients et vers les salariés, est un concept auquel je crois beaucoup. Cette
exigence forte passe par la redéfinition du rôle des managers. Je ne souscris
absolument pas à la fin du management, mais bien plus en la nécessité de le
repenser. Au sein de la MAIF, nous voulons un management par la
confiance.
Dans le monde d’aujourd’hui où une grande partie des services passent par le
digital et où l’entreprise est plus ouverte sur son environnement extérieur,
nous devons cultiver notre capacité d’innovation. Celle-ci ne passe que par
les femmes et les hommes, animés dans une logique collective, et des
organisations plus horizontales.
Enfin, et c’est une conviction plus personnelle, je crois que lorsqu’on dirige
T3
O
c: une entreprise qui se porte bien et qui génère la performance attendue, il y a
:d
Û presque une obligation morale à faire de cette collectivité un lieu
d’épanouissement plutôt que de tension.
Sur cette base, aller plus loin pour libérer nos énergies suppose une évolution
sz des comportements. Les comportements se travaillent et ne doivent pas être
DI

>- considérés comme une seule résultante de la culture d’entreprise. Ils sont
Q.
O évolutifs.
U
Nous sommes donc à la MAIF au début d’un processus et j ’espère que les
pièces du puzzle s’assembleront correctement. Je peux en donner quelques
illustrations, mais il s’agit d’actions conduites avec une logique
d’expérimentation, sans ordre préétabli.
Nous avons lancé une vaste opération où nous avons décrit ce que sont nos
comportements gagnants, à tous les niveaux de l’entreprise, et parmi eux le
fait de faire simple, d’oser dire les choses, de savoir les entendre ou d’être
respectueux de l’autre. Il n’y a pas dans ces éléments, vus de l’extérieur, grand-
Les fondations ; quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 99

CW

chose d’innovant. Mais c’est le processus lui-même, très collaboratif, de


description de ces comportements qui a conduit à d’importantes évolutions.
Aujourd’hui, nous avons un cadre de référence qui incite le collaborateur à
prendre des initiatives. Il n’est pas encore ancré dans toutes les équipes, mais
cela va venir.
Par ailleurs, les objectifs purement individuels qui étaient la norme jusqu’ici
au sein du groupe, notamment pour les commerciaux, ont tendance à
disparaître. Nous avons défini trois règles pour les déterminer : ils doivent être
collectifs pour créer une dynamique dans l’équipe, qualitatifs plutôt que
purement quantitatifs, issus du terrain et contractualisés avec la direction et
non plus top-down.
Nous n’avons pas supprimé les fiches de postes. En revanche, nous proposons
aux collaborateurs d’enrichir considérablement leurs expériences par des
moyens innovants qui viennent contrebalancer la partie nécessairement plus
normée de l’activité quotidienne d’un collaborateur de mutuelle. Ainsi, nous
avons mis en place un dispositif « Explor’Action » qui permet à chacun
d’explorer un environnement professionnel en dehors de son activité, hors
de l’entreprise et de développer ses compétences. Nous avons aussi largement
étoffé notre dispositif de gestion des carrières et cherchant à positionner le
collaborateur en acteur de son développement au sein ou hors de l’entreprise.
J ’ai voulu donner une place particulière aux managers dans le cadre de cette
évolution culturelle. Ma conception du management est simple : un manager
c’est celui qui rend capable. Il donne le sens, à partir de la stratégie d’entreprise
qu’il traduit en actions avec son équipe, mais avant tout il accompagne ses
X3
O collaborateurs. Par la confiance qu’il accorde et au travers de l’environnement
c
r3 qu’il crée autour de lui, il permet à ses équipiers de sortir du cadre. J ’ai dit au
Q
printemps 2015 à cette communauté de managers que je comptais libérer
davantage la parole et les initiatives et que je croyais que leur rôle était central
pour que cela se réalise. Ce séminaire était un moment rare, il
CT s’est vraiment passé quelque chose. J ’ai moi-même été étonné de ce qui s’est
Q .
O joué. Je me suis exprimé en laissant parler mes convictions, mes sentiments,
U
mes « tripes », en reprenant les éléments que je viens d’évoquer. Cela a pu
étonner. Mais j ’ai ouvert ce qui était sans doute un verrou important pour la
« libération » de l’entreprise. J ’étais à ce moment-là sur un registre
émotionnel. Quand j ’évoquais ce que je voulais pour l’entreprise, cela sortait
du plus profond de moi, et était en adéquation avec qui je suis vraiment :
lâcher prise, faire confiance, oser et permettre, se placer au service de ses
collaborateurs.
d Cela me conduit à m’interroger sur mon propre rôle de dirigeant, ou de
Q
© leader si j ’osais le terme. Je ne veux pas être un dirigeant « gourou », mais
0 0 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

mon rôle est celui de l’impulsion, il faut sans arrêt entretenir le mouvement
car l’inertie est énorme dans les grandes organisations. L’entreprise libérée est
un état. Libérer l’entreprise est un mouvement. Je crois que pour libérer les
initiatives mon rôle est de générer ce mouvement continu.
Parfois l’approche sur l’entreprise libérée me semble un peu normative, ce
qui est un sacré paradoxe. On ne serait entreprise libérée que si l’on répond à
des critères extrêmement précis. Cela me gène. Pour moi, c’est au contraire
dans une forme de foisonnement, de tâtonnement, d’adaptation à des
contextes que cela se joue.

Les é lé m e n ts d e cu ltu re et d e se n s

« Certains ne voient dans l’entreprise libérée que la platitude des structures,


l’autonomie des acteurs et l’absence de contrôles et de procédures, mais ce
n’est que l’apparence des choses... Ces entreprises ont un projet, un horizon
au-delà de leurs opérations ; les salariés ne partagent pas leurs compétences
ou leurs motivations mais une vision qui les dépasse, une sorte de troisième
dimension qui fait tout le sens de leur engagement dans le travail collectif. »
exprime Maurice Thévenet sur le site RH InfoL
Les auteurs de Liberté & Cie posent en effet la production d’une vision
T3
par le leader libérateur de l’entreprise comme élément structurant de leur
O
c:з approche. Ils soulignent par ailleurs le rôle de designer, puis de garant de la
Û
culture que celui-ci doit ensuite jouer.
Ce qui est certain, c’est qu’à partir du mom ent où l’organisation n’est
plus gouvernée par les processus et les rapports hiérarchiques descendants,
sz
DI les caractéristiques culturelles et stratégiques partagées constituent le
>-
Q.
O premier élément qui permet de faire converger les activités individuelles.
U
Elles participent du cadre de jeu dans lequel pourra s’exercer la liberté des
individus.
« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes
pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où
trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le
cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » exprimait Antoine de
Saint-Exupéry.

1. Chronique datée du 13 mai 2015.


Les fondations ; quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 1

La notion de projet d’entreprise n’est guère plus utilisée, mais certaines


entreprises mènent un exercice de construction de leur vision qui peut être
très riche. Il va souvent très au-delà de ce qui est exprimé par les auteurs de
Liberté & Cie : « la volonté d’obtenir des performances de niveau mondial »
n’est pas la seule ambition possible, ni même la première.
Ce qui est à définir en premier lieu, c’est la mission de l’entreprise, sa
raison d’être : au-delà de sa finalité économique, quelle est son utilité
sociétale ? Danone affirme que sa mission est « d’apporter la santé par
l’alimentation au plus grand nombre ». Décathlon travaille à « rendre le
plaisir et les bienfaits du sport accessibles à tous ». Disney cherche à « rendre
les gens heureux, en leur offrant du rêve, de la magie, une expérience
émotionnelle unique et inoubliable ». Les collaborateurs de GrandVision
veulent « apporter ensemble à chaque citoyen le confort et le plaisir de bien
voir à chaque mom ent de vie avec simplicité et transparence ». Enoncées en
une phrase, ces missions peuvent paraître simplistes ou peu disertes.
Pourtant, par expérience, quand cette mission est animée en interne et que
les actes de l’entreprise sont cohérents avec elle, elle constitue une
extraordinaire source de sens et d’engagement.
Souvent associées à la mission, les valeurs de l’entreprise. Leur définition
et leur partage peuvent aussi constituer une boussole pour tous, sous réserve
que soit mis en place ce qui permet d’aligner effectivement les pratiques sur
ces valeurs. Com m ent traiter telle ou telle situation où je dois agir, décider
ou adopter un comportem ent ? La réponse est plus facile à définir pour le
collaborateur en situation s’il se réfère à ces valeurs.
X3 Derrière vient l’ambition de l’entreprise : que veut-elle être à terme ?
O
c Q u’aspire-t-elle à devenir ? Que veut-elle réaliser ? L’Oréal affirme ainsi :
Q
« Notre ambition pour les années à venir est de séduire un nouveau milliard
de consommateurs à travers le monde en créant des produits cosmétiques
(y ) 2
qui répondent à l’infinie diversité de leurs besoins et de leurs désirs de
sz
O) beauté. »
>-
Q.
O Mais l’acteur autour duquel l’ensemble de ces éléments de sens doivent
U
être construits, c’est le client. Parce que c’est de sa satisfaction que dépend
l’avenir de l’entreprise, mais aussi parce que cette satisfaction est de plus en
plus difficile à obtenir. En transférant aux collaborateurs en contact avec le
client la capacité de décider et d’agir en situation dans une logique de
pyramide inversée, l’entreprise n’a rien fait d’autre que de mettre le client au
centre du jeu.
La formalisation d’une « proposition de valeur client » va permettre à
toute l’entreprise de capturer cette cohérence partagée, à partir d’une
question : quels sont les facteurs de différenciation de l’entreprise pour ses
02 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

clients par rapport à ses concurrents ? Il peut s’agir du prix, du caractère


innovant de ses produits et services, de son expertise, du service associé au
produit quelle vend, etc. Cette proposition de valeur client, valorisée dans
un business model qui permet de valider sa pertinence économique et
matérialisée par des axes prioritaires de développement, constitue la
stratégie de l’entreprise. Et cette stratégie, quelle que soit sa temporalité,
peut aussi devenir partie intégrante du sens sur lequel les collaborateurs
s’engagent au quotidien.
M ission, valeurs, am bition, proposition de valeur client et stratégie
renvoient globalement à l’identité de l’entreprise et au projet que
partagent ses collaborateurs. Ce qui constitue un très fort levier
d’engagement, mais aussi une boussole qui donne la direction et aide
chacun à prendre dans son périmètre les décisions qui contribueront à
leur mise en oeuvre. D ’une certaine manière, ces éléments de sens partagés
viennent se substituer au moins pour partie aux normes et contraintes de
l’ancien système.
Notons que ces deux premières notions clés, liberté et sens, sont
indissociables : à défaut de sens, la liberté devient anarchie ; à défaut
d’initiative, le sens ne se matérialise pas.

— T é m o ig n a g e -------------------------------------------------------------------------------

Les valeurs et le p rin cip e de subsidiarité


T3
O au cœ ur de la perform ance, par Francis E tien n e
c:

Û Francis Etienne est Directeur des Ressources Humaines du groupe Daherfondé en
1863. Le groupe intervient dans plusieurs domaines : construction d'avions et
d'aérostructures, logistique intégrée, services nucléaires et vannes. Il réalise
JC
aujourd'hui un chijfre d'affaires annuel d'un milliard d'euros. L'effectifdu groupe
O) estpassé en quinze ans de 1 000 â prés de 9 000 collaborateurs.
>-
Q.
O Dans les années 2000, la stratégie du groupe a pris un véritable tournant : nous
U
sommes devenus des industriels. Ou plus précisément, des industriels qui
comprennent les enjeux de la logistique et disposent aussi d’une gamme de
services. Aujourd’hui, ce qui fait notre distinction sur le marché, c’est la symbiose
entre nos activités industrielles et nos activités de service. Ceci nous permet de
mieux affronter les cycles de nos différents business. Notre croissance a été rapide
au travers de nouveaux contrats et de belles acquisitions. Daher est un modèle
unique, avec une transformation du groupe en moins de 10 ans, d’un prestataire
de services logistiques à un industriel dans l’aéronautique et le nucléaire.
Les fondations ; quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 103

Aujourd’hui, Daher, ce sont des métiers différents, des processus et des modes
de fonctionnement variables, ainsi que des business models spécifiques. Sur
chacun de nos métiers, nous voulons être les ¿?est in class d’ici 2017. Pour y
parvenir, nous nous sommes dotés d’un programme de transformation,
« Performance 2017 », qui inclut quatre types de projets : un plan d’excellence
opérationnel, des efforts portant sur l’innovation, la recherche d’une
robustesse financière accrue et le développement de nos ressources humaines.
Notre spécificité tient dans un modèle original de développement et dans des
valeurs qui constituent un réel ciment culturel. Notre diversité, nous
l’abordons au travers de ces valeurs communes : innovation, responsabilité,
entreprenariat et respect. Elles ont facilité les acquisitions d’hier. Ce sont elles
qui accompagnent aujourd’hui notre croissance. Nous développons les
marges de manoeuvre laissées aux collaborateurs pour que chacun innove et
puisse proposer des améliorations à son niveau. La notion de responsabilité
est, elle, abordée sous l’angle « je prends, j ’assume », et pas nécessairement
dans une logique « je rends des comptes ». Le « droit à l’erreur » est également
un élément important chez Daher. Il est incarné par notre Président qui incite
en permanence à prendre des initiatives. C ’est véritablement un état d’esprit
qui permet à chacun d’oser et de se dépasser. Entreprendre suppose l’initiative
et le mouvement, ce que nous accompagnons toujours. Notre première
valeur, le respect, renvoie à notre culture humaniste, respect vis-à-vis de nos
collaborateurs, nos fournisseurs et nos clients.
Notre développement passera par la décentralisation et la responsabilisation
des collaborateurs. Nous voulons faire vivre le principe de subsidiarité. Ainsi,
T3
O un large programme d’optimisation {Solution for Excellence and Empower­
c:
:d
a ment by Daher) a été initié l’an dernier pour garantir que les décisions soient
prises au plus près du terrain. Il s’agit de délivrer en continu un produit ou un
O
(N service qui satisfera au mieux le client dans des conditions optimales de sécu­
@ ü rité, qualité, délai et coût. Nous responsabilisons les compagnons afin qu’ils
soient en capacité, au plus près du terrain, de prendre les décisions et
5-
Q.
O d’améliorer les performances.
U
Le paradoxe apparent, c’est qu’il nous faut plus de mouvement, mais aussi un
cadre commun structuré. L’enjeu pour le groupe est de passer d’une culture
d’entreprise de taille intermédiaire à celui d’une grande entreprise et ainsi
devenir un leader international tout en préservant ses valeurs et sa réactivité.
D ’un côté, nous avons toujours su agir vite dans nos acquisitions ou prises de
décision. Notre secteur d’activité est engagé dans une guerre de mouvement,
pas dans une guerre de tranchée. De l’autre, nous avons besoin de cohérence,
de vocabulaire et de modes de fonctionnement communs. Nous savons
04 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

qu’une PME tourne grâce à son patron, une entreprise de taille intermédiaire
grâce à une petite équipe, mais une grande entreprise n’est durable que si son
organisation et ses modes de fonctionnement tiennent la route. Les processus
sont alors conçus pour constituer un guide pour l’entrepreneur. Daher est
encore, malgré son âge, une entreprise adolescente qui doit passer à l’âge
adulte. Ceci suppose de nous doter de processus robustes et fiables. Mais il
faut en indiquer le sens, le « pourquoi ».
Nous n’avons pas formalisé cela, mais nous cherchons à bien équilibrer dans
notre développement le recours à des règles, si elles sont utiles au business ou
à la structuration de l’entreprise, et le respect de nos valeurs laissant une part
importante à l’initiative et à la responsabilisation de chacun. Ce n’est pas
simple et cela suppose de se questionner régulièrement sur l’équilibre auquel
nous sommes parvenus.
Il n’est pas certain que tous les collaborateurs connaissent ces valeurs. Elles
sont issues de la famille Daher qui les incarne dans ses comportements et ses
décisions de gestion. Nous n’en avons pas fait un instrument de marketing.
Elles sont d’abord vécues au quotidien.
Patrick Daher, le Président du groupe, les illustre précisément lors des journées
d’intégration. Il demande aux cadres de devenir les messagers de ces valeurs.
Elles sont donc d’abord partagées oralement. Nous avons longtemps pensé
que les décrire trop précisément pouvait potentiellement restreindre leur
champ d’application et leur portée. Nous les avons cependant formalisées il y a
une dizaine d’années, pour pouvoir nous développer sans perdre notre âme,
mais aussi pour faciliter notre communication externe et faire comprendre
X3
O notre différence. Il s’agissait d’affirmer ce qui fait de nous un acteur à part sur
c
Û le marché et qui est de nature à rassembler les collaborateurs. Cette cohérence
entre ce qui était vécu en interne et porté vers l’extérieur est primordiale.
Mais nous avions besoin de les rendre plus opérationnelles encore. Et dans
sz une période de transformation forte, nous pensions quelles pouvaient
O)
>-
constituer un point d’appui, surtout si elles étaient claires pour tous et que
Q.
O chacun pouvait mesurer sa capacité à les mettre en œuvre. Tous nos cadres
U
sont désormais évalués en croisant deux axes : d’une part, de façon très
classique, leur performance en combinant atteinte des objectifs et qualité de
la tenue du poste, d’autre part l’adéquation aux valeurs. Dans nos people
reviews, nous croisons ces deux dimensions. De même, les valeurs sont
intégrées dans notre processus du recrutement.
Derrière les outils pour décliner nos valeurs, ce qui compte c’est bien l’âme
qui se dégage de notre entreprise et le fait que nous nous adressions aussi au
cœur de nos collaborateurs.
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 105

Les c o m p é te n c e s

Liberté et sens : les deux premières notions clés sont développées par les
promoteurs de l’entreprise libérée, à juste titre. Mais il y en a une troisième,
qui est une condition de réussite : la valorisation des compétences.
Les mêmes posent un im pératif : « C ’est celui qui fait qui sait ». Et
effectivement, être en situation permet de recueillir les informations, dans
toute leur complexité, que la construction d’une réponse pertinente
nécessite d’intégrer. Mais pour traiter ces informations de manière adéquate,
le collaborateur doit maîtriser un certain nombre de compétences, qu’il va
combiner avec les informations recueillies. Il y a donc un second impératif :
« C ’est celui qui sait qui fait. »
Pour que ces deux impératifs puissent être combinés, il est indispensable
de développer les compétences des personnes qui se trouveront en situation,
pour quelles soient « armées » dans la prise de décision. C ’est en
professionnalisant les collaborateurs que l’entreprise pourra éviter de
complexifier l’organisation et d’en revenir alors aux dérives organisationnelles
évoquées plus haut.
Com m ent un opérateur de production, par exemple, pourrait-il prendre
l’initiative de tâches de maintenance de premier niveau s’il n’en maîtrise ni
les modalités, ni les conséquences ? C om m ent un commercial pourrait-il
répondre de façon autonome à un client s’il ne maîtrise pas le catalogue des
produits ?
La maîtrise par le collaborateur des compétences requises est une des
T3
clés de la mise en place d’un nouveau modèle organisationnel. Ce n’est pas
O
c:
:d en soi surprenant : com m ent pourrait-on assumer une responsabilité sans
Û en maîtriser les compétences nécessaires ? L’enjeu de la montée en
O
(N
compétence, et donc la diffusion et le partage des expertises et savoir-faire,
@ avec les logiques de coopération que cela suppose, doit être adressé pour
pouvoir mener à bien un projet de transformation de l’entreprise. Ceci ne
5- doit pas pour autant conduire l’entreprise à redonner le pouvoir aux
Q.
O
(J experts et à inverser à nouveau la relation entre opérationnels et
fonctionnels. L’expertise est au service du terrain et doit en rester à cette
posture.
Notons par ailleurs que l’entreprise répondra ainsi à une des aspirations
évoquées dans la deuxième partie : la volonté des personnes d’apprendre et
de se développer en continu. La question de l’employabilité ne peut être
déconnectée du modèle organisationnel : « Le fordisme imposait un
renoncement à la liberté en échange de la sécurité ; le post-fordisme propose
de reconquérir la liberté sans offrir de sécurité. [...] La sécurité repose donc
06 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

en partie sur la reconnaissance des capacités, des compétences et des savoirs


des individus. » affirment les auteurs d’un ouvrage récent.’

