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Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle

Scandales et débats artistiques

OBJECTIFS : Découvrir les scandales qui ont marqué l’histoire des Arts et de la littérature

CONSIGNES :

L’exposé
-Le travail peut être fait en groupe de 3 ou 4 personnes maximum.

- Le résultat final : un exposé devant la classe quand nous reviendrons en cours. Ce travail sera noté (qualité des
recherches, qualité du support, contenu et richesse de l’exposé, qualités orales).

-Support : un diaporama avec des images, accompagné d’un texte dit à l’oral. Vous pouvez aussi montrer des extraits
de vidéos, des enregistrements audio, des montages de votre choix, etc… L’exposé durera environ 15 mn.

Notez vos sources !

Votre exposé : il répond à une question posée !


1) Présentation de l’auteur, de son œuvre, des œuvres commentées (histoire, sujet, fabrication,
matériaux pour les œuvres artistiques ; résumé, description pour les œuvres littéraires, etc…).

2) Présentation du scandale (contexte historique, culturel, résumé du scandale ou chronologie,


«acteurs» du débat, exemples d’arguments pour et d’arguments contre…), conclusion donnée au
scandale…C’est dans cette partie que vous vous aidez des questions et des documents que je
donne.
3) Réponse à la question posée pour chaque exposé.

Pour cela :
 Prendre connaissance du questionnaire et des liens donnés pour votre sujet.
 Répondre aux questions : les réponses seront intégrées à votre exposé oral.
 Faites vos propres recherches et utiliser les ressources complémentaires en dernière page
pour enrichir l’exposé.

N’hésitez pas à me tenir au courant de vos recherches et à me poser des questions !


Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Scandales et débats artistiques

Exposé 1 : Pour quelles raisons le roman Madame Bovary de Flaubert a-t-il été condamné ?
Travail sur documents
Document 1 : 1857 : Les procès de Madame Bovary et des Fleurs du mal
La même année, le procureur Pinard s’attaque à deux futurs monuments de la littérature française, Madame Bovary de
Flaubert et Les Fleurs du Mal de Baudelaire. Découvrez les enjeux de ces procès dans cette émission de France Culture.

Lien vers audio: https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/17397-24.07.2017-ITEMA_21392693-0.mp3

a. Sous quel régime politique ces œuvres sont-elles condamnées ? Eclairage :

b. Quel pourrait être le lien entre ce contexte politique et les Sous l’Ancien Régime, tous les livres
condamnations ? devaient être autorisés par un censeur
royal, avant d’être imprimés.
c. Quels sont les chefs d’inculpation retenus contre Madame Bovary et En 1789, la Déclaration des Droits de
contre Les Fleurs du Mal ? Expliquez pourquoi. l’Homme et du Citoyen proclame que
tout citoyen peut « parler, écrire, imprimer
d. Flaubert gagne-t-il son procès ? Pourquoi ? librement, sauf à répondre de l’abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la
loi ».

Mais Napoléon rétablit la censure en


1804. Elle disparaît officiellement en
1881.

DOCUMENT 2 : Réquisitoire d’Ernest Pinard contre Madame Bovary,


dans le procès «Le Ministère public contre M. Gustave Flaubert »,
Document 2 : 1857. Dans son réquisitoire contre Madame Bovary, Ernest Pinard lit
et commente les scènes qui lui semblent condamnables.
a. Expliquez pourquoi, aux yeux d’Ernest
Pinard, cet extrait est « le mélange du « Après cette scène, vient celle de l’extrême-onction¹. Ce sont des
sacré au voluptueux ». paroles saintes et sacrées pour tous. [...] Quand on veut les reproduire,
il faut le faire exactement ; il ne faut pas du moins les accompagner
b. Ce roman vous semble-t-il scandaleux ?
d’une image voluptueuse sur la vie passée.
[...] « Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le
Document complémentaire : cou comme quelqu’un qui a soif, et collant ses lèvres sur le corps de
Retrouvez la lecture d’un épisode d’adultère l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand
de Madame Bovary sur France Culture. baiser d’amour qu’elle eût jamais donné. Ensuite il récita le Misereatur
et l’Indulgentiam², trempa son pouce droit dans l’huile et commença les
Lien vers audio: https://media.radiofrance- onctions : d’abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les
podcast.net/podcast09/11495-08.09.2017- somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et
ITEMA_21428777-0.mp3 de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était ouverte pour le
mensonge, qui avait gémi d’orgueil et crié dans la luxure³ ; puis sur les
mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des
pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l’assouvissance de ses
désirs, et qui maintenant ne marchaient plus. » [...]
Voilà la scène de la mort. Je l’ai abrégée, je l’ai groupée en quelque
sorte. C’est à vous de juger, et d’apprécier si c’est là le mélange du
sacré au profane, ou si ce ne serait pas plutôt le mélange du sacré au
voluptueux. »
1. Sacrement chrétien qui consiste à appliquer de l’huile sainte sur le corps du croyant avant sa
mort.
2. Deux prières pour l’absolution des péchés.
3. Recherche des plaisirs sexuels.
DOCUMENT 3 :

Document 3 : Réquisitoire d’Ernest Pinard contre Madame Bovary, dans le procès « Le Ministère public contre M.
Gustave Flaubert », 1857.
Le roman se clôt par le suicide d’Emma Bovary, rattrapée par ses dettes et délaissée par les hommes. Ernest Pinard
fait référence au dénouement dans la conclusion de son réquisitoire.

« On nous dira comme objection générale : mais après tout, le roman est moral au fond, puisque l’adultère est puni ?
[...] Je dis, messieurs, que des détails lascifs1 ne peuvent pas être couverts par une conclusion morale, sinon on
pourrait décrire toutes les turpitudes2 d’une femme publique3, en la faisant mourir sur un grabat à l’hôpital. [...]
[La] morale stigmatise4 la littérature réaliste, non pas parce qu’elle peint les passions : la haine, la vengeance, l’amour
; le monde ne vit que là-dessus, et l’art doit les peindre ; mais [...] l’art sans règle n’est plus l’art [...]. Imposer à l’art
l’unique règle de la décence publique, ce n’est pas l’asservir, mais l’honorer. On ne grandit qu’avec une règle ».

1. Sensuels. 3. Prostituée.
2. Actions, attitudes immorales. 4. Porte un regard critique sur.

a. Contre quelle objection Ernest Pinard se défend-il ?

b. Montrez qu’il utilise un raisonnement par l’absurde.*

c. Êtes-vous d’accord avec lui ?


* Le raisonnement par l'absurde (ou apagogie) est un raisonnement qui permet de démontrer qu'une affirmation est vraie en montrant que son
contraire est faux.

DOCUMENTS 4 et 5 :

a. Selon le procureur Picard, quelle est la mission de la littérature ? (doc 3 et 5)

b. Quel est le but de Flaubert dans Madame


Bovary ? (doc 4 et 6 ) DOCUMENT 5 : Jugement rendu lors du procès « Le Ministère
public contre M. Gustave Flaubert », 1857.
DOCUMENT 4 : Critiques et artistes prennent
position dans la presse au sujet du procès. Le Gustave Flaubert est acquitté, mais le jugement critique
critique Sainte-Beuve défend ainsi Flaubert. sévèrement le réalisme.

