Jérôme Laurent aka JUNGLE est un artiste parisien, né en 1968.
Son parcours l’a amené à côtoyer différents champs
artistiques : l’univers cinématographique, la bande dessinée, le web design. Autant d’espaces qui ont construit sa sensibilité et son regard. Il dessine et peint depuis toujours. Inspiré par Keith Haring, le cubisme, le comics américain ou les covers de pulp, sa démarche s’inscrit dans un mouvement de l’art urbain contemporain, populaire.
Féru d’art, Marc est un passionné du monde du street art. Dès
2013, il crée avec deux amis l’agence RENCART, qui propose aux entreprises de s’appuyer sur les richesses de cet art urbain pour renforcer leur communication. C’est au travers de cette structure que Marc développe une écurie de « street artistes » indomptables repeignant la ville et ses infrastructures, des Autolib’ aux magasins Naturalia. Il donne depuis 2016 des conférences en milieu urbain, pour partager son savoir au plus proche des œuvres. À propos du street art Depuis la n des années 1960 aux États-Unis, un cri jaillit des bombes de peinture pour revendiquer l’espace urbain. Fini la déshumanisation des villes, la standardisation de l’urbanisme et l’élitisme artistique, l’art d’aujourd’hui se pratique pour tous et dans la rue. Il suffit de se promener pour constater la diversité des techniques employées : le graffiti, le pochoir, le collage, la mosaïque. Heureusement que tout est bien emballé dans le terme « street art », une jolie étiquette fourre-tout qui sonne si bien en anglais… Dans ce livre, nous avons coupé les étiquettes et laissé tomber les cases. En redonnant la parole aux artistes, nous vous proposons d’entrer directement dans leurs univers. Des techniques de création aux lieux qu’ils traversent (ateliers, galeries) en passant par les personnages qu’ils rencontrent (bonjour monsieur l’agent), inltrez-vous à leurs côtés. Venez découvrir 50 secrets du street art ! Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont accompagné et/ou supporté pendant la rédaction de ce livre : Claire ma conseillère, Lionel le racoune, mon éditrice Anne, Élise la coordinatrice et Jungle l’illustrateur. Également toutes les personnes qui ont répondu patiemment à mes innombrables questions : Tarek Ben Yakhlef, Karim Boukercha, El Seed, Levalet, Mademoiselle Maurice, Scred, Socrome et Sowat. Table des matières Personnages - Artiste Lieux - Atelier Artistes emblématiques - Azyle Artistes emblématiques - Banksy Vocabulaire - Blaze Matériel - Bombes Vocabulaire - Caps Lieux - Championnet le roi de la mosaïque Techniques - Collage Personnages - Le collectionneur Techniques - Craie Vocabulaire - Crew Inspiration - Engagements Inspiration - Fanzines & magazines Inspiration - Les femmes Les bons moments - Festival Personnages - Le flic Lieux - Fournisseurs de bombes Personnages - Le galeriste Personnages - La groupie Inspiration - Hip-hop Techniques - In situ Techniques - Installations Artistes emblématiques - Invader Artistes emblématiques - JonOne Techniques - Lacération Techniques - Lettrage Matériel - Marqueurs Lieux - Le mausolée Lieux - Métro Personnages - Monsieur l’agent Techniques - Monumental Techniques - Mosaïque Lieux - Murs tolérés Techniques - Origami Techniques - Pochoir Les bons moments - Procès de Versailles Inspiration - Reportages Techniques - Stickers Vocabulaire - Tag, throw up & graffiti Matériel - Toile Lieux - Tour 13 Vocabulaire - Toyer Techniques - Tricot Vocabulaire - Urbex Vocabulaire - Vandale Les bons moments - Ventes aux enchères Les bons moments - Vernissage Artistes emblématiques - Vhils Lieux - Vitry-sur-Seine Page de copyright Dans la même collection « C’est votre vrai métier ? » Au revoir les préjugés ! Tous les street artistes ne viennent pas de banlieues glauques, ni ne portent de baggies odorants en écoutant du rap hardcore. Figurez-vous que certains ne se dissimulent même pas derrière un sweat à capuche ! Alors quel est le point commun entre ces peintres sur bâtiments ? Ils sont tous mus par une incroyable volonté d’expression. Ils peignent leurs messages personnels, qu’ils soient anticapitalistes, égoïstes, féministes, ludiques ou simplement esthétiques. Du collégien à l’ingénieur automobile en passant par l’artiste conrmé, ils sortent le jour ou la nuit pour s’exprimer, et ce désir est plus fort que les amendes et les clôtures. Si les jeunes s’interrogent encore sur la technique (« J’hésite entre la céramique et le photoréalisme »), les pros se demandent ce qui les rend uniques (« Oui mais moi, je fais mes contours plus gros que les autres »). Quant aux stars, elles ressemblent à ces mamies qui n’ont plus peur de rien, leurs parcours parlent pour elles. Elles font ce qui leur plaît avant tout (« Et si je peignais un téléphérique ? »). Ils ont fait des études plutôt créatives (les beaux-arts, des écoles de peintre en décors, d’infographie) ou complètement inattendues (CAP soudeur). On ne peut pas dire que les relations commerciales soient leur fort (voir Monsieur l’agent, voir ici) mais quelques-uns manient les réseaux sociaux avec brio (Hopare). Les artistes sont créatifs parce qu’ils sont obsédés par un sujet bien précis et souvent inédit. Si vous leur parlez, vous apprendrez des choses improbables comme l’inuence du constructivisme sur le rétrofuturisme (OPERA) ou l’existence d’émissions de téléréalité sur les drag-queens (Suriani). Soyez curieux ! La résidence Le 6B à Saint-Denis ouvre « Passe à l’atelier ! régulièrement les – Tu veux dire chez toi ? » portes de ces lieux extraordinaires. N’hésitez pas !
Autant le dire tout de suite, l’atelier sous verrière à
Montmartre est un mythe. Dans la réalité, il s’agit d’une unique petite pièce qui se trouve chez l’artiste. Si elle est plus grande, elle est forcément partagée avec un autre artiste. Ces « colocations artistiques » s’appellent des résidences. La Ville de Paris met également à disposition des espaces à prix modérés. Disons simplement que le processus de sélection est aussi long et laborieux que l’écoute de l’intégrale de Jean- Michel Jarre. L’atelier sert à la fois de lieu de stockage d’œuvres et de matériel, d’espace de création et d’exposition. Si l’on peut deviner la personnalité d’un homme à ses chaussures, l’atelier est une sorte de chaussure. Il permet de classer les artistes en deux catégories : Les psychorigides (minoritaires) : ils classent leurs pinceaux par taille et les accrochent à des clous équidistants (« C’est plus pratique ! »), et les bombes de peinture sont triées par couleur (« C’est plus simple ! »). Les bordéliques : ils pensent sincèrement que la création émerge du chaos. Le café y est rangé entre un extincteur repeint (« Je l’ai récupéré dans une friche ! »), la sérigraphie d’un ami artiste et une radio antique – pensez à vérier qu’il n’y a pas de peinture dans le verre en plastique qu’il vous tend avant d’y verser votre café ! Vous trouverez toujours un tabouret maculé en face d’un mur particulièrement coloré. C’est là que la magie opère. « Le droit d’Azyle me permet de graffer tout ce que je veux. Pratique ! » Azyle est le héros français du graffiti vandale. Parfois, dans la vie, nous croisons des personnages extraordinaires : un serveur parisien sympathique, une professeure d’allemand joyeuse ou un entrepreneur modeste. Azyle est de ceux-là. Son tag a recouvert des centaines de fois les tunnels et les métros parisiens. Il est l’incarnation du graffeur vandale, le Némésis de la RATP et de la brigade antitag. Le reste du temps, il s’appelle Sylvain, est ingénieur dans l’automobile et père de deux enfants. En 1990, il commence une longue crise de folie qui va durer 17 ans. Il écrit son pseudonyme (son blaze) encore et encore sur les wagons parisiens. Sa signature se superpose à elle-même dans des couleurs harmonieuses. Azyle organise des sorties « punitives » et obsessionnelles où il habille les rames de lettres rondes terminées par un « e » rageur. Ses interventions sont méthodiques, il choisit le matériel le plus agressif possible (acide, encre indélébile). Il se crée rapidement un dossier et des amis policiers qui lui confesseront être soulagés de le rencontrer enn, la nuit, un certain 25 juin en 2007. Mais entre-temps, son blaze a recouvert des chars d’assaut et surtout le Concorde ! La RATP lui réclame d’abord 600 000 €, en obtient 192 000 € du tribunal, réduits à 138 000 par la cour d’appel de Paris. Il À souhaite payer car il aime la justice par-dessus tout. À tel point qu’il fait constater par un huissier le véritable coût du nettoyage qui, selon lui, s’élève à 40 000 €. En effet, pendant trois ans, Sylvain a référencé tous les graffitis d’Azyle dans un chier Excel qui servira à sa défense et à celle du mouvement graffiti de façon générale. La RATP nit par triompher malgré cette tirade de l’avocat de l’accusé : « Mon client est sans doute un peu dingue, mais ne pourrait-on pas lui reconnaître la même folie que celle qui animait Picasso ou Dalí ? » La réponse au prochain épisode, l’artiste a formé un pourvoir en cassation…
Azyle, Saturation, métro ligne 8, 2007.
« Si le graffiti pouvait changer les choses, il serait illégal. » Banksy est classé 54e dans le top 500 des artistes contemporains les mieux cotés dans le monde et nous ne connaissons toujours pas son identité. Cela vous étonne ? Bienvenue dans l’univers de cet artiste protéiforme et impertinent ! Né à Bristol en 1974, Banksy découvre le graffiti aux côtés de 3D (futur membre de Massive Attack) mais aussi des habitants eux-mêmes qui ont pris l’habitude de marquer leurs désapprobations directement sur les murs. Une pratique intéressante mais pas suffisante pour cet artiste hors norme. En 2004, la « Banksy of England » imprime des centaines de billets de 10 £ où la tête de la princesse Diana remplace celle de la reine. En 2010, son documentaire Faites le mur ! Exit ( Through The Gift Shop ) montre l’ascension incroyable du personnage Mr. Brainwash (Thierry Guetta) : une heure trente d’images délirantes où un parfait inconnu devient une star internationale. Collectionneurs, galeristes, « experts », personne n’en sort indemne. Son dernier exploit est d’avoir créé Dismaland, une copie grinçante du célèbre parc d’attractions (dismal signiant lugubre). Les visiteurs sont accueillis par des animateurs dépressifs, le spectacle d’orques a lieu dans une piscine en plastique et la mort joue toute seule aux autos tamponneuses. Tout le génie de Banksy est concentré dans cette dernière performance : organisation impressionnante, images décalées et poignantes, et invités prestigieux (Damien Hirst). Tous les ans, on nous annonce que Banksy a été arrêté ou pire que c’est une femme (!), alors que tout ce qui compte pour nous, c’est quelle sera sa prochaine insolence.
Banksy, Love Is In The Air.
