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SPIRITUELLE
1 — Nous avons utilisé l’édition suivante : t. 1, Paris, Oudin, 1887. Une édition plus ré-
cente est disponible : Mgr Louis-Charles GAY, Les Mystères du saint rosaire, t. 2 : Les mystères
douloureux, Éditions du Paraclet, 2009.
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Exposition du mystère
Notre-Seigneur est arrêté et conduit chez Anne, puis chez Caïphe, où il
confesse hautement sa divinité. Mené dans une salle basse, il est livré aux
soldats et aux valets qui le maltraitent pendant toute la nuit. C’est alors
qu’a lieu le reniement de saint Pierre.
Au petit matin, le sanhédrin se réunit une deuxième fois pour une séan-
ce plus « légale ».
Matinée qui n’a pas été pour vous, ô Juifs, un lever mais un coucher de soleil.
La nuit a envahi votre esprit, … ce jour a changé vos fêtes en deuil éternel 1.
Puis ils le conduisent à Pilate pour ratifier la sentence. Troublé, hésitant,
divisé en lui-même, Pilate cherche des expédients.
Il commence par le faire conduire chez Hérode, qui le renvoie après
s’être moqué de lui et l’avoir revêtu d’une robe blanche par dérision (la
robe blanche – candida en latin – est une allusion aux candidats au consulat).
Puis c’est la scène de Barabbas : en souvenir de la délivrance des pre-
miers-nés épargnés par l’ange exterminateur, et du salut des Juifs qui
sortirent de la captivité en cette nuit (de Pâques), on délivrait un prison-
nier. Barabbas nous représente tous : il est libéré parce que Jésus est
condamné.
Les Juifs s’étaient écriés qu’ils voulaient voir Pilate leur délivrer, pour la Pâ-
que, non point Jésus, mais Barabbas, le larron ; non point le Sauveur, mais un
meurtrier ; non point le distributeur de la vie, mais celui qui l’avait enlevée à au-
trui.
« Alors Pilate saisit Jésus et le flagella. » En cela, l’unique dessein de Pilate
était, sans doute, d’assouvir la rage des Juifs par le spectacle de ses tourments,
de les forcer ainsi à se déclarer satisfaits, et de les amener à ne point pousser la
cruauté jusqu’à le faire mourir 2.
– « Je vais donc le châtier et je le relâcherai ».
– « Pourquoi voulez-vous le châtier s’il est innocent ? »
– « C’est que la justice est difficile… il faut savoir être sage, prudent…
d’ailleurs vous commencez à être mes maîtres. »
Ce compromis eut le sort de tous les compromis : il ne fit qu’exciter la
soif de sang dont les Juifs étaient dévorés. Ce fait nous montre le mal du
libéralisme, ce balancement entre la vérité et l’erreur dans une perpétuelle
hésitation. Si Pilate avait cédé dès le début, il aurait au moins épargné à
Jésus ces tortures supplémentaires.
Ceux qui n’ont pas le courage de leurs obligations, Dieu fera qu’il en vien-
dront à l’iniquité positive 1.
« Alors Pilate fit prendre Jésus et le fit flageller » (Jn 19, 1).
La flagellation eut lieu dans la place située à l’extérieur du prétoire.
Nous ne sommes donc plus à l’intérieur du prétoire, là où les Juifs ne
voulurent pas rentrer, ni même dans la cour intérieure où aura lieu tout à
l’heure le couronnement d’épines, mais sur un emplacement public. Il est
tout à fait vraisemblable que la sainte Vierge a assisté au supplice de son
Fils.
Ce dernier fut dépouillé de ses vêtements. Ce fait est confirmé par le
saint suaire qui présente des blessures sur tout le corps. Pensons à la
confusion que dut éprouver Notre-Seigneur à être dénudé ainsi en présen-
ce de tous ces regards indiscrets et impudiques. Tout à l’heure, sur la croix,
son corps meurtri n’aura presque plus l’apparence de celui d’un homme et
sera comme revêtu de ses plaies et de la pourpre de son sang. Maintenant,
sa chair apparaît dans sa beauté virginale et est flagellée par les regards
moqueurs et impudents :
Ils m’ont considéré de près, ils m’ont examiné 2.
