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d’une chanson populaire, et, il faut l’avouer, un peu ignoble, que chantait l’un des reclus. M.

Valenod
regarda un de ses gens en grande livrée, qui disparut, et bientôt on n’entendit plus chanter. Dans ce moment,
un valet offrait à Julien du vin du Rhin, dans un verre vert, et Mme Valenod avait soin de lui faire observer
que ce vin coûtait neuf francs la bouteille pris sur place.

Verrières est abrité du côté du nord par une haute montagne, c’est une des branches du Jura. Les cimes
brisées du Verra se couvrent de neige dès les premiers froids d’octobre. Un torrent, qui se précipite de la
montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs, et donne le mouvement à un grand nombre de
scies à bois, c’est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des
habitants plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies à bois qui ont enrichi cette petite
ville. C’est à la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse, que l’on doit l’aisance générale qui, depuis la
chute de Napoléon, a fait rebâtir les façades de presque toutes les maisons de Verrières.

L’humeur hautaine de Julien fut choquée de l’insolence des laquais. Il se mit à parcourir les dortoirs de
l’antique abbaye, secouant toutes les portes qu’il rencontrait. Une fort petite céda à ses efforts, et il se trouva
dans une cellule au milieu des valets de chambre de Monseigneur, en habits noirs et la chaîne au cou. À son
air pressé ces messieurs le crurent mandé par l’évêque et le laissèrent passer. Il fit quelques pas et se trouva
dans une immense salle gothique extrêmement sombre, et toute lambrissée de chêne noir ; à l’exception
d’une seule, les fenêtres en ogive avaient été murées avec des briques. La grossièreté de cette maçonnerie
n’était déguisée par rien et faisait un triste contraste avec l’antique magnificence de la boiserie. Les deux
grands côtés de cette salle célèbre parmi les antiquaires bourguignons, et que le duc Charles le Téméraire
avait fait bâtir vers 1470 en expiation de quelque péché, étaient garnis de stalles de bois richement sculptées.
On y voyait, figurés en bois de différentes couleurs, tous les mystères de l’Apocalypse.

À peine entre-t-on dans la ville que l’on est étourdi par le fracas d’une machine bruyante et terrible en
apparence. Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavé, sont élevés par une
roue que l’eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de
milliers de clous. Ce sont de jeunes filles fraîches et jolies qui présentent aux coups de ces marteaux
énormes les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformés en clous. Ce travail, si rude en
apparence, est un de ceux qui étonnent le plus le voyageur qui pénètre pour la première fois dans les
montagnes qui séparent la France de l’Helvétie. Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui
appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui répond avec
un accent traînard : Eh ! elle est à M. le maire.

Deux parties de billard étaient en train. Les garçons criaient les points ; les joueurs couraient autour des
billards encombrés de spectateurs. Des flots de fumée de tabac, s’élançant de la bouche de tous, les
enveloppaient d’un nuage bleu. La haute stature de ces hommes, leurs épaules arrondies, leur démarche
lourde, leurs énormes favoris, les longues redingotes qui les couvraient, tout attirait l’attention de Julien. Ces
nobles enfants de l’antique Bisontium ne parlaient qu’en criant ; ils se donnaient les airs de guerriers
terribles. Julien admirait immobile ; il songeait à l’immensité et à la magnificence d’une grande capitale telle
que Besançon. Il ne se sentait nullement le courage de demander une tasse de café à un de ces messieurs au
regard hautain, qui criaient les points du billard.

Au bout d’un quart d’heure, qui lui parut une journée, le portier à figure sinistre reparut sur le pas d’une
porte à l’autre extrémité de la chambre, et, sans daigner parler, lui fit signe d’avancer. Il entra dans une pièce
encore plus grande que la première et fort mal éclairée. Les murs aussi étaient blanchis ; mais il n’y avait pas

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