Charles-Augustin Sainte-Beuve, Le Moniteur « Attendu qu’¹ à ces divers titres l’ouvrage déféré au tribunal
universel, 4 mai 1857. mérite un blâme sévère, car la mission de la littérature doit être
d’orner et de récréer l’esprit en élevant l’intelligence et en épurant
« L’auteur de Madame Bovary a donc vécu en
les mœurs plus encore que d’imprimer le dégoût du vice en offrant
province, dans la campagne, dans le bourg et la
le tableau des désordres qui peuvent exister dans la société ; [...]
petite ville [...]. Or, qu’y a-t-il vu ? Petitesses,
Mais attendu que l’ouvrage dont Flaubert est l’auteur est une
misères, prétentions, bêtise, routine,
œuvre qui paraît avoir été longuement et sérieusement travaillée,
monotonie et ennui ; il le dira. [...] Est-ce moral
au point de vue littéraire et de l’étude des caractères [...] ;
? Est-ce consolant ? L’auteur ne semble pas
Attendu que Gustave Flaubert proteste de son respect pour les
s’être posé cette question ; il ne s’est demandé
bonnes mœurs, et tout ce qui se rattache à la moralité religieuse ;
qu’une chose : « Est-ce vrai » ?
qu’il n’apparaît pas que son livre ait été, comme certaines œuvres,
écrit dans le but unique de donner une satisfaction aux passions
DOCUMENT 6 : Gustave Flaubert, lettre à Louis sensuelles, à l’esprit de licence² et de débauche [...].
Bonenfant, 12 décembre 1856. Dans ces circonstances, attendu qu’il n’est pas suffisamment établi
que Pichat, Gustave Flaubert et Pillet³ se soient rendus coupables
« La morale de l’Art consiste dans sa beauté
des délits qui leur sont imputés ;
même, et j’estime par-dessus tout d’abord le
Le tribunal les acquitte de la prévention portée contre eux et les
style, et ensuite le Vrai. Je crois avoir mis dans
renvoie sans dépens.
la peinture des mœurs bourgeoises et dans
l’exposition d’un caractère de femme 1. Puisque, dans la mesure où.
2. Liberté considérée comme excessive.
naturellement corrompu, autant de littérature 3. Respectivement le gérant de la Revue de Paris, l’auteur et l’imprimeur.
et de convenances que possible, une fois le sujet
donné, bien entendu. »
Autres ressources :

 Les affiches des films faits à partir du roman https://www.google.com/search?


q=madame+bovary+-+affiches+film&client=firefox-b-
d&tbm=isch&source=lnms&sa=X&ved=0ahUKEwiG69vbwLroAhWs3OAKHavPArcQ_AUICigB&biw=1280&bih=94
9&dpr=1

 Un des extraits qui a choqué :

Dès qu'elle fut débarrassée de Charles, elle monta s'enfermer dans sa chambre.
D'abord, ce fut comme un étourdissement ; elle voyait les arbres, les chemins, les fossés,
Rodolphe, et elle sentait encore l'étreinte de ses bras, tandis que le feuillage frémissait et que
les joncs sifflaient.
En s'apercevant dans la glace elle s'étonna de son visage. Jamais elle n'avait eu les yeux si
grands, si noirs, ni d'une telle profondeur. Quelque chose de subtil épandu sur sa personne la
transfigurait.
Elle se répétait : « J'ai un amant ! Un amant ! » se délectant à cette idée comme à celle d'une
autre puberté qui lui serait survenue.
Elle allait donc posséder enfin ces joies de l'amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait
désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase,
délire ; une immensité bleuâtre l'entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa
pensée, et l'existence ordinaire n'apparaissait qu'au loin, tout en bas dans l'ombre, entre les
intervalles de ces hauteurs.
Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces
femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la
charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et
réalisait la longue rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans ce type d’amoureuse qu’elle
avait tant envié. D’ailleurs, Emma éprouvait une satisfaction de vengeance. N’avait-elle pas
assez souffert ! Mais elle triomphait maintenant, et l’amour, si longtemps contenu, jaillissait
tout entier avec des bouillonnements joyeux. Elle le savourait sans remords, sans inquiétude,
sans trouble.

 Une liste d’ouvrages célèbres censurés : https://www.babelio.com/liste/49/Les-classiques-de-la-litterature-


censures

 Le roman complet en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/Madame_Bovary


Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Scandales et débats artistiques

Exposé 2 : Pour quelles raisons le recueil Les fleurs du Mal de Baudelaire a-t-il été
condamné ?
Travail sur documents
Document 1 : 1857 : Les procès de Madame Bovary et des Fleurs du mal

La même année, le procureur Pinard s’attaque à deux futurs monuments de la littérature française, Madame Bovary
de Flaubert et Les Fleurs du Mal de Baudelaire. Découvrez les enjeux de ces procès dans cette émission de France
Culture.

Lien vers audio: https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/17397-24.07.2017-ITEMA_21392693-0.mp3

a. Sous quel régime politique ces œuvres sont-elles condamnées ? Eclairage :

b. Quel pourrait être le lien entre ce contexte politique et les Sous l’Ancien Régime, tous les livres
condamnations ? devaient être autorisés par un censeur
royal, avant d’être imprimés.
c. Quels sont les chefs d’inculpation retenus contre Madame Bovary et En 1789, la Déclaration des Droits de
contre Les Fleurs du Mal ? Expliquez pourquoi. l’Homme et du Citoyen proclame que
tout citoyen peut « parler, écrire, imprimer
d. Baudelaire gagne-t-il son procès ? Pourquoi ? librement, sauf à répondre de l’abus de
cette liberté dans les cas déterminés par la
loi ».

Mais Napoléon rétablit la censure en


Document 2 et 3 : 1804. Elle disparaît officiellement en
1881.
Que reprochent le journaliste et le procureur de l’Empire à Baudelaire ?

Document 2 : Gustave Bourdin, Le Figaro,


1857.
Document 3 : Réquisitoire d’Ernest Pinard contre Les
Cet article est probablement à l’origine du Fleurs du Mal, dans le procès « Le Ministère public
scandale autour des Fleurs du Mal. contre M. Charles Baudelaire », 1857.
Montrer l'horrible
On ne vit jamais gâter si follement d’aussi Baudelaire n'appartient pas à une école. Il ne relève
brillantes qualités. Il y a des moments où que de lui-même. Son principe, sa théorie, c'est de
l’on doute de l’état mental de M. tout peindre, de tout mettre à nu. Il fouillera la nature
Baudelaire ; il y en a où l’on n’en doute humaine dans ses replis les plus intimes ; il aura, pour
plus la rendre, des tons vigoureux et saisissants, il
: – c’est, la plupart du temps, la répétition l'exagérera surtout dans ses côtés hideux ; il la grossira
monotone et préméditée des mêmes outre mesure, afin de créer l'impression, la sensation.
mots, des mêmes pensées. – L’odieux y Il fait ainsi, peut-il dire, la contrepartie du classique, du
coudoie l’ignoble ; – le repoussant s’y allie convenu, qui est singulièrement monotone et qui
à l’infect. n'obéit qu'à des règles artificielles.
J amais on n’assista à une semblable
revue de démons, de fœtus, de diables, de Le juge n'est point un critique littéraire, appelé à se
chloroses1, de chats et de vermine. – Ce prononcer sur des modes opposés d'apprécier l'art et
livre est un hôpital ouvert à toutes les de le rendre. Il n'est point le juge des écoles, mais le
démences de l’esprit, à toutes les législateur l'a investi d'une mission définie : le
putridités2 du cœur ; encore si c’était pour législateur a inscrit dans nos codes le délit d'offense à
les guérir, mais elles sont incurables. la morale publique, il a puni ce délit de certaines
peines, il a donné au pouvoir judiciaire une autorité
1. Maladies de carence.
discrétionnaire pour reconnaître si cette morale est
2. Pourritures.
offensée, si la limite a été franchie. […]

De bonne foi, croyez-vous qu'on puisse tout


Document 4 : Charles Baudelaire, Fusées, X, 1855
Document 3 : Jean Veber, « L’Ennui », projet de préface
- 1862, publié dans OEuvres posthumes, 1887.
pour Les Fleurs du Mal de Baudelaire, 1896, lithographie, 29
× 24 cm, BnF, Paris. « J’ai trouvé la définition du Beau, – de mon
Beau. C’est quelque chose d’ardent et de triste,
quelque chose d’un peu vague, laissant carrière à
la conjecture. Je vais, si l’on veut, appliquer mes
idées à un objet sensible, [...] à un visage de
femme. Une tête séduisante et belle [...] mais
cette tête contiendra aussi quelque chose
d’ardent et de triste, des besoins spirituels, des
ambitions ténébreusement refoulées, [...]
quelquefois aussi, – et c’est l’un des caractères de
beauté les plus intéressants – , le mystère, et
enfin (pour que j’aie le courage d’avouer jusqu’à
quel point je me sens moderne en esthétique), le
malheur. [...] Je ne conçois guère [...] un type de
Beauté où il n’y ait du malheur ».