L'o rg an isatio n

« Ce qui caractérise [...] le monde de la liberté, de la qualité et de la primauté


des rapports humains dans lequel nous entrons », écrivait M ichel Crozier^,
ce n’est pas moins d’organisation mais plus d’organisation. Le paradoxe
moderne, c’est que plus les individus sont libres, plus une anarchie
humainement acceptable ne reste possible qu’avec un supplément extra­
ordinaire d’organisation. Il s’agit, il est vrai, d’un modèle d’organisation
extrêmement différent, beaucoup plus ouvert, souple et tolérant. Mais il
s’agit toujours d’organisation impliquant limites, contraintes, coordination
et gouvernement. Le malentendu vient du fait que nous ne pouvons encore
imaginer l’organisation autrement que taylorienne et bureaucratique, et
donc que, pour nous débarrasser de contraintes devenues insupportables et
inefficaces, nous entreprenons de supprimer toute possibilité d’organi­
sation. »
Les choix organisationnels développés dans certains des apports recensés
dans la première partie de cet ouvrage pourraient être utilement repris par
grand nombre d’entreprises : principe de subsidiarité, pyramide inversée,
etc.
Trois questions doivent être traitées, qui sont articulées : La première
porte sur la structuration d’ensemble de l’entreprise, avec un principe
fondamental : elle doit être conçue à partir des flux et processus qui mènent
T3
O au client, et non en fonction de logiques internes.
c
rj La deuxième concerne les unités de travail. Là aussi, les apports sont
Q
nombreux : équipes autonomes, éléments inspirés du lean, etc. Avec bien
sûr, le principe fondamental de liberté, qui conduit à mettre en place des
unités à taille humaine disposant d’une forte autonomie.
La troisième question, plus complexe, porte sur les interactions entre les
Q.
O personnes et entre les entités. Pour qui intervient sur les organisations
U
humaines, il est évident quelles doivent être traitées. Là ou l’entreprise
enlève du contrôle, elle doit introduire de la régulation. En ce sens, les
travaux de Frédéric Laloux apportent des éléments de réponse, de même
que les travaux sur la sociocratie ou l’holacratie. L’entreprise doit définir ce

1, Maëlezig Bigi, Olivier Cousin, Dominique Méda, Laetitia Sibaud et Michel Wieviorka,
Travailler au xxf siècle, Robert Laffont, 2015.
2. Michel Crozier, L'entreprise à l’écoute, InterÉditions, 1989.
Les fondations : quels repères et quelles convictions pour transform er l'entreprise ? 107

que sont ses propres processus d’apprentissage collectif : résolution de


problèmes, répartition des responsabilités, décision, arbitrage des conflits et
politiques R H . L’enjeu est de faciliter les communications, échanges,
opportunités de développement, partage d’expériences, fertilisations
croisées et convergences entre les personnes et entre les unités autonomes.
Le travail effectué ces dernières années par les Chambres de Commerce
françaises à l’étranger, présentes dans 82 pays, vient illustrer cet enjeu. Elles
ont su multiplier les initiatives de collaboration entre elles à travers de
multiples partages d’expériences, de séminaires de développement, d’outils
et de bases documentaires en ligne au moment où chacune subissait les
conséquences de la crise mondiale. Elles ont aussi réussi à mieux se
positionner dans leur environnement concurrentiel grâce à une collabo­
ration renouvelée avec les Chambres situées en France et à une astucieuse
répartition des rôles avec leurs concurrents historiques.

Le ca d re é th iq u e

Mener une démarche de libération suppose de construire dans l’entreprise


des rapports responsables, basés sur le respect plein et entier de la personne.
O r la démarche consistant à développer une culture forte, à mettre en
place des mécanismes pour que l’entreprise soit gouvernée par ces éléments
et à favoriser l’émergence d’un contrôle social de chaque acteur par tous les
autres n’est pas sans risque. Déplacer le curseur de la prescription à la
conformité culturelle pousse les individus à intérioriser certaines
contraintes. Sauf à considérer que le travail est par nature une relation
XJ
O d’aliénation, auquel cas la cause est perdue, l’entreprise doit poser des
c
rj garde-fous pour éviter ces nouveaux risques.
Q
Dans cette entreprise qui com pte plusieurs dizaines de milliers de
(y) ^
collaborateurs, M artine a rendez-vous avec son DRH^ : « J ’ai été parmi
les premiers recrutés par l’entreprise. M on mari y travaille. Le premier
m ot que chacun de mes enfants a su écrire, c’est le nom de l’entreprise.
Q.
O C ette boîte, c’est toute ma vie. Je m’y suis investie à chaque instant »
U
com m ence-t-elle. « Et puis l’entreprise a grandi. D e numéro 3 de la
boîte, je suis devenue numéro 10, puis 100, puis je ne sais plus com bien,
une anonyme. La place que j ’y occupe aujourd’hui, elle est sûrement en
rapport avec mes capacités. Mais vraiment pas avec ce lien affectif, tripal
que j ’ai avec elle. Et ça, c’est insupportable, à en hurler. » M artine
confiera quelques minutes plus tard que l’absence de plusieurs semaines

1. Cette situation a été vécue par un des auteurs. Seul le prénom a été modifié.
0 8 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

d o n t elle rentre est la conséquence de la te n ta tive de su icid e q u e lle a faite


un m ois plus tô t.
L ’identité d’une personne ne peut se résum er à son id entité au travail. E t ce
n’est pas parce que les o utils de com m unication m odernes rendent poreuse la
frontière entre vie professionnelle et vie personnelle qu’il faut l’abroger. D ans
son dernier ouvrage^ la sociologue D an ièle L in h a rt souligne que « gérer les
salariés en fonction de leur seule co nd itio n hum aine, c’est n ier le fait qu’au
travail, ils tiennent des rôles, exercent des fonctions dont ils sont les experts et
qui m ettent des lim ites à l’envahissem ent de leur vie personnelle ».
Il y a des lim ite s à poser : l’entreprise d o it respecter la sphère de l’in tim e
et ne peut pas prétendre à une dém arche q u i dépasse une certaine borne
éthique. A défaut, cette in tru sio n n’est pas respectueuse de la personne et de
la place cantonnée q u i d o it être celle du tra vail dans son id en tité com plète.
E t la relation de tra vail peut basculer dans une form e de dépendance
affective, avec toutes ses conséquences p o tentielles.
D ’autant que la recherche de co n fo rm ité cu ltu re lle , si elle ne co n n aît pas
de bornes, co n d u it aussi à ap p au vrir considérablem ent l ’entreprise. L a
co n fro n tatio n d’identités cu ltu relles hétérogènes est p o ur l’entreprise
source de créativité et d ’in n o va tio n . E lle lu i perm et de « penser en dehors
du cadre », notam m ent en consid érant des alternatives non-évidentes.
D iffére n ts travau x de recherche ont souligné que l’in n o vatio n passait
souvent par les p ro fils atypiques. T o u t l ’enjeu pour l ’entreprise est donc de
v e ille r à ce que les élém ents de sens partagés ne cond uisent pas à un « clonage
cu ltu re l ». Le c o lle c tif nouveau d o it être ouvert et respectueux des
T3 différences. M ie u x, il d o it les valo riser.
O
c
rj
Q

APPRENDRE DES JE U N E S ENTREPRISES

Pourquoi p arler ic i des jeunes entreprises ? T o u t sim plem ent parce qu’à
5-
Q.
leurs débuts, elles ne connaissent pas les dérives de certaines organisations
O
U trad itio n n e lle s, en p a rticu lie r lorsque celles-ci ont peu à peu développé un
fo n ctio n nem en t de type bureaucratique.
C réées depuis peu, elles peuvent souvent être d écrites à p a rtir de tro is
caracté ristiq u e s : en p re m ie r lie u , un p ro je t très p résen t, p o rté et in carn é
par le ou les fo n d ate u rs. Q u ’il p arle de son p ro je t, de son a m b itio n , de
son rêve, de son e n vie , de sa v is io n , peu im p o rte : les élém ents de sens

1. Danièle Linhart, L a c o m é d ie h u m a in e d u t r a v a il : d e la d é s h u m a n is a t io n ta y lo r ie n n e à la su r­
h u m a n is a tio n m a n a g é r ia le , Érès, 2015
L e s f o n d a t io n s ; q u e ls r e p è r e s e t q u e lle s c o n v ic t io n s p o u r t r a n s f o r m e r l'e n t r e p r is e ? 109

so nt souvent très présents. D a n s les clu b s de créateurs d ’en trep rise que
nous accom pag nons, nous in v ito n s d ’a ille u rs ces en trep ren eurs à les
e x p lic ite r p o u r m ie u x les partager. C e partage est n a tu re l, dans une
d yn am iq u e e n tre p re n e u ria le . C ’est ic i que réside la deuxièm e
ca ra cté ristiq u e de ces o rg a n isa tio n s, la p ro x im ité . D u fa it de la ta ille de
l ’en trep rise et de son e ffe c tif ré d u it, les échanges so nt fa cile s. D an s cette
phase p io n n iè re q u i nécessite des ad ap tatio n s perm anentes et des c h o ix
fréq u en ts, ce d ialog ue de p ro xim ité est un passage o b lig é. D e rn iè re
ca ra cté ristiq u e , et non la m o in d re , les m odes de fo n ctio n n e m e n t de la
je u n e en trep rise so nt in fo rm e ls. Ils so nt co n stru its de gré à gré par les
acteurs au q u o tid ie n . Ils fo n t l ’o b jet de ré g u latio n s entre eux basées su r
beaucoup de prag m atism e et de bon sens. To u s ceu x q u i o n t vécu les
prem ières années d ’ une en trep rise en gardent un so u ve n ir fo rt, du fa it
m êm e de ces ca ra cté ristiq u e s.
P uis l’entreprise g rand it : son activité se développe et son e ffe ctif grossit.
E lle se retrouve alors inévitab lem en t confrontée à deux en jeu x. Le prem ier
relève d ’une préoccupation quasi id en titaire po ur le fondateur ou l’équipe
in itia le : com m ent, m algré cet e ffe c tif élargi, préserver et prolonger l’A D N
in itia l de l ’entreprise ? C o m m e n t g aran tir que de proche en proche les
élém ents de sens ne se perdent pas ? Faire intégrer les traits cu ltu rels d’une
entreprise à ses nouvelles recrues quand elles ne représentent qu’un faib le
pourcentage de l’e ffe c tif n’est pas déjà facile . M ais quand vous doublez
régulièrem ent la po p u latio n de l’e n tre p rise ... L ’autre enjeu est plus
opérationnel et renvoie à la cohérence de l’a ctivité de l’entreprise : com m ent
éviter que les réponses apportées par l ’entreprise à ses clien ts ou en in tern e
T3
O
c ne soient trop hétérogènes ?
rj
Û
D an s cette phase de son développem ent, po ur répondre à ces en jeu x,
l’entreprise n’a que deux chem ins possibles. Le plus sim ple en apparence et
le plus com m un consiste à co n stru ire des norm es, des procédures, des
sz
CT réponses standardisées, des « com m ent ». L ’entreprise est désorm ais entrée
‘s_
O. dans une voie q u i, si elle n’y prend pas garde, la co n d u ira à se bureaucratiser.
O
(J
F o rt heureusem ent un autre ch o ix est possible : partager largem ent le
p ro jet, l ’am b itio n , et tra va ille r sur la cohérence des actes quotidiens avec
eux. C ette voie est étro ite, tan t il est facile p o ur q u i est p étri de ces élém ents
de considérer qu’ils sont évid ents, n atu rels, et qu’il est possible d ’o u b lier d’y
reven ir quand les « com m ent » sont exprim és.
Les dirigeants des jeunes entreprises, start-up ou autres, que nous
accom pagnons dans cette phase de développem ent sont très attentifs à ce
que la souplesse des fo n ctio n nem en ts, l’in itia tiv e et la créativité des
prem ières années ne soient pas écrasées par des procédures ou des structures
F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

fonctionnelles qui seraient rendues nécessaires par le développement de


leur structure.
Nous constatons dans les projets que nous menons avec ces entreprises
que la présence de leurs fondateurs et l’engagement de chacun dans la phase
d’expansion les conduisent à aborder leurs nouveaux enjeux à partir des
éléments de sens plutôt que du comment.

— Témoignage------------------------------------------------------------

Structurer sans scléroser : les valeurs au centre des processus RH,


par Gilles Masson, Antoine Barthuel et Daniel Fohr
M & C S aatchi GAD est une agence d e com m u nication fo n d ée en 2 0 0 5 p a r
G illes M asson, A n toin e B arth u el et D a n iel Fohr, parten aires depuis plu s de
15 ans, ayant d irig é ensem ble L éo Burnett, P ublicis C onseil et B E T C . Lagence,
d on t le leitm otiv est « b ru talsim p licity », est aujou rd'hui considérée com m e lu n e
des plu s innovantes sur le m arché européen. E lle rassem ble 1 1 0 collaborateurs.
Nous nous sommes toujours méfiés des processus. Chacun de nous trois avait
décidé d’entreprendre parce que les grandes structures manquaient d’agilité et
que nous voulions construire quelque chose de simple, centré sur l’intelligence
et la créativité. Notre côté inform el, notre organisation plastique, l’absence de
certaines règles, le fait que nous fonctionnons comme un « village » avec
certaines de nos filiales spécialisées : tout cela ne pousse pas au formalisme.
Notre culture interne est celle de l’im plicite. L’agence est une structure agile
par nature, fonctionnant par projet, avec des cycles très marqués. Toutes nos
T3
O énergies sont focalisées vers nos clients et non sur l’interne.
c
rj
Q Cependant, après dix ans d’existence et une croissance rapide, nous avons
O ressenti quelques difficultés, dont une partie venait de notre absence de règles
rN minimales pour que chacun s’y retrouve. Nous commencions à avoir du mal
@
x:DI à fidéliser nos « pépites » et le turnover sur certaines fonctions clés pouvait
nous poser problème : nous n’étions plus aussi attractifs pour certains jeunes
D.
O diplômés car nous ne proposions pas de parcours structurés et notre marque
(J
employeur —paradoxalement pour une agence - n’était pas assez forte. Nous
percevions aussi une baisse de l’engagement, sans pouvoir la mesurer pour
autant.
L’entreprise grandit de façon très em pirique, et nous avons décidé de faire
une pause pour prendre un peu de recul et structurer notre croissance.
Nous avons « ouvert les rideaux » et parlé de nos modes de fonctionnem ent.
Nous avons néanmoins beaucoup hésité. Fallait-il des lignes directrices ?
Com m ent grandir sans perdre notre âme ? C ’est la difficulté qui se présentait
L e s f o n d a t io n s : q u e ls r e p è r e s e t q u e lle s c o n v ic t io n s p o u r t r a n s f o r m e r l'e n t r e p r is e ?

à nous, il y a 18 mois, quand nous avons finalem ent décidé de lancer une
réflexion au sein de l’agence. U n petit groupe de collaborateurs, attachés à
l’entreprise, nous a fait part de ses besoins d’y voir plus clair, notamment sur
les questions centrales du développement de leurs compétences, de leurs
parcours au sein de l’agence et des modalités de la rémunération. Nous avons
alors décidé de les responsabiliser et de les réunir autour d’un des associés et
d’identité R H pour qu’ils imaginent ce que devait être notre approche
ressources humaines.
Nous n’avions aucun tabou. Tous les sujets ont été abordés : notre culture,
nos valeurs, l’engagement, les modes de management, la gestion de la
performance, le staffing des équipes sur les projets, la rémunération, la
manière de recruter, etc. Il s’agissait pour nous de réaliser le diagnostic le plus
large possible, en m obilisant cette équipe, puis de lancer directement les
actions préconisées, y compris en testant et en ajustant chemin faisant.
En une dizaine de séquences de quatre heures, nous avons repensé notre
relation aux collaborateurs. Ce n’est pas seulement au responsable R H de
travailler sur ces sujets. Nous ne voulons pas être ceux qui parlent ressources
humaines, mais ceux qui les développeront effectivement.
Le groupe de travail a commencé par identifier les compétences transverses
qui fondent la culture du groupe, puis les a testées au travers d’une enquête à
laquelle tous les salariés ont répondu. Ces six compétences pourraient presque
être considérées comme des valeurs, elles nous ressemblent et nous voulons
les m aintenir : agilité, attitude positive, curiosité, prise d’initiative, partage du
savoir et des compétences, esprit d’entreprise.
T3
O
crj Nous avons décrit les comportements qui illustrent chacune de ces
Q compétences. Ils sont devenus l’un des deux axes, en plus de l’atteinte des
objectifs, sur lesquels est basée notre revue des talents. Cette approche
(G) ^
structure tout notre d ispositif de management à présent. Les compétences
sz transverses sont testées en recrutement et incorporées à l’auto-évaluation.
O)
>-
Elles sont présentes dans le rapport d’étonnement que chaque nouvel
Q.
O embauché prépare à l’aide d’un guide avant la fin de sa période d’essai.
U
Nous n’avions pas de processus d’appréciation, ni de revue du personnel, ni
de guide pour les jeunes embauchés. Nous en disposons désormais. M ais
pas question de les concevoir comme des instrum ents du taylorism e. Ce
sont des choses sim ples, nous avons choisi le strict nécessaire, ce qui nous
perm ettait de répondre aux attentes des collaborateurs sans jam ais créer de
dispositif complexe. Aucun processus n’est copié-collé d’une autre
entreprise. Nous sommes des créatifs, et nos nouveaux outils ont été
3 imaginés en épousant la culture de l’agence, avec leur dose d’originalité.
Û
®
F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

A in si la people review se déroule en amont de rappréciation managériale


pour que les managers partagent les référentiels d’évaluation et que le regard
porté par le 11+1 soit enrichi du point de vue des autres. Nos processus R I I
ne sont pas norm atifs, ils sont surtout porteurs de sens.
M ais il faut bien avouer que nous avons quand même du mal avec cette
question du management. C ’est notre côté rebelle. Notre volonté est de
responsabiliser au m axim um nos collaborateurs qui sont adultes et qui ont
une courbe d’apprentissage rapide. A un moment, nous avions même affiché
« no middle management » sur nos plaquettes de présentation de l’agence,
considérant que c’était souvent le ventre mou des entreprises. Aujourd’hui, le
manager chez Saatchi G A D est plutôt un facilitateur qu’un hiérarchique. Il
accompagne, il développe son équipe. Tous les trois également, nous
assumons m ieux cette responsabilité de management, en nous positionnant
comme des ressources pour les équipes, ce qui nous évite aussi de passer pour
des gourous.
Notre expérience nous a montré que l’absence de règles de fonctionnement
peut déconcerter les collaborateurs, notamment les plus jeunes, y compris
dans un environnement agile. Il faut éviter de scléroser une organisation en
mettant en place des processus dans tous les sens. Si quelques règles sont
formalisées en plein accord avec les valeurs, le risque est faible et les bénéfices
im portants.

