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best of

tome 2
Cdfcq)
Uactualité
du dirigeant
finance-gestion
Financiers, des acteurs engagés
au service de l'entreprise

EYROLLES á
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C actualité
du dirigeant
finance-gestion

Cet ouvrage rassemble tout ce que le dirigeant finance-gestion


doit connaître de Tactualité. Regroupant les meilleurs articles
rédigés par les experts de la DFCG pour la revue Échanges et
le Blog du Directeur Financier, il constitue un accompagnement
indispensable dans la pratique des métiers finance-gestion pour :
• mieux analyser les thèmes d'actualité;
• approfondir les réflexions de fond ;
• apporter des éclairages sur les évolutions du métier;
• fournir des solutions pratiques.
Ce best of propose ainsi des réponses aux préoccupations
actuelles du dirigeant finance-gestion, permet d'appréhender au
mieux les évolutions de son rôle - dans un contexte d'incertitude,
de nécessité d'une gestion des risques encore plus efficiente - et
de bénéficier d'une meilleure compréhension des processus de
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ш transformation de son métier.
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@ La DFCG est fAssociation Nationale des Directeurs Financiers et


х: de Contrôle de Gestion. Implantée dans toutes les régions de
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France, elle regroupe plus de 3 200 membres de tous les secteurs
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L'actualité du dirigeant
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Best of DFCG
L'actualité du dirigeant
finance-gestion

ТОМЕ 2

FINANCIERS, DES ACTEURS ENGAGÉS


AU SEIN DE L'ENTREPRISE
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EYROLLES
Éditions d’Organisation
Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05

www.editions-eyrolles.com

La collection « DFCG » est dirigée par François-Xavier Simon.

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fNJ

gi En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire


>> intégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support
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O que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de
U
copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles, 2013


ISBN : 978-2-212-55535-6
Sommaire

L a D F C G ................................................................................................. 11

Finance, trésorerie : quelques bonnes pratiques


pour une gestion optimisée.................................................. 13
DAF dans la crise : le cash avant tout ! .............................. 13
Un exemple de politique financière : celle de S E B ......... 18
Les fusions-acquisitions, un outil de réduction
du risque opérationnel ? ........................................................ 22
Financement des PME : quelles solutions alternatives ?.. 24
Une relation de confiance...................................................... 31
La modélisation financière :
utilisations et bonnes pratiques............................................ 34
Les immatériels actifs, de nouvelles approches
pour le directeur financier..................................................... 38
Performance sociale et évaluation financière................... 43
Pourquoi une option n’a pas la même valeur
selon qu elle porte sur une entreprise cotée ou non cotée.. 45
>-
LU

1—1
O
fN Le contrôle de gestion au service de la performance
de l'entreprise ..................................................................................... 49
Ol
>-
Q Indicateurs de performance : évolution et perspectives. 49
Ol
U
Les méthodes d’aide aux choix d’investissements
sont-elles utiles ? ....................................................................... 53
Le contrôle de gestion du contrôle in tern e....................... 59
“ô
LU
(D Le contrôle de gestion a désormais une place centrale
Cl
Z)
O dans les banques....................................................................... 64
(5
Le capital clients, un actif stratégique de valeur durable.. 67
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Com ptabilité : des IFRS au x critères E SG ................................. 75


Des comptes : pour qui ? Pour quoi ? ................................. 75
Vers un grand nettoyage des g oodw ills.............................. 86
Dix ans après le lancement du projet IFRS,
où en est la convergence mondiale
des normes d’information financière ? .............................. 90
IFRS et Coran............................................................................ 94
Pour une entreprise, privilégier les critères ESG
est déterm inant......................................................................... 98
Le compte de résultat environnemental :
un outil financier de dem ain................................................ 101

G ouvernance : des enjeux renforcés pour l'entreprise....... 105


Comment un directeur financier
peut-il conjuguer éthique et profit ? ................................... 105
Les responsables comptables et financiers au cœur
d’une gouvernance plus vertueuse...................................... 109
Quelques réflexions sur la rémunération
des dirigeants............................................................................ 112
La fin des stock-options ?
Pour en finir avec la confusion
entre rémunération et association....................................... 116
>-
uu « Le renouvellement des conseils sera un sujet majeur
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fNJ des AG 2 0 1 2 » ........................................................................... 118
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Droit et fis c a lité .................................................................................. I2l
a.
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U Les chiffres et le droit :
une nécessaire rencontre au so m m et................................. 121
Délégation de pouvoir, mode d’em ploi............................. 125
“ô
Taxer les prix de transfert : LU
CD
CL
le nouveau protectionnisme ................................................ 129 Z)
o

Informatique : où s’arrête la vie privée du salarié ? ........ 131


(5
SOAAMAIRE

La gestion des hommes : source de valeur ajoutée


pour l'entreprise ................................................................................. 137
Pourquoi devenir directeur financier ?.............................. 137
Être femme et professionnelle... dans funivers financier.. 140
Mutations autour de la notion de rém unération........... 145
Dilemme pour le DRH : augmentation générale
ou individualisée ? .................................................................... 153
De la responsabilité des coûts salariaux
dans la perte de compétitivité française............................ 157
Savoir décider dans fu rg en ce............................................... 162

Un contexte économique et financier perturbé,


source de tension pour les entreprises ...................................... 169
L’euro et les crises financières.............................................. 169
Le rôle inexorablement croissant de la B C E .................... 173
L’année du Draghi, Monsieur mille milliards d’euros ... 178
BCE et agences de notation :
une dangereuse partie de poker menteur ! ........................ 183
Pourquoi la BCE refuse-t-elle d’être prêteur
en dernier ressort ? .................................................................. 186
Des « stress tests » bancaires enfin crédibles ? ................. 190

ш De la crise financière à la récession :


го
тН le rôle de transmission des banques.................................... 194
о
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01
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Débats et idées ................................................................................... 199
>>
о.

ио La finance, facteur d’inégalité............................................... 199


Rééchelonner pour faire l'E urope....................................... 203
л Réguler en inform ant.............................................................. 207
~5
ш%
ш La fin des modèles de développement................................ 211
о_

О Peut-il exister une performance financière durable


О
sans performance sociale ?..................................................... 217

7
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Pourquoi faut-il faire reculer la globalisation financière,


sans perdre les autres globalisations ?................................. 220
Taxer les 1 %. Oui, le taux marginal d’impôt
peut dépasser les 80 % ............................................................. 222
Tobin or not Tobin ? ............................................................... 226
La TVA sociale : oui, sauf en Allemagne........................... 231
L’e-G8 : tartufferie ou nécessité ? ....................................... 234
Y a-t-il vraiment une place pour le microcrédit
en France ? ................................................................................. 237
La société coopérative, un nouvel idéal de gestion
et d’investissement ? ................................................................ 244

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8
Préface

Après le premier tome du Best o f DFCG - Lactualité du dirigeant


finance-gestion, qui a tenu toutes ses promesses, et Tabondante
production d’articles, d’analyses et de points de vue de grande
qualité éditée ces 18 derniers mois, nous ne pouvions que vous
proposer ce deuxième tome qui parcourt au gré des auteurs les
« mille et un visages » de la finance d’entreprise.
Ce deuxième tome a été organisé sans distinction du média utilisé.
Échanges ou Le Blog du D irecteur Financier, afin d’offrir au lecteur,
par grandes thématiques, une plus grande diversité d’approches,
de points de vue et de styles.
La revue Échanges s’est dotée en 2012 d’un nouveau comité édito­
rial, désormais présidé par Bruno de Laigue, d’une nouvelle pagi­
nation qui permet aux lecteurs, membres de l’association mais
aussi au plus grand nombre, de bénéficier des dernières expertises,
expériences, éclairages de la part de professionnels de la finance et
de la gestion des entreprises et de leurs conseils. Cette initiative,
sous l’impulsion de Philippe Chastres, a été rendue possible par la
création de DFCG Mag, qui rassemble désormais les informations
relatives à la vie associative de la DFCC. Chacun - acteur bénévole
dans l’ensemble des régions, des groupes de travail, des comités
>.
ш éditoriaux - peut désormais porter davantage les réalisations de
о
l’association.
(N
Une nouvelle rubrique, « Débats et idées », fait son apparition. Elle
sCzT permet d’aborder des sujets sous un angle différent, avec le recul
'l-

CL
indispensable lorsque, notamment, on aborde la performance
O
U sociale et durable. Ce sujet, dans le contexte actuel, nous conduit à
imaginer d’autres paradigmes dans lesquels la finance doit tenir la
place quelle mérite, au service d’un développement plus équilibré
“ô pour l’ensemble des parties prenantes.
LU
(Q_
D Le Blog du D irecteur Financier, toujours animé par François
Z)
O Meunier et fort de son comité éditorial, poursuit sa dynamique
Ô
avec plus de 700 articles publiés et une audience de 8 000 lecteurs
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

assidus chaque mois. Bien entendu, il a fallu faire des choix sur
lensemble des dossiers, articles, billets réalisés par les contribu­
teurs bénévoles que je tiens, une nouvelle fois au nom de la DFCG,
à remercier.
Que ce deuxième tome puisse vous apporter une vision résumée
mais éclairée des grands enjeux d’aujourd’hui et de demain. Nos
professions le méritent bien.
Bonne lecture.
Thierry LUTHI
Président DFCG

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La DFCG

La DFCG est TAssociation Nationale des Directeurs Financiers et


de Contrôle de Gestion.
Implantée dans toutes les régions de France, elle regroupe
3 200 membres de tous les secteurs économiques du pays.
Toutes les tailles d’entreprise sont représentées, de la PME aux
groupes internationaux, à l’image du tissu économique français.
Elle propose entre autres à ses membres de participer à de
nombreux événements (petits déjeuners, conférences, dîners-
débats, form ations...) ; elle organise, chaque année, Financium,
son congrès annuel.
Des groupes de travail, réunis au sein d’un Comité scientifique,
mènent une réflexion sur les différentes problématiques que
rencontrent les dirigeants financiers dans le cadre de leurs fonc­
tions ; les résultats de leurs travaux sont publiés sous forme de
cahiers techniques, d’articles ou de fiches point de vue. En outre,
elle publie le mensuel Échanges, une revue de référence pour la
fonction finance-gestion, L e Blog du Directeur fin an cier, L a Quoti­
dienne (newsletter présentant les actualités de l’association) et L a
Lettre des Professions Financières (lettre hebdomadaire sur l’actua­
lité des professions financières), ainsi qu’une Web TV (DFCG TV).
>-
LU
ro La DFCG est également présente sur les principaux réseaux
tH

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O sociaux : Twitter, Linked’in, Facebook et Viadeo.

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Finance/ trésorerie : luTt
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quelques bonnes pratiques


pour une gestion optimisée

DAF dans la crise : le cash avant tout !


Échanges n° 296, mars 201 2, dossier « Crise et liquidité »
par Benoît Gautier, directeur administratif et financier, groupe Sogetrel

Le monde économique et financier est en crise. Le dire est


aujourd’hui un lieu commun. Ce qui est plus nouveau, cest
dbbserver que la notion de crise, qui renvoyait par le passé à des
moments charnières, passagers, ayant un début et une fin, semble
être devenue aujourd’hui un état permanent, l’état normal des
choses. Les crises se sont succédé depuis vingt-cinq ans avec une
telle fréquence que ce sont désormais les périodes « sans crise » qui
paraissent extraordinaires, révélatrices d’un immobilisme dange­
reusement suspect. Cet état de crise permanente a deux consé­
quences majeures sur le comportement des directeurs

administratifs et financiers. Tout d’abord, il nous force à l’opti­
O
(N misme. À l’évidence, notre société ne mourra pas à cause de la
crise. Sinon, nous serions tous morts depuis longtemps... Elle se
x:
CT transformera. Nous ne vivrons pas la fin « du » monde, tout au
■ j-
>.
O.
O
plus la fin « d’un » monde, sans trop savoir encore celui qui est en
U
train de lui succéder. Ensuite, il accentue un processus de sélection
naturelle de type darwinien, qui était déjà à l’œuvre dans toute
organisation, mais qui a été exacerbé ces dernières années : seuls
“ô subsistent les plus forts, qui sont généralement les plus adaptables.
LU
(CLÜ
n
O

13
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Le suivi du c a s h , suivi ultime de la perfo rm ance


a>
аз о
о Dans notre monde économique et financier, lelément essentiel par
lequel s’exerce cette sélection naturelle est la capacité à générer du
cash. Pour une entreprise, disposer à tout moment du cash néces­
saire est aussi vital que pour Fhomme de disposer de Pair pour
respirer. Un projet peut supporter un résultat insuffisant, mais un
manque de trésorerie le tue ! Le dicton célèbre n a jamais été aussi
vrai : « Problème de rentabilité, mort lente. Problème de trésorerie,
mort rapide ». Et on ne triche pas avec le cash ! On peut « piloter »
son chiffre d’affaires, sa marge, son résultat opérationnel, grâce à
des répartitions analytiques qui sont bien souvent des construc­
tions intellectuelles assez subjectives. Mais on ne peut pas tricher
avec sa situation de cash. Quand il n’y a plus rien à la banque, c’est
fini ! Même si l’on est coté AAA... En période de crise, le suivi du
cash est le suivi ultime de la performance. C’est, traditionnelle­
ment, l’une des missions du directeur financier de gérer le cash ou,
pour employer une expression moins triviale mais qui, somme
toute, signifie la même chose, d’assurer la liquidité de l’entreprise.

To u t c o m m e n c e lors de l' entrée en relation


AVEC LE CLIENT
Le pire serait de commencer à s’occuper du cash au moment où
l’on doit facturer son client... L’obsession du directeur financier
doit être de veiller à ce que l’entreprise ne travaille qu’avec des
>.
clients qui peuvent payer ! Avant l’entrée en relation, il s’assurera
Ш
ГО que l’entreprise a une connaissance correcte et récente de la solva­
T—)

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O bilité de son client, en ayant recours à des enquêtes auprès d’orga­
nismes spécialisés. Le directeur financier doit pouvoir mettre son
CT veto avant l’entrée en relation avec un client jugé peu solvable. Ou,
>•
CL
O
du moins, exiger la mise en place de sûretés appropriées : paiement
U
comptant, à réception, à la commande, garantie bancaire,
caution... V.Enterprise Resource Planning (ERP) de l’entreprise doit
avoir été construit en ce sens et les blocages adéquats prévus. En
période de crise, une étude régulière de l’ensemble de la base “ô
Ш
clients (tous les trois mois) sera effectuée, permettant de cartogra- ш
CL
Z)
phier le risque client de l’entreprise. Ce risque pourra éventuelle­ O

ment être assuré auprès d’un assureur-crédit. Enfin, les équipes du


(5
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

directeur financier seront en état de veille permanente (greffe,


publication des comptes, presse, inscription de privilège...), pour
CDs H !
identifier sans délai les événements concernant les clients de 2 =
Q

lentreprise. S® CD
cd’

Etre rigoureux d a n s la relation contractuelle


AVEC LE CLIENT
Ce qui n aura pas été négocié au départ et inscrit dans les documents
contractuels aura très peu de chance de se réaliser spontanément et
sera presque impossible à modifier après la signature du contrat. Il
en est ainsi des conditions de facturation (à la livraison, à Inaccepta­
tion des travaux, à Favancement...), de leur formalisme, des condi­
tions de réception, des délais de paiement et de leur mode de calcul
(le délai « 45 jours fin de mois » nest pas la même chose que « fin de
mois 45 jours »), des possibilités d’avance de démarrage, d’acompte
à la commande, etc.
D’autant plus que, en réaction à la mise en place de la loi de
modernasition de l’économie (LME) réduisant les délais de paie­
ment, certains « grands » clients ont eu tendance à compliquer le
processus de facturation qu’ils exigent de leurs fournisseurs, offi­
ciellement pour le rendre plus rigoureux ou plus automatisé
(échange de données informatisé - EDI), augmentant ainsi les
délais de facturation. Ce qui a été donné d’une main a été repris de
l’autre... Bien évidemment, le directeur financier fera interdire
strictement le travail sans commande et veillera à la mise en place
>•
LU des blocages informatiques nécessaires.
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JZ
Être perform ant d a n s la relance client
oi
>•
a.
O
Le directeur financier aura mis en place un suivi des échéances
U
clients, réalisées et prévisionnelles (balances âgées), lui permettant
d’identifier rapidement les retards de paiement. Une organisation
performante dans ce domaine comprend à la fois des relances avant
“ô et après échéance, des relances effectuées par les services comp­
LU
(CLÜ tables et par les commerciaux et les opérationnels, des relances
Z)
O automatiques et des relances personnalisées. Le tout exposé dans
(5 une procédure connue de tous. L’ERP doit être paramétré pour

15
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

conserver les motifs de non-paiement et Thistorique des relances. Il


O
doit permettre de bloquer la poursuite de la relation commerciale
2 2
O tyy
ë O en cas d’impayé non résolu. L’intervention des services juridiques et
contentieux doit être planifiée.

Piloter les d écaissem ents

Un bon directeur financier doit avoir « des oursins dans les


poches ». Tout l’art du directeur financier consistera à gérer en
permanence le compromis suivant : respecter les conditions de
paiement contractuelles d’une part, adapter les décaissements aux
encaissements d’autre part. L’objectif étant de minimiser le besoin
en fonds de roulement... sans trop devenir schizophrène.
À cet effet, le directeur financier et ses équipes seront en relation
permanente avec les fournisseurs et les sous-traitants, pour imposer
les conditions de paiement de l’entreprise et refuser le plus possible
les dérogations. Il en sera de même en interne : le directeur financier
doit pouvoir valider les conditions de paiement demandées par les
acheteurs souhaitant déroger aux règles de l’entreprise.
Dans le choix des investissements, il imposera un calcul systéma­
tique de valeur actuelle nette, taux de retour sur investissement, etc.,
à partir de plans de décaissements et d’encaissements actualisés
(selon la méthode discounted cash flo w - DGF). Il participera à
l’arbitrage entre les délais de paiement et les remises fournisseurs.


D iffuser en interne u n r e p o r t in g de c a s h
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1
— 1
O
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Rien ne sert de faire de la marge si l’on n’est pas payé ! Un reporting
© qui se contenterait de suivre la production, la marge, le résultat,
gi même de façon très sophistiquée, ne servirait pas à grand-chose.
>'
CL De ce fait, le directeur financier devra mettre en place un suivi
O
U
quotidien des flux et positions de cash, décomposés en fonction du
découpage analytique de l’entreprise. Il le communiquera réguliè­
rement aux opérationnels, pour mettre en évidence les affaires qui _0

rapportent du cash et celles qui en consomment, sachant qu’une “ô


LU
affaire peut être alternativement l’une et l’autre. Des objectifs de 0
CL
Z)
cash devront être établis par responsables et les bonus impactés par O

leur réalisation.
(5

16
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

gérer c ' est prévoir

Le futur étant par nature incertain, le directeur financier doit CD- =


O

élaborer des prévisions de cash à divers horizons pour diminuer S =


S» CD

cette incertitude. Les prévisions annuelles ou pluriannuelles CD*

(budget, prévisions, business plan...) privilégieront les notions de


structure financière, de besoin en fonds de roulement (BFR), de
cash flow et de jr e e cash flow. Elles serviront de base à la mise en
place des lignes de financement adaptées. Les prévisions
mensuelles permettront d'identifier les besoins ou excédents de
cash en fin de mois et de décider de leur utilisation ou des moyens
de financement. Enfin, les prévisions quotidiennes sont fonda­
mentales en matière de cash. Elles permettent de fixer un plan de
marche quotidien aux équipes, notamment en matière d'encaisse­
ments et de relances, et de positionner les décaissements de façon
optimum dans le mois. L'élaboration de prévisions de cash fiables
et compréhensibles par les non-financiers évite les interprétations
erronées des fluctuations et diminue le stress. Un directeur finan­
cier qui maîtrise son cash est un directeur financier qui rassure.

Entretenir s o n im age

Enfin, en période de crise, le directeur financier doit veiller à être


perçu comme le gardien du temple, aussi bien dans l'entreprise
qu’à l'extérieur. C'est sans doute pour définir sa mission que la
formule de la gestion « en bon père de famille » prend tout son
sens. La fiabilité de ses prévisions et de son reporting doit être
>-
uu reconnue. Son aversion au risque doit être attestée, la pertinence
n
T
— I de ses choix validée. Bref, il doit inspirer confiance, ce qui est la
O
fNJ moindre des choses pour celui qui a la responsabilité de la
sz monnaie fiduciaire de l’entreprise. Les informations qu’il commu­
oi
>•
nique doivent être crédibles, ce qui suppose qu'il les délivre avec
a.
O
U
parcimonie, sans changement de cap, sans vague. Cela ne veut pas
dire que le directeur administratif et financier (DAF) doive être
ennuyeux, seulement rassurant.
“ô
LU
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D
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Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Un exemple de politique financière :


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celle de SEB
Publié le 19 janvier 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Pascal Quiry, enseignant finance-gestion, НЕС et Yann Le Fur,
directeur administratif et financier, Mediobanca

La politique financière d une entreprise doit tenir compte :


b de lenvironnement macroéconomique ;
b de la stratégie générale de lentreprise ;
b et de Tactionnariat.
SEB, le leader mondial du petit électroménager domestique
(six produits vendus chaque seconde dans le monde, 250 nouveaux
produits lancés par an, 3 965 millions deuros de chiffre d’affaires
en 2011), nous paraît être un exemple de ce qu’un bon directeur
financier doit faire pour apporter sa pierre, jour après jour, au
développement et au succès de son entreprise.
SEB a été fondé en 1857 par une famille, les Lescure, qui ont intro­
duit en Bourse le groupe en 1975 et qui détiennent actuellement
44 % des actions, 57 % des droits de vote, et dix postes d’adminis­
trateurs sur quinze.
Cette famille donne l’impression de se sentir moins propriétaire de
ses actions que dépositaire de celles-ci pour la génération suivante,
un peu dans l’esprit de slogan publicitaire des montres Patek
>- Philippe h
Ш
го Compte tenu de cet état d’esprit, nos lecteurs ne seront pas surpris
тН
о
fNJ que la politique financière soit marquée du sceau de la prudence.
Sur les dix dernières années, le rapport dette/excédent brut
gi
d’exploitation (EBE) n’a jamais dépassé deux fois. De la même
Q.
О
U façon depuis 1985^, le dividende par action n’a jamais été réduit, ce
qui veut dire que le taux de distribution moyen est faible pour
permettre à l’entreprise de s’autofinancer plus largement, mais

Ш

1. « You never actu ally own a P atek Philippe. Your m erely look after it f o r the CD
Q_
Z)
next generation. » O

2. Nous ne sommes pas remontés avant. ô


Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

aussi pour ne pas avoir à réduire le dividende par action en cas de


crise sévère comme en 1998 et 1999 (crise russe).
CDs 13

Lorsque le bloc familial est fait denviron 260 membres dont un ¡S


¿2 =
Q
S® CD
seul travaille dans lentreprise, il vaut mieux faire attention à la CD*

politique de distribution : pour certains actionnaires familiaux,


cela représente une partie importante de leurs revenus. La fidélité
actionnariale a pour corollaire la constance dans la politique de
distribution : dividende jamais réduit et progressant en moyenne
de 8,3% par an.
La stratégie générale de lentreprise est le second élément détermi­
nant d’une politique financière. SEB est dans un secteur d’intensité
capitalistique faible : le rapport chiffre d’affaires sur actif écono­
mique est de l’ordre de 1,7 et les investissements annuels, de l’ordre
de 120 millions d’euros, représentent 30% de la capacité d’autofi­
nancement. En fait, une partie des investissements passe par le
compte de résultat : la recherche-développement (2 % du chiffre
d’affaires) et la publicité (3% à 4% , soit autant que les investisse­
ments classiques).
Dans ce secteur, SEB croît par croissance organique fondée sur
l’expansion géographique (présent dans 150 pays) et l’innovation
produit (de la super-cocotte à la friteuse Actifry), mais aussi très
largement par croissance externe. Des 21 marques que possède le
groupe, une seule a été développée en interne (SEB), toutes les
autres (Moulinex, Tefal, Krups, Calor, Lagostina, Supor,
Rowenta...) ont été acquises, dont la moitié depuis 2001.
>-

Autrement dit, la politique financière de SEB doit ménager des
ro réserves de liquidités importantes, mobilisables à tout moment car
rvj
O
en matière de croissance externe, il faut comme saint Matthieu
sz
« veiller, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » où telle ou telle
CT
>-
cible deviendra disponible.
Q.
O
U Si SEB n’a un endettement bancaire et financier net que de
251 millions d’euros au 30 juin 2011, il dispose de ressources à long
terme, tirées ou non, de 1,2 million d’euros en 2011 qui ne tombent
= (du fait des remboursements contractuels) qu’à 900 millions

LXJ
(D
d’euros en 2015. De quoi faire des emplettes !
CL
Z)
O Ce qui veut aussi dire que le groupe supporte un coût pour cette
Ô
flexibilité puisque les ressources à long terme tirées (537 millions

19
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

deuros au 30 juin 2011), non utilisées dans le financement de


03 O Tactif économique (475 millions deuros à la même date) et donc
O
'03
wr> placées en trésorerie ne rapportent pas dans le contexte actuel le
même taux d’intérêt quelles ne coûtent. Mais comme toute police
d’assurance, la flexibilité financière a un coût.
En matière de financements, SEB n’a eu de cesse depuis quelques
années de suivre quatre principes :
^ diversifier ses sources de financement ;
^ étendre la maturité des financements ;
^ être proche d’un nombre limité de banquiers ;
^ mettre en place des documentations juridiques souples et les
moins contraignantes possible.
Diversifier les sources de financement, cela signifie compléter les
sources de financement existantes auprès des banques et du
marché des billets de trésorerie par l’appel au marché obligataire
coté (300 millions d’euros sur cinq ans placés en mai 2011) et au
marché obligataire privé (émission en 2008 de 161 millions d’euros
d’obligations dites Schuldschein^ à échéances 2013 et 2015 sous­
crites par des investisseurs allemands).
Étendre la maturité des financements correspond principalement à
réduire fortement la part du financement par billets de trésorerie,
ressources par définition à court terme^. Réduire ne veut pas dire
arrêter. Le programme de 600 millions d’euros n’a jamais été arrêté
pour que les investisseurs sur ce marché n’aient pas la pénible
impression que SEB ne vient les solliciter que lorsqu’il a besoin
>-
LJU
m d’eux et qu’il ne trouve pas de ressources ailleurs.
O
(N Être proche d’un nombre limité de banques afin de pouvoir être
© plus sûr de leur engagement à soutenir le groupe, y compris dans
CT
les moments difficiles, a signifié réduire le nombre de banques
>'
CL
O participantes au crédit syndiqué de 40 à 9 à son renouvellement en
U
2004, puis à 7 en 2006 et 2011. Celles-ci, en contrepartie d’une
prise de risque supérieure, ont trouvé une part de marché plus
importante dans le « side business » qui améliore la rentabilité pour
“Ö
LU
0
CL
Z3
1. Pour plus de détails, voir le chapitre 30 du Vernimmen 2012. O

2. Pour plus de détails, voir le chapitre 26 du Vernimmen 2012. Ô

20
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

elles de Tactivité de crédit : cash management, change, couverture,


épargne salariale, etc.
CD- =
a
L’inconvénient dune telle pratique est que si lune des banques venait 2 =î
CD
à disparaître (faillite, rachat, fusion), ce qui est toujours possible dans c5‘
l’environnement actuel, un besoin de financement naîtrait à moyen
terme. Mais nul doute que compte tenu de la qualité de l’entreprise,
quelques établissements se précipiteraient pour se substituer.
Concernant la documentation juridique souple et la moins contrai­
gnante possible, le cheval de bataille de SEB a été de faire sauter ses
covenants^ ce qu’il a obtenu en 2006. C’est plus une question de
principe qu’autre chose. Le faible risque relatif de son activité et son
faible niveau d’endettement expliquent cette situation.
Bien évidemment, avoir une politique financière intelligente est
beaucoup plus facile lorsque l’entreprise est performante opéra-
tionnellement et que le niveau d’endettement est faible : limiter le
nombre de banques et axer principalement la dette sur les
échéances de long terme avec des documentations bancaires
légères s’avèrent moins faciles pour les groupes plus lourdement
endettés. Cela dit, c’est quand tout va bien qu’il faut être rigoureux
et exigeant car quand la situation d’exploitation se dégrade, il est
trop tard pour bien faire.
De même, la diversification des sources de financement est plus
compliquée pour les groupes plus petits : pas d’accès au marché
obligataire, voire aux billets de trésorerie. Mais d’autres sources
restent disponibles (factoring, leasing). La diversification des
sources de financement n’est pas enfin sans coût : lourdeurs de

ro gestion, voire décotes de liquidité si les produits de marché sont
1
— 1
O
r\J
émis en trop faibles volumes. Il doit donc y avoir un équilibre. Il
© semble que SEB l’a trouvé.
gi Notre lecteur aura compris que la politique financière de SEB a un
>'
CL
O côté exemplaire par son adéquation à son environnement indus­
U
triel et actionnarial. Il ne nous appartient pas de décerner des prix
Vernimmen mais s’il en existait un, la direction financière de SEB,
dont la devise est « Sale is vanity, p rofit is sanity, cash is reality »,
“Ö
G
LU
serait un sérieux prétendant.
(D
CL
3
O

Ü 1. Pour plus de détails, voir le chapitre 39 du Vernimmen 2012.

21
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

оэ
Les fusions-acquisitions, un outil
2 2
Е о
С 'ф
о ьо
de réduction du risque opérationnel ?
Publié le 19 décembre 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Pascal Quiry, enseignant finance-gestion, НЕС et Simon Gueguen,
enseignant-chercheur à Paris-Dauphine

Deux chercheurs américains ont publié récemment un article^


portant sur les motivations des fusions-acquisitions dentreprises.
Ils se sont tout particulièrement intéressés aux éléments déclen­
cheurs des vagues de fusions, puisqu’il est établi depuis longtemps
que la grande majorité des fusions-acquisitions a lieu par vagues,
industrie par industrie^. Deux facteurs déclencheurs de vagues de
fusions-acquisitions dans un secteur économique avaient déjà été
identifiés par la recherche :
^ des valorisations boursières historiquement élevées des initia­
teurs ;
^ des chocs économiques dans le secteur concerné ; ces chocs
consistent en une variation exceptionnellement élevée (à la hausse
ou à la baisse) de différentes données sectorielles (ventes, profita­
bilité, investissement, R&D, emploi, rentabilité économique).
L’article montre qu’il existe un troisième élément déclencheur,
statistiquement et économiquement significatif : la volatilité des
flux de trésorerie (ou cash flow). L’idée est que les opérations de
fusion peuvent avoir un objectif de gestion du risque en situation
>*
Ш
n d’incertitude. Ce sont les fusions verticales qui sont ici visées.
T
— I
O
fNJ L’idée originale se trouve dans un article de 1971 d’Oliver
Williamson^, prix Nobel d’économie 2009 : l’intégration verticale
JC
oi
>•
a.
O
U 1. Jon A. Garfinkel et Kristine Watson Hankins, 2011, «The role of risk
management in mergers and merger waves », Jou rn al o f F in an cial Econo-
m icS y vol. 101, p. 515-532.
2. Les auteurs reprennent à ce sujet un article de Jarrad Harford, 2005, « What
“Ö
drives merger waves ? », Jou rn al o f Financial EconomicSy vol. 11 yp. 529-560. Ш

3. Oliver E. Williamson, 1971, « The vertical integration of production : Ш


CL
Z)
market failure considerations », A m erican E con om ie RevieWy vol. 61, O
p. 112-123. (5

22
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

permet de contourner des difficultés à s’engager sur des contrats,


en particulier en période d’incertitudes.
CDs Z3
Й
S Q=
Par exemple, le fait de fusionner avec un fournisseur permet
S® «O
d’internaliser des charges externes et de stabiliser ainsi les coûts CD*

d’approvisionnement. En cas de fortes incertitudes, il s’avère diffi­


cile de rédiger, avec les fournisseurs, des contrats suffisamment
précis pour prévoir toutes les situations possibles et réduire l’incer­
titude ; la fusion (verticale) est donc une bonne solution. Les
fusions verticales agiraient donc comme une couverture opéra­
tionnelle contre le risque, éventuellement moins chère et plus effi­
cace que d’autres formes de couverture.
L’étude empirique, fondée sur un échantillon large de fusions aux
États-Unis entre 2001 et 2006, révèle que lorsque la volatilité des
cash flows^ des entreprises d’un secteur augmente d’un écart type,
la probabilité de déclenchement l’année suivante d’une vague de
fusions dans ce secteur augmente d’environ 0,6% . Ce chiffre qui
peut sembler faible est en réalité économiquement significatif : la
probabilité absolue de déclenchement d’une vague de fusion par
secteur et par an n’est que de 3,24% selon la méthodologie (restric­
tive) suivie par les auteurs.
À titre de comparaison, l’effet lié aux chocs économiques est infé­
rieur à 0,3 %. La proportion de fusions verticales dans le total des
fusions est également plus forte, ce qui laisse présumer que c’est
bien la couverture opérationnelle qui est recherchée.
Les auteurs confirment cet objectif de gestion du risque par une
>*
Ш analyse individuelle (et non plus sectorielle) des fusions. Les entre­
m
T

O
)
prises qui voient une hausse de la volatilité de leurs cash flows sont
fNJ
plus nombreuses à initier une fusion verticale. Enfin, l’analyse
gi indique que cette couverture opérationnelle est effective : la volatilité
a.
des cash flows diminue significativement après une fusion verticale.
O
U

1. Il est à noter que les auteurs désignent génériquement par « cash flows »
_Ф des éléments du compte de résultat qui ne sont pas au sens le plus strict des
“Ô
Ш
flux de trésorerie. Deux mesures sont utilisées dans l’article (et aboutissent
(CLÜ sensiblement aux mêmes résultats). La première est VOperating Incom e
Г)
O B efore D epreciation (OIBD), qui correspond en français à l’excédent brut
Ü d’exploitation (EBE). La seconde est le coût des ventes {cost o f goods sold).

23
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Cet article identifie empiriquement la gestion du risque comme


03 lune des motivations des fusions verticales. Au niveau sectoriel,
03 O)
O
wo cette motivation peut même favoriser le déclenchement de vagues
'0 3

03
de fusion ; et ce comportement conduit à une réduction effective
de la volatilité des cash flows.

Financement des PME :


quelles solutions alternatives ?
Échanges n° 297, avril 201 2,
dossier « L'approche environnementale de l'entreprise »
par le groupe de travoil « Solutions de financement alternatif des PME »
du comité scientifique de la DFCG

Aucune issue crédible à la crise de la dette ne semble se dessiner.


Aussi, des inquiétudes existent sur la capacité des banques à
financer les entreprises, d’autant que Bâle III pourrait également
peser sur le robinet du crédit. Ainsi, les entreprises doivent doré­
navant rechercher des solutions de financement complémentaires
au crédit bancaire.

La m obilisation du poste clients


>-
UJ
ro L’entreprise B2B peut financer de façon souple ses créances
O
(N commerciales via l’affacturage, aujourd’hui banalisé, et bénéficier
sz d’un financement court terme récurrent, tout en externalisant son
ai
>- recouvrement et en se couvrant contre le risque d’insolvabilité de
CL
O
U
ses clients.
Les affactureurs ont montré, en période de crise, qu’ils étaient présents
pour soutenir les PME-PMI, même en cas de difficultés financières
temporaires. En affacturage, trois solutions génériques existent :
LU
^ le « fu ll factoring », pour lequel le fa cto r assume les trois fonctions CD
CL
Z)
évoquées auparavant, est ouvert à toutes les entreprises dont les O
facturations de produits ou services sont clairement définies ;
6

24
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

^ l’affacturage « avec recours », sans couverture contre Finsolvabi-


lité des acheteurs, suppose une plus grande solidité financière de
l’entreprise, pour lui permettre d’absorber l’insolvabilité d’un ou
de plusieurs acheteurs ; CD*
CD

^ le « mandat de gestion » : l’entreprise assume la relance, le recou­


vrement et l’encaissement de ses factures auprès de ses clients,
dans certains cas sans notification. Il suppose des niveaux élevés
de solidité financière et des processus de recouvrement efficaces,
documentés et audités.
Face aux réticences historiques vis-à-vis de l’affacturage, le déve­
loppement de l’offre produits et de la taille des acteurs ont élargi la
palette d’entreprises éligibles - de la PME, voire TPE, aux grands
groupes - en proposant des solutions répondant à des probléma­
tiques de plus en plus variées, pour des montants pouvant dépasser
100 millions d’euros. L’affacturage export s’est, par exemple, très
fortement développé au cours des cinq dernières années pour
représenter aujourd’hui 18% de l’activité contre 10% il y a
cinq ansh Au total, les encours de crédit en affacturage atteignent
aujourd’hui 25 milliards d’euros, soit deux fois et demie les autres
formes de crédit court terme causé, contre le même montant il y a
cinq ans^.

Le recours au crédit fournisseur

Le concept de EabLight (sous-traitance généralisée) et la rationali­


sation extrême des achats privilégiant des fournisseurs éloignés ont
>-
UJ
rapidement subi le contrecoup de leurs modèles. Confrontés à des
ro phénomènes imprévisibles, certains donneurs d’ordres se sont vus
O
(N privés de leurs sources d’approvisionnement, sans pouvoir se
sz
replier sur leurs sous-traitants historiques qui, s’ils n’avaient pas
ai disparu, n’avaient plus la capacité d’absorber des charges supplé­
>-
CL
O
U
mentaires. D’autres sont à présent confrontés à l’incapacité de leurs
sous-traitants à se conformer aux nouvelles normes de fabrication
ou à accroître leur capacité de production par manque de capacité
financière. De grands donneurs d’ordres aident aujourd’hui leurs

%
IJJ
CD
CL
3
O 1. Source ASF.
Ü 2. Source ASF.

25
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

partenaires en participant aux financements de leur outil de travail


(paiement des NRC^ par exemple) ou en acceptant de réduire leur
2 £
E O délai de paiement afin de transférer aux sous-traitants des gains de
c 'Ф
a bo

BFR.

Les outils pour fin an cer les investissements


ET LA R&D
D’après la I P édition du baromètre KPMG-CGPME sur le finance­
ment et l’accès au crédit des PME, publiée en septembre 2011, 42%
des dirigeants enregistrent des besoins de financement de leurs
investissements et 26% déclarent restreindre leurs projets du fait des
difficultés d’accès au crédit. Dans le contexte actuel, les entreprises
qui auront su préserver leurs projets de développement en matière
d’investissements et de R&D auront pris une sérieuse option sur
leurs concurrentes, une fois la confiance rétablie.

Le crédit impôt recherche (CIR). Avec 4,5 milliards d’euros de


financement en 2010, le CIR est le premier dispositif de financement
public de la recherche privée en France. Malgré une restriction crois­
sante du dispositif depuis 2008 (réduction de l’assiette de dépenses,
plafonnement des dépenses de sous-traitance, critère d’éligibilité au
remboursement immédiat plus strict), le CIR reste un moyen très
efficace de financer l’innovation en France, toujours plébiscité par les
entreprises.

Les aides Oséo. Oséo Innovation soutient également les risques


>. financiers inhérents aux projets de R&D en fonction de leurs succès
Ш
n
T
— I
technologiques et commerciaux. On distingue l’aide à l’innovation,
O
fNJ financement sous forme de prêt à taux zéro dont le remboursement
dépend du succès commercial du projet, et l’aide à la faisabilité
JC
oi permettant de financer jusqu’à 50% des dépenses engagées -
>•
a.
O plafonnée à 50 000 euros. Enfin, pour les PME répondant à des
U
critères d’éligibilité très stricts, le statut de jeune entreprise innovante
(JEI) permet de bénéficier d’une réduction des charges patronales
pour le personnel dédié aux activités de R&D et l’exonération de
“ô
certaines charges fiscales. Ш
Ш
Q_
Z)
O
1. N on Recuring CostSy ndlr. (5

26
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

Les aides de l’État. LÉtat s'attache lui aussi à promouvoir un envi­


ronnement global favorable aux entreprises et à l'innovation en S
_
S. ^
soutenant l'effort de R&D déployé au sein des pôles de compétitivité. i/*
O
C3
=3
3 s
Il accompagne ainsi leurs développements en octroyant, via le fonds S'
unique interministériel doté de 600 millions d'euros sur la période
2009-2011, des aides financières aux meilleurs projets de R&D et aux
plates-formes d'innovation portant sur le développement de produits
ou services susceptibles d'être mis sur le marché à court ou moyen
terme.

L’accompagnement par les grands groupes. « Les relations avec les


grandes entreprises sont l'un des sujets clés du financement des
PME », expliquait récemment Gérard Rameix, médiateur du crédit.
Ainsi, une vingtaine de grands groupes, dont Danone, Eiffage, Thales
et Véolia, ont signé début 2010 une charte de bonne conduite en
faveur des PME portant notamment sur l'application de la LME et le
mode de rémunération des acheteurs. D'autres grands groupes sont
allés beaucoup plus loin et l’on recense aujourd'hui trois principales
modalités d’accompagnement financier des PME par les grands
groupes. Tout d'abord, la mise en œuvre de modes de financement
favorisant l'acquisition de biens d'équipement visant à soutenir le
développement technologique de leurs clients. Il s'agit notamment des
dispositifs mis en place par HP en partenariat avec BNP Paris Leasing
Solutions, et d’IBM Global Financing qui prévoient de consacrer
5 milliards d'euros pour financer, en partenariat avec Oséo, les projets
de développement IT des entreprises innovantes. Dans le cadre d'un
accord de partenariat signé en octobre 2011 avec Oséo, Total se verra
>-
Ш proposer des projets novateurs dans les domaines technologiques. Les
ГО

O
PME ainsi sélectionnées pourront bénéficier d'une mise en relation
(N
avec Total en vue du financement de leurs projets de développement
sz
ai dans les phases critiques de lancement.
>.
CL Enfin, plusieurs initiatives ont été lancées par des organismes non
O
U
financiers. Orange et Publicis par exemple se sont alliés pour créer
un fonds de capital-risque, doté de 150 millions d'euros, visant à
investir dans les PME innovantes à partir du premier semestre 2012.
“ô Dans le même esprit, la Fédération des industries électrique, électro­
Ш
(CLÜ nique et de communication lance un fonds de 35 millions d’euros,
a
O auquel participeront le Crédit agricole, les Banques populaires et la
Ü Caisse des dépôts et consignations, proposant des financements à

27
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

moyen/long terme tenant ainsi compte de l’horizon économique des


03 ^ projets industriels des PME.
O
'03
wo
Le leasing. Avec 200 milliards d’euros par an consacrés au finance­
ment de nouveaux investissements en Europe, le leasing demeure un
dispositif incontournable lorsqu’il s’agit de financer un investisse­
ment. Cependant, 80 % des financements par leasing étant portés par
les filiales bancaires, une restriction de cette forme de financement,
sous l’effet de Bâle III, est à prévoir. Aussi, certains dispositifs
prévoient le financement d’actifs industriels sous la forme du regrou­
pement de plusieurs contrats de location financière dont le finance­
ment est réalisé auprès d’investisseurs non bancaires. Les actifs sont
valorisés à leur valeur de revente et les contrats regroupés pour
réduire le risque dans un fonds commun de titrisation.
Les fonds généralistes. Le capital investissement joue un rôle majeur
dans l’économie française. Il contribue à la promotion de l’innovation
et des nouvelles technologies, à la création d’entreprises, et donc à la
croissance. De nombreux fonds généralistes sont regroupés au sein
de l’Association française des investisseurs en capital (Afic).
Les fonds spécialisés. Pour financer leurs investissements, les entre­
prises peuvent également se tourner vers les structures nationales ou
régionales qui, conscientes des difficultés de financement actuelles,
ont créé des fonds dédiés. L’État vient de renforcer les moyens du
fonds stratégique d’investissement (ESI) en faveur des PME via la
création du ESI Régions, guichet unique doté d’une enveloppe
d’investissement d’un montant de 350 millions d’euros ; il coordon­
>- nera, au niveau régional, l’action des différents organismes aidant au

ro financement des PME. Par ailleurs, la Caisse des dépôts et consigna­
rvj
O
tions (CDC) renforce sa présence en investissant dans les fonds
sz
sectoriels dont les politiques d’investissements sont menées par des
CT
'l- professionnels du secteur visé. Les fam ily office, regroupées au sein de
CL
O l’Association française des fam ily office (Affo), sont également actives
U
sur ce type de fonds. Parmi les initiatives régionales, le fonds de parti­
cipation Jeremie^ alimenté par l’Europe et la région Languedoc-
Roussillon, en renforçant des fonds d’amorçage, de capital-risque et _0)
“ô
LU
CD
Q_
Z)
1. Jeremie : Joint E uropean Resources f o r M icro to M edium Enterprises (Res­ O
sources européennes conjointes pour les microentreprises et les PME). 6

28
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

de garantie à hauteur de 30 millions deuros, permettra de mobiliser


jusqu à 110 millions au profit des PME. Enfin, le FRIS (France
Active) est un fonds régional d’investissement solidaire dont lobjectif (/>
CD' =
O
a
Z3
i- i
CD CO
est de renforcer les fonds propres des entreprises solidaires. Il inter­ CD*

vient en prêt participatif et compte courant d’associés afin de favo­


riser d’autres concours financiers, en particulier bancaires. Ils sont
limités à 60 000 euros pour une durée maximale de cinq ans, pouvant
être portée à sept ans en cas de financement d’investissement amor­
tissable sur cette durée.

Q uels outils pour renforcer ses f o n d s propres ?


Face au contexte actuel, améliorer l’accès des PME aux finance­
ments de marché, que ce soit en fonds propres ou en dettes obliga­
taires, constitue un sujet d’actualité en ce premier semestre 2012.
Ainsi, pour renforcer leurs fonds propres, entre les solutions
extrêmes que sont les augmentations de capital par simple apport
en numéraire et des opérations plus complexes d’appel public à
l’épargne, plusieurs options existent.

La dette hybride. En plus des formes classiques de renforcement des


fonds propres - bons de souscription d’actions, obligations avec bons
de souscription d’actions ou autres quasi-fonds propres - , les sociétés
affichent un goût croissant pour la dette hybride. Parmi celles-ci, les
obligations convertibles (OC/OCA) et les obligations remboursables
en actions (ORA) figurent en première position, portées par un avan­
tage comparatif en matière de coûts de financement. Si les obligations
>-
Ш
convertibles peuvent faire office de substituts avantageux aux dettes
en bancaires, les formes alternatives de dette hybride servent souvent
O
(N des objectifs différents. C’est le cas des ORA, couramment utilisées
x: pour compléter le package de financement d’une acquisition. Une
ai
évolution technique de ces produits a donné naissance à l’Ornane
a.
U
O (obligation remboursable en numéraire et en actions nouvelles et
existantes), version française des obligations avec net shares settle­
ment américaines, pouvant, à certaines conditions, limiter la dilution
_Q) de l’actionnaire.
“Ô
Ш
CD
CL
Les emprunts obligataires groupés. Pour les entreprises n’ayant
3
O pas les moyens de réaliser ce type d’opérations, des dispositifs
Ü permettent d’émettre des obligations via des emprunts obligataires

29
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

groupés. Plusieurs acteurs proposent des dispositifs pour rémis­


a» Ш
sion dobligations à long terme assorties du remboursement différé
O du capital. Certains s'adressent plutôt aux TPE, avec des montants
unitaires demission compris entre 150 000 et 300 000 euros, alors
que d'autres permettent des émissions obligataires allant jusqu'à
20 millions d'euros. Les titres émis sont souscrits par un fonds
commun de titrisation qui émet, à son tour, des obligations notées,
à destination des investisseurs institutionnels. De façon compa­
rable, le groupement d'emprunts GIAC contribue à la résolution du
problème de financement des entreprises de taille intermédiaire.
Pour les entreprises sélectionnées, les conditions d'émission des
obligations incluent une participation, en pourcentage des
montants octroyés, au capital du GIAC et à un fonds de garantie.
Afin de diversifier ses services auprès des entreprises et de simpli­
fier le montage et la gestion des opérations de financement, le
GIAC a créé en 2010 une société de gestion de portefeuille destinée
à intervenir à travers deux types de fonds : un fonds commun de
titrisation obligataire et un fonds commun de placement à risque.

Le prêt participatif constitue également une solution alternative.


Assimilé au bilan à un apport en fonds propres, sans prise de
garantie, il n'oblige pas de fait à une ouverture du capital. En
contrepartie du risque pris, le prêteur participatif perçoit, en plus
des intérêts, un complément de rémunération, fonction de la
performance de l'entreprise et défini à la signature du contrat. Ce
type de solution, assez rare, est généralement proposé dans le cadre
>- d'un plan de soutien avec un organisme d'État associé à un prêt
Ш
Г0 bancaire classique. C'est le cas par exemple du « contrat de déve­
tH

rvj
O
loppement participatif » proposé par Oséo.

JC
oi Les Bourses alternatives. Les PME peuvent encore recourir aux
>•
a. financements en capitaux résultant des programmes de défiscalisa­
O
U tion (ISF & IR) ou aux Bourses alternatives, agréées par l'Autorité
des marchés financiers (AMF), dont les cotations mensuelles sont
davantage en rapport avec la réalité économique des PME. Ces
Bourses permettent aux investisseurs privés de défiscaliser directe­ "ô
Ш
ment leurs investissements, en choisissant eux-mêmes les sociétés Ш
CL
Z5
dans lesquelles ils croient et qui ont été préalablement sélection­ O
nées, sans passer par de coûteux intermédiaires généralistes. Véri-
(5

30
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

tables plates-formes Internet d’investissement, elles sont amenées à


prendre rapidement de lessor et à participer, à terme, aux finance­
CDv S
ments directs des PME. Par exemple, Alternativa - la première 4Л ca

Bourse alternative - créée en Suède en 2003, se développe désor­ c5‘


CD

mais en France, avec l’agrément de FAME et de l’Autorité de


contrôle prudentiel (ACP) ; elle permet aux particuliers investis­
seurs désireux de financer la croissance de ces entreprises tout en
réduisant leurs impôts d’investir directement au capital de PME
sélectionnées.

Même si la crise économique rend l’accès aux financements, pour


les PME françaises, beaucoup plus compliqué que pour celles
d’autres pays européens, principalement pour des raisons structu­
relles liées à l’organisation de notre système bancaire. Le directeur
financier qui souhaite organiser le financement de son entreprise
par ces temps difficiles dispose de moyens alternatifs et/ou
complémentaires au système bancaire, à condition de faire preuve
d’ingéniosité, mais surtout de patience et de persévérance, qui sont
trois qualités essentielles dans nos métiers en temps de crise.

Une relation de confiance


Échanges n° 2 8 3, janvier 2011,
dossier « Banques et entreprises : regards croisés »
>-
Ш par Clotilde Bouchet, administratrice Fondation DFCG et Jean-Louis Klein,
responsable de la direction des entreprises. Crédit du Nord
O
(N
x:
CT
'i-
À l’heure où la relation banque-entreprise fait débat, nous avons
CL
O
souhaité apporter notre témoignage conjoint et esquisser quelques
U
pistes de réflexion en ouverture de ce dossier illustré par des
témoignages de directeurs financiers, d’une part, et de banquiers
d’entreprise, d’autre part. Quels sont les termes du débat ? Les
Æ
~ô entreprises, notamment les PME, reprocheraient à leur banque,
LU
(CLD incompétence des conseillers, instabilité, manque de réactivité et
O
O aversion au risque. Quant aux banques, elles déploreraient le
Ô
manque d’informations, pire, d’être mises devant le fait accompli et

31
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

detre confrontées de façon impromptue à des situations de défaut


о de paiement.
S3 2
s о
С '<М
о ьо
Certains médias insistent à lenvi sur lexistence d’une vraie frac­
09 ture. Celle-ci est-elle bien réelle ? Dans les faits, si Ion interroge les
conseillers clientèle, les relations sont beaucoup plus apaisées ; et,
sans nier lexistence de situations parfois tendues, il existe un vrai
décalage entre leur vécu au quotidien de la relation et l’image
conflictuelle qui en est donnée. Les enquêtes annuelles de satisfac­
tion menées pour le compte des établissements bancaires auprès de
leurs clients confirment que ceux-ci, en général, jugent favorable­
ment leurs banquiers. La crise, qui est passée par là, aurait même
eu comme conséquence inattendue un rapprochement de l’entre­
prise et de son banquier, une solidarité de fait fondée sur des inté­
rêts partagés bien compris. Cette relation de confiance repose sur
des échanges professionnels réguliers, fondés sur le respect et la
transparence mutuels entre la banque et l’entreprise. Les enquêtes
de satisfaction révèlent que la notation est serrée pour ce qui
concerne l’offre de produits et qu’en revanche, les écarts de nota­
tion se creusent d’une banque à l’autre sur la qualité des relations.

L'im po rtan ce du relationnel

C’est donc bien le « relationnel » qui fait la différence : les produits


bancaires étant banalisés, les innovations très rapidement copiées,
la qualité des conseillers apparaît ici comme un point critique. Au-
delà de la diversité des talents et des personnalités, discriminante
>•
Ш
est la capacité du conseiller à comprendre et à expliciter les besoins
Г0
T—)
de l’entreprise, et à mettre en regard les possibilités et les contraintes
rvj
O
de la banque. Les directeurs financiers, s'ils conçoivent bien que les
JZ
conseillers ne sont pas nécessairement décideurs, veulent en fait
CT
>• traiter avec de vrais banquiers et non pas avec des intermédiaires
CL
O
U
transparents. Une attention forte est portée aussi à la continuité de
la relation et il semble que, sur ce plan, la gestion des mutations des
conseillers et le partage de la connaissance de l'entreprise par
plusieurs acteurs au sein de la banque soient déterminants. _0)
“ô
LU
Le directeur financier, du point de vue du conseiller est, quant à lui, ш
CL
Z)
considéré comme un passage obligé, un interlocuteur incontour­ O
nable qui a l’oreille du dirigeant, avec lequel il est essentiel d’établir
(5

32
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

une relation de confiance dans toutes les situations, même les plus
difficiles. Cela implique que le directeur financier soit proactif dans
CD' 2
la présentation des comptes et du renouvellement des lignes, qu il O
O
=3

mette en perspective les données chiffrées avec f activité et les projets 5 s


CD*

de lentreprise, qu il fasse mentir la fameuse thèse de fasymétrie


d’information subie par le banquier ; qu’il l’informe donc le plus en
amont possible de ses besoins de financement pour que soient
recherchées communément des solutions de financement adaptées,
compétitives et dans des délais compatibles avec les besoins de
l’entreprise.

Le banquier, en effet, pour jouer pleinement son rôle, attend d’être


considéré comme un partenaire à part entière et aspire à une
approche globale de la relation bancaire, loin d’une relation
uniquement mercantile de fournitures de prestations.

U ne relation mise à l' épreuve par la crise

La crise a mis à l’épreuve cette relation : là où elle était branlante,


elle a cassé, là où elle reposait sur la confiance, elle s’est renforcée.
Elle a pu entraîner une moindre disponibilité des directeurs finan­
ciers et une raréfaction des échanges quotidiens, l’ensemble des
forces de l’entreprise étant concentrées sur le soutien à l’activité et
le recouvrement des créances. Dans ce contexte, les relations impli­
quant, outre le directeur financier et le conseiller clientèle,
plusieurs points d’ancrage personnalisés (selon la taille des entre­
prises, le service comptable, le trésorier, mais aussi la direction
>-
LJU générale, et du côté de la banque, un acteur investi dans la relation
m
O
au quotidien, le directeur de l’agence voire son directeur régional)
(N ont montré leur efficacité. Les entreprises apprécient de ne pas
sz avoir à réexpliquer sans cesse à de nouveaux interlocuteurs ce
CT
>- qu’elles font, mais aussi ce quelles attendent de leurs banques, y
Q.
O
U compris dans le traitement quotidien de leurs flux, la confiance et
la connaissance se construisant et se cultivant de façon continue à
tous les niveaux.
=
~ô Cette relation de confiance réciproque construite dans le temps
LXJ
(D
CL
constitue un arrière-plan qui fluidifie les échanges dans les
Z)
O moments clés ; le directeur financier aborde sa banque de façon
6 plus sereine sur les sujets les plus difficiles ; le conseiller, en retour.

33
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

exerce pleinement son rôle de banquier, en mobilisant à la fois les


O

O O
ressources de la banque et éventuellement certains moyens à lexté-
5 O
O (/> rieur (assurance crédit, fonds propres, intervention d'O séo...) ; la
mise en place de lignes de financement additionnelles, accompa­
gnées le cas échéant de garanties complémentaires, alors que les
indicateurs court terme peuvent être au rouge, en est grandement
facilitée. Lexpression claire des besoins de lentreprise par le direc­
teur financier et leur bonne appréhension par le conseiller sont
également le gage de décisions rapides, ce qui semble être aussi une
leçon de la crise.

La modélisation financière :
utilisations et bonnes pratiques
Échanges n° 285, mars 2011, dossier « Quel avenir pour les PME françaises ? »
par Antoine Vettes, directeur administratif et financier, Finonce 3.1

« Quel serait Timpact sur votre trésorerie de fin d’année d’une


baisse de 5 % du chiffre d’affaires au dernier trimestre ? » Pour
répondre à ce type de questions cruciales, la plupart des directeurs
financiers réalisent quelques produits en croix dans un tableau
>-
LU
Excel. Néanmoins, le résultat obtenu est peu fiable, car il ne prend
O
pas en compte l’ensemble des impacts (diminutions des coûts,
fN
variations du BFR, etc.). Certains directeurs financiers parvien­
gi nent cependant à obtenir une réponse précise à cette question.
>>
Q.
Pour cela, ils utilisent un outil puissant et particulièrement adapté
O
U à ce genre d’analyse : le modèle financier.

Q u ' est-ce q u ' un modèle financier ?



LU
Un modèle financier est un outil qui permet de prévoir l’évolution CD
CL
Z3
du compte de résultat, du bilan et des flux de trésorerie futurs en O
CD
fonction de différents scénarios et hypothèses clés.

34
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

Une expertise technique et financière. La modélisation financière


consiste à mettre en équations les principaux flux financiers de
C
i/D
»s
1entreprise. Avec pour objectif, par exemple, de réaliser un business
plan flexible ou dévaluer la rentabilité d’un projet d’investissement à ^ S
CD*

partir de simulations de scénarios. Le modèle s’impose naturelle­


ment au directeur financier dès lors que la complexité des analyses
souhaitées et la multitude des facteurs entrant en ligne de compte
rendent l’utilisation des progiciels de gestion standards inadaptée.
Excel, dont la puissance et la flexibilité de développement sont
inégalées, s’est logiquement imposé comme le support le plus appro­
prié pour la modélisation financière. En effet, le modèle financier est
un outil d’informatique décisionnelle (ou business intelligence) inté­
gralement réalisé sur mesure et qui a vocation à évoluer pour
répondre au mieux aux besoins de la direction financière.

Une pratique en développement. L’engouement actuel des direc­


teurs financiers pour la modélisation financière s’explique par trois
facteurs principaux :
^ un environnement incertain qui oblige à anticiper différents
scénarios à chaque analyse ;
^ une quantité croissante d’informations et de données à
prendre en compte dans les décisions de gestion ;
^ des délais de plus en plus réduits qui impliquent l’automatisa­
tion de certaines analyses.

Q u a n d utiliser un modèle financier ?


>-
LU
ro
tH
Le modèle financier est particulièrement adapté aux analyses
O
fN complexes et lorsqu’il faut intégrer un nombre élevé de paramètres
O
JC à prendre en compte. Voici quelques cas concrets d’utilisation de
CT
’s-
>•
modèle financier.
CL
O
U
Plan stratégique. Lors de la construction d’un plan stratégique, le
modèle financier est particulièrement utile, car il offre une flexibilité
bien supérieure aux systèmes de consolidation (Magnitude, Hype­
“ô rion...). Chez France Telecom, par exemple, le modèle financier du
LU
(CLD groupe permet de modifier les trajectoires financières ou non finan­
3
O cières remontées par les unités d’affaires dans les systèmes d’informa­
Ü
tion. Il est ainsi possible d’étudier des scénarios alternatifs ou d’évaluer

35
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Timpact potentiel dun événement. Le modèle facilite également le


OO dialogue entre les pays et les fonctions centrales en offrant une vision
O
lyt synthétique des hypothèses structurantes et de leurs conséquences
sur la profitabilité et la trésorerie dans les différents pays.

Modélisation de la dette consolidée. Pour le trésorier, la modélisa­


tion financière peut s’avérer également utile afin de suivre certains
indicateurs de performance, liés à la dette du groupe, qui ne sont pas
intégrés dans le logiciel de consolidation. Chez EDF par exemple, la
modélisation financière de la dette consolidée du groupe a abouti à
la réalisation d un outil de suivi sur mesure qui permet l’analyse des
coupons, de la maturité, du détail part fixe/part variable de tous les
instruments financiers au niveau consolidé, ainsi qu’au niveau des
filiales. La consolidation d’informations en provenance des nom­
breuses filiales devient instantanée grâce au modèle, allégeant ainsi
de manière significative la charge de travail en période de clôture.

Prévisions de trésorerie. En période de crise, et donc d’attention


particulière portée à la trésorerie, le modèle financier permet de
bâtir une prévision précise des flux financiers futurs. Grâce au
modèle financier, le trésorier ou le contrôleur de gestion appré­
hende les particularités des flux financiers de l’entreprise (par
exemple : une reconnaissance du chiffre d’affaires complètement
déconnectée de son encaissement, une loi de décaissement
atypique pour un programme d’investissement, etc.). La réalisation
d’un modèle sur mesure devient dès lors nécessaire pour prévoir
les besoins ou la génération de cash, ainsi que les bilans futurs, qui
>- serviront de base au choix optimal des solutions de financement.
LU

O
fN C om m ent modéliser efficacem ent ?
JZ
ai Organiser les flux financiers d’un projet complexe nécessite, d’une
>.
a. part, une bonne compréhension des interactions entre compte de
O
U
résultat, bilan et flux de trésorerie, et d’autre part, une grande rigueur
dans la manipulation d’Excel. Trop souvent, une direction financière
utilise un fichier Excel qualifié « d’usine à gaz » développé « il y a
plusieurs années » par une personne qui a, depuis, « disparu dans la “ô
LU
nature ». Pour assurer la fiabilité, la pérennité et l’efficacité du modèle CD
CL
Z)
(qualités qui en font un outil d’informatique décisionnelle), un O
6
modeleur doit respecter certaines bonnes pratiques élémentaires.

36
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

La forme au service du fond. Le constat est flagrant : plus le


modèle sera présenté clairement, plus son contenu sera efficace. Il
C
i/D
»s
faut éviter les formats originaux et plutôt structurer industrielle­
ment les onglets de manière identique. Enfin, on ne doit pas ^ S
CD*

oublier que des tableaux et graphiques à la forme irréprochable


sont d une part plus fiables et d’autre part plus convaincants.
Quelles données d’entrée, quelles données de sortie ? Il faut
définir en amont les variables dentrée {drivers ou input) et de
sorties {key p erform an ce indicators ou output). Ne pas hésiter à
utiliser un code couleur dans les formats et rassembler toutes les
hypothèses sur un onglet dédié. Nommer les cellules assure une
lecture plus fluide des formules.
Plus la modélisation est complexe, plus il faut faire simple. La
puissance d un modèle financier ne se mesure pas à sa sophistica­
tion ni à la complexité technique qui a été nécessaire à sa réalisa­
tion. Bien au contraire, un modèle financier efficace est un modèle
simple et ergonomique.
Décomposer vos formules. Il convient de travailler en m odeler et
non pas en spreadsheeter : ne pas chercher à construire un modèle
sur un tableau unique rempli de formules complexes. Il faut
décomposer les formules en blocs distincts, organisés sur plusieurs
onglets pour gagner en clarté, en fiabilité et en traçabilité.
Pas de boîte noire ! On ne doit rentrer aucun montant « en dur »
dans une formule. Un modèle financier doit pouvoir s’auditer faci­
lement. Cela permettra de le faire évoluer rapidement et de
>-
LU
garantir sa justesse.
m
tH
O Contrôle qualité. Formats de cellules définis, lignes et colonnes
OJ
protégées, bouclages : il convient de s’assurer que le modèle est à la
gi hauteur des exigences de qualité. On peut également concevoir des
CL
macros qui vérifient l’homogénéité et l’intégrité de vos données, et
O
U qui génèrent des rapports d’erreurs automatiquement.
Le partage de l’information. Au cours de sa vie, un modèle finan­
cier sera utilisé par plusieurs collaborateurs. Afin de garantir la
“ô transmission du savoir, il faut penser, dès le début de la construction,
LUI
(D
Q_
à documenter les modèles. Il est possible également de rédiger un
Z)
O guide utilisateur ou d’inclure un onglet de description de l’architec­
6
ture du modèle en début de classeur.