Documents 3 et 4 :

Quels sont les points communs à ces deux documents ? Qu’est-ce qui est novateur et choquant pour l’époque
dans la conception du Beau, de Baudelaire ?
Document 6 : En 1949, la condamnation des Fleurs du Mal
Document 5 et 6 : est révisée au tribunal. L’avocat général lit des extraits des
poèmes de Baudelaire et se demande s’ils sont encore
a. Quel reproche fait en 1857 n’est plus à l’ordre perçus comme obscènes.
du jour
en 1949 ? M. l’avocat général Dupuich, Révision du jugement du
b. En lisant les poèmes qui ont été censurés en Tribunal correctionnel de la Seine du 27 août 1857 ayant
1857, (voir dernière page de ce dossier) pensez- condamné Charles Baudelaire pour délit d’outrage à la
vous aujourd’hui que ces poèmes sont morale publique et aux bonnes mœurs à raison de la
immoraux ? publication du recueil Les Fleurs du Mal, 1949.

« Aux yeux de notre temps, je ne le crois pas. Que les oreilles


de nos anciens aient été plus effarouchables que les nôtres,
Document 5 : La condamnation d’accord. Que M. Pinard se soit fait l’interprète de leurs
pudeurs inquiètes, je n’en disconviens pas. Mais l’homme et
Le 21 août 1857, le tribunal ne retient pas
le poète sont morts. L’œuvre reste. Elle a trouvé des
le délit d’offense à la morale religieuse,
audiences plus libérales, non seulement en France, mais dans
mais condamne Baudelaire à 300 F
le monde entier. Un concert de louanges s’est élevé. Il émane
d’amende pour « offense à la morale
des meilleurs. Les uns soulignent la probité intellectuelle et
publique et aux bonnes mœurs », car
morale du poète. Les autres la richesse inégalable de ses vers.
«l’erreur du poète, dans le but qu’il voulait
Tels, enfin le savant emploi du mot, même trop haut en
atteindre [...], ne saurait détruire l’effet
couleur. Ce sont là de bons guides. Ils nous démontrent que
funeste des tableaux qu’il présente au
Baudelaire a depuis longtemps l’estime des bonnes gens de
lecteur, et qui, dans les pièces incriminées,
France et qui seraient attristé, je le crois, que l’opprobre,
conduisent nécessairement à l’excitation
même lointaine d’une condamnation flétrît plus longtemps la
des sens par un réalisme grossier et
mémoire d’un des écrivains qui a le mieux servi son pays.
offensant pour la pudeur ».
Baudelaire, qui, jusqu’au bout avait cru à son acquittement,
La Gazette des Tribunaux, 1857.
attendait du Tribunal « une réparation d’honneur ».
Reprenant à mon tour les conclusions de votre rapporteur,
j’ai confiance que la plus haute juridiction du pays voudra,
aujourd’hui, la lui accorder.
Document 7 :

Baudelaire conseille à son avocat d’utiliser des arguments pour sa défense : lesquels ? (reformulez-en trois ou
quatre)

Document 7 : Charles Baudelaire, « Notes et documents pour mon avocat », 1857.


Les notes de Baudelaire à son avocat Dans ces notes, le poète expose son projet artistique pour
donner une ligne de défense à son avocat.

Le livre doit être jugé dans son ensemble, et alors il en ressort une terrible moralité.
Donc je n’ai pas à me louer de cette singulière indulgence qui n’incrimine que 13 morceaux sur 100.
Cette indulgence m’est très funeste.
C’est en pensant à ce parfait ensemble de mon livre que je disais à M. le Juge d’Instruction :
Mon unique tort a été de compter sur l’intelligence universelle, et de ne pas faire une préface où
j’aurais posé mes principes littéraires et dégagé la question si importante de la Morale.
(…)
Depuis près de 30 ans, la littérature est d’une liberté qu’on veut brusquement punir en moi. Est-ce
juste ?
Il y a plusieurs morales. Il y a la morale positive et pratique à laquelle tout le monde doit obéir.
Mais il y a la morale des arts. Celle-là est tout autre. Et depuis le Commencement du monde, les
Arts l’ont bien prouvé.
Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très
restreinte pour les polissons.
M. Charles Baudelaire n’aurait-il pas le droit d’arguer des licences permises à Béranger (Œuvres
Complètes autorisées) ? Tel sujet reproché à Ch. Baudelaire a été traité par Béranger. Lequel
préférez-vous ? Le poète triste ou le poète gai et effronté, l’horreur dans le mal ou la folâtrerie, le
remords ou l’impudence ?
(Il ne serait peut-être pas sain d’user outre mesure de cet argument.)
Je répète qu’un Livre doit être jugé dans son ensemble. À un blasphème, j’opposerai des
élancements vers le Ciel, à une obscénité des fleurs platoniques.
[...]
Qu’est-ce que c’est que cette morale prude, bégueule, taquine, et qui ne tend à rien moins [sic] qu’à
créer des conspirateurs même dans l’ordre si tranquille des rêveurs ?
Cette morale-là irait jusqu’à dire : DÉSORMAIS ON NE FERA QUE DES LIVRES CONSOLANTS ET
SERVANTS À DÉMONTRER QUE L’HOMME EST NÉ BON, ET QUE TOUS LES HOMMES SONT HEUREUX,
— abominable hypocrisie !
Autres ressources :

 Une liste d’ouvrages célèbres censurés : https://www.babelio.com/liste/49/Les-classiques-de-la-litterature-


censures

 Eléments de contextualisation :
Publié en 1857, le recueil poétique Les Fleurs du mal fait scandale : Baudelaire y présente une esthétique
nouvelle, où la peinture de la Beauté se mêle à celle du Mal.

Rompant avec la tradition poétique, Baudelaire n'hésite pas à dépeindre ce qui est répugnant et
fait naitre la beauté de la laideur. Ainsi, dans « Une charogne », il décrit avec sensualité un cadavre
d'animal en putréfaction, allant jusqu'à le comparer à la femme aimée.

En rupture avec les romantiques qui exaltaient la nature, le poète est fasciné par la ville, et le montre
notamment dans ses « Tableaux parisiens ».

On réduit souvent le recueil à ses poèmes provocants, obscènes, mais l'écriture poétique de Baudelaire
est aussi traversée par la recherche d'un idéal.

Quelques mois après le procès de Madame Bovary, le recueil est attaqué pour outrage aux bonnes
mœurs.
Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Scandales et débats artistiques

Exposé 3 : Pour quelles raisons certains tableaux de Courbet ont-il fait scandale ?
Travail sur documents
Éclairage :

 Au XIXe siècle, le Salon connaît un immense succès: cette


exposition officielle permet aux artistes de se faire connaître, et aux
critiques d’exercer leur influence.
 Être exposé au Salon n’est cependant pas facile: en effet, les
œuvres sont soumises à un jury présidé par l’Académie des Beaux-Arts, garante
des codes esthétiques classiques.
 En 1863, 3 000 œuvres sont refusées sur les 5 000 présentées ;
Napoléon III crée alors un « Salon des Refusés ».
 Les salons sont ainsi le lieu de scandales lorsque certains artistes ne
respectent pas les codes esthétiques de l’Académie, par exemple lorsqu’ils
utilisent le grand format pour un sujet autre qu’historique, ou lorsqu’ils
représentent une femme dont la nudité n’est pas idéalisée mais, au contraire,
peinte ou sculptée avec réalisme.

Document 1 : Que reproche Théophile Gautier aux Baigneuses ? Surligner les termes péjoratifs dans le paragraphe
sur sa description. À votre avis, quels sont, selon lui, les critères d’une œuvre d’art réussie ?

Document 2 : De quel aspect du tableau le caricaturiste de l’époque se moque-t-il ?

Document 3 : La baigneuse n’est pas le seul tableau qui ait fait scandale. Observez les autres tableaux en les
recherchant sur internet. Quels sont leurs points communs qui ont choqué à l’époque ? Ces œuvres vous
choquent-elles aujourd’hui ?