T3
O
c:
Û LES PRINCIPES D'ACTION

D an s les p rincipes d’action à reten ir pour m ener une dém arche de lib ératio n
d ’une entreprise, il existe un préalable. To u te m éthodologie en la m atière
JC
O) d o it être en cohérence avec les p rin cip es de lib é ratio n de l ’entreprise et donc
>-
Q. faire une place centrale au pragm atism e, à l’essai-erreur, à l ’id en tifica tio n
O
U
concertée des problèm es. C ’est ain si que l’apprentissage de la tran sfo rm atio n
se fera, que des réflexes se développeront et que les com portem ents
évolueront. I l n’y a pas de m ode opératoire u n iq u e, m ais autant de
dém arches que d ’entreprises. Le prêt-à-porter n’est pas de m ise, seul le su r­
m esure est p ertin en t.
D euxièm e p rin cip e à reten ir : plus que de se lib érer, il s’agit pour
l’entreprise d’entrer dans une dém arche de tran sfo rm atio n hum aine et
o rg anisatio nnelle. T o u t sim plem ent parce que po ur être m enée à bien, cette
m ue profonde nécessite du tem ps, avec des étapes, des avancées, de la
L e s f o n d a t io n s : q u e ls r e p è r e s e t q u e lle s c o n v ic t io n s p o u r t r a n s f o r m e r l'e n t r e p r is e ?

persévérance et, su rto u t, une m atu ratio n progressive. « C 'est cela q u être
a d u lte sig n ifie : s a v o ir assu m er u n e resp o n sa b ilité » é crit H . G . W e lls. O r il
faut du tem ps po ur d evenir adulte.
Tro isièm e p rin cip e , to ut aussi pragm atique, l’approche suppose une
analyse effective des enjeux de p o uvo ir, des rapports de force et des intérêts
co n trad icto ires q u i existent dans l ’entreprise. C e n’est pas en les o ccu ltan t
ou en les n ia n t qu’ils d isp araîtro n t po ur au tan t. Ils d o iven t être exp licités
po ur po uvo ir ensuite être m is au service de l ’in térêt c o lle c tif E n arrière-
plan de cet im p é ra tif, une co n victio n : entre des acteurs dont les intérêts
peuvent être co n trad icto ires, il y a des com prom is à tro u ver sous réserve
d’e xp licite r les co n d itio n s de réussite et co ntraintes que chacun intègre.
Q u atrièm e p rin cip e , sans doute le plus im p o rta n t, l’entreprise d o it
adopter une dém arche de cond uite du changem ent cohérente avec les
logiques de lib é ra tio n . N o tre cu ltu re , plus p articu lièrem en t en Fran ce, reste
celle du changem ent descendant, sur la base de décisions un ilatérales, avec
une logique de « push ». C o m m en t ne pas v o ir que cette approche débouche
sur des décisions inadaptées par rapp ort aux situ atio n s de la vie réelle ?
C o m m en t s’étonner qu’il y a it des « résistances » quand il ne reste plus à
ceux q u i auront à faire vivre ces tran sfo rm atio ns qu’à s’exécuter ? C o m m ent
être su rp ris de l’échec de ces approches ? M êm e certaines dém arches qui
s’affich en t p articip atives ou collaboratives ne sont que des faux-nez pour
donner l’illu sio n de fonctionnem ents d ifférents. L à aussi, T a y lo r a de beaux
restes. « Faire po ur les gens sans les gens, c’est faire contre les gens. » d it un
proverbe Touareg.
XJ U n e autre façon de procéder consiste à p a rtir des asp iratio n s id entifiées :
O
c
rj où les intéressés « o n t-ils faim » ? O ù o n t-ils un ca illo u dans la chaussure ?
Q
A quoi asp iren t-ils ? D ès ce stade, l ’écoute est cen trale. « S i l ’on accepte
l ’idée sim ple qu’on ne peut changer les rapports h u m ain s par les ordres ou
(y ) ^
par les règles, ou m êm e par un e ffo rt d ’enthousiasm e persuasif, la
x:
CT connaissance concrète des réalités vécues par les acteurs opérationnels
Q.
O d evient indisp ensab le » é criva it M ich e l C ro z ie rf « C e que les m em bres
U
d ’une o rg anisation rech erchen t, ce n’est pas un d éfoulem ent. Ils ne
dem andent pas l’o re ille d ’un p sychanalyste. S ’ils veu len t être écoutés, c’est
parce qu’ils cro ie n t avo ir quelque chose de ra tio n n el et d ’im p o rtan t à d ire.
C e qu’ils dem andent, parfo is désespérém ent, c’est qu’on tienne com pte de
ce qu’ils v iv e n t perso n n ellem en t, c’est-à-dire de ce q u i co n stitu e leu r
ra tio n a lité à la place q u i est la leu r. » D an s le prolongem ent de ces élém ents,
deux clés sont essentielles p o ur bien com prendre ce d ont nous parlons ic i :

1. Michel Crozier, L ’e n t r e p r i s e à l ’é c o u t e , InterÉditions, 1989.


14 F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

d ’une p art, il s’agit d ’écouter et de prendre en com pte la personne, m ais


aussi ce q u e lle e xp rim e, les contenus. D ’autre p art cette écoute vise à
com prend re, pas à répondre.
Puisque la réponse, une fois posé un cadre de réflexio n co n stru it dans le
dialogue entre dirigeants et actio n n aires, devra être élaborée par l’ensem ble
des acteurs. C e u x-ci au ro n t à d é fin ir la cib le , puis à décider quelle est la
m eilleure voie po ur l’atteindre. S u r certains thèm es, l’entreprise aura un
v ra i bénéfice à associer égalem ent des clients à cette dém arche. C ’est cette
dém arche de co -co n stru ctio n q u i perm ettra de disposer des contenus les
plus p ertin en ts, e n rich is qu’ils auront été de la connaissance de te rra in , m ais
aussi de développer le u r ap p ro p riatio n par l’ensem ble de ces acteurs.
In ve n te u r du concept de « d rive » il y a d ix ans, C h ro n o d rive a vo u lu
réinventer son m odèle en co n stru isan t avec l’ensem ble de ses collaborateurs
sa V isio n 2 0 2 5 . U n p rem ier tra vail est réalisé avec l ’équipe de d irectio n
po ur poser quelques in co n to u rnab les. P uis 14 questions ont été form alisées
po ur re cu e illir la co n trib u tio n de chaque collaborateur. D u ra n t trois m ois,
chaque m ardi à 10 heures, une de ces questions a été envoyée sur les
sm artphones des 3 000 salariés, avec quelques m inutes po ur répondre en
d irect. C ’est l ’ensem ble de la m atière brute a in si recu eillie q u i a été utilisée
po ur produire la V isio n 2 0 2 5 . L e niveau de m o b ilisatio n constaté d u ran t
cette phase de p ro d u ctio n a su rp ris l’entreprise, avec des co n trib u tio n s de
grande q u alité. L a présentation de la V isio n 2025 à tous lors de la
convention des d ix ans a renforcé cette d ynam ique. E lle constitue désorm ais
le P ro jet m o b ilisateu r porté par tous dans l’entreprise. C e t exem ple illu stre
T3
la p o ssib ilité de m o b iliser les nouvelles technologies accessibles à tous au
O
c:
:d service de la tran sfo rm atio n .
Û
Le second tem ps d’une approche de ce type consiste à ancrer les progrès,
en réalisant des po ints d ’étape dans une logique d’am élio ratio n co n tin u e,
en valo risan t les progrès et en apprenant des échecs v ia des retours
d’expérience.
>-
Q.
O U n e telle dém arche est à l’opposé d’une form e de co n fo rt qui existe dans
U
l’ancien m onde. E lle est an ti-cu ltu relle dans certaines organisations. L a
m ettre en œ uvre suppose des anim ateurs q u i seront les garants de son respect.
Pour ceux qui accom pagnent cette dém arche, il est essentiel d’adopter une
approche q u i ne soit pas seulem ent de type m aïeutiq ue, m ais de réelle
émergence d’un diagnostic partagé et de solutions portées par tous. T o u t en
v e illa n t à alim enter la réflexio n des acteurs, par exem ple avec des réalisations
extérieures. D an s certaines entreprises, la fo n ctio n R H a développé une
véritable expertise dans ce dom aine. D an s d’autres cas, un accom pagnem ent
extérieur est u tile . D an s les deux cas, il s’agit bien de création de valeur !
L e s f o n d a t io n s : q u e ls r e p è r e s e t q u e lle s c o n v ic t io n s p o u r t r a n s f o r m e r l'e n t r e p r is e 7 115

E n synthèse, s’appuyer sur l’in tellig en ce co lle ctive , ce n’est plus « vendre
la so lu tio n », m ais partager le problèm e et co-construire la so lu tio n . A vec
cette approche, l’entreprise ira plus lo in que ce que proposent les prom oteurs
de l’entreprise libérée, en consid érant que l’hom m e est capable de se
transform er in d ivid u e lle m e n t et co llectivem en t autrem ent qu’avec un
leader libérateur.
Les bases d ’une telle dém arche o nt été d éfin ies, les notions clés id entifiées,
les prin cip es d’action d éfin is. I l nous reste m ain ten an t, dans la quatrièm e et
dernière partie de cet ouvrage, à poser des élém ents po ur aider l’entreprise à
m ettre en oeuvre concrètem ent une dém arche de tran sfo rm atio n de son
m anagem ent des hom m es et des organisations.

T3
O
c
ZJ
Û

x:ai
'i-
>-
Q.
O
U

-aO
c
3
Û
©
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
о
и
lA M IS E E N ΠU V R E ; Q U E L S L E V IE R S A C T IO N N E R ?

L ’affirm atio n « V ision w ith o u t ex ecu tion is ju s t h a llu c in a tio n » est attribuée
selon les sources à Ed iso n ou à Fo rd . N ik e l’a résum é en un slogan :
« J u s t d o it» . C ’est la question du caractère e ffe c tif de la tran sfo rm atio n , sur
la base des co n victio n s forgées plus h au t, q u i se pose à ce stade.
N os in terven tio n s au sein des entreprises nous co n fo rtent chaque jo u r
dans une co n victio n forte : seul com pte le changem ent tel qu’il est
effectivem ent vécu par les collaborateurs. C ette dernière partie se veut donc
très concrète : dans votre entreprise, quels sont les enjeux à traiter, les
pratiques à tra vaille r, les pistes à exp lorer po ur engager une dém arche de
tran sfo rm atio n du m anagem ent des hom m es et des organisations ?
E n arrive r à se poser cette question suppose deux prérequis. Le prem ier
est de partager le d iag nostic posé ic i sur l’ancien systèm e : un m onde se
m eurt. C e lu i dans lequel l’entreprise tente d’im poser ses réponses à ses
clie n ts, sans intégrer les tran sfo rm atio ns de l ’en viro n n em en t dans lequel
elle in te rvie n t. C e lu i co n stru it sur le travail p rescrit tel que prom u par
T a ylo r. C e lu i qui ne prend pas en com pte les aspirations fortes ém ergeant
T3
O
c: en cette prem ière p artie du x x f siècle. C e lu i, e n fin , q u i n’intègre pas toutes
:d
Û les conséquences de la révo lu tio n d ig itale. L a tension est déjà très forte entre
la réalité de certaines entreprises et ces tran sfo rm atio ns q ui s’im posent à
elle.
sz Le second prérequis est de ressentir la nécessité de tran sfo rm er son en tité,
DI
>-
Q.
quelle qu’en soit la raiso n . Il peut s’agir de répondre à un enjeu de
O
U perform ance, avec par exem ple des résultats in su ffisan ts q u i am èneraient à
v o u lo ir repenser les règles du je u . E n p rem ier lie u quand la situ atio n
économ ique de l’entreprise est critiq u e . C e m ouvem ent peut aussi être
engagé pour tra ite r une situ atio n sociale bloquée, m arquée par des tensions
et du désengagem ent. D an s les deux cas, la nécessité de « renverser la table »
peut am ener à exp lorer des voies rad icalem ent nouvelles.
D ’autres considèrent que « c’est quand il fa it beau qu’il faut réparer le to it ».
So it que leur réflexio n, basée sur des lectures ou des tém oignages, les ait
sensibilisés à la valeur ajoutée d’une telle dém arche. So it que leu r aspiration à
F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

la m odernité les pousse à vo u lo ir revisiter en profondeur les pratiques


existantes. Parfois, c’est aussi une recherche de v isib ilité et d’image pour
l’entreprise qui l’am ène à se transform er, puis à com m uniquer sur ses
réalisations.
E n fin , et cette m o tivatio n est lo in d’être négligeable, ce sont parfois les
co n victio n s hum anistes de d ifférents acteurs de l’entreprise, en prem ier lieu
ses d irig eants, q u i co n stitu en t le m oteur de la tran sfo rm atio n .
L a dém arche que nous m ettons en œ uvre dans les organisations que nous
accom pagnons et q u i est développée ci-dessous ne peut en aucun cas
prendre la form e d’une m éthodologie unique structurée en étapes
successives. C e serait par nature co n trad icto ire avec la logique mêm e de
lib é ra tio n , à co n stru ire dans l’entreprise avec l’ensem ble des acteurs. C e
serait égalem ent à l ’opposé de la logique de contingence développée plus
h au t, q u i im pose à chaque organisation de d é fin ir les réponses qui lu i sont
adaptées, de façon a d h o c, avec une approche co n stru ite su r m esure.
C ’est pourquoi nous avons fa it ic i le ch o ix d’une dém arche détaillée par
grands enjeux p lu tô t que par étapes. N otre o b je c tif est de présenter non pas
une recette, m ais des « tours de m ain », dont l’entreprise po urra se saisir et
q u e lle fera siens en d éfin issan t son approche spécifique.
C es grands enjeux n’ont rie n de surprenant au vu des élém ents déjà
recensés dans cet ouvrage : sens, stratégie, responsab ilité, structures,
régulation, p o litiq u es R H , m anagers, fo n ctio n nels et d irig eants.
Pour chacun des n e u f thèm es id en tifié s, nous reviendrons en quelques
phrases sur ce qu’il faut im pérativem ent d éco nstruire de l’ancien m onde.
■O
O P uis nous d éfin iro n s la cib le à atteindre dans ce dom aine. E n fin , nous
c
rj traiterons p lusieurs questions que peut se poser l ’entreprise pour d é fin ir la
Q
façon dont elle s’y prend : où est-ce q u e lle en est en la m atière ? Q u els
seraient les gains d’une telle tran sfo rm atio n ? Q u els acteurs m o b iliser et
sz
quelle dém arche de m ise en m ouvem ent adopter ?
DI
>-
Q.
O
U
DÉFINIR ET ANIMER DES ÉLÉMENTS DE SENS,
BO U SSO LE ET SO U RCE D 'EN G A G EM EN T

N ous l’avons vu : il n’est plus possible de gérer les hom m es par la norm e et
le co n trô le, avec des ob jectifs uniquem ent économ iques faute d’am b itio n
et de projet partagé. D ’autant que l’absence de sens renforce la d istanciatio n
vis-à-vis de l ’entreprise : « M o n père s’est fa it v ire r du jo u r au lendem ain.
M a m ère se fa it p o u rrir au q u o tid ien . Je n’ai accès au m ieux qu’à des
m issions d’in té rim ou des C D D à ré p étitio n . E t vous me parlez d’avo ir
L a m is e e n œ u v r e : q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 119

confiance en l’entreprise ? » nous e xp rim a it récem m ent un jeune


collaborateur chez un de nos clie n ts.
A co n tra rio , des entreprises e xp licite n t des élém ents de sens q u i sont
partagés par l’ensem ble des acteurs, générant un engagem ent fo rt au
q u o tid ien et servant de boussole po ur que chacun puisse orienter son
a ctivité au q u o tid ien .
Les bénéfices d ’une telle approche sont im p o rtan ts : elle perm et de
co n stru ire une base à p a rtir de laquelle chacun po urra décider en situ atio n ,
ce q ui bénéficiera en prem ier lie u au c lie n t. E lle in tro d u it de la cohérence
entre les décisions des d ifférents acteurs de l’entreprise et renforce la
cohésion du corps so cial. L ’entreprise passe donc d ’une cu ltu re in tro vertie
centrée sur des intérêts divergents à une cu ltu re extravertie centrée sur
l’u tilité partagée. T ra v a ille r sur cet enjeu perm et égalem ent de développer
l’engagem ent, et donc la perform ance q u i en résulte. L e partage de ces
élém ents perm et égalem ent de renforcer le lien so cial.
E n am ont, il s’agit de com prendre où en est l’entreprise. C e qui suppose
une analyse de sa cu ltu re , avec ses po ints forts et ses lim ite s, notam m ent
sous l’angle des notions clés nécessaires à sa tran sfo rm atio n : place de
l’hom m e, co n fian ce, éthique, équité, rapport au c lie n t, etc. Seule une
écoute approfondie perm et de recenser les faits perm ettant de caractériser la
cu ltu re et de ne pas en rester à une approche sim p liste . L ’analyse de la
cu ltu re d ’un grand groupe de d istrib u tio n que nous avons menée a m obilisé
sous des form es diverses plusieurs centaines de collaborateurs. E lle a perm is
d ’id e n tifie r les vin g t caractéristiques m ajeures de cette cu ltu re , appuyée sur
T3 des élém ents factuels. E lle a été com plétée d’une analyse des causes et des
O
c
rj conséquences de chacune de ces caractéristiques. C e q u i a perm is de
Q
développer une lu cid ité forte du corps social sur ces élém ents, fondation
O
(N des transform atio ns u ltérieu res.
Q u e ce soit sur ce d iag nostic de l’existan t ou sur la d éfin itio n des
sz
DI transform atio ns à m ener, la dém arche ne peut être cond uite par les seuls
>-
Q.
O dirigeants de l’entreprise, m ais d o it m o b iliser l ’ensem ble des acteurs.
U
C e d ont il va s’ag ir, c’est de passer d ’ une cu ltu re im p lic ite et subie à
une cu ltu re projetée q u i sera co n stru ite en l’e x p lic ita n t. U n e autre clé
p o u r ré u ssir cette m u ta tio n est de se fo ca lise r non seulem ent su r les
grands axes de tra n sfo rm a tio n c u ltu re lle , m ais aussi su r leu rs tra d u ctio n s
concrètes.
P lu sieu rs voies sont possibles. U n e dém arche com plète tout d ’abord, en
co n stru isan t une v isio n à d ix ans com m e nous l’avons fa it po ur C h ro n o d rive
3 dans l ’exem ple déjà cité : l ’entreprise d éfinie co llectivem en t sa m issio n , ses
Û
© valeurs et son am b itio n . E lle peut aussi fo rm aliser une « p ro position de
2 0 F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

valeu r collaborateur » en la concevant po ur qu elle soit alignée sur sa


p ro position de valeu r c lie n t, com m e fa it chez Saatchi G A D . L ’entreprise
peut aussi m ener ce type de tran sfo rm atio n en se cen tran t sur un axe. N ous
avons ainsi aidé une entreprise com m e U n ite d B iscu its France à développer
radicalem ent en quelques m ois une cu ltu re clie n t q u i a bouleversé ses
relations internes et externes.
A p o s te r io r i, l’entreprise devra être vig ilan te sur un p o in t : la cu ltu re
projetée et les élém ents de sens q u i ont été p ro duits so n t-ils vraim en t vécus
au q uotidien ? D ’autant que, com m e M ich e l C ro zie r l’écrivait : « L a
tran sfo rm atio n d’une cu ltu re d’entreprise et du systèm e de rapports
h u m ain s q u i la sous-tend dem ande beaucoup de co n tin u ité et de
persévérance.^ »

— Témoignage------------------------------------------------------------

Les valeurs comme manager invisible, par Yann Trichard


Yann T richard est D irecteur G énéral d e SYD Conseil, société spécialisée dans la
stratégie d igitale et la m ise en œuvre d e systèmes d ’in form ation . F on dée en 1999,
l ’entreprise s’est développée dans les secteurs d e la ban qu e et des assurances, pu is s’est
étendu e dans les dom ain es d e l ’industrie et des services. E lle rassem ble au jou rd ’h u i
une cen tain e d e collaborateurs.
L’objectif de l’entreprise est d’abord sa pérennité, son ancrage dans le territoire,
sa capacité à créer des emplois. À sa création, notre première préoccupation,
T3
notre obsession même, a été le bien-être de nos collaborateurs. Notre projet
O
c d’entreprise ne dissocie pas l’économique du social et du sociétal. En tant que
a
chef d’entreprise, en arrivant le matin dans les bureaux, je voulais des
O
(N
collaborateurs heureux d’être là, souriants, qui prennent plaisir à ce qu’ils font.
@ Nous avons donc créé l’environnement le plus agréable possible : une absence
de hiérarchie form elle, un tutoiement de rigueur, des bureaux ouverts et de
>-
Q. grandes tables pour échanger facilem ent, les meilleures conditions de travail
O
U possibles pour nos consultants nomades.
Il y a environ cinq ans, nous avons voulu passer à la vitesse supérieure en termes de
créativité et d’initiative individuelle, en donnant à chacun plus d’autonomie pour
réaliser sa mission. Cette autonomisation passe d’abord par de nombreux
renoncements. En tant que dirigeant, j ’ai appris à ne plus décider seul de tout. O r
décider c’est a priori naturel pour un patron. Il devient très rapidement l’entonnoir
de tous les processus de l’entreprise qui peut perdre en réactivité et donc en