37
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

C om m ent aller plus loin ?


O U
iw>
O Les nouvelles versions d’Excel. D un point de vue technique, les
possibilités grandissantes d'Excel constituent une opportunité
importante pour la modélisation financière. Par exemple, la
dernière édition (version 2010) du tableur de Microsoft permet de
manipuler un nombre illimité de lignes.

Interaction avec les systèmes d’information. Dans certains cas,


les modèles financiers peuvent également être directement
connectés aux systèmes d'information de l'entreprise : à partir
d'interfaces simples, l'utilisateur peut récupérer des données
depuis les systèmes de reporting standard et alimenter le modèle
avec ces données.

Les simulations statistiques. Le modèle financier peut gagner en


pertinence lorsque son utilisation est couplée à une approche
probabiliste (par exemple, une approche Monte Carlo pour
simuler une quantité importante de scénarios).

Les immatériels actifs,


de nouvelles approches
>-
uu
pour le directeur financier
n
T—I
O
(N
Échanges n° 297, avril 201 2,
dossier « L'approche environnementale de l'entreprise »
gi par Jérôme Julia,
>>
Q.
O
directeur, Kea & Partners
U

Votre entreprise est plus riche que vous ne le pensez ! Pourquoi ?


Grâce à son patrimoine immatériel, facteur de différenciation : “ô
LU
culture, relations clients, réputation, personnalité des dirigeants, 0
CL
savoir-faire spécifiques, etc. De nouvelles approches visent à mieux Z)
O
Ü
piloter cette richesse.

38
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

Les actifs immatériels, so u r ce de singularité


ET DE CRÉATION DE VALEUR CD- 3
Q
S =
Les actifs immatériels (ni matériels ni financiers) sont source de S»
CD*
CD

singularité et sont difficilement comparables d’une entreprise à


l’autre. Ils se rangent en trois catégories :
b le capital humain recouvre les compétences, l’expérience collec­
tive, les hommes clés (ce qui est dans la tête des employés de
l’entreprise) ;
i le capital organisationnel comprend les brevets, procédures,
systèmes d’information, bases de données, valeurs... (ce qui
reste dans l’entreprise à la fin de la journée) ;
b le capital relationnel enfin, regroupe les clients, fournisseurs,
réseaux, actionnaires, régulateurs... (ce qui relie l’organisation à
son environnement).
Pour illustration, l’ADN de McDonald’s France comporte des actifs
immatériels méconnus du public : un mode de gouvernance
original, avec un « parlement des franchisés » ( 1 200 restaurants)
et un conseil d’administration rassemblant des représentants des
franchisés et des dirigeants ; des relations fournisseurs basées sur
des contrats de vingt ans, implicites au départ, et renouvelables ;
enfin, une culture d’innovation et d’intelligence collective. Ces
atouts immatériels expliquent la croissance de l’entreprise, certains
affirmant même que McDonald’s France vaut plus que Burger
King monde !
>.
Ш

O
rvj Les systèmes d ' actifs immatériels,
0 SUPPORTS de l' intention stratégique
JZ
oi
>
a.
• Si chaque entreprise dispose de son patrimoine génétique immaté­
O
U riel propre, il reste souvent disséminé dans tous les compartiments
de l’entreprise, sans cohérence d’ensemble. Un actif immatériel ne

s’utilise pourtant jamais seul, c’est le lien entre les actifs qui produit
“ô de la valeur. Le système d’actifs immatériels critique est défini
Ш
(CLÜ comme l’ensemble de rôles et d’interactions, faisant appel à une
Z)
O combinaison d’actifs immatériels, associés dans certains cas à des
Ü actifs matériels et produisant un résultat opérationnel mesurable.

39
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Prenons lexemple d'un club de football professionnel, où Timma-


09 O
tériel est au centre du jeu. Trois systèmes d’actifs immatériels
O
oo critiques se dégagent :
'09
^ une identité de club incarnée et vécue : les « fondamentaux »
d’un succès sportif, avec des actifs volatils ou inflammables,
comme la sécurité dans les stades, dans lesquels il faut veiller à
investir ;
» une histoire d’hommes qui permet le décollage sportif et média­
tique d’un club. Ce sont les actifs dont on parle le plus : joueurs
clés, entraîneur, dirigeant, savoir-faire de détection et de forma­
tion ... ;
^ enfin, les actifs immatériels qui permettent au club de se main­
tenir au plus haut niveau et maximisent ses revenus. Cette
partie, la moins visible de l’iceberg, comprend le positionne­
ment symbolique du club, ses relations avec les collectivités
locales, le milieu du foot, les m édias...
Empiriquement, chaque système comporte de cinq à dix actifs maté­
riels et immatériels ; la vision stratégique d’une entreprise peut être
construite autour de trois à cinq systèmes. Les systèmes d’actifs
immatériels permettent de mieux éclairer les grands choix straté­
giques : décisions d’investissement (par exemple : choix entre deux
sites industriels), études d’opportunités (par exemple : diversifica­
tion des activités), rapprochements d’entreprises (par exemple :
opération de fusion-acquisition).


ro Le résultat d ' exploitation immatériel (ReX i©),
tH

O
(N MESURE DE LA VALEUR ADDITIONNELLE CRÉÉE
©
CT Rendre actifs les immatériels de l’entreprise, c’est être capable de
's -
>• produire une singularité forte porteuse de marges de compétitivité
CL
O
U
additionnelles, de générer un résultat d’exploitation (Rex) supplé­
mentaire : le « résultat d’exploitation immatériel » (ReXi)©, prime
de singularité alimentée majoritairement par dépenses sur l’imma­
tériel. Son calcul est issu d’un travail avec la comptabilité analy­ “ô
LU
tique pour distinguer coûts de singularité (dépenses immatérielles 0
CL
Z)
qui créent de la différenciation) et coûts standards du marché. Le O
CD
ReXi est la différence entre le price prem ium (majoration de prix)

40
Fin a n c e , trésorerie ; quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

et les coûts de singularité, le Rex total restant égal à la somme du


Rex « basique » et du ReXi.
CD- =

2
O
La marque Petit Navire. Déterminons le ReXi de la marque Petit TU =3
S® CD
CD*
Navire en France, dressons Finventaire des actifs immatériels de ce
leader du thon et du saumon en boîte : le modèle d’intégration
verticale depuis la matière première, les flottes de pêche au Ghana
et aux Seychelles, les usines placées sur les lieux de pêche jusqu’aux
conserveries ; une capacité unique d’approvisionnement du
poisson (par exemple : une équipe dédiée en Alaska) ; la qualité
des relations avec la grande distribution, un merchandising
maîtrisé, et un statut de tête de file (category captain) ; la proximité
avec le consommateur final et ses besoins, sur toutes les dimen­
sions (emballage, promotion, animation, publicité).
Quels sont les enseignements de nos premières mises en œuvre du
ReXi© ? Tout d’abord, l’exercice est accessible, avec quelques
précautions d’emploi : adaptation de la comptabilité analytique,
accès aux performances des compétiteurs, analyse face aux diffi­
cultés d’interprétation. Ensuite, le ReXi est souvent supérieur au
Rex sectoriel : c’est sur l’immatériel que se joue la rentabilité !
Enfin, l’analyse comparée du ReXi© et du Rex basique montre
différents types de situations : ReXi et Rex basique positifs
(comment préserver et dupliquer ce cercle vertueux ?) ; ReXi
positif mais Rex basique négatif (comment retrouver une efficacité
opérationnelle aux standards du marché ?) ; ReXi négatif, par
exemple du fait d’une politique de marketing et publicité inadaptée
>-
LU
(quel potentiel de différenciation sur ce marché, comment « faire
ro
tH passer » l’investissement immatériel dans le price prem ium ?).
O
fN
0 Dans la plupart des cas, un investissement « intelligent » sur
JC l’immatériel permet de créer un avantage prix décisif, un ReXi
>•
a. positif. Pour illustration, le Groupe Système U a engagé dans
O
U
certaines régions françaises un partenariat avec ses fournisseurs
régionaux. Leurs produits bénéficient notamment de labels de type
« U d’Alsace », ou « U de Bretagne ». Les fournisseurs s’engagent à
“ô produire dans la région, avec en priorité des produits locaux, en
LU
(CLÜ respectant les savoir-faire et les traditions culinaires. En contre­
O
O partie, l’enseigne valorise leurs produits par des visuels en rayon et
Ü Système U défend son niveau de prix.

41
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

V ers de n o u v e a u x tableaux de bord


.92
2 ® Les limites des instruments de pilotage sont variées et connues :
£
O O
CO
= '<0
différence de traitement entre actifs créés (souvent non valorisés) et
acquis ; mauvaise appréciation du capital relationnel ; séparation des
performances économiques, processus, clients, ressources internes
(logique du balanced scorecard) sans que les mécanismes de création
de valeur apparaissent clairement ; difficulté à prendre en compte
lensemble des parties prenantes ; faible capacité prospective, etc. Les
actifs immatériels apportent ici des éléments de réponse : les actifs
créés de manière endogène (croissance organique) sont évalués ; les
actifs relationnels et les partenariats de lentreprise sont mieux
gouvernés ; le pilotage est focalisé sur les systèmes d’actifs immaté­
riels critiques, leurs flux d’activité, leur performance, les externalités
positives générées ; les porteurs d’actifs sont reconnus et rémunérés ;
les indicateurs du patrimoine immatériel servent de signaux avancés
d’opportunités ou de risques pour l’entreprise.
Pour illustration, le laboratoire pharmaceutique Janssen Cilag a
développé de nouveaux indicateurs « immatériels ». Pour le capital
humain, trois fois par an, un baromètre interne est réalisé sur le
respect des dix postures managériales. Sur le plan du capital rela­
tionnel, sont mesurées la réputation de la société auprès de ses
clients et fournisseurs, l’intensité du lien avec de nouveaux acteurs
de la filière médico-économique et la performance du réseau de
prescripteurs de médicaments.
Les freins au tableau de bord immatériel sont multiples : outils,
>■
confidentialité, crainte du flou et de l’incertitude. Il faut pourtant
U J
ro accepter qu’une grande partie de l’immatériel ne soit jamais parfai­
O
(N tement mesurable (la beauté d’un objet, un lien d’amitié entre deux
@ dirigeants). Il s’agit de donner envie aux opérationnels de commu­
JC
niquer autrement sur leur performance, de manière plus authen­
>.
a.
O
tique et plus ancrée dans la réalité de leur activité, et nourrir
U
l’ambition de mieux raconter la véritable histoire des entreprises.

_0)
U ne nouvelle am bition pour le directeur financier “ô
LU
La dernière décennie a été marquée par la primauté de la valeur CD
Q_
Z)
actionnariale et l’injonction d’un retour sur capitaux investis de O
6
15%, négligeant les parties prenantes qui rendent possible cette

42
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

création de valeur. Lexternalisation de la production vers des pays


à bas coûts a détruit une valeur immatérielle parfois de façon irré­
ci>' a=
versible. Pourtant, la France a tout pour être le leader mondial de O Z3

Timmatériel. Réindustrialiser la France est possible si Ion noppose S? c®


S'
pas matériel et immatériel.
Le directeur financier peut être Fambassadeur privilégié de cette
nouvelle vision de l’entreprise. Il s’agit pour lui d’éclairer les m éca­
nismes de création de valeur, optimiser les investissements et les
énergies, de piloter et préserver tous les actifs, et proposer un autre
partage de la valeur. Directeurs financiers, osez activer les immaté­
riels de vos entreprises !

Performance sociale et évaluation financière


Publié le 15 septembre 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Jean-Florent Rerolle, membre du comité éditorial du Blog
du Directeur Financier, expert en évaluation financière

L’une des critiques les plus constantes adressées au marché finan­


cier est qu’il ne tiendrait pas compte du facteur humain. Pire,
obnubilés par les résultats financiers à court terme, les investis­
seurs encourageraient les « licenciements boursiers ». Le capital
>-
Ш
humain serait ainsi sacrifié sur l’autel de la valeur actionnariale.
ГО Cette position aussi idéologique que celle qui met l’actionnaire au
O
(N pinacle n’est pas vérifiée dans la réalité.
sz
ai Premier argument : l’importance du goodwill dans la valeur de marché
>-
CL des entreprises. La grande majorité des entreprises cotées a un ratio
O
U
capitalisation boursière/fonds propres comptables très supérieur à 1,
signe que les investisseurs pensent que les entreprises sont capables de
créer de la valeur à long terme. La finance est un « commerce de
“ô promesses » (Pierre-Noël Giraud) : la confiance est essentielle. Elle est
LU
(D
CL
inspirée avant tout par les hommes de l’entreprise. Que l’on parle de
Z)
O capital humain, de capital organisationnel ou de capital relationnel, ce
Ô
sont toujours eux qui sont au cœur des actifs intangibles.

43
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Second argument : le dynamisme de Tinvestissement socialement


.22 responsable (ISR) dont les critères intègrent la performance sociale.
2 2
5 о
a uo En France, les fonds spécifiquement ISR s’élèvent à 68 milliards
deuros à la fin 2010 (une croissance de 35 % par rapport à 2009) et à
2 500 milliards pris au sens large (intégration ESG - environnement,
social, gouvernance). Cette dynamique doit beaucoup à l’impulsion
des associations professionnelles (code de transparence de l’Associa­
tion française de la gestion financière [AEG], pédagogie de la DFCG
à l’égard de ses membres), des clients les plus sensibles à cette
dimension et du recours croissant à la notation sociale. Certains
acteurs sont particulièrement en pointe dans ce domaine comme
AXA IM qui a développé une dizaine d’indicateurs pour suivre la
capacité du management à exécuter sa stratégie.
Bien qu’avéré, ce lien entre performance sociale et performance
actionnariale reste contesté, car la recherche académique n’est pas
conclusive : sur 122 études réalisées de 1971 à 2001, 51 seulement
démontrent une relation positive (seulement 7 des liens négatifs).
Et les interprétations sur le sens de la relation divergent : est-ce la
performance sociale qui permet la performance actionnariale ?
Est-ce l’inverse ? Ou bien, existe-t-il une synergie entre les deux ?
De même, si l’on en croit une étude réalisée par l’Edhec en 2008, la
rentabilité de l’ISR ne semble pas supérieure à celle du marché.
Ce constat mitigé ne doit cependant pas décourager tous ceux qui
sont convaincus que la valeur créée dépend avant tout des
hommes. Le défi consiste à intégrer de manière structurée cette
dimension dans l’évaluation et la communication financière. Pour
>-
Ш
го l’instant les évaluateurs procèdent de manière très indirecte. À
о
(N l’inverse des US GAAP, les International Financial Reporting Stan­
@ dards (IFRS) ne permettent pas la reconnaissance d’une assemblée
sz
ai w orkforce dans l’allocation comptable du prix d’acquisition d’une
>-
CL société. Seul le capital intellectuel qu’elle cristallise peut faire l’objet
O
U
d’une comptabilisation (marque, brevets, relations clients...). Dans
une évaluation d’entreprise, l’aspect social ou humain n’est pris en
compte qu’indirectement au travers des entretiens avec le manage­
ment : si l’évaluateur considère qu’il y a un décalage entre les “ô
LU
projections et la capacité de l’entreprise à les réaliser pour des Ш
Q_
Z)
raisons humaines, il doit en tenir compte dans son opinion. Mais O
CD
cet ajustement est purement subjectif.

44
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

Certains mettent beaucoup d espoirs dans les nombreuses initiatives


de normalisation des comportements ou des indicateurs : codes de
CDs
conduite {Global Compact, principes directeurs de FOCDE), réfé­ i/»

rentiels {Global Initiative Reporting, normes ISO 26000, ORG), ^ S


CD*

réglementations (loi nouvelles régulations économiques ou loi


NRE). Mais ces initiatives risquent d’inciter les entreprises à privilé­
gier le respect de la conformité au lieu d essayer de mettre à jour les
indicateurs spécifiques à leur modèle de développement.
La voie à suivre est donc complexe : elle consiste à mieux intégrer
les différents outils dont dispose l’entreprise (cartographie des
risques, en particulier les risques sociaux, tableau de bord type
balan ced scorecard dans sa « quatrième dimension », celle du
capital humain) avec le système de prévisions financières et
d’évaluation. En liant de manière plus structurée performances
financières et non financières, elle permet de mieux gérer la valeur
actionnariale et de construire une equity story convaincante à
l’égard des marchés.

Contribution originale D FC G pour Option fin an ce (m ai 2011).

Pourquoi une option n'a pas


la même valeur selon qu'elle porte
>•
LU
sur une entreprise cotée ou non cotée
ro
tH

O
fN
O Publié le 30 janvier 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
JC par Thomas Bouvet, membre du comité éditorial du Blog du Directeur Financier,
fondateur, Defix
>•
a.
O
U

Attention aux apparences ! Une option d’achat sur une société cotée
est un produit qui bénéficie d’un statut financier très différent d’une
“Ö option d’achat sur une société non cotée. Certes, il s’agit dans les
LU
(CLÜ deux cas d’un produit financier de même nature juridique : le droit
O
O d’acquérir, pendant une période donnée, à un prix donné, un
(5
nombre donné d’action(s) d’une société.

45
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Mais le fait que les actions d’une société soient librement et facile­
.2 2 ment cessibles change totalement la donne pour son propriétaire.
S 2
S O
O bO Depuis les travaux de Black 8r Scholes en 1973, la valeur dune
eu
option d une société cotée peut être estimée à tout instant : par la
constitution dun portefeuille d’arbitrage, composé d’une part
d’une certaine quantité d’actions sous-jacentes de l’option et
d’autre part de dette. Le prix de revient d’une couverture du risque
de l’option est ainsi aisé à calculer à partir de deux produits dont
on connaît la valeur de marché. Une réplication dynamique du
portefeuille, consistant à faire évoluer les quantités d’actions et de
dette pendant toute la durée de vie de l’option en fonction notam­
ment de l’évolution du cours de l’action, permet d’obtenir à
l’échéance, ou en cas d’exercice anticipé au moment de cet exercice,
l’exacte contrepartie de la valeur de l’option. Si celle-ci est « dans la
monnaie », c’est-à-dire que le cours de l’action est supérieur au
prix d’exercice et donc que l’exercice assure un gain au détenteur de
l’option, la valeur des actions du portefeuille nette de la dette géné­
rera un gain équivalent. A contrario, le portefeuille d’arbitrage aura
une valeur nulle si le cours de l’action est inférieur au prix d’exer­
cice de l’option à l’échéance.
Ainsi, aussi surprenant que cela puisse paraître au premier abord, la
valeur d’options d’achat sur des actions d’une société cotée ne
dépend pas des attentes que l’on peut avoir sur le niveau du cours de
l’action à horizon de l’échéance de l’option. Mais tout cela ne fonc­
tionne que si les hypothèses de la finance classique sont supposées
vérifiées, notamment l’efficience des marchés, la continuité de la
>* cotation des actions et une évolution gaussienne des rendements des
Ш
n
T
— I actions. L’arbitrage n’est constitué qu’en fonction des paramètres de
O
fN
J
@ l’option, du coût de l’argent sans risque et sur la base d’une estima­
tion de la volatilité de l’action, c’est-à-dire de la manière dont le
gi
>- cours de l’action évolue autour d’une valeur centrale.
Q.
O
U
La problématique est totalement différente pour le détenteur d’une
option sur des actions non cotées, actions dont on peut imaginer
qu’elles ne sont pas facilement échangeables. Il est impossible de
constituer un portefeuille d’arbitrage, et a fo rtio ri de le faire “ô
Ш
évoluer en continu, ce qui assurerait une couverture parfaite à (D
CL
Z)
l’option. L’évaluation de l’option se rapproche alors de l’évaluation O
classique des sociétés puisque la valeur de l’option repose sur une
(5

46
Fin a n c e , trésorerie : quelques bonnes pratiques pour une gestion optimisée

espérance de gain au moment où celui-ci pourra être extériorisé,


cest-à-dire au moment où les actions pourront être revendues.
C
i/D
»s
Cest sur la base de lestimation de la valeur de la société à cet
horizon (ou des estimations à différents horizons si plusieurs ^ S
ëo’
hypothèses de dates de sorties doivent être prises en compte) que
peut être déterminée la valeur à terme de Ibption.
Et alors que le taux d’actualisation à prendre en compte dans le
cadre de l’évaluation d’options sur actions cotées est le taux sans
risque, puisque l’évaluation par arbitrage permet de déterminer un
gain certain dans un univers risque neutre, dans le cadre de
l’évaluation d’options sur actions non cotées, cette démarche ne
fonctionne pas. Se pose alors la difficile question du taux à retenir
pour déterminer la valeur de l’option. Il s’agit en premier lieu de
mesurer le risque propre à Faction ; la notion de volatilité existe ;
elle ne porte plus sur les évolutions en continu d’un cours, mais sur
le risque intrinsèque des actions. Il s’agit ensuite de déterminer
l’impact des valeurs possibles de l’action et de leurs probabilités
respectives sur la valeur de l’option. L’asymétrie de comportement
de l’option à la hausse ou à la baisse de l’action implique nécessai­
rement que la valeur de l’option ne peut résulter d’une simple
mesure de l’espérance de valeur de l’action.
Ainsi, alors qu’en univers risque neutre toute hausse de la volatilité
a un impact nécessairement positif sur la valeur d’une option
d’achat, la prise en compte du risque dans le taux d’actualisation et
dans les profils potentiels de gain à l’échéance a des effets plus
contrastés. Le porteur d’une option n’aura donc pas la même sensi­
>-

bilité au risque selon le statut de l’action... L’option n’aura donc pas
m la même valeur selon que Faction est cotée ou pas.
fN
O

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“ô
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6

47
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О.

иО
Le contrôle de gestion
ou service de la performance
de ^entreprise CD

o"

Indicateurs de performance :
évolution et perspectives
Échanges n° 294, janvier 201 2, dossier « Les 100 jours du DAF »
par Denis Molho, membre du comité éditorial d'Échanges,
membre du comité scientifique de la DFCG, associé, DME Performance

Depuis trente-cinq ans, je consacre une partie significative de mon


activité professionnelle à ce qu il est convenu d’appeler le contrôle
de gestion. Cela, soit en tant que praticien, soit en tant que consul­
tant voire d enseignant dans des écoles de commerce. À Ibccasion
d une conférence récente sur le thème de l’évolution du métier de
contrôleur de gestion, j’ai été amené à faire le point sur trois ques­
tions : qu’est-ce qui a vraiment changé dans le contexte dans lequel
>-
LU
les entreprises évoluent ? Qu’est-ce que cela implique dans la
ro
tH manière dont la performance est mesurée ? Comment exploiter les
O
(N
indicateurs pour la gestion interne de la performance ou à des fins
©
de communication externe ? L’objet du présent article est de faire
CT
's -
>• partager mon vécu sur ces trois questions, non pas en apportant
CL

U
O des réponses définitives - il n’y en a pas - , mais plutôt en orientant
le lecteur vers les questions qu’il doit se poser dans son contexte
particulier d’entreprise.
“ô
LU
(D
Q_
Z)
O
Ô

49
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Le contexte

Le contexte dans lequel évoluent les entreprises peut être, juste­


ment, résumé par les termes d'incertitude et de risques. Cette
incertitude a un impact sur tous les processus de l'entreprise.
Les processus financiers, tout d'abord : les bailleurs de fonds,
a>
notamment les banques, renouvelleront-ils les lignes de finance­
O
ment ? Y a-t-il un risque sérieux de pénurie de moyens financiers ?
03 Le cash flow de l'entreprise est-il suffisant pour pallier des ruptures
de financements externes ? Quel est le niveau d'exposition des
résultats aux fluctuations du marché des changes, et à celui des
taux d'intérêt impactant le coût du financement ? La solvabilité des
clients est-elle bonne ?
Concernant le processus approvisionnements-achats : l'évolution
des cours des matières premières risque-t-elle d'impacter les
marges de l'entreprise ?
Au niveau commercial, les hypothèses d'activité retenues pour le
budget sont-elles réalistes ? Risquent-elles d'être inférieures de
10% voire de 20% ? En cas de chute brutale d'activité, l'entreprise
est-elle en posture d'ajuster rapidement les ressources, par exemple
le programme d'investissements ?
En matière de processus innovation-gestion de l'offre, de nouvelles
technologies risquent-elles de remettre en cause le positionnement
des produits sur les marchés, la valeur apportée aux clients deve­
nant obsolète ? L'entreprise accorde-t-elle des ressources suffi­
santes à l'innovation ?
>-
uu
n
T—
I En matière de ressources humaines, les risques psychosociaux
O
fN
J sont-ils identifiés et pilotés ? Les risques légaux, par exemple liés
au stress au travail ou à l'équilibre hommes-femmes, sont-ils
gi maîtrisés ?
>.
a.
O
U Concernant l'informatique, les procédures de continuité d'exploi­
tation sont-elles suffisamment rodées pour faire face à tout
problème majeur, physique ou virtuel ?
La direction générale des entreprises doit donc piloter dans un “ô
LU
contexte dans lequel toutes les bases des hypothèses stratégiques CD
CL
Z3
peuvent être remises en cause soudainement (effondrement d'un O
6
marché majeur, obsolescence d'un produit, pénurie brutale de

50
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

moyens financiers...)* Cela constitue un changement majeur par


rapport au contexte plus prévisible d’il y a une vingtaine d’années
et cela a des impacts considérables sur les outils et méthodes de
pilotage.

Les c o n s é q u e n c e s sur les a n g le s de mesure


DE LA PERFORMANCE
Comme évoqué ci-dessus, les principaux axes d’évolution des
préoccupations ont trait à l’instabilité des marchés, à la raréfaction
et à la volatilité des financements, aux risques d’obsolescence tech­
nologique et à la nécessité d’innover en permanence. Pour tenir
compte de ces préoccupations, outre les indicateurs traditionnels
de rentabilité ou d’équilibre financier, les indicateurs suivants font
l’objet aujourd’hui d’une attention particulière. Ces indicateurs
s’insèrent dans les préoccupations suivantes.
Assurer la liquidité. Cette préoccupation, qui correspond à un
souci de survie dans une période d’argent rare, domine toutes les
autres et se matérialise par les indicateurs de cash flow opérationnel
et de c a sh flo w return on investment (CFROI - taux de rentabilité
interne). Le CFROI est comparé utilement au coût moyen du
capital pour mesurer la valeur créée par activité. À cet égard, il est
plus pertinent que le return on capital em ployed (ROCE - rentabi­
lité des capitaux investis), en ce sens qu’il met en rapport des cash
flows tangibles (et non des résultats) avec l’investissement brut sur
l’outil de travail associé. Dans la pratique, les entreprises continuent
>- souvent, toutefois, de mesurer en parallèle RO CE et CFROI. La
U J
ro création ou destruction de valeur est mesurée par la différence
O
(N
entre le CFROI et le weighted average cost o f capital (WACC - coût
sz moyen pondéré du capital). Cette préoccupation pour la liquidité
ai
>- constitue un net revirement par rapport à la période précédente,
CL
O
U davantage préoccupée par le coût du financement que par le cash,
notamment au travers de l’utilisation de l’effet de levier consistant à
accroître l’endettement, moins cher que les fonds propres pour
“ô améliorer leur profitabilité.
LU
(Q_
D Maîtriser Tendettement. Soucieuses de réduire leur dépendance à
Z)
O l’égard de financeurs externes, de nombreuses entreprises considèrent
Ô
la réduction de l’endettement global comme un objectif à part entière.

51
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Piloter de près le niveau de Tactivité. Les indicateurs prix, volume


du chiffre d'affaires et parts de marché sont exploités et suivis de
très près pour des décisions d'ajustement des ressources en fonc­
tion du niveau d'activité, ce qui devient primordial avec les
marchés très fluctuants que nous connaissons. Nombre d'entre­
prises intervenant sur des marchés très volatils veulent pouvoir, en
O
cours d'exercice, adapter le programme de leurs investissements au
O
niveau réel de leur activité. Cela se vérifie par exemple dans le
eu domaine des télécommunications où les programmes d'investisse­
ment sont très liés à des hypothèses d'activité qui connaissent
souvent de fortes amplitudes de variation, de l'ordre de 15% à
20 % .
Conserver et développer le portefeuille de clients. Les indica­
teurs ¿'attrition/turn-over du portefeuille de clients ont pour
objectif de mesurer sa stabilité et donc l'efficacité de sa gestion par
l'entreprise. Une dégradation doit amener l'entreprise à se poser
des questions sur la valeur apportée en matière de produits,
services et prix, et donc à agir.
Innover et créer de la valeur client de manière continue. Une
entreprise qui n'innove pas meurt. À une époque où la concurrence
est féroce et où le cycle de vie des produits se raccourcit fortement, la
création de valeur supplémentaire pour le client est une condition de
survie. À cet égard, l'indicateur de séniorité du chiffre d'affaires -
qui fait ressortir la part des nouveaux produits dans le chiffre
d'affaires - est un bon outil de diagnostic du dynamisme de renou­
vellement de l'offre.
>-
LU
ro
T
— )
O
fN
J Q uelques règles pour exploiter efficacem ent
LES INDICATEURS DE PERFORMANCE
gi
CL
O
La communication externe doit être en parfaite cohérence avec
U
la communication interne. Les tableaux de bord de performance
ont la double vocation d'informer les marchés et de servir de réfé­
rence au pilotage de la performance en interne. En interne, ils se
déclinent en tableaux de bord opérationnels de pilotage. Des inco­ “ô
LU
hérences entre les deux axes de communication ne peuvent que 0
CL
Z)
jeter le flou sur les orientations stratégiques de l'entreprise et donc O
générer de l'inefficacité.
(5

52
Le contrôle de gestion au service de la perforamnce de l' entreprise

L’articulation entre indicateurs économiques et indicateurs


« physiques » ou stratégiques doit être explicitée. Les perfor­
mances économiques sont la résultante de performances en
matière de gestion des clients, d'innovation, de gestion commer­
ciale... et non l'inverse. Il faut toujours avoir le souci de la cohé­
rence entre les deux catégories d'indicateurs.
CD

Autant que possible, les indicateurs doivent fournir une vision o"
prévisionnelle. Tant les marchés que le management interne sont i
demandeurs d'une vision prévisionnelle, par exemple à la fin de
l'exercice, qui les éclaire sur la maîtrise du déroulé stratégique et
éventuellement sur les actions correctrices à entreprendre.
Au-delà des indicateurs, le reporting sur les performances gagne à
être complété par des commentaires qui l'éclairent.

Les méthodes d'aide aux choix


d'investissements sont-elles utiles ?
Échanges n° 293, décembre 2011,
dossier « Contrôle de gestion : un rôle central ? »
par Jean-Joseph Henry, associé. Décision Performance Conseil

Depuis quelques années, les entreprises - européennes en tout


>-
LJU cas - se trouvent confrontées de façon plus aiguë au processus de
ro
O choix lorsqu'un investissement important est proposé. L'incerti­
fN
O tude des conditions futures - liée non seulement à la volatilité des
CT marchés boursiers, mais également à celle des marchés des
>>
Q.
matières premières ou agricoles, ainsi qu'aux aléas climatiques ou
O
U technologiques - laisse pour le moins perplexe les comités de
direction devant des dossiers d’investissement où les calculs de
rentabilité sont réalisés avec « deux chiffres après la virgule ».
_Q)

>~
UJ
(CLD
3
O
Ü

53
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Les difficultés de l' évaluation a po sterio ri

Quel contrôleur de gestion ou directeur financier ne s est pas aussi


interrogé sur Tintérêt d utiliser des méthodes d’aide à la décision
ou de calcul de rentabilité financière à la lumière, soit du résultat
du processus de décision, soit du résultat a posteriori de l’investis­
O sement ? Trois questions sont posées :

P
^ Quel est le degré de précision de la prévision ? Les méthodes
O utilisées donnent-elles de bons résultats ? Les rentabilités qui
sont calculées sont-elles « justes » ?
^ Les incertitudes futures sont-elles prises en compte de manière
explicite ou implicite ? Le choix doit-il intégrer une part d’inter­
prétation ?
^ L’analyse a posteriori de la bonne réalisation de ces calculs
prévisionnels initiaux de rentabilité est-elle nécessaire ? Faut-il
revenir sur les hypothèses de choix d’investissements effectués
plusieurs années auparavant ?
Il est très difficile d’évaluer a posteriori la rentabilité d’un investisse­
ment isolé pour de multiples raisons. La première en est l’absence
de référence à une situation où l’investissement n’aurait pas été
réalisé, toutes choses étant égales par ailleurs. Il est faux de croire
que ne pas investir maintiendrait le résultat opérationnel connu
auparavant par l’entreprise. Le marché, les concurrents, les techno­
logies auront évolué souvent de manière à mettre en danger le
niveau de profit de l’entreprise. La première difficulté est en général
de pouvoir comparer deux options d’un choix en estimant toutes
>- leurs conséquences sur les aspects économiques de l’entreprise.
LU
ro
T
— )
O
fN
J La seconde raison est la complexification des interactions écono­
miques entre les différents acteurs d’un marché. Alors qu’hier, un
JC
investissement pouvait s’estimer par son impact local, il a désor­
>•
a.
O
mais un impact mondial et le contrôleur de gestion doit prendre en
U
compte la réponse de concurrents mondialisés. Il en est ainsi, aussi
bien pour un agriculteur investissant dans une nouvelle machine
que pour un commerçant ouvrant un magasin ou investissant dans
un site de e-commerce. Tout investissement d’une usine automo­ “Ö
LU
bile, d’une raffinerie ou d’une cimenterie doit s’évaluer à Faune de CD
CL
Z)
la compétition et des conditions de marché mondiales. L’impact O
Ô
d’un investissement ne peut se mesurer uniquement dans un cadre

54
Le contrôle de gestion au service de la perforamnce de l' entreprise

concurrentiel statique, ce qui rend l’analyse plus complexe que par


le passé. Avec la reprise, de nombreuses entreprises ont, en 2011,
investi dans de nouveaux canaux de vente ou de communication
(Internet, télécoms, réseaux sociaux), de nouvelles machines pour
répondre à des besoins relocalisés (textile...), de nouveaux
marchés (éolien offsh ore...), de nouvelles technologies (nanotech­
nologies...) ou de nouveaux systèmes afin d’améliorer leur
productivité.
Bien sûr, la plupart de ces investissements découlent d’analyses
stratégiques qui promettent de positionner l’entreprise dans les
meilleures conditions pour assurer sa pérennité future. Les contrô­
leurs de gestion sont souvent amenés à estimer ou à valider les
hypothèses de calcul de rentabilité financière des projets proposés
par les opérationnels ou par la direction.
Quelles sont les erreurs et précautions à prendre lors de ces évalua­
tions ? Faut-il accorder une quelconque importance à ces calculs,
si ce n’est pour définir l’enveloppe de dépenses initiales à engager et
à contrôler ? Comment intégrer ces calculs de rentabilité dans le
processus de décision réel ?

Les limites de la VAN


Sans reprendre les éléments détaillés de l’approche théorique, le
principe des calculs de rentabilité pour un investissement à réaliser
est de comparer son montant (décaissements) aux gains (encaisse­
ments) engendrés par cet investissement sur sa durée de vie
>-
LU
00 attendue (centrale nucléaire, achat de machine, projet S I...). Pour
T
— I
O
fN
J comparer ces deux montants réalisés à des dates différentes, il faut
ajuster la valeur en euro des flux, la méthode générale consiste à
gi « actualiser » tous les flux à la date de mise en production de
>>
Q. l’investissement. La somme globale de ces flux actualisés repré­
O
U
sente une valeur dite valeur actualisée nette (VAN) du projet. Si la
VAN est positive, le projet d’investissement est considéré comme
rentable pour cette entreprise. Si le calcul de l’investissement initial
“Ô pose peu de problèmes, l’estimation des flux futurs repose sur des
LU
(CLÜ hypothèses nombreuses, à commencer par la durée de vie de
D
O l’investissement, l’estimation de sa valeur résiduelle en fin de vie,
(5 l’estimation des flux et des coûts de maintenance au cours de la vie

55
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

de rinvestissement. De plus, le taux d’actualisation ne représente


pas simplement leffet de l’inflation monétaire, mais également
indirectement le rendement souhaité par l’actionnaire pour un
investissement de même nature. L’évaluation du taux d’actualisa­
tion est empreinte d’un certain degré d’incertitude. Il faut rappeler
enfin que le mode de financement du projet n’intervient pas direc­
O
tement dans l’évaluation de la rentabilité du projet. Seule la struc­
O
ture de financement global de l’entreprise est prise en compte dans
09 le taux d’actualisation du projet.

La matérialité des d o n n é e s

Il est important que cette analyse de rentabilité future s’appuie sur


des données réelles ; elle doit être basée sur la nécessité de regarder
les réalités en face dont une des règles est de cultiver l’art du bon
sens et de prouver les éléments avancés par des faits. La caractéris­
tique de l’évaluation de projet d’investissement est de devoir
s’appuyer sur des données prévisionnelles dans des environnements
par définition inconnus. Plus les données représentent des gains
éloignés, plus leur crédibilité est à questionner. L’estimation des flux
en fin de projet reste notamment très aléatoire car elle repose sur des
hypothèses de reconduite de schémas économiques existants. Or ces
chiffres, dans un environnement peu inflationniste, auront un poids
non négligeable sur la rentabilité globale du projet.
Pour obtenir le consensus sur ces chiffres, les financiers ont
tendance à reconduire des schémas existants sans prendre en
compte les possibles changements du monde environnant (compé­

ro
1
— 1
tition, innovation de rupture, crises économ iques...). Une
O
r\J première amélioration a consisté à bâtir des scénarios d’évolution
© plus ou moins divergents. Cependant, ces scénarios reposent sur
gi une logique gaussienne autour d’une hypothèse pivot pour les
>'
CL
O éléments clés ; ils ne prennent pas en compte des événements
U
extrêmes, qu’ils soient positifs ou négatifs. Ces événements
extrêmes - que Nassim Nicholas Taleb désigne sous le nom de
« cygnes noirs^ » - ont des impacts beaucoup plus importants sur
“ô
les hypothèses du business plan que la conduite normale des acti- LU
0
Q_
Z)
O
1. L e Cygne noir, la pu issan ce d e Vimprévisihle, Les Belles Lettres, 2008. c5

56
Le contrôle de gestion au service de la performance de l' entreprise

vités. Cela s’avère d’autant plus vrai que, dans le monde de la


réflexion stratégique, le concept d’innovation de rupture pousse les
entreprises à investir dans de nouveaux modèles d’affaires (straté­
gies de type « Blue ocean^ ») créées ex nihiloy où l’historique des
ratios financiers standard est par définition inexistant (par
exemple : modèles Internet, iPad...).
CD

o '
ia
L'intégration des risques O
CD

Quel peut être l’apport du directeur financier ou du contrôleur de


gestion ? Certainement un regard critique sur les chiffres et une
intégration des risques endogènes ou exogènes au projet. Le
premier rôle du financier est de pouvoir remettre en question les
hypothèses d’activité prévues en identifiant les biais habituels :
surestimation des évolutions macroéconomiques générales ;
reconduite des résultats du business m odel passé : sous-estimation
des risques ; non-anticipation de la réaction de la concurrence.
Dès que la durée de l’investissement dépasse un horizon connu, il
semble prudent d’intégrer au cours de la vie du projet un élément
perturbant « m ajeur» (arrêt, perte d’activité, panne...), même si
son positionnement dans le temps est arbitraire. Les théories
économiques d’entreprise ont emprunté au domaine financier la
quantification des risques. N. Taleb a démontré les limites de cette
quantification. Néanmoins, au travers du calcul d’un taux d’actua­
lisation unique, trois risques systémiques sont estimés :
^ le risque de « marché » ou risque général lié à l’environnement
>-
LU économique ;
ro
■r-l
O ^ le risque spécifique de l’entreprise par rapport au marché (est-
fN
j
elle plus ou moins risquée que la moyenne ?) ;
gi ^ le risque que le financement du projet fait porter à l’entreprise
>>
Q.
O (par exemple, un changement significatif du ratio d’endettement
U
de l’entreprise. C’est ce qui explique qu’un projet ne sera pas
valorisé de la même manière dans un grand groupe du CAC 40
ou dans une PME).

%
LU
(D
Q_
Z)
O 1. Voir W. Chan Kim et Renée Mauborgne, Stratégie O céan Bleu : com m en t
ô créer de nou veaux espaces stratégiques, Pearson, 2010.

57
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Toutefois, rien ne permet d’affirmer que ce taux d’actualisation


« statique » calculé au moment du choix sera pérenne dans la
durée de vie du projet. Un taux d’actualisation progressif serait
certainement plus approprié pour tenir compte de l’incertitude
croissante des hypothèses de gain au fil des ans. Au-delà du simple
effet d’intégration des risques dans le modèle de la VAN, le direc­
(U
teur financier ou contrôleur de gestion devra intégrer des risques
P technologiques, environnementaux, juridiques... afin de pondérer
le critère purement mécanique de choix. Il devra maîtriser les
hypothèses inhérentes au modèle de la VAN. Des méthodes de
type Monte Carlo (prise en compte de distribution de probabilité
sur les variables clés du modèle) permettent d’améliorer une
approche reposant uniquement sur la VAN et sont moins sensibles
aux variations des différentes hypothèses. Cependant, une des
limites de ces approches techniquement plus précises est de les
rendre moins faciles à appréhender par le management opéra­
tionnel ; cela nécessite de bien comprendre les hypothèses de ces
modèles et de pouvoir en expliquer les conséquences aux déci­
deurs lors de la présentation des résultats.

Alors que le choix d’investissements qui préparent le futur est un


processus critique de l’entreprise, il est paradoxal qu’il soit en général
peu analysé et peu audité pour rechercher des pistes d’améliorations.
Conduire une équipe de direction à un choix d’investissements
rationnel, partagé et non remis en cause doit faire partie des
missions du directeur financier, au même titre que la publication des
comptes annuels. Les directeurs financiers et contrôleurs de gestion
>- doivent prendre l’initiative d’élargir leur champ de responsabilités à

ro l’amélioration du processus de prise de décision dans sa globalité et à
O
rvj la prise en compte de l’ensemble des risques liés à ce type de décision
sz pour l’entreprise en intégrant des compétences statistiques plus
CT
'l- importantes. En effet, pour paraphraser Emmanuel Kant, « on
CL
O
U mesure l’intelligence d’une organisation à la quantité d’incertitudes
quelle est capable de supporter ».


LU
0
Q_
Z)
O
6

58
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

Le contrôle de gestion du contrôle interne


Échanges 293, décembre 2011,
dossier « Contrôle de gestion : un rôle central ? »
par Florence Giot, directrice des contrôles internes, Alstom
et M arc Duchevet, associé business risk services, Grant Thornton,
membres du comité scientifique de la DFCG CD
-7
o '
i
Le contrôle interne sest considérablement développé ces dernières
années, que ce soit pour répondre aux nouvelles exigences régle­
mentaires (loi de sécurité financière en France, 8^ directive euro­
péenne, loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis) ou pour faire face aux
enjeux de maîtrise des risques dans des environnements de plus en
plus incertains.
De nombreuses entreprises se sont donc dotées de dispositifs en la
matière. Des référentiels de contrôle ont été définis et diffusés, des
questionnaires d’auto évaluation sont régulièrement remplis afin de
rendre compte de la mise en œuvre et des tests defficacité sont
parfois réalisés. Naturellement, tout cela a un coût. Or, si la plupart
des entreprises concernées sont capables de valoriser le coût des
fonctions directement et exclusivement affectées au contrôle
interne (équipes centrales et, le cas échéant, consultants), il nen va
pas de même concernant les fonctions indirectement impliquées
dans le dispositif. Quen est-il du temps passé par les salariés ?
Certes, un bon contrôle interne doit être autant que possible
>.
intégré aux activités et aux processus, mais, pour autant, est-il
LU
ro réalisé en « temps masqué » ?
rH
O
(N
Justement non. Si Ibn veut que le contrôle interne soit efficace, il
©
doit être exercé comme toute autre activité de l’entreprise, d’autant
gi
>' plus qu’il peut difficilement être délégué quand il s’agit des princi­
CL
O
U pales zones de risque.
Le contrôle interne n’est pas non plus un sanctuaire : son efficacité,
son rapport coûts/bénéfîces doivent continuellement être remis en
“ô cause. Contrôler le contrôle interne, c’est donc avant tout être
0-
LU
(CLD capable de le valoriser, donc de le mesurer, pour pouvoir le piloter
Z)
O et mettre l’investissement en regard des bénéfices apportés, qui
6
doivent être reflétés par des indicateurs de performance objectifs.

59
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Le c o û t du co n tr ô le interne :
UNE DÉMARCHE FINALEMENT CLASSIQUE
Un constat s'impose. Les entreprises sont généralement capables
de valoriser leurs coûts de production ou de services. Les diffé­
rentes méthodes d'analyse des coûts sont désormais bien rodées et
(U
adaptées à l'activité de chacun, les frais directs et indirects sont
affectés et suivis.
P
La partie la plus facile à appréhender est constituée par les
ressources directement affectées au contrôle interne : équipe projet
ou département contrôle interne, coûts externes (consultants
notamment), outils utilisés. Toutefois, la plus grande partie des
coûts réside dans le contrôle directement exercé par l'ensemble des
collaborateurs, qui doivent appliquer les procédures en place. Tout
le monde, ou presque, participe donc au contrôle interne, du niveau
le plus opérationnel au management qui réalise la supervision.
En pratique, les entreprises ont souvent défini des contrôles clés ou
objets de contrôle, regroupés par processus ou cycles. Ces contrôles
clés doivent être déclinés en procédures dans les entités ou fonc­
tions concernées, appliquées tout au long de l'année et naturelle­
ment supervisées. Le moyen le plus simple est donc de considérer
que le coût du contrôle doit être analysé au regard de chaque
contrôle clé, qui va consommer des frais directs et indirects.
Si l'on s'attache à un contrôle clé donné, par exemple celui des
notes de frais, connu de tous, on voit bien qu'il est assez facile d'en
définir les principales « activités » :
>• b la rédaction de la procédure et le paramétrage des systèmes
Ш
ГО
iH
O
d’information ;
(N
» la formation des salariés et la diffusion des procédures ;
CT b l'application de la procédure (préparer et soumettre les notes de
CL
frais) ;
O
U b la supervision du contrôle (validation des dépenses par le
responsable hiérarchique, mais aussi vérification administrative
des pièces justificatives) ;
=
b l'évaluation périodique et les audits ; “ô
LU
b les plans d'actions en cas de dysfonctionnements. La « fiche de Ш
CL
Z)
coût » peut donc être établie sur cette base. Une démarche assez O
CD
classique de costing permettra de rattacher les coûts selon leur

60
Le contrôle de gestion au service de la perforamnce de l' entreprise

nature (directs ou indirects, internes ou externes), en utilisant des


unités dœuvre adaptées (des temps réels, des consommations
plus ou moins standard et naturellement des frais indirects affec­
tés en fonction du nombre de contrôles exercés sur la période). À
noter que les approches de type Activity B ased Costing (ABC)
sont généralement pertinentes pour le contrôle interne.
CO

o"
Les b o n n e s q u e s t io n s à se poser

À partir du moment où le coût du contrôle est correctement


analysé, l’entreprise peut alors se poser les bonnes questions :
^ Les moyens mis en œuvre sont-ils cohérents avec les risques à
couvrir ? Même si en théorie certains risques significatifs
peuvent être maîtrisés par des contrôles très simples, là où
d’autres nécessiteront des investissements plus conséquents, il
n’est pas inutile d’essayer d’avoir une vision « macro » de l’équi­
libre général des coûts au regard des enjeux de l’organisation.
^ Un même contrôle consomme-t-il les mêmes ressources dans
les différentes entités ? Il s’agit de mettre en place un benchm ark
« intelligent », qui revient à expliquer les écarts avant d’aligner
l’ensemble des acteurs sur les meilleures pratiques.
^ Faut-il alléger certains contrôles ? L’expérience montre qu’il
est souvent possible de diminuer la fréquence d’un contrôle ou
« l’échantillonnage » de certains tests, sans pour autant dégrader
de manière significative le niveau d’assurance.
^ Le contrôle est-il assumé par les bons acteurs ? Modéliser le
>-
LU coût de chaque contrôle permet de calculer les ressources
O consommées par chaque acteur et, le cas échéant, de faire
fN
0 réaliser certaines tâches simples ou à faible valeur ajoutée par
JZ
oi des salariés d’un niveau d’expérience moindre.
>- ^ Certains contrôles sont-ils redondants ? C’est toute la valeur
Q.
O
U ajoutée d’une vision « dynamique » des contrôles sur un
processus donné. En fonction de la nature du risque considéré,
avoir à la fois un même niveau de contrôles préventifs et déce­
“ô lables n’est pas forcément pertinent.
LU
(CLÜ i De nouveaux contrôles peuvent-ils remplacer plus efficacement
Z)
O les contrôles existants ? Généralement, les possibilités offertes par
ü
les systèmes d’information sont largement sous-exploitées. Les

61
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

contrôles « automatisés », directement intégrés dans les systèmes,


sensiblement moins coûteux et plus efficaces que les contrôles
manuels, constituent le principal gisement de productivité.
^ Uanalyse de données, qui permet de traiter de manière exhaus­
tive lensemble des flux de transaction pour un coût raisonnable
est-elle suffisamment utilisée ? Il s’agit très certainement de la
O
« nouvelle frontière » du contrôle interne.
Sur ce dernier point, des outils standards du marché, tels qu’ACL©
ou IDEA©, sont de plus en plus utilisés par les entreprises pour
extraire de manière simple et sécurisée des données issues parfois
de différents systèmes, de manière à pouvoir les rapprocher et à
mettre en évidence des zones de risques ou anomalies. Initiale­
ment, ce sont les départements d’audit interne qui ont déployé en
premier les approches d’analyse de données pour mieux préparer
leurs interventions (notamment dans un contexte de recherche de
fraude). Désormais, les réflexions en cours visent à se servir de
l’analyse de données pour mettre en place un véritable « contrôle
continu » : les requêtes sont réalisées de manière régulière, sur la
base d’extractions et de tests prédéfinis, et elles donnent lieu à
l’élaboration de tableaux de bord d’anomalies qui doivent en
premier lieu être analysées par le management. Il s’agit à la fois
d’un outil de pilotage et d’une activité de contrôle interne.
Mais finalement, l’analyse de données peut aussi être un outil pour
le contrôleur de gestion, qui pourra procéder à des analyses appro­
fondies en complément de revues analytiques plus globales
(portant notamment sur des comparaisons entre le réel et le
>- budget ou la période précédente).
LU
ro
T

O
)
Un dispositif bien conçu d’analyse de données peut donc fédérer,
fN
J
autour d’un même outil, les fonctions de contrôle interne, d’audit et de
gi contrôle de gestion et ce, pour un coût global tout à fait raisonnable.
CL
O
U
Q uelques pistes pour mesurer la perform ance
DU CONTRÔLE INTERNE
Tout d’abord, un bon dispositif de contrôle interne doit générer
LU
des anomalies et des plans d’actions. Le contrôle interne est une CD
CL
Z3
démarche d’amélioration continue. Le fait que le management O
Ô
puisse estimer que tout est maîtrisé, que rien ne peut se passer.

62
Le contrôle de gestion au service de [A PERFORAMNCE DE L'ENTREPRISE

devrait inciter à la plus grande prudence. Si aucune anomalie nest


notée, soit le dispositif de contrôle interne a été mal conçu (on ne
contrôle pas ce qui est à risque), soit, et aussi, il nest pas appliqué
et évalué dans son efficacité.
Ce principe de base étant posé, comment évaluer la valeur ajoutée
du contrôle interne ? Deux approches, qui sont en fait liées, sont
possibles.

Une première approche consiste à appréhender le risque pris par


l’entreprise si le contrôle nest pas en place. C est un peu le principe
de l’assurance : je paie pour quelque chose qui ne devrait pas
arriver, mais si ça arrive, je sais ce que j’éviterai de payer. L’exercice
peut paraître un peu théorique, mais il prend son sens quand
l’entreprise a mené un exercice formalisé d’identification et
d’évaluation de ses risques. Peu importe la façon dont elle s’y est
prise, mais si les critères d’impact ont été bien définis, il doit être
possible d’objectiver dans quelle mesure le contrôle interne peut
permettre de diminuer l’exposition aux risques. Toutefois, cette
approche n’est en fait pertinente que pour les risques « majeurs »
ou corporate qui donnent lieu à une cartographie des risques. Or,
si la plupart des processus « métier » n’engendrent pas toujours des
risques majeurs (contrairement aux menaces externes ou aux
projets de transformation), on s’attend toutefois à ce qu’ils fonc­
tionnent de manière « nominale » pour assurer l’efficacité de
l’ensemble de l’organisation. Ce fonctionnement « nominal » est la
plupart du temps mesuré par des indicateurs de performance des
>-
UJ
ro processus concernés (par exemple, des taux de rupture, rebut ou
O
(N disponibilité en production, des indicateurs de satisfaction ou de
fidélisation sur les ventes).
JC

>•
a.
Dans une deuxième approche, ce sont ces indicateurs (et surtout
O
U les objectifs qui sont fixés par le management) que le contrôle
interne doit avant tout sécuriser. En ce sens, un processus qui fonc­
tionne bien doit être en lui-même efficient, mais aussi stabilisé, et
“ô donc sécurisé. C ’est directement l’enjeu du contrôle interne sur les
LU
(CLÜ processus « business », qui est trop souvent perçu comme une
O
O contrainte par les opérationnels. Pour les intéresser au contrôle
(5 interne, il faut donc leur parler de leurs indicateurs de performance.

63
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Le contrôle interne, comme toute activité de lentreprise, doit rendre


des comptes et être piloté. Le contrôleur de gestion peut prendre une
part active à Tamélioration de son efficacité... et le responsable du
contrôle interne doit considérer cette démarche comme une opportu­
nité pour renforcer son appropriation par le management.
O

Le contrôle de gestion a désormais


une place centrale dans les banques
Publié le 21 mars 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Pierre Molendi, directeur analyse et gestion, BPCE,
membre du bureau exécutif et secrétaire général de la DFCG

La contribution du contrôle de gestion dans le pilotage de la perfor­


mance des banques et des établissements financiers est de plus en
plus importante. Son rôle d’animateur de tous les niveaux hiérar­
chiques et des métiers/activités lui permet de pouvoir apporter des
réponses sur les résultats obtenus sur les différents axes prioritaires
définis par la direction générale. J’aborde les différentes facettes de la
fonction de contrôle de gestion dans le chapitre 8 « Contrôle de
gestion bancaire et mesure de la performance », du livre Banque et
intermédiation financière rédigé sous la direction de Hervé Alexandre
>- et édité par Êconomica (coll. « Finance »). Les autres chapitres
LU
m
T
— )
concernent les principales fonctions de la banque, ils ont été rédigés
O
fN
J par des universitaires et des professionnels qui interviennent dans le
master 224 Banque et Finance de l’université de Paris-Dauphine.
gi
Le contrôle de gestion, par sa position transversale, permet le pilotage
CL
O
U de l’organisation et de la performance des banques. La fonction est
reconnue à présent comme étant un de leurs facteurs « concurren­
tiels ». Elle s’impose désormais au sein des holdings et dans les entités
régionales, à la fois dans l’accompagnement des plans stratégiques et ~ô
dans les travaux d’optimisation des organisations. LU
CD
CL
Z3
Quel contraste avec un passé encore récent où elle restait O
6
cantonnée à la gestion budgétaire des établissements et à la

64
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

maîtrise des charges ; plus encore avec un passé lointain : ce nest


que vers le début des années 1970 que Ion a introduit la fonction
dans le secteur bancaire quand les entreprises industrielles lutili-
saient depuis une quinzaine d’années !
Importance ne veut pas dire que sa place dans la gouvernance des
banques soit figée. Elle dépend beaucoup du rôle que la direction CD

générale entend lui accorder. Le modèle dominant consiste à ratta­ o"


cher le contrôle de gestion à la direction financière dans les « organes iO
centraux » des grands groupes, et au président dans les filiales.

Q ue lui d em an d en t les directions générales ?


Essentiellement, le rôle du contrôle de gestion est d’ajouter de la
valeur dans les analyses fournies et de réduire les délais de
livraison. La technologie, qui évolue rapidement, y aide. Des outils
comme Enterprise Resource Planning, D ata W arehouse ou Business
Intelligence permettent de passer moins de temps dans la collecte et
la fiabilisation des données et rend possible leur analyse selon une
multitude d’« axes » possibles. Il reste toujours le travail de sélec­
tion des indicateurs adaptés, pour vérifier la qualité et la cohérence
des informations fournies.
A contrario, certains pans d’activité qui étaient dans le domaine
d’expertise des contrôleurs de gestion ont été repris par d’autres direc­
tions. Par exemple, les nouvelles réglementations bancaires ont néces­
sité la création des directions ALM {Asset and Liability Management)
et de celles des risques notamment. Il n’est pas sûr à terme qu’il n’y ait
>.
Ш
ГО pas besoin d’une nouvelle unification, les problématiques de collecte
tH

O
(N
des données et de traitement de l’information restant très proches et
© la dispersion des compétences n’étant pas toujours l’optimum.
CT
's -
>•
CL

U
O Trois g r a n d s rôles spécifiques

I. Être le garant des fondamentaux de la banque. Le contrôleur


de gestion s’assure que les axes prioritaires de la banque, figu­
“Ö rant dans les plans stratégiques, sont bien couverts par un pilo­
LU
(D
Q_
tage adapté : notamment, production, produit net bancaire ou
Z)
O encore le « chiffre d’affaires » des banques, charges et risques.
ü
Au cours des dernières années, le contrôleur de gestion est

65
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

devenu un acteur important dans le choix de l’affectation des


fonds propres aux activités - marchés, produits, segments de
clients les plus rentables - et en assure le suivi.
2. Être le chef d’orchestre des systèmes de pilotage. Il assure le
pilotage des flux et des stocks car, contrairement aux entreprises
O industrielles, la part importante du produit net bancaire dans
les banques commerciales provient des stocks. La pérennité
O
d’une banque est en partie assurée grâce à sa capacité à engran­
eu
ger, à gérer et à piloter lecoulement dans le temps des opéra­
tions contenues dans ses encours.
Ainsi, il met en place des outils intégrant la dimension straté­
gique. Il élabore les indicateurs prioritaires qui serviront au
pilotage des organisations à tout niveau hiérarchique et ceux
répondant aux obligations réglementaires (Bâle II et III pour le
pilotage des risques, CRBF 97-02 et suivant pour le pilotage de
la rentabilité).
3. Être le responsable de la maîtrise et de la bonne affectation des
charges, un rôle primordial dans les banques et souvent inclus
dans les plans stratégiques. Le contrôleur fixe les règles de ges­
tion, les référentiels et les inducteurs qui permettront la meilleure
affectation analytique (métier, marché, produit, client) des
charges (suivant la méthode ABC : Activity B ased Costing). Il est
aussi un acteur important dans rétablissement des prévisions
budgétaires, des plans pluriannuels et de leurs suivis. Il contribue
aux travaux delaboration des business plans lors des choix dbpti-
>- misation des processus de réorganisation et dexternalisation.
LU
ro
T

O ) Lors d’acquisitions, il réalise les études nécessaires de valorisation
fNJ
et assure ensuite leur suivi dans le temps.
gi
Q.
O L'Ét a l o n n a g e o u b e n c h m a r k in g
U

Insistons, parmi les multiples facettes de la fonction, sur l’activité de


benchm ark, vilain anglicisme, auquel on préfère le terme d’étalon­
nage. Se comparer à des références tant internes qu’externes, généra­ “Ö
LU
lement celles des meilleurs de la classe, pousse à des progrès (Q_D
n
continus dans l’agencement et le fonctionnement des processus, O
ô
ainsi d’ailleurs que dans les méthodes de contrôle de gestion.

66
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

Toute banque fait donc Ibbjet de la part de ses concurrents d’un


comparatif régulier à partir du moment où une partie des informa­
tions la concernant est publique. Au sein d un groupe, toute entité
subit le même sort.
Les mécanismes sont simples à décliner : pour l’étalonnage interne, il
suffit de publier dans le tableau de bord les performances obtenues CD

par les entités comparables du groupe et faire ainsi apparaître o"


« l’effort » de productivité à réaliser. Par exemple, un rendez-vous ia
réussi par jour supplémentaire permet d’augmenter le chiffre CD

d’affaires de x% ). Ce modèle d’animation peut se décliner jusqu’au


niveau opérationnel le plus fin (le collaborateur, le portefeuille).
Néanmoins, cette méthode doit être mise en place avec un plan
d’accompagnement des structures concernées, car, poussée à
l’extrême, elle peut générer des comportements court-termistes visant
à perform er sur les seuls indicateurs retenus dans le benchm ark et à
laisser de côté les autres moins visibles, voire les objectifs collectifs.

Le capital clients,
un actif stratégique de valeur durable
Échanges n° 291, octobre 2011,
dossier « Le contrôle de gestion du processus commercial »
>- par Marie-Ange Andrieux, coprésidente de la Commission « Innovation et
LU
Immatériel » du GPS, présidente de la commission internationale, IFA
ro
T— )
O
(N

JZ
Dans une économie de l’immatériel qui se développe, les sources
ai
>. de croissance et de compétitivité se déplacent du capital technique
a.
O
U
et financier vers le capital immatériel, selon les analyses d’institu­
tions académiques ou internationales h En France, « la gestion des
actifs immatériels est l’un des facteurs de création de croissance les

LU
(CLÜ 1. Notamment OCDE ou Banque mondiale. Pour des approfondissements,
Z)
O voir du même auteur : « Mettre enfin l’immatériel au service de la crois­
(5 sance », Revue Sociétal, n° 66.

67
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

plus prometteurs de notre économie^ ». Le capital immatériel


représente d'ailleurs 80 % de la valeur des entreprises du S&P 500^
et dépasse largement la moitié de celle des sociétés européennes
dans des proportions variables selon les secteurs. Mais de quelle
valeur s agit-il et quel serait le rôle du « capital clients » ?
03 Le capital immatériel^ est essentiellement composé d'actifs de long
terme parmi lesquels le capital clients constitue un pilier stratégique.
O Investir dans les actifs immatériels, et notamment dans le capital
03
clients, c'est contribuer à construire les fondamentaux d'un modèle
d'affaires vers : une croissance durable"^, équilibrant objectifs court et
long termes à l'écoute des exigences de l'économie réelle dont les
clients ; une compétitivité qualitative, au-delà d'une concurrence par
les coûts, inclusive des intérêts des parties prenantes, vers un déve­
loppement durable générateur de richesse^. C'est aussi structurer
une combinaison dynamique des actifs matériels et immatériels au
service d'une stratégie de croissance, le « capital clients » créant de la
valeur en interdépendance avec les autres actifs de l'entreprise.

Intégrer l' entreprise ch ez le client

Une dynamique de confiance par la qualité de la relation client.


