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VIE

SPIRITUELLE

« Cherchez en lisant et vous trouverez en méditant ; appelez


en priant et on vous ouvrira par la contemplation. »

Saint JEAN DE LA CROIX.


Maxime 209.
La flagellation
Le deuxième mystère douloureux

par le frère Pierre-Marie O.P.

Nous continuons la publication des sermons sur les mystères du


rosaire. Les mystères joyeux ont paru dans Le Sel de la terre 64 (prin-
temps 2008 : l’annonciation), 65 (été 2008 : la visitation), 67 (hiver
2008-2009 : la nativité), 71 (hiver 2009-2010 : la présentation au
Temple) et 73 (été 2010 : la perte et le recouvrement de Jésus au
Temple). Voici le deuxième mystère douloureux mystères doulou-
reux, après l’agonie au Jardin des oliviers présentée dans Le Sel de la
terre 74.
Ce commentaire est notamment inspiré de l’ouvrage de Mgr
Louis-Charles GAY, Entretiens sur les mystères du saint rosaire 1.
Le Sel de la terre.

L’ AMOUR DE DIEU CHERCHANT LE NÔTRE est le fond de la


vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Partout il le montre, mais
spécialement dans sa passion.
Dans le rosaire, la sainte Vierge a choisi les épisodes de la passion qui
montrent le mieux la charité de Dieu pour nous, afin de toucher notre
cœur et obtenir de nous la réciprocité.
Le fruit de ce mystère est la lutte contre le péché, et spécialement celui
des sens.

1 — Nous avons utilisé l’édition suivante : t. 1, Paris, Oudin, 1887. Une édition plus ré-
cente est disponible : Mgr Louis-Charles GAY, Les Mystères du saint rosaire, t. 2 : Les mystères
douloureux, Éditions du Paraclet, 2009.
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Exposition du mystère
Notre-Seigneur est arrêté et conduit chez Anne, puis chez Caïphe, où il
confesse hautement sa divinité. Mené dans une salle basse, il est livré aux
soldats et aux valets qui le maltraitent pendant toute la nuit. C’est alors
qu’a lieu le reniement de saint Pierre.
Au petit matin, le sanhédrin se réunit une deuxième fois pour une séan-
ce plus « légale ».
Matinée qui n’a pas été pour vous, ô Juifs, un lever mais un coucher de soleil.
La nuit a envahi votre esprit, … ce jour a changé vos fêtes en deuil éternel 1.
Puis ils le conduisent à Pilate pour ratifier la sentence. Troublé, hésitant,
divisé en lui-même, Pilate cherche des expédients.
Il commence par le faire conduire chez Hérode, qui le renvoie après
s’être moqué de lui et l’avoir revêtu d’une robe blanche par dérision (la
robe blanche – candida en latin – est une allusion aux candidats au consulat).
Puis c’est la scène de Barabbas : en souvenir de la délivrance des pre-
miers-nés épargnés par l’ange exterminateur, et du salut des Juifs qui
sortirent de la captivité en cette nuit (de Pâques), on délivrait un prison-
nier. Barabbas nous représente tous : il est libéré parce que Jésus est
condamné.
Les Juifs s’étaient écriés qu’ils voulaient voir Pilate leur délivrer, pour la Pâ-
que, non point Jésus, mais Barabbas, le larron ; non point le Sauveur, mais un
meurtrier ; non point le distributeur de la vie, mais celui qui l’avait enlevée à au-
trui.
« Alors Pilate saisit Jésus et le flagella. » En cela, l’unique dessein de Pilate
était, sans doute, d’assouvir la rage des Juifs par le spectacle de ses tourments,
de les forcer ainsi à se déclarer satisfaits, et de les amener à ne point pousser la
cruauté jusqu’à le faire mourir 2.
– « Je vais donc le châtier et je le relâcherai ».
– « Pourquoi voulez-vous le châtier s’il est innocent ? »
– « C’est que la justice est difficile… il faut savoir être sage, prudent…
d’ailleurs vous commencez à être mes maîtres. »
Ce compromis eut le sort de tous les compromis : il ne fit qu’exciter la
soif de sang dont les Juifs étaient dévorés. Ce fait nous montre le mal du
libéralisme, ce balancement entre la vérité et l’erreur dans une perpétuelle
hésitation. Si Pilate avait cédé dès le début, il aurait au moins épargné à
Jésus ces tortures supplémentaires.