Lesquelles ont été appréciées ? Pour quelles raisons ?


Document 1 : Théophile Gautier, La Presse, 21 juillet 1853.

« La Baigneuse a obtenu un succès de scandale. Figurez-vous une sorte de


Vénus hottentote sortant de l'eau, et tournant vers le spectateur une croupe
monstrueuse et capitonnée de fossettes au fond desquelles il ne manque que le
macaron de passementerie. Cette croupe est soutenue par des jambes énormes et
gonflées par l'éléphantiasis. Le haut du corps, à partir de la ceinture, semble
appartenir à une autre femme. La tête est petite, l'épaule maigre, et le flasque
contour d'une gorge appauvrie apparaît sous le bras développé théâtralement dans
un geste conventionnel presque académique qui nous a beaucoup surpris de la part
de M. Courbet ; un bout de serviette ou de draperie blanche traversant le corps
cache ce que les anfractuosités d'embonpoint de cette callipyge bourgeoise
pouvaient avoir d'alarmant pour l'œil et la pudeur ; un chapeau et quelques hardes
pendues à des branches indiquent une espèce de « dame de campagne » se livrant
aux douceurs du bain nécessaire en compagnie de sa servante, forte paysanne déjà
déchaussée, et qui contemple de la rive les charmes de sa maîtresse avant d'entrer
à son tour dans l'eau. Le sourire niais de sa bouche de grenouille et le geste de ses
bras tendus comme ceux d'une coryphée de ballet s'expliquent difficilement. Est-
elle sérieuse ou se moque-t-elle ? On ne sait. Mais assurément, elle est
ignoblement laide ; et, chose étrange chez un rustique comme M. Courbet, très
maniérée.
Quelle a été l’idée du peintre en exposant cette surprenante anatomie ? A-
t-il voulu rompre en visière avec1 les belles femmes antiques et protester à sa
façon contre les blancs mensonges du Paros et du Pentélique2 ? Pourquoi nous
faire subir cet affligeant spectacle ? Est-ce en haine de la Vénus de Milo qu’il a fait
sortir d’une eau pure ce corps crasseux ? A-t-il eu l’intention d’opposer des reins
de sa façon à ce torse immortel ? Pose-t-il dans cette Baigneuse son idéal de
beauté, ou s’est-il contenté de copier une créature obèse, à la graisse mal
distribuée, déshabillée sur la table de l’atelier ? Nous admettons que ces formes
étranges, ces boursouflures, ces plis, ces rouleaux, ces excavations et ces
bouillonnements de chair soient de la plus rigoureuse vérité ; pourquoi nous faire
subir cet affligeant spectacle ?
1. Détruire l’image de.
2. Régions grecques de production de marbre.

Document 2 : Caricature parue


dans le journal satirique
Document 3 :

L'autre toile représente un Enterrement à Ornans. Dans ce tableau célèbre, aucune


préoccupation ne guida l'artiste que de faire une série de portraits des gens de son pays. Et pour
cela, il les réunit tous dans une cérémonie d'enterrement. Là, aucune arrière-pensée politique,
mais le souci unique de peindre une scène vraie, vécue, prise sur le vif, sans aucune concession
aux conventions académiques. Il ne songera pas à embellir ses personnages. Paysans ils sont,
paysans il les peindra, avec leurs tournures gauches, leurs habits ridicules, leurs visages
vulgaires. (…) Dans l'atelier qu'il s'était aménagé dans la maison d'Ornans, il se mit à l'œuvre,
disposant ses personnages, les faisant poser à tour de rôle. Autour de sa maison, le village entier
se pressait, pour voir l'œuvre du « gars Courbet ». Beaucoup de ceux qui ne figuraient pas sur le
tableau étaient désappointés ; il dut même, pour ne pas les mécontenter, introduire dans sa
toile les deux chantres de la paroisse, vexés de n'avoir pas été « tirés ». Sur le visage des
cinquante figurants de la scène, on peut inscrire un nom: la famille du peintre s'y trouve; on y
voit le curé d'Ornans, le fossoyeur Cassard, le maire et l'adjoint du village, etc., tous absolument
reconnaissables et peints avec une fidélité absolue.
Cette toile figura au Salon de 1850, en même temps que sept autres.
Ce fut un déchaînement général. Il trouva des défenseurs enthousiastes et des
adversaires passionnés. Ces derniers furent les plus nombreux. L'Enterrement est qualifié de
« sauvage bêtise, où se voit le triomphe de la vulgarité, de la bassesse, de la trivialité odieuse
et ignoble »; d'autres l'appellent une « caricature ignoble et impie ». Théophile Gautier,
devant
cette œuvre, se demande si on doit rire ou pleurer, et il la traite de misérable pochade. Tous
s'accordent à trouver les personnages d'une laideur hideuse, qui déshonore l'art; les deux
bedeaux à trogne vermillonnée, notamment, exaspèrent les censeurs par leur basse et triviale
vulgarité.
Par contre, les Casseurs de pierres obtiennent un vif succès, très mérité mais qui ne
diminue pas la valeur de l'Enterrement. La postérité s'est montrée plus juste pour ce dernier
tableau, si décrié. Il figure maintenant au Musée d'Orsay, dont il est un des joyaux.
(…) Celui-ci (Courbet) se remet au travail avec une nouvelle ardeur. Il peint les Demoiselles de
village et pour n'être plus accusé de faire laid de parti-pris, il y fait figurer ses propres sœurs.
Cette œuvre, très belle, est envoyée au Salon de 1852, et, avant même que d'être exposée, elle
est acquise par le comte de Morny. Le peintre socialiste protégé par le bras droit de Napoléon, il
y avait là de quoi étonner, et peut-être aussi de quoi modérer la critique. Il n'en fut rien.
L'opposition fut aussi violente, en dépit de la grande valeur de l'œuvre. Et parmi ses détracteurs,
on a le regret de compter Delacroix qui se signala par l'outrancière injustice de ses appréciations.
La critique ne désarmait pas. Il résolut de ne plus s'en inquiéter et de suivre son seul
goût. C'est ainsi qu'il exposa au Salon de 1853 trois tableaux très différents : la Fileuse endormie,
les Lutteurs et les Baigneuses. Ce dernier tableau représentait, dans un très beau paysage, une
femme aux formes puissantes, sortant de l'eau et montrant une croupe athlétique. Près d'elle,
assise sur l'herbe et à demi-vêtue, une autre femme, aussi peu distinguée, sourit à la baigneuse.
Cette œuvre nouvelle fit scandale. Napoléon III, qui visitait le Salon, cravacha la toile, ce qui fit
dire à Courbet : « Si j'avais su, j'aurais pris une toile mince; il l'aurait crevée et je lui aurais
intenté un procès qui aurait fait du bruit… »
Document 4 : Lettre aux jeunes artistes de Paris datant du 25 décembre 1861 et publié
dans le Courrier du dimanche. Gustave Courbet.