Les analyses sur la chaîne de valeur^ (approfondies par la création de

1. Décret du Premier ministre portant création de l’Agence pour le patri­


moine immatériel de l’État (APIE), avril 2007.
>. 2. Indice boursier géré par Standard & Poor’s et basé sur 500 grandes socié­
LU
ro
tH
tés cotées sur les Bourses américaines. Source : Étude Ocean Tomo Intel­
O
(N lectual Capital Equity.
3. Cartographie du capital immatériel : le capital humain, le capital relationnel
DI externe (capital clients, parties prenantes, réseaux...), le capital structurel
CL
interne (innovation et R&D, marques, organisation et processus, gouver­
O
U nance. ..). Pour plus de détails, voir les travaux de la Tribune Sciences-Po de
l’immatériel, dirigée par l’auteur. Disponibles sur easybourse.com.
4. Voir du même auteur : « Économie de l’immatériel : quels enjeux de compé­
titivité et de croissance durable ? », Analyse financière, mars 2011. _0)
“Ö
5. Voir du même auteur : « Du développement durable à la valeur durable : LU

mode d’emploi par l’immatériel », F rance M agazine, été 2011, n° 33. CD


Q_
Z)
6. Chaîne de valeur: voir notamment Porter (1985), Kaplan et Norton O
(1996) - S hared Value C reation: Porter (2010). ô

68
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

valeur partagée) ou 1économie de la connaissance^ ont consacré


révolution dune compétitivité de lentreprise orientée «produit-
service » se centrant aussi sur les « clients ». La qualité de loffre
produits-services ne suffisant plus, la différenciation concurrentielle
s’enracine dans la qualité de la relation clients : les capacités à
conquérir, à fidéliser, à servir déterminent la pérennité et le dévelop­
CD
pement de la share o f customer. Développer un lien durable à forte o"
valeur ajoutée avec les clients suppose gagner et conserver leur
confiance, sur la base dune connaissance réelle de leurs enjeux et
attentes profondes. Cette customer intimacy^ permet de structurer
une offre fidélisante, car personnalisée^ et différenciée, facilitée par
l’intelligence informationnelle des techniques améliorées de data
mining comme par les réseaux sociaux où l'on peut capter les
besoins de communautés de consommateurs finement ciselées.
Certaines études^ démontrent une corrélation entre la fidélité des
clients (surtout en business to business - B to B) et les écarts de
rentabilité entre concurrents ou les résultats de l’entreprise.
D’autres experts soulignent le coût élevé des défections clients.
Après le cycle de vie du produit, se sont développées des expertises sur
le cycle de vie du client (recrutement, croissance, valorisation, déclin)
et sa valeur, soit le rapport entre les investissements clients (coûts
d’acquisition, fidélisation, marketing, promotion, gestion de la distri­
bution, services clients, etc.), et les revenus futurs attendus d’eux selon
leur ancienneté et espérance de vie. Cette rentabilité du portefeuille
clients s’affine avec une analyse des risques (applicable au capital
>- clients comme à tout actif) et une vision consolidée des activités (par
Ш
m
CD
СЧ

1. Voir notamment les dossiers de la Tribune Sciences-Po de l’immatériel,


sz dirigée par l’auteur, disponibles sur easybourse.com (2007-2011) compor­
CT
>>
Q.
tant des bibliographies détaillées.
O
U 2. Voir les témoignages ou business cases sur le site de l’Association française
de la relation client (AFRC) ou du UK Institute of Customer Service.
3. Par exemple, développement des techniques de cross selling (incitation à
_ф acheter des produits susceptibles de correspondre au profil du client) ou
“Ö
Ш up selling (incitation à acheter des produits complémentaires ou d’une
(CLÜ gamme supérieure).
D
O 4. Voir notamment : Frederick E. Reichheld, 1996, The Loyalty Effect, Flar-
ü vard Review Press.

69
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

exemple : clients rentables pour un département, mais non pour un


autre, ou clients peu rentables, mais fidèles prescripteurs). Un objectif
majeur de la gestion de la clientèle serait alors une stratégie clients dif­
férenciée en fonction de leur contribution aux revenus, actionnant
une dynamique de pilotage relationnel vers une valeur durable.
O Un écosystème de la valeur clients en synergie avec Tinnovation et
les marques. L’innovation, souvent perçue comme liée aux techno­
logies et à la R&D, se révèle transversale sur la chaîne de valeur de
l’entreprise (production, organisation, marketing, vente) et de nature
non technologique (innovation d’usage, de processus, d’offre...). Sa
complexité multidimensionnelle transcende le clivage classique
produits-services vers un enrichissement de l’offre les combinant en
cocréation avec les clients. Car une part croissante de l’innovation
devra être captée à l’extérieur de l’entreprise, comme c’est déjà le cas
dans le secteur des services^ Le pouvoir de compétitivité de l’entre­
prise n’est plus dans l’avoir, mais dans ce partage créateur de valeur,
en résonance avec des besoins consommateurs passés de 1’« avoir
plus » au « vivre mieux et autrement », des hard values aux soft
values (préoccupations environnementales et éthiques).
Dans cette évolution des postures, les clients, au-delà des marques,
achètent la personnalité corporate de l’entreprise, sa réputation,
son image, en bref, ses valeurs. Ce marketing des valeurs est
évidemment subtil, même avec une stratégie de présence dans les
réseaux sociaux, où le « buzz positif » n’est pas exempt d’aléas !
Finalement, les valeurs de l’entreprise font la valeur clients. La
>- transparence contribue à la confiance, mais les clients ne seront
UJ
m pas dupes : ils doivent comprendre concrètement comment ces
1
—I
O
r\J valeurs se traduisent au travers de l’offre.

CT
>'
CL
Intégrer le client d a n s l' entreprise
O
U
Une reconnaissance efficiente dans la gouvernance. La reconnais­
sance du capital clients comme actif stratégique pourrait - voire
devrait - se traduire dans la gouvernance. _0)
“ô
LU
(CD
L
Z)
1. Voir de l’auteur : « Innovation dans les services : quels enjeux d’une crois­ O
sance annoncée ? », France M agazine, printemps 2010, n° 28. Ü

70
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

^ Institutionnelle, d’abord : elle doit figurer dans les débats du


conseil d’administration touchant aux fondamentaux de la valeur
et les travaux de ses comités (par exemple : comité d’audit et
cartographie des risques clients, comité des rémunérations et
stratégie de rémunération liée à la valorisation du capital clients).
^ Opérationnelle, ensuite : elle doit apparaître dans l’organisation de
CD
—t
l’entreprise (centrage sur le client autant que sur le produit), la stra­ o '
tégie d’investissement et de financement, enrichir le contrôle de
gestion et des risques (par exemple : le compte de résultat par client
ou groupe de clients déjà pratiqué dans le B to B, mais moins usuel
dans le business to customer - B to C - du fait des données à trai­
ter). Les atouts de cette approche seraient d’améliorer l’efficience
des actions marketing et la connaissance des sources de création de
valeur dans l’entreprise. Pour sa mise en place, des méthodologies
d’experts et des solutions technologiques existent (variables selon le
calcul de la valeur client : individuelle, consolidée ou sectorielle).

Une valorisation du capital clients à la fois interne et externe. La


mesure et la valorisation du capital clients peuvent être déployées
au travers de différentes approches.
Les tableaux de bord d’indicateurs extra-financiers analysent les
constituants de cet actif dont la pertinence repose sur leur capacité
à fournir une vision combinée de la performance, des risques et du
potentiel de développement attachés à ce capital. En ce qui
concerne les PME, où le capital clients est un facteur clé de péren­
nité, on se reportera au tableau de bord de l’immatériel de la PME^
>•

du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.

O Les rating du capital clients global ou de certaines de ses compo­


rvj
santes permettent notamment d’estimer la fidélité des clients
sz
CT actuelle et future, utile pour apprécier la probabilité de réalisation
'l-
CL
du business plan.
O
U
Les valorisations financières, fondées sur des méthodologies usuelles
de capitalisation de flux futurs, déterminent la valeur du portefeuille
clients, l’estimation du niveau des revenus et risques étant dépen­
“ô
LU
dante des facteurs précédents (par exemple : degré de fidélisation).
(D
3
Q_

O
6 1. Disponible en contactant : csoec@cs.experts-comptables.org.

71
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Ces approches contribuent à suivre le niveau de confiance des


clients, à optimiser la rentabilisation de l’investissement clients
dans les opérations courantes (identification des zones de risques
et d’améliorations) ou stratégiques d’acquisitions (poids des clients
dans l’argumentaire de la valeur), d’alliances stratégiques ou de
fusions (appréciation de la parité, identification et mise en place
03
des synergies relatives aux clients).
O
Au-delà de la mesure interne pour piloter la gestion du capital
03
clients, la valorisation externe de l’entreprise par les marchés
devrait refléter la reconnaissance de cet actif stratégique. Après les
analystes anglo-saxons, pionniers avec le custom er equity affinant
les valorisations purement financières, l’analyse extra-financière se
développe et des initiatives institutionnelles^ ouvrent vers une
meilleure prise en compte de la communication externe extra­
financière de l’entreprise. Toutefois, la difficulté d’une correspon­
dance reconnue entre les facteurs extra-financiers, les value drivers
financiers et la valeur de l’entreprise comme l’absence de référen­
tiel extra-financier représente des freins à cette évolution^.

L’activation des leviers culture d’entreprise et capital humain.


Une culture d’entreprise et une stratégie de capital humain inté­
grant la valorisation du « capital clients » parmi les objectifs
majeurs de l’organisation sont des leviers de réussite indispen­
sables. Elles traduisent l’engagement de tous à servir le client, pas
uniquement les activités en contact avec le marché : « A cultural
shift: everyone in the business has a custom er » (multinationale de
>-
produits domestiques)^ ; elles enrichissent les compétences et
LU
savoir être individuels par leur alignement avec la stratégie, favori­
O
fN sent une dynamique d’intelligence collective (communautés colla­
boratives, communication interne structurée), des rémunérations
JZ
ai
>.
a.
O
U 1. « Ten principles fo r com m unication o f intellectual ca p ita l» - EFFAS
(Fédération européenne des analystes financiers)/SFAF - Travaux de la
Commission de l’immatériel.
2. Voir « Immatériel et communication extra-financière : quels enjeux de
“Ö
gouvernance et de compétitivité ? », Tribune Sciences-Po de l’immatériel, LU

dossier juillet 2011. CD


Q_
Z)
3. Source : UK Institute of Customer Service - Témoignages de dirigeants O
de sociétés engagées dans cette démarche. Ô

72
Le contrôle de gestion au service de la performance de l'entreprise

intégrant la performance clients : « N one o f our custom er fa cin g


sta ff have sales targets or sales bonuses: their rewards an d bonuses
are based purely on their custom er satisfaction scores » (établisse­
ment bancaire).

C apital clients et c r o is s a n c e durable CD

DE L'ÉCONOMIE o"
i
Au niveau macroéconomique, l’indice ACSI* se révèle corrélé à des
facteurs liés à la croissance économique américaine (performance
financière et boursière des entreprises, consommation des
ménages). Une valorisation du capital clients peut s’appliquer par
analogie dans les secteurs^ de la sphère publique ou de l’économie
sociale et solidaire, sous réserve d’en adapter les objectifs et les
méthodologies. « Ne pas prévoir, c’est gémir^. » Prévoir, c’est donc
devenir. Une stratégie de compétitivité par le haut catalysée par le
capital clients et les actifs immatériels s'avère une opportunité de
contribuer au futur d’une croissance équilibrée porteuse de durabi­
lité et de sens.

>-
UJ

O
(N

©
CT
>•
CL
O
U

1. L’American Customer Satisfaction Index (ACSI) couvre 10 secteurs éco­


nomiques, 47 industries, plus de 225 entreprises et 200 agences locales ou
fédérales de services publics des États-Unis.
“ô
LU
2. Voir les deux dossiers de la Tribune Sciences-Po de Timmatériel sur les
(CLÜ enjeux d une stratégie de l’immatériel dans la sphère publique et les asso­
O
O ciations et fondations ; disponibles sur easybourse.com.
(5 3. Proverbe chinois.
ш>•
го
тН
о
fN

's-
О.

иО
Comptabilité :
des IFRS aux critères ESG

Des comptes : pour qui ? Pour quoi ?


a
Publié le 25 juillet 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Gilbert Gélard, associé, Bellot Mullenbach et Associés CO-

Après quarante ans de réflexion sur la question, je m’interroge


encore : « À quoi sert la comptabilité ? » Sans chercher à faire par­
tager au lecteur des angoisses existentielles, voici quelques pistes à
explorer, résultat d un long commerce avec cette étrange discipline,
si particulière : tour à tour considérée comme un des seuls îlots de
stabilité à quoi la mesure économique peut se raccrocher, perçue (à
tort) comme une science exacte par ceux qui ignorent de quoi elle
est faite, considérée comme une boussole pour ce navigateur intré­
pide qu est le chef d entreprise, un phare qui éclaire l’avenir, alors
qu’elle est, pour l’essentiel, un rétroviseur ; vue aussi comme un
arbitre entre les diverses parties prenantes qui ont un intérêt légi­
>- time, direct ou indirect, à ce que les dirigeants d’une entreprise
LU
ro
T—) leur rendent des comptes.
O
fN
Bref, la comptabilité est un peu « bonne à tout faire », mais n’est-
CT elle pas, pour cette raison, bonne à rien ?
>•
CL
O
U
Q ue veut dire « com ptable »?
On ne peut réfléchir sainement à toutes ces contradictions qu’en
=
~ô sériant les divers usages de la comptabilité et un petit détour par la
LU
(Q_
D sémantique peut être utile.
Z)
O Être comptable de quelque chose envers quelqu’un veut dire lui
Ô
rendre compte du mandat qu’il vous a confié. Cette acception du

75
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

terme se retrouve en langue anglaise, comme cest fréquemment le


cas, sous deux formes : lune dbrigine française {accountable,
accountability) ; Fautre dbrigine germanique (stewardship). Si dans
la forme française la notion de reddition de comptes est transpa­
rente, la forme germanique nous dirige déjà vers la théorie de
Fagence, car « stew ard » signifie « intendant », celui qui gère pour le
compte d’autrui. Cette acception élargie de Fadjectif « comptable »,
nécessairement complétée par Fobjet du mandat et la désignation
du mandant, est bien plus large que ce que Fon appelle traditionnel­
lement « les comptes » ou les états financiers. Elle peut s’appliquer à
'O toutes sortes de relations, celles d’un élu avec ses électeurs, par
Ht—

exemple, et suppose que le mandataire ou steward peut être sanc­


tionné par le mandant s’il n’a pas satisfait au contrat.
On voit que la « comptabilité », stricto sensu, dans le cadre général
de la reddition de comptes, n’est qu’un sous-ensemble constitué
d’états financiers normés, conventionnels, et ne rendant compte que
d’une façon schématique et partielle de réalités extrêmement
complexes. Ce n’est qu’un outil parmi d’autres. Il est à vrai dire assez
rudimentaire, donc assez robuste, ce qui va souvent de pair. Il donne
une impression et, pour les plus naïfs de ses utilisateurs, une illusion
de certitude et d’exactitude. Aucun des comptes que j ’ai audités au
cours de ma carrière ne méritait le qualificatif d’exacts, au sens habi­
tuel du terme, car ils faisaient appel à des évaluations subjectives
fondées sur des hypothèses incertaines, mais la plupart ne pouvaient
heureusement pas être qualifiés d’inexacts : en comptabilité, inexact
n’est pas le contraire d’exact.
>-
LU
ro Malgré ses imperfections, la comptabilité est très largement
tH

O
fN utilisée. On multiplie ses applications pratiques. On en attend
beaucoup, souvent trop, et parfois on la critique excessivement.
JC Une sorte (ïexpectation gap - différence entre les attentes et les
>•
a. réalités - s’est développée.
U
O
Les comptes méritent-ils cet excès d’honneur ou d’indignité, selon
les circonstances ? Peuvent-ils « dire le vrai », pour citer le titre d’une
étude^ et s’ils disent le vrai, à quoi et à qui cela peut-il servir ? _0)
“ô
UJ
CD
Q_
Z)
1. Matthieu Autret et Alfred Galichon, « La comptabilité peut-elle dire le O
vrai ? », 2004. 6

76
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Au début du premier septennat de François Mitterrand, une


ministre d’État avait été chargée, entre autres choses, de la Sécurité
sociale, déjà en net déficit. Elle avait déclaré avec hauteur : « Je ne
serai pas le ministre des Comptes », signifiant par là qu à ses yeux
les comptes et lequilibre budgétaire étaient des contingences
secondaires. Il n y a plus aujourd’hui un seul ministre, quelle que
soit sa tendance politique, qui oserait tenir de tels propos. On
prend les comptes très au sérieux, même si, quand on qualifie
quelqu’un de « comptable », certains préjugent, du moins en
France, que son niveau ne peut le rendre digne des hauts emplois,
car il manquerait de hauteur de vue.

La comptabilité c o m m e outil de c o m m u n ic a t io n
AVEC LES TIERS
L’image de l’entreprise à l’extérieur est véhiculée par la comptabilité
financière. Les états financiers doivent être rendus publics périodi­
quement pour que les tiers qui n’ont pas accès à l’entreprise, mais
sont susceptibles d’être concernés par elle, puissent les consulter et
les analyser. La plupart auront reconnu dans cette description les
états financiers à usage général (EFUG ; en anglais GPFS, G eneral
Purpose Financial Statements) dont traitent les cadres conceptuels
d’origine anglo-saxonne, notamment ceux du Einancial Accoun­
ting Standards Board (FASB) et de l’International Accounting
Standards Board (lASB).
La normalisation a pris le parti de ne pas s’occuper de la comptabi­
U>J- lité de gestion interne à l’entreprise, certes utile et même indispen­
ro
O
sable, mais qui n’a pas ou a peu d’interface avec les tiers. C ’est la
(N
communication avec ces derniers qui rend nécessaire la normalisa­
sz
ai tion, c’est-à-dire la création d’un langage commun, accessible à
>-
CL
quiconque veut se donner la peine de l’apprendre et qui favorise
O
U l’émergence d’un « terrain de jeu bien nivelé ». Il y a obligation de
transparence, pour employer un terme en vogue et aussitôt
galvaudé. Au contraire, la comptabilité de gestion à usage interne
“ô confine parfois à la confidentialité, pouvant aller jusqu’à la protec­
LU
(CLÜ tion du secret des affaires.
3
O Les cadres conceptuels de l’information financière définissent les
Ü
objectifs de cette information, les qualités visées (d’ordre qualitatif).

77
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

les entités qui doivent rendre des comptes, les éléments faisant
Ibbjet dune comptabilisation, les principes appliqués pour les
mesurer et enfin les informations nécessaires à la bonne compré­
hension de lensemble.
Cet outil est le « gendarme intellectuel » auquel le normalisateur
s’efforce dbbéir lorsqu’il écrit les normes afin d’assurer la cohé­
rence d’ensemble du référentiel. Il est donc particulièrement
important que les parties prenantes de l’information financière,
qui sont nombreuses et très diverses, s’accordent sur le rôle et le
contenu de ce cadre.
'O
La difficile critique des cad res co n ceptu els

Pour que l’on puisse critiquer les cadres conceptuels, encore faut-il
qu’ils existent. Or, les seuls qui soient explicites sont les cadres
anglo-saxons, les plus visibles étant les Concept Statements du
FASB et le cadre conceptuel de l’IASB.
Si les traditions autres qu’anglo-saxonnes, par exemple française,
allemande et japonaise ont un cadre conceptuel, celui-ci s’avère
implicite et bien caché. En réalité, ce qui est implicite et non écrit
n’existe pas. Il est déjà assez difficile de travailler avec un cadre
explicite ; il est tout à fait impossible d’avoir comme référence
intellectuelle et opérationnelle une vague idée non élaborée.
Beaucoup en France ont nié qu’un cadre conceptuel soit utile, mais
d’autres pensent qu’il est indispensable, à condition de rehausser
son statut et de le placer au sommet de la hiérarchie des règles de
>- droit qui s’appliquent aux états financiers des sociétés de capitaux
U J
ro et des entreprises en général. Il deviendrait alors directif On adop­
O
(N terait l’approche d’un cadre-carcan, qui contraindrait davantage le
@
sz normalisateur en délaissant l’approche un peu plus souple du
ai
>• cadre-guide, celle qui prévaut actuellement à l’IASB et au FASB.
a.
O
U Bref, les réactions d’Europe continentale à la notion même de
cadre conceptuel font penser à la langue d’Ésope : la meilleure ou
la pire des choses.
“ô
LU
0Q_
Z)
O
Ô

78
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Un o u plusieurs types d ' utilisateurs ?


Le débat le plus fréquent à propos du cadre conceptuel des entre­
prises à but lucratif est de savoir à qui les comptes doivent
s’adresser. Faut-il un utilisateur prioritaire, dont les besoins
d’information seront le plus possible satisfaits par les comptes ? Ou
bien faut-il tenter de satisfaire les besoins éventuels du plus grand
nombre possible de parties prenantes ?
L’IASB et le FASB ont tranché en disant que l’utilisateur principal
est l’investisseur, aussi appelé fournisseur de capitaux, une caté­
gorie qui comprend les actionnaires actuels et potentiels et les
prêteurs. Le présupposé est qu’en satisfaisant les besoins de la caté­
gorie la plus exposée aux risques, les autres parties prenantes,
moins exposées, sont également bien servies (personnel. État, CDn

fournisseurs, clients, etc.). Ce modèle est particulièrement bien


adapté aux sociétés faisant appel public à l’épargne, car leur devoir
de reddition de comptes s’étend bien au-delà de leurs actionnaires
actuels pour englober l’ensemble de leurs fournisseurs potentiels
de capitaux, c’est-à-dire toute la population.
La critique adressée à ce postulat est qu’il conduit à des comptes
orientés vers les marchés financiers, divorcés de 1’« économie
réelle », trop « financiarisée », pour utiliser un néologisme mis à
l’honneur par le président Chirac lui-même dans une lettre restée
célèbre adressée au président de la Commission Romano Prodi, et
qui couronnait une intense campagne de lobbying anti-IASB.
Le nouveau président de l’IASB, Hans Hoogervorst, a déclaré dans
>-
LU un discours prononcé le 9 février 2011 à Bruxelles que l’informa­
m
T—)
tion de l’investisseur doit rester prioritaire et qu’il ne saurait être
fN
O

question de présenter plusieurs images fidèles de l’entreprise pour


JC
tenter de satisfaire des besoins spécifiques d’autres parties
>•
a. prenantes.
O
U

La comptabilité doit -elle être ciblée ?


“ô Mon opinion est que l’approche de l’IASB et du FASB est la seule qui
LU
(D
Q_
permette de construire un édifice cohérent lorsqu’il s’agit d’éclairer
Z)
O les investisseurs sur l’entreprise dans laquelle ils ont investi ou envi­
Ô
sagent d’investir. Se concentrer sur leurs besoins d’information

79
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

donne un objectif clair, certes difficile, mais atteignable, orienté vers


la production d’informations susceptibles de les éclairer, s agissant
de décider d’acheter, de vendre, conserver des actions, ou de prêter.
Essayer au contraire de satisfaire une multiplicité d’utilisateurs
ayant des intérêts différents voire divergents est une gageure, voire
une impossibilité. J’ai encore en mémoire une expérience person­
nelle où, directeur comptable d’un grand groupe, et ayant proposé
la constitution d’une provision pour risques absolument nécessaire
à la sincérité des comptes, j ’ai été approché avec insistance par le
délégué d’un syndicat de salariés. Il demandait que cette provision
ne soit pas constituée, au m otif de son influence sur la participa­
tion des salariés : conflit inévitable quand on veut servir plusieurs
maîtres - le fisc, le prudentiel, etc. L’ambition déraisonnable de
servir à tout et à tous ne peut conduire qu’à la recherche d’un
« plus petit dénominateur commun » qui ne satisfait personne.
On veut trop faire dire et faire à la comptabilité parce que l’on
ignore ou feint d’ignorer ses limitations.

Les c o n f u s io n s les plus fr éq u en tes

C onfusion entre é valuation d 'u n e entreprise


et mesure des actifs et passifs
On abuse du mot « évaluation », voire du mot « valorisation », et on
les utilise à contresens. La comptabilité n’évalue pas l’entreprise. La
situation la plus proche d’une évaluation est celle où une entreprise en
>-
Ш
ГО acquiert une autre et où (presque) tous les actifs et passifs identi­
tH

O
rvj
fiables de l’entreprise acquise sont mesurés à leur (juste) valeur. Mais
dans de telles transactions, il y a toujours un goodwill qui est la diffé­
JC
rence entre la valeur de l’entreprise au jour de l’acquisition et la
>•
a. somme des valeurs des actifs et passifs existants. Cela démontre qu’a
O
U
fortiori dans les situations autres que celle de l’acquisition d’une entre­
prise, les capitaux propres traduisant le « patrimoine comptable » ne
représentent jamais sa valeur, quand bien même tous les actifs et pas­
sifs seraient comptabilisés à leur valeur plutôt qu’à leur coût histo­ “ô
Ш
rique. Aussi mieux vaut-il parler modestement de « mesure » des 0)
Q_
Z)
actifs et passifs, plutôt que d’évaluation, ce qui permet aussi d’y O
inclure le coût historique amorti, qui à l’évidence n’est pas une valeur.
(5

80
C omptabilité ; des IFRS aux critères ESG

D ébat sur « l'a p p ro c h e bilan »


contre l'a p p ro c h e « com pte de résultat »
C est là aussi un faux débat. On ne peut concevoir dans une comp­
tabilité en partie double - existant depuis la fin du xv^ siècle
(Lucca Paccioli) en créances et dettes {accrual accounting) -
dbpposer les deux approches. On ne peut avoir de produit sans
une augmentation d’actif ou une diminution de passif. Aborder les
problèmes dans un sens ou un autre s’avère strictement équivalent.
Certes, le débat a eu lieu dans les années 1980 et les meilleures
plumes académiques s’y sont affrontées. Mais il n’a guère
passionné les praticiens jusqu’au moment, relativement récent, où
les normalisateurs ont introduit, à côté du coût historique qui a
O “

régnait en maître, un autre attribut de mesure des actifs et des


passifs, à savoir la (juste) valeur. Comme la SNCF nous met en
garde, attention ! Un train peut en cacher un autre !

D ébat coût contre va le ur


Il succède au précédent, avec lequel il est parfois confondu. En tant
qu’attribut de mesure d’un actif ou d’un passif, le coût historique,
complété par des amortissements et des dépréciations et provi­
sions, est associé à deux principes, réalisation et prudence. Le bilan
représente une sous-évaluation systématique et le résultat net peut
théoriquement être distribué sans appauvrir l’entreprise.
Au contraire, la juste valeur en tant qu’attribut de mesure d’un actif
ou d’un passif n’est associée à aucun de ces deux principes ; les
>-
LU plus-values latentes ne sont pas traitées différemment des plus-
ro
tH

O values réalisées et la distribution du résultat est une question ju ri­


fN
© dique et de gouvernance plutôt que la conséquence automatique de
CT chiffres issus de la comptabilité. Le bilan est alors une somme de
>'
CL
valeurs, sans que toutefois on obtienne en le lisant la valeur de
O
U l’entreprise qui, souvent, réside dans des éléments non comptabili­
sables, autant ou plus que dans les comptes eux-mêmes.
Le coût et la valeur ont chacun ses mérites et ses défauts. Le coût
“ô historique assigne des montants différents à des actifs identiques
>-
LU
(D
Q_
selon leur date d’entrée dans le patrimoine. Le principe de
Z)
O prudence qui y est associé conduit souvent à des dissimulations et
6
à des lissages de mauvais aloi, à un pilotage du résultat qui prend le

81
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

pas sur la bonne gestion de lentreprise. La juste valeur, même si


elle est souvent fiable, nen est pas moins volatile, et cette volatilité,
à ne pas confondre avec la fiabilité, est ressentie par les dirigeants
comme ayant peu de rapport avec leur performance, ce en quoi ils
ont partiellement tort et partiellement raison. Seul un système de
mesures mixtes choisissant avec pertinence Tattribut le mieux
approprié à chaque actif et passif, compte tenu du modèle écono­
mique, peut fonctionner. Aussi, les déchaînements passionnels
sont hors de propos.

'Ci
La p ré d ictio n des flux de trésorerie futurs
Laide apportée par les comptes à la prédiction des flux de tréso­
rerie ou cash flows futurs, tant pour Linvestisseur qui est la cible
privilégiée que pour lentreprise elle-même, est souvent citée
comme une des qualités des comptes. On ne peut le nier. Mais leur
utilité perçue est fortement exagérée car la plus grande part des
flux de trésorerie futurs que dégagera une entreprise sont liés à des
transactions et des événements futurs qui, par définition, nbnt pas
de place dans des états financiers qui reflètent letat présent résul­
tant de transactions passées.
Curieusement, letat financier qui recèle le moins de valeur prédic­
tive sur les flux de trésorerie futurs est leur état qui ne contient que
de purs flux de trésorerie de lexercice passé, sans qu aucun des
montants constitutifs ait un contenu de flux de trésorerie ; mais il
>• est apprécié des lecteurs parce qu il est peu manipulable. Les
LU
éléments du bilan sont des flux de trésorerie futurs, mais non
O
(N exhaustifs, et le compte de résultat est un mélange de flux de tréso­
rerie de lexercice, passés (amortissements) et futurs (dotations aux
CT
>•
provisions pour risques).
CL
O
U Ce qui aide à prévoir des flux de trésorerie futurs, cest la série
chronologique comparative de plusieurs états financiers successifs
et la connaissance souvent extracomptable que Fanalyste a de
lentreprise et de son environnement. En matière de prévision, les “ô
LU
comptables sont à peu près logés à la même enseigne que les 0
CL
Z)
économistes qui se révèlent excellents pour expliquer les crises O
CD
passées, mais assez désarmés devant les incertitudes du futur.

82
C omptabilité ; des IFRS aux critères ESG

L'a b u s de comptabilité

Ce nest pas une nouvelle sorte de délit, mais un usage abusif des
comptes et des états financiers. Voici quelques exemples.

Les stock-options des d irig e a n ts


Il ne s'agit pas ici de critiquer les niveaux de rémunération des diri­
geants des grandes sociétés, chacun en pense ce qu il veut, mais
dexaminer un mode de rémunération particulier : les stock-
options.
Partant de l'idée a priori louable qui vise à favoriser une congruence O

entre les intérêts de l'entreprise et de ses actionnaires et les intérêts 3


des dirigeants qui en sont les mandataires, on a en réalité inventé la
CD.
machine infernale susceptible de conduire à de nombreux errements
de comportement et de perception : court-termisme, tentation
d'opportunisme comptable, voire pire, porte ouverte au soupçon,
justifié ou non, de privilégier les intérêts personnels par rapport à
ceux des mandants. Devant une telle pratique, si contraire à tous les
principes de gouvernance dont on se targue par ailleurs, la tentation
d'un citoyen peut être de souhaiter quelle soit interdite. Si celui-ci est
en même temps normalisateur comptable, il ne peut que constater
que la pratique est licite et s’efforcer de la traiter le mieux possible : il
a fallu que les normalisateurs, isolés contre des intérêts puissants,
livrent une dure bataille pour faire admettre que cette rémunération,
même sous la forme d'un instrument de capitaux propres, était la
contrepartie d'un travail et donc une charge de personnel venant
>-
LU
diminuer le résultat. Dans ce combat, ils ont été soutenus par un
ro
tH
personnage que l'on ne peut soupçonner d'être hostile au capita­
O
fN lisme, Warren Buffett, qui a déclaré : « Si ça n'est pas du salaire, c'est
quoi alors ? »
gi
>>
Q.
O
U Les distributions de d ivid e nd e s
Il est prévu par le droit français des sociétés que le bénéfice distri­
buable aux associés est fondé sur le bénéfice comptable de la
“Ô société distributrice. Dans les groupes, la société qui distribue un
LU
(CLÜ dividende aux actionnaires est la société mère du groupe, et le
D
O résultat distribuable est donc calculé sur la base du résultat net tel
(5 qu'il ressort des comptes annuels (individuels) de celle-ci.

83
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Or la communication financière des groupes du CAC 40, parmi


d'autres, fait toujours un lien entre les dividendes versés et le
résultat consolidé, les premiers étant présentés comme un pour­
centage des seconds. Cette présentation est une fausse information
systématique, car le bénéfice consolidé nest pas distribuable : un
groupe n a pas un statut juridique tel qu'il puisse distribuer des
dividendes.
Le résultat comptable de la société mère - j'en parle par expé­
rience - est souvent une construction artificielle en fonction du
niveau de distribution que l'on souhaite atteindre. De nombreux
'O
Ht—
artifices sont utilisés : remontées accélérées de dividendes, voire
d'acomptes sur dividendes, facturation de prestations intragroupe,
prix de transfert légèrement biaisés, sans oublier le fait que le réfé­
rentiel comptable s'avère différent de celui des comptes consolidés.
Il est étonnant que cette pratique, si notoirement fausse, de
communication financière soit si généralement admise.
Le fond du problème est que nous admettons trop facilement,
parce que la loi commerciale et pénale existe depuis près de cent
cinquante ans, qu'il est nécessaire de faire un lien arithmétique,
faussement sécurisant, entre un résultat net et la rémunération des
actionnaires. Ce qui importe, c'est que la rémunération des action­
naires ne mette pas en danger la solvabilité de l’entreprise ; il y a
sans doute moyen de l'apprécier de manière plus fine. Ne serait-ce
pas une question de gouvernance plutôt que l'application m éca­
nique de chiffres comptables ?
>-
Ш
Г0
tH

O
(N
Les incohérences de traitem ent
© entre les parties prenantes
CT
's -
>•
CL
À une époque où les hommes politiques souhaitent qu'il y ait un
O
U lien entre la rémunération des salariés et celle des actionnaires, on
doit s'assurer que cette démarche politiquement et socialement
sensible s'effectue dans la cohérence. Cela n'a guère été le cas dans
le passé. Il y a plus de quarante ans que la participation des salariés “ô
Ш
existe. Mais est-il logique quelle soit fondée sur le bénéfice fiscal, Ш
CL
Z)
évidemment différent du bénéfice comptable qui sert de base à la O
rémunération des actionnaires ? Si l'on voulait vraiment améliorer
(5

84
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

les rapports entre ces deux catégories d'ayant droit - au demeu­


rant, les mêmes individus peuvent appartenir aux deux catégo­
ries - on pourrait au moins adopter la même base de départ pour
les calculs.

La d iffé re n c ia tio n intersectorielle


Le cadre conceptuel des entités à but lucratif peut-il être étendu au
secteur associatif (« not f o r profit ») et surtout au secteur public ?
Les approches ont été jusqu’à présent différentes selon les pays.
Certains prônent une neutralité intersectorielle, donnant ainsi la
primauté aux concepts des entreprises à but lucratif ; c’était impli­
citement la voie suivie par le Conseil des normes comptables inter­
nationales pour le secteur public (IPSASB) qui, en copiant de façon
peu imaginative les normes IFRS du secteur privé, avait jusqu’à il y
a peu implicitement adopté le cadre conceptuel du secteur privé.
Heureusement, il s’est depuis peu écarté de cette route en réfléchis­
sant à son propre cadre conceptuel, reconnaissant ainsi que les
objectifs des comptes et les types d’utilisateurs des entités du
secteur public peuvent nécessiter des concepts propres. En France,
la distinction entre l’Autorité des normes comptables (ANC) pour
le secteur privé et le Conseil de normalisation des comptes publics
(CNOCP) pour le secteur public vient consacrer cette différencia­
tion, qui ne sera néanmoins profitable que si les deux organismes
coopèrent autour d’un tronc commun et sans esprit de chapelle.

>. C o n c l u s io n s
Ш
ГО
O
Loin d’avoir épuisé la question posée - à quoi et à qui servent les
(N
comptes - , je crains néanmoins que vous vous demandiez pour­
sz
ai quoi je scie la branche où je suis assis. Telle n’était pas mon inten­
>-
CL
tion. « Qui aime bien châtie bien. » Si l’on veut progresser, il faut
O
U être lucide sur les problèmes et les insuffisances de notre disci­
pline, sans pour autant nier ses points forts. Il faut aussi éduquer le
public sur ce qu’il peut attendre des comptes et dissiper ses illu­
“Ö sions et ses fausses perceptions.
Ш
(Q_
D Dans le contexte actuel, qu’il serait téméraire de qualifier « d’après-
Z)
O crise », on parle beaucoup d’un retour du protectionnisme pudi­
Ô
quement baptisé « démondialisation ». Même dans un tel contexte.

85
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

la nécessité de comprendre les comptes des entreprises partout


dans le monde resterait entière. Si la mondialisation a rendu les
normes comptables internationales plus évidemment nécessaires,
elles ne le seraient pas moins sur un marché cloisonné, même si
ridée était alors moins facile à vendre.
Il faut avoir la foi du charbonnier pour croire de nos jours à la
parfaite efficience des marchés, sur laquelle reposent les théories et
pratiques dominantes. Pourtant, il est tout aussi illusoire d’ignorer
les marchés, et cela vaut pour les particuliers, les entreprises et les
États. On le constate tous les jours. La recherche de la stabilité

Ht—
durable passe par la transparence. Dans leur domaine de compé­
tence, la comptabilité et les comptables s’efforcent sans relâche d’y
contribuer.
D iscours p ron on cé p a r G ilbert G élard
devan t VAcadémie de com ptabilité le 22 ju in 2011.

Vers un grand nettoyage des g o o d w ills


Publié le 16 février 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Pascal Quiry, enseignement finance-gestion, НЕС et Yann Le Fur,
directeur administratif et financier, Mediobanca

En cette période de clôture des comptes, les entreprises sont


>-
Ш confrontées comme chaque année à la question de la dépréciation
го
о ou non des goodwills. Cette problématique devient cependant
rvj
particulièrement complexe puisque les paramètres internes (plans
sz
CT d’affaires) et externes (taux sans risque, prime de risque) de valori­
Cl
sation ont fortement évolué.
O
U
En quelques mois, les perspectives de croissance et de marge à
court terme des entreprises se sont réduites. Cette anticipation de
dégradation touche beaucoup de zones géographiques (y compris
désormais des pays émergents pour au moins quelques trimestres) “Ö
Ш
et une large partie des secteurs, les plans d’affaires des sociétés (et Ш
CL
Z)
en particulier ceux des sociétés acquises ces dernières années) ont O
Ü
dû logiquement être impactés.

86
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Par ailleurs, même si le taux sans risque a marginalement baissé (le


taux du bund est passé de 3% en décembre 2010 à 1,8% actuelle­
ment), la prime de risque a de son côté sensiblement augmenté :
d environ 6,5% au premier semestre 2011 à environ 9,5% au
second semestre 2011 selon Associés en finance ^ Même si nous
sommes sensibles à la position de ne pas retenir une prime spot
(plus de 9% ) reflétant une crispation certainement non durable
des investisseurs, il ne nous semble pas raisonnable d’anticiper que
la prime de risque puisse, même à moyen terme, retrouver son
niveau moyen des années 1990 (3,9% ). Le coût des capitaux
propres a ainsi de manière certaine augmenté significativement sur
le long terme.

Les marges actuarielles sur les emprunts ne sont pas près non plus
de revenir à leurs niveaux de 2005 : 10 ou 20 points de base pour
les meilleurs groupes (pincez-vous ! et pourtant c’était vrai^).
Comme le niveau d’endettement des groupes ne va pas augmenter
dans le futur, au contraire dans cette nouvelle ère de désendette­
ment généralisé, nous devons en conclure que le coût du capital
moyen a bel et bien augmenté... passant en moyenne en Europe de
l’ordre de 8 % à, au moins, 9% . Ceci est cohérent avec les prévisions
du McKinsey Global Institute^ s’attendant à une hausse du coût du
capital de l’ordre de 1,5 % en raison d’une pénurie d’épargne dans le
monde eu égard à l’importance des investissements à réaliser.
La combinaison d’un coût du capital plus élevé et de plans
d’affaires revus à la baisse, au moins pour les résultats des années
>J- les plus proches^, conduit immanquablement à des valorisations
U
ro plus faibles... La division par deux des valeurs boursières en
O
fNJ cinq ans n’en est que le reflet.
O
JC Dans ce contexte, il nous semble difficilement défendable de
>•
a.
conserver l’ensemble des goodw ills intacts ! Une petite partie du
O
U travail de dépréciation a déjà commencé à être faite, mais le plus

1. Source la plus fiable de notre point de vue.


“ô
LU
2. Voir La Lettre Vernimmen.net n° 30 de juillet 2004.
(CLÜ 3. Farew ell to ch eap c a p ita l décembre 2010.
n
O 4. Qui sont celles qui comptent le plus dans la valeur, car la mécanique
(5 inexorable de Factualisation ha pas encore produit ses effets.

87
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

gros est juste devant nous. Au 30 juin 2011, le goodw ill des groupes
du CAC 40 représente 336 milliards d euros, soit 18% de leurs
actifs totaux^ Bien entendu, ce constat est global, et une analyse
fine réalisée au niveau de chaque groupe montrera des résultats
différents de groupes à groupes, et au sein de chacun dentre eux
des dépréciations touchant certaines divisions et pas d’autres.
À titre de vérification, il convient de noter que 53 % des groupes du
CAC 40^ ont actuellement une rentabilité économique après impôt
inférieure à leur coût du capital. Or le goodw ill a justement pour
'0> fondement la capacité à dégager une rentabilité supérieure au coût
la du capital^. Si celle-ci nest plus durablement au rendez-vous, on
peut logiquement douter de la valeur de ces goodwills.
Nous ne pouvons pas en déduire directement que la rentabilité
économique de chacune des divisions porteuses de goodw ill de ces
groupes est inférieure au coût du capital, ni même que, si elle lest
aujourd’hui, elle le restera à moyen terme (les marges étant
proches de leurs plus hauts historiques, les gains de rentabilité
économique vont être chers à l’avenir !). Mais c’est un indice de
plus pour conclure que nous devrions en toute logique observer
des dépréciations des goodw ills de ces groupes^.
Cela dit, même si une dépréciation du goodw ill dans le cadre des
normes comptables IFRS nous semble pleinement justifiée, notre
raisonnement de financiers nous fait penser que ce devrait être un
non-événement pour les investisseurs. En effet, la baisse générale
>-
Ш des valeurs est connue et se reflète dans les cours de Bourse. Les
n
T—
I
O
investisseurs qui ont lu leur Vernimmen^ savent que la déprécia­
fNJ
tion du goodw ill est à la fois une charge non récurrente et non cash,
ce qui les conduira à la retraiter dans leur analyse financière.
>-
a.
O
U

1. Pourcentage hors financières.


2. Hors financières. Ce chiffre reste de 36% si Ion se projette en 2013.
3. Pour plus de détails, voir le chapitre 7 du Vernimmen 2012. _0)
“ô
4. Le goodw ill des groupes (hors financières) conservant une rentabilité Ш

économique inférieure à leur coût du capital en 2013 représente près de CD


Q_
Z)
100 milliards d’euros. O
5. Page 119 dans l’édition 2012. Ô

88
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Uimpact en termes politiques est une question différente sur


laquelle nous ne disserterons pas longtemps, mais alors que beau­
coup dentreprises restructurent, licencient ou gèlent les
embauches, une année de résultats dégradés ne nuira certainement
pas à leur image...
Nous pensons que ne pas déprécier, quatre ans et demi après le
début de la crise, des goodw ills de plus en plus difficiles à justifier
raisonnablement constitue une erreur de management. Ainsi serait
accréditée Fidée que les documents comptables présentés ne sont
pas fiables. Nous pensons même qu une dépréciation des goodw ills
sera vue comme un signe de bonne gestion présente^ plutôt que
comme un aveu tardif de mauvaises décisions passées (personne
n avait prévu la crise que nous subissons, les investisseurs encore
moins que les autres !).
Est-ce un hasard si les groupes les plus concernés combinant des
goodw ills importants et des rentabilités économiques inférieures au
coût du capital depuis plusieurs années ont vu sur les derniers
trimestres leurs cours baisser beaucoup plus fortement que le
marché ? À 1evidence non !
Alors à vos dépréciations.
Merci.

>-
ш
го
т-Н
о
fN
@
SZ
01
>>
о .

ио

“ô
Ш
(D
Q_
1. Les crises se sont prolongées lorsque les acteurs ont différé la constatation
Z)
O de celles-ci dans leurs comptes. L’enlisement du Japon en est certaine­
Ô ment une illustration.

89
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Dix ans après le lancement du projet IFRS,


où en est la convergence mondiale
des normes d'information financière ?
Publié le 23 juin 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par PFiilippe Danjou, membre du Boord de l'IASB

L’IASB vient de fêter, avec discrétion, son dixième anniversaire. Une


nouvelle équipe de management s’installe, avec Hans Hoogervorst et
lan Macintosh, les Trustees procèdent à la sélection d un nouveau
chairm an pour succéder au regretté Tommaso Padoa-Schioppa, un
appel à commentaires va être publié pour définir le programme de
travail des cinq prochaines années, la gouvernance de TIFRS Foun­
dation fait 1objet de nouvelles propositions à la fois par les Trustees
et par le Monitoring Board, et l’accord dit M em orandum o f Under­
standing avec le FASB, précisant le contenu et les modalités du
programme de convergence, vient à expiration. Les sujets de
réflexion ne manquent donc pas, mais je me contenterai ici
d’aborder la question de l’étendue de l’application des IFRS à l’issue
de dix ans d’efforts.

Q uelques co m m e n ta ir e s
AU SUJET DU SEC STAFF PAPER DE MAI 201 1

Ш
>* La publication le 26 mai 2011 d’une note du staff de la SEC
ГО
T—) (« Exploring a possible m ethod o f incorporation ») détaillant le
O
fNJ contenu de la notion de « condorsement » évoquée en décembre 2010^
a amené des commentateurs français à douter de la volonté des
gi
États-Unis d’adopter un jour les normes internationales. Des
Q.
O
U
expressions très fortes, telles que « coup de tonnerre », « camou­
flet », « échec », ont été employées. Les interrogations sont
toujours légitimes, mais il est à mon avis trop tôt pour tirer des
'b
%
LU

1. Paul A. Beswick, R em arks before the 2010 AICPA N ational C onference on CD


Q-
Z)
Current SEC an d PCAOB D evelopm ents, 6 décembre 2010. Il s’agit d’un O
terme inventé pour combiner les notions (^endorsement et de convergence. ô

90
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

conclusions. En effet, le staff se contente, pour Tinstant, dexplorer


toutes les modalités techniques envisageables pour une transition
des US GAAP aux IFRS, afin dbbtenir des commentaires des
parties prenantes, puis de les discuter lors de la table ronde qui se
tiendra en juillet. La publication par le staff detudes sur les diffé­
rentes modalités possibles de transition^ était prévue dans le « S taff
Work Plan » publié en février 2010. Il formulera ensuite une
recommandation au collège des commissaires de la SEC, qui
devrait décider formellement d’ici à la fin de l’année. À ce stade, il
est dangereux de vouloir lire entre les lignes et rien ne permet
d’affirmer que la SEC reporterait sa décision ou prendrait une
décision de non-adoption. Mais il est évident que faire « basculer »
d’un référentiel à l’autre les 4 500 sociétés cotées américaines est un
CDn
exercice lourd et complexe, et qu’il serait impensable que les
modalités de transition ne fassent pas l’objet d’une étude appro­
fondie, surtout dans un pays où la protection des investisseurs est
prise au sérieux par les autorités.
On peut aussi trouver normal qu’à l’instar de ce qu’ont institué
l’Union européenne et d’autres États, un mécanisme formel
« dCendorsement » soit mis en place aux États-Unis pour donner
force légale aux normes publiées par l’IASB ; et on peut trouver
logique que la SEC s’appuie sur le EASE, comme la Commission
européenne s’appuie sur le European Financial Reporting Advi­
sory Croup (EFRAC), pour obtenir un avis technique préalable à
la décision endorsem ent. Il faudra naturellement être attentif au
>- risque que les uns ou les autres décident d’un « carve out », qui
UJ
m
T—)
amènerait à des normes non comparables d’une juridiction à
O
fN
J

gi 1. Les modalités explorées jusqu’à présent sont : adoption totale à une date
CL
donnée, sans mécanisme d’endorsem ent (approche dite « Big Bang ») ; adop­
O
U tion totale à la suite d’une période de transition progressive sur plusieurs
années ; option ouverte à certaines sociétés d’adopter les IFRS sans que cela
soit imposé à toutes ; enfin, maintien des US GAAP et poursuite d’un travail
de convergence avec les IFRS. Le sta ff p a p er de mai discute l’idée que la déci­
"o
LU
sion de la SEC ne constitue pas forcément un choix binaire (tout le monde
(CLÜ tout de suite ou bien rien du tout) et que l’incorporation des IFRS aux États-
Z)
O Unis n’est pas nécessairement incompatible avec le maintien de l’autorité
(5
ultime de la SEC sur les normes comptables des sociétés cotées.

91
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

l’autre. Je suis moins inquiet au sujet de la possibilité de « carve


in », à savoir l’ajout, pour des besoins spécifiques aux États-Unis,
de commentaires destinés à favoriser la bonne application des
IFRS à des situations propres à cet environnement. La France ne
s’est d’ailleurs pas privée d’apporter des précisions pour l’applica­
tion de certaines normes (par exemple IFRS2 ou IFRS4) à des
questions supposées franco-françaises.
La méthode de transition explorée dans le sta jf p a p er repose sur
plusieurs principes :
» maintien temporaire des US G A AP, qui seraient progressive­
'O
Ht—
ment modifiés par le FASB pour les aligner sur les IFRS (méca­
IH nisme d’incorporation) en suivant un protocole d’endossement ;
^ ce protocole donnerait la possibilité au couple FASB-SEC de
modifier ou compléter les normes IFRS lorsque cela est justifié
par l’intérêt publicÉ à savoir la protection des investisseurs ;
^ au lieu de retenir une approche du type IFR Sl « Première appli­
cation des IFRS » avec un basculement total au nouveau réfé­
rentiel, il serait proposé que la période de transition soit mise à
profit pour que le FASB élimine progressivement les différences
avec les IFRS ;
^ à l’issue de cette période de transition, un metteur américain
respectant les US G A AP pourrait aussi affirmer sa conformité
aux IFRS publiés par l’IASB.

Bien sûr, cette approche qui est censée réduire les efforts liés à la tran­
sition pour les sociétés les moins sophistiquées (et conserver un rôle
>• actif pour le FASB^) présente de nombreux inconvénients, dont le
LU
ro moindre n’est pas l’instabilité du référentiel US G A AP pendant toute
T—)
O
(N la période de transition, susceptible de perturber les investisseurs.

sz
ai
>-
CL
1. Cette idée rappelle la notion d’intérêt public européen qui figure dans le
O
U règlement 1606/2002.
2. Le s ta ff p a p e r décrit ainsi le rôle possible du FASB : « The FASB w ould
p lay an instrum ental role in g lob a l stan d ard setting by providin g input an d
support to the lASB in developing a n d prom otin g high-quality, g lobally

accepted standards; by advan cin g the consideration o f U.S. perspectives in LU

those standards; an d by incorporating those standards, by w ay o f an CD


Q_
Z)
en dorsem en t process, into U.S. GAAP. » Ce rôle est très proche de la mis­ O
sion confiée à l’EFRAG par la Commission européenne. 6

92
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Une lecture attentive de ce sta ff paper, sans idée préconçue, ne


devrait donc pas générer d’inquiétudes particulières. De nombreux
experts des milieux comptables proches des autorités américaines
pensent que la question nest plus de savoir si les normes en
vigueur aux États-Unis seront un jour conformes aux IFRS, mais
de savoir quand et comment cela arrivera.

En dehors des États -U n is , quelle est la situation ?


Nicolas Véron* estime qu’à ce jour il y a une répartition équilibrée
entre les sociétés du « FT Global 500 Ranking » établissant leurs
comptes selon les IFRS (près de 40 %), selon les US GAAP (près de
40% ) et selon d’autres référentiels (20% ). Il prédit qu’à compter de
2012 les proportions vont nettement évoluer en faveur des IFRS
(50% ), au détriment des catégories « autres » (15% ) et US GAAP
(35%)2.
Une autre approche, qui confirme la prévision de Nicolas Véron,
consiste à regarder la position des États au regard des IFRS. Environ
120 pays imposent ou permettent, à ce jour, l’utilisation des IFRS
pour la préparation des comptes de certaines ou de toutes les
sociétés relevant de leur juridiction. Parmi les pays du G20, la
plupart ont déjà adopté les IFRS pour leurs sociétés, à titre obliga­
toire ou optionnel, avec bien sûr des variations dans le champ
d’application, ou décidé de passer par une phase de transition telle
que l’adoption d’un référentiel substantiellement identique aux IFRS
(cas de la Chine, de l’Inde ou de l’Indonésie). Le Canada, la Répu­
>-
LU
ro blique de Corée et le Brésil ont basculé aux « Full IFRS » depuis
tH

O
(N 2011, le Mexique et l’Argentine le feront à compter de 2012 ; le Japon
autorise les IFRS pour certaines sociétés internationales et prendra
sz
ai
>-
CL
O
U 1. Nicolas Véron, économiste au sein du Bruegel Institute, est un contribu­
teur régulier du Blog du D irecteur Financier. Son article est paru dans la
série Bruegel Policy Brief, en juillet 2011.
2. Une étude de la capitalisation boursière des différents marchés telle que
“ô
LU
publiée dans les statistiques de la WFE, croisée avec lûsage des référen­
(CLÜ tiels comptables, démontre aussi qu’à compter de 2012 le référentiel IFRS
a
O sera en vigueur pour plus de 50% de la capitalisation des marchés
(5 d’actions mondiaux, contre 32% pour les US GAAP.

93
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

une décision définitive en 2012. Enfin, la Russie impose déjà les


IFRS aux institutions financières et une loi vient detre adoptée^ par
la Douma, prévoyant une extension obligatoire aux sociétés cotées^.
Cette dynamique confirme quen dix ans les IFRS se sont nettement
imposés comme LE référentiel international. Mais les divergences
dans les modalités retenues doivent nous rappeler que Ibbjectif
ultime nest pas la convergence (cest-à-dire des normes comptables
peu ou prou équivalentes), mais bien Fadoption d un jeu unique, les
IFRS tels que publiés par FIASB. Il est probable que la priorité straté­
gique pour la Fondation IFRS au cours des dix prochaines années
sera d encourager les États à aller au bout de leur démarche d’adop­
ja¡ tion. Une autre priorité des travaux de la Fondation pourrait bien
'S.
être d’accroître l’intérêt porté à l’application rigoureuse des IFRS
dans les juridictions qui déclarent être conformes.
En conclusion, s’il n’est pas encore possible de déclarer que la
partie est finie, force est de constater que les IFRS mènent large­
ment au score, et qu’en comparaison des autres domaines de la
régulation financière internationale, la normalisation comptable
progresse plus vite.

IFRS et Coran
>-
LJU
m Publié le 2 7 moi 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
O par Nicole Rueff, directrice de mission, Savoir-Faire & Cie
(N
sz
CT
>- Prenez une opération de location, associez-y un engagement du
Q.
O
U bailleur de transférer la propriété de l’actif au terme de la location,
de quoi peut-il bien s’agir ? D’un crédit-bail, allez-vous dire ? Vous

“Ö
1. Loi du 27 juillet 2010 sur la préparation des comptes consolidés et résolu­ LU

tion n° 107 du 25 février 2011 du gouvernement de la Fédération de Russie. CD


Q_
Z)
2. Lapplication des IFRS interviendra Fannée suivant leur endossement, O
selon le mécanisme mis en place par le gouvernement. ô

94
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

n y êtes pas, cest un ijara M untahia Bittam leek, une déclinaison de


lun des cinq instruments de base de la finance islamique.
Et cette opération où un établissement financier achète une maison
pour simultanément la revendre à un aspirant propriétaire, à un
prix majoré, payable sur vingt ans, ne vous fait-elle pas penser à un
prêt immobilier ? Ciel, non ! Il s’agit d’un m urabaha, qui respecte
les principes de la ch añ a.
À la force d’une savante ingénierie financière, en combinant contrat
d’achat et de vente de biens dissemblables, location et promesse de
vente, et diverses autres techniques, juristes, financiers et spécialistes
de la loi coranique ont bâti des produits de financement conformes à
la ch añ a qui interdit l’intérêt sur les transactions financières^ mais
admet le profit sur les opérations commerciales. Leurs noms nous
sont devenus familiers à mesure que s’internationalisait la finance
islamique : m urabaha (financement d’actif), m udaraba (finance­
ment participatif) et m uchabara (capital-risque islamique), ijara
(location), istina (vente à livraison différée) et sukuk (obligation à
échéance fixe sans versements d’intérêt).

Dans les pays occidentaux, l’attention tend à se focaliser sur le


potentiel de ce marché^ mais, à l’autre bout du monde, le débat est
ouvert sur la juste manière de rendre compte des transactions,
notamment dans les états financiers des institutions financières
islamiques. Une traduction selon les IFRS peut-elle être fidèle ? Ou
bien à finance islamique faut-il comptabilité islamique ? Les
normalisateurs comptables de six pays d’Océanie pacifique^ ont
>-
Ш

O
r\j 1. Dans la pensée coranique, le prêt d’argent est un acte généreux par lequel
le prêteur s’attire la grâce d’Allah sans chercher de profit matériel. Heu­
sz reusement, les contrats commerciaux peuvent en toute légitimité donner
CT
'l-
CL
lieu à rémunération en ce bas monde, que la rémunération se nomme
O
U dividende, bénéfice ou loyer. Sans cela, les circuits financiers islamiques
n’auraient jamais vu le jour.
2. Embryonnaire il y a trente ans, il pèse aujourd’hui près de 1 000 milliards
de dollars d’encours et son taux de croissance annuel avoisine 10% à
“ô
LU
15%. Voir, par exemple, Olivier Pastré et Kramissira Gecheva, «La
(CLD finance islamique à la croisée des chemins », R evue d écon om ie fin an cière,
Z)
O n° 92, juin, 2008.
Ô 3. Australie, Dubaï, Indonésie, Corée, Pakistan, Arabie Saoudite.

95
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

exploré le sujet dans un papier de recherche publié en


septembre 2010 h Ils centrent leur étude sur deux questions névral­
giques - la valeur temps de Targent et la prééminence de la subs­
tance sur l’apparence - , avant de passer à une analyse détaillée par
type d’opération.
En économie, en finance, la cause est entendue, un euro à recevoir
dans dix ans n’a pas la même valeur qu’un euro aujourd’hui. Le
normalisateur comptable international s’inscrit dans ce courant de
pensée de sorte que la valeur-temps de l’argent est omniprésente
dans le référentiel IFRS. Lors d’une vente à paiement différé, le
'0> chiffre d’affaires équivaut à la valeur actualisée des flux reçus et à
recevoir ; la différence avec leur montant nominal - la rémunéra­
tion du crédit consenti au client - sera enregistrée séparément sous
un intitulé « produits financiers ».
Voilà qui pose sacrément question quand tout le montage vise à ne
pas paraître réclamer d’intérêt. L’Accounting and Auditing Organi­
sation for Islamic Finance Institutions (AAOIFI) ou le normalisa­
teur pakistanais rejettent dans son principe comme dans ses effets
l’idée d’un loyer de l’argent^. Mais, la pensée divine faisant l’objet
de différences d’interprétation selon les zones géographiques, le
normalisateur malaisien en accepte les implications quand il n’y a
pas prélèvement d’intérêt. Fonction d’enregistrement, la comptabi­
lité ne saurait ni valider ni invalider la conformité d’une transac­
tion à la loi coranique, écrit le Malaysian Accounting Standards
Board (MASB).
>-
LU Quoique... puisque certains versets du Coran enjoignent au scribe
m
T—)
O « d’écrire fidèlement la convention telle qu’entre les parties^ », ne
fNJ
faut-il pas comprendre qu’ils prescrivent à la comptabilité de
gi refléter la lettre du contrat, et lui interdisent de lever le voile sur
CL

U
O

1. Research Paper, 2010, « Financial Reporting Issues relating to Islamic


Finance » (« Les problématiques comptables de la finance islamique »),
Asian-Oceanian standard-setters group. _0)
“Ô
2. Norme comptable SFA 2 : concepts de comptabilité financière pour les LU

banques et institutions financières islamiques de TAccounting and 0CL


Z)
Auditing Organization for Islamic Financial Institutions (AAOIFI). O
3. Sourate Al-Baqarah, verset 282. (5

96
C omptabilité ; des IFRS aux critères ESG

rintention véritable des parties ? Le conflit est évident, dans cette


lecture des textes, entre les versets cités et le principe de préémi­
nence de la substance sur Fapparence, donc entre la ch a ñ a et les
IFRS. Une comptabilité islamique, où la primauté de la forme est
indiscutée, s'impose pour marquer la différence entre une opéra­
tion islamique et son pendant en finance classique. Marquer la
différence, oui, mais par Tinformation en annexe, fait en revanche
valoir le MASB. La comptabilisation sur la base de la substance de
la transaction est, jusqu'à un certain point, utile aux lecteurs des
états financiers ; ces derniers trouveront dans l'annexe, l'informa­
tion nécessaire sur le caractère islamique des opérations.
Les problématiques d'application des IFRS aux transactions isla­
miques ne s'arrêtent pas là. Les contrats de location comme les
ijara M untahia Bittam leek, pour ne prendre qu'un exemple, CDn

risquent fort de ne pouvoir entrer aisément dans des habits IFRS.


Parce que l'IASB prévoit d'imposer l'inscription systématique des
locations au bilan, pensez-vous ? Pas du tout, car les spécialistes
religieux savent depuis sept cents ans déjà que le droit d'usage est
un actif. Mais alors, pourquoi ? Tout simplement parce qu'un
contrat de location est licite, une promesse d'achat ou de vente est
licite, mais leur association dans une même convention est inter­
dite car elle devient un financement. Un ijara M untahia Bittam leek
n'est sanctifiable par un C haria B oard que si le contrat de location
et celui portant sur l'option d'achat sont distincts. Comment
imaginer ensuite les regrouper, pour les comptabiliser comme un
contrat unique, qualifié de location financement^ ?
>-
LU Des analyses approfondies et subtiles présentées dans le papier de
m
T—)
O
recherche ne faut-il pas conclure q u id encore la question soulevée
fNJ
est celle des objectifs de la comptabilité financière ? En attendant
gi qu'elle trouve sa réponse, la lecture des états financiers des banques
CL
islamiques pourrait demeurer singulièrement difficile.
O
U

“ô
LU
(CLÜ
n
O 1. Lapproche de la décomptabilisation prévue dans le projet de nouvelle
(5 norme IFRS ne semble pas plus acceptable d’un point de vue islamique.

97
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Pour une entreprise,


privilégier les critères ESG est déterminant
Échanges 297, avril 201 2,
dossier « L'approche environnementale de l'entreprise »
par Léo Dunand Chatellet, gestionnaire du fonds Sycomore Sélection,
responsable et chargée de la recherche ISR - ESG,
Sycomore Asset Managment

Les entreprises ressentent aujourd’hui une pression de plus en plus


forte pour mettre en place une démarche de développement
durable s’appuyant sur des critères extra-financiers ou « ESG »
(environnement, social, gouvernance). Cette pression est exercée
par les actionnaires, devenus sensibles à l’environnement et au
respect des hommes, et qui s’intéressent à la notation sociétale des
entreprises. Elle provient également de la réglementation : de
nouvelles lois poussent les entreprises à entreprendre ce type de
démarche. Par exemple, la loi « Grenelle 2 », signée en mai 2010,
impose aux entreprises de plus de 500 salariés de renseigner des
indicateurs environnementaux et sociaux dans leur rapport
annuel, créant de fait un rapport extra-financier. Cette même loi
impose également de réaliser un reporting ESG, à l’image du
reporting habituellement réalisé avec les seuls critères financiers.
En attendant le décret d’application de la loi « Grenelle 2 », beau­
coup d’entreprises ont pris les devants et publient aujourd’hui ces
>.
LU
informations.
ro
rH
O Lourdes et contraignantes, ces obligations peuvent toutefois se
(N

© révéler payantes puisque la prise en compte des critères ESG offre


CT de nouveaux indicateurs aux dirigeants pour piloter leur entre­
's -
>•
CL
prise. Citons comme exemple la communication financière (critère
O
U de gouvernance) qui, vue par l’actionnaire, peut avoir un impact
significatif sur le cours de Bourse de la valeur si celle-ci multiplie
les avertissements sur résultat. Cela peut résulter de la conjoncture, _0
mais souvent cela tient aussi à une communication mal maîtrisée “ô
LU
ou à un manque de rigueur. Des critères qualifiés d’extra-financiers 0CL
Z)
se révèlent en pratique très utiles pour piloter l’entreprise, y O
compris d’un point de vue financier.
(5

98
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

L'in cid ence d ' une b o n n e


o u MAUVAISE COMMUNICATION FINANCIÈRE
Dans les graphiques qui suivent, on observe Fincidence dune
bonne ou d’une mauvaise communication financière sur les
performances boursières d’une entreprise. Notée de 1 à 5 au sein
de l’outil d’analyse ESG de Sycomore AM, les entreprises ayant une
excellente communication financière (5 sur 5) connaissent un
meilleur parcours boursier et une volatilité diminuée par rapport
aux entreprises notées 1 sur 5. Cette tendance est accrue sur une
longue période comme le montre le graphique des performances
de ces deux catégories de sociétés depuis dix ans.