1 — Saint LÉON LE GRAND, 3e Sermon sur la Passion (vers la fin).


2 — Saint AUGUSTIN, Commentaire sur l’Évangile de saint Jean, Tr 116, Œuvres complètes
traduites sous la direction de M. Poujoulat et de M. l’abbé Raulx, t. 11, Bar-Le-Duc, 1864,
p. 128.

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Ceux qui n’ont pas le courage de leurs obligations, Dieu fera qu’il en vien-
dront à l’iniquité positive 1.
« Alors Pilate fit prendre Jésus et le fit flageller » (Jn 19, 1).
La flagellation eut lieu dans la place située à l’extérieur du prétoire.
Nous ne sommes donc plus à l’intérieur du prétoire, là où les Juifs ne
voulurent pas rentrer, ni même dans la cour intérieure où aura lieu tout à
l’heure le couronnement d’épines, mais sur un emplacement public. Il est
tout à fait vraisemblable que la sainte Vierge a assisté au supplice de son
Fils.
Ce dernier fut dépouillé de ses vêtements. Ce fait est confirmé par le
saint suaire qui présente des blessures sur tout le corps. Pensons à la
confusion que dut éprouver Notre-Seigneur à être dénudé ainsi en présen-
ce de tous ces regards indiscrets et impudiques. Tout à l’heure, sur la croix,
son corps meurtri n’aura presque plus l’apparence de celui d’un homme et
sera comme revêtu de ses plaies et de la pourpre de son sang. Maintenant,
sa chair apparaît dans sa beauté virginale et est flagellée par les regards
moqueurs et impudents :
Ils m’ont considéré de près, ils m’ont examiné 2.
Ils ont ouvert la bouche à mon sujet en disant : C’est bien, c’est bien, nos
yeux ont vu 3.
Job dit que ses ennemis le regardent avec des yeux terribles (terribilibus
oculis) qui le percent comme des flèches (Jb 16, 10).
Pour vous, mon Dieu, j’ai soutenu l’opprobre et ma face toute entière a été
couverte de confusion 4.
Notre-Seigneur a voulu supporter cette confusion pour expier la nudité
dans laquelle nous met le péché. C’est ainsi qu’Adam, après son péché, a
senti le besoin de se couvrir. Le péché nous prive de la grâce qui habille
notre âme et nous met dans un état de déshonneur et de péril, comme un
homme privé de vêtements. La nudité du péché est le prélude du dévête-
ment suprême de la damnation.
Puis il fut attaché par les mains à un anneau d’une colonne.
Cette colonne – au moins une partie – est conservée à l’église Sainte-
Praxède, à Rome. Elle mesure environ 60 cm de haut, mais saint Jérôme l’a
vue surmonté d’une colonne plus haute.
Notre-Seigneur fut donc attaché à une colonne, les mains fixées au-
dessus de la tête (car sur le saint suaire il n’y a pas de trace sur les avant-
bras, bien visibles, et, de plus, c’était probablement la coutume). C’est la

1 — Ps 124, 5 : Declinantes in obligationes, adducet Dominus cum operantibus iniquitatem.


2 — Ps 21, 18 : Ipsi vero consideraverunt me et inspexerunt me.
3 — Ps 34, 21 : Et dilataverunt super me os suum, dixerunt : euge, euge, viderunt oculi nostri.
4 — Ps 68, 8 : Propter te sustinui opprobrium, confusio operuit faciem meam ; c’est la prière
du juste persécuté.
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meilleure façon d’immobiliser le condamné, qui ne repose que sur la


