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Document n°1 Thérèse Raquin, Emile Zola, 1868

Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du Pont-
Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce
passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées,
descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est
noir de crasse.
Par les beaux jours d’été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre
tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d’hiver,
par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la
nuit salie et ignoble.
À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des
souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d’enfant, des
cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l’ombre ; les vitrines,
faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres ; au-delà,
derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans
lesquels s’agitent des formes bizarres.
À droite, sur toute la longueur du passage, s’étend une muraille contre laquelle les
boutiquiers d’en face ont plaqué d’étroites armoires ; des objets sans nom, des marchandises
oubliées là depuis vingt ans s’y étalent le long de minces planches peintes d’une horrible
couleur brune. Une marchande de bijoux faux s’est établie dans une des armoires ; elle y vend
des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d’une boîte
en acajou.
Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte
d’une lèpre et toute couturée de cicatrices.
Le passage du Pont-Neuf n’est pas un lieu de promenade. On le prend pour éviter un
détour, pour gagner quelques minutes. Il est traversé par un public de gens affairés dont
l’unique souci est d’aller vite et droit devant eux. On y voit des apprentis en tablier de travail,
des ouvrières reportant leur ouvrage, des hommes et des femmes tenant des paquets sous leur
bras ; on y voit encore des vieillards se traînant dans le crépuscule morne qui tombe des
vitres, et des bandes de petits enfants qui viennent là, au sortir de l’école, pour faire du tapage
en courant, en tapant à coups de sabots sur les dalles. Toute la journée, c’est un bruit sec et
pressé de pas sonnant sur la pierre avec une irrégularité irritante ; personne ne parle, personne
ne stationne ; chacun court à ses occupations, la tête basse, marchant rapidement, sans donner
aux boutiques un seul coup d’œil. Les boutiquiers regardent d’un air inquiet les passants qui,
par miracle, s’arrêtent devant leurs étalages.
Le soir, trois becs de gaz, enfermés dans des lanternes lourdes et carrées, éclairent le
passage. Ces becs de gaz, pendus au vitrage sur lequel ils jettent des taches de clarté fauve,
laissent tomber autour d’eux des ronds d’une lueur pâle qui vacillent et semblent disparaître
par instants. Le passage prend l’aspect sinistre d’un véritable coupe-gorge ; de grandes
ombres s’allongent sur les dalles, des souffles humides viennent de la rue ; on dirait une
galerie souterraine vaguement éclairée par trois lampes funéraires. Les marchands se
contentent, pour tout éclairage, des maigres rayons que les becs de gaz envoient à leurs
vitrines ; ils allument seulement, dans leur boutique, une lampe munie d’un abat-jour, qu’ils
posent sur un coin de leur comptoir, et les passants peuvent alors distinguer ce qu’il y a au
fond de ces trous où la nuit habite pendant le jour. Sur la ligne noirâtre des devantures, les
vitres d’un cartonnier flamboient : deux lampes à schiste trouent l’ombre de deux flammes
jaunes. Et, de l’autre côté, une bougie, plantée au milieu d’un verre à quinquet, met des étoiles
de lumière dans la boîte de bijoux faux. La marchande sommeille au fond de son armoire, les
mains cachées sous son châle.
Document n°2 Entretien avec Pierre Liscia, FIGAROVOX

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - L’élu du XVIIIe arrondissement publie « La


honte », un livre-choc sur l’état de la capitale. À six mois des municipales, il fustige
l’incompétence d’Anne Hidalgo.
Pierre Liscia est élu (non-inscrit) du XVIIIe arrondissement de Paris, ancien chroniqueur
dans l’émission « Terriens du dimanche ». Il vient de publier La honte. Paris: ce que vous ne
savez pas (Albin Michel, 2019).

