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La fontaine de Parmiggiani, place de Coëtquen

ART CONTEMPORAIN : LES ATOUTS DE 2012 | DOSSIER

Grâce à la commande publique et


au 1 % artistique
Une forêt d’œuvres à ciel ouvert
RÉSUMÉ > Des œuvres d’art dans la rue, sur les places,
au fronton des bâtiments… Rennes est une cham-
pionne de la commande publique et du 1 % artistique.
C’est le fruit d’une volonté municipale affirmée depuis
trente ans mais aussi d’une forte tradition née à l’uni-
versité de Rennes. Double intérêt de la démarche : elle
permet aux artistes de vivre et de se confronter aux ar-
chitectes et à la population de rencontrer l’art
contemporain sans se forcer.

TEXTE > GEORGES GUITTON

Quand cela a-t-il commencé ? En fait, la fréné-


sie créatrice au coin des rues est récente. Ironie
du sort, Rennes n’a quasiment aucune statue ancienne.
D’ailleurs, les sculptures ont toujours été malmenées :
que l’on songe à la statue équestre de Louis XIV, place du Dans la lignée du Front
Populaire et de Malraux
Parlement, rayée par la Révolution, à la statue du maire
Leperdit, fondue par les Allemands puis réinstallée en
1994 ou encore à la statue d’Anne de Bretagne par Jean
Boucher, dynamitée dans sa niche de l’hôtel-de-ville par
des nationalistes bretons en 1932.
Est-ce pour combler ces lacunes qu’Edmond Hervé et
son adjoint Martial Gabillard se firent un devoir d’intro-
duire l’art dans la ville? Pas seulement. C’est aussi affaire
de conviction politique. À partir de 1981 et sous l’im-
pulsion de Jack Lang, la notion de « commande pu-
blique » entre dans le vocabulaire. On est dans la lignée
du Front Populaire et de Malraux. N’oublions pas Jean
Zay, ministre de 1936 et initiateur du 1 % artistique. « Ses
objectifs restent les nôtres, indique l’actuel adjoint à la
culture René Jouquand. Le premier est artistique : intro-
duire l’art dans la cité. Le deuxième est pédagogique :
faire en sorte que les habitants rencontrent les œuvres