pointe des pieds.
Je suis prêt à recevoir le fouet 1.
Je serai flagellé tout aujourd’hui, mais, cette terrible correction, je l’ai subie
dans la matinée 2.
Le docteur Barbet nous décrit le supplice :
Quel était l’instrument de la flagellation ? La fustigation [réservée aux hom-
mes libres] se faisait avec les verges du licteur ; [mais] la flagellation [que l’on
infligeait aux esclaves] nécessitait le « flagrum », instrument spécifiquement
romain. Il se composait d’un manche court, sur lequel étaient fixées plusieurs
lanières épaisses et longues, généralement au nombre de deux. A quelque dis-
tance de leur extrémité libre, étaient insérées des balles de plomb ou des os de
moutons, des « tali », comme ceux qui servent à jouer aux osselets ; ce sont des
astragales de pied de mouton.
Les lanières coupaient plus ou moins la peau et les balles ou les osselets im-
primaient en elle de profondes plaies contuses. D’où une hémorragie non négli-
geable et un affaissement considérable de la résistance vitale. […]
Les traces s’en trouvent à foison sur le Linceul. Elles sont réparties sur tout le
corps, des épaules au bas des jambes. […] On en trouve aussi de très nombreu-
ses sur la poitrine.
Il faut ajouter que seuls ont marqué, les coups qui ont produit une excoriation
ou une plaie contuse. Tous ceux qui n’ont provoqué qu’une ecchymose n’ont
pas laissé de trace sur le Linceul. J’en ai compté, en tout, plus de 100, peut-être
120, Cela fait donc, s’il y avait deux lanières, près de 60 coups, sans compter
ceux qui n’ont pas marqué.
Toutes les plaies ont la même forme, celle d’une petite haltère de 3 centimè-
tres. Les deux cercles représentent les balles de plomb ; la tige intermédiaire est
la trace de la lanière.
Elles sont presque toutes disposées par paires de deux plaies parallèles, ce qui
me fait supposer deux lanières à chaque flagrum. Leur direction est nettement
orientée en éventail, ayant comme centre la main d’un des bourreaux. Elles sont
obliques en haut sur le thorax, horizontales sur les reins, obliques en bas sur les
membres inférieurs. A ce niveau, on voit sur l’image antérieure de longues stries
obliques (comme les plaies en haltère postérieures), qui ne peuvent être produi-
tes que par l’extrémité des lanières. Ayant frappé de leurs balles les mollets, el-
les ont contourné le bord externe de la jambe et cinglé la face antérieure avec
leurs pointes. […]
Enfin, les bourreaux devaient être au nombre de deux. On pourrait presque
supputer qu’ils n’étaient pas de même taille, l’obliquité des coups n’étant pas la
même des deux côtés.

1 — Ps 37, 18 : Ego in flagella paratus sum.


2 — Ps 72, 14 : Et fui flagellatus tota die, et castigatio mea in matutinis ; description du bon-
heur de l’impie.

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Les peintres se contentent, au maximum, de vagues écorchures informes. En