« Say my name, say my name. » Le blaze est le pseudonyme de l’artiste. C’est son nom de combat, ce qui l’identie en peu de lettres et créera sa légende à la place de son visage. Pour tous les artistes en devenir, voici quelques conseils pour se trouver un blaze de derrière les fagots. Parlez de votre passion : Qu’est-ce qui vous anime ? Cherchez au plus profond de vous ce qui vous meut dans la vie. « J’adore le pain à la farine de maïs, mon blaze sera Cornbread », se dit le graffeur pionnier de Philadelphie. Éviter de justesse le RER ZEVS (prononcer Zeus) a été une révélation, pense de son côté le graffeur éponyme. Soyez vous-même : Un nom, vous en avez déjà un, alors pourquoi en changer ? Prenez l’exemple de (Frank) Shepard Fairey, Romain Froquet ou Tristan Eaton. À éviter si vous vous nommez Jean-Jacques Chancel. Soyez quelqu’un d’autre : Les graffeurs travaillent souvent la nuit. Ils s’inventent donc des noms de superhéros comme The Masked Bastard, Miss.Tic, Misterpee, Pubis, Toile. Lancez une mode : Taki 183 associe un diminutif de son nom (Demetraki) et le numéro (183) de sa rue à New York. Il sera suivi par une multitude de graffeurs : Angel 136, CAY 161, Frank 207, Eva 62… On comprend facilement que cette technique n’ait pas trop marché en France, le blaze Michel du 27 rue Cavé ruinant toute « street credibility ». Soyez compétitif : Vous avez trouvé le blaze parfait, mais manque de bol, il est déjà pris. Ce n’est pas un problème ! Ajoutez un « 1 » ou « One » à la n pour signier que vous êtes le meilleur. Une technique prisée par JonOne, Opseone, Seth One, etc. Alors vous avez trouvé ? Rappelez-vous une dernière chose : votre blaze est comme un Pokémon, il peut évoluer ! « La bombe a explosé dans mon sac… Il est entièrement repeint. » De la peinture, du gaz et de la pression, c’est tout ce qu’il faut pour créer l’outil de base du graffeur. « Si je prends l’insecticide en spray de l’armée américaine, et que je remplace le produit par de la peinture, que se passe-t-il ? », se demande sérieusement Edward Seymour en 1950. C’est nalement une bonne idée puisque son entreprise occupe aujourd’hui des bureaux de 220 000 m2 dans l’Illinois. La peinture est vive, le séchage rapide et le transport pratique. Voilà de quoi convaincre l’industrie automobile… et les graffeurs. Qu’y a-t-il dans une bombe de peinture ? On y trouve des pigments mélangés à un gaz. Celui-ci a été mis sous pression dans la bombe, il est donc à l’état liquide. En appuyant sur la buse, vous allez le libérer. De bonheur, il reprendra sa forme gazeuse. Les pigments seront transportés avec lui et sécheront rapidement. Une petite bille de métal vous permet de mélanger la peinture lorsque vous secouez la bombe. C’est ce doux cliquetis si reconnaissable qui provoque un petit frisson pavlovien chez les street artistes et les policiers. Les premières bombes de peinture étaient vendues en trois couleurs avec le trou dans la couche d’ozone et un cancer des poumons offerts. Heureusement, depuis, de nombreuses marques (Montana, Liquitex, Amsterdam) se sont attaquées au problème. Certains modèles contiennent du gaz non nocif, des pigments naturels et un solvant aqueux. Les nuanciers comportent jusqu’à 260 couleurs, ce qui est bien suffisant pour faire un arc-en-ciel. La bombe à la craie vient également de faire son apparition. En voilà un moyen pratique de repeindre temporairement le trottoir de son voisin en rose ! « Caps ou pas caps ? » Une bombe sans caps, c’est comme un vinyle sans platine, ça affole les hipsters mais c’est inutilisable. Le cap, ou embout (le français rend toujours mieux), se xe au sommet de la bombe et gère la diffusion de la peinture dans un halo circulaire. La taille du cap impacte la largeur du cône de diffusion et la densité du nuage. Il existe toute une série de caps, mais voici les trois principaux : Le fatcap surnommé le Décap Four. Ne cherchez pas à prononcer ce mot en anglais, il s’agit d’une marque bien française des années 1980 qui vend des bombes de nettoyant pour votre gazinière. Des petits malins se sont rendu compte que l’embout s’adaptait parfaitement aux bombes de peinture. Les caps ont tous miraculeusement disparu des magasins de produits nettoyants. Le fat sert à couvrir, il est idéal pour les remplissages ou les tags volumineux. Il est reconnaissable à sa couleur blanche et son diffuseur rose (source innie de blagues potaches). Le skinny, transparent et noir, a longtemps été le cap d’origine livré avec la bombe. Ce qui explique que les graffeurs de l’ancienne génération savent littéralement tout faire avec cet embout. Le super skinny est un outil de précision. Utilisé pour les rendus photoréalistes où son incroyable précision fait des miracles. À noter que plus vous utilisez vos caps, plus la diffusion devient oue. Une caractéristique appréciée par les fans des effets old school sur les contours des graffitis. Au fond d’une impasse dans le 18e arrondissement de Paris se trouve le lieu saint des carreleurs. Un entrepôt biscornu où les émaux et la pâte de verre brillent de toutes leurs couleurs. Cela fait 35 ans que les pros s’échangent cette adresse qui a été la première à vendre de la mosaïque au détail. « Un journaliste de Libération s’est perdu chez nous, ça a été le début du succès », explique Madame Guern, propriétaire de la maison. Tous les artistes fans de tessons et de smalt viennent s’approvisionner ici. Jusqu’aux petits derniers, les street artistes, qui essaient de se dissimuler dans la clientèle habituelle… Mais difficile de faire illusion lorsque l’on a moins de 50 ans, que l’on arrive avec un modèle et que l’on vérie chaque carreau un par un ! Anna, la tenancière du lieu, a grillé Invader immédiatement. Aujourd’hui, il lui envoie chacun de ses nouveaux livres dédicacés. Elle accueille même ses fans qui viennent racheter des carreaux pour réparer ses pièces dans la rue ! Hervé 2011, Megamat, Bourback et Foulbazart, tous sont venus chercher les conseils d’Anna. Toujours avec cet air de ne pas y toucher (« Ce serait pour poser sur un mur en extérieur… »). Elle les équipe avec plaisir de grès cérame, de faïence et d'un bon paquet de colle Flex. Pour les curieux, inutile de cuisiner Anna. Elle ne lâchera jamais Invader, « le boss » de la mosaïque. De toute façon, il n’y a plus que ses assistants qui viennent acheter les carreaux magiques. Regardez bien parmi les clients, ils ne sont pas si difficiles à trouver !
Boutique Championnet, Paris, 2016.
ARTISTES À SUIVRE Fred le Chevalier « Il me saoule à me coller JBC tout le temps, lui ! » Levalet JR Misterpee Shepard Fairey Suriani
En voilà une technique simple ! J’imprime les feuilles au
boulot, je prends de la colle à papier peint et hop, je suis le nouveau Banksy. Oui, mais non. Voyou. Déjà parce que le papier de votre imprimante est trop épais et absorbe mal la colle, il se retire donc facilement après la pose. Mieux vaut miser sur un papier n (type nappe en papier) qui fusionne avec le mur, vous garantissant résultat impec et protection contre le vol. Pour la colle, vous pouvez vous la faire à l’ancienne en mélangeant de l’eau et de la farine (si ça marche) ou prendre de la colle à papier peint. L’idéal est le vernis-colle, une sorte de shampoing/après-shampoing des œuvres d’art qui garantit souplesse et brillance (du papier). Dans tous les cas, préparez votre colle dans un seau qui vous accompagnera. Une fois l’endroit trouvé, chacun a sa technique. Certains enduisent le mur de colle, d’autres surtout pas, mais tous utilisent la brosse pour étaler la feuille et éviter que des vaguelettes se forment. Les audacieux prennent des perches pour que leurs œuvres dominent la rue et restent hors d’atteinte des nettoyeurs (ils passent le Kärcher jusqu’à 4 mètres). Les colleurs aiment les créations grandeur nature. Les personnages de Levalet se cassent la gure dans les escaliers à côté des Parisiens, créant ainsi une proximité qui fait sourire. JR préfère la démesure : coller toute une favela ? Pas de problème ! Recouvrir la pyramide du Louvre ? Facile ! Alors rangez votre imprimante et sortez dans la rue ! Levalet, Frontière, Paris, 2014. « Au début, je collectionnais les pin’s, mais nalement je préfère les œuvres. » « Les collectionneurs, qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quels sont leurs réseaux ? » pourrait titrer le journalLe Point . Difficile de ne pas être fasciné par ces personnes qui peuvent bâtir des musées futuristes au milieu du jardin d’Acclimatation. Beaucoup plus nombreux qu’on ne pourrait le penser, ils vivent en anonymes ou comme des stars. Les premiers ornent les cartels des expositions du fameux « Collection particulière » (en voilà une information utile) et les seconds révolutionnent le système. Alain-Dominique Gallizia découvre le graffiti en distribuant des sacs de couchage à des SDF. Il ouvre alors un atelier à son nom et demande aux artistes de créer chacun une toile du même format sur les thèmes « blaze » et « amour ». Le résultat est la gigantesque exposition « TAG » au Grand Palais en 2009. Une privatisation dantesque qui connaît un succès considérable. Ses autres œuvres se retrouvent à la fondation Cartier puis tout simplement à Matignon où elles font le bonheur de la première dame. Nicolas Laugero Lasserre se concentre sur le street art. Il commence sa collection avec un pochoir de Miss.Tic à 300 € puis enchaîne avec Shepard Fairey et… Banksy. Difficile de rater sa collection itinérante qui a traversé toute la France pour s’arrêter à 42, l’école de codage de Xavier Niel. Un moyen intelligent d’augmenter la popularité (puis la cote) de ses artistes, d’autant plus que la communication est assurée par son site Artistik Rezo. À noter la contrepartie opportuniste : le collectionneur faucheur. Il vient avec tout son petit attirail pour décoller, sans les abîmer, les chefs-d’œuvre de la rue. On l’imagine sans mal les contempler égoïstement chez lui en se frottant les mains d’un air mesquin. ARTISTES À SUIVRE Philippe Baudelocque « On joue à la marelle ? Jean-Charles de Non, on fait de l’art ! » Castelbajac Groove Tracy Lee Stum Edgar Mueller Jordane Saget Manfred Stader David Zinn
La peinture, ça tache, les bombes sont lourdes et coûtent cher.
