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Michel de Certeau, Henri de Lubac: Une Correspondance: Recherches de Science Religieuse
Michel de Certeau, Henri de Lubac: Une Correspondance: Recherches de Science Religieuse
CORRESPONDANCE
François Trémolières
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2018/4 Tome 106 | pages 591 à 609
ISSN 0034-1258
ISBN 9782913133815
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par François Trémolières
CELLAM – Université de Rennes 2
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1. Nous consacrons aux textes de Certeau sur Lubac, et aux pages de Lubac sur Certeau, un
article de la Revue d’histoire de l’Église de France qui paraît parallèlement à celui-ci : « Michel
de Certeau et Henri de Lubac, quelques jalons pour une étude » (nous n’y abordons pas la
correspondance, comme ici nous n’abordons pas les imprimés). Il ne s’agit dans les deux cas
que d’une approche documentaire, préalable à une étude complète de leur relation et de ses
implications dans l’œuvre, qui excède de beaucoup les dimensions d’un ou deux articles : elle
fait l’objet d’un travail en cours, la thèse de Carlos Alvarez, Sécularisation et crise : la mystique.
Continuités et ruptures entre Henri de Lubac et Michel de Certeau, (Facultés jésuites de Paris). Nous
remercions Carlos Alvarez et Luce Giard ainsi que Marie-Gabrielle Lemaire, de nous avoir fait 591
bénéficier de leurs remarques à la lecture d’une première version du présent texte.
Itinéraires
Michel de Certeau (1925-1986), entré au séminaire d’Issy à la
fin de la guerre, intègre le séminaire universitaire de Lyon à la rentrée
1947, dans un contexte fortement marqué par l’enseignement des
théologiens du scolasticat jésuite de Fourvière (dont plusieurs ont eu un
rôle important dans la Résistance), à l’origine des collections « Sources
chrétiennes » (avec le jésuite parisien Jean Daniélou) et « Théologie »
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(« sous la direction de la faculté de théologie s.j. de Lyon Fourvière »),
laquelle incarne un renouveau de la discipline : cette « nouvelle théo-
logie », comme l’appellent ses adversaires, fait débat à la fin des années
40 et sera sanctionnée par Rome. C’est dans ce contexte qu’il fait la
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2. Dont le premier numéro a paru le 1er janvier 1954. Sur l’histoire de la revue, voir la contri-
592 bution d’Étienne Fouilloux au « numéro du cinquantenaire », Christus, 2004, hors-série :
« Naissance, enfance et adolescence de Christus (1951-1971) ».
note
publication de La fable mystique en 1982 (et des Arts de faire en 1980)…
Certeau, qui enseigne à l’université de Californie à San Diego depuis 1978,
obtient tardivement la reconnaissance académique en France : il est élu
directeur d’études à l’EHESS en 1984 – moins de deux ans avant sa mort.
Son aîné de presque trente ans (mais qui lui survivra cinq ans),
Lubac est entré dans la Compagnie en 1913. Professeur de théologie
dès 1929, il entame une œuvre prolifique, à forte audience dans les
milieux catholiques, mais, on l’a vu, devenue suspecte après-guerre.
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Autorisé à reprendre ses cours en 1958, il connaît avec Vatican II une
pleine réhabilitation : nommé en 1960 par Jean XXIII consultant de
la commission théologique préparatoire, puis expert au Concile (Paul
VI se disait grand lecteur de sa Méditation sur l’Église, 1953), il sera créé
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3. Sauf indication contraire, les lettres citées proviennent donc du fonds Lubac des Archives
de France de la Compagnie de Jésus, à Vanves, boîte 34.
4. Michel de Certeau. Le marcheur blessé, La Découverte, Paris, 2002. On dispose pour Lubac
d’une biographie monumentale, encore inachevée : Georges Chantraine, Henri de Lubac, t. I.