O s
La b o n n e g e st io n des ressou rces h um aines

Ce thème, s’il est plus connu, est également incontournable. Au-delà


de la gestion des carrières et de la formation, deux atouts qui ont fait
leur preuve en matière de compétitivité, certains critères constituent
des indicateurs avancés du climat social de l’entreprise. L’absen­
téisme, le turn-over des effectifs, les accidents du travail sont autant
de critères révélateurs d’une culture d’entreprise. Économiquement,
une entreprise qui connaît un absentéisme faible bénéficie générale­
ment d’une meilleure productivité. Inversement, une entreprise qui
ne déploie pas des procédures de sécurité suffisantes s’expose aux
coûts directs et indirects que représente un accident du travail.

>-
UJ
Les perfo rm an ces en vironn em entales
ro
O
r\J
Dans l’industrie, les performances environnementales (consom­
mation d’énergie, production de déchets...) témoignent de la
gi compétitivité d’un outil de production. Outre les impacts positifs
>'
CL sur l’environnement, les investissements réalisés pour augmenter la
O
U
performance énergétique améliorent significativement et position­
nent l’entreprise en amont des risques réglementaires. De la même
manière, la mise en place de critères de qualité dans la chaîne
“ô d’approvisionnement peut s’avérer stratégique. Deux normes
LU
(CLD reconnues favorisent le déploiement de tels outils : ISO 14001,
3
O pour le management environnemental, et ISO 9001 relative aux
Ô
systèmes de gestion de la qualité.

99
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Un exemple de modèle d ' an alyse

Au sein de Sycomore AM, nous avons développé un outil d’analyse


propriétaire permettant d’appréhender les entreprises sous l’angle
des critères extra-financiers. Composé de 79 critères, ce modèle
distingue l’analyse environnementale et sociale selon les secteurs
d’activité. En effet, dans les secteurs de l’énergie ou de l’industrie, le
poids de l’axe environnement sera prépondérant (de 15% à 45%
selon le secteur) et, à l’inverse, dans les secteurs de la finance ou des
technologies, médias et télécommunications (TM T), le poids de
l’axe social sera dominant (de 25% à 55% selon le secteur). En
revanche, quel que soit le secteur, l’axe gouvernance a toujours le
même poids dans la note ESC finale : 30%. Chaque entreprise est
analysée à travers ce modèle et une note allant de 1 à 5 lui est attri­
buée. En 2011, les valeurs ayant obtenu les meilleures notes ESC,
qualifiées de « Best in Class » ont réalisé une performance de - 12,2%,
contre - 30,3 % pour les sociétés ayant obtenu les plus mauvaises
notes ESC, qualifiées de « Worst in Class ». Un écart de volatilité
important sépare également les deux catégories d’entreprises. Se
concentrer sur ces nouveaux indicateurs est fondamental. Toujours
dans une logique de compétitivité des entreprises, les indicateurs
ESC permettent également de valoriser le capital immatériel comme
la capacité d’innovation, le pricing pow er ou encore l’image de
marque, autant d’atouts d’une entreprise performante. Il est donc
primordial de mobiliser les ressources internes nécessaires pour
créer et mener cette démarche à bien. Pour cela, l’implication du
comité de direction doit être totale. Les directeurs généraux, finan­
>- ciers et des ressources humaines doivent mettre en œuvre ensemble
U J
ro un reporting et une stratégie globale qui tienne compte, en plus des
O
(N critères financiers classiques, des critères extra-financiers. Il en
sz ressort une stratégie de responsabilité sociale d’entreprise (RSE)
ai
>- permettant de piloter l’entreprise à long terme en intégrant
CL
O
U l’ensemble de ses enjeux.

“ô
LU
CD
Q_
Z)
O
6

100
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Le compte de résultat environnemental ;


un outil financier de demain
Échanges n° 297, avril 201 2,
dossier « L'approche environnementale de l'entreprise »
par Jochen Zeitz, président de Puma,
chief sustainability officer et président du pôle Sport & Lifestyle du groupe PPR

Dans un monde où tout est lié et mondialisé, les entreprises nbnt


plus pour seule vocation de créer de la valeur et des emplois. Les
services rendus par les écosystèmes ne sont pas des ressources
inépuisables à Tinfini et beaucoup sont déjà dans un état de déclin
croissant, avec des incidences négatives sur les entreprises et
leconomie mondiale. Ce lien vital nest pour Tinstant pas abordé
explicitement dans les stratégies de développement durable, car les
entreprises ont traditionnellement considéré ces services écosysté­
miques comme des acquis et les ont traités comme des services
« gratuits » non comptabilisés. Ceux-ci étant essentiels à la perfor­
mance des entreprises, l’intégration de leurs coûts véritables pour­
rait avoir des impacts importants sur les résultats financiers.
L’entreprise de demain va donc devoir mesurer ses coûts externes
envers la société et en gérer leur réduction pour créer des externa-
lités nettes positives.
C’est en partant de ce postulat que Puma, marque de Sport & Lifes-
tyle appartenant au groupe PPR, s’est penchée sur l'empreinte envi­
ronnementale de toute sa chaîne de valeur. Nous sous-traitons la
>-
LU
ro majorité de notre production, dont environ 90% en Extrême-
T—I
O
(N Orient. Si nous voulons pouvoir maîtriser et réduire les impacts
environnementaux, il faut d’abord être capable de les mesurer en
sz
ai remontant le plus loin possible dans la chaîne de création de
>-
CL valeur. Nous appuyant sur une méthodologie innovante sachant
O
U
que le reporting environnemental classique ne prend pas en
compte ses effets, nous avons réalisé pour Puma un vrai « compte
de résultat environnemental » qui nous a permis de calculer le coût
“ô monétaire pour l’environnement de nos activités économiques,
LU
(CLÜ mais aussi celui de nos fournisseurs. Ce compte de résultat envi­
a
O ronnemental est appelé à devenir pour nous un outil de pilotage
(5 tant sur le plan financier, stratégique qu’en matière de gestion des

01
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

risques. Son élaboration a été Ibccasion de prendre conscience


d une part de la valeur immense de tout ce que nous apporte la
nature, que nous considérons comme allant de soi et « gratuite »,
mais sans laquelle les entreprises ne pourraient perdurer et, d’autre
part, de tenir compte de l’importance des coûts que notre activité
économique fait supporter à l’environnement.

Él a b o r a tio n , mise en œ uvre et résultats

Cinq indicateurs clés, considérés comme les plus pertinents par


'0> rapport aux activités de Puma et des fournisseurs, ont été
la analysés : la consommation d’eau, les émissions de gaz à effet de
serre, l’utilisation des sols, la pollution atmosphérique et les
déchets. Les cabinets PricewaterhouseCoopers LLP et Trucost PLC
ont aidé à l’élaboration d’une méthodologie de recueil et d’analyse
des données reproductible dans le temps qui s’applique aux acti­
vités opérationnelles de Puma dans sa chaîne d’approvisionnement
(fournisseurs de rang 1 à 4). Les données liées à l’activité de Puma
(mises à part celles concernant l’utilisation du sol) proviennent du
reporting environnemental interne. Elles couvrent toutes les filiales
dans lesquelles Puma possède une participation supérieure à 50 %
et y emploie plus de dix salariés.
Les données relatives aux émissions de la chaîne d’approvisionne­
ment ont été calculées par le biais du modèle économétrique input-
output (I-O) de Trucost qui combine flux économiques et données
>-
LJU
environnementales. En se fondant sur des données d’études
m gouvernementales, Trucost a pu identifier les interactions écono­
O
(N miques de 464 secteurs d’activité. Soixante fournisseurs de rang 1
sz ont ensuite accepté de divulguer des données concernant leurs
CT
>• émissions, sachant que leurs activités et leurs propres fournisseurs
O.
O
U représentent 90 % de l’impact total de la chaîne d’approvisionne­
ment de Puma. Les recherches ont permis de remonter la chaîne
jusqu’aux fournisseurs de rang 4 et de déterminer leur emplace­
ment, mais aussi l’origine géographique de chaque catégorie de “ô
LU
produits utilisés. Dans les cas où les données n’ont pas pu être CD
Q_
Z)
collectées, des données secondaires ou des techniques de modéli­ O
sation ont été privilégiées.
(5

102
C omptabilité : des IFRS aux critères ESG

Au terme de près de deux ans de processus, Puma a été en mesure


de publier l'an dernier son premier compte de résultat environne­
mental qui servira désormais de base de référence : Timpact envi­
ronnemental généré a été évalué à 145 millions d euros pour 2010
dont seulement 8 millions sont imputables à Puma directement (et
n affectent en rien le bénéfice net), le reste étant attribuable à la
chaîne d'approvisionnement. 57% de lensemble des impacts tient
à la production des matières premières (notamment les bovins
pour le cuir, le coton et le caoutchouc) au niveau des fournisseurs
de rang 4. Les émissions de gaz à effet de serre représentent 90 %
de l'impact total des bureaux, magasins et entrepôts de Puma.

Un outil in co n t o u r n a ble
CDn

Le compte de résultat environnemental est à mon sens appelé à


devenir un outil de référence.
D'un point de vue stratégique, il s'agit d'une solution pionnière qui
apporte une meilleure compréhension et une réelle visibilité sur
l'empreinte environnementale des activités d'une entreprise et
donne des informations uniques sur la chaîne d'approvisionne­
ment. Il permet d'identifier quels sont les endroits de la chaîne où
il faut agir en priorité. Pourquoi faire produire dans un lieu qui
manque traditionnellement d'eau si les besoins en eau pour la
production sont importants ? On a donc un outil qui permet de
mieux gérer ses externalités.
À plus long terme, il permettra d'anticiper les potentielles évolu­
>-
LJU
tions de la législation en matière de développement durable.
m
O
Quant à la gestion des risques, le fait d'assigner une valeur moné­
(N
taire à l'impact environnemental engendré par ses activités peut
sz
CT inciter une entreprise à trouver de nouvelles solutions pour
>-
Q.
devenir plus efficace et à développer de nouveaux matériaux ayant
O
U une empreinte écologique inférieure à ceux utilisés habituellement.
Les entreprises qui comprennent comment elles dépendent des
ressources naturelles dans toute leur chaîne d'approvisionnement
“Ö sont les mieux placées pour gérer les risques liés à la hausse des
LU
(D
prix des matières premières et les goulets d'étranglement.
Q_
Z)
O Enfin, le compte de résultat environnemental permet de renforcer
ô
la transparence de Puma et constitue un vrai gage de crédibilité qui

103
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

ne peut que rassurer les investisseurs. Notre objectif est detre la


marque de Sport & Lifestyle la plus durable et la plus désirable.
Au vu des premiers résultats, Puma a donc choisi d'encourager ses
fournisseurs, en priorité ceux de rang 1, à réduire leur empreinte
environnementale grâce d'abord à des sessions de formation. En
interne. Puma a renforcé ses équipes dédiées au développement
durable et poursuit ses actions initiées de longue date dans ce
domaine. D’ici à 2015, 50% des collections internationales de
Puma devront être fabriquées à partir de matériaux plus durables.

'0> De n o u v e a u x développements à venir

Le groupe PPR, actionnaire majoritaire de Puma, s’est également


engagé à mettre en place un compte de résultat environnemental
pour toutes ses marques de Luxe et de Sport & Lifestyle d’ici à 2015.
La démarche de Puma a déjà rencontré un écho très favorable
auprès d’un certain nombre de gouvernements. Le gouvernement
britannique a ainsi présenté le compte de résultat environnemental
de Puma comme un cas d’étude de bonne pratique pour une
économie durable dans le cadre d’un livre blanc publié en juin 2011.
Le Conseil allemand pour le développement durable, qui conseille
le gouvernement allemand, s’est engagé de son côté à mettre en
place des normes pour la déclaration comptable environnementale
de Puma et à promouvoir cette approche innovante dans des débats
publics.

>-
uu
n
T—I
o
fNJ

@
gi
>>
Q.
O
U


LU
CD
CL
Z3
o
Ô

104
Gouvernance : des enjeux
renforcés pour ^entreprise

Comment un directeur financier


peut-il conjuguer éthique et profit ?
Publié le 24 novembre 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Daniel Bacqueroët, ancien président de la DFCG, membre du comité
éditorial du Blog du Directeur Financier, directeur général finances, Brink's c->

Éthique et profit : certains y verront deux notions antinomiques,


d’autres deux concepts qu il faut gérer le plus intelligemment
possible, d’autres encore ne sauront ou ne pourront faire un choix,
d’autres enfin franchiront la ligne jau ne... C’est dire combien cette
question soulève d’interrogations, de débats, de désaccords,
d’incompréhensions... Étymologiquement, rien pourtant ne les
oppose : le terme « profit », du latin profectus, signifie progrès,
avancement, succès, tandis que celui d’« éthique » vient du grec
>-
ethikos (la morale) ou ethos (les mœurs). Mais ces deux mots ont
LU
évolué différemment : le profit traduit la notion de gain ou de
O
(N bénéfice, avec un caractère relativement immédiat, alors que
l’éthique exprime des valeurs morales qui s’inscrivent dans le
JC
oi temps et l’espace, et se traduisent par une recherche de conduite
>•
a. idéale de l’existence au sein de la communauté, induisant naturelle­
O
U
ment une responsabilité sociale ; une extension contemporaine de
cette philosophie de l’éthique s’exprime dans le principe de précau­
tion. Les récents événements ont démontré que l’appât de gains
“ô rapides a compromis temporairement (du moins ose-t-on
LU
(Q_
D l’espérer) le respect d’une conduite « éthique » de l’existence et, par
Z)
O suite, la recherche d’un modèle idéal de société, condition sine qua
(5 non d’une coexistence harmonieuse.

105
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Retenir les l e ç o n s du passé

Nous connaissons désormais les responsables majeurs de cet état


de fait. Mais le pire serait maintenant de ne considérer que les
contraintes économiques du présent sans retenir les leçons du
passé, passé déjà prêt à resurgir. Je veux croire que profit et éthique
peuvent coexister pour une société équilibrée, plutôt que dans un
antagonisme aux effets aussi choquants que dévastateurs. La très
grande majorité des directeurs financiers sait les conjuguer depuis
longtemps et fait aujourd’hui ce quelle faisait hier : privilégier les
intérêts de l’entreprise, avant tout, pour favoriser son développe­
ment, au profit de la communauté.

Utiliser les trois outils disponibles

En tant que cadre dirigeant, le directeur financier joue un rôle


O
essentiel dans l’organisation. Sa conduite doit donc être sans faille.
O Il doit à la fois rechercher la meilleure performance, veiller à la
e>
transparence et à la fiabilité des comptes, préserver les actifs et les
moyens de développement de son entreprise. Face aux exigences
des marchés et des actionnaires, aux pressions internes, le direc­
teur financier se doit d’être vigilant (aujourd’hui sans doute plus
qu’hier). Salarié, il est souvent pris entre le marteau et l’enclume.
Quelles armes a-t-il pour résister à un tel environnement ? Hormis
ses compétences, son intégrité et ses nouvelles qualités de commu­
nicant, il dispose de trois outils majeurs, développés ces dernières
>-
LU
ro années : le système d’information, le contrôle interne et la signa­
tH

fN
O ture conjointe des comptes ou la lettre d’affirmation (cette dernière
n’étant pas encore généralisée).
gi
's_
>-
Q.
Le système d’information permet de mieux structurer les
O
U processus internes. Très souvent, il amènera l’entreprise et son
organisation à s’adapter aux règles standards du système, telles que
la ségrégation des tâches, les règles de contrôle des transactions ou
_0)

le three way m atching (émission de la commande, réception des “Ö


LU
biens et paiement de la facture). Ces systèmes éprouvés et directifs CD
Q_
pour l’entreprise contribuent à une meilleure maîtrise des flux et à 3
O
l’amélioration de son contrôle interne.
(5

106
G ouvernance : des enjeux renforcés pour l' entreprise

Le contrôle interne : une parfaite maîtrise du contrôle interne, à


travers une documentation précise de ses processus, une identifi­
cation judicieuse de ses points de contrôle et son appropriation par
lensemble des intervenants, permettra de soustraire les personnes
à toute sphère d’influence. De même, remettre en cause périodi­
quement la pertinence des contrôles et former en permanence les
utilisateurs constitueront autant de freins complémentaires à la
pression journalière du profit maximum, comme à celle des
exigences toujours croissantes des actionnaires.

La signature conjointe des comptes par le directeur financier et le


dirigeant de l’entreprise responsabiliseront naturellement le mana­
gement, amenant celui-ci à devoir s’expliquer sur toute divergence
volontaire concernant le respect des normes comptables. Cette
pratique en vigueur dans les sociétés anglo-saxonnes devrait être
étendue à l’ensemble des entreprises. La lettre d’affirmation est
C-)
certes un premier pas qui a pour principale vocation de protéger le
commissaire aux comptes, mais pourquoi ne pas aller plus loin
avec une signature systématique des comptes par le dirigeant et
son directeur financier ? Bien sûr, il y aura toujours l’esprit et la
lettre dans l’application de certaines normes comptables pouvant
être sujettes à interprétation dans l’appréciation du risque ou dans
son application. Dans ces cas-là, l’éthique comptable ou financière
est avant tout une question d’information et de transparence.

développer des qualités


>•
UJ
D'ÉTHIQUE COMPORTEMENTALE
00
1—1

fN
O Le directeur financier dispose donc d’une boîte à outils « éthique et
profit » qu’il doit savoir utiliser avec discernement selon les
JC
circonstances tout en s’appuyant sur les auditeurs externes, le
> .
Q.
O
commissariat aux comptes et sur la réglementation (par exemple :
U
loi de sécurité financière ou Sarbanes-Oxley Act). Est-ce suffisant ?
Nous avons tous en tête un exemple de directeur financier n’ayant
pas su ou pu résister à une pression anormale de la part de sa
“Ô hiérarchie ou de ses actionnaires. L’attrait des bonus annuels ou de la
LU
(D
Q_
réalisation d’importantes plus-values grâce aux stock-options peut
O
O aussi avoir des effets néfastes sur son comportement... Lorsqu’un
(5
directeur financier se trouve acculé à des choix cornéliens, seul le

107
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

développement de qualités dethique comportementale personnelle


fortes, en sus des compétences techniques, peut inspirer le respect
mutuel et lui permettre de définir son champ de responsabilités :
force de caractère, capacité decoute, sens de la pédagogie et de la
communication, formation des interlocuteurs, mais aussi et
surtout, démonstrations fermes de valeurs morales à toute épreuve
au service du corps social. Lethique est avant tout une façon d etre
ou une philosophie de la vie qui ne fait pas de concession aux
valeurs morales. Ces valeurs doivent nous permettre de résister
aux sirènes égrenant le mauvais chant...

Q uelques r e c o m m a n d a t io n s pour compléter


SA « BOÎTE À OUTILS » ÉTHIQUE
La DFCG considère depuis fort longtemps que le directeur finan­
03 cier devrait bénéficier d’une clause de conscience lui permettant de
1=
O
c
i03

refuser, sans qu il en soit pénalisé, certaines pratiques qui pour­
>
= raient nuire à sa réputation ou qui ne seraient pas en conformité
O
cr> avec la déontologie financière. La mise en place de cette clause
devait lui permettre de quitter l’entreprise sous un mode de départ
négocié sans préjudice pour lui-même. Si cette nouvelle approche
peut être taxée « d’angélisme », dans les faits, il est difficile d’en
définir le cadre sans une déontologie claire et acceptée par tous.
Mais le simple fait de l’évoquer officiellement a eu pour effet de
porter sur la place publique des faits connus de tous, mais que
personne n’osait ouvertement dénoncer.
>-
LU
La DFCG, avec ses convictions et son influence, veut contribuer à
ro
T—) mettre en place une finance qui, aujourd’hui comme hier, réponde
(N
O
aux véritables fondements éthiques de l’entreprise capitaliste :
JC
générer des profits pour développer le business, au bénéfice de
>• tous les acteurs, salariés, dirigeants comme actionnaires, dans le
a.
O
U
respect de toute la communauté.

LU
CD
CL
Z)
O
6

108
G ouvernance ; des enjeux renforcés pour l'entreprise

Les responsables comptables et financiers


au cœur d'une gouvernance plus vertueuse
Publié le 19 janvier 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Jean-Louis Mullenbach, membre du comité éditorial du Blog du Directeur
Financier et associé, Bellot Mullenbach et Associés

Peut-on parler dethique des affaires quand les affaires, qui font la
une de la presse, s’avèrent parfois bien peu éthiques ? Bien sûr, et
cest précisément pour cela que Ion peut et que Ion doit en parler.
On cite volontiers sur ce sujet les multinationales fortement struc­
turées et hiérarchisées où Fintérêt supérieur du groupe laisserait
peu de place à l’éthique individuelle. Mais que dire des TPE et des С Г5

PME où l’intérêt du propriétaire et les questions fiscales peuvent


primer, ou des entreprises publiques sujettes à la « raison d’État »,
ou encore de l’Administration elle-même qui est encore moins à
l’abri en raison du poids des impératifs politiques ?

Derrière cette éthique ou cette absence d’éthique, on trouve des


individus qui interagissent les uns vis-à-vis des autres et de leur
environnement. Les professionnels comptables et financiers, qu’ils
soient salariés ou libéraux, font partie d’une chaîne fiduciaire de
sécurité de l’information financière indispensable au bon fonction­
>-
Ш
nement de nos sociétés démocratiques. La solidité d’une chaîne
ГО dépend de son maillon le plus faible. La chaîne de l’information
O
rvj financière comprend les entreprises et leurs conseils, les contrô­
O
JC
leurs et les régulateurs. C’est incontestablement l’entreprise qui en
>• est le maillon le plus faible, même si toute entreprise ou tout salarié
a.
O
U sont supposés être respectueux des lois, règlements et normes en
matière comptable, fiscale et financière.
L’entreprise est, en effet, soumise à des pressions exercées par ses
“Ö actionnaires, ses banquiers, ses clients, son environnement, y
Ш
(CLÜ compris le marché financier si elle y fait appel. Ces pressions et ces
O
O contraintes peuvent pousser les dirigeants à la faute, par exemple en
Ü
produisant une information comptable et financière trompeuse et en

109
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

s’appuyant sur le lien hiérarchique pour imposer silence aux salariés


impliqués dans le processus de production de cette information.

Le professionnel comptable d’entreprise, pour ne parler que de lui,


se trouve bien seul lorsque le dirigeant ou son supérieur hiérar­
chique lui demande, directement ou indirectement, de laisser
passer des enregistrements comptables ou des publications dont il
estime le contenu critiquable au regard de la réglementation appli­
cable.
Comme tout salarié, ce professionnel d’entreprise est tenu, envers
son employeur, par loyauté, obéissance et obligation de confidenti­
alité. Pour autant, il peut être mis en cause, même pénalement,
pour une simple complicité ou pour un recel, éventuellement
passifs. Comment peut-il, dans ces conditions, exercer ses respon­
sabilités professionnelles au sein de l’entreprise et répondre aux
a>
c: attentes du public sans risquer de se mettre en danger personnel ?
c>—
O

>
eu Probablement pas en s’érigeant en gardien du temple ou en deve­
=
O
cr> nant un salarié plus ou moins protégé par une clause de
conscience. Pour éviter le risque de « mouton noir », tout en proté­
geant sa responsabilité, il est préférable de s’insérer harmonieuse­
ment dans les processus et dans le système de valeurs de
l’entreprise. Il ne s’agit pas de mettre le professionnel en opposition
avec son employeur, mais plutôt en harmonie avec les valeurs affi­
chées par l’entreprise (respect des législations, loyauté avec les
partenaires, respect des collaborateurs...). D’une situation impli­
>•
cite, les codes de valeurs et les chartes éthiques deviennent de plus
UJ
ro en plus formels et codifiés, notamment avec le développement de
O
rvj la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
sz
CT
Certaines, notamment les plus grandes, mettent en place des
'l -

CL
guides de bon comportement comptable et financier incluant un
O
U processus d’affirmation (à chaque niveau hiérarchique, le titulaire
donne son appréciation, énumère les options qu’il a prises et
s’engage sur les comptes), ainsi qu’un processus d’« appel » au sein
_0)

de l’entreprise : en cas de désaccord sur une option comptable ou


LU
sur une information pertinente omise, il est prévu « une escalade » CD
Q_
Z)
au supérieur hiérarchique et une possibilité d’appel en cascade O
ô
jusqu’au conseil d’administration.

110
G ouvernance : des enjeux renforcés pour l' entreprise

Outre lexistence dune fonction d’audit interne rattachée au plus


haut niveau et dun comité d’audit indépendant, le déploiement
d’un système de contrôle interne efficace et connu de tous est la
meilleure garantie de transparence de l’information financière
produite. Des dispositifs, comme le double rattachement (rattache­
ment hiérarchique au responsable opérationnel et rattachement
fonctionnel à une direction centrale participant à la sélection, à
l’évaluation, au plan de carrière et à la fixation de la rémunération
du salarié), permettent de placer les professionnels comptables
salariés dans des conditions normales d’exercice.
La coexistence d’un lien de subordination dans le fonctionnement
de l’entreprise et d’une indépendance en matière technique ne
nécessite pas l’émergence d’un statut de parasubordination comme
il en existe en Italie. L’extra-territorialité de certains salariés,
rapportant par exemple directement au comité d’audit, ou la clause
de « whistle blowing » observée aux États-Unis, sont également des en
O

évolutions mettant en cause l’unicité de management. CD


—t

Le professionnel salarié, doté d’une force de caractère et d’un bon a3


Z3

r—
>
CD
sens de la communication peut faire une belle carrière dans l’entre­
prise en respectant l’éthique à condition :
^ de choisir judicieusement son entreprise, notamment en étant
attentif aux règles de gouvernance ;
^ de travailler en équipe et de faire preuve d’écoute, pour partager
et confronter son point de vue ;
i d’être compétent et responsable, pour savoir jusqu’où il peut
aller ;
> .
LU ^ d’être souple et pédagogue, pour proposer une alternative
ro
tH

O
acceptable en cas de difficulté ;
(N

© ^ d’exercer son libre arbitre, au risque de devoir démissionner,


CT lorsqu’il juge que son employeur franchit la ligne jaune.
's -
>•
CL
O
U

“Ô
LU
(CLÜ
n
O
(5

11
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Quelques réflexions
sur la rémunération des dirigeants
Publié le 26 mars 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Pascal Quiry, enseignant finance-gestion, НЕС et Yann Le Fur,
directeur administratif et financier, Mediobanca

La rémunération des dirigeants est un sujet sensible (en particulier


en période électorale). Toute information relative à ce sujet est
relayée et commentée par la presse. Ainsi, récemment, la publica­
tion par Proxinvest de son rapport sur la rémunération des diri­
geants, la recommandation AMF sur le gouvernement dentreprise
et la rémunération des dirigeants ou Tannonce par le P-DG de
LOréal de Farrêt de 1octroi de stock-options au profit d’actions
o> gratuites ont ravivé les discussions.
£=
O
C

>
O Si Ion cherche à exprimer quelques idées simples, on peut rappeler
=
O
(S t qu il existe quatre grands leviers de rémunération :
^ le salaire fixe ;
^ la rémunération variable (intéressement et participation liés aux
résultats collectifs, primes et bonus davantage liés à lobtention
de résultats individuels) ;
^ les rémunérations diverses (voiture, retraite complémentaire...) et ;
b la rémunération directement liée à la performance de Faction
(actions gratuites et stock-options principalement).
>*
Ш Au-delà de Faspect moral de la rémunération qui vient compenser
Г0
T—I
O un travail (et une prise de risque), la fixation de la rémunération
fNJ
doit répondre aux objectifs suivants :
CT b attirer initialement les personnes a p riori les mieux à même de
>-
CL remplir la fonction ;
O
U
b les retenir tant qu elles donnent satisfaction ;
b s’assurer que leurs intérêts personnels convergent avec ceux des
actionnaires.
“ô
> -
Ш
Notre objet n’est pas ici de disserter sur le niveau absolu de rémunéra­ Ш
CL
Z3
tion que l’on peut observer, mais d’apporter une réflexion sur les O
CD
leviers de rémunération et leur adéquation avec les objectifs.

112
G ouvernance : des enjeux renforcés pour l' entreprise

Le dernier objectif que nous avons mentionné fait écho à ce que


Ion appelle en finance la théorie de l’agence. Cette théorie met en
avant que les acteurs de l’entreprise peuvent avoir des intérêts
divergents ; les dirigeants peuvent poursuivre des objectifs person­
nels (taille de l’entreprise, limitation du risque, profit personnel...)
différents de celui des actionnaires (maximisation de la valeur de
l’action) h Ainsi, un bon système de rémunération permettra de
garantir que le dirigeant ait à cœur de maximiser sur le long terme
la valeur de l’entreprise.

L’outil traditionnel pour inciter les managers à « bien faire leur


travail » est le bonus. C’est-à-dire la part variable de la rémunéra­
tion payée en cash annuellement. Le bonus est déterminé sur la
base de la performance de l’année passée. Il est théoriquement
versé si certains objectifs quantitatifs ou qualitatifs ont été atteints.
Le caractère variable du bonus est très certainement incitatif, mais c~>
O

ses principes présentent certains défauts. Tout d’abord, il a CD


—T

tendance à s’institutionnaliser et son caractère variable devient a3


Z3

r—
>
alors pour partie théorique. Par ailleurs, la définition des objectifs O

est complexe : ils doivent être suffisamment précis pour être mesu­
rables et dépendants directement de Faction du management tout
en garantissant une maximisation de la valeur sur le long terme et
moins sur le court terme.

Pour rendre la rémunération encore plus incitative, un produit a


été développé et largement diffusé en Europe depuis les
>- années 1990 : les stock-options. Cet instrument octroyé comme un
Ш
élément de la rémunération permet en quelque sorte d’indexer la
O
(N rémunération sur la performance de Faction puisqu’il s’agit d’une
option d’achat. Il présente de ce fait l’avantage d’offrir un levier
CT important laissant au dirigeant une perspective de gain très élevée
>•
CL
O en cas de progression sympathique de la valeur de Faction bour­
U
sière. Par ailleurs, il est théoriquement fortement incitatif car sa
valeur peut être nulle en cas de sous-performance. Dit comme ça,
il semble être la panacée. Mais est-ce le cas ?
“ô
LU
(CLD
3
O 1. Pour plus de détails sur la théorie de l’agence, voir le chapitre 31 du Ver-
Ü nimmen 2012.

13
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Revenons sur ses principaux inconvénients. Son principal défaut


est que sa valeur peut être assez largement déconnectée de la
performance relative de lentreprise. En période deuphorie bour­
sière, les stock-options pourront prendre une valeur importante, et
ce même pour les entreprises gérées de façon médiocre. À
l’inverse, en période de morosité économique et boursière, les
efforts et les politiques efficaces de certains managers ne seront pas
récompensés par un gain sur les stock-options même si de la
valeur a été créée.
Autrement dit parce que la variation d’un cours de Bourse ne
reflète pas les performances de l’entreprise sur la période écoulée,
mais la variation de la perception de son futur par les investisseurs,
un biais est introduit. Ainsi en 2012, 40% environ des entreprises
de l’Eurostoxx 600 ont un cours de Bourse inférieur à celui de 2000
alors que la plupart ont créé de la valeur pour leurs actionnaires en
dégageant des rentabilités économiques supérieures au coût du
capital. Simplement ceci ne s’est pas traduit dans les cours de
Bourse sur cette période, car cela avait été suranticipé dans la
CD période précédente. Il est d’ailleurs bien possible que ce soit là
l’une des raisons qui ont poussé les dirigeants de L’Oréal à
renoncer aux stock-options au profit de l’attribution d’actions
gratuites.
Mentionnons que le versement de dividende ayant un impact
négatif sur la valeur des stock-options, les sociétés ayant attribué
des stock-options risquent fort de voir leur management adopter
une politique de distribution « prudente » préférant réinvestir afin
>-
LU
de faire grossir la valeur plutôt que de la réduire par des divi­
dendes. Au pire, ils se résigneront à faire des rachats d’actions. Le
fN
O

principe « action, réaction » étant universel, il n’est pas réservé à


JZ François Berléand dans le film Les Choristes !
ai
> .
a. Autrement dit, il est probable qu’une entreprise dont le rythme de
O
U croissance se ralentit préférera attribuer à l’avenir des actions
gratuites qui auront toujours une valeur plutôt que des stock-
options qui en vaudront de moins en moins. C ’est plus sûr en
matière d’incitation et d’efficacité managériale. “ô
LU
L’attribution d’actions gratuites ou « actions de performance » est CD
Q_
Z)
liée à des critères objectifs qui sont censés refléter l’action effective O
6
du management et non les variations de la valeur de l’action : taux

114
G ouvernance ; des enjeux renforcés pour l'entreprise

de rentabilité comptable minimum, taux de progression du béné­


fice par action, etc. Les critères peuvent être non financiers : degré
de satisfaction des clients, taux d’accidents du travail, niveau de la
part de marché, etc. La valeur de ces actions, une fois acquises
grâce à l’atteinte de critères économiques, dépend évidemment de
la performance du titre mais, sauf faillite, elle n’est pas nulle
comme souvent la valeur des stock-options ces temps-ci.
Ce qui rend le tableau de Proxinvest trompeur puisque la valeur
des stock-options au moment de l’attribution n’a rien à voir avec
celle que son bénéficiaire pourra cristalliser ou ne correspond pas
non plus au transfert de valeur éventuel des actionnaires vers ceux
qui exercent leurs stock-options. La volatilité structurellement
moindre des actions par rapport aux options^ réduit ce biais.
Reste la complexe définition des objectifs... Ceux-ci seront néces­
sairement différents pour chaque entreprise. Pour un comparatif
en
des critères de création de valeur, nous renvoyons notre lecteur au O

chapitre 32 du Vernimmen. Dans le contexte qui nous intéresse, les


critères comptables restent les plus simples à mettre en œuvre. e—
O
>

Au total, l’effacement relatif des stock-options au profit des actions


gratuites résulte, en France, de la convergence de plusieurs
facteurs :
b le politiquement correct (car moins spéculatif et associant direc­
tement les bénéficiaires au capital...) ;
b la fiscalité qui en France favorise les actions gratuites (les cotisa­
tions salariales et patronales sont de 2,5% et 10% respective­
Ш
>* ment contre 8% et 14% pour les stock-options), à condition que
00 l’octroi ne dépasse pas 18 000 euros par salarié ;
fN
O
J
b le contexte boursier des années 2000 (douze ans après, l’indice
ai Eurostoxx 600 est en retrait de 30 % par rapport à son niveau de
>-
CL
2000), bien différent de celui des années 1980 et 1990 globale­
O
U ment marquées par une euphorie boursière ;
b la difficulté de continuer à trouver de la croissance pour un
groupe de taille importante ;
“ô
Ш
>~ b et ce qui en est le corollaire, la hausse des taux de distribution.
(Q_
D
Z3
O
Ô
1. Pour plus de détails sur ce point, voir le chapitre 28 du Vernimmen 2012.

115
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

La fin des stock-options ?


Pour en finir avec la confusion
entre rémunération et association
Publié le 19 janvier 201 2 sur te Blog du Directeur Financier
par Thomas Bouvet, membre du comité éditorial du Blog du Directeur Financier,
fondateur, Defix

Jean-Paul Agon, président de L’Oréal vient à son tour de tirer sur


les stock-options en déclarant dans le Journal du dim anche du
19 février 2012 que «les stock-options polluent le débat» sur la
rémunération. S’il est drôle que ce soit souvent de grands bénéfi­
ciaires de cet outil qui le fustigent - il y a près de vingt ans un
Premier ministre de cohabitation, aujourd’hui un patron d’une
société du CAC 40 - , il n’en est pas moins intéressant de chercher à
comprendre pourquoi les stock-options sont, année après année, la
CD cible de fortes critiques.
Les stock-options mélangent deux problématiques de l’entreprise,
l’une salariale et l’autre actionnariale. Les stock-options ont pour
vocation d’intéresser des salariés d’une entreprise à la valorisation
de celle-ci, avec pour objectif affiché de faire converger ainsi les
intérêts des actionnaires avec ceux des salariés. Mais le succès des
stock-options a reposé dès l’origine sur de mauvaises raisons : il
s’agissait notamment de rémunérer des salariés sans en inscrire la
charge dans le compte de résultat. En outre, la société comme le
>-
LU
ro bénéficiaire profitaient d’une fiscalité plus avantageuse : pas de
tH

fN
O charges sociales et une imposition des plus-values alors nettement
plus favorable que celle des revenus du travail. Ces mauvaises
gi raisons, tant d’affichage que fiscales, ont depuis longtemps été
>>
Q. rognées. Les stock-options font l’objet d’un statut fiscal spécifique.
O
U
L’imposition des gains issus des stock-options n’a aujourd’hui plus
grand-chose à envier à la fiscalité des salaires. À partir du 1^^ juillet
prochain, avec des contributions sociales qui devraient passer à
15,1 %, le taux maximal de prélèvements sur les gains devrait être “ô
LU
de 55,1 %. Quant à l’avantage comptable, les normes internationales 0CL
Z)
obligent depuis une dizaine d’années à inscrire en charge un équi­ O
valent de rémunération. Et comme nous l’avons déjà exposé dans
(5

16
G ouvernance ; des enjeux renforcés pour l'entreprise

un post précédent (« Quand une mauvaise évaluation comptable


influe sur la gestion : lexemple des stock-options », publié le
22 février 2010), les normes comptables ont plutôt tendance à
imposer une surévaluation de la rémunération offerte par les stock-
options.
Pour autant, il apparaît pertinent pour les actionnaires de savoir les
managers clés intéressés à une amélioration de la valorisation de
leur société et ce sur une période relativement longue (quatre à
sept ans). La solution apportée il y a quelques années par le législa­
teur et sur laquelle Jean-Paul Agon a déclaré souhaiter s’appuyer à
présent consiste à offrir aux managers des actions, dites de perfor­
mance, car le nombre exact qui sera finalement octroyé au
manager est fonction de critères de performance à court et moyen
terme. La valeur des actions est par nature moins volatile que celle
des options. Le manager perd ainsi un des bénéfices de Ibption : sa
forte sensibilité à l’évolution du cours de l’action qui permet un en
c<
O

potentiel de gain important en cas de hausse du cours de l’action. CD


=
A contrario^ le manager bénéficiaire d’actions gagne en sécurité : il O
:3
t-t
CD
peut générer des revenus même en cas de baisse de l’action sur la
période considérée, configuration qui aurait vu le détenteur
d’option tout perdre. Ce dernier cas de figure illustre clairement
qu’avec les actions gratuites les intérêts des actionnaires et des
managers sont moins corrélés. L’attribution gratuite d’action appa­
raît comme un outil de rémunération, cependant fonction de
l’évolution de la valeur de la société.
Ne vaudrait-il pas mieux cesser toute confusion entre intéresse­
>-
LU ment et association ? Les stock-options portent en elles cette
m
T—)
O
confusion entre rémunération et capital et sont pour cette raison
fNJ
mal comprises. La réponse apportée par les actions gratuites nest
gi pas plus satisfaisante de ce point de vue. S’il s’agit de rémunérer
> .
a.
des salariés de l’entreprise, il est préférable de ne pas utiliser la
O
U valeur de la société, jugée souvent trop aléatoire, comme élément
de détermination des revenus.
Pour autant, ce n’est pas une raison pour freiner l’association des
“ô managers au capital. Mais cela doit être mis en œuvre hors tout
LU
(CLÜ élément de rémunération, c’est-à-dire au travers de titres donnant
3
O accès au capital souscrits à un juste prix. L’achat d’actions peut se
ô
révéler difficile compte tenu des sommes nécessaires qui peuvent

117
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

rapidement devenir importantes pour une personne physique. Les


bons de souscription d’action (BSA) permettent de bénéficier d un
levier sans faire appel à l’endettement. Le manager peut ainsi, en
mobilisant des sommes limitées, bénéficier d’un vrai statut
d’actionnaire, avec tant le potentiel que le risque, accentués par
l’effet de levier. Les BSA ressemblent par leur profil de gain poten­
tiel aux stock-options, mais ils sont d’une nature toute différente
s’ils sont payés, à leur valeur, par des managers qui auront choisi
librement de prendre un risque en capital, sans lien avec leurs
packages de rémunération.

o>
« Le renouvellement des conseils
£=
O
C sera un sujet majeur des AG 2012 »
O
>
=
O
cr>
Échanges 2 9 8, mai 201 2, dossier « Faut-il gérer ou céder les risques ? »
par Daniel Lebègue, président de l'Institut français des administrateurs

Les actionnaires des sociétés sont devenus très attentifs et plus


exigeants sur le profil et la qualité des administrateurs qu’ils
nomment. Nul doute que le renouvellement des conseils va repré­
senter un thème important lors des AG 2012 qui démarrent actuel­
lement. Lors du renouvellement des conseils, la vigilance des
>-
uu
n actionnaires s’exerce désormais particulièrement sur quatre points.
T—I
O
fNJ Engagement et assiduité. Les administrateurs « découvrant » les
comptes et autres documents cinq minutes avant la tenue du
gi
>> conseil... C’est du passé pour les administrateurs qui veulent
Q.
O
U s’impliquer réellement dans la marche de l’entreprise et travailler
leurs dossiers.
L’IFA estime que tout administrateur consacre en moyenne deux
jours de travail par mois à chaque société dans laquelle il détient “ô
LU
un mandat. Cette disponibilité « minimale » s’accroît évidemment 0CL
Z)
lors d’opération stratégique ou lorsque l’administrateur fait partie O
de l’un des comités créés par le conseil (audit, rémunération, etc.).
(5

18
G ouvernance : des enjeux renforcés pour l' entreprise

Concernant Tabsentéisme lors des réunions des conseils, on peut


d’ailleurs constater que le taux s’avère faible : 10% dans les sociétés
du CAC 4 0 ...
Un cumul excessif de mandats ou une responsabilité exécutive
importante peuvent expliquer le manque de disponibilité de
certains administrateurs... qui doivent alors en tirer les consé­
quences. Prendre un mandat d’administrateur, c’est accepter d’y
consacrer du temps et du travail. La loi française limite le nombre
de mandats à cinq en excluant les mandats détenus dans des entre­
prises étrangères ou dans des filiales. L’IFA préconise que ce
nombre maximum de cinq mandats intègre également ceux
exercés à l’étranger dans des sociétés non françaises. Par ailleurs,
les dirigeants exécutifs devraient, à notre sens, ne pas accepter plus
de deux mandats dans des sociétés extérieures à leur groupe.

Compétence. Une expertise dans les métiers de l’entreprise dont


O
l’administrateur détient un mandat est recommandée. Par ailleurs
- sans exiger que cela atteigne des niveaux équivalents à des
masters en finance... - , une bonne maîtrise des sujets financiers,
du droit des sociétés et des règles de gouvernance constitue un
critère de sélection de plus en plus pris en compte. En tout état de
cause, un conseil bien composé réunit des compétences diverses et
complémentaires (industrie, finance, management, droit). Les
administrateurs doivent apporter à la société une véritable valeur
ajoutée.

Diversité. La diversité est aujourd’hui considérée par les action­


>-
LU
naires comme un facteur positif Le bon équilibre hommes/
ro
tH
femmes n’est plus seul en cause. Des administrateurs d’âges, de
fN
O
nationalités et de profils différents contribuent à un conseil éclec­
0
JC tique et performant. La présence d’administrateurs étrangers
>• s’avère particulièrement utile dans une entreprise présente à
a.
O
U
l’international. De même, l’entrée au conseil d’un scientifique, d’un
chercheur ou d’un profil académique (ayant travaillé, par exemple,
sur le thème de la gouvernance) peut constituer un plus.
“ô Indépendance. Des administrateurs n’ayant pas de lien de dépen­
LU
(CLÜ dance avec la société ou son management sont recherchés par les
O
O investisseurs. Leur indépendance d’esprit, de jugement et d’expres­
(5
sion est un élément positif. Le nombre optimal d’administrateurs

119
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

indépendants au sein d un conseil est variable. Il est par exemple


logique qu’au sein d’entreprises familiales, ce nombre soit plus
réduit que dans les conseils de sociétés dont le capital est très
diffus.
L’augmentation progressive, ces dernières années, de la place des
administrateurs indépendants va dans le sens d’une professionnali­
sation dans le recrutement des administrateurs et d’une affirma­
tion du rôle et des responsabilités des conseils d’administration.

03
1=
O
ci—
>
03
=
O
cr>

>•
LU

O
(N

CT
>•
CL
O
U

> -
LU
0CL
Z)
O
Ô
Droit et fiscalité

Les chiffres et le droit :


une nécessaire rencontre au sommet
Échanges n° 2 9 9, juin 201 2, dossier « Directions financière et juridique ;
vers plus de synergie entre les fonctions »
par Thierry Luthi, président de la DFCG et directeur financier, Cegid, Lionel Zanat,
responsable département juridique contrats et assurances, Cegid et Valérie Laurent
Gruyelle, responsable département consolidation et trésorerie, Cegid

Le contenu du livre A m éliorer la p erform an ce de votre entreprise


(Eyrolles)^ a fait émerger des recommandations qui illustrent une
plus grande proximité entre le droit et la comptabilité dans le cadre
- plutôt positif en Ibccurrence - des normes internationales IFRS.
Ainsi, les auteurs du chapitre « Gouvernance des IFRS » nous invi­
taient à « mettre en place une procédure de contrôle interne IFRS co^
applicable avant la prise de toute décision ou la signature de tout
contrat important », procédure qui existe rarement aujourd’hui de
>•

manière formalisée car elle reste complexe à mettre en œuvre.
m
O
Il nous paraissait important de rappeler Fapport de PwC et des
(N

© autres participants à ce chapitre^. Ils nous proposent de mettre les


gi normes internationales IFRS au service de la performance ce qui,
>'
CL
intuitivement, ne semble pas aller de soi, et donner aux fonctions
O
U

1. Daniel Bacqueroët, Thierry Luthi et a l . A m éliorer la p erfo rm a n ce d e votre


entreprise : 70 recom m an dation s concrètes, Eyrolles, 2011.
■g
LU
2. Philippe Audouin, membre du directoire, directeur financier, Eurazeo, vice-
(Q_
D président exécutif, DFCG, Étienne Boris, senior partner et directeur général,
Z)
O PwC, Aldo Cardoso, administrateur de sociétés, Olivia Larmaraud, direc­
Ô trice consolidation et normes comptables, PSA Peugeot Citroën.

12
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

comptables une place de premier rang dans la gouvernance de


lentreprise et d y associer les expertises du droit et du chiffre.
Sur le plan de lefficacité, le rattachement des fonctions juridique-
contrats, voire juridique-contentieux à la direction administrative
et financière permet d’avoir, en lien étroit avec les directions
opérationnelles, une action renforcée sur les principaux leviers
financiers classiques et une meilleure appréhension, et donc une
meilleure gestion, des risques inhérents au développement des
activités.

dém arch e globale de g e st io n


DES RISQUES OPÉRATIONNELS
Cette préconisation d’organisation doit s’inscrire dans une poli­
tique globale de gestion des risques avec une approche transversale
qui permet d’associer des compétences diverses, telles celles des
départements juridique, assurance, comptable et contrôle interne.
Cette démarche de gestion s’accompagne d’une mise en place d’un
système d’information juridique (SIJ), voire d’un progiciel de risk
'O
m anagem ent (RM ), pour élargir le périmètre d’interopérabilité
entre les fonctions support et les directions opérationnelles. Ce
O
système d’information dédié permet de renforcer le système de
*o
management de la contractualisation des relations commerciales et
d’améliorer ainsi la gestion des risques globaux de l’entreprise.
Tous ces éléments concourent à l’amélioration de la performance
>-
de l’entreprise.
LU
ro
rH
O
Gestion des risques contractuels. Parmi les outils mis à disposi­
(N
tion des managers opérationnels, il apparaît souhaitable de mettre
en œuvre différentes procédures pour renforcer la sécurisation
CT
>• tant en amont qu’en aval de la relation contractuelle. En amont, il
CL
O
U s’agit de mettre en place différents éléments :
» des formations juridiques standards (voire de vulgarisation),
tout d’abord, à destination des communautés métiers des colla­
_0

borateurs ; “ô
LU
» une synthèse pédagogique des positions adoptées par la société 0CL
Z)
face aux principaux engagements contractuels pouvant être O
6
demandés aux opérationnels. Ils doivent être intégrés dans la

122
Droit et fiscalité

démarche en amont et renseigner ce document synthétique


préalablement à chaque demande de travaux du département
juridique concernant des dérogations à la documentation stan­
dard du projet ;
un processus de validation des contrats formalisé par une
« feuille de visas ». Ainsi, d un point de vue du flux décisionnel et
du contrôle interne, chaque fonction de lentreprise concernée
(vente, développement, ressources humaines, finances, juridique,
comptabilité...) doit approuver les dérogations à la documenta­
tion juridique standard et traiter les éventuels risques identifiés
en conduisant des plans d’actions. Cette procédure, communé­
ment déployée dans les grands groupes notamment anglo-saxons
{approval matrix, risk assessment, mitigation plan), permet de
passer au prisme de plusieurs expertises les engagements contrac­
tuels de la société. Les enjeux comptables sont une passerelle
entre la finance et le juridique. Et classiquement, le juridique
porte une attention toute particulière aux clauses de responsabi­
lités, pénalités, garanties, propriété intellectuelle et d’assurances.
La forte interopérabilité de la fonction juridique avec son dépar­
tement de rattachement et la procédure susmentionnée permet­
tent - au-delà desdites clauses - de s’assurer de la bonne O
comptabilisation du contrat et, plus spécialement, que les critères
de reconnaissance de revenus ou d’enregistrement des coûts,
établis par les normes comptables, sont réunis ; CD>

un arbitrage de go/no go, en liaison avec le juridique, mettant


en exergue la valeur contributive du contrat au regard des

>- risques identifiés. Cet arbitrage permet de décider d’un engage­
ro
ment ou non. Le juridique a alors un rôle pédagogique fort pour
rOvj
expliquer les raisons objectives du non-engagement en
sz
CT
s’appuyant sur « l’homme du chiffre » qui porte les enjeux finan­
'l -

CL
ciers. La prise de décision devient ainsi collégiale et partagée ;
U
O
Futilisation de solutions informatiques de type custom er rela­
tionship m anagem ent (CRM) qui, au travers d’un questionnaire
embarqué, permet de sélectionner les propositions commer­
=
~ô ciales nécessitant une validation selon un process et w orkflow
LU
(CLD dédié complété par un système d’archivage de document pour
Z)
O assurer un meilleur contrôle en amont, et constituer un espace
6
de documentation par projet client.

123
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Il ne faut en outre pas oublier, en aval, d’assurer un suivi. Cela


passe par, premièrement, une matrice d’analyse des risques repré­
sentés par le déploiement des projets. Celle-là permet, au travers
d’un référentiel commun, d’identifier de manière objective les
engagements contractuels les plus significatifs en matière de
déploiement et, donc, ceux nécessitant un suivi.
Et deuxièmement, des réunions de suivi desdits risques organisées
par le contrôle interne. Celles-ci impliquent un suivi progressif
interne (type cascading)y en fonction de l’évolution du risque selon
une échelle normée avec une participation adaptée de toutes les
parties prenantes. Un document de synthèse fait l’objet d’une diffu­
sion mensuelle aux membres du comité de direction, patrons
d’entité, directeurs de services et au juridique.

Gestion et efficacité opérationnelles. Sous la supervision de la


direction administrative et financière, un comité des risques et
provisions est vivement recommandé dans le but d’apporter au
dispositif global de contrôle interne des éléments d’appréciation
complémentaires.
L’intégralité des risques qui proviennent des départements opéra­
tionnels et fonctionnels, dont le département juridique dans toutes
03
ses acceptions - processus judiciaire, recouvrement, fournisseurs,
‘o
partenaires, social, fiscal, propriété intellectuelle... - , est passée en
revue. Ce comité, qui intègre les autres fonctions supports de
l’entreprise, accorde une attention toute particulière à l’évaluation
>- des risques identifiés et aux conséquences comptables (ou provi­
LU
ro
tH
sions) constatées par l’entreprise après une éventuelle prise en
fN
O
charge au niveau des assurances. Il convient de suivre ce point avec
Joi
C attention. Plus généralement, et en toutes occasions, le départe­
>• ment juridique s’assure de la parfaite adéquation entre risque et
a.
O
U
couverture, notamment eu égard aux nouveaux développements
technologiques ou à l’ouverture de nouveaux marchés.
Le respect de procédures de validation croisées et structurantes
permet non seulement une maîtrise des risques et des impacts “ô
UJ
financiers associés, mais aussi de donner tout le confort nécessaire CD
Q_
Z)
aux personnes qui interviennent dans la préparation des comptes O
6
et de leur contrôle.

124
Droit et fiscalité

Ces procédures mettent en place des actions préventives et des


recommandations qui permettent à la fonction juridique de béné­
ficier d une vision proactive des risques. Domaine d’habitude plu­
tôt concentré dans les fonctions finance/gestion/contrôle interne.
Ainsi, fonction juridique et fonction financière se retrouvent au
centre de lefficacité opérationnelle de l’entreprise. Et la fonction
comptable devient ainsi un élément clé dans l’élaboration de
l’approche contractuelle en se plaçant en amont dans la chaîne de
valeur de la direction financière. Ce nouveau positionnement sera
mis à profit à l’occasion des arrêtés de comptes.

Délégation de pouvoir, mode d'emploi


Echanges n° 289, juillet-août 2011, dossier « Allemagne ; mais comment font-ils ? »
par Frédéric Mascré, membre du conseil d'administration de la DFCG,
avocat, Mascré Fîéguy Associés

La délégation de pouvoir apparaît aujourd’hui une nécessité pour


les entreprises d’une certaine taille, notamment celles qui se
composent de plusieurs établissements ou qui font partie d’un CD^
groupe. Elle est cependant soumise à des règles strictes. En effet,
l’enjeu de la validité d’une délégation de pouvoir est le transfert de
la responsabilité pénale du délégant vers le délégataire.
>-
LU

fN
O
Les c o n d it io n s de validité

01 De nombreuses conditions de fond. Les conditions de fond de la


>•
Q. validité des délégations de pouvoir sont nombreuses et strictes. En
O
U effet, le transfert de la responsabilité pénale inhérente au dirigeant
sur la personne du préposé n’est pas un acte neutre, notamment
dans les établissements où la sécurité et l’hygiène sont maîtres mots.
~ô » La taille de l’entreprise, préalable à la délégation de pouvoir : la
LU
(D
Cl
délégation de pouvoir n’est pas seulement une faculté. Elle ne peut
n
O être pratiquée que lorsque la taille de l’entreprise le justifie et que
6
le chef d’entreprise ne peut pas surveiller toutes ses activités seul.

125
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Elle est au contraire une obligation dès lors que la taille de l’entre­
prise le justifie.
i Le lien hiérarchique : le délégataire doit être subordonné par un
lien hiérarchique au délégant (le plus souvent un salarié sous
contrat de travail). Ce lien hiérarchique peut intervenir entre
sociétés d’un même groupe.
b Les conditions de fond tenant au délégataire, la compétence,
Tautorité et les moyens nécessaires pour accomplir sa
mission : ces conditions donnent lieu à un contentieux très
fourni. Le délégataire doit avoir la compétence, l’autorité et des
moyens nécessaires pour accomplir sa mission. La compétence
que l’on exige du préposé recouvre la compétence technique,
mais aussi la compétence juridique pour faire face aux risques de
l’entreprise. Le délégataire doit également avoir l’autorité néces­
saire aux fins de faire respecter les réglementations techniques et
juridiques, et disposer pour ce faire d’un pouvoir disciplinaire.
Le délégataire doit bénéficier notamment des moyens tech­
niques, logistiques, financiers, etc., afin de mener à bien sa
mission de surveillance et de contrôle.
b Les conditions de fond tenant à la délégation : la délégation
"5
doit être circonstanciée et ne peut donc pas porter sur l’ensemble
des pouvoirs du délégant. Elle doit également être limitée dans la
*o durée et dans l’espace. Elle doit en outre être certaine et
dépourvue d’ambiguïté : il est essentiel que le délégant comme le
délégataire s’accordent sur ce qu’ils s’engagent à transférer. Elle
doit également être acceptée par le délégataire, qui peut alors
Ш
>- mesurer la portée de son engagement.
Г0
tH

rvj
O

@ Un formalisme n o n exigé , m ais nécessaire


sz
CT
CL
b L’aménagement de la preuve : la délégation de pouvoirs ne
O
U requiert pas de formes particulières, mais il est vivement conseillé
d’aménager la preuve de la délégation de pouvoir par écrit pour
prouver son existence et le respect des conditions de validité.
b Le nécessaire suivi des délégations de pouvoirs : l’écrit permet “ô
LU
en outre à la société et aux groupes de sociétés d’établir un suivi Ш
Q_
Z)
des délégations de pouvoir afin d’éviter les nullités. En effet, en O
CD
raison du développement de la taille de l’entreprise et de

26
Droit et fiscalité

raugmentation mécanique du nombre de délégataires, il peut


s’avérer très complexe de suivre les délégations de pouvoir. En
effet, il peut y avoir des subdélégataires ou encore des codéléga­
taires qui cessent leurs fonctions ou qui partent en vacances. Ce
sont autant de problématiques qui plaident pour 1existence d un
vrai suivi afin que l’entreprise s’assure de bien gérer le risque des
sanctions pénales dans l’entreprise.

Les effets de la délégation de pouvoir

La délégation, la codélégation ou encore la subdélégation de


pouvoir ont des effets sur la responsabilité pénale du délégant, du
délégataire et de la personne morale.

Le transfert de la responsabilité pénale du d é lé g a n t


vers le d é lé g a ta ire
^ Responsabilité pénale du délégant : la responsabilité pénale du
délégant est transférée à la personne du délégataire dans la limite
des pouvoirs délégués. Elle exonère donc, pour ces pouvoirs, le
délégant de sa responsabilité pénale. Naturellement, cette exoné­
O
ration ne vaut que pour les infractions non intentionnelles (par
exemple, la négligence). Cependant, les obligations attachées à la
personne même du chef d’entreprise et à ses fonctions ne sont
co^
pas susceptibles de transfert. Cette notion regroupe, selon la
jurisprudence, les mesures ressortissant de son pouvoir propre
de direction. Par exemple, en matière de délit d’entrave concer­
Uü nant ses devoirs envers le comité d’entreprise.
ro
1— 1
O
r\J
^ Responsabilité pénale du délégataire : il devient responsable en
lieu et place du délégant. Ainsi, le délégataire devra prouver son
CT absence de faute. Le cas échéant, il pourra s’exonérer en prouvant
's -
>•
O. qu’il a lui-même subdélégué le pouvoir. Lorsqu’il y a plusieurs
O
U codélégataires, on recherchera quel est celui qui détient le
pouvoir auquel la responsabilité pénale est attachée.
^ Cumul de responsabilité pénale entre le délégataire et le délé­
“ô gant : le délégant et le délégataire peuvent voir leurs responsabi­
LU
(D
Q_
lités pénales cumulativement engagées dans le cas où ils sont
Z)
O coauteurs ou complices et dans l’hypothèse où chacun a pris part
6
à la commission de la même infraction.

27
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

^ Cumul de responsabilité pénale avec la personne morale : la


délégation de pouvoir ne remet jamais en cause la possibilité
dengager la responsabilité pénale de la personne morale. Les
infractions non intentionnelles commises par le délégataire, dès
lors qu il agit dans le cadre de ses fonctions et pour le compte de
la société, engagent cette dernière. Il y a donc cumul de respon­
sabilités. Il est également possible que sa responsabilité pénale
soit engagée pour une infraction commise par le délégataire,
alors que ce dernier ne serait pas pénalement responsable.

Aucun transfert de responsabilité civile possible


Le délégant peut voir sa responsabilité engagée au titre d’une faute
de gestion s'il a manqué à son obligation de vigilance en ne respec­
tant pas les conditions de validité de la délégation de pouvoirs ou
en ne contrôlant pas Faction du délégataire. La responsabilité civile
est personnelle à Fauteur d un fait dommageable et ne peut donc
pas être transférée du délégant au délégataire. La responsabilité
civile de la personne morale peut être engagée du fait d un acte
commis par un préposé ou un délégataire en vertu de
'O Farticle 1384, alinéa 5 du Code civil, sauf si le délégataire a excédé
les limites de sa mission ou s'il a été condamné pénalement pour
eu une infraction intentionnelle.
*o

La r é c o n c il ia t io n de la ju r isp ru d en c e a v e c les
DÉLÉGATIONS DE POUVOIR DANS LA S A S
>-
LU
ro Une certaine confusion a pu régner au sein des cours d'appel sur la
tH

fN
O question des délégations de pouvoir dans les sociétés par actions
simplifiées (SAS). Certaines d'entre elles semblaient confondre la
JC délégation générale de compétence - reçue par les directeurs géné­
>•
a. raux (DG) et les directeurs généraux délégués (DGD) dans les
O
U
statuts en vertu de Farticle L.227-6 du Code de commerce - avec les
délégations fonctionnelles de compétence, qui ne portent que sur
des pouvoirs limitativement déterminés. La délégation de pouvoir
fonctionnelle devait-elle être entendue comme conférant à son
LU
détenteur un pouvoir habituel d'engager la société au regard de (D
CL
Z)
Farticle R. 123-54 du Code de commerce et, donc, être publiée au O
6
RCS ? La cour de cassation a balayé tous les doutes dans deux arrêts

128
Droit et fiscalité

de chambre mixte en date du 19 novembre 2010. Elle a reconnu


lefficacité de la délégation de pouvoir au sein d une SAS qui avait été
consentie à un « responsable des ressources humaines » en énonçant
que la possibilité offerte par Tarticle L.226-7 du Code de commerce
mentionné plus haut « nexclut pas la possibilité pour [les] représen­
tants légaux de déléguer le pouvoir deffectuer des actes déterminés
tel que celui d engager ou de licencier les salariés de l’entreprise ».
Elle a également décidé qu il nest pas nécessaire d obtenir une auto­
risation statutaire pour qu’une personne reçoive une délégation du
pouvoir d’effectuer des actes déterminés tels qu’embaucher ou licen­
cier. Elle rajoute qu’en soutenant, devant la justice et par son repré­
sentant légal, la validité du licenciement prononcé par ses préposés,
la société ratifie cet acte et le défaut de pouvoir du préposé ne peut
plus être justifié. Dans un récent arrêt du 26 janvier 2011, la
chambre sociale en a tiré les conséquences et a repris presque à la
lettre le dispositif de la chambre mixte du 19 novembre 2010 : la
règle selon laquelle la nomination des DG et DGD dans la SAS est
soumise à publicité n’influe en rien sur leur capacité à déléguer leur
pouvoir de licencier, délégation qui n’a pas à être écrite et qui peut
être tacite, résultant alors des fonctions mêmes du salarié conduisant
la procédure de licenciement.
s
Q

Co■^

>-
Taxer les prix de transfert :
LU
ro
tH le nouveau protectionnisme
fN
O

gi Publié 16 janvier 201 2 sur te Blog du Directeur Financier


par Gianmarco Monsellato, managing partner, Taj,
CL
O membre du comité scientifique de la DFCG
U

À contre-courant de la totalité des pays industrialisés, la France a


“Ö décidé d’augmenter le taux d’impôt sur les sociétés, qui est pour­
LU
(D tant déjà le deuxième plus élevé au monde. Ce singularisme fran­
Q_
Z)
O çais tente de se justifier en accusant les entreprises internationales
ô
de ne pas payer assez d’impôts en France et en insistant sur la lutte

29
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

contre les paradis fiscaux. Maintes fois répétée par les tenants du
dogme fiscal, cette hypothèse cache une réalité bien plus grave :
dans la guerre fiscale entamée avec le nouveau siècle, la France se
trompe de bataille. Le combat se déroule entre États et non contre
les entreprises.
Les prix de transfert, cest-à-dire la politique de prix établie pour
les transactions au sein des entreprises internationales, sont un
sujet majeur pour leconomie. En effet, ces échanges intragroupes
représenteraient selon LOCDE environ 60% du commerce inter­
national, et leur part semble progresser d’année en année, le taux
dépasserait même les 70 % au sein de l’Union européenne. L’émer­
gence de l’immatériel, mais aussi la sophistication de l’économie
rendent de plus en plus complexe leur valorisation, faisant des prix
de transfert le premier sujet fiscal de toute entreprise internatio­
nale. En revanche, il est faux d’affirmer que les prix de transfert
concernent les paradis fiscaux : ils touchent les flux entre les puis­
sances économiques, aussi bien établies qu’émergentes.
Chaque État livre un combat acharné pour attirer le centre de
gravité des profits liés au commerce international, et renvoyer chez
les autres les pertes réalisées. Or cette compétition n’est pas un jeu
à somme nulle pour les entreprises. Elles sont de plus en plus
03
victimes des doubles et multiples impositions sur leur prix de
‘ö transfert. Celles mal défendues par leurs États d’origine voient leur
compétitivité, et parfois leur survie, menacée. La faillite de
Chrysler était, entre autres, liée à un redressement du prix de
transfert de 1 milliard de dollars entre les États-Unis et le Canada !
>-
LU À quoi sert d’augmenter le taux d’impôt et d’inciter à une
meilleure répartition des bénéfices avec les salariés, lorsque ces
fN
O

bénéfices sont captés par les États étrangers à coups de redresse­


JZ
ai ments fiscaux dits « prix de transfert » ? Comment ne pas
> .
a.
comprendre que les entreprises françaises sont avant tout les alliées
O
U de l’État dans sa lutte pour protéger sa souveraineté fiscale ? On ne
sanctionne pas ses alliés, on les protège. C’est pourtant bien
l’inverse que fait la politique fiscale actuelle, comme si nous étions
le seul pays à ne pas nous soucier de la guerre fiscale qui fait rage. “Ö
LU
Car, sur ce sujet autrement plus important que la taxation des rési­ 0CL
Z)
dences secondaires, le silence de la France est assourdissant. Dans la O
profusion de chiffres fiscaux communiqués, certains restent étrange-
(5

130
Droit et fiscalité

ment cachés. Qui sait que seules 6% des entreprises européennes


nbnt jamais rencontré de cas de double imposition transfrontalière,
que le plus grand nombre de cas de double imposition décelés
concerne la France et TAllemagne et que le plus grand nombre de cas
de double imposition rapportés concerne... les prix de transfert ?
Quand une entreprise française subit une double imposition, ce qui
est fréquent, cest sa compétitivité qui est menacée. Elle peut, certes,
la résoudre grâce aux traités fiscaux que la France honore toujours
avec qualité et honnêteté. Mais dans ce cas, si Fautre pays ne renonce
pas à son redressement, cest la France qui doit dégrever lentreprise,
et donc transférer de la recette fiscale à letranger !
Les prix de transfert sont donc le nouveau visage du protection­
nisme et Farme ultime des États pour appréhender la plus grande
part possible de recettes fiscales liées au commerce intragroupe et
international. Comme dans toute bataille, il y aura des perdants et
ceux-ci verront disparaître leur souveraineté fiscale, non pas du
fait des charmes fantasmés des paradis fiscaux, mais à cause de
leur impréparation à affronter le nouveau visage de la guerre
économique. Espérons donc qu’il ne faudra pas attendre un
Chrysler français pour changer de cap.
CD

CD^

Informatique : où s'arrête la vie privée


>-
LU
ro
du salarié ?
tH

O
fN
Échanges n° 291, octobre 2 0 11 ,
gi dossier « Le contrôle de gestion du processus commercial »
>> par Céline Zocchetto et Sylvain Martin, avocats au barreau de Paris
Q.