1. Michel Crozier, L ’e n t r e p r i s e à l ’é c o u t e , InterÉditions, 1989.


L a m is e e n œ u v r e : q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 121

performance. L’autonomie est aussi difficile parce quelle est contradictoire avec le
contrat de travail, dans lequel est inscrit le lien de subordination, et avec les
logiques scolaires qui nous ont conditionnés à obéir.
Pour rompre avec cela, nous avons mis en place un socle de valeurs, que nous
avons définies ensemble : intégrité, respect et solidarité. Elles ont pour nous
un statut très élevé, ce sont presque des valeurs morales. Elles sont faciles à
intérioriser et constituent le fil rouge des actions de tous. En étant aussi
exigeant sur les valeurs, le besoin de managers se fait moins ressentir car nous
passons progressivement de la hiérarchie au respect. Ces valeurs nous guident
sur tout, chaque collaborateur peut se dire, pour chaque décision à prendre :
« si cela ça rentre dans nos valeurs, alors je le fais ».
L’intégrité, par exemple, m’impose de dire que j ’ai commis une erreur plutôt
que de la cacher. Cela m’impose aussi de dire ce que je pense, de comprendre
les contraintes des uns et des autres. Le respect, c’est aussi le droit à l’erreur.
Lorsqu’un collaborateur culpabilise du fait d’une erreur, lu i dire : « E t alors, ce
n’est pas grave, cela prouve que tu as pris des risques ; tu as appris quelque
chose et la prochaine fois tu feras mieux ».
La solidarité, c’est ne pas accepter des phrases comme : « Ce n’est pas dans ma
fonction. Donc je ne fais pas. » Nous partons du postulat que la personne en
charge d’un sujet est la m ieux placée pour prendre les solutions pertinentes.
« Tu penses que je peux faire cette commande ? » est donc typiquement une
phrase que nous ne voulons pas entendre. Nous ne gérons pas de budget, j ’ai
interdit les processus, ou plutôt —comme je ne peux pas interdire - je me suis
mis à les questionner systématiquement. Les seuls processus chez S Y D
T3
O Conseil sont ceux imposés par la loi ou par les clients.
c
rj
Q Pour les collaborateurs, au début, il est difficile de se fam iliariser avec cette
autonomie. Les nouveaux embauchés essaient d’abord de se trouver un chef
Ils se tournent spontanément vers quelqu’un : « Q u’est ce que je dois faire ? »,
@ Ü
« Com m ent est-ce que je m’y prends ? ». Comme nous ne leur donnons jamais
5-
de délais, ils nous demandent : « De combien de temps est-ce que je dispose ? »
Q.
O Nous leur reposons alors la question à l’identique et ils finissent par trouver
U
une réponse.
Le modèle peut sembler un peu dur puisque nous donnons une mission à un
collaborateur en le laissant se débrouiller. La pression n’est donc pas moins
importante qu’avant. Par le passé, les collaborateurs me demandaient
systématiquement mon avis quand ils devaient, par exemple, changer un
serveur. M aintenant je ne suis même plus au courant. Je vois arriver des
machines de plusieurs dizaines de m illiers d’euros sans en entendre parler au
préalable.
—I
22 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

--

Les nouveaux collaborateurs n’ont pas toujours les compétences ou les


connaissances nécessaires pour prendre les bonnes décisions, mais ils
apprennent chez nous à se tourner vers leurs collègues pour demander de
l’aide. Nous investissons massivement en formation avec l’équivalent de 10 %
de la masse salariale et nous n’en refusons quasiment aucune. Si un
collaborateur se sent démuni face à un sujet technique, il lui suffit de demander.
Il arrive même que nous le laissions volontairement se tromper, parce que nous
savons que ce sera pour lui un excellent moyen d’apprendre et de se développer.
L’autonomisation des collaborateurs, ce n’est pas le chaos où chacun fait ce
qu’il veut. Il y a quelques rôles de coordination néanmoins, mais ils ne sont
pas attribués. Ils émergent parce que le besoin s’en fait sentir. C ’est le plus
expert ou le plus ouvert aux autres, celui qui apporte souvent de bonnes
réponses qui finira par être élu pour réaliser ce type de m ission.
Renvoyer chacun à ses responsabilités. Lu i donner carte blanche sur les
décisions. U tiliser nos valeurs comme un fil rouge. Ce dispositif n’aurait
aucun sens si nous oubliions celui qui est au cœur de notre activité, qui
oriente nos objectifs et notre performance, qui détermine bon nombre de nos
repères et nos lim ites : le client.

FORMALISER UNE STRATEGIE CONSTRUITE ET PORTEE PAR TO U S

T3
Q u e l est le niveau de com préhension et d ’ap p ro p riatio n de la stratégie par
O
c
=J l’ensem ble des acteurs q u i ont à la faire vivre ? N om breuses sont au jo urd ’h u i
Q les entreprises dans lesquelles il est faib le , voire n u l. S o it parce que cette
O stratégie est in existan te, soit parce q u e lle est connue et m aîtrisée des seuls
(N

@ dirigeants.
sz
DI D an s notre société contem poraine, l’en viro n n em en t de l’entreprise lu i
‘s_
Q. im pose p o urtan t de s’appuyer su r une stratégie portée et déployée par tous,
O
U
avec un systèm e org anisationnel aligné sur les élém ents de cette stratégie :
p ro position de valeu r c lie n t, business m odel et axes de développem ent.
C ette destination partagée perm ettra en p rem ier lie u de renforcer la
convergence des d ifférents acteurs in tern es. E lle renforcera aussi la
cohérence de leurs actions respectives. E lle générera e n fin m o b ilisatio n et
engagem ent.
C o m prend re où en est l’entreprise sur ce terrain suppose là aussi d’écouter
les collaborateurs, avec une dém arche structurée de type « au d it du niveau
d ’in tégration de la stratégie », com m e celu i com m andé par ce grand groupe
L a m is e e n œ u v r e ; q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 123

in d u strie l. N o tre écoute d ’un panel de collaborateurs s’est appuyée sur deux
questions : « Selon vous, quel est le contenu de la stratégie de l’entreprise ? »
Puis : « Q uels sont les élém ents de cette stratégie qui guident votre action au
q u o tid ien et quel est le u r im p act concret ? » Le résultat de cette enquête a
provoqué un choc, tant la connaissance de la stratégie par les collaborateurs
était parcellaire, m algré les efforts de co m m u n icatio n déployés dans la
période précédente.
Po u r ce q u i est de l ’élaboration du nouveau p ro jet stratégique, la p lu p art
des élém ents d o iven t être co n stru its avec les collaborateurs : ce sont eux
q u i sont au co ntact des c lie n ts, su r le te rrain et q u i connaissent les
o p p o rtu n ités. Seuls d o iven t être conçus en am ont par les dirigeants avec
les représentants des actio n n aires quelques élém ents q u i ren vo ien t au
po sitio nn em en t stratégique de l’entreprise su r ses m archés. E n v e illa n t
bien sû r ensuite à les exp liq u e r et à les « vendre » aux collaborateurs de
l’entreprise.
P o u r ce q u i est de la co n stru ctio n par l ’ensem ble du corps so cial du
p ro je t stratég ique de l ’e n tre p rise , les dém arches que nous accom pagnons
su r ce thèm e so nt stru ctu rées en tro is tem ps. Le p o in t de départ est
cen tré sur le partage et la d iffu sio n des in fo rm a tio n s d isp o n ib le s. I l s’agit
d ’une p art de c a p ita lise r su r la co n n aissan ce par ch acu n du secteur
d ’a c tiv ité , des c lie n ts et du business de l ’e n tre p rise , d ’autre p art d’ in tég rer
les apports d ’exp erts. C es d ern ie rs élém ents ne so nt p o sitio n n és que
com m e des éclairag es, su r la base desquels le corps so cial d écid era. D a n s
une d euxièm e phase, les d iffé re n tes équipes et en tités p ro d u ise n t des
T3
réponses. L a stru c tu ra tio n de cette étape de p ro d u ctio n est essentielle : le
O
c
rj c h o ix des q u estio n s posées, le séquencem ent entre tem ps de p ro d u ctio n
Q
par les équipes, tra va u x de synthèse et re stitu tio n s in te rm é d ia ire s, a in si
O
fN que l ’a n im a tio n de la dém arche c o n d itio n n e n t la q u alité des contenus et
@ l ’a p p ro p ria tio n . D a n s la p lu p a rt des e n trep rises, cette a n im a tio n est
assurée par les m anagers q u i d o ive n t alors v e ille r à co n server une posture
5-
Q. de fa c ilita tio n , sans que le u r p o sitio n ou le u r avis ne v ie n n e n t lim ite r les
O
U
co n ten u s p ro d u its. M a is elle peut aussi être p rise en charge par d ’autres
co llab o rateu rs vo lo n taire s et form és à la d ém arche. L a tro isièm e phase,
celle du partage du p ro je t stratég ique q u i au ra été p ro d u it, est
p rim o rd ia le , p u isq u ’elle co n d itio n n e la m o b ilisa tio n u lté rie u re de
ch acu n des co llab o rate u rs dans le d ép lo iem en t et la m ise en œ uvre
e ffe ctive . P ar la su ite , une a n im a tio n rég u lière d evra perm ettre de
m a in te n ir la d yn am iq u e a in si créée et de fa ire évo lu er dans le tem ps ce
p ro je t stratég iq u e.
24 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

ASSURER lA M ON TEE EN RESPONSABILITE ET EN COM PETEN CE

L ’entreprise est confrontée à un im p é ra tif : dépasser une réalité dans laquelle


de nom breuses réactions et décisions sont inadaptées puisque fa c te u r en
situ atio n n’a pas les marges de m anoeuvre nécessaires et qu’il ne m aîtrise
souvent pas les com pétences u tiles po ur décider de façon pertinente.
L a réponse est de m ettre en oeuvre le p rin cip e de su b sid ia rité ,
l ’entreprise étant com posée d ’in d iv id u s responsables q u i vo n t m o b ilise r
au q u o tid ie n to u t le p o ten tie l o u vert par la lib e rté et l ’autonom ie q u i sont
les le u rs, au service du p ro je t c o lle c tif C e q u i suppose que cette
resp o n sab ilité so it co m prise (en jeu d ’in fo rm a tio n ), acceptée (en jeu
d ’ad h ésio n ), m aîtrisée (en jeu de com pétence) et encouragée (en jeu
d ’ in c ita tio n ). I l s’ag it d ’en trer dans un m onde d ’ad ultes, dans lequel
chaque co llab o rateu r peut d ire : « J ’ai l ’ave n ir de l’en trep rise en p artie
entre mes m ain s. »
Pour savoir d ’où elle p art, l’entreprise peut réaliser un au d it de ses modes
de fonctionnem ent effectifs, tel que ce lu i m ené po ur l ’A g efiph : quelles sont
les situatio ns auxquelles les collaborateurs sont confrontés ? Q uelles sont les
réponses qu’ils y apportent au jo u rd ’h u i ? Q u elles sont celles qu’ils
aim eraient y apporter ? L a dém arche peut être e n rich ie en analysant ce
qu’est le vécu e ffe c tif des clie n ts, com m e avec la dém arche de type « clie n t
m ystère » que nous avons déployée dans plusieurs m agasins d’un de nos
clien ts pour évaluer la capacité effective de décision de ses vendeurs face à
différentes situ atio n s.

T3
Le prem ier à b énéficier de cette m ontée en responsabilité et en
O
c:
:d com pétence sera bien sûr le clie n t q u i recevra des réponses m ieux adaptées à
Û son besoin. L ’entreprise p o urra quant à elle s’appuyer su r les in itia tive s pour
am éliorer ses pratiques et id e n tifie r de nouvelles op portunités de business.
Sans com pter l’épanouissem ent des collaborateurs au tra vail généré par ces
sz nouveaux m odes de fo n ctio n nem en t.
DI
>-
Q. Les m anagers o nt un rôle cru cia l dans cette tran sfo rm atio n . Pour ne
O
U
prendre que quelques exem ples dans des référentiels de m anagem ent que
nous avons co n trib u é à co n stru ire , le m anager d’E u ro p car « responsabilise
ses collaborateurs dans la prise de d écisio n . » C e lu i de C yrillu s-V ertb au d e t
« encourage l’in itia tiv e et la prise de risq ue. » C h e z E u ro v ia , il « valorise et
reco n n aît les com portem ents entrepreneuriaux de ses collaborateurs. » Les
salariés qui so uffrent au q u o tid ien de fonctionnem ents incapacitants de
l’organisation seront bien sûr des alliés.
U n e des voies que nous adoptons régulièrem ent pour enclencher cette
dynam ique consiste à m ettre en place et à an im er des ateliers en posant une
L a m is e e n œ u v r e ; q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 125

question : « Face à telle situ a tio n , si vous aviez toutes marges de m anoeuvre,
com m ent vous-y prendriez-vous ? » et en laissant les collaborateurs
co n stru ire 100 % des réponses. C e q ui suppose que l’entreprise joue le jeu
et so it prête à se rem ettre en cause. U n ch an tier de ce type avait été in itié il y
a quelques années par une grande entreprise p ub liq ue de transport sur le
développem ent de la cu ltu re clients de ses vendeurs. A la question : « Vous
avez ch o isi ce m étier parce que c’est un m étier de contact où vous pouvez
rendre service. Q u e fa u d ra it-il faire po ur que vous puissiez le faire m ieux ? »,
les suggestions avaient fusé. M ais certaines rem ettaient en cause des
élém ents de la p o litiq u e com m erciale de l ’entreprise peu favorables au
c lie n t, ce q ui a entraîné l ’arrêt b ru tal du p ro jet.
L a réussite de cette tra n sfo rm a tio n d ’envergure suppose égalem ent de
v a lo rise r et de d iffu se r les in itia tiv e s . E lle nécessite p ar a ille u rs de
tra v a ille r la « m ontée en re sp o n sab ilité » com m e un o b jet en tan t que tel :
cib les in te rm é d ia ire s, accom pagnem ent m is en p lace, o u tils déployés,
etc.
L a logique « d escrip tio n de fo n ctio n » est alors rem placée par une logique
« chem in de m ontée en com pétence ». U n e in te rve n tio n po ur une stru ctu re
de Private E q u ity nous a am enés, p lu tô t que de co n stru ire des fiches de
poste au caractère lim ita n t com m e l ’envisageait in itiale m e n t cette
entreprise, à m ettre à la d isp o sitio n des collaborateurs des élém ents sur les
com pétences à acq uérir po ur évoluer de façon flu id e du m étier de chargé
d ’affaires à celu i de responsable d’investissem ents, puis à celu i de responsable
de pôle.
X3 A u cœ ur de cette m ontée en responsabilité, le d isp o sitif d’accom pagnem ent
O
c
rj de la m ontée en com pétence des collaborateurs est essentiel. L ’entreprise ne
Q
peut plus se lim ite r aux m odalités de développem ent descendantes : la
form ation sous sa form e trad itio n n elle est de plus en plus inadaptée et le
quotidien d oit devenir la p rin cip ale m odalité de développem ent des
com pétences, par exem ple en œ uvrant dans quatre d irectio ns. To u t d’abord
>-
Q.
O organiser les activités et leu r rép artitio n de m anière à ce que la pratique du
U
m étier soit elle-m êm e apprenante. En su ite travaille r les capacités du m anager
à développer les com pétences de ses collaborateurs via son accom pagnem ent
régulier. Puis pro m ouvoir et organiser des logiques de co-développem ent :
groupes de p airs, binôm es, etc. qui alim enteront une dynam ique de
développem ent c o lle c tif E n fin , construire des m om ents dédiés à
l’apprentissage q ui p rivilég ien t les m ises en situ atio n sur des cas de la vie
réelle, sous la form e d’ateliers, avec beaucoup plus d’im pact que les apports
3 descendants. Plusieurs caisses régionales du C ré d it A g rico le ont œ uvré avec
Û nous ces trois dernières années au développem ent des com pétences de leur
©
26 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

réseau com m ercial au travers de m odalités de ce type, avec deux objectifs :


développer les com portem ents entrepreneuriaux et renforcer l ’orientation
clie n t. Leurs résultats économ iques ont pleinem ent validé la pertinence de
l’approche.
Lib é re r l’in itia tiv e et la responsabilité passe égalem ent par une lib ératio n
du tem ps de tra vail et de ses horaires im posés. L ’entreprise et le collaborateur
d o iven t s’a ffra n ch ir de d isp o sitifs horaires q ui relèvent eux-aussi de
l’héritage taylo rie n . M ais cet im p é ra tif appelle im m édiatem ent une
précaution : l’entreprise d o it accom pagner ses collaborateurs pour que cette
nouvelle approche du tem ps de tra vail ne se traduise pas par un
surinvestissem ent, avec une pression q u i serait d irectem ent exercée par
l’entreprise ou in tério risée par l’ intéressé.

METTRE EN PL>\CE DES STRUCTURES FACILITANTES

I l s’agit pour l’entreprise de dépasser les m odèles d écrits plus haut com m e
autant de « m aladies » q u i vien n en t obérer son développem ent et celu i de
ses collaborateurs.
N ous chercherons m oins ic i à décrire l ’organisation idéale qu’à
com prendre com m ent l ’entreprise peut être structurée pour lib érer to ut le
po ten tiel q u e lle recèle. P lu sieu rs caractéristiques se dégagent des entités qui
o nt réussi cette tran sfo rm atio n . L a stru ctu re m ise en place est tout d’abord
entièrem ent orientée vers le m onde extérieur, son en viro n n em en t, ses
clien ts com m e les acteurs de son écosystèm e. Par a ille u rs, elle est sim ple et
T3
O
c: lisib le par tous, en in tern e com m e en externe. C haque grande responsabilité
:d
Û sur un des enjeux m ajeurs auxquels l’entreprise d o it faire face est assurée par
O une entité op érationnelle q u i dispose d’une autonom ie forte. Les
(N

@ articu latio n s entre ces entités ont été pensées par les équipes. E n fin , le
cham p de responsabilité de chaque collaborateur, que l ’entreprise parle de
DI
's_
fo n ctio n s ou de rôles, a été posé de m anière à ce que son exercice soit
D.
O apprenant po ur celu i q u i l’exerce.
(J

E n partant de ces quelques p rin cip es, toute entreprise peut m ettre en place
la structure q ui lu i perm ettra de libérer l’in itia tiv e et le potentiel d’innovation
de ses collaborateurs, d’apporter au quotidien des réponses adaptées aux
demandes auxquelles elle est confrontée et en p articu lie r aux besoins de ses
clients, et de renforcer l’engagement de tous ceux qui la com posent.
L’analyse des structures d ont l’entreprise a héritée et des activités q u e lle
porte est souvent délicate : elles sont to ujours beaucoup plus com plexes que
ne le laisseraient penser les docum ents form els que sont les organigram m es.
L a m is e e n œ u v r e ; q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 127

processus q u alité et d escrip tions de fo n ctio n . L a seule voie pour appréhender


ce qu elles sont réellem ent est d ’associer à le u r conception ceux q ui les fo n t
vivre au q u o tid ien .
N ous avons accom pagné ce tra vail d’analyse détaillée des activités d’un
site in d u strie l q u i a lla it su p p rim er 20 % de ses effectifs. M algré cette
donnée, l’exercice a été m ené avec une p a rticip atio n effective de la très
grande m ajorité des collaborateurs. C e la n’a été possible que parce que
quatre co n d itio n s étaient réunies : tous étaient conscients du risque de
d isp aritio n du site ; la d irectio n avait dès le départ été transparente sur les
suites q u i seraient données à cet exercice ; elle avait p ris des engagements
sur les m esures sociales q u i seraient m ises en œ uvre ; des investissem ents
sig n ificatifs a llaie n t être réalisés en parallèle po ur co n co u rir à l’avenir du
site. Pour autant et fo rt heureusem ent, ce type d ’exercice peut bien sû r être
réalisé dans d’autres circonstances, lorsque la situ atio n économ ique de
l’entreprise à co u rt term e ne le lu i im pose pas.
L a dém arche de fo rm alisatio n de l ’organisation cib le , à p a rtir des
caractéristiques développées plus h au t, ne peut se faire qu’avec les intéressés,
en écoutant et en respectant ce qu’ils exp rim en t et p réconisent. U ne fois de
p lu s, ce sont eux q u i connaissent la réalité du tra vail que l ’entreprise d o it
réaliser.
E lle d o it être menée avec une double approche, m acro et m icro .
L ’approche m acro consiste à poser la stru ctu re d’ensem ble. C ette opération
de reengineering de l’o rg anisatio n , m êm e si le term e n’est plus en vogue et
reste associé dans l’esprit de beaucoup à des baisses d ’effectifs, d o it être
T3 centrée sur la relatio n de l’entreprise à son en viro n n em en t. N ous avons
O
c:
:d m ené un projet de ce type pour la Banque des États d’A friq u e C e n tra le , q ui
Û
est à cette zone de six pays ce que la Banque C e n trale Européenne est à
O
(N l’U n io n européenne. C ’est en p artan t des m issions que cette in stitu tio n
@ d o it assurer qu’il a été possible de fo rm aliser une stru ctu re d’ensem ble q ui
so it à la fois cohérente et efficace.
Q.
O L’approche m icro concerne quant à elle les entités de base et les activités
(J
q u elle s assurent. C ’est une approche ité rative , altern an t des séquences de
pro d u ctio n de chacune des entités et un partage entre les équipes des m odes
de fo n ctio n nem en t envisagés par chacune, q u i nous a perm is de m ettre en
place des équipes autonom es po ur un équipem entier autom obile.
28 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

