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Jérôme Laurent aka JUNGLE est un artiste parisien, né en 1968.

Son parcours l’a amené à côtoyer différents champs


artistiques : l’univers cinématographique, la bande dessinée, le
web design. Autant d’espaces qui ont construit sa sensibilité et
son regard. Il dessine et peint depuis toujours. Inspiré par Keith
Haring, le cubisme, le comics américain ou les covers de pulp,
sa démarche s’inscrit dans un mouvement de l’art urbain
contemporain, populaire.

Féru d’art, Marc est un passionné du monde du street art. Dès


2013, il crée avec deux amis l’agence RENCART, qui propose aux
entreprises de s’appuyer sur les richesses de cet art urbain
pour renforcer leur communication. C’est au travers de cette
structure que Marc développe une écurie de « street artistes »
indomptables repeignant la ville et ses infrastructures, des
Autolib’ aux magasins Naturalia.
Il donne depuis 2016 des conférences en milieu urbain, pour
partager son savoir au plus proche des œuvres.
À propos du street art
Depuis la n des années 1960 aux États-Unis, un cri jaillit des
bombes de peinture pour revendiquer l’espace urbain. Fini la
déshumanisation des villes, la standardisation de l’urbanisme
et l’élitisme artistique, l’art d’aujourd’hui se pratique pour tous
et dans la rue.
Il suffit de se promener pour constater la diversité des
techniques employées : le graffiti, le pochoir, le collage, la
mosaïque. Heureusement que tout est bien emballé dans le
terme « street art », une jolie étiquette fourre-tout qui sonne si
bien en anglais…
Dans ce livre, nous avons coupé les étiquettes et laissé tomber
les cases. En redonnant la parole aux artistes, nous vous
proposons d’entrer directement dans leurs univers. Des
techniques de création aux lieux qu’ils traversent (ateliers,
galeries) en passant par les personnages qu’ils rencontrent
(bonjour monsieur l’agent), inltrez-vous à leurs côtés.
Venez découvrir 50 secrets du street art !
Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont accompagné et/ou
supporté pendant la rédaction de ce livre : Claire ma
conseillère, Lionel le racoune, mon éditrice Anne, Élise la
coordinatrice et Jungle l’illustrateur. Également toutes les
personnes qui ont répondu patiemment à mes innombrables
questions : Tarek Ben Yakhlef, Karim Boukercha, El Seed,
Levalet, Mademoiselle Maurice, Scred, Socrome et Sowat.
Table des matières
Personnages - Artiste
Lieux - Atelier
Artistes emblématiques - Azyle
Artistes emblématiques - Banksy
Vocabulaire - Blaze
Matériel - Bombes
Vocabulaire - Caps
Lieux - Championnet le roi de la mosaïque
Techniques - Collage
Personnages - Le collectionneur
Techniques - Craie
Vocabulaire - Crew
Inspiration - Engagements
Inspiration - Fanzines & magazines
Inspiration - Les femmes
Les bons moments - Festival
Personnages - Le flic
Lieux - Fournisseurs de bombes
Personnages - Le galeriste
Personnages - La groupie
Inspiration - Hip-hop
Techniques - In situ
Techniques - Installations
Artistes emblématiques - Invader
Artistes emblématiques - JonOne
Techniques - Lacération
Techniques - Lettrage
Matériel - Marqueurs
Lieux - Le mausolée
Lieux - Métro
Personnages - Monsieur l’agent
Techniques - Monumental
Techniques - Mosaïque
Lieux - Murs tolérés
Techniques - Origami
Techniques - Pochoir
Les bons moments - Procès de Versailles
Inspiration - Reportages
Techniques - Stickers
Vocabulaire - Tag, throw up & graffiti
Matériel - Toile
Lieux - Tour 13
Vocabulaire - Toyer
Techniques - Tricot
Vocabulaire - Urbex
Vocabulaire - Vandale
Les bons moments - Ventes aux enchères
Les bons moments - Vernissage
Artistes emblématiques - Vhils
Lieux - Vitry-sur-Seine
Page de copyright
Dans la même collection
« C’est votre vrai métier ? »
Au revoir les préjugés ! Tous les street artistes ne viennent pas
de banlieues glauques, ni ne portent de baggies odorants en
écoutant du rap hardcore. Figurez-vous que certains ne se
dissimulent même pas derrière un sweat à capuche !
Alors quel est le point commun entre ces peintres sur
bâtiments ?
Ils sont tous mus par une incroyable volonté d’expression.
Ils peignent leurs messages personnels, qu’ils soient
anticapitalistes, égoïstes, féministes, ludiques ou
simplement esthétiques. Du collégien à l’ingénieur
automobile en passant par l’artiste conrmé, ils sortent le
jour ou la nuit pour s’exprimer, et ce désir est plus fort que
les amendes et les clôtures.
Si les jeunes s’interrogent encore sur la technique
(« J’hésite entre la céramique et le photoréalisme »), les
pros se demandent ce qui les rend uniques (« Oui mais
moi, je fais mes contours plus gros que les autres »).
Quant aux stars, elles ressemblent à ces mamies qui n’ont
plus peur de rien, leurs parcours parlent pour elles. Elles
font ce qui leur plaît avant tout (« Et si je peignais un
téléphérique ? »).
Ils ont fait des études plutôt créatives (les beaux-arts, des
écoles de peintre en décors, d’infographie) ou
complètement inattendues (CAP soudeur).
On ne peut pas dire que les relations commerciales soient
leur fort (voir Monsieur l’agent, voir ici) mais quelques-uns
manient les réseaux sociaux avec brio (Hopare).
Les artistes sont créatifs parce qu’ils sont obsédés par un sujet
bien précis et souvent inédit. Si vous leur parlez, vous
apprendrez des choses improbables comme l’inuence du
constructivisme sur le rétrofuturisme (OPERA) ou l’existence
d’émissions de téléréalité sur les drag-queens (Suriani). Soyez
curieux !
La résidence Le 6B à
Saint-Denis ouvre
« Passe à l’atelier ! régulièrement les
– Tu veux dire chez toi ? » portes de ces lieux
extraordinaires.
N’hésitez pas !

Autant le dire tout de suite, l’atelier sous verrière à


Montmartre est un mythe. Dans la réalité, il s’agit d’une
unique petite pièce qui se trouve chez l’artiste. Si elle est plus
grande, elle est forcément partagée avec un autre artiste. Ces
« colocations artistiques » s’appellent des résidences. La Ville
de Paris met également à disposition des espaces à prix
modérés. Disons simplement que le processus de sélection est
aussi long et laborieux que l’écoute de l’intégrale de Jean-
Michel Jarre. L’atelier sert à la fois de lieu de stockage d’œuvres
et de matériel, d’espace de création et d’exposition.
Si l’on peut deviner la personnalité d’un homme à ses
chaussures, l’atelier est une sorte de chaussure. Il permet de
classer les artistes en deux catégories :
Les psychorigides (minoritaires) : ils classent leurs
pinceaux par taille et les accrochent à des clous
équidistants (« C’est plus pratique ! »), et les bombes de
peinture sont triées par couleur (« C’est plus simple ! »).
Les bordéliques : ils pensent sincèrement que la création
émerge du chaos. Le café y est rangé entre un extincteur
repeint (« Je l’ai récupéré dans une friche ! »), la
sérigraphie d’un ami artiste et une radio antique – pensez
à vérier qu’il n’y a pas de peinture dans le verre en
plastique qu’il vous tend avant d’y verser votre café ! Vous
trouverez toujours un tabouret maculé en face d’un mur
particulièrement coloré. C’est là que la magie opère.
« Le droit d’Azyle me permet de graffer tout ce que je
veux. Pratique ! »
Azyle est le héros français du graffiti vandale. Parfois, dans la
vie, nous croisons des personnages extraordinaires : un serveur
parisien sympathique, une professeure d’allemand joyeuse ou
un entrepreneur modeste. Azyle est de ceux-là. Son tag a
recouvert des centaines de fois les tunnels et les métros
parisiens. Il est l’incarnation du graffeur vandale, le Némésis de
la RATP et de la brigade antitag. Le reste du temps, il s’appelle
Sylvain, est ingénieur dans l’automobile et père de deux
enfants.
En 1990, il commence une longue crise de folie qui va durer 17
ans. Il écrit son pseudonyme (son blaze) encore et encore sur
les wagons parisiens. Sa signature se superpose à elle-même
dans des couleurs harmonieuses. Azyle organise des sorties
« punitives » et obsessionnelles où il habille les rames de
lettres rondes terminées par un « e » rageur. Ses interventions
sont méthodiques, il choisit le matériel le plus agressif
possible (acide, encre indélébile). Il se crée rapidement un
dossier et des amis policiers qui lui confesseront être soulagés
de le rencontrer enn, la nuit, un certain 25 juin en 2007. Mais
entre-temps, son blaze a recouvert des chars d’assaut et
surtout le Concorde !
La RATP lui réclame d’abord 600 000 €, en obtient 192 000 €
du tribunal, réduits à 138 000 par la cour d’appel de Paris. Il
À
souhaite payer car il aime la justice par-dessus tout. À tel point
qu’il fait constater par un huissier le véritable coût du
nettoyage qui, selon lui, s’élève à 40 000 €. En effet, pendant
trois ans, Sylvain a référencé tous les graffitis d’Azyle dans un
chier Excel qui servira à sa défense et à celle du mouvement
graffiti de façon générale. La RATP nit par triompher malgré
cette tirade de l’avocat de l’accusé : « Mon client est sans doute
un peu dingue, mais ne pourrait-on pas lui reconnaître la
même folie que celle qui animait Picasso ou Dalí ? »
La réponse au prochain épisode, l’artiste a formé un pourvoir
en cassation…

Azyle, Saturation, métro ligne 8, 2007.


« Si le graffiti pouvait changer les choses, il serait
illégal. »
Banksy est classé 54e dans le top 500 des artistes
contemporains les mieux cotés dans le monde et nous ne
connaissons toujours pas son identité. Cela vous étonne ?
Bienvenue dans l’univers de cet artiste protéiforme et
impertinent !
Né à Bristol en 1974, Banksy découvre le graffiti aux côtés de 3D
(futur membre de Massive Attack) mais aussi des habitants
eux-mêmes qui ont pris l’habitude de marquer leurs
désapprobations directement sur les murs. Une pratique
intéressante mais pas suffisante pour cet artiste hors norme.
En 2004, la « Banksy of England » imprime des centaines de
billets de 10 £ où la tête de la princesse Diana remplace celle de
la reine. En 2010, son documentaire Faites le mur ! Exit
(
Through The Gift Shop ) montre l’ascension incroyable du
personnage Mr. Brainwash (Thierry Guetta) : une heure trente
d’images délirantes où un parfait inconnu devient une star
internationale. Collectionneurs, galeristes, « experts »,
personne n’en sort indemne.
Son dernier exploit est d’avoir créé Dismaland, une copie
grinçante du célèbre parc d’attractions (dismal signiant
lugubre). Les visiteurs sont accueillis par des animateurs
dépressifs, le spectacle d’orques a lieu dans une piscine en
plastique et la mort joue toute seule aux autos tamponneuses.
Tout le génie de Banksy est concentré dans cette dernière
performance : organisation impressionnante, images décalées
et poignantes, et invités prestigieux (Damien Hirst).
Tous les ans, on nous annonce que Banksy a été arrêté ou pire
que c’est une femme (!), alors que tout ce qui compte pour
nous, c’est quelle sera sa prochaine insolence.

Banksy, Love Is In The Air.