U
O

Le 10 octobre 2001, la cour de cassation rendait un arrêt^ extrême­


ment protecteur vis-à-vis du respect de la vie privée des salariés,
“Ô
LU
déclarant que les collaborateurs bénéficient « même au temps et au
(CLÜ
D
O
(5 1. 2 o c to b re 2 00 1 , n ° 9 9 -4 2 9 4 2 , N ik o n .

31
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

lieu de travail, du respect de Tintimité de leur vie privée » et donc


du secret des correspondances. L’institution interdisait de ce fait
aux employeurs de prendre connaissance des messages personnels
émis par leurs salariés, ou reçus par eux, grâce à un outil informa­
tique mis à leur disposition pour leur travail et ce, même au cas où
l’employeur aurait interdit une utilisation personnelle de l’ordina­
teur.
Cette décision citée dans toutes les gazettes judiciaires de l’époque
sous le nom d’« arrêt Nikon » (la société qui avait licencié son
employé après avoir consulté l’ordinateur utilisé par celui-ci et
trouvé la preuve d’activités professionnelles parallèles) résonna
comme un coup de tonnerre au sein des directions générales des
entreprises du fait de son contexte et de sa portée pratique. Cepen­
dant, durant la décennie qui vient de s’écouler, la cour de cassation
a progressivement fourni aux employeurs un arsenal d’armes ju ri­
diques venant réduire de manière considérable la protection qui
avait été donnée à leurs employés par l’arrêt Nikon.

Le droit d ' a c c è s aux fichiers personnels

L’arrêt Nikon était d’autant plus favorable aux salariés qu’il ne


a> donnait pas de solution aux employeurs pour se défendre contre
"o des employés indélicats cachant, par exemple, la préparation d’une
entreprise concurrente derrière un fichier qualifié expressément de
personnel.
En 2005, la cour de cassation rétablissait l’équilibre employé/
>•
LU
employeur en donnant la règle à respecter pour avoir le droit de
rO
\j fouiller dans les fichiers privés de leurs salariés : « Sauf risque ou
événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers iden­
CT tifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur
Q. de l’ordinateur mis à sa disposition qu en présence de ce dernier ou
O
U celui-ci dûment appeléL »
Dans cette affaire, un dessinateur avait été licencié pour faute grave
après la découverte de photos érotiques dans un tiroir de son

bureau suivie, du fait de cette découverte, d’une recherche sur le LU
0Q_
Z)
O
1. 17 m a i 2005, n ° 0 3 -4 0 0 1 7 , C a th n e t-S c ie n c e .
CD

132
Droit et fiscalité

disque dur de son ordinateur qui avait permis de trouver un


ensemble de dossiers totalement étrangers à ses fonctions figurant
dans un fichier intitulé « perso ». La cour d’appel avait considéré
que la présence de photos coquines dans le tiroir justifiait de
passer outre la barrière de la protection de la vie privée élevée par
le salarié en nommant son fichier « perso ». Plus tolérante, la cour
de cassation considéra que le fait de détenir des photos simplement
érotiques netait pas si grave et ne justifiait pas cet accès aux
données personnelles. Il nen est évidemment pas ainsi si le salarié
tombe dans la pornographie susceptible de revêtir une qualifica­
tion pénale h

Les fichiers s o n t présumés professionn els

L’année suivante, en 2006, la cour de cassation déclare que « les


documents détenus par le salarié dans le bureau de l’entreprise mis
à sa disposition sont, sauf lorsqu’il les identifie comme étant
personnels, présumés avoir un caractère professionnel, en sorte
que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence^ ».
Dans cette affaire, un employé avait été licencié pour faute lourde
après la découverte dans son bureau de documents provenant de
son ancienne entreprise, estimés confidentiels, et dont la présence s
indue était susceptible d’engager la responsabilité de son nouvel P

employeur. Cet employé n’ayant pas convaincu les juges que ces CD'

documents étaient bien qualifiés expressément de personnel, le


licenciement fut confirmé. Cet arrêt concernant des documents
>J- papier est tout à fait transposable aux documents électroniques,
U
ro comme le montre un autre arrêt du même jour - qui valide le
O
(N licenciement d’un salarié au m otif qu’il avait crypté les fichiers se
trouvant sur son ordinateur d’entreprise en violation des consignes
sz
ai qu’on lui avait données^. Il se dégage aujourd’hui deux éléments.
>-
CL
O
U

“ô
LU
(CLÜ 1. 15 décembre 2010, n° 09-42691, Coca-Cola.
a
O 2. 18 octobre 2006, n°04-47400, JEPS.
(5 3. 18 octobre 2006, n°04-48025, Techni-Soft.

33
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

L’employeur peut accéder à tous les fichiers... se trouvant sur le


disque dur des ordinateurs qu il met à la disposition de ses
employés, même si les fichiers sont identifiés comme personnels.
Dans ce cas, l’employé doit être présent, voire simplement
convoqué si son absence est de mauvaise foi. En cas de situation
d’urgence ou de présomption grave (suspicion de blanchiment
d’argent ou de félonie au profit d’un concurrent, par exemple),
l’accès est même possible sans prévenir.

...m êm e ceux non identifiés. L’employeur doit pouvoir accéder à


tous les fichiers non explicitement identifiés comme personnels, ce
qui interdit aux employés d’empêcher l’accès à leurs fichiers non
personnels en utilisant un code ou un moyen de cryptage (sauf s’il
s’agit d’une consigne de l’entreprise dans le cadre de sa politique
sécurité).

Q u ' est-ce q u ' un fichier personnel ?


Après les affaires de 2005 et 2006, un contentieux s’est développé
sur la question de ce qu’est un fichier ou un message électronique
'O privé. L’enjeu est de savoir si l’employeur peut aller fouiller dans le
disque dur de ses employés sans que ceux-ci soient au courant.
03
*o Les affaires jugées montrent que le salarié a intérêt à identifier claire­
ment comme personnel ses fichiers et messages électroniques rele­
vant de sa vie privée puisque ceux-ci sont présumés professionnels
par défaut. Ici, la mention « personnel » est sans ambiguïté et même
« perso » a été accepté. En revanche, des fichiers intitulés du prénom
UJ
>-

ro du salarié ou de ses initiales sont soumis à la présomption du carac­


O
(N tère professionnel dès lors qu’il s’agit de fichiers informatiques créés
à l’aide du matériel informatique mis à sa disposition par
sz
ai l’employeur h II s’agissait d’un responsable commercial marketing
>-
CL
O prénommé Jean-Michel et licencié pour faute lourde pour avoir
U
préparé le démantèlement de l’entreprise qui l’employait en partici­
pant à la mise en place d’une structure directement concurrente.
L’huissier, qui avait ouvert l’ordinateur en l’absence du salarié, avait
accédé après ouverture de l’explorateur à un répertoire nommé JM, LU
CD
CL
Z)
O
1. 21 o c to b re 2 0 0 9 , n ° 0 7 -4 3 8 7 7 , S eit H y d f Eau. 6

134
Droit et fiscalité

lequel comportait un sous-répertoire nommé personnel et un sous-


répertoire portant le nom de lentreprise concurrente. Seul ce sous-
répertoire fut ouvert et le pot aux roses fut mis en évidence.
Par ailleurs, Tinscription d un site Internet par un salarié dans la
liste des « favoris » de son ordinateur ne confère aucun caractère
personnel et nexclut pas le contrôle par lemployeur de ses
connexions Internet via les « favoris » (Soc. 9 février 2010).
Le fait qu’un courriel soit échangé entre deux salariés répond à la
présomption du caractère professionnel selon deux arrêts du
2 février 2011. Un téléacheteur en CDD est licencié pour faute
grave pour avoir, dans un courriel adressé à sa compagne, insulté
sa hiérarchie et annoncé son absence à son poste de travail l’après-
midi, alors qu’il avait fait l’objet d’une précédente sanction discipli­
naire pour absence injustifiée. Ce message devait être adressé à sa
compagne, mais a été transmis malencontreusement à une autre
employée qui l’a retransmis à d’autres employés et a ainsi été porté
à la connaissance de la direction. Ce courriel est considéré comme
en lien avec l’activité de l’entreprise, puisque échangé entre deux
employés de celle-ci, envoyé par le salarié pendant son temps de
travail et de son lieu de travail h
Le second arrêt concerne un échange de courriels provocateurs CD

entre un responsable de la sécurité d’un site commercial et sa


compagne, également salariée de l’entreprise de sécurité, découverts CD^
à l’occasion d’un audit de son ordinateur. La Cour considère que ce
courriel est en rapport avec l’activité professionnelle du salarié^.
> .
LU
ro définir une politique d ' utilisation des outils
O
(N

© INFORMATIQUES DANS L'ENTREPRISE


CT
's -
>•
Si la jurisprudence Nikon est aujourd’hui réduite au minimum, il
CL
O en reste la substantifique moelle, à savoir que les employés ont
U
droit au bureau à une vie privée résiduelle protégée par : la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales ; le Code civil (protection de la vie
“ô
LU
(D
CL
O
O 1. 2 février 2011 n° 09-72313, société Piscines Waterair.
(5 2. 2 février 2011, n° 09-72449, société Securitas.

135
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

privée au bureau) ; le Code du travail (proportionnalité entre les


restrictions à la vie privée et les besoins de lentreprise) ; le Code
pénal (secret des correspondances privées).
Pour pouvoir bénéficier du droit d’accès au disque dur des ordina­
teurs des employés ainsi qu à leurs messages, les employeurs
doivent mettre en place une charte informatique et identifier clai­
rement les périodes de travail de leurs employés.

'O

‘5

>-
LU
ro
tH

fN
O

JC
oi
>•
a.
O
U

“ô
LU
0CL
Z)
O
CD
La gestion des hommes :
source de valeur ajoutée
pour Tentreprise

Pourquoi devenir directeur financier ?


Échanges 293, décembre 2011,
dossier « Contrôle de gestion : un rôle central ? »
par Mathieu Schnebelen, chief financial officer Europe (SERA), Ingenico

Pourquoi devenir directeur financier quand on est directeur du


contrôle de gestion ? À cette question existent plusieurs réponses,
mais voici peut-être les principales. En matière de carrière, cest
assez logique. En effet, le poste de directeur financier constitue un
aboutissement de la carrière type d’un contrôleur de gestion : le
contrôleur de gestion junior devient contrôleur de gestion usine ou
CD
central, puis responsable contrôle de gestion opérationnel ou
3
industriel, pour ensuite élargir ses responsabilités en tant que C3
=3
O
>- CC3
LU
ro contrôleur financier ou directeur du contrôle de gestion de filiale. CD

T—)

fN
O Les dernières étapes sont alors assez naturellement directeur du
contrôle de gestion groupe et enfin, directeur financier.
JC
oi
> .
Dans le cadre d une évolution au sein du même groupe, les mouve­
a.
O
U
ments peuvent parfois s’accompagner d’un changement de péri­
mètre (entité, région, pays).
Au-delà de l’évolution type d’une carrière, devenir directeur finan­
~ô cier répond aussi au besoin d’évoluer au-delà des chiffres purs, des
u%u
(D reportings et analyses, afin de devenir véritablement un acteur de la
Q_
Z)
O stratégie et, par là même, d’être plus dans le business. De la
6
description ou de la projection, le contrôleur passe à la décision.

37
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

La raison principale pour changer de position, cest vouloir se


remettre en cause, se confronter à de nouveaux challenges,
apprendre, progresser et se faire de nouveau plaisir une fois le tour
de son poste effectué. Quand toutes les facettes du contrôle de
gestion sont acquises, une direction financière est le poste à cibler.

D irecteur du co n tr ô le de g e st io n
ET directeur financier ; même c o m b a t ?
Si les fonctions ne semblent pas si éloignées de prime abord, notam­
ment si le directeur du contrôle de gestion a élargi son domaine
d’intervention, il existe néanmoins des différences notables.

Le contrôleur de gestion se focalise davantage sur des documents tels


que le compte de résultat, ainsi que tous les éléments qui le constituent
(les marges, les coûts de production standards ou réels, les coûts
fixes...), le BFR avec ses indicateurs clés (le ratio de rotation du crédit
client ou la durée moyenne du crédit accordé par l’entreprise à ses
fournisseurs), les indicateurs de performance opérationnels, et parfois
le cash, les effectifs... Bien évidemment, tous ces éléments sont traités
sous l’angle budget, prévision ou reprévision et réel.

Le champ d’action du directeur financier, lui, est plus étendu. Il


s’intéresse au contrôle de gestion, mais avec une maille moins fine.
En liaison directe avec son président ou son directeur général
CO
eu or,
O suivant la forme de la société, il collabore à la définition et au
= eu eu
en financement de la stratégie. Il doit mettre en place les processus
II
LU O
d’intégration, d’optimisation ou de benchm arking des activités.
ro ^
O
(N
(U Tout en gérant le haut et le bas de bilan, y compris les probléma­
V tiques taxes payées (impôt sur les sociétés, TVA, impôts locaux) ou
sz
gi différées, il planifie les opérations de fusion et d’acquisition, ainsi
's -
>■
CL que de cession d’entités. Il intervient également dans la gouver­
O
U
nance et les normes de l’entreprise (comptes consolidés, IFRS,
audit interne et externe, processus financiers, fraudes et communi­
cation financière...), ainsi que dans les relations avec les diffé­
rentes instances de la société ou du groupe comme le conseil “ô
LU
d’administration, le comité d’audit, le comité stratégique et le 0
CL
Z)
comité d’entreprise. De fait, il est impliqué dans tous les litiges O
Ô
clients ou fournisseurs.

38
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

Lensemble de ces sujets sous-entend un élargissement du nombre


des interlocuteurs. Le directeur du contrôle de gestion groupe est
davantage centré sur l’interne, contrairement au directeur finan­
cier, plus en prise avec des intervenants externes comme les audi­
teurs, les consultants, les avocats ou les conseils.
Toutes ces tâches varient en fonction de son périmètre (unité
opérationnelle, filiale, groupe coté ou non). En effet, les étapes de
progression du contrôleur de gestion seront identiques à celles du
directeur financier. Cependant, dans le cas d’une filiale, certaines
tâches comme l’élaboration de la stratégie globale, la trésorerie ou
les fusions-acquisitions pourront être centralisées par le groupe.
Un directeur du contrôle de gestion ne bascule pas soudainement
au poste de directeur financier. Dans la plupart des cas, les respon­
sabilités s’élargissent progressivement en intégrant des tâches au-
delà du contrôle de gestion, et un jour la marche n’est plus si haute
à grimper pour prendre le poste.

C réer les o p p o r t u n it é s

Tout dépend des cultures des groupes et/ou des entreprises, mais, le
plus souvent, les changements de poste se font de manière opportu­
niste. Une attitude proactive dans sa carrière permet de clairement
indiquer son horizon à deux ou trois ans et donc de se positionner
sur le poste de directeur financier convoité. Un réseau interne ou
externe bien exploité facilitera l’accès à un poste qui se libère ou qui
se crée. Cependant, la volonté d’évoluer ne suffit pas. Comment
>-
UJ
m inciter l’entreprise ou le groupe à faire confiance au directeur du
1—I
O
r\j contrôle de gestion pour prendre un poste de directeur financier ?
Le directeur du contrôle de gestion doit être curieux et s’intéresser à
CT
's -
des domaines qui débordent du cadre normal de sa fonction. Il
>•
CL
O
pourra progressivement élargir sa palette de compétences et ainsi se
U
rendre crédible pour devenir directeur financier. Il devra se préoc­
cuper notamment de la génération du cash et de la gestion du BER,
de la fiscalité - au travers des prix de transfert, de la définition ou du
~ô déploiement de la stratégie, de la comptabilité (normes locales et, en
>-
LU
(CLD prérequis, des normes IFRS), du juridique, de l’analyse du bilan (le
Z)
O compte de résultat ou les marges ne deviennent qu’un élément d’un
6
contexte plus large), des fusions et acquisitions.

39
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Levolution vers un poste de directeur financier procède ensuite


d une alchimie complexe.
À noter que les changements de postes se font le plus souvent en
interne. Changer à la fois de poste et dentreprise nécessite en effet
d’apprendre à connaître l’entreprise tout en acquérant de nouvelles
compétences. Ce n’est pas impossible, mais cela demande un gros
effort et c’est aussi un grand pari pour l’entreprise.
Pour un directeur du contrôle de gestion, devenir directeur finan­
cier implique une curiosité et un investissement sur des sujets qu’il
maîtrise moins, mais qui sont des éléments essentiels et structu­
rants pour une vision multiangle, multiculturelle, parfois multi­
pays et donc plus globale, de l’entreprise. Il devient ainsi un
véritable acteur de la stratégie.

Être femme et professionnelle...


dans l'univers financier
Échanges n° 292, novembre 2011,
dossier « Spécial palmarès des directions financières »
par Isabelle Deprez, ESCP Europe, directrice scientifique et créatrice
du programme « Femmes & Dirigeantes »
U)
O
J 03 03
= E
03
2i
mO
ro Deux textes récents viennent compléter le dispositif légal devant
T—)
O
(M permettre l’égalité salariale et l’ascension des femmes aux postes
© d’administratrices. Tout d’abord, l’obligation de négociation en
sz
CT faveur de l’égalité hommes-femmes a été instituée par la loi du
>-
Q. 9 novembre 2010 (art. 99) - portant réforme des retraites - et le
O
U
décret du 7 juillet 2011 - relatif à la mise en œuvre des obligations
des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes. Les entreprises sont tenues d’élaborer un accord ou, à
défaut, un plan d’action en faveur de cette égalité. En cas de ~5
LU
défaillance, elles devront s’acquitter d’une pénalité sociale pouvant CD
Q_
Z)
atteindre 1 % de la masse salariale. Ce texte privilégie la voie de la O
ô
négociation. Il serait intéressant d’établir un observatoire afin de

140
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

valoriser les succès des entreprises clairement engagées... et


d'identifier les organisations dans lesquelles des progrès restent
encore à réaliser.
Ensuite est venue la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la
représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des
conseils d'administration et de surveillance, et à l'égalité profes­
sionnelle.

Le leadership des femmes


ET LA BONNE « FAÇON D'ÊTRE »
DANS L'UNIVERS FINANCIER
Courtoisie, costume gris, élégance, ton feutré : c'est dans cet
univers que se meuvent les financier(ère)s. Jusqu'au port de la
cravate, l'uniforme est de rigueur. Nul ne vous dira jamais que les
femmes sont différentes, mais quand m êm e... et c'est en explorant
le haut de la pyramide, là où s'exerce le pouvoir, que le doute vous
envahit. Faudrait-il que « de femmes, elles deviennent masles^ »
afin de pénétrer l'antre du pouvoir ?
Le secteur de la finance figure en tête des secteurs les plus féminisés
(60% de femmes), d'après le rapport 2010 du World Econom ie
Forum. Pourtant, en France, dans le secteur bancaire, alors que les
femmes ont représenté 58 % des effectifs embauchés en 2008, seules
40,5 % sont cadres. Entre « plafond de verre » et « plancher a
=s
>•
Uü collant », il ne leur est pas toujours facile de faire carrière jusqu'aux
ro 3 »
=
1—1
O instances de direction. Sans oublier que certains domaines de la CD

r\J

© finance, comme le capital investissement ou les fusions et acquisi­


CT tions (M&A), demeurent de véritables bastions masculins^.
's -
>•
CL
O
U

1. Christine de Pisan. Cette grande poétesse, née en 1365, hhésita pas à


attaquer dans ses ouvrages tous ceux qui, comme Jean de Meung, dans la
seconde partie du R om an d e la Rose, jugeaient que la femme était « folle,
“ô
LU
séductrice et coquette, et seulement destinée au plaisir de l’homme » (Le
(Q_D Point-H istoria, avril 2011).
Z)
O 2. Cet article reprend de larges extraits de « Quelle place pour les femmes dans
6
la finance ?», table ronde organisée par eFinancial Careers en mars 2010.

41
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Lunivers possède ses codes, de même que ses représentations de ce


qu est la Finance avec un grand F. « Le milieu financier est un
milieu courtois, témoigne Anne, manager en banque d’affaires, le
discours est souvent politiquement correct, mais dans les faits, on
trouve très peu de femmes, voire pas du tout dans les comités
exécutifs. » Elles exercent majoritairement dans les fonctions
support et sont presque totalement absentes des postes straté­
giques. Pourquoi ? Les femmes seraient-elles moins performantes,
moins compétitives, moins appréciées ? Les raisons sont multiples.

L’atmosphère de travail dans les salles de marché. « Si aussi peu


de femmes exercent le métier de traders^ cest que la salle de
marché, avec son côté viril et instantané, ne les attire pas vrai­
ment », indique Diane Segalen, vice chairm an, CT Partners.

Le contexte organisationnel dans les M&A. « Dans les M&A, le


vrai problème provient de la vie de famille et des contraintes
d’organisation que cela suppose : ce sont des métiers où l’on ne sait
jamais ce qui nous attend le week-end, témoigne Luce Gendry,
associée gérante, Rothschild & Cie. Personnellement, je suis
arrivée en banque d’affaires vers 40 ans, ce qui est beaucoup plus
supportable qu’à 30 ans lorsque l’on est enceinte avec deux enfants
en bas âge. »
Le culte de la disponibilité et du présentéisme serait donc encore
très prégnant dans cet univers ?
(Л 03
QJ
=

03 E
03
2i Un univers machiste ? Le secteur financier est souvent considéré
Ш O
Г0 comme conservateur et les métiers sont plutôt perçus comme
гЧ
O
ГМ
masculins. C’est en tout cas la représentation que les étudiantes
O « cibles » des banques d’investissement en ont. Selon un sondage
JZ
oi réalisé début 2010 auprès de 450 étudiantes d’Oxford University,
>•
a.
O 85 % pensent qu’elles subiraient davantage de discrimination dans
U
l’industrie des services financiers que dans n’importe quel autre
secteur. Mythe ou réalité ?

Leur manque d’ambition serait en cause ? Faux, répondent les “ô


Ш
chercheurs. Les hommes comme les femmes aspirent à gravir les Ш
CL
3
O
échelons de la hiérarchie des organisations, phénomène particuliè­
Ü
rement marquant chez les jeunes.

42
La gestion des HOAAMES : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

L’autocensure alors ? Cela se pourrait. Il nest vraiment pas facile de


correspondre au modèle du « financier » quand on est une femme.
Comment, en effet, s affirmer professionnelle de la finance tout en
restant « conforme » aux idées que vos interlocuteurs(trices) se font
des qualités dites féminines ou à fidée que Ion se fait de soi-même ?
La femme est perçue comme « relationnelle, émotive et créative ».
Les recherches en psychologie sociale ont démontré qu il s’agissait
de stéréotypes ; mais les idées reçues ont la vie dure. Les émotions
semblent être l’apanage des femmes ! Et elles ne font bien sûr pas
bon ménage avec la rigueur de la finance, encore moins avec les
fonctions stratégiques et de leadership.
Que disent les experts à propos des stéréotypes ? Qu’il s’agit de
croyances attribuées à un groupe social. Que ces représentations
sociales se forment essentiellement via la culture et l’éducation. Le
processus est inconscient. Que nous soyons hommes ou femmes,
nous associons des « attributs » à l’autre sexe... et à notre propre
sexe. Les femmes ont donc - aussi - des croyances sur elles-
mêmes.
L’attribut féminin d’excellence est « l’émotion ». La situation se
corse à l’observation car les femmes s’expriment effectivement dans
un langage de soutien, privilégiant émotions et ressenti. La réponse
serait à chercher du côté de la linguistique et de la culture.
Baignées depuis leur enfance dans cette « culture émotionnelle »,
bien acceptée par l’environnement familial et la société, les femmes
ont assimilé des rituels conversationnels qui leur sont propres et
sont souvent mal interprétés par les hommes. De là à leur attribuer
Ш
>- des compétences relationnelles et de soutien, le pas est vite CO
CD
ГО
tH franchi... Une femme, professionnelle de la finance, pourrait
O
rvj
également s’autocensurer en ayant intégré cette croyance sur elle-
0
JC
même. Cette grille de lecture, via les stéréotypes, donne un éclai­
>• rage intéressant sur ces fameuses fonctions dites « de support » -
a.
O
U
ou, devrions-nous plutôt dire, « de soutien » ? - occupées m ajori­
tairement par des femmes. Censure et autocensure ont un double
impact sur les femmes. Mais tout cela, c’était avant, avant d’avoir
“ô compris ce qu’est un stéréotype.
Ш
(CLÜ La question du leadership des femmes. Les représentations collées
O
O à la peau des femmes ne s’arrêtent pas là. Leur leadership est souvent
Ô
remis en cause. « Il y a peu de femmes directrices financières de

143
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

grands groupes », reconnaît Luce Gendry. Ne seraient-elles pas assez


fortes dans cet environnement « hostile », à moins quelles ne soient
trop émotives ? Auraient-elles un leadership potentiellement
inadapté ? En situation de pouvoir, pour les rares parvenues au
sommet, elles seraient extrêmes, voire effrayantes. Pourtant, les
recherches fondées sur Inobservation du comportement des femmes
en situation de leadership démontrent quelles exercent leur autorité
et influence comme leurs homologues masculins, en tenant compte
du contexte organisationnel. À nouveau, il est question de stéréo­
types. Dirigeante, la financière heurte la représentation communé­
ment admise autour de son sexe. Cette représentation pourrait bien
être culturelle et franco-française, s interroge Sophie Valle. Alors que
son entreprise vivait une fusion difficile, on lui a confié son premier
poste de DAF avec la totale confiance du dirigeant. Puis, elle a évolué
au sein d une autre entreprise du secteur en cumulant les fonctions
de DAF et DRH. Alors que nombre de femmes dans les entreprises
françaises mentionnent des freins à leur carrière, de nouvelles
responsabilités stratégiques lui ont été données, dont celles de porter
le développement des ventes de lentreprise et de manager des direc­
teurs régionaux - tous de sexe masculin - car « la question detre un
homme ou une femme ne se pose pas dans mon entreprise », dit-elle.

Veulent-elles vraiment du pouvoir ? Les femmes se font aussi


parfois une idée erronée du rôle de dirigeant. « Diriger est plus
facile que je ne pensais avant d’avoir eu l’occasion de me lancer »,
CO O
témoigne Diane Segalen. Le mythe du dirigeant héroïque et guer­
eu or,
= (U 03
en rier est encore très présent chez les Français, hommes ou femmes.
II
LU O Véhiculé par les médias et les managers eux-mêmes, l’imaginaire
n^
O <u autour du dirigeant fait la part belle aux héros masculins manifes­
r\J
tant un comportement viril, auxquels il est bien sûr très difficile de
sz
CT s’identifier en tant que femme. La réalité est pourtant tout autre : la
'l -

CL réussite du dirigeant repose d’abord sur sa capacité à nouer des


O
U alliances fructueuses. C’est aussi un stratège maîtrisant l’art des
symboles. Et bien plus qu’un héros au sens mythique et masculin
du terme, ce sont ces compétences qui creusent l’écart. Avis aux
amatrices ! “ô
LU
0CL
Z)
O
(5

44
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

Mutations autour de la notion


de rémunération
Échanges n° 2 8 4, mars 201 2,
dossier « Qu'est-ce que la rémunération aujourd'hui ? »
par Philippe Coursier, maître de conférences à b faculté de droit de Montpellier,
directeur du master professionnel droit de la protection sociale (DPS),
conseiller scientifique. Capstan Avocats

Pendant très longtemps, la question de la rémunération sest


cantonnée à celle du salaire de base de chaque salarié, celui-ci étant
défini dans le contrat de travail de façon spécifique ou résultant
d un renvoi contractuel à une « grille indiciaire » des qualifications
et des salaires telle que prévue par les conventions et accords
collectifs en vigueur dans l’entreprise. Les rares contentieux qui
pouvaient naître sur ce thème avaient alors deux sources princi­
pales - le respect par l’employeur du salaire minimum conven­
tionnel ou légal, et les modalités de calcul et de versement des
salaires, telles que l’octroi d’avantages en nature - , auxquelles se
greffaient à l’occasion des questions liées à la soumission de ces
éléments aux charges sociales.
Puis, sous l’impulsion principale des pouvoirs publics, largement
relayés néanmoins par les partenaires sociaux, est venu le temps de
la sophistication des modes de rémunération avec l’apparition de
mécanismes de « rémunération collective », tels que la participa­
tion ou l’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise...
>-
LU sans compter, plus tard, le large panel des systèmes d’épargne sala­ C£3
CD
ro
tH
riale... de sorte qu’aujourd’hui, il n’est plus permis de parler de la
fN
O

rém unération (au singulier), mais bien des m odes de rém unération
sz
ai (au pluriel !).
>-
Q. Ce constat est d’autant plus important que la définition première
O
U
de la rémunération renvoie nécessairement à l’idée d’une contre­
partie à la prestation de travail fournie par le salarié. Dès lors,
parvenir à déterminer la rémunération de quelqu’un, c’est accorder
~ô un « prix » (au sens de valeur) à son activité professionnelle. La
>~
LU
(QD
_
rémunération s’inscrit alors comme un outil d’évaluation des sala­
Z)
O riés les uns par rapport aux autres. Elle permet aussi de fixer les
(5 « tarifs » en vigueur sur le marché du travail et de l’emploi.

145
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Pour autant, ce nest pas - et depuis longtemps déjà - la seule fonc­


tion reconnue à la rémunération. Depuis Taccord national inter­
professionnel du 10 décembre 1977 portant sur la mensualisation
des salaires^ Tidée est passée que le salaire renvoie davantage à un
« pouvoir d’achat » (aujourd’hui un « pouvoir d’emprunt »), faisant
par là même primer, pour chaque individu, sa qualité de consom ­
m ateur sur celle de travailleur.
Là est certainement la mutation la plus importante intervenue
dans le monde du travail au cours des cinquante dernières années.
Loin des incidences de l’ère de reconstruction connues pendant les
Trente Glorieuses, loin des conséquences de l’introduction des
technologies de l’information et de la communication (qui n’ont
pas encore montré le dixième de leur impact sur le mode organisa­
tionnel et hiérarchique des entreprises), loin également derrière
l’apparition et la généralisation des systèmes de prévoyance et de
retraite complémentaire (lesquels ne constituent qu’une étape d’un
vaste processus dont les enjeux nous dépassent encore), loin enfin
derrière la libéralisation des modalités d’exercice des activités
professionnelles (prêt de main-d’œuvre, portage salarial, autoen-
trepreneuriat, bénévolat, etc.), cette matérialisation obligatoire des
salaires à travers un chèque ou un virement bancaire mensuel est
fondamentale. Dans ses effets sur le long terme, elle a largement
contribué à une forme de banalisation du phénomène du travail,
faisant de chaque salarié une sorte de « fonctionnaire » d’un vaste
système, de nature privée ou publique, à l’égard duquel il lui est
to
=
(U un
a> 0013) permis de revendiquer des droits visant à garantir sa pérennité
2 I O économique et ce, de façon déconnectée de toute idée de
lï g
ro ^ « risque », pourtant inhérente à toute activité humaine^. Il faut dire
O
IN
que la généralisation d’un système d’assurance chômage a égale­
©
ment conforté la totalité des acteurs dans ce sentiment.
CT
's -
>•
CL
O
U

1. Voir sur ce point, loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensuali­


sation et à la procédure conventionnelle.
“Ö
2. Sur ce point, il est intéressant de constater comment certains économistes LU

proposent aujourd’hui de relancer l’économie nationale par une augmen­ 0Q_


Z)
tation des salaires... là encore de façon totalement déconnectée de l’idée O
d’une « valeur travail ». CD

46
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

Il faudra la survenance de certains scandales dans les années 2000, liés


à des sommes faramineuses octroyées à des sportifs de haut niveau ou
attribuées à certains grands dirigeants de société, sous la forme de
« primes de risques ou de résultats », de « parachutes dorés » ou
encore de « stock-options », pour que ressurgisse Fidée d une néces­
saire et juste relation entre le salaire et les tâches accomplies par Finté-
ressé. Dans certains cas, au regard des activités réalisées, voire des
résultats obtenus dans les fonctions ou le poste, le bénéficiaire de telles
sommes d’argent se voit alors contester sa légitimité à les percevoir...
de sorte qu aujourd’hui, une question s’impose : que reste-t-il de la
notion de rémunération ?

Les m u tatio n s présentes

Par-delà les événements exposés ci-dessus, deux autres phéno­


mènes conjugués ont largement contribué à remettre en cause la
conception classique de la rémunération, à savoir le dépassement
de la notion de rémunération individuelle en droit du travail en
même temps que la remise en cause de la notion même de rémuné­
ration en droit de la sécurité sociale.

Le dépassement progressif de la notion de « rémunération indi­


viduelle » en droit du travail. Dès 1945, Fidée est avancée qu’à
côté des modes de rémunération individuelle, doivent cohabiter
des systèmes de rémunération collective visant à conforter
CD
l’économie des entreprises françaises tout en fédérant la collectivité 3

>- des salariés autour d’objectifs et de résultats communs. Devant le


LU
ro succès progressivement rencontré par ces systèmes, leur présence a
tH

fN
O
été accentuée dans les entreprises, sous le regard bienveillant des
pouvoirs publics venus accompagner ces nouveaux modes de
Ol rémunération de régimes sociaux et fiscaux particulièrement avan­
> .
Q.
O
tageux. Plus tard est née Fidée que l’entreprise pourrait être aussi
U
un lieu permettant la constitution d’une épargne salariale^ et ce,
avec l’aide de l’employeur. Si, dans un premier temps, l’épargne
= salariale ainsi imaginée s’est inscrite dans le droit fil des m éca­

LUI
nismes précédents, elle est très vite devenue, dans un second
(D
CL
Z)
O
Ô 1. Voir par exemple, Alain Sauret, L'épargne sala riale : JC P E 2001, p. 552.

47
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

temps, un moyen de constitution d’une épargne en vue de la


retraite des salariés^.
Bien entendu, il faut se féliciter de la création de tels outils à l’avan­
tage des entreprises. Ces mécanismes de rémunération collective ont
joué un rôle important non seulement dans le soutien économique
des activités de celles-ci (et donc de l’emploi !), mais aussi dans la
réalisation par les salariés de certains projets financièrement lourds
(immobilier, voiture, création d’entreprise, etc.). Ils ont pu aussi
constituer le moyen de fidéliser leurs collaborateurs, lesquels ayant
bien du mal à imaginer leur départ d’une telle « bulle » protectrice.
Pourtant, il est nécessaire de s’interroger dans le même temps sur
les effets à long terme de la multiplication de telles politiques
sociales qui, si elles contribuent à renforcer chez les salariés le
sentiment d’appartenance à la collectivité que constitue l’entreprise
ou le groupe, sont également contre-productives.
En effet, leur présence ne manque pas de générer un clivage diffici­
lement acceptable, pourtant très facilement compréhensible, entre
les salariés qui bénéficient de tels systèmes sociaux et ceux qui en
sont exclus du fait de leur appartenance à une structure entrepre­
neuriale trop étroite. À « travail égal », les salariés peuvent aisé­
ment constater des différences de protection selon l’employeur ou
le secteur professionnel qui est le leur. Est alors sournoisement
introduite l’idée d’une forme d’inégalité de rémunération.
Mais, même à l’intérieur d’une entreprise ou d’un groupe, les salariés
U) peuvent mal vivre la présence de tels modes de rémunération. Tel est
=OJ t/»O

as E03
2 i le cas, par exemple, lorsque la présence de primes d’intéressement ne
mO
ro permet pas le développement de modes de récompense en fonction
r- i

fM
O
de résultats individualisés. Il peut en naître auprès de certains sala-
©
JZ
ai
> .
a. 1. Voir le titre V de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des
O
U retraites (/O 22 août, p. 14310), consacré aux dispositions relatives à
lépargne retraite et aux institutions de retraite supplémentaire, et circulaire
ministérielle 14 septembre 2005 relative à l’épargne salariale (/O
1^^ novembre, p. 17179 ; JC P S, 2006, 1409, n° 24, p. 41). - Philippe Martin,
“ô
Épargne salariale et retraite : les avatars de la protection sociale d ’e ntreprise LU
en Europe : Droit social, 2003, p. 202. - N. Cuzacq, Lepargne salariale à long 0CL
Z)
term e est-elle un support a d ap té au fin an cem en t de la retraite ? : JC P E, O
CD
2002,1, 1163, p. 1276.

148
La gestion des hommes ; SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

riés un réel sentiment d’injustice, lequel peut alors faire place à un


sentiment de découragement, de démotivation, voire d'écœurement.

La remise en cause de la notion de « rémunération » en droit de la


sécurité sociale. Au fil du temps et de ses réformes, le droit de la sécu­
rité sociale a, lui aussi, contribué à opacifier la notion de rémunéra­
tion. À l’origine, c’est sur cette notion que repose celle de l’assiette des
cotisations du régime général de sécurité sociale, telle que définie
aujourd'hui à l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale.
D’ailleurs, à cette époque, le texte ne compte que deux alinéas : le
premier englobe tous les éléments de salaire perçus par le salarié, y
compris dans ses formes aussi variées que des primes, des avantages
en nature, des pourboires et d’autres avantages consentis par des tiers
en raison du travail ; le second exclut, à l’inverse et sous certaines
conditions, les remboursements dus par l’employeur au titre des frais
professionnels et d’atelier.
Or, au gré de nombreuses modifications apportées par le législa­
teur, la logique initialement portée par le texte a complètement
disparu.
Ainsi, les indemnités de licenciement étaient initialement exclues de
l’assiette des cotisations sociales. Était ainsi véhiculée l’idée que ces
sommes, visant à compenser auprès du salarié les conséquences
dommageables de son licenciement, avaient un caractère indemni­
taire. Par des réformes successives, ces compensations sont progres­
sivement entrées dans l’assiette des cotisations jusqu’à ce
qu’aujourd’hui, seul un « socle indemnitaire minimum » soit défini à
>-
l’article 80 duodecies du Code général des impôts comme étant exclu
CC3
LU
ro des charges sociales et des impôts. Elles sont par ailleurs soumises à CD

T—) CD

fN
O la CSG et à la CRDS. Est-ce à dire que les indemnités constituent, par
O nature, une rémunération différée dont le principe est d’être assujetti
JZ
oi aux charges publiques ? Il est permis de le penser. De même, les
>•
a.
O
sommes à caractère indemnitaire dégagées par l’entreprise au béné­
U
fice de salariés ayant à souffrir d’une réorganisation de celle-ci ou de
difficultés économiques rencontrées par elle étaient traditionnelle­
ment considérées par la cour de cassation comme revêtant un carac­
=
“ô tère de dommages-intérêts. Or, à l’occasion de discussions relatives à
UJ
(CLD des indemnités compensatrices visant à sauvegarder des emplois
Z)
O dans le cadre du « passage aux 35 heures », le législateur est inter­
Ô
venu pour modifier le régime de telles indemnités et les soumettre

49
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

désormais à charges sociales... est-ce pour autant des sommes accor­


dées en contrepartie d un travail ? Une réponse négative s’impose
dans la mesure où leur objet est précisément de compenser la perte
de rémunération correspondante à des heures de travail perdues. Ici,
le Code de la Sécurité sociale fait montre d une logique toute diffé­
rente de celle qui a prévalu à la création de l’article L. 242 1 du Code
de la Sécurité sociale. Cette démarche s’inscrit dans un vaste courant
-jurisprudentiel et législatif- visant aujourd’hui à ne laisser
échapper qu’un minimum de sommes aux charges sociales.
Si le bénéfice (réel) d’une telle politique reste à démontrer sur le
redressement des comptes de la Sécurité sociale, il ne fait aucun
doute qu’il produit des effets dévastateurs en matière de lisibilité
des éléments constitutifs de la rémunération. Il faut même
admettre que sur ce point, le Code de la Sécurité sociale n’est plus
d’aucune utilité. Il serait même facteur d’égarements.

Les m u tatio n s pressenties

Devant ce constat, il y a deux façons d’imaginer l’avenir : ne rien


faire et laisser se poursuivre le mouvement dénoncé ici... ou agir,
en s’emparant de ces questions et en procédant à quelques ajuste­
ments. Selon la branche de l’option choisie, sont au rendez-vous
des mutations non souhaitables ou des mutations souhaitables.

Les mutations non souhaitables. Ne rien faire, c’est laisser


eOJn O s’installer les mutations déjà intervenues et en voir arriver d’autres
=
t/»
eu E
03
encore moins souhaitables. Aujourd’hui reprise dans le nouveau
2 i
mO Code du travail, la règle d’origine jurisprudentielle « à travail égal,
ro
r -i
E
O
rM
« salaire égal » n’a pas fini de produire des effets dévastateurs dans les
entreprises et ce, parce que la notion de « salaire » n’est pas définie.
JZ
ai Précisément, ce sont les contentieux élevés par des salariés en reven­
> .
a. dication de cette règle qui conduit la cour de cassation à définir au
O
U fur et à mesure le champ d’application matériel quelle entend lui
donner. Ainsi, au gré de ses décisions, la règle s’est vue appliquée à
des systèmes de « primes », puis à des avantages collectifs de tickets-
repas qui étaient réservés à une catégorie objective du personnel, “ô
LU
avant de se voir invoquée dans des domaines plus inattendus. CD
Q_
Z3
À défaut de définition solide et claire de la « rémunération », ce sont O
6
tous les avantages collectifs dérivés des conventions et accords

150
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

collectifs qu il faudra intégrer, à terme, dans le champ de la règle « à


travail égal, salaire égal ». De ce fait, cest alors tout ledifice conven­
tionnel collectif qui va seffondrer. À vouloir généraliser tous les
avantages collectifs à la totalité des salariés de l’entreprise, les entre­
prises n auront pas d’autre choix que de tenter d’y mettre un terme
en les dénonçant.
De même, ne faudra-t-il pas intégrer dans le champ de cette règle le
bénéfice des régimes d’assurance collective d’entreprise - de
prévoyance et de retraite - pour lesquels de subtils calculs actuariels
portant sur la (ou les) catégorie(s) de salariés bénéficiaires ont été
réalisés ? À ne pas vouloir admettre la spécificité des régimes de
protection sociale complémentaire (PSC), en les assimilant purement
et simplement à des éléments de rémunération, c’est tout l’équilibre
économique de ces régimes qui va se trouver modifié par l’interven­
tion de la règle « à travail égal, salaire égal »... conduisant certaine­
ment les employeurs à les réduire ou à les fermer. Le réflexe de
l’employeur sera d’autant plus favorable à cette issue que, d’une part,
les enjeux financiers attachés à ces systèmes de PSC sont importants
et que, d’autre part, il n’existe pas, selon la cour de cassation et le
Conseil constitutionnel, de « droits acquis » en la matière.
Les mutations souhaitables. À l’inverse, il est permis d’imaginer
que l'on peut agir en provoquant un certain nombre de réflexions
ou de discussions sur le sujet.
b La première mutation souhaitable est purement technique. Elle
vise à mieux définir la notion de rémunération ainsi que le régime
qui lui est applicable, en procédant à trois éclaircissements majeurs.
>. b La deuxième mutation s’attache au droit de la Sécurité sociale CO O
Ш CD 5
afin que celui-ci s’inscrive dans le droit fil des solutions adoptées
rvj
O
en droit du travail et en conformité avec les pratiques de l’entre­
O prise. Ainsi, il conviendrait de définir de façon plus précise les
JZ
ai conditions dans lesquelles certains éléments de rémunération
> .
a.
O
collective bénéficient d’un régime social de faveur, à l’inverse des
U
éléments de rémunération individuelle qui doivent toujours être
soumis à charges sociales.

b Aujourd’hui, il n’est pas normal qu’à l’occasion d’un contrôle
“ô Urssaf, une entreprise soit prise « à contre-pied » par une nouvelle
Ш
(CLÜ jurisprudence de la cour de cassation, venue interpréter des textes
O imprécis du Code de la Sécurité sociale, en faveur de l’institution
Ü
chargée du recouvrement.

151
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Il faudrait sans doute imaginer Tintroduction dun principe de


« bonne foi du cotisant » qui viserait à le dédouaner d une mauvaise
interprétation des textes par l’entreprise lorsque ceux-ci, première­
ment, se rapportent à des modes de rémunération collective et,
deuxièmement, que lerreur d’interprétation commise ne résulte
non pas d’une mauvaise application d’un texte - légal ou réglemen­
taire - clair, mais d’un ajout ou d’une précision apportée par les
tribunaux sur la base d’un texte peu clair ou sujet à interprétation.
Sans doute, de telles « règles du jeu » en matière de contrôle
Urssaf viendraient-elles non seulement renforcer les droits des
cotisants, mais aussi inscrire les activités de l’entreprise dans une
plus grande sécurité juridique. La notion de rémunération s’en
trouverait de ce fait renforcée.
La troisième et dernière mutation est d’une ambition plus grande
encore. Elle vise à inviter les partenaires sociaux et le législateur à
modifier leur regard sur la situation rencontrée par le salarié à
l’occasion de la rupture de son contrat de travail et, par voie de
conséquence, à changer le régime juridique qui l’accompagne. En
effet, s’il ne fait aucun doute qu’une partie des indemnités de licen­
ciement ou de mise à la retraite qui sont versées à cette occasion
revêtent un caractère indemnitaire, il faut également admettre
qu’une autre partie, calculée le plus souvent en fonction de
l’ancienneté totalisée par l’intéressé, s’assimile davantage à un
salaire différé ou à une gratification pour «bons et loyaux
services ». C’est d’ailleurs ce qui justifie, pour une grande part, la
(U
tendance manifestée depuis une dizaine d’années par le droit fiscal
>-
03
U

et le droit de la Sécurité sociale en faveur d’un assujettissement de


LU
ro ces sommes. Dans le même temps, les règles relatives à l’assurance
O
r\J <u
chômage se montrent insuffisamment protectrices pour que l’on
sz
envisage une sortie du contrat sans indemnités. Aussi, convient-il
CT
'l - sans doute d’imaginer un autre système et ce, en s’appuyant par
CL

U
O exemple sur les techniques du droit de la protection socialef En
effet, pourquoi ne pas imaginer remplacer la totalité des indem­
nités de licenciement prévues par la loi ainsi que par les conven­
tions et accords collectifs de travail, par un système de prestations
“ô
LU
0CL
Z)
1. Voir déjà, en ce sens, Philippe Coursier, Enjeux et m utations en m atière O
d e chôm age ou la « flex isécu rité sociale » : JC P S, 2010, 1323. (5

52
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

dassurance chôm age com plémentaire auquel adhérerait la totalité


des entreprises en France ? En le faisant, la dette comptabilisée
dans les entreprises pour la rupture à venir des contrats de travail
de leurs collaborateurs (en matière d’indemnités diverses) se trou­
verait remplacée par une obligation de cotisations à un régime
d’assurance chômage complémentaire dont le taux et les modalités
pourraient - comme en matière de risques professionnels -
différer selon le risque encouru en la matière par chaque entre­
prise. De même, en imaginant conférer aux futurs chômeurs une
couverture d’assurance décente, c’est-à-dire suffisamment confor­
table pour que leur capacité de gain ne soit pas économiquement
trop affectée, il est permis d’imaginer de voir modifiées - par le
législateur - les règles relatives à la rupture du contrat de travail.
Même si la perte de l’emploi sera toujours pénalisante pour un
travailleur, le fait de lui conserver sa « capacité économique »
devrait permettre de désamorcer le (trop) grand nombre de
contentieux se rapportant à la rupture du contrat de travail. Il
serait également permis de rattacher les salariés ainsi indemnisés
au régime de prévoyance en vigueur dans l’entreprise, réglant du
même coup la question de la portabilité des droits en la matière.

Dilemme pour le DRH : augmentation O 3


>• CC3 =
LU
générale ou individualisée ? =
3 «
CD
O
(N

Publié le 25 novembre 201 1 sur te Blog du Directeur Financier


CT
par François Meunier, président du comité éditorial
>•
Q.
O
du Blog du Directeur Financier, ancien président de la DFCG, économiste
U

La saison des négociations salariales s’ouvre dans les entreprises. Et


=
~ô revient le classique de tous les DRH : faut-il des AG (augmenta­
%
LU
(Q_
D tions générales dans le jargon, par lesquelles les salaires de tous
Z)
O progressent d’un pourcentage commun) ou des AI (augmentations
Ô
individuelles) ?

153
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Les rôles sont ancrés depuis longtemps dans la culture sociale du


pays : les représentants du personnel, suivant une constante
demande syndicale, demandent des AG ; le management, lui,
préfère des AL Une sorte de point médian est le plus souvent
atteint, mais la tendance est clairement, depuis deux décennies, à
un accroissement de Lindividualisation (et concomitamment de la
progression du système des salaires variables et bonus).
Du côté syndical, il y a la motivation ancienne de ne pas laisser la
main au management ou au « patron » dans la fixation individuelle
du salaire, afin de ne pas diviser la force de travail et lui donner
plus de poids dans la négociation. Il y a le souci, par équité, de
limiter les effets d’aubaine, par exemple du salarié placé à un poste
à forte productivité plutôt qu à basse productivité et substituable.
Du côté patronal, il y a, outre lenjeu de pouvoir que stigmatisent
les syndicats, la volonté d une gestion plus individualisée de la
main-d’œuvre, permettant de récompenser ceux que le manage­
ment juge les meilleurs et d’éviter l’aléa moral dans l’attitude au
travail (dit vulgairement, les tire-au-flanc). L’exercice d’augmenta­
tion est souvent couplé d’« entretiens individuels » permettant un
meilleur dialogue avec le salarié. Il y a aussi un souci d’équité, mais
dans un sens différent : les ajustements de salaire permettent de ne
pas figer des effets d’aubaine ou de déveine dans la structure de
rémunération, permettant par exemple de corriger sur la durée le
salaire de ceux des salariés entrés dans l’entreprise à un salaire trop
in CL>
bas ou trop haut.
=(U a s
(/1

2i 03
03
Les deux logiques ont leur justification. Un système reposant exclu­
¿r I O sivement sur l’AG fige la structure des salaires et donne donc un
ro ^
T—i
O
fM
03 poids excessif à l’instrument de la promotion pour récompenser la
performance. Il crée à terme des problèmes d’employabilité pour les
JC
salariés âgés quand ils ont bénéficié durant leur vie professionnelle
>•
a. d’augmentations collectives : en fin de carrière, les voici parfois à
O
U
des niveaux de salaire très décalés par rapport à leur productivité,
notamment en comparaison de leurs collègues plus jeunes, avec le
risque de mise à l’écart, d’absence de mobilité, voire à un certain _0)

point de perte d’emploi si le simple remplacement par un jeune ~ô


LU
apporte à la fois des coûts moindres et une productivité meilleure. Il CD
Q_
Z)
comporte une forme d’iniquité si les AG sont définies au niveau de O
ô
la seule entreprise : on récompense les salariés des entreprises

154
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

performantes, au détriment des salariés, tout aussi méritants et


performants, dentreprises moins favorablement placées dans la
concurrence (ce pourquoi d'ailleurs, les syndicats préfèrent des AG
décidées au niveau de la branche d'activité ou même nationale­
ment, comme on le voit avec le soutien qu'ils apportent à la législa­
tion du Smic en France ou aux minimums fixés par conventions de
branche).
Mais les managements négligent trop souvent les défauts d'une
approche exclusivement individualisée. Cela revient à nier
l'élément collectif dans la motivation au travail, de même que la
pression du groupe pour éviter les comportements déviants
d'éventuels tire-au-flanc. Jusqu’à récemment, le Japon présentait le
cas d'un pacte social entre les générations de salariés et l'entreprise
par lequel on payait essentiellement à l'ancienneté (c’est-à-dire par
AG), avec le contrat implicite que les jeunes, s'ils étaient désavan­
tagés aujourd'hui sur le seul critère de leur productivité immédiate,
seraient seniors demain et donc à leur tour favorisés. La motiva­
tion salariale peut y être plus grande. On retrouve la discussion
déjà conduite dans ce Blog sur le niveau réel d'incitation qu'appor­
tent les rémunérations variables et sur l'immense difficulté de
distinguer l'apport du groupe et celui de l'individu dans l'apprécia­
tion de la performance (voir « Faut-il même des bonus ? Incita­
tions, comportement au travail et éthique », du 2 novembre 2009).
Preuve de la gêne qu'introduit un excès d'individualisation, les AI
sont souvent peu discriminantes : la DRH fixe à tous les managers
O
>-
LU
un budget de 1,5% pour chacune de leurs directions, libres à eux CC3
CD

de le distribuer en dessous selon leur appréciation. À l'arrivée, 3CD


fN
O

surprise ! la distribution est étonnamment égalitaire, par exemple


0
JZ
ai de 1,2% à 1,8% entre les moins et les mieux augmentés, comme si
> .
a.
le manager, pourtant acquis à la culture de la performance, répu­
O
U gnait à introduire des distorsions dans ses propres équipes. Les
stratégies de contournement sont malaisées : la DRH rétorque en
imposant que les AI ne concernent qu'une partie du personnel
“ô pour forcer la discrimination, mais concède dans le même temps
O
LU
(Q_
D un certain niveau d'AG pour limiter les protestations. En fin de
Z)
O compte, le résultat n'est pas forcément très éloigné de la configura­
Ô
tion spontanée entre 1,2% et 1,8%.

155
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Qu en conclure pratiquement ? Il est probable quen période de


fortes mutations industrielles, quelles viennent de Tinnovation
technique ou de la mondialisation, le modèle AI est plus perfor­
mant. Son coût en matière de perte desprit collectif est effacé par
le gain de flexibilité qu il donne aux entreprises dans un contexte
extrêmement mouvant. En revanche, les périodes plus stables de
croissance régulière, comme celle que nous avons connue en
Europe dans le rattrapage d’après-guerre, sont propices à une
marche plus uniforme des salaires.
Nous vivons sans nul doute une époque de forte mutation. S’ajoute
pour la France, comme pour d’autres pays connaissant un vieillis­
sement de leur population active, la question des travailleurs
seniors. Le recul de l’âge de départ en retraite largement
programmé pour les années à venir milite fortement pour
renforcer, au moins pendant la transition démographique, le
modèle d’AI. Cela pour le m otif d’employabilité évoqué plus haut.
Les grandes entreprises japonaises acceptaient le salaire à l’ancien­
neté et l’emploi à vie ; mais le système s’accommodait de départs en
retraite très tôt dans la vie des salariés ce qui permettait de ne pas
poser la question de la rémunération des seniors.
Il est difficile en même temps de se cacher que cette individualisa­
tion, poursuivie année après année au nom du principe d’efficacité,
a contribué à étirer à l’extrême l’échelle des salaires. L’écart de
rémunération, non seulement entre les dirigeants et le salarié du
rang, mais d’un échelon à l’autre de la progression hiérarchique, a
O
E
03
rarement été aussi grand dans l’histoire du capitalisme. C’est patent
>■
LU
dans les secteurs d’activité, tels que le secteur financier, où sévit la
n
T—I culture de la rémunération individuelle. Le DRH vise l’intérêt de
r\J
O

son entreprise, mais s’interroge alors, en tant que citoyen, sur les
JC
dommages de telles distorsions dans une société démocratique et
oi
>• ouverte. Difficile métier !
a.
O
U


LU
CD
Q_
3
O
ô

15Ö
La gestion des HOAAMES : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

De la responsabilité des coûts salariaux


dans la perte de compétitivité française
Publié le 25 février 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Daniel Bacqueroët, ancien président de la DFCG, membre du comité
éditorial du Blog du Directeur Financier, directeur général finances, Brink's

Ces derniers temps, tout le débat sur les déficiences de la compétiti­


vité de la France au sein de FUnion européenne tourne principale­
ment autour de la différence des coûts salariaux entre la France et
l’Allemagne. Nous avons dans l’Hexagone, c’est un fait établi par
différentes études (notamment Rexecode), des coûts salariaux
environ 10% plus forts que ceux de notre voisin d’outre-Rhin. Mais,
une fois ce constat établi, comment réagissent nos entreprises ?
Et, en particulier, que font nos grands groupes, quelle est leur stra­
tégie d’adaptation, quelles sont les idées nouvelles ? Y en a-t-il
seulement ?

Certains membres éminents du Blog DFCG soutiendront que la


productivité horaire française, plus élevée qu’en Allemagne ou que
dans d’autres pays européens, encore faudrait-il mesurer en
productivité annuelle, compenserait partiellement des coûts sala­
riaux significativement plus forts. Or on constate, chiffres à
l’appui, que le déficit de compétitivité dû à des coûts salariaux
élevés a également joué en défaveur de la majorité des autres pays
>- européens. Pourtant, certains de ces pays (au Nord par exemple) C£3
LU CD
ro
tH
affichent de beaux taux de croissance, y compris dans l’industrie.
fN
O

O Le débat n’est pas là. Le coût des salaires est l’arbre (certes impo­
JC sant) qui masque la forêt.
>•
a. Rappelons-nous que dans un passé récent, soit en février 2010, le
O
U
nouveau patron d’EDF, peu de temps après sa nomination, a décidé
d’augmenter ses salariés de 4,4 % ! pour s’assurer... la paix sociale.
Ce qui laisse à penser que les coûts salariaux ne sont pas un tel
“Ö problème, pour ce géant pourtant aujourd’hui en situation de
LU
(CLÜ concurrence internationale. Quelle était donc l’idée magique ? Très
O
O simple: augmenter ensuite les prix de l’électricité... payée par
(5 l’ensemble des « autres » (citoyens, entreprises), non-salariés d’EDF

157
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

(les salariés du groupe bénéficiant de tarifs très différents...). Lumi­


neux, vous dis-je ! Épiphénomène, peut-être, s agissant d une entre­
prise privatisée sous contrôle de l’État, dans laquelle les syndicats
sont puissants. Il n’empêche qu’on ne voit pas, avec cette décision,
qui s est réellement inquiété des conséquences sur la compétitivité de
l’entreprise... Plus grave encore, personne ne semble s’être interrogé,
encore moins avoir réagi, sur l’impact pour nos PME, dont on se
demande dès lors comment elles peuvent non seulement améliorer
leur propre compétitivité avec de telles augmentations tarifaires,
mais encore concilier... pressions sur leurs coûts avec, par exemple,
des augmentations de salaire pour leurs propres collaborateurs. Or,
l’exemple vient toujours d’en haut...

On peut aussi s’interroger sur les choix de politique industrielle du


pays, notamment dans les grands groupes, une fois écarté l’argu­
ment de l’euro fort, qui gêne les entreprises françaises, mais pas
tellement les allemandes...
Ainsi, du secteur automobile : tandis que les constructeurs auto­
mobiles français tirent une partie significative de leurs résultats du
segment des voitures low cost, fabriquées majoritairement hors de
France - mais dont on se doute qu’il est aussi « low marges » - , et
restent bien timides, voire abandonnent le segment du haut de
gamme à Audi, Mercedes, BM W ..., les Allemands, eux, engran­
gent les marges, et les profits. S’il est de bonne tactique de saisir les
opportunités sur les marchés émergents, qui voient poindre ou se
U) V, CL> développer une classe moyenne, ne serait-il pas plus judicieux
(U
= CU
eu d’offrir des produits... dont les marges couvriraient plus aisément
- i Oï
mO nos coûts salariaux élevés ? Quelle sera l’efficacité/la pertinence de
ro ^ E
rH
O cette stratégie à plus long terme, quand les constructeurs chinois
fM «
ou indiens inonderont l’Europe de voitures à très bas coûts (car ils
gi y arriveront, évidemment) ? Les ratios d’investissement en R&D de
> .
CL
ce secteur, analysés sur une longue période, ne laissent pas le choix
O
U de la conclusion : les Allemands, eux, ont surtout fait le choix de
l’innovation réelle et de la qualité, les Français, non, ou beaucoup
moins.
On pourrait aussi décliner la démonstration sur le secteur de
LU
l’aviation, ou sur le nucléaire : Airbus est innovant et sophistiqué, CD
CL
Z)
mais il a déjà transféré une partie de cette technologie aux acteurs O
Ô
à bas coûts... qui d’ailleurs n’ont peut-être pas besoin, aujourd’hui.

158
La gestion des hommes : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

dune telle sophistication... et qui bientôt produiront eux-mêmes


des avions ou des centrales peu chères - cest déjà le cas avec les
trains à grande vitesse.
Ces secteurs devraient maintenant être engagés dans une course
sans fin à l’innovation, avec un niveau de qualité très élevé, ou une
différentiation significative des produits par la valeur ajoutée ou la
valeur perçue - sous peine d’aboutir à la situation de certaines
industries, comme celles du textile ou du jou et...