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chaque jour dans leur parcours quotidien. Le troisième est succéda à Philippe Hardy en 1995. « On suggère alors aux
Il se tisse un rapport social : aider les artistes en leur donnant des revenus et artistes de candidater. » Une commission municipale fait
subtil entre l’auteur, le un lieu de travail »1. le choix. Et prenant soin d’écarter les « professionnels
commanditaire et
l’environnement urbain. attitrés du 1 % » qui furent pendant un certain temps
Une extension du 1 % artistique envahissants.
Dès son élection en 1977, la municipalité insuffle À partir d’un cahier des charges préalable, l’artiste et le
cette dynamique. Et cela sous l’impulsion d’une conseil- projet sont choisis. Alors commence le travail de la com-
lère municipale dont chacun s’accorde à reconnaître l’ap- mande proprement dit. Il se tisse dans un rapport subtil
port décisif : Janine Gislais. Dans son livre, La politique entre l’auteur, le commanditaire et l’environnement ur-
culturelle à Rennes 1977-2008 (éditions Apogée), l’an- bain. À chaque fois, une aventure inédite et souvent pas-
cien adjoint Martial Gabillard rappelle que dès 1977, sionnante. Philippe Hardy rapporte un souvenir parmi
cette artiste-peintre « lançait un lieu municipal d’exposi- d’autres. Le drôle d’Arc de triomphe pour figurois et figu-
tions dans (…) la rotonde du théâtre municipal. » Et, rennes du Suédois Erik Dietman, installé dans la coulée
pour cela ajoute-t-il, « il a fallu bousculer les habitudes, verte du collège du Landry en 1989, arc recouvert de
mais à l’époque rien ne résistait aux “idées nouvelles”. » mosaïques façon Odorico. « C’est un artisan de salles de
A partir de 1981, le programme va bon train. Il s’agit bains qui a posé ces mosaïques pendant deux mois. Il
d’appliquer à l’espace de la ville le fameux 1 % artistique s’est pris au jeu. Après cela, il ne voulait plus faire de
que la loi limite normalement aux écoles et aux bâti- salles de bains ».
ments dépendant de ministères. Assez vite, pour conduire
cette politique d’œuvres urbaines2 la Ville créé un poste La métamorphose du Magicien de la gare
de conseiller aux arts plastiques. Souvenir fort aussi que celui d’Odile Lemée pour l’édi-
Philippe Hardy, actuel directeur de l’École des beaux fication de l’imposante statue Le Magicien sur le parvis de
arts, occupa cette fonction à partir de 1988 : « Je me rap- la gare. Pas une sine cure car l’artiste angevin Jean-Mi-
Au bout du compte, pelle qu’à l’époque nous passions des commandes sans chel Sanejouand est parti de deux cailloux assemblés fai-
l’insolite finit toujours par
s’imposer. marché public ni appel d’offres. Le choix était totale- sant « 26 cm de haut ». Imaginez le travail pour passer
ment subjectif. Nous ne demandions pas d’argent à l’État. de cette figurine « à un bronze de 6 mètres de haut » avec
Le maire me faisait confiance pour le choix », a-t-il ra- la construction d’une étape à « un format intermédiaire qui
conté lors d’une conférence sur « l’art contemporain en d’ailleurs fut raté dans un premier temps. Pour arriver à
libre accès », aux Champs Libres en mai dernier. l’œuvre finale, ce fut une belle histoire collective. »
La liste est longue, très longue des œuvres installées de-
Les fontaines revisitées puis trente ans aux quatre coins de Rennes. Un vrai mu-
C’est ainsi qu’est née en 1993 la superbe fontaine du sée à ciel ouvert ! Générant, au choix, enthousiasme ou
grand Claudio Parmiggiani, place de Coëtquen: une mé- grincements de dent. Au bout du compte, l’insolite finit
lancolique tête de muse couchée sur un miroir d’eau, toujours par s’imposer. Le temps banalise tout. C’est à
rappelant le feu, à l’endroit même où démarra l’incendie peine si l’on remarque aujourd’hui l’UNITÉ de Peter
de 1720. Un symbole et une manière contemporaine Downsbrough (1990), inscrit sur l’immeuble situé à l’an-
d’interpréter un classique du mobilier urbain. Une autre gle de la rue du Tronjolly et du boulevard de la Liberté.
fontaine fit tousser les élus l’année suivante car elle était Même chose pour La ligne et le point du jour de François
sans eau jaillissante : c’est la Chrysalide de Sylvain Du-
buisson installée sur la place Rallier-du-Baty, avec ses 1. Le Ville possède 35 ateliers d’artistes dont 8 ateliers-logements. Ils sont mis à la
deux petits trous mystérieux invitant le flâneur à y appli- disposition d’artistes plasticiens pour un loyer modéré. Les candidatures sont exa-
quer ses yeux. minées par un comité d’attribution tous les six mois. Les artistes retenus ont un bail
de deux ans renouvelable seulement une fois. En novembre 2011, a eu lieu l’opération
Au fil des ans, la politique de l’art dans la ville est de- Ateliers Porte Ouverte qui permet au public de rencontrer ces artistes in situ et de dé-
venue plus encadrée. À partir de 1997, « la procédure couvrir leur travail.
d’appel d’offres fut de règle », rappelle Odile Lemée qui 2. L’actuel conseiller est Pedro Pereira qui a succédé en 2009 à Odile Lemée.

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Le « Magicien » de la gare. Photo Thierry Nectoux

Morellet au carrefour Alma-Clemenceau (1989). Ils font


désormais partie du décor. Combien d’œuvres? À la mai-
rie, on ne sait plus trop, 60 ou 80. En tout cas, la Ville
vient de sortir un livre qui recense 40 de ces œuvres et in-
vite à découvrir l’art public à Rennes, miroir de la création
depuis trente ans.

