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Le Panthéon populaire, chefs-d'oeuvre illustrés de la littérature. (s. d.).

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MOLIÈRE.

L'ECOLE DES FEMMES,

SUIVIEDE

LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES,

ILLUSTREES

mm JANET-LANGE.

PRIX : 25 CENTIMES,

PARIS,

PUBLIÉ PAR GUSTAVE BARBA, LIBRAIRE-EDITEUR,


RUE ;DE SEINE, 31.

17. -T"
I <><J 1
LTCoEÉ DES FEMMES,
COMÉDIE EN CINQ ACTES.
NOTICE trice, à laquelle on ne per-
mit même pas de quitter son
SUR costumede ville, et quifut ac-
cueillie avec enthousiasme.
L'ÉCOLE DES FEMMES Jamais, depuis le Cid,
ETSURLA une pièce de théâtre n'avait
DEL'ÉGGLE
CRITIQUE DES
FEMMES. produit une plus vive sen-
sation. Elle eut de fervents
admirateurs et des détrac-
teurs acharnés. La musehis-
L'Ecole des Femmes fut torique de Loret nous ap-
jouée le 20 décembre 1662. prend que
Molière s'était marié le Pourdivertirseigneurset dames,
20 février, et les accès de Onjoual'EcoledesFemmes,
sa propre jalousie l'ont sans QuifitrireLeursMajestés
doute inspiré dans la pein- Jusqu'às'en tenirlescôtés.
ture des tourments d'Arnol-
phe, dont il créa lui-même Cette haute approbation
le rôle avec un éclatant n'empêcha pas une foule de
succès. Le rôle d'Horace marquis, de gens de lettres
était rempli par Lagrange, et de beaux esprits d'atta-
celui d'Alain par Brécourt, quer l'Ecole des Femmes
celui d'Agnès par mademoi- comme contraire aux règles
selle de Brie, et celui de dans son ensemble, comme
Georgettepar mademoiselle obscène dans ses détails. Le
Beauval. Mademoiselle de commandeur de Souvré la
Brie, qui ne se retira que dénigra à la cour; le comte
le 19 juin 1684, jouait en- du Broussin se leva au mi-
core Agnès à l'âge de lieu d'une représentation ,
soixante-cinq ans. Peu de et se retira en disant qu'il
temps avant sa retraite, ses ne comprenaitpas qu'on pût
camarades l'engagèrent à écouter de pareilles sornet-
céder ce rôle à mademoi- tes. Un certain Plapisson,
selle Ducroisy; mais quoi- professeur de philosophie,
que celle-ci eût plus de assis un jour sur un desbancs
jeunesse et de beauté , le quibordaientlascène,d'unregar-
dait les spectateurs air
public, en la voyant pa-
raître, se mit à crier : De dédaigneux, et répétait par-
Brie, de Brie!... On en- fois en haussantles épaules:
voya chercher la vieille ac- Nevousa-t-i1pointpris,Agnès,quelqueautrechose?(Act.n , se. vi.)
ARNOLPHE. «Ris donc, public, ris donc !»
23.
NOTICE SUR L'ÉCOLE DES FEMMES.
Molière fut vengé de ses détracteurs par les stances suivantes de ment, qui est aussi postiche dans l'Ecole des Femmesqu'il est bien
Boileau-Despréaux,qui, jeune encore, annonçaitdéjà qu'il serait l'in- amené dans l'Ecole des Maris. On se révolta généralement contre
flexiblechampiondu bon goût : quelques expressionsqui paraissent indignes de Molière, on désap-
prouva le corbillon, la tarte à la crème, les enfants faits par l'oreille;
Envainraillejalouxesprits, mais aussi les connaisseursadmirèrent avec quelle adresse Molière
Molière,osentavecmépris avait su attacher et plaire pendant cinq actes par la seule confidence
Censurertonplusbelouvrage. d'Horace au vieillard et par de simples récits. Il semblait qu'un sujet
Sacharmante naïveté ainsi traité ne dût fournir qu'un acte ; mais c'est le caractère du vrai
S'enva pourjamais,d'âgeen âge, génie de répandre sa fécondité sur un sujet stérile, et de varier ce
Divertirla postérité. qui semble uniforme. «
Quetu ris agréablement; L'examen de l'École des Femmespar la Harpe est plus judicieux
Quetu badinessavamment ! et plus impartial. .
Celuiqui sutvaircreNumance, a L'auteura indiqué lui-mêmele défautle plus sensiblede sa pièce,
QuimitCarthage soussa loi, par ce vers que dit Horace à ce vieil Arnolphe, lorqu'il le rencontre
Jadis, sousle nomde Térenco, dans la rue pour la troisièmefois :
Sut-ilmieuxbadinerquetoi?
La placem'estheureuseS vousy rencontrer.
Ta museavecutilité
Ditplaisamment la vérité; » Faire rencontrer ainsi Horace et Arnolphe à point nommé trois
Chacunprofiteà tonécole: fois de suite, c'est trop montrer le besoin qu'on en a pour les confi-
Touten est beau, tout enest bon, dences; comme aussi le besoin d'un dénoûment se fait trop sentir
Et ta plusburlesqueparole par l'arrivée des deux vieillards, l'un père d'Horace et l'autre père
Estsouventun doctesermon. d'Agnès, qui ne viennent au cinquième acte que pour conclure un
Laissegrondertes envieux: mariage. On a beau abréger au théâtre le long roman qu'ils racontent
Ils ontbeaucrier,en touslieux, en dialogue pour expliquer leurs aventures ; j'ai toujours vu qu'on
Qu'envaintu charmesle vulaaire, n'écoutait même pas le peu qu'on eh dit, parce que l'on est d'accord
Quetesvers n'ontrien de plaisant; avec l'auteur pour ôter Agnès des mains d'Arnolphe, n'importe com-
Si tu savaisun peu moinsplaire, ment, et la donner au jeune homme qu'elle aime.
Tuneleur déplairaispas tant. » Le choix d'une place publiquepour le lieu de la scène occâsiorine
aussi quelques autres invraisemblances; par exemple: celle du ser-
Les écrivains médiocres qui se déchaînèrent contre l'Ecole des mon sur les devoirsdu mariage,qu'Arriolphe devait faire dans sa mai-
Femmes accusèrent surtout l'auteur d'avoir pillé de tous côtés les son bien plus naturellement que dans la rue. Mais ee sermon est d'un
éléments de son oeuvre. Il est vrai que Molière a puisé quelques dé- sérieux si plaisant, d'une harmonie si originale, qu'il importe peu où
tails dans la Précaution inutile de Scarron, le Jaloux d'Estramadure il se fasse, pourvu qu'on l'entende. »
de Cervantes, et les Piacevoli notti de Straparola de Caravage, où Les défauts dont je viens de parler disparaissentau milieu du bon
Perrault a trouvé le sujet du Chat, botté. Pour l'écrivain dramatique, comique et de la vraie gaieté dont cette pièce est remplie. Situations,
comme pour le conteur, le mérite est tout entier dans l'exécution. caractères, incidents, dialogue, tout concourt à ce grand objet de la
La Précautioninutile, nouvellede Scarrrn, n'est qu'une détestable comédie: instruire en divertissant.
bouffonnerie.Don Pèdre, gentilhomme de Grenade, après une foule A propos du rôle d'Agnès, la Harpe ajoute : « Il est soutenu d'un
d'aventures qui lui donnent mauvaiseopinion des femmes, se décide bout à l'autre avec la même perfection, il n'y a pas un mot qui ne
à épouser une jeune niaise appelée Laure, élevée au couvent, belle soit de la plus grande ingénuité et en même temps de l'effet le plus
commetousles anges ensemble, et sotte comme toutes les religieuses saillant, tout est à la fois et de caractère et de situation, et cette réu-
qui sont venues au monde sans esprit. Le jour de ses noces, il lui nion est le comble de l'art. »
persuade que le devoir des femmes mariées est de veiller sur leurs Molièrelui-même fut son premier juge. Il résume les observations
époux, et en conséquence il lui fait revêtir une armure. Quelque qu'on faisait pour ou contre l'Ecole des Femmes dans une petite
temps après, un cavalier de Cordouecourtisela jeune niaise pendant comédieen un acte, qu'on doit moins regarder comme une oeuvre
l'absence de Don Pèdre, et lui dépêche une vieille intrigante, qui en dramatique que comme une discussionentre plusieurs interlocuteurs.
obtient le passe-partout de toutesles portes de la maison.Le cavalier La Critique de l'Ecole des Femmes, la première pièce de ce genre
s'y introduit et détermine Laure à quitter son armure. Au retour de qui ait paru, fut jouée le 1erjuin 1C63,sur le théâtre du Palais-Royal,
Don Pèdre, Laure s'empressede lui raconter naïvement tout ce qui et eut trente et une représentations. Les rôles étaie*ntainsi distribués:
s'est passé; le mari trompé déplore son erreur, et reconnaît qu'une Uranie, mademoisellede Brie; Elise, Armande Béjart (femme Mo-
femme spirituelle peut être honnête par elle-même,-mais qu'une sotte lière) ; Climène, mademoiselleDuparc; le marquis,Lagrange;Dorante,
ne peut l'être sans le secoursd'autrui. Brécourt; Lysidas,Ducroisy.
On remarqueraque l'héroïne de ce conte invraisemblableest tota- Le succès qu'obtint la Critique de l'Ecole des Femmesest constaté
lement dénuée d'intelligence , tandis qu'Agnès est une spirituelle par Loret, dans sa Muse historique du 2 juin :
ignorante dont l'amour développeles sentimentset les facultés.
Les perpétuelles révélations d'Horace à Arnolphe ont eu pour mo- Lescomédiens de Monsieur,
dèle celles de Nérin au docteur Raymond, dans la QuatrièmeNuit de Pour qui, dansmonintérieur,
Straparole. Amoureuxd'une belle inconnue, Raymond prend acci- J'ai de l'amouret de l'estime,
dentellement le mari pour confident, et celui-ci ne peut réussir à Et surtoutpourunanonyme,
Ont aussi missurle bureau
surprendre ceux dont il connaît toutes les démarches. Un jour, dans chosedefortnouveau
son désespoir, il met le feu auxquatre coins d'une chambreoù il croit Quelque ;
Nérin caché. Maissa femme fait emporter le jeune homme dans une Savoir: unepiècecomique,
armoire qui contient, dit-elle, son contrat de mariage et autres papiers Quis'intitulela Critique.
Sanscloutequetrès-biende gens
importants. Nérin finit par enlever sa maîtresse, et le docteur Ray- Dela voirferontdiligents,
mond en meurt de chagrin. Ce sujet est ingénieux, mais lourdement Etant, dit-on,fortsingulière
traité. Les curieux qui voudraient en juger pourront consulter ou le Envenantdu rareMolière:
texte italien ou la traduction française publiée par Jean Louveauet C'est-à-direde bonnemain.
Pierre de Larrivey, sous ce titre : les FacétieusesNuits de Jean Fran- Je la verrai,je crois, demain.
çois Straparole. Paris, Langelier 15S8, in-ifi.
Voltaire, avec sa perfidie habituelle, s'efforcede déprécier l'Ecole La Critique del'Ecole des Femmesenfanta plusieurspièces du même
des Femmesen feignant de reproduire simplement les jugementspor- genre. Edme Boursault donna au théâtre de l'hôtel de Bourgognele
tés sur cette pièce dans la nouveauté. Portrait du Peintre ou la Contre-Critique de l'Ecoledes Femmes, co-
« Le théâtre de Molière, dit-il, avait donné naissance à la bonne médie en un acte et en vers.Visé fit représenter en IGG3une comédie
comédie. Il fut abandonnéla moitié de l'année 1601et toute l'année en un acte et en prose, intitulée Zèlinde, ou la Véritable critique de
1662 pour certaines farcesmoitié italiennes, moitié françaisesqui fu- l'Ecole des Femmes, et la Critique de la Critique. Pierre de la Croix
rent alors accréditées par le retour d'un fameux pantomime italien publia en 1664un opuscule intitulé la Guerre comique,ou la Défense
connu sous le nom de Scaramouche. Les mêmes spectateurs qui ap- de l'Ecoledes Femmes,espècede comédieen un acte, en prose, divisé,
plaudissaientsans réserve à ces farces monstrueusesse rendirent diffi- au lieu de scènes, en cinq disputes. La même année parut le Panégy-
ciles pour l'Ecoledes Femmes,pièce d'un genre tout nouveau,laquelle,
rique de l'Ecoledes Femmes, ou Conversationcomiquesur lesoeuvres
quoique toute en récits, est ménagée avec tant d'art que tout paraît de Molière.Paris, Charles de Sercy. In-12.
être en action. Elle fut très-suivieet très-critiquée. Elle passe pour
être inférieure en tact à l'Ecoledes Maris, et surtout dans le dénoû- EMILEDELABÉDOLLIÈRE.
EPITRE DÉDÏCATOIRE.

A MADAME.

MADAME, ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous : je veuxdire cette dou-
Je suisle plus embarrassé hommedu monde lorsqu'il me faut dé- ceur pleine de charmesdont vous daignez tempérer la fierté des grands
dier un livre ; et je me trouve si peu fait au style dédicatoire, que je titres que vous portez, cette bonté tout obligeante,cette affabilité gé-
ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur qui serait à ma néreuse que vous faites paraître pour tout le monde. Et ce sont par-
place trouverait d'abord cent belles chosesà dire de VOTRE ALTESSEticulièrement cesdernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien
ROYALE sur ce titre de l'Ecoledes Femmes et l'offre qu'il vous en fe- que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois,
rait. Mais, pour moi, MADAME,je vous avoue mon faible : je ne MADAME,je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si
sais point cet art de trouver des rapports entre des chosessi peu pro- éclatantes; et ce sont choses,à mon avis, et d'une trop vaste étendue,
les vouloir renfermer dans une épître
portionnées; et quelquesbelles lumières que mes confrères les auteurs et d'un mérite trop relevé, pour
me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, MADAME,je
que VOTRE ALTESSE ROÏALE pourrait avoir à démêler avec la comédie ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma
tout le respect qu'il m'est possible,
que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comme il faut comédie, et de vous assurer, avec
faire pour vous louer : la matière, MADAME, ne saute que trop aux que je suis,
yeux; et de quelque côté qu'on vous regarde, on rencontre gloire sur MADAME,
gloireet qualités sur qualités. Vous en avez, MADAME, du côté du DEVOTRE ALTESSE ROYALE
rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous
du le très-humble, très-obéissant
en avez côté des grâces et de l'esprit et du corps, qui vous font
et très-obligé serviteur.
admirerde toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du
côté de l'âme, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous MOLIÈRE.

PRÉFACE.

Bien des gens ont frondé d'abord cette comédie : mais les rieurs Et je fus étonné que, deux jours après, il me montra toute l'affaire
ont été pour elle ; et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire qu'elle exécutéed'une manière à la vérité beaucoupplus galante et plus spi-
n'ait eu un succès dont je me contente. Je sais qu'on attend de moi rituelle que je ne puis faire, maisoù je trouvai des choses trop avanta-
dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs et geusespour moi; et j'eus peur que, si je produisaiscet ouvragesur notre
rende raison de mon ouvrage; et sans doute que je suis assezrede- théâtre, on ne m'accusâtd'avoir mendié les louangesqu'on m'y don-
vableà toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation pour nait. Cependant cela m'empêcha, par quelque considération, d'ache-
me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres : ver ce que j'avais commencé. Mais tant de gens me pressent tousles
mais il se trouve qu'une grande partie des choses que j'aurais à dire jours de le faire, que je ne sais ce qui en sera ; et cette incertitude est
sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faite en dialogue,et cause que je ne mets point dans cette préface ce qu'on verra dans la
dont je ne saisencore ce que je ferai. L'idée dé ce dialogue, ou, si Critique, en cas queje me résolve à la faire paraître.S'il faut que cela
l'on veut, de cette petite comédie, me vint après les deux ou trois soit, je le dis encore, ce sera seulementpour venger le public du cha-
premières représentations de ma pièce. Je la dis, cette idée, dans une grin délicat de certaines gens : car pour moi je m'en tiens assezvengé
maisonoù je me trouvai un soir : et d'abord une personne de qualité, par la réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles queje
dont l'esprit est assezconnu dans le monde, et qui me fait l'honneur pourrai faire soienttraitées par euxcommecelle-ci, pourvu que le reste
de m'aimer, trouva le projet assezà son gré non-seulement pour me soit de même.
solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui-même.
L'ÉCOLE DES FEMMES.

PERSONNAGES.
ABNOLPHE ou LASOUCHE. ORONTE,père d'Horaceet ami d'Arnolphe.
AGNÈS,filled'Enrique. ALAIN,paysan,valetd'Arnolphe.
HORACE, amantd'Agnès,filsd'Oronte. GEORGETTË,paysanne,servanted'Arnolphe.
CHRYSALDE, ami d'Arnolphe. UNNOTAIRE.
ENR1QUE,beau-frèrede Chrysalde
et pèred'Agnès.
La scèneest à Paris, dans une place d'un faubourg.

ACTE PREMIER. De ce qu'on pourra faire, ou bien ne faire pas.


Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mène,
SCÈNE I. Il serait arrivé quelque disgrâce humaine,
ARNOLPHE. Après mon procédé, je suis presque certain
CHRYSALDE, Qu'on se contentera de s'en rire sous main :
CHRYSALDE.Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main ? Et peut-être qu'encor j'aurai cet avantage
ARNOLPHE.Oui. Je veux terminer la chose dans demain. Que quelques bonnes gens diront que c'est dommage.
Nous sommesici seuls; et l'on peut, ce me semble,
CHIIYSALDE. Biaisde vous, cher compère, il en est autrement;
Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble. Je vous le dis encor, vous risquez diablement.
Voulez-vousqu'en amïje vous ouvre mon coeur? Comme sur les maris accusésde souffrance
Votre dessein pour vous me fait trembler de peur; De tout temps votre langue a daubé d'importance,
Et, de quelquefaçon que vous tourniez l'affaire, Qu'on vous a vu contre eux un diable déchaîné,
Prendre femme est à vous un coup bien téméraire. Vous devez marcher droit pour n'être point berné ;
ARNOLPHE.Il est vrai, notre ami, peut-être que, chez vous, Et, s'il faut que sur vous on ait la moindre prise,
Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous; Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise,
Et votre front, je crois, veut que du mariage Et...
Les cornes soient partout l'infaillible apanage. ARNOLPHE. Mon Dieu ! notre ami, ne vous tourmentez point.
CHRYSALDE.Ce sont coups du hasard, dont on n'est point garant; Bien rusé qui pourra m'attraper sur ce point.
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend. Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Mais quand je crains pour vous, c'est cette raillerie Dont pour nous en planter savent user les femmes;
Dont cent pauvres maris ont souffertla furie : Et, comme on est dupé par leurs dextérités,
Car enfin vous savezqu'il n'est grands ni petits Contre cet accident j'ai pris mes sûretés;
Que de votre critique on ait vus garantis; Et celle que j'épouse a toute l'innocence
Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes, Qui peut sauver mon front de maligne influence.
De faire cent éclats des intrigues secrètes... Hé! que prétendez-vous? qu'une sotte en un mot?...
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi ARNOLPHE.
Epouser une sotte est pour n'être point sot.
Où l'on ait des maris si patients qu'ici ? Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage;
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces, Maisune femme habile est un mauvaisprésage;
Qui sont accommodéschez eux de toutes pièces ? Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens
L'un amassedu bien, dont sa femme fait part Pour avoir pris les leurs avec trop de talents.
A ceux qui prennent soin de le faire cornard : Moi, j'irais me charger d'une spirituelle
L'autre un peu plus heureux, mais non pas moins infâme, Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle,
Voit faire tous les jours des présents à sa femme, Qui de prose et de vers ferait de doux écrits,
Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu, Et que visiteraient marquis et beaux esprits,
Parce qu'elle lui dit que c'est pour sa vertu. Tandis que, sousle nom du mari de madame,
L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guères : Je serais commeun saint que pas un ne réclame?
L'autre en toute douceur laisse aller les affaires, Non, non, je ne veux point d'un esprit qui soit haut ;
Et, voyant arriver chez lui le damoiseau, Et femme qui composeen sait plus qu'il ne faut.
Prend fort honnêtement ses gants et son manteau. Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime,
L'une de son galant, en adroite femelle, Même ne sache pas ce que c'est qu'une rime;
Fait fausse confidenceà son épouxfidèle, Et s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon,
Qui dort en sûreté sur un pareil appas, Et qu'on vienne à lui dire à son tour : Qu'y met-on ?
Et le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas : Je veux qu'elle réponde une tarte à la crème;
L'autre, pour se purger de sa magnificence, En un mot, qu'elle soit d'une ignorance extrême :
Dit qu'elle gagne au jeu l'argent qu'elle dépense; Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler,
Et le mari benêt, sans songer à quel jeu, De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre et filer.
Sur les gains qu'elle fait rend des grâces à Dieu. CHRYSALDE.
Une femme stupide est donc votre marotte ?
Enfin ce sont partout des sujets de satire; ARNOLPHE.
Tant, que j'aimerais mieuxune laide bien sotte,
Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire? Qu'une femme fort belle avec beaucoupd'esprit.
Puis-je pas de nos sots?... CHRYSALDE.
L'esprit et la beauté...
CHRYSALDE. Oui : mais qui rit d'autrui ARNOLPHE. L'honnêteté suffit.
Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui. CHRYSALDE.
Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une bête
J'entends parler le monde; et des gens se délassent Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête?
A venir débiter les choses qui se passent : Outre qu'il est assez ennuyeux, que je croi,
Mais, quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis, D'avoir toute sa vie une bête avec soi,
Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits. Pensez-vousle bien prendre, et que sur votre idée
J'y suis assezmodeste : et bien qu'aux occurrences^ La sûreté d'un front puisse être bien fondée?
Je puisse condamner certaines tolérances, Une femme d'esprit peut trahir son devoir,
Que mon dessein ne soit de souffrir nullement Mais il faut pour le moins qu'elle ose le vouloir;
Ce que quelques maris souffrent paisiblement, Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire
Pourtant je n'ai jamais affecté de le dire; Sans en avoir l'envie et sans penser le faire.
Car enfin il faut craindre un revers de satire, A ce bel argument, à ce discoursprofond,
ARNOLPHE.
Et l'on ne doit jamaisjurer sur de tels cas Ce que Pantagruel à Panurge répond :
ACTE I, SCÈNE IV.

Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte, Un chacun est chausséde son opinion !
Prêchez, patrocinez jusqu'à la Pentecôte; (// frappe à sa porte.)
Vous serez ébahi, quand vous serez au bout, Holà!
Que vous ne m'aurez rien persuadé du tout. SCÈNE IL
Je ne vous dis plus mot.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE. Chacuna sa méthode. ARNOLPHE, ALAINETGEORGETTE dans la maison.
En femme, comme en tout, je veux suivrema mode : ALAIN. Qui heurte?
Je me voisriche assez pour pouvoir, que je croi, (Apart.)
Choisir une moitié qui tienne tout de moi, ARNOLPHE. Ouvrez. On aura, que je pense,
Et de qui la soumiseet pleine dépendance Grande joie à me voir après dix jours d'absence.
N'ait à me reprocher aucun bien ni naissance. ALAIN. Qui va là?
Un air doux et posé, parmi d'autres enfants, ARNOLPHE. Moi.
M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans : ALAIN. Georgette !
Sa mère se trouvant de pauvreté pressée, GEORGETTE. Hé bien?
De la lui demander il me vint en pensée; ALAIN. Ouvre là-bas.
Et la bonne paysanne, apprenant mon désir, GEORGETTE.VaS-y toi.
A s'ôter cette charge eut beaucoupde plaisir. ALAIN. Vas-y toi.
Dans un petit couvent, loin de toute pratique, GEORGETTE. Ma foi, je n'irai pas.
Je la fis élever selon ma politique, ALAIN. Je n'irai pas aussi.
C'est-à-dire ordonnant quels soins on emploierait ARNOLPHE. Belle cérémonie
Pour la rendre idiote autant qu'il se pourrait. ' Pour me laisserdehors! Holà ho! vous
je prie.
Dieu merci, le succèsa suivi mon attente ; GEORGETTE.Qui frappe?
Et grande, je l'ai vue à tel point innocente, ARNOLPHE. Votre maître.
Quej'ai béni le ciel d'avoir trouvé mon fait GEORGETTE. Alain !
Pour me faire une femme au gré de mon souhait. ALAIN. Quoi?
Je l'ai donc retirée ; et, comme ma demeure GEORGETTE. C'est monsieu.
A cent sortes de gens est ouverte à toute heure, Ouvre vite.
Je l'ai mise à l'écart, comme il faut tout prévoir, ALAIN. Ouvre, toi.
Dans cette autre maison où nul ne me vient voir; GEORGETTE. Je soufflenotre feu.
Et, pour ne point gâter sa bonté naturelle, ALAIN. J'empêche, peur du chat, que mon moineaune sorte.
Je n'y tiens que des gens tout aussi simplesqu'elle. ARNOLPHE.Quiconquede vousdeux n'ouvrira pas la porte
Vous me direz : Pourquoi cette narration ? N'aura point à manger de plus de quatrejours.
C'est pour vous rendre instruit de ma précaution. Ah!
Le résultat de tout est qu'en amifidèle GEORGETTE. Par quelle raison y venir, quandj'y cours?,
Ce soir je vous invite à souper avec elle; ALAIN. Pourquoiplutôt que moi? Le plaisant stratagème?
Je veux que vous puissiezun peu l'examiner, GEORGETTE.Ote-toi donc de là.
Et voir si de mon choixon doit me condamner. ALAIN. Non, ôte-toi toi-même.
J'y consens.
CHRYSALDE. GEORGETTE.Je veux ouvrir la porte.
ARNOLPHE. VOUSpourrez, dans cette conférence, ALAIN. Et je veux l'ouvrir, moi.
Juger de sa personne et de son innocence. GEORGETTE.TU ne l'ouvriras pas.
CHRYSALDE.
Pour cet article-là, ce que vous m'avez dit ALAIN. . Ni toi non plus.
Ne peut... GEORGETTE. Ni toi.
ARNOLPHE. La vérité passe encor mon récit. ARNOLPHE.Il faut que j'aie ici l'âme bien patiente !
Dans ses simplicités à tous coups je l'admire, ALAIN
en entrant. Au moins, c'est moi, monsieur.
Et parfois elle en dit dont je pâme de rire. GEORGETTEen entrant. Je suis votre servante;
L'autre jour, pourrait-on se le persuader? C'est moi.
Elle était fort en peine, et me vint demander, ALAIN. Sansle respect de monsieur que voilà,
Avec une innocenceà nulle autre pareille, Je te...
Si les enfants qu'on fait se faisaient par l'oreille. recevantun coupd'Alain. Peste !
ARNOLPHE
CHRYSALDE.
Je me réjouis fort, seigneurArnolphe... ALAIN. Pardon.
ARNOLPHE. Bon! ARNOLPHE. Voyez ce lourdaud-là.
Me voulez-voustoujoursappeler de ce nom? ALAIN. C'est elle aussi, monsieur...
CHRYSALDE.
Ah! malgré que j'en aie, il me vient à la bouche, ARNOLPHE. Que tous deuxon se taise.
Et jamais je ne songe à monsieur de la Souche. Songez à me répondre, et laissonsla fadaise.
Qui diable vous a fait aussivous aviser Hé bien ! Alain, comment se porte-t-on ici ?
A quarante-deuxans de vous débaptiser, ALAIN. Monsieur, nous nous...
Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie? (Arnolphe6te le chapeau de dessusla téléd'Alain. )
ARNOLPHE.
Outre que la maison par ce nom se connaît, Monsieur, nous nous por...
La Soucheplus qu'Arnolphe à mes oreilles plaît. (ArnolpheVoteencore.)
Dieu merci,
CHRYSALDE.
Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères Nous nous...
Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères! ôtant le chapeau d'Alain pour la troisième fois et le jetant
ARNOLPHE
De la plupart des gens c'est la démangeaison;
par terre. Qui vous apprend, impertinente bête,
Et, sans vous embrasserdans la comparaison, A parler devant moi, le chapeau sur la tête?
Je sais un paysan qu'on appelait Gros-Pierre, ALAIN. Vous faites bien, j'ai tort.
Qui, n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre, à Alain.
ARNOLPHE Faites descendre Agnès.
Y fit tout alentour faire un fossébourbeux,
Et de monsieur de l'Ile en prit le nom pompeux. SCÈNE III.
ARNOLPHE.
VOUS pourriez vous passer d'exemplede la sorte. ARNOLPHE, GEORGETTE.
Mais enfin de la Soucheest le nom que je porte :
ARNOLPHE.
Lorsqueje m'en allai, fut-elle triste après?
J'y vois de la raison, j'y trouve des appas; GEORGETTE.Triste? Non.
Et m'appeler de l'autre est ne m'obliger pas.
CHRYSALDE. ARNOLPHE. Non!
Cependant la plupart ont peine à s'y soumettre, GEORGETTE. Si fait.
Et je vois même encor des adressesde lettre...
ARNOLPHB.
Je le souffreaisément de qui n'est pas instruit; ARNOLPHE. Pourquoi donc?...
Mais vous... GEORGETTE. Oui,je meure,
CHRYSALDE. Soit : là-dessus nous n'aurons point de bruit; Elle vous croyait voir de retour à toute heure;
Et je prendrai le soin d'accoutumer ma bouche Et nous n'oyionsjamais passer devant chez nous
A ne vous plus nommer que monsieurde la Souche. Cheval, âne, ou mulet, qu'elle ne prît pour vous.
ARNOLPHE.
Adieu. Je frappe ici pour donner le bonjour, SCÈNE IV.
Et dire seulement que je suis de retour.
CHRYSALDE
à part en s'en allant. ARNOLPHE, AGNÈS,ALAIN,GEORGETTE.
Ma foi, je le tiens fou de toutes les manières. La besogne à la main! c'est un bon témoignage.
ARNOLPHE.
ARNOLPHE
seul. Il est un peu blesséde certaines matières. Hé bien, Agnès, je suis de retour du voyage :
Chose étrange de voir commeavec passion En êtes-vousbien aise?
L'ECOLE IDES FEMMES.
AGNÈS. Oui ^monsieur, Dieu merci. lisent entée pays de quoi se contenter,
ARNOLPHE.
Et moi de vous'revoir je suis bien aise aussi. Car les femmesy sont faites.à coqueter.:
Vousvous êtes toujours, comme on voit, bien portée? On trouve d'humeur douce et la brune et ia blonde,
AGNÈS.Hors les puces, qui m'ont la nuit inquiétée. Et les maris aussiles plus bénins du amende;
ARNOLPHE.
Ah! vous aurez dans peu quelqu'un pour les chasser. C'est un plaisir de prince, et des toursque je voi
AGNÈS.Voussmeferez plaisir. Je me donne souvent la comédie à moi.
ARNOLPHE. Je le puis bien penser. Peut-être en avez-vousdéjà féru quelqu'une.
Que faites-vousdonc là ? Vous est-il point encore arrivé de fortune?
AGNÈS. Je me fais des cornettes. Les gens faits comme vous font plus que les écus,
Vos chemisesde nuit et vos coiffessont faites. Et vous êtes de taille à faire des cocus.
Ah! voilà qui va bien! Allez, montezlà^-haut:
ARNOLPHE. HORACE. A ne vous rien cacher de la vérité pure,
Ne vous ennuyez point, je reviendrai.tantôt, J'ai d'amour en ces lieux eu certaine aventure,
Et je vous parlerai d'affaires importantes. Et l'amitié m'oblige à vous en faire part.
ARNOLPHEà part. Bon! Voici de nouveau quelque conte gaillard;
SCÈNE V. Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.
ARNOLPHE seul. HORACE. Mais, de grâce, qu'au moins ces chosessoientseorètes.
ARNOLPHE. Oh!
Héroïnes du temps, mesdameslès savantes, HORACE. Vous n'ignorez pas qu'en cesoccasions
Pousseusesde tendresse et de beaux sentiments, Un secret éventé rompt nos prétentions.
Je défie à la fois tous vos vers, vos romans, Je vous avouerai donc avec pleine franchise
Vos lettres, billets doux, toute votre science, Qu'ici d'une beauté anon âme s'est éprise.
De valoir cette honnête et pudique ignorance. Mes petits soinsd'abord ont eu tant de succès,
Ce n'est point par le bien qu'il faut être ébloui; Que je me suis chez elle ouvert un doux accès,
Et pourvu que l'honneur soit... Et, sans trop me vanter ni lui faire une injure ,
Mes affairesy sont en fort bonne posture.
SCÈNE VI. ARNOLPHE en riant. Et c'est?
HORACE,ARNOLPHE. lui montrant le logisd'Agnès. Un jeuneobjet qui loge en ce logis
HORACE
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis;
ARNOLPHE. !
Que vois-je Est-ce?... Oui. Simple, à la vérité, par l'erreur sans seconde
Je me trompe. Nenni. Si fait. Non, c'est lui-même, D'un homme qui la cache au commercedu monde,
Hor... Mais qui, dans l'ignorance où l'on veut l'asservir,
HORARE. Seigneur Ar... Fait briller des attraits capables de ravir;
ARNOLPHE. Horace. Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre
HORACE. Arnolphe. Dont il n'est point de coeur qui se puisse défendre.
ARNOLPHE. Ah! joie extrême'! Mais peut-être il n'est pas que "vousn?ayezbien vu
Et depuis quand ici? Ce jeune astre d'amour de tant d'attraits pourvu :
JIORACE. Depuis neuf jours. C'est Agnès qu'on l'appelle.
ARNOLPHE. Vraiment? ARNOLPHEà part. Ah ! je crève!
HORACE.Je fus d'abord chez vous, mais inutilement. HORACE. Pour l'homme,
ARNOLPHE.
J'étais à la campagne. C'est, je crois, de Zousse, ou Source, qu'on le nomme;
la
HORACE. Oui, depuis dix journées. Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom :
Oh! comme les enfants croissent en peu d'années!
ARNOLPHE. Riche, à ce qu'on m'a dit; mais des plus sensés, non :
J'admire de le voir au point où le voilà, Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.
Après que je l'ai vu pas plus grand que cela. Le connaissez-vouspoint?
HORACE.
Vous voyez. ARNOLPHEà part. Lafâcheuse pilule !
ARNOLPHE. Mais de grâce, Oronte votre père, HORACE. Hé ! vous ne dites mot?
Mon bon et cher ami que j'estime et révère, ARNOLPHE. Et oui, je le connoi.
Que fait-il à présent? Est-il toujours gaillard? HORACE. C'est un fou, n'est-ce pas?
A tout ce qui le touche il sait que je prends part : ARNOLPHE. Hé...
Nous ne nous sommesvus depuis quatre ans ensemble, HORACE. Qu'en dites-vous? Quoi?
Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre, me semble. Hé, c'est-à-dire, oui. Jaloux à faire rire?
Il est, seigneur Arnolphe, encor plus gai que nous :
HORACE. Sot? Je vois qu'il en est ce que Pon'im'apu dire.
Et j'avais de sa part une lettre pour vous; Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir.
Biais depuis par une autre il m'apprend sa venue, C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir;
Et la raison encor ne m'en est pas connue. Et ce serait péché qu'une beauté si rare
Savez-vousqui peut être un de vos citoyens Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.
Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens Pour moi, tous mes efforts, tous mes voeuxles plus doux
Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amérique? Vont à m'en rendre maître en dépit du jaloux;
ARNOLPHE.
Non. Biaisvousa-t-on dit commeon le nomme? Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise
HORACE. Enrique. N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise.
ARNOLPHE.
Non. Vous savezmieux que moi, quels que soient nos efforts,
HORACE. Mon père m'en parle , et qu'il est revenu, Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts,
Commes'il devait m'être entièrement connu, Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,
Et m'écrit qu'en chemin ensembleils se vont mettre En amour, comme en guerre, avance les conquêtes.
Pour un fait important que ne dit pas sa lettre. Vous me semblez Chagrin! Serait-ce qu'en effet
(Horace remet la lettre d'Oronte à Arnolphe.) Vous désapprouveriezle dessein que j'ai fait?
ARNOLPHE.
J'aurai certainement grande joie à le voir, ARNOLPHE.Non, c'est que je songeais...
Et pour le régaler je ferai mon pouvoir. HORACE. Cet entretien vous lasse.
(Aprèsavoir lu la lettre.) Adieu. J'irai chez vous tantôt vous rendre grâce.
Il faut pour les amis des lettres moins civiles , ARNOLPHEse croijant seul. Ah ! faut-il!...
Et tous ces complimentssont chosesinutiles. HORACE
revenant. Derechef, veuillezêtre discret;
Sans qu'il prît le souci de m'en écrire rien, Et n'allez pas, de grâce , éventer mon secret.
Vous pouvez librement disposer de mon bien. se croijantseul. Queje sensdansmon âme !...
ARNOLPHE
HORACE.
Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles, HORACE
revenant. Et surtoutà mon père,
Et j'ai présentement besoin de cent pistoles. Qui s'en'ferait peut-être un sujet de colère.
Ma foi, c'est m'obliger que d'en user ainsi,
ARNOLPHE. croyant qu'Horacerevient encore.
ARNOLPHE
Et je me réjouis de les avoir ici, Oh'!...
Gardez aussila bourse.
UORACÎ. Il faut... SCÈNE VII.
ARNOLPHE. Laissonsce style.
Hé bien ! comment encor trouvez-vouscette ville? ARNOLPHE seul.
Nombreuseen citoyens, superbe en bâtiments;
HORACE. Oh ! que j'ai souffert durant cet entretien !
Et j'en crois merveilleux les divertissements. Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien.
Chacun a ses plaisirs qu'il se fait à sa guise :
ARNOLPHE. Avec quelle imprudence et quelle hâte extrême
Mais pour ceux que du nom de galants on baptise, Il m'est venu conter celte affaireà moi-même!
A<amH,.. &GÈNE: vi...
Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur,
Etourdi montra-t-il jamais tant de fureur? SCENE III.
Mais, ayant tant souffert, je devais me contraindre ALAIN,GEORGETTE.
Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre,
A pousser jusqu'au bout son caquet indiscret, GEORGETTE. Mon Dieu! qu'il est terrible!
Et savoir pleinement leur commercesecret. Ses regards m'ont fait peur, mais une peur horrible;
Tâchons de le rejoindre; il n'est pas loin, je pense : Et jamaisje ne vis un plus hideux chrétien.
Tirons-en de ce fait l'entière confidence. ALAIN. Ce monsieur l'a fâché ; je te le disais bien.
Je tremble du malheur qui m'en peut arriver, Mais que diantre est-ce là, qu'avec tant de rudesse
GEORGETTE.
Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver. Il nous fait au logis,garder notre maîtresse?
D'où vient qu'à tout le monde il veut tant la cacher,
Et qu'il ne saurait voir personne en approcher?
ALAIN. C'est que cette action le met en jalousie.
Mais d'où vient qu'il est pris de cette fantaisie?
GEORGETTE.
ACTE DEUXIÈME. ALAIN. Cela vient... Cela vient de ce qu'il est jaloux.
Oui : mais pourquoi Fest-il? et pourquoi ce courroux?
GEORGETTE.
ALAIN. C'est que la jalousie... entends-tu bien, Georgette?
SCÈNE I. Est une chose... la... qui fait qu'on,s'inquiète...
ARNOLPHE. Et qui chasseles gens d'autour d'une maison.
Je m'en vais te bailler une comparaison,
Il m'est, lorsque j'y pense, avantageuxsans doute Afin de concevoir la chose davantage :
D'avoir perdu mes pas et pu manquer sa route : Dis-moi, n'est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage,
Car enfin de mon coeurle trouble impérieux Que, si quelque affamévenait pour en manger,
N'eût pu se renfermer tout entier à ses yeux^ Tu serais en colère, et voudraisle charger?
Il eût fait éclater l'ennui qui me dévore, GEORGETTE.Oui:,je comprends cela.
Et je ne voudrais pas qu'il sût ce qu'il ignore. ALAIN. C'est justement tout comme.
Mais je ne suis pas homme à gober le morceau, La femme est en effet le potage de l'homme ;
Et laisser un champ libre aux yeux d'un damoiseau. Et quand un homme voit d'autres hommes parfois
J'en veux rompre le cours, et, sans tarder, apprendre Qui veulent dans sa soupealler tremper leurs doigts,
Jusqu'où l'intelligence entre eux a pu s'étendre : Il en montre aussitôt une colère extrême.
J'y prends pour mon honneur un notable intérêt; GEORGETTE.Oui : mais pourquoi chacun n'en fait-il pas de même,
Je la regarde en femme aux termes qu'elle en est; Et que nous en voyons qui paraissent joyeux:
Elle n'a pu faillir sans me couvrir de honte, Lorsque leurs femmessont avec les.beaux monsieux?
Et tout ce qu'elle fait enfin est sur mon compte. ALAIN. C'est que chacun n'a pas cette amitié goulue
Eloignement fatal ! voyage malheureux! Qui n'en veut que pour soi.
(Il frappe à sa porte.) GEORGETTE. Si je n'ai la berlue,
Je le vois qui'revient.
SCÈNE IL ALAIN. Tes yeux,sont bons, c'est lui.
Vois comme il est chagrin.
GEORGETTE.
ARNOLPHE, ALAIN,GEORGETTE. ALAIN. C'est qu'il a de l'ennui.
ALAIN. Ah! monsieur, cette fois... SCÈNE IV.
ARNOLPHE. Paix. Venez çà, tous deux.
là.
Passez là, passez Venez là, venez, dis-je! ARNOLPHE, ALAIN,GEORGETTE.
Ah ! vous me faites peur, et tout mon sang se fige.
GEORGETTE. à part. Un certain Grec disait à l'empereur Auguste,
ARNOLPHE
C'est donc ainsi qu'absent vous m'avez obéi?
ARNOLPHE. Comme une instruction utile autant que juste,
Et tous deux de concert vous m'avezdonc trahi ? Que, lorsqu'une aventure en colère nous met,
tombant aux genoux d'Arnolphe.
GEORGETTE Nous devons, avant tout, dire notre alphabet,
Hé! ne me mangez pas, monsieur, je vous conjure. Afin que dans ce temps la bile se tempère,
à part. Quelque chien enragé l'a mordu, je m'assure.
ALAIN Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doivefaire.
à part. Ouf! Je ne puis parler, tant je suis prévenu;
ARNOLPHE J'ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès,
Je suffoque, et voudrais me pouvoir mettre nu. Et je la fais venir dans ce lieu tout exprès:
(A Alain et à Georgette.) Sous prétexte d'y faire un tour de promenade,
Vous avez donc souffert, ô canaille maudite! Afin que les soupçonsde mon esprit malade
(A Alain qui veut s'enfuir.) Puissent sur le discours la mettre adroitement,
Qu'un homme soit venu?... Tu veux prendre la fuite! Et, lui sondant le coeur, s'éclaircir doucement.
(A Georgette.)
Il faut que sur-le-champ... Si tu bouges... Je veux SCÈNE V..
(A Alain.) ARNOLPHE, AGNÈS,ALAIN,GEORGETTE.
Que vous me disiez... Hé! oui, je veux que tous deux...
(Alain et Georgettese lèvent et veulentencores'enfuir.) ARNOLPHE.
Venez, Agnès.
Quiconque remuera, par la mort! je l'assomme. (A Alain et à. Georgette.)
Commeest-ce que chez moi s'est introduit cet homme? Rentrez.
Hé! parlez. Dépêchez, vite, promptement, tôt,
Sans rêver. Veut-on dire? SCÈNE VI.
ALAIN
et GEORGETTE. Ah ! ah! AGNÈS.
ARNOLPHE,
retombant aux genoux d'Arnolphe. Le coeurme:faut.
GEORGETTE
ALAIN
retombantaux. genoux d'Arnolphe. ARNOLPHE. La promenade est belle.
Je meurs. AGNÈS.Fort belle.
ARNOLPHE
à part. Je suis en eau : prenons un peu d'haleine; ARNOLPHE. Le beau j our!
Il faut que je m'évente et que je me promène. AGNÈS. Fort beau.
Aurais-je deviné, quand je l'ai vu petit, ARNOLPHE. Quelle nouvelle?
Qu'il croîtrait pour cela? Ciel! que mon coeurpâtit! AGNÈS. Le petit chat est mort.
Je pense qu'il vaut mieux que de sa propre bouche ARNOLPHE. C'est dommage; mais quoi !
Je tire avec douceur l'affaire qui me touche, Nous sommestous mortels, et chacun est pour soi.
Tâchons à modérer notre ressentiment. Lorsque j'étais aux champs, n'a-t-il point fait de pluie?
Patience, mon coeur, doucement, doucement. AGNÈS. Non.
(A Alain et à Georgette.) ARNOLPHE. Vous ennuyait-il?
Levez-vous, et, rentrant, faites qu'Agnès descende. AGNÈS. Jamais je ne m'ennuie.
(A part.) Qu'avez-vousfait encor ces neuf ou dix jours-ci?
ARNOLPHE.
Arrêtez. Sa surprise en deviendrait moins grande ; AGNÈS. Six chemises,je pense, et six coiffesaussi.
Du chagrin qui me trouble ils iraient l'avertir, ARNOLPHE
après avoir un peu rêvé.
Et moi-même je veux l'aller faire sortir. Le monde, chère Agnès, est une étrange chose!
(A Alain et à Georgette.) Voyez la médisance, et comme chacun cause!
Que l'on m'attende,ici. Quelquesvoisinsm'ont dit qu'un jeune homme inconnu
L'ECOLE DES FEMMES.
Etait en mon absenceà la maison venu; Et comme le jeune homme a passé ses visites.
Que vousaviez souffert sa vue et ses harangues : AGNÈS.Hélas! si vous saviezcommeil était ravi,
Mais je n'ai point pris foi sur ces méchantes langues Commeil perdit son mal sitôt que je le vi,
Et j'ai voulu gager que c'était faussement... Le présent qu'il m'a fait d'une belle cassette,