« Say my name, say my name. »
Le blaze est le pseudonyme de l’artiste. C’est son nom de
combat, ce qui l’identie en peu de lettres et créera sa légende
à la place de son visage. Pour tous les artistes en devenir, voici
quelques conseils pour se trouver un blaze de derrière les
fagots.
Parlez de votre passion : Qu’est-ce qui vous anime ?
Cherchez au plus profond de vous ce qui vous meut dans
la vie. « J’adore le pain à la farine de maïs, mon blaze sera
Cornbread », se dit le graffeur pionnier de Philadelphie.
Éviter de justesse le RER ZEVS (prononcer Zeus) a été une
révélation, pense de son côté le graffeur éponyme.
Soyez vous-même : Un nom, vous en avez déjà un, alors
pourquoi en changer ? Prenez l’exemple de (Frank)
Shepard Fairey, Romain Froquet ou Tristan Eaton. À éviter
si vous vous nommez Jean-Jacques Chancel.
Soyez quelqu’un d’autre : Les graffeurs travaillent souvent
la nuit. Ils s’inventent donc des noms de superhéros
comme The Masked Bastard, Miss.Tic, Misterpee, Pubis,
Toile.
Lancez une mode : Taki 183 associe un diminutif de son
nom (Demetraki) et le numéro (183) de sa rue à New York.
Il sera suivi par une multitude de graffeurs : Angel 136, CAY
161, Frank 207, Eva 62… On comprend facilement que cette
technique n’ait pas trop marché en France, le blaze Michel
du 27 rue Cavé ruinant toute « street credibility
».
Soyez compétitif : Vous avez trouvé le blaze parfait, mais
manque de bol, il est déjà pris. Ce n’est pas un problème !
Ajoutez un « 1 » ou « One » à la n pour signier que vous
êtes le meilleur. Une technique prisée par JonOne,
Opseone, Seth One, etc.
Alors vous avez trouvé ? Rappelez-vous une dernière chose :
votre blaze est comme un Pokémon, il peut évoluer !
« La bombe a explosé dans mon sac… Il est
entièrement repeint. »
De la peinture, du gaz et de la pression, c’est tout ce qu’il faut
pour créer l’outil de base du graffeur. « Si je prends l’insecticide
en spray de l’armée américaine, et que je remplace le produit
par de la peinture, que se passe-t-il ? », se demande
sérieusement Edward Seymour en 1950. C’est nalement une
bonne idée puisque son entreprise occupe aujourd’hui des
bureaux de 220 000 m2 dans l’Illinois. La peinture est vive, le
séchage rapide et le transport pratique. Voilà de quoi
convaincre l’industrie automobile… et les graffeurs.
Qu’y a-t-il dans une bombe de peinture ?
On y trouve des pigments mélangés à un gaz. Celui-ci a été
mis sous pression dans la bombe, il est donc à l’état liquide. En
appuyant sur la buse, vous allez le libérer. De bonheur, il
reprendra sa forme gazeuse. Les pigments seront transportés
avec lui et sécheront rapidement. Une petite bille de métal
vous permet de mélanger la peinture lorsque vous secouez la
bombe. C’est ce doux cliquetis si reconnaissable qui provoque
un petit frisson pavlovien chez les street artistes et les
policiers.
Les premières bombes de peinture étaient vendues en trois
couleurs avec le trou dans la couche d’ozone et un cancer des
poumons offerts. Heureusement, depuis, de nombreuses
marques (Montana, Liquitex, Amsterdam) se sont attaquées
au problème. Certains modèles contiennent du gaz non nocif,
des pigments naturels et un solvant aqueux. Les nuanciers
comportent jusqu’à 260 couleurs, ce qui est bien suffisant pour
faire un arc-en-ciel. La bombe à la craie vient également de
faire son apparition. En voilà un moyen pratique de repeindre
temporairement le trottoir de son voisin en rose !
« Caps ou pas caps ? »
Une bombe sans caps, c’est comme un vinyle sans platine, ça
affole les hipsters mais c’est inutilisable. Le cap, ou embout (le
français rend toujours mieux), se xe au sommet de la bombe
et gère la diffusion de la peinture dans un halo circulaire. La
taille du cap impacte la largeur du cône de diffusion et la
densité du nuage.
Il existe toute une série de caps, mais voici les trois principaux :
Le fatcap surnommé le Décap Four. Ne cherchez pas à
prononcer ce mot en anglais, il s’agit d’une marque bien
française des années 1980 qui vend des bombes de
nettoyant pour votre gazinière. Des petits malins se sont
rendu compte que l’embout s’adaptait parfaitement aux
bombes de peinture. Les caps ont tous miraculeusement
disparu des magasins de produits nettoyants. Le fat sert à
couvrir, il est idéal pour les remplissages ou les tags
volumineux. Il est reconnaissable à sa couleur blanche et
son diffuseur rose (source innie de blagues potaches).
Le skinny, transparent et noir, a longtemps été le cap
d’origine livré avec la bombe. Ce qui explique que les
graffeurs de l’ancienne génération savent littéralement
tout faire avec cet embout.
Le super skinny est un outil de précision. Utilisé pour les
rendus photoréalistes où son incroyable précision fait des
miracles.
À noter que plus vous utilisez vos caps, plus la diffusion
devient oue. Une caractéristique appréciée par les fans des
effets old school sur les contours des graffitis.
Au fond d’une impasse dans le 18e arrondissement de Paris se
trouve le lieu saint des carreleurs. Un entrepôt biscornu où les
émaux et la pâte de verre brillent de toutes leurs couleurs. Cela
fait 35 ans que les pros s’échangent cette adresse qui a été la
première à vendre de la mosaïque au détail. « Un journaliste
de Libération s’est perdu chez nous, ça a été le début du
succès », explique Madame Guern, propriétaire de la maison.
Tous les artistes fans de tessons et de smalt viennent
s’approvisionner ici.
Jusqu’aux petits derniers, les street artistes, qui essaient de se
dissimuler dans la clientèle habituelle…
Mais difficile de faire illusion lorsque l’on a moins de 50 ans,
que l’on arrive avec un modèle et que l’on vérie chaque
carreau un par un ! Anna, la tenancière du lieu, a grillé Invader
immédiatement. Aujourd’hui, il lui envoie chacun de ses
nouveaux livres dédicacés. Elle accueille même ses fans qui
viennent racheter des carreaux pour réparer ses pièces dans la
rue !
Hervé 2011, Megamat, Bourback et Foulbazart, tous sont venus
chercher les conseils d’Anna. Toujours avec cet air de ne pas y
toucher (« Ce serait pour poser sur un mur en extérieur… »).
Elle les équipe avec plaisir de grès cérame, de faïence et d'un
bon paquet de colle Flex.
Pour les curieux, inutile de cuisiner Anna. Elle ne lâchera
jamais Invader, « le boss » de la mosaïque. De toute façon, il n’y
a plus que ses assistants qui viennent acheter les carreaux
magiques. Regardez bien parmi les clients, ils ne sont pas si
difficiles à trouver !

Boutique Championnet, Paris, 2016.


ARTISTES À SUIVRE
Fred le Chevalier
« Il me saoule à me coller JBC
tout le temps, lui ! » Levalet
JR
Misterpee
Shepard Fairey
Suriani

En voilà une technique simple ! J’imprime les feuilles au


boulot, je prends de la colle à papier peint et hop, je suis le
nouveau Banksy. Oui, mais non. Voyou.
Déjà parce que le papier de votre imprimante est trop épais et
absorbe mal la colle, il se retire donc facilement après la pose.
Mieux vaut miser sur un papier n (type nappe en papier) qui
fusionne avec le mur, vous garantissant résultat impec et
protection contre le vol.
Pour la colle, vous pouvez vous la faire à l’ancienne en
mélangeant de l’eau et de la farine (si ça marche) ou prendre
de la colle à papier peint. L’idéal est le vernis-colle, une sorte de
shampoing/après-shampoing des œuvres d’art qui garantit
souplesse et brillance (du papier). Dans tous les cas, préparez
votre colle dans un seau qui vous accompagnera. Une fois
l’endroit trouvé, chacun a sa technique. Certains enduisent le
mur de colle, d’autres surtout pas, mais tous utilisent la brosse
pour étaler la feuille et éviter que des vaguelettes se forment.
Les audacieux prennent des perches pour que leurs œuvres
dominent la rue et restent hors d’atteinte des nettoyeurs (ils
passent le Kärcher jusqu’à 4 mètres).
Les colleurs aiment les créations grandeur nature. Les
personnages de Levalet se cassent la gure dans les escaliers à
côté des Parisiens, créant ainsi une proximité qui fait sourire.
JR préfère la démesure : coller toute une favela ? Pas de
problème ! Recouvrir la pyramide du Louvre ? Facile !
Alors rangez votre imprimante et sortez dans la rue !
Levalet, Frontière, Paris, 2014.
« Au début, je collectionnais les pin’s, mais
nalement je préfère les œuvres. »
« Les collectionneurs, qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quels
sont leurs réseaux ? » pourrait titrer le journalLe Point . Difficile
de ne pas être fasciné par ces personnes qui peuvent bâtir des
musées futuristes au milieu du jardin d’Acclimatation.
Beaucoup plus nombreux qu’on ne pourrait le penser, ils vivent
en anonymes ou comme des stars. Les premiers ornent les
cartels des expositions du fameux « Collection particulière »
(en voilà une information utile) et les seconds révolutionnent
le système.
Alain-Dominique Gallizia découvre le graffiti en distribuant
des sacs de couchage à des SDF. Il ouvre alors un atelier à son
nom et demande aux artistes de créer chacun une toile du
même format sur les thèmes « blaze » et « amour ». Le résultat
est la gigantesque exposition « TAG » au Grand Palais en 2009.
Une privatisation dantesque qui connaît un succès
considérable. Ses autres œuvres se retrouvent à la fondation
Cartier puis tout simplement à Matignon où elles font le
bonheur de la première dame.
Nicolas Laugero Lasserre se concentre sur le street art. Il
commence sa collection avec un pochoir de Miss.Tic à 300 €
puis enchaîne avec Shepard Fairey et… Banksy. Difficile de rater
sa collection itinérante qui a traversé toute la France pour
s’arrêter à 42, l’école de codage de Xavier Niel. Un moyen
intelligent d’augmenter la popularité (puis la cote) de ses
artistes, d’autant plus que la communication est assurée par
son site Artistik Rezo.
À noter la contrepartie opportuniste : le collectionneur
faucheur. Il vient avec tout son petit attirail pour décoller, sans
les abîmer, les chefs-d’œuvre de la rue. On l’imagine sans mal
les contempler égoïstement chez lui en se frottant les mains
d’un air mesquin.
ARTISTES À SUIVRE
Philippe Baudelocque
« On joue à la marelle ? Jean-Charles de
Non, on fait de l’art ! » Castelbajac
Groove
Tracy Lee Stum
Edgar Mueller
Jordane Saget
Manfred Stader
David Zinn

La peinture, ça tache, les bombes sont lourdes et coûtent cher.


Alors pourquoi s’embêter ? Les craie-ateurs sont des hommes
légers qui transportent des barres colorées dans leurs poches
en attendant le bon spot.
Qu’est-ce que la craie ? De la poudre de plâtre ou de craie
teintée et collée sous la forme d’un bâton. La craie ne pèse
rien, est peu chère mais elle est très fragile. Elle s’effrite sur le
bitume comme un pastel et autorise une liberté de
mouvements incroyable. Elle est donc tout à fait appropriée à
une forme d’art fugace. La spontanéité d’un trait continu qui
dessine un ange (Castelbajac), un prol (Groove), les motifs
mystérieux de Philippe Baudelocque qui s’assemblent pour
former des animaux majestueux, ou encore les trois lignes
parallèles de Jordane Saget qui s’entremêlent.
La craie apporte une légèreté bienvenue et un caractère
éphémère troublant (tant de travail pour si peu de durée de
vie !). Elle s’accroche pourtant très bien au crépi : un ange de
Castelbajac a tenu 11 ans à côté de la gare du Nord à Paris (en
voilà un record !).
Une autre école, celle de l’anamorphose, a une conception
beaucoup plus posée. Ces maîtres de l’illusion d’optique
s’installent pendant des heures pour craie-yonner les pavés. Le
trottoir s’effondre pour révéler une cascade ou de la lave.
Comme si l’asphalte recouvrait un monde fantastique juste
sous nos pieds…
Jordane Saget, Sans titre, Paris, 2015.
CREWS
EMBLÉMATIQUES
123KLAN
93NTM
SDF
UV-TPK