Ils ont ouvert la bouche à mon sujet en disant : C’est bien, c’est bien, nos
yeux ont vu 3.
Job dit que ses ennemis le regardent avec des yeux terribles (terribilibus
oculis) qui le percent comme des flèches (Jb 16, 10).
Pour vous, mon Dieu, j’ai soutenu l’opprobre et ma face toute entière a été
couverte de confusion 4.
Notre-Seigneur a voulu supporter cette confusion pour expier la nudité
dans laquelle nous met le péché. C’est ainsi qu’Adam, après son péché, a
senti le besoin de se couvrir. Le péché nous prive de la grâce qui habille
notre âme et nous met dans un état de déshonneur et de péril, comme un
homme privé de vêtements. La nudité du péché est le prélude du dévête-
ment suprême de la damnation.
Puis il fut attaché par les mains à un anneau d’une colonne.
Cette colonne – au moins une partie – est conservée à l’église Sainte-
Praxède, à Rome. Elle mesure environ 60 cm de haut, mais saint Jérôme l’a
vue surmonté d’une colonne plus haute.
Notre-Seigneur fut donc attaché à une colonne, les mains fixées au-
dessus de la tête (car sur le saint suaire il n’y a pas de trace sur les avant-
bras, bien visibles, et, de plus, c’était probablement la coutume). C’est la
veut dire les pharisiens et la foule qu’ils entraînent). Moi naguère si opulent, me
voici tout d’un coup atterré et brisé... Il m’a posé devant lui comme une cible ;
ses traits aigus m’ont percé de toutes parts ; il a couvert mes reins de blessures,
me traitant sans pitié… Il m’a fait plaies sur plaies, se précipitant contre moi
avec l’énergie d’un géant... Et j’ai souffert tout cela sans que mes mains eussent
commis le mal, pendant même que mon âme envoyait à Dieu les prières les plus
pures » (Jb 16, 10-18). Et ailleurs, en David : « Les pécheurs ont frappé sur mon
dos comme le forgeron sur l’enclume ; ils l’ont tout entier labouré comme le la-
boureur qui creuse et prolonge son sillon » (Ps 128, 3). C’est donc maintenant
comme jamais qu’il était « blessé et brisé pour nos crimes » (Is 53, 3). C’était
maintenant qu’il commençait de n’avoir plus figure humaine, et paraissait un
vrai lépreux que Dieu avait maudit (Is 2, 5). Les taches de cette lèpre, c’étaient
les plaies profondes, les déchirures affreuses et laissant voir les os ; c’étaient les
chairs en lambeaux et pendantes, le sang jaillissant et dégouttant de partout.
Quel état ! Mais surtout, quelles souffrances 1 !
La douleur causée par chaque coup était atroce.
Je sais un missionnaire, continue Mgr Gay, qui fut condamné à vingt coups
de rotin. Il a raconté qu’au dixième, il en était venu à cet excès où la douleur
n’est plus humainement supportable, où dès lors, si l’on ne meurt pas, on de-
mande grâce, fût-ce en apostasiant. Sentant ses forces défaillir, il poussa vers
Dieu l’un de ces cris suprêmes auxquels il ne résiste jamais. Ce cri voulait dire :
« Vous le voyez, je suis à bout : si vous ne venez à moi, je cède et je suis per-
du. » Dieu vint : que fit-il en son serviteur ? Je l’ignore : mais le missionnaire a
raconté que continuant à recevoir les dix derniers coups, il ne sentit plus rien,
entra dans une sorte de transport intérieur où il goûtait de vraies délices, et enfin
sortit de là sain de corps et l’âme divinement comblée. Dix coups, c’était l’excès
pour notre athlète: vous, ô Jésus, vous en avez reçu des milliers ; et, loin que vo-
tre divinité vous rendît insensible, elle n’opérait en vous que pour vous donner
la force de tout sentir et de tout endurer 2.