est-il un qui aurait pu imaginer et réaliser tous ces détails minutieux 1 ?
Les bourreaux frappent avec violence, animés au-dedans par les dé-
mons, au-dehors par les cris de la foule. Le Psaume 21 parle de troupeaux
de veaux qui assaillent le Messie, de taureaux qui l’attaquent, de lions qui
le menacent.
Ce n’était pas là un supplice régulier (comme la question ou le châti-
ment pour une sentence jugée), et donc les bourreaux avaient toute liberté
de frapper comme ils le voulaient.
Le livre de la Sagesse met ces propos dans la bouche des impies qui per-
sécutent le juste : « Interrogeons-le par les outrages et les tourments afin
que nous fassions l’épreuve de sa vertu » (Sg 2, 19). On peut dire que Satan
mit Notre-Seigneur à la question pour éprouver sa vertu, savoir qui il était,
comme il fit pour Job.
Les fouets emportent des lambeaux de chair, bientôt Notre-Seigneur
n’est plus qu’une plaie vivante. Il devait être affligé « depuis la plante des
pieds jusqu’à la tête » avait prédit le prophète (Is 1, 6 : a planta pedis usque
ad verticem), et Job l’avait préfiguré dans son corps entièrement couvert
d’ulcères.
Il est frappé jusqu’aux os, réalisant la prophétie qui disait : « Ils ont pu
compter tous mes os » (Ps 21, 18 : dinumeraverunt omnia ossa mea).
Pourquoi Notre-Seigneur a-t-il voulu tant souffrir, alors que la moindre
de ses souffrances avait un prix infini, étant la souffrance du Fils de Dieu,
offerte avec une charité infinie ? Saint Thomas d’Aquin donne la réponse :
Notre-Seigneur n’a pas voulu délivrer le genre humain par puissance,
mais encore par justice.
Le Christ a voulu délivrer le genre humain du péché, non seulement par sa
puissance, mais encore par sa justice. C’est ainsi qu’il a tenu compte, non seu-
lement de la puissance que sa douleur tirait de l’union à, sa divinité, mais aussi
de l’importance qu’elle aurait selon la nature humaine, pour procurer une si to-
tale satisfaction 2.
On peut aussi dire que Notre-Seigneur a assumé volontairement ses
souffrances pour libérer l’homme, il en a donc pris le plus possible.
Ce qui n’est ni moins certain, ni moins effrayant à regarder, ce sont les Écri-
tures nous révélant le détail et comme l’intime de ce mystère. Écoutez le Ré-
dempteur divin s’écriant par la bouche de Job : « Ils ont ouvert la bouche pour
m’accabler de reproches. Comme s’ils en eussent eu faim, ils se sont repus de
mes peines. Dieu m’a mis, sans que j’y pusse échapper, au pouvoir de l’homme
inique (vous entendez que c’est Pilate) ; il m’a livré aux mains des impies (il
e
1 — BARBET docteur Pierre, La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien, 14 éd., Paris,
Médiaspaul, 1990, p. 75, 124-125.
2 — III, q. 46, a. 6, ad 6.
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veut dire les pharisiens et la foule qu’ils entraînent). Moi naguère si opulent, me
voici tout d’un coup atterré et brisé... Il m’a posé devant lui comme une cible ;
ses traits aigus m’ont percé de toutes parts ; il a couvert mes reins de blessures,
me traitant sans pitié… Il m’a fait plaies sur plaies, se précipitant contre moi
avec l’énergie d’un géant... Et j’ai souffert tout cela sans que mes mains eussent
commis le mal, pendant même que mon âme envoyait à Dieu les prières les plus
pures » (Jb 16, 10-18). Et ailleurs, en David : « Les pécheurs ont frappé sur mon
dos comme le forgeron sur l’enclume ; ils l’ont tout entier labouré comme le la-
boureur qui creuse et prolonge son sillon » (Ps 128, 3). C’est donc maintenant
comme jamais qu’il était « blessé et brisé pour nos crimes » (Is 53, 3). C’était
maintenant qu’il commençait de n’avoir plus figure humaine, et paraissait un
vrai lépreux que Dieu avait maudit (Is 2, 5). Les taches de cette lèpre, c’étaient
les plaies profondes, les déchirures affreuses et laissant voir les os ; c’étaient les
chairs en lambeaux et pendantes, le sang jaillissant et dégouttant de partout.
Quel état ! Mais surtout, quelles souffrances 1 !
La douleur causée par chaque coup était atroce.
Je sais un missionnaire, continue Mgr Gay, qui fut condamné à vingt coups
de rotin. Il a raconté qu’au dixième, il en était venu à cet excès où la douleur
n’est plus humainement supportable, où dès lors, si l’on ne meurt pas, on de-
mande grâce, fût-ce en apostasiant. Sentant ses forces défaillir, il poussa vers
Dieu l’un de ces cris suprêmes auxquels il ne résiste jamais. Ce cri voulait dire :
« Vous le voyez, je suis à bout : si vous ne venez à moi, je cède et je suis per-
du. » Dieu vint : que fit-il en son serviteur ? Je l’ignore : mais le missionnaire a
raconté que continuant à recevoir les dix derniers coups, il ne sentit plus rien,
entra dans une sorte de transport intérieur où il goûtait de vraies délices, et enfin
sortit de là sain de corps et l’âme divinement comblée. Dix coups, c’était l’excès
pour notre athlète: vous, ô Jésus, vous en avez reçu des milliers ; et, loin que vo-
tre divinité vous rendît insensible, elle n’opérait en vous que pour vous donner
la force de tout sentir et de tout endurer 2.

L’intérieur du mystère
Il ne faut pas seulement regarder extérieurement la scène sanglante, il
faut tâcher de contempler l’intérieur de l’âme de Notre-Seigneur, de parta-
ger les sentiments de son cœur, de nous représenter sa sérénité, les yeux de
son âme ouverts sur son Père.
Il voyait comment Dieu trouvait dans sa douceur, dans sa patience,
dans son amour, une compensation suffisante à ce monde de révolte et

1 — Mgr GAY, Entretiens sur les mystères du saint rosaire, t. 1, H. Oudin, Paris, 1887,
p. 399-400
2 — Mgr GAY, Entretiens sur les mystères du saint rosaire, p. 400-401.

