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Amélia Roy

Addiction
Sa Prisonnière
Lorsqu'on me propose de bosser pour Antonio Racherto, le célèbre et riche

designer italien, j'ai tout de suite refusé !

Avec sa réputation d'arrogant goujat, et paraît-il impossible à gérer, je ne


renoncerais pour rien au monde à mon indépendance...
Mais à peine avais-je eu le temps de dire non, que le voici en personne, chez

moi, avec une proposition que je ne peux refuser


Il m'a bien fait comprendre qu'en un claquement de doigts, ma réputation et
ma carrière pourraient disparaître à jamais.
Comme un homme aussi talentueux, et même séduisant, peut-il être si cruel ?
Me voilà contrainte à l'accompagner à Moscou pour un voyage d'affaires, et
si il y a bien une chose que je me suis promise, c'est de ne pas tomber sous
son charme, surtout pas !
Car oui, Antonio Racherto est irrésistible, riche, et terriblement mystérieux.
Tout ce qui pourrait bien me faire craquer...mais cet homme est totalement

imprévisible...
Chapitre 1. Ma vie, mon œuvre

Encore une journée comme les autres sur internet.


Ce matin, je roule sur mon lit aux draps couleur de caramel, exposant ma
chute de reins cambrée sous la douce lumière qui traverse le grand rideau.

J'ouvre mon laptop et je consulte les diverses retransmissions de mon travail.


Je regarde surtout comment les usagers en ligne ont réagi. C'est mon petit
plaisir pervers, et je ne le manquerais pour rien au monde.
Sur mon visage éclairé par la lueur bleutée, un sourire apparaît. Ils sont au
rendez-vous, comme toujours, mes chers petits trolls.
Il s'agit de la conférence pour laquelle j'ai servi d'interprète hier seulement.
Filmée en live, étudiée par les pseudo experts des réseaux sociaux, ma
performance se fait déjà écharper. Je n'ai rien fait pour, mais le fait est là : je

suis devenue en quelques année la bête noire des trolls de bas étage, une sorte
de sorcière qu'on brûle en effigie sur le bûcher dès qu'elle prononce un mot.
C'est un peu étrange, mais c'est le cas.
J'ai pourtant fait du boulot correct. Mais il n'y a pas de qualité ou de talent qui
tienne, pour les charmants personnages dont les tirades envahissent la section
des commentaires. J'ai les cheveux teints en rose, je suis "lesbienne" – ces
braves jeunes gens ne connaissent pas le mot bisexuelle visiblement – on ne
peut pas me faire confiance. J'évolue dans un monde d'hommes : la politique.
Je parle russe comme une espionne soviétique. Qui sait si j'ai vraiment

transmis les mots de cet homme politique avec sincérité ?


Je sais ce qui les dérange, au fond : je leur plais et ils ne m'auront jamais.
J'ai un petit sourire en parcourant les messages d'insultes, parfois je leur
réponds avec un compte anonyme, m'amusant à mettre le feu aux poudres. Je

suis habituée. Et franchement, ça me fait sourire. Une bonne odeur de café


me parvient alors.
Voilà pourquoi je sors avec ces filles adorables qui tiennent les buffets des
événements politiques ; elles font invariablement le petit déjeuner au lit. On
peut appeler ça un service après vente impeccable. Je referme mon laptop et
je me tourne vers la silhouette gracieuse qui franchit le seuil. Elle n'est pas
intimidante du tout, elle : grands yeux naïfs, bouche cousue mais souriante,
douceur blonde et vaporeuse, corps d'ex mannequin pour ados.

Je suis la femme qu'ils n'auront jamais, et j'ai dans mon lit celle qu'ils
voudraient avoir. Double offense, et je n'en suis pas fâchée.
"Merci, mon ange."
Je me redresse un peu dans le lit, exhibant sans gêne un tatouage au long de
mon côté, qui renforce encore la haine de mon cher public depuis qu'une
tenue un peu échancrée à la taille l'a laissé apercevoir. Les théories vont bon
train, mais moi, je sais la vérité. C'est un portrait de mon chanteur préféré, un
Ecossais peu connu, dans une de ses tenues de scène.
On a même suggéré que ce pourrait être une effigie du démon. Comme ils me

font rire... La jeune femme blonde s'étend languissante à mes côtés, en me


regardant siroter ma tasse de café noir ; elle a encore les yeux brillants de la
nuit passée, et de la vision qu'elle vient d'avoir de mon appartement, un loft
d'artiste en plein Paris.

"Tu parles combien de langues ?"


Je sens bien qu'elle n'ose pas vraiment me tutoyer, ça lui demande un effort.
"Six, sans compter le français bien sûr. J'apprends le basque, mais ça
n'avance pas. Je ne m'y mets pas sérieusement," dis-je avec un sourire.
Blague de linguiste. Elle ne comprend pas. Oh, je ne lui en demandais pas
tant, pauvre chérie. Je l'enlace d'un bras et elle se cale contre ma poitrine.
Encore une chose que mes détracteurs me reprochent : ma poitrine naturelle,
pas particulièrement impressionnante, que je m'obstine à ne pas faire refaire

plus à leurs goûts.


Je les aime, moi, mes petits seins de jeune fille, de Marie Antoinette, prêts à
être moulés pour créer la forme d'une coupe de champagne.
Je n'ai jamais cédé aux requêtes d'un de mes glorieux clients, qu'ils soient
hommes politiques tout puissants, financiers, magnats du cinéma, qu'ils
possèdent des mines de diamants ou des puits de pétrole... tous ceux qui ont
demandé ma main. Ils voulaient mon nom, ma prestance et mes gènes pour
leurs enfants. Pas question. Je suis un cheval sauvage, une panthère de la
jungle et c'est ce qui fait ma beauté.

Le corps d'une vierge de fer.


"Tu voyages souvent ?"
Elle a remarqué la déco.
"Oui, et j'adore ramener des souvenirs," dis-je en parcourant des yeux les

étagères de bibelots qui entourent ma chambre.


Les voilà, mes enfants. Ceux de mon talent, de mon succès. Il ne m'en faut
pas d'autres. Merci bien, messieurs, vous pouvez garder votre sperme bien
rangé dans la capote, et la poubelle est là-bas, sous mes diplômes accrochés
au mur.
Ils ne sauraient même pas ce que représentent les blasons de toutes ces
universités. Des années d'études acharnées, un petit prodige, des jobs
étudiants abrutissants, la rage de réussir, tout ce qui fait le fond de mon

caractère. Une farouche indépendance. Et je l'ai aujourd'hui, cette sublime


liberté pour laquelle je me suis battue.
"C'est qui ? Le grand amour de ta vie ?"
Ses petits doigts potelés, aux ongles roses, errent sur le tatouage ; elle me
chatouille, mais je ne montre même pas un frémissement.
"Oh, non, un artiste... tu ne connais pas."
Je n'ai pas envie de trop partager avec elle. Je la laisse poser ses questions,
mais comme je dis toujours : personne ne m'attrapera avec la langue, je suis
championne dans cette escrime.
Chapitre 2. Messer Antonio

Après quelques tendres caresses autour du petit déjeuner, ma petite curieuse


revient à la charge. Moi qui aime partager de longs silences complices, je
peux déjà dire que je ne supporterais pas de vivre avec elle au quotidien,

malgré toute sa bonne volonté.


"C'est où, le prochain endroit où tu iras ?"
Dieu du Ciel, elle est adorable mais elle ne parle pas très bien.
"Florence. Une sorte de couturier ou... je n'ai pas encore fait mes recherches à
son sujet. Je les ferai quand tu seras partie," dis-je avec un petit sourire.
J'ai encore envie d'elle, sous la douche cette fois. Une douche italienne,
comme c'est ironique. Mais mon cerveau est déjà loin. Je suis souvent allée à
Florence et je me réjouis d'avance d'y retrouver mon restaurant préféré, une

petite tonnelle paisible, décorée de roses trémières et de reproductions des


plus beaux portraits de la Renaissance. J'aime y dîner aux chandelles, seule,
en tête à tête avec moi même. Et leur tiramisu à l'absinthe est une des
merveilles du monde.
Lorsque ma tendre amie retourne à sa petite vie terne, je me mets au travail.
Il s'agit avant tout de me renseigner sur celui qui m'a donné rendez-vous.
Je n'ai pas encore accepté. Je n'accepte jamais un contrat avant d'avoir pris
mes renseignements sur le client. Une règle d'or qui m'a évité bien des
déconvenues.

Antonio Racherto, designer. Leader et fondateur de la marque Messer


Antonio. Un ego intéressant, il semblerait. Son logo représente un stylet :
élégant et agressif à la fois. Je me demande si il sait que Messer, messire ou
monseigneur dans sa langue, désigne aussi le couteau en allemand. Ce serait

une blague de linguiste.


J'en souris déjà. Si c'est le cas, nous allons bien nous entendre.
Son secrétaire m'a contactée pour que je suive le Maestro dans un voyage en
Russie, il est question de sommes considérables auxquelles je ne prête aucune
attention, et puis il m'avertit que son patron a un caractère exigeant et que ma
tenue devra être impeccable, sans quoi... il me rhabillera. Je fronce les
sourcils.
Voilà qui me dérange, en revanche. Je continue à me renseigner en ligne sur

ce créateur capricieux, et ce que je trouve me dégoûte tout à fait de sa


personne. Non, apparemment je n'irai pas manger mon tiramisu préféré à
Florence...
Impossible que je travaille avec un tyran.
Toutes les anecdotes que je trouve à son sujet me peignent l'image d'un ego
surdimensionné, une incapacité à respecter les êtres avec lesquels il travaille.
Il a plusieurs spécialités, et il a travaillé auprès de publicitaires, de services
gouvernementaux, d'aristocrates aux lubies soudaines... il semble assez
adaptable, il a une approche pluridisciplinaire qui me plaît, mais il semble

qu'à chaque fois il se soit disputé avec ses commanditaires, ou qu'ils se soient
quittés en mauvais termes. Jamais pour son travail. Les résultats sont toujours
immaculés. Mais son caractère ne s'intègre jamais dans aucun moule.
Il est diplômé d'une école supérieure, dont tous les professeurs disent du bien

de ses talents, et du mal de ses qualités humaines.


Je suis un peu intriguée, j'avoue. Je consulte quelques images de ses
réalisations. Il a dessiné les plans d'une voiture pour un film de science-
fiction. Je réalise que j'ai vu ce film et admiré cette voiture, une extravagance
digne d'un rêve. Je croyais qu'elle était composée en effets spéciaux, mais
apparemment, il l'a conçue et elle roule.
Je me mords la lèvre. Qu'il m'offre cette voiture et je suis à lui. Pour un
contrat, bien sûr, rien de plus. Mais sans ça, je crains bien qu'aucune

rémunération ne me convaincra de le rejoindre dans son petit voyage en


Russie. Bah ! Je suis remplaçable, il se trouvera bien d'autres interprètes.
Je réponds aimablement au gentil secrétaire. C'est non. Il doit être patient,
pour côtoyer ce personnage odieux au quotidien.
Puis je ne pense plus à eux. Si le travail ne vient pas à moi, je vais devoir le
chercher. Je me rends à la penderie pour choisir dans quelle tenue je vais me
rendre à mon agence favorite...
Chapitre 3. On sonne à la porte

Quand j'entends le tintement familier, je suis à moitié habillée, à moitié


coiffée, et pire : à moitié maquillée seulement.
Un de mes yeux est entouré de khôl, de fard à paupières et de paillettes,

tandis que l'autre est absolument nu. Je suis en soutien-gorge rose, ma


couleur fétiche, et jupe de tailleur noire, barrée d'un repli blanc en diagonale
sur le côté, qui souligne ma hanche. Je porte une boucle d'oreille, une créole
dorée ornée de corail rose, et pas l'autre. Et mes cheveux sont brossés sur un
côté de mon visage, encore sauvages de ma nuit d'amour de l'autre côté.
C'est mon habitude de m'apprêter entièrement d'un côté, de comparer les deux
dans le miroir, puis de faire l'autre ; ça me met toujours de bonne humeur
avant de sortir de chez moi, comme si je passais un costume de scène élaboré.

Ce doit être le livreur avec le colis que j'attends. Je ne peux pas simplement
faire la morte et attendre qu'il s'en aille.
Je soupire : le pauvre homme a déjà vu pire en débarquant chez moi, il doit
commencer à se dire que je suis un peu folle. Je cours à l'interphone lui
demander d'attendre un instant, et je passe rapidement un kimono bleu nuit,
orné de motifs floraux brodés, qui me sert de robe de chambre. Là, voilà ma
semi nudité couverte.
J'entrouvre la porte et je me retrouve face à un monsieur sans colis, mais doté
d'un costume italien somptueux. Je suis interprète haut de gamme, je travaille

pour la jet set et je coûte cher ; mais j'ai rarement vu un homme aussi bien
habillé, avec des couleurs aussi subtilement assorties. Pendant une seconde,
je me dis que c'est un mannequin qui vient me demander la permission de
poser dans mon couloir.

Puis je reprends mes esprits.


"Oui, que puis-je faire pour vous ?"
Il me regarde des pieds à la tête, interloqué par mon apparence. Il demande en
italien :
"Vous êtes comme ça tous les jours, à la maison ?"
J'hésite entre me sentir gênée et l'envoyer au diable, puis je décide de rire.
"Oui, bien sûr. Pas vous ?"
Il reste abasourdi. Je crois que ce monsieur n'a pas l'habitude qu'on se

permette de faire de l'humour avec lui. A la réflexion, il porte quelques


millions sur lui, entre sa montre, ses chaussures, le tissu qui couvre son corps
de rêve, et sans doute le simple prix de sa personne. Le genre d'homme qu'on
a envie de prendre en otage et de relâcher contre rançon.
Pas un simple mannequin. Plutôt le génie qui les fait défiler et les tue à la
tâche. Je le reconnais tout à coup : je viens de voir sa photo en ligne. C'est lui,
Messer Antonio. Je ne l'avais pas identifié sans cette grimace arrogante qu'il
avait sur toutes les photos.
"Vous venez d'écrire à mon secrétaire que vous refusez notre offre," déclare-

t-il d'un ton offensé, en relevant le menton comme pour me toiser de haut. "Je
me suis dit que si je venais en personne, j'aurais plus de chances de vous
convaincre."
Oh ! Je comprends mieux.

Voilà pourquoi monsieur avait besoin d'une interprète. Il ne comprend pas le


mot NON.
Je suis encore sous le choc de le voir sur le seuil de ma porte. Ce genre
d'hommes ne s'invite pas chez les gens ordinaires. Il vit dans sa bulle, entre
domaines luxueux et établissements cinq étoiles, et il faut se battre pour le
croiser. Et moi qui ne voulais pas le voir, me voilà nez à nez avec lui. Il me
faut une seconde pour réaliser.
Puis mon intellect vient à mon secours. Il y a quelque chose d'absurde dans

tout cet échange, et je dois l'éclaircir avant toute chose.


"Si vous étiez à Paris, pourquoi me fixer rendez-vous à Florence ?"
"Parce que c'est chez moi," réplique-t-il comme s'il possédait la ville. Son
territoire. Décidément, il y a quelque chose de mafieux chez lui. Il ne donne
pas une bonne image de ses compatriotes, mais je me garde bien de le lui
faire remarquer.
Quelque chose dans son attitude m'effraie un peu. Il se croit tout permis, il
débarque chez moi sans prévenir alors que je lui ai signifié que je ne voulais
pas le rencontrer. Et je suis à peine habillée. Il n'oserait pas s'en prendre à moi

physiquement, si ?
"Monsieur..."
Je me tourne sur le côté, pour n'exposer à son regard inquisiteur que le côté
apprêté de ma personne. L'autre est trop intime pour que je le lui laisse

regarder.
"Je n'ai pas refusé pour des raisons financières. Même en haussant le prix,
vous ne risquez pas de me convaincre, comme vous dites. Je vous remercie
d'avoir pris la peine de passer, c'était très aimable de votre part, mais..."
"Faites un vœu."
Je cligne des yeux, je l'observe, il ne plaisante pas. Tout son langage corporel
respire un sérieux absolu. Il dégage un incroyable charisme : cet homme est
accoutumé à mener des armées à la baguette. Je me demande vraiment ce

qu'il pense de moi. Je dois l'intriguer. Son esprit curieux, habitué à tout
appréhender en quelques instants sans efforts, se heurte à un mystère avec
moi. Et c'est ce qui l'intéresse.
Un vœu... Je me lance, pensant le prendre au piège :
"En plus de mon salaire et de mes frais de transport, je veux cette voiture que
vous avez conçue pour le film Black Lab."
Quand j'y songe, ce film de science-fiction lui allait très bien. Un laboratoire
souterrain qui s'avère être un labyrinthe onirique. Et ce chien noir, ombre
fidèle et silencieuse, symbole ambigu d'espoir et de ténèbres, de solutions et

de souvenirs, qui guidait les protagonistes, mais vers quelle destin... Je


ressens le même vertige qu'en regardant la fin de ce film incroyable, quand il
répond :
"C'est dit."

Sa main se tend vers moi. J'en frissonne malgré moi, fascinée. Cet homme
projette une aura magique et je crois qu'il le sait. Il a un côté magicien, de
ceux qui ne révèlent pas leurs secrets. Moi qui me suis lancée dans cette
carrière parce que j'aime déchiffrer les énigmes... Je prends sa main sans y
penser, et me voilà liée par une parole d'honneur.
Je n'ai encore rien signé, mais comment me dérober ? J'ai fait pire que ça, j'ai
promis.
Enfin. Il a promis lui aussi, et s'il a réellement une attitude digne de la mafia,

une promesse est une promesse. Je vais avoir cette voiture. J'en titube
lorsqu'il prend congé et que je referme la porte, pour retourner me regarder
dans le miroir.
Pendant quelques secondes, je trouve que j'ai l'air d'un monstre. Puis je me
souris. Je suis assez forte pour supporter un goujat pendant quelques
semaines, non ? Ce n'est qu'un voyage d'affaires, et il sera très occupé. Son
secrétaire a l'air charmant, j'irai boire des vodkas avec lui. Peut-être que je le
mettrai dans mon lit, s'il montre un tempérament assez doux.
Quant à Messer Antonio, il peut toujours rêver s'il se fait des idées à mon

sujet. J'ai très bien senti son regard glisser dans le décolleté de mon kimono,
et dans le creux de mon soutien-gorge rose corail à peine visible, quand je me
suis tournée sur le côté. Il regardera tant qu'il voudra, mais qu'il ne cherche
pas à toucher.

S'il se permet la moindre privauté, je m'esquive à Saint Pétersbourg sans


laisser d'adresse. J'adore aussi cette ville, et son musée de l'Ermitage avec ses
collections invraisemblables, ses murs rouges, et ses chats errants choyés par
le personnel, qui y errent en toute liberté. Je me paie du bon temps à ses frais
dans la capitale culturelle, tandis qu'il se débrouille comme un grand garçon à
Moscou, en me maudissant certainement, mais surtout, en regrettant sa
mauvaise conduite. Enfin ! Avec un peu de chances, nous n'aurons pas à en
arriver là.

Pour ma part, je compte bien rester professionnelle. Et il semble pouvoir


l'être aussi. En continuant à me renseigner sur internet, je commence à me
demander s'il n'a pas été victime des mêmes trolls que moi. Jusqu'à ce que je
reçoive le contrat, de son mail personnel cette fois. Le message qui
l'accompagne me fait froid dans le dos :
"Soyons bien clairs. Si je suis déçu, si vous me faites défaut, cela se saura.
Votre précieuse carrière ne s'en relèvera pas. Je ferai de vous une moins que
rien. Gardez bien cela en tête."
La mafia, je vous dis. Dans quoi me suis-je embarquée ?

Chapitre 4. Trois heures d'avion

"Vous n'étiez pas obligé de me menacer," dis-je en le rejoignant à l'aéroport.

Pluie, ciel gris, imperméables moroses et parapluies noirs. On croirait que


nous nous rendons à un enterrement ; le glamour de la première rencontre est
déjà évanoui.
J'attends de pouvoir observer à la dérobée le fameux secrétaire, mais il n'est
pas en vue.
"Si, j'étais obligé," réplique Messer Antonio, toujours froid et supérieur. "Je
connais le genre de femme que vous êtes. Vous pensez avoir l'ascendant sur
moi, sur le plan moral, ou intellectuel ou que sais-je. Il fallait que je vous

rappelle que je peux aussi faire pression sur vous. Nous ne pouvons nous
permettre aucun impair."
"Aucun caprice ?" dis-je pour le provoquer un peu.
D'après ce que j'ai compris de son caractère, les caprices font pourtant partie
intégrante de sa manière de fonctionner, et d'interagir avec ses collaborateurs.
Mais je connais ce genre d'homme, moi aussi : faites ce que je dis, pas ce que
je fais.
"Uniquement des caprices utiles à notre mission," corrige-t-il, comme je m'y
attendais. "Vous avez bien lu ce que j'attends de vous ?"

Je n'ai pas de notes à consulter ; j'ai tout dans la tête.


"Je dois faciliter vos échanges avec le milliardaire Volodya Gregorovich, qui
vous recevra à Moscou pour mettre au point avec vous un décor pour un
spectacle qu'il a commandé... Vous devrez harmoniser ses directives avec les

contraintes temporelles et matérielles des artisans qu'il a engagés, et votre


tâche personnelle sera de créer une ambiance originale pour l'événement, tout
en rendant le décor praticable pour les comédiens, les chanteurs et les
danseurs."
Il hoche sèchement la tête :
"Décors, costumes, ET éclairages. Mais c'est à peu près ça."
Dieu quelle amabilité ! Ce voyage promet d'être distrayant...
Enfin, au moins, il ne parle pas russe, donc il ne pourra pas me critiquer sur le

choix d'une formule ou d'une autre.


Il me montre alors l'avion dans lequel nous nous préparons à embarquer.
C'est un jet privé, rien que ça. Je consulte discrètement la météo autour de
Moscou, tandis qu'il fait charger mes effets à bord ; je serais plus à l'aise dans
un gros avion bien solide, qui effectue le trajet tous les jours, que dans ce
petit jouet aux lignes graciles.
Peut être que Messer Antonio en personne a dessiné le design de cet appareil,
et c'est réellement un petit bijou d'élégance et de technologie, mais ça reste
très fin pour affronter une tempête de neige... et il y en a justement autour de

la capitale russe.
Il ne me reste plus qu'à espérer qu'elles seront passées d'ici trois heures, le
temps que doit prendre notre trajet. Car naturellement, pas question de
différer. Messer Antonio n'attend pas que le climat lui soit favorable. Attendre

? C'est bon pour la plèbe...


Ce surnom lui va décidément très bien, dans mon fort intérieur je ne l'appelle
plus que comme ça. Je me demande s'il se prend pour un prince charmant.
Navrée, mais il en est très loin.
Je prends place dans le salon confortable qui forme la partie centrale de
l'appareil, et j'essaie d'oublier quel cocktail de risques divers je suis en train
de prendre. Mon attention se focalise sur notre contact, ce fameux Volodya
Gregorovich. Lui aussi, je dois le connaître un peu, pour traduire ses propos.

Le spectacle mettra en scène un classique de la littérature soviétique, une


histoire insensée avec des sorcières et des démons, des chats qui parlent et
autres fantaisies, entrecoupées de quelques scènes de la Passion du Christ.
Autant j'aime les décors métalliques et racés de la science fiction, ses jeux de
lumière et ses ambiances artificielles, autant ce genre de récits baroques me
laissent froide. J'ai perdu mon âme d'enfant très tôt, il faut le dire.
Bah, tant pis, je ne suis pas là pour apprécier l'œuvre. Je suis là pour
m'assurer que le designer la conçoive selon la vision de son client... et que les
malheureux artisans, chargés d'amener cette vision dans la réalité concrète,

arrivent à suivre leurs fantasmes.


Je me plonge dans le vocabulaire qui tourne autour de la magie, pour
m'assurer de ne pas être rouillée si un mot particulièrement poétique est
prononcé en ma présence. Les deux langues sont très différentes, et je dois

me mettre à jour dans deux dictionnaires à la fois. Paris est bien loin, oublié.
C'est une chose que j'apprécie dans ce métier. Je peux faire totalement
abstraction de ma propre personne, de mon passé, de ma culture... et me
laisser absorber dans des univers différents, sans commune mesure avec ce
que je connais.
J'explore, je m'affranchis. Je voyage. J'oublie.
Assis à quelques mètres de moi, Messer Antonio semble plongé dans la
lecture d'un magazine, mais je sens qu'il m'observe toujours.

On m'a dit qu'il était exigeant ; j'espère que ma garde robe du moment lui
convient davantage que ce joyeux chaos qu'il avait surpris sur le pas de ma
porte. Le pauvre, Volodya Gregorovich a l'air bien plus extravagant encore,
et il faudra le supporter ainsi au quotidien. C'est l'un de ces nouveaux riches
russes, plus grands que nature, qui jettent l'argent par les fenêtres et affichent
leur succès dans un mode de vie tapageur. Au moins, il a l'air de s'amuser.
J'espère qu'il n'a pas de liens avec la mafia, lui. Entre eux, je me sentirais
toute petite et bien perdue, bien loin de ma zone de confort...
Et à propos... Nous devrions être presque arrivés, encore quelques minutes

avant de survoler les premières extensions tentaculaires de la zone citadine


dans la campagne russe. C'est alors que le confort du début laisse place à une
terreur sourde. Nous sommes secoués en tous sens, et un bruit terrible arrive
de l'extérieur, la rumeur d'une catastrophe imminente. Un monstre qui vient

mâcher la machine, soudain toute petite dans le grand ciel sombre.


C'est l'avion qui vibre. Je ne peux pas ignorer ce mouvement de tôle
malmenée, et les hurlements du vent et de la neige au dehors.
"Si nous risquons d'avoir un accident, j'aimerais le savoir," dis-je plus
sèchement que je ne l'aurais voulu, en levant les yeux vers mon employeur du
moment.
"Mais moi aussi," réplique-t-il d'une voix froide.
Nous attendons, dans un silence de mort. Il est beau comme une statue de

marbre, cet homme, et tout aussi chaleureux. Il ne me témoigne aucun


soutien, dans ce moment terrifiant, et il n'en réclame aucun non plus. Il me
fait presque peur, il a l'air tellement irréel, et en même temps, il m'hypnotise
presque au point de me faire oublier que nous sommes en danger de mort.
Suspendus en plein ciel, secoués par le blizzard.
Tout à coup, l'avion brise sa trajectoire linéaire, et chute. Je le sens dans tout
mon corps, jusque dans mes os, un vertige affreux qui me donne envie de
hurler, comme dans un wagon de fête foraine qui plonge tout à coup sur le
long toboggan des rails. Mais ici, nous n'allons pas atterrir en riant dans un

bassin d'eau claire, au milieu des attractions aux couleurs criardes. La seule
chose qui nous attend à nos pieds, c'est la steppe, la terre dure et noire, gelée
jusqu'aux racines, sous un manteau de neige prêt à nous avaler.
"On descend !"

"Restez calme," ordonne l'homme en attachant sa ceinture.


Je peux l'imiter, mais pas lui obéir.
Des larmes commencent à couler sur mon visage, ramenant le chaos sur mes
joues.
Oh non, je ne veux pas mourir seule. Ici, en pleine campagne, dans ce vide
absurde et hurlant, loin de tout ce que j'aime. Je ne veux pas que mon corps
soit dévoré par les loups, comme celui d'une pauvresse du moyen-âge, après
avoir mené une vie aussi sophistiquée... Ce n'est pas juste !

Je me déteste de raisonner ainsi, comme une petite privilégiée trop gâtée, une
ambitieuse sûre de ses mérites... mais c'est plus fort que moi : ce sont les
dernières pensées qui traversent ma tête, le dernier flash de désespoir, avant
que l'avion touche brutalement le sol.
Un rebond douloureux. Puis un autre. Des bruits de tôle froissée, les appareils
qui clignotent et émettent des sifflements. Des cris, les miens, ceux
d'Antonio, le pilote qui jure entre ses dents serrées, cramponné au manche.
Des branches qui griffent les hublots de toutes parts, le fracas de la végétation
écrasée sous notre poids.

Et le silence.