D’autres entreprises réussissent à innover (l’électroménager par


exemple), mais restent sur des créneaux qualitatifs incertains, pour
des raisons de coûts de production, ou à cause d’un mauvais posi­
tionnement marketing : manque d’audace, de vision, de vraie créa­
tivité, approche de qualité m édiocre...
Or, il est un fait que, depuis une trentaine d’années, l’Allemagne a
clairement fait le choix d’une politique industrielle tournée vers la
qualité, l’innovation, le haut de gamme, dans nombre de secteurs.
Ses entreprises ont de ce fait une élasticité sur leurs prix, vers le
haut, qui leur permet de mieux supporter des coûts élevés (par
rapport à ceux des pays émergents), tout en maintenant des ratios
d’investissement plus performants.

L’Europe, et en particulier la France, ne pourra jamais atteindre des


coûts salariaux aussi bas que ceux de nos principaux concurrents
non européens : le Cambodge a augmenté le salaire mensuel
minimum de 50 à 61 dollars (22% ), après plusieurs jours de grève
> . en septembre 2010 (la demande des syndicats était fixée à С£Э =
Ш
ГО
T—)
93 dollars). Le salaire minimum au Bangladesh est de 44 dollars, en = «

rvj
O
Chine de 88 dollars. À Hong-Kong, ville du capitalisme par excel­
O lence, pour la première fois, un salaire horaire minimum a été fixé
JC

le 7 janvier 2011 à 4,70 dollars ! 315 000 personnes seraient concer­


> .
a.
O nées et officieusement, cela aurait pour conséquence la perte de
U
plusieurs dizaines de milliers d’emplois.

Avec de telles différences dans les niveaux de salaire, toute poli­


“Ö tique industrielle européenne low cost semble donc vouée à l’échec,
Ш
(D
Q_
à court-moyen terme. 11 y aura toujours moins cher quelque part
Z)
O ailleurs dans le monde : ainsi, le coût de la main-d’œuvre de l’île
ô
Maurice (entre 15 et 20 euros par semaine pour les emplois non

59
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

qualifiés) ayant été jugé trop élevé, avec l’instauration d’un salaire
minimum, l’essentiel des investissements dans le textile est aussitôt
parti à Madagascar ou au Bangladesh... Qui plus est, ces bas
salaires s’accompagnent de charges sociales faibles, car ces pays
offrent peu de couverture sociale. Ce dernier point explique
d’ailleurs la forte propension des salariés chinois à faire des écono­
mies pour des jours plus difficiles (maladie, retraite, chôm age...).
Notons au passage que cette épargne constituera une énorme
réserve de consommation, prête à être utilisée, dès que la couver­
ture sociale s’améliorera, ce qui se fera dans un temps indéterminé,
mais certain.

On peut aussi légitimement oser penser que le diktat du profit à


court terme en Europe, voire du « low profit » à court terme, basé
sur des volumes de low cost, impacte négativement les perfor­
mances de nos entreprises, et compromet leur compétitivité, aussi
sûrement que des coûts salariaux élevés. Ces choix stratégiques
(court terme, « coups marketing » répétés, négligence sur la qualité
et l’innovation, absence de réelle vision à long terme, manque
d’audace et de leadership...), de la part de dirigeants parfois plus
gestionnaires que réels patrons tournés vers la croissance à long
terme, contribuent eux aussi à détruire nos industries et les
emplois qui s’y rattachent.
Et les syndicats ne sont pas toujours en reste, qui ont déjà montré,
et cela assez récemment encore d’ailleurs, qu’ils ne s’intéressaient
U) qu’à des « victoires » sociales elles aussi « court-termistes », sans
=OJ t/»O

as 03 avoir de réelle vision de leur entreprise, ni de souci de sa pérennité


2 i en
mO - au risque même, dans certains cas, d’en faire trembler les bases...
ro
r -i
E
O «
fM
Mais le changement est possible : question d’éthique, de courage,
O
JZ
de volonté de se remettre en cause, de vision.
ai
> .
a.
O
Certaines grandes entreprises l’ont fait : par exemple Danone (dont
U
le patron fut le seul, au moment de la crise, à oser dire ouverte­
ment que l’obsession du profit à court terme ne pouvait pas durer
encore très longtemps, et devenait insoutenable), Essilor, qui ont _0)

su allier une vision industrielle sur le long terme avec une rentabi­ “Ö
LU
lité présente à court term e... Ces entreprises n’ont ainsi pas perdu CD
Q_
Z)
de vue des éléments essentiels, cruciaux, du développement d’une O
ô
entreprise : une vision à long terme, une compréhension des évolu-

160
La gestion des hommes ; SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

tions lourdes, une capacité d’anticipation et d’adaptation des


tendances, une innovation permanente, un excellent marketing,
un souci permanent de la qualité réelle de leurs produits, une
gestion des ressources humaines cohérente avec la vision de
l’entreprise. Reste donc aussi, pour nombre d’entreprises, à
restaurer un contrat social équilibré entre toutes les forces et
parties prenantes de l’entreprise...

L’Allemagne réunifiée a dû choisir le long terme pour se reconstruire


et se redévelopper.
Elle a fait le choix du haut de gamme industriel, et personne
aujourd’hui n’aurait l’idée de remettre en cause la qualité ou le réel
niveau d’innovation d’un produit estampillé « m ad e in G erm any ».
Les syndicats allemands, quant à eux, ont très rapidement compris
la complexité des équations économiques et sociales, et ont su
trouver le chemin de la négociation avec le patronat et le gouverne­
ment - une collaboration triangulaire visiblement gagnante - ,
dans une logique de concertation, de discussion, de compromis (et
non de rapports de force et de conflits permanents et établis
comme principes). Il faut ainsi noter que beaucoup d’entreprises
allemandes (les dirigeants s’y étant d’ailleurs officiellement
engagés devant le gouvernement), pendant la crise, ont, eux,
repoussé au plus tard possible tout plan de licenciement, pour
garder les compétences internes, afin de se préparer à toute reprise
économique future...

De ces quelques points d’analyse, on peut dès lors conclure que


>- considérer le coût du travail en France, et notamment dans des
LU
entreprises ayant déjà beaucoup licencié - dont on peut penser
O
fN
J qu’elles ne sont plus, vraiment plus en sureffectif ! - comme étant
l’unique cause de perte de compétitivité constitue, à tout le moins,
gi une vision réductrice sinon partiellement erronée de la probléma­
>>
Q.
O tique de la compétitivité de nos entreprises.
U

“ô
LU
(CLÜ
D
O
(5

61
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Savoir décider dans l'urgence


Échanges n° 288, juin 201 1, dossier « Supply chain, quoi de neuf ? »
par Roso Rossignol, associée fondatrice. Carnet d'adresses RH

Dans un environnement de travail de plus en plus complexe et


tendu, le temps constitue un facteur clé. Les managers le savent
bien. Ils sont les premiers concernés car leurs décisions, époque
oblige, se prennent de plus en plus dans Finstantanéité.
Les rythmes de travail se sont accélérés depuis une dizaine
d’années. Et ils continueront d’aller toujours plus vite ! Quelles en
sont les raisons ? Le développement de la technologie, entre autres
motifs. Smartphone, courriels et autres moyens de communication
font une intrusion permanente dans nos activités. Les réponses
sont attendues en temps réel. Le temps de la réflexion se raccourcit
ou est purement et simplement supprimé. Nos activités se super­
posent dans la simultanéité. Plusieurs dossiers, chantiers, projets
s’additionnent. Tous demandent un traitement particulier et tous,
par définition, sont prioritaires. Le « hic » étant de hiérarchiser ces
priorités. Le rythme des journées est souvent saccadé en raison
d’interruptions inattendues et notre capacité de concentration est
inversement proportionnelle à la quantité des sollicitations. Le
risque d’usure n’est pas loin, surtout parce qu’il est de bon ton de
U)
O t/» 03
J 03 montrer que nous sommes très actifs et très occupés. Les dossiers
= E
03
2 i en cours sont nombreux, les sujets aussi et les décisions se multi­
mO plient au cours des heures et des jours.
ro
rH
O
fM

O
JZ
oi A n alyse , c o m m u n ic a t io n et application
>•
a.
O Face à cette course après ce temps qui nous rattrape en perma­
U
nence, comment réagissons-nous ? La société de l’instantanéité
dans laquelle nous vivons nous plonge dans un « syndrome
collectif de la vitesse^ ».
“ô
LU
CD
Q_
Z)
1. Trop vite ! P ourqu oi nous som m es prisonniers du court term e, Jean-Louis O
Servan-Schreiber, Albin Michel, 2010. 6

162
La gestion des HOAAMES : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

Une décision dans Turgence, qui diffère dans sa nature d une déci­
sion de crise, requiert une grande rapidité d’analyse, une prise de
position définitive, une communication et une application où
Fespace-temps est tellement réduit qu’il n’existe plus, et qu’aucun
recours à cette notion n’est possible. Le manager se retrouve dans
une seule situation : Faction.
Domaine de l’imprévisible, de l’impondérable, il faut apporter une
réponse rationnelle à une émergence irrationnelle. Considérons la
situation d’une entreprise qui se voit confrontée à une fausse
rumeur sur sa santé financière, rumeur qui commence à se
propager à l’extérieur de ses murs. La réaction doit être intempes­
tive et instantanée : communiqués de presse, article sur le site Web
et autres outils relevant de la technologie de l’information et de la
communication (TIC). Tous seront utilisés sans perdre de temps
pour démentir les informations qui circulent sans fondement.
Dans certaines situations, l’entreprise et/ou son manager, se trou­
vent face à des décisions politiques ou dans l’impossibilité de dire
« non » aux sollicitations des actionnaires. Il est donc capital de
disposer d’un « plan B », d’avoir fait des prévisions qui offrent une
solution de sortie appropriée à chaque situation. En effet, contrai­
rement à certains contextes anglo-saxons qui tolèrent l’erreur,
celle-ci n’est jamais admise en France.

Les trois actes du m a n a g e m e n t CD

3
Pour ce qui est de la décision de crise, celle-ci sous-entend l’exis­ a= 3
>J- Q
U tence d’un problème et les enjeux diffèrent. La crise place l’entre­ CC3
CD
ro
O prise face à une dégradation brutale de la situation. C’est un
(N
moment important, grave et parfois décisif dans la vie d’une ins­
sz
ai titution, un état critique qui nécessite un savoir-faire pointu. Lors
>-
CL
d’une crise sociale, un conflit collectif peut tout désorganiser. Il
O
U est déterminant de percevoir rapidement la gravité de la situa­
tion, les priorités induites et les décisions les plus adaptées aux
circonstances.
=
~ô Dans le monde des entreprises, comment sont préparés les déci­
%
LU
(D
Q_
deurs ? Que se passe-t-il au moment même de la prise de déci­
Z)
O sion ? Comment analyse-t-on, en amont, les conséquences et les
Ô
répercussions, d’une décision déterminée ? Comment ce processus

163
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

est-il vécu dans des structures dont le mode de fonctionnement est


Tinstantanéité ? Il s’agit en parallèle d expliquer les trois actes clés
du management : être en mesure de détecter rapidement Ibrigine
de la situation à résoudre, savoir opter pour une décision, cest-à-
dire trancher, puis communiquer et appliquer et/ou faire appliquer
la solution.
En analysant Tamont, cest-à-dire la phase qui précède une prise de
décision, il apparaît qu’anticiper et se préparer est une exigence
absolue pour réagir de la manière la plus adéquate lorsqu’une déci­
sion doit être prise, contre le temps, sans écarter la réflexion, dans
l’instantanéité.
L’anticipation ou la réflexion en amont reposera sur des systèmes
d’information et des outils prévisionnels performants. Les déci­
deurs privilégieront la qualité par rapport à la quantité d’informa­
tions et admettront, consciemment, qu’ils doivent renoncer à leur
désir de tout maîtriser. La capacité de réaction et l’efficacité de
l’action du décideur seront induites par son degré de préparation
et son expérience.

Le m o m e n t décisif : la prise de décisio n

Il faudra avoir une compréhension extrêmement rapide de la situa­


tion, dans sa globalité, afin de mettre en œuvre sans délai le mode
CO O d’action approprié. Agir le plus efficacement possible en organi­
eu or,
= eu eu
os sant, en rassemblant et en rationalisant les efforts conjoints et
II
LU O
simultanés de tous les intervenants tout en veillant à l’homogénéité
ro ^ E
O
(M « et à la cohérence des différentes interventions.
Les décideurs se trouvent alors face à un calcul des risques par
sz
ai rapport aux différentes opportunités qui s’offrent à eux, processus
>-
CL
O
U
parallèle et concomitant à l’analyse du rapport coûts engagés/béné-
fices.
Dans cette phase, la communication est un atout fondamental : en
interne, elle facilite les différentes actions et optimise le temps de
LU
réaction ; en externe, si cela s’avère nécessaire, elle alerte, elle CD
Q_
informe et permet également de maintenir et conserver la U
O
6
confiance en l’avenir des parties impliquées.

164
La gestion des HOAAMES : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

D eux p r o f e ssio n s , deux poin ts de vue

Les managers ne disposent pas toujours de 1ensemble des informa­


tions nécessaires pour faire leurs choix. Ils doivent cependant asso­
cier la pertinence de la réponse, l’analyse des effets possibles et
supposés tout en assumant leurs responsabilités.
Les enseignements tirés du passé sont des repères fondamentaux
pour les décideurs à ce stade de la prise de décision. Leurs capa­
cités d’adaptation et d’évolution associées à leur habileté à se
projeter dans le futur, à penser de façon prospective, complètent le
dispositif
Analysons maintenant deux approches complémentaires à celle de
l’entreprise : celle des militaires en opération et celle des médecins
urgentistes.

Un m ilitaire... «A u cœur du dispositif de la prise de décision


dans l’urgence, il y a la confiance », déclare le colonel Denis
Parmentier (armée de terre). Cette confiance est déclinée en trois
dimensions : la confiance en soi, pour susciter l’adhésion de ses
collaborateurs, la confiance dans les autres (hiérarchie ascendante
ou descendante) et la confiance des autres.
« En cas d’embuscade, ajoute le colonel Parmentier, nous réagis­
sons selon les scenarii que nous avons envisagés. Nous sommes
parfaitement entraînés^ Nous disposons de notre “pack vital”. Face
à une situation totalement inattendue, nous aurons recours à nos
qualités et nos valeurs pour prendre la décision appropriée comme
la souplesse d’esprit, le sens de l’initiative, la capacité à prendre des
UJ
>-
risques, défensifs et offensifs, le courage, la persévérance et la
CO
CD
O
5
ro
O
(N tempérance », précise-t-il, pour conclure.

sz ... et un médecin urgentiste : « Il est très important de savoir


ai
>- gérer ses émotions, d’éviter le syndrome du “rien ne va plus”. Il faut
CL
O
U
savoir garder son sang-froid », explique le professeur Jean-Louis
Pourriat, chef des services des urgences de l’Hôtel-Dieu et de
l’Hôpital Cochin de Paris. Un médecin urgentiste et son équipe
“ô
LU
(Q_D 1. La méthode « D rill » permet de travailler son endurance en répétant
Z)
O inlassablement certains gestes qui deviendront réflexes afin de gagner la
Ô confiance qui permet de survivre et de vaincre.

165
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

disposent dun canevas d’interrogations qui leur permet


d’affronter les situations les plus imprévues. « Nous ne pouvons
pas fonctionner au feeling, ajoute-t-il. L’urgentiste doit être en
mesure de conserver ou reprendre le contrôle de la situation, de
réagir immédiatement à l’élément perturbateur. Ce canevas se
construit grâce à l’exercice, la pratique, l’analyse des dysfonction­
nements, en un mot : l’expérience. »
Pour le professeur Pourriat, savoir s’entourer et pouvoir s’appuyer
sur une équipe fiable dans les moments critiques sont deux impé­
ratifs pour un médecin urgentiste. Il est illusoire de penser qu’un
seul homme possède et trouve en lui tous les bons réflexes, la
bonne réflexion et puisse appliquer les bonnes solutions.

Q uelques co n se ils clés pour des d é cisio n s rapides

Passer à l’action sans plus attendre, mais comment et dans quelles


conditions ? Il existe des clés, et des qualités humaines et compor­
tementales à développer pour faire face à des décisions sous la
contrainte temporelle.
En premier lieu, il est indispensable de faire preuve d’humilité et
d’accepter que rien (ou presque) ne se produise comme prévu.
Ensuite, les décideurs seront dûment formés et se seront entraînés.
En s’appuyant sur des scénarios et simulations d’événements appris
et répétés, la décision devient presque un réflexe. Puis entrent en
ligne de compte l’expertise, la pratique et le savoir-faire technique
03
CO
03
qui sont liés au vécu et à l’expérience d’événements analogues.
E 0 3
O
>.
LU
n Enfin, l’intelligence des situations et la capacité à savoir tirer parti
O
(M 03
d’une situation quelle quelle soit joueront un rôle important dans
© une telle situation.
sz
CT
>-
Q. Bien gérer ses priorités. Il convient de définir si nous nous trou­
O
U vons actuellement en situation de « passagers d’une voiture dont la
portée des phares diminue en proportion de son accélération^ ».
Plusieurs défis doivent être relevés : celui de la confiance, afin de
“ô
faire en sorte que tous les collaborateurs y adhérent, qu’ils soient LU
0Q_
Z)
O
1. Jean-Louis Servan-Schreiber, op. cit. c5

166
La gestion des HOAAMES : SOURCE DE VALEUR AJOUTÉE POUR L'ENTREPRISE

de plus en plus autonomes, fiers, motivés et responsables ; celui de


la gestion des priorités, de savoir faire des choix, en fonction de
critères qui évoluent et en cohérence avec lentourage profes­
sionnel. Et surtout, le défi de tout décideur digne de cette fonc­
tion : donner du sens à ses actions, à ses décisions, être exemplaire
et permettre à son équipe et aux personnes qui lentourent de
comprendre, detre rassurées et de faire preuve d’« esprit de corps ».
Entre dolce farniente, Ibisiveté créatrice et la « turbo-décision », la
réponse vous appartient !

CD

3
a
=s
>-
LU
ro 3 »
=
tH CD

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O

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ai
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Q.
O
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UJ
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Z)
O
6
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го
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о
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's -

О.

иО
Un contexte économique
et financier perturbé,
source de tension
pour les entreprises

L'euro et les crises financières


Publié le 7 juin 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Dominique Chesneau, membre des comités éditoriaux
du Blog du Directeur Financier et d'Echanges et président, Tresorisk

Le Blog de la DFCG a publié le 10 mai 2011, un article prémoni­


toire (« Leuro et les crises financières ») de Paul de Grauwe,
économiste enseignant à Tuniversité de Louvain, publié en 1998,
qui mettait en lumière les risques auxquels LUnion économique et
monétaire européenne devrait faire face. En se fondant sur Inobser­
vation des crises asiatiques du début du millénaire. Fauteur distin­
>-
guait trois types de danger :
LU
ro
T—)
1. Les marchés de capitaux sont libéralisés, créant ainsi le potentiel
fN
O
de vastes mouvements internationaux d’actifs financiers.
JZ
2. Les pays conservent leur taux de change arrimés à une seule
oi O

>•
monnaie, créant la perception qu il y a peu de risque à transfé­ J

a. O *
O
U rer des fonds d un marché à Fautre.
CD
3. Le régime monétaire (y compris son contrôle réglementaire)
nest pas adapté au nouveau régime libéralisé des marchés de
= capitaux.

%
LU
(D
Q_
De façon tout aussi prémonitoire. Fauteur envisageait un scénario
Z)
O catastrophe en Espagne lié à une bulle im m obilière..., mais il
ô
concluait que le pire nest jamais certain.

169
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Nous engageons le lecteur à se plonger à nouveau dans Tarticle de


de Grauwe avant de tenter de relever quelques enseignements
fondés sur la situation actuelle de TEurope monétaire et financière.

« Les m arch és de capitaux s o n t libéralisés »


Une récente publication de la Banque d’Angleterre nous indique
que non seulement cette liquidité des flux financiers a augmenté
au sein de TUnion européenne, mais aussi que ce phénomène est
constaté entre zones monétaires : « Les échanges de flux moné­
taires pourraient être générateurs d’instabilités financières. Dans
ce cas, la tentation des dirigeants serait grande d’ériger des
barrières protectionnistes et autres mesures macroprudentielles
susceptibles de mieux contrôler les transferts de capitaux » (voir à
ce sujet le billet du Blog du 24 mai 2011 : « Le contrôle des flux de
capitaux vers les pays émergents : une approche rénovée du
FMI »).
L’étude anglaise précise ce point en avançant l’analogie d’un gros
poisson dans une petite m are ! En effet, alors que le biais national
dans l’allocation géographique des capitaux est avéré dans les pays
émergents, ce biais perd en pertinence au sein de la communauté
des gérants de fonds issus de pays développés : la part des flux
quittant les pays avancés par rapport au PIB est supérieure à la
croissance de ce dernier et à celle des économies émergentes.
Ainsi, et pour prendre une autre analogie, il s’agirait de faire entrer
>-
LU
des capitaux volatiles dans la boîte à chaussures d’économies émer­
m gentes avec un chausse-pied ! Certains estiment que ce mouve­
fN
O
ment - qui s’accélère - correspond à une bulle, d’autres que les
fonds sont placés dans un buffer en attente de l’accroissement de la
ü S
O)
=>î profondeur des marchés émergents. Le débat n’est pas seulement
^ "G
Q. =
O O
U •=■ sémantique car il en va de la stabilité de l’économie des 20 pays les
O
plus riches (en termes de PIB) et de l’organisation m acroécono­
mique du monde.
Aussi apparaît-il que la crise de l’euro est davantage liée à l’instabi­ “ô
LU
lité des flux de capitaux dans le monde qu’à une tare consubstan­ CD
Q_
Z)
tielle à la zone euro, contrairement à ce qu’avait avancé de O
6
Grauwe !

170
U n contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

« Les pays c o n s e r v e n t leur taux de c h a n g e


ARRIMÉS À UNE SEULE MONNAIE »
Certes les ingrédients d une crise d’allocations des ressources finan­
cières mondiales se retrouvent à l’échelle de l’Europe, mais les institu­
tions actuelles et davantage celles en préparation sont source
d’optimisme pour peu que les dirigeants européens soient suffisam­
ment convaincants avec leurs opinions publiques. Lire que le fond du
sujet en Europe tient à ce que les riches européens du Nord ne veulent
plus payer pour les pauvres fainéants du Sud est un peu simpliste !
Chacun a compris que les adversaires d’Angela Merkel se trouvent
dans son camp plutôt que chez les socio-démocrates. Certes, la
chancelière allemande dit, à bon droit, qu’une Union monétaire -
et surtout politique - ne peut survivre quand les uns prennent leur
retraite à 60 ans et les autres à 67 ans, quand certains travaillent
35 heures par semaine et 10 mois par an contre respectivement
39 heures et 11 mois. Mais il s’agit bien ici d’éléments politiques, ce
que de Grauwe ne pouvait anticiper.
On peut admettre que les opérateurs de marché ont testé les pays les
plus fragiles, pas uniquement en fonction de leurs indicateurs macro­
économiques, mais davantage en fonction de l’importance de leur
PIB et donc de la capacité à vendre de la dette souveraine à découvert
avec un engagement financier ou capitalistique minimum.
Avoir une seule monnaie est un avantage pour les pays de la zone
euro, car les moyens financiers du groupe peuvent être mis à
disposition du maillon faible, pour autant qu’il n’y ait pas trop de
>.
Ш maillons qui se fendillent en même temps !
O
(N

©
« Le régime m onétaire
CT
>• (y c o m pr is s o n co n tr ô le réglementaire ) 3
O

O *
CL
O
U N'EST PAS adapté AU NOUVEAU RÉGIME LIBÉRALISÉ CD

DES MARCHÉS DE CAPITAUX »


“ô Il apparaît en 2011 que la libéralisation des marchés faiblit et non
LU
(D pas l’inverse (voir le même billet du 24 m ai)... sauf en Europe !
Q_
Z)
O Le contrôle réglementaire de la monnaie est fait par la Banque
ô
centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre bien plus

171
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

courageusement que par la Réserve fédérale américaine (Fed). Non


pas par incompétence, mais parce que les peuples lempêcheraient. Si
les agences de notation ont placé nos voisins dbutre-Manche sous
surveillance négative, cest surtout parce que le risque du système
bancaire britannique pourrait netre jugulable qu au prix de garanties
étatiques étendues, moyens que le Royaume-Uni na probablement
plus à sa disposition. Nonobstant la propension naturelle et historique
du pays à privilégier lepargne longue, les Britanniques pourraient être
amenés à rejoindre la zone euro tels les bourgeois de Calais. En
matière monétaire, la procrastination est rarement la bonne solution !
Entre un contrôle réglementaire européen de la monnaie et celui
qu aurait dû exercer, sans leuro, le Fonds monétaire international,
le choix nest pas difficile. On distingue, à cet égard, assez claire­
ment une complémentarité entre FUnion européenne et le FMI
dans la mise en œuvre des plans de sauvetage (grecs, irlandais...).
Pour revenir à notre exemple du « gros poisson dans un petit
bassin », faut-il mentionner la décision du gouvernement suisse,
fort de lexemple irlandais, de délocaliser les activités de banque
d’investissement d’UBS par manque de surface financière des
contribuables suisses en cas de nouveau crash !
En paraphrasant Churchill qui évoquait la démocratie, leuro est la
pire chose pour l’Europe... à l’exclusion de toutes les autres.

Q uel euro en 2 0 1 1 -2 0 1 2 ?
>J- Paul de Grauwe a, sans doute, bien identifié les points de faiblesse
U
ro de la construction monétaire européenne et prédit 1’« échec »
O
(N relatif et temporaire de l’euro ; mais son apport est plutôt celui d’un
antiprophète ! En effet, le mérite de ses prédictions est d’avoir
■C
üT =2 contribué à ce quelles ne soient pas autoréalisatrices et que n’appa­
^
Q. "G
= raisse point le chaos ! Ou plutôt, quelles correspondent à des
U O
O
O
asymptotes, assez clairement balisées pour quelles ne puissent être
franchies - comme toute asymptote !
_0
Néanmoins, il reste beaucoup à faire et les exemples ci-dessous ne “ô
représentent qu’un échantillon de ce qui reste à construire. LU
0Q_
Z)
La mise en place de politiques contracycliques en Europe ne peut O
CD
se concevoir qu’au niveau de la zone euro. Le comblement des

72
U n contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

déséquilibres intracommunautaires et le respect d’une convergence


minimum (ou maximum !) sont impératifs.
Les flux monétaires intracommunautaires circulent sans limita­
tion, mais le point ici porte plutôt sur le fait que TUnion ne répond
pas aux principes de Ricardo (voir sur le Blog de la DFCG le
décembre 2010 : « Mobilité des facteurs de production et chocs
asymétriques »). La réponse à ce problème est davantage d ordre
politique queconomique.
Les statuts de la BCE qui la confinent à un rôle de défenseur de la
monnaie sans être obligé de tenir compte de lemploi en Europe,
seront repensés, une fois obtenue la convergence m acroécono­
mique des pays européens.
Une fois encore, le « déficit » d’Europe est plus dommageable que
son excès. Et à l’heure où une démagogie électorale inconséquente
va déferler sur la France, il faut inlassablement rappeler que l’avenir
des Européens réside ni dans le plus, ni dans le moins d’Europe,
mais dans le « mieux » d’Europe. À cet égard, la création d’une fonc­
tion de ministre de l’Économie et des Finances européens, ainsi que
le propose M. Trichet, participerait au comblement de ce déficit.
Pour que le gros poisson se sente à l’aise, il faut augmenter la taille
et la profondeur de sa mare !

>*
ш
n
T—I
о
Le rôle inexorablement croissant de la BCE
fNJ

@
gi Publié le 5 septembre 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
>' par François Meunier, président du comité éditorial
CL
О du Blog du Directeur Financier, ancien président de la DFCG, économiste
и
CD

Dans une remarquable tribune du 18 août 2011 dans VoxEU, Paul


“Ô de Grauwe fait remarquer l’étroite similitude entre le déroulement
LU
(D
Q_
des crises bancaires et celui du marché de la dette des États au sein
Z)
O d’une zone monétaire. Ce billet montre qu’il s’agit d’une clé impor­
Ô
tante pour comprendre les responsabilités nouvelles de la BCE.

173
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Dans les temps anciens, cest-à-dire pour simplifier avant la grande


crise de 1929, les crises bancaires venaient avec la régularité dune
horloge. Une solvabilité défaillante ou même un manque de liquidité
pour une banque particulière signifiait la ruée vers la porte de ses
clients, ce qui déclenchait une crise en cascade sur le reste du système
bancaire. Les banques, même saines, recherchaient à toute force de la
liquidité et se voyaient forcées de vendre à la casse leurs actifs, à
commencer par les meilleurs et les plus liquides, ce qui abîmait un
peu plus leur solvabilité. La rapidité du phénomène faisait dire à
Bagehot, cet économiste britannique qui a fixé le premier certains
principes d'action des Banques centrales : « Dès qu'une banque doit
justifier son crédit, elle perd tout crédit. » Face à cela, il a proposé la
règle toujours en vigueur du prêteur en dernier ressort (ou PDR), par
laquelle la Banque centrale se porte contrepartie de façon illimitée
des engagements des banques et leur fournit, le temps de la crise,
toute la liquidité requise. Et on le sait, la poche de la Banque centrale
est sans fond puisqu'elle fabrique à coût nul son instrument de paie­
ment. Depuis que cette règle a été mise en place (avec quelques autres
moins décisives), les crises bancaires systémiques venant des banques
commerciales ont pour l'essentiel disparu. La crise liée à la faillite de
Lehman n'est pas une exception : elle a touché initialement des
banques d'investissement, qui échappaient à l'époque à la supervision
bancaire. Et au demeurant, elle s'est éteinte dès que la Fed et la BCE
ont apporté la liquidité nécessaire au système financier.
En clair, le jeu spontané du marché du crédit est générateur de
crises cycliques, par le caractère nécessairement évanescent de la
Ш
>- confiance et par imbrication systémique. Une simple crise de liqui­
ГО
tH dité a le pouvoir immensément destructeur de dégénérer en crise
O
rvj
de solvabilité généralisée. Le seul vrai coupe-feu est la garantie illi­
mitée donnée le temps de la crise par la Banque centrale.
ü S
O)
=>î
^ "G
OO
Q. =

U •=■ O Il e n v a de m ê m e po ur le m a r c h é de la d e h e

SOUVERAINE EURO
_0)

Peu d'économistes et de régulateurs se doutaient, à l'origine du projet “ô


Ш
de la monnaie unique, que l'on mettait en place un enchaînement CD
Q_
Z)
analogue et aussi dangereux sur le marché de la dette souveraine. O
Ô
Pourquoi ?

174
Un contexte éco no m iq ue et financier perturbé, source de tension

Très simplement, parce que tout État qui s'endette dans la zone
euro nemet pas une dette à proprement parler « souveraine », mais
une dette dans une devise qui lui est « étrangère », dans le sens où
il nen contrôle plus rémission. Quand un pays est maître de sa
monnaie et émet dans cette même monnaie, disons le Japon ou le
Royaume-Uni, les investisseurs savent que ces pays seront toujours
en mesure d'honorer leurs paiements, y compris de façon ultime
en forçant leur Banque centrale à la refinancer, même au prix
d’une certaine inflation. (L’inflation non anticipée lèse le prêteur,
mais sans être en infraction avec le contrat de dette, c’est-à-dire
sans entraîner de défaut.) Mais quand la dette est libellée en
monnaie étrangère, ce n’est plus possible. C’est le cas de la plupart
des pays émergents, qui n’ont pas la crédibilité financière suffisante
pour s’endetter en leur propre devise et qui pour cette raison
connaissent épisodiquement des crises de paiements publics. C’est
le cas aujourd’hui pour la zone euro. L’insolvabilité ne peut être
évitée par manipulation de la monnaie ; il suppose pour le moins
l’accord des autres pays de la zone et bien sûr l’accord de la BCE,
qui est indépendante et, plus encore, indépendante de chaque pays
en particulier.
Il y a en revanche, comme sur le marché du crédit bancaire, le
même effet de contagion par le jeu du retournement de la
confiance : la défiance sur la dette d’un État rejaillit sur la
confiance vis-à-vis d’autres États de la zone. Et le basculement
entre crise de liquidité et crise de solvabilité est analogue : il ne
passe plus exactement par des ventes à perte d’actifs sains comme
Ш
>* pour les banques (encore que forcer la Grèce à des privatisations à
n
T—I la hâte y ressemble), mais par le jeu des taux d’intérêt. La dette
O
fNJ dont on se détourne voit gicler son coût, ce qui rend impossible au
pays en question de conserver une trajectoire saine de maîtrise de
gi
>> son endettement. 3
O

Q. O *
O
U
À mécanisme identique, remède identique, nous dit de Grauwe. Un
CD
instrument préventif de crise en cascade consiste à disposer à l’iden­
tique d’un coupe-feu empêchant cette transmutation d’une crise de
“ô liquidité souveraine en crise de solvabilité. Il faut de la même
Ш
(CLD manière qu’une institution puisse intervenir comme prêteur en
3
O dernier ressort. La BCE est une telle institution puisqu’elle contrôle
ô
l’émission de monnaie et dispose de réserves pratiquement illimitées.

175
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

La BCE le fait d’ailleurs depuis quelques mois, mais en quelque sorte


subrepticement, et sous le feu de critiques acerbes venues notamment
d’Allemagne, qui relèvent justement que de telles interventions ne
figurent pas dans ses missions. Pourtant, ce que signifie la crise
souveraine euro, c’est qu’il est illusoire désormais de penser limiter le
rôle de la Banque centrale - comme de toute Banque centrale - à
celui de la surveillance de l’inflation : elle a un rôle fiduciaire décisif
pour le bon fonctionnement du système financier, dont fait nécessai­
rement partie, au sein d’une zone monétaire, le marché des emprunts
souverains. C’est d’autant plus le cas que les crises des dettes
publiques et les crises bancaires y deviennent étroitement liées : c’est
pour renflouer les banques que certains États se sont mis en danger ;
c’est parce que les banques portent de la dette publique quelles sont
maintenant à nouveau en difficulté. L’enchaînement systémique est
conjoint. (Par ironie, la politique de la BCE l’a involontairement
accru entre 2008 et 2010 : pour aider à la reconstitution de fonds
propres chez les banques, la BCE s’est satisfaite de sa politique de taux
bas permettant aux banques de faire du résultat par simple « transfor­
mation » - faire du crédit aux entreprises, ou à défaut, sachant la
conjoncture, acheter des emprunts d’État et s’asseoir dessus.)
Comme pour les crises bancaires, le fait que la Banque centrale
puisse émettre des masses énormes de liquidité ne signifie pas
quelle les émettra en réalité : la seule présence du coupe-feu est
propre à rétablir la confiance, voire à empêcher l’emballement. Et
même si elle les émet, le plus probable, comme on l’a vu lors de la
crise financière de 2008, est que cette émission de monnaie de
>* Banque centrale n’accroîtra pas les crédits à l’économie et restera
Ш
ГО
T—)
thésaurisée par les banques. Il ne s’ensuit aucunement de l’inflation.
O
fNJ
Un nnode d 'in te rv e n tio n e fficace
en î r
■ü =
^ "G»
O. C
Il est certain qu’une BCE prêteuse en dernier ressort est infiniment
OO
U plus puissante que tout mécanisme de fonds de sauvegarde bénéficiant
de garanties d’États. 700 milliards d’euros, montant du Fonds européen
de stabilité financière, c’est malheureusement peu de choses quand le
phénomène de ruée vers la porte s’élève potentiellement à des trillions ~ô
d’euros, touchant les stocks de financement et non les flux. Ш
CD
Q_
Z)
Il existe un mécanisme plus crédible qu’un fonds de soutien, à savoir O
ô
les eurobonds, c’est-à-dire la mise en place d’une garantie conjointe

176
U n contexte éco no m iq ue et financier perturbé, source de tension

et solidaire entre États de la zone. En quelque sorte, cest lensemble


des budgets nationaux qui, ici, compose le fonds de soutien.
Sans discuter ici des eurobonds, notons que Ion décrit ainsi les
deux volets dans faction contre le risque systémique sur la dette
publique : un volet budgétaire, via les eurobonds ; un volet moné­
taire via une BCE investie du rôle de PDR. Privilégier le rôle de la
BCE, cest donner, à ce stade de la construction européenne, une
primauté au monétaire sur le budgétaire comme voie réaliste de
régulation. Lusage sur la durée de lun comme de Tautre de ces
instruments requiert bien sûr des modifications constitutionnelles
au coût politique aujourd’hui incertain. Mais à voir l’aisance avec
laquelle la BCE s’est déjà investie de ce rôle, alors que les discussions
sur les eurobonds restent au point mort, il semble que l’obstacle
juridique soit plus facile à franchir du côté monétaire.

M a is qui suppose là aussi une surveillance des États


Il n’est toutefois pas envisageable que l’on introduise ce principe de
PDR pour la BCE sans surveillance des États. Les critiques y verraient
le même risque d’aléa moral que dans le cas de la sauvegarde
bancaire. Or on sait que le sauvetage d’un État ou d’une banque
s’impose quand tout va mal, moment où l’envie de punition ne
l’emporte jamais sur celui d’éviter une catastrophe financière. Il faut
donc des alarmes qui fonctionnent avant l’événement. Il ne serait pas
absurde que la BCE choisisse comme mécanisme disciplinaire celui
d’admettre plus ou moins facilement la dette publique d’un pays dans
>* ses opérations d’escompte du système bancaire privé ; cela, selon son
Ш
ГО
T—)
appréciation propre de la solvabilité de ce pays. Pour être concret,
O
fNJ 100 euros d’un emprunt Bund de l’État allemand vaudraient davan­
tage que 100 euros de dette grecque, du point de vue de la capacité
gi pour une banque à obtenir de la monnaie Banque centrale pour ses
CL
O opérations de crédité II serait préférable pour l’occasion que la BCE
U
produise ses propres mesures de risque. Elle se substituerait aux CD

agences de notation, ou les complémenterait dans cette fonction. Cela


aurait d’autres avantages pour la stabilité monétaire, parce que cela

Ш
%
(CLÜ
Г)
O 1. Ce mécanisme introduirait des différences naturelles entre les taux
Ô d’intérêt de la zone, et donc contredirait le principe même de l’eurobond.

177
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

réduirait lextraordinaire privilège de parole que le système financier


accorde aux agences.
Introduire ce mécanisme pourrait être le prétexte technique au
nécessaire aval politique donné à cette mission de la BCE.

L'année du Draghi,
Monsieur mille milliards d'euros
Publié le 27 mors 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Jean-Louis Mullenbach, membre du comité éditorial
du Blog du Directeur Financier et associé, Bellot Mullenbach et Associés

Uannée du Draghi commence le 8 décembre 2011 par une


annonce de la Banque centrale européenne (BCE) alors passée
inaperçue des marchés, ceux-ci ne retenant des propos de son
président que le refus réitéré de la BCE d’acquérir massivement des
titres de dette publique. Les marchés, alors en plein désarroi, ne
prêtent guère attention à l’annonce, dans le même communiqué,
du lancement de deux prêts à trois ans aux banques européennes.
Les opérations de refinancement existaient déjà sous l’ère Trichet,
mais pour des durées beaucoup plus courtes, quoique progressive­
ment augmentées de trois à six mois, puis à un an. La nouveauté de
Ш
>- ces deux LTRO (Long-Term Refinancing Operations) réside préci­
ГО
tH
sément dans le passage à trois ans, s’apparentant ainsi à une
rvj
O

mesure non conventionnelle, de surcroît sans limite maximale


fixée au montant des prêts et avec un élargissement significatif des
•C
CT£
>'
Q "C= garanties acceptées par la BCE en contrepartie de ses prêts.
O. CO
U •=■
O Les deux opérations, réalisées les 21 décembre et 29 février, ont
mis à la disposition des banques européennes un océan de liqui­
dités de plus de 1 000 milliards d’euros à un taux d’intérêt de 1 %,
soit un taux deux fois et demie inférieur à celui de l’inflation. Suite “ô
Ш
à l’absorption de prises en pension hebdomadaires, la transfusion ш
CL
Z)
nette de liquidités par le « bazooka » de la BCE ne se serait toute­ O
fois établie qu’à 530 milliards d’euros, ce qui reste considérable !
(5

178
Un contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

Les trois objectifs de la BCE


Le renflouement et la stabilisation du système bancaire constituaient
le premier objectif de cette ouverture en grand des vannes moné­
taires. Par ces deux opérations inédites, la BCE a écarté le principal
risque de la zone euro à fin 2011 : la crise de liquidités d’établisse­
ments ne pouvant plus se refinancer ni sur le marché interbancaire,
ni sur celui de la dette bancaire senior même sécurisée, qui aurait
contraint les États concernés, déjà très endettés, à les secourir pour
éviter des faillites bancaires.
La monétisation indirecte des dettes souveraines périphériques était
le deuxième objectif, inavoué, de la BCE : en prêtant à 1 % aux
banques, elle créait une incitation à replacer une partie de cet argent
dans la dette publique domestique à des taux parfois cinq à six fois
supérieurs, de nature à réduire la pression des marchés sur ces dettes
et à renforcer les fonds propres des établissements concernés. C’est
ainsi que les secteurs bancaires espagnol et italien ont acquis, en net,
respectivement 45 et 20 milliards d’euros de titres gouvernementaux,
rien qu’en décembre et janvier, provoquant ainsi une détente de 2%
des taux d’intérêt sur ces marchés de dettes souveraines.
La reprise du crédit aux entreprises constituait le dernier objectif de
« Гореп bar » ainsi organisé. L’incertitude demeure sur la bonne
circulation à terme de l’argent prêté dans l’économie réelle, lequel a
plutôt tendance actuellement à être redéposé auprès de l’institution
de Francfort par les banques emprunteuses. Il est vrai que la
demande de crédit demeure faible et qu’un durcissement des
>-
Ш contraintes de capitaux propres exigées des entreprises par les
O
établissements de crédit était inévitable. Au moins le « crédit
rvj crunch » (effondrement brutal de l’offre de crédit) tant redouté a-t-il
sz été évité et la bonne tenue des marchés, suite aux deux LTRO et à
CT
'l-
l’accord sur la Grèce, a-t-elle contribué à une moindre aversion aux 3
O

CL O *
O
U risques et à une anticipation de récession dans la zone euro moins
dure que celle imaginée il y a trois mois. CD

La stratégie de la BCE de soutien « en direct » du secteur bancaire


“ô et « indirect » aux dettes souveraines a incontestablement bien
LU
(CLÜ fonctionné, valant à son président le qualificatif de « Super
O
O M ario ». Les deux premiers objectifs, donner du temps aux
ô
banques pour se refinancer et réduire la pression sur les dettes

79
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

souveraines périphériques, ont même été atteints très rapidement.


Quant au troisième objectif, Talimentation en crédit du secteur
privé, nous nen connaîtrons le résultat qu au second semestre, le
temps de leconomie réelle netant pas celui de la finance.

Les trois q u e st io n s
QUE СЕПЕ STRATÉGIE HÉTÉRODOXE SOULÈVE
La première question posée par ces facilités de financement à trois
ans concerne la persistance du gel du marché interbancaire. On
aurait en effet pu penser qu avec un tel afflux de liquidités sur une
durée aussi longue ce marché se serait quelque peu dégrippé et que
les banques auraient retrouvé Tindispensable confiance entre elles. Il
nen est rien. La monnaie continue à circuler très lentement, sans
aucun signe de redémarrage de la vélocité escomptée. Le montant
des dépôts au jour le jour des établissements bancaires auprès de la
BCE ne cesse d’augmenter, alors que ces dépôts ne sont rémunérés
qu’à 0,25%, soit un coût du portage négatif de 0,75% considéré
comme acceptable dès lors que le bilan de la BCE offre davantage de
sécurité que l’interbancaire. Le risque systémique étant de fait
toujours présent aux yeux des banquiers, il est vital que les établisse­
ments devant être recapitalisés le soient et procèdent aux déprécia­
tions et provisions nécessaires. Il ne faudrait pas que les banques les
plus fragiles, assurées de leur financement pour l’année en cours et
bénéficiant de ressources peu coûteuses, rechignent à la transpa­
rence pour donner l’apparence du respect des normes prudentielles.
Ш Aucune guérison du système financier européen n’est envisageable
ГО
1— 1 sans le retour de la confiance et d’un marché interbancaire efficient.
O
r\J

<5) La deuxième question est relative au débouclage des deux LTRO


CT 2; prévu pour début 2015, qui pourrait s’avérer délicat pour certains
Q.
O CO établissements et constituer un facteur de turbulences pour les
U -E"
marchés. Les banques en meilleure posture et ayant procédé à des
réductions de bilans rembourseront peut-être les prêts de la BCE
avant l’échéance, la reprise de liquidités pouvant s’opérer au fil de
l’eau au cours de la troisième année. Qu’en sera-t-il pour les “ô
Ш
établissements qui seront confrontés à un sevrage forcé ? D’autant Ш
CL
Z)
que les opérations de refinancement à long terme risquent, dans O
Ô
un premier temps, d’agir comme une drogue douce et de faire

180
U n contexte éco no m iq ue et financier perturbé, source de tension

oublier aux États qu ils sont censés garantir la solvabilité de leurs


systèmes bancaires respectifs. Certains considèrent déjà que la
BCE est condamnée, quoi quelle dise, à devenir le prêteur en
dernier ressort du système bancaire européen, qu une troisième
LTRO sera lancée en 2013 et que nous ne reverrons pas avant long­
temps un retour à la normalisation de la politique monétaire. En
tout état de cause, une telle extension du mandat de la BCE ne se
concevrait que dans le cadre dune fédéralisation effective de
rUnion économique et monétaire, laquelle nest pas d’actualité.
La troisième question porte sur le gonflement rapide de la taille du
bilan de la BCE, comparable aux augmentations de total de bilan de
la Réserve fédérale américaine, de la Banque d’Angleterre et de la
Banque du Japon, avec le risque pour les pays de l’eurozone d’être
contraints de recapitaliser l’institution de Francfort en cas de pertes.
On observera toutefois que, contrairement à ses homologues et à
l’exception des obligations d’État quelle avait achetées en direct au
préalable, la BCE ne porte pas directement à son bilan, avec les
LTRO, le risque de crédit des émetteurs de dettes souveraines. Il sera
en théorie également plus facile pour la BCE de sortir de sa politique
monétaire non conventionnelle que pour la Réserve fédérale,
engagée sur un programme d’achats en direct et le maintien de taux
d’intérêt proches de zéro pour bien plus longtemps. Il n’empêche que
ces injections massives de liquidités pourraient se traduire par une
baisse du pouvoir d’achat de l’euro et créer les conditions de
nouvelles bulles d’actifs financiers et de matières premières. Les pays
les plus vertueux de la zone euro accepteront-ils longtemps de parti­
>-
Ш
ciper à cette fuite en avant consistant à savoir laquelle des Banques
m centrales occidentales augmentera le plus son bilan ?
CD
СЧ

sz
CT Le pire est probablement passé , o
>> O *
Q.
O
U
POUR AUTANT RIEN N'EST RÉGLÉ
CD
Il est rare, dans l’histoire monétaire, de voir une Banque centrale
prêter ad libitum sur une durée aussi longue à toutes les banques se
=
~ô présentant à son guichet, avec une exigence aussi faible de
Ш
(CLD « collatéral ». Probablement la BCE redoutait-elle un effondrement
Z)
O du système bancaire européen dans le contexte d’une crise de la
ô
dette souveraine. En frappant fort, la BCE a eu le mérite de désac-

181
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

tiver dun coup les angoisses des marchés sous lepée de Damoclès
d un éclatement de la zone euro. Pour autant, la BCE nest pas le
remède miracle à l’exposition au risque souverain et aux maux de
l’économie européenne. Tout au plus est-elle utile pour calmer les
marchés financiers et éviter le risque d’une crise de financement
majeure.
Ne nous y trompons pas, la BCE renvoie en fait les États et les
banques à leurs responsabilités. Juguler la crise de la dette nécessite
des politiques budgétaires rigoureuses et des réformes structurelles
profondes des administrations et du marché du travail, une poli­
tique de soutien aux entreprises et à l’épargne investie dans l’appa­
reil productif, une recapitalisation du système bancaire européen,
une augmentation des pare-feu (près de 1 000 milliards d’euros là
aussi...) destinés à empêcher la contagion de la crise sur les
marchés de la dette publique, des efforts conjoints pour améliorer
la croissance économique et réduire les déséquilibres de balance
des paiements des pays non compétitifs.
Ce n’est pas parce que la BCE permet aux pays les plus impécunieux
d’acheter du temps qu’ils peuvent se permettre de différer à plus
tard les réformes structurelles et de maintenir un niveau de
dépenses publiques et sociales insoutenable, des privilèges indus et
des rentes. Ils vont au contraire devoir abandonner les modèles
anglo-saxons et latins fondés sur le surendettement, et passer d’un
modèle de consommation financé par l’endettement à un modèle
de production financé par l’investissement. À défaut, les risques de
rechute les guettent : les problèmes structurels et de solvabilité des
>.
Ш
États et des banques ne sont pas résolus. La balle est clairement
ГО
T-H dans le camp des États qui doivent impérativement profiter de cette
rvj
O

période de transition pour identifier en priorité les pistes et les


« engrais » de nature à préparer l’avenir et à enclencher une
■Б2
■ü z>
^ "G nouvelle dynamique. Le répit que leur accorde la BCE pour purger
Q
O. =O
U des années d’errements est momentané...
O

“ô
Ш
(D
CL
Z)
O
CD

82
Un contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

BCE et agences de notation :


une dangereuse partie de poker menteur !
Publié le 2 0 juin 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Dominique Chesneau, membre des comités éditoriaux
du Blog du Directeur Financier et 6 'Echanges et président, Tresorisk

Selon des chiffres publiés le 6 juin 2011 par la Banque des règle­
ments internationaux (BRI), les banques allemandes détenaient fin
2010 un total de 22,6 milliards de dollars (15,3 milliards d euros) de
dette publique grecque, contre 15 milliards de dollars (10,5 milliards
deuros) pour les banques françaises.
De son côté. Moody s dresse un tableau différent de celui de la BRI
des expositions des banques allemandes à la dette souveraine
grecque. Il apparaît que Commerzbank est la plus menacée en
termes absolus avec 2,9 milliards deuros, à égalité avec le groupe
Deutsche Bank (également 2,9 milliards deuros), qui regroupe
désormais les actifs de la Postbank dont il détient la majorité du
capital. Concernant lensemble des engagements en Grèce, les
banques allemandes, qui ne disposent pas de filiales dans ce pays,
cumulent une exposition de 11,6 milliards deuros. Moody s n envi­
sage pas d'abaisser la notation des banques allemandes en cas de
restructuration de la dette grecque. Selon l'agence, l'exposition des
établissements allemands, tant directement par la détention de la
dette souveraine qu'indirectement par leur exposition à l'économie
>•
Ш grecque, n'est pas suffisante pour que même une réduction massive
O de moitié des créances helléniques ne conduise à une dégradation.
r\J

© Pour BNP Paribas et Société Générale, en revanche, c'est avant tout le


gi portefeuille de titres d'État qui est concerné. Il atteignait, fin mars,
>'
CL
O
2,5 milliards d'euros pour Société Générale et 5 milliards pour BNP
U
Paribas, il n'était que de 631 millions pour Crédit Agricole. Ces CD

chiffres sont proches de ceux de la fin 2010, conformément à l'enga­


gement - tenu - pris en mai 2010 par la Fédération bancaire française
“ô
LU
(FBF) de conserver leur exposition en dette souveraine grecqueh
(CLD
3
O
Ü 1. François Pérol, président de BPCE et de la FBF, le 14 juin 2011,

183
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Suite à la publication de ces chiffres, Fitch avait indiqué ne pas


envisager d’abaissement de notation des banques françaises « sur
la seule base de leur exposition au risque grec ».
En revanche Moody s a annoncé mercredi 15 juin quelle envisage
d’abaisser la note - envisage seulement ! - de BNP Paribas, de la
Société Générale et du Crédit Agricole et va, pour se déterminer,
passer en revue, après celle des établissements allemands, leur
exposition à la dette de l’État grec et à celle du secteur privé. Ce
passage au crible ne devrait pas entraîner d’abaissement de nota­
tion de plus d’un cran dans le cas de BNP Paribas et du Crédit
Agricole, selon Moody’s. Mais il pourrait atteindre deux crans
pour Société Générale, une différence liée à un élément technique
relatif à la capacité de soutien public de la banque si nécessaire. Or,
avec une éventuelle provision à passer de 30 %, le coût représente­
rait moins de deux mois de profit !

U ne dispute sém antiq ue entre les a g e n c e s


DE NOTATION, LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE
ET l'In ternation al S w a p s and D erivatives
A s s o c ia t io n
Au-delà de cette incohérence entre la réalité chiffrée présentée par le
système bancaire européen et la décision « envisagée » par Moody’s
de dégrader les principales banques françaises, il convient également
de rappeler les éléments d’une dispute sémantique entre les agences
>-
UJ
de notation, la Banque centrale européenne et l’International Swaps
ro and Derivatives Association (ISDA - Association internationale des
O
(N swaps et dérivés, www.isda.org) - l’organisation professionnelle
regroupant des intervenants majeurs sur les marchés financiers
■C
üT =2
dérivés, dont le but premier est de fournir des contrats standards de
^
Q. "G
=
O
U O O référence pour les transactions, et qui est juridiquement et contrac­
tuellement la seule entité capable de proposer à un comité de déter­
mination^ si une opération sur une dette constitue ou non un
“Ö
LU

1. Le comité de détermination est composé de 12 banques traitant les CDS, 0


3
Q_

O
dont Société Générale et BNP Paribas pour l’Europe, et de 6 gestionnaires,
et vote à la majorité qualifiée. Il doit d’abord être saisi par 1 membre. (5

84
U n contexte éco no m iq ue et financier perturbé, source de tension

événement de crédit susceptible d'activer les indemnisations des


porteurs de credit default swaps (CDS). Car seul le comité, sur recom­
mandation de riSDA, est habilité à prendre ce type de décisions et pas
les agences de notation !
Alors quelle refuse habituellement de se prononcer sur un événe­
ment de crédit avant la décision du comité de détermination,
l'association professionnelle des produits dérivés a détaillé, le
7 juin, les implications sur le marché des CDS des différentes
opérations dont la dette grecque risque d'être l'objet : « En cas
d'opérations sur la dette souveraine grecque, il est possible qu'un
membre fasse une demande au comité s'il estime que le caractère
volontaire de l’opération est discutable. » C'est pourquoi Jean-
Claude Trichet insiste tant sur le caractère volontaire - indiscutable -
de la part des porteurs dans toute opération sur la dette grecque et
qu'il recommande le roll-over^ opération qui ne relève pas de la
liste des événements de crédit retenue par l'ISDA^. On pourra
questionner le caractère quelque peu hypocrite de cette notion
d'acception volontaire de l'échange par les porteurs de dette souve­
raine grecque quand on perçoit les recommandations « bien­
veillantes » des directions du Trésor des pays européens sur leurs
banques nationales - depuis 2008, UE, BCE et FMI ont passé beau­
coup de temps en ratiocinage sémantique « quasi talmu­
dique » ... - , mais on notera que la proposition du président de la
BCE est de surcroît la plus probable car en raisonnant par
l'absurde, les banques auraient intérêt à accepter un échange de
titres (taux abaissés et maturité plus longue) ; ce scénario leur
>• serait en tout état de cause plus favorable, individuellement et
ш
го
тН systémiquement, qu'une faillite non organisée de la Grèce ! Si le
о
rvj comité n'est pas saisi, il n'aura pas l'occasion de constater un événe­
ment de crédit.
JZ

>•
о.

ио
CD

1. R oll-ov er: engagement des porteurs à acheter les obligations à émettre


“Ô
Ш pour rembourser la dette actuelle.
(CLÜ 2. Pour les CDS souverains, les événements de crédit potentiels sont, selon
n
O riSDA (www.isda.org), le défaut de paiement, l’accélération d’obligation,
ü la répudiation ou le moratoire, et la restructuration de dette.

85
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

O n c o m p r e n d d o n c difficilement
l' an a lyse de M o o d y 's , sauf à imaginer
DE MAUVAISES RAISONS...
On comprend donc difficilement l’analyse de Moody’s - radicalement
différente, rappelons-le de celle de Fitch (à capitaux français) - , sauf à
imaginer de mauvaises raisons, telles, par exemple, que celles consis­
tant à vouloir faire pression sur le G20 et la Commission européenne
qui préparent une réglementation des agences de notation consistant,
entre autres choses, à les soumettre à un agrément et à la supervision
d’une autorité européenne. L’idée de la création d’une agence de nota­
tion publique n’est pas encore abandonnée ; elle serait contrôlée par la
Cour des comptes européenne indépendante du pouvoir politique.
Il ne s’agit pas ici de se faire l’avocat d’une théorie du complot,
mais seulement de rappeler les rôles de chacun.
En conclusion, la situation pourrait être l’abaissement à D (défaut)
de la note grecque... Sans que le comité de détermination ne le
constate, sans donc que les CDS ne soient activés ! Si personne
n’attend des agences de notation de jouer un rôle de pompier, on
peut au moins souhaiter quelles ne soient pas pyromanes ! Alors que
les autorités européennes ont du mal à maîtriser le feu grec, il n’est
sûrement pas nécessaire d’ajouter du bois. En forme de clin d’œil du
destin : le nouveau ministre des Finances grec se prénomme Evan-
gelos. En grec, cela signifie : porteur de bonnes nouvelles !

>*
Ш

O
(N

(U
Pourquoi la BCE refuse-t-elle d'être prêteur
СЛ î i .
>» "tZ3 en dernier ressort ?
OO
Q. =

U O
Publié le 19 janvier 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Paul de Grauwe, professeur d'économie internationale,
université de Louvain, membre du Parlement belge de 1991 à 2 0 0 3
“Ö
LU
CD
CL
Z)
L’euro n’a plus que quelques semaines pour être sauvé. Plusieurs O
Ô
institutions se préparent déjà à sa chute. Sachant cela, pourquoi

86
Un contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

donc la BCE refuse-t-elle de venir au secours des États fortement


endettés de la zone euro ? Ce billet fournit une explication. Il
indique que la BCE peut très bien être en train d’agir rationnelle­
ment, mais ajoute qu’un tel comportement est à la fois imprudent
et dangereux.
Nombre d’analystes appellent la BCE à se porter prêteur en dernier
ressort (PDR) sur le marché obligataire souverain de la zone euro
(voir par exemple Wyplosz 2011). Jusqu’à présent, elle a résisté.
Pourquoi ?

U ne explication n o n d o g m a t iq u e et rationnelle

Voici une possible explication qui a le mérite de reposer sur une


conduite rationnelle de sa part. D’autres explications partent
couramment de l’idée que les personnes responsables de cette
question à la BCE sont guidées par une pensée dogmatique qui les
empêche de voir la nécessité d’agir. C’est peut-être le cas, mais il
demeure intéressant d’essayer d’expliquer ce comportement en
supposant que les décideurs agissent rationnellement.
Quand une Banque centrale est désignée pour être PDR, elle doit
évaluer les coûts et avantages de ses actions. Reformulons alors le
problème en matière de coûts et avantages de Vinaction, c’est-à-
dire de ne pas fournir le service de PDR.
Soit donc une Banque centrale qui fait face à une crise bancaire
(nous verrons plus loin le cas d’une crise sur le marché des
>.
emprunts d’État).
Ш
ГО
T—)
b Le coût de l’inaction vient du risque que l’inaction peut provo­
rvj
O
quer un effondrement du système bancaire. S’il s’effondre, la
O
JC
Banque centrale sera très certainement jugée responsable.
oi
>. b Le bénéfice de l’inaction est d’éviter l’aléa moral futur, ce qui a
a.
O
U l’avantage de préserver un système bancaire stable sur le long
terme. CD

^ Quand elle évalue coût et bénéfice, l’horizon de temps sur lequel


“ô ces coûts et ces bénéfices vont se matérialiser a donc une grande
Ш
(D importance.
Q_
Z)
O i Quand la Banque centrale fait face à une crise bancaire, le coût
Ô
de l’inaction va se matérialiser très rapidement.

187
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

^ Quand les banques sont sur le point de s’effondrer, le coût de ne


pas fournir le service de prêteur en dernier ressort est presque
instantané. Cela tient au fait que les engagements des banques
ont typiquement des maturités très courtes (dépôts bancaires ou
interbancaires).
b Les bénéfices de l’inaction, cependant, ne se matérialiseront que
dans le futur, et peut-être très loin dans le futur. Il est même
probable que seuls les successeurs vont engranger les bénéfices,
sans peut-être même s’en rendre jamais compte.

U n calendrier asymétrique des c o û t s


ET DES AVANTAGES
Cette asymétrie dans le calendrier de l’impact des mesures prises
aide beaucoup à expliquer pourquoi une Banque centrale, même la
plus conservatrice, ne cherchera pas longtemps à éviter les coûts
immédiats (la chute du système bancaire), même si elle perd au
passage les gains futurs, et même si ces gains sont très importants.
Cette asymétrie explique pourquoi la BCE n’a pas hésité une
seconde à fournir le service de PEDR aux banques de la zone euro,
malgré l’aléa moral quelle créait à l’occasion.

Q u ' en est-il du m arch é des emprunts d 'E tat ?


On peut maintenant appliquer cette analyse coût/avantage au
marché des emprunts d’État. On voit tout de suite une différence
>.
Ш criante avec le secteur bancaire : la crise de la dette souveraine se
m
O
développe avec une allure d’escargot, quand on la compare à une
(N
crise bancaire. Quand les investisseurs vendent des obligations
C d’État et font monter le taux d’intérêt, ils alourdissent le coût
cT 2= d’emprunt pour les gouvernements, mais avec un certain délai
^
Q tï
O. =O parce que la maturité des obligations est typiquement de l’ordre de
U •=■O

cinq à sept ans. Il n’y a pas la menace d’un effondrement imminent


comme pour une crise bancaire.
Quand donc advient une crise de la dette souveraine, l’absence de “ô
Ш
danger immédiat fait qu’une Banque centrale conservatrice, telle CD
CL
Z)
que la BCE, attachera plus de poids aux avantages à long terme de O
Ô
réduire l’aléa moral. Elle attendra pour agir.

188
U n contexte éco no m iq ue et financier perturbé, source de tension

Q uel p r o n o stic formuler ?


Cette analyse me conduit à faire le pronostic suivant :
^ La BCE n agira que lorsque le coût de Finaction sera immédiat et
clair.
Par conséquent, la BCE attendra probablement jusqu à ce que la
crise dégénère en crise bancaire complète.
b II ny a pas à douter que la crise de la dette souveraine va
conduire à une crise bancaire.
La raison en est que la chute continuelle du prix des obligations
d’État va marteler les bilans bancaires au point de rendre les
pertes insupportables.
De plus, les crises de dette souveraine entraînent des problèmes de
financement pour les banques et le risque de se trouver coupées du
marché interbancaire. Il y a donc un moment où la crise souve­
raine déclenche une crise bancaire. Ce sera le moment pivot où la
balance coût/avantage penchera vers la décision de prêter en
dernier ressort.

Rem arqu es finales

Tout cela est déprimant, pour deux raisons :


1. Le montant de liquidités que la BCE aura alors à injecter dans le
système bancaire sera très probablement bien supérieur à ce
quelle aurait dépensé pour stabiliser le marché des obligations
d’État.
>•
Ш Cette assertion repose sur un fait simple : les engagements des
ГО
tH
banques de la zone euro sont plus de trois fois ceux des gouver­
rvj
O

O nements de la zone euro.


JC
CT 2. La crise bancaire déclenche une récession profonde et durable.
>.
O. Voir Reinhart and Rogoff, 2009 h
O
U
Cela peut mettre en danger la zone euro elle-même. CD

Cet article est une reproduction en français d un article publié sur


VoxEU.
“ô
Ш
(CLÜ
O
O 1. Carmen H. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, This Time is D ifferent, Prince­
6
ton University Press, 2009.