L’ére de l’éphémère et du virtuel


Pourtant, à se promener dans la ville, on peut avoir
le sentiment que cette commande publique s’est un peu
ralentie depuis les années 2000. Erreur, dit-on à la mai-
rie. Simplement, aujourd’hui les choix sont différents.
Au grand dam de certains, il y a désormais moins de sta-
tuaire, moins de monumental, moins de spectaculaire.
L’heure est plutôt au virtuel, parfois même à l’éphémère
et finalement à la discrétion. Exemple: dans le hall du Li-
berté, l’œuvre numérique du collectif lyonnais Trafik ap-
pelé Oni (2009): des diodes sans cesse en mouvement,
dessinant des visages. Une œuvre informatique fondue
dans l’univers des enseignes lumineuses de la ville. Ou en-
core les Clous de l’esplanade, long poème déambulatoire
imaginé par les créateurs de l’Oulipo (2010) et que les pas-
sants, mais pas tous, découvrent sous leurs pas sur l’Es-
planade Charles-de-Gaulle. Tout près de là, au « 4-bis »,
le Crij du cours des Alliés, il faut aussi baisser les yeux
pour découvrir tapissant le sol les carrés de peinture de la
Barcelonaise Margarita Andreu. Dans le même ordre
d’idées, il faudrait parler des parkings souterrains dont
les murs sont devenus un support de la création contem-
poraine : celui des Lices avec Laurent Saksik (Sans titre,
2001), le parking Kléber avec les images de Jocelyn Cot-
tencin (2004) ou encore celui de l’esplanade De Gaulle
avec les images de Valérie Jouve (2006).
Mais ce choix d’œuvres de moindre visibilité n’est pas
systématique. N’est-il pas démenti d’une manière spec-
taculaire par l’ouvrage majeur qui marque la décennie
2000 : les 72 colonnes de l’Alignement du XXIe siècle
d’Aurélie Nemours, à Beauregard. La commande pu-
blique reste donc bien inscrite dans la politique rennaise.
À chaque équipement accueillant du public, à chaque
opération de Zac, une part « commande artistique » est
prévue dans le budget. La prochaine opération concerne
le pôle éducatif ou groupe scolaire de la Courrouze pour
lequel 150 000 euros ont été réservés.

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L’anneau de Möbius, de Paul Griot, devant l’entrée de Rennes 1 à Beaulieu.

relief est installé dix ans plus tard rue du Thabor et est tou-
jours visible sur un mur latéral du bâtiment de la Prési-
dence de Rennes 1. Le catalogue du 1 % à Rennes 1 est
impressionnant, que ce soit sur le campus de Beaulieu ou
sur le campus santé de Villejean, difficile de ne pas tom-
ber en plein air ou dans les bâtiments sur ces œuvres par-
fois énigmatiques, symboles d’une modernité très « datée »
pour certaines d’entre elles. Fresques murales et sculptures
de Francis Pellerin (un des grands « abonnés » du 1 %),
tapisserie de Jean Lurçat ou de Yves Millecamps, mo-
saïque d’André Lanskoy, sculpture d’Antonio Volti…
Toutes les formes sont ici requises, ménageant son lot de
surprises. Elles contribuent à l’animation du campus et of-
fre à l’université rennaise une sorte d’identité bien mar-
quée. Première étape d’un plan d’action sur plusieurs
années.
Mais ces dernières années, les budgets artistiques se
sont sans doute un peu tassés. Surtout, il faut désormais
Rennes 1, réserver une part de l’argent à la restauration de ce pa-
berceau historique de l’art public trimoine parfois vieillissant. L’entretien coûte cher et peu
Mais la Ville n’est pas la seule à alimenter Rennes en freiner l’arrivée d’œuvres nouvelles. Ainsi récemment,
objets d’art. Des entreprises privées prennent de plus en Rennes 1 a consacré une somme à la restauration de
plus d’initiatives en la matière. Et puis, il y a l’université. l’Anneau de Möbius, de Paul Griot, sculpture installée
Ce n’est pas un hasard si, début novembre, le ministère en 1967 à l’entrée sud du campus de Beaulieu.
de la Culture a choisi Rennes pour accueillir le colloque
national « L’art pour tous » organisé à l’occasion des 60 Rennes 2, un foyer actif
ans du 1 % artistique. Plus précisément Rennes 1 perçu Moins fournie en œuvres pérennes et davantage tour-
Dès les années 40, comme une sorte de berceau de ce dispositif imaginé née par les expositions temporaires, l’université de Rennes
l’université de Rennes fut sous le Front Populaire. Instauré par décret en 1951, ce 2 n’est évidemment pas en reste. Il faut découvrir le Jardin
précurseur grâce à Yves « un pour cent du montant hors-taxes du coût prévi- de Claire Lucas (2000) au centre du campus de Villjean.
Milon.
sionnel des travaux » affecté à la décoration des bâtiments Ou encore le puissant Chemin des antiques (1993), ces
scolaires a permis de constituer un patrimoine évalué à pierres issues de fouilles archéologiques dans le centre-
12 300 œuvres. Une exception française ! ville et couchées dans le Pôle langue. Plus ancienne, la
L’université de Rennes en fut précurseur. Dès avant- mosaïque abstraite de Jacques Swoboda, Opus Incertum,
guerre, le directeur de l’Institut de géologie, Yves Milon, de 1969 sur la façade sud du bâtiment E de Louis Ar-
qui deviendra maire de la ville de 1945 à 1953, com- retche. Personne ne peut aujourd’hui manquer à la sortie
mande au peintre Mathurin Méheut un ensemble de 25 du métro, place du recteur Le Moal, Aleph, Alpha, A, la
toiles grand format évoquant les paysages, la faune, la réalisation monumentale du sculpteur Jean-Paul Philippe.
flore. Cet ensemble remarquable qui ne fut inauguré Université, centre-ville, quartiers…, Il est évident aussi
qu’après-guerre est aujourd’hui visible à Beaulieu. qu’elle participe à la démarche volontariste de commande
En 1941, le même Yves Milon, qui est alors doyen publique tous azimuts n’est pas seulement un facteur
de la Faculté des sciences, commande au sculpteur Fran- d’embellissement du « cadre de vie » de la ville. Bien
çois Bazin un monument à la gloire de la science, « l’air, ancrée à Rennes, elle appartient désormais à sa culture.
l’eau et le feu au service de l’homme pour conquérir les On peut penser aussi qu’elle participe grandement à cette
richesses de la terre ». Achevé en 1943, cet imposant bas- « éducation du regard » souhaitée par tous ses promo-
teurs. Raison de plus pour ne pas laisser retomber ce
beau mouvement ascendant.
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Trois guides pour découvrir l’art public