Chapitre 5. En catastrophe

Le pilote vient en titubant nous expliquer la situation. Une bonne partie de


ses appareils ne répondent plus, mais il est arrivé à faire fonctionner la radio.
Ses trois premiers mots sont une surprise pour moi ; et je m'aperçois à cette
occasion, seconde surprise, que le pilote est une femme. Une belle brune,
dont je me demande soudain quelle est la relation exacte avec son patron, à la
façon dont il la dévore des yeux.
Seigneur, je suis jalouse et je ne sais même pas de qui.
"Tout va bien, nous avons dû nous poser en catastrophe mais l'auberge

voisine est prévenue, ils nous envoient une voiture. Nous allons y passer la
nuit et demain, nous pourrons terminer notre trajet sans encombres."
Un jet abîmé, ce n'est rien, apparemment. Il s'en payera un autre, Messer
Antonio. C'est une habitude chez lui sans doute ? Je ne veux même pas
discuter de ça. J'ai vu défiler ma vie devant moi, et j'ai encore mal partout. Ce
voyage commence horriblement.
Je discute avec le chauffeur, en russe, pendant qu'il nous ramène à la chambre
d'hôtes où nous allons passer la nuit. Il me demande ce qu'on vient faire ici.
C'est une longue histoire. Je dis que monsieur est un artiste, que sa pilote le

promène et moi, je parle pour lui. Le chauffeur rigole : il n'a donc pas de
jambes ni de langue, cet artiste ?
Je souris. Non, c'est une tête. Les deux autres me regardent, un peu vexés de
ne pas comprendre pourquoi nous rions, dans cette langue qu'ils ne

comprennent pas.
Les nerfs d'acier de mon employeur m'ont quand même impressionnée. Je me
serais attendue à ce qu'un type comme lui soit terrifié et en larmes à la
perspective d'une mort imminente, geignant dans son coin en appelant sa
mère. Pas du tout. La théorie du mafieux devenu star se confirme, et ne me
jugez pas, je suis dans une situation compliquée, ça m'occupe de me faire des
idées à son sujet. Il en fait sûrement de même de son côté, alors !
Je me demande tout à coup pourquoi il me voulait, moi et pas une autre. Il

faudra que je lui pose la question. Cette étape plus intime que prévu nous en
donnera peut être l'occasion. Peut-être demain matin, au petit déjeuner...
En arrivant à l'auberge, je me glisse en frissonnant dans le petit hall
chaleureux, mais les premiers mots de l'hôtelière me braquent
immédiatement. La folie continue. Il ne reste qu'une chambre libre. "C'est un
très grand lit," répète la vieille dame, comme si elle ne comprenait pas le
problème, en nous souriant à tous les trois.
La pilote m'a vue pâlir, et m'interroge en fronçant les sourcils :
"Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a encore ?"

Catastrophée, je traduis mécaniquement. "Il ne reste qu'une seule chambre,


avec un très grand lit. Pas d'autre fourniture, pas de banquette, même pas de
fauteuil."
Je suppose que deux d'entre nous vont dormir par terre. J'espère que notre

employeur sera assez gentleman pour laisser le lit à une dame ! A la rigueur,
je ne dirais pas non à partager des draps suffisamment vastes avec cette
sublime femme brune que je ne connais pas, ni son nom, ni ses habitudes,
mais qui m'a déjà tapé dans l'œil... Mais avec Messer Antonio dans la pièce,
ce serait terriblement gênant !
Nous montons à la chambre dans un silence de mort, espérant contre toute
attente qu'une autre chambre se libère soudainement. Mais nos voisins sont
endormis du sommeil du juste. C'est une petite auberge de campagne,

familiale et paisible. J'ai presque l'impression de déranger. En arrivant à la


porte, j'ouvre et je passe la première, mais il y a très peu d'espace autour du
lit, et le tapis ne semble plus si propre quand nous avons marché partout le
temps de nous installer. D'un autre côté, c'est vrai que ce lit est immense...
Bon. Il va falloir se résigner à une petite soirée camping, à ce que je vois.
L'un après l'autre, nous nous esquivons dans la petite salle de bain, pour nous
déshabiller sommairement, gardant un t-shirt et une culotte, ou un caleçon en
ce qui concerne Antonio, en guise de pyjama. Nous nous glissons sous les
couvertures épaisses avec un mélange de malaise et de soulagement.

"Eh bien, bonne nuit," lâche la pilote en éteignant la lampe de chevet, sans
autre forme de procès. Elle en a vu d'autres, ça se voit. Au bout de quelques
minutes, sa respiration devient lente et presque silencieuse : elle dort déjà.
Antonio ne dort pas. Je l'entends presque réfléchir. Nous allons arriver très en

retard sur son programme. Je me tourne vers lui et je frôle son bras dans
l'obscurité, ce qui le fait légèrement sursauter : il s'attendait à tout sauf à ça.
"Ce n'est qu'un désagrément passager," dis-je à voix basse. "Faisons comme
si de rien n'était, et tout ira bien. C'est le meilleure moyen de s'en sortir avec
les honneurs."
C'est ce que ma mère m'a toujours appris, en tout cas, et ça m'a plutôt bien
réussi. Je ne sais pas d'où me vient cette envie de le réconforter, mais il est
touchant ainsi, en difficulté tout à coup, comme je n'aurais jamais cru le voir,

et pourtant imperturbable et calculateur, un vrai stratège dans la tempête ; je


commence vraiment à l'apprécier.
"Comme si de rien n'était," répète-t-il machinalement.
Je crois un instant qu'il s'apprête à s'endormir, mais au lieu de cela il se tourne
vers moi et je sens que son visage se trouve à quelques millimètres. Je ressens
à nouveau son envie magnétique, son attraction irrésistible. Il me réclame un
baiser, il en a besoin. Et je dois bien l'avouer, après toutes ces émotions... moi
aussi.
Il fait très noir. La femme à côté de nous dort profondément. Nous n'avons

presque aucun mouvement à faire pour que nos lèvres se rencontrent.


Personne ne se doute de ce qui se passe dans nos têtes, nous resterons une
énigme l'un pour l'autre. Impossible pour lui de deviner ce qui se passe dans
ma culotte, aussi. Une chaleur humide qui augmente à chaque seconde du

baiser. Mes doigts glissés en silence contre ma fente en manque, dont ils
retracent sans fin les contours, glissant contre la mouille qui redouble. La
pulsation du désir qui s'affole dans le creux de mon ventre, les crispations des
parois de mon vagin qui se resserrent sur le bout de mes doigts, comme pour
tenter désespérément d'en faire jaillir du sperme...
Après tout, pour ce que j'en sais, il en fait peut-être de même de son côté. Je
ne pourrai jamais en avoir la certitude.
La lente ondulation du baiser est le seul mouvement que je perçois, son

souffle qui s'accélère, son pouls qui bat plus fort, sa langue qui s'empare de la
mienne pour une caresse passionnée. Si, j'en suis sûre, il a les mains plongées
dans son caleçon lui aussi. Il a empoigné le bout de son sexe dur dans un étau
de doigts serrés. Il fait aller et venir son pouce en cercles rapides,
imperceptibles d'où je suis, sur l'extrémité de son membre, là où de petites
gouttes de semence claire commencent à perler. Il bloque son souffle pour ne
pas gémir.
La frustration cambre nos dos, creuse nos reins, contracte les muscles de nos
hanches qui ne peuvent pas s'actionner en rythme comme nous en aurions

envie.
Son baiser m'étouffe et me bâillonne. Je pourrais être en train de crier, s'il
n'était pas là en train de me baiser la bouche avec sa langue. Mon doigt glisse
plus profond, toujours plus profond, mes bras se raidissent, un spasme me

prend et je résiste de toutes mes forces, pour ne pas me déhancher comme


une folle contre cette main qui me pénètre. Je le sens presque en moi. Sa
fougue, son désir, sa verge, que j'imagine énorme, ravageuse.
Il me mord la lèvre inférieure. Il est en train de jouir furieusement dans le
creux de son poing, j'en suis sûre. Je perçois l'odeur légère du sperme qui
envahit le lit et la chambre. Je mouille de plus belle et mon doigt accélère son
massage ciblé sur mon point G. Un cri ténu m'échappe, englouti par le baiser
qui cesse d'être une morsure, et redevient une caresse.

C'était un bel orgasme, quasi immobile, fiévreux, qui me laisse en sueur, le


cœur battant la chamade. Je me sens trempée, détruite, épuisée. J'adore.
Je recule mon visage, pour lui donner un baiser plus doux et innocent au coin
des lèvres, laissant percevoir la forme de mon sourire.
"Bonne nuit, Antonio."
Il ne répond rien. Dans un long soupir, il se tourne vers le mur en me tournant
le dos, ramène le drap sur son visage et marmonne. Il est déjà en train de
sombrer, lui aussi ; quel romantique...
Et demain, nous ferons comme si de rien n'était. Et tout ira bien.

Chapitre 6. Nuit d'orage

Je suis installée aussi confortablement que possible, mes yeux fixés sur le peu

que je distingue du plafond aux poutrelles noires apparentes.

J'attends le sommeil, mais Morphée n'est pas aussi accessible que mon voisin
immédiat. Je reste patiente, immobile, comme quand j'étais petite fille et que
je n'arrivais pas à dormir dans la grande maison vide, ma mère en voyage,
très loin de moi. Attendre... il n'y avait rien à faire d'autre, après tout. Je ne
dormirai peut être pas de la nuit. Tant pis. Ça en valait la peine.

Si je ferme les yeux, de toute façon, je sais exactement de quoi je vais rêver.
Ce sera assez semblable à la situation où je me trouve déjà. Et ce ne sera pas

le genre de rêve que je pourrai raconter au petit déjeuner... ni même au


confessionnal.

Je me demande s'il m'imaginait, en se caressant ; moi, ou une autre femme.


Mes cheveux roses d'insolente qui se rit du regard des autres... Ou les
cheveux noirs de la pilote. Mes seins de jeune fille, ou ses seins de femme
fatale. Mes longues jambes fines, ou ses jambes fortes et musclées, aux
hanches larges, faites pour endurer la charge d'un étalon puissant... C'est
terrible, je suis excitée par leurs deux corps, et ils dorment tous les deux.

Je me mords la lèvre pour me contrôler. Aussitôt, mon dos se tend, comme si

cette morsure venait d'un autre. J'essaie de compter les moutons ; mais ce
sont surtout les degrés qui comptent, cette chambre de plus en plus chaude,
partageant la chaleur de ses trois occupants sous la couette épaisse, tandis que
dehors souffle le blizzard.

Je ne peux quand même pas me toucher à nouveau... Mais je dois, c'est


comme une brûlure entre mes cuisses, une démangeaison qui ne me laisse pas
tranquille. Dès que j'essaie de me tourner, pour imposer moins de contacts à
mon sexe échauffé, mes chairs frottent les unes contre les autres, le drap me
caresse à la dérobée, ou c'est l'air qui vient me mordre et me lécher. J'essaie
de me concentrer sur Antonio ; je ne distingue pas son visage dans l'ombre,
mais je sais qu'il est là, face au mur, sans doute impassible, jusque dans le
sommeil.

A quoi il ressemble, lui, sans ses beaux vêtements faits main ? De quoi il a
envie, quand il s'accorde un moment de plaisir ? Ça doit bien lui arriver.
Monsieur est exigeant, son secrétaire me l'a bien écrit. Tiens ? Je réalise qu'il
ne nous accompagne pas. Dommage, mais la pilote me va tout autant. Ou
peut-être qu'il nous attend déjà sur place. Est-ce qu'il baise son secrétaire en
grand secret ? Je n'ai qu'à imaginer la scène pour me sentir de nouveau en
sueur.
Est-ce qu'il aime les mannequins ? Est-ce que c'est pour ça qu'il est devenu
designer ? Ou peut-être les admiratrices naïves, qu'il invite dans des hôtels

cinq étoiles pour les sauter dans le jacuzzi, avant de les jeter comme des
vieilles chaussettes... Est-ce qu'il drague sur les plages parfois, incognito,
quasi nu, des lunettes de soleil de beauf sur le nez ? J'essaie d'imaginer des
scènes qui me répugnent ou qui me font rire, pour casser l'ambiance.

Ça ne marche pas, alors j'essaie de me faire peur. Et si c'était un psychopathe


? Je ne serais pas vraiment surprise. Ou juste un extravagant, avec des
fantasmes complètement incompréhensibles, de quoi me laisser froide et
étonnée. Je passe en revue les fétichismes les plus rares que je connaisse, et à
quel point ils ne m'intéressent pas.

Mais tout ce que j'arrive à me dire au final, c'est : il est peut être en train de
rêver de ça... et demain matin, en se réveillant, il sera en érection. Il fera jour,
la pilote nous verra, et je ne pourrai pas me jeter sur lui en le suppliant de me

prendre. J'en suis frustrée d'avance.

C'est alors que la lune se fraie un chemin dans l'angle des volets, à peine un
filet de lumière, qui tombe sur le lit. Tout à coup, je peux distinguer la forme
du corps d'Antonio, sous la couette. Il est étendu sur le dos, les jambes
légèrement écartées, une main sur le ventre. Je vois la bosse de cette main, et
au dessous, une autre bosse...

Je donnerais tellement cher pour le voir nu. Il a l'air assez bien membré. Rien
de trop monstrueux, je déteste ça, mais un relief bombé, une excitation bien

visible, qui me met l'eau à la bouche. J'aimerais qu'il dorme nu et sans draps,

pour pouvoir le regarder tout à loisir pendant qu'il ne s'en rend pas compte.
Mais alors, j'aurais trop envie de le toucher, de l'avoir en moi... rien ne saurait
me satisfaire. Je serais obligée d'aller prendre une douche froide, et de
prétendre avoir eu la fièvre, et... je ne veux pas commencer déjà à lui mentir.

Son pied frôle le mien.

Je m'enivre de ce léger contact : c'est tout ce que j'aurai cette nuit, alors autant
en profiter. Tout à coup, je vois sa main se déplacer et couvrir son sexe. On
dirait qu'il cache ses parties parce qu'il rêve qu'on l'observe dans son intimité.
Bonne intuition, Messer Antonio...

Je m'en veux de l'avoir regardé trop fixement ; il a peut-être entrouvert les


paupières et remarqué lui aussi, à la lueur de la lune, ce que je faisais... Je ne
fais rien, mais c'est déjà trop. Je ne veux pas être celle qui passe pour la

psychopathe de service. Je m'apprête à me tourner de l'autre côté, en toute


innocence, quand je remarque que la bosse s'est déployée.

Il ne s'est pas caché, il s'est repris en main. Le mouvement est très lent, mais
il se branle. Maintenant, même en fermant les yeux, je peux sentir le
mouvement léger du matelas sous les ondulations de ses hanches. La pilote
est désormais endormie profondément ; il peut se permettre ce petit extra sans
crainte de la réveiller.
Alors, il ne sait pas que je l'observe. Ou il le sait... et ça devient très excitant.

Son bassin remue lentement, dans une houle régulière et terriblement

suggestive. Son souffle n'est plus aussi silencieux. Profond et sensuel, il en


dit beaucoup sur son état, comme s'il retenait à chaque fois de justesse un râle
d'extase ou un gémissement d'envie.
C'est irrésistible. Je me rapproche, nos pieds se touchent à nouveau, puis

toute notre jambe, puis tout notre corps. Soudain, sa jambe tâtonne sous le
drap, rencontre la mienne et entrelace nos doigts. Oh oui, il est réveillé et il
sait que je prends part à sa petite fête. Son pied en fait de même, caressant le
mien avec une habileté divine. C'est insupportable de délices. Il n'a pas
encore touché à mon sexe et je suis déjà dans un état second, l'intérieur de
mon ventre crispé de frissons rapides. Il va me faire jouir sans avoir rien fait,
si il continue... Le pouvoir de la suggestion.
En se redressant un peu sur le lit, je fais glisser les draps et il remonte sa

main, sous mon t-shirt de nuit, sur ma poitrine nue. Je renverse la tête en
arrière dans un cri silencieux. Oui, je veux, maintenant ! Ma main vient
s'emparer de son sexe nu, luisant sous la lune, dressé comme une colonne.
Nous restons aussi immobiles que possible, mais bientôt...
J'hésite.... m'incliner sur cette verge puissante, lisse et splendide, pour la
cacher entre mes lèvres ? Je le vois resserrer ses doigts qui maintiennent sa
base, tandis que je frôle le sommet des miens, et je me dis que, si c'est le
moment ou jamais, autant en profiter pleinement.

J'écarte sa main, et la peau sensible coulisse plus rapidement, il hausse son

bassin pour enfouir son pilier de marbre dans le fourreau de mes doigts. Il
enfonce son chibre dans l'anneau que je resserre, il se branle avec ma main.
Je m'incline sur lui, mais ma bouche s'empare de la sienne tandis que ma
jambe l'enfourche. La lune coule sur mon corps à présent, dévoilant mes

reliefs. La culotte est vite repoussée sur le côté, et le sexe d'Antonio se plonge
en moi, dans un moment d'une intensité incroyable, un glissement qui paraît
éternel.
Enfin, je l'ai en moi, emprisonné, pulsant, parfait.
Je me masturbe maintenant rapidement, les doigts posés sur mon clitoris,
tandis que de petits mouvements de hanches plaquent avec retenue la
pression de sa verge sur mon point G. Je sombre, je perds la raison, ma
bouche s'ouvrent sur des cris que je retiens de justesse. Les mains du designer

redessinent mes seins, et il ne semble pas les trouver décevants.


J'ai l'impression d'être une œuvre d'art entre ses mains, et que c'est son talent
qui explose finalement en moi, me remplissant longuement d'étincelles de
génie.
Nous venons de jouir ensemble. Mon employeur et moi. L'insupportable
Messer Antonio, et son interprète au caractère bien trempé. Je sais ce qui est
bien trempé à présent... c'est le lit.
Chapitre 7. Tourbillon de sentiments

Au petit déjeuner, l'ambiance est étrange.

La pilote ne s'est rendu compte de rien, elle ne cesse de complimenter

l'aubergiste : elle a dormi comme un loir, les viennoiseries sont délicieuses, le


thé est parfait... Et à côté d'elle, comme deux collégiens à l'air coupable, nous
sommes vautrés sur nos sièges, Antonio et moi. Etrangement semblables, les
yeux cernés, le sourire rêveur.

J'essaie de ne pas sourire, de rester sérieuse, mais c'est impossible ; et je ne


cesse de commettre des lapsus en traduisant. Heureusement, mes
compagnons de voyage ne connaissent pas assez le russe pour s'en
apercevoir.

L'aubergiste s'en rend compte, elle, et elle rit, mais de toute façon elle rit

toujours ; c'est l'une de ces petites vieilles dames qui ne pensent pas à mal et
qui ne demandent qu'à plaisanter avec la clientèle. Je ne sais pas si je lui en
veux, ou si je lui suis reconnaissante, pour cette chambre unique au grand lit
si accueillant, et tout ce qui s'y est passé.

Ça ne va pas faciliter la suite de ma mission. Ou peut être que si ?

Sur le moment, je suis confuse : est-ce qu'il va être plus ou moins


professionnel avec moi, à présent ? Est-ce qu'il va m'en estimer davantage, ou
au contraire me mépriser ? Enfin, ça le regarde. Quant à moi, je ne vais pas

lui faire plus de cadeaux sous prétexte qu'il est aussi bon au lit qu'élégant à la
ville. Mon respect ne se gagne pas de cette façon, ce serait trop simple. Je me
répète tout ça, mais en même temps...

Je ne peux pas oublier qu'il m'a attirée contre lui, quand tout a été fini et que

je m'apprêtais à séparer nos corps pour me recoucher en toute discrétion. Il


m'a entraînée dans un baiser passionné et tendre comme je n'en avais jamais
connu, un véritable remerciement silencieux. J'en porte encore le souvenir
bien vivant sur mes lèvres...

Il n'est peut être pas si insupportable, finalement, ce créateur un peu cassant,


un peu parti dans son monde, mais très capable de donner du plaisir à
quelqu'un. Peut être que ce séjour ne sera pas si terrible que je l'avais craint.
J'essaie d'imaginer nos soirées après le travail. Je sais qu'il nous a réservé

deux chambres d'hôtel voisine... Communicantes ?

Est-ce pour ça qu'il me voulait, moi et pas une autre ? Il me désirait depuis le
début ? A la pensée que cet homme d'une beauté ravageuse ait envie de moi
en continu, j'ai du mal à garder mon calme. Pour une fois, pour lui, je
pourrais envisager de me permettre une aventure à long terme. Comment ils
appellent ça, les autres... une vie de couple. Je n'en avais jamais rêvé, et m'y
voici. Amoureuse ? Non, n'allons pas jusque là. Emoustillée, ça oui.
Passionnée. Impatiente.

Enfin, notre transport jusqu'à la capitale est arrangé : notre client lui même va

venir nous cueillir dans son propre jet. Je ne suis pas très rassurée, sur le
moment, mais en regardant dehors, je constate que la tempête s'est terminée
dans la nuit : les nuages se sont dégagés, et le ciel est clair, libérant un soleil
lumineux sur la campagne morose et neigeuse.

Fuyons d'ici. Le travail nous attend, l'exaltation de la grande ville, le strass de


la scène. Je me sens comme une gamine, quand nous nous rendons au terrain
d'atterrissage improvisé un peu plus loin dans un champ à l'abandon. J'ai les
joues rouges dans le froid piquant, et la pilote elle même me fait une
remarque sur ma bonne humeur.

Distant et supérieur – faussement, je commence à m'en douter – notre


employeur surveille le ciel, sans un mot. Je l'ignore aussi, malicieuse. Je
remercie la pilote qui, mine de rien, nous a sauvé la vie ; elle éclate de rire et

m'assure que c'est la routine. Elle regagnera Moscou avec nous, et de là,
reprendra l'avion pour Paris. Quant à l'avion, une équipe viendra le réparer.
C'est tout de même pratique, d'être riche à millions...
Chapitre 8. Moscou

Le nouveau jet qui se pose est d'un noir de jais, couvert de slogans et de
publicités en grandes lettres dorées ; il me pique les yeux. J'ai pitié d'Antonio,
lui qui aime tant le bon goût, on dirait qu'il va devoir mettre pied sur une

autre planète.
L'appareil se pose, et je réalise que, contrairement à ce que je croyais, notre
contact est venu en personne, repoussant tous les rendez vous dans son
agenda pour pouvoir voler à notre secours. Dès que la passerelle s'ouvre,
nous ne pouvons plus douter que ce soit lui. Aucun employé ne se conduirait
de cette façon...
Antonio se raidit à mes côtés, prêt à l'impact. Il lui a déjà parlé au téléphone,
il sait plus ou moins à quoi s'attendre.
La rencontre avec Gregorovich est explosive. Le milliardaire saute au cou

d'Antonio, le surnomme brusquement "Tonya", et l'entraîne dans un tour du


propriétaire comme s'il voulait lui vendre la maison. Son enthousiasme
débordant met mon pauvre designer très mal à l'aise, et je ne peux pas
m'empêcher d'avoir pitié de lui. Je traduis comme je peux, quand ce ne sont
pas des plaisanteries équivoques pour lesquelles il n'y a pas d'équivalent
exact en italien.
Antonio est indifférent à cette dimension humaine de la relation avec son
client. Il se concentre sur sa demande, sur le contrat.
Je me félicite d'avoir absorbé tout le vocabulaire nécessaire ; il veut savoir

toutes les subtilités. Il me traque sur l'interprétation d'une ligne, et je lui


détaille les différences légales entre un contrat en Italie et en Russie. Il
semble satisfait.
J'en retire une étrange fierté. J'espère vraiment que je ne suis pas en train de

tomber amoureuse comme une idiote... Le trajet se déroule vite, en s'occupant


ainsi. A notre arrivée, je réalise la montagne de travail qu'Antonio a déjà
abattue, même si il ne s'agit que de réflexion et de déchiffrage des intentions
de son client.
C'est la plus grosse partie du travail. Le reste sera surtout technique. Mais
apparemment, le terrible enthousiasme de Gregorovich lui donne un défaut
qui risque de nous freiner à l'avenir : il suffit de discuter quelques secondes,
et soudain, une phrase ou une formule lui donne une "idée de génie" qui le

conduit à repenser tout le reste.


Par exemple, Antonio fait l'erreur de lui suggérer d'associer le bleu à l'idée de
passage entre deux mondes. Une lumière bleue sur les scènes où l'histoire
change d'univers, par exemple. Aussitôt, Gregorovich se passionne pour ce
concept, et veut mettre du bleu partout, se faire composer un costume bleu
pour assister à la première, etc...
Il est à craindre que nous aurons beaucoup de retouches à apporter, au fil de
notre travail. Bah ! Au moins nous touchons terre, en plein Moscou, enfin
sauvés des intempéries et des contraintes de la campagne. Gregorovich part

de son côté, et nous sautons dans un taxi avec nos bagages. L'hôtel nous
attend. Nous avons tous deux besoin d'une douche.
"Je vous retrouve dans une heure ?" dis-je au moment de me séparer
d'Antonio.

Un petit sourire lui vient aux lèvres, et il me dit à voix basse :


"Nous pouvons nous tutoyer. De toute façon, personne ici ne s'en rendra
compte."
Il n'a pas tort.
L'idée de vivre une intimité secrète, dont aucun de nos interlocuteur ne peut
se douter, m'exalte et me fait briller les yeux. C'est le jeu sur les mots dans
toute sa splendeur, ma discipline favorite, et je la partage avec un homme qui
paraît s'intéresser à moi sur tous les plans. Dire que je préfère les femmes en

règle générale ; mais quant aux hommes qui arrivent à retenir mon attention,
Antonio est de loin le plus fascinant.
Il a vraiment choisi un hôtel magnifique. J'admire la vue, je me prélasse dans
la baignoire king size, je me vautre sur le lit doré, profond comme un nuage,
avant de me rhabiller. C'est parti pour le début officiel de mon contrat à son
service.
Je n'ai aucun regret pour le moment, et je n'espère qu'une chose : n'en avoir
toujours aucun au moment de mon retour à Paris...

Chapitre 9. Latin et tentation

Nous passons la fin de journée à visiter la salle que Gregorovich fait


construire – il ne la loue pas, il ne l'achète pas, je répète : il la fait construire,

rien que pour son spectacle – et à discuter avec le metteur en scène, pour
harmoniser nos vues. C'est un vieux monsieur à la barbe d'historien, à la
diction lente et supérieure, et qui ne s'en laisse pas conter ; mais il rappelle
que déjà, à l'époque des Lumières, la grande impératrice Catherine avait fait
venir des artistes italiens pour mener à bien ses projets culturels, et il nous
cite quelques noms.
Le compliment est apprécié. Antonio se permet même un sourire radieux.
J'aimerais pouvoir le faire sourire ainsi. Ah, ce n'est pas le moment de me

laisser sombrer dans mes sentiments... Mais c'est que le spectacle en lui
même ne me séduit pas.
J'ai beau faire : c'est une histoire féérique et poétique, et j'ai passé l'âge. Il y a
trop de références spirituelles, trop d'exaltation, c'est un vrai spectacle de
magicien, qui se mêle en même temps de jouer avec de grandes idées
mystiques et politiques. Je dois faire tous mes efforts pour ne pas simplement
trouver ça ridicule.
Quand nous quittons les lieux, Antonio se tourne vers moi et me demande
mon avis. Je monte d'abord dans le taxi, en cherchant mes mots

désespérément.
"Disons que... Tu es un homme d'élégance, et je me demande comment tu vas
faire pour en insuffler dans ce projet. Rien ici ne te permet de t'exprimer à ta
juste valeur. Pardon d'être négative," dis-je en le regardant s'asseoir.

Il m'observe quelques secondes, et réplique d'une formule antique. J'en


connais le sens : je trouverai une route à suivre, ou j'en ouvrirai une nouvelle.
"Aut viam inveniam, aut faciam."
Je dois l'avouer, ces mots me font craquer. Il ne m'en fallait pas plus pour
basculer du côté rose de la force. Je regarde mon employeur avec de grands
yeux brillants, fascinée malgré moi. Je dois avoir l'air d'une groupie, et sur le
moment, ça m'est égal : j'assume. Cet homme vient de gagner mon coeur,
avec quelques mots d'une langue ancienne que plus personne ne comprend de

nos jours.
"...Tu parles latin ?"
"Personne ne "parle" latin. Mais je le comprends, oui."
"Je n'avais aucune envie d'utiliser ma langue maternelle sans en comprendre
les racines. Il était hors de question que je me rende un jour ridicule en
utilisant un mot de travers. Ainsi, le risque est moindre. Et puis, les citations
laconiques me plaisent : courtes, succinctes, droit au but, pleines de
résonances philosophiques. Efficaces."
Voilà donc comment il se considère, comment il aime travailler. L'élégance

toute en retenue de son style et de ses oeuvres est pensée pour offrir à son
public la même impression : une admiration totale, pour un diamant parfait.
Juste ce qu'il faut de facettes, et toute la lumière possible concentrée dans une
petite merveille géométrique.

Je vais vraiment finir par l'apprécier. Et il va vraiment finir par mesurer à


quel point. J'hésite, et si je prenais le taureau par les cornes en lui annonçant
de but en blanc que j'aimerais une relation à long terme avec lui ? Au pire il
refusera, ce ne sera pas la fin du monde... et au moins je serai fixée. Mais je
n'arrive pas à m'y résoudre.
Rien que le fait d'y avoir pensé me tétanise. Je suis en terrain complètement
inconnu. Moi qui adore les voyages et les découvertes, là, ça dépasse tout ce
que je pouvais attendre. Je pensais l'admirer, je m'étais résignée à le désirer,

mais je me refuse encore de l'aimer. Ça me semblait impossible il y a encore


deux jours, et je fais confiance à mon moi d'il y a deux jours : il était
indépendant, il ne fonctionnait sous aucune influence.
Je tiens à rester cette personne. Mon indépendance, à part ma carrière et grâce
à elle, c'est tout ce que j'ai, c'est ce qui me définit. Je tiens à garder les idées
claires. Et qu'est-ce que je pensais d'Antonio il y a deux jours ? Un mafieux
devenu designer pour séduire les foules. Sans intérêt, sans commune mesure
avec ce que je veux faire de ma vie. Et maintenant... l'autre facette de la
même pièce me tend les bras. Un artiste, qui pourrait bien faire de moi son

égérie.

