Vous êtes sur la page 1sur 1

M. de Rênal avait ordonné à Julien de loger chez lui. Personne ne soupçonna ce qui s’était passé.

Le
troisième jour après son arrivée, Julien vit monter jusque dans sa chambre un non moindre personnage que
M. le sous-préfet de Maugiron. Ce ne fut qu’après deux grandes heures de bavardage insipide et de grandes
jérémiades sur la méchanceté des hommes, sur le peu de probité des gens chargés de l’administration des
deniers publics, sur les dangers de cette pauvre France, etc., etc., que Julien vit poindre enfin le sujet de la
visite. On était déjà sur le palier de l’escalier, et le pauvre précepteur à demi disgracié reconduisait avec le
respect convenable le futur préfet de quelque heureux département, quand il plut à celui-ci de s’occuper de
la fortune de Julien, de louer sa modération en affaires d’intérêt, etc., etc. Enfin M. de Maugiron, le serrant
dans ses bras de l’air le plus paterne, lui proposa de quitter M. de Rênal et d’entrer chez un fonctionnaire qui
avait des enfants à éduquer, et qui, comme le roi Philippe, remercierait le ciel, non pas tant de les lui avoir
donnés que de les avoir fait naître dans le voisinage de M. Julien. Leur précepteur jouirait de huit cents
francs d’appointements payables non pas de mois en mois, ce qui n’est pas noble, dit M. de Maugiron, mais
par quartier et toujours d’avance.

À son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement. Ses cheveux sont grisonnants, et il est vêtu de gris. Il
est chevalier de plusieurs ordres, il a un grand front, un nez aquilin, et au total sa figure ne manque pas d’une
certaine régularité : on trouve même, au premier aspect, qu’elle réunit à la dignité du maire de village cette
sorte d’agrément qui peut encore se rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans. Mais bientôt le
voyageur parisien est choqué d’un certain air de contentement de soi et de suffisance mêlé à je ne sais quoi
de borné et de peu inventif. On sent enfin que le talent de cet homme-là se borne à se faire payer bien
exactement ce qu’on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible quand il doit.

Aucune hypocrisie ne venait altérer la pureté de cette âme naïve, égarée par une passion qu’elle n’avait
jamais éprouvée. Elle était trompée, mais à son insu, et cependant un instinct de vertu était effrayé. Tels
étaient les combats qui l’agitaient quand Julien parut au jardin. Elle l’entendit parler, presque au même
instant elle le vit s’asseoir à ses côtés. Son âme fut comme enlevée par ce bonheur charmant qui depuis
quinze jours l’étonnait plus encore qu’il ne la séduisait. Tout était imprévu pour elle. Cependant après
quelques instants, il suffit donc, se dit-elle, de la présence de

De retour à Vergy, Julien ne descendit au jardin que lorsqu’il fut nuit close. Son âme était fatiguée de ce
grand nombre d’émotions puissantes qui l’avaient agitée dans cette journée. Que leur dirai-je ? pensait-il
avec inquiétude, en songeant aux dames. Il était loin de voir que son âme était précisément au niveau des
petites circonstances qui occupent ordinairement tout l’intérêt des femmes. Souvent Julien était inintelligible
pour Mme Derville et même pour son amie, et à son tour ne comprenait qu’à demi tout ce qu’elles lui
disaient. Tel était l’effet de la force, et si j’ose parler ainsi de la grandeur des mouvements de passion qui
bouleversaient l’âme de ce jeune ambitieux. Chez cet être singulier, c’était presque tous les jours tempête.

Il a donné à Sorel quatre arpents pour un, à cinq cents pas plus bas sur les bords du Doubs. Et, quoique cette
position fût beaucoup plus avantageuse pour son commerce de planches de sapin, le père Sorel, comme on
l’appelle depuis qu’il est riche, a eu le secret d’obtenir de l’impatience et de la manie de propriétaire qui
animait son voisin une somme de 6000 francs.

Quoi ! j’aimerais, se disait-elle, j’aurais de l’amour ! Moi, femme mariée, je serais amoureuse ! mais, se
disait-elle, je n’ai jamais éprouvé pour mon mari cette sombre folie, qui fait que je ne puis détacher ma
pensée de Julien. Au fond ce n’est qu’un enfant plein de respect pour moi ! Cette folie sera passagère.
Qu’importe à mon mari les sentiments que je puis avoir pour ce jeune homme ! M. de Rênal serait ennuyé

Vous aimerez peut-être aussi