Messieurs et chers Confrères,


Vous avez bien voulu ouvrir un atelier de peinture où vous puissiez librement continuer
votre éducation d'artistes, et vous avez bien voulu m'offrir de le placer sous ma direction.
Avant toute réponse, il faut que je m'explique avec vous sur ce mot direction. Je ne puis
m'exposer à ce qu'il soit question entre nous de professeur et d'élèves.
Je dois vous rappeler ce que j'ai eu récemment l'occasion de dire au congrès d'Anvers : je
n'ai pas, je ne puis pas avoir d'élèves.
Moi, qui crois que tout artiste doit être son propre maître, je ne puis pas songer à me
constituer professeur. Je ne puis pas enseigner mon art, ni l'art d'une école quelconque,
puisque je nie l'enseignement de l'art, ou que je prétends, en d'autres termes, que l'art est
tout individuel, et n'est pour chaque artiste, que le talent résultant de sa propre
inspiration et de ses propres études sur la tradition. (…)
L'imagination dans l'art consiste à savoir trouver l'expression la plus complète d'une chose
existante, mais jamais à supposer ou à créer cette chose même.
Le beau est dans la nature, et sa rencontre dans la réalité sous les formes les plus diverses.
Dès qu'on l'y trouve, il appartient à l'art, ou plutôt à l'artiste qui sait l'y voir. Dès que le
beau est réel et visible, il a en lui-même son expression artistique. Mais l'artiste n'a pas le
droit d'amplifier cette expression. Il ne peut y toucher qu'en risquant de la dénaturer, et
par suite de l'affaiblir. Le beau donné par la nature est supérieur à toutes les conventions
de l'artiste.
Le beau, comme la vérité, est une chose relative au temps où l'on vit et à l'individu apte à
le concevoir. L'expression du beau est en raison directe de la puissance de perception
acquise par l'artiste.
Voilà le fond de mes idées en art. Avec de pareilles idées, concevoir le projet d'ouvrir une
école pour y enseigner des principes de convention, ce serait rentrer dans les données
incomplètes et banales qui ont jusqu'ici dirigé partout l'art moderne.
Autres ressources :

 Une émission de deux minutes sur L’enterrement à Ornans (Emission d’Art d’Art)

https://www.dailymotion.com/video/x2dvm8w

 Liste de ses tableaux


https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_tableaux_de_Gustave_Courbet

 Sa biographie
Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Scandales et débats artistiques

Exposé 4 : Pour quelles raisons certains tableaux de Manet ont-ils fait scandale ?
Travail sur documents
Premier tableau : Édouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1863, huile sur toile, 208 × 265 cm, musée d’Orsay, Paris.

Deuxième tableau : Édouard Manet Olympia 1863 130 × 191 cm musée d’Orsay Paris

Éclairage :
a. Observez le regard de la jeune femme sur ces
 Au XIXe siècle, le Salon connaît un immense succès:
deux tableaux. Quel point commun constatez-vous ? cette exposition officielle permet aux artistes de se faire connaître,
et aux critiques d’exercer leur influence.
b. Quel effet l’artiste cherche-t-il à produire sur les  Être exposé au Salon n’est cependant pas facile: en
spectateurs ? effet, les œuvres sont soumises à un jury présidé par l’Académie des
Beaux-Arts, garante des codes esthétiques classiques.
 En 1863, 3 000 œuvres sont refusées sur les 5 000 présentées ;
Napoléon III crée alors un « Salon des Refusés ».
 Les salons sont ainsi le lieu de scandales lorsque
certains artistes ne respectent pas les codes esthétiques de
l’Académie, par exemple lorsqu’ils utilisent le grand format pour un
sujet autre qu’historique, ou lorsqu’ils représentent une
femme dont la nudité n’est pas idéalisée mais, au contraire, peinte
ou sculptée avec réalisme.

c. Documents 1 et 2 : Pour quelles raisons le tableau « Olympia » -t-il choqué ?

d. Document 3 : quelle est la différence entre le tableau « La naissance de Vénus » de Cabanel et « Le déjeuner
sur l’herbe » ?

Aidez-vous aussi de cette analyse https://www.panoramadelart.com/cabanel-naissance-de-venus

e. Document 4 : que reprochent les critiques au déjeuner sur l’herbe ?

f. Document 5 : Quels sont les arguments de Zola pour défendre Le déjeuner sur l’herbe ?
Document 1 : Émile Zola, L’Événement Document 2 : Sur le site L'Histoire par l'image, une vidéo pour
illustré, 10 mai 1868. comprendre pourquoi Olympia a choqué les contemporains de
Manet la même année. (Voir article + « animation » en bas de
« Et tout le monde a crié : on a trouvé ce
la page)
corps nu indécent ; cela devait être,
puisque c’est là de la chair, une fille¹ que https://www.histoire-image.org/fr/etudes/scandale-realite
l’artiste a jetée sur la toile dans sa nudité
jeune et déjà fanée. Lorsque nos artistes
nous donnent des Vénus, ils corrigent la
nature, ils mentent. Édouard Manet [...] Document 3 : Une vidéo de D’Art d’Art sur les raisons du
nous a fait connaître Olympia, cette fille scandale provoqué par Le Déjeuner sur l’herbe au Salon des
de nos jours, que vous rencontrez sur les Refusés, en 1863
trottoirs et qui serre ses maigres épaules https://www.dailymotion.com/video/x2dvmaf
dans un mince châle de laine déteinte. »
¹. Une prostituée.

Document 4 : Les critiques du Document 5 : Emile Zola, " Edouard Manet, 1867 - La Revue du XIXe siècle "
tableau « Le déjeuner sur
l’herbe » En 1867, Emile Zola, ami de l'artiste, écrit une défense en forme d’éloge :

« Le Déjeuner sur l'herbe est la plus grande toile d'Edouard Manet, celle
Ernest Chesneau, 1864
où il a réalisé le rêve que font tous les peintres : mettre des figures de grandeur
naturelle dans un paysage. On sait avec quelle puissance il a vaincu cette
« Manet aura du talent, le jour où il
saura le dessin et la perspective, il difficulté. Il y a quelques feuillages, quelques troncs d'arbres, et, au fond une
aura du goût le jour où il renoncera à rivière dans laquelle se baigne une femme en chemise ; sur le premier plan, deux
ses sujets choisis en vue du scandale jeunes gens sont assis en face d'une seconde femme qui vient de sortir de l'eau
[…] nous ne pouvons trouver que ce et qui sèche sa peau nue au grand air. Cette femme nue a scandalisé le public,
soit une œuvre parfaitement chaste
qui n'a vu qu'elle dans la toile. Bon Dieu ! quelle indécence : une femme sans le
que de faire asseoir, entourée
d’étudiants en béret et en paletot, moindre voile entre deux hommes habillés ! Cela ne s'était jamais vu. Et cette
une fille vêtue seulement de l’ombre croyance était une grossière erreur, car il y a au musée du Louvre plus de
des feuilles. C’est là une question cinquante tableaux dans lesquels se trouvent mêlés des personnages habillés et
très secondaire, et je regrette, bien des personnages nus. Mais personne ne va chercher à se scandaliser au musée
plus que la composition elle-même,
du Louvre. La foule s'est bien gardée d'ailleurs de juger Le Déjeuner sur l'herbe,
l’intention qui l’a inspirée […] M.
Manet veut arriver à la célébrité en comme doit être jugée une véritable œuvre d'art; elle y a vu seulement des gens
étonnant le bourgeois […] Il a le goût qui mangeaient sur l'herbe, au sortir du bain, et elle a cru que l'artiste avait mis
corrompu par l’amour du bizarre. » une intention obscène et tapageuse dans la disposition du sujet, lorsque l'artiste
avait simplement cherché à obtenir des oppositions vives et des masses
franches.

Théophile Thoré, 1863 Les peintres, surtout Edouard Manet, qui est un peintre analyste, n'ont
pas cette préoccupation du sujet qui tourmente la foule avant tout ; le sujet pour
« Le Bain est d’un goût bien risqué. eux est un prétexte à peindre tandis que, pour la foule, le sujet seul existe. Ainsi,
La personne n’a pas de belle forme assurément, la femme nue du Déjeuner sur l'herbe n'est pas là que pour fournir à
malheureusement […] et on
l'artiste l'occasion de peindre un peu de chair. Ce qu'il faut voir dans le tableau,
n’imaginerait rien de plus laid que le
monsieur étendu près d’elle […] Je ne ce n'est pas un déjeuner sur l'herbe, c'est le paysage entier, avec ses vigueurs et
devine pas ce qui a pu faire choisir à ses finesses, avec ses premiers plans si larges, si solides, et ses fonds d'une
un artiste intelligent et distingué une délicatesse si légère ; c'est cette chair ferme modelée à grands pans de lumière,
composition si absurde. » ces étoffes souples et fortes, et surtout cette délicieuse silhouette de femme en
chemise qui fait dans le fond une véritable tache blanche au milieu des feuilles
vertes, c'est enfin ce vaste ensemble, plein d'air, ce coin de la nature rendu avec
une simplicité si juste, toute cette page dans laquelle un artiste a mis tous les
éléments particuliers et rares qui étaient en lui. »
Autres ressources :
 Biographie et courant artistique :
http://www.impressionniste.net/manet.htm

 Liste des tableaux : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_tableaux_d


%27%C3%89douard_Manet
1

Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle


Scandales et débats artistiques

Exposé 5 : Pour quelles raisons certaines pièces de Molière ont-elles fait scandale ?