Chapitre 10. Confidences

J'esquive le dîner, ce soir là. Je me suis promis une chose au cours de ce trajet
: je vais m'en tenir à une stricte fréquentation de mon employeur dans des
contextes professionnels. Pendant quelques jours, en tout cas. La pente qui
m'entraîne vers lui est trop dangereuse, qui sait où elle pourrait me mener, si
je dîne avec lui en amoureux. Le cadre de cet hôtel est tellement romantique,
j'imagine à quoi doit ressembler son restaurant ; et je suis sensible aux
restaurants de charme, tous ceux qui me connaissent un peu le savent.
Peu de gens me connaissent vraiment.

Je fais mine d'être épuisée, je me retire dans ma chambre en lui laissant une
traduction du menu ; et je fais monter mon dîner sur un chariot. Je mange
seule, face à la vue merveilleuse depuis mon balcon, sur les lumières de la
ville. Puis je m'effondre dans mon lit, pensive, charmée, et honteuse de l'être.
C'est l'âge, c'est ça ? Je commence à craindre de me faire vieille ? J'ai cette
envie animale de me caser avant qu'il ne soit trop tard ?
Mieux vaut ne pas y penser. Je m'endors en me concentrant sur le projet.
Demain, nous allons réunir les artisans engagés par Gregorovich, et tenir une
table ronde pour tenter d'arriver à une harmonie générale, une vision

d'ensemble. Il faut qu'ils puissent commencer à se mettre au travail d'ici la fin


de la semaine. Je ne vais pas manquer de travail...
Pour ça, il faut que je comprenne intimement la vision artistique de mon
employeur. Antonio doit voir quelque chose dans ce spectacle, un potentiel

créatif, en accord avec ses principes et sa vision de la beauté. Sinon, il


n'aurait pas accepté. Il n'a pas besoin de cet argent, ni de cette renommée, il
en a déjà à ne plus savoir qu'en faire...
Est-ce qu'il essaie de transformer son image ? De passer pour autre chose que
pour un odieux tyran, avec qui il est impossible de travailler ?
Je ne vois pas pourquoi. Il a l'air de s'y complaire, au contraire. Je devine
chez lui une grande insécurité, que la méfiance et la peur des autres protègent
de trop de contacts humains. Je suis d'autant plus fière qu'il m'ait permis de le

toucher... tel un étalon sauvage, magnifique mais farouche, qui ne se laisse


approcher par personne.
Je rêve de magiciens, de sorcières et de licornes. A mon réveil, j'ai
l'impression d'être une petite fille, et des souvenirs de mon enfance me sont
revenus en vague. Je n'aime pas ça. Je n'en parle jamais à personne. Quand je
descends déjeuner, j'aperçois Antonio et je vais m'asseoir directement à sa
table ; au bout de quelques minutes, me voilà en train de lui expliquer mes
racines, d'où vient mon caractère... qui je suis tout au fond de moi.
Je suis possédée par une envie incompréhensible de me mettre à nu. Et il

m'écoute, me questionne, comme si ça le passionnait.


Il savoure cet instant de tête à tête, comme il savourerait un strip tease. J'en
frissonne. Il y a quelque chose de possessif et, oui, d'aimant, dans le regard
qu'il pose sur moi.

"Ma mère travaillait pour le renseignement. Elle traduisait des messages


codés qu'elle captait sur des radios ennemies. Elle me donnait de petites
énigmes à résoudre, pour me distraire pendant ses absences... et un jour elle
n'est pas revenue. C'est ce que j'appelle la dernière énigme. Je ne l'ai jamais
résolue, celle-là."
Il me regarde, attendant que je complète par une explication. Mais je n'en ai
pas, c'est bien ça le problème... je murmure :
"Comment supporter l'absence de ceux qu'on aime."

"Tu n'as pas choisi le meilleur métier," dit-il de sa voix distante, ni amicale,
ni critique, celle qui évite de trop s'engager. "Tu es toujours en mouvement."
"Mais je ne m'attache à personne," dis-je en me tournant vers lui. "Jusqu'à
maintenant."
Il ne répond rien. Il est pensif, presque lointain, mais sa main vient se poser
sur ma joue et il s'incline pour m'embrasser. J'aurais préféré des mots ; après
tout, c'est mon métier, ma matière première, et j'ai du mal à m'en passer. Mais
c'est compris, si je sors avec un artiste, je vais devoir me faire à l'idée qu'il
s'exprime avec ses mains.

Chapitre 11. Pauvres bonnes résolutions

J'ai un mal fou à m'en tenir à mes résolutions, tandis que la première semaine

de travail m'épuise et me pousse pratiquement dans les bras de mon


employeur. Et il ne fait rien pour m'aider à résister, le maudit profiteur : il
m'épuise toute la journée, en m'entraînant dans ses conversations d'une
complexité artistique bien au delà de mes habitudes. Et le soir, il est
charmant, charmeur même, attentionné, prêt à m'accueillir dans sa chambre
pour "parler". Pour "se détendre". J'arrive à refuser, mais c'est de justesse.
Et chaque jour, je me demande pourquoi je m'obstine. Après tout, nous avons
déjà uni nos corps, alors pourquoi ne pas recommencer, puisque nous en

avons envie tous les deux ? Quand le week end arrive, je suis
intellectuellement épuisée. La fierté de faire dialoguer tous ces egos
monstrueux, sans blesser personne et sans rien trahir, m'alanguit et me donne
envie de faire la fête, comme un alcool sournois. J'ai presque les larmes aux
yeux quand, au vendredi soir, Antonio me confie que nous avons réalisé
l'essentiel de ce pourquoi nous étions venus.
Alors que je m'apprête à me retirer, il me retient. Pas par la main ; par la
taille. Il m'a enlacée, agile comme un danseur de tango. Son audace me fait
frémir ; je me sens déjà fondre de désir contre sa forme haute et souple, dure

comme une statue, et taillée comme un diamant. Sa voix murmure à mon


oreille, hypnotisante comme celle d'une sirène mâle :
"Fais un vœu."
Les pensées s'arrêtent dans mon esprit. Il ne reste plus qu'un mot qui

m'échappe sans que je l'aie vraiment voulu.


"Saint Pétersbourg. J'ai envie de partir à Saint Pétersbourg avec toi, juste pour
une soirée."
"Une soirée ?" Il sourit tendrement, et je me laisse séduire à nouveau, malgré
moi. "On n'aura rien le temps de voir, en une soirée. Passons le week end là-
bas, c'est une merveilleuse idée. Visitons quelques musées... Tu as déjà vu
l'Ermitage ?"
Mon coeur chavire. Je ne demande que ça. Il a lu dans mes pensées...

Dans une dernière tentative pour résister, je me tourne face à lui et je plonge
mon regard dans le sien, aussi inquisiteur que possible alors que je sens
monter la brume du plaisir, rien qu'à ces frôlements de nos corps entièrement
habillés.
"Antonio ? Pourquoi tu voulais m'engager, moi et pas une autre ? Tu m'as
même menacée pour t'assurer que je rejoigne ton projet... Qu'est-ce que
j'avais de si spécial ?"
Il s'incline pour m'embrasser, mais je me dérobe. Il va trop vite. Je ne suis pas
ce genre de fille, et il le sait... et ça lui plaît. Je crois. De toute façon, je n'agis

pas pour lui plaire ; j'agis parce que je suis fidèle à moi même. Qu'il m'aime,
telle quelle, ou qu'il s'en aille.
"Tu veux savoir ? Tu es une interprète très intéressante, tu sais percer les
nuances dans le discours de tes clients et traduire l'intention, plutôt que les

mots. En tant qu'artiste, j'avais besoin d'un bon véhicule pour ma vision."
"C'est tout ?"
Je suis ravie de ce qu'il me dit, c'est l'un des plus beaux compliments que l'on
puisse me faire. Mais je suis surtout curieuse de ce qu'il pourrait avouer
d'autre, maintenant qu'il est lancé. J'ai envie d'explorer son bon côté sous
toutes ses facettes... quitte à me laisser enivrer au delà de toute raison. Je lui
accorde un baiser, trop bref, avec un goût de reviens-y, pour l'encourager à
poursuivre. Il est presque en colère, presque... mais le sourire gagne.

"J'avais aussi besoin d'une compagnie à ma hauteur. Et il n'y en a pas


beaucoup, autour de moi, qui osent à la fois me supporter au quotidien et me
tenir tête."
Je repense à son secrétaire. Il ne l'a pas amené ici, dommage, j'aurais été
curieuse de le rencontrer. Nos échanges m'ont donné l'image d'un homme
doux et cultivé. Romero... je ne me rappelle plus de son nom de famille,
quelque chose comme "Chiaro". Cher, chéri.
Peu importe. Il n'existe plus. Plus rien n'existe, que mes lèvres qui s'offrent, et
celles d'Antonio qui s'en emparent, avec un désir redoublé. Et sa main qui

glisse au long de ma taille, inexorablement, réveillant des éclairs de plaisir


qui électrisent mon bassin...
Ce jour là, je porte un pantalon de cuir noir brodé de fleurs rose pâle, et un
chemisier bleu au décolleté environné de froufrous. Ma veste a déjà quitté

mes épaules ; le reste des vêtements suit le même chemin. Soudain, Antonio
tend la main vers l'interrupteur et éteint la lumière. Je me fige, pétrifiée,
anxieuse : va-t-il chercher à reproduire cette obscurité qui nous a réunis
l'autre nuit ? Non, j'espère que non...
Cette fois, je veux le voir et je veux qu'il me voie. L'ombre est moins
violente, c'est sûr, mais la lumière de Moscou qui afflue par les rideaux ne
nous suffira pas pour nous contempler comme dans mes fantasmes. J'ai
besoin qu'il me dise qu'il me trouve belle. C'est un peu enfantin, sans doute,

mais c'est une exigence comme une autre, et il a les siennes lui aussi, alors... !
Il m'entraîne vers le lit, et j'attends de voir s'il va rallumer la lampe de chevet
; je continue à le déshabiller lui aussi. J'ai hâte, et je ressens une certaine
fierté à sentir les frissons courir sous sa peau. Je m'étends sur le matelas et je
souris en constatant qu'il m'enfourche à son tour, à l'envers : son organe
superbe pend vers mon visage, déjà dur, et Messer Antonio en personne
plonge son beau visage entre mes cuisses écartées...
Je remonte mes mains au long de ses cuisses, en lui faisant bien sentir mes
ongles, et j'appuie sur ses hanches pour le faire descendre vers moi. Je happe

le bout de son sexe et il se tend en commençant à s'enfoncer dans ma bouche


grande ouverte. Mes lèvres parcourent sa peau fine, ma langue le redécouvre.
J'y vois à peine mais assez pour apprécier.
Dans le silence chaleureux de la chambre, il s'enfonce doucement dans ma

gorge, en me découvrant lui aussi de sa langue curieuse. J'ai l'impression qu'il


calque son rythme sur le mien. Il me ramène à ces rapports homme sur
femme que je pensais laisser de côté pour un temps. Je tiens à lui donner du
plaisir, mais je savoure surtout une chose : je lui montre comment m'en
donner, en lui donnant la cadence...
Je me rappelle ma première fois avec un homme, ça n'avait pas été bien
brillant. J'étais sortie en boîte, j'avais un peu trop bu, j'avais branché ce type
beau comme un dieu, il m'avait suivie sans se poser de questions. J'avais garé

ma voiture à l'orée d'un parc, on était passés à l'arrière après quelques


préliminaires maladroits. Comme je faisais avec les filles, j'avais essayé de
lui caresser les tétons pour l'exciter, et il avait repoussé ma main, gêné. Il
estimait que "les hommes ne font pas ça" et il était embarrassé d'apprécier.
Ça commençait bien.
Il m'avait prise sans aucun lubrifiant, sans protection, à l'arrière de cette
voiture que j'avais soudain détesté dès le lendemain. Voir ce décor me
rappelait ma douleur, mon insatisfaction, ma honte d'avoir mal choisi mon
premier partenaire et de m'être fait marcher sur les pieds, pour reprendre une

métaphore de la danse.
J'avais détesté. Je m'étais dit : plus jamais. Le suivant avait été un gentil
garçon très attentif, un ami de l'école de traduction où je faisais alors mes
études. Je lui avais imposé une consigne stricte : on s'en tenait aux

préliminaires. Pas de pénétration.


Ça l'arrangeait. Dans ce domaine, il n'était pas très sûr de lui.
J'avais finalement conclu que les hommes étaient comme les bouteilles, qu'il
fallait bien choisir et adapter son choix aux circonstances.
Et maintenant, au terme d'une vie de choix prudents et calculés, je me
retrouvais dans les bras de cet homme que j'avais décrété insupportable. Je
n'étais pas devenue folle... J'avais eu besoin de lâcher prise, voilà tout.
Il était très délicat dans sa façon de parcourir ma chatte de sa langue. Je

commençais à me dire que c'était peut être une première fois pour lui aussi.
Ça m'aurait flattée, tiens. Qu'il décide de découvrir ça avec moi en particulier.

On allait peut être en rester là pour ce soir. En fait, j'étais peut être la
première femme de sa vie, pour ce que j'en savais ; j'aurais été très surprise,
mais qui sait...

Tout à coup, je cessai de réfléchir en sentant sa langue disparaître entièrement


au fond de mes replis, c'était si bon que je devais me surveiller pour ne pas
me laisser aller à l'orgasme. Je me disais que si je jouissais directement face à

son visage, ce ne serait pas un très bon début.

Quelque chose me disait que, pour un homme aussi capricieux dans sa vie de
tous les jours, il valait mieux prévenir. Mais j'avais son sexe enfoncé dans ma
bouche et je n'avais aucune idée de le repousser pour lui faire la conversation.

Il avait happé mon clitoris entre ses lèvres à présent, et le suçait comme s'il

tentait d'en aspirer une giclée de sperme ; c'était affolant. Et en même temps,
il plongeait des caresses de plus en plus profondes, à la fois dans ma chatte et
dans mon anus, en caressant aussi mon périnée au passage ; tous ses doigts
d'artiste étaient mis à contribution. Je gémissais contre son sexe sans
m'arrêter, je n'y tenais plus, j'allais jouir cette fois.

Doucement, je tentai de repousser son visage et ses mains, en espérant qu'il


allait comprendre pourquoi je le faisais.

Mais il tenait à continuer. En le sentant s'obstiner, je transformai ma prise. Je

ne l'éloignais plus, je le retenais contre mon sexe, remuant mes hanches


lascivement pour me coller contre lui. C'était délicieux de me dire que je lui
baisais la bouche. Cette égalité. Et il ne semblait pas embarrassé par
l'exercice, au contraire.

J'étais de plus en plus convaincue de partager ma couche avec un confrère


bisexuel en escapade hétéro, et c'était grisant. Comme si nous étions les deux
seuls êtres au monde à pouvoir nous comprendre. Et comprendre, c'est ce que
j'aime, dans la vie...

Il jouit aussi, tout étourdi par l'orgasme qui le transperce de ses flèches, il
accélère les saccades de son corps, et n'arrive plus à se contenir dans ma
bouche. Je sens son sexe qui se gonfle et déborde, envahissant les parois de
ma gorge d'un déferlement salé. Le lit grince à peine... je me plaindrai demain

à la réception.

Dans un instant de jouissance parfaite, j'imagine ce sexe me pénétrer. Toute


cette énergie déployée pour me posséder sauvagement. J'ai envie de le
supplier de le faire, mais je me contente de laper les giclées généreuses, et
d'enfoncer mes ongles dans les muscles bandés au dessus de moi. Il se délecte
de son extase et de la mienne, savourant mon goût sur nos lèvres unies. Puis
un murmure lui échappe, et je me sens vibrer de ravissement :

"C'était tellement bon... j'ai encore envie..."

Oui, je le sens dans ma bouche haletante : il est plus dur que jamais. C'est le
moment de liberté, celui où nous allons pouvoir exprimer tous nos fantasmes.
Je me redresse, fébrile et tremblante, et je m'éloigne sur le lit, juste assez pour
l'attirer sur moi.

Nous sommes amants. Enfin, pour de bon. Nous allons partir visiter une des
capitales culturelles les plus brillantes du monde, loin des tracas du travail.
Nous allons tout partager.

J'offre mon corps avec des cris de plaisir que je ne cherche plus à retenir. Les

contractions de nos muscles se font plus violentes. Je me laisse monter à


quatre pattes, comme une bête en chaleur. Je m'agrippe au drap que mes
ongles griffent, ça vaut mieux que sa peau, je ne voudrais pas le marquer...
Mon esprit survole sa beauté que je n'aperçois plus, dans un sursaut de

manque infini ; je le vois en pensée avec des mannequins de tous les


physiques, mais il est toujours l'élément le plus érotique de la scène...

Mon imagination s'enflamme et se perd dans un océan de luxure ; ce que


j'aimerais, en ce moment, c'est être prise entre deux Antonio, tout aussi
déchaînés l'un que l'autre, pour que les sensations continuent de grimper sans
s'arrêter, au delà du raisonnable. Et dire que sur les réseaux sociaux, on me
décrit comme froide et frigide !

J'encaisse sa charge comme une colline encaisse les coups de soc qui vont

l'ensemencer. Derrière moi, il se cambre dans un mouvement raide, il gronde


d'une rage possessive, et quand je me retourne pour le regarder, le spectacle
est plus incroyable que dans mon imagination : l'élégant et sage Messer
Antonio, les lèvres entrouvertes sur un souffle chaud, le regard voilé d'envie,
qui se masturbe frénétiquement avec mon corps. Et je jouis, encore une fois,
sans fin.
Chapitre 12. Les moustaches de l'ermite

Une moustache fine frôle ma cheville et me fait frissonner : c'est un chat qui
se promène entre mes jambes, sur le parquet de marqueterie aux motifs
géométriques élaborés. Je le visite enfin, ce musée de l'Ermitage, l'homme de

mes rêves à mon bras.


Je suis sur un petit nuage. Impossible d'en vouloir au chat. Au contraire, je
l'aime déjà.
Le guide qui attendait nos questions, au pied du mur pourpre où s'étalent des
tableaux de la Renaissance, accourt pour soulever l'animal dans ses bras.
C'est un de ces beaux jeunes gens lisses et presque plastiques qui font le
service dans les hôtels de luxe, servent à boire dans les bars les plus chics,
vendent des vêtements branchés, ou autres métiers moins recommandables et
tout aussi serviables à l'excès, dans toutes les capitales du monde.

Je suis surtout intéressée par le chat, une sorte de persan mal entretenu, qui
me couve d'un regard doré, plein de douceur et de mystères.
Le jeune homme me confie, avec un sourire tendre, que cette vieille
demoiselle incorrigible passe souvent par les voies d'aération, et s'introduit
dans les salles des collections. Les chats ne sont pas censés faire ça ;
uniquement chasser les souris dans les réserves et les sous-sols. Un territoire
bien assez vaste pour les occuper. Mais elle aime les gens, il faut croire. Je
demande son petit nom.
"Griselda."

Comme c'est mignon ! Comme ça lui va bien ! Ce pauvre chat errant va sur
ses dix ans et commence à avoir le poil un peu terne, mais un salon bien
chaud, des séances de brossage régulières et beaucoup d'amour, et ce serait
encore une véritable duchesse.

J'adore ce chat. Si j'avais une vie moins mobile, ou quelqu'un à la maison


pour en prendre soin pendant que je voyage, je crois que je l'adopterais.
Le guide a bien perçu la petite étincelle d'attendrissement dans mon regard, et
il ne se gêne pas pour en profiter.
"Vous savez que les chats de l'Ermitage sont proposés à l'adoption, nous en
avons généralement une quarantaine à la fois et ils sont bien traités, habitués
à survivre dehors, mais certains seraient tout à fait adoptables."
"Je n'en doute pas."

Griselda se blottit dans mes bras avec une douceur de nuage, et je la berce
sans me soucier de son odeur de chat de gouttière, ou des poils gris perle
qu'elle répand sur mon manteau. De son côté, je vois Antonio faire la moue.
Il semble dérangé par cet adorable spectacle. Ah, cet homme n'a décidément
pas de coeur, parfois.
A regret, je laisse le chat reprendre pied à terre, et j'explique que ma situation
ne me permet pas de l'adopter pour le moment.
Puis, en rejoignant Antonio, je réalise que nous avons parlé en russe et qu'il
n'a rien compris de toute la conversation. Voilà donc pourquoi il boude !

Amusée, je commence à lui expliquer, mais il me coupe la parole avec


agacement.
"Sortons d'ici. Nous parlerons dehors. Ça pue la pisse de chat."
Je suis surprise par la violence de sa réaction. Mais je le suis dans la cour, où

il s'éloigne en martelant le pavé d'un pas furieux. Alors que nous atteignons la
grille, une nouvelle découverte me saute aux yeux. Il est jaloux.
Je n'en reviens pas. Cet homme qui ne semble parfois accessible à aucune
émotion, et parfois, aussi ancien et sage qu'un amant romantique des temps
passés... il est en train de me faire une scène, pour ce petit échange avec le
guide. J'ai envie de rire, de le serrer dans mes bras, de lui donner une gifle et
de partir en pleurant, tout à la fois.
Au lieu de cela, je marche à ses côtés en respirant l'air frais du soir, l'odeur

délicate des stands de Noël au long de la place, cannelle et vin chaud... et je


l'écoute d'une oreille distraite, alors qu'il m'inflige une longue tirade pleine
d'amertume et de paranoïa.
Je le laisse se rendre bien ridicule ; ensuite seulement, quand il me laissera
enfin m'exprimer, je lui dirai la vérité.

Chapitre 13. Le charme suranné de la jalousie


"Je demandais le nom de ce chat," dis-je enfin, d'un ton de reproche. "Le

guide me renseignait, c'est tout. Tu n'avais vraiment pas à me faire une


pareille scène."
"Tu avais l'air sous le charme," réplique Antonio, sûr de lui.
"Sous le charme du chat, oui !"

Je n'aime pas du tout son attitude. A la façon dont il me fixe, j'ai l'impression
qu'il ne me croira jamais, quoi que je dise. J'ai envie de l'énerver. C'est plus
fort que moi, sa froideur me porte sur les nerfs ; et j'ai envie de jouer sur les
mots.
"Tu sais, ce type de volets qui vient d'Italie... Comment ça s'appelle... Ceux
qu'on peut orienter pour voir sans être vu..."
"Les jalousies," marmonne Antonio. Il sait exactement ce que je lui reproche.
"Oui. Je n'ai jamais trouvé ça joli. C'est pratique dans les films sans

imagination, pour un effet de style un peu gratuit et quelques jeux de lumière,


mais sinon... Toi, en tant que designer, qu'est-ce que tu en dis ?"
Il n'aime pas du tout ma façon de le taquiner, avec mes phrases à double sens.
Dans un moment pareil, un moment de conflit, mes petits plaisirs de linguiste
lui passent loin au dessus de la tête ; il voudrait que je sois sérieuse, comme
lui.
"Effets d'ombre, pas de lumière."
Je lève les yeux au ciel. Monsieur l'artiste lui aussi peut jouer sur les mots,
apparemment, et ça ne le rend pas plus drôle ou plus agréable. Constatant que

je ne prends même pas la peine de lui répondre, attendant quelque chose de


plus consistant, il garde le silence pendant quelques secondes. Oh, s'il attend
que je cède la première, il va être déçu : je suis plus entêtée que ça.
"Je leur trouve un charme suranné," dit-il enfin.

"Exactement, c'était mignon à l'époque, et de nos jours ça ne devrait plus


exister," dis-je en fronçant les sourcils.
"De nos jours ?"
"Aujourd'hui."
Après tout ce qu'on a vécu. Avec tout ce que tu sais de moi. Le regard sévère
que je porte sur ses enfantillages est si clair qu'il en est honteux, et je vois au
pli désagréable de sa bouche qu'il s'apprête à riposter par la défensive.
"Tu sais quoi ? Rentrons à Moscou," dis-je avec réticence.

Il hoche la tête. "Oui, ça vaut mieux."


Pour nous deux, Moscou représente le travail, ce qu'il y a de distant et de
professionnel dans notre relation. Et ça vaut mieux, objectivement. J'essaie de
me consoler en me rappelant que, du peu que j'en sais, Messer Antonio est un
affreux tyran sans scrupules, qui maltraite son entourage, et qui a peut-être
des liens avec la mafia. Je suis consciente que c'est seulement ce que ses
ennemis disent de lui, mais... ça reste potentiellement la vérité. Une vérité
avec laquelle je ne peux pas m'accorder, quels que soient ses charmes par
ailleurs.

Et je m'étais promis, je m'étais juré de ne pas tomber dans ses bras comme la
première midinette venue, pas vrai ? C'est parfait, il vient enfin de me donner
une raison de me tenir à l'écart de lui. Je jette un dernier regard nostalgique
aux toits ouvragés du musée, regrettant que notre visite de cette ville sublime

soit écourtée par de tels enfantillages.


De la jalousie, vraiment ! Ce que je hais le plus au monde. Pourquoi pas un
collier et une laisse, tant qu'il y est ? Il me donne envie de coucher avec
n'importe qui ce soir. Le portier, la réceptionniste. Il était gay, ce guide
amoureux des chats ! Ça se voyait à des kilomètres ! Comment Antonio a-t-il
pu me faire une scène de ménage pour si peu ?
Le travail reprend, mais je me sens amère et déprimée. Le café du matin me
paraît trop noir, le sucre des desserts magnifiques qui terminent mes dîners ne

m'atteint plus. Nous nous évitons, Antonio et moi, mais ce n'est plus un
délicieux jeu du chat et de la souris.
Nous évitons de nous laisser aller à nos penchants, c'est différent. C'est triste.
Professionnel.

Chapitre 14. Relations professionnelles


Nous suivons l'évolution du projet jusqu'à la première répétition. Ensuite,
nous allons abandonner Gregorovich à son destin, et regagner nos demeures

respectives.
Il sent bien que quelque chose ne va pas entre nous ; nous ne nous regardons
plus, je traduis avec une neutralité mécanique. Il essaie de nous entraîner dans
des fêtes en ville, dans les boîtes de nuit les plus folles de Moscou.

Antonio refuse, hautain et sévère. J'accepte, juste parce qu'il refuse.


Gregorovich est ravi et me fait toutes sortes d'allusions ; je crois comprendre
que les salles VIP sont le théâtre de véritables petites orgies, entre la jet set
brillante de la capitale et les chercheurs d'or qui évoluent dans son sillage. Je
peux me payer un beau gigolo, ou me laisser éclater le cul par un politicien
plein aux as, qui laissera une poignée de billets dans mon décolleté en
partant. Je fais mine d'être charmée. Puis je lui confie que je préférerais une
compagnie féminine.

Les hommes, honnêtement, j'en ai soupé pour un temps.


Il est horrifié. Il me ramène à l'hôtel et me fait promettre de ne parler de ça à
personne. Il me parle de choses terribles qui se passent à la nuit tombée, des
enlèvements, des passages à tabac, et dans l'arrière pays, de véritables camps
de concentration. Je ne le crois qu'à moitié ; il essaie de me faire peur... mais
c'est bien enregistré, pas de salon VIP pour moi avec une vodka dans une
main, et les seins d'une danseuse de ballet dans l'autre.
Dommage, ça m'aurait fait du bien.
Je me plonge dans le travail.

Les jours passent et se ressemblent, et à chaque nouveau jour, je souffre


davantage.
Fréquenter Antonio me devient insupportable.
Lundi, je le prends de haut. Mercredi, je le méprise. Vendredi, je le hais.

Dimanche, je pleure dans mon lit, de l'envie de le rejoindre dans le sien.


Il est tellement sûr de lui, tellement orgueilleux... il ne se rend compte de
rien, je parie.
Comment ai-je pu considérer cet homme comme un possible partenaire pour
davantage que quelques séances de baise, je n'en sais rien.
Le metteur en scène s'énerve, je traduis ses protestations mot à mot,
insultante, brutale. Antonio réclame qu'il soit viré ; je transmets à
Gregorovich, sans fard.

Leur paye à tous les deux est doublée. Ils trouvent un arrangement.
Tout ça ne m'intéresse plus. Paris me manque. J'ai envie de sortir danser avec
une fille rencontrée dans un bal, au milieu d'une place illuminée, et de
l'embrasser sous les applaudissements ; et de la ramener chez moi, de lui
montrer mes collections, de rire de son ivresse, de me repaître de sa chair
comme une duchesse vampire...
Les exigences des danseurs, des acteurs, des magiciens et des musiciens, tous
avec leur propre ego de star, viennent s'ajouter au reste.
Je fais le minimum. Je n'ai plus envie de les aider. Qu'ils s'entre dévorent,

tous.
Chaque soir à présent, j'attends en vain que Messer Antonio vienne frapper à
ma porte, critique mon kimono, s'invite dans mon lit, et m'accorde les délices
de son sexe enfoncé en moi. Je me ferais soumise, docile et suppliante, s'il le

voulait. Là, sans témoins, sous le voile des draps soyeux, je serais prête à
incarner toutes les femmes de son choix. Tout, pour le retrouver.
Il ne vient pas.
Arrive le soir de la première.
Pendant toute cette période, j'ai échangé des mails avec son secrétaire, ce
fameux Romero, à la fin de chaque journée de travail. Il m'a renseignée sur
les goûts et l'univers de son patron, m'évitant de commettre bien des impairs.
Ce soir, il me conseille sur ma tenue.