Lorsque l’on rencontre un graffeur, il y a toujours ce moment


étrange où il se met à parler en morse (« Au début, je faisais
parti des OMT, puis j’ai rejoint les STS, SNC, LCF et TER. »).
Détrompez-vous, il n’a pas inhalé trop de peinture, ce sont les
acronymes de ses crews, ces brigades spéciales d’intervention.
Sur FatCap, la base de données du street art, 795 crews sont
recensés. Cela donne une bonne idée de la complexité de
l’affaire.
Les graffeurs commencent souvent leurs premiers crews au
collège. Après plusieurs sorties graffitis entre amis, ils décident
de se donner un nom. La tradition (ou plutôt la mode
américaine) veut que celui-ci soit un acronyme de trois lettres,
traçable facilement, avec une sonorité qui claque comme les
DMV (Da Mental Vaporz) ou les TPK (The Psycho Killerz).
Un crew évolue dans un territoire précis délimité par les tags
sur les murs. En cas d’intrusion, il organise des expéditions
« punitives » qui prennent parfois un tour assez radical (vol des
bombes ou des baskets, passage à tabac) lorsque la taille du
groupe commence à dépasser la centaine de personnes.
D’autant plus que les crews fonctionnent comme les
mousquetaires : le groupe entier est responsable du moindre
tag réalisé par l’un de ses membres.
L’objectif du crew est de grandir en réputation mais aussi en
qualité. Les nouveaux membres sont choisis pour leur
complémentarité (personnages et lettrages). Les créations
sont alors préparées très en amont (thématique, couleurs et
sketchs) pour des résultats spectaculaires (voir les crews LCN
et GT). Le crew est donc une affaire sérieuse (c’est la famille !),
mais rien n’empêche le second degré. Des petits Français ont
ainsi créé le RDLS (Rien Dans Le Slip). Classe !
ARTISTES À SUIVRE
Banksy
« Il y avait 100 artistes Blu
selon les manifestants, 50 Roa
selon la police. » Shepard Fairey

Le street art est un art populaire et les artistes n’ont pas la


langue dans leur poche. Quand on écoute les témoignages des
années 1970, on comprend rapidement que les premiers
graffeurs luttaient contre l’écrasement des individualités et
l’absence de perspectives. Cette révolte intérieure explique
l’engagement des street artistes dans la défense des minorités
ou des oppressés.
Les artistes réussissent à mettre des images sur ces
problématiques. Banksy nous rappelle que Steve Jobs était le
ls d’un migrant syrien. JR fait le tour du monde pour célébrer
la force des femmes (avec son documentaire Women are
Heroes en 2010). Sensibles à la progression du bitume, Roa et
Blu peignent des fresques gigantesques et poignantes sur
l’impact de l’homme sur l’environnement. Plus engagé
politiquement, Shepard Fairey réalise « Hope », l’affiche de
campagne de Barack Obama.
Ces artistes participent également à des ventes aux enchères
caritatives pour soutenir des associations comme Projets Plus
Actions, Les Enfants du Soleil, l’ARSLA… Lors du festival Villette
Street 2015, 84 artistes ont chacun mis en vente une toile pour
nancer l’association Emmaüs ! Shepard Fairey a même
reversé les bénéces de son exposition « Earth Crisis » à
l’association 350.org, et la Fondation Abbé Pierre a récupéré 125
000 € après la vente de la Rolls Royce d’Éric Cantona
customisée par JonOne !
Certains trouvent que la démarche n’est pas innocente et
assure surtout bonne presse aux artistes. Ces personnes
oublient qu'ils sont nombreux à agir plus discrètement en
réalisant des ateliers dans les écoles de leurs quartiers.
Eh oui, le street art est un mouvement généreux.
Obey (Shepard Fairey, dit), Earth Crisis, Paris, 2015.
À SUIVRE
Graff Bombz
Graff It !
« Tu lis quoi ? Graffiti Art Magazine
– Bib’art ! C’est génial, Intox
il y a un test "Quel street Mix Grill
artiste êtes-vous ?" » Radikal
Street Art Magazine
Stuart
Wild War
Il fut un temps effroyable où Internet n’existait pas. Et c’est à
ce moment-là que le graffiti se développe en France. À
l’époque, comment savoir ce que les graffeurs étrangers
réalisaient ? En voyageant, comme Bando, ou en achetant des
livres et surtout des magazines !
Paris Tonkar fait gure de pionnier. Son auteur, Tarek Ben
Yakhlef, décide de poser la bombe pour prendre l’appareil
photo. Il compile, assemble, décrit, s’endette et publie son livre
en 1991, à l’âge de 19 ans. Il est loin d’imaginer que, 14 ans plus
tard, on lui proposera de racheter un exemplaire à 2 500 $ ! Il
réalise alors à quel pointParis Tonkar est devenu culte, et le
relance sous format trimestriel.
Pendant ce temps-là, une foule de papiers ont vu le jour. Les
graffitis eurissent en pagaille sur les pages imprimées de
Graff Bombz Graff It ! Mix Grill
, et . Ils feront les frais de la SNCF
en 2003 qui les attaque pour « atteinte à l’image de rigueur et
de propreté que la SNCF entend donner à sa clientèle ».
L’année suivante, le tribunal rejette la plainte. Ce cas fera
jurisprudence, les fanzines en soupirent encore de
soulagement.
Dernier né,Graffiti Art Magazine souhaite dépasser la
guéguerre entre graffiti et street art en parlant d’« art
contemporain urbain ». Le premier numéro, lancé par Nicolas
Chenus, sort en 2008 et est suivi de l’ouverture de la galerie
Openspace en 2012, dans le 11e arrondissement de Paris. Vous
avez envie de vous lancer dans l’achat d’œuvres d’art ?
Consultez leur guide annuel à destination des collectionneurs !
ARTISTES À SUIVRE
Kashink
« We can be heroes, chante Lady K
David Bowie. Women are Lady Pink
heroes, répond l’artiste MadC
JR. » Stoul
Swoon
Vinie

Le street art ressemble parfois aux magazines de sport


masculin : du contenu fait pour les hommes par des hommes,
avec des hommes en couverture. Pourtant, les femmes y sont
présentes dès le début, on peut même dire que le graffiti
commence avec Cynthia Custuss. À Philadelphie, Cornbread
écrit son blaze partout sur le chemin de Cynthia pour la
conquérir. Une sorte de méthode Coué de la séduction
carrément ippante mais plutôt efficace.
Lady Pink n’a pas la patience de Cynthia. Elle est la première à
saisir la bombe pour défendre sa couleur à New York en 1979.
La « rst lady of graffiti » est même l’héroïne du lm Wild Style
et intitule sa première exposition « Femmes fatales ».
En France, Miss.Tic prend la relève avec ses pochoirs associant
femmes sexy et slogans satyriques, son travail parodiant les
stéréotypes de la féminité. Une femme en talons pose
lascivement en tenant sa jupe « fendue, défendue », selon la
légende écrite en dessous. Mêmes inspirations pour Miss Van
qui peint ses poupées peu sages sur les murs de Toulouse.
Enn, l’ancienne rockeuse Kashink promeut carrément le
« genre libre ». Cette artiste qui porte la moustache dessinée
au crayon provoque la discussion autour des codes du féminin
et du masculin.
Au nal, peu importe qui la tient, une bombe reste une bombe.
« Une bière, une chipo et de l’acrylique, s’il vous
plaît ! »
FestiWall, K-LIVE, Montreuil Street Art Festival, Meeting of
Styles, Street Art Fest, Top to Bottom, La Voie est libre, Villette
Street Festival, Aucwin, Ourcq Living Colors, Vitry Jam, La
Rue’Stick… le nombre de festivals street art a littéralement
explosé ces dernières années.
C’est l’occasion de plonger dans un concentré de street
culture ! À l’entrée d’un festival street art, vous serez saisi par
la bonne humeur ambiante et un mélange d’odeurs de
peinture et de merguez. Car oui, ce jour-là, tout est décliné en
« street quelque chose ». Vous pourrez donc manger de la
street food (comprenez de la nourriture préparée dans un food
truck) en regardant un spectacle de street dance (le double
dutch de La Rue-Stick).
Suivez le plan ou la visite guidée pour passer de fresque en
fresque dans des lieux extraordinaires (en marchant sur une
autoroute fermée pour La Voie est libre). On se souvient avec
émotion de la visite en péniche du parcours Aucwin lors d’une
journée particulièrement ensoleillée. Les artistes mettent les
bouchées doubles pour impressionner le public (et Télérama
)
en réalisant des fresques gigantesques (Street Art Fest).
Chaque création est l’occasion de découvrir un nouvel univers
artistique et pourquoi pas de s’y mettre ! Des ateliers, qui
rassemblent mamies vénérables et enfants turbulents,
explorent chacun une technique street art. Les plus cérébraux
rejoignent les conférences et les projections débats de
documentaires ( Faites le mur !de Banksy).
Les festivals se clôturent régulièrement par une vente aux
enchères au prot d’une association. Villette Street 2015,
organisé par Katre et Wallworks, avait particulièrement
bénécié à l’association Emmaüs.
« Mais monsieur, ce n’est pas de la dégradation, c’est
de l’art. »
Il existe un endroit merveilleux où sont conservées toutes les
archives des graffeurs français. Leurs œuvres sont numérotées,
datées et photographiées. Une bibliothèque du street art ?
Non, les archives de la brigade antitag, qui fait partie de la
brigade des réseaux ferrés et travaille main dans la main avec
la RATP et la SNCF pour appréhender les vandales. Les graffeurs
lui ont même donné un blaze, la GDN, pour gare du Nord, où
étaient situés leurs anciens locaux. Ses membres
entretiennent une relation assez ambiguë avec le graffiti,
allant même jusqu’à créer des faux prols de tagueurs sur
FatCap. Ils rent un sacré coup de let lors du procès de
Versailles (voir ici).
La GDN s’appuie sur l’article 322-1 du Code pénal qui vise
spéciquement le graffiti vandale le condamnant à 3 750 €
d’amende et des travaux d’intérêt général. Mais on peut
obtenir un petit bonus en dégradant sévèrement le support et
en ajoutant un bon slogan raciste et haineux pour faire
monter à 45 000 € et trois ans d’emprisonnement.
Dans la pratique, les policiers interviennent lorsqu’ils sont
appelés par les riverains, assez rapidement dans les beaux
quartiers d’ailleurs. Ils vous demanderont si vous avez
l’autorisation puis si vous faites du graffiti (répondez plutôt
non, surtout si vous faites du street art !). Souvent
compréhensifs, ils s’intéresseront à votre travail, puis vous
demanderont de partir en vous rappelant la législation en
vigueur. Il vous faudra promettre de ne pas recommencer !
OÙ ÇA ?
Magasins où l’on peut
trouver tous les
« Oh la belle bleue ! » éléments nécessaires
au délit artistique à
Paris :
All City
Génération 400 ml
Polymex

Il est loin le temps où il fallait bidouiller les tubes de cirage


avec de l’encre pour obtenir des marqueurs, où les bombes
servaient aux travaux publics et où les buses se récupéraient
sur les nettoyants type Décap Four.
Poussez la porte de ces temples de la street culture, pour être
accueilli par le vendeur, un ancien artiste passé de l’autre côté
de la caisse pour fournir les nouvelles générations. Il n’a pas
franchement une formation de commercial, mais est-ce
vraiment ce qu’on lui demande ? Il est posé derrière un
comptoir entièrement dédicacé, sous les T-shirts bien trop
grands qui pendent du plafond et devant des étagères qui
menacent de tomber sous le poids des centaines de bombes
triées par couleurs, pression et contenance.
Il répond à ces trois types de clients :
L’artiste professionnel : reconnaissable à son regard
conant, il checke le propriétaire avant de lui coner sa
liste. Il a pensé à prendre sa valise à roulettes pour repartir
tranquillement.
Le jeune vandale : il pense que l’achat des bombes de
peinture est déjà un délit. Il repart en serrant son sac à dos
et en scrutant les environs.
Le passionné de déco : enthousiaste, il s’émerveille de
longues minutes devant les nuanciers. Il choisira une
bombe à base d’eau, rose pour sa salle de bain et beige
pour son salon.
DATE CLÉ
En 1973, la Razor
« Avec cette expo, on va Gallery à New York
épater la galerie ! » expose pour la
première fois des
graffeurs (le collectif
United Graffiti
Artists).