— Témoignage------------------------------------------------------------

Le collaborateur entrepreneur, par Thibaud Brière


T h ibau d B rière est « philosophe d e ^organisation » au sein du groupe H ervé, une
entreprise fa m ilia le créée il y a plu s d e qu aran te ans. E lle est spécialisée dans la
conception, ^installation et la m ain ten an ce d e systèmes et technologies utilisés
dans le batim en t et réalise un ch ijfre d'affaires d e 4 8 5 m illions d'euros, en France
et à l'étranger. Son créateur, M ich el H ervé, est aujou rd'hui P résident du C onseil
d e surveillance et concentre son a ctiv ité sur la m ise en œuvre d e sa « ph ilosop h ie
d'entreprise ». L e groupe est d irig é opération n ellem en t p a r E m m an u el H ervé,
P résident du D irectoire.
Le modèle d’organisation de notre groupe vise un seul objectif : faire de
chaque collaborateur un intra-entrepreneur, c’est-à-dire un entrepreneur
intégrant dans ses décisions celles du collectif auquel il appartient. La notion
d’intra-entrepreneuriat est propre au groupe Hervé. Elle se distingue de
l’intrapreneuriat, en tant que systématisation poussée à l’extrême de la logique
entrepreneuriale à toute l’organisation et à chaque collaborateur.
Pour ce faire, l’entreprise est structurée de manière « fractale », avec une forme
invariante à tous les niveaux. L’unité de base est constituée par une équipe
autonome d’une quinzaine de personnes. Les équipes sont ensuite regroupées
en territoires, à raison d’une quinzaine d’équipes par territoire. En fin , la
quinzaine de territoires constitue l’ensemble du groupe. Nous avons là toute
la structure de l’entreprise : trois niveaux hiérarchiques, très peu de fonctions
support et 2 800 salariés.
L’équipe de quinze personnes constitue donc notre cellule fondamentale.
T3
O
c M ichel Hervé a en effet constaté à partir d’observations empiriques qu’en deçà
rj
Q d’une dizaine de personnes, le collectif ne prend pas réellement, et qu’au-delà
O de 20 personnes, les effets de taille induisent le retour d’une hiérarchie pesante.
fM

(5) Chacune des 180 équipes autonomes fonctionne comme une P M E : elle gère
la relation client sur son périmètre, recrute, licencie, prend les décisions
>- d’investissement, les finance, définit sa stratégie, fait des propositions de
Q.
O croissance externe et assure l’ensemble des activités dites « support » comme
U

le juridique, la com ptabilité et les ressources humaines. Chaque équipe se


dote d’un manager d’activité, qui a un rôle d’anim ation du collectif et de
porte-parole de l’équipe vis-à-vis du niveau supérieur. Quinze managers
d’activité vont donc se retrouver ensuite autour d’un territoire, et les quinze
managers de territoire constituent le comité de direction du groupe.
Chez nous, il y a donc bel et bien des managers, mais il y en a peu. En tout cas
moins que dans la plupart des groupes de taille comparable. Nos managers
d’activités sont des patrons de P M E : ils doivent être en mesure de maîtriser
L a m is e e n œ u v r e : q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 129

toutes les dimensions de la gestion d’une entreprise pour le périmètre


d’intervention de l’équipe. Ils sont aussi des animateurs d’équipe : chaque
décision est prise par le collectif. Le rôle du manager n’est donc pas tant de
prendre position que d’animer ce collectif pour prendre les meilleures
décisions. Il doit notamment s’assurer que chacun a pu s’exprimer, en régulant
la dynamique du groupe.
Une fois que le collectif a pris une décision, le manager porte et incarne
personnellement celle-ci, en particulier dans ses échanges avec les autres
managers. Incarner n’est pas un vain mot ici : nos managers ont tous une
délégation de signature et sont donc juridiquem ent et pénalement
responsables en cas de problème au même titre qu’un chef d’entreprise.
Concrètem ent, les décisions clés de l’équipe se prennent lors de réunions
mensuelles, animées par le manager, mais dont l’ordre du jour est déterminé
par chaque membre de l’équipe qui met à l’agenda les sujets qu’il pense
importants.
Le manager est aussi un éducateur, en particulier en matière de savoir-être :
autonomie et esprit entrepreneurial. D ’ailleurs, nous avons une conception
exigeante de la notion d’em ployabilité. Chaque salarié doit être en mesure de
créer sa propre entreprise, s’il venait à quitter l’entreprise, puisqu’il est en
interne coresponsable de l’équivalent d’une P M E . Cette exigence a des
conséquences pratiques. Nous nous assurons par exemple que chaque salarié
est aguerri à l’ensemble des fonctions d’une entreprise, au-delà des pures
compétences techniques qu’il peut avoir. Nous avons ainsi identifié onze
domaines fonctionnels transverses : com ptabilité ou juridique, par exemple.
T3
O Les rôles fonctionnels sont portés au sein de chaque équipe par un « animateur
c:
Q fonctionnel », membre de l’équipe exerçant son métier par ailleurs comme
tous les autres. Ces missions d’animation fonctionnelle sont basées sur le
volontariat et si possible tournantes. Chaque salarié est donc à terme censé
posséder toutes les connaissances et compétences utiles à la création de sa
propre entreprise.
>-
Q.
O Tout cela est un apprentissage permanent, tant au niveau individuel que
U
pour le co llectif Nous affinons ces modes de fonctionnem ent, que nous
adaptons sans cesse pour les rendre plus efficaces. Nous travaillons beaucoup
sur la régulation de la dynamique de groupe et la form ation des managers à
ce rôle de catalyseur. Nous recherchons en permanence la prise de décision
collective.
Nous nous nourrissons de ces innovations locales pour faire évoluer nos
modes de fonctionnement collectifs, au même titre que nous nourrissons la
stratégie du groupe des apports de chaque équipe sur le terrain.
3 0 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

REGULER LES INTERACTIONS

D ans l’organisation dont nous avons héritée, la régulation des rapports entre
les personnes et les équipes est assurée par une structure hiérarchique, qui
arbitre et décide, tout en étant elle-m êm e parcourue par des tensions et co n flits,
ainsi que par des process, des norm es et des règles. D ans la transform ation de
son m anagem ent des hom m es et des organisations, l’entreprise est confrontée
à un enjeu de déconstruction de ce mode de régulation.
N ous l’avons déjà évoqué, il y a dans toutes les organisations hum aines
un besoin de cohérence entre les personnes et entre les équipes. C e qui
suppose d’organiser les in teractio n s et de fa c ilite r échanges et relatio ns. S i
ce n’est n i les process et les norm es, n i le m anagem ent descendant, qu’est-ce
q u i, dans l’entreprise, va assurer cette fo n ctio n de régulation ?
I l s’agira pour p artie, bien sûr, du sens partagé, puisq u’il servira de
boussole à tous et renforcera le lie n so cial. M ais aussi des m odalités de
co o rd inatio n et de régulation q u i au ro n t été adoptées par tous, parce
qu’apportant une véritab le valeu r ajoutée. I l y a donc nécessité pour les
intéressés de d é fin ir ces m écanism es. A vec un accent p a rticu lie r dans tro is
d irectio n s : la d iffu sio n et le partage de l’in fo rm a tio n , les processus de
d écisio n , le traitem ent des désaccords voire des co n flits.
C ’est ain si qu’il sera possible de d é m u ltip lie r la capacité de l ’entreprise à
s’adapter à son en viro n n em en t, et en p a rticu lie r aux besoins de ses clie n ts. Il
s’agit égalem ent d ’une co n d itio n po ur que la m o b ilisatio n des potentiels
in d ivid u e ls soit au service de l ’in tellig en ce co llective.

T3
Pour préparer et accom pagner une ru p tu re q u i est d’abord cu ltu re lle ,
O
c:
:d l’entreprise d o it tenter d ’id e n tifie r les résistances q u i p o u rraien t apparaître
Û dans une dém arche co n d uisan t à q u itte r les anciens m odes, qui peuvent
être vécus par certains com m e des repères rassurants. D e m êm e q u e lle d oit
repérer les leviers et po ints d’ap p u i. C e q u i suppose une analyse effective
DI des enjeux de p o uvo ir, des rapports de force et des intérêts contrad ictoires
's_
D. q ui existent dans l’entreprise.
O
(J
P roduire cette analyse nécessite là aussi d’écouter les intéressés : c’est en
an im an t sur des séances d’une d em i-journée l ’expression d ’une q uinzaine
de groupes de volo ntaires que nous avons pu m ener un p ro jet de ce type
po ur une entité en charge d ’une m ission d’u tilité p u b liq u e. L a restitu tio n
de l’analyse réalisée à p a rtir des élém ents re cu eillis devant l’ensem ble des
collaborateurs a constitué le p o in t de départ de la tran sfo rm atio n .
L ’adoption de ces m odalités de régulation par tous suppose q u elle s aient
été co n stru ites, explicitées et décidées par les intéressés. À l ’occasion de la
m ise en place de nouveaux ateliers, un des leaders m o n d iau x du secteur de
L a m is e e n œ u v r e : q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 131

l’aéronautique a revu non seulem ent les processus de p ro duction et


l’org anisation, m ais aussi les règles de fo n ctio n nem en t pour q u elle s
perm ettent à chacun d ’in ve stir tout son périm ètre de responsabilité. Le
« m anagem ent book » rédigé par les collaborateurs eux-m êm es rassem ble
des élém ents sur la stratégie de l’entreprise, sa d éclin aiso n dans chaque
atelier, les com portem ents transverses à p rivilég ie r, le rôle attendu des
m anagers, les grandes lignes des d ifférents m étiers. S ’y ajoutent d ix « red
lin es » qui fo u rn issen t un cadre vo lo ntairem en t léger, dans lequel
l’expression des com pétences de chacun est fa cilité e . Peu nom breuses et
form alisées par les intéressés, ces règles perm ettent d ’e xp licite r certaines
co n train tes, notam m ent en m atière de sécurité et de q u alité , et de fo u rn ir à
chacun le m ode d’em ploi des ateliers.
Les m odalités q u i seront retenues po ur d é fin ir ces m odes de régulation
app artiennent à l ’entreprise, elles lu i sont spécifiques. E lle s sont pertinentes
en prem ier lie u parce que décidées par les acteurs eux-m êm es. Lorsque nous
avons accom pagné la co n stru ctio n de ces nouveaux m odes de régulation
dans un groupe de l ’ag ro-alim entaire, nous avons ain si été vig ilan ts à nous
centrer sur l ’an im atio n de la p ro d u ctio n des réponses spécifiques à
l ’entreprise, en nous lim ita n t à des apports m éthodologiques et à des
éclairages à p a rtir d ’expériences réussies.
L ’expérience m ontre cependant que les réponses ain si apportées d oivent
être en nom bre lim ité . E lle s com prennent un « po urq uoi » c la ir q ui
perm ettra le cas échéant de déroger en situ atio n au « com m ent » s’il se révèle
inadapté. E lle s intègrent p leinem ent l’im p é ra tif éthique de respect de
l’in d iv id u . L ’approche adoptée d o it être dynam ique dans le tem ps : il fau t y
T3
O
c: reven ir régulièrem ent po ur perm ettre une tran sfo rm atio n progressive des
:d
Û com portem ents in d ivid u e ls et co lle ctifs.

sz
DI
CONSTRUIRE DES POLITIQUES RH PARTAGEES
>-
Q.
O C ertain es entreprises sont au jo u rd ’h u i pourvues de p o litiq u es et processus
U
R H déconnectés des enjeux op érationnels, parce que co n stru its par des
« experts » adoptant une approche standardisée, u n iversaliste, en étant
centrés sur la technique R H et sans y associer les opérationnels. C es
p o litiq u es et processus sont vécus com m e plaqués sur la réalité, et ajo utant
des contraintes q u i ne sont pas com prises.
Q u ’il s’agisse de recrutem ent, de gestion de la perform ance ou de
rém u nératio n , les po litiq u es R H sont partie intégrante des modes de
régulation traités ci-dessus. C elles que l’entreprise cib le d oivent posséder
plusieurs caractéristiques. E lle s in te rvie n n en t en cohérence et en
32 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

renforcem ent des élém ents de sens, sont alignées sur la stratégie et ont une
véritab le valeu r ajoutée pour le business en fa c ilita n t l ’a ctivité q uo tid ien n e.
E lle s sont sous-tendues par une logique de lib é ratio n du potentiel et de
développem ent des personnes. E lle s sont équitables et vécues com m e telles
par tous. Elle s ont été conçues par le c o lle c tif su r la base de ch o ix éclairés.
E lle s sont portées et déployées q u alitativem en t par l’ensem ble du corps
so cial, avec une m ontée en com pétence progressive de chaque acteur et une
m ise en œ uvre effective où chacun assum e pleinem ent sa responsabilité à
p a rtir du partage des rôles d éfin i entre collaborateur, m anager et R H .
S u r l ’analyse des p o litiq u es R H existantes, il s’agira là aussi d’écouter les
collaborateurs sur ce qu’ils en com prennent, sur la fin a lité perçue et sur la
valeu r ajoutée q u e lle leu r apporte ou pas. L’analyse des po litiq u es R H et de
le u r percep tion, telle que nous l ’avions menée pour Pagesjaunes, avait ain si
m is en évidence un décalage im p o rtan t entre les attentes des opérationnels
et l’existan t.
Pour ce q u i est des nouvelles po litiq u es R H à co n stru ire, tous les acteurs
m obilisés d oivent p a rtir des enjeux à adresser, et en p rem ier lie u des enjeux
business. L a p o litiq u e adaptée en m atière de recrutem ent ou de
rém unération par exem ple, sera celle q u i alim entera la réponse à ces en jeu x.
U n groupe de services du C A C 40 que nous avons accom pagné sur sa
p o litiq u e de gestion des carrières a ain si m is en évidence ces déterm inants
business auprès de ses m anagers : « C e que vous, m anagers, apportez en
m atière de gestion des carrières de vos collaborateurs est essentiel po ur
l’entreprise po ur plusieurs raisons. U n de nos axes stratégiques consiste à
T3
favoriser les transferts de savoir-faire au sein de l’entreprise. E n développant
O
c
rj la gestion des carrières de vos collaborateurs, vous co n trib u ez à m atérialiser
Q
cet o b je c tif N ous voulons développer une cu ltu re groupe, dépassant le
O
fN fo n ctio n nem en t en silo s. A ccom pagner les collaborateurs dans ce
@ changem ent suppose plus de m o b ilité , po ur que chacun puisse développer
SI
ai une visio n intégrée. D es plans de relève plus riches nous perm ettront
>-
Q. d’accélérer notre croissance en disposant des p ro fils nécessaires, notam m ent
O
U dans les opérations de croissance externe, et de faire face à notre
in te rn atio n a lisa tio n . »
Les po litiq ues R H ain si définies d oivent aussi reposer sur une pro position
de valeu r collaborateur cohérente avec la pro p o sitio n de valeu r clie n t. N ous
avons aidé Eg is R a il, spécialisé dans l’in génierie des transp o rts, à id e n tifie r
qu’avec sa volo nté de se d ifféren cier sur ses m archés par son niveau
d ’expertise, l ’entreprise se devait d ’in ve stir de m anière sig n ificative dans le
développem ent de com pétences exclusives chez vos collaborateurs et de
renforcer ses d isp o sitifs de détection et de gestion des experts. C ’est sur
L a m is e e n œ u v r e : q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 133

cette base qu’Eg is R a il attire et retien t désorm ais les p ro fils d ’ingénieurs que
l’entreprise cib le et q u e lle réussit à faire face à une véritab le guerre des
talents dans le secteur.
L a clé réside dans les personnes im pliquées dans cette élaboration : plus
elles seront nom breuses, plus les p o litiq u es adoptées seront pertinentes et
déployées q u alitativem en t. E t qu’on ne com pte pas sur nous pour présenter
ic i les po litiq ues R H à m ettre en oeuvre ! C e lles à cib le r par l’entreprise ne
peuvent être prédéfinies puisque devant être adaptées à ses enjeux et
construites par ses collaborateurs. Lorsq ue nous accom pagnons une
entreprise su r ce te rra in , nous nous centrons sur l ’an im atio n
m éthodologique de la dém arche d’élaboration, en l ’appuyant par des
éclairages q u i visen t à « élarg ir le cham p de réflexio n » de nos in terlo cu teu rs.
C ’est ain si qu’un groupe in d u strie l du N o rd , challengé su r le p rin cip e
consistant à lim ite r au seul binôm e collaborateur-m anager la responsabilité
de fixe r les ob jectifs in d ivid u e ls, a élaboré une approche innovante en la
m atière : m ettre en place des journées de fixa tio n des ob jectifs in d ivid u e ls
m o b ilisan t une équipe com ptant ju sq u ’à 50 personnes. E n entrée, les
ob jectifs globaux de l’en tité. P uis une organisation très structurée de la
journée en séquences de tra vail par sous-groupes. E t en so rtie, les ob jectifs
in d ivid u e ls de chaque m em bre de l’équipe, articu lés entre eux, cohérents,
partagés et connus de tous.
C ette réalisatio n illu stre la nécessité de s’interroger lors de la d éfin itio n
de ces po litiq ues sur les acteurs q ui la p o rtero nt. P lu s ceux q u i seront en
charge de sa m ise en œ uvre seront nom breux, plus elle sera pertinente et
T3
efficace.
O
c
rj Pour que cet exercice de d é fin itio n reste u tile à long term e, il est donc
Q
essentiel d u ran t sa réalisatio n de capturer les po urq uoi des ch o ix adoptés et
de ne considérer les com m ent q u i sont retenus que com m e des m odalités
possibles. D ’autres m odalités p o u rro n t être m ises en œ uvre si, en situ atio n ,
elles répondent m ieu x aux p o urq u o i. C ’est ain si que l’entreprise évitera le
a.
O retour p ro gressif à des m odes de fo n ctio n nem en t q u i auraient perdu leur
(J
sens in itia l.