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d’impiété qui constitue le péché du genre humain. La charité, la pureté, la


sainteté de cette victime noyée dans la souffrance absorbait le mal.
On peut voir une figure de ce mystère dans le rocher frappé dans le dé-
sert par Moïse, d’où jaillit une source abondante d’eau.
Notre-Seigneur embrassait de son amour toutes les âmes, il se réjouis-
sait intérieurement de voir le bien que cela procurerait à ses amis comme à
ses ennemis.
Vous avez déchiré le corps qui m’enveloppe, et en même temps vous avez
répandu la joie autour de moi 1.
La sainte Vierge contemplait cette scène. Elle en souffrait, certes, elle
compatissait, mais surtout elle adorait son Fils nous sauvant par de tels
moyens. Elle communiait à tous les états de son Fils, et elle le faisait au
nom de l’Église tout entière. Elle buvait avec lui le calice de ses tourments
pour les offrir en sacrifice.
Sa force, sa douceur, sa paix, sa patience surpassent nos conceptions,
comme sa douleur grande comme la mer.

Le fruit du mystère
Si Dieu a voulu faire des prophéties spéciales de ce mystère, si la sainte
Vierge l’a choisi pour faire partie des mystères du rosaire, c’est qu’il a une
utilité particulière pour nous : il peut nous inspirer l’horreur du péché.
Le péché a pour conséquence d’émousser notre conscience.
Le pécheur devient semblable à des animaux sans intelligence 2.
Nous le voyons aujourd’hui où l’homme est prêt à justifier tous les cri-
mes : l’avortement, l’assassinat des personnes âgées, l’homosexualité, etc.
Notre-Seigneur veut nous réveiller de notre torpeur, nous donner
l’horreur du péché, mais spécialement des fautes qu’il est venu expier par
ce supplice, les péchés de sensualité que nous commettons avec notre
corps. La créature de Dieu, faite à son image, lavée dans son sang, est
capable de descendre jusqu’au plus bas-fond de l’abîme.
La chair adorée, profanée par l’homme est relevée et sanctifiée par le
Fils de Dieu. Jésus mis à nu, fouetté, nous guérit du péché immonde, nous
excite aussi à fuir toute immodestie, dans les vêtements, dans les attitudes,
dans les regards, dans les paroles, à éviter toute sensualité qui trouble la
limpidité du cœur, toute mollesse qui nous rend incapable de porter une
arme et nous prépare toutes les trahisons.

1 — Ps 29, 12 : Conscidisti saccum meum et circumdedisti lætitiam.


2 — Ps 48, 13 : Comparatus est jumentis insipientibus et similis factus est illis..
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Aurons-nous encore le cœur de pécher dans notre chair, lorsque nous


considérons que chacun de nos péchés est un coup de fouet infligé à Jé-
sus ?
Aurons-nous encore le cœur de vivre dans la mollesse, la recherche du
plaisir, l’immortification, quand nous regardons le cœur de Jésus prêt à
souffrir encore plus si cela pouvait nous être utile pour nous guérir ?
Non seulement, ce mystère nous pousse à fuir le péché, mais encore il
nous incite à faire pénitence, à mortifier notre chair. Dans le premier mys-
tère douloureux, nous avons vu la nécessité de la contrition intérieure : ici,
Notre-Seigneur nous enseigne la nécessité de la pénitence extérieure.

Si l’on cherche des conseils pratiques, on peut en trouver dans la belle


plaquette du cardinal Mercier sur La Mortification chrétienne 1 :
La mortification chrétienne a pour but de neutraliser les influences malignes
que le péché originel exerce encore dans nos âmes, même après que le baptême
les ait régénérées.
Notre régénération dans le Christ, tout en annulant complètement le péché en
nous, nous laisse cependant fort loin de la rectitude et de la paix originelles. Le
concile de Trente reconnaît que la concupiscence, c’est-à-dire la triple convoiti-
se de la chair, des yeux et de l’orgueil, se fait sentir en nous, même après le bap-
tême, afin de nous exciter aux glorieuses luttes de la vie chrétienne. C’est cette
triple convoitise que l’Écriture appelle tantôt le vieil homme, opposé à l’homme
nouveau qui est Jésus vivant en nous et nous-mêmes vivant en Jésus, tantôt la
chair ou la nature déchue opposée à l’esprit ou à la nature régénérée par la grâce
surnaturelle. C’est ce vieil homme ou cette chair, c’est-à-dire l’homme tout en-
tier avec sa double vie morale et physique, qu’il faut, je ne dis pas anéantir, car
c’est chose impossible tant que dure la vie présente, mais mortifier, c’est-à-dire
réduire pratiquement à l’impuissance, à l’inertie et à la stérilité d’un mort ; il
faut l’empêcher de donner son fruit qui est le péché, et annuler son action dans
toute notre vie morale.
Mortification du corps
1 – Bornez-vous, autant que possible, en fait d’aliments, au simple nécessai-
re. Méditez ces paroles que saint Augustin adressait à Dieu : « Vous m’avez en-
seigné, ô mon Dieu, à ne prendre les aliments que comme des remèdes. Eh !
Seigneur, qui est celui d’entre nous qui ne passe parfois ici la limite ? S’il en est
un, je déclare que cet homme est grand et qu’il doit grandement glorifier votre
nom. » (Confessions, livre X, ch. 31)
2 – Priez Dieu souvent, priez Dieu journellement d’empêcher par sa grâce
que vous ne franchissiez les bornes de la nécessité et que vous ne vous laissiez
aller à l’attrait du plaisir.
3 – Ne prenez rien entre les repas, à moins de nécessité ou de raisons de
convenance. […]