De la naissance à la démobilisation (1896-1919), Éd. du Cerf, Paris, 2007 ; t. II. Les années de for-
mation (1919-1929), ibid., 2009 ; G. Chantraine et M.-G. Lemaire, t. IV. Concile et après-Concile 593
(1960-1991), ibid., 2013.
années : une en 1951, une en 1954, deux en 1955, sept en 1956, huit
en 1957 (à quoi ajouter peut-être une carte de vœux non datée, signée
avec Roustang et d’autres, sans doute l’équipe de Christus), une en 1959,
quatre en 1960, dix-sept en 1961, dix en 1962, neuf en 1963, sept en
1964, dix-huit en 1965 (dont un billet s.d. avec Roustang et Bellet),
deux en 1966, deux en 1967, une en (août) 1968, une en 1972, une en
1975, une en 1983. Même en faisant la part des aléas, qui font que les
correspondances se raréfient quand les gens se voient suffisamment
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pour qu’ils n’aient pas besoin de s’écrire (et plusieurs de ces lettres
sont des demandes de rendez-vous ou rattrapent des rendez-vous man-
qués), il est assez clair que la période la plus abondante correspond aux
années Christus (certaines de ces lettres sont d’ailleurs directement liées
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5. « Exégèse, théologie, spiritualité », recension des deux premiers volumes d’Exégèse médié-
vale, les quatre sens de l’Écriture, (Aubier, 1959), Revue d’ascétique et de mystique t. 36, 1960,
p. 357-371 ; « Un maître : le Père Henri de Lubac », Ecclesia n° 187, octobre 1964, p. 83-90.
Voir notre étude dans la RHEF (t. 104, n° 254, 2018/2).
6. Par ordre chronologique : les deux articles sur « Les œuvres de Jean-Joseph Surin » parus
dans la Revue d’ascétique et de mystique, 1964 et 1965 ; la contribution aux entretiens de Cerisy,
« Henri Bremond et la “Métaphysique des saints” », dans la version de 1966 (Recherches de
science religieuse) ; « Cultures et spiritualités », Concilium n° 19, sept. 1966. Plus « Exégèse,
théologie, spiritualité », le compte rendu d’Exégèse médiévale dans la RAM en 1960.
7. In « “Respecter les zones d’ombre qui décidément résistent” », RSR 91/4 (2003), p. 577-587
(le titre reprend une formule de Dominique Salin) – ici p. 578.
8. La collection est publiée par les jésuites de Fourvière chez Aubier. Nous n’avons rien trouvé
594 à ce sujet dans la correspondance. Surtout, C. Alvarez nous a signalé que la création de la BSR
est en réalité plus tardive.
note
1967 il voyage au Venezuela, au Chili, en Argentine, au Brésil. En
juillet 1967, il quitte Christus pour Études, changement d’affectation
hautement significatif. En août 1967, grave accident de voiture où sa
mère perd la vie, et où il perd un œil.
« Votre fils »
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La dimension privée et familiale à laquelle il est fait allusion ici
apparaît quelquefois dans les lettres. Par exemple, le 19 octobre 1957,
Certeau remercie Lubac d’avoir rendu le service de mettre son frère en
relation avec le Bureau international du travail (B.I.T.). En mai 1961,
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la lecture éblouie de vos livres (je serai endetté pour toujours), mes
grands vœux, Surin, « Christus »… Ce serait une longue histoire de
ma reconnaissance qu’il faudrait que je raconte, même si vous êtes
inquiet des formes qu’elle prend aujourd’hui. Mais ce qu’il y a de plus
essentiel, une exigence chrétienne, de cœur et d’esprit, je l’ai décou-
vert et articulé en vous connaissant et grâce à vous, d’abord. Et cette
nécessité évangélique reste l’essentiel, – cherchant des voies qui ne
sont jamais assurées ni closes, – pour nous. C’est de ce lieu-là, autour
duquel nous tournons comme autour de Jéricho, que je voudrais vous
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dire ma gratitude, et aussi ma joie au moment où votre travail reçoit
le sceau de l’Église. Ce qui est heureux, c’est aussi que ma reconnais-
sance personnelle puisse ainsi s’exprimer – et se perdre – dans une
reconnaissance « universelle », comme en un chant liturgique.
Dans ce moment, s’effacent les manières différentes dont nous essayons
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9. Et non dans la lettre du 29 nov. 1965 comme l’écrit F. Dosse, op. cit. p. 55.