AGNÈS.Mon Dieu ! ne gagezpas, vous perdriez vraiment. Et l'argent qu'en ont eu notre Alain et Georgette,
ARNOLpnE.
Quoi! c'est la vérité qu'un homme?... Vous l'aimeriez sans doute, et diriez comme nous.
AGNÈS. Chosesûre. ARNOLPHE.Oui. Biaisque faisait-il étant seul avec vous?
Il n'a presque bougéde chez nous, je vous jure. AGNÈS. disait qu'il m'aimaitd'une amour sans seconde,
H
ARNOLPHE
bas à part. Cet aveu qu'elle fait avec sincérité Et me disait des mots les plus gentils du monde,
Me marquepour le moins son ingénuité. Des chosesque jamais rien ne peut égaler,
(Haut.) Et dont, toutes les fois que je l'entends parler,
Maisil me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne, La douceurme chatouille, et là-dedansremue
Que j'avais défendu que vous vissiez personne. Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue.
AGNÈS.Oui : mais quandje 1ai vu, vous ignoriez pourquoi; ARNOLPHEbas à part. O fâcheuxexamend'un mystère fatal,
Et vous en auriez fait sans doute autant que moi. Où l'examinateursouffreseul tout le mal!
ARNOLPHE.
Peut-être. Maisenfin contez-moicette histoire. (Haut.)
AGNÈS. Elle est fort étonnante, et difficileà croire. Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses,
J'étais sur le balcon à travailler au frais, Ne vousfaisait-il point aussi quelques caresses?
Lorsqueje vis passer sous les arbres d'auprès AGNÈS.Oh tant! il me prenait et les mains et les bras,
Un jeune homme bien fait, qui, rencontrant ma vue, Et de me les baiser il n'était jamais las.
D'une humble révérence aussitôt me salue : ARNOLPHE.Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose?
Moi, pour ne point manquer à la civilité, (La voilant interdite.)
Je fis la révérence aussi de mon côté. Ouf!
Soudainil me refait une autre révérence; AGNÈS. Hé ! il m'a...
Moi, j'en refais de même une autre en diligence : ARNOLPHE. Quoi?
Et lui d'une troisième aussitôt repartant, AGNÈS. pris...
D'une troisième aussij'y repars à l'instant. ARNOLPHE. Hé !
Il passe, vient, repasse, et toujours, de plus belle , AGNÈS. le...
Me fait à chaquefois révérence nouvelle, ARNOLPHE. Plaît-il?
Et moi, qui tous ses tours fixement regardais, AGNÈS. Je n'ose.
Nouvelle révérence aussije lui rendais : Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.
Tant que, si sur ce point la nuit ne fût venue, ARNOLPHE.Non.
Toujours comme cela je me serais tenue, AGNÈS. Si fait.
Ne voulant point céder, ni recevoir l'ennui ARNOLPHE. Bîon Dieu! non.
Qu'il me pût estimer moinscivile que lui. AGNÈS. Jurez donc votre foi.
Fort bien.
ARNOLPHE. ARNOLPHE.Ma foi, soit.
AGNÈS. Le lendemain, étant sur notre porte, AGNÈS. Il m'a pris... Vous serez en colère.
Une vieille m'aborde, en parlant de la sorte : ARNOLPHE.Non.
« Mon enfant, le bon Dieu puisse-t-il vous bénir, AGNÈS. Si.
» Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir! ARNOLpnE. Non, non, non, non. Diantre! que de mystère !
» Il ne vous a pas faite une belle personne Qu'est-ce qu'il vous a pris?
» Afin de mal user des choses qu'il vous donne; AGNÈS. IL"
» Et vous devez savoir que vousavez blessé ARNOLPHE
à part. Je souffreen damné.
« Un coeurqui de s'en plaindre est aujourd'hui forcé. » AGNÈS.Il m'a pris le ruban que vousm'aviez donné.
à part. O suppôt de Satan! exécrabledamnée!
ARNOLPHE A vous dire le vrai, je n'ai pu m'en défendre.
AGNÈS.Quoi, j'ai blessé quelqu'un! fis-je tout étonnée. reprenant haleine.
ARNOLPHE
« Oui, dit-elle, blessé, mais blessé tout de bon ; Passe pour le ruban. Mais je voulaisapprendre
» Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon. » S'il ne vous a rien fait que vous baiser les bras.
Hélas ! qui pourrait, dis-je, en avoir été cause? AGNÈS.Comment! est-ce qu'on fait d'autres choses?
Sur lui, sans y penser, fis-jechoir quelque chose? ARNOLPHE. Non pas.
« Non, dit-elle ; vos yeux ont fait ce coup fatal, Mais, pour guérir du mal qu'il dit le
qui possède,
n Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal. » N'a-t-il pas exigé de vous d'autre remède?
O mon Dieu! ma surprise est, fis-je, sans seconde; AGNÈS.Non. Vous pouvezjuger, s'il en eût demandé,
Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde? Quepour le secourir j'aurais tout accordé.
« Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le trépas, ARNOLPHEbas à part.
» Ma fille, ont un venin que vousne savezpas. Grâce auxbontés du ciel, j'en suis quitte à bon compte :
» En un mot, il languit, le pauvre misérable; Si j'y retombe plus, je veux bien qu'on m'affronte.
» Et s'il faut, poursuivitla vieille charitable , (Haut.)
» Que votre cruauté lui refuse un secours, Chut ! De votre innocence, Agnès, c'est un effet;
» C'est un homme à porter en terre dans deux jours. » Je ne vous en dit mot. Ce qui s'est fait est fait.
O Dieu! j'en aurais, dis-je, une douleurbien grande. Je sais qu'en vous flattant le galant ne désire
Et pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande? Que de vous abuser, et puis après s'en rire.
« Bîon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir AGNÈS.Oh ! point. Il me l'a dit plus de vingt fois, à moi.
» Que le bien de vous voir et vous entretenir; Ah! vousne savezpas ce que c'est que sa foi.
ARNOLPHE.
» Vos yeux peuvent euxseuls empêcher sa ruine, Mais enfin apprenez qu'accepter des cassettes
» Et du mal qu'ils ont fait être la médecine. « Et de ces beauxblondins écouter les sornettes,
Oh! volontiers, dis-je; et puisqu'il est ainsi, Que se laisser par eux, à force de langueur,
Il peut, tant qu'il voudra, me venir voir ici. Baiser ainsi les mains et chatouiller le coeur,
ARNOLPHE
à part. O sorcière maudite, empoisonneused'âmes, Est un péché mortel des plus gros qu'il se fasse.
Puissel'enfer payer tes charitablestrames! AGNÈS.Un péché, dites-vous!Et la raison, de grâce?
AGNÈS. Voilà commeil me vit, et reçut guérison. La raison? La raison est l'arrêt prononcé
ARNOLPHE.
Et, même à votre avis, n'ai-je pas eu raison? Que par ces actions le ciel est courroucé.
Et pouvais-je, après tout, avoir la conscience AGNÈS.Courroucé! Maispourquoi faut-il qu'il s'en courrouce?
De le laissermourir faute d'une assistance? C'est une chose, hélas! si plaisante et si douce!
Bloi qui compatistant aux gens qu'on fait souffrir, J'admire quellejoie on goûte à tout cela,
Et ne puis, sans pleurer, voir un poulet mourir ! Et je ne savaispoint encor ces choses-là.
bas à part. Tout cela n'est parti que d'une âme innocente;
ARNOLPHE Oui, c'est un grand plaisir que toutes ces tendresses,
ARNOLPHE.
Et j'en dois accuser mon absenceimprudente, Ces propos si gentils et ces douces caresses;
Qui sans guide a laissé cette bonté de moeurs Mais il faut le goûter en toute honnêteté,
Exposéeaux aguets des rusés séducteurs. Et qu'en se mariant le crime en soit ôté.
Je crains que le pendard, dans ses voeuxtéméraires, AGNÈS.N'est-ce plus un péché lorsque l'on se marie?
Un peu plus fort quejeu n'ait poussé les affaires. ARNOLPHE.
Non.
AGNÈS.Qu'avez-vous?Vous grondez, ce me semble, un petit? AGNÈS. Mariez-moidonc promptement, je vous prie.
Est-ce que c'est mal fait ce que je vous ai dit? Si vous le souhaitez, je le souhaite aussi;
ARNOLPHE.
ARNOLPHE.
Non. Biaisde cette vue apprenez-moiles suites, Et pour vous marier on me revoit ici.
ACTE III, SCÈNE II.
AGNÈS.Est-il possible? SCENE II.
ARNOLPHE. Oui. ARNOLPHE, AGNÈS.
AGNÈS. Que vousme ferez aise! ARNOLPHE assis. Agnès, pour m'écouter, laissezlà votre ouvrage;
Oui, je ne doute point que l'hymen ne vous plaise.
ARNOLPHE. Levezun peu la tête, et tournez le visage :
AGNÈS.Vous nous voulez nous deux...?
ARNOLPHE. Rien de plus assuré. (Mettant le doigt sur son front.)
AGNÈS.Que, si cela se fait, je vous caresserai! La, regardez-moilà durant cet entretien;
Hé! la chosesera de ma part réciproque.
ARNOLPHE. Et, jusqu'au moindre mot, imprimez-le-vousbien.
AGNÈS.Je ne reconnais point, pour moi, quand on se moque; Je vous épouse, Agnès; et, cent fois la journée,
Parlez-voustout de bon? Vous devezbénir l'heur de votre destinée,
ARNOLPHE. Oui, vous le pourrez voir. Contempler la bassesseoù vous avez été,
AGNÈS.Nous seronsmariés? Et dans le même temps admirer ma bonté,
ARNOLPnE. Oui. Qui de ce vil état de pauvre villageoise
AGNÉS. Mais quand? Vous fait monter au rang d'honorable bourgeoise,
ARNOLPHE. Dès ce soir. Et jouir de la couche et des embrassements
riant.
AGNÈS Dès ce soir? D'un homme qui fuyait tous ces engagements,
ARNOLPHE. Dès ce soir. Cela vousfait donc rire? Et dont à vingt partis fort capables de plaire
AGNÈS.Oui. Le coeura refusé l'honneur qu'il vous veut faire.
ARNOLPHE.VOUSvoir bien contente est ce queje désire. Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux
AGNÈS.Hélas! que je vous ai grande obligation, Le peu que vous étiez sans ce noeudglorieux,
Et qu'avec lui j'aurai de satisfaction! Afin que cet objet d'autant mieuxvous instruise
Avec qui?
ARNOLPHE. A mériter l'état où je vous aurai mise,
AGNÈS. Avec... la... A toujours vous connaître, et faire qu'à jamais
ARNOLPHE. La... la n'est pas mon compte. Je puisse me louer de l'acte que je fais.
A choisir un mari vous êtes un peu prompte. Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage :
C'est un autre, en un mot, queje vous tiens tout prêt. A d'austères devoirs le rang de femme engage;
Et quant au monsieur la, je prétends, s'il vous plaît,j Et vous n'y montez pas, à ce queje prétends,
Dût le mettre au tombeaule mal dont il vous berce, Pour être libertine et prendre du bon temps.
Qu'aveclui désormaisvous rompiez tout commerce; Votre sexen'est là que pour la dépendance :
Que, venant au logis, pour votre compliment Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Vous lui fermiezau nez la porte honnêtement, Bien qu'on soit deux moitiésde la société,
Et, lui jetant, s'il heurte, un grès par la fenêtre , Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité :
L'obligieztout de bon à ne plus y paraître. L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne,
M'entendez-vous,Agnès?Moi, caché dans un coin, L'une en tout est soumiseà l'autre qui gouverne;
De votre procédé je serai le témoin. Et ce que le soldat dans son devoir instruit
AGNÈS.Las! il est si bien fait! C'est... Montre d'obéissanceau chef qui le conduit,
ARNOLPHB. Ah ! que de langage! Le valet à son maître, un enfant à son père,
AGNÈS.Je n'aurai pas le coeur... A son supérieur le moindre petit frère,
ARNOLPHE. Point de bruit davantage. N'approche point encor de la docilité,
Montezlà-haut. Et de l'obéissance, et de l'humilité,
AGNÈS. Biais quoi! voulez-vous... Et du profond respect où la femme doit être
ARNOLPHE. C'est assez. Pour son mari, son chef, son seigneur et son maître.
Je suis maître, je parle; allez, obéissez. Lorsqu'iljette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôtest de baisser les yeux,
Et de n'oser jamais le regarder en face,
Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.
ACTE TROISIEME. C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui :
Biaisne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui.
SCÈNE I. Gardez-vousd'imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chanteles fredaines,
ARNOLPHE, AGNÈS,ALAIN,GEORGETTE. Et de vous laisser prendre auxassautsdu malin,
Oui, tout a bien été, ma joie est sans pareille :
ARNOLPHE. C'est-à-dire d'ouïr aucun jeune blondin.
Vous avez là suivi mes ordres à merveille, Songezqu'en vous faisant moitié de ma personne,
Confondude tout point le blondin séducteur; C'est mon honneur, Agnès, queje vous abandonne;
Et voilà de quoi sert un sage directeur. Que cet honneur est tendre et se blesse de peu,
Votre innocence, Agnès, avait été surprise : Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu,
Voyez, sans y penser, où vous vous étiez mise. Et qu'il est aux enfers des chaudièresbouillantes
Vous enfilieztout droit, sans mon instruction, Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes.
Le grand chemin d'enfer et de perdition. Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons;
De tous ces damoiseauxon sait trop les coutumes: Et vous devez du coeurdévorer ces leçons.
Ils ont de beaux canons, force rubans et plumes, Si votre âme les suit et fuit d'être coquette,
Grands cheveux, belles dents, et des propos fort doux; Elle sera toujours, commeun lis, blanche et nette :
Mais, comme je vous dis, la griffe est là-dessous, Mais s'il faut qu'à l'honneur elle fasseun faux bond,
Et ce sont vrais satans, dont la gueule altérée Elle deviendra lors noire commeun charbon;
De l'honneur féminin cherche à faire curée. Vous paraîtrez à tous un objet effroyable,
Mais encore une fois, grâce au soin apporté, Et vous irez un jour, vrai partage du diable,
Vous en êtes sortie avec honnêteté. Bouillir dans les enfersà toute éternité,
L'air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre, Dont vous veuille garder la célestebonté !
Qui de tous ses desseinsa mis l'espoir par terre, Faites la révérence. Ainsi qu'une novice
Me confirmeencor mieuxà ne point différer Par coeurdans le couventdoit savoirson office,
Les noces où j'ai dit qu'il vous faut préparer. Entrant au mariage il en faut faire autant ;
Mais, avant toute chose, il est bon de vousfaire Et voici dans ma poche un écrit important
Quelquepetit discoursqui vous soit salutaire. Qui vous enseigneral'officede la femme.
(A Georgetteet à Alain.) J'en ignore l'auteur, mais c'est quelque bonne âme;
Un siège au frais ici. Vous, si jamais en rien... Et je veux que ce soit votre unique entretien.
GEORGETTE.De toutes vos leçons nous nous souviendronsbien. (Il se lève.)
Cet autre monsieur-là nous en faisait accroire: Tenez, voyons un peu si vousle lirez bien.
Mais... lit.
AGNÈS
ALAIN. S'il entre jamais, je veuxjamais ne boire. LES MAXIMES DU MARIAGE,
Aussi bien est-ce un sot, il nous a l'autre fois OU *
Donné deuxécus d'or qui n'étaient pas de poids. LESDEVOIRS DELi FEMMEMARIÉE,
ARNOLPHE.
Ayez donc pour souper tout ce que je désire; AVECSONl.XEltClCK
JOTJnifALIliR.
Et pour notre contrat, commeje viens de dire , PREMIÈRE MAXIME.
Faites venir ici, l'un ou l'autre, au retour, Cellequ'unlienhonnête
Le notaire qui loge au coin du carrefour. Faitentrerau lit d'autrui
10 L'ECOLE DES FEMMES.
Doitse mettredansla tête, Mais il vaut beaucoupmieux, à dire vérité,
Malgréle traind'aujourd'hui, Que la femme qu'on a pèche de ce côté.
Quel'hommequila prendnela prendquepourli\i. De cessortes d'erreurs le remède est facile.
ARNOLPHE.
Je vous expliquerai ce que cela veut dire : Toute personnesimple aux leçons est docile;
Maispour l'heUreprésente il ne faut rien que lire. Et, si du bon chemin on la fait écarter,
AGNÈS Deuxmots incontinent l'y peuvent rejeter.
poursuit. Mais une femme habile est bien une autre bête :
DEUXIÈME MAXIME. Notre sort ne dépend que de sa seule tête,
Ellene se doitparer De ce qu'elle s'y met rien ne la fait gauchir,
Qu'autantquepeutdésirer Et nos enseignementsne font là que blanchir :
Le mariqui la possède: Son bel esprit lui sert à railler nos maximes,
C'estlui quetoucheseullesoindesa beauté; A se faire souvent des vertus de ses crimes,
Et pourriendoitêtre compté Et trouver, pour venir à ses coupablesfins,
Quelesautresla trouventlaide. Desdétours à duper l'adresse des plus fins.
TROISIÈME MAXIME. Pour se parer du coup en vain on se fatigue :
Loincesétudesd'oeillades, Une femme d'esprit est un diable en intrigue;
Ceseaux, cesblancs,cespommades, Et, dès que son caprice a prononcé tout bas
Et milleingrédientsquifontdesteintsfleuris: L'arrêt de notre honneur, il faut passer le pas :
A l'honneur,touslesjours, cesontdroguesmortelles; Beaucoupd'honnêtes gens en pourraient bien que dire.
Et lessoinsde paroitrebelles Enfin mon étourdi n'aura pas lieu d'en rire :
Seprennentpeupourles maris. Par son trop de caquet il a ce qu'il lui faut.
Voilà de nos Français l'ordinaire défaut:
QUATRIÈME MAXIME. Dans la possessiond'une bonne fortune,
Soussa coiffeen sortant,commel'honneurl'ordonne, Le secret est toujours ce qui les importune;
Il fautquede ses yeuxelleétouffelescoups; Et la vanité sotte a pour eux tant d'appas,
Car,pourbienplaireà sonépoux, Qu'ils se pendraient plutôt que de ne causer pas. .
Ellene doitplaireà personne. Oh ! que les femmessont du diable bien tentées
CINQUIÈME MAXIME. Lorsqu'elles vont choisir ces têtes éventées !
Horsceuxdontaumarila visitese rend, Et que... Mais le voici : cachons-noustoujoursbien,
Labonnerègledéfend Et découvronsun peu quel chagrin est le sien.
Derecevoiraucuneâme:
Ceuxqui de galantehumeur SCÈNE IV.
N'ontaffairequ'àmadame HORACE,ARNOLPHE.
N'accommodent pasmonsieur.
HORACE.Je reviens de chez vous, et le destin me montre
SIXIÈME MAXIME. Qu'il n'a pas résolu queje vous y rencontre.
Il fautdesprésentsdeshommes Maisj'irai tant de fois, qu'enfin quelquemoment...
Qu'ellese défendebien; ARNOLPHE.Hé! mon Dieu! n'entrons point dans ce vain compliment:
Car,dansle siècleoùnoussommes ; Rien me fâche tant que ces cérémonies;
Onne donnerien pourrien. Et, si l'on m'en croyait, elles seraient bannies.
SEPTIÈME MAXIME. C'est un maudit usage; et la plupart des gens
Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.
Danssesmeubles,dût-elleenavoirde l'ennui,
Il nefaut écritoire,encre,papier,ni plumes: (Il se couvre.)
Lemaridoit, danslesbonnescoutumes, Mettonsdonc sans façon. Hé bien! vos amourettes,
Écriretout cequis'écritchezlui. Puis-je, seigneur Horace, apprendre où vous en êtes?
J'étais tantôt distrait par quelque vision;
HUITIÈME MAXIME. Biais depuis là-dessusj'ai fait réflexion.
Cessociétésdéréglées De vos premiers progrès j'admire la vitesse,
Qu'onnommebellesassemblées, Et dans l'événement mon âme s'intéresse.
Desfemmestouslesjourscorrompent les esprits: HORACE.Bla foi, depuis qu'à vous s'est découvert mon coeur,
Enbonnepolitiqueonles doit interdire; Il est à mon amour arrivé du malheur.
Carc'estlà quel'onconspire ARNOLPHE.Oh! oh! comment cela?
Contreles pauvresmaris. HORACE. La fortune cruelle
NEUVIÈME MAXIME. A ramené des champsle patron de la belle.
Toutefemmequiveut à l'honneurse vouer ARNOLpnE.Quel malheur!
Doitse défendrede jouer, HORACE. Et de plus, à mon très-grand regret,
Comme d'unechosefuneste: Il a su de nous deux le commercesecret.
Car jeu, fortdécevant,
le ARNOLPHE.
D'où diantre a-t-il sitôt appris cette aventure?
Pousseunefemmesouvent HORACE.Je ne sais : mais enfin c'est une chose sûre.
A jouerdetoutsonreste. " Je pensais aller rendre, à mon heure à peu près,
Ma petite visite à ses jeunes attraits,
DIXIÈME MAXIME.
Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,
Despromenades du temps, Et servante et valet m'ont bouché le passage,
Ourepasqu'ondonneauxchamps, Et d'un Retirez-vous,vous nous importunez,
Il nefautpointqu'elleessaie. Bl'ont assezrudement fermé la porte au nez.
Selonles prudentscerveaux, ARNOLPHE.
La porte au nez!
Le maridanscescadeaux HORACE. Au nez.
Est toujoursceluiquipaie. ARNOLPHE. La choseest un peu forte.
ONZIÈME MAXIME. noRACE.J'ai voulu leur parler au travers de la porte;
Vous achèverezseule ; et, pas à pas, tantôt
ARNOLPHE. Mais à tous mes propos ce qu'ils ont répondu,
Je vous expliquerai ces chosescommeil faut. C'est : Fous n'entrerez point, monsieur l'a défendu.
Je me suis souvenud'une petite affaire : Ils n'ont donc point ouvert?
ARNOLPHE.
Je n'ai qu'un mot à dire, et ne tarderai guère. 1102ACE. Non. Et de la fenêtre
Rentrez, et conservezce livre chèrement. Agnès m'a confirméle retour de ce maître,
Si le notaire vient, qu'il m'attende un moment. En me chassantde là d'un ton plein de fierté,
Accompagnéd'un grès que sa main a jeté.
SCÈNE III. ARNOLPHE.
Comment! d'un grès!
HORACE. D'un grès de taille non petite,
ARNOLPHE seul. Dont on a par ses mains régalé ma visite.
Je ne puis faire mieux que d'en faire ma femme. ARNOLPHE.
Diantre! ce ne sont pas des prunes que cela!
Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme; Et je trouve fâcheuxl'état où vous voilà.
Comme un morceau de cire entre mes mains elle est HORACE.
Il est vrai, je suismal par ce retour funeste.
Et je lui puis donner la forme qui me plaît. ARNOLPHE.
Certes j'en suis fâché pour vous, je vous proteste.
Il s'en est peu fallu que, durant mon absence, HORACE.
Cet homme me rompt tout.
On ne m'ait attrapé par son trop d'innocence; ARNOLPHE. Oui : mais cela n'est rien;
ACTE IV, SCENE I. il