Dans ce livre, j’ai tenté de comprendre pourquoi et comment la Ville Lumière avait ainsi
perdu de son éclat.
Vous êtes élu du XVIIIe arrondissement où se trouve la Porte de la chapelle. Quelles
solutions politiques durables peut-on trouver à la situation infernale qui s’y est établie?
Je suis élu du XVIIIe mais je suis d’abord et surtout riverain de la Chapelle. J’ai été en
première ligne de cette descente aux enfers de la Porte de la Chapelle où la Mairie a
délibérément concentré les difficultés dans un quartier qui était déjà extrêmement fragile et
sinistré. Dans mon livre, je reviens longuement sur ce cynisme irresponsable dont ont fait
preuve les élus parisiens et le mépris avec lequel ils ont traité les riverains. C’est édifiant!
Aujourd’hui, en plus des problématiques liées à l’insécurité chronique, à la saleté vertigineuse
et l’extrême précarité du quartier, sont venus s’ajouter le fléau du crack et le chaos migratoire.
Ce quartier est devenu une poudrière! Depuis longtemps, je préconise un plan d’urgence
contre le crack qui vise à apporter une réponse sanitaire et sociale à des personnes très
largement désocialisées et malades de leur addiction. Aujourd’hui, il n’existe aucune structure
pour sortir les toxicomanes de la rue et des mains de leurs dealers et les accueillir dans un
parcours de soins au long cours. Quant aux migrants, il faut arrêter d’en faire un enjeu de
politique politicienne comme l’a fait la Ville en s’engageant dans un bras de fer stérile avec le
gouvernement. Dans ce match entre la Ville et l’État, les premières victimes sont les riverains
et les migrants eux-mêmes. Depuis 2015 je réclame une solution concertée et une répartition
plus équilibrée de l’accueil. La réduction des délais d’instruction des demandes d’asile et
l’ouverture de cinq CAES en Île-de-France par le gouvernement vont dans le bon sens, il faut
poursuivre ces efforts. Enfin, pour que l’accueil soit digne et l’intégration réussie, il est
impératif d’appliquer la loi de la République et de raccompagner à la frontière les déboutés du
droit d’asile. Plus globalement à la Porte de la Chapelle comme dans tout le nord-est de Paris,
il faut avoir une action déterminée en faveur de la sécurité du quotidien, de la lutte contre les
incivilités et les dégradations, pour une véritable mixité sociale en cassant les ghettos plutôt
que de continuer à y sur-empiler le logement social ou encore soutenir les commerces qui
moteurs dans l’animation de la vie locale.
[…]
Vous évoquez aussi la saleté de la ville. Qu’y peut la mairie? Les Parisiens ne sont pas
réputés pour leur civisme…
Paris est désespérément sale. Avec 74 % des Parisiens mécontents de l’action d’Anne Hidalgo
en matière de propreté, c’est aussi le premier motif de honte des Parisiens et des Français.
Quand une touriste brésilienne filme des dizaines de rats qui grouillent au pied de la Tour
Eiffel, sa vidéo fait le tour du monde. La saleté de la ville atteint très sérieusement l’image de
la capitale dans le monde. Or cela relève de la compétence exclusive de son maire. C’est le
cas dans toutes les villes de France et Paris n’échappe pas à la règle. Pourtant depuis le début
de son mandat, Anne Hidalgo ne cesse de vouloir se défausser de ses responsabilités: si Paris
est sale, ce n’est pas la Ville qui est défaillante, mais les Parisiens qui manquent d’hygiène.
C’est un peu facile et surtout injuste. Les Parisiens ne sont pas plus inciviques que leurs
voisins franciliens ou que le reste des Français! Pourquoi la capitale échouerait-elle là où
d’autres villes ont réussi? Réforme de la gouvernance, décentralisation des compétences,
recours au privé, rationalisation des moyens, lutte sans merci contre les incivilités… Des
solutions existent, et j’y consacre d’ailleurs le premier chapitre de mon livre. Au-delà de
manquer de courage politique, la majorité actuelle manque de lucidité sur le constat et de
clairvoyance sur les solutions. Nul ne saurait gouverner Paris en se pinçant le nez.
[…]
Plus grave encore: la gentrification sociale. Vous dites que Paris est une ville dans
laquelle la mixité n’est plus qu’un lointain souvenir. Pourtant, c’est une ville très diverse
où vivent aussi bien des populations très privilégiées et d’autres très défavorisées?
À Paris, la mixité sociale n’existe plus. C’est l’une des nombreuses chimères créées par la
gauche pour ne pas employer les termes qu’elle a bannis de son logiciel de pensée. Un
quartier n’est pas «ghettoïsé», il est «populaire» ; un arrondissement n’est pas «gentrifié»,
c’est un exemple de «mixité sociale». Faire le constat de la diversité sociale n’est pas un gage
de mixité sociale. S’il ne peut y avoir de mixité sans diversité, la réciproque n’est pas vraie.
Paris en est le meilleur exemple: les Parisiens ne vivent pas ensemble, ils coexistent. Ils se
côtoient mais ne se mélangent pas. Figée dans ses certitudes, la gauche persiste à croire que
l’exigence de mixité sociale ne peut être satisfaite que par l’accroissement du parc social.
Pire, il lui est inconcevable que la surconcentration de populations en grande précarité puisse
accentuer la ségrégation sociale et territoriale. En parfaits idéologues, l’équipe municipale a
développé une vision à sens unique de la mixité sociale, bien plus soucieux d’abolir les
ghettos de riches que de déghettoïser les quartiers populaires. Au fil des années, la capitale
s’est renfermée sur elle-même. Les riches restent entre riches, les familles et les classes
moyennes sont repoussées vers la banlieue et les pauvres sont relégués aux quartiers
périphériques déclassés. Voilà ce qu’est devenue Paris aujourd’hui.
Un sujet que vous abordez moins: le tourisme. Beaucoup de Parisiens jugent qu’il y a
trop de touristes à Paris: vous aussi?
Je consacre un chapitre à la question du tourisme que j’appréhende par le biais de l’accueil.
Dans cette déambulation qui constitue le fil conducteur du livre, je prends le temps de faire le
constat de la réalité des portes d’entrée internationales dans Paris: Roissy-Charles de Gaulle,
le RER B, la Gare du Nord, la Porte de La Chapelle… Le premier contact des touristes avec la
capitale reste brutal et inhospitalier. Les touristes du monde entier ont beau faire des rêves aux
parfums de Notre-Dame de Paris, c’est bien la puanteur de la cour des Miracles qui leur prend
le nez. C’est une véritable honte pour notre pays.
Quant à leur nombre, je crois que le débat ne doit pas se poser en ces termes: il n’y a pas trop
de touristes à Paris, ils sont simplement mal répartis. Les dizaines de millions de touristes
s’entassent sur les mêmes sites touristiques, alors que Paris et sa région recèlent des trésors
qui ne sont pas valorisés et exploités à leur juste valeur. Prenez les églises de Paris: bien que
propriétés de la Ville de Paris, elles sont dans un état avancé de dégradation. Or, les églises
sont de véritables trésors architecturaux, historiques et artistiques qui sont pour la plupart
inscrits ou classés au titre des monuments historiques. En Île-de-France, la Vallée de
Chevreuse, le parc naturel du Vexin ou encore la cité médiévale de Provins ne méritent-ils pas
de bénéficier de la manne que représente le tourisme dans la capitale? Pourquoi ne pas aussi
envisager le développement de nouveaux parcours touristiques dans le nord-est de Paris, dans
ce Paris populaire et faubourien? La Ville de Paris doit être moteur dans le développement du
tourisme et doit cesser de le subir comme c’est le cas aujourd’hui. Pour cela, encore faut-il
avoir une vision et un projet pour la capitale.
Document 3 : Paroles de la chanson Boulevard Du Crime par Edith Piaf