Alors pourquoi s’embêter ? Les craie-ateurs sont des hommes légers qui transportent des barres colorées dans leurs poches en attendant le bon spot. Qu’est-ce que la craie ? De la poudre de plâtre ou de craie teintée et collée sous la forme d’un bâton. La craie ne pèse rien, est peu chère mais elle est très fragile. Elle s’effrite sur le bitume comme un pastel et autorise une liberté de mouvements incroyable. Elle est donc tout à fait appropriée à une forme d’art fugace. La spontanéité d’un trait continu qui dessine un ange (Castelbajac), un prol (Groove), les motifs mystérieux de Philippe Baudelocque qui s’assemblent pour former des animaux majestueux, ou encore les trois lignes parallèles de Jordane Saget qui s’entremêlent. La craie apporte une légèreté bienvenue et un caractère éphémère troublant (tant de travail pour si peu de durée de vie !). Elle s’accroche pourtant très bien au crépi : un ange de Castelbajac a tenu 11 ans à côté de la gare du Nord à Paris (en voilà un record !). Une autre école, celle de l’anamorphose, a une conception beaucoup plus posée. Ces maîtres de l’illusion d’optique s’installent pendant des heures pour craie-yonner les pavés. Le trottoir s’effondre pour révéler une cascade ou de la lave. Comme si l’asphalte recouvrait un monde fantastique juste sous nos pieds… Jordane Saget, Sans titre, Paris, 2015. CREWS EMBLÉMATIQUES 123KLAN 93NTM SDF UV-TPK
Lorsque l’on rencontre un graffeur, il y a toujours ce moment
étrange où il se met à parler en morse (« Au début, je faisais parti des OMT, puis j’ai rejoint les STS, SNC, LCF et TER. »). Détrompez-vous, il n’a pas inhalé trop de peinture, ce sont les acronymes de ses crews, ces brigades spéciales d’intervention. Sur FatCap, la base de données du street art, 795 crews sont recensés. Cela donne une bonne idée de la complexité de l’affaire. Les graffeurs commencent souvent leurs premiers crews au collège. Après plusieurs sorties graffitis entre amis, ils décident de se donner un nom. La tradition (ou plutôt la mode américaine) veut que celui-ci soit un acronyme de trois lettres, traçable facilement, avec une sonorité qui claque comme les DMV (Da Mental Vaporz) ou les TPK (The Psycho Killerz). Un crew évolue dans un territoire précis délimité par les tags sur les murs. En cas d’intrusion, il organise des expéditions « punitives » qui prennent parfois un tour assez radical (vol des bombes ou des baskets, passage à tabac) lorsque la taille du groupe commence à dépasser la centaine de personnes. D’autant plus que les crews fonctionnent comme les mousquetaires : le groupe entier est responsable du moindre tag réalisé par l’un de ses membres. L’objectif du crew est de grandir en réputation mais aussi en qualité. Les nouveaux membres sont choisis pour leur complémentarité (personnages et lettrages). Les créations sont alors préparées très en amont (thématique, couleurs et sketchs) pour des résultats spectaculaires (voir les crews LCN et GT). Le crew est donc une affaire sérieuse (c’est la famille !), mais rien n’empêche le second degré. Des petits Français ont ainsi créé le RDLS (Rien Dans Le Slip). Classe ! ARTISTES À SUIVRE Banksy « Il y avait 100 artistes Blu selon les manifestants, 50 Roa selon la police. » Shepard Fairey
Le street art est un art populaire et les artistes n’ont pas la
langue dans leur poche. Quand on écoute les témoignages des années 1970, on comprend rapidement que les premiers graffeurs luttaient contre l’écrasement des individualités et l’absence de perspectives. Cette révolte intérieure explique l’engagement des street artistes dans la défense des minorités ou des oppressés. Les artistes réussissent à mettre des images sur ces problématiques. Banksy nous rappelle que Steve Jobs était le ls d’un migrant syrien. JR fait le tour du monde pour célébrer la force des femmes (avec son documentaire Women are Heroes en 2010). Sensibles à la progression du bitume, Roa et Blu peignent des fresques gigantesques et poignantes sur l’impact de l’homme sur l’environnement. Plus engagé politiquement, Shepard Fairey réalise « Hope », l’affiche de campagne de Barack Obama. Ces artistes participent également à des ventes aux enchères caritatives pour soutenir des associations comme Projets Plus Actions, Les Enfants du Soleil, l’ARSLA… Lors du festival Villette Street 2015, 84 artistes ont chacun mis en vente une toile pour nancer l’association Emmaüs ! Shepard Fairey a même reversé les bénéces de son exposition « Earth Crisis » à l’association 350.org, et la Fondation Abbé Pierre a récupéré 125 000 € après la vente de la Rolls Royce d’Éric Cantona customisée par JonOne ! Certains trouvent que la démarche n’est pas innocente et assure surtout bonne presse aux artistes. Ces personnes oublient qu'ils sont nombreux à agir plus discrètement en réalisant des ateliers dans les écoles de leurs quartiers. Eh oui, le street art est un mouvement généreux. Obey (Shepard Fairey, dit), Earth Crisis, Paris, 2015. À SUIVRE Graff Bombz Graff It ! « Tu lis quoi ? Graffiti Art Magazine – Bib’art ! C’est génial, Intox il y a un test "Quel street Mix Grill artiste êtes-vous ?" » Radikal Street Art Magazine Stuart Wild War Il fut un temps effroyable où Internet n’existait pas. Et c’est à ce moment-là que le graffiti se développe en France. À l’époque, comment savoir ce que les graffeurs étrangers réalisaient ? En voyageant, comme Bando, ou en achetant des livres et surtout des magazines ! Paris Tonkar fait gure de pionnier. Son auteur, Tarek Ben Yakhlef, décide de poser la bombe pour prendre l’appareil photo. Il compile, assemble, décrit, s’endette et publie son livre en 1991, à l’âge de 19 ans. Il est loin d’imaginer que, 14 ans plus tard, on lui proposera de racheter un exemplaire à 2 500 $ ! Il réalise alors à quel pointParis Tonkar est devenu culte, et le relance sous format trimestriel. Pendant ce temps-là, une foule de papiers ont vu le jour. Les graffitis eurissent en pagaille sur les pages imprimées de Graff Bombz Graff It ! Mix Grill , et . Ils feront les frais de la SNCF en 2003 qui les attaque pour « atteinte à l’image de rigueur et de propreté que la SNCF entend donner à sa clientèle ». L’année suivante, le tribunal rejette la plainte. Ce cas fera jurisprudence, les fanzines en soupirent encore de soulagement. Dernier né,Graffiti Art Magazine souhaite dépasser la guéguerre entre graffiti et street art en parlant d’« art contemporain urbain ». Le premier numéro, lancé par Nicolas Chenus, sort en 2008 et est suivi de l’ouverture de la galerie Openspace en 2012, dans le 11e arrondissement de Paris. Vous avez envie de vous lancer dans l’achat d’œuvres d’art ? Consultez leur guide annuel à destination des collectionneurs ! ARTISTES À SUIVRE Kashink « We can be heroes, chante Lady K David Bowie. Women are Lady Pink heroes, répond l’artiste MadC JR. » Stoul Swoon Vinie
Le street art ressemble parfois aux magazines de sport
masculin : du contenu fait pour les hommes par des hommes, avec des hommes en couverture. Pourtant, les femmes y sont présentes dès le début, on peut même dire que le graffiti commence avec Cynthia Custuss. À Philadelphie, Cornbread écrit son blaze partout sur le chemin de Cynthia pour la conquérir. Une sorte de méthode Coué de la séduction carrément ippante mais plutôt efficace. Lady Pink n’a pas la patience de Cynthia. Elle est la première à saisir la bombe pour défendre sa couleur à New York en 1979. La « rst lady of graffiti » est même l’héroïne du lm Wild Style et intitule sa première exposition « Femmes fatales ». En France, Miss.Tic prend la relève avec ses pochoirs associant femmes sexy et slogans satyriques, son travail parodiant les stéréotypes de la féminité. Une femme en talons pose lascivement en tenant sa jupe « fendue, défendue », selon la légende écrite en dessous. Mêmes inspirations pour Miss Van qui peint ses poupées peu sages sur les murs de Toulouse. Enn, l’ancienne rockeuse Kashink promeut carrément le « genre libre ». Cette artiste qui porte la moustache dessinée au crayon provoque la discussion autour des codes du féminin et du masculin. Au nal, peu importe qui la tient, une bombe reste une bombe. « Une bière, une chipo et de l’acrylique, s’il vous plaît ! » FestiWall, K-LIVE, Montreuil Street Art Festival, Meeting of Styles, Street Art Fest, Top to Bottom, La Voie est libre, Villette Street Festival, Aucwin, Ourcq Living Colors, Vitry Jam, La Rue’Stick… le nombre de festivals street art a littéralement explosé ces dernières années. C’est l’occasion de plonger dans un concentré de street culture ! À l’entrée d’un festival street art, vous serez saisi par la bonne humeur ambiante et un mélange d’odeurs de peinture et de merguez. Car oui, ce jour-là, tout est décliné en « street quelque chose ». Vous pourrez donc manger de la street food (comprenez de la nourriture préparée dans un food truck) en regardant un spectacle de street dance (le double dutch de La Rue-Stick). Suivez le plan ou la visite guidée pour passer de fresque en fresque dans des lieux extraordinaires (en marchant sur une autoroute fermée pour La Voie est libre). On se souvient avec émotion de la visite en péniche du parcours Aucwin lors d’une journée particulièrement ensoleillée. Les artistes mettent les bouchées doubles pour impressionner le public (et Télérama ) en réalisant des fresques gigantesques (Street Art Fest). Chaque création est l’occasion de découvrir un nouvel univers artistique et pourquoi pas de s’y mettre ! Des ateliers, qui rassemblent mamies vénérables et enfants turbulents, explorent chacun une technique street art. Les plus cérébraux rejoignent les conférences et les projections débats de documentaires ( Faites le mur !de Banksy). Les festivals se clôturent régulièrement par une vente aux enchères au prot d’une association. Villette Street 2015, organisé par Katre et Wallworks, avait particulièrement bénécié à l’association Emmaüs. « Mais monsieur, ce n’est pas de la dégradation, c’est de l’art. » Il existe un endroit merveilleux où sont conservées toutes les archives des graffeurs français. Leurs œuvres sont numérotées, datées et photographiées. Une bibliothèque du street art ? Non, les archives de la brigade antitag, qui fait partie de la brigade des réseaux ferrés et travaille main dans la main avec la RATP et la SNCF pour appréhender les vandales. Les graffeurs lui ont même donné un blaze, la GDN, pour gare du Nord, où étaient situés leurs anciens locaux. Ses membres entretiennent une relation assez ambiguë avec le graffiti, allant même jusqu’à créer des faux prols de tagueurs sur FatCap. Ils rent un sacré coup de let lors du procès de Versailles (voir ici). La GDN s’appuie sur l’article 322-1 du Code pénal qui vise spéciquement le graffiti vandale le condamnant à 3 750 € d’amende et des travaux d’intérêt général. Mais on peut obtenir un petit bonus en dégradant sévèrement le support et en ajoutant un bon slogan raciste et haineux pour faire monter à 45 000 € et trois ans d’emprisonnement. Dans la pratique, les policiers interviennent lorsqu’ils sont appelés par les riverains, assez rapidement dans les beaux quartiers d’ailleurs. Ils vous demanderont si vous avez l’autorisation puis si vous faites du graffiti (répondez plutôt non, surtout si vous faites du street art !). Souvent compréhensifs, ils s’intéresseront à votre travail, puis vous demanderont de partir en vous rappelant la législation en vigueur. Il vous faudra promettre de ne pas recommencer ! OÙ ÇA ? Magasins où l’on peut trouver tous les « Oh la belle bleue ! » éléments nécessaires au délit artistique à Paris : All City Génération 400 ml Polymex
Il est loin le temps où il fallait bidouiller les tubes de cirage
avec de l’encre pour obtenir des marqueurs, où les bombes servaient aux travaux publics et où les buses se récupéraient sur les nettoyants type Décap Four. Poussez la porte de ces temples de la street culture, pour être accueilli par le vendeur, un ancien artiste passé de l’autre côté de la caisse pour fournir les nouvelles générations. Il n’a pas franchement une formation de commercial, mais est-ce vraiment ce qu’on lui demande ? Il est posé derrière un comptoir entièrement dédicacé, sous les T-shirts bien trop grands qui pendent du plafond et devant des étagères qui menacent de tomber sous le poids des centaines de bombes triées par couleurs, pression et contenance. Il répond à ces trois types de clients : L’artiste professionnel : reconnaissable à son regard conant, il checke le propriétaire avant de lui coner sa liste. Il a pensé à prendre sa valise à roulettes pour repartir tranquillement. Le jeune vandale : il pense que l’achat des bombes de peinture est déjà un délit. Il repart en serrant son sac à dos et en scrutant les environs. Le passionné de déco : enthousiaste, il s’émerveille de longues minutes devant les nuanciers. Il choisira une bombe à base d’eau, rose pour sa salle de bain et beige pour son salon. DATE CLÉ En 1973, la Razor « Avec cette expo, on va Gallery à New York épater la galerie ! » expose pour la première fois des graffeurs (le collectif United Graffiti Artists).