Et de vous raccrocher vous trouverez moyen. à part. - Hon ! chienne!


ARNOLPHE
Il faut bien essayer,par quelqueintelligence,
HORACE. HORACE. Qu'avez-vous?
De vaincre du jaloux l'exacte vigilance. ARNOLPHE. Moi?rien. C'est queje tousse.
Cela vous est facile; et la fille, après tout,
ARNOLPHE. Avez-vousjamais vu d'expression plus douce?
HORACE.
Vous aime? Malgré les soins maudits d'un injuste pouvoir,
HORACE. Assurément. Un plus beau naturel se peut-il faire voir ?
ARNOLPHE. Vous en viendrezà bout. Et n'est-ce pas sans doute un crime punissable
Je l'espère.
HORACE. De gâter méchammentce fonds d'âme admirable,
ARNOLPHE. Le grès vousa mis en déroute; D'avoir dans l'ignorance et la stupidité
Maiscela ne doit pas vous étonner. Voulu de cet esprit étoufferla clarté?
HORACE. Sans doute; L'amour a commencé d'en déchirer le voile ;
Et j'ai compris d'abord que mon homme était là, Et si, par la faveur de quelque bonne étoile,
Qui, sans se faire voir, conduisaittout cela. Je puis, comme j'espère, à ce franc animal,
Mais ce qui m'a surpris, et qui va vous surprendre, Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal...
C'est un autre incident que vous allez entendre ; AaNOLpnE.
Adieu.
Un trait hardi qu'a fait cette jeune beauté, HORACE. Comment! si vite?
Et qu'on n'attendrait point de sa simplicité. ARNOLPHE. Il m'est dans la pensée
Il le faut avouer, l'amour est un grand maître. Venu tout maintenant une affaire pressée,
Ce qu'on ne fut jamais il nous enseigne à l'être; Biais ne sauriez-vouspoint, comme on la tient de près,
HORACE.
Et souventde nos moeursl'absolu changement Qui dans cette maison pourrait avoir accès?
Devient par ses leçonsl'ouvrage d'un moment. J'en use sans scrupule; et ce n'est pas merveille
De la nature en nous il force les obstacles, Qu'on se puisse, entre amis, servir à la pareille.
Et seseffetssoudainsont de l'air des miracles. Je n'ai plus là-dedans que gens pour m'observer;
D'un avare à l'instant il fait un libéral, . Et servante et valet, que je viens de trouver,
Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal ; N'ont jamais, de quelque air que je m'y sois pu prendre,
Il rend agile à tout l'âme la plus pesante, Adouci leur rudesse à me vouloir entendre.
Et donne de l'esprit à la plus innocente. J'avais pour de tels coups certaine vieille en main,
Oui, ce dernier miracle éclate dans Agnès; ^ D'un génie, à vrai dire, au-dessus de l'humain :
Car, tranchant avec moi par cestermes exprès, Elle m'a dans l'abord servi de bonne sorte ;
« Retirez-vous, mon âme aux visites renonce, Mais, depuis quatre jours, la pauvre femme est moite.
» Je sais tous vos discours, et voilà ma réponse, » Ne me pourriez-vouspoint ouvrir quelque.moyen?
Cette pierre , ou ce grès, dont vous vous étonniez Non, vraiment; et sans moi vous en trouverez bien.
ARNOLPHE.
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds, Adieu donc. Vous voyez ce que je vous confie.
HORACE.
Et j'admire de voir cette lettre ajustée
Avec le sens des mots et la pierre jetée. SCÈNE V.
D'une telle action n'êtes-vous par surpris? ARNOLPHE seul.
L'amour sait-il pas l'art d'aiguiser les esprits?
Et peut-on me nier que ses flammespuissantes Comme il faut devant lui que je me mortifie!
Ne fassent dans un coeurdes chosesétonnantes? Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant ! !
Que dites-vousdu tour et de ce mot d'écrit ? Quoi! pour une innocente un esprit si présent
Hé! n'admirez-vouspoint cette adresse d'esprit? Elle a feint d'être telle à mes yeux, la traîtresse,
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage Ou le diable à son âme a soufflécette adresse.
A joué mon jaloux dans tout ce badinage? Enfin me voilà mort par ce funeste écrit.
Dites? Je vois qu'il a, le traître, empaumé son esprit,
ARNOLPHE. Oui, fort plaisant. Qu'à ma suppressionil s'est ancré chez elle ;
HORACE. Riez-en donc un peu, Et c'est mon désespoir et ma peine mortelle.
(Arnolpherit d'un air forcé.) Je souffredoublementdans le vol de son coeur;
Cet homme gendarmé d'abord contre mon feu, Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur.
Qui chezlui se retranche, et des grès fait parade , J'enrage de trouver cette place usurpée,
Comme si j'y voulais entrer par escalade; Et j'enrage de voir ma prudence trompée.
Qui pour me repousser, dans son bizarre effroi, Je sais que, pour punir son amour libertin,
Anime du dedans tous ses gens contre moi, Je n'ai qu'à laisser à son mauvaisdestin,
Et qu'abuseà ses yeux, par sa machine même, Queje serai vengé d'elle par elle-même : aime.
Celle qu'il veut tenir dans l'ignorance extrême! Maisil est bien fâcheuxde perdre ce qu'on
Pour moi, je vous l'avoue, encor que son retour Ciel! puisquepour un choix j'ai tant philosophé,
En un grand embarras jette ici mon amour, Faut-il de ses appas m'être si fort coiffé!
Je tiens cela plaisant, autant qu'on saurait dire : Elle n'a ni parents, ni support, ni richesse;
Je ne puis y songer sans de bon coeuren rire ; Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse :
Et vous n'en riez pas assez, à mon avis. Et cependantje l'aime, après ce lâche tour,
avecun ris forcé. - Pardonnez-moi,j'en ris tout autant que
ARNOLPHE Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour.
HORACE.Maisil faut qu'en ami je vous montre sa lettre. [je puis. Sot! n'as-tu point de honte? Ah! je crève, j'enrage,
Tout ce que son coeursent, sa main a su l'y mettre, Et je souffletteraismille fois mon visage.
Mais en termes touchants et tout pleins de bonté, Je veuxentrer un peu, mais seulementpour voir
De tendresse innocente et d'ingénuité, Quelle est sa contenance après un trait si noir.
De la manière enfin que la pure nature Ciel, faites que mon front soit exempt de disgrâce;
Exprime de l'amour la première blessure. Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que j'y passe,
ARNOLPHE
bas à part. - Voilà, friponne, à quoi l'écriture te sert ; Donnez-moitout au moins, pour de tels accidents,
Et, contre mon dessein, l'art t'en fut découvert. La constancequ'on voit à de certaines gens!
HORACE
lit :
« Je veuxvousécrire, et je suisbienen peinepar où je m'yprendrai.J'ai
» despenséesqueje désireraisquevoussussiez;maisje nesaiscomment faire
» pourvouslesdire , et je medéfiede mesparoles.Comme je commence à con- ACTE QUATRIÈME.
» naîtrequ'onm'a toujourstenuedansl'ignorance,j'ai peur de mettrequelque
» chosequine soitpasbienet d'endireplusqueje nedevrais.En vérité, je ne SCÈNE I.
» saisce quevousm'avezfait; maisje sens queje suisfâchéeà mourirde ce
» qu'onmefait fairecontrevous, quej'auraitoutesles peinesdu mondeà me ARNOLPHE.
» passerde vous,et queje seraisbienaised'êtreà vous.Peut-êtrequ'ily a du
» malà dire cela; maisenfinje ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrais J'ai peine, je l'avoue, à demeurer en place,
» quecelase pût fairesans qu'ily en eût. Onmedit fortquetousles jeunes Et de mille soucismon esprit s'embarrasse,
» hommessontdestrompeurs , qu'ilnelesfautpointécouter,et quetoutce que Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors
» vousmedites n'est quepour m'abuser: mais je vousassurequeje n'ai pu Qui du godelureau rompe tous les efforts.!
» encoremefigurercelade vous;et je suissi touchée de vosparoles,queje ne De quel oeilla traîtresse a soutenu ma vue!
» sauraiscroirequ'ellessoientmenteuses.Dites-moi franchement ce qui en est: De tout ce qu'elle a fait elle n'est point émue;
» carenfin, commeje suissansmalice,vousauriezle plusgrandtortdu monde Et, bien qu'elle me mette à deux doigts du trépas,
» si vousmetrompiez,et je pensequej'en mourraisde déplaisir.» On dirait, à la voir, qu'elle n'y touche pas.
12 L'ECOLE DES FEMMES.

Plus, en la regardant, je la voyaistranquille, ARNOLPHE


se croyant seul. Queltraitement luifaire en pareille aventure?
Plus je sentais en moi s'échaufferune bile ; LENOTAIRE.
L'ordre est que le futur doit douer la future
Et ces bouillants transportsdont s'enflammaitmon coeur Du tiers de dot qu'elle a; mais cet ordre n'est rien,
Y semblaientredoubler mon amoureuseardeur. Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien.
J'étais aigri, fâché, désespéré contre elle, ARNOLPHE
se croyant seul. Si...
Et cependantjamaisje ne la vis si belle, (Il aperçoit le notaire.)
Jamais ses yeux auxmiensn'ont paru si perçants, LENOTAIRE. Pour le préciput, il les regarde ensemble.
Jamais je n'eus pour eux des désirssi pressants; Je dis que le futur peut, commebon lui semble,
Et je sens là-dedans qu'il faudra que je crève Douer la future.
Si de mon triste sort la disgrâce s'achève. ARNOLPHE. . Hé!
LENOTAIRE. Il peut l'avantager.
Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger;
Et cela par douaire, ou préfix, qu'on appelle,
Qui demeure perdu par le trépas d'icelle ;
Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs;
Ou coutumier, selon les différentsvouloirs;
Ou par donationdans le contrat formelle,
Qu'on fait ou pure ou simple, ou qu'on fait mutuelle.
Pourquoi hausser le dos? Est-ce qu'on parle en fat,
Et que l'on ne sait pas les formes d'un contrat ?
Qui me les apprendra? Personne, je présume.
Sais-je pas qu'étant joints on est par la coutume
Communsen meubles, biens, immeubleset conquêts,
A moins que par un acte on n'y renonce exprès?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre en communautépour...?
ARNOLPHE. Oui, c'est chose sûre,
Vous saveztout cela : mais qui vous en dit mot?
LENOTAIRE.
Vous, qui me prétendez faire passerpour sot,
En me haussantl'épaule et faisant la grimace.

ACTK.I , SOENEII.
AHNOLPHE.Quivousapprend,impertinente bête,
A parlerdevantmoi,le chapeausurla tête?

Quoi! j'aurai dirigé son éducation


Avec tant de tendresse et de précaution,
Je l'aurai fait passer chez moi dès son enfance,
Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance,
Mon coeuraura bâti sur ses attraits naissants,
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache
Me la vienne enlever jusque sur la moustache,
Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi!
Non, parbleu ! non, parbleu ! Petit sot mon ami,
Vous aurez beau tourner, ou j'y perdrai mes peines,
Ou j'y rendrai, ma foi! vos espérancesvaines,
Et de moitout à fait vous ne vous rirez point.
SCÈNE II.
UN NOTAIRE, ARNOLPHE.
Lit NOTAIRE.
Ah! le voilà! Bonjour. Me voici tout à point ACTEIII, SCENE II.
Pour dresser le contrat que vous souhaitezfaire. AnNOLPiiE.
Je vousexpliquerai
ce quecelaveutdire :
ARNOLPHEse croijant seul et sans voir ni entendre le notaire. Maispourl'heureprésenteil ne fautrienquelire.
Commentfaire ?
LENOTAIRE. Il le faut dans la forme ordinaire.
AKNOLPHE
se crayant seul. A mes précautionsje veux songerde près. ARNOLPHE.
La peste soit de l'homme et sa chienne de face !
LENOTAIRE.Je ne passerai rien contre vos intérêts. Adieu. C'est le moyen de vous faire finir.
ARNOLPHEse croyant seul. Il se faut garantir de toutes les surprises. LENOTAIRE.
Pour dresser un contrat m'a-t-on pas fait venir?
LKNOTAIRE. Suffitqu'entre mes mainsvos affairessoient mises. ARNOLPHE.
Oui, je vous ai mandé : mais la choseest remise,
Il ne-vous faudra point, de peur d'être déçu, Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise.
Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu. Voyezquel diable d'homme avec son entretien !
ARNOLPHE
se croyant seul.J'ai peur, si je vais faire éclater quelquechose, seul. - Je pense qu'il en tient, et je crois penser bien.
LENOTAIRE
Que de cet incident par la ville on ne cause. SCÈNE III.
LENOTAIRE.Hé bien! il est aisé d'empêcher cet éclat,
Et l'on peut en secret faire votre contrat. LE NOTAIRE, ALAIN,GEORGETTE.
ARNOLPHE
se croyant seul. Biais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en LE NOTAIRE
allant au-devant d'Alain et de Georgette.
LENOTAIRE.Le douairese règle au bien qu'on vous apporte. [sorte? M'êtes-vouspas venu quérir pour votre maître?
ARNOLPHEse croyant seul. Je l'aime, et cet amour est mon grand ALAIN. Oui.
LENOTAIRE.On peut avantager une femme en ce cas. [embarras. LENOTAIRE.J'ignore pour qui; vousle pouvezconnaître :
ACTE IV, SCÈNE IV. 13

Mais allez de ma part lui dire de ce pas Et voilà pour t'avoir, Georgette, un cotillon.
Que c'est un fou fieffé. (Ils tendent tousdeux la main et prennent l'argent.)
GEORGETTE. NOUSn'y manqueronspas.
SCÈNE IV.
ARNOLPHE, ALAIN,GEORGETTE.
ALAIN. Monsieur...
ARNOLPHE. Approchez-vous;vous êtes mes fidèles,
Mes bons, mesvrais amis, et j'en sais des nouvelles.
ALAIN. Le notaire.
ARNOLPHE. Laissons, c'est pour quelque autre jour.
On veut à mon honneur jouer d'un mauvaistour;
Et quel affront pour vous, mes enfants, pourrait-ce être,
Si l'on avait ôté l'honneur à votre maître!
Vous n'oseriez après paraître en nul endroit;
Et chacun, vous voyant, vous montrerait au doigt.
Donc, puisqu'autant que moi l'affairevous regarde,
Il faut de votre part faire une telle garde
Que ce galant ne puisse en aucune façon...

ACTE '
IV, SCÈNE IV.
ALAIN
le poussant. Horsd'ici.
ARNOLPHE. Bon.

Ce n'est de mesbienfaits qu'un simple échantillon.


Toute la courtoisieenfin dont je vous presse,

ACTE III , SCÈNEIV.


HORACE.
Cettepierre,ouce grès, dontvousvousétonniez
Avecunmotde lettreest tombéeà mespieds.

GEORGETTE.
Vous nous avez tantôt montré notre leçon.
ARNOLPHE.
Maisà sesbeaux discours gardez bien de vous rendre.
ALAIN. Oh! vraiment!
GEORGETTE. NOUSsavonscommeil faut s'en défendre.
ARNOLPHE.
S'il venait doucement : Alain, mon pauvre coeur,
Par un peu de secours soulagema langueur...
ALAIN. Vous êtes un sot.
(A Georgette.)
ARNOLpnE. Bon. Georgette, ma mignonne,
Tu me parais si douce et si bonne peisonne!...
GEORGETTE.
Vous êtes un nigaud.
(A Alain.)
ARNOLPHE. Bon. Quel mal trouves-tu
Dansun dessein honnête et tout plein de vertu?
ALAIN. Vous êtes un fripon.
(A Georgette.)
ARNOLPHE. Fort bien. Bla mort est sûre,
Si tu ne prends pitié des peines que j'endure. ACTE V, SCÈNE III.
GEORGETTE.
VOUSêtes un benêt, un impudent. Non,vousnem'aimezpasautantqueje vousaime.
AGNÈS.
ARNOLPHE. Fort bien.
(A Alain.)
Je ne suis pas un hommeà vouloirrien pour rien ; C'est que je puisse voir votre belle maîtresse.
Je sais, quand on me sert, en garder la mémoire: GEORGETTE
le poussant. A d'autres.
Cependant par avance, Alain, voilà pour boire ; ARNOLPHE. Bon cela.
a L'ECOLE DES FEMMES.
le poussant.
ALAIN Hors d'ici. Et m'instruire avec soin de tousles accidents
ARNOLPHE. Bon. Qui font dansle mallieurtomber les plus prudents;
GEORGETTEle poussant. Maistôt. Des disgrâcesd'autrui profitant dans mon âme,
ARNOLPHE.Bon. Holà! c'est assez. J'ai cherchéles moyens, voulant prendre une femme,
GEORGETTE. Fais-je pas commeil faut? De pouvoirgarantir mon front de tous affronts,
ALAIN. Est-ce de la façonque vous voulezl'entendre ? Et le tirer du pair d'avec les autres fronts ;
ARNOLPHE.Oui, fort bien ; hors l'argent, qu'il ne fallait pas prendre. Pour ce noble dessein, j'ai cru mettre en pratique
GEORGETTE.Nous ne nous sommespas souvenusde ce point. Tout ce que peut trouver l'humaine politique :
ALAIN. Voulez-vousqu'à l'instant nous recommencions? Et, commesi du sort il était arrêté
ARNOLI'IIE. Point : Que nul hommeici-bas n'en serait exempté,
Suffit.Rentrez tous deux. Après l'expérience et toutes les lumières
ALAIN. Vousn'avez rien qu'à dire. Quej'ai pu m'acquérirsur de telles matières,
ARNOLPHE.Non, vous dis-je; rentrez, puisqueje le désire. Après vingt ans et plus de méditation
Je vous laissel'argent. Allez. Je vous rejoins. Pour me conduireen tout avec précaution,
Ayez bien l'oeilà tout, et secondezmes soins. De tant d'autres maris j'aurais quitté la trace
Pour me trouver après dans la même disgrâce!
SCÈNE V. Ah! bourreaude destin, vous en aurez menti.
seul. De l'objet qu'on poursuit je suisencor nanti;
ARNOLPHE Si son coeurm'est volé par ce blondin funeste,
Je veuxpour espionqui soit d'exactevue J'empêcherai du moinsqu'on s'empare du reste;
Prendre le savetierdu coin de notre rue. Et cette nuit qu'on prend pour ce galant exploit
Dans la maisontoujoursje prétends la tenir, Ne se passerapas si doucement qu'on croit.
Y faire bonne garde, et surtout en bannir Ce m'est quelqueplaisir, parmi tant de tristesse,
Vendeusesde rubans, pcrruquières, coiffeuses, Que l'on me donne avis du piège qu'on me dresse,
Faiseusesde mouchoirs, gantières, revendeuses, Et que cet étourdi, qui veut m'être fatal,
Tous ces gens qui sousmain travaillent chaquejour Fasse son confidentde son propre rival.
A faire réussir les mystères d'amour.
Enfin j'ai vu le monde, et j'en saisles finesses. SCÈNE VIII.
Il faudra que mon hommeait de grandesadresses, ARNOLPHE.
Si messageou poulet de sa part peut entrer. CHRYSALDE,
Hé bien! souperons-nousavant la promenade?
CHRYSALDE.
SCÈNE VI. Non. Je jeune ce soir.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE. D'OÙvient cette boutade?
HORACE, ARNOLPHE. De grâce, excusez-moi,j'ai quelqueautre embarras.
ARNOLPHE.
La place m'est heureuseà vousy rencontrer.
HORACE. Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas?
CHRYSALDE.
Je viens de l'échapper bien belle, je vous jure. C'est trop s'inquiéter des affairesdes autres.
ARNOLPHE. 1
Au sortir d'avec vous, sans prévoir l'aventure, Oh! oh! si brusquement! quelschagrins sont les vôtres.
CHRYSALDE.
Seuledans ce balcon j'ai vu paraître Agnès, Serait-il point, compère, à votre passion
Qui des arbres prochainsprenait un peu le frais. Arrivé quelquepeu de tribulation?
Après m'avoir fait signe, elle a su faire en sorte, Je le jurerais presque, à voir votre visage.
Descendantau jardin, de m'en ouvrir la porte : Quoi qu'il m'arrive, au moins aurai-je l'avantage
ARNOLPHE.
Mais à peine tousdeuxdans sa chambre étions-nous, De ne pas ressemblerà de certaines gens
Qu'elle a sur les degrés entendu son jaloux; Qui souffrentdoucementl'approche des galants.
Et tout ce qu'elle a pu dans un tel accessoire, C'est un étrange fait, qu'avec tant de lumières
CHRYSALDE.
C'est de me renfermer dans une grande armoire. Vous vous effarouchieztoujours sur ces matières,
Il est entré d'abord : je ne le voyaispas, Qu'en cela vous mettiez le souverainbonheur,
Biaisje l'oyais marcher, sans rien dire, à grandspas; Et ne conceviezpoint au monde d'autre honneur!
Poussantde temps en temps des soupirspitoyables, Etre avare, brutal, fourbe, méchant et lâche
Et donnant quelquefoisde grandscoupssur les tables, N'est rien, à votre avis, auprès de cette tache;
Frappant un petit chien qui pour lui s'émouvait, Et, de quelquefaçonqu'on puisse avoir vécu,
Et jetant brusquementles hardes qu'il trouvait. On est homme d'honneur quand on n'est point cocu.
Il a même cassé, d'une main mutinée, A le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vouscroire
Desvasesdont la belle ornait sa cheminée; Que de ce cas fortuit dépendenotre gloire,
Et sansdouteil faut bien qu'à ce becque-cornu Et qu'une âme bien née ait à se reprocher
Du trait qu'elle a joué quelque jour soit venu. L'injustice d'un mal qu'on,ne peut empêcher?
Enfin, après vingt tours , ayant de la manière Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme
Sur ce qui n'en peut mais déchargé sa colère, Qu'on soit digne, à son choix, de louangeou de blâme,
Bîonjalouxinquiet, sansdire son ennui, Et qu'on s'aille former un monstre plein d'effroi
Est sorti de la chambre, et moi de mon étui. De l'affront que nousfait son manquementde foi?
Nousn'avons point voulu, de peur du personnage, Mettez-vousdans l'esprit qu'on peut du cocuage
Risquer à nous tenir ensemble davantage; Se faire en galant homme une plus douceimage;
C'était trop hasarder: mais.je dois cette nuit Que, des coups du hasard aucun n'étant garant,
Dans sa chambreun peu tard m'introduire sansbruit. Cet accidentde soi doit être indifférent,
En toussantpar trois fois je me ferai connaître; Et qu'enfin tout le mal, quoiquele monde glose,
Et je dois au signalvoir ouvrir la fenêtre, N'est que dans la façon de recevoir la chose:
Dont, avec une échelle, et secondéd'Agnès, Et, pour se bien conduire en ces difficultés,
Mon amour tâchera de me gagner l'accès. Il y faut, commeen tout, fuir les extrémités,
Commeà mon seul ami, je veuxbien vousl'apprendre; N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires
L'allégressedu coeurs'augmente à la répandre ; Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires,
Et, goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait, De leurs femmes toujoursvont citant les galants,
On n'en est pas content si quelqu'un ne le sait. En font partout l'éloge et prônent leurs talents,
Vous prendrez part, je pense, à l'heur de mes affaires. Témoignent avec eux d'étroites sympathies,
Adieu. Je vais songer aux chosesnécessaires. Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
Et font qu'avec raisonles gens sont étonnés
SCÈNE VII. De voir leur hardiesseà montrer là leur nez.
ARNOLPHE seul. Ce procédé sans doute est tout à fait blâmable:
Maisl'autre extrémité n'est pas moins condamnable;
Quoi! l'astre qui s'obstineà me désespérer Si je n'approuve pas ces amis des galants,
Ne me donnera pas le temps de respirer! Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulents
Coup sur coupje verrai, par leur intelligence, Dont l'imprudent chagrin, qui tempête et qui gronde,
De mes soins vigilants confondrela prudence! Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde,
Et je serai la dupe , en ma maturité, Et qui, par cet éclat, semblentne pas vouloir
D'une jeune innocente et d'un jeune éventé! Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils peuvent avoir.
En sage philosopheon m'a vu, vingt années, Entre ces deux partis il en est un honnête,
Contempler des maris les tristes destinées, Où , dans l'occasion, l'homme prudent s'arrête ;
ACTE V, SCÈNE II. 15