REPOSITIONNER LES MANAGERS

C e q u i d o it être abandonné, c’est bien sûr le m ode de m anagem ent


descendant, de type « com m and and co n tro l », calqué sur le m odèle
m ilita ire ou p atriarcal à l’ancienne, avec ses décisions unilatérales et non
expliquées, ses ordres, sa fo n ctio n de contrôle et son p o u vo ir de san ctio n .
3 4 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

M ais pas seulem ent. Tous les m odes dégradés de ce m odèle doivent aussi
être dépassés parce que basés sur une conception des rapports dans
l’entreprise q u i n’est pas co n ciliab le avec les logiques de responsabilité, donc
avec les enjeux d’au jo u rd ’h u i.
Pour autant, le sujet n’est pas celui de la suppression des m anagers. A
fo rtio ri s’il s’agit de les rem placer par des « leaders n o u rriciers ». M ais celui de
l’adoption d’un positionnem ent radicalem ent d ifféren t, en alignant
l’exercice de l’autorité sur ce qu’il est devenu dans les autres sphères de notre
société contem poraine. I l s’agit de passer du m anager considérant ses
collaborateurs com m e des ressources à sa d isposition au m anager se
p o sitio nn an t com m e ressource à la d isposition de ses collaborateurs. I l est au
service de ses collaborateurs, tout com m e ceux-ci sont au service des clien ts,
dans une logique de pyram ide inversée. I l ne donne pas des in stru ctio n s, il
partage une in te n tio n . I l est là pour fa cilite r, accom pagner et flu id ifie r,
développer, encourager et reconnaître. A u lieu d ’im poser ses réponses
lorsqu’une question d o it être traitée, il questionne : « Q u ’en pensez-vous ? »
Les dirigeants de la G en d arm erie N atio n ale se sont interrogés sur la
différence entre com m andem ent et m anagem ent. C ertain es situatio ns
d’in te rve n tio n im posent bien sû r la d ire ctiv ité , en p a rticu lie r quand la
sécurité des personnes est en je u . M ais le reste du tem ps, m anager « com m e
s’il y avait le feu » n’est plus adapté n i à la situ a tio n , n i aux rapports existants
dans notre société contem poraine. M êm e po ur une stru ctu re m ilita ire ,
cette m utation est indispensable.
C o m m e n t l ’entreprise peut-elle disposer d’une photographie ob jective
"O de ce que sont les p ratiq ues de m anagem ent effectivem en t déployées en
O
c:
:d son sein ? E lle d o it être v ig ila n te au b iais qu’ in tro d u ise n t les enquêtes
Û
d ’o p in io n q u an titatives : lorsque leurs résultats sont très p o sitifs su r les
O
(N questions de m anagem ent, c’est p arfo is parce que le m anager a renoncé à
@ jo u e r son rôle et qu’il se p o sitio n n e en « m anager cop ain ». A u vu de la
d im en sio n affective que peut re vê tir la relatio n entre m anager et
5-
Q.
O co llab o rateu r, il est essentiel de se cen trer su r les fa its, plus que su r les
U
o p in io n s ou les ressentis. Po u r cela, le plus sim p le consiste à évaluer la
q u alité des pratiques de m anagem ent en situ a tio n , à travers le u r m ise en
œ uvre effective. Po u rq u o i in tro d u ire les b iais in évitab les d ’autres
approches plus in d ire cte s, alors qu’il est possible d ’observer en d irect ces
pratiques ? C e rta in e s entreprises o nt m is en place une dém arche d ’au d it
des pratiques m anagériales, com m e cette enseigne de la d istrib u tio n
spécialisée dans laq u elle nous avons co n stru it un d isp o sitif basé sur
l ’in te rvie w des collaborateurs à p a rtir de questions factuelles et q ui est m is
en œ uvre une fois par an dans chacun de ses m agasins.
L a m is e e n œ u v r e ; q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 135

U n e fois ces élém ents d isponibles, il s’agira de m ettre en place la dém arche
qui perm ettra de réinventer le m anagem ent : d é fin ir le rôle et la posture
attendus, les com pétences à développer et les m oyens pour y parvenir. D ans
les entreprises où nous avons accom pagné cette tran sfo rm atio n, com m e
N exans, E u ro v ia , O rangina-Schw eppes, Eu ro p car, Lesaffre ou Lacoste, nous
avons d’abord form alisé avec les intéressés les com pétences m anagériales
qu’ils auraient à déployer. Elle s ont été construites pour se rvir à la fois la m ise
en œ uvre du projet stratégique et un repositionnem ent rad ical des m anagers.
Puis ont été élaborés les o u tils perm ettant à chacun de disposer d’une
évaluation objective de son niveau de m aîtrise de ces com pétences
m anagériales, ain si que les m oyens perm ettant de les développer.
D ern ière co n d itio n de réussite de cette tran sfo rm atio n , la stru ctu re
m anagériale d o it être alignée sur la cib le . Les m anagers sont parfois en
nom bre in su ffisa n t. E t nom breuses sont les entreprises où les m anagers
adoptent un style d ire c tif faute de tem ps et parce qu’ils sont sous pression.
E t il est bien sûr illu so ire d’attendre un changem ent de posture du m anager
si la charge de tra vail découlant de la co n fig u ratio n de son poste ne lu i
perm et pas de l’exercer.

- Témoignage------------------------------------------------------------

Le développement managérial et la contribution individuelle


au cœur de la transformation, par Charles Lantieri
et Pierre-Marie Argouarc’h
T3
O
c
C harles L a n tieri est D irecteu r G én éral D élégu é du grou pe L a F ran çaise des
rj Jeu x et P ierre-M arie A rgou arch y est D irecteu r des Ressources H um aines et d e
Q
la T ransform ation. En 2 0 1 4 , 2 7 m illion s d e F ran çais on t jo u é au m oins à un
je u d e la F D J. E lle est la 4" loterie m on diale. C réée en 1 976, elle est déten u e à
(g) 2
7 2 % p a r P E tat q u i lu i a alors con fié le m on opole des je u x d e loterie. E lle ras­
sem ble 1 1 0 0 collaborateu rs, réalise un ch iffre d'affaires d e 13 m illiards d'eu­
5-
Q.
O ros (2 0 1 4 ) et a con trib u é à h au teu r d e 3 ,1 m illiard s d'euros au x fin an ces p u ­
U
bliqu es.
Nous avons connu une transform ation radicale. En effet, La Française des
Jeux a bénéficié du monopole des jeux de loterie et des paris sportifs jusqu’en
2009, année d’ouverture du marché des jeux en ligne à la concurrence. La
transformation de l’entreprise, pour anticiper cette nouvelle donne, a été
3 profonde et a concerné aussi bien la stratégie, l’organisation, les processus de
I production et de mise sur le marché, les modes de management, que nos
O
c
3
û
©
3 6 F A U T - IL L IB E R E R L 'E N T R E P R IS E ?

modalités de gestion des ressources humaines. En 5 ans, c’est une entreprise


nouvelle qui a été dessinée.
L’évolution managériale a été importante et est passée par la définition et la
documentation de cinq principes d’action managériaux, qui sont des
comportements génériques que nous souhaitons voir se développer au sein de
notre communauté de managers : « aller à l’essentiel », « donner du sens »,
« agir proactivement », « jouer l’équipe » et « faire preuve de courage ». Les
managers sont évalués sur la m aîtrise de ces principes, à l’aide d’une
autoévaluation et d’un 360 degrés. Des sessions internes de développement
ont été organisées sur chacun de ces « PAM ».
L’axe managérial a été déterminant pour conduire notre transform ation. Des
progrès ont été enregistrés dans ce domaine, comme en témoignent nos
collaborateurs dans le cadre de notre baromètre interne. Cependant, il
continuait d’exister une hétérogénéité dans les pratiques managériales qui
constituait un frein à la transform ation plus radicale de l’entreprise. O r nous
voulions une révolution des pratiques ! Nous sommes donc allés plus loin en
m ultipliant les initiatives : élargissement du dispositif de 360° à la strate des
responsables de service, lancement d’une communauté des managers sur le
réseau social interne, développement des coachings, méthodologie de co­
développement, etc. S’il est utile de faire du collectif, nous croyons aussi que
l’enjeu est bien de l’articuler avec une approche plus individuelle de la
transformation des pratiques managériales.
M ais notre transform ation passe aussi par un changement de logique qui va
au-delà de la seule strate managériale. Jusqu’à présent, nous attendions des
T3
O collaborateurs qu’ils donnent le m eilleur de leurs compétences
c
rj professionnelles (les compétences « métier ») dans le cadre d’objectifs de
Q
réalisation précis prédéfinis. Nous souhaitons désormais qu’ils expriment
O
ГМ l’ensemble de leurs compétences personnelles (au-delà de leur métier) au
@
service d’objectifs contribuant explicitem ent au succès de la stratégie de
l’entreprise, ce qui suppose que celle-ci soit explicite pour chacun. La
5-
Q. conséquence majeure est que l’on sort de la production des tâches listées dans
O
U
le descriptif de fonction, au profit de la production de solutions construites
en équipe, ce qui im plique que les collaborateurs soient convaincus que
chacun dispose de réelles marges de manœuvre.
Pour entrer dans cette logique de contribution, qui suppose de m obiliser ses
compétences, il est nécessaire de responsabiliser les collaborateurs sur leur
propre développement professionnel.
Nos cellules d’incubation, mises en place depuis fin 2013, sont une
illustration du développement des compétences dans un cadre collaboratif II
11^—'
L a m is e e n œ u v r e : q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 137

s’agit d’équipes, composées à la fois d’experts métiers (y compris métiers


support tels que juridique, finance, etc.) et système d’inform ation,
responsabilisées et autonomes. Dans une logique « intrapreneuriale », elles
ont pour objectif d’accélérer la mise sur le marché de nouveaux produits et
services, notamment des jeux digitaux, et de conduire à des innovations de
rupture. Elles ont une durée de vie lim itée à 18 mois. Ces cellules nous ont
permis d’imaginer des solutions et des produits très innovants, absents du
marché, tout en m obilisant assez peu de moyens. Ce sont de véritables start-
up à l’intérieur de l’entreprise, également ouvertes aux partenariats externes.
Nous pourrions citer également les outils de résolution collective de
problèmes complexes ou de créativité de groupe.
Dans notre secteur, les compétences sont notre principal a c tif Nous croyons
que lorsque l’ensemble des compétences de chaque collaborateur, et non les
seuls savoir-faire métier mis au service de la mise en oeuvre de tâches,
deviennent la brique de base pour faire vivre l’entreprise, la valeur ajoutée
créée sera nettement plus im portante. M ais si l’on dim inue ce lien à la tâche,
et que l’on valorise les compétences, il est absolument vital de renforcer le
sens donné à l’action, de com m uniquer non seulement sur la stratégie mais
aussi de situer la contribution de chacun dans ce que l’entreprise fait
aujourd’hui et veut faire demain.
Nous cherchons à libérer les énergies au sein de notre entreprise, nous faisons
jouer les compétences et parions sur l’intelligence collective, mais nous ne
voulons pas forcément être ce qu’on appelle une « entreprise libérée ». Que
faut-il comprendre du buzz médiatique autour de l’entreprise libérée ?
T3
O Quelles questions pose-t-elle ? Celle de la fin de l’autorité hiérarchique, de la
c
rj libération au travail, de la responsabilisation des collaborateurs, du
Q
développement de leur capacité créatrice ? Beaucoup de questions à traiter
O
fN simultanément.
@
Si la notion d’entreprise libérée est elle-même génératrice de questions
nouvelles, les besoins auxquels elle entend répondre sont plus explicites. Il
5-
Q.
O faut que l’entreprise s’adapte à son environnement qui bouge et
U
particulièrem ent aux nouvelles aspirations des salariés. Il faut aussi quelle
intègre que la planification est désormais de plus en plus sujette à caution.
Nous sommes une entreprise dont une part très m ajoritaire de l’activité
s’effectue sous le régime du monopole, très régulée, détenue m ajoritairem ent
par l’Etat, et pourtant notre relation au marché, l’évolution des modèles de
consommation induits notamment par la technologie entraînent la nécessité
d’adapter en permanence, si ce n’est le cap stratégique, en tout cas sa mise en
œuvre opérationnelle.
3
Û
©
3 8 F A U T - IL L IB É R E R L 'E N T R E P R IS E ?

Nous recherchons donc de la créativité, nous souhaitons que nos salariés


développent leur capacité d’initiative. De ce fait, nous devons leur offrir un
cadre flexible dans lequel l’innovation peut se développer, sans encadrement
hiérarchique du travail, sans contrôle form el, sans obligation de succès, en
favorisant la collaboration sur les projets. Ceci ne peut avoir lieu que si les
collaborateurs ont les idées très claires quant aux objectifs que poursuit
l’entreprise et ce que peut être leur apport à la mise en œuvre de cette stratégie
dans leur domaine.
Nous revenons donc au rôle du manager qui était notre point de départ. Pour
que les compétences de chacun soient mises au service du projet de l’entreprise,
les managers ont deux rôles principaux : donner du sens et développer les
compétences de leurs équipes, conditions essentielles à la mise en œuvre de la
performance. Nous voulons que nos managers deviennent des coachs, animent
l’équipe et soient en même temps à sa disposition. Le coach conseille, mais
surtout il conduit le collaborateur à identifier lui-même les voies de son apport
personnel au travail de l’équipe et donc ses besoins de développement.
Nous cherchons à casser la vision exclusivement hiérarchique du management.
Nous avons commencé à le faire. Le point clé est de passer de la logique du
« comment » au « pourquoi ». Nous attendons que les managers animent leurs
équipes à partir du sens. Dans le domaine législatif on dirait passer du texte de
la loi à « l’intention du législateur ». Il s’agit de rappeler en permanence ce que
nous voulons faire, l’objectif poursuivi, mais de laisser s’exprimer toutes les
compétences pour y répondre.

T3
O
c
rj
Q

CENTRER LES FO N CTIO N S SU PPO RT SUR IA CREATION


DE VALEUR

a. D an s de nom breuses entreprises, les fo n ctio n s support d oivent faire l’objet


O
U
d ’un repositionnem ent rad ical. L e u r a ctivité est com posée en grande partie
de tâches contraignantes et coûteuses au service des logiques
organisationnelles de p rescrip tio n et de co n trô le. Par a ille u rs, leu r posture
est celle du gardien des règles, du gendarm e.
N ous avons vu qu’une typologie des activités des fonctions support
p o uvait être établie à p a rtir de tro is catégories. T o u t d ’abord des activités
d ’ad m in istratio n et de gestion à « caractère obligatoire » : elles doivent être
réorganisées à p a rtir d ’im p ératifs de q u alité, certes, m ais aussi et su rto u t de
p ro d u ctivité et d’efficien ce. E n su ite des tâches sans valeu r ajoutée liées aux
L a m is e e n œ u v r e ; q u e ls le v ie r s a c t io n n e r ? 139

norm es et processus in u tile s et aux contrôles : elles d oivent être supprim ées.
E n fin des activités q u i créent de la valeu r : elles d oivent être développées.
L a cible pour l’entreprise est de disposer de fo n ctio n s « dites support »
q u i co n stitu en t autant de sources ad d itio n n elles de création de valeur. T o u t
com m e les activités op érationnelles, m ais plus haut dans la chaîne de valeu r
ou en transversal.
Pour disposer d’un état des lie u x , l’entreprise peut procéder à un au d it
des terrains d ’in te rve n tio n de ces fo n ctio n s, ain si que du type de relations
entre elles et les op érationnels. Lorsq ue nous avions accom pagné
M ario n n au d à l ’occasion de son rachat, nous avions constaté une in versio n
des rapports entre opérationnels et fo n ctio n n els, ces derniers ayant « p ris le
p o u vo ir ». U n questionnaire dem andant aux m agasins d ’évaluer chacune
des fonctions sous l’angle de d ifférents critères (ré a ctivité , q ualité du
support apporté, q u alité de la relatio n ) avait perm is à la fois de m esurer la
situ atio n et de passer un message fo rt sur les logiques de service.
Pour repositionner ces fo n ctio n s su p p o rt, l’entreprise po urra s’appuyer
sur des alliés. D ’une p art, les opérationnels q ui ont besoin de support dans
le u r m ontée en responsabilité et en com pétence. D ’autre part ceux des
fo n ctio n nels q u i so u ffren t des contenus et des postures auxquelles
l’organisation ancienne les cantonne.
S u r le contenu des activités to ut d ’abord, c’est à p a rtir de l’analyse de
l’existan t que l’entreprise p o urra in itie r le tra vail d ’o p tim isatio n des tâches
contraintes et de suppression des tâches visan t à norm er et à co n trô ler les
activités. I l s’agira ensuite d’id e n tifie r les activités p o ten tiellem en t créatrices
T3
O
c: de valeu r qui d o iven t être développées. L a refonte de l’a ctivité de la fo n ctio n
:d
Û R H de France T é lé visio n s que nous avons m enée a a in si perm is de réaffecter
plusieurs dizaines de postes au développem ent des com pétences et aux
projets de tran sfo rm atio n , p arm i ceux q u i étaient auparavant dédiés aux
sz
DI
activités ad m in istratives et aux relations sociales.
>-
Q.
D an s certaines entreprises, c’est le changem ent de posture q u i sera le plus
O
U d élicat à ancrer. Soyons clairs : le fo n ctio n n el n’est pas au service de
l’o p érationnel, il est lu i aussi au service du clie n t fin a l. M ais pour que
ce lu i-ci bénéficie p leinem ent de la chaîne de valeu r, les fonctions support
d o iven t développer des attitudes de service en in te rn e, tout en gardant en
tête l’intérêt de l’acteur en bout de chaîne qu’est le c lie n t. C e qui sig nifie
que si le fo n ctio n n el d o it abandonner à jam ais sa posture de gendarm e, il ne
d o it pas pour autant adopter celle du valet.
D e m êm e que les m anagers avec leu rs co lla b o ra te u rs, les fo n ctio n n e ls
d o ive n t se p o sitio n n e r en ressources p o u r les o p éra tio n n e ls. D an s le u r
40 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

domaine d’expertise, ils doivent les alimenter, les développer sur les
enjeux qu’ils maîtrisent en adoptant une démarche pédagogique, les
aider à produire leurs réponses aux besoins de transformation, mettre
l’accent sur les moyen et long termes. Nous avons ainsi aidé la fonction
RH de l’Institut Pasteur et celle d’Engie à engager leur mue, d’une
posture plutôt administrative à un véritable accompagnement des entités
opérationnelles.

REPENSER LE RÔLE ET LA POSTURE DU DIRIGEANT


Dans le monde qui émerge, un dirigeant n’a plus sa place : celui qui est
d’abord un gestionnaire, aligné au cordeau sur les objectifs à court terme
qui lui sont assignés et mettant en oeuvre une forme d’autorité et des
postures hiérarchiques « à l’ancienne ».
Au vu des enjeux auxquels l’entreprise doit faire face, la valeur ajoutée du
dirigeant se situe désormais sur d’autres terrains. Certes, il doit gérer
l’entreprise. Mais il doit être en premier lieu un homme de la stratégie, de
l’organisation, de la culture et de la transformation. Notre précédent
ouvrage^ invitait à réinvestir le terrain de la stratégie. Celui-ci constitue un
appel à s’emparer également des leviers de l’organisation et de la culture. De
nombreux dirigeants minimisent ces thèmes, avec une propension très forte
en France à considérer que « l’intendance suivra ».
Les responsabilités premières d’un dirigeant d’entreprise aujourd’hui,
c’est de poser un cadre stratégique constitué des éléments incontournables
O
T3 et de le partager, avec ses « pourquoi ». C ’est de promouvoir la transformation
crj du management des hommes et des organisations de son entité, de
Q
l’accompagner, d’en animer le sens, en faisant preuve de pédagogie et en
donnant envie. C ’est de développer une posture cohérente avec cette
mutation, en veillant à son exemplarité et en renonçant aux attributs du
pouvoir ainsi qu’à ce qui symbolise une certaine conception de la relation
a.
O hiérarchique. Il y a certes des différences dans les rôles exercés, mais aucune
(J
supériorité de tel ou tel individu.
Pour tous en interne, ce positionnement du dirigeant, ses terrains
d’intervention comme la valeur d’exemple de ses comportements et de ses
postures, constitueront une preuve tangible qu’une transformation effective
est engagée. Il projettera par ailleurs une image innovante de l’entreprise à
l’extérieur.

1, Gilles Verrier, StratégieetRH : l’équationgagnante^Dunod, 2012.