Dénicheur de talents ou parrain de l’art contemporain, le
galeriste est un personnage clé du parcours du street artiste. Il va lui donner les moyens et l’espace de s’exprimer. Avant d’être un commercial, le galeriste est surtout un grand fan de jeux de mots. Suivant la même inspiration que le coiffeur, il va s’acharner à se fabriquer un nom qui comporte le mot « art » (Calam’art, Patat’art). Son local trouvé, repeint entièrement en blanc (ce qu’on appelle un White Cube), il est prêt à se lancer. Hélas, pas facile de se faire une place sur ce marché très concurrentiel. Si certaines galeries françaises soutiennent le mouvement depuis son apparition dans l’Hexagone (La galerie du jour d’Agnès b. par exemple), 71 % des galeries de street art parisiennes sont nées après 2005 ! Pour se différencier, certains se spécialisent dans la découverte de nouveaux talents (Le Cabinet d’amateur, Akiza...). D’autres, comme la galerie Magda Danysz, accompagnent carrément leurs artistes dans la réalisation de projets gigantesques hors les murs (Women are Heroes de JR). Un bon galeriste ne reste pas à contempler ses œuvres toute la journée. Il lui faut emballer les toiles de la prochaine foire, rassurer le client ou l’artiste sur la qualité des œuvres, accueillir les visiteurs et gérer toute la communication. Le jour du vernissage, après un accrochage au centimètre près, il va transmettre, à travers ses cernes, toute sa passion pour l’artiste auprès des collectionneurs. Si ces espaces peuvent vous sembler aussi froids et blancs qu’un magasin Picard, sachez que l’accueil chaleureux du propriétaire d’une galerie street art vaut la peine d’y entrer ! « C’est génial, c’est votre vrai métier ? » Vous avez 18 ans et trouvez que peindre sur les murs « non mais c’est génial ! ». Voici, pour vous, une sélection de questions/remarques à ne plus poser/faire (vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas). Mais c’est votre vrai métier ? Imaginez que vous êtes au bureau, assis devant votre ordinateur. Un inconnu se penche au-dessus de votre épaule et vous demande si vous êtes bien en train de travailler. Flippant, non ? Figurez-vous qu’être artiste est une activité qui peut donner lieu à une rémunération. C’est donc littéralement un métier. J’adore, mais je l’aurais fait en bleu ! Heureusement que vous êtes là. L’artiste va pouvoir tout recommencer en suivant vos goûts ! Plus sérieusement, un artiste construit sa palette en amont. Puis il choisit instinctivement sa bombe de peinture. Presque inconsciemment. C’est le coefficient d’art de Duchamp. Tu viens de banlieue ? Vous n’avez donc peur de rien ! Après de nombreuses interviews, il ressort que les street artistes viennent de… partout, dont la banlieue. Y a un artiste que j’adore qui fait la même chose que toi ! Cela revient à dire que ce que l’artiste exprime très personnellement est complètement banal. Pourquoi ne pas plutôt lui demander ce qu’il fait différemment ? Mon ami Thierry fait du graffiti, tu le connais ? C’est un peu comme si vous demandiez à un Québécois s’il connaît votre cousin qui est allé à Montréal l’année dernière. Il y a énormément d’artistes et encore plus de vandales. À moins que Thierry soit particulièrement impliqué dans le milieu, votre question risque de faire un bide. Sachez que le street art est un milieu généreux. Les artistes vous répondront toujours avec bienveillance, si votre intérêt est sincère ! ARTISTES À SUIVRE Afrika Bambaataa « Qui a mis de la peinture Grandmaster Flash sur mes vinyles ? » Grems NTM Soklak Rammellzee
Prenons un instant pour rappeler certaines caractéristiques du
début du graffiti. C’est un art contestataire, énergique et jeune. Autant d’adjectifs qui collent au rap… mais aussi au punk. C’est pour cela que le grand Futura 2000 s’attache d’abord au groupe The Clash, peignant derrière eux pendant leurs concerts. Puis il rejoint Afrika Bambaataa en 1982 pour porter la bonne parole du hip-hop en France. C’est la tournée « New York City Rap » où DJing, breakdance, rap et graffiti se retrouvent pour former les piliers du mouvement hip-hop, la breakdance et le graffiti étant considérés comme des moyens d’expression (corporelle et graphique) complémentaires du rap. Les collaborations sont nombreuses, comme la pochette de beat pop de Rammellzee faite par… Jean-Michel Basquiat ! En France, le groupe NTM représente ce syncrétisme. À la base breakdancers, Joey Starr et Kool Shen rejoignent le collectif 93NTM qui rassemble de nombreux graffeurs surdoués comme Colt et Mode 2. Puis ils forment Suprême NTM et Paris sous les bombes sortent le single le 28 mars 1995. Un rap hommage à « l’épopée du graffiti ». Depuis, les breakdancers ont ouvert des écoles de danse et les graffeurs exposent en galerie, mais le lien avec le hip-hop ne s’est pas tari. On retrouve par exemple Marko93 dans le clip de L’Heure des poètes de Grand Corps Malade. Certains artistes cumulent même les deux casquettes (à l’envers) comme Grems ou Soklak ! ARTISTES À SUIVRE Ernest Pignon-Ernest « Prends ton marteau et Hula ton Buren, ce soir on fait Levalet de l’in situ. » Lor-k Truly Design
Théorisé par Daniel Buren, l’art in situ consiste à réaliser des
œuvres qui ne sont valables que dans un contexte (architectural) donné. Pour le dire autrement : déplacer une œuvre in situ revient à la détruire. Ceux qui pratiquent l’art in situ sont des magiciens qui ré-enchantent les villes et donnent un sens nouveau à cet immeuble trop gris et trop vu. Ils peuvent tout transformer, la preuve… Les marches d’Ernest Pignon-Ernest : les escaliers de la butte Montmartre sont durs aux miséreux et particulièrement aux membres défunts de la Commune. En 1971, ce grand artiste, qui a réalisé ses premiers pochoirs dans la rue en 1966, colle des gisants (des corps allongés sérigraphiés sur de longues feuilles) sur les marches de Montmartre. Les passants les piétinent, renouant ainsi avec la triste histoire de la répression de la Commune. Les grilles d’aération du métro de Joshua Allen Harris : une grille xée au sol régulièrement traversée par un souffle chaud et malodorant, voici le terrain de prédilection de Mr Harris. Il y installe des assemblages de sacs-poubelles qui se gonent au passage du métro. Les rebuts deviennent alors des ours polaires ou des aliens qui se rendorment doucement une fois la rame passée. Les ssures de Dispatchwork : plus qu’un artiste, Dispatchwork est un mouvement mondial qui se propose de réparer le monde entier avec des briques LEGO®. Une crevasse dans le sol, un éclat dans un mur ? Les petites briques colorées empilées par d’illustres inconnus (vous par exemple) colmatent tout et font sourire. Rejoignez le mouvement en ajoutant une photo de vos « réparations » ! L’anamorphose de JR : une anamorphose est une œuvre qui ne se voit que d’un seul point de vue. C’est grâce à cet effet de perspective que l’artiste JR a réussi à faire disparaître la pyramide du Louvre en collant la photo déformée du bâtiment par-dessus. Impressionnant ! Ernest Pignon-Ernest, La Commune de Paris, Paris, 1971. ARTISTES À SUIVRE Bordalo II « C’est une installation ? Katre – Non, j’ai juste oublié de Mademoiselle ranger mes pots de Maurice peinture. » Mark Jenkins Nasty Swoon
L’installation, en art urbain, c’est un peu comme le cloud : tout
le monde s’en sert sans vraiment savoir ce que c’est. Il s’agit d’une forme d’art hybride qui mixe une création en 3D, un espace (voir In situ, ici), un public et une durée (éphémère ou durable). En bref, on parle d’une véritable tentative de décloisonnement et de fusion des formes d’art pour proposer une expérience forte et immersive. L’une des plus impressionnantes est certainement la otte de villes-bateaux de l’Américaine Swoon. En 2008, elle remonte le cours du Mississippi sur ses vaisseaux, des assemblages incroyables d’objets de récupération. Un concentré improbable de ce qui l’inspire en ville : la collaboration, la proximité et la vétusté. Elle débarque, avec son équipage, à la biennale de Venise de 2009 où elle n’était pas invitée. Katre préfère brouiller les sens de ses spectateurs. Il colle une photo d’entrepôt sur un mur, puis prolonge les perspectives avec de la peinture et des baguettes. Impossible de savoir ce qui relève de la photo ou de l’ajout a posteriori, on est littéralement dans l’entrepôt. Les mannequins de Mark Jenkins sont tout aussi déstabilisants. Habillés d’un sweat à capuche et à genoux devant un magasin de vêtements, on les croirait vivants. Ils trompent jusqu’à la police qui se déplace pour arrêter… un homme de plastique. Réinventer l’art, faire participer le public pour le bouleverser, on ne serait pas en plein dans les motivations du street art ? On comprend facilement que nombre d’artistes urbains souhaitent s’installer !
Bordalo II, The Duck (projet Big Trash Animals), 2014.
À SUIVRE L’avancement de « Dis, Invader, tu veux l’invasion sur space- faire quoi cette nuit ? invaders.com – La même chose que chaque nuit, Minus. Tenter de conquérir le monde ! »
Invader est un artiste français qui a déjà conquis Paris, New
York, les fonds marins et l’espace ! Courte rétrospective sur ce projet de longue haleine. En 1978 sort le jeu d’arcade Space Invader. Le principe est simple : des Aliens décident d’attaquer la France pour détruire la tour Eiffel et nous voler la recette du saucisson. Le joueur doit les exterminer, par vague, en utilisant le laser de son vaisseau. Le succès du jeu est hallucinant et l’esthétique est très pixélisée (codage en 8 bits). En 1998, notre artiste se met dans la peau d’un Alien et commence à envahir Paris en posant la première mosaïque à l’effigie d’un Invader. Sa démarche est extrêmement ludique : chaque emplacement lui rapporte des points et lorsque l’on relie toutes les mosaïques entre elles, un Invader géant apparaît. Avec leurs couleurs brillantes et leurs regards en coin, les Aliens nous surveillent avec circonspection. Une fois la capitale du fromage conquise, Invader s’empare de New York, Istanbul, Tokyo, Varanasi en Inde… et de l’espace. Bien installé à l’intérieur de la Station spatiale internationale, un petit Invader nous regarde d’en haut et fait le tour de la Terre régulièrement. Difficile d’aller plus loin (et plus haut) ! Et pourtant, Invader a également envahi les galeries avec ses œuvres réalisées en Rubik’s Cubes. C’est la naissance du « Rubikcubisme » qui fait frémir les salles de ventes. Invader combat pour libérer ses héros d’un jeu vidéo et l’art du circuit fermé des institutions. On aimerait dire qu’il a déjà gagné, mais la partie se joue encore ! Invader, NY_167, New York (États-Unis), 2015. « Je me voyais déjà, en train de graffer l’affiche. » Le graffeur franco-américain étonne continuellement par sa productivité et l’augmentation constante de sa cote. Ses toiles sont saturées de couleurs et de tags. John Andrew Perello, né à Harlem en 1963, ne reste pas en place. Il s’ennuie profondément à l’école et préfère fuir le climat tendu de la maison. Il parcourt son quartier et le signe de son blaze Jon156 (156 étant le numéro de sa rue). Il y rencontre A-one qui lui ouvre de nouvelles perspectives. Ce dernier voyage beaucoup et lui fait découvrir le monde de l’art contemporain. C’est décidé : Jon156 veut devenir artiste. Il prend le nom de JonOne en 1984 et commence le travail sur toile. Le métro qui passe, entraînant avec lui les couleurs de ses tags au travers de la ville, devient son principal sujet. Il y reconnaît son milieu et son urgence d’avancer. En 1987, il plaque tout et suit Bando à Paris. Il commence alors une période de grande productivité et rejoint L’hôpital éphémère, le squat de l’hôpital Bretonneau. Agnès b., qui passait par là, lui achète immédiatement deux toiles sur un coup de tête. La maison de vente Artcurial sent alors le vent tourner et met l’une de ses toiles aux enchères : elle part à 24 800 €. C’est le début de la gloire. JonOne produit à une cadence impressionnante, organise jusqu’à 11 solo shows par an. On le retrouve en train de peindre sur la Rolls de Cantona, sur le Thalys, sur un téléphérique à Courchevel. JonOne n’a jamais cessé de bouger. De Harlem à Paris, ses mains courent sur la toile pour y répéter son tag inlassablement. Une success story à l’américaine mais à la française !