Et, quand on le sait prendre, on n'a pointa rougir Rentrez donc; et surtout gardez de babiller.
ARNOLPHE.
Du pis dont une femme avec nous puisseagir. (Seul.)
Quoi qu'on en puisse dire enfin, le cocuage Voilà pour le prochain une leçon utile ;
Sous des traits moinsaffreuxaisément s'envisage; Et, si tous les maris qui sont en cette ville
Et, comme je vous dis, toute l'habileté De leurs femmesainsi recevaientle galant,
Ne va qu'à le savoirtourner du bon côté. Le nombre des cocusne serait pas si grand.
ARNOLPHE.
Après ce beau discours, toute la confrérie
Doit un remercîment à votre seigneurie;
Et quiconquevoudra vousentendre parler
Blontrerade la joie à s'y voir enrôler.
Je ne dis pas cela, car c'est ce queje blâme :
CHRYSALDE. ACTE CINQUIEME.
Mais, commec'est le sort qui nous donneune femme,
Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés, SCÈNE I.
Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez, ARNOLPHE, ALAIN,GEORGETTE.
Il faut jouer d'adresse, et d'une âme réduite
Corriger le hasard par la bonne conduite. ARNOLPHE.
Traîtres, qu'avez-vousfait par cette violence?
C'est-à-dire dormir et mangertoujoursbien,
ARNOLPHE. ALAIN. Nousvousavons rendu, monsieur, obéissance.
Et se persuader que tout cela n'est rien. ARNOLPHE.
De cette excuseen vain vous voulez vous armer,
CHRYSALDE.
Vous pensez vous moquer : mais, à ne vous rien feindre, L'ordre était de le battre, et non de l'assommer;
Dans le monde je vois cent chosesplus à craindre, Et c'était sur le dos, et non pas sur la tête,
Et dont je me ferais un bien plus grand malheur Quej'avais commandéqu'on fît choir la tempête.
Que de cet accident qui vous fait tant de peur. Ciel ! dans quel accidentme jette ici le sort!
Pensez-vousqu'à choisir de deuxchosesprescrites Et que puis-je résoudreà voir cet homme mort?
Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites Rentrez dans la maison, et gardez de rien dire
Que de me voir mari de ces femmesde bien De cet ordre innocent quej'ai pu vous prescrire.
Dont la mauvaisehumeur fait un procès sur rien, (Seul.)
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses, Le jour s'en va paraître, et je vais consulter
Se retranchant toujours sur leurs sagesprouesses, Commentdans ce malheur je me dois comporter.
Qui, pour un petit tort qu'elles ne nous font pas, Hélas! que deviendrai-je? et que dira le père
Prennent droit de traiter les gens du haut en bas, Lorsqueinopinément il saura cette affaire?
Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,
Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles? SCÈNE II
Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet
Le cocuagen'est que ce que l'on le fait; HORACE, ARNOLPHE.
Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes, à part. Il faut que j'aille un peu reconnaître qui c'est.
HORACE
Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses. ARNOLPHE
se croyant seul. Â-t-on jamais prévu?...
Si vous êtes d'humeur à vous en contenter,
ARNOLPHE. (Heurtépar Horace, qu'il ne reconnaît pas.)
Quant à moi ce n'est pas la mienne d'en tâter; Qui va là, s'il vous plaît?
Et plutôt que subir une telle aventure... HORACE.C'est vous, seigneur Arnolphe?
CHRYSALDE.
Blon Dieu! ne jurez point, de peur d'être parjure. ARNOLPHE. Oui. Maisvous?
Si le sort l'a réglé, vos soins sont superflus, HORACE. C'est Horace.
Et l'on ne prendra pas votre avis là-dessus. Je m'en allais chez vous vous prier d'une grâce.
ARNOLPHE.
Bloi, je serais cocu? Vous sortez bien matin!
CHRYSALDE. Vous voilà bien malade! ARNOLPHE
bas à part. Quelle confusion!
Mille gens le sont bien, sans vous faire bravade, Est-ce un enchantement? est-ceune illusion?
Qui de mine, de coeur,de biens et de maison, J'étais, à dire vrai, dans une grande peine;
HORACE.
Ne feraient avec vous nulle comparaison. Et je bénis du ciel la bonté souveraine
ARNOLPHE.
Et moi, je n'en voudraisavec eux faire aucune. Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre ainsi.
Mais cette raillerie, en un mot, m'importune; Je viens vousavertir que tout a réussi,
Brisonslà, s'il vous plaît. Et même beaucoupplus queje n'eusse osé dire,
CHRYSALDE. Vous êtes en courroux! Et par un incident qui devait tout détruire.
Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous, Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner
Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire, Cette assignationqu'on m'avait su donner :
Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire Biais, étant sur le point d'atteindre à la fenêtre,
Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas. J'ai, contre mon espoir, vu quelquesgens paraître
ARNOLPHE.
Moi, je le jure encore; et je vais de ce pas Qui, sur moi brusquementlevant chacunle bras,
Contre cet accident trouver un bon remède. M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas;
(Il court heurter à sa porte.) Et ma chute, aux dépens de quelque meurtrissure,
De vingt coups de bâton m'a sauvél'aventure.
SCÈNE IX. Ces gens-là, dont était, je pense, mon jaloux,
Ont imputé ma chute à l'effort de leurs coups;
ARNOLPHE, ALAIN,GEORGETTE. Et, comme la douleur, un assezlong espace,
M'a fait sansremuer demeurer sur la place,
ARNOLPHE.
Mes amis, c'est ici que j'implore votre aide. Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avaient assommé,
Je suis édifiéde votre affection: Et chacun d'eux s'en est aussitôt alarmé.
Maisil faut qu'elle éclate en cette occasion; J'entendais tout le bruit dans le profond silence :
Et, si vous m'y servezselon ma confiance, L'un l'autre ils s'accusaientde cette violence:
Vous êtes assurésde votre récompense. Et, sans lumière aucune, en querellant le sort,
L'homme que vous savez, n'en faites point de bruit, Sont venus doucementtâter si j'étais mort.
Veut, commeje l'ai su, m'attraper cette nuit, Je vous laisseà penser si, dans la nuit obscure,
Dans la chambre d'Agnès entrer par escalade; J'ai d'un vrai trépassé su tenir la figure.
Maisil lui faut, nous trois, dresser une embuscade. Ils se sont retirés avec beaucoupd'effroi;
Je veux que vous preniez chacunun bon bâton, Et, commeje songeaisà me retirer, moi,
Et, quand il sera près du dernier échelon, De cette feinte mort la jeune Agnès émue
Car dans le temps qu'il faut j'ouvrirai la fenêtre, Avec empressementest devers moivenue :
Que tousdeux à l'envi vous me chargiez ce traître, Car les discoursqu'entre eux ces gens avaient tenus
Mais d'un air dont son dos garde le souvenir, Jusques à son oreille étaient d'abord venus,
Et qui lui puisseapprendre à n'y plus revenir; Et, pendant tout ce trouble étant moins observée,
Sans me nommer pourtant en aucune manière, Du logis aisémentelle s'était sauvée;
Ni faire aucun semblant que je serai derrière. Mais, me trouvant sans mal, elle a fait éclater
Auriez-vousbien l'esprit de servir mon courroux? Un transport difficileà bien représenter.
ALAIN. S'il ne tient qu'à frapper, mon Dieu ! tout est à nous : Que vous dirai-je? enfin cette aimable personne
Vous verrez, quandje bats, si j'y vais de main morte. A suivi les conseils que son amour lui donne,
GEORGETTE.
La mienne, quoiqu'auxyeux elle semblemoins forte, N'a plus voulu songer à retourner chez soi,
N'en quitte pas sa part à le bien étriller. Et de tout son destin s'est commiseà ma foi.
L'ÉCOLE DES FEMMES.
Considérezun peu, par ce trait d'innocence,
Où l'exposed'un fou la haute impertinence,
Et quels fâcheuxpérils elle pourrait courir, SCÈNE IV.
Si j'étais maintenanthommeà la moins chérir. ARNOLPHE, AGNÈS.
Maisd'un trop pur amour mon âme est embrasée;
J'aimerais mieux mourir que la voir abusée: ARNOLPHE
cachédans son manteau et déguisant sa voix.
Je lui vois des appasdignes d'un autre sort, Venez, ce n'est pas là que je vous logerai,
Et rien ne m'en saurait séparer que la mort. Et votre gîte ailleursest par moi préparé.
Je prévois là-dessusl'emportement d'un père ; Je prétends en lieu sûr mettre votre personne.
Maisnous prendrons le tempsd'apaiser sa colère. (Se faisant connaître.)
A des charmessi douxje me laisse emporter, Ble connaissez-vous?
Et dans la vie enfin il se faut contenter. AGNÈS. Hai!
Ce que je veux de vous sousun secret fidèle, ARNOLPHE. Mon visage, friponne,
C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle; Dans cette occasionrend vossens effrayés,
Que dans votre maison, en faveur de mes feux, Et c'est à contre-coeurqu'ici vousme voyez;
Vous lui donniezretraite au moins un jour ou deux. Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède.
Outre qu'auxyeuxdu monde il faut cacher sa fuite, (Agnèsregarde si elle ne verra point Horace.)
Et qu'on en pourrait faire une exacte poursuite, N'appelezpoint des yeux le galant à votre aide;
Vous savez qu'une fille ausside sa façon Il est trop éloignépour vous donner secours.
Donneavec un jeune homme un étrange soupçon; Ah! ah! si jeune encor, vous jouez de ces tours!
Et commec'est à vous, sûr de votre prudence, Votre simplicité, qui semble sans pareille,
Quej'ai fait de mes feux entière confidence, Demandesi l'on fait des enfants par l'oreille,
C'est à vous seul aussi, commeami généreux, Et vous savezdonnez des rendez-vousla nuit,
Queje puis confierce dépôt amoureux. Et pour suivre un galant vous évader sans bruit!
Je suis, n'en doutez point, tout à votre service.
ARNOLPHE. Tudieu! commeavec lui votre langue cajole!
HORACE.
Vous voulezbien me rendre un si charmantoffice? Il faut qu'on vous ait mise à quelquebonne école!
ARNOLPHE.
Très-volontiers, vous dis-je; et je me sens î-avir Qui diantre tout d'un coup vous en a tarit appris?
De celte occasionquej'ai de vous servir. Vousne craignezdonc plus de trouver des esprits?
Je rends grâces au ciel de ce qu'il me l'envoie, Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie?
Et n'ai jamais rien fait avec si grandejoie. Ah ! coquine, en venir à cette perfidie!
Que je suis redevableà toutesvos bontés!
HORACE. Blalgré tous mesbienfaitsformer un tel dessein!
J'avais de votre part craint des difficultés: Petit serpent que j'ai réchauffédans mon sein ,
Biaisvous êtes du monde, et, dans votre sagesse, Et qui, dès qu'il se sent, par une humeur ingrate
Voussavez excuserle feu de la jeunesse. Cherche à-faire du mal à celui qui le flatte !
Un de mes gens la garde au coin de ce détour. AGNÈS.Pourquoi me criez-vous?
ARNOLPHE.
Biaiscommentferons-nous?car il fait un peu jour. ARNOLpni. J'ai grand tort en effet!
Si je la prends ici, l'on me verra peut-être; AGNÈS.Je n'entends point de mal dans tout ce quej'ai fait.
Et s'il faut que chez moi vous veniezà paraître, Suivreun galant n'est pas une action infâme?
ARNOLPHE.
Des valets causeront.Pour jouer au plus sûr, AGNÈS.C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme :
H faut me l'amener dans un lieu plus obscur. J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêché
Bîon allée est commode, et je l'y vais attendre. Qu'il se faut marier pour ôter le péché.
HORACE.
Ce sont précautionsqu'il est fort bon de prendre. Oui. Mais pour femme, moi, je prétendais vous prendre;
ARNOLPHE.
Pour moi, je ne ferai que vousla mettre en main, Et je vousl'avais fait, me semble, assezentendre.
Et chez moi, sans éclat, je retourne soudain. AGNÈS.Oui. Mais, à vous parler franchemententre nous,
ARNOLPHE
seul. Ah! fortune, ce trait d'aventure propice Il est plus pour cela selon mon goût que vous.
Répare tous les mauxque m'a faits ton caprice. Chez vousle mariage est fâcheuxet pénible,
(Il s'enveloppele nez de son manteau.) Et vos discours en font une image terrible ;
Biais, las! il le fait, lui, si rempli de plaisirs,
SCÈNE III. Que de se marier il donne des désirs.
ARNOLPHE. Ah! c'est que vous l'aimez, traîtresse!
ARNOLPHE.
AGNÈS,HORACE, AGNÈS. Oui, je l'aime.
HORACE
à Agnès. Ne soyezpoint en peine où je vais vous mener; Et vous avez le front de le dire à moi-même!
ARNOLPHE.
C'est un logement sûr que je vous fais donner. AGNÈS.Et pourquoi, s'il est vrai, ne le dirais-jepas?
Vous loger avec moi, ce serait tout détruire : Le deviez-vousaimer, impertinente?
ARNOLPHE.
Entrez dans cette porte, et laissez-vousconduire. AGNÈS. Hélas!
(Arnolphelui prend la main sans qu'elle le connaisse.) Est-ce quej'en puis mais? Lui seul en est la cause;
AGNÈS
à Horace. Pourquoi me quittez-vous? Et je n'y songeaispas lorsque se fit la chose.
HORACE. Chère Agnès, il le faut. Mais il fallait chassercet amoureuxdésir.
ARNOLPHE.
AGNÈS.Songezdonc, je vous prie, à revenir bientôt. AGNÈS.Le moyen de chasserce qui fait du plaisir?
HORACE.
J'en suis assez pressépar ma flamme amoureuse. Et ne savez-vouspas que c'était me déplaire?
ARNOLPHE.
AGNÈS.Quand je ne vous vois point, je ne suis point joyeuse. AGNÈS.Moi? point du tout. Quel mal cela vous peut-il faire?
HORACE.
Hors de votre présence, on me voit triste aussi. Il est vrai, j'ai sujet d'en être réjoui !
ARNOLPHE.
AGNÈS.Hélas! s'il était vrai, vous resteriez ici. Vous ne m'aimezdonc pas, à ce compte?
HORACE.
Quoi! vous pourriez douter de mon amour extrême! AGNÈS. VOUS?
AGNÈS.Non, vous ne m'aimezpas autant que je vous aime. ARNOLPHE. Oui.
(Arnolphela tire.) AGNÈS.Hélas! non.
Ah ! l'on me tire trop. ARNOLPHE. Comment, non!
HORACE. C'est qu'il est dangereux, AGNÈS. Voulez-vousque je mente?
Chère Agnès, qu'en ce lieu nous soyonsvus tous deux; ARNOLPHE.
Pourquoi ne m'aimer pas, madamel'impudente?
Et ce parfait ami de qui la main vous presse AGNÈS.BîonDieu! ce n'est pas moi que vous devezblâmer :
Suit le zèle prudent qui pour nous l'intéresse. Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer?
AGNÈS.Biaissuivre un inconnu que... Je ne vous en ai pas empêché, que je pense.
HORACE. N'appréhendezrien : Je m'y suis efforcé de toute ma puissance;
ARNOLPHE.
Entre de telles mainsvous ne serez que bien. Maisles soins quej'ai pris, je les ai perdus tous.
AGNÈS.Je me trouveraismieuxentre celles d'Horace, AGNÈS.Vraiment il en sait donc là-dessus plus que vous,
Et j'aurais... Car à se faire aimer il n'a point eu de peine.
(A Arnolphe,qui la tire encore.) à part. Voyez commeraisonne et répond la vilaine!
ARNOLPHE
Attendez. Peste! une précieuse en dirait-elle plus?
HORACE. Adieu, le jour me chasse. Ah! je l'ai mal connue; ou, ma foi, là-dessus
AGNÈS.Quand vous verrai-je donc? Une sotte en sait plus que le plus habile homme.
HORACE. Bientôt assurément. (.4Agnès.)
AGNÈS.Queje vais m'ennuyer jusquesà ce moment! Puisqu'en raisonnementsvotre esprit se consomme,
HORACE
en s'en allant. La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long temps
Grâce au ciel, mon bonheur n'est plus en concurrence, Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens?
Et je puis maintenant dormir en assurance. AGNÈS.Non. Il vousrendra tout jusques au dernier double.
ACTE V, SCÈNE VII. 17

bas à part. Elle a de certains mots où mon dépit redouble.


