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CHAPITRE 5
LA PRIÈRE, CHEMIN D’UNION À DIEU

Mon Dieu, donnez-moi d’avoir envie de vous prier


Charles Péguy

Avertissement : ce texte fait partie d’un cours sur l’expérience spirituelle, donné à L’Institut
La Pierre d’Angle à Bruxelles (Belgique), pour les professeurs de religion catholique dans le
secondaire. Je communique volontiers ce chapitre afin de donner un aperçu des questions que
nous traitons, en espérant que cela puisse nourrir d’autres initiatives ou simplement intéresser
le lecteur qui cherche des réponses à ses questions. Il ne s’agit pour le moment que d’un
brouillon, mais qui devrait faire partie d’une publication prochaine avec un ensemble d’autres
questions apparentées.
Introduction
Qui n’a jamais éprouvé la difficulté de prier ? Dans le cœur naît une résolution, celle
d’accorder un peu de temps à Dieu, puis, immédiatement, surgit une foule de préoccupations,
de pensées, de travaux urgents qui détournent aussitôt de la prière et finalement du fait que Dieu
compte avant toute chose.
Pourtant, l’expérience de la vie de prière est au cœur de la vie chrétienne. Elle est
indispensable à la vie théologale (vie de foi, d’espérance et de charité). Sans vie de prière,
comment parler de vie spirituelle, d’expérience de Dieu ? La prière nous rappelle que la foi est
affaire de pratique et pas seulement de pensée. La prière est le chemin par lequel l’homme s’unit
à Dieu par l’Esprit Saint, chemin par lequel l’âme est élevée à la vie divine, en accueillant le
salut dans le Christ. La prière donne le réconfort dans l’épreuve, mais aussi la force dans la
tentation, elle est demande et louange, intercession et pardon. C’est à l’école des priants de
l’AT, puis de Jésus et des saints, que le croyant apprend à prier Dieu avec confiance au cours
de sa vie. Il y a des manières diverses de prier Dieu, comme il y a diverses spiritualités. Toutes
ont en commun le désir de s’adresser à Dieu et de l’écouter dans un moment de relation
consciente. La prière n’est pas un témoignage ou une expérience de vie racontée aux autres, ni
non plus une forme de concentration sur soi ou sur un objet ou encore un être vivant du monde.
Elle ne se confond ni avec les sentiments que l’on éprouve, ou les pensées qui agitent l’esprit,
elle ne cherche pas Dieu dans le vide. Si le terme de la vie chrétienne n’est pas dans
l’obéissance, mais dans l’amour de Dieu, alors un « je » et un « tu » sont nécessaires dans la
prière.
Qu’est-ce que la prière ?
Au début de la première section du Catéchisme de l’Église Catholique (CEC), quelques
précisions nous sont apportées. Saint Jean Damascène affirme : « La prière est l’élévation de
l’âme vers Dieu ou la demande à Dieu des biens convenables »1. De son côté, sainte Thérèse

1
JEAN DAMASCÈNE, La foi orthodoxe 3,24. Cf. CEC n° 2559. Une autre traduction dit : « La prière est une élévation de l’intellect vers
Dieu ou la demande à Dieu de ce qui nous convient », cf. SC (68 [III,24]), p. 145. « Mais il [le Christ] s’approprie notre personnage, il façonne
2

de Lisieux dit : « Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le
ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie »2.
Présente dès l’AT, en particulier dans les psaumes, la prière a une longue histoire. Elle
trouve sa manifestation ultime dans la vie de l’Église qui prie dans le Christ. La doxologie
finale des prières eucharistiques, à laquelle le peuple tout entier répond « Amen », résume bien
la prière de l’Église, que l’évêque ou le prêtre expriment : « Par lui, avec lui et en lui, à toi,
Dieu le Père Tout-Puissant, dans l’unité du saint Esprit, tout honneur et toute gloire pour les
siècles des siècles ».
La prière dans l’Ancien Testament
Dans l’AT, Dieu, le premier, se révèle et se manifeste à un peuple qui ignore son existence.
Mais cette révélation de Lui-même se fait d’abord à des hommes, avec qui il noue des alliances
successives, comme Abraham et Moïse. En découvrant YHWH, ils découvrent à la fois un Dieu
unique (il n’y en a pas d’autre) et un Dieu présent, qui leur demande de l’écouter. Ainsi
commence Dt 6,4 : Shemaʿ Yisrā'ēl YHWH elohénou YHWH eḥāḏ (« Écoute Israël, le Seigneur
[est] notre Dieu, le Seigneur [est] un »). La prière commence donc le cœur qui écoute (cf. 1
Rois 3, 9), qui demande la Sagesse, la connaissance de Dieu.
Cette présence est tout à fait différente de la relation aux idoles « qui ont une bouche et ne
parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas » (Ps 113B, 5-6). Par
ailleurs, la prière aux idoles consiste surtout à « pouvoir enchaîner leur dieu par des recettes
magiques, par la seule force des formules et des noms ; le lien entre Yahvé et Israël est un lien
moral »3, qui respecte la liberté de l’orant, et ne prétend pas avoir de prise sur Dieu. Regardons
la prière de quelques grands priants de l’AT4.
La prière d’Abraham, prière de la foi
C’est avec Abraham que la prière à Dieu devient une réalité à part entière. Abraham
commence par entendre l’appel de Dieu à quitter son pays et sa parenté (cf. Gn 12,1). Il écoute
sa parole, il la perçoit dans son cœur. Il s’entretient avec le Seigneur. Puis, d’étape en étape,
reconnaissant que c’est Dieu qui le guide vers la terre promise, il lui construit des autels, comme
à Bethel, signes de sa reconnaissance, prémices de ces lieux de culte où les hommes offriront
un sacrifice à Dieu. Cependant, « La prière d’Abraham s’exprime d’abord par des actes »5. Dieu
lui promet une descendance, et Abraham y croit, sans pourtant la voir se réaliser tout de suite.
À plusieurs reprises, Abraham le rappellera au Seigneur, non sans douleur (cf. Gn 15,2-3). Déjà
se profile l’épreuve dans l’expérience de foi, l’apprentissage de la patience, du « temps
favorable » où Dieu exaucera (cf. Is 49,8 ; 2 Co 6,2). Ce Dieu mystérieux auquel il s’adresse se
révèlera alors à lui d’une façon toute particulière, en lui demandant l’hospitalité : c’est la