I- Travail sur documents : les questions sont en page 4

Document 1 : « Entrer dans le Dom Juan de Molière par le théâtre », Anne-Marie BONNABEL,
agrégée de Lettres Modernes, site de l’Académie d’Aix-Marseille.

Dans cet article, l’auteur fait la chronologie de la censure de la pièce Dom Juan ou le festin
de pierre, de Molière. (1665)

« Quel texte Molière a-t-il véritablement écrit? Nous n’en savons rien. Nous ne savons rien en
effet du texte proféré par les acteurs le soir de la première représentation du Festin de Pierre
le 15 février 1665. Dès le lendemain la pièce est censurée et la scène dite du Pauvre (II 3)
supprimée. Elle se joue encore une quinzaine de fois jusqu’au 20 mars, date de la fermeture
annuelle des théâtres pour les fêtes de Pâques au XVII° siècle.
A la réouverture du théâtre, alors qu’on pouvait s’attendre à plusieurs autres
représentations, compte tenu de son succès, Le Festin de Pierre a disparu de l’affiche et ne
sera jamais repris du vivant de Molière, contrairement aux habitudes de la troupe.
Le 11 mai, le libraire de Molière (on parlerait aujourd’hui de son éditeur) obtient le
privilège qui l’autorise à publier Le Festin de pierre. Il fait enregistrer son privilège le 24 mai et
ne publie cependant pas la pièce.
En 1673 quand Molière meurt, Le Festin de Pierre est sa seule œuvre non publiée de
son vivant.
En 1677 douze ans après la création du Festin de Pierre, Armande Béjart, l’épouse de
Molière, et ses comédiens passent commande à Thomas Corneille d’une version versifiée,
édulcorée et moralisante, où tous les passages délicats concernant la morale et la religion sont
supprimés, version publiée en 1681 sans scandale.
En 1682, La Grange, le comédien qui a joué le rôle de Dom Juan, le fidèle compagnon à
qui on doit les fameux registres du théâtre qui nous en disent beaucoup sur la vie de la troupe,
dirige la publication des œuvres complètes de Molière. Il donne à la pièce un titre qu’elle n’a
jamais porté du vivant de son auteur: Dom Juan, ce qui n’empêche pas la censure d’intervenir,
alors même que le volume VII des œuvres complètes de l’édition de 1682 est prêt à être
imprimé et relié. Pour éviter de recomposer le volume entier, les feuillets incriminés seront
supprimés et des nouveaux collés à leur place, on parle alors d’éditions « cartonnées ». Mais
toutes les modifications exigées par la censure ne sont pas également effectuées sur tous les
exemplaires de 1682. Ainsi à partir de ces exemplaires différemment censurés, on peut cerner
les exigences de la censure qui visent à supprimer dans les discussions Dom Juan - Sganarelle
tout ce qui pourrait, même implicitement, se moquer de la religion ».
2

Document 2 : Molière, Dom Juan, Acte I, scène 2, Document 3 : La scène du pauvre. Molière, Dom Juan,
1665.Dom Juan a séduit Done Elvire, alors religieuse Acte III, scène 2, 1665.
dans un couvent, puis l’a quittée après lui avoir Sganarelle et Dom Juan, en fuite, se sont perdus dans
promis le mariage. Il répond à son valet Sganarelle, la forêt. Ils rencontrent un mendiant.
qui lui reproche son comportement.
SGANARELLE. – Holà, ho, l’homme ! ho, mon compère !
DOM JUAN. – Quoi ? tu veux qu’on se lie à ho, l’ami ! un petit mot, s’il vous plaît. Enseignez-nous un
demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on peu le chemin qui mène à la ville.
renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus LE PAUVRE. – Vous n’avez qu’à suivre cette route,
d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se Messieurs, et détourner à main droite1 quand vous serez
piquer1 d’un faux honneur d’être fidèle, de au bout de la forêt ; mais je vous donne avis que vous
s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être devez vous tenir sur vos gardes, et que, depuis quelque
mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui temps, il y a des voleurs ici autour.
nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la DOM JUAN. – Je te suis bien obligé2, mon ami, et je te
constance2 n’est bonne que pour des ridicules ; rends grâce de tout mon cœur.
toutes les belles ont droit de nous charmer, et LE PAUVRE. – Si vous vouliez me secourir, Monsieur, de
l’avantage d’être rencontrée la première ne doit quelque aumône3 ?
point dérober aux autres les justes prétentions DOM JUAN. – Ah ! ah ! ton avis est intéressé, à ce que je
qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la vois.
beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède LE PAUVRE. – Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré
facilement à cette douce violence dont elle nous tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai
entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pas de prier le ciel qu’il vous donne toute sorte de biens.
pour une belle n’engage point mon âme à faire DOM JUAN. – Eh ! prie le Ciel qu’il te donne un habit, sans
injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir te mettre en peine des affaires des autres.
le mérite de toutes, et rends à chacune les SGANARELLE. – Vous ne connaissez pas Monsieur, bon
hommages et les tributs3 où la nature nous oblige. homme : il ne croit qu’en deux et deux sont quatre, et en
quatre et quatre sont huit.
1. Se vanter.
2. Fidélité. DOM JUAN. – Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?
3. Signes d’amour. LE PAUVRE. – De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité
des gens de bien qui me donnent quelque chose.
Document 4 : Jugement sur la pièce Sieur de DOM JUAN. – Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à
Rochemont, Observation sur une comédie de ton aise ?
Molière intitulée Le Festin de Pierre, 1665. LE PAUVRE. – Hélas ! Monsieur, je suis dans la plus grande
nécessité du monde.
« Qui peut supporter la hardiesse d’un farceur DOM JUAN. – Tu te moques : un homme qui prie le Ciel
qui a fait plaisanterie de la religion, qui tient tout le jour ne peut pas manquer d’être bien dans ses
école du libertinage et qui rend la majesté de affaires.
Dieu le jouet d’un maître et d’un valet de LE PAUVRE. – Je vous assure, Monsieur, que le plus
théâtre, d’un athée qui s’en rit et d’un valet, souvent je n’ai pas un morceau de pain à mettre sous les
plus impie que son maître, qui en fait rire les dents.
autres ? Cette pièce a fait tant de bruit dans DOM JUAN. – Voilà qui est étrange, et tu es bien mal
Paris, elle a causé un scandale si public, et tous reconnu de tes soins. Ah ! ah ! je m’en vais te donner un
les gens de bien en ont ressenti une si juste louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer4.
douleur que c’est trahir visiblement la cause de LE PAUVRE. – Ah ! Monsieur, voudriez-vous que je
Dieu de se taire dans une occasion où sa gloire commisse un tel péché ?
est ouvertement attaquée, où la foi est exposée
aux insultes d’un bouffon […] ; où un athée 1. Tourner à droite.
2. Redevable, reconnaissant.
foudroyé en apparence, foudroie en effet et 3. Aide financière, don charitable.
renverse tous les fondements de la religion » 4. Blasphémer.
[…]. »
3

Document 5 : Podcast sur France Inter : Ecoutez de 27 minutes et 25 secondes à 38 minutes (au moins)

Le Tartuffe ou l'Imposteur est la pièce de Molière qui excita les plus vives controverses lors de sa création. Une
fiction de Christine Spianti, commentée par Georges Forestier, auteur d'une biographie de Molière et éditeur de son
œuvre dans La Pléiade.

https://www.franceinter.fr/emissions/autant-en-emporte-l-histoire/autant-en-emporte-l-histoire-10-mars-2019
4

QUESTIONS :

a. Document 1 : Relevez les étapes de l’histoire de la censure de la pièce de Molière. Résumez-la.

b. Document 2 : Quel portrait fait Dom Juan de lui-même ? Quels sont ses arguments en faveur de
l’inconstance en amour ? Pourquoi dit-on que Don Juan est un libertin ?

c. Document 3 : Pourquoi cette scène a-t-elle fait scandale, à l’époque de Molière ?