ARNOLPHE
(Haut.) SCENE VI.
Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir, ARNOLPHE.
Les obligationsque vous pouvez m'avoir? HORACE,
AGNÈS.Je ne vous en ai pas de si grandes qu'on pense. Ah! je viens vous trouver, accablé de douleur.
HORACE.
N'est-ce rien que les soins d'élever votre enfance?
ARNOLPHE. Le ciel, seigneurArnolphe, a conclu mon malheur ;
AGNÈS.Vous avez là-dedans bien opéré vraiment, Et, par un trait fatal d'une injustice extrême,
Et m'avez fait en tout instruire joliment ! On me veut arracher de la beauté que j'aime.
Croit-on que je me flatte, et qu'enfin dans ma tête Pour arriver ici mon père a pris le frais ;
Je ne juge pas bien que je suis une bête? J'ai trouvé qu'il mettait pied à terre ici près :
Moi-mêmej'en ai honte; et, dans l'âge où je suis, Et la cause, en un mot, d'une telle venue,
Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis. Qui, comme je disais, ne m'était pas connue,
Vous fuyezl'ignorance, et voulez, quoi qu'il coûte,
ARNOLPHE. C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien,
Apprendre du mondin quelque chose? Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien.
AGNÈS. Sansdoute. Jugez, en prenant part à mon inquiétude,
C'est de lui queje saisce que je peux savoir, S'il pouvait m'arriver un contre-temps plus rude.
Et beaucoupplus qu'à vousje pense lui devoir. Cet Enrique dont hier je m'informais à vous
Je ne sais qui me tient qu'avec une gourmade
ARNOLPHE. Cause tout le malheur dont je ressens les coups :
Ma main de ce discours ne venge la bravade. 11vient avec mon père achever ma ruine,
J'enrage quand je vois sa piquante froideur, Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine.
Et quelques coupsde poing satisferaient mon coeur. J'ai dès leurs premiers mots pensé m'évanouir :
AGNÈS.Hélas! vous le pouvez, si cela vous peut plaire. Et d'abord, sans vouloir plus longtemps les ouïr,
à part. Ce mot et ce regard désarme ma colère
ARNOLPHE Mon père ayant parlé de vous rendre visite,
Et produit un retour de tendressede coeur L'esprit plein de frayeur, je l'ai devancé vite.
Qui de son action effacela noirceur. De grâce, gardez-vousde lui rien découvrir
Chose étrange d'aimer, et que pour ces traîtresses De mon engagementqui le pourrait aigrir;
Les hommessoient sujets à de telles faiblesses! Et tâchez, comme en vousil prend grande créance,
Tout le monde connaît leur imperfection; De le dissuaderde cette autre alliance.
Ce n'est qu'extravaganceet qu'indiscrétion; ARNOLME.
Oui-dà.
Leur esprit est méchant, et leur âme fragile; HORACE. Conseillez-lui de différer un peu,
Il n'est rien de plus faible et de plus imbécile, Et rendez en ami ce service à mon feu.
Rien de plus infidèle : et malgré tout cela ARNOLPHE.
Je n'y manquerai pas.
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là. HORACE. C'est en vous que j'espère.
(A Agnès.) ARNOLPHE.
Fort bien.
Hé bien! faisons la paix. Va, petite traîtresse, HORACE. Et je vous tiens mon véritable père.
Je te pardonne tout et te rends ma tendresse; Dites-lui que mon âge... Ah ! je le vois venir!
Considèrepar là l'amour que j'ai pour toi, Ecoutezles raisons que je vous puis fournir.
Et, me voyant si bon, en revanche aime-moi.
AGNÈS.Du meilleur de mon coeurje voudraisvous complaire : SCÈNE VII.
Que me coûterait-il, si je le pouvais faire? ENRIQUE, ORONTE,CHRYSALDE, HORACE,ARNOLPHE.
Mon pauvre petit coeur,tu le peux, si tu veux.
ARNOLPHE.
Ecoute seulementce soupir amoureux, (Horace et Arnolphe se retirent dans un coin du théâtre et parlent
Vois ce regard mourant, contemple ma personne, bas ensemble.)
Et quitte ce morveuxet l'amour qu'il te donne. ENRIQUEà Chrysalde. Aussitôt qu'à mes yeux je vous ai vu paraître,
C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi, Quand on ne m'eût rien dit, j'aurais su vous connaître.
Et tu seras cent fois plus heureuseavec moi. J'ai reconnu les traits de cette aimable soeur
Ta forte passion est d'être brave et leste, Dont l'hymen autrefoism'avait fait possesseur;
Tu le seras toujours, va, je te le proteste; Et je serais heureux si la parque cruelle
Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai, M'eût laissé ramener cette épouse fidèle,
Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai ; Pour jouir avec moi des sensiblesdouceurs
Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire: De revoir tous les siens après nos longs malheurs.
Je ne m'explique point, et cela, c'est tout dire. Biais, puisque du destin la fatale puissance
(Bas à part.) Nous prive pour jamais de sa chère présence,
Jusqu'où la passionpeut-elle faire aller ! Tâchonsde nous résoudre, et de nous contenter
(Haut.) Du seul fruit amoureux qui m'en ait pu rester.
Enfin à mon amour rien ne peut s'égaler : Il vous touche de près, et sans votre suffrage
Quelle preuve veux-tu que je t'en donne, ingrate? J'aurais tort de vouloir disposer de ce gage.
Me veux-tu voir pleurer ? Veux-tu que je me batte ? Le choix du fils d'Oronte est glorieux de soi ;
Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux? Mais il faut que ce choixvous plaise comme à moi.
Veux-tu que je me tue ? Oui, dis si tu le veux, CHRYSALDE. C'est de mon jugement avoir mauvaiseestime,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme. Que douter si j'approuve un choixsi légitime.
AGNÈS.Tenez, tous vos discoursne me touchent point l'âme : ARNOLPHE à part à Horace. Oui, je veuxvous servir de la bonne façon.
Horace avec deux mots en ferait plus que vous. HORACEà part à Arnolphe. Gardez encore un coup...
ARNOLPHE.
Ah ! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux. ARNOLPHE à Horace. N'ayez aucun soupçon.
Je suivrai mon dessein, bête trop indocile, (Arnolphe quitte Horacepour aller embrasserOronte.)
Et vous dénicherez à l'instant de la ville. ORONTEà Arnolphe. Ah! que cette embrassadeest pleine de tendresse!
Vousrebutez mes voeuxet me mettez à bout ; ARNOLPHE. Queje sens à vous voir une grande allégresse!
Maisun cul de couvent me vengera de tout. ORONTE. Je suis ici venu ..
ARNOLPHE. Sans m'en faire récit,
SCÈNE V. Je sais ce qui vous mène.
ORONTE. On vous l'a déjà dit?
ARNOLPHE, AGNÈS,ALAIN. ARNOLPHE. Oui.
ALAIN. Je ne sais ce que c'est, monsieur; mais il me semble ORONTE. Tant mieux.
Qu'Agnès et le corps mort s'en sont allés ensemble. ARNOLPHE. Votre fils à cet hymen résiste ,
ARNOLPHE.
La voici. Dans ma chambre allez me la nicher. Et son coeurprévenu n'y voit rien que de triste :
(Apart.) Il m'a même prié de vous en détourner.
Ce ne sera pas là qu'il la viendra chercher. Et moi, tout le conseil que je vous puis donner,
Et puis, c'est seulement pour une demi-heure. C'est de ne pas souffrir que ce noeudse diffère ,
Je vais, pour lui donner une sûre demeure, Et de faire valoir l'autorité de père.
(AAlain.) Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens,
Trouver une voiture. Enfermez-vousdes mieux, Et nous faisonscontre eux à leur être indulgents.
Et surtout gardez-vousde la quitter des yeux. HORACEà part. Ah ! traître !
CHRYSALDE. Si son coeura quelque répugnance,
Peut-être que son âme, étant dépaysée, Je tiens qu'on ne doit pas lui faire résistance.
Pourra de cet amour être désabusée. Mon frère, que je crois, sera de mon avis.
18 L'ECOLE DES FEMMES.

Quoi ! se laissera-t-il gouvernerpar son fils?


ARNOLPHE. Jusqu'au revoir.
Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse ORONTE. OÙ donc prétendez-vous aller?
De ne savoir pas faire obéir la jeunesse? Vous ne nous parlez point comme il nous faut parler.
Il serait beau vraiment qu'on le vît aujourd'hui Je vous ai conseillé, malgré tout,son murmure,
ARNOLPHE.
Prendre loi de qui doit la recevoir de lui ! D'achever l'hyménée.
Non, non : c'est mon intime ; et sa gloire est la mienne : ORONTE. Oui : mais pour le conclure,
Sa parole est donnée; il faut qu'il la maintienne; Si l'on vousa dit tout, ne vous a-t-on pas dit,
Qu'il fassevoir ici de fermes sentiments, Que vous avez chez vous celle dont il s'agit,
Et force de son fils tous les attachements. La fille qu'autrefois de l'aimable Angélique
ORONTE.C'est parler comme il faut; et.dans cette alliance Sous des liens secrets eut le seigneur Enrique?
C'est moi qui vous réponds de son obéissance. Sur quoi votre discoursétait-il donc fondé .'
à Arnolphe. Je suis surpris, pour moi, du grand empresse- CHRYSALDE.
CHRYSALDE Je m'étonnaisaussi de voir son procédé.
Que vous me faites voir pour cet engagement, [ment; ARNOLPHE.
Quoi ?
Et ne puis deviner quel motif vous inspire... CHRYSALDE. D'un hymen secret ma soeureut une fille
Je saisce que je fais, et dis ce qu'il faut dire.
ARNOLPHE. Dont on cacha le sort à toute la famille.
ORONTE.Oui, oui, seigneur Arnolphe, il est... ORONTE.
Et qui, sousde feints noms, pour ne rien découvrir,
CHRYSALDE.' Ce nom Faigrit ; Par son époux aux champs fut donnée à nourrir.
C'est monsieur de la Souche; on vous l'a déjà dit. CHRYSALDE.
Et, dans ce temps, le sort, lui déclarant la guerre,
ARNOLPHE.
Il n'importe. L'obligea de sortir de sa natale terre.
HORACE
à part. Qu'entends-je ! ORONTE.
Et d'aller essuyer mille périls divers
se tournant vers Horace.
ARNOLPHE Oui, c'est là le mystère, Dansces lieux séparés de nous par tant de mers.
Et vous pouvezjuger ce que je devais faire. CHRYSALDE.
Où ses soins ont gagné ce que dans sa patrie
à part. En quel trouble...
HORACE Avaient pu lui ravir l'imposture et l'envie.
Et, de retour en France, il a cherchéd'abord
ORONTE.
SCÈNE VIII. Celle à qui de sa fille il confiale sort.
ENRIQUE, ORONTE,CHRYSALDE, HORACE,ARNOLPHE, GEORGETTE.CHRYSALDE.Et cette paysanne a dit avec franchise
Qu'en vos mains à quatre ans elle l'avait remise.
GEORGETTE. Monsieur, si vous n'êtes auprès, ORONTE.
Et qu'elle l'avait fait, sur votre charité,
Nous auronsde la peine à retenir Agnès; Par un accablementd'extrême pauvreté.
Elle veut à tous coupss'échapper, et peut-être CHRYSALDH.
Et lui, plein de transport et l'allégresse en l'âme,
la
Qu'elle se pourrait bien jeter par fenêtre. A fait jusqu'en ces lieux conduire cette femme.
ARNOLPHE.
Faites-la-moi venir; aussi bien de ce pas ORONTE.
Et vous allez enfinla voir venir ici
(AHorace.) Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci.
Prétends-je l'emmener. Ne vous en fâchez pas : à Arnolphe.Je devine à peu près quel est votre supplice :
CHRYSALDE
Un bonheur continu rendrait l'homme superbe; Mais le sort en cela ne vous est que propice.
dit
Et chacun a son tour, comme le.proverbe. Si n'être point cocu vous sembleun si grand bien,
à
HORACE part. Quels maux peuvent, ô ciel ! égaler mes ennuis? Ne vous point marier en est le vrai moyen.
Et s'est-on jamais vu dans l'abîme où je suis? ARNOLPHE
s'en allant tout transporté et ne pouvant parler.
à Oronte. Pressezvite le jour de la cérémonie,
ARNOLPHE Ouf!
J'y prends part; et déjà moi-mêmeje m'en prie.
ORONTE.C'est bien là mon dessein. SCÈNE X.
SCÈNE IX. ENRIQUE,ORONTE,CHRYSALDE, AGNÈS,HORACE.
ORONTE. D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire?
AGNÈS,ORONTE,ENRIQUE, ARNOLPHE, HORACE,CHRYSALDE, HORACE. Ah ! mon père,
ALAIN,GEORGETTE. Vous saurezpleinement ce surprenant mystère.
ARNOLPHE
à Agnès. Venez, belle, venez, Le hasard en ces lieux avait exécuté
Qu'on ne saurait tenir, et qui vous mutinez, Ce que votre sagesseavait prémédité.
Voici votre galant, à qui, pour récompense, J'étais, par les douxnoeudsd'une amour mutuelle,
Vous pouvez faire une humble et douce révérence. Engagé de parole avecque cette belle ;
(A Horace.) Et c'est elle en un mot que vousvenez chercher,
Adieu. L'événement trompe un peu vos souhaits: Et pour,qui mon refusa pensé vous fâcher.
Mais tous les amoureuxne sont pas satisfaits. Je n'en ai point douté d'abord queje l'ai vue,
ENRIQUE.
AGNÈS. Me laissez-vous,Horace, emmener de la sorte ? Et mon âme depuis n'a cesséd'être émue.
HORACE.Je ne sais où j'en suis, tant ma douleur est forte. Ah ! ma fille, je cède à des transports si doux.
Allons, causeuse,allons!
ARNOLPHE. CHRYSALDE.
J'en ferais de bon coeur, mon frère, autant que vous;
AGNÈS. Je veux rester ici. Mais ces lieux et cela ne s'accommodentguères.
ORONTE.Dites-nous ce que c'est que ce mystère-ci: Allons dans la maison débrouillerces mystères,
Nousnous regardons tous sans le pouvoir comprendre. Payer à notre ami ses soins officieux,
Avec plus de loisir je pourrai vous l'apprendre.
ARNOLPHE. Et rendre grâÇaiajuei/Svoruifait tout pour le mieux.

FIN BE L'ÉCOLE
DESFEMMES.
LA
CRITIQUE

DE L'ÉCOLE DES FEMMES,

COMÉDIE EN UN &CTE.

A LA REINE MÈRE.
MADAME, qui prouve si bien que la véritable dévotion n'est point contraire aux
W^gv^/ honnêtes divertissements; qui, de ses hautes pensées et de ses impor-
Je sais bien que VOTRE MAjESTEn^qTîe faire de toutes nos dédicaces, tantes occupations, descend si humainement dans le plaisir de nos
et que ces prétendus devoirs dont on lui dit élégamment qu'on s'ac- spectacles, et ne dédaigne pas de rire de cette même bouche dont
quitte envers elle sont des hommages, à dire vrai, dont elle nous dis- elle .prie si bien Dieu : je flatte, dis-je, mon esprit de l'espérance de
penseraittrès-volontiers : mais je ne laisse pas d'avoir l'audace de lui cette gloire, j'en attends le moment avec toutes les impatiences du
dédier la Critique de l'Ecoledes Femmes, et je n'ai pu refuser cette monde; et, quand je jouirai de ce bonheur, ce sera la plus grande
petite occasionde pouvoir témoigner ma joie à VOTRE MAJESTÉ sur cette joie que puisse recevoir,
heureuseconvalescencequi redonneà nosvoeuxla plusgrande etla meil- MADAME,
leure princesse du monde, et nous promet en elle de longues années DEVOTRE MAJESTÉ
d'une santé vigoureuse. Comme chacun regarde les choses du côté de Le très-humble, très-obéissant et très-fidèleserviteur
ce qui le touche,je me réjouis, dans cette allégressegénérale, de pou-
voirencoreavoir l'honneur de divertirvoxREMAJESTÉ; elle,MADAME, MOLIÈRE.

PERSONNAGES.
URANIE. DORANTE ou LE CHEVALIER.
ÉLISE. LYSIDAS, poëte.
CLIMÈNE. GALOPIN, laquais.
LE MARQUIS.
La scèneest à Paris, dans la maison d'Uranie.
SCÈNE I. URANIE. -On ne dit pas cela aussi comme une chose spirituelle, et
la plupart de ceux qui affectent ce langage savent bien eUx-mêmes
URANIE,ÉLISE. qu'il est ridicule.
URANIE. - Quoi ! cousine, personne ne t'est venu rendre visite? ÉLISE. - Tant pis encore de prendre peine à dire des et
ÉLISE.- Personne du monde. d'être mauvais plaisants de dessein formé. Je les en tienssottises,
moins ex-
URANIE.-Vraiment! voilà qui m'étonne, que nous ayons été seules cusables; et si j'en étais juge, je sais bien à quoi je condamnerais tous
l'une et l'autre tout aujourd'hui. ces messieursles turlupins.
ÉLISE.- Cela m'étonne aussi : car ce n'est guère notre coutume; URANIE. - Laissonscette matière, qui t'échauffe un
peu trop, et di-
et notre maison, Dieu merci, est le refuge ordinaire de tous les fai- sons que Dorantevient bien tard, à mon avis, pour le souper que nous
néantsde la cour. devons faire ensemble.
URANIE. - L'après-dînée, à vrai dire, m'a semblé fort longue. ÉLISE. - Peut-être l'a-t-il oublié, et que...
ÉLISE. - Et moi, je l'ai trouvée fort courte.
URANIE. - C'est que les beaux esprits, cousine, aiment la solitude. SCÈNE IL
ÉLISE.- Ah! très-humble servante au bel esprit! vous savez que
ce n'est pas là que je vise. URANIE,ÉLISE,GALOPIN.
URANIE. - Pour moi, j'aime la compagnie, je l'avoue. GALOPIN. - Voilà Climène, madame, qui vient ici
pour vous voir.
ÉLISE.- Je l'aime aussi; maisje ljairne;.choisie; et la quantité des URANIE.-Hé! mon Dieu! quelle visite !
sottesvisites qu'il vous faut essuyer parmi; les:autres est cause bien ÉLISE. - Vous vous plaigniez d'être seule, aussi le ciel vousen
.URANIE. - Vite, qu'on aille dire-que je n'y suis punit.
souventqueje prends plaisir d'être seule, . pas.
URANIE. - La délicatesse est trop grande de ne pouvoir souffrirque GALOPIN.-On a déjà dit que vous y étiez.
des gens triés. URANIE.-Et qui est le sot qui l'a dit?
ÉLISE.- Et la complaisanceest trop générale 4e - souffririndiffé- GALOPIN. - Moi, madame.
remmenttoutes sortes de personnes. -
URANIE. Diantre soit le petit vilain ! Je vous apprendrai bien à
URANIE. - Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des faire vos réponses de vous-même.
GALOPIN. - Je vais lui dire, madame, que vous voulez être
extravagants. - Arrêtez, animal, et la laissez sortie.
ÉLISE.- Mafoi les extravagantsne vont guère loin sans vous en- URANIE. monter, puisque la sottise
nuyer, et la plupart de ces gens-là ne sont plus plaisants dèsla seconde est faite.
visite. Mais,à propos d'extravagants,ne voulez-vouspas me défairede GALOPIN.
-
-Elle parle encore à un homme dans la rue.
votre marquisincommode? Pensez-vousme le laisser toujours sur les URANIE. Ah ! cousine, que cette visite m'embarrasse à l'heure
bras, et queje puisse durer à ses turlupinades perpétuelles? qu'il est !
URANIE. - Ce langage est à la mode , et l'on le tourne en plaisan- ÉLISE.- Il est vrai que la dame est un peu embarrassantede son
terie à la cour. naturel : j'ai toujours eu pour elle une furieuse aversion; et, n'en dé-
ÉLISE.- Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour plaise à sa qualité, c'est la plus sotte bête qui se soit jamais'mêlée de
à parler ce jargon obscur. Labelle chose de faire entrer aux conver- raisonner.
sationsdu Louvre de vieilles équivoques ramassées parmi les boues URANIE.-L/épithète est un peu forte.
des halles et de la place Maubert! La jolie façon de plaisanter pour ÉLISE.- Allez, allez, elle mérite bien cela, et quelque chose de
des courtisans! et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous plus si on lui faisait justice. Est-ce qu'il y a une personne qui soit
dire : Madame,vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous plus véritablement qu'elle ce qu'on appelle précieuse,à prendre le mot
voit de trois lieuesde Paris, car chacun vous voit de bon oeil; à cause dans sa plus mauvaise signification?
- Elle se défend bien de ce nom
que Eonneuilest un village à trois lieues d'ici ! Cela n'est-il pas bien URANIE.
- Il est vrai, elle se défend du pourtant.
galant et bien spirituel, et ceux qui trouvent ces belles rencontres ÉLISE. nom, mais non pas de la
n'ont-ils pas lieu de s'en glorifier? chose : car enfin elle l'est depuis les pieds jusqu'à la tête, et la plus
20 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEBIMES.