JonOne, Raining Tears, 2015.
ARTISTES À SUIVRE Jo Di Bona « Repose cette affiche, elle Joachim Romain ne t’a rien fait. » Thom Thom Jacques Villeglé
La lacération consiste à travailler sur des affiches de rue en
grattant les différentes couches pour découvrir les éléments superposés. Les murs de nos villes sont des mille-feuilles. Tout le monde y ajoute sa couche d’affiches publicitaires : les politiques en mal de popularité, les marques de luxe en mal de caractère et les chanteurs en manque de célébrité. En bref, un bel instantané culturel ! Les artistes lacérateurs aiment les mille-feuilles. Ils se baladent donc avec tout l’attirail du gourmet (cutter et scalpel) pour prélever leur part du gâteau, de préférence épaisse de plusieurs centimètres. L’initiateur de cette tradition sauvage, précurseur du pop art, est Jacques Villeglé. Aujourd’hui, ses successeurs s’appellent Thom Thom, Joachim Romain et Jo Di Bona. Ces artistes partagent tous la folie de la déchirure contrôlée et le plaisir de découvrir une nouvelle couleur, une typo inattendue ou une perspective dynamique dans une sous- couche. Sous leurs doigts précis, des couleurs vives font irruption dans les images trop lisses des publicitaires. La lacération est libératrice mais elle est aussi extrêmement technique. Les régies publicitaires n’utilisent pas toutes les mêmes qualités de papier, ni les mêmes colles. Il faut savoir déchirer en ligne, en angle, en rond… jusqu’à faire émerger un sens nouveau et inattendu. Tels des archéologues de la culture populaire, les lacérateurs creusent pour révéler une nouvelle histoire !
Joachim Romain, 2016.
ARTISTES À SUIVRE Bando « J’ai respecté le croquis à Nasty la lettre ! » Odeith Phase 2 SEEN
À la n des années 1970, les adolescents qui cartonnent à New
York ne s’appellent pas des graffeurs entre eux, mais des « writers ». Des écrivains donc, passionnés par les lettres, prêts à les torturer pour les magnier. Il faut imaginer la ville croulant sous les tags, impossible de distinguer un nom de l’autre. Un véritable palimpseste ! C’est à ce moment qu’émerge la notion de style, une façon de tracer qui va identier l’auteur. Une idée révolutionnaire qui transforme les créations et impose des heures de travail sur les black books assis sur le « writer’s bench » (le banc des écrivains). Revue des grandes gures de style des writers : Le bubble est ludique. Imaginez ces caniches en ballon gonés par les magiciens de votre enfance. Remplacez le chien par des lettres, vous y êtes. Créé par SEEN, le bubble style se caractérise par la rondeur de ses courbes et des highlights (rehauts lumineux) qui les accompagnent. Le block est massif. Des lettres carrées et hautes avec un contour large et qui arrêtent le regard. La taille est proportionnelle à l’ego du writer. Le remplissage est souvent réalisé en chrome. Le wildstyle est énergique. Les lettres s’entremêlent au point qu’on ne peut plus les distinguer. Amorcé par TRACY 168, ce style est un tour de force où les angles sont complexes et où les lettres deviennent des èches. Le wildstyle a même un crew éponyme qui lui est dédié. Le 3D est volumineux. Les ombres portées placées judicieusement sous les lettres les font décoller du support, sans porter de lunettes rouges et bleues ! Chaque writer est porteur de son propre style (le freestyle, le galactic thugs des GT, etc.). N’hésitez pas à leur demander ! «Calcamart» & «Socrome» en arabe ; ﻛﻠﻜﻤﺮﺗﺴﻘﺮم. Au centre est calligraphié « Zehidja zo hamboi wandru », qui pourrait être traduit par « ce qui est travaillé dans l’ombre brillera à la lumière ». Moroni (Comores), 2010. « Je pars, j’ai fait ma valise… de Posca. » À trop parler de la bombe de peinture, on oublie son petit frère le marqueur. Responsable de la plupart des tags, son rôle n’est pas à prendre à la légère. Comment choisir son marqueur ? Première distinction : il se charge à l’acrylique ou à l’encre selon le résultat attendu. Vous souhaitez un aplat bien opaque sur un casque de moto ou un crâne ? Prenez un Posca ! Vous êtes passionné par les coulures, les marqueurs Krink sont faits pour vous. Cette marque, créée en 2001 par l’artiste KR (Krink venant de KR et ink : littéralement « l’encre de KR »), propose un marqueur mou à presser (le squeeze) pour couler énormément, mais sur demande. Il vous reste à choisir votre embout. Les ronds garantissent une épaisseur de trait constante. Les pointes biseautées sont beaucoup utilisées par les calligraphes. En fonction de l’inclinaison, elles permettent de recréer les pleins et les déliés des typographies. Aujourd’hui, il y a des marqueurs pour tout et n’importe quoi. Pas moins de 14 marques sont en vente derrière les vitrines verrouillées d’All City : certaines se revendiquent beaux-arts (Sakura), d’autres visent clairement les vandales (Molotow, On the Run, Block by Block). Le prix relativement élevé des marqueurs a été un véritable moteur de création de solution de rechange. Qu’est-ce qui se rapproche le plus d’un tube avec réservoir et un embout en caoutchouc ? Un tube de cirage bien sûr ! Et voilà la marque Baranne propulsée sur le devant de la scène (underground). Son embout rond et dense est parfait. Reste à le vider pour le remplir de peinture, quelques lavabos ne s’en sont jamais remis. Bref, outil à tout faire, le marqueur est le meilleur ami du street artiste, surtout quand il explose dans sa poche. À VOIR La vidéo nale sur « C’est samedi, on va au mausolee.net centre commercial ? »
Entre les ateliers de 15 m2 et les galeries de 80 m2, les artistes
ont du mal à trouver de grands espaces. Le 12 août 2010, Lek et Sowat découvrent pourtant un centre commercial de 40 000 m2 qui était… perdu à côté de la Villette. Quatre étages de murs vierges, que faire de tant de bonheur ? Lek et Sowat bâtissent un temple du graffiti et l’appellent le Mausolée. Quarante artistes, tenus au secret, se succèdent pour y créer des installations saisissantes. Pourquoi un nom aussi morbide pour des œuvres aussi vivantes ? Les instigateurs nous expliquent vouloir rendre hommage à « leur culture underground en passe de disparaître à l’ère du street art et de son esthétique pop mondialisée ». Il n’y aura donc pas de superhéros colorés insipides ou de collages poétiques et ennuyeux. Le trait est puissant et transperce les murs décrépits. La peinture dégouline sur les restes oubliés des squatteurs expulsés. La calligraphie blanche recouvre les voitures cramées. Le niveau est élevé, les graffeurs jouent avec la perspective du parking, les reets des fuites d’eau et les puits de lumière pour créer des pièces d’anthologie. Une fois l’invasion complètement terminée, la nouvelle se répand. La mairie a beau murer les accès, des trous se créent comme par magie. À moins d’être vacciné contre le tétanos et d’être un pro de l’escalade, il est aujourd’hui impossible de voir le Mausolée. La nouvelle a cependant eu le temps d’atteindre le directeur du Palais de Tokyo qui venait, lui aussi, de retrouver les 20 000 m2 de son sous-sol ! Une opportunité pleinement méritée pour Lek et Sowat.
Lek, Sowat, Bom.K et Jaw, Le Mausolée, Paris, 2010.
ARTISTES À SUIVRE Nasty « Mon slogan ? Métro, Stem boulot, apéro. » Oeno Gary selon un graffiti réalisé par Wels et Monarke à la station Jasmin À CONSULTER (Paris 16 ) Subway Art Descente interdite Egowar Magazine les vidéos Show Must Go On Un lampadaire éclaire partiellement le métro new-yorkais qui passe, avec son lot de rouille et de saleté. Et soudain, un éclair de couleur apparaît, des lettres délent tandis que la musique s'emballe. C’est l’introduction magique de Style Wars , le documentaire d’Henry Chalfant. Dans la vie, il faut voir les choses en grand sinon on s’ennuie. Or les graffeurs de New York s’ennuient beaucoup dans les années 1970. Ils se lancent donc à la conquête du métro. Une idée géniale qui va faire voyager les blazes de JOE 136 et LEE 163 à travers la ville. Mais le métro ne se cartonne pas n’importe comment ! D’abord, il faut entrer dans une station (avec un double des clés), puis descendre sur les voies et remonter vers les zones de stockage (attention au troisième rail électrié). Devant la rame, les graffeurs se lancent dans un « top to bottom » (de haut en bas), un « end to end » (d’un bout à l’autre) ou même un « whole train » (tous les wagons). Il ne reste plus qu’à sortir avant la reprise du service en évitant les maîtres-chiens et les caméras. En bref, c’est une pratique extrême réservée aux graffeurs vandales (voir ici) qui nourrissent une véritable obsession pour le métro. Les sociétés de transport se sont dotées de moyens considérables pour faire face. La Metropolitan Transportation Authority a même réussi à nettoyer complètement les métros de New York ! La RATP met en place des parades comme les affreux motifs des sièges qui ne laissent plus de place aux tags. Elles font aussi appel à des street artistes reconnus (campagne « Ticket chic, ticket choc » avec Futura en 1984, Quai 36 dans la gare du Nord à Paris, le whole train de Kenor à Kiev). Alors comment rendre hommage aux métros sans rencontrer la brigade antitag ? En customisant des plans, des minimétros en cartons (oui, ça existe) ou en reconstituant, comme Nasty, une station dans la galerie Hélène Bailly (Paris 7e). Nasty, 2011. « J’en ai eu pour mon agent. » Il arrive un moment où un artiste ne parvient plus à gérer seul toutes les demandes qu’il reçoit (collaborations, expositions, festivals, ventes caritatives), il fait donc appel à un majordome amélioré : un agent. Ce dernier gère toute la partie administrative (contrat de cession de droits, facturation) et la sélection des projets en fonction de l’intérêt artistique, du budget et de la notoriété. Des agences se sont même spécialisées dans ce métier d’avenir (agence Rencart). Quelques tics de langage d’un agent : Il utilise « nous ». Comme ces couples fusionnels qui n’ont plus de pensées individuelles, l’agent s’exprime au nom de l’artiste… et s’inclut dans le lot. « Juin ? Mais c’est demain ! » Aussi stressé qu’un attaché de presse (dont il occupe aussi le poste), il ne voit pas comment réconcilier les 52 semaines annuelles et le nombre de projets. « Attention, ce n’est pas un artiste classique. » L’agent connaît mieux la biographie, le curriculum vitae et les tarifs que l’artiste lui-même. De cette connaissance parfaite, il tire une grande satisfaction et n’hésite pas à faire du teasing en entretien. « L’exclusivité, ça va vous coûter cher. » La cession de droits d’auteur est le point névralgique de son travail : qui va utiliser la création, où et pendant combien de temps ? « Désolé, ça ne correspond plus à notre image. » C’est ce qu’on appelle un râteau. Il est intéressant de remarquer que certains agents confondent la notoriété de l’artiste et la leur. « C’est quoi votre nom sur Instagram ? » Une façon détournée de vous demander votre inuence. Les agents ont leurs travers mais leur utilité est primordiale dans le développement de la carrière d’un artiste. « C’est moi qui ai la plus ARTISTES À grosse fresque. » SUIVRE Blu eL Seed Ella & Pitr INSA JR Osgemeos Speedy Graphito
Quatre cents mètres de murs pour la station de RER
Rosa Parks, 3 000 m2 peints par Speedy Graphito à Évry, une favela entière recouverte par JR, un avion transformé par les Osgemeos… Les street artistes seraient-ils complexés par la taille de leurs pinceaux ?