Sur le boulevard du Crime,


Pour voir la pantomime1,
Ce soir, on se bouscule.
Au théâtre des Funambules,
Les amours de Pierrot2,
Ça fait pleurer Margot
Et rire dans la tourmente
Le Paris de mille huit cent trente.
Masques sont vert damasques
Et la foule coasse,
Au milieu du carnaval des grimaces.

Mais dans la foule qui rit de Pierrot,


Il y a toujours un Arlequin.
Dans la vie, faut des arlequins,
Sans quoi l'amour, ce ne serait que des mots.
Aussi, lorsque Pierrot sourit,
C'est là-haut vers les amants du paradis...

refrain

Mais tous ces gens qui rient de Pierrot.


Il n'y a que lui, pleure pour de vrai
Puisque la femme qu'il aimait
Est partie ce soir sans un mot.
Aussi, lorsque Pierrot sourit,
Tout là-haut pleurent les amants du paradis...

Sur le boulevard du Crime,


Pour voir la pantomime,
Ce soir, on se bouscule.
Au théâtre des Funambules,
Les malheurs de Pierrot
Sous les cris, les bravos
Font rire dans la tourmente
Le Paris de mille huit cent trente.
Quel talent fantastique.
Qu'il est drôle et comique.
Ça, c'est un vrai Pierrot.
Allez ! Vas-y ! Refais ton numéro...
Tout là-haut pleurent les amants du paradis.

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