89
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Des « stress tests » bancaires


enfin crédibles ?
Publié le ô avril 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Jean-Louis Mullenbach, rmembre du comité éditorial
du Blog du Directeur Financier et associé, Bellot Mullenbach et Associés

Les tests de résistance de juillet 2010, qui nbnt recalé que 7 établis­
sements sur 91 banques européennes contrôlées, nbnt pas résisté à
leffondrement du système bancaire irlandais quelques mois plus
tard. La nouvelle tentative annoncée le 18 mars sera-t-elle plus
convaincante et contribuera-t-elle à ramener progressivement le
système bancaire sous supervision européenne, plutôt que de le
laisser entre les mains des autorités nationales ?

Un retard à l' allumage peu rassu ran t

La nouvelle Autorité de supervision bancaire européenne (EBA), en


place depuis le janvier 2011, n a pas été capable, comme elle
Tavait pourtant annoncé, de dévoiler la liste des banques concernées,
même s’il est indiqué qu’au moins 50% des actifs bancaires de
chaque pays devront être testés. Les États ayant la tentation (voir
l’Irlande en 2010) de protéger leurs « canards boiteux », un certain
nombre d’établissements en situation difficile, comme les banques
régionales allemandes, vont encore échapper à l’exercice. Une véri­
Ш
>. table approche par les risques consisterait pourtant plutôt à tester les
m établissements les plus fragiles, indépendamment de leur taille. Ce
O
(N serait probablement oublier que les tests de résistance sont avant
tout un exercice de communication destiné à restaurer la confiance.
C
cT =23
>'
Q. "C
C=ï Il est également décevant de constater que les régulateurs nationaux
O O
U •=■
O ne se sont pas non plus mis d’accord sur le ratio de solvabilité à
tester, même s’il est clair que ce sera une définition de fonds propres
plus exigeante (« core tier one ») que la fois précédente (« tier one »).
Il ne semble cependant pas que le ratio testé sera aussi restrictif que “Ö
LU
le « commun equity tier one » défini par Bâle III. Pas davantage CD
CL
Z3
d’indications sur le niveau de ratio à atteindre (7 % ?) pour passer le O
Ô
test, ce qui donne l’impression que l’on attend de voir...

190
Un contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

Da v a n t a g e de c o h é r e n ce pour cette 3^ édition

Les précédentes éditions avaient laissé trop d’autonomie aux


banques pour faire tourner leurs propres modèles et tester l’impact
des scénarios sur leurs risques de crédit et de marché, sous la
supervision d’autorités nationales parfois peu sourcilleuses sur la
qualité des méthodologies mises en œuvre et des résultats produits
par les banques.
Dans cette édition, l’EBA va jouer sa crédibilité sur sa capacité à
contrôler les données transmises par chaque pays et à s’assurer
quelles sont comparables. Les informations en provenance des
États participants doivent lui parvenir au plus tard le 29 avril, pour
une publication fin juin. La nouvelle autorité européenne de super­
vision disposera donc de près de deux mois pour challenger les
résultats communiqués par les établissements et harmoniser les
réponses des différents pays, ce qui devrait permettre de disposer
d’éléments d’appréciation plus fiables qu’en 2010.

D es s c é n a r io s plus sévères

Pour éprouver la robustesse du secteur bancaire européen, ГЕВА a


durci les scénarios de choc macroéconomique auxquels vont être
soumises les banques testées, avec par exemple, dans le scénario le
plus stressé, une baisse du PIB de l’Union européenne de 0,4 % en
2011 et aucune croissance en 2012. Ce scénario paraît particulière­
ment « adverse » dans un paysage d’ensemble qui s’améliore avec
une croissance en Europe légèrement plus forte que prévu.
>-
Ш
ГО
Les autres hypothèses à prendre en compte, notamment en matière
O
(N de chômage, d’inflation, de taux d’intérêt, de baisse du dollar et des
marchés boursiers européens semblent également rigoureuses si l’on
sz
ai se réfère aux sorties de capitaux des pays émergents que l’on observe
>-
CL
O
actuellement et aux nombreux signes de reprise (fonds levés, intro­
U
ductions en Bourse, fusions-acquisitions) pour la finance mondiale. CD

“Ö La q u e st io n du risque sou verain


Ш
(D
Q_
Un des scénarios retenus intègre une série de chocs souverains,
ZD
O avec ses conséquences en matière de surcoût de refinancement
Ô
pour les banques. Seuls les portefeuilles de négociation, qui sont

191
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

comptabilisés en valeur de marché, seront testés. À Tinverse, les


dettes souveraines qui sont comptabilisées dans les portefeuilles
bancaires, et qui représentent près de 80 % des dettes périphériques
détenues par les banques européennes, ne seront pas touchées par
les tests de résistance.
Politiquement, il était difficile de tester des emprunts d’État que les
banques ont Fintention et la capacité de porter jusquà leur
échéance, alors que les 17 pays de la zone euro sont en train de se
mettre d'accord sur le fonctionnement dun mécanisme d'aide
permanent aux pays n'ayant plus accès aux marchés financiers,
encore que ce mécanisme prévoit que des restructurations pourront
être imposées aux créanciers privés en cas d'insolvabilité d'un pays.
En revanche, et c'est une grande avancée, chacune des banques
testées va devoir publier l'intégralité de son exposition au risque
souverain par pays d'émission et par maturité, y compris pour les
titres positionnés dans le portefeuille bancaire. Ces informations
permettront aux analystes de procéder à des simulations de
restructurations de dettes de pays actuellement sous assistance
respiratoire, jugées non soutenables à terme (rééchelonnements,
échanges de titres en contrepartie d'abandons de créance et de
baisses de taux d'intérêt).

Q u id de la liquidité ?
L'EBA a renoncé à tester la liquidité des banques, comme l'avait
demandé la Commission européenne, considérant que les exigences
>-
LU de liquidité publiées par le Comité de Bâle en décembre dernier
ro
tH
n'étaient pas définitivement arrêtées et que la période d'observation
fN
O

des ratios de liquidité proposés pourrait être repoussée de mi-2013 à


mi-2014. Il faut en effet du temps pour collecter les données néces­
•enü =
22
>
saires et mesurer les conséquences des changements de comporte­
OO
Q. =

U •=■ O
ment induits par les propositions du Comité de Bâle.

La c o n f ia n c e envers les b a n q u e s restaurée ? “ô


LU
Entre les actifs toxiques, la crise financière et le risque souverain, 0Q_
Z)
les banques ont fait face à une série de chocs, quelles ont réussi à O
CD
surmonter grâce aux aides d'État (passées et encore à venir pour

92
Un contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

les banques sous-capitalisées), à une politique accommodante de


taux d’intérêt, à des prêts de la BCE pour des montants illimités et
à la solidarité européenne qui a évité aux créanciers privés de
devoir prendre des pertes sur des restructurations de dettes péri­
phériques. L’avenir s’annonce également mouvementé, avec en
perspective un durcissement de la régulation, la hausse des taux et
le retrait progressif des mécanismes exceptionnels de financement
des banques.
Cette troisième vague de tests, si elle est menée de façon plus
rigoureuse et plus discriminante que les deux précédentes, devrait
confirmer la bonne santé et la robustesse des grandes banques
européennes, et la fragilité d’établissements moyens, opérant dans
des pays périphériques ou sur un périmètre régional.
L’EBA a annoncé quelle ne se contenterait pas, à l’issue des tests de
résistance, de statuer sur la réussite ou l’échec des banques concer­
nées : elle publiera également la liste des banques « tangentes »,
c’est-à-dire les établissements qui ont réussi le test, mais qui restent
néanmoins fragiles. Ces derniers seront alors, vis-à-vis des
marchés, dans l’obligation pratique de procéder à des opérations de
recapitalisation ou de fusion.
Reste que cet exercice est fondé sur l’hypothèse, probablement
pertinente pour les années 2011 et 2012 testées compte tenu des
soutiens publics et européens, que les détenteurs d’obligations ne
partageront pas les pertes en cas de défaut d’un État. Mais viendra
un moment - le plus éloigné possible, le temps que les banques
reconstituent leurs réserves - où il faudra bien alléger le fardeau
>-
Ш des pays périphériques ayant un problème de solvabilité. Le M éca­
ГО

O
nisme européen de stabilité (ESM), qui doit prendre le relais en
(N
2013 de la Facilité européenne de stabilité financière (EFSM),
sz
ai prévoit en effet que si la dette d’un pays aidé est jugée insoutenable,
O

>-
CL
les créanciers privés devront accepter la restructuration de leurs Д
O *
O
U créances, avec également des risques de pertes pour les détenteurs
CD
de dette senior émise par les banques.

“ô
Ш
(Q_D
Z)
O
Ô

93
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

De la crise financière à la récession :


le rôle de transmission
des banques
Publié le 23 mai 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Shekhar Aiyar, économiste senior et membre de la Stabilité financière,
Banque d'Angleterre

Le Blog fait intervenir, avec Taimable autorisation du site VoxEU,


M. Shekhar Aiyar, économiste senior et membre de la Direction de
la stabilité financière à la Banque d’Angleterre. Ce billet montre le
comportement très différent des banques locales et des banques
étrangères dans Ibffre de crédit aux entreprises dun pays. En
résumé, quand le refinancement des banques se tarit, comme cela a
été le cas lors de la crise financière de 2008, les banques étrangères
prennent la porte, ce qui provoque une onde de choc sur le finan­
cement de l’économie.
Il est largement admis que les banques ont joué un rôle central
dans la récession, mais les a-t-on jamais prises la main dans le sac ?
Cet article présente des preuves dans le cas du Royaume-Uni. Elles
confirment l’opinion générale : en réduisant les prêts au secteur
privé domestique, les banques ont relayé le choc de financement
initial.
Comment des problèmes venus d’une seule classe d’actifs et dans
>-
Ш
un seul pays, se sont-ils propagés, déclenchant ce que l’on peut
ГО
tH appeler la « Grande Récession » ? Une explication commune
O
(N repose sur la mondialisation du système bancaire et est en deux
temps :
■C
CT 2=
^
Q. "=
C! ^ premièrement, le choc sur le système bancaire des États-Unis (et
UO O
O
de ceux à l’étranger directement exposés aux prêts hypothé­
caires et produits structurés américains) se propage dans le
monde à travers les marchés internationaux de financement ;
^ deuxièmement, ce choc sur le financement international des
Ш
systèmes bancaires locaux s’est transmis sur la conjoncture inté­ CD
CL
Z)
rieure via une réduction de l’offre de crédit. Bien qu’il existe une O
Ô
importante littérature empirique documentant la première

94
Un contexte économ ique et financier perturbé, source de tension

étape ci-dessus^ les preuves de cette deuxième étape sont plutôt


minces.
Cest peut-être à cause du problème d’identification qui se pose
lorsqu’un crédit bancaire faible coexiste avec une demande inté­
rieure faible.

Le système bancaire a u Ro y a u m e -Uni


Leconom ie britannique ojfre un terrain dessai idéal pour
tester la transmission entre le financem ent international
et les prêts bancaires domestiques. En tant que centre
fin an cier m on dial le pays accueille un ensemble large et
hétérogène de banques ayant leur siège dans de nombreux
pays étrangers. Bon nombre de ces banques - à la fois
p arm i celles dont le siège est à letranger et celles sous
contrôle dom estique - ont d'importantes sources de fin a n ­
cement à l'étranger, et sont donc particulièrem ent exposées
à une contagion venue de l'extérieur. Or, le choc des fin a n ­
cements externes qui a eu lieu au cours de cette crise était
non seulement important, m ais également sans précédent.
Le graphique 1 donne la série temporelle de l'endettement
extérieur agrégé de toutes les banques résidentes du
Royaume-Uni. Cet endettem ent a chuté de 24% depuis
son pic de fin mars 2008 à fin octobre 2009, mois au cours
duquel il a com m encé à se stabiliser à nouveau. A titre de
comparaison, la dernière plus fo rte baisse d'une durée de
>•
six trimestres de cet endettem ent extérieur n'a été que de
LU
ro 9%, lors de la crise des taux de change au début des
O
1 -1

rvj années 1990.


@ Source : Bank for International Settlements
sz
ai O
>-
CL O*
U
O
CD

1. Gary Gorton et Andrew Metrick, 2009, « Securitized banking and the


“ô
> -
LU
run on repo », NBER W orking Paper, 15223 ; Barry Eichengreen, Ashoka
(CLÜ Mody, Milan Nedeljkovic et Lucio Sarno, 2009, « How the subprime crisis
a
O went global: Evidence from bank credit default swap spreads », NBER
(5 W orking Paper, 14904.

195
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Du point de vue du bilan, une banque peut réagir à un choc de


financement extérieur de trois manières (avec possibilité de
combiner) :
1. Elle peut augmenter ses engagements domestiques, cest-à-dire
emprunter davantage auprès des entités résidentes ;
2. Elle peut réduire ses actifs à letranger, cest-à-dire moins prêter
à des non-résidents, ou ;
3. Elle peut réduire ses créances domestiques, cest-à-dire moins
prêter aux résidents.

Dans une étude récente^ je cherche à savoir si et dans quelle


mesure les banques ont réagi en utilisant Ibption 3, transmettant
ainsi la contagion financière à leconomie réelle interne. J utilise un
ensemble de nouvelles données, créées à partir des déclarations
confidentielles que chaque banque du Royaume-Uni-résident doit
produire tous les trimestres à la Banque d'Angleterre. Ces rapports
contiennent les données détaillées de bilan de 140 banques
environ, y compris - en dehors des banques britanniques propre­
ment dites - les filiales et succursales de banques étrangères.

Tr a n sm issio n d ' un c h o c de fin a n c e m e n t externe

Mon but est destimer l’impact de l’évolution des engagements


extérieurs de la banque sur ses prêts au secteur privé pendant la
crise. Bien entendu, la causalité entre ces variables peut en principe
> .
aller dans les deux directions ; de plus, le prêt domestique peut être
Ш
ГО affecté par d’autres facteurs qui sont omis de l’étude. Pour
tH

O
(N m’assurer d’une identification exacte du sens de la causalité,
© j’utilise comme instrument pour représenter les variations du
en 22
ÎI Э financement extérieur trois variables tour à tour :
CL c
OO b une mesure du degré de recours des banques au financement sur
U •=■
O les marchés de capitaux, à savoir la part des pensions (repos)
dans le total des engagements extérieurs ;
“Ô
LU

1. Shekhar Aiyar, « How did the crisis in international funding markets ш


CL
Z)
affect bank lending? Balance sheet evidence from the UK », B a n k o f Eng­ о
lan d W orking Paper, n° 424, 2011. Ô

96
Un contexte éco no m iq ue et financier perturbé, source de tension

^ la part des engagements bancaires à legard des filiales ou succur­


sales basées à letranger (par opposition à des entités non affi­
liées) au début de la crise, et ;
^ une mesure du stress sur le système bancaire dans le pays
d origine de la banque, basée sur la dispersion des spreads Libor-
OIS^ dans différentes régions du monde.
Ces instruments sont naturels : ils devraient tous les trois être de
bons indicateurs de Fampleur du choc de financement, sans
exercer d’impact indépendant sur la variable qui en découle. Des
tests a posteriori permettent de vérifier la validité de ces calculs.

U ne ruée vers la sortie

La principale conclusion est que chaque réduction de 1 % dans le


financement extérieur des banques a entraîné une contraction de
0,5 % à 0,6 % du crédit domestique, un impact substantiel. Compte
tenu de l’importance du choc enregistré sur le financement externe
des banques, il est probable que cela ait été la principale cause de
transmission du choc financier à l’économie réelle.
J’y vois la preuve d’un phénomène de « ruée vers la sortie » de la
part des banques étrangères - leurs succursales et filiales - au
Royaume-Uni, si on les compare aux banques britanniques. Préci­
sément, la succursale ou la filiale étrangère a coupé ses prêts au
secteur privé bien plus violemment que la banque domestique, cela
>- quelle que soit l’ampleur du choc de financement quelle subissait.
uu
ro
1—1
Les banques britanniques ont pour leur part beaucoup plus fine­
o
fN ment calibré leur réduction de crédit au choc de financement subi.
JiZ Cela est cohérent avec des banques britanniques qui considèrent le
oi o
>• crédit domestique comme leur cœur de métier et qui font en sorte o*
a.
o
U de le préserver.
CD

1. Il s’agit du spread entre le Libor ou euribor en zone euro (taux de refinan­


“Ô
LXJ
cement interbancaire à trois mois) et FOIS ou overnight index swap, un
(D
Q_
taux de refinancement au jour le jour très contrôlé par la Banque cen­
Z)
O trale. Ce taux est souvent considéré comme une bonne mesure des ten­
6 sions sur le marché interbancaire.

197
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Toutes les économies du monde accueillant de grandes banques


mondiales ont donc subi la contagion par le canal du crédit
bancaire et Timpact est d’autant plus important que le pays admet
sur son sol une plus grande présence des banques étrangères.
Je m’intéresse également à la transmission du choc externe aux
différentes sous-composantes du crédit intérieur. Je prouve que le
choc a provoqué une réduction significative des prêts aux entre­
prises, aux autres banques et institutions financières (avec la mise
en garde que ces sous-échantillons des données sont plus petits et
plus « bruités »). Mais je ne trouve aucune preuve d’un recul du
crédit aux ménages. Ce pourrait être parce que la crise financière a
conduit à la dislocation du modèle de titrisation des prêts immobi­
liers aux ménages, forçant les banques à reprendre sur leur bilan
les titres émis par les véhicules de titrisation, une évolution qui
aurait tendance à augmenter les déclarations de prêts bancaires aux
ménages.
Cet article est une reproduction en fra n ç a is de
« From fin a n c ia l crisis to G reat Recession: Evidence
on the transm ission role o f hanks », p u b lié sur w w w .voxeu.org

UJ
ro
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Q- =
OO
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o

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LU
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Z)
O
Ô
Débats et idées

La finance, facteur d'inégalité


Publié le 17 mai 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Olivier Godechot, sociologue, CNRS

La montée des inégalités aux États-Unis est désormais un fait de


connaissance commune ^ Mais le phénomène est bien plus général
et international^. Les travaux de Camille Landais montrent quen
France, les inégalités ont recommencé à augmenter à un rythme
soutenu, mais seulement depuis la fin des années 1990^. La descrip­
tion analytique et l’interprétation de cette évolution ne font que
commencer. Un facteur largement commenté est la hausse considé­
rable des rémunérations des P-DG au cours des trente dernières
années"^. Un autre facteur tient à l’augmentation des rémunérations
dans l’industrie du divertissement pour les superstars du sport et des
arts. Toutefois, il n’est pas certain que ce soient ces élites visibles qui
contribuent le plus à la montée des inégalités. Plus récemment, en
>-
LU
partie en raison de la crise financière et de l’indignation suscitée par
ro
tH

fN
O

1. Voir Thomas Piketty et Emmanuel Saez, « Income Inequality in the


gi United States, 1913-1998 », Q uarterly Jou rn al o f Econom ics, 118 (1), 2003,
CL
p. 1-39.
2. Voir Tony, Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, « Top Incomes
O
U

in the Long Run of History », Jou rn al o f E con om ic Literature, 2011.


3. Voir Camille Landais, «Top incomes in France (1998-2006): Booming
inequalities? », PSE W orking Paper, 2009.
“ô
LU
4. Voir Lucian A. Bebchuk et Yaniv Grinstein, « The Growth of Executive
(CLÜ Pay», O xford Review o f Econom ic Policy, 21, p. 283-303, 2005; Xavier CD
D
O Gabaix et Augustin Landier, « Why has CEO Pay increased so much? », CDs
(5 Quarterly Jou rn al o f Econom ics, 123, p. 49-100, 2008.
CD

199
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

les bonus, Timportance des salaires dans la finance a été étudiée^


Bell et Van Reenen estiment ainsi que 70% de l’augmentation
récente de la part du centile supérieur dans la masse salariale au
Royaume-Uni a été capturée par des salariés de l’industrie finan­
cière^. C’est le but de cette contribution que d’étudier le rôle de la
finance dans cet accroissement des inégalités en France.

Certaines sources de données salariales^ aident à étudier le phéno­


mène. Quelle est la fiabilité de la montée des inégalités découvertes
par Landais sur la base de sources fiscales autodéclarées ? Quels
sont alors les groupes qui y ont le plus contribué, les P-DG, les
managers, les experts, les superstars du divertissement ? La finance
parisienne, moins opulente que celle de Londres ou de Wall Street,
a-t-elle contribué à cette montée des inégalités ?

L'évolution des salaires en Fr a n ce


Pour répondre à ces questions, nous calculons les fractiles tout en
haut de la distribution des salaires"^. Nous constatons une augmen­
tation globale des salaires, mais à des taux différents pour chaque
fractile.
En 2007, les 0,01% les mieux payés dans le secteur privé
(1 692 personnes) touchaient au minimum 867 000 euros, et en
moyenne 1 682 000 euros par an, alors que les 90 % les moins
payés touchaient entre 7 600 et 46 700 euros de salaire brut annuel
et gagnaient en moyenne 22 400 euros.
>•
Ш

O
(N 1. Voir Thomas Philippon et Ariell Reshef, « Human Capital in the U.S. Finan­
cial Industry: 1909-2006 », NBER Working Paper, n° 14644, janvier 2009 ;
CT Steve Kaplan et Joshua Rauh « Wall Street and Main Street: What Contri­
CL
butes to the Rise in the Highest Incomes? », 23 (3), p. 1004-1050, 2010.
O
U 2. Voir Brian Bell et John Van Reenen, « Bankers’ pay and extreme wage
inequality in the UK », Center for Economic Performance, 2010.
3. L’auteur a bénéficié, pour l’accès aux données, du CASD (Centre d’accès
a» sécurisé distant) dédié aux chercheurs autorisés suite à un avis émis par le
'O “ô
Comité français du secret statistique. LU
CD
4. F99.99-100 désigne les 0,01 % salariés les mieux payés. F99-99.9 désigne Ш
Q_
Z)

'0> les personnes qui sont dans le centile supérieur mais ne font pas partie du O
millime supérieur de la distribution des salaires. (5

20 0
débats et idées

On constate aussi que la part de la majorité (FO-90) dans la masse


salariale est globalement en baisse, perdant 2 points en trente ans.
La part des « classes moyennes », définies par les fractiles F90-
99,9, reste globalement stable ou augmente à un rythme lent.
Cependant, lorsque nous passons au millime supérieur, nous
constatons une forte augmentation de leur part à partir de 1996,
celle-ci passant de 1,2% de la masse salariale à 2% en 2007. La
moitié de cette hausse de 0,8 point est revenue au top 0,01 % et
Fautre moitié alimente le F99,9-99,99.

Le rôle de la fin an ce

Une approche sectorielle nous permet de décrire plus précisément


le type de salariés qui ont le plus contribué à Faccroissement des
inégalités. Certains secteurs comme Findustrie, le commerce et les
restaurants, les transports et la communication sont aujourd’hui
beaucoup moins représentés au sommet de la hiérarchie des
salaires qu ils ne Fêtaient il y a trente ans : 38 % du millime supé­
rieur travaillaient dans Findustrie en 1976, contre seulement 14%
en 2007. En revanche, les services aux entreprises, la finance et
dans une moindre mesure, le divertissement et les autres services
ont augmenté parmi les salariés les mieux rémunérés. En 1976,
10% du millime supérieur travaillaient dans les services aux entre­
prises et 6 % dans la finance, mais ils étaient respectivement 26 %
et 24% en 2007.
À partir de là, nous pouvons quantifier la contribution de chaque
>-
LU secteur à Faccroissement des inégalités entre 1996 et 2007. Nous
constatons que la finance a contribué à 48% de la hausse de
fN
O

0,85 point du millime supérieur dans la masse salariale, tandis que


gi les services aux entreprises et les autres secteurs ont chacun
>>
Q.
contribué à près de 23 %, et enfin le divertissement à 8 %.
O
U
Entre 1996 et 2007, la part du top 0,1 % a augmenté globalement de
0,85 point et la part de la finance au sein de ce fractile a augmenté
de 0,40 pointL C
“Ô o-D'
Q
LU ô?"
(Q_D CD

O 1. Sources : panel DADS (1976-2007) et France - fichiers exhaustifs DADS CD.


CD
Ô (1994-2007). i/i

201
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

On peut enfin calculer révolution des salaires du Top 25 ou


Top 100 de différents groupes. Entre 1996 et 2007, les salaires ont
été multipliés par 1,5 dans le groupe cinéma-télévision-vidéo, par
3,3 dans le sport et pour les P-DG, par 3,6 pour les cadres hors
finance, et par 8,7 pour le Top 100 des cadres de la finance.

Q uelle implication de c e h e étude ?


La France a donc connu une forte augmentation des inégalités au
sommet de lechelle salariale au cours des douze dernières années.
La moitié de Taugmentation de la part du millime supérieur est
due à une hausse des salaires des cadres de la finance. Les P-DG et
les superstars du divertissement ne semblent pas jouer un rôle
majeur dans l’accroissement des inégalités.
La fiscalité des salariés de la finance et la taxation des hauts
revenus ont fait l’objet de mesures contradictoires dans le passé. Au
cours de la dernière décennie, en France comme dans de
nombreux pays développés, on a diminué le taux d’imposition des
revenus les plus élevés, en raison de considérations sur les effets
positifs de ces élites sur l’activité globale. Sur la même période, les
P-DG, les salariés de la finance après 2007 et les sportifs - après la
défaite en coupe du monde 2010 - ont été largement critiqués.
Tant le caractère méritocratique de leur salaire et l’utilité de leur
rôle économique ont fait l’objet de débats.
Or, ces catégories ne sont pas marginales parmi les salaires les plus
>-
LU
élevés en France. Dans la tranche des 0,01% des salaires les plus
fN
O élevés pour 2007, nous trouvons près de 40% de salariés de la
finance, 20% de chefs d’entreprise et 10% de sportifs. Imposer plus
JZ
ai lourdement ce fractile de salaire serait une façon, sans doute plus
> .
a. facile à réaliser qu’une taxe sectorielle, de redistribuer ces salaires,
O
U
que de plus en plus de citoyens considèrent comme des rentes.
Une version plus longue de cet article a été publiée sur le site lavie-
03
'O desidees.fr le 15 avril 2011. “ô
LU
03
CD
Q_
Z)
O
6

202
débats et idées

Rééchelonner pour foire l'Europe


Échanges 295, février 201 2, dossier « Luxe et création de valeur »
par Nicolas Dufourcq, directeur administratif et financier, Capgemini France

Tout le monde en est d’accord, il va maintenant falloir réécrire les


traités européens. Les clarifications par touches successives de la
gouvernance de l’Europe dans le désordre des sommets, validées
ensuite par le Parlement européen et les parlements nationaux dans
l’urgence, ne suffiront pas. Le 15 décembre 2011 a été célébré le
dixième anniversaire de la déclaration de Laeken du Conseil euro­
péen, qui lançait les travaux de la Convention sur l’avenir de
l’Europe chargée de rédiger la Constitution de l’Europe. Ces dix ans
ont été perdus pour l’Europe, comme on le sait, puisque les peuples
européens n’ont pour l’essentiel pas suivi les constituants et ont
préféré écouter ceux qui leur promettaient une Europe de droits sans
devoirs. L’Europe doit avoir le courage de rouvrir le débat constitu­
tionnel et, sans chercher à jouer sur les mots, aller beaucoup plus
loin que 1’« approfondissement » dont on nous parle depuis Maas­
tricht. C’est un grand pas vers une forme nouvelle de fédéralisme
qu’il faut accomplir et il n’y a pas à rougir de faire ce saut fédéral
sous la pression des événements. Aucun processus d’unification,
qu’il s’agisse des États américains, allemands, italiens, indiens, ne
s’est accompli sans moment paroxystique. Nous y sommes.

>- La voie positive ; une c o n féd é r a tio n des pays


LU

DE LA ZONE EURO
fN
O

L’Europe a besoin, pour fonctionner en fédération, d’institutions


JZ
ai plus clairement démocratiques et équilibrées. Il n’est pas besoin
> .
a.
O
d’être grand clerc pour voir que, si le projet européen survit aux
U
chocs du moment, il finira tôt ou tard par engendrer une constitu­
tion où le Parlement européen aura des pouvoirs renforcés, où il
élira dans un vote partisan le président de la Commission euro­
“ô péenne devenue clairement l’exécutif de l’Europe, où le Conseil sera CD'
C3-
Q
LU Zn
(CLÜ devenu un Sénat ou un Bundesrat de l’Europe, où les élections au CD
Z)
O Parlement européen auront lieu le même jour partout en Europe, où CD.
(5 l’Europe sera dotée de ressources fiscales propres, collectées par une
CD
i/i

203
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

administration fiscale européenne, où un département européen du


Trésor assurera la gouvernance budgétaire de TUnion, où les dettes
seniors des États seront mutualisées dans le mécanisme des euro­
bonds, etc. Cette Europe devra naturellement être limitée aux pays
de la zone euro, les autres appartenant à une périphérie confédérale
d’une autre nature, redonnant vie au projet avorté de confédération
proposé en son temps par François Mitterrand. À la croisée des
chemins où nous sommes, cette voie est la voie positive. L’autre
chemin est celui de la dissolution de l’idée européenne telle que nous
l’avons connue depuis un demi-siècle.

D eux c o n d it io n s à réunir

Deux conditions vont devoir être réunies pour que le débat puisse
avoir lieu et soit validé en démocratie.

La première a trait à la confiance et à la solidarité entre les


communautés nationales qui composent l’Euroland. Apprendre que
les Grecs fonctionnent hors de toute norme fiscale ou que seuls
4 500 Italiens déclarent des revenus supérieurs à 300 000 euros par
an est insupportable pour les pays du Nord de l’Europe. L’Europe ne
peut fonctionner avec un État de non-droit fiscal dans son flanc
sud. C’est pourquoi il paraît nécessaire de fédéraliser une partie du
système de prélèvements fiscaux et de l’asseoir sur une administra­
tion commune dotée de moyens d’intervention directe dans les
États, sur le modèle de l’administration fiscale américaine. Bien
>. entendu, il ne s’agit pas de basculer l’ensemble du champ fiscal dans
Ш
le périmètre de compétence européen, mais tout au moins celui qui
O
rvj permettra d’assurer le financement des fonds structurels, du Fonds
européen de stabilité financière devenu Trésor européen, et de la
JZ
ai politique agricole commune. Par ailleurs, un État fédéré qui se
> .
a. laisse emporter dans un sonderweg^ budgétaire et fiscal doit
O
U
pouvoir être sanctionné par une limitation de ses droits de vote au
Conseil, ainsi que par une suspension du versement des fonds euro­
S péens. Ce point est essentiel pour que les classes moyennes euro­ _0)
'O ~ô
péennes adhèrent à une Europe de transferts. Ш
%
O
CD
Q_
"5 OZ)

1. Une voie particulière, ndlr. ô

204
débats et idées

La seconde condition est de trouver une « bonne raison » de


faire la « République fédérale d’Europe », une raison qui, cette fois,
convainque les peuples. Vous nallez pas aimer la réponse : cest le
défaut partiel sur la dette européenne qui est la « bonne raison ».
Car que demandent les peuples ? Ils demandent à être protégés,
accompagnés, aidés. Ils ne se reconnaissent pas dans une Europe
dont les maîtres mots sont élargissement, concurrence, bureau­
cratie, sanctions, austérité, ajustement structurel, etc. Comme les
élites dirigeantes du continent, ils ont l’intuition profonde que les
dettes accumulées ne seront pas remboursées, sauf à étouffer
l’Europe, à abolir tout espoir de croissance et à condamner leurs
enfants. Ils sentent bien qu’une nouvelle phase d’austérité de vingt
ans n’a aucune chance de se terminer autrement qu’en tensions
sociales explosives. Songeons que les seuls intérêts de la dette
italienne représentent 5 points de PIB italien par an !

Ecrêter la dette européenne ?


Or, puisque la dévaluation massive n’est pas possible, que l’inflation
ne se décrète pas, que reste-t-il sinon le défaut partiel sur la dette ?
Parlons d’abord de « dette européenne » plutôt que de dette grecque
ou italienne, car ces dettes nationales ne sont rien d’autre, dans le
monde de l’euro, que de la dette européenne. Un scénario volontai­
rement hétérodoxe pourrait alors être le suivant : les dettes euro­
péennes seraient écrêtées en instant de raison de 20%, comme il a
été demandé de le faire aux créanciers privés de la Grèce le 21 juillet
>-
dernier ; la dette européenne s’établirait dès lors environ à 65 % du
LU
PIB européen ; afin de respecter un principe d’équité essentiel à la
fN
O construction d’une Europe des peuples, toutes les dettes, y compris
la dette allemande (78% du PIB aujourd’hui) ou la dette finlandaise
gi (50% du PIB), seraient écrêtées ; elles seraient ensuite mutualisées ;
>•
Q.
O
les eurobonds deviendraient l’instrument de financement d’une
U
Europe forte car libérée de l’effet boule de neige de la dette ; ils se
négocieraient à des taux bas car le monde entier préférera prêter à
une Europe assainie plutôt qu’à un continent étouffé sous le poids de
“Ö sa dette ; enfin les finances de l’Europe seraient gérées par un trip­
>~
LU
(Q_D tyque extrêmement crédible - Banque centrale européenne, départe­ CD

O ment du Trésor européen. Conseil - , encadré par une règle d’or


CD
Ô
intelligente appliquée à l’échelle de la Fédération. On dira qu’il est

205
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

impossible de faire payer les détenteurs d’assurance-vie et les


banques ? Question majeure. Aux premiers, il faudra faire
comprendre que le choix est entre la baisse du patrimoine et la baisse
durable du niveau de vie. Pour ceux qui par ailleurs ont la chance
d’avoir un portefeuille actions, on peut penser que la croissance
revenue rétablira les valeurs boursières à leur juste niveau. Aux
banques européennes, il faudra sans doute apporter temporairement
le concours des États en capital. Aux banques étrangères détentrices
de dette européenne, il faudra appliquer les méthodes éprouvées
dans les crises latino-américaines, asiatiques et russes. Plus facile à
dire qu’à faire, bien entendu. Folie, absurdité ? Sans doute. Le bon
sens et la théorie des jeux font que cet acte fondateur est impensable.
Et pourtant l’Histoire nous l’imposera probablement par des
chemins tortueux, et combien coûteux ! D’une manière ou d’une
autre, les peuples d’Europe nous feront savoir qu’ils refusent d’être
traités comme les Grecs d’aujourd’hui. Il en va de leur adhésion
renouvelée au contrat moral de la démocratie capitaliste. Et puis,
rappelons-nous que les grands cycles de croissance économique ont
toujours eu lieu après des allégements de dettes publiques, eux-
mêmes accomplis dans des moments névralgiques de l’Histoire. Il en
a été ainsi en Amérique latine, en Asie, en Russie. Il n’y a pas de
contre-exemple.
Vous n’aimez pas le défaut ? Eh bien, remplaçons le mot défaut
par le mot rééchelonnement sur trente ans ! Car qu’est-ce que le
rééchelonnement sinon le Canada-dry du défaut ? Le tout est de
comprendre que la République fédérale d’Europe ne « passera »
>■
que dans l’instant de raison de l’allégement du poids de sa dette.

ro Cet allégement sera le début d’une espérance collective pour le
O
rvj continent.

CT
Cl
O
U

S
'O
_0
“ô
LU
CD
0CL
Z)
O
(5

206
débats et idées

Réguler en informant
Publié le 13 juillet 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par David Thesmar, économiste, НЕС et Augustin Landier, économiste,
Toulouse school of economics

David Thesmar et Augustin Landier sont les auteurs du livre La


société translucide^ Pour en fin ir avec le mythe de VÉtat bienveil­
lant, et lauréats du 24^ prix Turgot. À loccasion du premier
déjeuner du B log du Directeur Financier, organisé à la Maison de la
finance le 12 juillet 2011, David Thesmar est intervenu sur le
thème de la transparence de Tinformation, sujet développé tout au
long de louvrage des deux auteurs. Le Blog vous propose de décou­
vrir, à travers cet article, leur pensée.
Dans l’économie moderne, réguler c’est rassembler de l’informa­
tion, puis la diffuser le plus largement possible. La crise financière
de 2008 est selon nous l’illustration de ce principe.
Car nous analysons cette crise comme une crise de l’opacité. Dans
un secteur comme la finance, où la production et le traitement de
l’information sont au cœur du métier, l’opacité a des effets catastro­
phiques. Aux États-Unis, les patrons de banques et les régulateurs
chargés de les surveiller ont laissé filer le niveau de complexité du
système financier. Pour beaucoup, ils en avaient une vision incroya­
blement floue. Un bon exemple de ce type de cécité est celui de
Robert Rubin, influent conseiller du P-DG de Citigroup pendant les
ш
>* années 2000, et considéré comme l’architecte du développement
го
т—) massif et largement incontrôlé de l’activité de dérivés de crédit
о
fNJ
pendant la période 2005-2007. Interrogé en 2008 par le New York
Times sur son rôle dans la quasi-faillite de la banque, celui-ci
> . répond : « Avec le recul, il y a plein de choses que nous ferions diffé­
о .

ио remment. Mais étant donnés les faits à notre disposition à l’époque,


je pense qu’en fait non. Il était impossible de savoir l’ampleur des
risques pris sans être dans la salle des marchés. Nous faisions

~о confiance aux gens très compétents responsables de ces opérations. »
ш>~
«✓ I
(D
о_
À l’autre bout de la chaîne, côté emprunt hypothécaire, le niveau CD
Z)
о de flou dans lequel opéraient les ménages était lui aussi considé­ CDs

О CD

rable. Harcelés par des courtiers en prêt immobilier sans scrupules.

20 7
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

ils empruntaient à des taux très élevés, rendus digestes par une
phase de teaser rate, typiquement de deux ans, où le taux était en
apparence très bas. De manière générale, le secteur financier a fait
le choix de proposer aux ménages des produits toujours plus
complexes, avec multiples options et frais de résiliation. Cette
tendance, générale dans leconomie (comme par exemple dans la
téléphonie mobile), traduit le double objectif de servir mieux le
client, mais aussi de se soustraire aux pressions concurrentielles,
voire pour les plus cyniques dexploiter les erreurs prévisibles de
consommateurs distraits et sursollicités.
Les ménages nbnt pas été les seuls clients du secteur financier à
faire les frais de la complexification extrême de la finance. Les
investisseurs institutionnels ont aussi surinvesti dans les produits
packagés par les grandes banques d’affaires. Comme pour les
ménages, ces produits étaient souvent rendus opaques à dessein
pour permettre aux vendeurs de raconter leur jolie histoire. Alors
que dans la plupart des secteurs les professionnels peuvent être
considérés comme rationnels et responsables, dans la finance les
professionnels de la gestion d’actifs sont en grande partie apparus
comme les ménages californiens surendettés : myopes et crédules.
Ce flou artistique, spécifique à la finance, tient à la nature des
produits financiers, qui contrairement aux services ont bel et bien
des ingrédients, mais, contrairement aux produits industriels ne
peuvent pas être « ouverts ». Les concurrents d’Apple peuvent
ouvrir l’iPhone pour voir ce qu’il y a dedans, mais personne, en
dehors de leurs fabricants et de leurs régulateurs, ne pouvait ouvrir
>-
LU la boîte noire des subprimes, des collateralized deht obligations
ro
tH (CDOs) et moins encore la comptabilité des banques...
fN
O

Clients, investisseurs, banquiers... tous ont été les jouets partielle­


gi ment complices de l’explosion de l’opacité en finance qui a caracté­
>>
Q. risé les dernières décennies. Dans ces conditions, on ne s’étonnera
O
U
pas que ces dérives aient, elles aussi, largement échappé aux écono­
mistes. Certes, d’un côté, l’aggravation des déséquilibres mondiaux
n’a pas échappé aux macroéconomistes. Ils ont bien vu l’excès

CO
'O “ô
d’épargne des pays émergents créer un excès de liquidité sur les
LU
O
CO
marchés mondiaux. Ils ont vu se former les bulles spéculatives 0CL
"5 immobilières en Espagne, aux États-Unis, en Angleterre. Mais ce
Z)
O
c5
constat macroéconomique, largement partagé à l’époque, se

208
débats et idées

doublait d W e frappante cécité collective sur les mécanismes


microéconomiques par lesquels la bulle gonflait. La pratique de la
titrisation, censée en théorie répartir les risques entre tous les
acteurs du monde, ne suivait pas du tout la théorie : en fait, les
banques gardaient de fortes expositions aux risques, au lieu de les
passer au marché. Temporairement, tout le monde était content :
les investisseurs qui ne prenaient pas le risque, les actionnaires qui
croyaient sen être débarrassés, et les régulateurs qui voyaient leurs
ratios prudentiels satisfaits. De même, les microéconomistes nbnt
pas dit un mot des « poches » qui concentraient beaucoup denga-
gements non couverts (comme Tassureur AIG ou les m onolines).
Ils nbnt pas non plus anticipé que le marché de la dette de court
terme pouvait très rapidement perdre sa liquidité du fait de Finter-
dépendance extrême des acteurs.
Le secteur financier, dont la logique est pourtant fondée sur
Finformation, baigne dans une opacité extrême. Les mécanismes
de titrisation sont négociés de gré à gré, sans que personne n ait de
vision densemble. On ne sait pas qui détient quelle créance sur
qui. Le contenu des produits titrisés est une « boîte noire » fermée
à double tour, en particulier dans le cas des fameux CD Os de
C D O s.... On lit régulièrement dans la presse des constats alar­
mants sur les dangers considérables qui pèsent encore sur les insti­
tutions financières. La dette du private equity, le crédit à la
consommation américain, les prêts réalisés en Europe de FEst par
les banques d’Europe de FOuest sont autant de points d’interroga­
>- tion. Dans cet univers opaque, les économistes en sont réduits à
LU
ro émettre de vagues doutes, sans aucune base solide.
tH

fN
O
Notre lecture de cette crise est que la régulation, financière ou
JCC autre, doit reposer sur deux jambes : la production d’information
T
's -
>•
et sa diffusion au public.
CL
O
U La production d’information doit concerner les bilans des institu­
tions financières, banques et investisseurs. À l’heure actuelle, les
bilans des banques sont extrêmement opaques et le résultat de la
“ô crise sera d’accroître cette opacité : les banquiers sont parvenus à
LU
(CLD convaincre les gouvernements que les actifs bancaires ne pouvaient CD
Z)
O pas être évalués à leur valeur de marché. Alors que l’enjeu est celui CD^
6 CD

d’une régulation procyclique (plus exigeante quand les marchés

20 9
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

sont euphoriques, plus patiente en phase de crise), les banquiers


ont convaincu les politiques que c était Ibpacité qui était préférable.
La production d’information doit aussi, et surtout, concerner les
liens de dépendance entre les différents acteurs du système. Faute
d’une telle information, la gestion des faillites de Lehman Brothers
et AIG s’est faite dans l’urgence et dans une totale ignorance des
répercussions potentielles. Dans ces conditions, les régulateurs ne
pouvaient que commettre une erreur : celle de mettre en danger la
confiance dans le système (Lehman), ou être trop généreux avec le
secteur financier, au risque de choquer l’opinion et dépouiller le
contribuable (AIG). Cela implique de réduire autant que possible
les transactions de gré à gré, et de les transférer sur les marchés
centralisés, qui ont fait preuve de leur solidité pendant la crise.
Mais la seconde jambe de la régulation financière est la diffusion
au public. Déjà, le régulateur est dépassé par la quantité d’informa­
tion que les acteurs financiers lui transmettent. Si cette quantité
augmente comme nous l’appelons de nos vœux, l’information
restera inutilisée, même si les autorités de régulation sont renfor­
cées. De plus, le régulateur n’est pas omniscient, il ne pense pas à
tout ; certains problèmes nouveaux ou des tentatives de dissimula­
tion de la part des banques peuvent échapper à sa surveillance.
Finalement, le régulateur peut être capturé : il peut être l’objet de
pressions de l’État, des politiques ou du secteur qu’il doit réguler. Il
peut se sentir en situation d’infériorité par rapport aux experts et
lobbyistes en service commandé. Bref, le régulateur ne peut pas
tout, tout seul.
>-
UJ
ro Pour l’épauler dans sa tâche, le régulateur doit s’appuyer sur
o
fNJ l’écologie des citoyens impliqués : universitaires, membres d’ONG,
journalistes d’investigation. Ainsi pris à partie, le public devient
sz
Ol alors coresponsable de la conscience que le système a de sa propre
>-
Q. stabilité. Alors, on peut l’espérer, les dérives non soutenables et la
O
U propension patente à créer des rideaux de fumée se verraient plus
vite détectées et dénoncées. Le rôle du régulateur est ainsi redéfini
CO
comme celui d’un informateur, responsable de photographier le
O
'O
réel. C’est à une véritable mise à jour technologique des supervi­ “Ö
LU
03
seurs financiers qu’il faut aujourd’hui s’attaquer. Ceux-ci doivent 0CL
Z)

'O se voir comme des officiers du système de données ; leur presta­ o


CD
tion s’adresse en grande partie au public : non seulement l’infor-

21 0
débats et idées

mation doit être accessible, mais elle doit 1etre facilement. Fournir
ainsi au public les moyens denquêter est un travail de longue
haleine. Il ne permettra certainement pas deradiquer le risque de
crise, mais de détecter plus en amont les problèmes.
Ce nest pas une utopie : rappelons que des avancées considérables
ont déjà été faites aux États-Unis sur les marchés d’actions qui sont
centralisés. Sur ces marchés, qui nbnt pas connu depisodes de crise
de liquidité, tous les investisseurs (y compris les fonds spéculatifs)
doivent remettre chaque trimestre au régulateur le contenu de leur
portefeuille. Ces formulaires (nommés 13F) sont mis à disposition
de tous sur Internet, sous un format standardisé. Même transpa­
rence pour les transactions d’initiés : ceux-ci doivent déclarer
immédiatement leurs transactions à la Security and Exchange
Commission (SEC) qui les rend publiques. Si cela n’empêche pas les
délits d’initiés, cela les met sous la surveillance du public. En
France, l’initié doit déclarer ses transactions à l’AMF, mais celle-ci
garde l’information pour elle : on tient le public à l’écart.
Dans cette révolution de la régulation qui s’annonce, les États-Unis
sont en avance, mais il leur reste beaucoup de progrès à faire. La
France, avec sa culture élitiste de l’honneur et du secret, devra se
faire davantage violence.


La fin des modèles de développement
ro
1—1
O
r\J

© Publié le 1 1 juillet 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier


par Jean-Michel Séverine, inspecteur général des finances,
gi ancien directeur de l'Agence française de développement
>'
CL
O
U

Les années passées ont été marquées par un changement à la fois


politique et intellectuel dans la thématique du développement.
CD>
o-
>~
Auparavant, les questions liées à ce sujet étaient assez largement Q
LU oa
(D déconnectées de celles du monde développé. S’engager dans les CD
n
Q_

O problématiques du développement était souvent associé à un enga­ CD n


6 CD
Ln
gement éthique, personnel ou politique. La réussite ou l’échec des

21
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

pays en voie de développement (PVD) en termes économiques


avait finalement un impact très limité, voire nul, sur nos propres
sociétés. Au cours des dernières années, j ’ai pu observer un chan­
gement radical car la situation des pays émergents a désormais un
impact fort et direct sur celle des pays développés.
Ce changement peut s’expliquer par deux phénomènes. Le premier
réside dans la situation démographique. Nous continuons de penser
notre monde de la même manière qu’à l’époque de la décolonisa­
tion où ce dernier n’était peuplé que de 3 milliards d’habitants, dont
2 milliards vivant dans les pays en développement. Or le nombre
d’habitants a très peu évolué dans les pays de l’OCDE alors qu’il a
doublé dans les PVD, pour atteindre aujourd’hui près de 5 milliards
d’habitants. Les projections démographiques indiquent que la
planète devrait compter près de 9 milliards d’habitants à
l’horizon 2050, dont 8 milliards vivant dans les pays émergents.
Compte tenu des inégalités de richesse, nous mesurons mal les
conséquences relatives à la densification du peuplement sur notre
planète notamment en matière de stratégies économiques et
sociales. En dépit de son caractère fondamental, la démographie a
dans les faits été mise de côté par la science économique. Or, pour
les économistes du développement, la démographie reste le premier
facteur, celui qui structure toute analyse. Le second phénomène
correspond au développement de la pensée écologique. Nous nous
situons en quelque sorte dans une ère marquée par la fin de la
nature. Et les travaux réalisés sur l’épuisement des ressources natu­
relles fossiles et non fossiles sont source d’inquiétude.
>-
UJ
ro
O
(N Ce n o u v e a u régime de c r o issa n c e

sz NE SERAIT-IL PAS AU FOND LA CONDAMNATION


ai
>-
CL DE MODES DE PENSÉE ÉCONOMIQUE
O
U
QUI NE SONT PAS ADAPTÉS AUX CONTRAINTES PHYSIQUES
QUE NOUS CONNAISSONS ?
03
'O Le monde connaît une transformation substantielle caractérisée
LU
03
»✓ 3
par l’inversion des raretés. La ressource humaine est présente en CD
Q_
Z)

'0 3
quantité abondante. Et cette abondance a transformé la ressource O
6
humaine en une denrée jetable. Dans le même temps, la nature est

212
débats et idées

devenue une denrée rare ce qui constitue un fait nouveau dans


rhistoire économique. Jusqu’à présent, la croissance économique
des pays développés était basée sur des actifs naturels peu onéreux
ou gratuits. Cette situation nous renvoie à la pensée physiocrate,
ainsi qu’à la pensée malthusienne. À la lumière de ces éléments, il
convient de se demander dans quelle mesure nous ne sommes pas
entrés dans un processus de croissance lent et sale. Ce nouveau
régime de croissance ne serait-il pas au fond la condamnation de
modes de pensée économique qui ne sont pas adaptés aux
contraintes physiques que nous connaissons ?
Depuis une dizaine d’années, nous avons assisté à la mise en place
de stratégies de rupture dans les pays en voie de développement
qui modifient la nature du processus avec lequel nous devons
composer. Il y a vingt ans, le développement était systématique­
ment considéré comme un processus voué à l’échec et les pays
développés restaient indifférents au sort des PVD. Or le dévelop­
pement économique a porté ses fruits et le nombre de personnes
sorties de la pauvreté absolue est considérable. Ce phénomène
connaît aujourd’hui une accélération et le continent africain, long­
temps délaissé, a procédé à d’importants changements favorisant
ainsi son rattrapage. Plus précisément, ces pays ont mis en place
des modèles de développement diversifiés, efficaces et performants
et qui se distinguent les uns des autres, mais ont pour caractéris­
tique commune de ne pas se conformer au consensus des manuels
d’économie !
>-
LJU Les pays asiatiques ont opté pour une stratégie de croissance
m
O
fondée sur les modèles à doubles excédents, budgétaires, d’une
(N
@ part, et de balance des paiements, d’autre part. Ces excédents
sz
CT
budgétaires et de balance des paiements ont été générés grâce à
CL
une stratégie d’industrialisation et des parités très compétitives. Le
O
U recyclage de ces excédents de balance des paiements dans le finan­
cement des débiteurs et des clients constitue des modèles d’achat
de clientèle (par exemple le Japon et aujourd’hui la Chine). Ces
“Ö modèles se sont montrés particulièrement efficaces et l’ensemble CDs
LU
(CLD des institutions internationales les présente désormais souvent CD
3
O comme incarnant une voie privilégiée pour favoriser la croissance CD<
Ö CD
uo
économique.

213
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Les deuxièmes modèles reposent sur lexportation d’hommes et de


nombreux pays ont investi dans de telles stratégies (Philippines,
Mexique, Maroc) où les rapatriements de capitaux constituent un
moteur financier important. Les transferts de revenus peuvent
représenter une proportion très substantielle du revenu par habi­
tant du pays dorigine. Au cours de la dernière décennie, nous
avons assisté à lemergence d’un troisième modèle basé sur l’expor­
tation des services (Inde par exemple). Les travaux de la Banque
mondiale montrent par ailleurs que les performances, en matière
de PIB, des pays ayant investi dans cette famille de stratégie sont
supérieures à celles obtenues par l’intermédiaire des stratégies
précédentes.
Plusieurs caractéristiques sont néanmoins communes à ces trois
modèles. Ils sont bâtis à la fois sur le déséquilibre démographique
et sur des stratégies extraverties, autrement dit sur des schémas
de capture de parts de marché. Au fond, quelle que soit la stra­
tégie employée, elle repose sur l’exploitation des différences de
volumes entre les PIB des pays développés et des PVD. Ces
modèles de développement sont par ailleurs fondés sur la notion
de non-réciprocité contrairement à la pensée libérale qui base son
analyse sur l’idée que le développement économique des uns
favorise celui des autres.

Les stratégies de développement soutenables


DEVRAIENT ÊTRE CONÇUES À PARTIR DE STRATÉGIES
>-
LU
DITES « W IN-W IN »
ro
T—)

fN
O Ces modèles connaissent néanmoins de graves limites et nous
pouvons nous interroger sur leurs perspectives d’avenir. La
JZ
oi première concerne la soutenabilité environnementale. Si nous
>•
a.
O
voulons limiter l’augmentation de la température de deux degrés,
U
nous serons contraints de limiter nos émissions de carbone à deux
tonnes par habitant. Or la quasi-totalité des pays développés a déjà
atteint ce seuil. En outre, la croissance des pays en développement
a>
'O repose sur l’utilisation extensive d’énergies fossiles, mais aussi de ~ô
LU
O nombreuses ressources naturelles, ce qui rend caduque la courbe 0Q_
Z)
de Kuznets environnementale. Le modèle qui repose sur les O
CD
doubles excédents industriels pose également la question de la

21 4
débats et idées

soutenabilité en ternies sociaux. Ces modèles économiques


mettent sous pression les sociétés des pays du Nord à travers
notamment la mise en œuvre de politiques de délocalisation et
Fimportation de main-d’œuvre étrangère. Le choc est d’autant plus
important pour les sociétés de l’OCDE lorsque ce sont des pays
comme la Chine ou l’Inde qui développent ce type de stratégies.
Cette trajectoire paraît peu soutenable et nous nous exposons à des
crises politiques ou sociales susceptibles de remettre en cause les
mécanismes de coopération internationale. Cette situation paraîtra
au Nord d’autant plus insoutenable que la réussite même du déve­
loppement au Sud y apparaît comme un échec. Au contraire, les
stratégies de développement soutenables devraient être conçues à
partir de stratégies dites « win-win ».
Les économistes du développement et les institutions chargées du
développement ne sont pas armés pour faire face à ces probléma­
tiques. Toutes les stratégies de développement recommandées aux
PVD reposent sur des modèles d’imitation. Les institutions inter­
nationales et les économistes du développement sont en quelque
sorte programmés pour transférer les modèles les plus perfor­
mants au plus grand nombre de pays. Par ailleurs, ces institutions
ne sont pas équipées pour gérer et intégrer dans leurs grilles
d’analyse les effets d’interaction entre la société dans laquelle elles
vivent et les sociétés pour lesquelles elles travaillent. Ces institu­
tions œuvrent pour les pays en développement mais elles vivent,
en quelque sorte, expatriées sur leur propre sol. De manière géné­
>- rale, les modèles proposés internalisent très peu les externalités et
LU
ro la prise en compte de phénomènes d’épuisement des ressources est
O
(N presque absente de l’analyse.
@
sz
ai Pour gérer la dimension globale qu’a acquise la question de la réus­
>-
CL
site des parcours de développement, un retour aux sources de la
O
U science économique est nécessaire. Si l’inversion des raretés s’avère
exacte, alors la science économique préconise de taxer le bien rare
et de détaxer ce qui est abondant. Cette analyse simple a néan­
“Ö moins d’importantes conséquences notamment en matière de poli­ C
o-D'
LU
0CL tiques publiques. Par exemple, l’énergie demeure massivement CD
a
O subventionnée dans les pays en développement. Aujourd’hui CD-
(5 encore, nous considérons la nature comme un bien gratuit et cette
CD

215
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

absence de prix a une influence considérable sur les projets de


développement.
La seconde piste consiste à exploiter les vertus des marchés intérieurs.
Toutes les stratégies de développement mises en œuvre jusqu’à
présent ont été fondées sur la valorisation des marchés extérieurs au
détriment des marchés intérieurs. Il est en effet plus aisé pour un pays
émergent de mettre en place une stratégie extravertie car elle ne
requiert que peu d’infrastructures, ni la mise en place d’un système de
redistribution sociale, ni même une bonne gouvernance. À l’inverse,
les stratégies fondées sur la promotion des marchés intérieurs sont
plus complexes car elles requièrent d’importantes capacités institu­
tionnelles et le retour sur investissement est beaucoup plus long. Par
ailleurs, les stratégies de développement des marchés intérieurs ne
parviennent pas à traiter de la question des apports technologiques
des investisseurs extérieurs. Cela explique l’échec des modèles de
développement en Amérique latine durant les années 1970 et 1980.

Q ue p o u v o n s -n o u s faire pour q ue les stratégies


DE développement ÉCONOMIQUE SOIENT PLUS RICHES
EN HOMMES, PLUS PAUVRES EN NATURE ET EXIGEANTES
EN RETOUR SUR INVESTISSEMENT ?
La question centrale censée guider notre réflexion pourrait donc
être posée en ces termes : « Que pouvons-nous faire pour que les
stratégies de développement économique soient plus riches en
>-

hommes, plus pauvres en nature et exigeantes en retour sur inves­
ro tissement ? » Aujourd’hui, pour apaiser la faim, stabiliser les
O
rvj sociétés et redonner l’espoir d’un rattrapage des pays pauvres, le
x: retour sur investissement doit atteindre 8 %, loin devant le taux de
CT
> - rendement de 2% qui correspond à des stratégies de développe­
Cl
O
U ment basées sur la promotion du marché intérieur. Or seules ces
stratégies sont compatibles avec des équilibres commerciaux,
financiers et sociaux internationaux.
S
'O “ô
L’aide publique pour le développement est efficace lorsqu’elle est
LU
03
bien employée et quelle répond à une logique de filet de sécurité 0CL
Z)

'O
sociale. Mais l’aide publique au développement ne répond pas à la O
(5
question suivante : quel sens souhaitons-nous donner à la

216
débats et idées

construction de notre planète ? Quelle société construisons-nous ?


Sommes-nous encore capables de construire une règle du jeu où
tous les participants seraient gagnants, dans un monde à
9 milliards d’habitants ? La société que nous léguons à nos enfants
aura besoin de confiance pour se gérer. Or nous devons à tout prix
réduire dès maintenant l’inégalité des chances de manière à favo­
riser cette confiance. Cependant, nous sommes en quelque sorte
piégés dans une situation où d’un côté nous donnons l’espoir d’un
rattrapage tout en confrontant nos propres structures sociales à des
ajustements internes parfois douloureux, alors que d’un autre côté
nous refusons d’entrer dans ce jeu engendrant alors une configura­
tion insoutenable sur le plan politique.
En nous fixant comme objectif la construction d’une société
fondée sur l’égalité des chances alors la science économique doit
entrer en jeu à travers la promotion des modèles économiques de
convergence, le développement de stratégie « win-win ». Malheu­
reusement la trajectoire que nous empruntons diverge de celle que
je viens de vous énumérer.

Peut-il exister une performance financière


durable sans performance sociale ?
>-
LU
Publié le 17 janvier 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
m par Daniel Bacqueroëp ancien président de la DFCG,
O
(N membre du comité éditorial du Blog du Directeur Financier,
directeur général finances, Brink's, Clara Cahagne et Delphine Regallet,
Jgi
C étudiantes master contrôle de gestion, Paris-Dauphine
>•
a.
O
U
De tout temps, la richesse s’est exprimée, entre autres, en nombre
de bras, que ce soit pour la construction des pyramides, pour la
production agricole, ou pour la domesticité... Jean Bodin^ écrivait
"o CD'
LU
en 1576 : « Il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop

CL
CD
O
O CD<
Ô 1. Jurisconsulte, philosophe et théoricien politique français.
CD
uo

217
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

de citoyens : vu qu’il n y a richesse, ni force que d’hommes. » Resi­


tuée dans son contexte, cette citation nous décrit une France du
xvi^ siècle, dont la richesse était concentrée sur l’exploitation de la
terre. Pour assurer la pérennité de leurs propres richesses, les
propriétaires de terres se devaient de garantir, à leur tour, une sorte
de « minimum social ».
Avec la révolution industrielle qui vit l’avènement du capitalisme
entrepreneurial et industriel, et les débuts du capitalisme financier,
vint le paternalisme et son cortège de mesures sociales (logements,
dispensaires de santé, scolarisation...) ; il ne s’agissait pas, à
proprement parler, de performance sociale, mais d’actions desti­
nées à servir le capitaine d’industrie (« Un ouvrier en bonne santé
travaille mieux et plus longtemps »).
La période d’après-guerre, quant à elle, vit, en Occident, le dévelop­
pement d’une économie internationalisée « heureuse », et de
grandes avancées sociales (plein emploi, retraites, sécurité sociale,
meilleure reconnaissance du travail...) que nous pensions solides et
durables. Exit l’entreprise façon Zola : la santé au travail et le bien-
être social dans l’entreprise commencent à être pris en compte.
Mais ces dernières années, les excès de la mondialisation ont aussi
produit leurs effets pervers. La brutalité des marchés, la concurrence
acharnée, la course à la compétitivité, les dérives financières des
banques et maintenant les déficits des États ont progressivement
éclipsé le bien-être social au profit de la performance financière à
court terme. Dès lors, comment réconcilier performance financière
>- durable et performance sociale ?
LU
en
O
Recréer un équilibre bénéfique à tous nécessite de repenser le lien
fN entre le « social » et le « financier ». Naturellement, une bonne
JZ performance dans la gestion du volet social d’une entreprise
>• constitue un indicateur déterminant de la qualité du management.
a.
O
U Mais c’est loin d’être suffisant. D’autant que l’horizon temporel
s’avère l’un des paramètres les plus complexes à gérer : alors que la
profitabilité est aujourd’hui orientée plutôt court terme, la qualité
<u
'O du lien social se construit, elle, sur le long terme. “Ö
LU
a> Des indicateurs sociaux simples - taux d’absentéisme, rotation du 0CL
Z)

'0> personnel, formation, égalité professionnelle - sont nécessaires, O


CD
mais insuffisants pour rapprocher ces deux horizons.

218
débats et idées

Les directions financières doivent créer de nouveaux indicateurs


de performance sociale, en collaboration avec les autres acteurs de
lentreprise. Ces indicateurs doivent être partie intégrante de la
performance financière et être directement corrélés à celle-ci.
La qualité du lien social, garante de la performance sociale,
contribue à créer directement de la richesse (par exemple, la
formation, facteur de développement de la diversité des compé­
tences dun individu et facteur de création de richesse pour lentre-
prise, doit être considérée comme un investissement à long terme).
Certains pays intègrent des indicateurs de bonheur dans la créa­
tion de richesse : ainsi un salarié heureux dans lentreprise s y
montrera plus créatif et plus investi.
De même, la qualité des échanges d’informations est facteur de
créativité, d’adhésion à des solutions globales. La « transversalité »
du salarié, la diversité des compétences et la reconnaissance de son
travail participent à son épanouissement, et entraînent directe­
ment une meilleure performance économique et financière.
Il n y aura pas de performance financière durable sans perfor­
mance sociale, parce qu’on ne pourra pas construire des référen­
tiels homogènes nouveaux avec des marqueurs financiers
traditionnels ou anciens. Tout le monde va devoir participer à la
réflexion.
Ainsi, un groupe de travail mené par deux étudiantes du master de
contrôle de gestion de Paris-Dauphine fait-il ressortir cinq axes
>•
LU fondateurs du lien social, permettant d’évaluer un niveau d’atteinte
ro
rH
O
de performance sociale : une vision stratégique partagée par le
(N
management avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise,
CT un climat social de qualité, une formation qui valorise connais­
> .
CL
sances, compétences et savoir-faire, la transversalité au sein de
O
U l’entreprise, et l’utilisation des nouvelles technologies.
La clé du succès global, demain, sera donc bel et bien la prise de
conscience de chacun de la nécessité de replacer l’intérêt général
“ô CDs
LU
au centre du pilotage de l’entreprise.
(CLD CD
3
O C ontribution origin ale d e la DFCG CD»
CD
Ô uo
p o u r Option F in an ce (d écem bre 2011 ).