note
en ce sens, et l’on voit mal à quoi Certeau fait allusion à cette date10) :
« Si vous étiez moins discret avec moi, je ferais moins d’erreurs en
parlant de vous ! Dites-moi, s’il vous plaît, les points sur lesquels je me
suis trompé ou sur lesquels vous feriez des réserves ! »
Beaucoup plus net, et plus tardif, un billet du 23 janvier 1972, à
une date où, comme on l’a vu, leur correspondance est devenue très
épisodique (pas une lettre conservée depuis celle déjà citée de l’été 68) :
Cher Père,
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j’ai appris par des amis communs que vous me reprochiez, dans les
Églises particulières, d’avoir trahi votre pensée. Je n’ai pas encore lu
le livre, qui n’est pas arrivé aux Études. Mais si c’est vrai, j’en serais
désolé (vous aviez été assez d’accord avec l’article que j’avais fait sur
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c’est par gratitude que je vous fais envoyer l’Écriture de l’histoire [en
marge, la seule annotation à ces lettres : « pas reçu »] […]. Sans doute
n’y reconnaîtrez-vous pas ce que vous avez écrit dans Histoire et Esprit,
un livre qui m’a profondément marqué. Je voudrais que vous recon-
naîtriez au moins la fidélité à un esprit qui travaille dans le langage
comme sa réalité, et aussi mon souvenir toujours reconnaissant.
10. Peut-être à « Cultures et spiritualités », qui paraît dans Concilium n° 19, nov. 1966 ?
« L’élaboration d’une spiritualité au sein d’un mouvement collectif entraîne à son tour
une réinterprétation des notions les plus traditionnelles (…) : les mêmes mots, les mêmes
idées ou les mêmes définitions n’ont donc plus la même portée ni la même fonction dans le
langage nouveau où ils sont repris et transposés de façon plus ou moins perceptible ». Aucune
référence explicite à Lubac mais, plus loin, le résumé de son analyse dans les Mélanges Lubac
sur le passage de l’adjectif au substantif « mystique ».
597
11. Voir notre article déjà cité de la RHEF.
Mais Certeau de son côté proteste d’une continuité entre ses thèses du
moment – début des années 70 – et sa lecture du même livre en 1960
(l’article de la RAM).
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menter les lectures de Lubac par Certeau. Le 6 janvier 1955, il accuse
réception d’un envoi qui nous semble être celui du premier volume de
la correspondance Blondel / Valensin (« cette fascinante et mystérieuse
figure du P. Valensin »). Il fait allusion, dans une lettre de mars 1956,
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598 12. Voir H. de Lubac : « À propos de l’allégorie chrétienne », RSR 47/1 (1959) p. 5-43 ; et Jean
Pépin, Les deux approches du christianisme, Minuit, Paris, 1961.
note
cite « une note du P. Giuliani sur une proposition du P. de Lubac, déjà
refusée par la Vie chrétienne, le 6 novembre 1958 » : « Christus n’a pas le
droit de présenter l’œuvre de Teilhard comme un exemple. » Le 30 juin
de cette même année 1962 paraît une mise en garde sévère du Saint-
Office « contre les dangers des ouvrages du P. Teilhard de Chardin et
de ses disciples » : « certaines œuvres du P. Teilhard de Chardin, même
des œuvres posthumes […], fourmillent de telles ambiguïtés et même
d’erreurs si graves qu’elles offensent la doctrine catholique ». Certeau
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réagit immédiatement, écrivant à Lubac le 3 juillet :
Comment ne pas penser à vous en lisant les articles consacrés aux
nouvelles mesures contre Teilhard. Décidément, on tient à vous
maintenir en forme, dans l’exercice du bon combat ! Avouez que j’ai
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Par ses responsabilités dans Christus, Certeau sera l’un des arti-
sans de la « réhabilitation » de Teilhard dans la Compagnie, et l’en-
treprise est étroitement liée à Lubac13. Le premier texte de Teilhard
publié dans Christus l’est en juillet 1964 (n° 43) : « Le Christ dans
l’Univers », édité par Certeau, publication dont il écrit à Lubac le
8 juillet, après une discussion avec lui sur le manuscrit (lettres des
10 et 18 juin) : « c’est une façon de poser aussi le problème textuel
des œuvres de Teilhard. […] Il faut envisager d’entreprendre un jour
une édition “critique” ! »
Lubac avait été associé dès le début au projet de collection Christus,
à côté de la revue – Certeau lui écrivait à ce sujet dès le 10 novembre
1956 (le jour même, d’après Fouilloux, où Giuliani soumettait ce projet
à ses supérieurs). C’est dans ce cadre que paraîtront, en novembre 1965,
les Lettres à Léontine Zanta, « introd. Robert Garric et Henri de Lubac,
éd. Michel de Certeau »14. Dans une lettre du 17 mars de cette année,
13. Voir la chronique très précise que dresse M.-G. Lemaire dans « Henri de Lubac, défenseur
de Teilhard : un cas de conscience », Nouvelle Revue théologique t. 139 (2017/4), p. 571-586.