1 — Disponible aux éditions du Sel.

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6 – Réglez votre sommeil, évitant en ceci toute lâcheté, toute mollesse, sur-
tout le matin. Fixez-vous une heure, si vous le pouvez, pour le coucher et le le-
ver et tenez-vous-y énergiquement.
7 – En général, ne prenez du repos que dans la mesure du nécessaire ; livrez-
vous généreusement au travail, n’y épargnez pas votre peine. Prenez garde
d’exténuer votre corps, mais gardez-vous de le flatter ; dès que vous le sentez
tant soit peu disposé à trancher du maître, aussitôt traitez-le en esclave.
8 – Si vous ressentez quelque légère indisposition, évitez d’être à charge aux
autres par votre mauvaise humeur ; laissez à vos frères le soin de vous plaindre ;
pour vous, soyez patient et muet comme le divin agneau qui a véritablement
porté toutes nos langueurs. […]
10 – Recevez docilement, supportez humblement, patiemment, persévéram-
ment, la mortification pénible qu’on nomme la maladie.
Mortification des sens
1 – Fermez vos yeux avant tout et toujours à tout spectacle dangereux, et
même, ayez-en le courage, à tout spectacle vain et inutile. Voyez sans regarder ;
n’envisagez personne pour en discerner la beauté ou la laideur.
2 – Tenez vos oreilles fermées aux propos flatteurs, aux louanges, aux séduc-
tions, aux mauvais conseils, aux médisances, aux railleries blessantes, aux in-
discrétions, à la critique malveillante, aux soupçons communiqués, à toute paro-
le pouvant causer entre deux âmes le plus petit refroidissement. […]
4 – En ce qui concerne la qualité des aliments, ayez grand respect pour le
conseil de Notre-Seigneur : « Mangez ce que l’on vous sert. » « Manger ce qui
est bon sans s’y complaire, ce qui est mauvais sans en témoigner de l’aversion,
et se montrer aussi indifférent en l’un qu’en l’autre, voilà, dit saint François de
Sales, la vraie mortification. »
5 – Offrez à Dieu vos repas, imposez-vous à table une petite privation ; par
exemple : refusez-vous un grain de sel, un verre de vin, une friandise, etc. ; vos
convives ne s’en apercevront pas, mais Dieu en tiendra compte. […]
9 – Supportez tout ce qui afflige naturellement la chair ; spécialement le froid
de l’hiver, la chaleur de l’été, la dureté du coucher et toutes les incommodités du
même genre. Faites bon visage à tous les temps, souriez à toutes les températu-
res. Dites avec le prophète : « Froid, chaud, pluie, bénissez le Seigneur. » Heu-
reux si nous pouvions arriver à dire de bon cœur cette parole qui était familière
à saint François de Sales : « Je ne suis jamais mieux que quand je ne suis pas
bien. » […]
Conclusion
En général, sachez refuser à la nature ce qu’elle vous demande sans besoin.
Sachez lui faire donner ce qu’elle vous refuse sans raison. Vos progrès dans
la vertu, dit l’auteur de L’Imitation de Jésus-Christ, seront proportionnés à la
violence que vous saurez vous faire.
« Il faut mourir, disait le saint évêque de Genève, il faut mourir afin que Dieu
vive en nous : car il est impossible d’arriver à l’union de l’âme avec Dieu par
une autre voie que par la mortification. Ces paroles “il faut mourir” sont dures,
mais elles seront suivies d’une grande douceur, parce qu’on ne meurt à soi-
même qu’afin d’être uni à Dieu par cette mort. »
L A F L A G E L L A T I O N 131