21 9
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Pourquoi fout-il foire reculer


la globalisation financière,
sans perdre les autres globalisations ?
Publié le 18 janvier 201 2 sur te Blog du Directeur Financier
par Jérôme Cozes, consultant et enseignant, НЕС

La finance sest engouffrée dans le discours de la libéralisation des


marchés de biens, le reprenant à son compte. En trente ans, la
globalisation et la déréglementation de la finance ont fait des
progrès vertigineux. Cela a favorisé deux des principaux fléaux de
ce début de siècle : Tinstabilité économique chronique (qui est une
instabilité financière) et des inégalités détruisant le lien social.
Un retour de bâton semble s’organiser. Pour qu’il soit le plus rapide
possible et n’emporte pas avec lui à la fois les mérites de la globali­
sation précédente (celle des biens) et les avantages collectifs bien
réels de l’économie de marché, il est utile de comprendre l’erreur de
raisonnement que l’on fait en assimilant les marchés de biens et les
marchés financiers.

La collectivité gagne à une globalisation et à une (certaine) dérégu­


lation des marchés de biens, pour trois raisons au moins :
1. Dans la majorité des cas, des économies d’échelle accompa­
gnent la concentration et amènent des avantages collectifs aux
consommateurs de biens.
>-
Ш
2. Les coûts de production d’un bien sont connus quand il est mis
O en vente, ce qui permet aux producteurs de travailler dans une
(N

© relative sécurité, et à tous les acteurs du marché de repérer les


CT comportements anormaux (les ventes à perte ou les marges
>•
CL obscènes).
O
U
3. Les marchés de biens sont naturellement assez stables, grâce à ce
que les économistes appellent une élasticité prix négative pour la
«✓ »
demande et positive pour l’offre : quand le prix d’un bien aug­
'O »
mente, son offre augmente, mais inversement sa demande dimi­ “ô
a> nue entraînant ainsi un double ajustement des volumes par les
LU
ш
CL
Z5
prix. À quelques (gros) problèmes près et qui tiennent principale­ O
ô
ment à des décalages dans cet ajustement (quand l’ajustement de

22 0
débats et idées

production prend du temps et crée un cycle d’investissement, ou


quand les productions sont volatiles et saisonnières comme dans
l’agriculture), le marché converge vers l’équilibre ou, en tout cas,
l’équilibre est plus fréquent que le déséquilibre.

Malheureusement, les marchés financiers ont des caractéristiques


exactement inverses sur chacun de ces trois points qui transfor­
ment les avantages de la globalisation et de la dérégulation en
graves inconvénients :
1. Il y a certaines économies d’échelle dans la finance, mais elles
sont minimes comparées aux déséconomies d’échelle qu’engen­
drent les risques financiers. Les grosses banques font de grosses
bêtises et le mécanisme maintenant amplement décortiqué du
« too big to fa il » fait que les institutions financières, en grossis­
sant, deviennent des bombes en puissance prenant en otage
leurs collectivités nationales.
2. Les coûts de production d’un service financier (qu’il s’agisse
d’ailleurs d’assurance ou de banque) ne sont connus qu’après la
mise en vente et parfois très longtemps après : ce n’est qu’à
l’échéance d’un prêt ou d’une police d’assurance que l’on peut
savoir s’il ou elle a été correctement tarifé(e). Le contrôle des
marchés, par les acteurs ou par un régulateur, est donc considé­
rablement plus difficile, en même temps que leur manipulation
est énormément facilitée.
3. Enfin, l’élasticité qui ramène à l’équilibre les marchés de biens
éloigne de l’équilibre les marchés financiers. Quand le prix d’un
>.
Ш
actif financier augmente, cet actif attire les investisseurs qui espè­
rent de la hausse une nouvelle hausse et la provoquent d’ailleurs
rvj
O
en achetant. L’inverse est vrai pour les baisses qui découragent la
demande. La production en revanche est souvent contrainte :
gi même si la créativité financière permet parfois de multiplier les
>'
CL
O
U
petits pains (et à quel coût ! Pensons aux subprimes), le volume
d’un actif (par exemple le nombre d’actions d’une société) est en
général relativement inélastique. L’ajustement par les prix ne se
fait pas, au contraire, et les bulles qui sont l’exception pour les
“ô o-
CD'

LU
biens deviennent la règle pour les actifs financiers. Q
Zn
(CLD CD
3
O Le débat continue de s’organiser « pour ou contre » la globalisation CD<
Ô CD
Ln
ou la réglementation des marchés, alors qu’il devrait reconnaître que

221
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Tintérêt collectif dépend énormément des marchés considérés. Dans


la finance, beaucoup de passagers clandestins s’abritent derrière le
marché pour défendre des rentes de situation terriblement coûteuses
pour la collectivité. Halte à la globalisation de la finance !

Taxer les 1 %. Oui, le taux marginal


d'impôt peut dépasser les 80%
Publié le 29 février 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Thomas Piketty, professeur, Paris school of economics et directeur,
Public policy programme, CEPR, Stefanie Stantcheva, doctorante en économie,
MIT et Emmanuel Saez, professeur d'économie et directeur,
center for equitable growth, université de Californie, Berkeley

Aux États-Unis, la part du revenu avant impôt allant aux 1 % les plus
riches a plus que doublé, passant de moins de 10% dans les
années 1970 à plus de 20 % aujourd’hui. Un tel mouvement s’observe
dans d’autres pays anglo-saxons. Contrairement à une vue
commune, la mondialisation et les nouvelles technologies ne sont
pas à blâmer. D’autres pays de l’OCDE tels que ceux d’Europe conti­
nentale ou le Japon ont connu une bien moindre concentration du
revenu vers les mégariches (World Top Incomes Database 2011).
>-
LU Dans le même temps, les taux supérieurs d’impôt sur les revenus
ro
tH les plus élevés ont décru significativement depuis les années 1970,
O
fN
à nouveau spécialement dans les pays anglophones. Par exemple,
JC les taux marginaux d’impôt aux États-Unis et au Royaume-Uni
>• étaient au-dessus de 70 % avant que les révolutions de Reagan et de
a.
O
U Thatcher les coupent drastiquement de 40 points en une décennie.
À une époque où la plupart des pays de l’OCDE font face à des défi­
cits et à un poids de la dette importants, une question cruciale de

CO


'O
politique publique est de savoir si les gouvernements devraient taxer
LU
eu davantage les hauts revenus. La recette fiscale en question est loin CD
CL
"5 d’être négligeable. Par exemple, doubler le taux supérieur d’impôt
Z)
O
6
sur les 1 % des plus hauts revenus aux États-Unis, du niveau de

222
débats et idées

22,5 % actuellement à 45 %, accroîtrait les recettes fiscales de 2,7 %


du PIB par an. Bien sûr, un tel calcul est statique et une telle hausse
peut très bien affecter le comportement des riches, le revenu qu ils
déclarent, leconomie au sens large et de façon ultime la recette
fiscale obtenue. Une récente recherche (Piketty et al. 2011) analyse
cette question à la fois empiriquement et conceptuellement.
Une forte corrélation existe entre les réductions des taux d’impôt
sur les plus riches et l’accroissement de la part du 1 % au sommet
dans le revenu avant impôt. Les données couvrent la période allant
de septembre 1975 à août 2004 pour les 18 pays de l’OCDE où
l’information sur le partage des impôts selon le niveau de revenu
est disponible. Par exemple, les États-Unis ont connu une réduc­
tion de 35 points dans leur taux marginal d’impôt et une crois­
sance très importante de 10 points dans la part du revenu avant
impôt allant aux 1 % les plus riches. Par contraste, la France ou
l’Allemagne ont connu peu de changements. L’évolution des taux
supérieurs d’impôt semble bien prédire la variation dans la
concentration du revenu avant impôt.

Trois explications possibles

Trois scénarios peuvent expliquer pourquoi les revenus avant


impôt des plus riches dépendent autant de leurs taux d’imposition.
Chacun a des implications très différentes en matière de politique
publique.
Premièrement, des taux supérieurs plus élevés peuvent décourager
>-
LU l’effort au travail et la création d’entreprises par les plus talentueux -
ro
T—)
O
ce qu’on appelle Vejfet dbjfre. Dans ce scénario, des taux d’imposition
fN
plus bas conduiraient à davantage d’activité économique chez les
JC riches et donc à plus de croissance économique. Si toute la corréla­
> .
a.
tion était due à un tel effet d’offre, le modèle cité dans notre étude en
O
U référence indique que le taux d’imposition qui maximiserait les
recettes publiques se situerait à 57 %. Il resterait donc de la marge
pour les États-Unis en matière d’impôts sur les hauts revenus, mais
"Ö la limite est déjà atteinte dans beaucoup de pays européens.
LU
(Q_D Deuxièmement, des taux d’imposition élevés accroissent l’évasion CD
Z)
O fiscale. Dans ce scénario, accroître les taux supérieurs dans un système CDo
ü CD

fiscal largement mité par les niches fiscales et les opportunités

223
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

devasion fiscale nest pas le plus productif. Une meilleure mesure poli­
tique serait de commencer par supprimer les niches fiscales, puis
seulement alors d’accroître les taux d’imposition au sommet. 11 est
connu et bien documenté que l’on peut éliminer le gros des évasions
fiscales, mais avec une volonté politique et une coopération interna­
tionale. En adoptant une base fiscale large fermée à l’évasion fiscale, il
n’y a plus que les effets d’offre pour éventuellement fixer le niveau au-
delà duquel des taux d’imposition deviendraient contre-productifs.
Troisièmement, on peut être sceptique face aux modèles écono­
miques standards qui supposent que la rémunération des agents
reflète parfaitement leur productivité marginale. Le modèle stan­
dard est particulièrement peu convaincant au sommet de la distribu­
tion des revenus où la contribution économique des managers qui
travaillent dans des organisations complexes est difficile à mesurer.
Dans ce scénario, les plus hauts revenus ont les moyens de définir
leur propre rémunération en négociant plus durement ou en
influençant les comités de rémunération. Bien entendu, les incita­
tions à de telles recherches de rente sont beaucoup plus fortes quand
les taux supérieurs sont bas. Dans ce scénario, des baisses des taux
supérieurs peuvent accroître la part des hauts revenus, mais la
hausse des revenus du 1 % supérieur se fait au détriment des 99 %
restants. En d’autres mots, les taux supérieurs stimulent la captation
de rente au sommet mais pas la croissance économique - une réelle
différence avec le premier scénario, celui de Vejfet dojfre.

>-
Ш
n Q uelle explication retenir ?
T—I
O
fNJ
Pour distinguer ces différents scénarios, il faut mesurer dans quelle
gi proportion une baisse du taux marginal d’impôt conduit à une plus
>'
CL
forte croissance économique. Il n’y a pas vraiment de corrélation.
O
U Par exemple, les pays qui ont fait des réductions massives dans les
taux marginaux, tels le Royaume-Uni ou les États-Unis, n’ont pas
crû significativement plus vite que les pays qui ne Font pas fait,

'O comme l’Allemagne ou le Danemark. Cela suggère qu’une fraction “Ö
LU
03
4/3
importante de la réponse des revenus avant impôt aux taux supé­ Ш
Q_
"5 rieurs d’impôt serait due à une recherche accrue de rente au Z)
O
CD
sommet plutôt qu’à un effort productif accru.

22 4
débats et idées

Bien sûr les comparaisons entre pays sont toujours délicates. Mais
le fait central est que les pays riches ont tous crû à peu près au
même rythme sur les trente dernières années, malgré de très fortes
différences dans la politique fiscale. Sur la base de notre modèle et
de paramètres moyens où la réponse des hauts revenus à des taux
supérieurs plus élevés provient à la fois d’un effet dbffre et d’un
effet de recherche de rente, nous trouvons que le taux supérieur
d’impôt peut potentiellement être fixé à 83 %, et non plus à 57 %
comme dans le pur modèle à effet d’offre.
Ce modèle permet d’analyser l’évolution de la fiscalité des hauts
revenus depuis l’après-guerre. Jusqu’à la fin des années 1970, les
décideurs politiques et l’opinion publique ont probablement consi­
déré - à tort ou à raison - que des augmentations de revenu au
sommet de l’échelle des revenus reflétaient davantage la cupidité
ou des activités socialement inutiles qu’un travail productif. C’est
pourquoi les gouvernements décidèrent de fixer les taux supérieurs
aussi hauts que 80 %-90 % aux États-Unis et au Royaume-Uni. La
révolution Reagan/Thatcher a réussi à accréditer l’idée selon
laquelle de tels niveaux étaient désormais impensables. Mais après
des décennies de montée de la concentration des revenus - et avec
elle une croissance médiocre et une crise financière déclenchée par
les excès du secteur financier - , il est possible de repenser sereine­
ment cette histoire. Le Royaume-Uni a accru son taux supérieur de
40% à 50% en 2010 en partie pour infléchir les excès des salaires
au sommet. Aux États-Unis, le mouvement Occupy Wall Street et
son fameux « Nous sommes les 99 % ! » reflète aussi l’opinion que
>-
LU les 1 % du sommet ont sans doute profité au détriment des 99 %.
00
O
(N Finalement, le futur des taux supérieurs d’imposition dépendra du
@ jugement qu’en aura l’opinion publique : les revenus au sommet de
sz
ai l’échelle viennent-ils légitimement de la productivité ou illégitime­
>-
CL ment de la captation de rente ? Avec une concentration des revenus
O
U
plus forte, les hauts revenus ont davantage de ressources pour
influencer les opinions publiques (au travers de think tanks ou des
médias) ou les politiques (au travers du lobbying), et ainsi de créer
"o une causalité inverse entre l’inégalité des revenus, les perceptions CD.
o-
Q
LU Zn
(D
C
et les politiques publiques. Face à cette réalité, les chercheurs en CD
a
l

O économie peuvent jouer un rôle utile en tentant d’estimer au mieux CD.


(5 les différents effets et paramètres.
CD
Ln

225
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Tobin or nof Tobin ?


Publié le 20 janvier 201 2 sur Le Blog du Directeur Financier
par Dominique Chesneau, membre des comités éditoriaux
du Blog du Directeur Financier et d'Echanges et président, Tresorisk

Dans ses vœux aux Français pour Tannée 2012, le président de la


République a annoncé la mise en place d une taxe sur les transac­
tions financières dont les contours rappellent la taxe Tobin dont il
convient de rappeler le concept avant de commenter les impacts
possibles et quelques enjeux actuels.
La taxe Tobin a pour idée génératrice de stabiliser les marchés^ en
augmentant très légèrement les coûts de transaction, ce qui est
censé réduire leur volatilité. De la même façon que des stabilisa­
teurs d'amplitude ont dû être installés sur le pont du Millenium à
Londres afin deviter une mise en résonance du pont, c est-à-dire la
conjonction entre les fréquences des mouvements des piétons avec
la fréquence propre de Touvrage d’art^.
Avec cette analogie en tête, il nest pas interdit detudier parallèle­
ment les mouvements sinusoïdaux physiques et financiers. Néan-

1. Le terme de taxe est donc impropre puisque ce prélèvement na pas de


finalité fiscale. Néanmoins, quand cette taxe verra le jour, il conviendra
d’avoir décidé Taffectation de son produit.
2. Le pont du Millenium est un pont suspendu situé à Londres au Royaume-
>.
Ш
Uni. Il s’agit d’une passerelle en acier réservée aux piétons enjambant la
ГО Tamise pour relier le quartier de Southwark sur la rive gauche à la City de
O
OJ l’autre côté. Ce pont a dû être fermé au public deux jours après son inau­
guration, en raison d’un phénomène de résonance, le pont oscillant laté­
gi ralement de façon imprévue à une fréquence croissante se rapprochant de
> .
a. la fréquence propre de résonance du pont. La résonance est un phéno­
O
U mène selon lequel certains systèmes physiques (électriques, méca­
niques...) sont sensibles à certaines fréquences. Un système résonant
peut accumuler une énergie, si celle-ci est appliquée sous forme pério­
03
LTt
dique, et proche d’une fréquence dite « fréquence de résonance » ou
'O “ô
« fréquence naturelle ». Soumis à une telle excitation, le système va être le Ш
O
siège d’oscillations de plus en plus importantes, jusqu’à atteindre un (D
"5 régime d’équilibre qui dépend des éléments dissipatifs du système, ou
Q_
Z3
O
bien jusqu’à une rupture d’un composant du système. Ô

226
débats et idées

moins, le diable se cache dans le détail et trois points majeurs


propres à la finance doivent être avancés.
La taxe Tobin a été proposée sur le marché des changes en 1972,
époque où ce marché était le plus important marché financier.
Depuis, les choses ont fabuleusement évolué et il serait déraisonnable,
sauf à recréer une étanchéité entre marchés ou à assumer l’apparition
d’arbitrages « fiscaux » et réglementaires entre marchés, de ne pas
étendre la taxe Tobin à tous les marchés financiers. Mais là aussi avec
les marchés de gré à gré, les dark pools, etc., il sera difficile de
« n’oublier » personne ; mais admettons, l’intendance peut suivre...
La taxe Tobin avait, dans l’esprit de son concepteur, pour ambition
de stabiliser les marchés. Force est de craindre, cette taxe réduisant
la liquidité d’un marché, un accroissement de la volatilité sauf si le
marché concerné est « infiniment » liquide. Ce qui n’est le cas que
lors de crises au cours desquelles la ressource financière devient
abondante voire illimitée grâce aux interventions des banques
centrales. De plus, « dans la vraie vie », on note que l’importance
de la liquidité d’un marché varie terriblement en fonction des
événements. Elle a la fâcheuse habitude de disparaître quand on en
a le plus besoin : dans les moments de marasme ! Ce phénomène
ne changerait pas avec l’application de la taxe.
Dans un environnement classique, le point technique financier qui
compte est celui de savoir si une taxe Tobin pourrait éviter un
comportement grégaire des opérateurs tel qu’une panique par
exemple sans l’intervention des prêteurs en dernier ressort.
>-
LU La réponse à cette question est abondamment commentée. L’étude
O des comportements des acteurs financiers depuis quatre ans
OJ
@ semble montrer que cet effet bénéfique existe jusqu’à un point
d’anxiété élevé à partir duquel une taxe à valeur proportionnelle
gi
>>
Q.
constante devient inefficace. C’est-à-dire que plus l’angoisse croît,
O
U plus le comportement des acteurs devient indifférent à une taxe à
taux constant.
Qu’en est-il en ce début d’année ? Le projet de directive sur la taxe
“Ô des transactions financières semble éloigné de la taxe Tobin - et ce
LXJ
(Q_D n’est pas un drame en soi mais un simple constat - même si la CD
Z)
O forme y ressemble : fixer des taux d’imposition minimaux sur une
6 CD
assiette large.

227
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

La Commission a pris le parti de privilégier les éléments


« éthiques » de la taxe par rapport au caractère stabilisateur retenu
par James Tobin.
Tous les États membres seraient tenus de respecter les règles de
rUnion européenne (UE) et d’appliquer un niveau minimum de
taxation. Les taux proposés pour les deux catégories de transac­
tions visées sont très b a s: 0,01% pour les transactions sur les
produits dérivés et 0,1% pour les autres transactions financières
imposables. La taxe frapperait les deux parties à la transaction et
concernerait tous les établissements financiers établis dans LUE.
La directive couvrirait tous les établissements financiers établis
dans LUE, comme les banques, les entreprises d’investissement, les
compagnies d’assurance, les fonds de placement spéculatifs, mais
aussi les services financiers des grandes entreprises^ ; la plupart
des instruments financiers (actions, obligations, etc.) et des tran­
sactions basées sur ces instruments (les produits dérivés, comme
les options et les swaps).
Quels seraient en apparence les bénéficiaires immédiats de cette
taxe selon la Commission ? La collectivité car une contribution des
banques compenserait certains coûts générés par la crise. Et un
système financier plus stable contribuerait à la stabilité écono­
mique générale. Une fiscalité mieux harmonisée dans l’UE profite­
rait aux organisations et aux particuliers réalisant des transactions
financières. Cela pourrait nécessiter l’adaptation ou la suppression
de certaines taxes nationales sur les transactions financières^. Les
>- administrations : les nouvelles recettes, estimées à 50 milliards
LU
ro
T—)
d’euros par an dans toute l’UE, alimenteraient les finances
O
fNJ

ai 1. En seraient exclus : l’essentiel des activités financières quotidiennes réali­


>•
a. sées par les particuliers et les entreprises (contrats d’assurance, prêts
O
U immobiliers, prêts à la consommation, prêts aux entreprises, services de
paiement, etc.). De même pour les premières émissions d’actions et
d’obligations par des entreprises ou des organismes publics (mais pas la
a> revente).
'O “Ö
2. Le stam p duty anglais s’applique par exemple aux transactions sur des
a> actions réalisées par des personnes physiques résidentes britanniques et
LU
0CL
Z)

'0 >
rapporte au Trésor britannique une somme approchant les 3 milliards de O
livres sterling. (5

228
débats et idées

publiques et pourraient remplacer une partie des contributions des


États membres au budget de FUE.
La réalité peut être nuancée. Le taux de rotation des portefeuilles
sous gestion détenus pas des Européens est proche de trois. C est-à-
dire que les gérants procèdent à six transactions par an (trois achats
et trois ventes). Ce chiffre multiplié par le taux de taxe de 0,1%
impacte les résultats de 0,6 %, chiffre qui, rapproché du rendement
des gestions monétaires et des actifs des fonds d’assurance-vie en
euros (2,5% -3% ) réduit de 20% la performance de ces porte­
feuilles.

S i d ' aventure cette taxe était européenne


AU SENS LARGE, LA PLACE DE LONDRES EN SERAIT-ELLE
LA PRINCIPALE BÉNÉFICIAIRE ?
Les entreprises émettrices d’actions et d’obligations en Europe
seraient pénalisées par rapport à leurs homologues américains et
asiatiques puisqu’elles devraient proposer un rendement intégrant
cette nouvelle fiscalité, ce qui n’est pas nécessairement pertinent
lorsque la réindustrialisation de la France est, à raison, perçue
comme une nécessité vitale. Si d’aventure cette taxe était euro­
péenne au sens large, la place de Londres en serait-elle la princi­
pale bénéficiaire ? Certes, il ne s’agit pas de raisonner en
apothicaire... mais tout de même ! Cette taxe serait redistribuée au
budget européen, à chaque pays d’implantation des contreparties
ou celui de leur siège social ?

ro Le pari de savoir si David Cameron - en porte-parole de la City -
O
r\J
acceptera de voter cette directive, n’est pas risqué ! Chacun
comprend, alors, que cette directive ne sera efficace que si elle
gi s’applique, au moins, aux 17 pays de la zone euro... et la volonté
>'
CL politique permet d’estimer raisonnables les chances que cela se
O
U
produise. Mais il s’agirait d’une illusion d’optique. Depuis 2008, les
banques du Sud de l’Europe n’ont presque plus d’activités locales
de banque d’investissement. Les institutions financières hollan­
“ô daises sont encore en réanimation ou en voie d’extinction. Les CD.
LU v/->
(Q_D Allemands alors ? La place de Francfort est puissante, sa Bourse est CD
Z)
O la deuxième au monde. Alors ? Seuls 300 opérateurs de Deutsche CDs
ü CD
Bank restent basés en Allemagne. Les transactions et la gestion

22 9
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

pour compte de tiers réalisées sur la Deutsche Börse le sont princi­


palement à Londres. En pratique, à propos de cette directive, la
zone euro se réduit... à la France ! Le soutien « à titre personnel »
de la chancelière au président de la République française nest pas
engageant, mais il est le signe d une bonne entente entre les deux
responsables politiques, de même que le placet délivré par le
Premier ministre espagnol.
Cest pourquoi, la position française a évolué depuis le
31 décembre 2011 : seules seraient taxées les opérations sur les
actions et leurs dérivés... seuls instruments et produits financiers
pour lesquels la France possède un réel savoir-faire local. Mais
même a m inim a, cette taxe imposée en France uniquement ferait
courir à l’industrie française de la gestion d’actifs un risque élevé
de délocalisation ou/et d’attrition en France.
À ce titre, dans ses vœux, le gouverneur de la Banque de France a
indiqué que « Paris a des domaines d’excellence qui n’ont rien à
envier à Londres et à Francfort. C’est le cas en particulier de notre
marché et des activités associées. Il faut espérer qu’une éventuelle
taxe sur les transactions financières n’affectera pas cette excellence.
Deux éléments me paraissent essentiels à cet égard : d’abord la
réflexion doit être européenne, deuxièmement le projet actuel de la
Commission soulève de très nombreux problèmes qui méritent un
examen approfondi ».
Sans l’approbation du Royaume-Uni, cette directive pourrait
s’avérer un coup de feu dans un pied français avec un résultat assez
éloigné des principes et profits évoqués par la Commission
>-
LU auxquels tout citoyen européen souscrit. L’instauration d’une taxe
O
sur les transactions financières réduites géographiquement à la
fN
France, même si cette approche exemplaire doit être saluée, repré­
gi sente un risque majeur pour le financement et la souveraineté
>>
CL
économique du pays, alors que d’autres « combats » européens
O
U doivent être livrés et gagnés. Mais la politique intérieure a des
raisons que la raison ignore !

_0)
'O “Ö
LU
03
4/3 0CL
"5 Z)
O
(5

23 0
débats et idées

La TVA sociale : oui, sauf en Allemagne


Publié le 26 décembre 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par François Meunier, président du comité éditorial
du Blog du Directeur Financier, ancien président de la DFCG, économiste

Par TVA sociale, on entend toute mesure de hausse de la TVA


accompagnée d’une baisse du coût du travail via le jeu des cotisa­
tions sociales ; le tout financièrement neutre pour TÉtat. Le débat
court toujours en France à son sujet, sans conclusion ferme. 11 doit
être relancé. Tout tient en trois propositions simples, admises par
la majorité des économistes :
1. Une hausse de la TVA, compensée par une baisse des cotisa­
tions sociales employeurs, est identique dans ses effets à une
dévaluation.
2. À long terme, une fois prises en compte les indexations respec­
tives entre les prix et les salaires, les effets d une dévaluation -
comme d une TVA sociale compensée - disparaissent en
grande partie.
3. Mais à court terme, une dévaluation comme une TVA sociale
compensée apportent un bol d’air à la compétitivité des entre­
prises.
La proposition 1 se prouve aisément. La hausse de la TVA frappe la
production domestique comme les importations, mais ne frappe
pas les exportations ; si elle est compensée budgétairement par une
>*
Ш baisse des cotisations sociales employeurs, la production à usage
ГО
T—)
O
intérieur et pour l’exportation est favorisée. Cette dernière gagne
fN
J
en compétitivité par rapport à l’importation. C’est exactement ce
gi que fait une dévaluation. Dans la zone euro, où les dévaluations
CL
sont interdites sauf à sortir de l’euro, la hausse compensée de la
O
U TVA est donc une alternative possible, permettant une « dévalua­
tion interne », c’est-à-dire une partielle remise à niveau de la
compétitivité qui ne touche pas au taux de change, par définition
“ô fixe. CD'
СЭ
C3-
Ш Zn
(QD- La proposition 2 tient au fait que sur la durée les salaires et les prix (et CD
Z)
O les prix entre eux) s’ajustent et reviennent au niveau d’équilibre des CD<
CD
Ô Ln
offres et des demandes. Tout choc nominal a donc, pour l’essentiel.

231
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

un effet transitoire, ce qui est une variante de la proposition bien


connue selon laquelle « la monnaie est un voile ». C est bien le cas
d une dévaluation : les prix à Timport, par exemple le prix du pétrole
importé, s’accroissent, ce qui a des effets en cascade sur les prix de
détail et sur les coûts à la production. Au bout d un temps, le niveau
général des prix revient à son niveau antérieur. C est sur cette base,
d’ailleurs, qu’est née l’idée de l’euro, idée que l’on retrouvera nécessai­
rement sur la route si jamais, par malheur pour le projet européen,
l’expérience devait cesser : dans une zone économique aussi intégrée
du point de vue commercial, financier et désormais politique et
culturel, le jeu des monnaies est vain sur la durée, et se paie en volati­
lité du change, en incertitude pour les relations commerciales et pour
la croissance, et en compétition stérile entre les pays de l’Union.
La « neutralité » d’une dévaluation est évidemment une très forte
approximation. Dans une récente des excellentes chroniques qu’il
tient dans Le M onde de leconom ie, Philippe Askenazy mentionne
notamment que la TVA ne frappe pas les banques et donc qu’à
défaut d’un relèvement de la taxe sur les salaires spécifique au
secteur financier, la TVA sociale permet un transfert de revenu
vers le secteur bancaire. (Voir Le M onde du 19 décembre 2011 : « Y
aura-t-il de la TVA sociale à Noël^ ? »)
De plus, la vitesse d’ajustement est très variable, selon les pays,
selon les conjonctures. Elle dépend du degré d’indexation des
contrats commerciaux et des salaires ; elle est moins forte
aujourd’hui dans la zone euro qui connaît une récession. C ’est ce
qui justifie la proposition 3 : dans l’intervalle, le gain de compétiti­
>-
UJ vité renforce les marges des producteurs nationaux et peut créer
m
1—I (sans garantie toutefois) un effet permanent sur l’offre, par l’inves­
rO\j tissement ou par des économies d’échelle liées au gain de parts de
marché. De la même façon, les huit à dix ans de surcompétitivité
CT
's -
>• gracieusement allouée à l’Allemagne par les mécanismes mal
CL
O
U réglés de l’euro ont renforcé sans doute durablement la puissance
manufacturière allemande.

«✓» _0
'O» “ô
1. Askenazy se réfère à une étude qui nèxamine pas la question de la compa­ LU
CD
1^1 raison entre les effets d’une dévaluation et de la TVA sociale. Sa conclusion 0CL
"5 Z)
est néanmoins que les effets « réels » sur la durée sont très maigres, ce qui O
va bien dans mon sens. (5

232
débats et idées

Or, cest bien une telle mesure de TVA compensée qu a prise l’Alle­
magne après l’arrivée d’Angela Merkel au pouvoir en 2005. Sie hat
nicht mit der Rückseite des Löjfels wurde! (Elle n’y a pas été avec le
dos de la cuillère !) Jugez-en : la TVA a grimpé de trois points, de
16% à 19%, compensée par une baisse des cotisations sociales.
C’était une mesure parfaitement non coopérative et choquante
dans un contexte européen, puisqu’elle renforçait l’avantage de
compétitivité allemande vis-à-vis essentiellement de ses parte­
naires du Sud de l’Europe, alors quelle n’en avait plus besoin, ayant
déjà absorbé les mesures restrictives et de restauration de la
compétitivité prises auparavant par le chancelier Gerhardt
Schröder.
11 est donc approprié, pour les pays de la zone euro sud, si l’on peut
employer cette dénomination, de considérer la même mesure.
Mais il serait plus légitime encore que l’Allemagne, puissance
dominante de l’Europe, détricote ce quelle a fait en 2006-2007, et
procède ainsi à une réévaluation internet
Le contexte l’impose. Il semble bien, au sortir de la réunion des
27 à Bruxelles le 9 décembre, que les mesures décidées par les
« 26 » ne règlent que très imparfaitement la question clé de la zone
euro, à savoir son problème de balance des paiements et d’écarts
tendanciels de compétitivité entre les pays. Il est certes bon, dans
une zone monétaire, de brider les dérives budgétaires nationales.
Mais l’ajustement budgétaire ne doit pas s’opérer de façon asymé­
trique, concentré sur les déficits de l’euro sud et non les excédents
>. de l’euro nord. L’effet d’ensemble serait alors récessif, ce qui n’est
Ш
pas le meilleur moyen d’arranger les finances publiques de la
O
fNJ zone.
@
Un mot pour finir sur le revenu des ménages. Dans sa forme pure,
gi
la TVA sociale, comme la dévaluation qui renchérit les prix
CL
O
U importés, pèse sur le pouvoir d’achat des ménages. Pas très
heureux (et pas très social) en ce moment - ou au contraire

“Ö
Ш
1. Pour être juste, il faut dire que rAllemagne a annoncé une mesure expan­ un
(CLÜ sive budgétairement, à savoir une réduction de l’impôt sur le revenu, CD
Z)
O mais dans le futur, en quelque sorte un subterfuge à opposer à ses parte­ CD.
CD
Ô naires s’ils venaient à lui reprocher son attitude non coopérative. un

233
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

heureux, si cest rAllemagne qui décide de la mesure, en distri­


buant ainsi du pouvoir d’achat à ses ménages. Si c est la restriction
qui l’emporte, c’est-à-dire si c’est la France ou d’autres pays eurosud
qui prennent cette mesure plutôt que l’Allemagne la contre-
mesure, il conviendrait de panacher la baisse des cotisations
sociales moitié-moitié entre employeurs et salariés.

L'e-G8 : tartufferie ou nécessité ?


Publié le 3 0 juin 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par Bruno de Laigue, président du comité éditorial ¿'Echanges, membre
du comité scientifique, directeur administratif et financier, Business Partner

Le PC, fixe ou portable, utilisé par tous depuis les années 1995,
peut désormais être considéré comme un objet de collection.
Avons-nous, en effet, conscience que les systèmes informatiques
d’aujourd’hui sont, déjà, obsolètes ?
Il suffit, pour s’en convaincre, de voir la standing ovation reçue par
Steve Jobs lors de la réunion annuelle d’Apple à San Francisco le
6 juin dernier... réunion au cours de laquelle il annonçait - sans
pour autant que ce soit une « première » puisque d’autres, comme
Google, le font déjà - la création d’iCloud (service de stockage en
ligne de musiques, vidéos et photos).
Ш
>-
ГО Pour mettre en pratique cette création, Apple a achevé aux États-
tH

O
fNJ Unis, en octobre dernier, pour près de 1 milliard de dollars, la créa­
tion d’un centre informatique de 50 000 capable de stocker plus
gi de 12 millions de Go mis gratuitement - pour l’instant ! - à dispo­
>>
Q.
O
sition de ses utilisateurs.
U
Mais ne nous y trompons pas ! Ce qui est proposé aujourd’hui au
grand public sera, demain, « monnaie courante » pour les entre­
03 prises : ainsi du « cloud com puting », ou « nuage informatique ».
'O “g
Ш
(CLD
"5 Z)
O
CD

23 4
débats et idées

La Fr a n c e , à la traîne ...

Dans ce contexte, comment se porte la France en matière de nouvelles


technologies, liées au numérique ou, tout simplement, à Tlnternet ?
Le constat est sans appel : elle s’avère très en retard par rapport aux
États-Unis, leader mondial dans ce domaine ! Les statistiques, à cet
égard, sont éloquentes : l’impact global de l’économie numérique
est de 37% sur la croissance américaine, entre 1980 et 2008, contre
26% , sur la même période, pour la France. En 2008, l’économie
numérique a produit 7,3% du PIB des États-Unis contre 4,7%
pour la France... (source COE-Rexecode). En mars dernier, le
cabinet McKinsey démontrait, dans un rapport, que les entreprises
intégrant Internet dans leurs pratiques voyaient leurs gains de
productivité grimper de 15%. La France, toujours d’après COE-
Rexecode, a pris un retard considérable dans l’industrie du numé­
rique par rapport aux États-Unis (pour mémoire, sept des dix
premières entreprises de services Internet et neuf des dix premiers
producteurs de logiciels sont américains).
Bien que l’investissement soit énorme (entre 20 et 30 milliards
d’euros dans les quinze prochaines années), la France a le devoir de
prendre le virage du haut débit au plus vite, permettant ainsi de
structurer son économie : selon les calculs de COE-Rexecode un
investissement de 2 milliards d’euros par an entraînerait un gain
annuel de 0,2 point de PIB, soit 4 milliards d’euros !
Le président de la République ne s’est pas trompé quant à l’évolu­
tion ultrarapide des nouvelles technologies : après avoir créé le
>-
uu Conseil national du numérique (CNN) en avril dernier (composé
ro
O
de professionnels des nouvelles technologies et dont le but est de
fN
réfléchir de façon constructive avec les autorités publiques sur
JC l’évolution du Web, appelé par les Américains « le 8^ continent » !),
oi
>• il a organisé à Paris, les 24 et 25 mai, l’e-G8.
Q.
O
U

Nous SOMMES CONFRONTÉS


“ô À UNE TROISIÈME RÉVOLUTION MONDIALE
LU un
CD
CL
Pourquoi un e-G8 ? Parce qu’une nouvelle forme de civilisation est CD
3
O en train de naître et que nous sommes confrontés à une troisième CD«
Ô CD
un
révolution mondiale (la première, celle des grandes découvertes.

235
Best of DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

nous ayant permis d’hériter d un monde achevé ; la deuxième,


industrielle, nous ayant permis de domestiquer ce monde) que
rien, ni personne, ne pourra arrêter. Parce que les notions d’espace
et de temps sont complètement remises en question. Parce que ce
monde des nouvelles technologies a une puissance économique
considérable.
Toutes ces raisons impliquent que « les grands de ce monde » aient
conscience de cette (r)évolution pour l’accompagner en l’enca­
drant, du mieux qu’ils peuvent ; tant en matière financière, tech­
nique qu’éthique.
Certes, le communiqué final de cet e-G8 n’a pas retranscrit la
« substantifique moelle » des échanges qui y ont eu lieu (comme,
par exemple, l’annonce faite par Nicolas Sarkozy, lors de la séance
inaugurale, animée par Maurice Lévy : l’État français s’engage à
investir 4,5 milliards d’euros dans les infrastructures de ce
domaine), mais ce mini-sommet a eu le mérite d’exister !

Q uel(s ) rôle (s ) pour le financier ?


Et nous directeurs généraux, directeurs financiers, DAF, contrô­
leurs de gestion, quelle est notre attitude face à ces nouvelles tech­
nologies : sommes-nous suiveurs ou acteurs de cette révolution ?
Avons-nous conscience que l’informatique et les technologies qui y
sont liées ont transformé, transforment et transformeront notre
métier, non seulement du point de vue technique, mais également
>-
LU
n (et surtout, peut-être) du point de vue managérial ? Avons-nous
T
—I
O
fNJ
conscience qu’un ERP efficient est la conséquence de bonnes poli­
tiques stratégiques ? Avons-nous conscience de la puissance de
l’Internet pour nos entreprises, pouvant être à l’origine de bien des
>•
a.
O économies, de temps et d’argent ?
U
Notre devoir est d’accompagner l’entreprise dans cette évolution
inéluctable : que ce soit à travers le développement d’un ERP, à
03 travers l’accès au Web et à son utilisation ou, plus simplement, à _0
“Ö
travers la mise en œuvre de la dématérialisation ! LU
03
0CL
Z)

'O Demain est aujourd’hui : ne perdons pas de vue notre rôle de O


CD
leader dans l’entreprise !

236
débats et idées

Y a-t-il vraiment une place


pour le microcrédit en France ?
Publié le 5 juillet 201 1 sur Le Blog du Directeur Financier
par François Meunier, président du comité éditorial
du Blog du Directeur Financier, ancien président de la DFCG, économiste

Prêter aux ménages à bas revenus pour des projets d entreprise est
difficile pour au moins trois raisons :
^ le « pauvre » n a pas ou peu de patrimoine et donc de sûreté
réelle à proposer à son prêteur ;
» il n a pas dexpérience de crédit, ce qui fait que le prêteur n a
qu une information très médiocre, et coûteuse à collecter, sur sa
solvabilité ;
^ les coûts de montage et de surveillance d un dossier de prêt sont
largement des coûts fixes, qui s’amortissent mal sur un prêt de
faible montant.

Le fait que le projet d’investissement soit plus risqué venant d’un


pauvre (ce qui est avéré, s’agissant le plus souvent de prêts pour la
création d’une autoentreprise plutôt que pour le développement d’une
entreprise existante) n’est pas en soi un facteur limitatif, contrairement
à l’intuition. Un mauvais crédit, comme le savent bien ou devraient le
savoir les banquiers, n’est pas forcément un crédit risqué, tant que le
banquier arrive à mutualiser ce risque et à le rémunérer par le bon
>-
Ш
taux d’intérêt. Un mauvais crédit, c’est un crédit mal sélectionné et mal
ГО
surveillé. On ne fait donc ici que reformuler la raison invoquée plus
O
(N haut, à savoir un coût d’analyse et de surveillance élevé par rapport à
sz la taille du prêt, quand on veut y mettre la bonne dose de risque et de
ai
>- surveillance h Mais cela ajoute une difficulté : le taux d’intérêt qui
CL
O
U
rémunère correctement le risque est parfois très élevé et se heurte aux
plafonds posés par les lois qui répriment l’usure ou aux sentiments de
l’opinion publique, et donc des bailleurs de fonds de cette activité.
“ô
Q_
Ш Uf
(D
CL
1. Les subprim es américains de sinistre mémoire ne sont à condamner qu’en CD
Z)
O raison du déplorable système d’incitations qui les accompagnait et qui CDs
Ô pourrissait chaque maillon de la chaîne de prêts.
CD
uo

23 7
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Autant de facteurs qui risquent de priver la partie la plus pauvre de


la population de Taccès au crédit d’investissement. Y a-t-il un
moyen de déverrouiller ce « marché » pour les plus pauvres ?
Après tout, le mutualisme bancaire a été au xix^ siècle un modèle
gagnant pour déverrouiller le marché du crédit des PME, que
négligeaient les grandes banques commerciales d’alors. Et il a
bénéficié d’aides publiques (fiscales) abondantes. Peut-on réitérer
ce succès, pour une clientèle jugée à ce jour inaccessible à la notion
de crédit ?
Les premiers succès en France d’organismes de microcrédit sont à
saluer. Particulièrement celui de l’ADIE, fondée par Maria Nowak,
qui occupe à ce jour 90% du marché. Voir son rapport annuel
2010, modèle du genre en matière de transparence. (Voir aussi le
billet publié le 25 juin 2010 dans ce Blog par son directeur finan­
cier : « Le microcrédit a sa place en France ».) L’ADIE a prêté en
2010 à près de 12 000 personnes, la plupart du temps des autoen­
trepreneurs, pour un montant moyen de financement de
3 500 euros et sur une durée moyenne de dix-huit mois. Les entre­
prises ainsi créées ne se révèlent pas moins pérennes que d’autres
(les deux tiers survivent encore au-delà de deux ans) et elles créent
des emplois : pour trois microcrédits, on compte quatre emplois,
c’est-à-dire un emploi net en sus de l’emploi des autoentrepreneurs.
Il y a cependant une double interrogation :
b L’activité reste confidentielle au regard de ce que l’on suppose
être les besoins : l’encours de crédit est inférieur à 50 millions
d’euros, quand le crédit à l’investissement en Fragence approche
>.
ш les 350 milliards d’euros. L’excellent rapport que l’Inspection des
го
тН finances a fait sur le microcrédit en décembre 2009 chiffre le
о
rvj
potentiel à 100 000 personnes, soit près de huit fois plus que les
JZ
ст gens touchés par le microcrédit aujourd’hui. Et on ne parle ici
Q. que des emprunteurs en dessous de 10 000 euros, seuil maximal
иО qu’autorise la législation bancaire française, sauf à se placer sous
le statut de banque. Il est évident que le rationnement du crédit
touche aussi la catégorie d’emprunteurs qui souhaite s’endetter
_0)
о>
'О pour des montants plus élevés. “ô
Ш
а> b Si l’on devine que l’aide publique est nécessaire, on est surpris ш
CL
Z)

'0 >
par le faible degré d’autonomie de l’activité. L’équation est O
simple : 50 millions d’euros rémunérés à 9,75% (taux maximum
(5

238
débats et idées

retenu par TADIE pour ses crédits), cela fait environ 5 millions
deuros, et 4 millions deuros après paiement des intérêts débi­
teurs. Les coûts dexploitation sont denviron 30 millions
deuros, ce qui donne un coefficient dexploitation, pour parler
comme un banquier, de 30/4 = 750% , soit dix fois plus que celui
des banques commerciales les moins performantes en France.
Lequilibre financier est assuré par des dotations publiques
(25 millions deuros), par un financement bancaire à des condi­
tions préférentielles et par une prise en charge du risque de
défaut par les autorités publiques et par les banques, FADIE nen
gardant qu environ 10%. En plus, FADIE bénéficie du support
d’un efficace réseau de plus de 1 700 bénévoles, non comptabi­
lisé dans les coûts mais que FADIE évalue à 17,5 millions
d’euros par an.
Il n’est pas choquant que le modèle économique du microcrédit
soit essentiellement philanthropique. À vrai dire, le microcrédit
peut prétendre en être la forme la plus intelligente, puisqu’en
forçant la personne aidée à payer un taux d’intérêt, il sélec­
tionne les gens ayant le goût et souvent la qualité d’entreprendre,
ce qui est un bénéfice pour la collectivité et une source de fierté
pour la personne qui se sort par le haut de la pauvreté. De plus,
à être trop « commercial », le microcrédit se priverait de
l’énergie qu’il mobilise auprès de ses bénévoles. À ce titre, les
membres de la DFCG trouveraient un vrai intérêt personnel à ce
type de bénévolat : les directeurs financiers ont une vision large
des embûches liées aux projets d’entreprise.
LU
ro Mais quel contraste avec le microcrédit dans les pays émer­
rO
\j
gents ! La très célèbre Grameen Bank, fondée en 1983 par
gi Muhammad Yunus, est une société commerciale, cotée en
>'
CL
Bourse. Compartamos, au Mexique, également. C’est la preuve,
O
U pour les pays émergents, de la viabilité de ce modèle d’affaires et
ceci en dépit de la concurrence beaucoup plus forte que dans les
pays développés de la finance informelle, celle des usuriers ou
“ô du crédit basé sur la confiance interfamiliale ou interethnique, CDs
LU
(CLD sur le modèle courant des tontines africaines. Et les encours en CD
3
O cause sont considérablement plus élevés : on parle de CD»
CD
Ô LTI
60 milliards de dollars dans les pays concernés. Sur ce sujet, on

23 9
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

Ига 1а remarquable introduction quen fait Esther Duflo dans


son récent livre sur la pauvreté И

Qu est-ce qui bloque donc le passage dune activité aujourd’hui


anecdotique à quelque chose ayant un impact économique plus
grand et vivant moins de subsides publics ?

Pour faire court, il y a des obstacles qui tiennent à nos sociétés


développées : une population mieux bancarisée, un accès plus
difficile aux métiers d’artisan en raison du très choquant corpora­
tisme ambiant (voir la dénonciation qu’en font le rapport Attali de
2007 ou Maria Nowak dans un article retentissant des Échos le
16 avril 2011 : « Quand trop de qualification tue l’emploi ») ; un
certain malthusianisme bancaire qui, sous prétexte prudentiel,
exagère la protection des emprunteurs et limite la compétition
bancaire ; une concurrence plus grande de l’aide sociale directe,
qui dissuade le pauvre de s’engager dans la voie moins commode
du microcrédit. Ponctuellement, la crise économique de 2009-2010
n’a certainement pas aidé à stimuler l’esprit d’entreprise et rappelle
s’il le fallait que l’on sort plus aisément de la pauvreté par un
emploi régulier que par l’autoemploi financé à crédit.
Mais, de façon très respectueuse, on se permet quelques questions
de Candide sur le modèle économique lui-même :
1. Le réglage coût du risque/coût des dossiers est-il le bon ? L’ADIE
indique dans son rapport un taux de casse de 2,4% sur ses prêts
(après récupération). Le chiffre est probablement sous-estimé si
l’on prend en compte le déroulement complet de chaque généra­
>-
ш
tion de prêts. Mais même si l’on double ce chiffre, il reste plutôt
го bon pour une telle catégorie de clientèle. Et en même temps,
о
(N l’ADIE indique un coût de gestion du dossier de 1 600 euros pour
SZ
un crédit de 3 000 euros, ce qui paraît être de la dentelle fine. N’y
01
>- a-t-il pas un compromis à trouver, acceptant une casse plus forte
Q.
О
и pour un coût de gestion proportionnellement moindre ? On ne
recommande pas bien sûr d’aller jusqu’aux extrêmes : d’un côté
les subprimes (une forme dénaturée de microcrédit, voir note 1) ;
со
аз
'О ~ô
Ш
аз
•/3 1. Esther Duflo, L a P olitique d e Vautonomie. Lutter contre la pau vreté. Seuil, CD
Q_
Z)

'0 3
coll. « La République des idées », tome II, et notamment le chapitre 1 « La O
microfinance en question », 2010. ô

24 0
débats et idées

de Tautre le simple don, à savoir donner directement les


1 600 euros par loterie ou examen sommaire du dossier plutôt
qu un prêt à partir d un dossier sophistiqué.
2. Sachant que le coût de sélection et de surveillance de 1emprun­
teur est immense, est-il justifié d’adopter un modèle où le crédit
est réservé au primo-emprunteur, laissant en cas de succès
l’emprunteur filer vers le secteur bancaire traditionnel ou bien
vers des formules de prêts réservées à des tailles plus impor­
tantes de crédit ? Dans toutes les entreprises, la règle est : « Gar­
der les bons clients ! », ce qui, dans le cas du microcrédit,
permettrait de réduire sensiblement le coût de gestion du dos­
sier et augmenterait la productivité du réseau de distribution.
C ’est le cas dans les modèles cités des pays émergents. Évidem­
ment, le modèle économique changerait : il faudrait que l’ADIE
puisse financer au-delà de sa limite réglementaire de
10 000 euros, et au-delà de sa cible des titulaires des minima
sociaux. Ce qui pourrait « antagoniser » les banques commer­
ciales traditionnelles, ce quelle se garde de faire b
3. Dans le même esprit de productivité, il semble logique de
mieux distinguer dans le coût de gestion ce qui relève d’un
métier bancaire (sélection et suivi des emprunteurs, recouvre­
ment des créances impayées), et ce qui est l’accompagnement et
le soutien du client. Ces derniers coûts ont probablement un
impact faible sur le taux de casse. Seuls les coûts « classiques »
doivent être réduits ; les autres, qui dépendent davantage du
bénévolat, doivent être dispensés au gré des bénévoles associés
Ш
>- au projet. Une plus forte distinction aiderait aussi le recouvre­
Г0
tH

O
ment des créances impayées, qui souffre peut-être d’un esprit
rvj
trop « compassionnel ».
sz
oi
>-
CL
O
U

1. Notez que les grandes banques sont pleines dune attention touchante
pour le microcrédit. Les mauvais esprits ne peuvent s’empêcher de les
soupçonner de s’acheter à bas prix un bénéfice de communication pour CDs
“ô
Ш
ceux qui viendraient leur reprocher de trop souvent maltraiter leurs un
(D
Q_
clients démunis. Il ne serait pas illégitime de les faire financer davantage CD
Z)
O le microcrédit à but philanthropique. Voir au point 4 une idée allant dans CD-
CD
Ô ce sens.

241
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

4. Faut-il limiter le taux du crédit à 10 % ? Il faut évidemment fuir


le risque detre stigmatisé comme usurier, celui qui gagne de
Fargent sur le dos des pauvres, ce qui ternirait son modèle
auprès des bailleurs de fonds. Mais on en est loin. Financière­
ment, le taux de rendement d un crédit qui met à une personne
le pied à letrier et lui permet de créer quelque chose à partir de
rien est immense. Il nest pas anormal que le prêteur en ait sa
part. Le retour dexpérience de FADIE montre que Femprunteur
ne trouve nullement que ce 10% soit prohibitif. Les banques
commerciales imposent en France des taux ou des frais en cas
de découvert bien au-delà de ce 10%, et qui frappent d’ailleurs
leurs clients les plus pauvres. Grameen Bank prête entre 20 % et
30 % Fan. Compartamos va jusqu’à 80 % Fan, ce qui reste bien
en dessous de ce qu’un emprunteur de ces pays accepte de payer
quand il va voir l’usurier.
L’idéal serait un support financier différent pour le prêt, tel un
financement en fonds propres ou un prêt participatif Mais on
se heurte alors à l’obstacle du coût juridique de mise en place
d’une formule étanche de financement avec partage propor­
tionnel des risques et profits, témoin les difficultés du seed c a p ­
ital en Europe. De plus, le prêt sec, obligeant à rembourser une
somme fixe chaque mois, joue un rôle de couperet qui est pro­
bablement le meilleur aiguillon pour la performance de
Femprunteur pauvre. Donc, il faut accepter des taux d’intérêt
plus élevés.
>-
LU
À défaut, ne peut-on imaginer des formules de prêts où l’intérêt
ro
T—) est « caché », comme par exemple prêter 100, mais ne libérer
O
fNJ que 90% du principal. Ou bien, une formule participative du
genre : si vous arrivez au terme de notre prêt à vous refinancer
gi
auprès du secteur bancaire (signe évident de succès), vous nous
CL
O
U devez un certain bonus forfaitaire.
D’où peut-être une idée, qui serait une variante de ce prêt parti­
cipatif Les banques seraient enjointes à augmenter substantiel­
_0)
o>
'0> “ô
lement leur aide philanthropique. Elles le feraient en payant
LU
a> ledit bonus, c’est-à-dire en payant l’organisme de microcrédit CD
Q_
Z)
pour tout client apporté par ce système et passé par la case O
6
microcrédit. Cela alignerait davantage les intérêts de chacun.

242
débats et idées

5. Mieux user de la solidarité entre emprunteurs. À Ibrigine, Gra-


meen Bank innovait en prêtant à un groupe de cinq femmes,
chacune déliés solidaire des emprunts des autres, ce qui exerçait
une discipline de groupe, réduisant le coût de surveillance à la
charge du prêteur. Un tel mécanisme est bien sûr inenvisageable
dans nos sociétés individualistes pour les prêts aux particuliers
(les sociétés de caution mutuelle exercent plutôt pour le secteur
des sociétés). Esther Duflo relève d’ailleurs son côté négatif, le
groupe pouvant réprimer exagérément (davantage que le prê­
teur !) les projets à risque de ses membres. Grameen Bank est
en train d’abandonner cette formule, mais pour conserver une
alternative intéressante : des réunions mensuelles obligatoires
du groupe d’emprunteurs, qui créent émulation et partage
d’expérience, l’objectif restant toujours de réduire les coûts de
surveillance. Le fait-on en France ? Peut-être une sorte de
mutualisme à rebours est-il envisageable, les emprunteurs qui
ont réussi pouvant s’engager à participer au capital de leur prê­
teur ou à parrainer d’autres emprunteurs ?
6. Mieux se reposer sur le secteur du prêt sur gage (les Crédits muni­
cipaux ou Monts-de-Piété), qui rend un service très complémen­
taire.
7. Enfin, regarder l’autre côté du bilan des organismes de m icro­
crédit, en améliorant le financement caritatif des particuliers
(dont on sait qu’il est aidé par une fiscalité énormément avanta­
geuse, voir à ce sujet le billet du 7 janvier 2011 dans ce B lo g :
« L’État doit-il tant aider la charité privée ? »). Beaucoup de gens
>-
LJU
aiment l’idée d’aider à entreprendre plutôt que d’aider sans faire
m entreprendre. En tout état de cause, le gage de viabilité à long
O
(N terme du système réside en un financement public moindre et
@
sz
une montée de la part du financement philanthropique, soit des
CT
particuliers, soit des banques, et, pour revenir aux points précé­
Q.
O
U dents, d’une autonomie de financement plus grande.

Tout cela nécessite des tâtonnements. L’apparition d’autres orga­


nismes de microcrédit, stimulant la concurrence, aiderait le
“ô processus et élargirait le marché. Il faut saluer les efforts faits pour
CD'
o-
C3
UJ Zn
(CLD ficeler le bon ensemble d’incitations qui installera durablement le CD
3
O marché du crédit aux pauvres en France. Il a très certainement une CD
CD
»
6 uo
place en France.

243
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

La société coopérative, un nouvel idéal


de gestion et d'investissement ?
Échanges 287, mai 20 11, dossier « Le pacte social dans les PME »
par Laurent Beljean, avocat associé. Froment Briens

Coopératives... Si le nom est connu, cette forme juridique de


l’entreprise paraît désuète aux yeux du plus grand nombre. Pour­
tant, la réalité est tout autre ! Instaurées par la loi du
10 septembre 1947 et surtout modernisées par celle n° 78-763 du
1 9 juillet 1978, ces structures dont le nom officiel est «Société
coopérative de production » (Scop), ont su se développer. Héritage
direct de la conception collectiviste de l’entreprise au xix^ siècle,
elles proposent un pacte social unique en son genre.

Les S c o p , fruit d ' une certaine logiq u e d ' entreprise

Les Scop sont fondées sur un principe de double qualité : celle


d’associés, appelés plus couramment les « usagers de la coopéra­
tive », et celle de salariés regroupés sous le vocable d’« apporteurs
de la coopérative ». L’adhésion au sociétariat est une conséquence
naturelle du contrat de travail liant les intéressés à la coopérative.
De ce point de vue, et malgré les dérogations issues de la loi du
13 juillet 1992, cette catégorie de sociétés écarte par principe les
seuls apporteurs de capitaux. Les Scop sont ainsi des sociétés de
>•
LU personnes, entraînant un fonctionnement original, en opposition
ro
rH
O
importante avec la logique économique dominante qui gouverne
(N

© les entreprises commerciales de droit commun. Une coopérative a


CT
en effet pour objet la satisfaction de ses membres, c’est-à-dire
's -
>•
CL
l’exercice en commun d’une ou de plusieurs professions.
O
U
Les créateurs de Scop n’ont a priori pas d’intention spéculative ni pour
objectif la revalorisation du capital apporté. Conséquence directe,
ty* l’associé ne peut, lorsqu’il quitte la coopérative, retirer plus que son

'O capital. Il ne peut pas davantage voir sa responsabilité engager son
LU
03
4/3 patrimoine personnel, du moins, sur le plan théorique. Aussi les CD
CL
"5 Z)
structures juridiques d’accueil des Scop sont-elles limitées aux sociétés O
6
à responsabilité limitée (SARL) et aux sociétés anonymes (SA).

24 4
débats et idées

Sur le plan de la gestion, la Scop est, en principe, gouvernée par ses


usagers réunis en assemblée. Loin de considérations relatives aux
parts du capital détenues par chacun, les usagers gouvernent la
coopérative sur un pied degalité, selon le principe « un associé =
une voix », suite logique du fait que leur vote nest pas la résultante
de leur détention de capital, mais de leur qualité d usager. Cette
volonté égalitaire a depuis lors été écornée par certaines modifica­
tions législatives, sans que les puristes puissent conserver lesprit et
la lettre de cette gestion participative.

U n statut de sociétaire indissociable


DE CELUI DE SALARIÉ ?
La coopérative ouvrière a toujours permis que les salariés puissent
ne pas être sociétaires de la structure. Cependant, avant la loi du
19 juillet 1978, Taccession au sociétariat était nécessairement
subordonnée à une décision prise dans des conditions de quorum
et de majorité prévues par les assemblées extraordinaires. La loi de
1978 permet de réaffirmer Fimportance fondamentale du statut
d'associé-travailleur, admettant toutefois qu il puisse y avoir des
associés non-salariés.

Les associés. L'article de la loi considère que les Scop sont


formées « par des travailleurs de toute catégorie ou qualification
professionnelle ». Pour le ministère du Travail interrogé le
13 mai 1992, cette définition implique que ces personnes soient
titulaires d'un contrat de travail. Le nombre des associés
>-
LJU
m travailleurs dépend tant de la forme juridique de la société, que de
O
fN ses statuts. Il est au minimum de deux dans une SARL et de sept
dans une SA. Toutefois, les statuts des Scop peuvent prévoir des
sz
CT
'l -
situations exorbitantes du droit commun. En pratique, il est
Û.
O
possible de dénombrer plusieurs formes d'accession au sociétariat.
U
Il y a tout d'abord la procédure de candidature volontaire, prenant
la forme soit du volontariat automatique, soit de l'intervention de
l'assemblée générale. L'accession au sociétariat peut même résulter
“ô de l'émission de parts sociales réservées aux salariés, dans la limite CD'
a
C3-
UJ Zn
(D
CL
d'un montant maximum d'augmentation du capital de 42,8 % des CD
3
O capitaux propres, et sous réserve que le salarié concerné compte au CD>
CD
6
moins un an d'ancienneté. Il peut enfin également résulter d'une

245
Best o f DFCG - L'actualité du dirigeant finance -gestion

candidature obligatoire prévue par les statuts de la Scop dans un


délai déterminé par le contrat de travail. Faute de candidature dans
le délai requis, le salarié nest non seulement pas sociétaire, mais est
également réputé démissionnaire de son contrat de travail !
La loi a toutefois assoupli le régime des associés travailleurs, consi­
dérant que certains tiers de Fentreprise pouvaient néanmoins en
être sociétaires. Il s’agit d’anciens salariés ayant conservé la qualité
d’associé après la perte de leur contrat de travail. Il existe enfin les
associés investisseurs qui n’ont jamais détenu de contrat de travail
au sein de la Scop. Pour ne pas déroger à l’esprit des structures
coopératives, le nombre de ces investisseurs est toutefois limité à
35% des droits de vote pouvant être exprimés lors des assemblées
générales.
Ces associés extérieurs disposent de droits inférieurs aux associés
salariés, puisque ceux-ci sont susceptibles de perdre leur qualité
d’associé à tout moment, sur simple décision de la coopérative de
rembourser le capital injecté. La gouvernance des coopératives
ouvrières est ainsi laissée majoritairement aux associés travailleurs
de la structure.

Les salariés. Bien évidemment, une Scop peut embaucher des sala­
riés décidant de ne pas être associés, ou n’étant pas intégrés par
l’assemblée générale. Ces salariés sont quant à eux régis par les dispo­
sitions du Code du travail, sans que les particularismes de la loi de
1978 puissent affecter la relation contractuelle. Cette affirmation sur
>- le plan des relations individuelles du travail se retrouve sur le plan des
LU
ro
T—)
relations collectives. Ainsi, les Scop sont également soumises au droit
O
fNJ de la représentation de la collectivité de travail et à celui régissant la
présence syndicale dans la structure. Si une telle situation peut
gi
s’avérer des plus classiques lorsque le nombre de sociétaires
CL
O
U
travailleurs est largement inférieur à celui des salariés, l’accumulation
de ces règles peut aboutir à une sorte de schizophrénie économique
lorsque la plupart des travailleurs sont également sociétaires de la

CO
'O
Scop. “ô
LU
eu Certains choix cornéliens doivent en effet être effectués : faut-il CD
CL
"5 augmenter les salaires ou, au contraire, maintenir un taux de Z)
O
6
charges à un niveau en conformité avec la baisse éventuelle des

246
Débats et idées

commandes à venir ? Une Scop peut ainsi être perçue soit comme
un phalanstère^ soit comme une structure disposant dune forme
particulière d’actionnariat salarié.

Un modèle so c ia l en devenir ?
À une époque où certains salariés souffrent d’un manque d’intérêt
pour leur travail dont ils ne voient pas toujours la finalité, où
d’autres dénoncent la recherche à tout prix des profits par les
actionnaires au détriment du personnel des entreprises qu’ils
détiennent, les Scop peuvent correspondre à un nouvel idéal de
gestion et d’investissement de la collectivité des travailleurs.
Il n’est, d’ailleurs, pas anodin de constater que les Scop sont choi­
sies assez souvent par les salariés reprenant l’entreprise qui les
emploie tombée en redressement judiciaire. Au-delà du simple
regroupement des ressources, cette forme de mise en société peut
être, dans l’esprit des travailleurs concernés, un moyen de s’appro­
prier à nouveau leur outil de travail et de participer à la gouver­
nance de l’entreprise, quitte à ce que les décisions prises dans ce
cadre n’aient pas plus de succès que dans une structure tradition­
nelle.

>-
LU
ro
tH

O
fN

JC
oi
>•
a.
O
U

“ô CD'
o-
LU lyn
(Q_
D 1. Sens moderne: communauté d’individus mettant en commun leurs CD
rjO
compétences et leur travail pour le profit de tous. Sens ancien : unité m ili­ CD'
Ô taire grecque, ndlr.
CD
un

24 7
Composé par Sandrine Escobar

№ d’éditeur : 4609

Dépôt légal : décembre 2012

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