Longue robe noire, bijoux blancs, cheveux sur le côté, couvrant à demi mon
visage. Mystérieuse et frappante comme un éclair dans la nuit, ambiguë,
surtout pas séductrice. Ça tombe bien, je n'en avais pas l'intention.
Je me rends à la salle seule, dans mon propre taxi. Ce soir, le maestro n'a plus
besoin de moi.

Chapitre 15. Des projecteurs à la ville lumière


Le spectacle est magnifique, je ne peux pas le nier.

Je m'apprêtais à y assister dans toute l'indifférence amorphe de l'amertume, et


à l'oublier aussitôt fini ; mais c'est plus fort que moi, je me laisse happer dans
la performance. Le jeu subtil des lumières et de la musique me transporte
dans un nouvel univers. Des portes se sont ouvertes : j'ai renoué avec les

sentiments naïfs et exaltés de mon enfance, j'ai retrouvé une sensibilité que
les drames de la vie m'avaient fait perdre.
J'aimerais que ma mère soit assise à mes côtés, pour lui prendre la main
quand s'amorce le final, et lui chuchoter : tu ne vas pas en croire tes yeux.
Elle vit en moi, en cet instant, son coeur bat à travers le mien, ce coeur plein
d'un idéalisme dévoué qui a fini par lui coûter sa vie.
En sortant de la salle, je me précipite au local des toilettes pour me passer de
l'eau sur le visage, face à face avec mon trouble dans le miroir des lavabos. Je

laisse mon visage humide, sans l'essuyer, pour cacher mes larmes. Tout à
coup, la porte s'ouvre et...
Ce n'est pas Antonio.
C'est Gregorovich. Il est ivre.
Je me sens déraper. Je l'entraîne avec moi dans une cabine et je referme la
porte. Il rit ; je lui plaque la main sur la bouche. Silence, je ne veux pas être
surprise avec lui. Sa grosse queue bombée surgit hors de son pantalon et je
me mets à le sucer, un bref moment. Je veux juste le mettre en condition pour
qu'il s'occupe de moi ensuite. Il n'est qu'un sextoy entre mes mains, et il adore

ça. Il n'est même pas surpris.


Il vient d'être acclamé par le tout Moscou, il a bien mérité sa petite gâterie. Et
il se sent tellement irrésistible, qu'une fille qui n'aime pas les hommes se jette
sur lui de cette façon ! Ça ne lui arrive pas tous les jours, c'est un beau

trophée. Il pourra s'en vanter auprès de ses copains... Il me retourne face à la


porte, dès que je me relève, et je sens ses doigts s'enfoncer dans ma chatte,
brutalement, mouillés d'une salive brûlante mais trop larges et trop
impatients.
Je retiens un petit cri de douleur. Il n'a pas mérité de m'entendre crier.
Il retrousse ma robe de soirée, tire sur mon collier de perles pour m'étrangler
un peu, et me transperce soudain de son sexe dur comme du bois. Je le sens
s'activer comme une bête en soufflant contre ma nuque, se déchaîner de plus

en plus vite, et je m'abandonne à une jouissance honteuse, dégoulinante entre


mes jambes. Un quick sex sans âme, désespéré, palpitant comme une plaie.
"Antonio..."
J'ai à peine murmuré, et Gregorovich n'y a pas fait attention. Il s'est vidé les
couilles, il est content de lui.
Les yeux baissés, silencieuse, je quitte le local et regagne l'hôtel. Dans un
coin du hall, j'aperçois mon employeur qui signe des autographes. Une fan
aux yeux brillants est assise à côté de lui, et lui traduit ce que disent les
autres. C'est fini. Tout est fini. Sous la douche, je me masturbe encore une

fois en appelant Antonio, libérant ma voix. Personne ne peut m'entendre.


Le séjour se termine, je dis adieu à cette chambre d'hôtel que je hais à
présent. Devant ma porte, Antonio m'attend. J'ai l'impression de lire dans son
regard un jugement qui me fait ployer la tête. Je ne dis rien : je n'ai pas envie

de me justifier.
Cette fois, nous quittons l'hôtel ensemble, mon employeur et moi, dans un
même taxi lourd de silence. J'ai eu beau me doucher, l'odeur de Gregorovich
reste imprégnée contre ma peau, dans mes cheveux... sur mes lèvres.
Le moment de la séparation arrive comme la pluie, à la fois soudain et
sournois, insidieux et terriblement mélancolique. Nous prenons deux avions
différents.
Pas de câlin, pas de baisers, pas de dernier regard ému par dessus l'épaule.

Juste deux silhouettes qui se fondent dans la foule, pour ne plus jamais se
revoir, comme deux inconnus.
Antonio rentre à Florence, dans son jet privé ; j'embarque à bord d'un avion
de ligne, et me voilà de retour à Paris.

Chapitre 16. Anagramme


C'est alors que son secrétaire m'écrit.
Tiens ! Je l'avais oublié, celui-là. Dire que je ne l'ai toujours pas rencontré.

J'ai soudain une impression de froid, je relis son nom et je réalise quelque
chose... Ce nom composé, étrangement familier alors que je ne l'ai jamais lu
ailleurs...
Romero Chiaronte-Santes.

Je m'empare d'un crayon et d'un stylo, j'écris les deux noms côte à côte et je
commence à barrer les lettres une à une. Et bien sûr, j'avais vu juste. Mon
intuition me l'avait crié, et je ne peux que le constater : c'est une anagramme.
C'est la même personne.
Ce secrétaire avec lequel je corresponds depuis le début, si aimable et
serviable, conciliant à toutes mes requêtes, c'est Messer Antonio Racherto en
personne. Je me sens vexée, j'ai été si lente à m'en apercevoir ! Ou peut être
que je ne voulais pas le comprendre.

Une dernière moquerie de sa part, avant de sortir de ma vie.


Et en même temps... je vais regretter ces deux personnages, comme une
même personne, qu'ils sont en réalité. Et tous deux se sont attachés à moi,
formant à eux deux le parfait équilibre de distance respectueuse et de passion
possessive.
Pourquoi ne me l'a-t-il pas dit, quand je l'accusais de ne pas pouvoir être plus
doux ! Il savait qu'il pouvait l'être, et qu'il me plaisait déjà par ce talent,
puisque j'avais ces conversations avec "son secrétaire" en parallèle ! Etait-ce
si difficile de... je me mordille la lèvre en regardant mon bout de papier,

griffonnant de mon stylo. Je le hais, mais... Je le veux. Je veux qu'il débarque


chez moi maintenant, sans prévenir, comme un gangster prêt à m'intimider en
menaçant ma carrière, comme la première fois.
Je relis son message : "Messer Antonio est très satisfait de votre travail, et se

permettra d'ajouter un petit bonus à votre salaire prévu. Si vous souhaitez


davantage de précisions, n'hésitez pas à écrire. Sinon, attendez le paiement
pour la fin de ce mois. Les arrangements ont été faits pour le transport de la
voiture, la transaction est en cours."
C'est lui que je veux ! C'est lui, le seul bonus dont j'ai envie...
Je m'étends en arrière dans mon fauteuil, je ne veux pas me toucher en y
pensant mais après tout, je suis chez moi... personne ne le saura jamais. Je
n'ai pas de petite amie d'un soir qui se posera des questions. Ma main glisse

contre mon kimono de soie bleue. Je me rappelle comment il a débarqué chez


moi la première fois, comme si c'était hier.
Si seulement il le faisait maintenant ! Comme je lui ouvrirais mes bras, mon
coeur... mes cuisses... le pan du kimono se déplace, dévoilant ma peau. Mon
sexe humide brille à la lumière entre mes jambes. Mes doigts s'avancent
lentement, frôlent mon entrée, réveillent mes nerfs sensibles. Je geins en
fermant les yeux, rappelant toutes les sensations de cette nuit à l'auberge, en
pleine campagne russe, une beauté fatale endormie à nos côtés...
Je commence à me masturber, mes deux mains enfouies entre mes jambes

contre mon sexe, mais je n'arrive pas à me satisfaire. Rien n'y suffira. Il
faudra que je me procure un dildo aux dimensions de son sexe. Il faudra que
je le plonge dans une casserole d'eau chaude, pour lui donner l'apparence de
la vie. Et même ainsi, ça ne sera jamais aussi réaliste que sa présence... le

silence de mon salon ne sera jamais aussi intense et excitant que le silence de
cette chambre russe...
Jamais je n'arriverai à jouir comme cette nuit là, sans Messer Antonio dans
ma vie. J'ai besoin de toute l'exaltation que sa fréquentation me procure, au
cours de mes journées, pour vivre de telles nuits quand le rideau retombe.
Mes mains s'accélèrent, mon souffle se brise en gémissements rapides,
j'appelle son nom. Je me force à atteindre un orgasme incomplet, presque
douloureux, qui me laisse pantelante et affaiblie, mais toujours en proie au

même manque.
Hors de question que je lui écrive. Je vais répondre à son "secrétaire", en
faisant mine de n'avoir rien deviné. Une simple réponse neutre, froide...
Professionnelle.

Chapitre 17. Fin de mois


Je dois avouer que ce mois est passé avec une lenteur infernale. J'en ai
attendu l'aboutissement comme si ma vie en dépendait. Je suis restée

incapable de chercher du travail ; ces semaines sabbatiques ne m'ont apporté


aucun réconfort, aucun repos. Je me suis négligée, j'ai oublié de manger, plus
souvent qu'à mon tour. Je dois ressembler à une épave. Pas de drogue ; chez
moi, le cello metal, sans paroles, en tient lieu.

J'espérais que le temps me détacherait de cette étrange expérience, mais c'est


le contraire ; je me suis mise à chercher des images et des vidéos d'Antonio
en ligne, comme une addict en manque. Je mesure maintenant à quel point les
critiques qui lui sont faites peuvent être injustes. Oui, il est exigeant,
maniaque, il ne mâche pas ses mots, et il pousse les autres à bout, mais c'est
pour assurer qu'ils donnent le meilleur d'eux mêmes, comme il le fait aussi.
Je suis parvenue à le comprendre, à travers sa carapace. J'ai l'impression
d'être la seule. Et j'aimerais savoir que je lui manque, moi aussi.

Quelque chose me dit que sa petite surprise, son bonus secret, me donnera la
réponse à cette question, une fois pour toutes.
Enfin, on sonne. Je me précipite à la porte. C'est le 29, je suis toute échevelée
après une sieste sur la banquette devant une série télévisée qui ne m'intéresse
pas. Je me sens fébrile, affaiblie de n'avoir mangé qu'un yaourt aux fruits plus
tôt dans la matinée ; mes mains et mes jambes tremblent, je suis proche de la
baisse de tension.
Je me suis rendue malade pour ce type. Je ne me reconnais plus.
J'ouvre : personne dans le couloir. Je descends dans la cour, et là, garée

devant ma maison, se trouve la voiture de mes rêves. Ce bijou créé pour un


film qui se situait dans un univers onirique, loin dans le futur. J'ai du mal à en
croire mes yeux.
Le coffre est plein de piles de billets de banques, mon salaire pour ce voyage

en Russie. Le chauffeur qui m'a amené le véhicule me propose de compter,


mais c'est hors de question, je lui fais confiance. Il me signale que le bonus
est dans la boîte à gants ; puis il range ses mains dans ses poches, et il
s'éloigne, comme si de rien n'était.
Travailler pour Messer Antonio doit lui valoir une vie pleine d'aventures, à
lui aussi. Comme à cette pilote qui riait de bon coeur quand je la remerciais
de m'avoir sauvé la vie. J'aimerais tant les rejoindre... partager sa vie
incroyable et connaître les moments extraordinaires qu'il fait vivre à son

entourage. Même juste comme employée. Je crois que je m'en contenterais.


Et puis, on craquerait de temps en temps, c'est inévitable.
J'attends que l'homme soit parti, et j'ouvre mon garage pour sortir ma petite
voiture ; désormais, elle dort dehors, et le bijou qui vient de m'être offert
prend sa place à l'abri. Je la garde, bien sûr, hors de question que je fasse mes
courses avec cette merveille et qu'elle soit rayée ou salie. Je ne la sortirai que
pour de longues virées sur de belles routes droites, comme si j'attendais
qu'elle s'envole... et je ne serais pas vraiment surprise qu'elle le fasse.
Une fois la belle cylindrée garée à l'abri, j'ouvre la boîte à gants, mes doigts

toujours tremblants. Je suis prête à tout. Un boîtier plat et allongé... Bleu


sombre, marqué à mon nom, en lettres d'ivoire embossées dans le couvercle...
je l'ouvre. Ce n'est pas un collier de perles ou de cristal ; c'est un téléphone
neuf, et quand j'ouvre sa coque, un papier en tombe. Le code pour utiliser

l'appareil, et un numéro. Et ces mots, secs, sans aucun sentimentalisme, sans


formule de politesse.
"Appelle moi. A"
Un sourire se dessine sur mes lèvres malgré moi : c'est tout lui. Ce maudit
vernis d'arrogance désagréable, sous lequel il cache son envie de contact, la
profondeur de son affection, et le feu brûlant de ses besoins. Et il sait que je
serai capable de tout lire, de tout déchiffrer, parce que c'est mon métier, et le
talent pour lequel il m'a choisie parmi toutes les autres.

J'aurais dû faire confiance à mon génie fou ; il a inventé une solution là où il


n'y en avait pas, comme il le fait toujours. Aut viam inveniam, aut faciam.
Il a trouvé le moyen de se faire pardonner, de la plus belle des façons.

Chapitre 18. Rêveries de la promeneuse solitaire

Ce soir là, je prends le volant et je roule droit devant moi, je sors de Paris, et
j'arrive à la campagne ; je ne m'arrête que lorsque l'éclat des étoiles est à
nouveau visible au firmament. Je sors de la voiture, j'observe la campagne

paisible, je bois le vent froid, et je réfléchis.


J'ai encore du mal à y croire. Conduire cette voiture a été une expérience
digne d'un rêve. Elle est à moi, pour de bon. Je reste en appui contre la
carrosserie pour m'en convaincre, tandis que je sors mon téléphone de ma

poche.
Je l'ai, là... le numéro personnel de Messer Antonio. C'est le moment de
sauter le pas. Il m'attend, je le sais. Il observe son téléphone et il se demande
pourquoi je n'ai pas encore cédé à la tentation qu'il me présente. Il me connaît
trop bien...
Je prends mon courage à deux mains, et je forme le numéro.
"Antonio..."
Je l'entends respirer, fort. Et jouer avec le tissu de ses vêtements. Une

fermeture éclair s'ouvre.


"Tu disais mon nom comme ça, dans ta chambre, juste avant notre départ de
Moscou," dit-il d'une voix rauque. "Dis le encore, s'il te plaît, je t'en supplie."
Je répète son nom, en m'étendant sur la banquette arrière de la voiture, tandis
que je me bats d'une main avec mon pantalon pour l'ouvrir et le baisser. Mon
pouls bat plus vite, je le sens sur moi, présent et absent à la fois, comme un
fantôme.
"J'ai envie de te prendre," halète-t-il d'une voix sombre qui me fait tressauter
comme un coup de cravache bien appliqué.

"Oh oui ! Prends moi," dis-je en renversant la tête en arrière sur la banquette
de cuir bleu. Tiens... bleu, comme le passage entre deux mondes... le symbole
même de la magie. Le bleu du crépuscule, quand le jour est déjà fini, et la
nuit pas encore installée.

"Je te sens, je suis en toi," gémit l'homme contre mon oreille, son souffle
accéléré par le mouvement vigoureux de sa masturbation. "Je te baise, je te
défonce, tu me sens aussi ?"
"Oh oui, Antonio, encore ! Plus fort, plus vite ! C'est bon, Antonio !..."
Je renverse la tête en arrière dans un cri sourd. Lui aussi, il crie, comme
jamais il n'a crié en me faisant l'amour, comme si c'était moi qui le prenais. Et
il raccroche. Pas de commentaire. Pourtant, je me sens mieux. Cette fois, je
n'ai pas le sentiment de l'avoir perdu.

Je pose le téléphone contre la banquette et je soupire profondément. Je reste


là, à moitié dénudée, couchée dans ma voiture à l'arrêt sur le bord de la
route... souriante.
On frappe à la portière. Je sursaute et je me rhabille précipitamment, en
ouvrant la vitre.
"Madame ? Tout va bien ?"
C'est un jeune policier, à peine sorti de l'école de police, en patrouille solitaire
sur sa moto. Je peux deviner que sa combinaison de cuir est très serrée à
l'entrejambe en ce moment. Il craignait de tomber sur une scène de crime ; au

lieu de ça, c'est une femme de rêve, dans une voiture incroyable, et qui pose
sur lui des yeux étincelants de débauche.
Quelques secondes plus tard, il est couché sur moi, tout habillé, son érection
ardente fourrée tout au fond de mon ventre, ses hanches minces et musclées

agitées de tressautements affolés. Le rythme est insoutenable, mes cris


doivent emplir toute la campagne, la voiture est secouée par l'assaut précipité.
Il s'appelle Jonas, et c'est sa première mission.
Il faisait peut-être partie de ces gamins frustrés et inconscients qui, lors de
mes derniers contrats, m'ont traitée de tous les noms, et en particulier de
lesbienne. Je m'en moque ; Antonio m'a rendue folle de stupre. J'avais besoin
d'une queue pour étancher ma soif de luxure, si je ne voulais pas devenir
folle. C'est lui, Jonas, cette queue ce soir.

Je me déhanche contre lui de toutes mes forces, frottant vivement mon


clitoris contre son bas ventre aux muscles durcis. Je me donne à fond,
rageusement, comme pour conjurer cette insupportable jalousie d'Antonio,
que je ne tolérerai plus.
Antonio, mon amant. Mon homme. Je vais t'apprendre à me respecter, à me
rendre heureuse, toute ma vie.
Chapitre 19. Tiramisu à l'absinthe

Au matin, Antonio me rappelle. Je suis dans mon bain quand je décroche,


veillant bien à ne pas faire tomber le précieux appareil dans l'eau ; je
commence déjà à me caresser le ventre, une lueur malicieuse dans les yeux,
quand je comprends que cet appel est plus sérieux que la veille. Il s'agit de

m'inviter.
"Viens chez moi, j'ai une surprise à te montrer."
"Encore une surprise ?" Je n'en crois pas mes oreilles.
Chez lui ? A Florence ?
Je suis probablement un peu folle de préparer ma valise aussitôt, mais vous
ne pouvez pas m'en vouloir, je n'attendais que ça. Cette invitation qui semble
pouvoir mettre un terme à tout notre ressentiment. Une surprise...
Je n'essaie même pas de deviner. S'il y a bien une chose dont j'ai envie, c'est

de me laisser surprendre.
Je me laisse aller au destin qui m'appelle, détendue et heureuse alors que je
roule vers Florence à bord de ma nouvelle voiture, le vent dans mes cheveux,
suivie par l'admiration et l'étonnement de ceux qui croisent ma route. Je ne
crains pas qu'on me la vole, cette voiture. Elle est unique. Le voleur ne
pourrait pas la revendre, il ne pourrait pas la sortir sans être repéré
immédiatement, il ne pourrait rien en faire.
La route est belle, l'air est frais et parfumé, un parfum d'aventure. Un soleil
d'hiver éclaire mes journées et laisse les nuits claires comme un cristal noir.

Lorsque j'arrive chez mon ex employeur ...mon ex tout court, la première


chose que je vois en ouvrant la porte dissipe aussitôt toute ma nervosité.
Là, à mes pieds, une boule de poils gris ronronne paisiblement en se
promenant entre mes jambes, tandis que je retire mes chaussures. Je la

reconnais aussitôt, et pourtant je n'arrive pas à y croire, il va me falloir une


bonne explication.
Vêtu d'un pyjama de faux jean bleu sombre qui sublime les courbes de son
corps, Antonio est pâle, on dirait qu'il a été malade ou qu'il a pleuré. Mais il
est plus beau que jamais, on dirait un poète maudit de l'époque romantique.
"J'ai adopté Griselda," dit-il en soulevant dans ses bras l'ancien chat errant,
qui commence à répandre ses poils gris perle sur son costume noir
instantanément, en caressant de sa petite tête plate le plastron de son nouveau

protecteur.
Je suis sous le choc. Ma petite Griselda ! Elle est métamorphosée, on dirait
une vraie princesse ! Je relève les yeux vers Antonio tandis qu'il la place dans
mes bras tout naturellement, et en câlinant l'animal qui ronronne, comme s'il
me reconnaissait, je relève les yeux sur le designer... qui s'est déjà détourné
avec pudeur.
Elle sent la rose. Messer Antonio ne peut plus se plaindre qu'elle a une odeur
de chat de gouttière ; elle se conduit comme un véritable chat de salon, et dès
que je la dépose, elle commence à faire sa toilette patiemment.

Je rejoins le maître des lieux à la fenêtre. Il est silencieux, le regard fixe, et


semble se passionner pour un spectacle indéterminé à l'extérieur de la
maison.
"Dîner au restaurant ce soir ?" demande-t-il finalement, d'une voix incertaine.

Il n'ose pas me regarder, oh mon Dieu, c'est moi qui l'intimide...


Et c'est vrai que je pourrais le juger, lui faire tous les reproches du monde,
mais en cet instant je n'en ai pas le coeur. Je souris :
"Je connais l'endroit parfait."
Tiramisu à l'absinthe, et dîner aux chandelles sous les tonnelles, au parfum
délicat des roses, et un grand verre de limoncello. Un peu de violon, et le
doux sourire des portraits de la Renaissance qui tombent sur nous... Juste ce
qu'il nous faut pour nous reconnecter.

Ce soir là, quand nous rentrons, il est très tard ; nous avons un peu abusé de
l'absinthe, et la fée verte bénit les baisers que nous échangeons sur le chemin.
Deux amoureux perdus dans la nuit.

Chapitre 20. Une fée dans les veines

Sur les deux heures du matin, après une longue promenade à l'air frais qui
nous a fait du bien, et beaucoup de mots doux échangés devant le décor de
carte postale, nous arrivons un peu rougissants à la maison. Comme deux

adolescents qui rentrent tard d'une fête, nous prenons garde à ne pas faire trop
de bruit ; nos lèvres ont un goût de fruit défendu. En franchissant la porte,
Antonio n'allume pas la lumière.
Dans l'obscurité totale, ses mouvements sont plus libres, je l'ai déjà remarqué.

Après avoir discuté longuement avec lui ce soir, j'ai fini par comprendre qu'il
est trop visuel pour ignorer les mille petits détails d'une scène, et que ça le
distrait de ses autres sens. Une sorte de déformation professionnelle qui le
handicape un peu, quand il s'agit de se livrer à des pulsions plus brutales. Au
moins, le problème n'est pas qu'il me trouve laide. Au contraire : s'il pouvait
voir chaque détail de mon corps, il tomberait en contemplation, au lieu de
coucher avec moi.
Je l'aime. Je le lui ai dit, et il a paru étonné.

Dans l'ombre, nos corps se rejoignent à tâtons, se caressent avec envie,


s'empoignent et s'entraînent. Des baisers affolants courent au long de ma
peau. Mes pieds nus rejoignent le carrelage d'une petite salle de bain
attenante au hall. Je sens l'appui du lavabo contre le creux de mon dos, et je
dois porter mon poing à mes lèvres pour éviter de gémir comme une folle.
Mon souffle m'échappe malgré moi, et supplie : "Prends moi, tout de suite !"
Incapable de répondre, il me tourne face au lavabo et m'enlace étroitement en
caressant ma poitrine sous ma robe, puis tout à coup, il la déchire
brusquement.

"Je t'en ferai une nouvelle."


Mon coeur bat la chamade. La voiture de Black Lab, et maintenant, une robe
de la main de Messer Antonio. Il m'attire les hanches en arrière pour les
plaquer contre les siennes et je prends appui sur les rebords du lavabo, en me

cramponnant à la céramique. Sa main s'enfonce entre mes cuisses et je sens


que l'alcool a débridé ses envies. Ses doigts s'enfoncent entre mes fesses,
cherchant où s'introduire ; je me cambre pour m'offrir davantage. Il est
impérieux et autoritaire, presque austère, mais je ne demande qu'à sentir le
poids de sa volonté.
J'en vibre de douleur, et de plaisir, quand il enfonce ses doigts à la fois dans
mes deux entrées, et je sens à ses mouvements qu'il enserre son sexe et se
branle rapidement. Il tient à être dur pour moi... ses dents se plantent dans

mon épaule et je meurs d'envie de lui donner d'autres ordres, pour qu'il me
donne plus vite ce que je veux.
Tout à coup, je sens qu'il tâtonne sur le mur voisin, et un soleil aveuglant
s'éclaire dans le miroir, me faisant fermer les yeux. Il vient d'allumer la
lumière.
"Je veux tout voir," dit-il en plongeant son regard dans le miroir, sa main
libre comprimant mes seins sous mon soutien gorge noir. "Et je veux que tu
voies tout. Je veux que tu te voies jouir entre mes bras..."

Je ne l'ai jamais connu aussi direct, aussi brut dans son langage, mais ça

m'excite terriblement. Il fouille dans un tiroir du placard voisin, où se trouve


la boîte à pharmacie, et je vois qu'il en tire une capote ; il va vraiment
m'enculer, il n'a jamais utilisé de protection particulière quand il me prenait
autrement. J'en frémis, voilà une expérience qui me manquait. Mon

expression dans la glace est indécente, mais je me plais, je me sens excitante


moi aussi, avec cette envie nue et évidente sur mon visage échevelé.

Son visage revient se caler au dessus de mon épaule. Son torse est appuyé
contre mon dos, son membre pointe contre mes fesses, puissant et prêt à
réclamer son dû. Je vois ses traits changer quand mes globes de chair
s'écartent sur le passage de son bout durci. L'entrée s'écarte, le gland massif
se fraie une petite place, puis plus importante, s'enfonçant irrémédiablement.
Il s'arrête, respire lourdement, agrippe mes hanches à deux mains et donne un

grand coup de reins. Je crie, frissonnante des pieds à la tête : il m'a pénétrée.
Il est en moi.

Un grand soupir lui échappe quand il s'enfonce plus loin encore et que nos
corps se heurtent.

Je suis livrée à ses mains, à son envie, et je n'ai jamais autant aimé me
soumettre ; car tout ce qu'il fait, il le fait sur mon ordre. Il concrétise ma
volonté. Mon artiste me crée un orgasme sur mesure, une véritable œuvre
d'art, transformant mes mots en réalité.

Je n'ai jamais été aussi amoureuse.

Il n'a même pas encore bougé et je sens le plaisir grimper ; sa main revient au
centre de mon bas ventre, rampant comme un serpent tentateur. Il commence
à flatter la surface de mon sexe, et je gémis en me tordant contre lui,
m'empalant avec langueur sur l'axe dressé. Alors seulement, il commence à

remuer en moi.

Je me sens déchirée, avec un plaisir aussi profond que ses pénétrations.


L'ivresse remonte, la fée verte prend possession de mes sens. Les ondulations
deviennent des chocs. Il me serre entre ses bras, démontrant la force qui se
cache sous ses apparences maniérées de designer de luxe. Il ne perd pas un
atome du spectacle dans le miroir, qui irradie son imagination visuelle de
mille stimulations irrésistibles.

Son mouvement se fait de plus en plus violent, mes gémissements de plus en

plus ardents. Peu importe que les voisins nous entendent et soient choqués.
Ils vont bien devoir s'y habituer, je suis là pour rester. Il ne me faudra guère
de temps pour faire apporter toutes mes collections... Paris sera une
destination de vacances. Aucun regret.

Tout à coup, il se retire et enlève sa capote, m'entraîne en arrière, et je me


trouve étirée en avant, les mains seules accrochées au rebord du lavabo. Le
membre énorme, nu et déjà humide de pré sperme, s'enfonce d'un coup dans
mon sexe et bat contre chacun de mes points de plaisir, sur un rythme effréné.

Haletante, je ferme les yeux et je me laisse faire. Lui seul peut encore profiter
de la vision dans le miroir ; moi, je me livre à mes autres sens. Il ne me laisse
aucun répit. Et il finit par craquer, déversant son sperme en moi. C'est la
troisième fois.

La fièvre monte au delà de ce que je peux supporter. Je ne résiste plus, et


quand il me tire les cheveux en arrière, en m'appliquant un dernier coup de
reins libérateur, je jouis dans un grand cri, tout mon corps secoué d'un spasme
délicieux.