grande façonnièredu monde. Il semble que tout son corps soit dé- URANIE. -Moi, je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse
monté, et que les mouvementsde ses hanches, de ses épauleset de sa la pudeur.
tête n'aillent que par ressorts. Elle affecte toujours un ton de voix CLIMÈNE.-Hélas!tout; et je mets en fait qu'une honnête femme
languissant et niais, fait la moue pour montrer une petite bouche, et ne la saurait voir sans confusion, tant j'y ai découvertd'ordures et de
roule les yeux pour les faire paraître grands. saletés.
URANIE. - Doucementdonc. Si elle venait à entendre... URANIE. - Il faut donc que pour les ordures vous ayez des lumières
ÉLISE. - Point, point; elle ne monte pas encore. Je me souviens que les autres n'ont pas; car, pour moi, je n'y en ai point vu.
toujoursdu soir qu'elle eut envie de voir Damon, sur la réputation -
CLIMÈNE.C'est que vousne voulezpas y eu avoir vu, assurément;
qu'on lui donne et les choses que le public a vues de lui. Vous con- car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert:
naissez l'hommeet sa naturelle paresseà soutenirla conversation.Elle elles n'ont pas la moindre enveloppequi les couvre, et les yeux les
l'avait invité à souper commebel esprit, et jamais il ne parut si sot plus hardis sont effrayésde leur nudité.
parmi une demi-douzainede gens à qui elle avait fait fête de lui, et ÉLISE. - Ah!
qui le regardaient avec de grands yeux, commeune personne qui ne CLIMÈNE. - Hai, liai, bai.
devait pas être faite comme les autres. Ils pensaient tous qu'il était là URANIE. - Mais encore, s'il vous plaît, marquez-moiune de ces or-
pour défrayer la compagniede bons mots; que chaqueparole qui sor- dures que vous dites.
tait de sa bouche devait être extraordinaire; qu'il devait faire des im- CLIMÈNE. - Hélas! est-il nécessairede vous les marquer?
promptus sur tout ce qu'on disait, et ne demanderà boire qu'avec une URANIE. - Oui. Je vousdemandeseulementun endroit qui vous ait
pointe. Biaisil les trompa fort par son silence; et la dame fut aussi fort choquée.
- En faut-il d'autres que la scène de cette Agnès lors-
mal satisfaitede lui que je le fus d'elle. CLIMÈNE.
URANIE. - Tais-toi. Je vais la recevoir à la porte de la chambre. qu'elle dit-ce qu'on lui a pris?
ÉLISE. - Encore un mot. Je voudrais bien la voir mariée avec le URANIE. Et que trouvez-vouslà de sale?
marquis dont nous avons parlé : le bel assemblageque ce serait d'une CLIMÈNE. - Ah !
précieuse -et d'un turlupin ! URANIE. - De grâce.
URANIE. Veux-tu te taire , la voici ! CLIMÈNE. - Fi!
URANIE. - Maisencore?
SCÈNE III. CLIMÈNE. - Je n'ai rien à vous dire.
URANIE. - Pour moi, je n'y entends point de mal.
CLIMÈNE, URANIE,ÉLISE,GALOPIN. CLIMÈNE. - Tant pis pour vous.
URANIE. - Vraiment, c'est bien tard que... URANIE. -Tant mieux plutôt, ce me semble: je regarde les choses
CLIMÈNE. - Hé ! de grâce, ma chère, faites-moivite donner un siège. du côté qu'on me les montre, et ne les tourne point pour y chercher
URANIE à Galopin. - Un fauteuil promptement. ce qu'il ne faut pas voir.
CLIMÈNE. - Ah! mon Dieu! CLIMÈNE. - L'honnêtetéd'une femme. .
URANIE. - Qu'est-ce donc? URANIE. - L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il
CLIMÈNE. - Je n'en puis plus. sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L'affec-
URANIE. - Qu'avez-vous? tation en cette matière est pire qu'en toute autre; et je ne vois rien
CLIMÈNE. - Le coeurme manque. de si ridicule que cette délicatessed'honneur qui prend tout en mau-
URANIE. - Sont-ce vapeurs qui vous ont pris ? vaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, el
CLIMÈNE. - Non. s'offensede l'ombre des choses. Croyez-moi, celles qui font tant de
-
URANIE. Voulez-vousqu'on vous délace ? façonsn'en sont pas estimées plus femmesde bien; au contraire, leur
CLIMÈNE. - Mon Dieu! non. Ah ! sévérité mystérieuseet leurs grimaces affectéesirritent la censure de
URANIE. - Quel est donc votre mal? et depuisquandvous a-t-il pris? tout le monde contre les actionsde leur vie. On est ravi de décou-
CLIMÈNE. - H y a plus de trois heures, et je l'ai apporté du Palais- vrir ce qu'il y peut avoir à redire : et, pour tomber dans l'exemple,
Royal. - il y avait l'autre jour des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la
URANIE. Comment? loge où nous étions, qui, par les mines qu'elles affectèrent durant
CLIMÈNE. Je viens de voir pour mes péchés cette méchante rapsodie toute la pièce, leurs détournements de tête et leurs cachementsde
de l'Ecole des Femmes.Je suisencore en défaillancedu mal de coeur visage, firent dire de tous côtés cent sottisesde leur conduite que l'on
que cela m'a donné; et je pense que je n'en reviendrai de plus de n'aurait pas dites sans cela; et quelqu'un même des laquais cria tout
quinze jours. haut qu'elles étaient plus chastes des oreilles que de tout le reste du
ÉLISE.-Voyez un peu commelesmaladiesarrivent sansqu'onysonge! corps.
-
URANIE.Je ne sais pas de quel tempérament nous sommesma cou- CLIMÈNE. -Enfin il faut être aveugle dans cette pièce, et ne pas
sine et moi; mais nous fûmes avant hier à la même pièce, et nous en faire semblant d'y voir les choses.
revînmes toutes deux saines et gaillardes. URANIE. - Il ne faut pas y vouloir voir ce qui n'y est pas.
CLIMÈNE. - Quoi! vous l'avez vue? CLIMÈNE. - Ah! je soutiens, encore un coup, que les saletés y crè-
URANIE. - Oui, et écoutéed'un bout à l'autre. vent les yeux.
CLIMÈNE. - Et vous n'en avez pas été jusques aux convulsions,ma URANIE. - Et moi, je ne demeure pas d'accord de cela.
chère? CLIMÈNE. - Quoi! la pudeur n'est pas visiblementblesséepar ce que
URANIE. - Je ne suis pas si délicate, Dieu merci; et je trouve pour dit Agnès dans l'endroit dont nous parlons?
moi que cette comédieserait plutôt capable de guérir les gens que de URANIE. - Non vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit
les rendre malades. fort honnête; et, si vous voulezentendre dessousquelqueautre chose,
CLIMÈNE.-Ah!mon Dieu! que dites-vous là! Cette proposition c'est vous qui faites l'ordure, et non pas elle, puisqu'elle parle seule-
peut-elle être avancée par une personne qui ait du revenu en sens ment d'un ruban qu'on lui a pris.
commun?Peut-onimpunément, commevous faites, rompre en visière CLIMÈNE. -Ah! ruban tant qu'il vous plaira; mais ce le où elle
à la raison? Et, dans le vrai de la chose, est-il un esprit si affamé s'arrête n'est pas mis pour des prunes. Jl vient sur ce le d'étranges
de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette comédie pensées: ce le scandalisefurieusement;et, quoi que vous puissiezdire,
est assaisonnée?Pour moi, je VJUSavoueque je n'ai pas trouvé le vousne sauriezdéfendre l'insolence de ce le.
moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l'oreillem'ont ÉLISE.- Il est vrai, ma cousine, je suis pour madamecontre ce le.
paru d'un goût détestable; la tarte à la crèmem'a affadile coeur, et Ce le est insolent au dernier point, et vousaveztort de défendrece le.
j'ai pensé vomir au.potage. CLIMÈNE. - Il a une obscénité qui n'est pas supportable.
ÉLISE. - Mon Dieu! que tout cela est dit élégamment!J'aurais cru ÉLISE. - Comment dites-vousce mot-là, madame?
. que celte pièce était bonne : mais madamea une éloquencesi persua- CLIMÈNE. - Obscénité, madame.
sive , elle tourne les chosesd'une manière si agréable, qu'il faut être ÉLISE. - Ah ! mon Dieu! obscénité! Je ne sais ce que ce mot veut
-de son sentiment malgré qu'on en ait. dire; mais je le trouve le plus joli du monde.
URANIE. - Pour moi, je n'ai pas tant de complaisance;et pour dire CLIMÈNE. - Enfin vous voyez commevotre sang prend mon parti.
ma pensée, je tiens cette comédieune des plus plaisantesque l'auteur URANIE. - Hé ! mon Dieu! c'est une causeusequi ne dit pas ce qu'elle
ait produites.
- Ah! vousme faites pitié de parler ainsi, et je ne saurais pense, ne vous y fiez pas beaucoupsi vousm'en voulez croire!
CLIMÈNE. ÉLISE. - Ah ! que vousêtes méchantede mevouloir rendre suspecte
vous souffrir cette obscurité de discernement. Peut-on, ayant de la à madame! Voyez un peu où j'en serais si elle allait croire ce que
vertu, trouver de l'agrément dans une pièce qui tient sans cessela vous dites. Serais-je si malheureuse, madame, que vous eussiez de
pudeur en alarmes et salit à tout moment l'imagination? moi cette pensée?
ÉLISE. - Les jolies façons de parler que voilà! que vous êtes, ma- CLIMÈNE. -; Non, non ; je ne m'arrête pas à ses paroles, et je vous
dame, une rude joueuse en critique! et queje plains le pauvre Mo- crois plus sincère qu'elle ne dit.
lière de vous avoir pour ennemie! ÉLISE. Ah ! que vous avezbien raison, madame! et que vousme ren-
CLIMÈNE. - Croyez-moi, ma chère, corrigez de bonne foi votre drez justicequand vous croirez que je vous trouve la plus engageante
jugement: et, pour votre honneur, n'allez point dire par le monde personne du monde, quej'entre danstousvossentiments,et je suis char-
que cette comédievousa plu. mée de toutes les expressionsqui sortent de votre bouche!
SCÈNE VI. a
CLIMÈNE. - Hélas ! je parle sans affectation. URANIE. - Voilà monsieurle marquisqui en dit force mal.
- On le voit bien, madame, et que tout est naturel en vous.
ÉLISE. LEMARQUIS, - Il est vrai, je la trouve détestable, morbleu! détes-
Vosparoles, le ton de votre voix, vos regards, vos pas, votre action table , du dernier détestable, ce qu'on appelle détestable.
et votre ajustement ont je ne sais quel air de qualité qui enchanteles DORANTE. - Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement dé-
p-ens.Je vous étudie des yeux et des oreilles; et je suis si remplie de testable.
vous, que je tâche d'être votre singe et de vous contrefaire en tout. LEMARQUIS. - Quoi ! chevalier, est-ceque tu prétends soutenir cette
CLIMÈNE.- Vous vous moquezde moi, madame. pièce ?
- Pardonnez-moi, madame.Qui voudrait se moquer de vous?
ÉLISE. DORANTE. - Oui, je prétends la soutenir.
CLIMÈNE. ?- Je ne suis pas un bon modèle, madame. LEMARQUIS. - Parbleu ! je la garantis détestable.
ÉLISE.- Oh que si, madame! -
DORANTE.La caution n'est pas bourgeoise. Biais, marquis, par
CLIMÈNE.-? Vous me flattez, madame. quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis ?
ÉLISE.- Point du tout, madame. LEMARQUIS. - Pourquoi est-elle détestable?
CLIMÈNE.- Epargnez-moi, s'il vous plaît, madame. DORANTE. - Oui.
-
ÉLISE. Je vous épargne aussi, madame; et je ne dis pas la moitié LEMARQUIS. Elle est détestable, parce qu'elle est détestable.
de ce queje pense, madame. -
DORANTE.Après cela il n'y a plus rien à dire, voilà son procès
CLIMÈNE. - Ah! mon Dieu! brisons là, de grâce! Vous me jetteriez fait; mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont.
dans une confusion épouvantable.Enfin (à Uranie) nous voilà deux LEMARQUIS. - Que sais-je,moi? Je ne mesuis pas seulement donné
contre vous; et l'opiniâtreté sied si mal auxpersonnes spirituelles... la peine de l'écouter. Biaisenfin je saisbien que je n'ai jamais rien
vu de si méchant, Dieu me sauve! et Dorilas, contre,qui j'étais, a été
SCÈNE IV. de mon avis.
DORANTE. - L'autorité est belle, et te voilàbien appuyé!
LEMARQUIS, CLIMÈNE, URANIE,ÉLISE,GALOPIN. LEMARQUIS. - H ne faut que voir les continuels éclats de rire que
GALOPIN à la porte de la chambre.- Arrêtez, s'il vous plaît, mon- le parterre y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner
sieur! qu'elle ne vaut rien.
LEMARQUIS. - Tu ne me connaispas, sans doute! DORANTE. - Tu es donc, marquis, de ces messieursdu bel air qui ?
GALOPIN. - Si fait, je vous connais; mais vous n'entrerez pas. ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient
LEMARQUIS. - Ah ! que de bruit, petit laquais! fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chosedu monde?Je
GALOPIN. - Cela n'est pas bien de vouloir entrer malgré les gens. vis l'autre jour sur le théâtre un de nos amis qui se rendit ridicule
LEMARQUIS. - Je veux voir ta maîtresse. par là. II écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du
GALOPIN. - Elle n'y est pas, vous dis-je. monde; et tout ce qui égayait les autres ridait son front. A tous les
LEMARQUIS. - La voilà dans sa chambre. éclats de risée, il haussaitles épaules,et regardait le parterre en pitié ;
GALOPIN. - Il est vrai, la voilà : mais elle n'y est pas. et quelquefoisaussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut :
-
URANIE.Qu'est-ce donc qu'il y a là? Ris donc, parterre, ris donc. Ce fut une secondecomédieque le cha-
LEMARQUIS. - C'est votre laquais, madame, qui fait le sot. grin de notre ami : il la donna en galant hommeà toute l'assemblée,
GALOPIN. - Je lui dis que vous n'y êtes pas, madame; et il ne veut et chacun demeurad'aecord qu'on ne pouvaitpas mieuxjeuer qu'il fit.
pas laisser-d'entrer. Apprends, marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sensn'a
URANIE.Et pourquoi dire à monsieur queje n'y suis pas? point de place déterminée à la comédie; que la différencedu demi-
GALOPIN. - Vous me grondâtes l'autre jour de lui avoir dit que vous louis d'or et de 4a pièce de quinze sous ne fait rien du tout au bon
y étiez. goût; que debout ou assis on peut donner un mauvaisjugement; et
URANIE.- Voyez cet insolent! Je vous prie, monsieur, de ne pas qu'enfin, à le prendre en général, je me fierais assezà l'approbation
croirece qu'il dit. C'est un petit écerveléqui vous a pris pour un autre. du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composentil y en a
LEMARQUIS. -Je l'ai bien vu, madame; et, sans votre respect, je plusieursqui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et
lui auraisappris à connaître les gens de qualité. que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se
ÉLISE.- Ma cousinevous est fort obligéede cette déférence. laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni
URANIE à Galopin. - Un siège donc, impertinent ! complaisanceaffectée, ni délicatesseridicule.
GALOPIN. - N'en voilà-t-il pas un? LEMARQUIS. - Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre !
URANIE. - Approchez-le. Parbleu ! je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir que tu
(Galopinpousse le siège rudementet sort.) es de ses amis. Hai, liai, hai, hai, liai, hai.
DORANTE. - Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne
SCÈNE V. sauraissouffrirles ébullitionsde cerveaude nos marquisde B'Iascarille.
LE MARQUIS, CLIMÈNE, URANIE,ÉLISE. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules malgré leur
qualité; de ces gens qui décident toujours et parlent hardiment de
LEMARQUIS. - Votre petit laquais, madame, a du mépris pour ma toutes chosessans s'y connaître; qui, dans une comédie, se récrieront
personne. auxméchantsendroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons; qui,
ÉLISE.- Il aurait tort, sans doute. voyant un tableau ou écoutant un concert de musique, blâment de
LEMARQUIS. - C'est peut-être queje paye l'intérêt de ma mauvaise même, et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les
mine (Il rit.) Hai, hai, hai, liai. termes de l'art qu'ils attrapent, et ne manquentjamais de les estro-
ÉLISE. - L'âge le rendra plus éclairé en honnêtes gens. pier et de les mettre hors de place. Hé! morbleu! messieurs, taisez-
LEMARQUIS. - Sur quoi en étiez-vous, mesdames, lorsqueje vous vous. Quand Dieu ne vous a pas donné la connaissanced'une chose,
ai interrompues? n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler; et songez
URANIE. - Sur la comédie de l'Ecoledes Femmes. qu'en ne disant mot on croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.
LEMARQUIS. - Je ne fais que d'en sortir. LEMARQUIS. - Parbleu ! chevalier, tu le prends là...
CLIMÈNE. - Hé bien, monsieur, commentla trouvez-vous,s'il vous DORANTE. - Bîon Dieu! marquis, ce n'est pas à toi que je parle;
plaît ? c'est à une douzaine de messieurs qui déshonorent les gens de cour
LEMARQUIS. - Tout à fait impertinente. par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le peuple que
CLIMÈNE. - Ah ! que j'en suis ravie! nous nous ressemblonstous. Pour moi, je m'en veux justifier le plus
LEMARQUIS. - C'est la plus méchante chose du monde. Comment qu'il me sera possible; et je les dauberai tant'en toutes rencontres,
diable! à peine ai-je pu trouver place. J'ai pensé être étouffé à la qu'à la fin ils se rendront sages.
porte, et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme -
LEMARQUIS.Dis-moi un peu, chevalier : crois-tu que Lysandre
mescanons et mes rubans sont ajustés, de grâce ! ait de l'esprit?
ÉLISE.- Il est vrai que cela crie vengeance contre l'Ecole des DORANTE. - Oui, sans doute, et beaucoup.
Femmes,et que vous la condamnezavec justice. URANIE. - C'est une chose qu'on ne peut pas nier.
LEMARQUIS. - Il ne s'est jamais fait, je pense, une si méchanteco- LEMARQUIS. - Demande-luice qu'il lui semble de l'EcoledesFem-
médie. mes , tu verras qu'il te dira qu'elle ne lui plaît pas.
URANIE. - Ah! voici Dorante, que nous attendions. DORANTE. - Hé ! mon Dieu! il y en a beaucoupque le trop d'esprit
gâte, qui voient mal les chosesà force de lumières, et même qui se-
SCÈNE VI. raient bien fâchés d'être de l'avis des autres, pour avoir la gloire de
décider.
DORANTE, CLIMÈNE, URANIE,ÉLISE,LE MARQUIS. URANIE. - Il est vrai. Notre ami est de ces gens-là, sans doute. Il
DORANTE. - Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre dis- veut être le premier de son opinion, et qu'on attende par respect son
cours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait jugement. Toute approbationqui marche avant la sienneest un atten-
presque l'entretien de toutes les maisons de Paris ; et jamais on n'a tat sur ses lumières, dont il se venge hautement en prenant le con-
rien vu de si plaisant que la diversité des jugementsqui se font là- traire parti. Il veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit;
dessus: car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens et je suis sûre que si l'auteur lui eût montré sa comédieavant que de
par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus. la faire voir au public, il l'eût trouvéela plus belle du monde.
22 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEBIMES.

LEMARQUIS. - Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la DORANTE. - lion, lion, vous êtes un méchant diable, monsieur Ly-
publie partout pour épouvantable,et dit qu'elle n'a pu jamais souffrir sidas; vous ne dites pas ce que vouspensez.
les ordures dont elle est pleine ? LYSIDAS. - Pardonnez-moi.
DORANTE. - Je dirai que cela est digne'du caractère qu'elle a pris, DORANTE. - Mon Dieu! je vous connais. Ne dissimulonspoint.
et qu'il y a des personnes qui se rendent ridicules pour avoir trop -
LYSIDAS.Moi, monsieur?
d'honneur. Bien qu'elle ait de l'esprit, ellea suivi le mauvaisexemple DORANTE. - Je vois bien que le bien que vous dites de cette pièce
de celles qui, étant sur le retour de l'âge, veulent remplacer de quel- n'est que par honnêteté, et que, dans le fond du coeur,vous êtes de
que chose ce qu'elles voient qu'elles perdent, et prétendent que les l'avis de beaucoup de gens qui la trouvent mauvaise.
grimaces d'une pruderie scrupuleuseleur tiendront lieu de jeunesseet LYSIDAS. - Hai, hai, hai.
de beauté. Celle-ci pousse l'affaire plus avant qu'aucune; et l'habileté DORANTE. - Avouez, ma foi, que c'est une méchante chose que
de son scrupule découvredes saletés où jamaispersonnen'en avaitvu. cette comédie.
On tient qu'il va, ce scrupule, jusqu'à défigurer notre langue, et LYSIDAS. - Il est vrai qu'elle n'est pas approuvée par les con-
qu'il n'y a presque point de mots dont la sévérité de cette dame ne naisseurs.
veuilleretrancher ou la tête ou la queuepour les syllabesdéshonnêtes LEMARQUIS. - Ma foi, chevalier, tu en tiens, et te voilà payé de ta
qu'elle y trouve. raillerie. Ah, ah, ah, ah, ah.
URANIE. - Vous êtes bien fou, chevalier. DORANTE. - Pousse, mon cher marquis, pousse!
LEMARQUIS. - Enfin , chevalier, tu crois défendre ta comédieen LEMARQUIS. - Tu vois que nous avonsles savantsde notre côté.
faisant la satire de ceux qui la condamnent. DORANTE. - Il est vrai, le jugement de monsieur Lysidasest quel-
DORANTE. - Non pas ; mais je tiens que cette dame se scandaliseà que chose de considérable; mais monsieur Lysidasveut bien queje
tort... # ne me rende pas pour cela : et puisque j'ai bien l'audace de me dé-
ÉLISE. - Tout beau, monsieur le chevalier ! il pourrait y en avoir fendre contre les sentiments de madame (montrant Climène), il ne
d'autres qu'elle qui seraient dans les mêmessentiments. trouvera pas mauvais queje combatteles siens.
DORANTE. - Je sais bien que ce n'est pas vous, au moins; et que, ÉLISE. - Quoi! vous voyezcontre vous madame, monsieurle mar-
lorsque vous avez vu cette représentation... quis et monsieur Lysidas; et vous osez résister encore! Fi! que cela
ÉLISE. -Il est vrai, mais j'ai changé d'avis; et madame (montrant est de mauvaisegrâce!
Climène)sait appuyer le sien par des raisons si convaincantes, qu'elle CLIMÈNE. - Voilà qui me confond, pour moi, que des personnes
m'a entraînée de son côté. raisonnablesse puissent mettre en tète de donner protection aux sot-
DORANTE à Climène.- Ah ! madame, je vous demande pardon; et, tises de cette pièce.
si vous le voulez,je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que LEMARQUIS. -Dieu me damne! madame, elle est misérable depuis
j'ai dit. le commencementjusqu'à la fin.
CLIMÈNE. - Je ne veux pas que ce soit pour l'amour de moi, mais DORANTE. - Cela est bientôt dit, marquis. Il n'est rien plus aisé
pour l'amour de la raison : car enfin cette pièce, à le bien prendre, que de trancher ainsi; et je ne vois aucune chose qui puisse être à
est tout à fait indéfendable; et je ne conçoispas... couvert de la souverainetéde tes décisions.
URANIE. - Ah! voici l'auteur, monsieur Lysidas. Il vient tout à LEMARQUIS. - Parbleu! tous les autres comédiens qui étaient là
propos pour cette matière. Monsieur Lysidas, prenez un siège vous- pour la voir en ont dit tous les mauxdu monde.
même, et vous mettez là. DORANTE. - Ah! je ne dis plus mot; tu as raison, marquis. Puisque
SCÈNE VII. les autres comédiens en disent du mal, il faut les en croire assuré-
ment : ce sont tous gens éclairés et qui parlent sans intérêt. Il n'y a
LYSIDAS, CLIMÈNE, URANIE,ÉLISE,DORANTE, LE MARQUIS. plus rien à dire, je me rends.
LYSIDAS. - Madame,je viens un peu tard : mais il m'a fallu lire CLIMÈNE. -Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien
ma pièce chez madamela marquise dont je vous avais parlé; et les que vous ne me persuaderezpoint de souffrirles immodestiesde cette
louangesqui lui ont été données m'ont retenu une heure plus que je pièce, non plus que les satires désobligeantesqu'on y voit contre les
ne croyais. femmes.
ÉLISE. - C'est un grand charme [que les louangespour arrêter un URANIE. - Pour moi, je me garderai bien de m'en offenseret de
auteur. prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit. Ces sortes de sa-
URANIE. - Asseyez-vousdonc, monsieur Lysidas; nous lirons votre tires tombent directement sur les moeurs, et ne frappent les per-
pièce après souper. sonnes que par réflexion.N'allons point nous appliquera nous-mêmes
LYSIDAS. - Tous ceux qui étaient là doivent venir à sa première les traits d'une censure générale; et profitons de la leçon, si nous
représentation, et m'ont promis de faire leur devoir commeil faut. pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures
URANIE. - Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez-vous,s'il vous ridicules qu'on exposesur les théâtres doivent être regardées sans cha-
plaît. Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que grin de tout le monde. Ce sont miroirs publics où il ne faut jamais
nous poussions. témoigner qu'on se voie ; et c'est se taxer hautement d'un défaut que
LYSIDAS. - Je pense, madame, que vous retiendrez aussi une loge se scandaliser qu'on le reprenne.
pour ce jour-là? CLIMÈNE. - Pour moi, je ne parle pas de ces chosespar la part que
URANIE. - Nous verrons. Poursuivons,de grâce, notre discours. j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans le monde à ne
LYSIDAS. - Je vous donneavis, madame,qu'elles sont presque toutes pas craindre d'être cherchée dans les peinturés qu'on fait là des
retenues. femmes qui se gouvernentmal.
URANIE. -Voilà qui est bien. Enfin j'avais besoin de vous, lorsque ÉLISE. - Assurément,madame,on ne vous y cherchera point. Votre
vous êtes venu, et tout le monde était ici contre moi. conduite est assez connue, et ce sont de ces sortes de choses qui ne
ÉLISE à Uranie en montrant Dorante.- Il s'est mis d'abord de votre sont contestéesde personne.
côté : mais maintenant qu'il sait que madame (montrant Climène)est URANIE à Climène.- Aussi, madame, n'ai-je rien dit qui aille à
à la tête du parti contraire, je pense que vous n'avez qu'à chercher vous; et mes paroles, comme les satires de la comédie, demeurent
un autre secours. dans la thèse générale.
CLIMÈNE. - Non, non, je ne voudraispas qu'il fît mal sa cour au- CLIMÈNE. - Je n'en doute pas, madame. Biaisenfin passonssur ce
près de madame votre cousine, et je permets à son esprit d'être du chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vousrecevez les injures qu'on
parti de son coeur. dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce; et pour moi, je
DORANTE. - Avec cette permission, madame, je prendrai la har- vous avoue que je suis dans une colère épouvantablede voir que cet
diesse de me défendre. auteur impertinent nous appelle des animaux.
URANIE. - Mais, auparavant, sachons un'.peu les sentiments de URANIE. - Ne voyez-vouspas que c'est un ridicule qu'il fait parler?
monsieur Lysidas. DORANTE. - Et puis, madame, ne savez-vouspas que les injures des
LYSIDAS. - Sur quoi, madame? amants n'offensent jamais; qu'il est des amours emportés aussi bien
URANIE. - Sur le sujet de l'Ecoledes Femmes. que des doucereux; et qu'en de pareilles occasionsles paroles les plus
LYSIDAS. - Ah! ah! étranges, et quelque chose de pis encore, se prennent bien souvent
DORANTE. - Que vous en Semble? pour des marques d'affectionpar celles mêmes qui les reçoivent?
LYSIDAS. - Je n'ai rien à dire là-dessus, et voussavezqu'entre nous ÉLISE. - Dites tout ce que vous voudrez,je ne saurais digérer cela,
autres auteurs nous devons parler des ouvragesles uns des autresavec non plus que le potage et la tarie à la crèmedont madamea parlé
beaucoupde circonspection. tantôt.
DORANTE. - Mais encore, entre nous, que pensez-vous de cette LEMARQUIS. - Ah ! ma foi, oui, tarte à la crème! Voilà ce quej'avais
comédie? remarqué tantôt; tarte à la crèmel Queje vous suis obligé, madame,
LYSIDAS. - Bloi, monsieur? de m'àvoir fait souvenir de tarte à la crème!Y a-t-il assezde pommes
URANIE. - De bonne foi, dites-nous votre av!sj en Normandie pour tarte à la crème? Tarte à la crème, morbleu!
LYSIDAS. - Je la trouvefort belle. tarte à la crème!
DORANTE. -- Assurément? DORANTE. - Hé bien! que veux-tu dire? tarte à la crème!
LYSIDAS. -^ Assurément. Pourquoi noii, H'est-eîlé pas éti effet la LEMARQUIS. - Parbleu! tarte à la crème, chevalier.
plus belle du monde? DORANTE; - Mais encore?
SCÈNE VII. 23