Elle signale en particulier le refus par Christus, en 1955, d’un « très beau texte de Marcel
Légaut sur Teilhard » (cit., p. 574). Lubac, lui-même empêché de publier sur Teilhard en 1958,
est l’auteur en 1962 de La pensée religieuse de Teilhard de Chardin, premier signe d’un revire-
ment de la Compagnie en faveur du paléontologue ; mais l’ouvrage s’est attiré de vives cri-
tiques, y compris de l’Osservatore romano : cf. Mémoire sur l’occasion de mes écrits (2e éd. 1992),
t. XXXIII des Œuvres complètes, Éd. du Cerf, Paris, 2006, p. 105-107 (Lubac, qui passe ensuite
en revue son rôle dans des éditions de Teilhard, ne mentionne pas les Lettres à Léontine Zanta).
Voir aussi le chapitre IV du t. IV de la biographie de Lubac déjà citée, « Teilhard de Chardin »
(sur l’édition en question, p. 356 et note 2).
14. D’après L. Giard, nº 35 de sa précieuse « Bibliographie complète de Michel de Certeau »,
RSR 76/3 (1988). Le nom de Certeau n’apparaît pas sur la couverture du livre mais il signe un 599
« Avertissement de l’éditeur », p. 48.
Certeau sollicite Lubac en ces termes : « nul mieux que vous ne pourrait
dire la signification religieuse et le caractère propre de ces lettres ». Et le
23 mars : « Je vous écrirai de nouveau au sujet de Teilhard. Pour dégager
la responsabilité des préfaciers [dont Lubac, donc], je serai l’éditeur. »
Enfin le 24 août : « Comme vous me l’aviez demandé, et comme c’est
réel, j’ai pris la responsabilité de l’édition. » Il semble donc s’agir d’une
sorte d’entreprise commune15.
Lubac n’envoie pas seulement des livres ou des articles à Certeau, il
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lui adresse aussi des travaux en cours. Ainsi Certeau lui écrit, le 5 mai 1956 :
En terminant à l’instant « le Mystère du Surnaturel », je ne puis
m’empêcher de vous dire tout de suite combien j’en ai été éclairé et
nourri. L’âme et l’esprit (mais est-ce si différent ?) y trouvent égale-
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15. Ces lettres de mars 1965, ainsi qu’une autre datée du 1er septembre, figurent par exception
dans la boîte 29 du fonds Lubac à Vanves. Une lettre du 26 août est classée à Namur [CAECHL
24731].
16. Peut-être celui dont parle Lubac dans le Mémoire, p. 112-113.
17. Nous n’avons pas retrouvé ce titre dans la bibliographie pourtant très complète (y com-
pris des inédits conservés à Namur) établie par Bertrand Dumas dans Mystique et théologie
d’après Henri de Lubac, Éd. du Cerf, Paris, 2013. Certeau l’évoque encore dans une lettre du
2 janvier 1960 [CAECHL 51777] : « Travaillant maintenant régulièrement pour Logos, la revue
japonaise de Georges Nayrand, je viens de lui envoyer une Note sur l’histoire du mot “mys-
tique”, et je pensais avec nostalgie à votre étude dans Christianisme et mystique. » Nous ne
trouvons pas trace de ce travail (qui serait donc antérieur de quatre ans à l’importante étude
600 des Mélanges Lubac sur le même sujet – voir infra la lettre à Lubac du 1er octobre 1962) dans la
bibliographie établie par L. Giard.
note
Puisque vous me dites avoir encore quelques chapitres disponibles, et
si cela ne vous incommodait pas, j’aimerais bien avoir aussi, en face
des Questions sur l’amour18, vos deux chapitres sur Jansenius et sur
Baius : ces deux « messieurs », comme dit Surin, sont toujours derrière
la porte quand Surin est en train d’écrire, et j’ai bien de la difficulté à
saisir cet invisible dialogue !
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avril 1964 (les Mélanges Lubac viennent de paraître) : « Dans le cas
où le Père Provincial accepterait la publication de votre manuscrit
“Augustinisme et Baianisme”, je serais, comme je vous le disais, heu-
reux de relire avec vous le texte ». Il y a là un point particulier, qui
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mérite d’être signalé : Lubac a en effet fait appel à Certeau pour l’aider
à terminer ce livre.