En quoi ou en qui le pauvre croit-il ? Et Dom Juan ? Comment comprenez-vous la réplique de Sganarelle «
il ne croit qu’en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit ».
Qu’est-ce que Dom Juan cherche à montrer au pauvre ?

d. Document 4 : Que reproche le sieur de Rochemont à la pièce de Molière ?

e. Document 5 : Renseignez-vous sur la pièce de Molière Tartuffe ou l’imposteur.


Selon l’émission de France Inter, à qui déplait-elle à l’époque et pourquoi a-t-elle été interdite ?

Ressources complémentaires :

Vidéo du metteur en scène (les deux premières minutes) :


https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Dom-Juan-17192/contenus-
pedagogiques/idcontent/71860

Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle


Exposé 6 : Pour quelles raisons la construction de la Tour Eiffel a-t-elle fait scandale ?
Travail sur documents (les questions sont en page 4)

Document 1 : Lettre adressée à M. Alphand en février 1887, portant la signature des peintres, des sculpteurs, des
architectes et des écrivains les plus connus de l’époque. Parmi les signataires : Meissonnier, Gounod, Garnier,
Sardou, Boullat, Coppée, Leconte de Lisle, Sully-Prud’homme, Huysmans, Maupassant, Zola.

La lettre des artistes, 14 février 1887

"Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte
de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de
l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse
tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d'esprit de justice, a déjà baptisée du nom
de "tour de Babel".
Sans tomber dans l'exaltation du chauvinisme, nous avons le droit de proclamer bien haut que Paris est la
ville sans rivale dans le monde. Au-dessus de ses rues, de ses boulevards élargis, le long de ses quais admirables, du
milieu de ses magnifiques promenades, surgissent les plus nobles monuments que le génie humain ait enfantés.
L'âme de la France, créatrice de chefs-d'œuvre, resplendit parmi cette floraison auguste de pierres. L'Italie,
l'Allemagne, les Flandres, si fières à juste titre de leur héritage artistique, ne possèdent rien qui soit comparable au
nôtre, et de tous les coins de l'univers Paris attire les curiosités et les admirations. Allons-nous donc laisser profaner
tout cela?
La ville de Paris va-t-elle donc s'associer plus longtemps aux baroques aux mercantiles imaginations d'un
constructeur de machines, pour s'enlaidir irréparablement et se déshonorer? Car la tour Eiffel, dont la commerciale
Amérique elle-même ne voudrait pas, c'est, n'en doutez pas, le déshonneur de Paris. Chacun le sent, chacun le dit,
chacun s'en afflige profondément, et nous ne sommes qu'un faible écho de l'opinion universelle, si légitimement
alarmée. Enfin, lorsque les étrangers viendront visiter notre Exposition, ils s écrieront, étonnés; " Quoi? C'est cette
horreur que les Français ont trouvée pour nous donner une idée de leur goût si fort vanté?" Ils auront raison de se
moquer de nous, parce que le Paris des gothiques sublimes, le Paris de Jean Goujon, de Germain Pilon, de Puget, de
Rude, de Barye, etc., sera devenu le Paris de M. Eiffel.
Il suffit, d'ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer un instant une tour
vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu'une noire et gigantesque cheminée d'usine, écrasant de sa masse
barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l'Arc de Triomphe,
tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et
pendant vingt ans, nous verrons s'allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, nous
verrons s'allonger comme Une tache d'encre l'ombre odieuse de l'odieuse colonne de tôle boulonnée.
C'est à vous qui aimez tant Paris, qui l'avez tant embelli, qui l'avez tant de fois protégé contre les dévastations
administratives et le vandalisme des entreprises industrielles, qu'appartient l'honneur de le défendre une fois de
plus.

Nous nous en remettons à vous du soin de plaider la cause de Paris, sachant que vous y dépenserez toute
l'énergie, toute l'éloquence que doit inspirer à un artiste tel que vous l'amour de ce qui est beau, de ce qui est
grand, de ce qui est juste. Et si notre cri d'alarme n'est pas entendu, si nos raisons ne sont pas écoutées, si Paris
s'obstine dans l'idée de déshonorer Paris, nous aurons du moins, vous et nous, fait entendre une protestation qui
honore.
2

Document 2 : La réponse de G. Eiffel dans Le Temps, 1887


Eiffel répondit lui-même dans un entretien qu’il eut à ce sujet avec M. Paul Bourde et qui fut reproduit dans le
journal Le Temps :
"Quels sont les motifs que donnent les artistes pour protester contre l'érection de la tour ? Qu'elle est inutile et
monstrueuse? Nous parlerons de l'utilité tout à l'heure. Ne nous occupons pour le moment que du mérite
esthétique, sur lequel les artistes sont plus particulièrement compétents.

La tour aura sa beauté propre


Je vous dirai toute ma pensée et toutes mes espérances. Je crois, pour ma part, que la tour aura sa beauté
propre. Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos
constructions et qu'en même temps que nous faisons solide et durable, nous ne nous efforçons pas de faire
élégant? Est-ce que les véritables conditions de la force ne sont pas toujours conformes aux conditions secrètes
de l'harmonie? Le premier principe de l'esthétique architecturale est que les lignes essentielles d'un monument
soient déterminées par la parfaite appropriation à sa destination. Or, de quelle condition ai-je eu, avant tout, à
tenir compte dans la tour? De la résistance au vent. Et bien! je prétends que les courbes des quatre arêtes du
monument telles que le calcul les a fournies, qui, partant d'un énorme et inusité empâtement à la base, vont en
s'effilant jusqu'au sommet, donneront une grande impression de force et de beauté; car elles traduiront aux yeux
la hardiesse de la conception dans son ensemble, de même que les nombreux vides ménagés dans les éléments
mêmes de la construction accuseront fortement le constant souci de ne pas livrer inutilement aux violences des
ouragans des surfaces dangereuses pour la stabilité de l'édifice.
Ce qui est admirable en Égypte deviendrait-il hideux et ridicule à Paris ?
La tour sera le plus haut édifice qu'aient jamais élevé les hommes.
— Ne sera-t-elle donc pas grandiose aussi à sa façon? Et pourquoi ce qui est admirable en Égypte deviendrait-il
hideux et ridicule à Paris? Je cherche et j'avoue que je ne trouve pas.
La protestation dit que la tour va écraser de sa grosse masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour
Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l'Arc de Triomphe, tous nos monuments. Que de choses à la fois!
Cela fait sourire, vraiment. Quand on veut admirer Notre-Dame, on va la voir du parvis. En quoi, du Champ-de-
Mars, la tour gênera-t-elle le curieux placé sur le parvis Notre-Dame, qui ne la verra pas? C'est, d'ailleurs, une des
idées les plus fausses, quoique des plus répandues, même parmi les artistes, que celle qui consiste à croire qu'un
édifice élevé écrase les constructions environnantes. Regardez si l'Opéra ne paraît pas plus écrasé par les maisons
du voisinage qu'il ne les écrase lui-même. Allez au rond-point de l'Étoile, et, parce que l'Arc de Triomphe est
grand, les maisons de la place ne vous en paraîtront pas plus petites. Au contraire, les maisons ont bien l'air
d'avoir la hauteur qu'elles ont réellement, c'est-à-dire à peu près 15 m, et il faut un effort de l'esprit pour se
persuader que l'Arc de Triomphe en mesure 45, c'est-à-dire trois fois plus. En conséquence, il est tout à fait
illusoire que la tour puisse porter préjudice aux autres monuments de Paris ; ce sont là des mots.