Il me relève lentement, m'arrachant à mon appui, me condamnant à


m'accrocher à ses bras. J'ai le vertige, je me sens partir, empalée sur son sexe
chaud qui pulse toujours d'une vie dure et caressante, au fond de mon ventre.
Les yeux fermés, je m'appuie en arrière contre lui, le laissant caresser mon

ventre et mes seins en me contemplant dans la glace.

Nous avons joui si longuement, l'un contre l'autre, que j'en ai perdu la notion
du temps. Oui... une bonne petite soirée. Quand je rouvre les paupières, mes
yeux sont pleins d'étoiles.

"On commence à voir mes racines," dis-je d'un ton innocent. "Je pensais me
teindre les cheveux dans une autre couleur. Tu as des idées ?"
"Si tu savais, toutes les idées que j'ai..."

Dans un soupir de plénitude, il se retire lentement, et me soulève tout à coup

dans ses bras comme une princesse. Si je m'y attendais ! Apparemment, il a


encore des forces à revendre, après s'être autant déchaîné... Il me porte à
l'étage, à la chambre, où il m'étend avec mille tendres attentions, m'apportant
un verre d'eau, caressant mes cheveux pour les répartir sur l'oreiller... Je

m'attends presque à ce qu'il me chante une berceuse.

"Une seule condition," dis-je finalement, luttant contre le charme qui me


submergeait. "Plus de jalousie ridicule. Je ne supporte pas ça. C'est trop laid
pour ton visage, tu comprends ? Tu vaux mieux que ça, et moi aussi."

Son regard se pose sur mes traits et je le vois perdre son sourire, je crains un
instant que cette simple requête soit trop pour lui ; puis il s'incline et
m'embrasse délicatement. "Je dois pouvoir m'améliorer dans ce domaine, si je
peux être certain de ne pas te perdre. Il va me falloir une liste de tout ce que

tu aimes chez les hommes, que je sache quand me méfier."

Je reste sans voix. Il est vraiment sérieux !

"C'est toi que j'aime, chez les hommes, comme tu dis. Le reste du temps, ce
sont plutôt les femmes qui me font craquer. Et si je n'ai pas peur de ta
réaction, je pourrai t'en parler quand je ressentirai quelque chose, ça ne te
semble pas préférable ?"
"Très bien," réplique-t-il d'un air boudeur, "à condition que je puisse en faire
de même."

Il prend ça comme un jeu. Tant mieux ; au fond, c'en est un. Et j'ai déjà hâte
de voir comment il va se décliner dans notre vie quotidienne. Je ne doute pas
qu'il est entouré de beautés de tous genres, et que certaines trouvent grâce à
ses yeux ; mais je ne me fais aucun souci, je sais que ma personnalité ne se

trouve pas sous le sabot d'un cheval, et que c'est ça qui l'a séduit. Il ne me
lâchera pour aucun joli minois. Aucune inquiétude à avoir.

Et s'il souhaite juste inviter une charmante demoiselle pour une histoire de
passage, une nuit un peu plus rose et sucrée que les autres... je ne dis pas non.
Je pourrais même imaginer que notre amie la pilote serait intéressée...

La fatigue commence à avoir le dessus sur moi, et après avoir retiré mes sous
vêtements restants, je l'accueille dans mes bras pour un doux baiser. Il s'est
mis nu lui aussi, et c'est un plaisir de sentir sa silhouette parfaite se lover

contre la mienne. Il peut être si aimant quand il le veut, si parfait... le reste du


monde n'a aucune idée du visage qu'il m'a montré.

"Bonne nuit, Romero."

Il sourit contre mes lèvres. Je l'ai appelé du nom de son secrétaire imaginaire,
confirmant que j'avais vu juste dans son petit jeu. Demain je lui demanderai
pourquoi il éprouve le besoin de se faire passer pour un autre, pourquoi il ne
peut pas simplement se montrer doux et gentil en son propre nom ; mais c'est
probablement professionnel.

"Bonne nuit, Griselda."

Je sens le chat qui saute sur le bout du lit, se roule en boule contre nos pieds
et ronronne en s'endormant avec nous. La commotion bruyante de notre
arrivée ne l'a pas impressionné. Soudain, j'ai l'impression que je vis ici depuis

toujours, et que cette vie errante que j'ai mené durant ces dernières années
n'était qu'un rêve étrange, dont je viens de me réveiller. Et la voix de mon
homme, mon compagnon, répond ensommeillée dans l'obscurité :

"Bonne nuit, Elisabeth."

Fin

Découvrez dans les prochaines pages une autre romance de Amélia Roy...
Amélia Roy
Rock Love
Refaire Confiance...

Tome 1
Juliana vient d'apprendre que son fiancé la trompe depuis des semaines

avec une de ses amies. Désabusée, elle ne cherche même plus à avoir des
explications. Elle préfère partir, partir loin. Déçue, et même humiliée, elle
choisit de noyer sa colère avec sa meilleure amie en poussant la porte du
premier pub venu. La musique du groupe de rock live sur scène l’interpelle

immédiatement. Cette voix. Ce jeu de guitare. Ce regard... Alors qu'elle est


au plus bas, Juliana se surprend à rire avec son amie et à fantasmer
ensemble sur le chanteur. Certainement pour oublier. Peut-être aussi à cause
des cocktails... Mais le chanteur remarque ce petit jeu, et il ne la quitte pas
des yeux... Juliana se sent alors bête, troublée comme une adolescente. A la
fin du show, le voilà qui débarque pour lui offrir un verre, l'air taquin. Mais
Juliana est-elle déjà prête à refaire confiance à un homme ?
CHAPITRE 1 : Toucher le fond

Juliana :

« Je suis désolée, Adrien. Il faut qu’on se quitte. Ce n’est pas que je

ne t’aime pas, bien au contraire. Je t’aime à en crever, c’est bien ça le


problème. Il faut que l’on se quitte. Pas parce que j’en ai envie, mais parce
qu’on doit le faire, pour notre propre bien. Si je choisissais de rester avec toi,
ce serait pour les mauvaises raisons. Ce serait parce que j’ai peur d’être
seule, peur d’affronter la vie sans toi. Mais ce ne serait pas par amour. Et à
quoi ça sert de rester ensemble, si ce n’est pas pour ça ? Il faut qu’on se
quitte. Nous deux, c’est fini. ».
Ces mots résonnaient dans sa tête. Ils tournaient en boucle dans son esprit,

peu importe ce qu’elle choisissait de faire dans la journée. Ces mots-là étaient
ceux qu’elle avait envie de dire à Adrien, son fiancé. Ils étaient ensemble
depuis deux ans. Pourquoi le quitter, s’ils étaient ensemble et qu’ils
s’aimaient ? Eh bien, justement parce que tout n’allait pas bien, justement.
Elle venait d’apprendre qu’il la trompait depuis des semaines avec Barbara,
l’une de ses amies les plus proches. Elle l’avait appris par hasard, en les
voyant se promener main dans la main et s’embrasser dans la rue alors même
qu’ils avaient prévu de se rejoindre dans un bar à proximité. Les deux
tourtereaux étaient si absorbés l’un par l’autre qu’ils ne l’avaient même pas

vue. Comment savait-elle que ça faisait quelques semaines ? Juliana n’en


savait rien. Ce n’était qu’une déduction parmi d’autres, mais ce qu’elle
n’avait eu sous les yeux pendant quelques secondes était sans appel : elle
connaissait suffisamment Adrien pour savoir quand il était assez à l’aise avec

quelqu’un pour la et le toucher d’une certaine manière, le regarder d’une


certaine manière… Ce n’était qu’une intuition mais elle lui faisait confiance.
Et surtout, elle en avait assez vu. Ainsi, les mots qui traînaient encore dans
son esprit étaient ceux qu’elle n’avait pas osé dire, ceux qu’elle n’avait pas
osé écrire, et surtout, ceux qu’elle n’avait pas osé envoyer.

Cela faisait maintenant trois jours qu’elle avait découvert le pot aux
roses. Trois jours qu’elle se demandait comment se sortir de ce pétrin. Trois

jours qu’elle regardait le plafond jusqu’à en connaître les moindres détails,


jusqu’à pouvoir le dessiner les yeux fermés s’il le fallait, n’oubliant ni les
sillons des poutres en bois, ni les petites fentes aléatoires qui permettaient
d’apercevoir le grenier et le toit. Trois jours donc, qu’elle était venue chez sa
meilleure amie à la campagne pour changer d’air. Sans un mot, sans
explication aucune, elle avait pris ses petites affaires et décampé sur le
champ, faisant immédiatement demi-tour sur son chemin. Dès l’instant où
elle les avait vus, bras-dessus, bras-dessous dans cette rue, elle ne s’était pas
arrêtée. Elle était restée active, et avait fait sa valise dans la foulée en rentrant

dans cet appartement qu’elle partageait avec lui, avait laissé ses clés sur le
comptoir de la cuisine, avait pris son courage à deux mains et avait fui le plus
loin possible. En moins de deux heures, elle était apparue sur le pas de la
porte de Pauline, sa meilleure amie depuis dix ans qu’elle ne voyait pas si

souvent. Pauline n’avait pas posé de questions. Ça avait soulagé la jeune


femme. Elle n’était pas d’humeur bavarde et d’ailleurs, son mutisme
persistait, même après trois jours. Elle s’était enfermée dans la chambre
d’amis et n’en était plus sortie. Pauline la connaissait bien. Elle savait que
quand Juliana était comme ça, ça ne servait à rien d’insister, de forcer le
contact. La jeune femme viendrait d’elle-même quand elle serait prête. Elle
se lèverait de son lit et ne regarderait jamais plus en arrière. En attendant
d’aller mieux, Juliana se contentait de bloquer tous les appels et les messages

de son fiancé, ne prenant même pas la peine de lui laisser une chance. Qu’y
avait-il de plus à dire ?

En 2020, ne plus répondre à quelqu’un n’avait jamais été aussi facile.


Ghoster, comme on disait. C’était devenu le sport national de la jeune
femme. Ne plus répondre, ignorer, bloquer : c’était quelque chose qui lui
aurait semblé impossible quelques semaines plus tôt, surtout lorsqu’il
s’agissait de son fiancé, mais trois jours après avoir pris la décision de se
barrer et de ne plus revenir, elle ne pouvait s’empêcher de se féliciter. Il

fallait dire qu’au stade de désespoir dans lequel elle se trouvait, chaque petite
victoire était importante et méritait d’être soulignée. Sans le savoir elle s’était
même facilité la tâche. Elle avait la chance d’avoir la seule meilleure amie de
la Terre à ne pas bénéficier d’un réseau téléphonique fiable. Enfin, de la

chance simplement et uniquement pour ces moments de détresse profonde.


Le reste du temps, c’était plus une malédiction de ne pas pouvoir l’appeler
quand elle en avait besoin. Maintenant qu’elle était recluse chez Pauline, elle
avait au moins tout le loisir de faire semblant de ne pas recevoir les messages
et autres notifications des réseaux. Elle lâchait prise, elle n’avait pas le choix.
On lui répétait qu’il n’y avait que comme ça qu’elle irait mieux : en laissant
partir. Et dans un sens, c’était ce qu’elle avait fait : elle était partie sans se
retourner et ne laissait pas la place à Adrien pour donner une explication. Que

pouvait-il dire qui la ferait aller mieux ? Pire encore, que pouvait-il dire
qu’elle ne sache déjà ? Elle ne voulait pas connaitre les détails d’une relation
naissante. Ça ne l’intéressait pas, d’en savoir sur Barbara, et comment il avait
préféré séduire une de ses amies proches par-dessus le marché, plutôt que
d’aller voir une parfaite inconnue. Non, vraiment, c’était mieux ainsi : elle se
sentait en sécurité à la campagne. La ville, elle avait déjà donné, et elle avait
tout perdu.
CHAPITRE 2 : En coulisse

Timothée :

Ce soir allait être un grand soir. Un soir important pour lui comme pour

sa bande de musiciens. Timothée le savait et se demandait même à présent


s’il n’allait pas être malade à cause du stress. Assis près de ses affaires dans
le petit vestiaire du Dubliners, le seul pub qui se trouvait être à la fois le seul
à des kilomètres à la ronde dans cette campagne pourrie et le seul pub tout
court à bien vouloir les accueillir, lui et ses potes musicos. Peut-être ce soir
allait-il être le bon soir, le seul qui comptait réellement dans une carrière. Le
soir où leurs vies allaient changer, toutes autant qu’elles étaient. Timothée
serra brutalement le pendentif de son collier entre les doigts de sa main

droite. C’était un croissant de lune. Il fallait que ça fonctionne.


« T’es prêt ? »
La voix de Jules, le batteur du groupe, résonna soudainement derrière lui.
Timothée se retourna pour lui faire face, se redressa et passa sa main dans ses
cheveux bruns et bouclés. Il hocha les épaules.
« Aussi prêt que l’on puisse être… »
« Je vais faire semblant de te croire. » Répondit Jules en ricanant doucement.
« Mais pour info, tu mens très mal. Tu es encore plus pâle que d’habitude,
c’est pour te dire. »

Jules s’accroupit devant son sac et en sortit une paire de baguettes.


« Ne me dis pas que quelque chose ne va pas. » Reprit-il en croisant le regard
de son leader. « Tu devrais être content, depuis le temps qu’on attend ça… »
« Ne fais pas celui qui ne comprend pas, Jules. Il y a trop de trucs en jeu, ce

soir… »
Jules vint s’asseoir devant lui pour discuter et s’occuper de ses instruments en
même temps.

« Tu dis toujours la même chose. » Répondit Jules en faisant un vague


signe de la main. « Tu devrais venir boire une bière avec les autres, ça te
détendrait un peu. »
« Ils se foutent de ma gueule ou quoi ? » S’écria Timothée en se levant d’un

bond. « Ils sont réellement en train de se pinter la gueule à une demi-heure de


notre show, là ? » Il pointait son index gauche vers la porte qui menait vers le
bar, d’où s’échappaient quelques éclats de voix.
« Oh, hé, tu es injuste, là. Se pinter la gueule, c’est ce qu’on fait toujours
avant un show. » Dit Jules, le regard rivé sur ses baguettes qu’il manipulait
comme pour vérifier qu’elles étaient bien ergonomiques. « Tu ne peux pas
leur en vouloir de faire comme d’habitude sous prétexte que tu as décidé que
cette soirée était particulièrement importante. »
« Mais elle est importante, Jules. Ne m’oblige pas à te le répéter. Tu sais très

bien pourquoi. »
Jules posa doucement ses baguettes sur ses genoux. Il était si délicat avec
celles-ci et Timothée comprenait très bien pourquoi : ce n’était pas
simplement ce qui lui permettait de faire de la musique, c’était son outil de

travail. Et bien qu’il le comprenait parfaitement et que d’ordinaire il n’y


trouvait rien à redire, à ce moment précis, il avait envie de les casser en deux.
« Oh, laisse-moi deviner : c’est très important parce qu’on joue enfin dans un
pub et pas sur la place du village ? Tu as raison, c’est très important. »
« Tu le fais exprès ou quoi ? » Marmonna Timothée entre ses dents. « T’as
pas entendu la rumeur ? Un recruteur sera là, ce soir. Si on est bons, il va
nous repérer et nous proposer un contrat. Fais un effort de compréhension,
s’il te plaît… »

Jules leva les yeux au ciel. Timothée avait de la chance qu’ils se


connaissaient depuis longtemps pour que son comportement l’amuse plus
qu’il ne l’agace.

Le jeune homme sortit un miroir de poche de sa veste en cuir et


contempla son reflet. Ça tombait vraiment bien, parce qu’il se rendait compte
une fois de plus de quelque chose : avec ses cheveux roux et longs, il pensait
n’être jamais assez beau pour faire de la concurrence à Timothée auprès du
public, lui qui était magnifique, avec son teint pâle et son regard sombre. Une

beauté classique.
« Arrête un peu de te plaindre. Je comprends que ce soit important, bien sûr.
Mais il faut que tu te détendes un peu, parce que si tu continues à te stresser
comme ça, tu vas tout faire rater et tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-

même. » Il baissa son miroir et croisa le regard de Timothée qui s’était rassis
devant lui. Il avait sa guitare sur ses genoux et s’occupait maintenant des
cordes. « On sait tous très bien comment la soirée va se terminer pour toi, ne
fais pas l’innocent, toi non plus. Tu vas encore te barrer dans un hôtel avec
une belle inconnue. On n’a peut-être pas fait de shows vraiment marquants,
mais nos réseaux sociaux sont très suivis, je n’ai pas besoin de te le rappeler.
Les gens nous connaissent déjà… »
Timothée hocha la tête. Jules n’avait pas tort. Heureusement qu’il était là, lui.

Timothée était peut-être le leader du groupe, mais Jules était plus rationnel. Il
en fallait bien un. Timothée était le chanteur, le guitariste, et le chef : toutes
ces responsabilités lui montaient parfois à la tête et le rendaient impulsif. Il
hocha de nouveau la tête en sortant une cigarette de sa veste en cuir et la
coinça entre ses dents. Il avait raison. Il se leva et ouvrit la porte désignée
comme issue de secours. Le vent frais s’engouffra dans ses boucles brunes.
« Je vais m’en griller une, y a que ça qui me détend. »
CHAPITRE 3 : Le Dubliners

Juliana :

« T’es sûre que c’est ce que tu veux ? » Demanda Pauline en se garant

sur le parking en face du pub.


« Pourquoi tu me demandes ça ? C’est moi qui t’ai demandé de m’emmener
me changer les idées, bien sûr que c’est ce que je veux. » Répondit
abruptement Juliana en rangeant une mèche de ses cheveux noirs derrière son
oreille.
« Je te demande, c’est tout. Tu n’as pas dit un mot pendant trois jours et
soudainement tu me presses pour aller boire un verre, donc si je ne te
connaissais pas, j’aurais tendance à croire que c’est inquiétant. » Dit Pauline

en haussant les épaules. « Mais si tu veux te saouler pour oublier, ça me va


aussi. »
Le Dubliners était à la fois un vrai choix et un choix par défaut de la part de
Juliana. Bien sûr, elle aurait pu décider d’aller boire à se rouler par terre dans
un restaurant, c’était plus chic, mais c’était aussi beaucoup moins discret que
dans un bar. Un pub, qui plus est, où l’alcool fort coulait à flots et où c’était
tout à fait normal de consommer de l’alcool à outrance. De toute manière,
normal ou pas, là n’était pas la question ; Juliana n’avait pas la force de faire
autre chose.

« Putain, j’arrive pas à croire qu’il ait fait ça avec Barbara ! Avec Barbara,
s’il te plaît ! Tu te rends compte… »
Une pinte de bière rousse à la cerise sous le nez, accoudée au bar à côté de
Pauline, elle était enfin installée. Les lamentations et les crises de colère

pouvaient commencer, en toute discrétion cette fois : personne n’allait juger


quelqu’un qui pétait un câble devant un verre, surtout pas les barmen.

Juliana parla de sa colère pendant des heures et des heures. Enfin, il lui
sembla bien que ça faisait autant de temps, mais Pauline lui assura qu’elles
n’étaient là que depuis trois quarts d’heure quand elle s’arrêta de parler pour
reprendre son souffle. La jeune femme était folle de colère. Tandis qu’elle
parlait, elle ne voyait pas où elle était. Elle se rendait bien compte que

Pauline avait raison : qu’elle boive dans un bar où chez elle, quelle
différence ? La colère était la même. Si elle était là, c’était juste histoire de se
dire qu’elle était sortie, qu’elle avait fait l’effort de s’habiller, qu’elle ne
restait pas cloîtrée dans une chambre sous les combles. C’était stupide d’être
là, finalement. Elle se leva brusquement.
« Tu fais quoi, là ? » Demanda Pauline qui ne buvait pas d’alcool.
Il fallait bien que quelqu’un ramène Juliana à la maison après la soirée
qu’elle semblait décidée à passer.
« Je rentre, en fait, j’en ai marre. Ça ne me fait pas du bien d’être là. Je

pensais que ça me ferait penser à autre chose, mais en fait, je viens de


commander la bière préférée d’Adrien. Putain, il faut que je sorte. »
Elle commençait à se sentir oppressée par tout ce monde qui faisait la fête
autour d’elle. Cette insouciance collective d’ordinaire contagieuse ne lui

faisait que du mal ce soir. Elle était tellement en colère qu’elle espérait
presque que tout le monde soit aussi malheureux qu’elle. Elle laissa Pauline
là et se dirigea vers la porte pour sortir du bar pendant quelques minutes.
Mais au moment précis où elle posa sa main sur la poignée de cette porte,
quelque chose la retint. Quelque chose de puissant, comme une mélodie
intense. Un air de rock.

Elle tourna la tête, comme le fit le reste de la foule, y compris Pauline.

La scène du fond de la salle s’anima, les lumières s’éteignirent, à l’exception


d’un ou deux spots qui s’allumèrent davantage pour laisser place à ce qui
ressemblait… à un groupe de rock, qu’elle ne connaissait pas du tout.
Immédiatement après, elle observa avec un faible sourire cette foule de
clients frénétiquement sortir leurs portables de leurs poches pour chercher de
qui il pouvait bien s’agir. C’était un geste inutile pour elle. Elle connaissait le
groupe, elle venait tout juste de reconnaître le chanteur.
« Les Spacekids ! C’est Timothée Perlman ! » S’écria-t-elle.
Juliana ouvrit de grands yeux en regardant autour d’elle et s’aperçut qu’elle

avait crié dans le vide. Le reste des clients faisaient tant de bruit que personne
ne l’avait entendue, pas même Pauline qui elle aussi, devait être sur Twitter.
Juliana était un peu déçue de ne pas pouvoir partager son enthousiasme avec
qui que ce soit, et en même temps, un peu fière d’être la seule à les connaître.

Enfin, connaître. Elle avait eu quelques-unes de leurs chansons en tête après


les avoir entendues à la radio, une fois ou deux, mais comme elle avait une
mémoire aussi visuelle qu’auditive, elle ne les avait pas oubliés. Elle sentit
alors une immense vague d’excitation l’envahir. Peut-être que finalement,
elle n’avait pas besoin d’aller prendre l’air. Peut-être que la bouffée d’air
frais, le bon vent, allaient venir de ces quelques sons de guitare qui
résonnaient déjà dans le bar. Quel heureux hasard de se retrouver là, le bon
jour ou bon endroit, pour les découvrir de plus près…
CHAPITRE 4 : Groupies d’un soir

Pauline ne tarda pas à retrouver sa meilleure amie. Juliana sentit son


parfum fleuri près de son épaule et se tourna vers elle, heureuse d’enfin
pouvoir en parler.

« Je vois que tu n’es pas partie prendre l’air, finalement… »


Juliana secoua lentement la tête. Elle n’arrivait pas à détacher son regard de
la scène.
« Tu as vu le chanteur ? »
« La question, c’est qui ne l’a pas vu, meuf. » Répondit aussitôt Pauline. « Je
crois que je vais défaillir devant tant de beauté. »
C’était vrai qu’il était beau à tomber. Grand, bruns, les cheveux bouclés, les
yeux marron foncé, de toutes petites taches de rousseur sur un nez légèrement

en trompette, musclé mais pas trop et d’une pâleur extraordinaire qui donnait
un effet porcelaine à sa peau. À la lumière du spot central de la scène, on
aurait dit un ange. Mais pas n’importe quel ange. Celui-là était
particulièrement sexy.
« Oh putain, comment ça se fait que je ne le connaisse pas, celui-
là ? Comment tu dis qu’il s’appelle ? » Balbutia Pauline, tenant son cocktail
de fruits à la main.
Elle allait sûrement le lâcher tellement sa main tremblait. Mais qui pouvait lui
en vouloir d’avoir un coup de foudre ?

« Timothée Perlman. » Répéta Juliana comme si elle prononçait les mots les
plus doux du monde.
« Oh, j’ai envie de lui grimper dessus comme on grimpe à un arbre… »
Gémit Pauline d’une voix grave.

Juliana se mit à rire. Pauline était de loin la personne la plus drôle


qu’elle connaissait, la meilleure compagnie pour quelqu’un comme elle, qui
avait le cœur en miettes. Elle la comprenait parfaitement : il lui donnait envie
de s’arracher la peau de désir, et manifestement, elle n’était pas la seule. Dès
que Timothée commença à chanter, la foule hurla de bonheur, la majorité des
cris étaient des voix féminines. Et Juliana faisait partie de celles-ci. Comment
ne pouvait-elle pas en faire partie ? Il fallait comprendre la gente féminine : la

voix de Timothée était envoûtante. Elle était grave, suave, puissante,


profonde, et particulièrement sexy. Il prononçait chaque mot d’une manière
toute particulière qui rendait sa prestation absolument magique, du moins,
c’était ce que pensait la jeune femme. Elle n’avait jamais fait attention à ce
point, et elle réalisait tout juste à quel point elle avait failli passer à côté de
quelque chose de proprement extraordinaire. Elle sentit la main de Pauline lui
lâcher l’épaule gauche. Cette dernière allait sûrement danser plus loin avec le
reste des groupies. Juliana ne la rejoignit pas. Elle n’était pas d’humeur à
danser. Elle arrivait à peine à enregistrer la montagne d’informations qui lui

arrivaient en pleine tronche, tant elles étaient nombreuses, denses, et intenses.


Le moins que l’on pût dire, c’était qu’elle eut une belle occasion de se
changer les idées. Elle ne dansa pas. Elle ne voulait pas entendre cette horde
de groupies raconter chacune ô combien elles espéraient être celle qui allait

faire chavirer le cœur du jeune homme. Elle n’avait pas le cœur à parler
d’amour, et pourtant, l’amour semblait bien vouloir la rattraper. Brusquement
prise d’une bouffée de chaleur, elle passa nonchalamment sa main dans sa
chevelure brune. Et si elle se laissait tenter ? Sa pinte de bière à la cerise
entamée dans son autre main, elle reporta toute son attention sur cet homme
qui semblait débarquer d’une toute autre planète sur laquelle tout le monde
serait sexy et beau.

Juliana avait toujours été très fidèle. Elle respectait tant cette valeur que
l’idée qu’on lui soit infidèle la rendait folle, d’où le tourment actuel dans
lequel elle se trouvait. Elle était le genre de femme à se projeter à fond avec
quelqu’un, à s’imaginer finir sa vie avec la personne de son cœur quand une
histoire commençait. Et plus brutale, plus haute, et plus dure était la chute
quand l’histoire se terminait. Pour cette raison, elle se répétait qu’elle avait
bien fait de partir sans un mot. Ça ne lui ressemblait pas, pourtant. Elle aurait
préféré avoir des explications pour ne pas faire de peine à Adrien, mais avait-
il seulement pensé au mal qu’il lui avait fait en allant voir ailleurs ? Elle

frissonna rien que d’y penser. Elle sentait que tout ça était sur le point de
changer. Elle n’avait pas désiré un autre homme que son fiancé depuis si
longtemps, elle avait peur d’être perdue en sentant un désir nouveau
l’envahir. Contre toute attente, ce désir vint facilement quand elle posa enfin

proprement les yeux sur Timothée. Il était si mystérieux qu’il donnait envie
de tout plaquer et d’aller le rejoindre sur scène pour qu’il la touche, là, tout de
suite, même devant tout le monde. Juliana n’avait pas peur. C’était sans doute
grâce à l’alcool. Elle se sentait libérée, aventureuse. Elle était tout bonnement
ensorcelée, il n’y avait rien à dire de plus. Elle détourna soudainement les
yeux : ça n’allait rester qu’un mirage. Comment un homme comme Timothée
Perlman pouvait-il s’intéresser à une femme comme elle ? Elle avait sous les
yeux la preuve qu’il avait largement de quoi faire s’il voulait partir avec une

groupie ou deux, pourquoi serait-elle l’élue ? Elle avait réussi à se remettre le


moral à zéro. Elle soupira et s’apprêtait à tourner de nouveau les talons quand
elle eut le réflexe de regarder une nouvelle fois la scène et s’arrêta net dans
son mouvement. Décidément, Timothée ne semblait pas vouloir la laisser
partir.
CHAPITRE 5 : Le coup de cœur

Timothée :

La soirée était un succès. Le show se passait à merveille. La foule était

en délire dans ce pub qui n’avait sans doute jamais entendu autant de
décibels. Peut-être même que les Spacekids battaient en ce moment-même le
record. Quoi qu’il en fût, Timothée ne s’était jamais senti aussi bien. Il n’était
vraiment à l’aise que sur scène. Et bien qu’il n’y ait qu’un public restreint
dans ce pub de campagne, le chanteur eut réellement l’impression de faire
l’Olympia ou quelque chose de ce genre. Il goûtait, l’air de rien, au succès
pour la première fois. Sa guitare pendue autour du cou, le médiator entre
l’index et le pouce de sa main droite, la bouche collée au micro, il se retenait

de sauter partout tant il était heureux de performer. Tous ses sens auraient dû
être dévoués à ce qui se passait sur scène et pourtant, son cerveau partait dans
tous les sens. Perfectionniste à en crever, il était tout d’abord bloqué sur le
nom de leur groupe. Les Spacekids. Si ça donnait l’impression qu’il s’agissait
d’un groupe formé par des ados attardés dans le garage familial, c’était parce
que ça s’était passé exactement de cette manière. Maintenant qu’ils
recevaient de plus en plus d’attention, ils allaient devoir faire autre chose. Ils
avaient tellement galéré pour en arriver là que le jeune homme avait peur de
tout faire foirer. C’était ça, son plus grand problème. Il ne savait pas profiter

du moment présent. Il avait tellement envie que ça marche qu’il était toujours
en train de penser à autre chose, au lendemain, à l’après. Il avait peur que le
succès lui monte à la tête. Que ça lui fasse faire n’importe quoi. Mais alors
qu’une telle pensée lui traversait l’esprit, une autre, plus puissante et plus

apaisante encore, arriva au même moment : il était bien entouré. Quand on


avait quelqu’un comme Jules dans sa vie, on n’avait pas grand-chose à
craindre : il l’empêcherait de prendre la grosse tête, il le savait déjà.