Dans ces années enfin, Certeau sollicite Lubac à plusieurs reprises
pour Christus (c’est une part non négligeable de cette correspondance)
et c’est à sa demande que Lubac publie « Paul VI , pèlerin à Jérusalem »
(n° 41, janv. 64, le titre est de Certeau) et « La Foi de l’Église »19 (n° 46,
avril 65), choix par Certeau (et coupes) dans « un manuscrit que vous
m’avez prêté et qui m’a paru essentiel et nécessaire », sur le Symbole
de la foi. Ce sont les deux seuls textes que Lubac ait publiés dans la
revue ; un troisième sur Rahner, dont il est question en août 1965, ne
paraîtra pas.
18. Questions importantes de la vie spirituelle et sur l’amour de Dieu (1665), texte de Surin resté iné-
dit jusqu’en 1930 (voir l’éd. Certeau de la Correspondance, p. 1658-1660). Henri Laux en a donné
une édition en 2008 sous le titre Questions sur l’amour de Dieu, « Christus » 95, DDB, Paris.
19. Repris à la suite de La foi chrétienne, essai sur la structure du symbole des apôtres (1re éd. 1969),
dans le tome V des Œuvres complètes, Éd. du Cerf, Paris, 2008, p. 447-473. D’après l’éditeur
on y trouve déjà « la trame des chapitres IV, V et VI » du livre – sans doute le manuscrit auquel
fait allusion Certeau, l’ouvrage ayant pour origine des conférences faites par Lubac en 1959, 601
à des jésuites aumôniers de jeunesse à Chantilly.
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décrit « bigame » – obligé de « quitt[er] le digne Surin pour rejoindre ici
mon autre moitié » (donner des retraites en l’occurrence). En août, il
informe Lubac qu’il est « affecté pour un an à Chantilly, pour boucler
ma thèse » (sur Surin), après avoir échoué à obtenir « une subvention
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20. Voir la lettre du 17 avril [1959] : « Je me permets de vous envoyer l’Introduction de mon
Favre, pour vous demander si vous auriez le temps d’y jeter un coup d’œil et de me faire vos
critiques. C’est un tout petit travail, mais je ne voudrais pas trop dire de stupidités à la fois,
602 et en préserver le bon Favre. » Mémoire de l’EPHE, puis doctorat de 3e cycle en Sorbonne, le
Mémorial est publié dans la coll. Christus en 1960.
note
Il faut croire qu’il tenait au jugement de Lubac puisqu’il lui écrit
le 30 octobre, en plein concile : « Excusez-moi de vous déranger par
des bagatelles au milieu des soucis de l’Église ! Je vous envoie le texte
de l’article sur Bremond pour solliciter avis et corrections. Si cela vous
était possible, je vous en serais très reconnaissant. » Lubac prendra le
temps en effet de lui répondre, ce qui nous vaut une lettre importante,
datée du 10 novembre :
À les lire [« vos remarques, si précises et si éclairantes »], je me suis
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rendu compte que je prêtais à confusion et que je n’avais pas assez
précisé mon propos. Car je n’entends pas analyser dans cet article les
rapports entre la nuit de la prière ou du spirituel et, d’autre part, le
doute ou l’incroyance. C’est une question aussi grave que complexe,
comme vous me le rappelez. Mais je voulais seulement montrer que
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603
21. Réf. supra note 17.
On n’en sait pas beaucoup plus, sinon qu’à deux reprises, en 1963, il
le sollicite avec l’espoir de le rencontrer pour lui parler de ce travail. Une
lettre de Lubac à Henri Bouillard, datée du 23 mars 1964, semble indiquer
que Certeau fait partie du premier cercle : Lubac encourage Bouillard à
solliciter « des amis tels que le Père G. Pierre, le P. de Certeau ou quelques
autres (le P. d’Ouince aussi, etc.) » pour la préparation de la réception
organisée pour la sortie des Mélanges par les éd. Aubier au Lutetia.
Une lettre du 10 juin 1964 laisse penser que la suggestion de son
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nom pour le portrait de Lubac qui paraîtra en octobre dans Ecclesia, à
l’occasion de cette publication, vient de Lubac lui-même ; et la présence
à Namur d’un manuscrit qui semble offrir une version antérieure à celle
publiée fait supposer que Certeau la lui a soumise : « je pourrais peut-
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P.C.