Dénicheur de talents ou parrain de l’art contemporain, le


galeriste est un personnage clé du parcours du street artiste. Il
va lui donner les moyens et l’espace de s’exprimer.
Avant d’être un commercial, le galeriste est surtout un grand
fan de jeux de mots. Suivant la même inspiration que le
coiffeur, il va s’acharner à se fabriquer un nom qui comporte le
mot « art » (Calam’art, Patat’art). Son local trouvé, repeint
entièrement en blanc (ce qu’on appelle un White Cube), il est
prêt à se lancer. Hélas, pas facile de se faire une place sur ce
marché très concurrentiel. Si certaines galeries françaises
soutiennent le mouvement depuis son apparition dans
l’Hexagone (La galerie du jour d’Agnès b. par exemple), 71 %
des galeries de street art parisiennes sont nées après 2005 !
Pour se différencier, certains se spécialisent dans la découverte
de nouveaux talents (Le Cabinet d’amateur, Akiza...). D’autres,
comme la galerie Magda Danysz, accompagnent carrément
leurs artistes dans la réalisation de projets gigantesques hors
les murs (Women are Heroes de JR).
Un bon galeriste ne reste pas à contempler ses œuvres toute la
journée. Il lui faut emballer les toiles de la prochaine foire,
rassurer le client ou l’artiste sur la qualité des œuvres,
accueillir les visiteurs et gérer toute la communication. Le jour
du vernissage, après un accrochage au centimètre près, il va
transmettre, à travers ses cernes, toute sa passion pour
l’artiste auprès des collectionneurs.
Si ces espaces peuvent vous sembler aussi froids et blancs
qu’un magasin Picard, sachez que l’accueil chaleureux du
propriétaire d’une galerie street art vaut la peine d’y entrer !
« C’est génial, c’est votre vrai métier ? »
Vous avez 18 ans et trouvez que peindre sur les murs « non
mais c’est génial ! ». Voici, pour vous, une sélection de
questions/remarques à ne plus poser/faire (vous ne pourrez
plus dire que vous ne saviez pas).
Mais c’est votre vrai métier ? Imaginez que vous êtes au
bureau, assis devant votre ordinateur. Un inconnu se
penche au-dessus de votre épaule et vous demande si
vous êtes bien en train de travailler. Flippant, non ?
Figurez-vous qu’être artiste est une activité qui peut
donner lieu à une rémunération. C’est donc littéralement
un métier.
J’adore, mais je l’aurais fait en bleu ! Heureusement que
vous êtes là. L’artiste va pouvoir tout recommencer en
suivant vos goûts ! Plus sérieusement, un artiste construit
sa palette en amont. Puis il choisit instinctivement sa
bombe de peinture. Presque inconsciemment. C’est le
coefficient d’art de Duchamp.
Tu viens de banlieue ? Vous n’avez donc peur de rien !
Après de nombreuses interviews, il ressort que les street
artistes viennent de… partout, dont la banlieue.
Y a un artiste que j’adore qui fait la même chose que toi !
Cela revient à dire que ce que l’artiste exprime très
personnellement est complètement banal. Pourquoi ne
pas plutôt lui demander ce qu’il fait différemment ?
Mon ami Thierry fait du graffiti, tu le connais ? C’est un
peu comme si vous demandiez à un Québécois s’il connaît
votre cousin qui est allé à Montréal l’année dernière. Il y a
énormément d’artistes et encore plus de vandales. À
moins que Thierry soit particulièrement impliqué dans le
milieu, votre question risque de faire un bide.
Sachez que le street art est un milieu généreux. Les artistes
vous répondront toujours avec bienveillance, si votre intérêt
est sincère !
ARTISTES À SUIVRE
Afrika Bambaataa
« Qui a mis de la peinture Grandmaster Flash
sur mes vinyles ? » Grems
NTM
Soklak
Rammellzee

Prenons un instant pour rappeler certaines caractéristiques du


début du graffiti. C’est un art contestataire, énergique et
jeune. Autant d’adjectifs qui collent au rap… mais aussi au
punk. C’est pour cela que le grand Futura 2000 s’attache
d’abord au groupe The Clash, peignant derrière eux pendant
leurs concerts. Puis il rejoint Afrika Bambaataa en 1982 pour
porter la bonne parole du hip-hop en France. C’est la tournée
« New York City Rap » où DJing, breakdance, rap et graffiti se
retrouvent pour former les piliers du mouvement hip-hop, la
breakdance et le graffiti étant considérés comme des moyens
d’expression (corporelle et graphique) complémentaires du
rap. Les collaborations sont nombreuses, comme la pochette
de beat pop de Rammellzee faite par… Jean-Michel Basquiat !
En France, le groupe NTM représente ce syncrétisme. À la base
breakdancers, Joey Starr et Kool Shen rejoignent le collectif
93NTM qui rassemble de nombreux graffeurs surdoués
comme Colt et Mode 2. Puis ils forment Suprême NTM et
Paris sous les bombes
sortent le single le 28 mars 1995. Un rap
hommage à « l’épopée du graffiti ».
Depuis, les breakdancers ont ouvert des écoles de danse et les
graffeurs exposent en galerie, mais le lien avec le hip-hop ne
s’est pas tari. On retrouve par exemple Marko93 dans le clip de
L’Heure des poètes de Grand Corps Malade. Certains artistes
cumulent même les deux casquettes (à l’envers) comme
Grems ou Soklak !
ARTISTES À SUIVRE
Ernest Pignon-Ernest
« Prends ton marteau et Hula
ton Buren, ce soir on fait Levalet
de l’in situ. » Lor-k
Truly Design

Théorisé par Daniel Buren, l’art in situ consiste à réaliser des


œuvres qui ne sont valables que dans un contexte
(architectural) donné. Pour le dire autrement : déplacer une
œuvre in situ revient à la détruire. Ceux qui pratiquent l’art in
situ sont des magiciens qui ré-enchantent les villes et donnent
un sens nouveau à cet immeuble trop gris et trop vu. Ils
peuvent tout transformer, la preuve…
Les marches d’Ernest Pignon-Ernest : les escaliers de la
butte Montmartre sont durs aux miséreux et
particulièrement aux membres défunts de la Commune.
En 1971, ce grand artiste, qui a réalisé ses premiers
pochoirs dans la rue en 1966, colle des gisants (des corps
allongés sérigraphiés sur de longues feuilles) sur les
marches de Montmartre. Les passants les piétinent,
renouant ainsi avec la triste histoire de la répression de la
Commune.
Les grilles d’aération du métro de Joshua Allen Harris : une
grille xée au sol régulièrement traversée par un souffle
chaud et malodorant, voici le terrain de prédilection de Mr
Harris. Il y installe des assemblages de sacs-poubelles qui
se gonent au passage du métro. Les rebuts deviennent
alors des ours polaires ou des aliens qui se rendorment
doucement une fois la rame passée.
Les ssures de Dispatchwork : plus qu’un artiste,
Dispatchwork est un mouvement mondial qui se propose
de réparer le monde entier avec des briques LEGO®. Une
crevasse dans le sol, un éclat dans un mur ? Les petites
briques colorées empilées par d’illustres inconnus (vous
par exemple) colmatent tout et font sourire. Rejoignez le
mouvement en ajoutant une photo de vos
« réparations » !
L’anamorphose de JR : une anamorphose est une œuvre
qui ne se voit que d’un seul point de vue. C’est grâce à cet
effet de perspective que l’artiste JR a réussi à faire
disparaître la pyramide du Louvre en collant la photo
déformée du bâtiment par-dessus. Impressionnant !
Ernest Pignon-Ernest, La Commune de Paris, Paris, 1971.
ARTISTES À SUIVRE
Bordalo II
« C’est une installation ? Katre
– Non, j’ai juste oublié de Mademoiselle
ranger mes pots de Maurice
peinture. » Mark Jenkins
Nasty
Swoon

L’installation, en art urbain, c’est un peu comme le cloud : tout


le monde s’en sert sans vraiment savoir ce que c’est. Il s’agit
d’une forme d’art hybride qui mixe une création en 3D, un
espace (voir In situ, ici), un public et une durée (éphémère ou
durable). En bref, on parle d’une véritable tentative de
décloisonnement et de fusion des formes d’art pour proposer
une expérience forte et immersive.
L’une des plus impressionnantes est certainement la otte de
villes-bateaux de l’Américaine Swoon. En 2008, elle remonte le
cours du Mississippi sur ses vaisseaux, des assemblages
incroyables d’objets de récupération. Un concentré improbable
de ce qui l’inspire en ville : la collaboration, la proximité et la
vétusté. Elle débarque, avec son équipage, à la biennale de
Venise de 2009 où elle n’était pas invitée.
Katre préfère brouiller les sens de ses spectateurs. Il colle une
photo d’entrepôt sur un mur, puis prolonge les perspectives
avec de la peinture et des baguettes. Impossible de savoir ce
qui relève de la photo ou de l’ajout a posteriori, on est
littéralement dans l’entrepôt.
Les mannequins de Mark Jenkins sont tout aussi
déstabilisants. Habillés d’un sweat à capuche et à genoux
devant un magasin de vêtements, on les croirait vivants. Ils
trompent jusqu’à la police qui se déplace pour arrêter… un
homme de plastique.
Réinventer l’art, faire participer le public pour le bouleverser,
on ne serait pas en plein dans les motivations du street art ?
On comprend facilement que nombre d’artistes urbains
souhaitent s’installer !

Bordalo II, The Duck (projet Big Trash Animals), 2014.


À SUIVRE
L’avancement de
« Dis, Invader, tu veux l’invasion sur space-
faire quoi cette nuit ? invaders.com
– La même chose que
chaque nuit, Minus.
Tenter de conquérir le
monde ! »

Invader est un artiste français qui a déjà conquis Paris, New


York, les fonds marins et l’espace ! Courte rétrospective sur ce
projet de longue haleine.
En 1978 sort le jeu d’arcade Space Invader. Le principe est
simple : des Aliens décident d’attaquer la France pour détruire
la tour Eiffel et nous voler la recette du saucisson. Le joueur
doit les exterminer, par vague, en utilisant le laser de son
vaisseau. Le succès du jeu est hallucinant et l’esthétique est
très pixélisée (codage en 8 bits).
En 1998, notre artiste se met dans la peau d’un Alien et
commence à envahir Paris en posant la première mosaïque à
l’effigie d’un Invader. Sa démarche est extrêmement ludique :
chaque emplacement lui rapporte des points et lorsque l’on
relie toutes les mosaïques entre elles, un Invader géant
apparaît. Avec leurs couleurs brillantes et leurs regards en
coin, les Aliens nous surveillent avec circonspection.
Une fois la capitale du fromage conquise, Invader s’empare de
New York, Istanbul, Tokyo, Varanasi en Inde… et de l’espace.
Bien installé à l’intérieur de la Station spatiale internationale,
un petit Invader nous regarde d’en haut et fait le tour de la
Terre régulièrement. Difficile d’aller plus loin (et plus haut) ! Et
pourtant, Invader a également envahi les galeries avec ses
œuvres réalisées en Rubik’s Cubes. C’est la naissance du
« Rubikcubisme » qui fait frémir les salles de ventes.
Invader combat pour libérer ses héros d’un jeu vidéo et l’art du
circuit fermé des institutions. On aimerait dire qu’il a déjà
gagné, mais la partie se joue encore !
Invader, NY_167, New York (États-Unis), 2015.
« Je me voyais déjà, en train de graffer l’affiche. »
Le graffeur franco-américain étonne continuellement par sa
productivité et l’augmentation constante de sa cote. Ses toiles
sont saturées de couleurs et de tags.
John Andrew Perello, né à Harlem en 1963, ne reste pas en
place. Il s’ennuie profondément à l’école et préfère fuir le
climat tendu de la maison. Il parcourt son quartier et le signe
de son blaze Jon156 (156 étant le numéro de sa rue). Il y
rencontre A-one qui lui ouvre de nouvelles perspectives. Ce
dernier voyage beaucoup et lui fait découvrir le monde de l’art
contemporain. C’est décidé : Jon156 veut devenir artiste. Il
prend le nom de JonOne en 1984 et commence le travail sur
toile.
Le métro qui passe, entraînant avec lui les couleurs de ses tags
au travers de la ville, devient son principal sujet. Il y reconnaît
son milieu et son urgence d’avancer. En 1987, il plaque tout et
suit Bando à Paris. Il commence alors une période de grande
productivité et rejoint L’hôpital éphémère, le squat de l’hôpital
Bretonneau. Agnès b., qui passait par là, lui achète
immédiatement deux toiles sur un coup de tête. La maison de
vente Artcurial sent alors le vent tourner et met l’une de ses
toiles aux enchères : elle part à 24 800 €. C’est le début de la
gloire.
JonOne produit à une cadence impressionnante, organise
jusqu’à 11 solo shows par an. On le retrouve en train de peindre
sur la Rolls de Cantona, sur le Thalys, sur un téléphérique à
Courchevel.
JonOne n’a jamais cessé de bouger. De Harlem à Paris, ses
mains courent sur la toile pour y répéter son tag
inlassablement. Une success story à l’américaine mais à la
française !