L’intérieur du mystère
Il ne faut pas seulement regarder extérieurement la scène sanglante, il
faut tâcher de contempler l’intérieur de l’âme de Notre-Seigneur, de parta-
ger les sentiments de son cœur, de nous représenter sa sérénité, les yeux de
son âme ouverts sur son Père.
Il voyait comment Dieu trouvait dans sa douceur, dans sa patience,
dans son amour, une compensation suffisante à ce monde de révolte et
1 — Mgr GAY, Entretiens sur les mystères du saint rosaire, t. 1, H. Oudin, Paris, 1887,
p. 399-400
2 — Mgr GAY, Entretiens sur les mystères du saint rosaire, p. 400-401.
Le fruit du mystère
Si Dieu a voulu faire des prophéties spéciales de ce mystère, si la sainte
Vierge l’a choisi pour faire partie des mystères du rosaire, c’est qu’il a une
utilité particulière pour nous : il peut nous inspirer l’horreur du péché.
Le péché a pour conséquence d’émousser notre conscience.
Le pécheur devient semblable à des animaux sans intelligence 2.
Nous le voyons aujourd’hui où l’homme est prêt à justifier tous les cri-
mes : l’avortement, l’assassinat des personnes âgées, l’homosexualité, etc.
Notre-Seigneur veut nous réveiller de notre torpeur, nous donner
l’horreur du péché, mais spécialement des fautes qu’il est venu expier par
ce supplice, les péchés de sensualité que nous commettons avec notre
corps. La créature de Dieu, faite à son image, lavée dans son sang, est
capable de descendre jusqu’au plus bas-fond de l’abîme.
La chair adorée, profanée par l’homme est relevée et sanctifiée par le
Fils de Dieu. Jésus mis à nu, fouetté, nous guérit du péché immonde, nous
excite aussi à fuir toute immodestie, dans les vêtements, dans les attitudes,
dans les regards, dans les paroles, à éviter toute sensualité qui trouble la
limpidité du cœur, toute mollesse qui nous rend incapable de porter une
arme et nous prépare toutes les trahisons.
6 – Réglez votre sommeil, évitant en ceci toute lâcheté, toute mollesse, sur-
tout le matin. Fixez-vous une heure, si vous le pouvez, pour le coucher et le le-
ver et tenez-vous-y énergiquement.
7 – En général, ne prenez du repos que dans la mesure du nécessaire ; livrez-
vous généreusement au travail, n’y épargnez pas votre peine. Prenez garde
d’exténuer votre corps, mais gardez-vous de le flatter ; dès que vous le sentez
tant soit peu disposé à trancher du maître, aussitôt traitez-le en esclave.
8 – Si vous ressentez quelque légère indisposition, évitez d’être à charge aux
autres par votre mauvaise humeur ; laissez à vos frères le soin de vous plaindre ;
pour vous, soyez patient et muet comme le divin agneau qui a véritablement
porté toutes nos langueurs. […]
10 – Recevez docilement, supportez humblement, patiemment, persévéram-
ment, la mortification pénible qu’on nomme la maladie.
Mortification des sens
1 – Fermez vos yeux avant tout et toujours à tout spectacle dangereux, et
même, ayez-en le courage, à tout spectacle vain et inutile. Voyez sans regarder ;
n’envisagez personne pour en discerner la beauté ou la laideur.