Parfois, Timothée se disait même que Jules devrait être le leader à sa


place, tellement il était organisé et avait la tête sur les épaules. Mais
traditionnellement, c’était le chanteur qui endossait ce rôle. Plus d’une fois, il
le regrettait. Heureusement pour lui, Jules était aussi et surtout de très bon

conseil et n’avait (presque) jamais tort. Par exemple, ce soir, après le concert,
Timothée allait repartir avec une femme. C’était sûr et certain, et puisqu’on
parlait de tradition, choisir une groupie pour lui faire passer la nuit de sa vie
en était une qu’il prenait un malin plaisir à honorer. Des groupies, il en avait
déjà à la pelle. Le jeune homme était irrésistible et il le savait. Heureusement
pour lui, cependant, Jules ne pouvait pas avoir raison à tous les coups. S’il
allait repartir avec une jeune femme ce soir, ce ne serait pas avec une fan
inconditionnelle de sa musique. Les groupies étaient sympas, on ne pouvait
pas le nier, mais le problème qu’il y trouvait, c’était qu’elles se ressemblaient

toutes. Il ne doutait pas de leur sincérité quand elles disaient toutes, à un


moment ou à un autre, qu’elles adoraient ce qu’il faisait – il y en avait même
qui étaient capables de réciter les paroles de toutes leurs chansons qu’elles
connaissaient par cœur – mais voilà, ça ne lui suffisait pas. Il était très content

de savoir qu’il avait des fans, des fans qui étaient d’ailleurs prêtes à faire à
peu près n’importe quoi pour lui plaire, mais il manquait souvent quelque
chose. C’était bien gentil de s’intéresser de près au groupe et à sa musique,
mais encore fallait-il le faire de manière respectueuse sans que ça ne fasse
peur ; et c’était là, souvent, que Timothée réalisait que quelque chose n’allait
pas. Bien plus souvent que ce que les gens pensaient, ces groupies-là
n’avaient qu’une chose en tête : être l’heureuse élue d’une star, dans l’espoir
de bénéficier elles aussi, même de manière éphémère, d’un petit bout de

célébrité par extension.

Ce soir, donc, Timothée était coincé. Ils allaient entamer leurs


dernières chansons et d’habitude, à ce moment-là du concert, il savait déjà
avec qui il allait repartir. L’embarras du choix, qu’on vous disait. Mais ce
soir, il n’en avait pas la moindre idée. Puisqu’il commençait à en avoir assez
des mêmes profils, il balayait la salle des yeux en continuant de chanter. Il ne
fallait surtout rien laisser paraître. Toute la foule dansait. Certaines groupies
étaient aux premières loges évidemment, mais cette foule en délire de

femmes qui n’attendaient qu’un geste de sa part s’étendait sur plusieurs


rangées. Il voyait défiler devant lui toutes sortes de visages et avait
l’impression de plus en plus nette d’apercevoir toujours le même : le même
maquillage, les mêmes produits dérivés à l’effigie des Spacekids disponibles

sur leur boutique en ligne, les mêmes photos brandies en espérant y recevoir
un autographe… Jusqu’à ce que Timothée l’aperçoive. Elle, cette jeune
femme, au fond de la salle. Une grande femme brune, d’à peu près son âge,
aux yeux bleus perçants. Celle-là, au rouge à lèvres bordeaux et à la robe
noire. Elle est très blanche, elle aussi, on dirait une vampire. Cette jeune fille-
là ne dansait pas. Elle avait l’air triste. Elle avait sans doute le cœur brisé.
Elle semblait connaître les paroles de cette dernière chanson par cœur, une
chanson triste, une chanson de rupture. Elle paraissait tellement différente des

autres que Timothée ne réfléchit pas et ne la quitta pas des yeux. Elle
s’apprêtait à partir mais quelque chose la retint. Comme si elle s’était sentie
observée, ou qu’elle était tout simplement curieuse d’en savoir plus. La
chanson se terminait. Le jeune homme n’avait jamais autant espéré terminer
un concert aussi vite. La foule applaudit à tout rompre dans ce pub et pour
une fois, pour la toute première fois, même, il n’en eut rien à faire. Il en était
sûr : ce soir, c’était elle qu’il voulait.
CHAPITRE 6 : Le dernier verre

Juliana :

Maintenant que le concert était fini, elle pouvait s’en aller. Elle avait

bien récité les paroles de la dernière chanson, sa préférée du groupe qui


comme de par hasard, collait parfaitement à la situation dans laquelle elle se
trouvait, le cœur brisé et la confiance en elle au plus bas ; mais à présent, il
était temps de rentrer.
« Pauline… Pauline… » Dit-elle en se frayant un chemin entre les gens qui se
pressaient au bar pour une deuxième tournée. « Pauline, s’il te plaît, je suis
fatiguée… » Elle attrapa le bras de sa meilleure amie qui elle, ne semblait pas
du tout prête à rentrer.

« Pourquoi tu veux rentrer ? On s’amuse bien, non ? »


« S’il te plaît, j’en ai assez vu… »
« Oh, t’es chiante, Juliana… » Soupira Pauline entre ses dents alors qu’elle
venait de commander un nouveau cocktail sans alcool. « C’est toi qui voulais
sortir te saouler pour oublier, tu te souviens ? C’est pas le moment de revenir
en arrière… »
Juliana lui lâcha le bras immédiatement, piquée au vif. Depuis quand n’avait-
elle pas le droit de changer d’avis ? Et puis d’ailleurs, elle n’avait
certainement pas précisé combien de temps elle voulait rester à boire des

verres. Finalement, boire des verres ne l’aidait manifestement pas à oublier.


Cette fois-ci, plus rien ne la retint : elle actionna la poignée de la porte du pub
et sortit prendre l’air. Elle n’alla pas très loin, elle ne voulait pas non plus
s’éloigner. Elle marcha doucement le long du bâtiment en respirant

doucement, essayant de profiter du silence total et brusque que lui offrait la


nuit. Elle serra doucement le gilet blanc qu’elle portait sur ses épaules, qui
tranchait avec la dentelle de sa robe noire, essayant de se tenir chaud malgré
la brise nocturne, plus fraîche que prévue. Elle tourna à l’angle du bâtiment.

« Ce serait dommage de partir si tôt… » Dit une voix grave à côté


d’elle.
Juliana sursauta et tourna la tête. Ici, tapie dans l’ombre, se trouvait la

silhouette d’un homme adossé au mur. Elle eut un petit mouvement de recul,
pas parce qu’elle en avait peur, mais justement parce qu’elle l’avait reconnu.
C’était Timothée Perlman. Mais que faisait-il là ? La réponse se répandait
dans les airs. Juliana pouvait sentir l’odeur caractéristique d’une cigarette.
Elle s’adossa elle aussi contre le mur et leva les yeux pour regarder les étoiles
briller dans le ciel.
« Pourquoi donc ? Vous avez prévu de refaire un concert ? »
« Non, mais il peut s’en passer des choses, en une soirée… »
Il était assez énigmatique mais Juliana ne releva pas. Elle était bien trop

curieuse. Elle entendit soudain un bruit de froissement à sa gauche. L’homme


fouillait certainement dans la poche de sa veste en cuir. Quelques secondes
plus tard, elle en eut la confirmation parce que son bras touchait le sien. Elle
tendit la main et attrapa la cigarette qu’il lui tendait. Ça faisait longtemps

qu’elle n’avait pas fumé, mais un cadeau de Timothée Perlman ne se refusait


pas. Leurs peaux se touchèrent quelques secondes, le temps de l’échange, et
elle se retint d’attraper ses doigts. Tout était électrique, entre eux.
« Que faites-vous ici ? Je croyais qu’après un concert, vous restiez entre
musiciens… Pour, je ne sais pas, l’équivalent de la troisième mi-temps dans
le monde de la musique. »
Timothée réprima un petit rire. Elle l’entendit parfaitement et ne put
s’empêcher de sourire elle aussi.

Timothée :

Le jeune homme s’amusa de la remarque de son interlocutrice. Il ne la


voyait pas mais était presque sûr qu’il s’agissait de la mystérieuse femme à la
peau de porcelaine et au rouge à lèvres bordeaux.
« J’ai besoin de me retrouver un peu seul après les concerts. J’ai besoin d’un
peu de calme. »
« Oh, je… Je ne savais pas. J’aurais dû m’en douter, je vais vous laisser,
alors… » Dit-elle en faisant crisser le gravier sous ses chaussures à talons,

signe qu’elle s’apprêtait à partir.


« Non, s’il vous plaît… » Dit-il en allongeant le bras à l’aveuglette. « Restez,
je vous en prie. Vous ne me dérangez pas. »
Par chance, il toucha le bras de la jeune femme qui s’arrêta. Il l’entendit

s’adosser de nouveau au mur, comme si de rien n’était. Elle fumait


tranquillement.
« En plus de ça, vous n’allez quand même pas me laisser boire tout seul,
si ? » Demanda-t-il en rejetant lui aussi sa tête contre le mur de briques.
La brise nocturne avait ramené la lune au-dessus d’eux, et maintenant ils
pouvaient se voir comme en plein jour. Timothée tourna la tête en premier,
sûrement parce que cette jeune femme connaissait déjà son identité. Il sourit
doucement en s’apercevant qu’il s’agissait bien de celle qu’il espérait voir. Il

lui proposa une bouteille de bière, qu’elle regarda en levant un sourcil


interrogateur.
« C’est ça, votre manière de décompresser ? »
« Un dernier verre ? »
« Un dernier verre. » Répondit-elle en empoignant la bouteille.
CHAPITRE 7 : Le croissant de lune

Juliana :

Elle n’arrivait pas à le croire. Elle était en train de boire une bière en

compagnie de Timothée Perlman. Quel genre de surprise pouvait bien lui


réserver la vie, après ce genre de choses ? Il lui semblait que rien ne pourrait
surpasser un tel honneur. Légèrement intimidée et flattée d’avoir été sans le
vouloir, l’élue d’un soir, Juliana buvait sa bière en silence. Les bruits
nocturnes semblaient faire la conversation à leur place. Ils laissèrent un
silence s’installer, un silence qui n’était pas dérangeant, qui n’étouffait pas. Il
fallut tout de même le briser.
« Vous savez, je ne connais pas vos chansons par cœur. »

« Ce n’est pas l’impression que j’ai eue. » Dit Timothée en buvant sa bière.
« Vous sembliez connaître parfaitement la dernière. »
« C’est la plus simple à apprendre. Et puis ce n’est pas difficile à retenir,
quand on est… enfin, quand on est dans le bon mood. »
Elle grimaça discrètement. Elle avait failli déverser sa tristesse sur un parfait
inconnu. Il fallait qu’elle se reprenne, et vite.
« Ne vous fatiguez pas, mademoiselle. Votre tristesse se lit sur votre visage. »
Il expira bruyamment pour laisser partir dans les airs une bouffée de
cigarette. La jeune femme ouvrit de grands yeux.

« À ce point-là ? Putain… »
« Ne vous en faites pas, vous n’êtes pas la seule. Les gens qui viennent nous
écouter ne sont généralement pas au top de leur forme, ce n’est pas vraiment
le style de la maison. »

Timothée :

Il ne la regardait pas. Tous les deux avaient tacitement pris l’habitude


en quelques minutes de regarder chacun droit devant eux, comme s’ils

contemplaient la même chose, alors qu’en fait ils avaient une conversation
tout à fait normale. Enfin, on avait fait plus ordinaire, mais les deux
personnages principaux venaient de se rencontrer et ne pouvaient
qu’improviser, apprendre sur le tas. Le jeune homme tâta assez longtemps le
terrain. Il ne voulait pas la brusquer. Il s’aperçut très vite que la jeune femme
pour qui il avait eu un coup de cœur une demi-heure plus tôt était vraiment
très drôle, même sans le vouloir. Malgré son apparence mystérieuse, quelque
peu en décalage avec l’esthétique de la fan des Spacekids de base, et
légèrement effrayante, cette jeune femme amenait avec elle une bulle d’air

frais, une fraîcheur dont Timothée avait désespérément besoin. Il réalisa très
vite qu’ils étaient tous les deux radicalement différents. Elle ne connaissait
rien en musique, de son propre aveu, alors que Timothée avait appris le piano
et la guitare presque avant même de savoir marcher ; elle était experte en

littérature anglaise et son rêve le plus cher était d’aller s’installer à Londres et
de devenir écrivaine, ou quelque chose dans le genre. Elle ne savait pas trop
encore. Ou bien peut-être qu’elle allait rester à la campagne un petit peu plus
longtemps, le temps de se ressourcer, quoi que ça voulut dire. Timothée,
quant à lui, rêvait de s’enfuir à la ville pour tenter sa chance et devenir
célèbre, en restant en France pour commencer. Ces différences auraient pu
faire fuir le jeune homme. D’ordinaire il ne prenait pas la peine de connaître
les femmes avec qui il souhaitait passer la nuit ; mais les circonstances

actuelles l’y obligeaient. Il était complètement déstabilisé : l’exercice lui était


étranger. Il s’accrochait à sa cigarette et sa bière, en l’écoutant parler d’elle.
Jusqu’à ce qu’il aperçoive son tatouage.

Juliana :

C’était indéniable : n’importe quelle autre groupie aurait mieux fait


l’affaire qu’elle. Juliana n’était vraiment pas d’humeur à faire la conversation
à quelqu’un comme lui mais quelque chose la poussait à entretenir le

dialogue. Elle pouvait voir entre l’ombre du bâtiment et la lumière de la lune


qu’il était très intéressé. Elle avait beaucoup de mal à y croire, parce qu’elle
ne faisait pas le moindre effort : elle avait beau le trouver sexy à tomber, elle
avait surtout besoin de quelqu’un à qui parler, et il se trouvait que ce

quelqu’un était le chanteur d’un groupe de rock qui montait en puissance


chaque minute. Elle s’interrompit quand il agrippa doucement son poignet
pour le regarder de plus près.
« Vous avez un magnifique tatouage… »
Juliana rougit. Elle sentit des petits picotements à l’endroit où il la toucha, à
l’endroit même où son pouce droit rencontra la surface fine de sa peau. Son
tatouage représentait un croissant de lune.
« C’est marrant, on dirait mon pendentif. » Ajouta-t-il en lui montrant le

croissant pendu à son cou. « C’est sans doute le même. C’est très étrange… »
« En quoi est-ce étrange ? Des croissants de lune, y en a partout. C’est un
motif très répandu, comme le signe de l’infini… » Dit Juliana en haussant les
épaules.
« Pas celui-ci. » Dit-il en se penchant légèrement sur son poignet. La jeune
femme pouvait maintenant sentir son souffle chaud sur sa peau, et essaya de
se concentrer pour ne pas mourir de désir. « Vous voyez les extrémités de
cette lune ? Elles sont pointues. Et vous avez raison, ce n’est pas si étrange
que ça. J’ai toujours été persuadé que mon âme sœur aurait quelque part le

même motif, avec elle. »


« Vous dites ça à toutes les femmes que vous rencontrez, j’en suis sûre… »
Objecta Juliana en sentant son cœur battre la chamade.
Elle disait ça mais elle était séduite : ils venaient tout juste de se trouver un

point commun.
CHAPITRE 8 : Le rêve éveillé

Quelques heures plus tard, Juliana était incapable de trouver le


sommeil. Il lui semblait que le moment qu’elle venait de vivre avec Timothée
était irréel, presque absurde parce qu’improbable, d’abord et avant tout. Ils

avaient passé en tout et pour tout une heure ensemble. Une petite heure,
c’était rien, c’était insignifiant quand on savait que dans une journée il y en
avait vingt-quatre. Mais cette heure avait tout de même fait la différence.
Après la découverte de leur très original point commun, leur rencontre
fortuite avait pris une toute autre saveur. Au lieu d’énumérer ce qui les
rendait différents l’un de l’autre, ils avaient lentement mais sûrement cherché
en quoi ils se ressemblaient. Ils n’avaient pas trouvé grand-chose mais ça ne
les avait pas empêché de rire ensemble et de s’apprécier mutuellement de

plus en plus. Et puis était venu le temps de se séparer. Le batteur du groupe,


Jules Dubois, était venu chercher Timothée en lui disant qu’il fallait qu’ils
remballent leurs affaires et qu’ils partent se reposer. La nuit, pour le chanteur,
était donc loin d’être terminée, mais pour Juliana, la fête était finie. Avant de
partir, il avait repris son poignet et lui avait demandé s’ils allaient se revoir.
La jeune femme ne pouvait pas en être sûre, alors elle lui avait juste donné
son prénom : Juliana. Et en un éclair, il avait disparu dans la nuit, lui laissant
pour seul souvenir son parfum musqué et l’odeur de sa cigarette, qu’il avait
écrasée juste à côté d’elle. Le romantisme de la chose la faisait vriller,

maintenant qu’elle était au fond de son lit. Elle s’était bien gardée d’en
toucher deux mots à Pauline, qui n’avait absolument rien vu de l’échange, et
c’était bien mieux ainsi. Repenser à tout cela était étrange. Ça lui faisait
beaucoup de bien, elle ne pouvait pas le nier, mais ça l’empêchait d’abord et

avant tout de dormir.

Maintenant qu’elle était toute seule, cependant, elle avait tout le loisir
de penser à cet homme qui l’avait ensorcelée. Il n’y avait pas d’autres mots.
Ce qui s’était manifesté comme du désir pur pendant la soirée ressortait
maintenant dans le silence de sa chambre sous les combles, alors que Pauline
était déjà partie se coucher. Ce désir était si fort qu’il lui donnait chaud.
Juliana repoussa les draps de son corps. Elle voulut se lever pour ouvrir la

fenêtre de la chambre mais eut peur de faire trop de bruit. Ne restait plus qu’à
faire ce qu’elle mourait d’envie de faire depuis maintenant vingt bonnes
minutes. Par pudeur ou par discrétion, elle se recouvrit de nouveau des draps
pour être tranquille, soupira, et ferma les yeux, se concentrant uniquement sur
le visage de Timothée, qu’elle avait bien en tête. Sa gueule d’ange lui
souriait. Elle ne savait pas ce qui lui arrivait, ou plutôt elle n’arrivait pas à
croire qu’elle ressentait ce genre de choses. Et pourtant c’était bien là : un feu
était né au creux de son ventre, au plus profond de ses entrailles. C’était lui
qui lui donnait chaud. Il était malin, il séduisait doucement son cerveau et le

manipulait très facilement. Il lui suggérait tout un tas de trucs, et notamment


de glisser sa main dans son bas de pyjama. Il fallait qu’elle trouve la source
de chaleur et qu’elle l’apaise. Juliana se plongea donc davantage dans ses
pensées et repensa au moment si particulier qu’elle venait de vivre. Plus

particulièrement à la façon dont il l’avait regardée. Elle pouvait se perdre


dans son regard sombre. Il semblait sans fond, si riche de trésors inconnus et
de territoires inexplorés. Elle agrippa soudain sa culotte et glissa sa main
entière sous le tissu avant de toucher sa vulve. Si seulement ils avaient pu
aller plus loin, si seulement ils étaient restés assez longtemps ensemble…

Justement, Juliana n’en put plus : il fallait qu’elle laisse son


imagination partir dans tous les sens. Extrêmement fatiguée par-dessus le

marché mais ayant terriblement envie de se faire du bien dans le même


temps, elle se plongea dans une sorte de rêve éveillé. Elle revint
immédiatement derrière ce bâtiment, adossée contre le mur de briques, la
brise nocturne traversant sa robe noire en dentelle. Elle avait une cigarette à
la main et Timothée lui parlait. Ils avaient fini de fumer leurs cigarettes et
l’homme avait encore sa main sur son poignet. Il se pencha sur celui-ci et
embrassa le croissant de lune tatoué en son milieu. Allongée dans son lit,
Juliana sentit un long frisson remonter le long de son dos pour finir dans sa
nuque. Elle se revoyait, là, contre ce mur. Et son imagination fit le reste.

Timothée posa ses lèvres sur les siennes après avoir embrassé sa peau,
apparemment très enthousiasmé et envouté par son parfum fruité. Elle
imaginait ses lèvres douces, appétissantes, rafraîchissantes. Il y avait quelque
chose de particulièrement grisant dans le fait de fantasmer. Pour le moment

ça lui suffisait, parce qu’elle était la maîtresse du jeu. Elle pouvait choisir qui
elle voulait être, elle pouvait faire faire à cet homme, l’objet de son désir, ce
que bon lui semblait. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les choses
changèrent du tout au tout quand Juliana décida que Timothée Palmer allait
agripper sa taille et empoigner sa peau, pour le meilleur comme pour le pire.
Si elle se concentrait un peu dans ce rêve éveillé, elle pouvait faire en sorte de
ne retenir que le meilleur. La main gauche glissée dans sa culotte, laissée
pour l’instant suspendue entre le tissu et sa vulve, elle se sentait comme un

maestro, un chef d’orchestre prêt à faire valser la foule et jouer les musiciens
devant lui. Elle prit une grande inspiration et passa à l’attaque.
CHAPITRE 9 : La jouissance inattendue

Timothée passa à l’action lorsque la jeune femme posa ses doigts sur sa
vulve trempée. Il plaça ses mains sur la taille de Juliana qui, ravie d’être le
centre de l’attention du chanteur, se laissa complètement aller sans qu’on ne

lui demande. Poussant un long soupir, elle laissa le chanteur la plaquer contre
le mur en brique. C’était fou ce qui pouvait se passer derrière un bâtiment, à
l’abri des regards. Allongée dans son lit, calée entre le matelas et la couette
dans une sorte de cocon chaud et accueillant, l’imagination de Juliana filait à
la vitesse de la lumière. Elle s’imaginait que Timothée devenait de plus en
plus entreprenant. Qu’il pressait son corps contre le sien, qu’il pressait ses
doigts contre sa peau, même à travers sa robe noire, et que son bassin
épousait le sien, comme s’il voulait fusionner. Et plus Juliana caressait sa

vulve avec force, plus Timothée était tout ce qu’elle imaginait qu’il serait,
dans la vraie vie. C’était simple, un homme comme lui ne pouvait être mal
attentionné. Dans sa sorte de rêve, Timothée était encore plus beau, plus
doux, plus sexy, aussi. Chaque frôlement de peau lui faisait du bien, chaque
suggestion du plaisir la faisait chavirer. Elle s’imaginait qu’il lui parlait. Qu’il
lui disait qu’elle était belle, et même, pourquoi pas, la plus belle des femmes
avec qui il avait couché. Que toute sa vie, il n’avait fait que l’attendre. Juliana
se détendait en l’imaginant parler ainsi. Il l’embrassait avec force, avec envie,
et répandait son parfum musqué sur son corps qui semblait prendre encore

plus de formes à mesure qu’il était touché. Elle se sentait belle, mise en
valeur, appréciée comme il se devait, et son désir explosait silencieusement
au creux de son nombril. De retour dans son lit, son clitoris commençait à
envoyer des signaux familiers. Si seulement il pouvait la pénétrer, là, tout de

suite.

Mais ce n’était pas pour tout de suite. Il leur fallait d’abord trouver un
endroit pour faire l’amour, un endroit digne de ce nom. Ils auraient pu le faire
contre un mur mais ils étaient dans le fantasme de Juliana et dans un songe
comme celui-là, il s’agissait d’être romantique. Timothée la prit alors par la
main et l’emmena un peu plus loin, laissant les odeurs du pub et le bruit de la
foule derrière eux pour se retrouver derrière un buisson, à l’abri des regards.

S’ils ne faisaient pas de bruit, ils pourraient sans doute faire leur affaire sans
que personne ne s’en aperçoive. En un rien de temps, Juliana se retrouva dans
les bras de Timothée, tous deux assis l’un contre l’autre, et Timothée passait
ses mains sous la robe de la jeune femme qui, bien évidemment, était ravie et
écartait les cuisses. Les doigts fins du chanteur et guitariste se faufilèrent sous
la robe de la jeune femme qui avait les jambes lisses, imberbes et nues. Elle
ferma immédiatement les yeux et se laissa aller, à la merci de son partenaire
qui en plus de lui caresser le sexe, l’embrassait de nouveau. Au fond de son
lit, Juliana étouffa un premier cri. Elle se retourna brusquement en sentant

que le plaisir faisait son chemin dans son organisme. Elle remonta la couette
jusqu’au-dessus de son nez pour profiter encore plus de la chaleur qui
l’entourait et la câlinait doucement. Le plaisir arrivait. Il allait l’emporter. Il
fallait qu’elle imagine les choses très exactement, très précisément pour n’en

rater aucune miette. Timothée était doué. Il allait doucement, il était


prévenant, gentil, affectueux et résolument sous son charme : elle avait le
droit d’imaginer ce qu’elle voulait, n’ayant rien à quoi comparer son rêve
éveillé. Juliana gémit à nouveau quand elle imagina les doigts de son amant
pénétrer sa vulve trempée de désir : elle ne pouvait plus s’arrêter.

Elle frotta alors vigoureusement ses doigts contre son sexe, à l’étroit et
confiné dans sa culotte en coton. Elle avait envie de plus et elle s’autorisait

enfin à recevoir ce qu’elle désirait par-dessus tout. Elle ordonna au Timothée


de son esprit de lui faire du bien, de passer à la vitesse supérieure, et
puisqu’elle était éminemment maîtresse de son corps et de son esprit, ce
Timothée-là ne fit pas d’histoire et obéit. Il écarta encore davantage ses
cuisses et la pénétra sans ménagement. Juliana sentit presque les picotements
des branches du buisson qui les protégeait dans son dos, tant l’image qu’elle
invoquait dans son esprit était vive et profondément réelle. Juliana, dans le
moment présent, agrippa alors la couette de toutes ses forces au moment où
elle ressentit cette pénétration, ce moment de chaleur intense, et sans s’en

rendre compte, elle plaça la couette entre ses cuisses, couette qu’elle resserra
aussitôt sur celles-ci pour ressentir le plus possible les frottements des draps
sur sa peau mouillée. Elle se redressa même et se mit à quatre pattes sur son
lit, en imaginant que le drap était ce pénis bien dur qui la pénétrait dans son

esprit le plus rapidement possible. Elle ondula violemment des hanches en


serrant le drap contre sa chair, contre sa vulve, et le plaisir grimpa en flèche
d’un seul coup, sans préavis, sans permission. Ainsi, ce fut les mains crispées
sur ce grand drap froissé et tordu pour en faire une tige dure et rigide, la
bouche déformée par une grimace de plaisir et le corps courbé et penché en
avant contre le matelas que la jeune femme atteignit brutalement la
jouissance, en étouffant ses cris et ses gémissements dans le matelas, à
quelques centimètres de son oreiller. La violence et l’intensité de l’orgasme

l’interpelèrent presque immédiatement. Une fois remise d’un tel moment,


soupirant encore rapidement en écoutant les battements de son cœur ralentir,
Juliana fut convaincue d’un coup de foudre en ce qui concernait Timothée
Perlman, un coup de foudre qu’elle ne pouvait pas arrêter.
CHAPITRE 10 : Silence radio

Timothée :

« Hé, mec, tu m’écoutes ? »

Voilà trois jours qu’ils avaient fait leur petit concert dans le pub. L’euphorie
de l’instant et la joie de voir que leur travail plaisait n’étaient pas encore
retombées. Trois jours que le jeune chanteur aux boucles brunes était
profondément plongé dans ses pensées. Penché sur sa guitare, il gardait son
regard porté sur les cordes de celle-ci, les réglages, les détails, comme s’il
cherchait à l’optimiser. En réalité il ne s’agissait de rien de tout cela,
puisqu’il gardait les yeux résolument dans le vide. Il arborait même un
sourire en coin. Le jeune homme n’était donc pas malheureux mais sans

doute un peu nostalgique. Et qu’importe ce qu’il était, au fond ; ce qui


importait, c’était qu’il soit présent physiquement dans cette salle de
répétition, dans cette grange aménagée et insonorisée pour les besoins du
groupe, mais que mentalement, il soit ailleurs. Les mots d’un des membres le
tirèrent violemment de ses pensées.
« Hein ? Quoi ? »
« On parlait du deuxième couplet, là, on sèche. Mais j’imagine que tu n’as
pas d’idée non plus ? »
Timothée ne répondit pas ou plutôt on ne lui en laissa pas l’occasion.