JonOne, Raining Tears, 2015.


ARTISTES À SUIVRE
Jo Di Bona
« Repose cette affiche, elle Joachim Romain
ne t’a rien fait. » Thom Thom
Jacques Villeglé

La lacération consiste à travailler sur des affiches de rue en


grattant les différentes couches pour découvrir les éléments
superposés.
Les murs de nos villes sont des mille-feuilles. Tout le monde y
ajoute sa couche d’affiches publicitaires : les politiques en mal
de popularité, les marques de luxe en mal de caractère et les
chanteurs en manque de célébrité. En bref, un bel instantané
culturel !
Les artistes lacérateurs aiment les mille-feuilles. Ils se baladent
donc avec tout l’attirail du gourmet (cutter et scalpel) pour
prélever leur part du gâteau, de préférence épaisse de
plusieurs centimètres. L’initiateur de cette tradition sauvage,
précurseur du pop art, est Jacques Villeglé. Aujourd’hui, ses
successeurs s’appellent Thom Thom, Joachim Romain et Jo Di
Bona.
Ces artistes partagent tous la folie de la déchirure contrôlée et
le plaisir de découvrir une nouvelle couleur, une typo
inattendue ou une perspective dynamique dans une sous-
couche. Sous leurs doigts précis, des couleurs vives font
irruption dans les images trop lisses des publicitaires. La
lacération est libératrice mais elle est aussi extrêmement
technique. Les régies publicitaires n’utilisent pas toutes les
mêmes qualités de papier, ni les mêmes colles. Il faut savoir
déchirer en ligne, en angle, en rond… jusqu’à faire émerger un
sens nouveau et inattendu.
Tels des archéologues de la culture populaire, les lacérateurs
creusent pour révéler une nouvelle histoire !

Joachim Romain, 2016.


ARTISTES À SUIVRE
Bando
« J’ai respecté le croquis à Nasty
la lettre ! » Odeith
Phase 2
SEEN

À la n des années 1970, les adolescents qui cartonnent à New


York ne s’appellent pas des graffeurs entre eux, mais des
« writers ». Des écrivains donc, passionnés par les lettres, prêts
à les torturer pour les magnier. Il faut imaginer la ville
croulant sous les tags, impossible de distinguer un nom de
l’autre. Un véritable palimpseste !
C’est à ce moment qu’émerge la notion de style, une façon de
tracer qui va identier l’auteur. Une idée révolutionnaire qui
transforme les créations et impose des heures de travail sur les
black books assis sur le « writer’s bench » (le banc des
écrivains).
Revue des grandes gures de style des writers :
Le bubble est ludique. Imaginez ces caniches en ballon
gonés par les magiciens de votre enfance. Remplacez le
chien par des lettres, vous y êtes. Créé par SEEN, le bubble
style se caractérise par la rondeur de ses courbes et des
highlights (rehauts lumineux) qui les accompagnent.
Le block est massif. Des lettres carrées et hautes avec un
contour large et qui arrêtent le regard. La taille est
proportionnelle à l’ego du writer. Le remplissage est
souvent réalisé en chrome.
Le wildstyle est énergique. Les lettres s’entremêlent au
point qu’on ne peut plus les distinguer. Amorcé par TRACY
168, ce style est un tour de force où les angles sont
complexes et où les lettres deviennent des èches. Le
wildstyle a même un crew éponyme qui lui est dédié.
Le 3D est volumineux. Les ombres portées placées
judicieusement sous les lettres les font décoller du
support, sans porter de lunettes rouges et bleues !
Chaque writer est porteur de son propre style (le freestyle, le
galactic thugs des GT, etc.). N’hésitez pas à leur demander !
«Calcamart» & «Socrome» en arabe ; ‫ﻛﻠﻜﻤﺮﺗﺴﻘﺮم‬. Au centre est calligraphié
« Zehidja zo hamboi wandru », qui pourrait être traduit par « ce qui est travaillé
dans l’ombre brillera à la lumière ». Moroni (Comores), 2010.
« Je pars, j’ai fait ma valise… de Posca. »
À trop parler de la bombe de peinture, on oublie son petit frère
le marqueur. Responsable de la plupart des tags, son rôle n’est
pas à prendre à la légère.
Comment choisir son marqueur ?
Première distinction : il se charge à l’acrylique ou à l’encre
selon le résultat attendu. Vous souhaitez un aplat bien opaque
sur un casque de moto ou un crâne ? Prenez un Posca ! Vous
êtes passionné par les coulures, les marqueurs Krink sont faits
pour vous. Cette marque, créée en 2001 par l’artiste KR (Krink
venant de KR et ink : littéralement « l’encre de KR »), propose
un marqueur mou à presser (le squeeze) pour couler
énormément, mais sur demande.
Il vous reste à choisir votre embout. Les ronds garantissent une
épaisseur de trait constante. Les pointes biseautées sont
beaucoup utilisées par les calligraphes. En fonction de
l’inclinaison, elles permettent de recréer les pleins et les déliés
des typographies. Aujourd’hui, il y a des marqueurs pour tout
et n’importe quoi. Pas moins de 14 marques sont en vente
derrière les vitrines verrouillées d’All City : certaines se
revendiquent beaux-arts (Sakura), d’autres visent clairement
les vandales (Molotow, On the Run, Block by Block).
Le prix relativement élevé des marqueurs a été un véritable
moteur de création de solution de rechange. Qu’est-ce qui se
rapproche le plus d’un tube avec réservoir et un embout en
caoutchouc ? Un tube de cirage bien sûr ! Et voilà la marque
Baranne propulsée sur le devant de la scène (underground).
Son embout rond et dense est parfait. Reste à le vider pour le
remplir de peinture, quelques lavabos ne s’en sont jamais
remis.
Bref, outil à tout faire, le marqueur est le meilleur ami du
street artiste, surtout quand il explose dans sa poche.
À VOIR
La vidéo nale sur
« C’est samedi, on va au mausolee.net
centre commercial ? »

Entre les ateliers de 15 m2 et les galeries de 80 m2, les artistes


ont du mal à trouver de grands espaces. Le 12 août 2010, Lek et
Sowat découvrent pourtant un centre commercial de
40 000 m2 qui était… perdu à côté de la Villette. Quatre étages
de murs vierges, que faire de tant de bonheur ?
Lek et Sowat bâtissent un temple du graffiti et l’appellent le
Mausolée. Quarante artistes, tenus au secret, se succèdent
pour y créer des installations saisissantes. Pourquoi un nom
aussi morbide pour des œuvres aussi vivantes ? Les
instigateurs nous expliquent vouloir rendre hommage à « leur
culture underground en passe de disparaître à l’ère du street
art et de son esthétique pop mondialisée ».
Il n’y aura donc pas de superhéros colorés insipides ou de
collages poétiques et ennuyeux. Le trait est puissant et
transperce les murs décrépits. La peinture dégouline sur les
restes oubliés des squatteurs expulsés. La calligraphie blanche
recouvre les voitures cramées. Le niveau est élevé, les graffeurs
jouent avec la perspective du parking, les reets des fuites
d’eau et les puits de lumière pour créer des pièces
d’anthologie.
Une fois l’invasion complètement terminée, la nouvelle se
répand. La mairie a beau murer les accès, des trous se créent
comme par magie. À moins d’être vacciné contre le tétanos et
d’être un pro de l’escalade, il est aujourd’hui impossible de voir
le Mausolée. La nouvelle a cependant eu le temps d’atteindre
le directeur du Palais de Tokyo qui venait, lui aussi, de
retrouver les 20 000 m2 de son sous-sol ! Une opportunité
pleinement méritée pour Lek et Sowat.

Lek, Sowat, Bom.K et Jaw, Le Mausolée, Paris, 2010.


ARTISTES À SUIVRE
Nasty
« Mon slogan ? Métro, Stem
boulot, apéro. » Oeno
Gary
selon un graffiti réalisé par Wels
et Monarke à la station Jasmin À CONSULTER
(Paris 16 ) Subway Art
Descente interdite
Egowar Magazine
les vidéos Show Must
Go On
Un lampadaire éclaire partiellement le métro new-yorkais qui
passe, avec son lot de rouille et de saleté. Et soudain, un éclair
de couleur apparaît, des lettres délent tandis que la musique
s'emballe. C’est l’introduction magique de Style Wars , le
documentaire d’Henry Chalfant.
Dans la vie, il faut voir les choses en grand sinon on s’ennuie.
Or les graffeurs de New York s’ennuient beaucoup dans les
années 1970. Ils se lancent donc à la conquête du métro. Une
idée géniale qui va faire voyager les blazes de JOE 136 et LEE 163
à travers la ville.
Mais le métro ne se cartonne pas n’importe comment !
D’abord, il faut entrer dans une station (avec un double des
clés), puis descendre sur les voies et remonter vers les zones de
stockage (attention au troisième rail électrié). Devant la
rame, les graffeurs se lancent dans un « top to bottom » (de
haut en bas), un « end to end » (d’un bout à l’autre) ou même
un « whole train » (tous les wagons). Il ne reste plus qu’à sortir
avant la reprise du service en évitant les maîtres-chiens et les
caméras. En bref, c’est une pratique extrême réservée aux
graffeurs vandales (voir ici) qui nourrissent une véritable
obsession pour le métro.
Les sociétés de transport se sont dotées de moyens
considérables pour faire face. La Metropolitan Transportation
Authority a même réussi à nettoyer complètement les métros
de New York ! La RATP met en place des parades comme les
affreux motifs des sièges qui ne laissent plus de place aux
tags. Elles font aussi appel à des street artistes reconnus
(campagne « Ticket chic, ticket choc » avec Futura en 1984,
Quai 36 dans la gare du Nord à Paris, le whole train de Kenor à
Kiev).
Alors comment rendre hommage aux métros sans rencontrer
la brigade antitag ? En customisant des plans, des minimétros
en cartons (oui, ça existe) ou en reconstituant, comme Nasty,
une station dans la galerie Hélène Bailly (Paris 7e).
Nasty, 2011.
« J’en ai eu pour mon agent. »
Il arrive un moment où un artiste ne parvient plus à gérer seul
toutes les demandes qu’il reçoit (collaborations, expositions,
festivals, ventes caritatives), il fait donc appel à un majordome
amélioré : un agent.
Ce dernier gère toute la partie administrative (contrat de
cession de droits, facturation) et la sélection des projets en
fonction de l’intérêt artistique, du budget et de la notoriété.
Des agences se sont même spécialisées dans ce métier
d’avenir (agence Rencart).
Quelques tics de langage d’un agent :
Il utilise « nous ». Comme ces couples fusionnels qui n’ont
plus de pensées individuelles, l’agent s’exprime au nom de
l’artiste… et s’inclut dans le lot.
« Juin ? Mais c’est demain ! » Aussi stressé qu’un attaché
de presse (dont il occupe aussi le poste), il ne voit pas
comment réconcilier les 52 semaines annuelles et le
nombre de projets.
« Attention, ce n’est pas un artiste classique. » L’agent
connaît mieux la biographie, le curriculum vitae et les
tarifs que l’artiste lui-même. De cette connaissance
parfaite, il tire une grande satisfaction et n’hésite pas à
faire du teasing en entretien.
« L’exclusivité, ça va vous coûter cher. » La cession de
droits d’auteur est le point névralgique de son travail : qui
va utiliser la création, où et pendant combien de temps ?
« Désolé, ça ne correspond plus à notre image. » C’est ce
qu’on appelle un râteau. Il est intéressant de remarquer
que certains agents confondent la notoriété de l’artiste et
la leur.
« C’est quoi votre nom sur Instagram ? » Une façon
détournée de vous demander votre inuence.
Les agents ont leurs travers mais leur utilité est primordiale
dans le développement de la carrière d’un artiste.
« C’est moi qui ai la plus ARTISTES À
grosse fresque. » SUIVRE
Blu
eL Seed
Ella & Pitr
INSA
JR
Osgemeos
Speedy Graphito

Quatre cents mètres de murs pour la station de RER


Rosa Parks, 3 000 m2 peints par Speedy Graphito à
Évry, une favela entière recouverte par JR, un avion
transformé par les Osgemeos… Les street artistes
seraient-ils complexés par la taille de leurs
pinceaux ?