La mise en œ uvre : quels leviers actionner ? 141

Analyser où en est l’entreprise sur ce terrain est délicat : il est difficile de


libérer une parole vraie sur le sujet chez les collaborateurs, tant les logiques
de pouvoir sont ancrées et l’esprit critique « à la française » bien présent.
D’autant qu’en général l’action effective du dirigeant a une visibilité limitée
pour le corps social. C ’est un accompagnement heure par heure du dirigeant
dans ses activités habituelles qui permettra à la fois d’analyser son activité et
d’identifier la forme que prennent les signes de pouvoir. Ce type de projet
peut aussi être mené à partir des actionnaires. C’est en formalisant les rôles,
responsabilités et attitudes des actionnaires du groupe Roquette, et en
construisant un « référentiel des compétences de l’actionnaire familial »,
qu’il nous a été possible de définir ce qu’étaient les attentes vis-à-vis des
dirigeants opérationnels.
Ce travail sur le positionnement et l’équilibre des responsabilités du
dirigeant peut être initié par les représentants des actionnaires, par un groupe
pour ce qui est de la direction d’une de ses entités, ou par le dirigeant lui-
même. Il s’agira alors de lancer ce projet, de ne pas hésiter à communiquer et
à l’expliquer, avec une posture basse, en utilisant la force du symbole :
l’annonce du renoncement à certains attributs du pouvoir a toujours un fort
impact. Le dirigeant pourra ensuite être accompagné pour investir ces
nouveaux terrains de responsabilité, animer une démarche de transformation
du management des hommes et des organisations, ainsi que transformer ses
postures.
Sur le terrain des attitudes, chacun à sa façon, les premiers dirigeants des
groupes Daher, Biometal-Fila ou Vygon sont par exemple impressionnants
dans leur capacité à mettre en oeuvre une posture basse, faite d’humilité,
O
T3

rj
c d’écoute et de vrai respect de leurs interlocuteurs internes et externes.
Q

PAR OU COMMENCER ?
Les neuf grands enjeux que nous avions identifiés sont désormais couverts.
O
Q. La question qui se pose à ce stade à toute entreprise est toute simple :
U
comment s’y prendre ? La réponse paraît assurément plus complexe au vu
de l’ampleur des sujets à traiter, d’autant que la réalité de chaque entreprise
est spécifique.
Une entreprise pourra entrer dans un processus de transformation à partir
de l’un ou de l’autre de ces enjeux, en fonction de ses réalités, de ses urgences et
de ses besoins. Mais une fois quelle aura initié une démarche de transformation
sur l’un, elle n’en sera pas quitte pour autant avec les huit autres.
Ces neuf enjeux sont autant de sous-systèmes qui, combinés, constituent
le système de fonctionnement de l’entreprise. L’analyse systémique nous
42 LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

apprend que faire bouger un des sous-systèmes a des conséquences sur


l’ensemble des autres, qui doivent être alignés pour permettre un nouvel
équilibre. Un peu comme dans un mobile de Calder. Comment imaginer
une nouvelle approche de la stratégie sans transformer le rôle du dirigeant ?
Peut-on travailler sur la montée en responsabilité sans s’interroger sur les
éléments de sens ? Est-il envisageable de repositionner les managers sans
revisiter les modes de régulation entre les acteurs ? Non, assurément.
L’entreprise qui entrera dans un processus de transformation par un de
ces thèmes devra donc prendre en compte les conséquences sur les autres
enjeux. Et construire en situation, de façon pragmatique, l’enchaînement
des projets permettant de mener une démarche de libération cohérente.
Adopter cet éclairage de l’analyse systémique permet aussi à ceux qui
impulsent le mouvement d’en éclairer le sens global auprès de l’ensemble
des personnes et groupes mobilisés et impactés : vient un moment dans la
transformation où la prise de conscience de la cohérence d’une démarche
d’ensemble par les différents acteurs est un atout pour renforcer leur
mobilisation.
Comment manger un éléphant ? « Une bouchée à la fois » répondent les
anglo-saxons. Au bout du compte, peu importe par lequel de ces neuf
enjeux l’entreprise entre dans sa démarche de transformation. Elle doit
cependant garder à l’esprit qu’une fois l’un d’entre eux traité, elle sera
confrontée à la nécessité d’aborder les autres pour transformer en
profondeur son modèle.
L’ensemble de ces éléments nous conduit à une définition complète de ce
que produit une démarche de libération, ou plus exactement de
c:O
T3

:d
Û transformation en profondeur de l’entreprise pour s’adapter aux enjeux de ce
début de xxi'' siècle. Ce qui se dessine sur cette base, c’est une organisation
O
rM qui a libéré le potentiel de tous ses acteurs en positionnant la décision là où
@ sont les enjeux. Ainsi, ceux-ci peuvent oeuvrer ensemble de manière fluide et
DI
's_ efficace à faire vivre l’utilité sociétale qu’ils ciblent et le projet qui en découle.
O
D.

(J
C O N C L U S IO N

А се stade, nous ne pouvons plus éviter une question. Nous avons vu


dans la première partie de cet ouvrage que depuis une quarantaine
d’années, les réflexions sont nombreuses sur les voies qui permettraient de
transformer le management des hommes et des organisations. Les
expérimentations réussies de systèmes innovants existent. Alors comment
se fait-il que la plupart des entreprises en soient restées aux modèles anciens
et que celles qui se sont réinventées en profondeur ne soient pas plus
nombreuses ? Faute de traiter cette question, tout le travail de réflexion et
de recherche sur ces nouvelles voies sera peut-être pertinent, mais restera
sans effets concrets, donc sans utilité.
Notre conditionnement culturel, avec un siècle de pratiques inspirées de
Taylor est sans doute un des facteurs explicatifs : il y a une vraie difficulté à
imaginer une façon différente de nous comporter et à concevoir l’homme
comme un acteur libre et autonome. De même, le culte de l’urgence^
permanente et de l’instantanéité, pour partie lié aux technologies de
l’information et de la communication, alimente cette difficulté à basculer
vers d’autres modèles. Mais est-ce suffisant pour expliquer le statu q u o ou
l’évolution lente ?
тз
о Une partie de la réponse réside dans une contradiction, apparue de plus
с
Г)
Q en plus évidente au fur et à mesure de notre cheminement. L’importance
des transformations de l’entreprise qu’appelle notre société, en cette
о
fN première partie du x x F siècle, suppose d’adopter des logiques moyen et long
termes, que ce soit pour les concevoir, avec l’ensemble des intéressés, ou
pour les déployer en profondeur. Or, la plupart des entreprises se
>-
Q.
О positionnent dans un cadre économique de court-terme imposé par leur
и
actionnariat. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’une grande partie des
opérations de transformation menées ces dernières années l’aient été dans
des entités dont la structure actionnariale autorise les logiques de long
terme : entreprises familiales, sociétés coopératives, associations, etc.
La contradiction est là : d’un côté des transformations sociétales qui
devraient conduire l’entreprise à se centrer sur sa performance durable, à

1. Nicole Aubert, Le cultedel’urgence, lasociétémaladedu temps, Flammarion, Champs Essais,


2009.
44 FAUT4L LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

moyen et long terme, en abordant le résultat comme une résultante. De


l’autre, un phénomène mis en évidence par de nombreux économistes : la
financiarisation de nos économies pousse l’économie réelle, si elle veut
rester compétitive en termes de rendement des montants investis, à délivrer
des résultats immédiats, quitte à amputer le potentiel de l’entreprise en
« milkant » ses ressources, un peu comme l’agriculture intensive qui
appauvrit inexorablement la terre en pompant dans ses ressources. Cette
logique court terme appelle un management par les chiffres et les tableaux
de bord, la multiplication des rep ortin g s et le renforcement des contrôles,
notamment en mobilisant les nouveaux outils technologiques.
C’est dans la résolution de cette contradiction qu’est sans doute désormais
la valeur ajoutée première du dirigeant. Celui-ci ne peut libérer l’autonomie
des collaborateurs que s’il a lui-même des marges de manœuvre. Alors que
s’il est sous contrainte forte de la part de ses actionnaires sur ces logiques de
court terme, et nous avons vu que c’était souvent le cas, il devra dupliquer
en interne ces limites à l’initiative, par exemple via un système de mesure et
de contrôle centré lui aussi sur les enjeux immédiats. L’entreprise reste un
lieu d’intérêts contradictoires et de rapports de force.
À côté de ses responsabilités au sein de l’entreprise, le dirigeant a en
charge la relation avec les représentants des actionnaires. Et là réside pour
lui un véritable enjeu : les convaincre de privilégier l’accroissement de la
valeur de leur capital plus que les revenus immédiats, en revenant à une
posture d’entrepreneur.
Dans la réflexion qui sous-tend cet ouvrage, nous nous sommes heurtés à
une autre contradiction. Les attentes qui se sont développées autour de la
c:O
T3

:d notion d’entreprise libérée, alimentées par une communication pléthorique,


Û
ont pu générer des illusions chez certains. Mais il n’existe pas de recette
O
(N magique qui, à partir de quelques ingrédients simples et standard,
@ permettrait de transformer toutes les organisations et de répondre à
l’ensemble de leurs enjeux. Pour autant, le besoin de transformation de
D.
O l’entreprise est réel et profond. Il est renforcé par une envie forte de
(J
changement partagée par de nombreux acteurs.
La responsabilité d’une part de ceux qui pensent l’entreprise, d’autre part
des acteurs qui la composent, est d’affronter la complexité, d’en accepter le
principe tout d’abord, de décider de l’affronter ensuite. Pour cela, deux
écueils opposés doivent être évités : d’un côté, l’entreprise ne doit pas
adopter des recettes simplistes, qui au bout du compte ne transformeront
pas sa réalité en profondeur. C ’est en ce sens que le tout ou rien de l’entreprise
libérée ne peut constituer en soi la fin de la réflexion. De l’autre, les réponses
adoptées en termes de structures et, bien sûr, de modes de fonctionnement.
Conclusion 45

ne doivent pas en rajouter dans la complexité : la liberté et la responsabilité


requièrent un cadre de jeu souple. Il s’agit en quelque sorte de « simplifier la
gestion de la complexité. »
Quelle que soit l’opinion de chacun sur les voies à adopter pour construire
le management des hommes et des organisations du xxi^ siècle, il est
indispensable que ceux qui pensent l’entreprise et sa transformation
acceptent d’échanger, de débattre, de travailler ensemble à faire avancer la
réflexion, en dépassant les positions de principe et les débats caricaturaux
qui caractérisent parfois la société française.
Pour les dirigeants de l’entreprise, ainsi que pour l’ensemble des acteurs
qui la composent et qui l’accompagnent de leurs conseils, l’enjeu est plus
fort encore, mais de même nature. Sur les innovations managériales,
refusons le « pour ou contre » de principe. Quand les échanges sont relancés,
sur tel ou tel thème, la qualité de vie au travail hier, l’entreprise libérée
aujourd’hui, un autre demain, évitons de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Que m’apprennent ces débats et ces premières réalisations ? Qu’ai-je à en
tirer pour mon entreprise ? Qu’y prendre, qu’y laisser, au vu des spécificités
de mon organisation ?
Ni adoption inconditionnelle et solutions plaquées, ni rejet de principe
et immobilisme. Ce dont il s’agit, c’est de capitaliser sur ces apports et de les
utiliser en leur appliquant un regard critique. Et de lancer les premières
initiatives, articulées avec la stratégie de son entité, construites sur mesure,
innovantes. C’est ce que nous tentons de faire pour ce qui nous concerne,
aussi bien dans cet ouvrage que dans nos interventions.
-a
O
c
Û3
>X)
T-l
O
fN
sz
CT
>-
Ql
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
ио
A N N EXE

T3
co
3
Q
o
(N

>-
Q.
O
U
CHRONO FLEX

Le contexte
Chrono Flex est une entreprise nantaise de dépannage et de maintenance en
flexibles hydrauliques, créée en 1995. Elle emploie environ 270 personnes.
Dirigée par Alexandre Gérard, l’entreprise appartient à un groupe familial,
Inov-On, regroupant des activités d’interventions sur site ainsi que des
activités d’édition et de communication.

La situation initiale
En 2009, après que l’entreprise ait été frappée de plein fouet par la crise,
elle met en œuvre une quarantaine de licenciements économiques. A l’issue
de cette période difficile, Alexandre Gérard entend conduire l’activité
autrement et mettre en place un mode de management radicalement
différent. « Je me suis rendu compte que j’avais tout faux : si mon entreprise
allait mal, c’est notamment parce que j’avais emprisonné la créativité et
que je l’avais gérée à coups de procédures et d’interdits » commente-t-il.
O
T3

rj
c
La dém arche
Q
O Au préalable, une démarche participative de construction d’une vision
fN
commune a été lancée. Elle a permis de déboucher sur des valeurs partagées :
« assurer la performance par le bonheur, cultiver l’amour des clients,
D.
constituer des équipes respectueuses et responsables, conjuguer esprit
O
(J d’ouverture et ouverture d’esprit ». Les processus de décision ont été allégés
et sont pour la plupart collectifs, les règles communes ont été redéfinies.
Le directeur général donne une illustration de la philosophie de l’entreprise,
basée sur la responsabilité individuelle : « Nous avons construit pour
l’ensemble des collaborateurs un compte d’exploitation individuel, et
au-delà de son seuil de rentabilité, le salarié prend 15 % de la marge nette
[...] puis un bonus lié à la réussite de son équipe, de 15 % également [...] et
encore 15 % tous les six mois assis sur la rentabilité globale de l’entreprise ».
A nnexe 49

La responsabilisation de chacun et la diminution des lignes de management


passent également par la création de plus petites équipes de travail,
rassemblant une dizaine de techniciens commerciaux itinérants et un
« capitaine » coopté pour trois ans.
Les fonctions support ont été réduites. Par ailleurs, de nombreux attributs
du pouvoir ont disparu : le bureau du dirigeant a été remplacé par une
salle de repos, il n’y a plus de places de parking réservées, tout le monde
peut assister au comité de direction du lundi et il y a une plus grande
transparence sur les principaux chiffres de l’entreprise.

O
T3
crj
Q

C
OL
U

Û
®
50 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

FAVI

Le contexte
Dans le secteur de la métallurgie, FAVI est le premier fournisseur européen
de fourchettes de boîte de vitesse. Située dans la Somme, l’entreprise
emploie environ 400 collaborateurs et a réalisé un chiffre d’affaires de
83 millions d’euros en 2013. Elle était dirigée jusqu’en 2009 par Jean-
François Zobrist.

La situation initiale
A son arrivée en 1980 chez FAVI, la situation économique de l’entreprise
est délicate. Il dresse par ailleurs le portrait d’une organisation dont les
modes de fonctionnement renvoient à une conception très datée des
rapports humains.

La dém arche
S’appuyant sur ses convictions personnelles (« l’homme est bon » et
« l’amour du client »), l’holacratie, le Kaizen et la sociodynamique,
Jean-François Zobrist propose des actions radicales pour transformer
l’entreprise : « Pour quelle soit réactive, il fallait que les décisions soient
prises par les ouvriers eux-mêmes, en temps réel, sur le terrain. La structure
de fabrication conduisait au phagocytage de la prise d’initiative. Il fallait
donc supprimer cette structure. »
T3
O Pour parvenir à renverser la pyramide, l’activité est organisée en une
c

Qrj vingtaine de mini-usines, de 20 à 40 collaborateurs, auto-dirigées, en y


O intégrant les activités support. Chacune dédiée à un seul client. À leur
fN tête, des ouvriers cooptés par leurs collègues et appelés « leaders ». Toute
@
autorité part de la base.
DI
's_

D.
La recherche de performance est centrale, toutes les équipes sont tenues de
O
(J trouver au moins une idée d’amélioration par semaine. Afin que chacun ait
une vue sur la performance de sa mini-usine, les indicateurs sont factuels,
tangibles et surtout parlants pour les ouvriers.
Les opérateurs non seulement fabriquent, mais règlent leurs machines
et gèrent leurs cadences en toute autonomie. Pas de pointage, pas de
références au temps, peu de contrôle. « Depuis cinq ans, on change
de poste chaque heure, et on peut permuter entre mini-usines au bout
d’un an ou deux ». Régulièrement, les équipes se déplacent chez leur
client pour observer comment sont utilisées les pièces. « Il n’y a pas de
A nnexe

productivité sans bonheur, et le bonheur, c’est de faire des choses que


l’on comprend », considère celui qui a succédé à Jean-François Zobrist à
la tête de FAVI.

T3
O
crj
Q

O
fN

D.
O
(J
52 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

GORE

Le contexte
Fondée en 1958, Gore est une société américaine de textile qui compte
10 000 salariés dans 45 pays. Elle fabrique le tissu Gore-tex, principalement
utilisé dans les activités sportives de plein air. L’entreprise intervient
également dans le médical, l’industrie (joints, filtres) et l’électronique.

La situation initiale
Salarié de DuPont de Nemours, Wilbert L. Gore quitte cette entreprise,
frustré par ses lourdeurs. En réaction à la rigidité de DuPont, il imagine
une structure horizontale, en réseau plutôt qu’en pyramide.

La dém arche
L’entreprise est « agile » depuis l’origine et son organisation se caractérise
aujourd’hui par quelques principes qui constituent sa singularité. Il n’y a
pas de hiérarchie au sens strict, mais des leaders qui sont cooptés par leurs
équipes. « Les leaders sont là pour donner la vision d’ensemble, pas pour
décider ». L’actuelle Présidente Karsta Goetze complète : « Dans l’idéal le
leader émerge naturellement, c’est un leader naturel. »
Les unités sont autonomes et ne dépassent jamais 250 personnes. Ce
sont des équipes-projets autodirigées qui facilitent l’innovation. Chacune
réunit autour d’un projet des collaborateurs de tous les services. Aucun de
T3

c:O:з ces services n’a d’ascendant sur les autres.


Û Les nouveaux collaborateurs entrent chez Gore au terme d’un processus
de recrutement centré sur l’autonomie et la capacité d’initiative.
« Quand on est recruté chez Gore, on a tellement de latitude qu’on
est obsédé par la crainte de faire couler le bateau par une action qui
5-
Q. mettrait en péril la réputation ou les résultats de la société ! » affirme
O
U un salarié.
L’évaluation des collaborateurs est collégiale. Au sein d’une équipe d’environ
vingt personnes, chacun doit attribuer un rang à chacun de ses collègues
en fonction de leur contribution au succès de la société, éventuellement
en ajoutant des commentaires sur ses points forts et faibles. Ces éléments
anonymes sont compilés et étudiés par un comité transversal de trois ou
quatre leaders.
A nnexe 53

Le mentorat est développé. Chaque collaborateur dispose d’un sponsor


interne qui l’aide à construire son réseau hors hiérarchie, à identifier les
meilleures opportunités et à entrer en relation avec les personnes pouvant
le faire avancer dans son projet, etc. Chaque collaborateur doit trouver
son point de rencontre entre ses compétences, ses centres d’intérêt et les
besoins de l’entreprise.

T3
O
c
rj
Q

O
fN
@
SI
DI

D.
O
(J
54 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

HARLEY DAVIDSON

Le contexte
Harley Davidson est le constructeur et distributeur mythique des
motocycles éponymes. L’entreprise a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires
de six milliards de dollars et vendu 270 000 véhicules. Harley Davidson
dispose d’un vaste réseau de concessionnaires, avec 1 460 entités
indépendantes dans 90 pays. L’entreprise emploie aujourd’hui environ
6 500 collaborateurs.

La situation initiale
En 1981, alors que l’entreprise connaît une situation économique difficile,
avec une dégradation de sa réputation en matière de fiabilité et de qualité,
elle est rachetée par treize de ses managers. Suit une période de redressement
accompagnée d’une forte réduction des effectifs, avec une approche
descendante et directive. Les résultats s’améliorent, mais insuffisamment
pour assurer la pérennité de l’entreprise.

La dém arche
En 1987, Richard Teerlink estime que les modes de fonctionnement
directifs et descendants de l’entreprise constituent une limite pour
affronter les enjeux à venir et initie une « révolution managériale ». Il se
focalise tout d’abord sur la construction et le partage de la vision. Pour
T3 ce faire, il associe largement managers et syndicats. En 1993, l’entreprise
c:O:d
a
passe à l’étape suivante : pour permettre un partage du leadership avec
l’ensemble des collaborateurs, elle repense son organisation. Celle-ci est
O
(N désormais constituée de trois cercles, pour chaque domaine fonctionnel
(5) de l’entreprise : le cercle « créer la demande » regroupe les activités de
marketing et de vente, le service client ; le cercle « produire » couvre les
>-
Q.
O activités d’ingénierie, de production, de gestion de la qualité, de pilotage
U
des coûts et de gestion des stocks ; enfin le cercle « support aux opérations »
intègre l’ensemble des fonctions support.
Dans ce nouveau modèle, les dirigeants renoncent à certaines de leurs
prérogatives, pour assurer un rôle de coach des cercles constitués, sans
autorité hiérarchique. La spécificité de ces cercles se trouve dans leur mode
de gestion. Le partage des responsabilités au sein des cercles n’est pas
précisé, à dessein. Au sein d’un cercle, il n’y a pas un mais plusieurs leaders.
A nnexe 55

en fonction de l’enjeu adressé. Le leadership n’est pas figé mais tournant,


fluctuant au gré des enjeux et des problèmes à résoudre.
Les leaders à l’intersection des trois cercles prennent en charge les décisions
qui impactent l’ensemble de l’entreprise. Ils constituent le Leadership &
Strategy Council, qui joue un rôle de conseil auprès du premier dirigeant
qui n’en fait pas partie.