2 – Tenez vos oreilles fermées aux propos flatteurs, aux louanges, aux séduc-
tions, aux mauvais conseils, aux médisances, aux railleries blessantes, aux in-
discrétions, à la critique malveillante, aux soupçons communiqués, à toute paro-
le pouvant causer entre deux âmes le plus petit refroidissement. […]
4 – En ce qui concerne la qualité des aliments, ayez grand respect pour le
conseil de Notre-Seigneur : « Mangez ce que l’on vous sert. » « Manger ce qui
est bon sans s’y complaire, ce qui est mauvais sans en témoigner de l’aversion,
et se montrer aussi indifférent en l’un qu’en l’autre, voilà, dit saint François de
Sales, la vraie mortification. »
5 – Offrez à Dieu vos repas, imposez-vous à table une petite privation ; par
exemple : refusez-vous un grain de sel, un verre de vin, une friandise, etc. ; vos
convives ne s’en apercevront pas, mais Dieu en tiendra compte. […]
9 – Supportez tout ce qui afflige naturellement la chair ; spécialement le froid
de l’hiver, la chaleur de l’été, la dureté du coucher et toutes les incommodités du
même genre. Faites bon visage à tous les temps, souriez à toutes les températu-
res. Dites avec le prophète : « Froid, chaud, pluie, bénissez le Seigneur. » Heu-
reux si nous pouvions arriver à dire de bon cœur cette parole qui était familière
à saint François de Sales : « Je ne suis jamais mieux que quand je ne suis pas
bien. » […]
Conclusion
En général, sachez refuser à la nature ce qu’elle vous demande sans besoin.
Sachez lui faire donner ce qu’elle vous refuse sans raison. Vos progrès dans
la vertu, dit l’auteur de L’Imitation de Jésus-Christ, seront proportionnés à la
violence que vous saurez vous faire.
« Il faut mourir, disait le saint évêque de Genève, il faut mourir afin que Dieu
vive en nous : car il est impossible d’arriver à l’union de l’âme avec Dieu par
une autre voie que par la mortification. Ces paroles “il faut mourir” sont dures,
mais elles seront suivies d’une grande douceur, parce qu’on ne meurt à soi-
même qu’afin d’être uni à Dieu par cette mort. »
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Plût à Dieu que nous fussions en droit de nous appliquer ces belles paroles de
saint Paul aux Corinthiens : « En toutes choses nous souffrons la tribulation.
Nous portons toujours et partout dans notre corps la mort de Jésus afin que la
vie de Jésus soit manifestée aussi dans nos corps » (2 Co 4, 10).
Ajoutons à cela que ce mystère nous pousse non seulement à nous mor-
tifier nous-même, mais encore nous encourage à supporter les épreuves
que Dieu nous envoie dans sa Providence si sage.
Car nous devons aussi être flagellés par Dieu : il y a dans la vie humai-
ne des épreuves où il est facile de reconnaître la main de Dieu. Nous de-
vons y voir une preuve que Dieu nous traite en père : « Ceux que j’aime, je
les accuse et je les corrige » (Ap 3, 19).
Il y a là une preuve que Dieu veut nous maintenir dans l’alliance qu’il a
contractée avec nous. Annonçant l’alliance qu’il voulait contracter avec les
hommes par son Fils, il assurait que les péchés des hommes n’auraient
plus le pouvoir de briser cette alliance : mais que « si les hommes pé-
chaient, Dieu les visiterait avec la verge, mais ne romprait pas pour cela
son alliance » (Ps 88, 31-35).
Dieu met sa miséricorde, non seulement à nous appeler, mais encore à nous
frapper, à nous châtier. Que sa main paternelle soit donc sur toi, et si tu es un
bon fils, ne rejette point la discipline. […] Pour toi, si tu comprends bien la
promesse de ton Père, ne crains point d’être châtié, mais d’être exclu de
l’héritage. […] Un fils pécheur refuserait-il d’être châtié quand il voit flageller
le Fils unique et sans péché 1 ?
✵
Que le Cœur Immaculé de Marie nous donne d’être courageux pour vi-
vre ces paroles de saint Paul :
Nous serons glorifiés avec le Christ, si avec lui nous souffrons (Rm 8, 7).
Portez dans vos corps la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus soit
aussi manifestée dans vos corps (2 Co 4, 10).
Si vous mortifiez par l’esprit les faits et gestes de la chair, vous vivrez (Rm 8,
13).
Et encore cette parole qui s’applique aux pénitences que Dieu nous en-
voie :
Tout fils que Dieu reçoit, il le flagelle (He 12, 6).
Cette dernière parole n’est-elle pas absolue, puisque le Fils de Dieu par
nature n’en a pas été exempté ?