Votre lettre m’a peiné par la fatigue dont vous me parlez et par le
souci que vous me confiez. La trompeuse douceur des premières jour-
nées printanières est peut-être la cause de ce malaise qui, j’espère, ne
durera pas plus qu’elles. Excusez-moi de penser en vous écrivant au
« Non recuso laborem » [formule du sous-diaconat] et à votre tâche,
nécessairement inachevée, mais encore à poursuivre, plus lourde, je
suppose, à qui la mesure mieux, – porté par l’Église pour porter Jésus
Christ, mais perdu en elle pour le trouver et le dire [accent ecclésio-
logique et christique, fréquent dans ces lettres]. Demain, ce sera en
parlant d’exégèse. Après-demain, à propos de la mystique et de la foi.
Mais je ne veux pas vous répéter ce que vous m’avez appris, sauf pour
vous faire sourire à la lecture de ce qu’en a fait un mauvais élève bien
intentionné !
Vous me proposez pour plus tard une mission de confiance, et j’en
suis profondément touché. En comprenant les devoirs qu’elle com-
porte, je l’accepte avec joie, si elle est agréée par votre provincial
et par le mien. Certes, le Père Bouillard est évidemment beaucoup
mieux placé pour saisir l’importance d’affaires ou de questions que
je ne connais qu’indirectement. De ce point de vue, la collaboration
que vous souhaitez est très souhaitable (encore que je ne vois pas très
bien de quelle utilité je pourrais lui être) […]
Que le Seigneur vous remplisse de la joie pascale et de sa vie toujours
nouvelle : c’est ce que je lui demande avec toute mon ancienne et
604
note
profonde gratitude, filiale et fraternelle tout à la fois, vous le savez. En
me confiant à vos prières, je vous assure de ma respectueuse affection
en Notre Seigneur,
[signature]
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formelle puisqu’elle implique l’accord des provinciaux. Tous deux vont
accepter. Il n’en sera plus question par la suite, et il faut aller cher-
cher ailleurs pour trouver des traces de l’évolution de la perception de
Certeau par Lubac22. Nous nous sommes limités à des sondages dans
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Crise et discorde
Dans une lettre du 23 mars 1967, Bouillard écrit que « la lecture
du numéro de février des Études (ou de mars, je ne sais plus) m’a laissé
perplexe et troublé. L’article du P. Antoine sur les lieux sacrés contient,
avec des remarques intelligentes, des propos que je trouve délirants.
L’article de Michel de Certeau sur Foucault24, rédigé en un style pré-
tentieux et quasi inintelligible, n’offre aucune critique sérieuse, alors
que des questions graves sont engagées. Même remarque à propos de la
note dans laquelle le P. Beirnaert exprime lyriquement son admiration
pour l’œuvre de Lacan. » Aucune allusion à ce passage dans la réponse
de Lubac (3 avril 1967) – sinon qu’il encourage Bouillard à publier
dans les Études…
Rappelons que Henri Bouillard (1908-1981), jésuite, fut avec Lubac
une des victimes de la répression de « l’école de Fourvière » (où il ensei-
gnait depuis 1941), en 1950. Auteur d’une thèse remarquée soutenue
à la Grégorienne en 1941 et devenue le premier titre de la collection
« Théologie » : Conversion et grâce chez saint Thomas d’Aquin. Étude
22. Jusqu’à l’éclat de Les Églises particulières dans l’Église universelle (voir notre article de la
RHEF).
23. Elle se trouve à la fois à Vanves (boîtes 39 et 40 du fonds Lubac) et à Namur, où chaque
lettre a sa cote (CAECHL 2427 à 3097).
24. « Les sciences humaines et la mort de l’homme », Études t. 326, mars 1967, p. 344-360 ;
repris dans L’absent de l’histoire (1973) et le recueil posthume (1re éd. 1987) Histoire et psycha- 605
nalyse entre science et fiction.
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actuelle de la Compagnie en France » (Bouillard, 6 août 1967) – Lubac
fait même le rapprochement avec les années 50, considérant, il l’écrit
en toutes lettres, que la « terreur » a changé de côté… Un des aspects de
cette crise est disciplinaire : « la théologie est pratiquement condamnée
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25. Pour une présentation rapide, voir Joseph Doré, « Théologie et philosophie chez Henri
Bouillard », NRT 117/6 (1995), p. 801-820 ; et le « dossier Henri Bouillard », RSR 97/2 (2009).