Si certaines créations sont proportionnelles à l’ego
des artistes, d’autres sont d’incroyables projets qui mobilisent des équipes entières et des hectolitres de peinture. Pendant un an, l’artiste eL Seed a cohabité avec la communauté copte des chiffonniers du Caire. Leur ferveur et leur hospitalité lui ont inspiré la réalisation d’une calligraphie qui déploie ses entrelacs sur des centaines d’habitations. Les Zabbaleen vivent maintenant au milieu d’un poème humaniste. L’œuvre est à contempler du haut de la montagne Moqattam. Celle de INSA se voit… de l’espace. Ce fou a réalisé un gif (une très courte vidéo composée de plusieurs photos) avec l’aide d’un satellite. Il a d’abord peint une planche de motifs sur un parking géant qui a été capturée par le satellite. L’équipe a ensuite tout repeint le lendemain en décalant légèrement les motifs pour créer le mouvement sur la vidéo. Quatre jours de travail intense pour quatre photos et une sacrée pub pour Ballantine’s. On imagine l’humeur de l’équipe le matin alors qu’elle doit repeindre toute la partie jaune en rose avant le passage du satellite.
Paradoxalement, le point commun entre tous ces
projets est la moindre importance accordée au résultat final. Avoir pataugé ensemble dans la peinture, partager des moments avec les locaux et résoudre des problématiques techniques folles, voilà ce qui est vraiment monumental !
EL Seed, Projet Perception, Le Caire (Égypte), 2016.
ARTISTES À SUIVRE Bourback « Enn un monde où tout Invader est carré ! » Jim Bachor Waldo
Il y a 2000 ans, les riches propriétaires de Pompéi pavaient
leurs maisons de mosaïques représentant Alexandre le Grand ; aujourd’hui, des stars anonymes collent des personnages de jeux vidéo sur les murs. C’est ce qu’on appelle l’évolution. L’art d’assembler des tessons de céramique a trouvé un nouveau souffle complètement inattendu grâce à Invader (voir ici). Cela s’explique par le succès des jeux vidéo et les limitations techniques des années 1970. Les héros sont pixélisés et cette esthétique carrée devient une vraie source d’inspiration au bon goût de nostalgie. Pour commencer, il faut choisir votre héros, puis constituer la grille modèle. Si vous êtes fainéant, il existe des modèles tout faits appelés Sprite sur Internet, sinon le tableur Excel est votre meilleur ami. Collez ensuite vos carreaux sur un let à l’aide d’une colle adaptée (rendez-vous chez Championnet pour la découvrir, ici). Après séchage, votre planche est prête. Il reste à la coller dans la rue. C’est si facile d’être discret avec une échelle télescopique ! D’autant plus que la pose demande de maintenir la mosaïque pendant au moins deux minutes ! N’oubliez pas de prendre une photo avant le prochain ravalement. Invader, lui, tient à jour sa carte d’invasion en ligne. Et comment font ceux qui n’aiment pas les jeux vidéo ? Ils rejoignent la superbe initiative de la Maison de la Plage (Paris 19e). Cette association couvre de mosaïque les places de Belleville en organisant des ateliers libres où les riverains viennent ajouter leurs tessons aux créations collectives.
Invader, PA_1189, Paris, 2016.
ADRESSES Mur de la Pointe « Je suis très tolérant, j’ai Poulmarch (Paris 10e) même un très bon ami qui Le Point éphémère fait du graffiti ! » (Paris 10e) Domicile de Serge Gainsbourg (Paris 18e) Leake Street Graffiti Tunnel (le tunnel Banksy, à Londres) Le M.U.R. (Oberkampf, Paris 11e) Rue des Pyrénées (Paris 20e) Rue Dénoyez (Paris 20e)
Paris est grège, les immeubles haussmanniens s’uniformisent
dans ce gris teinté de beige. Çà et là, des îlots de couleurs débridées eurissent et résistent jusqu’à devenir pérennes. L’association Le M.U.R. (acronyme de Modulaire Urbain Réactif) a enfoncé bien des portes de la mairie de Paris et dispose aujourd’hui d’une surface de 3 x 8 m au niveau du 107 rue Oberkampf dans le 11e arrondissement. Un combat qui aura duré cinq ans. Entre 2002 et 2007, un collectif nommé « La Nuit » organise des prises d’assaut esthétiques des panneaux publicitaires. Son général Thom Thom explique : « À la logique guerrière de cible et d’impact des campagnes publicitaires, le collectif a répondu par l’excentricité, la vie, la fête. » La mairie cède enn en 2007 et Gérard Zlotykamien baptisera le mur de ses éphémères. Depuis, des M.U.R. ont éclos à Bordeaux, Bruxelles et Lyon et la mairie de Paris en a même commandé 10 à des street artistes sélectionnés ! Loin des démarches officielles et laborieuses se trouvent d’autres lieux où les pièces déjà présentes sont si belles que le graffiti y est toléré. C’est le cas de la rue Ordener (18e arrondissement, Paris), véritable « wall of fame », et de Leake Street à Londres, une rue où Banksy a organisé le Cans Festival en 2008. Les recouvrements y sont nombreux et les noms des graffeurs stars disparus ottent sur des nuages. Il est cependant possible de laisser sa marque sans se confronter aux parrains du graff local. Le canal Saint-Martin à Paris sert d’école du graffiti à Joris, tandis que l’enceinte du domicile de Serge Gainsbourg est recouverte d’hommages… et de déclarations d’amour. Pour s’y retrouver et savoir si un mur est autorisé ou non, rendez-vous directement sur legal-walls.net. Rue Dénoyez, Paris 20e, 2016. « Vous avez vos papiers, s’il vous plaît ? » L’héritage du Japon ne se limite pas aux sushis à volonté et autres statuettes kitsch de chats souriants. Mademoiselle Maurice y a fait un voyage inspirant en 2011, où on lui a raconté l’histoire de Sadako Sasaki, une llette atteinte de leucémie suite au bombardement atomique à Hiroshima, et qui, suivant une tradition japonaise, tenta de plier mille grues de papier an de guérir. L’histoire bouleverse Mademoiselle Maurice qui voit dans l’origami un prétexte pour lancer un combat contre le nucléaire. En 2012, elle orne la rue de grands « NO » en origami blanche. Aujourd’hui, elle nous surprend sans cesse en mélangeant projets gigantesques (les marches de la cathédrale d’Angers en 2013) et apparitions dans des petits festivals (Bas les masques ! à Bourg-en-Bresse en 2016). Mais où trouve-t-elle autant d’origamis ? Il n’y a pas de miracles, Mademoiselle Maurice plie constamment, en méditant, en regardant Arte, lors d’ateliers avec les habitants ou ses amis. Elle stocke ensuite ces formes évoquant des oiseaux et des eurs en papier recyclé de six couleurs vives. Elle peut alors déployer des gures géométriques et des ondes légères. Comme si la nature les avait posées là, insouciante et généreuse. Son dernier tour de force s’appelle « Cycles lunaires » : un mur de 2 000 m2 dans le 13e arrondissement de Paris sur lequel elle a disposé 15 000 origamis. En représentant les phases de la lune, elle fait écho à la mue de l’immeuble promis à la destruction puis à la reconstruction. Réduire Mademoiselle Maurice à l’origami serait un affront à sa puissance positive qui traverse tous les médiums. Preuve en sont ses extraordinaires expositions « Rainbow Mutant Nation » à la galerie Mathgoth (Paris 13e) et « Colors are the New Black ! » à la Backside Gallery, à Marseille. Mademoiselle Maurice, Bourg-en-Bresse, 2016. ARTISTES À SUIVRE Banksy « T’aurais pas une radio ? Blek le rat Faut que je fasse un C215 pochoir. » Epsylon Point Eric Lacan Miss.Tic Mosko et associés Stew
Le pochoir est une technique qui consiste à découper une
forme dans un support rigide. Après passage de la peinture, la forme est reproduite à l’identique. Les pochoiristes ont bien compris que, dans la rue, le temps de création ne doit pas dépasser celui de l’arrivée de la police. Ils se concentrent donc sur la préparation en découpant un motif à l’Exacto de longues heures durant à l’atelier. Si les premiers rats de Blek le rat étaient de forme simple et monochrome, la technique s’est très vite étoffée. Des layers (couches) permettent ainsi d’ajouter des couleurs et des ombrages qui se superposent au premier dessin. C’est ainsi qu’à chaque passage de la bombe, les portraits de C215 s’éclairent et s’affinent un peu plus. Une fois arrivés dans la rue, les pochoiristes ne se débarrassent pas de leurs créations sur le premier mur venu. Ils vont se promener discrètement (avec un seau de colle, une perche et un énorme rouleau sous le bras) jusqu’à trouver un emplacement qui crée une résonance avec le pochoir. Mosko et associés font sortir les tigres des porches parisiens. Jef Aérosol s’exclame « Chuuuuut ! » pour que nous écoutions les bruits des fontaines place Stravinsky à Beaubourg. Un homme peint par Banksy déchire le mur de Gaza pour qu’on y voie la mer. Bref, les pochoiristes ont souvent une âme de poète. Ils déroulent la dentelle de leurs créations sous la lumière des réverbères, font apparaître un visage couche après couche, se déplacent et recommencent.
Stew, Vitry-sur-Seine, 2014.