O
T3

c.

O
rM

(5)

>-
Q.
O
U
56 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

POULT

Le contexte
Constitué par rachat d’entreprises, le Groupe Poult est le second biscuitier
Français et réalise un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros. Il rassemble
1 600 collaborateurs, avec cinq usines en France et trois en Pologne.
L’entreprise a été cédée en 2014 à une filiale de la Caisse des Dépôts et
Consignations.

La situation initiale
En 2005, Poult connaît une situation financière difficile. Son dirigeant
recherche de nouvelles voies pour impliquer les collaborateurs, libérer les
initiatives et innover : « Fermer les usines, virer les gens, serrer les coûts,
tout le monde sait faire. Il suffit de manquer un peu de sensibilité et d’y
aller. Sortir par le haut, par l’innovation, par les nouveaux produits, c’est
plus compliqué. Mais on a décidé de faire cela. »
L’usine de Montauban est la première à expérimenter de nouvelles
approches, d’autant plus que « l’image de Poult était mauvaise en ville, avec
un management difficile, dur et peu de liberté » explique Didier Hirtzig,
directeur de l’usine.

La dém arche
Un travail collectif sur les valeurs est conduit en 2005. Il est mené avec une
~ o forte association en amont, mais trop peu de construction des solutions
c:O
Q en aval. Le nouveau schéma de production de l’usine de Montauban
O
est élaboré en 2006 avec des groupes intégrant les différents services et
fN
les strates hiérarchiques de l’entreprise. Ce travail préfigure une large
réorganisation de l’usine en 2007.
Q. Quatre unités autonomes sont mises en place, dans lesquelles les opérateurs
O
U participent à la réponse aux appels d’offres, recrutent, organisent le temps
de travail. Chacune de ces unités a un animateur, mais la plupart des
échelons hiérarchiques sont supprimés. « Beaucoup de cadres ont basculé
dans de l’aide, du support, ce qu’on appelle chez nous les techniciens de
progrès » explique Daniel Hirtzig. Les services supports sont positionnés
en « experts » et épaulent les équipes de production. La fonction de DRH
est supprimée.
Aujourd’hui, trois axes émergent. L’auto-organisation tout d’abord.
L’entreprise associe tous les salariés aux décisions importantes, notamment
A nnexe 57

en matière d’investissements. Elle n’a plus d’organigramme, de reporting


ou de budget sectoriel, ni de comité de direction. Le manager est positionné
comme « animateur coach ». Le deuxième axe est celui de l’innovation
partagée. Les séances de créativité sont fréquentes, la Poult Academy
favorise le transfert des savoirs entre les salariés et promeut l’échange
de bonnes pratiques. Le troisième axe concerne « l’open innovation »,
conduisant l’entreprise à agir de manière intégrée avec son écosystème.

T3
O
c
:d
Û

sz
DI

>-
Q.
O
U
58 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

SEMCO

Le contexte
Entreprise brésilienne dont le siège est à Sao Paulo, Semco intervient dans
des domaines très variés. Ce groupe familial réalise un chiffre d’affaires de
212 millions d’euros et emploie plus de 3 000 personnes.

La situation initiale
En 1982, l’entreprise, alors spécialisée dans la fabrication de pompes
industrielles, est confrontée à des problèmes de rentabilité. Ricardo Semler
reprend l’entreprise de son père. Pendant trois ans, il réorganise le groupe,
portant personnellement les changements. Ce processus connaît un coup
d’arrêt lorsqu’il est victime d’une crise cardiaque. Il modifie alors ses modes
de fonctionnement, en adoptant un modèle de développement plus ouvert
et un processus de changement participatif

La dém arche
L’entreprise a initié sa démarche de transformation en restructurant en
profondeur ses activités cœur de métier et en procédant au licenciement
de tous les managers opposés aux changements. Puis sont intervenues
des mesures de « libération » de l’organisation : disparition des structures
précédentes, suppression des bureaux individuels, des badgeuses et des
moyens de contrôle, repositionnement des managers en tant que soutien
T3
O
aux équipes de production et de développement.
rj
c

Q Pour structurer l’ensemble des modes de fonctionnement de l’entreprise,


l’accent est mis sur « l’auto-management » de chacun dans l’ensemble des
dimensions de l’entreprise : l’organisation du travail et la mobilisation
sz des collaborateurs, basées sur une forme de volontariat « engageant » qui
DI

>- permet à chacun de participer à tout s’il y trouve un intérêt, s’il apporte de
Q.
O
U la valeur ajoutée et s’il tient les engagements qu’il y prend ; la rétribution,
avec la possibilité pour les salariés de fixer leur propre salaire sur la base
des résultats produits ; la gouvernance, avec l’élection par les salariés d’un
président tournant chaque mois ; le développement, avec un encouragement
des employés à créer eux-mêmes les activités qu’ils souhaitent ou pensent
pertinentes pour Semco.
Des mécanismes d’autorégulation ont été construits, avec un autocontrôlé des
salariés, orienté vers la réponse aux objectifs de résultats fixés collectivement.
A nnexe 59

Dans ce cadre, le manager est positionné comme un support à Faction,


un référent en cas de besoin, en charge exclusivement de la mise en œuvre
de toutes les conditions pour permettre aux collaborateurs de bien faire
leur travail. Chaque manager est évalué par ses collaborateurs tous les
semestres.

T3
O
c
rj
Q

C
O
L
(J
60 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

SOL

Le contexte
SOL est une entreprise finlandaise de services, spécialisée dans le nettoyage
industriel. Elle emploie 11 500 personnes et réalise un chiffre d’affaires
d’environ 260 millions d’euros. Elle intervient en Europe du Nord, dans
les Pays Baltes et en Russie.

La situation initiale
Au début des années 1990, l’entreprise est à la dérive, avec moins d’une
centaine de salariés et une liquidation qui s’annonce proche. La dirigeante,
Liisa Joronen décide de redresser l’activité en s’inscrivant dans une
démarche de rupture.
Elle constate que les femmes de ménage souffrent d’un manque de
reconnaissance et d’engagement. Elle prend alors le parti de promouvoir
des modes de fonctionnement et d’organisation basés sur les principes de
l’holacratie.

La démarche
Pour apporter à ses employés la considération qui leur manquait, l’entreprise
bouleverse son organisation du travail à partir d’une idée en rupture avec
les pratiques du secteur : leur faire nettoyer les locaux de ses clients en
journée, et non comme dans la plupart des entreprises de propreté dans des
T3

c:O:d bureaux vidés de leurs occupants.


Û Estimant que le rôle de supervision assuré traditionnellement par les
O
(N
managers n’est plus nécessaire, elle réaffecte les managers et chefs d’équipes
@ au développement commercial. Les équipes de nettoyage ont désormais la
capacité de s’organiser chez leurs clients de façon autonome selon ce qui
5-
Q. leur paraît le plus pertinent pour assurer un niveau de service optimal. De
O
U ce fait, le temps de contrôle est réalloué à des tâches créatrices de valeur.
En complément, certains agents de nettoyage sont formés aux techniques
de ventes et à la négociation, pour leur permettre d’assurer un rebond
commercial chez le client.
Afin d’aligner l’appui proposé par les fonctions support sur les besoins
opérationnels, leurs tâches (paie, communication institutionnelle, pilotage
économique et financier, etc.) sont désormais assurées par les opérationnels
eux-mêmes. Ils perçoivent une rémunération supplémentaire en fonction
des tâches qu’ils assurent.
A nnexe 61

Enfin, afin de pérenniser cette dynamique positive, l’entreprise a formalisé


des valeurs qui alimentent au quotidien l’ensemble de ses modes de
fonctionnement.

T3
O
c
rj
Q

O
fN

D.
O
(J
62 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

MINISTÈRE BELGE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (SPF)

Le contexte
Basé à Bruxelles, le SPF compte environ 1 300 agents. Ses activités
principales consistent à alimenter la conception de la législation
relative à la sécurité sociale, à contrôler son respect et à gérer plus
particulièrement la situation des personnes handicapées et des victimes
civiles de guerre.

La situation initiale
En 2005, le SPF est confronté à une situation périlleuse : 40 % des effectifs
doivent prendre leur retraite dans les dix années qui suivent et son image
en tant qu employeur apparaît très dégradée.

La dém arche
Le postulat de départ est simple : considérer désormais tous les
collaborateurs comme des adultes responsables et libres de s’organiser, dans
un contexte où la norme dominait et où les activités et comportements
étaient fortement prescrits.
L’enjeu est de passer d’une culture du commandement et du contrôle à une
culture de la confiance a priori, soutenue par un nouvel environnement de
travail et un style de leadership renouvelé. Entre 2009 et 2013, Laurence
Vanhée, DRH devenue « Chief Happiness Officer », anime cette démarche
XJ
O en affichant une conviction : « Travailler dans la joie et la bonne humeur
rj
c

Q n’est pas contradictoire avec la performance ».


O
(N
La transformation radicale de l’institution est conduite en trois temps.
@ Première action, le ministère déménage. L’environnement de travail est
repensé. Un ratio de 7 postes de travail pour 10 personnes est adopté, en
5-
Q. donnant la possibilité à ceux qui le souhaitent de télétravailler.
O
(J
Dans un second temps, l’accent est mis sur la transformation du
management. Les managers se voient confier trois responsabilités
principales : communiquer une vision inspirante pour leur équipe, animer
¡’obtention des résultats et faciliter la vie de leur équipe. Les niveaux
hiérarchiques sont réduits, l’organigramme est simplifié.
La définition d’objectifs annuels est maintenue, mais ils sont fixés par
l’équipe, et non plus uniquement par le management. « Avec ce système.
A nnexe 63

nous avons gagné 20 % de productivité. Les agents sont fiers de se voir


challenger par leurs collègues et de se dépasser ».
Un travail est ensuite conduit sur les valeurs, via une approche collaborative :
la confiance, le respect, le développement individuel, l’orientation résultats
et la solidarité. Ces valeurs ont ensuite été traduites en comportements.

TO3
c
a
:d

sz
DI

>-
Q.
O
U
64 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

SUN HYDRAULICS

Le contexte
Créée en 1970 en Floride par Bob Koski, Sun Hydraulics est spécialisé dans la
fabrication et la commercialisation de solutions hydrauliques et électriques.
L’entreprise réalise en 2014 un chiffre d’affaires de 227 millions de dollars
et emploie environ 900 collaborateurs. Sun Hydraulics est connue depuis
sa création pour son mode de management dit « horizontal », revendiqué
par l’entreprise dans sa communication financière.

La situation initiale
Le fondateur, Bob Koski, a connu les systèmes hiérarchiques classiques au
sein d’une entreprise d’ingénierie. Il est convaincu que ces structures ont
un fort effet de démotivation des collaborateurs en induisant chez eux des
réflexes défensifs et non productifs, focalisant leur attention sur les jeux de
pouvoir plutôt que sur l’activité elle-même. Il considère que la répartition
des missions entre ceux qui ont le pouvoir et le contrôle d’une part, les
experts d’autre part, a un effet délétère sur la motivation de ces derniers.

La dém arche
Dès la création de Sun Hydraulics, Bob Koski fait abstraction de la plupart
des attributs d’une organisation hiérarchique classique : titres et descriptions
T3
de postes, reporting, supervision hiérarchique, systèmes de management
O
c
rj de la performance, etc. Il laisse émerger des modes de fonctionnement non
Q
structurés. En lieu et place des rôles et systèmes formalisés de coordination,
ce système de management horizontal s’appuie sur l’ajustement mutuel
et la coordination informelle, en mettant en exergue trois conditions de
succès.
a.
O La première est un partage massif et non contrôlé des informations
(J
opérationnelles de l’entreprise. La coordination entre les équipes pour
l’optimisation du planning opérationnel est par exemple rendue possible
par le fait que chacun partage l’intégralité de l’information : niveau des
commandes, disponibilités, etc.
Une deuxième condition tient dans la conception de l’espace de travail :
l’environnement de travail est conçu pour faciliter les échanges spontanés
entre les collaborateurs. Tous les collaborateurs d’une entité sont réunis dans
A nnexe 65

un seul et même open space. La taille maximale d’une « entité spatiale »


est limitée à 200-250 personnes, pour garantir la fluidité de l’information.
La troisième condition porte sur le recrutement en ciblant des ingénieurs
qui savent et apprécient d’apprendre en « déséquilibre ».
Une fois ces conditions mises en place, Bob Kosky favorise l’émergence
de « clusters naturels », petits groupes composés à la fois de métiers de
production et de métiers « cols blancs », mobilisés lorsqu’il s’agit de
concevoir de nouveaux produits ou processus industriels.

T3
O
c
Q

O
fN

>-
Q.
O
U
■о
о
с
3
Û
о
fN

>-
О.
ио
B IB L IO G R A P H IE

Baudelot Ch. et Gollac M., Travailler p o u r être heureux ê Éditions Fayard, 2003
Besseyre des Horts C.-H., R H au qu otid ien , Dunod, T" éd., 2015
BiGi M., Cousin O., Méda D., Sibaud L. et W ieviorka M., T ravailler au x x T siècle,
Robert Laffont, 2015
Carlzon J., Renversons la pyram ide !, InterÉditions, 1986
Clot Y., L e trav ail à cœ ur : p o u r en fin ir avec les risques psychosociaux, La Découverte,
2010
Crozier M., L ’e ntreprise à Vécoute, InterÉditions, 1989
Dujarier M.'A., L e m anagem ent désincarné, La Découverte, 2015
Enlart s . et Charbonnier O., À q u oi ressem blera le trav ail dem ain Dunod, 2013
Enlart s . et C harbonnier O., Q uelles com pétences p o u r dem ain ê : les capacités à
développer dans un m on de d ig ital, Dunod, 2014
Getz L et Carney B. M., L ib erté & d e : q u a n d la lib erté des salariés fia it le succès des
entreprises. Éditions Fayard, 2012
FisiEHT, L ’entreprise du Bonheur, Leduc.s Éditions, 2011

T3
HuNYADi M ., L a tyrannie des m odes d e vie. Éditions du bord de l’eau, 2015
O
c
rj D’Iribarne Ph., L a L ogiqu e d e l ’h onneur. Seuil, 1989
Q
Krauze J., Méda D„ Légeron R, Schwartz Y, Q uel trav ail voulons-nous ? : la
gran de enquête. Les Arènes, 2012
Laloux E, 2014, R einventing organ ization s: A G u ide to C reating O rganizations
In spired by the N ext Stage ofiH um an Consciousness, Nelson Parker.
a.
O
(J Linhart Y)., L a com édie h u m ain e du trav ail : d e la déshum anisation taylorienne à la
sur-hu m anisation m an agériale, Érès, 2015
McGregor D., L a dim ension hu m ain e d e l ’e ntreprise, Gauthier-Villars, 1970
Méda D. et Vendramin P, R éinventer le travail, PUF, 2013
Méda D., L e Travail, une valeur en voie d e disparition , Flammarion, 1998
Russell B., É loge d e l ’oisiveté. Allia, 2002
Nayar V., Les em ployés d ’a bord, les clients ensuite : com m ent renverser les règles du
m anagem ent, Diateino, 2011
68 FAUT-IL LIBÉRER L'ENTREPRISE ?

OsTY R, Sainsaulieu R. et Uhalde M., Les m ondes sociau x d e l ’entreprise '.penser


le développem ent des organisations, La Découverte, 2007 (édition revue et
actualisée)
P eter s T , L ’entreprise lib érée : liberation m anagem ent, Dunod, 1993
Sainsaulieu R., L ’id en tité au travail. Presses de Sciences Po, 1988
Segrestin b . et Hatchuel A., R efonder l ’e ntreprise. Seuil, 2012
Simon H., 1971, D esigning O rganizations for an In form ation -R ich W orld, The
Johns Hopkins Press.
T hévenet M., L e bon heu r est dans l ’é qu ipe, Eyrolles, 2008
Vanhée L,, H appy R H : le bon heu r au trav ail : ren table et du rable. Editions La
Charte, 2013
Verrier G., R éinventer les RH , Dunod, 2007
Verrier G., Stratégie et R H : l ’équ ation gagnante, Dunod, 2012
Taylor E W., 1911, T he Principles o f S cien tific M anagem ent, Harper and brothers.
W eber M., L ’É th iqu e protestan te et l ’esprit du capitalism e, Plon, 1964
W omack J. P. et J ones D. T, 1996, L ean T hinkin g, Simon & Schuster.
ZoBRiST J.-E, L a belle histoire d e F avi : l ’entreprise q u i croit qu e l ’h om m e est bon.
Humanisme & Organisations, 2013

T3
O
c
:d
a
O
(N

5-
Q.
O
U
IN D E X

A
Actionnaires 57, 63, 93, 114, 123, l4 l, Fonctions support 10, 35, 39, 88, 138
144
Autonomie 11, 19, 24, 26, 54, 72, 94,
106, 126, 144 Initiative 8, 42, 47, 69, 76, 84, 91, 105,
124
B
Innovation 20, 38, 42, 53, 68, 76, 94,
Bonheurl,ll,81,83, 85, 93 108, 126, 145
C
Client 48, 50, 58, 62, 72, 89, 94, 101, Liberté 8, 27, 72, 86, 92, 94, 102, 106,
119, 124, 139 144, 145
Compétences 27, 38, 47, 51, 69, 105,
124,135 M
Confiance 31, 63, 68, 76, 81, 86 Managers 56, 68, 87, 90, 133
Création de valeur 31, 89, 90, 114, 138
Croissance 31, 58, 63, 132 O
T3 Culture 9, 37, 38, 59, 85, 89, 100, 107,
O
119, 140 Organisation 4, 8, 17, 19, 20, 25, 26, 27,
rj
c
29,35,41,72, 106, 126
Q

O
D
fN
Dirigeant 8, 16, 30, 35, 57, 59, 63, 84,
114, 140, 144 Performance 83, 92, 93, 96, 101, 117
Processus de décision 26, 31, 130
D.
O Projet collectif 50, 72, 86, 124
(J
Proposition de valeur 102
Écoute 10, 87, 114, 119, 123, I4l Proposition de valeur client 120, 122, 132
Écouter 130, 132 Proposition de valeur collaborateur 119,
Engagement 38, 48, 51, 54, 83, 118 132
Entreprise libérée 1, 2, 4, 8, 14, 37, 79,
93, 144 Q
Épanouissement 50, 83, 92, 93, 124
Éthique 83, 107, 119, 131 Qualité de vie au travail 51,82
70 FAUT-IL LIBERER L'ENTREPRISE ?

R Transformation 4, 7, 17, 31, 41, 47, 63,


68, 70, 72,81,87, 90, 92, 112,
Responsabilité 11, 19, 86, 94, 124, 134, 117, 119, 135, 140, 141
139 Travail 2, 4, 9, 17, 18, 37, 47, 55, 81, 108
V
Sens 19,49, 100, 102, 108, 118, 130
Valeurs 9, 80, 101, 102, 119
Stratégie 19, 27, 69, 102, 122, 132
T
Taylorisme 16, 17, 24, 27, 71, 85

T3
O
c
rj
Q

O
fN

a.
O
(J
Autres ouvrages de G illes Verrier chez D unod

Gilles VERRIER

L 'é q u a tio n g a g n a n t e

T3
O
c
rj
Q

O
fN

C
O
L
(J

D U N O D
Gilles VERRIER

les
RH
7 axes de progrès pour répondre
au malaise des salariés

DUNOD

Vous aimerez peut-être aussi