Plût à Dieu que nous fussions en droit de nous appliquer ces belles paroles de
saint Paul aux Corinthiens : « En toutes choses nous souffrons la tribulation.
Nous portons toujours et partout dans notre corps la mort de Jésus afin que la
vie de Jésus soit manifestée aussi dans nos corps » (2 Co 4, 10).
Ajoutons à cela que ce mystère nous pousse non seulement à nous mor-
tifier nous-même, mais encore nous encourage à supporter les épreuves
que Dieu nous envoie dans sa Providence si sage.
Car nous devons aussi être flagellés par Dieu : il y a dans la vie humai-
ne des épreuves où il est facile de reconnaître la main de Dieu. Nous de-
vons y voir une preuve que Dieu nous traite en père : « Ceux que j’aime, je
les accuse et je les corrige » (Ap 3, 19).
Il y a là une preuve que Dieu veut nous maintenir dans l’alliance qu’il a
contractée avec nous. Annonçant l’alliance qu’il voulait contracter avec les
hommes par son Fils, il assurait que les péchés des hommes n’auraient
plus le pouvoir de briser cette alliance : mais que « si les hommes pé-
chaient, Dieu les visiterait avec la verge, mais ne romprait pas pour cela
son alliance » (Ps 88, 31-35).
Dieu met sa miséricorde, non seulement à nous appeler, mais encore à nous
frapper, à nous châtier. Que sa main paternelle soit donc sur toi, et si tu es un
bon fils, ne rejette point la discipline. […] Pour toi, si tu comprends bien la
promesse de ton Père, ne crains point d’être châtié, mais d’être exclu de
l’héritage. […] Un fils pécheur refuserait-il d’être châtié quand il voit flageller
le Fils unique et sans péché 1 ?


Que le Cœur Immaculé de Marie nous donne d’être courageux pour vi-
vre ces paroles de saint Paul :
Nous serons glorifiés avec le Christ, si avec lui nous souffrons (Rm 8, 7).
Portez dans vos corps la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus soit
aussi manifestée dans vos corps (2 Co 4, 10).
Si vous mortifiez par l’esprit les faits et gestes de la chair, vous vivrez (Rm 8,
13).
Et encore cette parole qui s’applique aux pénitences que Dieu nous en-
voie :
Tout fils que Dieu reçoit, il le flagelle (He 12, 6).
Cette dernière parole n’est-elle pas absolue, puisque le Fils de Dieu par
nature n’en a pas été exempté ?

1 — Saint AUGUSTIN, Deuxième Discours sur le psaume 88, v. 31.

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132 V I E S P I R I T U E L L E

Que le Cœur Immaculé de Marie nous fasse goûter la manne cachée de


ce mystère, à savoir comment la participation aux souffrances du Christ est
pour nous une communion intime à son mystère, et qu’elle nous prépare à
communier à ses joies, car toute souffrance ici-bas supportée pour l’amour
de Dieu possède un poids de gloire incommensurable.
Mon fils, ne rejette pas, ne néglige pas la discipline à laquelle le Seigneur te
soumet, et ne te fatigue point lorsqu’il te réprimande (Pr 3, 11) […] Demeurez
sous cette discipline ; Dieu s’offre à vous comme à des fils et vous traite comme
tels, car quel est l’enfant qui ne soit pas repris et corrigé par son père ? Si vous
êtes en dehors de ce régime d’éducation auquel ont été soumis tous les membres
de la famille, vous êtes donc des bâtards et non des enfants légitimes. Lorsque
nos pères selon la chair nous instruisaient et nous formaient, nous leur étions
respectueusement dociles ; n’obéirons-nous pas mieux encore à ce Père des es-
prits qui nous élève pour la vie éternelle ? Nos pères humains faisaient notre
éducation à leur gré en vue d’une existence fragile et courte ; mais Dieu, notre
Père céleste, ne nous exerce et ne nous châtie qu’autant que cela est utile pour
nous rendre capables de participer à sa sainteté. Il est vrai, toute correction sem-
ble présentement n’être qu’un sujet de tristesse et non de joie ; mais ensuite, elle
fait recueillir dans une inaltérable paix les fruits de la justice à ceux qui l’ont
subie et acceptée. Relevez donc vos mains languissantes et vos genoux qui
plient, et marchez d’un pied ferme dans la voie droite que Dieu vous ouvre (He
12, 5-11).

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