26. Bouillard avait écrit, le 8 décembre : « Je connais comme vous ses défauts. Mais je saurai
606 le guider dans ses choix. En toute hypothèse, il serait contrôlé, puisque ses choix doivent être
coordonnés avec ceux des prospecteurs d’autres pays. »
note
Très peu d’échos dans cette correspondance de mai 68 (et aucun,
on l’a vu, dans les lettres conservées entre Certeau et Lubac). Lubac est
d’ailleurs en déplacement constant durant cette période, notamment
aux États-Unis.
Bouillard (envers lequel Lubac a renouvelé ses dispositions testa-
mentaires en 1970, sans aucune allusion à Certeau) mentionne dans
une lettre de janvier 1972, Les Églises particulières dans l’Église universelle,
mais le différend avec Certeau n’apparaît pas. Une lettre de Lubac à
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Bouillard, le 19 février 1973, marque durement la distance qui sépare
désormais les deux hommes :
J’ai lu cette chronique de M. de Certeau27 ; j’en suis moins effaré
affecté que vous parce que j’avais déjà vu sous sa plume bien des
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27. Probablement « Lieux de transit », Esprit, fév. 1973 (repris dans La faiblesse de croire, 607
éd. L. Giard, Seuil, Paris, 1987, p. 227-252).
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L’absent de l’histoire (1973) pourrait prolonger une sentence d’un livre
dont on sait qu’il l’a beaucoup médité, Sur les chemins de Dieu (1956) :
« Le Dieu caché, le Dieu mystérieux, n’est pas le Dieu lointain, le Dieu
absent : c’est toujours le Dieu proche. » Pour finalement s’y opposer ? Sa
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28. Au sens qu’a le mot dans le chapitre V de L’étranger ou l’union dans la différence : « Le chris-
tianisme dans le temps de la révolution » (« Foi vivante », DDB, Paris, 1969 ; sur la dialectique
des deux Testaments, cf. p. 142) – comme Lubac lui-même l’avait repéré : voir La postérité
spirituelle de Joachim de Flore, Lethielleux/Culture et vérité, Paris/Namur, t. II, 1981, p. 447
(Œuvres complètes, t. XXVII-XXVIII, p. 835), n. 3. Ce chapitre reprend un article paru dans
Études, t. 329, juin-juillet 1968, sous le titre « La révolution fondatrice ou le risque d’exister »
(n° 84 de la bibliographie établie par L. Giard).
29. Certeau prête à Lubac les deux formulations, dans son texte d’Ecclesia (1964) et dans la
nécrologie du Monde. C’est la première qui est correcte, tirée du « Mystère du surnaturel »,
RSR 36/1 (1949), p. 87.
30. Conclusion reprise, sous le titre « L’absent de l’histoire », comme chapitre neuf de Histoire
et psychanalyse entre science et fiction, à partir de la 2e édition, Gallimard, Paris, 2002. Et
revendication qui donne son titre au dernier recueil que Certeau ait composé, Heterologies.
Discourse on the Other, trad. Brian Massumi, préface de Wlad Godzich, « Theory and History of
Literature » 17, University of Minnessota Press, Minneapolis, 1986 – comme elle structure The
Certeau Reader publié par Graham Ward, Wiley Blackwell Readers, 2000 : Other Times, Other
Cities, Other People, Other Languages, Other Beliefs.
608
31. Article cité, p. 582.
note
comme hénologie –, dont la formulation la plus nette se trouve dans
« La rupture instauratrice ».
Fidélité paradoxale, et l’on pourrait aller jusqu’à lire le dernier
ouvrage de Lubac comme une tentative pour écarter les interprétations
de l’allégorisme chrétien, ouvertes déjà par Histoire et Esprit (1950), qui
ne lui paraissent pas recevables, présentant pour lui un danger intime
– mais suivre les aléas de sa pensée, de l’évolution de celle-ci au cours
d’une longue vie, excède de beaucoup le propos du présent article,
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tout autant que l’examen des évolutions de Certeau lui-même ou des
prolongements dans l’œuvre de leurs échanges. Fidélité, du moins, que
Certeau a tenu à (lui) témoigner jusqu’au bout : « Ce serait une longue
histoire de ma reconnaissance qu’il faudrait que je raconte, même
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