LEMARQUIS. - Tarte à la crème. vicieusecoutume d'assassinerles gens de leurs ouvrages,leur friandise


DORANTE. - Dis-nous un peu tes raisons? de louanges, leurs ménagementsde pensées, leur trafic de réputation,
LEMARQUIS. - Tarte à la crème. et leurs ligues offensiveset défensives, aussibien que leurs guerres
URANIE.- Biaisil faut expliquersa pensée, ce me semble. d'esprit et -leurs combatsde prose et de vers.
LEMARQUIS. - Tarte à la crème, madame. LYSIDAS.Molièreest bien heureux, monsieur, d'avoir un protec-
URANIE. - Que trouvez-vouslà à redire? teur aussi chaud que vous. Biais enfin, pour venir au fait, il est ques-
LEMARQUIS. - Moi? rien. Tarie à la crème. tion de savoirsi sa pièce est bonne; et je m'offre d'y montrer partout
URANIE. --Ah! je le quitte. _ cent défauts visibles.
ÉLISE.- Monsieur le marquis s'y prend bien et vous bourre de la URANIE. - C'est une étrange chose de vous autres messieurs les
belle manière. Maisje voudraisbien que monsieur Lysidasvoulût les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde
acheveret leur donner quelquespetits coups de sa façon. court et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va !
LYSIDAS.- Ce n'est pas ma coutumede rien blâmer, et je suis assez Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres
indulgentpour les ouvrages des autres. Biais enfin, sans choquer l'a- une tendresse qui n'est pas concevable.
- C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affligés.
mitié que monsieurle chevaliertémoigne pour l'auteur, on m'avouera DORANTE.
que ces sortes de comédies ne sont pas proprement des comédies, et URANIE. - Mais, de grâce, monsieur Lysidas, faites-nous voir ces
qu'il y a une [grande différence de toutes ces bagatelles à la beauté défauts dont je ne me suis point aperçue.
- Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord,
des pièces sérieuses.Cependant tout le monde donne là-dedans au- LYSIDAS.
jourd'hui; on ne court plus qu'à cela, et l'on voit une solitude ef- madame, que cette comédie pèche contre toutesles règles de l'art.
froyableaux grands ouvrageslorsque des sottises ont tout Paris. Je URANIE. -Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces mes-
vous avoue que le coeurm'en saigne quelquefois,et cela est honteux sieurs-là, et que je ne sais point les règles de l'art.
pourla France. DORANTE. - Vous êtes de plaisantesgens avec vos règles dont vous
CLIMÈNE. - Il est vrai que le goût des gens est étrangement gâté embarrassezles ignorants et nous étourdisseztousles jours! Il semble,
là-dessus,et que le siècle s'encanaillefurieusement. à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mys-
ÉLISE.- Celui-làest joli encore, s'encanaille! Est-cevous qui l'avez tères du monde, et cependant ce ne sont que quelques observations
inventé, madame? aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on
CLIMÈNE. - Hé! prend à ces sortesde poèmes; et le même bon sens qui a fait autrefois
ÉLISE.- Je m'en suisbien doutée. ces observationsles fait fort aisément tous les jours sans le secours
DORANTE. - Vous croyez donc, monsieur Lysidas, que tout l'esprit d'Horace et d'Aristote. Je voudraisbien savoir si la grande règle de
et toute la beauté sont dans les poèmessérieux, et que les pièces co- toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui
miquessont des niaiseries qui ne méritent aucune louange? a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un
URANIE. -Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans public s'abusesur ces sortesde choses,et que chacun n'y soit pasjuge
doute, est quelque chose de beau quand elle ost bien touchée; mais la du plaisir qu'il y prend?
comédiea ses charmes, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile URANIE. - J'ai remarqué une chose de ces messieurs-là: c'est que
que l'autre. - ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieux que les
DORANTE.Assurément, madame; et quand, pour la difficulté, autres, font des comédies que personne ne trouvebelles.
vousmettriez un peu plus du côté de la comédie, peut-être que vous DORANTE. - Et c'est ce qui marque, madame, comme on doit s'ar-
ne vousabuseriezpas : car enfin je trouve qu'il est bien plus aisé de rêter peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si les pièces qui
seguinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, ac- sont selon les règles ne plaisent pas, et que celles qui plaisent ne
cuserles deslins, et dire des injures aux dieux, que d'entrer comme soient pas selon les règles, il faudrait, de nécessité, que les règles
il fautdans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le eussentété mal faites. Moquons-nousdonc de cette chicane où ils veu-
théâtreles défautsde tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, lent assujettirle goût du public, et ne consultonsdans une comédieque
vousfaitesce que vous voulez; ce sont des portraits à plaisir, où l'on l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux
ne cherchepoint de ressemblance;et vous n'avez qu'à suivreles traits choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchonspoint de
d'une imaginationqui se donne l'essor, et qui souventlaissele vrai raisonnementspolir nous empêcher d'avoir du plaisir.
pourattraper le merveilleux. Mais, lorsquevous peignezles hommes, URANIE. - Pour moi, quandje vois une comédie, je regarde seule-
il faut peindre d'après nature : on veut que ces portraits ressemblent; ment si les chosesme touchent; et, lorsque je m'y suisbien divertie,
et vousn'avez rien fait si vous n'y faites reconnaître les gens de votre je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Aristote me
siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être défendaientde rire.
pointblâmé, de dire des chosesqui soientde bon senset bien écrites: DORANTE. - C'est justement comme un homme qui aurait trouvé
maisce n'est pas assezdans les autres, il y faut plaisanter; et c'est une sauce excellente, et qui voudrait examinersi elle est bonne sur
une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. les préceptes du Cuisinierfrançais.
CLIMÈNE. - Je crois être du nombredes honnêtes gens, et cependant URANIE. - Il est vrai ; et j'admire les raffinementsde certaines gens
je n'ai pas trouvéle mot pour rire dans tout ce que j'ai vu. sur des choses que nous devons sentir nous-mêmes.
LEMARQUIS. - Ma foi, ni moi non plus. DORANTE.-Vousavez raison, madame, de les trouver étranges,
DORANTE. - Pour toi, marquis, je ne m'en"étonnepas : c'est que tu tous ces raffinementsmystérieux.Car enfin, s'ils ont lieu, nous voilà
n'y as point trouvé de turlupinades. réduits à ne nous plus croire, nos propres sens seront esclavesen
LYSIDAS. - Ma foi, monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère toutes choses; et, jusqu'au manger et au boire, nous n'oserons plus
mieux; et toutes les plaisanteries y sont assez froides, à mon avis. trouver rien de bon sans le congé de messieursles experts.
DORANTE. - La cour n'a pas trouvé cela... LYMDAS.-Enfin, monsieur, toute votre raison, c'est que l'Ecole
LYSIDAS. -Ah! monsieur, la cour! desFemmesa plu ; et vous ne vous souciez point qu'elle ne soit pas
DORANTE. - Achevez, monsieur Lysidas.Je vois bien que vousvou- dans les règles, pourvu...
lez dire que la cour ne se connaît pas à ces choses; et c'est le refuge DORANTE. - Tout beau, monsieur Lysidas; je ne vous accorde pas
ordinairede vousautres messieursles auteurs, dans le mauvaissuccès cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que, cette comédie
de vos ouvrages,que d'accuser l'injustice du siècle et le peu de lu- ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assezpour
mièresdes courtisans. Sachez, s'il vous plaît, monsieur Lysidas, que elle, et qu'elle doit peu se soucier du reste. Mais, avec cela, je sou-
les courtisansont d'aussi bons yeux que d'autres ; qu'on peut être ha- tiens qu'elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez : je
bile avec un point de Venise et des plumes aussi bien qu'avec une les ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre; et je ferais voir aisément
perruque courte et un petit rabat uni ; que la grande épreuvede toutes que peut-être n'avons-nous point de pièce au théâtre plus régulière
vos comédies, c'est le jugement de la cour; que c'est son goût qu'il que celle-là.
faut étudier pour trouver l'art de réussir; qu'il n'y a point de lieu où ÉLISE.- Courage, monsieur Lysidas! nous sommes perdus si vous
les décisionssoient si justes; et, sans mettre en ligne de compte tous reculez.
les gens savants qui y sont, que, du simple bon sens naturel et du LYSIDAS. - Quoi! monsieur, la protase, l'épitase et la péripétie....
commercede tout le beau monde, on s'y fait une manière d'esprit DORANTE. - Ah! monsieur Lysidas, vous nous assommezavec vos
qui, sans comparaison,juge plus finement des choses que tout le sa- grands mots. Ne paraissezpoint si savant, de grâce! humanisezvotre
voir enrouillédes pédants. discours, et parlez pour être entendu. Pensez-vous qu'un nom grec
URANIE.- Il est vrai que,
pour peu qu'on y demeure , il vous passe
la tous les jours assez de choses donne plus de poids à vos raisons, et ne trouveriez-vouspas qu'il fût
devant les pour acquérir quelque aussi beau de dire l'exposition du sujet que la protase, le noeudque
habitudede les connaître, et surtout pour yeux ce qui est de la bonne ou l'épitase, et le dénoûment que la péripétie !
mauvaiseplaisanterie. -
LYSIDAS.Ce sont termes de l'art, dont il est permis de se servir.
DORANTE. - La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord; Mais, puisque ces mots blessent vos oreilles, je m'expliqueraid'une
et je suis, commeon voit, le
premier à les fronder : mais, ma foi, il autre façon, et je vousprie de répondre positivementà trois ou quatre
I en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession; et, si choses que je vais dire. Peut-on souffrirune pièce qui pèche contre
on
jles joue quelques
et
marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoijouer le nom propre des pièces de théâtre? Car enfinle nom de poème dra-
auteurs, que ce serait une chose plaisante à mettre sur le théâ- matique vient d'un mot grec qui signifieagir, pour montrer que la
tre que leurs grimaces savantes et leurs raffinementsridicules, leur nature de ce poëme consistedans l'action; et, dans cette comédie-ci,
24 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

il ne se passepoint d'actions, et tout consisteen des récits que vient DORANTE. - Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la
faire ou Agnès ou Horace. lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante,il n'est pas
LEMARQUIS. -Ah! ah! chevalier! incompatiblequ'une personne soit ridicule en de certaineschoses et
CLIMÈNE. - Voilà qui est spirituellementremarqué, et c'est prendre honnêtehomme en d'autres. Et, pour la scèned'Alain et de Georgette
le fin des choses. dans le logis, que quelques-unsont trouvée longue et froide, il est
LYSIDAS. - Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien certain qu'elle n'est pas sans raison; et, de même qu'Arnolphe se
de si bas, que quelquesmots où tout le monde rit, et surtout celui des trouve attrapé pendant son voyagepar la pure innocencede sa maî-
enfantspar l'oreille? tresse, il demeureau retour longtempsà sa porte par l'innocence de
CLIMÈNE. - Fort bien. ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses qu'il a cru faire
-
ÉLISE. Ah ! la sûreté de ses précautions.
LYSIDAS. - La scènedu valet et de la servante au dedansde la mai- LEMARQUIS. - Voilà desraisons qui ne valent rien.
sonn'est-elle pas d'une longueurennuyeuseet toutà fait impertinente? CLIMÈNE. - Tout cela ne fait que blanchir.
LEMARQUIS. - Cela est vrai. ÉLISE. - Cela fait pitié.
CLIMÈNE. - Assurément. DORANTE. - Pour le discoursmoral que vous appelezun sermon, il
-
ÉLISE. Il a raison. est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas trouvé qu'il
LYSIDAS. - Arnolphe ne donne-t-il pas trop librement son argent choquât ce que vousdites; et sansdoute que ces paroles à'enfer et de
à Horace?Et puisquec'est le personnageridicule de la pièce, fallait- chaudièresbouillantessont assez justifiées par l'extravagance d'Ar-
il lui faire faire l'action d'un honnêtehomme? nolphe et par l'innocencede celle à qui il parle. Et quant au transport
LEMARQUIS. - Bon. La remarque est encore bonne. amoureuxdu cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop
-
CLIMÈNE.Admirable. comique, je voudrais bien savoir si ce n'est pas faire la satire des
ÉLISE. - Merveilleuse. amants, et si les honnêtes gens même et les plus sérieux, en de pa-
LYSIDAS. - Le sermon et les maximesne sont-ils pas des choses reilles occasions,ne font pas des choses...
ridiculeset qui choquentmêmele respectque l'on doit à nos mystères? LEMARQUIS. - Mafoi, chevalier, tu feraismieuxde te taire.
LEMARQUIS. - C'est bien dit. DORANTE. - Fort bien. Biais enfin si nous nous regardions nous-
-
CLIMÈNE.Voilà parler commeil faut. mêmes, quand nous sommesbien amoureux...
ÉLISE. - Il ne se peut rien de mieux. LEMARQUIS. - Je ne veux pas seulementt'écouter.
LYSIDAS. - Et ce monsieurde la Souche, enfin, qu'on nous fait un DORANTE. - Ecoute-moisi tu veux. Est-ce que dans la violence de
homme d'esprit et qui paraît si sérieux en tant d'endroits, ne des- la passion?...
cend-il point dans quelquechosede trop comique et de trop outré au LEMARQUIS. - La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la.
cinquièmeacte, lorsqu'il expliqueà Agnès la violencede son amour (Il chante.)
avec ces roulements d'yeux extravagants,ces soupirs ridiculeset ces DORANTE. - Quoi!...
larmes niaises qui font rire tout le monde? LEMARQUIS. - La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
LEMARQUIS. - Morbleu! merveille! DORANTE. - Je ne sais pas si...
-
CLIMÈNE.Miracle! LEMARQUIS. - La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
ÉLISE. - Vivat monsieur Lysidas! URANIE. - Il me sembleque...
LYSIDAS. - Je laissecent milleautreschoses,de peur d'être ennuyeux. LEMARQUIS. - La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.
LEMARQUIS. - Parbleu! chevalier, te voilàmal ajusté. URANIE. - Il se passe des chosesassezplaisantesdans notre dispute.
DORANTE. - Il faut voir. Je trouve qu'on en pourrait bien faire une petite comédie,et que cela
LEMARQUIS. - Tu as trouvé ton homme. ne serait pas trop mal à la queue de l'Ecole des Femmes.
DORANTE. - Peut-être. DORANTE. - Vous avez raison.
LEMARQUIS. - Réponds, réponds, réponds, réponds. LEMARQUIS. - Parbleu! chevalier, tu jouerais là-dedansun rôle qui
DORANTE. - Volontiers. II... ne te serait pas avantageux.
LEMARQUIS. - Répondsdonc, je te prie. DORANTE. - Il est vrai, marquis.
-
DORANTE.Laisse-moidonc faire. Si... CLIMÈNE. - Pour moi, je souhaiteraisque cela se fît pourvu qu'on
LEMARQUIS. - Parbleu! je te défiede répondre. traitât l'affaire comme elle s'est passée.
DORANTE. - Oui, si tu parles toujours. ÉLISE. - Et moi, je fourniraisde bon coeurmon personnage.
CLIMÈNE. - De grâce, écoutonsses raisons. LYSIDAS. - Je ne refuseraispas le mien, queje pense.
DORANTE. -Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la URANIE. -Puisque chacun en serait content, chevalier, faites un
pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoupd'actions qui se passent mémoirede tout, et le donnez à Molière, que vous connaissez,pour
sur la scène : et les récits eux-mêmesy sont des actions suivant la le mettre en comédie.
constitutiondu sujet; d'autant qu'ils sont tousfaits innocemment, ces CLIMÈNE. - Il n'aurait garde, sans doute, et ce ne serait pas des
récits, à la personneintéressée, qui, par là, entre à tous coupsdans vers à sa louange.
une confusionà réjouir les spectateurs, et prend, à chaque nouvelle, URANIE. - Point, point : je connais son humeur; il ne se soucie
toutes les mesuresqu'il peut pour se parer du malheur qu'il craint. pas qu'on fronde ses pièces,pourvu qu'il y vienne du monde.
URANIE. - Pour moi, je trouve que la beauté du sujet de l'Ecole DORANTE. - Oui. Mais quel dénoûment pourrait-il trouver à ceci?
des Femmesconsistedans cette confidenceperpétuelle; et ce qui me car il ne saurait y avoir ni mariage ni reconnaissance, et je ne sais
paraît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'esprit et qui est point par -où l'on pourrait faire finir la dispute.
averti de tout par une innocente qui est sa maîtresseet par un étourdi URANIE.Il faudrait rêver à quelqueincident pour cela.
qui est son rival -
ne puisse avec cela éviter ce qui lui arrive.
LEMARQUIS.Bagatelle, bagatelle. SCÈNE VIII.
CLIMÈNE. - Faible réponse.
ÉLISE. - Mauvaisesraisons. CLIMÈNE, URANIE,ÉLISE,DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS,
DORANTE. - Pour ce qui est des enfants par l'oreille, ils ne sont plai- GALOPIN.
sants que par réflexionà Arnolphe; et l'auteur n'a pas mis cela pour GALOPIN. - Madame, on a servi sur table.
être de soi un bon mot : mais seulementpour une chose qui caracté- DORANTE. - Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénoûment
rise l'homme, et peint d'autant mieux son extravagance, puisqu'il que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On
rapporte une sottisetriviale qu'a dite Agnès, commela chose la plus disputera fort et ferme de part et d'autre, commenous avonsfait,
belle du monde et qui lui donne une joie inconcevable. sans que personne se rende ; un-petit laquais viendra dire qu'on a
LEMARQUIS. - C'est mal répondre. servi, on se lèvera , et chaptfn/jr^s^ft^rx
CLIMÈNE. - Cela ne satisfaitpoint. -
URANIE. La comédie/në^pe'bjbpas *(ateùïfinir, et nousferons bien
ÉLISE. - C'est ne rien dire. d'en demeurer là. " ^t-.../v';.
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.- %

FIN DELA CRITIQUE


DE L'ÉCOLEDESFEMMES.

PlouFrères,ruede Vaugirard,36.
Paris.Typographie

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