L’art, chemin faisant


40 œuvres dans la ville (Rennes 1)
Ce guide sur « les œuvres de
Le guide de l’art public à Rennes vient l’université de Rennes 1 » a été
de sortir. Sur la quantité d’œuvres, les publié pour a première fois en
auteurs n’en ont retenu que 40. Elles 2003. De présentation très soi-
témoignent évidemment de l’ambi- gnée, il présente les principaux
tion politique rennaise continue en la artistes : Pellerin, Méheut,
matière, mais aussi de la diversité des Lanskoy, Le Merdy, Lurçat,
formes d’expression. Il vise à « faire Patkaï, Volti… Des plans des
découvrir ou redécouvrir ce patri- campus de Beaulieu et de Vil-
moine vivant ». Chaque œuvre fait lejean situent parfaitement les
l’objet de deux pages: une page photo oeuvres. Chaque réalisation fait
et, en regard, un plan localisant par- l’objet d’une présentation pré-
faitement son emplacement. Et un cise par le texte et la photo. Le
commentaire à la fois descriptif et sub- livre permet d’évaluer a ri-
jectif, écrit par Christophe Pichon, chesse souvent insoupçonnée
critique d’art et directeur de l’école du patrimoine artistique de Rennes 1. Dans la préface,
municipale des beaux-arts de Saint-Brieuc. À l’occasion de la sortie de ce le président de l’université Guy Cathelineau, souligne
guide, 10 000 plans de la ville avec localisation des œuvres sont mis à la combien « la puissance symbolique » de ces œuvres d’art
disposition des Rennais (à l’Office de tourisme, notamment). Par ail- « est inséparable de l’esprit qui anime nos activités d’en-
leurs, le guide est en libre accès sur le site internet de la Ville. seignement et de recherche. »

Art, artistes, images


(Rennes 2)
Sorti début 2006, le guide Art, Artistes, Images offre un tour d’horizon des
interventions artistiques à l’université de Rennes 2. Pas seulement les
œuvres « pérennes » disséminées sur le campus, mais la relation à l’art
de cette université. À commencer par l’architecture de ses bâtiments
successifs qui offrent depuis ceux de Louis Arretche dans les années
soixante la vision d’un demi-siècle de gestes novateurs. La Maison de
la recherche en sciences sociales de Catherine Daumas (1997) ou le
bâtiment Erève conçu par deux agences de Bordeaux (2005) partici-
pent, par exemple, d’une vision très contemporaine. Art, artistes, images fait aussi la part belle aux
résidences d’artistes, aux expositions, à la galerie Art et Essai, aux éditions Incertain Sens, au travail
du CREA…

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