Reste la question d'utilité. Ici, puisque nous quittons le domaine artistique, il me sera bien permis d'opposer à
l'opinion des artistes celle du public.
Jamais projet n'a été plus populaire
Je ne crois point faire preuve de vanité en disant que jamais projet n'a été plus populaire ; j'ai tous les jours la
preuve qu'il n'y a pas dans Paris de gens, si humbles qu'ils soient, qui ne le connaissent et ne s'y intéressent. A
l'étranger même, quand il m'arrive de voyager, je suis étonné du retentissement qu'il a eu.
Quant aux savants, les vrais juges de la question d'utilité, je puis dire qu'ils sont unanimes.
Non seulement la tour promet d'intéressantes observations pour l'astronomie, la météorologie et la physique,
non seulement elle permettra en temps de guerre de tenir Paris constamment relié au reste de la France, mais
elle sera en même temps la preuve éclatante des progrès réalisés en ce siècle par l'art des ingénieurs.
C'est seulement à notre époque, en ces dernières années, que l'on pouvait dresser des calculs assez sûrs et
travailler le fer avec assez de précision pour songer à une aussi gigantesque entreprise.
N'est-ce rien pour la gloire de Paris que ce résumé de la science contemporaine soit érigé dans ses murs?

(…)
3

Document 3 : François Coppée, Les Paroles sincères


Le flâneur, quand il considère
Les cent étages à gravir
Sur la tour Eiffel
Du démesuré belvédère,
Demande : « A quoi peut-il servir ?
J’ai visité la Tour énorme,
Le mât de fer aux durs agrès. « Tamerlan est-il à nos portes ?
Inachevé, confus, difforme, Est-ce de là-haut qu’on surprend
Le monstre est hideux, vu de près. Les manœuvres de ses cohortes ? »
— Pas du tout. C’est un restaurant.
Géante, sans beauté ni style,
C’est bien l’idole de métal, A ces hauteurs vertigineuses,
Symbole de force inutile Le savant voit-il mieux les chocs
Et triomphe du fait brutal. Des mondes et des nébuleuses ?
— Non pas. On y prendra des bocks.
J’ai touché l’absurde prodige,
Constaté le miracle vain. La fin du siècle est peu sévère,
J’ai gravi, domptant le vertige, Le pourboire fleurit partout.
La vis des escaliers sans fin.
La Tour Eiffel n’est qu’une affaire ;
Saisissant la rampe à poignée, — Et c’est le suprême dégoût.
Étourdi, soûlé de grand air, Édifice de décadence
J’ai grimpé, tel qu’une Sur qui, tout à l’heure, on lira :
araignée, Dans l’immense toile
« Ici l’on boit. Ici l’on danse, »
de fer ;
— Qui sait ? sur l’air du ça ira
Et, comme enfin l’oiseau se juche,
J’ai fait sonner sous mes talons Œuvre monstrueuse et manquée,
Les hauts planchers où l’on trébuche Laid colosse couleur de nuit,
En heurtant du pied les boulons. Tour de fer, rêve de Yankee,
Ton obsession me poursuit.
Là, j’ai pu voir, couvrant des lieues,
Paris, ses tours, son dôme d’or, Pensif sur ta charpente altière,
Le cirque des collines bleues, J’ai cru, dans mes pressentiments,
Et du lointain… encor, encor ! Entendre, à l’Est, vers la frontière,
Rouler les canons allemands.
Mais, au fond du gouffre, la Ville
Ne m’émut ni ne me charma.
Car, le jour où la France en armes
C’est le plan-relief immobile,
Jouera le fatal coup de dés,
C’est le morne panorama,
Nous regretterons avec larmes
(…) Le fer et l’or dilapidés,

Enfants des orgueilleuses Gaules, Et maudirons l’effort d’Hercule,


Pourquoi recommencer Babel ? Fait à si grand’peine, à tel prix,
Le mont Blanc hausse les épaules Pour planter ce mât ridicule
En songeant à la Tour Eiffel. Sur le navire de Paris.
« Adieu-vat, » vaisseau symbolique,
Qu’ils aillent consulter, nos maîtres,
L’artiste le plus ignorant. Par la sombre houle battu !
Un monument de trois cents mètres, Le ciel est noir, la mer tragique.
C’est énorme. ― Ce n’est pas grand. Vers quels écueils nous mènes-tu ?

(…)
22 juillet 1888.
Document 4 : Roland Barthes, La Tour Eiffel, Delpire Éditeur, 1964 4
[…] Mythiquement (qui est le seul plan où l’on se place ici) Paris est une ville très ancienne,
et en elle le passé monumental, des thermes de Cluny au Sacré-Cœur, devient une valeur
sacrée : c’est du passé lui-même que Paris entier est le symbole spontané. Face à cette
forêt de symboles passéistes, clochers, dômes, arcs, la tour surgit comme un acte de
rupture, destiné à désacraliser le poids du temps antérieur, à opposer à la fascination, à
l’engluement de l’histoire (si riche soit-elle) la liberté d’un temps neuf ; tout, dans la Tour,
la désignait à ce symbole de subversion : la Hardiesse de la conception, la nouveauté du
matériau, l’inesthétisme de la forme, la gratuité de la fonction. Symbole de Paris, on peut
dire que la Tour a conquis cette place contre Paris lui-même, ses vieilles pierres, la densité
de son histoire ; elle a subjugué les symboles anciens, tout comme matériellement elle a
dominé leurs coupoles et leurs aiguilles. En un mot, elle n’a pu être pleinement le symbole
de Paris que lorsqu’elle a pu lever en lui l’hypothèque du passé et devenir aussi le symbole
de la modernité. L’agression même qu’elle a imposée au paysage parisien (soulignée par la
pétition des artistes) est devenue chaleureuse ; la Tour s’est faite, avec Paris même,
symbole d’audace créatrice, elle a été le geste moderne par lequel le présent dit non au
passé. […]

Document 5 : La Tour Eiffel inspire les artistes. https://www.toureiffel.paris/fr/le-monument/art-et-tour-eiffel

QUESTIONS :

a. Recherchez des images de Paris à l’époque de sa construction.

b. Document 1 : Qui sont les auteurs de ce texte ? A qui s’adressent-ils ? Dans quel but ?
Surlignez les expressions qui désignent et caractérisent la Tour. Relevez leurs
arguments.

c. Document 2 : surlignez les arguments d’Eiffel utilisés pour répondre aux artistes.

d. Document 3 : surlignez toutes les expressions désignant la Tour. Que critique l’auteur de ce poème ?

e. Document 4 : Reformulez l’explication de l’auteur : pour quelles raisons la Tour est-elle devenue finalement
le symbole de Paris ?

f. Document 5 : Recherchez les trois tableaux de Delaunay sur la Tour Eiffel, celui d’Utrillo, de Chagall, de
Signac, Dufy, Léger (Les constructeurs). Qu’est-ce qui, dans ce monument, attire et fascine les peintres
modernes ? De quelle façon artistique la représentent-ils ?
5

Ressources complémentaires :

 Le site de la Tour : son histoire : https://www.toureiffel.paris/fr/le-monument/histoire

 La Tour Eiffel, muse des peintres. Vidéo de deux minutes sans commentaire.
https://www.dailymotion.com/video/xcacf4

 Vidéo sur la fascination de Delaunay pour la Tour Eiffel.


https://techniquedepeinture.com/video-la-fascination-de-robert-delaunay/
Objet d’étude : La littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècle
Scandales et débats artistiques

OBJECTIFS : Découvrir les scandales qui ont marqué l’histoire des Arts ;
Lire, écouter, décrire et donner son opinion par écrit.

Chaque exposé doit répondre à la question posée. Pour cela, chaque groupe recevra un dossier avec
des textes et des liens vers des vidéos ou des fichiers audio ou des images…

Exposés Noms, prénoms

Exposé 1 : Pour quelles raisons le


roman Madame Bovary de Flaubert
a-t-il été condamné ?

Exposé 2 : Pour quelles raisons le


recueil Les fleurs du Mal de
Baudelaire a-t-il été condamné ?

Exposé 3 : Pour quelles raisons


certains tableaux de Courbet ont-ils
fait scandale ?

Exposé 4 : Pour quelles raisons


certains tableaux de Manet ont-ils
fait scandale ?

Exposé 5 : Pour quelles raisons


certaines pièces de Molière ont-elles
fait scandale ?

Exposé 6 : Pour quelles raisons la


construction de la Tour Eiffel a-t-elle
fait scandale ?

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