Si certaines créations sont proportionnelles à l’ego


des artistes, d’autres sont d’incroyables projets qui
mobilisent des équipes entières et des hectolitres de
peinture. Pendant un an, l’artiste eL Seed a cohabité
avec la communauté copte des chiffonniers du Caire.
Leur ferveur et leur hospitalité lui ont inspiré la
réalisation d’une calligraphie qui déploie ses
entrelacs sur des centaines d’habitations. Les
Zabbaleen vivent maintenant au milieu d’un poème
humaniste. L’œuvre est à contempler du haut de la
montagne Moqattam.
Celle de INSA se voit… de l’espace. Ce fou a réalisé
un gif (une très courte vidéo composée de plusieurs
photos) avec l’aide d’un satellite. Il a d’abord peint
une planche de motifs sur un parking géant qui a été
capturée par le satellite. L’équipe a ensuite tout
repeint le lendemain en décalant légèrement les
motifs pour créer le mouvement sur la vidéo. Quatre
jours de travail intense pour quatre photos et une
sacrée pub pour Ballantine’s. On imagine l’humeur de
l’équipe le matin alors qu’elle doit repeindre toute la
partie jaune en rose avant le passage du satellite.

Paradoxalement, le point commun entre tous ces


projets est la moindre importance accordée au
résultat final. Avoir pataugé ensemble dans la
peinture, partager des moments avec les locaux et
résoudre des problématiques techniques folles, voilà
ce qui est vraiment monumental !

EL Seed, Projet Perception, Le Caire (Égypte), 2016.


ARTISTES À SUIVRE
Bourback
« Enn un monde où tout Invader
est carré ! » Jim Bachor
Waldo

Il y a 2000 ans, les riches propriétaires de Pompéi pavaient


leurs maisons de mosaïques représentant Alexandre le Grand ;
aujourd’hui, des stars anonymes collent des personnages de
jeux vidéo sur les murs. C’est ce qu’on appelle l’évolution.
L’art d’assembler des tessons de céramique a trouvé un
nouveau souffle complètement inattendu grâce à Invader (voir
ici). Cela s’explique par le succès des jeux vidéo et les
limitations techniques des années 1970. Les héros sont
pixélisés et cette esthétique carrée devient une vraie source
d’inspiration au bon goût de nostalgie.
Pour commencer, il faut choisir votre héros, puis constituer la
grille modèle. Si vous êtes fainéant, il existe des modèles tout
faits appelés Sprite sur Internet, sinon le tableur Excel est votre
meilleur ami. Collez ensuite vos carreaux sur un let à l’aide
d’une colle adaptée (rendez-vous chez Championnet pour la
découvrir, ici). Après séchage, votre planche est prête. Il reste à
la coller dans la rue. C’est si facile d’être discret avec une
échelle télescopique ! D’autant plus que la pose demande de
maintenir la mosaïque pendant au moins deux minutes !
N’oubliez pas de prendre une photo avant le prochain
ravalement. Invader, lui, tient à jour sa carte d’invasion en
ligne.
Et comment font ceux qui n’aiment pas les jeux vidéo ? Ils
rejoignent la superbe initiative de la Maison de la Plage (Paris
19e). Cette association couvre de mosaïque les places de
Belleville en organisant des ateliers libres où les riverains
viennent ajouter leurs tessons aux créations collectives.

Invader, PA_1189, Paris, 2016.


ADRESSES
Mur de la Pointe
« Je suis très tolérant, j’ai Poulmarch (Paris 10e)
même un très bon ami qui Le Point éphémère
fait du graffiti ! »
(Paris 10e)
Domicile de Serge
Gainsbourg (Paris 18e)
Leake Street Graffiti
Tunnel (le tunnel
Banksy, à Londres)
Le M.U.R. (Oberkampf,
Paris 11e)
Rue des Pyrénées
(Paris 20e)
Rue Dénoyez (Paris
20e)

Paris est grège, les immeubles haussmanniens s’uniformisent


dans ce gris teinté de beige. Çà et là, des îlots de couleurs
débridées eurissent et résistent jusqu’à devenir pérennes.
L’association Le M.U.R. (acronyme de Modulaire Urbain Réactif)
a enfoncé bien des portes de la mairie de Paris et dispose
aujourd’hui d’une surface de 3 x 8 m au niveau du 107 rue
Oberkampf dans le 11e arrondissement. Un combat qui aura
duré cinq ans. Entre 2002 et 2007, un collectif nommé « La
Nuit » organise des prises d’assaut esthétiques des panneaux
publicitaires. Son général Thom Thom explique : « À la logique
guerrière de cible et d’impact des campagnes publicitaires, le
collectif a répondu par l’excentricité, la vie, la fête. » La mairie
cède enn en 2007 et Gérard Zlotykamien baptisera le mur de
ses éphémères. Depuis, des M.U.R. ont éclos à Bordeaux,
Bruxelles et Lyon et la mairie de Paris en a même commandé
10 à des street artistes sélectionnés !
Loin des démarches officielles et laborieuses se trouvent
d’autres lieux où les pièces déjà présentes sont si belles que le
graffiti y est toléré. C’est le cas de la rue Ordener (18e
arrondissement, Paris), véritable « wall of fame », et de Leake
Street à Londres, une rue où Banksy a organisé le Cans Festival
en 2008. Les recouvrements y sont nombreux et les noms des
graffeurs stars disparus ottent sur des nuages.
Il est cependant possible de laisser sa marque sans se
confronter aux parrains du graff local. Le canal Saint-Martin à
Paris sert d’école du graffiti à Joris, tandis que l’enceinte du
domicile de Serge Gainsbourg est recouverte d’hommages… et
de déclarations d’amour.
Pour s’y retrouver et savoir si un mur est autorisé ou non,
rendez-vous directement sur legal-walls.net.
Rue Dénoyez, Paris 20e, 2016.
« Vous avez vos papiers, s’il vous plaît ? »
L’héritage du Japon ne se limite pas aux sushis à volonté et
autres statuettes kitsch de chats souriants. Mademoiselle
Maurice y a fait un voyage inspirant en 2011, où on lui a raconté
l’histoire de Sadako Sasaki, une llette atteinte de leucémie
suite au bombardement atomique à Hiroshima, et qui, suivant
une tradition japonaise, tenta de plier mille grues de papier
an de guérir.
L’histoire bouleverse Mademoiselle Maurice qui voit dans
l’origami un prétexte pour lancer un combat contre le
nucléaire. En 2012, elle orne la rue de grands « NO » en origami
blanche. Aujourd’hui, elle nous surprend sans cesse en
mélangeant projets gigantesques (les marches de la
cathédrale d’Angers en 2013) et apparitions dans des petits
festivals (Bas les masques ! à Bourg-en-Bresse en 2016).
Mais où trouve-t-elle autant d’origamis ? Il n’y a pas de
miracles, Mademoiselle Maurice plie constamment, en
méditant, en regardant Arte, lors d’ateliers avec les habitants
ou ses amis. Elle stocke ensuite ces formes évoquant des
oiseaux et des eurs en papier recyclé de six couleurs vives.
Elle peut alors déployer des gures géométriques et des ondes
légères. Comme si la nature les avait posées là, insouciante et
généreuse.
Son dernier tour de force s’appelle « Cycles lunaires » : un mur
de 2 000 m2 dans le 13e arrondissement de Paris sur lequel elle
a disposé 15 000 origamis. En représentant les phases de la
lune, elle fait écho à la mue de l’immeuble promis à la
destruction puis à la reconstruction.
Réduire Mademoiselle Maurice à l’origami serait un affront à
sa puissance positive qui traverse tous les médiums. Preuve en
sont ses extraordinaires expositions « Rainbow Mutant
Nation » à la galerie Mathgoth (Paris 13e) et « Colors are the
New Black ! » à la Backside Gallery, à Marseille.
Mademoiselle Maurice, Bourg-en-Bresse, 2016.
ARTISTES À SUIVRE
Banksy
« T’aurais pas une radio ? Blek le rat
Faut que je fasse un C215
pochoir. » Epsylon Point
Eric Lacan
Miss.Tic
Mosko et associés
Stew

Le pochoir est une technique qui consiste à découper une


forme dans un support rigide. Après passage de la peinture, la
forme est reproduite à l’identique.
Les pochoiristes ont bien compris que, dans la rue, le temps de
création ne doit pas dépasser celui de l’arrivée de la police. Ils
se concentrent donc sur la préparation en découpant un motif
à l’Exacto de longues heures durant à l’atelier. Si les premiers
rats de Blek le rat étaient de forme simple et monochrome, la
technique s’est très vite étoffée. Des layers (couches)
permettent ainsi d’ajouter des couleurs et des ombrages qui se
superposent au premier dessin. C’est ainsi qu’à chaque
passage de la bombe, les portraits de C215 s’éclairent et
s’affinent un peu plus.
Une fois arrivés dans la rue, les pochoiristes ne se débarrassent
pas de leurs créations sur le premier mur venu. Ils vont se
promener discrètement (avec un seau de colle, une perche et
un énorme rouleau sous le bras) jusqu’à trouver un
emplacement qui crée une résonance avec le pochoir. Mosko
et associés font sortir les tigres des porches parisiens. Jef
Aérosol s’exclame « Chuuuuut ! » pour que nous écoutions les
bruits des fontaines place Stravinsky à Beaubourg. Un homme
peint par Banksy déchire le mur de Gaza pour qu’on y voie la
mer.
Bref, les pochoiristes ont souvent une âme de poète. Ils
déroulent la dentelle de leurs créations sous la lumière des
réverbères, font apparaître un visage couche après couche, se
déplacent et recommencent.

Stew, Vitry-sur-Seine, 2014.


