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Le Monstre, Raymond Moretti

J'ai eu la chance de voir cette gigantesque sculpture protéiforme et oublié lors d’une
exposition dans les souterrains de La Défense, connaissant le lieu par cœur (de par mon
amour de l’exploration urbaine) je m’y suis caché puis discrètement rajouté à un des petits
groupes de visiteurs qui avait eu la douteuse chance d’avoir des billets.
Je précise toutes ces informations car je crois fermement que la manière dont on atteint une
œuvre lui rajoute quelque chose que l’artiste, et que même personne, n’aurait jamais pu
prévoir.
Ainsi, à la fin de l’exposition, nous arrivons face à une curieuse porte de fer gravé d’un
symbole inconnu. Durant mes précédentes explorations je ne m’étais jamais attardé sur ce
passage, le considérant comme l'accès à une ancienne cage d’ascenseur.
Pourtant la porte se révéla vite être la gardienne de l’ancien atelier de Raymond Moretti, mort
maintenant depuis plusieurs dizaines d’années.
Nous arrivons alors sur une mezzanine donnant sur un tel enchevêtrement de matières,
formes, couleurs, dessins et ombres qu’un silence général fut spontané chez les visiteurs.
La bête qui s’élevait dans cette pièce démesurée semblait être le fils illégitime d’une forêt
calciné et d’un cauchemar d’enfant. Le temps d’un flash je cru apercevoir le Minotaure lui-
même, régnant désormais sur les souterrains de la Défense, dernière création dantesque de
Dédale.
Au mur avait été peint l’ombre de ce monstre endormi depuis différentes sources lumineuses,
révélant la multitude de profils diaboliques que celui-ci incarnait en fonction de l’orientation
du visiteur. Tantôt il semblait être la carcasse décharnée d’un prédateur préhistorique,
d’autres fois une structure dont la complexité ne semblait pas d’ordre humain.
Découvrir ce Cerbère terrien terré dans une pièce monumentale devant laquelle j’étais passé
de nombreuses fois sans me douter de rien, me sidéra.
Comme la statue s’était déployé sur les murs, elle était devenue intransportable, obligeant La
Défense à la laisser enfouie sous ses tours inhumaines et grisâtres dont le Monstre semblait
être la graine ou une larve grandissant lentement dans les fondations-racines de cette triste
forêt sans feuilles.
Suite à cette expérience et à une - quasiment équivalente - dans un supermarché abandonné
du nord de Paris devenu musée illégal du street art, je conclus que se “battre”, s’investir pour
atteindre une œuvre, ouvre une trappe inconnue de la sensibilité humaine. Une trappe à la
gamme de sentiments, unique et particulièrement puissante, et ce singulièrement quand
tomber sur l’œuvre n’est même pas prévu.
Caché dans un souterrain parisien j’ai, par exemple, réalisé une sorte de “chapelle” dédiée
aux photos de familles et aux souvenirs que j’avais récupérés dans les poubelles et
encombrants de notre capitale-oubli, un endroit fait pour être découvert, fait pour être la base
d’une légende urbaine. Car la réalité est trop prévisible pour ne pas être troublé.

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