L’énervement était à son paroxysme et la tension à son comble dans cette


grange.
« Non, bien sûr que tu n’as pas d’idées. Je suis même sûr que tu n’as pas
bossé comme prévu. »

Timothée ignora les reproches qu’on lui faisait et se leva pour traverser la
pièce. Il vint s’asseoir près de Jules et de sa crinière rousse.
« On a des mails ? »

« Pour la énième fois depuis ce matin, non, personne ne nous a


contactés. Pas de sponsor, pas de producteur, rien. Sois patient, bordel… »
Grogna Jules.
Timothée fut déçu et les autres purent le voir, sans comprendre pourquoi. Il

n’avait rien dit de ce qui le préoccupait, et préférait que ça reste ainsi. Le


jeune homme prétexta avoir oublié quelque chose chez lui pour pouvoir partir
prendre l’air, tout simplement. Rester avec les membres du groupe, bien
sagement assis sur un tabouret à gratter des cordes dans le vide en attendant
que les mouches lui soufflent de l’inspiration, ça le rendait fou. C’était
insupportable, désormais. Tenir en place ne l’intéressait plus. Pourtant il
n’aurait pas dû sortir. Il n’aurait pas dû s’éloigner des mails, on ne savait
jamais ce que la vie pouvait réserver.
« Quelqu’un sait ce qui se passe dans sa tête ? » Le membre du groupe leva

les yeux au ciel.


Jules haussa les épaules et resta silencieux avant de reporter son attention sur
l’écran de son ordinateur portable. Lui aussi espérait recevoir les
sollicitations d’un producteur ou même deux, pour avoir le choix. Qu’était

devenu le dénicheur de talent dont tout le monde parlait quelques jours plus
tôt, soi-disant présent dans le pub ? À peine ces pensées traversèrent-elles son
esprit que deux mails entrèrent dans sa boîte mail. Le premier venait
justement d’un producteur. Il disait avoir été convaincu par leur prestation de
l’autre soir. Jules s’apprêtait à appeler Timothée pour lui faire part de la
bonne nouvelle, mais la vue du second mail l’arrêta immédiatement dans son
élan. Il venait d’une certaine Juliana Davis, et elle demandait très
respectueusement, en s’adressant directement à Jules – gérant de la

communication des Spacekids – s’il était possible de revoir Timothée, au


moins une fois, en privé. Jules sursauta légèrement mais ne laissa rien
paraître devant les autres.

Tout fit sens, soudainement, dans sa tête. Tout s’expliquait d’un seul
coup. L’attitude distante de Timothée, sa curieuse inattention, plutôt
inhabituelle, et le fait qu’il soit parti chercher on ne savait quoi. Faux
prétexte. Il avait la tête ailleurs et pour cause : il avait le béguin pour cette
jeune femme avec qui il avait dû passer quelques minutes. Cette Juliana était

sans doute du genre collant. Des mails comme ça, il en recevait des dizaines
et des dizaines par semaine. La chose était la suivante : elles étaient toutes
après le chanteur, au charme presque surnaturel. Elle allait se remettre,
comme toutes les autres, de ne pas avoir de réponse. Jules savait aussi que

Timothée était du genre volage et qu’il ne servait à rien de lui en parler. De


son côté, le jeune homme, maintenant dans l’air frais de la soirée, regardait le
pub, non loin de là. Des femmes, il en avait connues pour son jeune âge, des
fans de tout âge, des femmes de toute sorte qui lui tombaient dans les bras
aux premières notes de guitare. Mais cette jeune femme-là, celle d’il y a
quelques soirs, aux cheveux sombres et au rouge à lèvres vif, lui restait en
tête. Il était habitué à ce que la sensation de la peau d’une femme reste contre
sa bouche, même si la peau en question, en ce qui concernait cette femme,

était celle du dos de sa main, mais cette sensation s’en allait au bout de
quelques heures. Trois jours qu’il y pensait, trois jours qu’il s’en souvenait,
c’était incroyablement long pour une femme fan de leur travail. Mais c’était
précisément ça : Juliana n’était pas fan de leur travail, pas autant que les
autres. Timothée secoua la tête. Il allait se faire une raison, comme toujours.
Il allait l’oublier. L’important, c’était qu’il trouve un moyen de se faire
connaître. C’était le seul objectif. La romance attendrait, même si c’était avec
la femme la plus belle qu’il ait jamais rencontrée.
CHAPITRE 11 : Le cœur a ses raisons que la raison ignore

Juliana :

« Attends, je suis pas sûre de bien comprendre, là… » Dit Pauline en

fronçant les sourcils.


« Qu’est-ce que tu ne comprends pas ? C’est pourtant simple ! » S’exclama
Juliana en essayant de se retenir de sautiller partout.
Sur un petit nuage depuis quelques jours, la jeune femme avait finalement
pris la décision, trois jours après sa rencontre avec le chanteur, de passer à
l’action. Il lui semblait en effet que c’était bien beau de fantasmer, mais ça
n’allait qu’un temps. Il fallait se bouger pour essayer de le revoir. Et
maintenant que c’était fait, que le mail était envoyé, la jeune femme ne tenait

plus en place. Son cerveau tournait à mille à l’heure. Et si on lui répondait ?


Si la réponse était positive ? Les Spacekids étaient encore un petit groupe, ils
n’avaient encore tant de succès que ça ; il était donc tout à fait légitime
d’attendre une réponse de leur part. Et si, finalement, elle revoyait
Timothée ? Son cœur et son corps – précisément, son bas-ventre – ne le
supporterait sûrement pas. Elle n’avait pas encore partagé ce détail avec
Pauline. Il ne fallait pas tout dévoiler tout de suite.
« J’ai un peu du mal à te suivre, c’est tout… » Pauline haussa les épaules en
pianotant sur son portable. « Tu ne décoches pas un mot pendant un demi-

siècle parce que ton fiancé te trompe et que tu l’as quitté, et voilà que tu ne
peux plus te taire parce que t’es tombée sous le charme d’un chanteur que tu
as vu quelques minutes dans un pub… »
« Quand tu auras entendu ce que je vais te raconter, tu auras un autre

discours… »
Le visage de Pauline devint alors plus sérieux, plus attentif : elle n’avait
aucune idée de ce qui allait lui tomber sur la tête. Juliana était en train de
tomber amoureuse…

Timothée :

Le producteur était très sérieux. En quelques jours, les Spacekids

n’avaient déjà plus le même compte en banque, plus les mêmes moyens et
presque plus la même tête, même si le chanteur et leader du groupe tenait à ce
qu’ils gardent leur identité de groupe indépendant, même avec une grosse
équipe de production derrière. C’était peut-être paradoxal, mais Jules tenait
particulièrement à ce que Timothée garde les pieds sur Terre. Un faux pas et
tout pouvait déraper. Ils réussirent très tôt à négocier de terminer leur série de
concerts dans le petit village de campagne où ils s’étaient arrêtés. La société
de production était sceptique et incrédule, tout comme certains membres du
groupe, mais Timothée avait été très ferme : ils ne partiraient pas avant

quelques soirs encore, et de toute façon, ce n’était plus une question d’argent
maintenant, mais un véritable choix. Officiellement, le jeune homme disait
vouloir respecter le public provincial, et qu’il n’avait qu’une seule parole.
Officieusement, sans pour autant dire qu’il mentait sur son honneur, il

espérait surtout apercevoir la jeune femme qu’il avait croisée et qui avait
manifestement décidé de s’installer dans son esprit et ne plus jamais en sortir.
Mais la vie, dans les jours qui suivirent, en décida autrement. Une grosse
production allait changer leurs vies, tous les membres du groupe le savaient,
mais ils étaient loin de s’imaginer à quel point. Ils enchaînèrent donc les
concerts sans se poser de question : ils avaient enfin des moyens à hauteur de
leurs ambitions et le succès fut immédiatement au rendez-vous. La foule était
de plus en plus dense, le public de plus en plus nombreux et fatalement, les

groupies tombaient en pamoison par dizaines à la vue de Timothée. Alors,


grisé par le succès et ne sachant pas quoi faire d’autre, il se jeta à corps perdu
dans différentes aventures, comme il en avait l’habitude, avec une fan ou
deux qui n’attendaient que ça, soir après soir.

Regardant les étoiles brillant dans le ciel nocturne clair, Timothée


fumait une cigarette sur le toit d’une maison. En réalité, la maison, c’était la
sienne, donc il ne manquait de respect à personne. Incarnant un cliché tenace,
le jeune homme aimait bien s’en griller une après avoir fait l’amour avec une

parfaite inconnue. Cela faisait maintenant près d’une semaine que les
concerts avaient repris. Une semaine de liesse, d’euphorie totale, de pur
bonheur. Une semaine de musique, de coups pris après coups pris, de verres
bus par dizaines, sans aucune idée de la conséquence qu’ils avaient sur son

corps, et une semaine passée aux côtés de femmes. De très belles femmes
d’ailleurs, des femmes qui n’attendaient que ça que de passer un peu de
temps avec lui. Comme à son habitude, il les avait choisies toujours sur le
même modèle : jolies, pas très causantes, émotionnées de le voir leur
décocher trois mots, consentantes évidemment, et pas très demandeuses une
fois l’acte terminé. Elles avaient eu ce qu’elles voulaient et lui aussi, il avait
eu de quoi se faire du bien pendant une demi-heure tout au plus. Du sexe pur,
brut, direct, sans sentiment. Il ne perdait pas son temps à ressentir. Ce n’était

pas dans ses habitudes. Ce n’était pas non plus qu’il en était incapable, ou
qu’il n’était pas intéressé par l’amour en tant que tel, mais simplement qu’il
se disait qu’il aurait bien le temps pour tout ça plus tard. Quand il aura du
succès depuis longtemps, quand les choses se seront calmées, quand, enfin,
les gens accepteront sans même y penser le fait qu’il soit quelqu’un de
renommé dans le monde de la musique. Quand il n’aurait plus rien à prouver.
En attendant, il enchaînait les aventures, pensant à l’amour plutôt que de le
vivre. Mieux valait faire comme ça que d’être laissé seul avec ses pensées,
hantées par une certaine jeune femme du nom de Juliana, qui lui susurrait à

l’oreille que l’amour n’était pas très loin.


CHAPITRE 12 : La grange

« T’es bon à rien, en ce moment, Tim. »


Jules observait le leader et chanteur en silence depuis un moment, et se
sentait coupable. Une semaine donc, qu’il avait reçu le mail, une semaine

qu’il se taisait en pensant que c’était pour le mieux. Mais la situation ne


s’arrangeait pas.
« T’exagères. » Maugréa l’homme dont il était question. « On n’a jamais eu
autant de succès. »
« Ce n’est pas ce que je veux dire. Tu fais le taf, mais ça ne sert à rien si tu
n’es pas heureux. »
« Je ne vois pas ce qui te fait dire ça. » Répliqua Timothée avec son sarcasme
habituel.

Il était encore plus pâle que d’habitude. On aurait dit un vampire. Jules
soupira bruyamment et vint s’asseoir en face de lui.
« Écoute, je ne voulais pas te le dire pour ne pas te déconcentrer, mais… On
a reçu un mail, il y a quelques jours. Le même jour que le mail du producteur,
en fait. C’était de la part d’une certaine Juliana… »
Timothée, qui jusque-là avait gardé son attention portée sur les cordes de sa
guitare qu’il remplaçait pour la deuxième fois en trois jours, leva
brusquement la tête, à s’en donner le vertige.
« Hein ? Juliana ? »

« Ah, je savais que ça allait te faire réagir ! » S’écria Jules, un sourire au coin
des lèvres. « Avant que tu ne me sautes à la gorge, je ne t’en ai pas parlé
parce que je pensais que ce n’était pas le moment, et puis comme tu n’as
jamais montré aucune sorte d’attachement envers une femme… Mais je me

suis permis de lui répondre en ton nom. Elle t’attend ce soir, dans la vieille
grange à la sortie du village, si tu veux la revoir. »
Timothée n’entendit pas la fin de la phrase : il était déjà parti en courant, ne
perdant pas une seconde.

Juliana :

La jeune femme finissait à peine d’arranger la grange en question


quand elle entendit la porte de cette dernière grincer doucement. Son cœur se
mit à battre à tout rompre dans sa poitrine et son souffle se coupa
immédiatement. Et enfin, la silhouette de Timothée Palmer se dessina dans
l’embrasure. La silhouette s’approcha et dévoila le visage pâle du jeune
homme, tout aussi essoufflé. Il n’attendit pas et se précipita sur la jeune
femme, qui passa ses mains autour du cou de cet homme si intrigant et
l’embrassa passionnément. Heureux de constater qu’il n’avait pas à donner

une quelconque explication – ils n’en avaient pas besoin de toute façon –
Timothée rendit son baiser et l’embrassa de plus belle, avec tant de force
qu’il la poussa jusqu’à ce que son dos cogne contre le mur de la grange. La
passion qui tendait l’air au maximum explosa tout bonnement quand leurs

deux corps se retrouvèrent l’un contre l’autre. Juliana, qui portait aujourd’hui
un short, était plus libre de ses mouvements qu’avec une robe et passa ses
jambes autour de la taille de Timothée qui la portait sans difficulté. Ils ne
réfléchirent pas. Ce fut Juliana qui agit en premier. Depuis le temps qu’elle
rêvait de ce moment, elle n’allait certainement pas se priver de ce bonheur.
Elle passa ses mains dans les boucles brunes et indisciplinées du jeune
homme et se pressa contre lui, ses seins laissés libres et nus sous son
débardeur partant dans tous les sens. Timothée fut ravi de constater qu’elle

portait vraiment le minimum. C’était la preuve qu’elle ne s’était pas


embarrassée de détails trop pesants et inutiles. Elle savait pourquoi elle était
là, elle savait quoi faire avec lui. Elle retint une expression de plaisir et de
surprise mêlés quand elle sentit une bosse quelque peu précoce mais dure se
former à l’entrejambe, au milieu du pantalon du chanteur.

Comme pour lui faire comprendre qu’elle avait senti son excitation et
qu’elle était prête à tout pour le satisfaire, elle descendit de sa taille, reposa
ses pieds sur le sol et s’agenouilla tranquillement, silencieusement, essayant

de contrôler sa respiration en soutenant son regard, jusqu’à ce que ses genoux


touchent enfin le sol. Là seulement, elle put ralentir ses gestes, être plus
précise dans ses mouvements. Doucement, elle remonta ses mains, les doigts
écartés pour qu’elles couvrent le plus de surface possible, le long des jambes

et des cuisses de l’homme qui contractait tous ses muscles. Juliana défit
lentement la ceinture et descendit la braguette du jean noir qu’il portait, avant
de le baisser jusqu’aux chevilles. Elle fit de même avec le caleçon. Désormais
face à la longue tige qui lui servait de pénis, elle ne réfléchit pas et l’engloba
dans sa bouche, posant délicatement ses lèvres sur la chair. Elle le saisit
fermement, ensuite, mais pas trop non plus ; elle ne voulait pas lui faire de
mal. Déterminée, elle s’attela à la tâche sans attendre et lécha le membre
gonflé et chaud de son amant qui se détendit immédiatement. De toute

évidence, Juliana savait y faire. Elle savait comment s’y prendre. Elle le
savait déjà, mais entendre son amant gémir de plaisir et soupirer parce qu’il
ne pouvait pas contenir son souffle trop longtemps dans ses poumons tant il
se laissait aller à une détente inattendue, confirma sa conviction. Encouragée,
elle reprit de plus belle cette fellation qui monta très vite en intensité. Elle
voulait tant lui faire du bien qu’elle lécha et caressa sans ménagement le
pénis jusqu’à ce qu’elle sente qu’il allait exploser. À ce moment-là, et à ce
moment-là seulement, elle retira brusquement sa bouche du sexe, à la grande
surprise et au mécontentement soudain de Timothée qui pensait pouvoir jouir

directement, sans qu’il ne le demande. Mais qu’importe. Ce que lui faisait


comprendre Juliana, c’était que contrairement à toutes les autres femmes
qu’il avait connues avant elle, elle n’avait pas froid aux yeux…
CHAPITRE 13 : Douce violence

La jeune femme comprit immédiatement que jouer à ce jeu allait lui


exploser à la figure, plus rapidement qu’elle ne le pensait. Elle se redressa et
Timothée la saisit par les bras, serrant ses doigts sur sa peau. Il commençait

presque à lui faire mal. Il posa sa grande main dans le dos de la jeune femme
et la retourna pour qu’elle fasse face au mur de la grange.
« Ne bouge surtout pas. » Ordonna-t-il d’un ton ferme.
Juliana obéit en silence. Seul son souffle saccadé brisait ce dernier à
intervalle régulier. Elle posa sa tête contre le mur de la grange, un mur qui,
sans surprise, sentait bon le foin frais et l’herbe, un soir d’été. Elle respira
cette odeur qui lui permit de se calmer un tant soit peu en attendant la suite,
qui ne tarda pas à venir. Elle sentit soudain une de ses grandes mains chaudes

sur ses cuisses, qui s’aventurait à présent sur ses fesses et qui déboutonnait en
silence le short qu’elle portait encore et qui tomba lourdement sur le sol.
Juliana n’attendit pas et enleva elle-même le petit t-shirt blanc qui lui
recouvrait encore les seins, et se retrouva brusquement nue, portant encore
seulement sa petite culotte. Timothée la touchait déjà. Ou plutôt, il jouait
avec. Le sexe gonflé, l’érection au maximum, l’homme s’efforçait de ne pas
aller trop vite, elle le devinait sans peine. Pourtant, ses doigts semblaient
avoir une vie propre, et, la poitrine pressée contre le mur, Juliana commença
à s’impatienter. Quel genre de torture devait-elle endurer, quel genre de

punition devait-elle subir, et combien de temps cela allait-il durer ? Elle


n’avait aucune réponse à ses questions, et ne pouvait que se trémousser au
rythme des caresses que les doigts de Timothée voulaient bien lui offrir.
C’était doux et ferme à la fois, fort et tranquille. Et efficace, surtout.

Redoutablement efficace.

Timothée :

Cette fille le rendait fou. Tout, dans ce qu’il voyait à présent, lui
plaisait. Qu’il s’agisse de la lumière qui passait entre les petites fentes du bois
qui composait les murs de cette grange, lumière du soleil couchant qui venait
mettre en valeur tantôt les seins de la jeune femme, tantôt ses fesses et son

entrejambe, comme une invitation de ce coquin de soleil qui savait ce qu’ils


étaient en train de faire, ou bien des mouvements sensuels et désordonnés de
son amante, Timothée était ravi d’être là. Les cheveux bruns de Juliana
tombaient en cascade sur ses épaules et dans son dos qu’elle avait légèrement
cambré pour épouser le mur. Les cuisses légèrement écartées, elle semblait
tout à fait disposée à s’offrir à lui. Il avait avancé une main vers son corps
qu’il touchait maintenant sans retenue mais toujours avec une délicatesse
absolue. Elle aussi avait la peau si blanche et si douce qu’il avait l’impression
de toucher de la porcelaine. Mais il était aussi passablement convaincu que

Juliana n’était pas du tout une petite chose fragile. Elle supportait très bien
ses caresses et ses chatouilles et semblait patiente, malgré le frémissement de
sa peau et le tremblement de ses doigts à chaque fois qu’il passait les siens
dans sa culotte. Elle était forte, c’était ce qu’il voulait. Elle était solide. En

arrivant à cette conclusion il n’en put plus et se colla à son dos, écartant les
cuisses lui aussi pour que son sexe bute contre les fesses de son amante. Il
était vraiment temps de passer à l’action. Il posa ses lèvres dans son cou et
l’embrassa avec force, écartant ses cheveux. Il passa à l’attaque. Quand il eut
fini de mordre cette chair, il descendit lentement dans son dos, ses lèvres
scotchées à sa peau, sentant l’irrépressible envie de la prendre là, tout de
suite, debout, comme un animal en rut, comme une bête sauvage qui ne
saurait pas se contenir. Et il sentait qu’elle avait envie de ça, elle aussi. Il

ferma les yeux, respira son odeur et laissa la jeune femme rejeter sa tête en
arrière, frissonnant de plaisir.

« Prends-moi… Prends-moi, je t’en supplie… Je n’en peux plus… »


Soupira-t-elle soudain en sortant un peu ses fesses pour les coller contre son
membre en érection.
Rien n’allait être plus simple que cette action. Il n’allait suffire que d’un tout
petit geste, presque imperceptible. Il lui semblait même que Juliana, en plus
de l’encourager fortement par ses gémissements de plus en plus aigus, lui

facilitait tout bonnement la tâche. Ses mains se baladaient frénétiquement sur


son corps, désespérément même ; sans doute pour faire patienter sa vulve en
la touchant doucement, en la palpant, en lui apportant un réconfort, quelque
chose qui puisse la faire patienter ; mais ses mains ne faisaient pas que ça.

Elles écartaient ses fesses pour lui présenter son anus, ce trou par lequel ils
voulaient tous les deux que les choses se terminent. Ce geste fut le coup de
grâce, le dernier signe qu’attendait encore Timothée. Il agrippa les cheveux
de la jeune femme et la sodomisa d’un coup sec. Celle-ci poussa un cri
perçant traduisant d’abord la douleur soudaine et intense qu’un tel acte
provoquait presque toujours, et puis elle se tut pendant quelque temps, sans
doute pour se donner un peu de ce dernier, pour accepter ce pénis qui était si
épais, si large, et si robuste. Elle respira doucement pour se remettre

d’aplomb et Timothée reprit ses va-et-vient. Il posa une main dans le creux de
son dos pour ne pas chavirer et donna de forts et puissants coups de reins
pour lui rappeler que quoi qu’il arrive, il avait le dernier mot dans cette
histoire. C’était à lui d’apporter la délivrance, c’était à lui que revenait la
lourde tâche de les faire jouir tous les deux, et si possible, ensemble. Il
empoigna alors les bras et les épaules de Juliana qui criait de plus en plus
fort, les mains accrochées à sa vulve qu’elle frottait de plus en plus vite, et il
la pénétra de toutes ses forces. Pendant quelques secondes, les deux
protagonistes se retrouvèrent propulsés hors du temps. Plus rien n’importait à

leurs yeux, sauf de jouir, chose qui arriva presque aussitôt après cette
dernière accélération.
CHAPITRE 14 : Le choix

Juliana :

La jeune femme aurait voulu que ce moment ne s’arrête jamais. Tout un

tas de pensées plus violentes les unes que les autres se pressaient dans sa tête.
Ça arrivait souvent, mais le problème était bien sûr qu’actuellement, aucune
de ses pensées ne semblait trouver sa place dans sa tête. Pour s’en protéger,
elle préférait rester allongée au creux du torse de son amant, dans ses bras,
tous les deux contre le foin frais. Ils s’étaient à peine rhabillés et gardaient
pour le moment le silence. Un silence tout d’abord léger et nécessaire. Rien
ne servait de presser les choses. Rien ne servait de briser la grâce dans
laquelle ils s’étaient retrouvés, et qu’ils savaient courte. Mais Juliana ne

pouvait pas non plus rester enfermée dans ses propres pensées. Elle allait
exploser.
« T’as connu combien de meufs ? »
La question était sortie de sa gorge sans même qu’elle y pense. Il fallait
qu’elle sache. Elle leva les yeux vers Timothée qui la regarda sans
comprendre, un peu surpris de son audace.
« Ben quoi ? J’ai pas le droit de poser la question ? »
« C’est si important que ça ? » Demanda Timothée, un sourire en coin.
« Ne me dis pas que tu n’as pas envie de me la poser, toi. » Dit simplement

Juliana d’un ton dégagé. « Si tu veux savoir, moi, j’étais avec mon fiancé
depuis deux ans quand j’ai appris, il y a presque un mois maintenant, qu’il
me trompait avec une amie proche. C’était mon premier. Je l’ai quitté sans
explication et sans regarder en arrière. À ton tour. »

Timothée haussa les sourcils encore plus haut, ce qui eut pour conséquence
de les faire disparaître sous ses boucles brunes, encore plus en bataille que
d’habitude.

« C’est curieux, de poser ce genre de questions à un homme… » Dit-il,


amusé.
« Tu veux que je te dise ce que je trouve curieux ? Qu’on la pose toujours à
une femme, mais jamais un homme. Qu’on se donne le droit de la poser à la

première, tandis que si on ose la poser au dernier, on nous dit que ça ne nous
regarde pas. C’est peut-être révolutionnaire pour toi, mais en ce qui me
concerne, je nous vois comme des égaux. Alors je te repose la question : ta
vie amoureuse, ça donne quoi ? »
Timothée se redressa légèrement avant de donner sa réponse. Et en entendant
cette réponse, la jeune femme tomba des nues.
« Le néant. »
Ce fut à son tour d’être particulièrement surprise. Elle ne le croyait pas et elle
n’avait même pas besoin de le lui dire pour le lui faire comprendre. Non, ce

n’était pas possible.


« Je ne suis jamais tombé amoureux. J’ai fréquenté beaucoup de femmes,
c’est vrai, j’ai baisé à droite et à gauche parce que quand on a du succès, on
aime bien en profiter, mais je ne suis jamais tombé amoureux. »

Juliana le regarda avant de hausser les épaules, étrangement satisfaite.


« D’accord, donc ça ne te posera pas de problèmes si je te demande de me
promettre de ne plus fréquenter ces femmes en question ? »
Cette fois-ci, Timothée n’était plus amusé du tout. Il faisait une mine sombre,
presque choquée, presque blessée. Il ne voyait manifestement pas le rapport.
« Pourquoi tu me demandes ça ? »
« Promets-le-moi. Je ne te fréquente pas pour rien, Tim. Promets-moi que tu
n’iras pas voir ailleurs. »

Timothée :

L’homme commençait à déchanter. La conversation post-coït avait été


bien sympa au début, bien qu’inhabituelle – il ne prenait jamais le temps de
rester après l’acte, encore moins de discuter – mais là, Juliana allait trop loin.
Elle lui en demandait trop. Il devait au moins lui reconnaître, pour être tout à
fait juste avec elle, qu’elle ne manquait pas d’audace.
« Tu demandes souvent ce genre de choses aux hommes que tu rencontres ? »

Juliana leva les yeux au ciel.


« Je ne te demande pas de faire un pacte de sang, non plus… Cesse de faire
l’enfant. » Dit-elle fermement en se redressant pour rajuster son débardeur
sur ses seins. Elle le regarda sans rien dire pendant quelques secondes.

« Qu’est-ce qui te fait peur, que j’ai prononcé le mot « promesse » ? »


Timothée essaya de se défendre mais à peine avait-il ouvert la bouche que la
jeune femme s’était remise à parler. Elle n’était en réalité clairement pas là
pour négocier.
« En fait, c’est simple. Je sors d’une relation longue qui a très mal fini. Je n’ai
même pas eu besoin d’avoir une explication pour m’en rendre compte, tu
vois ? Et je n’ai plus envie de perdre mon temps dans des aventures sans
lendemain. On vient de coucher ensemble et tu sais quoi ? C’était

merveilleux, putain. Et peut-être que je suis en train de m’attacher à toi. Peut-


être même que je suis déjà amoureuse, qui sait ? Et j’ai besoin de savoir que
toi aussi, ou du moins, que ça en prend le chemin. Je ne te demande pas de
me demander en mariage, je te demande juste de me promettre que tu n’iras
pas voir ailleurs. Si tu ressens la même chose que moi, ça ne devrait pas te
poser de problèmes. »
Timothée la regarda longuement. Il n’était pas sûr de pouvoir tenir une
promesse de cet ordre-là. Il se demanda si elle avait l’habitude de demander
l’impossible aux gens, sans prévenir. Mais sans réfléchir, il hocha la tête, et

lui en fit la promesse.


CHAPITRE 15 : Le chant des sirènes

La différence entre la théorie et la pratique était grande, parfois même,


immense. Ce qui était écrit sur le papier et ce qui se passait réellement
pouvait parfois être à des années lumières. C’était une chose, un fait que

Timothée avait toujours su – il en faisait régulièrement l’expérience dans le


monde de la musique – mais c’en était une autre de le constater encore et
encore. Le fait était le suivant : il avait fait une promesse qu’il n’était pas sûr
de tenir. Non, ce n’était même pas ça. Il savait pertinemment qu’il ne la
tiendrait pas. Il savait qu’il allait faire de la peine à sa toute nouvelle amante.
C’était ce qu’il faisait tout le temps. Il blessait les filles, comme pour bien
enfoncer le clou du cliché sur pattes qu’il était.
« Mais attends, mec… Des filles qui en demandent toujours plus, t’en as

connues, non ? En quoi celle-ci est différente ? » Demanda Jules, plongé dans
les comptes du groupe.
C’était toute la question. Devant l’absence de réponse de sa part, Jules
conseilla au chanteur de ne pas trop y penser. Selon lui, ce n’était rien. Il
fallait être indulgent avec soi-même : on ne pouvait pas réagir de la même
manière à tous les coups. Que toutes les femmes n’étaient bien sûr pas les
mêmes et qu’elles laissaient chacune une marque, une empreinte dans le cœur
de celui avec qui elles couchaient, naturellement, qu’on le veuille ou non, et
qu’il était donc tout à fait normal de ne pas se remettre exactement de la

même manière de chaque soir et de chaque aventure. Timothée entendait tout


ça mais n’y prêtait pas beaucoup attention. Il avait l’impression de s’être déjà
fait cette réflexion, de s’être déjà persuadé de la chose. Restait un autre fait,
plus pénible, plus difficile à avouer : Juliana n’était effectivement pas comme

les autres. Elle l’avait ensorcelé. De fait à chaque fois qu’il pensait à elle il
avait envie de tenir sa promesse : c’était d’ailleurs dans un de ces moments
d’émotions qu’il avait fait sa promesse.