À LIRE Descente interdite de Karim Boukercha aux « On a résolu cette éditions Alternatives enquête grâce à la (2011) graphologie. »
En 2005 à Versailles, a lieu un procès dantesque. Cinquante-six
graffeurs sont accusés d’avoir dégradé l’espace public et les victimes réclament 1,8 million de dommages et intérêts. Comment en est-on arrivé là ? Il y a bien longtemps et fort loin d’ici vivaient la RATP, la SNCF et les graffeurs. Ils partageaient une passion dévorante pour les trains sous toutes leurs formes (TER, métro, TGV). Hélas, si les premiers les rêvaient propres et à l’heure, les derniers s’imaginaient les personnaliser à leurs couleurs. Tout se passait pourtant bien, la RATP t appel à Futura pour sa campagne « Ticket chic, ticket choc » en 1984. Mais après la vandalisation de la station Louvre-Rivoli par STEM, OENO et GARY en 1991, l’affaire prit un tour plus radical. Le personnage principal devient le commissaire Jean- Christophe Merle qui, lors d’une banale perquisition pour des stupéants, tombe sur un fanzine bourré de photos de graffitis. En deux ans, il remonte toute la lière, arrête une centaine de graffeurs et en amène 56 à Versailles. Le jugement a été rendu 10 ans après le procès. De la peinture a coulé sous les ponts. Certains graffeurs sont passés d’adolescents libertaires à artistes reconnus, d’autres n’ont plus aucun rapport avec le milieu. Reste le montant gigantesque demandé, celui-ci étant calculé sur la base d’un préjudice matériel (devis de nettoyage) et d’un préjudice moral (perception négative du service par les usagers) plus subjectif. La cour a tranché en divisant les sommes réclamées par 10. Le procès de Versailles a réussi à concentrer toutes les contradictions du street art : vandalisme contre art, délit contre dégradation et valorisation contre répression. Si vous aimez les procès (chacun son truc), reportez-vous à la section Azyle. « AprèsC’est mon choix de graffer et Touche pas à mon poste de street artiste, découvrez La France a un incroyable vandale ! » L’art urbain est un mouvement ultra documenté. Qu’elles soient mises à jour par les graffeurs ou la police, les archives sont pleines ! Un hommage doit être rendu à Martha Cooper et Henry Chalfant qui ont très vite saisi leurs appareils pour immortaliser les premiers graffeurs dans leur livre Subway Art . Henry s’est ensuite lancé dans la vidéo avec le mythique Style Wars sorti en 1983. Ce documentaire mélange les visions oniriques des métros colorés sortant de leur gangue de rouille et les interviews sans concession des graffeurs… avec leurs mamans. Subway Art Style Wars et eurent un impact considérable en Europe. Alors que Bando et JonOne commencent à décorer les rues de Paris, il est grand temps de compiler toute cette énergie. Henry s’y colle donc à nouveau avec son livre Spraycan Art, paru en 1987 tandis que Vincent Cassel pose sa voix sur le documentaire Writers : 1983-2003, 20 ans de graffiti à Paris. On y découvre comment le terrain de Stalingrad à Paris a catalysé les bases du hip-hop français mais surtout que personne ne dit jamais « on sort graffer » (voir lettrage, ici). La quantité de graffitis recouvrant le métro parisien nit par titiller Canal+ qui produit le reportageTag la guerre souterraine. On y voit Sier en action, l’arrestation de SEGA et la descente de Hermès commentés par une voix off dramatique. Un peu d’espoir subsiste cependant avec les PCP (Petits Cons de Peintres), auteurs de l’excellente sérieLascars . Enn, la puissance des créations et la camaraderie des crews inspirent également des docuctions comme Vandal(par Hélier Cisterne, avec les superbes interventions de Lokiss) et le poétique Los Hongos (d’Oscar Ruíz Navia). ARTISTES À SUIVRE Banksy « La version graffiti des Blek le rat autocollants Panini. » C215 Epsylon Point Eric Lacan Miss.Tic Mosko et associés Stew
Avez-vous déjà regardé derrière un panneau Stop ? Une
multitude d’autocollants recouvrent le métal. Ils sont noir et blanc avec une signature au milieu. Les stickers sont comme les Pogs : une mode directement importée des États-Unis. Au début, les graffeurs signent de leur tag des chutes de papier adhésif récupérées dans les imprimeries ou des autocollants vierges (pour les plus argentés). Puis les premiers magasins de bombes de peinture offrent un autocollant pour l’achat de plusieurs bombes de peinture. Ils sont ornés d’une bande bleue ou rouge en haut et en bas ainsi que d’un encart blanc au milieu pour y inscrire son tag. Sur la bande supérieure, une phrase d’accroche efficace : « Hello my name is ». Aujourd’hui, il est possible de se faire imprimer des centaines de stickers pour trois fois rien. On privilégie les typographies massives et visibles, un encadrement bien épais et le nom du crew en bas à droite. Le tout en noir et blanc, restriction budgétaire oblige. Les poteaux des lampadaires et des panneaux de signalisation sont les supports privilégiés : leur métal parfaitement lisse adhère comme par magie aux stickers. Serait-ce fait exprès ? La mairie en a rapidement eu assez de voir eurir les étiquettes. Elle mélange donc du sable à la peinture des poteaux, la texture devient granuleuse et accueille beaucoup moins bien les petits rectangles. Des rumeurs courent sur l’invention d’un papier au blanc d’œuf qui tiendrait même sur le sable. La compétition n’est pas encore terminée ! Stickers, Paris, 2016. « Mais qu’est-ce que vous faites ? C’est le graffiti ? » Vous montez à la station Stalingrad, sur votre siège une signature noire nit de sécher, vous passez devant un camion recouvert d’une forme argentée arrondie, enn le métro s’arrête au-dessus d’un mur splendide où s’entremêlent les couleurs et les èches. Bravo, vous avez rencontré le tag, le op et le graffiti : les trois variations d’une même technique, celle de l’écriture. Le tag (« étiquette » en anglais) est à la base du lettrage (voir ici). Il consiste à écrire rapidement son nom au marqueur. Plus on l’écrit, plus on gagne en renommée mais aussi en technique. En effet, le tag concentre le style de l’auteur (mouvement des lettres, espacements, liaisons et décorations distinctives). Chaque lettre du throw up, ou op, s’écrit d’un seul coup de bombe. On y recherche la uidité (d’où l’étymologie très imagée, throw up signie vomir en anglais) et la technique. Les contours sont souvent plus sombres et le remplissage se fait à la bombe argentée. Cette couleur (on parle de chrome) est très populaire. D’abord parce que la lumière s’y reète vivement et rend la création très visible, mais aussi parce que les pigments y sont si concentrés que la peinture recouvre même les supports les plus abîmés. Enn, le graffiti (ou piece) est un lettrage d’ampleur. Il est réalisé dans un terrain vague ou sur un mur toléré. Bref, un endroit où les policiers ne vont pas débarquer dans la demi- heure. L’artiste peut prendre le temps de démontrer toute la palette de ses talents : dégradés vaporeux, personnages hyperréalistes et wildstyle complexe. Lorsque de nombreuses pièces mythiques sont rassemblées sur un mur, celui-ci prend le nom de « wall of fame ». Chaque discipline est interdépendante. C’est pour cela qu’il est impossible de vouloir à la fois promouvoir le graffiti et la disparition du tag ! « Le futur est dans la toile pour conserve what we do », explique JonOne dans le documentaire Writers (2004). La toile est le support incontournable qui règne sur l’art classique. Elle est constituée d’un châssis en bois sur lequel est xée de la toile de lin ou de coton souvent apprêtée avec un enduit blanc. Des petits triangles en bois (les clés) sont à enfoncer dans les coins pour la tendre. Que faire de ce support si différent de la rue ? Complètement lisse, la toile n’a pas la texture d’un mur. Elle n’existe pas dans un contexte urbain déni (voir in situ, ici). On a le temps de la peindre et surtout elle ne va pas se faire recouvrir par une autre ! L’angoisse de la toile blanche symbolise en fait toute la complexité, pour un street artiste, d’un passage à la galerie. On entend déjà les détracteurs (« Si c’est en galerie, ce n’est pas du street art »), comme si le mouvement entier se réduisait au lieu de création. Pour sortir de cette impasse, les artistes réagissent différemment. Prendre le temps de la perfection en pliant des origamis à la pince à épiler comme Mademoiselle Maurice. Recréer un fond urbain en collant une photo en arrière- plan comme Katre ou le collectif Photograffé. Peindre dans la rue puis amener la toile en galerie comme Kashink. Arracher des morceaux de la rue : rien de tel qu’un bon panneau de signalisation routière détourné par Clet Abraham, des miroirs abandonnés transformés en diamants par Le diamantaire ou carrément une voiture repeinte par Tilt. Recycler le matériel de création, comme Nasty qui compresse ses bombes usagées pour créer des plaques prêtes à graffer. Les acheteurs préfèrent les toiles par tradition et pour leur côté pratique. Les street artistes répondent bien sûr à cette demande mais à leur manière ! « J’ai fait la queue pendant 5 heures. J’ai eu de la chance ! » Pendant deux mois, une tour dégoulinante de peinture orange uo puis de calligraphie rose s’est dressée dans le 13e arrondissement de Paris. Une exposition tour de force organisée par la galerie Itinerrance. En 2013, les fonctionnaires de Bercy ont la surprise de voir que le toit de la tour d’en face commence à couler. Un débordement de peinture orange recouvre la façade. Quelques mois plus tard, tous les yeux de la capitale sont rivés sur ce lieu incroyable. Une exposition gratuite rassemblant 105 artistes est ouverte pendant un mois avant destruction dénitive de la tour. Mehdi Ben Cheikh, directeur de la galerie Itinerrance, donne ainsi une seconde vie aux logements sociaux du bailleur ICF Habitat-La Sablière promis à la destruction. Après une longue attente (entre 3 et 7 heures), les visiteurs entament une visite immersive. Chaque appartement est coné à un artiste lui permettant ainsi de faire littéralement entrer le spectateur dans son univers. Après les 50 minutes autorisées, le public sort, sonné par la richesse des techniques employées (pochoirs, installations, calligraphie, photoréalisme…) mais aussi par la puissance des univers déployés par les artistes. Ces derniers détournent l’architecture et la décoration désuète. On pense à Seth qui joue avec un terrible papier peint euri et à David Walker qui fait de la baignoire une palette. D’autres transforment la matière : Sambre construit une fausse perspective faite de portes et de fenêtres, Katre ouvre le salon sur une friche industrielle, Lek clôture cette expérience par un dernier voyage dans le monde de Tron en recouvrant les murs de la cave de peinture phosphorescente bleue. Puis les grues crèvent les murs et mettent à jour les extraordinaires peintures une dernière fois. Un musée en ligne est disponible sur tourparis13.fr.
EL Seed, Tour 13, Paris, 2013.
« Je te toye, tu me toyes, par la barbichette. » À la base, un « toy » désigne un graffeur débutant, par opposition au « king », respecté pour avoir cartonné un quartier ou une ville entière. Par extension, toyer désigne l’acte de repasser l’œuvre d’un autre. Voilà bien le symbole des rivalités entre graffeurs et entre crews. On distingue plusieurs types de toys : Le toy ignorant. Imaginons qu’un individu lambda soit pris d’une folle envie de se lancer dans le monde du street art. Pétri de naïveté, il va recouvrir un nom déjà existant. Avec un peu de chance, il peut tomber sur un parrain du vandale (voir ici) et faire ainsi une entrée fracassante dans le milieu. Le toy provocant. Fini le temps de l’innocence, on recouvre volontairement pour revendiquer un territoire. La victime doit alors repasser son nom qui se fera encore recouvrir, jusqu’à trois fois au cours d’une même nuit ! Il est même possible de se faire toyer à cause des actions d’un membre de son crew. Il paraît que la police pratique aussi ce petit jeu, en toyant avec le blaze CATZ les graffeurs à appréhender. Le toy « c’est la crise ». Le nombre de murs disponibles dans une ville reste malgré tout limité. Il y a bien un moment où il faut peindre sur l’existant ! Alors on fait preuve de respect envers l’artiste précédent, en recouvrant entièrement son travail par une pièce qualitative et en insérant une dédicace. Enn, sachez que toyer peut vous coûter cher… David William Noll a payé 13 000 £ pour avoir toyé Banksy à la Saint-Sylvestre . Ça fait cher le nouvel an ! ARTISTES À SUIVRE Collectif France Tricot « J’ai pris ma petite laine Knit the City pour embellir la rue. » Magda Sayeg Souter Stormers
Le yarn bombing consiste à recouvrir un élément de l’espace
urbain de laine – une intervention non agressive et étonnamment rétro. Le street art a vraiment un don pour révolutionner les pratiques les plus surannées et inattendues. Après la mosaïque, voici le tricot ! Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, un vieux chat qui bâille, une mamie enfoncée dans son fauteuil crapaud à eurs. Voilà ce qui nous vient à l’esprit lorsque l’on parle de tricot. Magda Sayeg, elle, y a vu un moyen très pratique de redonner des couleurs à sa ville. Sa mère étant peu portée sur les travaux manuels, l’artisanat a pris une dimension quasi magique chez Magda. Elle commence en recouvrant la poignée de la porte de sa boutique à Houston en 2005. Rapidement, elle déborde dans toute la ville avec son collectif Knitta (ou Knitta please) : ils habillent les palmiers et les potelets de cols roulés lumineux, et des bus sont entièrement recouverts de pulls aux motifs psychédéliques ! La pelote se déroule jusqu’à Londres où trois tricoteuses lancent Knit the City, un crew qui se propose de détourner l’art public ennuyeux… et de régler la faim dans le monde avec leurs aiguilles. Une mamie de 104 ans s’engage dans Souter Stormers, un groupe de guerilla knitters qui cartonne l’Écosse. En France, nous avons le Collectif France Tricot qui organise des « apéros tricot ». Le yarn bombing, c’est transformer une technique ringarde en quelque chose de militant et fun. On ne peut que se demander quel va être le prochain artisanat ainsi dépoussiéré… Le macramé peut-être ? Les paris sont ouverts ! FRICHES CÉLÈBRES les Bains « Tu viens à la soirée de le fort d’Aubervilliers Jean-Pierre ? le Mausolée – Je peux pas, j’ai urbex. » la petite ceinture la piscine Molitor (avant) Stalingrad le Yoyo
Non, l’urbex n’est pas une nouvelle application de réservation
de taxis ni une pratique sexuelle exotique. C’est tout simplement la contraction de urban exploration : un sport qui consiste à redécouvrir une ville en accédant à des lieux interdits du public. Une usine abandonnée, un toit inaccessible, des ruines perdues, autant de trésors pour les fans de l’urbex. La communauté est très active en ligne et multiplie les conseils pour accéder à de véritables légendes urbaines (la ligne 15 du métro parisien). On imagine bien que de telles beautés ne s’obtiennent pas facilement ! Mieux vaut connaître l’escalade, être uet et vacciné contre le tétanos et le vertige. Il faut grimper, pousser de lourdes portes et courir plus vite que les maîtres-chiens ou les toxicos en slip (véridique). Ces lieux vierges, pleins de poussière qui découpe la lumière et de vestiges magniquement corrompus par la rouille, sont de véritables sources d’inspiration pour les photographes et les street artistes (Katre). On y trouve ce qu’il manque tant dans nos villes : la solitude, de l’espace et le charme de la décrépitude. Ces endroits servent de terrain d’entraînement pour les petits nouveaux, mais aussi d’archives murales de l’histoire du graffiti (voir Le Mausolée, ici). L’urbex est indissociable du sentiment de découverte, celui d’être le premier sur un mur vierge. Et pourquoi ne pas peindre son nom plutôt que de laisser un drapeau ?