À LIRE
Descente interdite de
Karim Boukercha aux
« On a résolu cette éditions Alternatives
enquête grâce à la (2011)
graphologie. »

En 2005 à Versailles, a lieu un procès dantesque. Cinquante-six


graffeurs sont accusés d’avoir dégradé l’espace public et les
victimes réclament 1,8 million de dommages et intérêts.
Comment en est-on arrivé là ?
Il y a bien longtemps et fort loin d’ici vivaient la RATP, la SNCF
et les graffeurs. Ils partageaient une passion dévorante pour
les trains sous toutes leurs formes (TER, métro, TGV). Hélas, si
les premiers les rêvaient propres et à l’heure, les derniers
s’imaginaient les personnaliser à leurs couleurs. Tout se
passait pourtant bien, la RATP t appel à Futura pour sa
campagne « Ticket chic, ticket choc » en 1984. Mais après la
vandalisation de la station Louvre-Rivoli par STEM, OENO et
GARY en 1991, l’affaire prit un tour plus radical.
Le personnage principal devient le commissaire Jean-
Christophe Merle qui, lors d’une banale perquisition pour des
stupéants, tombe sur un fanzine bourré de photos de
graffitis. En deux ans, il remonte toute la lière, arrête une
centaine de graffeurs et en amène 56 à Versailles.
Le jugement a été rendu 10 ans après le procès. De la peinture
a coulé sous les ponts. Certains graffeurs sont passés
d’adolescents libertaires à artistes reconnus, d’autres n’ont
plus aucun rapport avec le milieu. Reste le montant
gigantesque demandé, celui-ci étant calculé sur la base d’un
préjudice matériel (devis de nettoyage) et d’un préjudice moral
(perception négative du service par les usagers) plus subjectif.
La cour a tranché en divisant les sommes réclamées par 10.
Le procès de Versailles a réussi à concentrer toutes les
contradictions du street art : vandalisme contre art, délit
contre dégradation et valorisation contre répression.
Si vous aimez les procès (chacun son truc), reportez-vous à la
section Azyle.
« AprèsC’est mon choix de graffer et Touche pas à
mon poste de street artiste, découvrez La France a un
incroyable vandale ! »
L’art urbain est un mouvement ultra documenté. Qu’elles
soient mises à jour par les graffeurs ou la police, les archives
sont pleines ! Un hommage doit être rendu à Martha Cooper
et Henry Chalfant qui ont très vite saisi leurs appareils pour
immortaliser les premiers graffeurs dans leur livre Subway Art .
Henry s’est ensuite lancé dans la vidéo avec le mythique Style
Wars sorti en 1983. Ce documentaire mélange les visions
oniriques des métros colorés sortant de leur gangue de rouille
et les interviews sans concession des graffeurs… avec leurs
mamans. Subway Art Style Wars
et eurent un impact
considérable en Europe.
Alors que Bando et JonOne commencent à décorer les rues de
Paris, il est grand temps de compiler toute cette énergie. Henry
s’y colle donc à nouveau avec son livre Spraycan Art, paru en
1987 tandis que Vincent Cassel pose sa voix sur le
documentaire Writers : 1983-2003, 20 ans de graffiti à Paris. On
y découvre comment le terrain de Stalingrad à Paris a catalysé
les bases du hip-hop français mais surtout que personne ne dit
jamais « on sort graffer » (voir lettrage, ici).
La quantité de graffitis recouvrant le métro parisien nit par
titiller Canal+ qui produit le reportageTag la guerre
souterraine. On y voit Sier en action, l’arrestation de SEGA et la
descente de Hermès commentés par une voix off dramatique.
Un peu d’espoir subsiste cependant avec les PCP (Petits Cons
de Peintres), auteurs de l’excellente sérieLascars
.
Enn, la puissance des créations et la camaraderie des crews
inspirent également des docuctions comme Vandal(par
Hélier Cisterne, avec les superbes interventions de Lokiss) et le
poétique Los Hongos (d’Oscar Ruíz Navia).
ARTISTES À SUIVRE
Banksy
« La version graffiti des Blek le rat
autocollants Panini. » C215
Epsylon Point
Eric Lacan
Miss.Tic
Mosko et associés
Stew

Avez-vous déjà regardé derrière un panneau Stop ? Une


multitude d’autocollants recouvrent le métal. Ils sont noir et
blanc avec une signature au milieu.
Les stickers sont comme les Pogs : une mode directement
importée des États-Unis. Au début, les graffeurs signent de
leur tag des chutes de papier adhésif récupérées dans les
imprimeries ou des autocollants vierges (pour les plus
argentés). Puis les premiers magasins de bombes de peinture
offrent un autocollant pour l’achat de plusieurs bombes de
peinture. Ils sont ornés d’une bande bleue ou rouge en haut et
en bas ainsi que d’un encart blanc au milieu pour y inscrire son
tag. Sur la bande supérieure, une phrase d’accroche efficace :
« Hello my name is ».
Aujourd’hui, il est possible de se faire imprimer des centaines
de stickers pour trois fois rien. On privilégie les typographies
massives et visibles, un encadrement bien épais et le nom du
crew en bas à droite. Le tout en noir et blanc, restriction
budgétaire oblige.
Les poteaux des lampadaires et des panneaux de signalisation
sont les supports privilégiés : leur métal parfaitement lisse
adhère comme par magie aux stickers. Serait-ce fait exprès ?
La mairie en a rapidement eu assez de voir eurir les
étiquettes. Elle mélange donc du sable à la peinture des
poteaux, la texture devient granuleuse et accueille beaucoup
moins bien les petits rectangles.
Des rumeurs courent sur l’invention d’un papier au blanc
d’œuf qui tiendrait même sur le sable. La compétition n’est
pas encore terminée !
Stickers, Paris, 2016.
« Mais qu’est-ce que vous faites ? C’est le graffiti ? »
Vous montez à la station Stalingrad, sur votre siège une
signature noire nit de sécher, vous passez devant un camion
recouvert d’une forme argentée arrondie, enn le métro
s’arrête au-dessus d’un mur splendide où s’entremêlent les
couleurs et les èches. Bravo, vous avez rencontré le tag, le op
et le graffiti : les trois variations d’une même technique, celle
de l’écriture.
Le tag (« étiquette » en anglais) est à la base du lettrage (voir
ici). Il consiste à écrire rapidement son nom au marqueur. Plus
on l’écrit, plus on gagne en renommée mais aussi en
technique. En effet, le tag concentre le style de l’auteur
(mouvement des lettres, espacements, liaisons et décorations
distinctives).
Chaque lettre du throw up, ou op, s’écrit d’un seul coup de
bombe. On y recherche la uidité (d’où l’étymologie très
imagée, throw up signie vomir en anglais) et la technique. Les
contours sont souvent plus sombres et le remplissage se fait à
la bombe argentée. Cette couleur (on parle de chrome) est très
populaire. D’abord parce que la lumière s’y reète vivement et
rend la création très visible, mais aussi parce que les pigments
y sont si concentrés que la peinture recouvre même les
supports les plus abîmés.
Enn, le graffiti (ou piece) est un lettrage d’ampleur. Il est
réalisé dans un terrain vague ou sur un mur toléré. Bref, un
endroit où les policiers ne vont pas débarquer dans la demi-
heure. L’artiste peut prendre le temps de démontrer toute la
palette de ses talents : dégradés vaporeux, personnages
hyperréalistes et wildstyle complexe. Lorsque de nombreuses
pièces mythiques sont rassemblées sur un mur, celui-ci prend
le nom de « wall of fame ».
Chaque discipline est interdépendante. C’est pour cela qu’il est
impossible de vouloir à la fois promouvoir le graffiti et la
disparition du tag !
« Le futur est dans la toile pour conserve what we
do »,
explique JonOne dans le documentaire Writers (2004).
La toile est le support incontournable qui règne sur l’art
classique. Elle est constituée d’un châssis en bois sur lequel est
xée de la toile de lin ou de coton souvent apprêtée avec un
enduit blanc. Des petits triangles en bois (les clés) sont à
enfoncer dans les coins pour la tendre.
Que faire de ce support si différent de la rue ? Complètement
lisse, la toile n’a pas la texture d’un mur. Elle n’existe pas dans
un contexte urbain déni (voir in situ, ici). On a le temps de la
peindre et surtout elle ne va pas se faire recouvrir par une
autre ! L’angoisse de la toile blanche symbolise en fait toute la
complexité, pour un street artiste, d’un passage à la galerie.
On entend déjà les détracteurs (« Si c’est en galerie, ce n’est
pas du street art »), comme si le mouvement entier se
réduisait au lieu de création.
Pour sortir de cette impasse, les artistes réagissent
différemment.
Prendre le temps de la perfection en pliant des origamis à
la pince à épiler comme Mademoiselle Maurice.
Recréer un fond urbain en collant une photo en arrière-
plan comme Katre ou le collectif Photograffé.
Peindre dans la rue puis amener la toile en galerie comme
Kashink.
Arracher des morceaux de la rue : rien de tel qu’un bon
panneau de signalisation routière détourné par Clet
Abraham, des miroirs abandonnés transformés en
diamants par Le diamantaire ou carrément une voiture
repeinte par Tilt.
Recycler le matériel de création, comme Nasty qui
compresse ses bombes usagées pour créer des plaques
prêtes à graffer.
Les acheteurs préfèrent les toiles par tradition et pour leur côté
pratique. Les street artistes répondent bien sûr à cette
demande mais à leur manière !
« J’ai fait la queue pendant 5 heures. J’ai eu de la
chance ! »
Pendant deux mois, une tour dégoulinante de peinture orange
uo puis de calligraphie rose s’est dressée dans le 13e
arrondissement de Paris. Une exposition tour de force
organisée par la galerie Itinerrance.
En 2013, les fonctionnaires de Bercy ont la surprise de voir que
le toit de la tour d’en face commence à couler. Un
débordement de peinture orange recouvre la façade. Quelques
mois plus tard, tous les yeux de la capitale sont rivés sur ce lieu
incroyable.
Une exposition gratuite rassemblant 105 artistes est ouverte
pendant un mois avant destruction dénitive de la tour. Mehdi
Ben Cheikh, directeur de la galerie Itinerrance, donne ainsi une
seconde vie aux logements sociaux du bailleur ICF Habitat-La
Sablière promis à la destruction. Après une longue attente
(entre 3 et 7 heures), les visiteurs entament une visite
immersive. Chaque appartement est coné à un artiste lui
permettant ainsi de faire littéralement entrer le spectateur
dans son univers. Après les 50 minutes autorisées, le public
sort, sonné par la richesse des techniques employées (pochoirs,
installations, calligraphie, photoréalisme…) mais aussi par la
puissance des univers déployés par les artistes.
Ces derniers détournent l’architecture et la décoration
désuète. On pense à Seth qui joue avec un terrible papier peint
euri et à David Walker qui fait de la baignoire une palette.
D’autres transforment la matière : Sambre construit une
fausse perspective faite de portes et de fenêtres, Katre ouvre le
salon sur une friche industrielle, Lek clôture cette expérience
par un dernier voyage dans le monde de Tron
en recouvrant les
murs de la cave de peinture phosphorescente bleue.
Puis les grues crèvent les murs et mettent à jour les
extraordinaires peintures une dernière fois. Un musée en ligne
est disponible sur tourparis13.fr.

EL Seed, Tour 13, Paris, 2013.


« Je te toye, tu me toyes, par la barbichette. »
À la base, un « toy » désigne un graffeur débutant, par
opposition au « king », respecté pour avoir cartonné un
quartier ou une ville entière. Par extension, toyer désigne l’acte
de repasser l’œuvre d’un autre. Voilà bien le symbole des
rivalités entre graffeurs et entre crews.
On distingue plusieurs types de toys :
Le toy ignorant. Imaginons qu’un individu lambda soit pris
d’une folle envie de se lancer dans le monde du street art.
Pétri de naïveté, il va recouvrir un nom déjà existant. Avec
un peu de chance, il peut tomber sur un parrain du
vandale (voir ici) et faire ainsi une entrée fracassante dans
le milieu.
Le toy provocant. Fini le temps de l’innocence, on recouvre
volontairement pour revendiquer un territoire. La victime
doit alors repasser son nom qui se fera encore recouvrir,
jusqu’à trois fois au cours d’une même nuit ! Il est même
possible de se faire toyer à cause des actions d’un membre
de son crew. Il paraît que la police pratique aussi ce petit
jeu, en toyant avec le blaze CATZ les graffeurs à
appréhender.
Le toy « c’est la crise ». Le nombre de murs disponibles
dans une ville reste malgré tout limité. Il y a bien un
moment où il faut peindre sur l’existant ! Alors on fait
preuve de respect envers l’artiste précédent, en recouvrant
entièrement son travail par une pièce qualitative et en
insérant une dédicace.
Enn, sachez que toyer peut vous coûter cher… David William
Noll a payé 13 000 £ pour avoir toyé Banksy à la Saint-Sylvestre
. Ça fait cher le nouvel an !
ARTISTES À SUIVRE
Collectif France Tricot
« J’ai pris ma petite laine Knit the City
pour embellir la rue. » Magda Sayeg
Souter Stormers