Les concerts reprirent pourtant de plus belle. L’ambiance d’un soir de


concert avait un effet tout particulier sur Timothée, semblable à une drogue.
Elle lui donnait de l’adrénaline qui prenait possession de ses sens chaque soir,
avant de monter sur scène. Cette adrénaline était assez gentille pour l’enrober

de chaleur tout au long du concert, et exploser un peu vers la fin, quand il


recevait de l’amour par centaines de lettres, de roses, de sous-vêtements que
certaines femmes audacieuses lançaient parfois, et de plus en plus souvent, à
ses pieds, en entendant les toutes dernières notes. Alors, à partir de là, c’était
facile. Comme la drogue s’estompait, le chanteur faisait tout pour en
reprendre un peu et faire durer le plaisir. C’était là, en fin de concert, après
avoir repris une chanson ou deux à la demande du public, que se dessinait le
reste de la soirée, et là qu’il pouvait choisir la suite des événements. Souvent,
comme ce soir, il lui suffisait de ramasser un soutien-gorge, le plus beau,

celui qui attirait le plus son œil, et de demander à voir sa propriétaire. Il ne


faisait pas d’histoire. La fille qui se présentait était sa nouvelle aventure, si
elle était majeure et consentante, évidemment. Ce soir, c’était une jeune
femme blonde, un peu plus jeune que lui, qui avait l’air innocente et qui ne

cherchait pas d’histoire. Elle ne cherchait sans doute pas non plus à se caser
avec le chanteur qui n’avait rien de plus à lui offrir que du sexe. Elle le savait
très bien. Elle ne voulait que vivre une expérience folle qu’elle pourrait
raconter à ses copines après coup, le lendemain matin ou dans quinze ans. Ça
suffisait à Timothée. Il ne lui demanda même pas son prénom. Il voulait
simplement vivre dans l’instant. Il l’embrassa violemment, sans pouvoir se
contrôler, et la drogue l’emporta à nouveau. L’envie de se sentir libre,
surtout. Il l’embrassa encore et encore jusqu’à en être ivre, en oubliant

momentanément Juliana et la promesse. Il succombait au chant des sirènes.

Juliana :

Pauline avait essayé et avait réussi : Juliana n’irait pas à chaque concert
de Timothée et ce n’était pas un drame ; du moins, elle essayait de le lui faire
comprendre.
« Il t’a promis, c’est bien qu’il doit être sérieux, non ? » Disait-elle pour la
énième fois ce soir. « Laisse-le apprécier son concert. »

Juliana savait que son amie avait raison. Elle ne voulait pas l’étouffer, mais
c’était plus fort qu’elle : elle était curieuse de nature, même quand il aurait
mieux valu pour elle qu’elle ne le fût pas.
« Je n’arrive pas à m’enlever de la tête que quelque chose cloche. J’ai un

mauvais pressentiment… »
« Un pressentiment ? Mais Juju, tu as toujours de mauvais
pressentiments… » Taquina Pauline en faisant à manger. « Reste dîner au
moins, tu y verras plus clair avec quelque chose dans le ventre. »
Pauline avait toujours été maternelle, de cette manière, et Juliana savait
qu’elle avait de la chance, mais cette fois-ci, son amie ne comprenait pas tout
ce que ça voulait dire. La jeune femme avait su faire confiance à son intuition
ces derniers temps. La dernière fois qu’elle avait eu un mauvais

pressentiment aussi fort, elle avait été trompée par son fiancé. Elle avait donc
toutes les raisons du monde de se méfier et de croire ce que ses tripes lui
disaient. Elle se leva brutalement et sortit de la maison avant de prendre la
voiture. Il fallait qu’elle sache. Tant pis pour le dîner : si tout se passait
comme elle le craignait, elle n’aurait sans l’ombre d’un doute plus jamais
faim avant un bout de temps.
CHAPITRE 16 : La trahison

Jules :

Le musicien aux cheveux longs et roux crut halluciner quand il entendit

un bruit de moteur s’approcher de l’arrière du pub avant de s’interrompre


brutalement. Il n’attendait personne à cette heure tardive, et personne, qui
plus est, n’osait s’aventurer derrière un bâtiment quand il faisait si sombre.
L’entrée des artistes était censée être une chose secrète. Un claquement de
portière, puis un bruit de pas. Des pas pressés, angoissés, et sans doute en
colère. Jules releva la tête. Il savait sans même la voir de qui il s’agissait.
« Si tu cherches Timothée, tu ne le trouveras pas ici. » Dit-il d’un ton quelque
peu fataliste.

Quand il aperçut enfin le visage de Juliana, il s’aperçut qu’il était sur le point
d’être noyé de larmes. Celles-ci brillaient déjà au coin de ses yeux.
« Il est où, alors ? »
« Je ne sais pas exactement. »
Jules mentait. Il mentait effrontément sans aucune honte, parce qu’il ne
voulait pas d’ennuis. C’était l’avis de Juliana que plus il mentait, plus il en
aurait, justement.
« Je ne te crois pas. Jules, tu comptes protéger qui comme ça ? Lui ? »
Ils se tutoyaient déjà alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés dans la vraie

vie. Une certaine familiarité s’était pourtant installée entre eux. Elle n’avait
pas peur de lui dire certaines choses.
« Ne me dis pas que tu n’es pas au courant. »
« Tu ne pouvais pas lui demander une chose pareille, Juliana. C’est trop pour

lui. »
« Ne me dis pas ce que j’aurais dû faire. » Coupa-t-elle brusquement. « Mais
alors, c’est vrai ? Il est où, bordel ? »

Juliana :

Ce fut à ce moment-là que Juliana dut endurer le moment le plus


pénible de sa vie. C’était en tout cas ce qu’elle croyait. De toute évidence,

elle allait entendre tout ce que Jules avait à dire, même si ce n’était pas ce
qu’elle voulait. Il fallait qu’elle le sache. Jules soupira et commença sa
défense. Il n’était pas dans un tribunal mais c’était tout comme. Il lui dit qu’il
était en backstage, dans sa loge, et qu’il n’était pas seul. Rien que cette
phrase aurait suffi pour la jeune femme, mais ce n’était pas tout. De toute
évidence, Jules tenait à prendre la défense de son ami. La jeune femme eut
donc le droit à un exposé détaillé sur la vie d’artiste et surtout celle des
chanteurs de pop rock, et sur les traditions qui les rythmaient.
« Tu me prends vraiment pour une conne ou tu le fais exprès ? » Coupa net

Juliana, les mains sur les hanches, signe significatif d’agacement chez elle.
« Tu me crois naïve au point de ne pas me douter de tout ce que vous faites,
une fois le rideau baissé ? »
Jules perdit un peu de son aplomb, et elle n’était pas peu fière. Il se mit à

balbutier des excuses mais ça ne servait à rien.


« Arrête ton charabia. Il ne m’intéresse pas… » Dit-elle en faisant un signe de
la main. « Tu sais ce qui me déçoit surtout ? C’est toi. Je pensais que tu étais
différent. Et que tu me trouvais différente, moi aussi. Que tu m’invitais dans
ton monde parce que tu pensais que je le méritais. Je pensais que tu me
prenais vraiment au sérieux et qu’avec moi tu serais honnête, mais en réalité
tu préfères protéger ton pote alors qu’il fait quelque chose de totalement
immoral. J’en ai assez entendu. »

Sans attendre de réponse, elle força le passage pour se glisser en coulisses.

Son cerveau tournait à plein régime. Elle s’était imaginé tout un tas de
choses sur les coulisses en question, et force était de constater qu’elle avait en
grande partie raison. C’était un grand bordel. Le sol était jonché de toutes
sortes de choses, allant de câbles d’enceintes à des mégots de cigarettes
écrasés, que les différents membres du groupe et de l’équipe de production
n’avaient pas jugé bon de mettre dehors. Il y avait aussi des costumes
dépareillés, des hauts laissés à l’abandon par-ci, des bas de pantalon par-là,

des chapeaux, du maquillage dispersé à la va-vite sur un coin de table, et des


accessoires balancés négligemment un peu partout, sans organisation aucune.
Juliana, qui aimait au contraire qu’une pièce soit bien rangée, eut du mal à
rester calme et surtout, à se frayer un chemin dans tout ce bazar. Elle dut

lever les pieds plusieurs fois pour ne pas tomber. Mais ce qui la frappait
vraiment, au-delà du désordre, c’était une atmosphère étouffante. Ça lui
faisait l’effet d’entrer la tête la première dans un four et d’être
immédiatement prise à la gorge par cette ambiance. La même ambiance
tamisée que celle des bordels et des maisons closes. Une odeur d’intimité, de
sexe, de débauche. Et Juliana n’avait rien contre d’habitude, sauf que là, elle
savait qu’elle allait mettre la main sur quelque chose qui n’allait pas lui
plaire. Et comme pour lui montrer le chemin, elle baissa les yeux sur le sol,

sur lequel étaient dispersés des vêtements, formant une ligne directe vers une
salle, au fond. Sûrement une chambre, ou quelque chose du genre. Juliana
s’arrêta net. Elle hésita à aller plus loin. Avait-elle réellement envie de
surprendre son amant avec une autre femme ? Elle ne l’avait pas fait avec son
fiancé, pourquoi aujourd’hui serait-il différent ? Elle tourna les talons et alla
s’asseoir dans un coin. Non, il valait mieux attendre que monsieur termine sa
petite affaire. Qu’il profite de son plaisir : ça allait être son dernier avant un
petit bout de temps.
CHAPITRE 17 : Le poison

Timothée :

Il venait de terminer. Il laissa partir la jeune femme qu’il ne regarda

même pas. Il était toujours assis sur le lit et allait bientôt s’habiller, mais pas
tout de suite. Il avait besoin de temps. C’était marrant, parce qu’il n’avait pas
la force de se lever, pour le moment. La chose était certaine et il fallait qu’il
l’admette : ça ne s’était pas passé comme d’habitude. Il avait baisé, ça il
pouvait en être sûr, mais… il n’avait rien ressenti. La mine sombre et les
pensées embrouillées, il s’apprêtait à grimper sur le toit quand quelque chose
l’arrêta net. Une odeur toute particulière. Ça aurait clairement pu être celle de
sa honte, mais c’était plutôt celle d’un parfum, qu’il reconnaissait entre

mille : celui de Juliana. Il tourna les talons et décida d’ouvrir enfin la porte, la
cigarette encore coincée entre les dents. Il se retrouva face au visage sombre
et fermé de la jeune femme, qui l’aurait tué si elle avait pu, tant son regard
était dur.
« Alors, c’était bien ? »
« Ne commence pas avec tes remarques de mauvais goût. » Dit-il en
soupirant.
La jeune femme haussa les sourcils. Elle avait envie de lui hurler dessus mais
il lui restait un peu d’énergie qu’elle ne voulait pas gâcher, pas encore.

« Moi, de mauvais goût… ? Dis donc, ça te va bien de dire ça… » Dit-elle


doucement. « Non, ma question est tout à fait innocente. J’espère que tu as
passé du bon temps. »
« Je n’ai pas à te répondre. »

Juliana haussa doucement la tête, comme si elle comprenait et qu’elle


l’acceptait. Son silence intrigua le jeune homme qui se contenta de la
regarder.
« Je pensais que tu serais plus en colère. » Dit-il.

Juliana :

La jeune femme grinça des dents et éclata d’un rire jaune. Dans ses

yeux, elle vit qu’il comprit à ce moment-là que ce qu’elle ressentait était bel
et bien de la colère, mais une colère froide. La pire des réactions dans ce
genre de situation.
« Pourquoi serais-je en colère ? Ce n’est que la deuxième fois en très peu de
temps qu’un homme se fout de ma gueule, ce n’est rien de grave… »
Soupira-t-elle. « J’aurais dû savoir que je ne pouvais pas te faire confiance.
J’ai été aveugle. » Ajouta-t-elle en faisant mine de tourner les talons.
« Et tu aurais également dû savoir que tu ne pouvais pas me demander de
faire une promesse pareille. » Lança Timothée d’un ton ferme.

Il avança le bras vers elle comme pour la retenir, mais la jeune femme, piquée
au vif, se retourna vers lui et fit un geste brusque pour écarter tout centimètre
de sa peau de sa portée. Il était hors de question qu’elle soit entravée dans ses
mouvements, en plus d’être enfermée dans sa colère.

« Ce n’est quand même pas de ma faute si tu ne peux pas garder ta bite dans
ton caleçon, Tim. Tu ne peux pas me reprocher ton infidélité. Et ne t’avise
même pas de me toucher ! »
Sa voix s’élevait sans même qu’elle le réalise. Elle sentait que ses nerfs
allaient lâcher et elle ne pouvait rien y faire. Timothée leva les mains en signe
de capitulation qu’elle savait temporaire, et elle put reculer jusqu’à avoir le
dos contre le mur de la chambre. Un parfum y régnait, étranger, inconnu.
Sans doute celui de la jeune femme qui venait de partager son lit.

« C’est marrant que tu me fasses des reproches, mais que tu n’en fasses pas à
cette fille. » Dit-il soudain comme s’il lisait dans ses pensées.

Juliana rit de plus belle, mais sans joie aucune. À la place, elle
ressentait une sorte d’immense vide qui ne semblait pas avoir de fond ; et
quand elle pensait atteindre ce fond imaginaire, elle avait l’impression de
pouvoir creuser davantage.
« Je n’ai rien à reprocher à cette fille. Elle ne m’intéresse pas, et, si je peux
lui souhaiter une chose, c’est bien d’avoir passé la meilleure nuit de sa vie

avec le chanteur de ses rêves. Elle n’a rien à voir dans cette histoire et n’est
certainement pas coupable de ta propre connerie. »
« Ma connerie ? Mais bon sang, Juliana, on n’est même pas ensemble ! »
La jeune femme s’apprêta à répondre mais resta silencieuse. Elle comprenait

enfin la logique du jeune homme. Il croyait n’avoir rien fait de mal parce
qu’il se croyait libre, tandis qu’elle pensait au contraire qu’ils étaient
ensemble, ou du moins, sur le point de l’être.
« Tu crois sincèrement que je t’aurais dit toutes ces choses si je ne pensais
pas qu’on avait un avenir, tous les deux ? Tu crois pouvoir t’en sortir sur un
malentendu, sur un détail technique ? Et si tu te concentrais sur les faits qui te
concernent, plutôt ? Si tu te regardais dans le miroir, pour une fois ? »
Elle s’arrêta de parler quelques secondes et le regarda dans les yeux.

« Tu veux que je te parle dans ta langue, c’est ça ? Tu veux qu’on se batte à


armes égales ? Très bien. Tu ne verras donc pas d’inconvénients à ce que je
fasse ma vie, moi aussi. »
Elle tourna les talons et s’apprêtait à sortir quand Timothée reprit la parole.
« Et tu vas où, comme ça ? »
« Je ne vois pas en quoi ça te regarde. » Répondit-elle fermement avant de
claquer la porte.
CHAPITRE 18 : L’arroseur arrosé

Timothée :

« Tu sais que plus tu attends pour t’excuser, plus ça va être difficile de

le faire ? »
Cette phrase n’était pas prononcée par Jules – bien qu’il aurait tout à fait pu
en être l’auteur – mais par la propre conscience du chanteur et leader du
groupe. Il n’y avait rien d’étrange à ce que la petite voix dans sa tête
ressemble à celle de son bras droit : il lui faisait suffisamment souvent la
morale pour qu’il ait peu à peu déteint sur Timothée. D’autant plus que Jules
ne pouvait pas réellement prononcer cette phrase parce que pour le faire, il lui
faudrait être au courant de ce qui se tramait dans la tête de Timothée, en-

dessous de ses boucles brunes indisciplinées, et ça, il n’en avait aucune


chance. Le jeune homme gardait tout ça pour lui et avait tout bonnement
décidé de ne pas décocher un mot. Cela faisait maintenant quelques jours que
ça durait, mais heureusement pour lui, il n’avait pas vraiment l’occasion de se
morfondre. Les choses se précipitaient pour les Spacekids, et ils avaient du
pain sur la planche. Le succès était au rendez-vous, ils ne pouvaient que s’en
rendre compte soir après soir. Le patron du pub lui-même disait à qui voulait
bien l’entendre que son chiffre d’affaires n’avait jamais été aussi haut que
depuis que les Spacekids y donnaient leurs représentations. Cela faisait

effectivement bientôt deux mois que les cinq hommes criaient dans leurs
micros soir après soir et qu’ils jouaient de leurs instruments comme ils ne
l’avaient encore jamais fait auparavant. Et alors qu’ils pensaient tous arriver à
l’apogée de leur gloire aussi fulgurante qu’étourdissante, la production y mit

un terme avant qu’ils en aient assez. Pour cette dernière, c’était simple : les
ambitions du groupe ne devaient pas s’arrêter aux pubs de campagne. Jusque-
là, tout le monde était d’accord là-dessus.

Mais quand la production commença à parler de quitter la campagne


pour rejoindre la ville, Timothée grinça des dents. Il ne pouvait pas
logiquement s’opposer au départ, mais faisait inconsciemment tout son
possible pour le retarder.

« Je ne te comprends toujours pas. » Disait Jules. « Tu nous as mis la


pression pendant des années pour qu’on décolle enfin et qu’on ne pense qu’à
notre musique et maintenant qu’on approche enfin du but, tu te défiles… »
Et un bon matin, Jules revint devant Timothée, un sourire aux lèvres et un air
de parfaite satisfaction étalé sur le visage.
« Je sais pourquoi tu ne veux pas partir. Tu penses encore à Juliana, c’est
ça ? »
« Tu sais où elle est ? Elle ne voudra certainement plus me parler maintenant,
j’ai trop tardé pour m’excuser… mais si je pouvais au moins lui dire au

revoir… »
« Si je sais où elle est ? » Répéta Jules avec un petit rire. « Oui, mais je suis
certain que ça ne va pas te plaire. Enfin, je ne sais pas exactement où elle est,
tout ce que je sais, c’est que je l’ai vu boire un verre avec un type hier soir.

Elle avait l’air de bien s’entendre avec lui… »


« Et ça te fait rire ? » Demanda Timothée en se levant brusquement.
Il n’attendit pas la réponse. Il n’en avait pas besoin. Il fallait qu’il la retrouve,
qu’il fasse quelque chose, n’importe quoi qui puisse la retenir. La savoir avec
ce type, peu importait son identité, le rendit immédiatement fou de jalousie.
Sans réfléchir, il prit sa voiture et conduisit jusqu’au portail de la maison de
Pauline. Juliana lui avait donné cette adresse, et n’en sachant pas plus,
Timothée espérait vraiment qu’il s’agisse de la bonne…

Juliana :

La jeune femme sortit de la maison quand elle entendit la voix familière


de Timothée l’appeler désespérément. Elle ne s’attendait pas à le voir là,
debout sur le capot de sa voiture, essayant de voir quelque chose par-delà les
grands arbres qui encerclaient la maison. Elle prit un malin plaisir à venir le
voir tout doucement, les bras croisés sur sa poitrine, ses cheveux bruns
tombant sur ses épaules.

« Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Je sais bien qu’on n’a pas beaucoup de
voisins, mais si tu pouvais cesser d’hurler comme ça, ça m’arrangerait… »
« Je… Je… »
Timothée regarda tout autour de lui, puis au-dessus des épaules de Juliana,

comme s’il s’attendait à voir surgir quelqu’un d’autre. Juliana fronça les
sourcils.
« Je suis seule, si tu veux tout savoir. Pauline est partie pour la journée. »
« Ce n’est pas Pauline que j’attends. » Dit sombrement Timothée.
« Je sais. » Répondit Juliana d’un ton sec. « J’ai aperçu Jules, hier soir. Je
savais qu’il allait t’en parler. Il n’a décidément pas la langue dans sa
poche… »
« Et alors ? C’était bien ? » Demanda brusquement le chanteur, sur le même

ton sarcastique que Juliana quand elle lui avait posée elle-même la question.
Celle-ci préféra garder le silence. Elle n’avait rien fait avec cet homme. Elle
n’avait pas osé, même si elle avait eu en tête de se venger.
« Je suis désolé, Juliana. J’aurais dû te le dire plus tôt. Tu as raison depuis le
début. J’ai été lâche. J’aurais dû voir plus tôt que la seule personne avec qui
je veux être, à partir de maintenant, c’est toi. J’ai eu peur de te perdre… »
CHAPITRE 19 : Avant de partir

La jeune femme ne le laissa pas finir. Elle n’avait pas envie de


pleurer, chose qu’elle était sûre et certaine de faire si elle le laissait finir sa
déclaration. Elle se précipita sur le portail qu’elle ouvrit brusquement avant

de se jeter dans ses bras et de l’embrasser. Elle n’avait pas besoin de plus
d’explications : elle le pardonnait sur le champ. Ne restait que son propre
désir pour lui, pour cet homme, désir qu’elle avait su garder au plus profond
de ses entrailles en attendant qu’il lui revienne. Elle posa sa main sur le torse
de Timothée tout en l’embrassant de toutes ses forces, avant de laisser cette
main parcourir le corps de l’homme plus au sud. Elle n’allait pas
s’embarrasser de manières. Elle lui murmura qu’elle avait envie de lui,
maintenant, tout de suite, qu’elle ne voulait même pas se trouver un coin

tranquille et que s’il le voulait aussi, il n’avait qu’à soulever sa petite jupe qui
lui cachait à peine les fesses, baisser sa culotte, et la prendre directement. Ce
n’était même pas s’il le voulait : c’était s’il osait. Et une chose fut certaine :
en entendant ces paroles, Timothée resserra ses doigts autour de la taille de
Juliana, plongea sa tête dans son cou et l’embrassa si intensément que la
jeune femme en eut le vertige. Une explosion de sensations plus pures et plus
brutales les unes que les autres se succédèrent dans son organisme. De toute
évidence, il allait relever le défi. Pour preuve ultime, Juliana put sentir sous
ses doigts, très distinctement, la forme de l’érection à laquelle il était en

proie, sous la matière rigide de son jean. Elle pressa ses doigts contre cette
forme, l’enserrant très clairement. Timothée soupira brutalement avant de
passer à l’action. De toute évidence il ne pouvait se retenir plus longtemps. Il
la souleva de terre et la fit asseoir sur le capot de sa voiture, large, stable, et

passa ses mains sous le t-shirt clair de la jeune femme. Il retrouva avec plaisir
la poitrine libre et généreuse de Juliana qui gémit longuement en sentant ses
mains fraîches sur sa peau.

Elle posa ses mains sur la taille de l’homme et ouvrit rapidement son
pantalon. Ils n’avaient pas de temps à perdre. Le désir était une chose aussi
volatile que puissante ; s’ils n’en profitaient pas maintenant ils allaient
manquer une occasion de se faire du bien. Et le plaisir n’attendait pas, ils en

étaient certains. La chose était la suivante : ils n’avaient même pas besoin de
préliminaires. La jeune femme estima néanmoins qu’elle avait le droit à un
plaisir avant le bouquet final. Elle écarta les cuisses, agrippa le poignet de son
amant et plaça sa main sur sa vulve qui brillait presque au soleil. La chaleur
apportée par ce dernier se mariait à merveille à la fraîcheur de ses doigts. Elle
rejeta sa tête en arrière, ses bras tendus derrière elle pour soutenir son buste,
et ferma les yeux, faisant le plein de vitamine D tandis que Timothée
retrouvait le chemin du plaisir. Il savait qu’entre ces cuisses se trouvait un
trésor qui n’attendait qu’à être déniché, et que c’était son rôle de le

débusquer. Il pressa ses doigts contre la vulve et imprima quelques va-et-


vient contre la peau fine qui frémissait à son contact. Juliana ressentit des
dizaines de petits frissons qui prirent possession de son être et la laissèrent
quémandeuse. Rien n’était jamais assez pour elle. Quand Timothée mit enfin

la main sur son clitoris, elle saisit de nouveau son poignet pour le guider
encore et encore, lui indiquant le geste précis pour que la jouissance soit à la
clé. Incapable de rester oisive, Juliana allongea soudain son bras et agrippa le
sexe de Timothée, qui sortait presque tout seul de sa prison de tissu. Elle fit
de son mieux pour le caresser et le contenter, mais elle dut s’avouer vaincue,
progressivement, par les assauts de son amant qui lui, était bien plus doué
pour masturber quelqu’un d’autre. Sans attendre, elle se débarrassa de son
haut qui collait à son dos, recouvert d’une fine couche de sueur. Elle se

rallongea complètement sur le capot, ignorant la chaleur de ce dernier,


chaleur presque insupportable qui lui brûlait le dos. Elle avait dans l’idée que
c’était mieux ainsi, qu’elle n’allait de toute manière pas pouvoir supporter les
coups de reins de Timothée en restant assise.

Timothée avait beaucoup de mal à résister à l’appel du plaisir. Il


ferma les yeux, se mordit légèrement la lèvre et soupira avant de les rouvrir.
Non, il n’allait pas y résister. Il allait au contraire y succomber. Il s’avança
près de la jeune femme, grimpa rapidement sur le capot et la pénétra d’un

coup sec. Juliana gémit tellement fort qu’elle se sentit hypocrite de lui avoir
demandé de ne pas hurler pour ne pas alerter les voisins. Désormais, elle
n’avait que faire de la possibilité d’être surprise en train de faire l’amour sur
une voiture en plein soleil. Elle n’avait pas honte. Elle passa ses mains autour

de Timothée et le laissa donner des coups de reins bien ordonnés et puissants,


de plus en plus rapidement. Elle plongea sa tête dans son cou et crispa ses
doigts sur son clitoris qu’elle frottait maintenant de toutes ses forces. Elle se
tordit dans tous les sens en sentant le plaisir naître et se propager dans tout
son organisme. L’orgasme n’était pas loin. Elle tremblait désormais. Elle
avait d’autant plus l’impression que ses organes vibraient en rythme. Le
parfum de son amant l’enivrait complètement. Elle avait envie de jouir si fort,
elle sentait que cette jouissance allait être mémorable. Elle frissonna une

nouvelle fois et sentit qu’elle était dans la dernière ligne droite : ce n’était
plus qu’une question de secondes. Son cœur battait la chamade, les gouttes de
sueur perlaient sur la pointe de ses seins et sa poitrine était haletante. Sa main
redoubla d’efforts quand elle sentit la jouissance arriver en trombe, comme
une immense vague s’écrasant sur la plage, et cria de toutes ses forces,
complètement libérée, soulevant légèrement ses fesses pour que son corps
épouse parfaitement celui de Timothée. Elle jouit le plus fort possible,
comme une folle. Elle aurait pu mourir à ce moment précis, et n’aurait pas
demandé son reste.

La question de partir en tournée se posa finalement. Le producteur,


après avoir laissé gracieusement un délai de quelques jours supplémentaire
aux Spacekids, revint à la charge plus tôt que prévu pour leur dire que le petit
caprice avait assez duré et qu’il fallait partir parce que le temps, sans blague,

c’était de l’argent. Au matin du grand départ, Juliana et Timothée


partageaient encore le même lit, celui de la jeune femme chez Pauline. Le lit
était petit, pour une seule personne mais ils s’en étaient accommodés.
« Tu vas vraiment partir, alors ? » Murmura Juliana en caressant les
joues rugueuses de l’homme aux airs angéliques.
« Je n’ai pas vraiment le choix, tu sais… » Répondit-il doucement en
enroulant les mèches brunes de Juliana autour de ses doigts. « C’est ce que
j’attends depuis toujours. »

La jeune femme hocha la tête. Elle le comprenait parfaitement. Ils


s’étaient tous les deux mis d’accord sur le fait qu’ils ne partiront pas
ensemble. Ils ne sont pas tristes, même si secrètement, Timothée aimerait
qu’elle parte avec lui. Elle se leva pour s’habiller en le prévenant qu’il devait
faire de même, qu’il allait être en retard, le bus était déjà là, et Jules
klaxonnait à plusieurs reprises. Timothée regarda son amante se rhabiller, en
pénombre et lumière. Il fallait qu’il agisse vite. Qu’il ne la laisse pas refiler
entre ses doigts une nouvelle fois. Il fit ses affaires en silence et cria à Jules
par la fenêtre de lui donner encore deux secondes, qu’il n’y avait pas mort

d’homme et lui demanda d’arrêter de klaxonner, rapport aux fameux voisins


qui pouvaient les entendre. Le cœur battant, désormais au bord des lèvres, il
l’interpela sans réfléchir.
« Et si tu venais avec moi ? »

Le temps que la jeune femme prit pour répondre lui fit tourner la tête.

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