Pastek, Chrome, Cuivre et Or, Saint-Ouen, 2012.
ARTISTES À SUIVRE Azyle « Ambiance scandale, Bando danse de vandales. » Colorz HORFEE (Fonky Family, Art de rue) Nasty O’Clock Phase 2 Rizote SEEN Sign Toile
Par dénition, le vandalisme désigne toutes les inscriptions
réalisées sur des supports non autorisés. Ce qui reviendrait à dire que 90 % des créations de street art sont vandales. Dans la pratique, un vandale est assimilé à un tagueur qui « cartonne » les endroits interdits avec son blaze. Les vandales ont tous des histoires différentes mais ils se retrouvent autour de l’envie de revendiquer le territoire, de créer et d’exister via leurs exploits et du fun qu’ils y trouvent. Ces aspirations traversent les couches sociales, les bourgeois côtoient donc les banlieusards, un marqueur à la main. Les vandales « défoncent » les métros et les trains, les tunnels (le pont du Carrousel à Paris), les camions, les toits, les façades et le mobilier urbain (les palissades de Beaubourg puis de la pyramide du Louvre). Les conditions d’accès à ces lieux sont extrêmement dangereuses, toucher le troisième rail du métro est mortel (RIP Opea et Moka). Les vandales puristes ne vivent que pour recouvrir le maximum de surface (Toile) et refusent toute merchandisation ou exposition. Ils y gagnent en réputation et s’octroient même un titre : celui de « king ». Ils ajoutent alors une couronne au-dessus de leurs signatures. TRACY 168, CLIFF 159 et KILL 3 sont connus pour être les All City kings de New York. En allant si vite, ils ont créé leur propre esthétique : un style d’apparence simple (le throw up), peu de couleurs (souvent des chromes), de la saturation (répétition de tags) et beaucoup vraiment beaucoup de coulures (on dit dripping quand on est bien élevé). Les vandales ont un dernier point commun : ils se sont presque tous fait prendre par la police. Avis aux amateurs… MAISONS DE VENTES Artcurial Cornette de Saint Cyr « Le succès de la vente a Leclère rendu le commissaire- Piasa priseur complètement Tajan marteau. »
En 2006, Arnaud Oliveux, commissaire-priseur chez Artcurial,
reçoit une collection particulière avec de vrais morceaux de Futura 2000 et de JonOne dedans. Il lance aussitôt la première vente aux enchères spécialisée en street art. Le succès est tel que l’événement est reconduit tous les ans. Il suit un déroulement bien huilé. La sélection des œuvres (le fameux pest control) et l’estimation sont réalisées en amont par des spécialistes qui vont ensuite éditer un catalogue et lancer l’exposition. Un vernissage et des performances vont rythmer celle-ci dans le cadre, fort simple, d’un hôtel particulier au rond-point des Champs-Élysées. La vente est un moment trépidant où se mêlent starlettes sous leurs lunettes, passionnés sans le sou et collectionneurs par téléphone. Les artistes eux-mêmes se déplacent et les ventes sont animées par le charisme du commissaire-priseur. Retournement de situation et suspense insoutenable du dernier coup de marteau électrisent l’assemblée. Les records s’empilent dans les pages des journaux le lendemain : on se souvient encore de l’œuvre Keep it Spotlessde Banksy qui a atteint 1,87 million de dollars en 2008 ou du tout jeune Hopare qui vend, à 27 ans, son magnique portrait Pérou à 22 800 € en 2016. Au nal, tout le monde s’y retrouve. Les artistes font exploser leurs cotes en moins de 30 minutes tandis que les investisseurs protent du champagne et achètent sans peur des œuvres sélectionnées. Les ventes sont ouvertes à tous et permettent d’apercevoir la réalité nancière du marché. Alors n’hésitez pas, c’est l’occasion de voir des pièces triées sur le volet ! « Tu viens au vernissage galerie du Jour ? Il y aura des petits-fours. » Le vernissage, et son pendant le nissage, marquent respectivement le début et la n d’une exposition. Voici nos conseils pour s’y repérer. Qui est l’artiste ? Celui qui a l’air le plus fatigué. Épuisé, il se réfugie auprès de ses amis pour ne pas avoir à parler aux acheteurs potentiels. Ses habits sont recouverts de taches assorties aux tableaux. Qui est le galeriste ? En tenue faussement décontractée, il explique et répond de façon extrêmement enthousiaste à toutes les questions, surtout celles des collectionneurs. Il pousse l’artiste vers les personnes importantes à rencontrer. Qu’est-ce qui est vendu ? De discrets points rouges sont collés sur le cartel (on dit cartel, pas étiquette). Parfois, il y en a plusieurs sur la même œuvre parce qu’elle existe en plusieurs exemplaires (sérigraphies ou tirages). Ça vaut combien ? Des catalogues sont dispersés un peu partout dans la galerie ou le prix est affiché directement sur les cartels. Qui achète ? Les collectionneurs sont rarement là lors des vernissages. On les reconnaît à leur costume sur-mesure et à la marque de leurs sacs à main (plutôt Céline que Celio) Est-ce qu’on peut manger gratuitement ? Hélas, il est devenu rare de croiser des pains surprises. Au mieux, vous aurez de tristes Tuc. Vous rencontrerez également les journalistes, les blogueurs, les groupies et les agents (voir ici et ici pour les deux derniers) . « J’ai pris mon pinceau ! – Et moi mon marteau-piqueur ! – C’est bon, on est prêts ! » On dit que la création provient de la destruction. Certains artistes prennent ce proverbe au pied de la lettre. Lisbonne n’est pas que l’épicentre de la cuisson des pastéis. En 1974, la ville est traversée par la révolution des Œillets, et la population prend possession des murs. Les années passent et la publicité recouvre les slogans contestataires couche après couche. En 1987, le petit Alexandre Farto naît à Seixal, la banlieue ouvrière de Lisbonne. Il commence le graffiti avec ses amis comme d’autres jouent à la console. Rapidement, il est frappé par le décalage extrême entre les publicités collées sur les murs et la vie réelle des habitants. La rue n’est plus le reet de la révolution. Cette prise de conscience devient le leitmotiv de son travail. Il veut rendre les murs aux riverains anonymes. Il laisse tomber la bombe pour… le burin. Il attaque directement le mur, détruit les couches d’affiches et remonte ainsi dans le temps. Sous ses coups, des visages fragiles apparaissent, la violence de la technique contrastant vivement avec la délicatesse des portraits. Banksy ne reste pas insensible et l’invite à son Cans Festival en 2008. À 21 ans, Vhils expose avec succès une série nommée Scratching the Surface . Aujourd’hui, il alterne les expositions entre Hong Kong, Londres et Paris. Il a même ouvert une galerie, Underdogs, dans sa Lisbonne natale. Sa technique n’est-elle pas le reet parfait du charme décrépit de la ville aux 365 recettes de morue ?
Vhils, Sr. Edinho, Rio de Janeiro (Brésil), 2012.
ARTISTES REPRÉSENTÉS « Tu connais pas Vitry ? C215 Mais c’est le nouveau Kouka Brooklyn ! » Pixel Pancho David Walker et encore 100 autres
Ah la banlieue ! Les parfums subtils du RER, le charme des
pavillons bétonnés, la grâce des barres d’immeubles… et soudain un robot franchouillard nous sourit. Il porte son béret et sa baguette avec erté et s’étale sur plusieurs mètres de façade. Que vient faire ce super Dupont robotique en plein Val- de-Marne ? Bienvenue à Vitry, la « capitale du street art français », un titre qui n’est pas décerné au premier venu. La ville prend son rôle de promoteur artistique au sérieux depuis longtemps. Difficile de passer à côté de la gigantesque colonne de Dubuffet édiée en 1996 sur le carrefour de la Libération. Depuis 2008, la ville se concentre sur le street art. Pourquoi 2008 ? C’est la date où Christian Guémy, alias C215, la star du pochoir, y a posé ses valises. Il commence une collaboration avec la mairie en organisant Vitry Jam, un festival qui va donner des couleurs à l’ancienne cité ouvrière. Au total, plus d’une centaine d’artistes participeront, dont Dan23, Jorge Rodriguez-Gerada, Sly2 et Pixel Pancho qui réalise le portrait (du) robot visible du RER. Le succès est total et prote localement aux galeries (galerie Dunia), commerces (librairie Le Tome 47) et à la région qui organise des balades street art. Le maire actuel, Jean-Claude Kennedy, a déclaré que le street art est toléré dans sa ville. Sous-entendu : faites-vous plaisir, les murs sont libres ! C’est la consécration d’une démarche vertueuse. Des chenapans ont même dérobé les boîtes aux lettres peintes par C215. Gageons que cet acte puéril n’empêchera pas les artistes de faire de cette ville une belle Vitry’n ! Page de copyright Auteurs : Marc Renaud & Jungle
Direction éditoriale : Anne la Fay
Édition : Elise Marcantoni Direction artistique : Julie Mathieu et Emmanuel Perrin- Houdon Réalisation numérique : Karen Pasquier
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation strictement réservés pour tous pays. Malgré toutes nos recherches les détenteurs des droits de certaines images n’ont pas été retrouvés. À cet effet, un compte en nos écritures leur est ouvert. www.mangoeditions.com Dans la même collection