Le yarn bombing consiste à recouvrir un élément de l’espace


urbain de laine – une intervention non agressive et
étonnamment rétro. Le street art a vraiment un don pour
révolutionner les pratiques les plus surannées et inattendues.
Après la mosaïque, voici le tricot !
Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, un vieux chat qui
bâille, une mamie enfoncée dans son fauteuil crapaud à eurs.
Voilà ce qui nous vient à l’esprit lorsque l’on parle de tricot.
Magda Sayeg, elle, y a vu un moyen très pratique de redonner
des couleurs à sa ville. Sa mère étant peu portée sur les
travaux manuels, l’artisanat a pris une dimension quasi
magique chez Magda. Elle commence en recouvrant la
poignée de la porte de sa boutique à Houston en 2005.
Rapidement, elle déborde dans toute la ville avec son collectif
Knitta (ou Knitta please) : ils habillent les palmiers et les
potelets de cols roulés lumineux, et des bus sont entièrement
recouverts de pulls aux motifs psychédéliques !
La pelote se déroule jusqu’à Londres où trois tricoteuses
lancent Knit the City, un crew qui se propose de détourner l’art
public ennuyeux… et de régler la faim dans le monde avec
leurs aiguilles. Une mamie de 104 ans s’engage dans Souter
Stormers, un groupe de guerilla knitters qui cartonne l’Écosse.
En France, nous avons le Collectif France Tricot qui organise
des « apéros tricot ».
Le yarn bombing, c’est transformer une technique ringarde en
quelque chose de militant et fun. On ne peut que se demander
quel va être le prochain artisanat ainsi dépoussiéré… Le
macramé peut-être ? Les paris sont ouverts !
FRICHES CÉLÈBRES
les Bains
« Tu viens à la soirée de le fort d’Aubervilliers
Jean-Pierre ? le Mausolée
– Je peux pas, j’ai urbex. » la petite ceinture
la piscine Molitor
(avant)
Stalingrad
le Yoyo

Non, l’urbex n’est pas une nouvelle application de réservation


de taxis ni une pratique sexuelle exotique. C’est tout
simplement la contraction de urban exploration : un sport qui
consiste à redécouvrir une ville en accédant à des lieux
interdits du public. Une usine abandonnée, un toit
inaccessible, des ruines perdues, autant de trésors pour les
fans de l’urbex. La communauté est très active en ligne et
multiplie les conseils pour accéder à de véritables légendes
urbaines (la ligne 15 du métro parisien).
On imagine bien que de telles beautés ne s’obtiennent pas
facilement ! Mieux vaut connaître l’escalade, être uet et
vacciné contre le tétanos et le vertige. Il faut grimper, pousser
de lourdes portes et courir plus vite que les maîtres-chiens ou
les toxicos en slip (véridique). Ces lieux vierges, pleins de
poussière qui découpe la lumière et de vestiges
magniquement corrompus par la rouille, sont de véritables
sources d’inspiration pour les photographes et les street
artistes (Katre). On y trouve ce qu’il manque tant dans nos
villes : la solitude, de l’espace et le charme de la décrépitude.
Ces endroits servent de terrain d’entraînement pour les petits
nouveaux, mais aussi d’archives murales de l’histoire du
graffiti (voir Le Mausolée, ici).
L’urbex est indissociable du sentiment de découverte, celui
d’être le premier sur un mur vierge. Et pourquoi ne pas peindre
son nom plutôt que de laisser un drapeau ?

Pastek, Chrome, Cuivre et Or, Saint-Ouen, 2012.


ARTISTES À SUIVRE
Azyle
« Ambiance scandale, Bando
danse de vandales. » Colorz
HORFEE
(Fonky Family, Art de rue) Nasty
O’Clock
Phase 2
Rizote
SEEN
Sign
Toile

Par dénition, le vandalisme désigne toutes les inscriptions


réalisées sur des supports non autorisés. Ce qui reviendrait à
dire que 90 % des créations de street art sont vandales. Dans
la pratique, un vandale est assimilé à un tagueur qui
« cartonne » les endroits interdits avec son blaze.
Les vandales ont tous des histoires différentes mais ils se
retrouvent autour de l’envie de revendiquer le territoire, de
créer et d’exister via leurs exploits et du fun qu’ils y trouvent.
Ces aspirations traversent les couches sociales, les bourgeois
côtoient donc les banlieusards, un marqueur à la main.
Les vandales « défoncent » les métros et les trains, les tunnels
(le pont du Carrousel à Paris), les camions, les toits, les façades
et le mobilier urbain (les palissades de Beaubourg puis de la
pyramide du Louvre). Les conditions d’accès à ces lieux sont
extrêmement dangereuses, toucher le troisième rail du métro
est mortel (RIP Opea et Moka).
Les vandales puristes ne vivent que pour recouvrir le
maximum de surface (Toile) et refusent toute
merchandisation ou exposition. Ils y gagnent en réputation et
s’octroient même un titre : celui de « king ». Ils ajoutent alors
une couronne au-dessus de leurs signatures. TRACY 168, CLIFF
159 et KILL 3 sont connus pour être les All City kings de New
York.
En allant si vite, ils ont créé leur propre esthétique : un style
d’apparence simple (le throw up), peu de couleurs (souvent des
chromes), de la saturation (répétition de tags) et beaucoup
vraiment beaucoup de coulures (on dit dripping quand on est
bien élevé).
Les vandales ont un dernier point commun : ils se sont presque
tous fait prendre par la police. Avis aux amateurs…
MAISONS DE VENTES
Artcurial
Cornette de Saint Cyr
« Le succès de la vente a Leclère
rendu le commissaire- Piasa
priseur complètement Tajan
marteau. »

En 2006, Arnaud Oliveux, commissaire-priseur chez Artcurial,


reçoit une collection particulière avec de vrais morceaux de
Futura 2000 et de JonOne dedans. Il lance aussitôt la première
vente aux enchères spécialisée en street art. Le succès est tel
que l’événement est reconduit tous les ans. Il suit un
déroulement bien huilé.
La sélection des œuvres (le fameux pest control) et
l’estimation sont réalisées en amont par des spécialistes qui
vont ensuite éditer un catalogue et lancer l’exposition. Un
vernissage et des performances vont rythmer celle-ci dans le
cadre, fort simple, d’un hôtel particulier au rond-point des
Champs-Élysées.
La vente est un moment trépidant où se mêlent starlettes sous
leurs lunettes, passionnés sans le sou et collectionneurs par
téléphone. Les artistes eux-mêmes se déplacent et les ventes
sont animées par le charisme du commissaire-priseur.
Retournement de situation et suspense insoutenable du
dernier coup de marteau électrisent l’assemblée. Les records
s’empilent dans les pages des journaux le lendemain : on se
souvient encore de l’œuvre Keep it Spotlessde Banksy qui a
atteint 1,87 million de dollars en 2008 ou du tout jeune Hopare
qui vend, à 27 ans, son magnique portrait Pérou à 22 800 € en
2016.
Au nal, tout le monde s’y retrouve. Les artistes font exploser
leurs cotes en moins de 30 minutes tandis que les
investisseurs protent du champagne et achètent sans peur
des œuvres sélectionnées.
Les ventes sont ouvertes à tous et permettent d’apercevoir la
réalité nancière du marché. Alors n’hésitez pas, c’est
l’occasion de voir des pièces triées sur le volet !
« Tu viens au vernissage galerie du Jour ? Il y aura
des petits-fours. »
Le vernissage, et son pendant le nissage, marquent
respectivement le début et la n d’une exposition.
Voici nos conseils pour s’y repérer.
Qui est l’artiste ? Celui qui a l’air le plus fatigué. Épuisé, il
se réfugie auprès de ses amis pour ne pas avoir à parler
aux acheteurs potentiels. Ses habits sont recouverts de
taches assorties aux tableaux.
Qui est le galeriste ? En tenue faussement décontractée, il
explique et répond de façon extrêmement enthousiaste à
toutes les questions, surtout celles des collectionneurs. Il
pousse l’artiste vers les personnes importantes à
rencontrer.
Qu’est-ce qui est vendu ? De discrets points rouges sont
collés sur le cartel (on dit cartel, pas étiquette). Parfois, il y
en a plusieurs sur la même œuvre parce qu’elle existe en
plusieurs exemplaires (sérigraphies ou tirages).
Ça vaut combien ? Des catalogues sont dispersés un peu
partout dans la galerie ou le prix est affiché directement
sur les cartels.
Qui achète ? Les collectionneurs sont rarement là lors des
vernissages. On les reconnaît à leur costume sur-mesure
et à la marque de leurs sacs à main (plutôt Céline que
Celio)
Est-ce qu’on peut manger gratuitement ? Hélas, il est
devenu rare de croiser des pains surprises. Au mieux, vous
aurez de tristes Tuc.
Vous rencontrerez également les journalistes, les blogueurs,
les groupies et les agents (voir ici et ici pour les deux derniers) .
« J’ai pris mon pinceau !
– Et moi mon marteau-piqueur !
– C’est bon, on est prêts ! »
On dit que la création provient de la destruction. Certains
artistes prennent ce proverbe au pied de la lettre.
Lisbonne n’est pas que l’épicentre de la cuisson des pastéis. En
1974, la ville est traversée par la révolution des Œillets, et la
population prend possession des murs. Les années passent et
la publicité recouvre les slogans contestataires couche après
couche. En 1987, le petit Alexandre Farto naît à Seixal, la
banlieue ouvrière de Lisbonne. Il commence le graffiti avec ses
amis comme d’autres jouent à la console. Rapidement, il est
frappé par le décalage extrême entre les publicités collées sur
les murs et la vie réelle des habitants. La rue n’est plus le reet
de la révolution.
Cette prise de conscience devient le leitmotiv de son travail. Il
veut rendre les murs aux riverains anonymes. Il laisse tomber
la bombe pour… le burin. Il attaque directement le mur, détruit
les couches d’affiches et remonte ainsi dans le temps. Sous ses
coups, des visages fragiles apparaissent, la violence de la
technique contrastant vivement avec la délicatesse des
portraits. Banksy ne reste pas insensible et l’invite à son Cans
Festival en 2008. À 21 ans, Vhils expose avec succès une série
nommée Scratching the Surface . Aujourd’hui, il alterne les
expositions entre Hong Kong, Londres et Paris. Il a même
ouvert une galerie, Underdogs, dans sa Lisbonne natale.
Sa technique n’est-elle pas le reet parfait du charme décrépit
de la ville aux 365 recettes de morue ?

Vhils, Sr. Edinho, Rio de Janeiro (Brésil), 2012.


ARTISTES
REPRÉSENTÉS
« Tu connais pas Vitry ? C215
Mais c’est le nouveau Kouka
Brooklyn ! » Pixel Pancho
David Walker
et encore 100 autres

Ah la banlieue ! Les parfums subtils du RER, le charme des


pavillons bétonnés, la grâce des barres d’immeubles… et
soudain un robot franchouillard nous sourit. Il porte son béret
et sa baguette avec erté et s’étale sur plusieurs mètres de
façade. Que vient faire ce super Dupont robotique en plein Val-
de-Marne ?
Bienvenue à Vitry, la « capitale du street art français », un titre
qui n’est pas décerné au premier venu. La ville prend son rôle
de promoteur artistique au sérieux depuis longtemps. Difficile
de passer à côté de la gigantesque colonne de Dubuffet édiée
en 1996 sur le carrefour de la Libération.
Depuis 2008, la ville se concentre sur le street art. Pourquoi
2008 ? C’est la date où Christian Guémy, alias C215, la star du
pochoir, y a posé ses valises. Il commence une collaboration
avec la mairie en organisant Vitry Jam, un festival qui va
donner des couleurs à l’ancienne cité ouvrière. Au total, plus
d’une centaine d’artistes participeront, dont Dan23, Jorge
Rodriguez-Gerada, Sly2 et Pixel Pancho qui réalise le portrait
(du) robot visible du RER. Le succès est total et prote
localement aux galeries (galerie Dunia), commerces (librairie
Le Tome 47) et à la région qui organise des balades street art.
Le maire actuel, Jean-Claude Kennedy, a déclaré que le street
art est toléré dans sa ville. Sous-entendu : faites-vous plaisir,
les murs sont libres ! C’est la consécration d’une démarche
vertueuse.
Des chenapans ont même dérobé les boîtes aux lettres peintes
par C215. Gageons que cet acte puéril n’empêchera pas les
artistes de faire de cette ville une belle Vitry’n !
Page de copyright
Auteurs : Marc Renaud & Jungle

Direction éditoriale : Anne la Fay


Édition : Elise Marcantoni
Direction artistique : Julie Mathieu et Emmanuel Perrin-
Houdon
Réalisation numérique : Karen Pasquier

ISBN papier : 9782317015489


ISBN numérique : 9782317011818

Dépôt légal : avril 2017

© 2017 Mango, une marque de Fleurus Éditions


Tous droits de traduction, de reproduction et
d’adaptation strictement réservés pour tous pays.
Malgré toutes nos recherches les détenteurs des droits de
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