en lui notre être, il devient pour nous un modèle, il nous apprend à demander à Dieu, à nous tendre vers lui, à travers son intellect saint il nous
trace le chemin de la montée vers Dieu ». Ibid., p. 145.
2
THÉRÈSE DE LISIEUX, Œuvres complètes, (Manuscrit C, 25r). Voir aussi le CATÉCHISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE,
Paris/Ottawa/Namur, Bayard/Cerf/Mame/ Librairie Éditrice Vaticane/Fidélité, p. 523, juste avant le n°2559.
3
DEB, p. 1053.
4
CEC n°2568 à 2597.
5
CEC n° 2570.
3

fameuse scène du chêne de Mambré. Abraham accueille son hôte d’une façon royale et celui-
ci lui promet qu’il aura un fils l’année suivante (cf. Gn 18,1-15). Ce sera Isaac.
Mais, plus tard, Dieu semble vouloir reprendre à Abraham ce fils qu’il vient de lui donner.
Il le met à l’épreuve à nouveau (cf. Gn 22,1). Sans comprendre, porté uniquement par sa foi,
Abraham conduit son fils jusqu’à la montagne du sacrifice. Isaac demande à son père : « Où est
l’agneau pour l’holocauste ? » Abraham répond : "Dieu saura bien trouver l’agneau pour
l’holocauste, mon fils" » (Gn 22,7-8). Essayant de mettre en lumière l’espérance secrète qui
devait habiter le cœur d’Abraham, la lettre aux Hébreux dit ceci : « Car Dieu, pensait-il, est
capable même de ressusciter les morts » (He 11,19). Au moment de porter la main sur lui, un
ange l’écarte de ce dessein et rend alors les promesses de Dieu plus éclatantes encore. « Je sais
maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique ». L’épisode nous
montre à quel point Abraham, père des croyants, s’est laissé guider uniquement par sa foi (sa
raison l’aurait empêché d’accomplir le sacrifice malgré l’appel de Dieu à renoncer à ce qu’il a
de plus précieux). Mais ce sera sans cependant égaler ce que le Père demandera à son Fils : la
mort sur la croix : « Il n’a pas refusé son propre Fils, il l’a livré pour nous tous : comment
pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ? » (Rm 8,32). Le sacrifice vise toujours un bien
plus grand que ce qui est perdu.
L’épisode le plus saisissant de la prière d’Abraham est sans conteste celui où il intercède
pour Sodome6 : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le pécheur ? Peut-être y a-t-il
cinquante justes dans la ville ? Est-ce que tu ne pardonneras pas à cause des cinquante justes
qui sont dans la ville ? » (Gn 18,23-24). Et Dieu décide de pardonner s’il se trouve cinquante
justes. Mais Abraham se fait plus audacieux et demande : « pour quarante-cinq ? », puis
diminue encore. À chaque fois, Dieu cède un peu plus sur ses exigences. Puis, curieusement,
après le chiffre dix, le récit s’arrête : « Quand le Seigneur eut fini de s’entretenir avec Abraham,
il partit, et Abraham retourna chez lui » (Gn 18,33). Il semble que Dieu mette lui-même un
terme à l’entretien. La destruction de la ville est inéluctable. Quelques-uns seront cependant
sauvés : Loth, sa femme et ses deux filles. Quatre justes seulement. Sans doute ne s’est-il pas
trouvé dix justes pour éviter le fléau. Et Abraham n’a pas demandé le salut de la ville pour un
seul juste. Là encore, il faudra attendre que « les temps soient accomplis » : Dieu épargnera à
jamais l’humanité de la prolifération destructrice du péché, grâce à l’intercession de son Fils,
son unique, le seul juste, qui a donné sa vie pour les pécheurs.
La prière de Moïse, intercesseur et médiateur
Une des expériences spirituelles les plus décisives dans l’AT, est sans conteste la découverte
de Dieu faite par Moïse dans le buisson ardent (cf. Ex 3,1-10). La liturgie du Temple a gardé
mémoire de l’événement par la ménorah, le chandelier à sept branches, symbolisant le buisson
ardent. La liturgie eucharistique, qui prend racine dans la liturgie synagogale et du Temple fait
placer sur l’autel six cierges le dimanche, avec la croix au centre et sept quand l’Évêque (qui
symbolise la présence du Père) est présent.

6
Si Dieu condamne sévèrement les sodomites, Jésus a pourtant considéré qu’il existait un péché plus grand : celui de ne pas accueillir les
messagers de l’Évangile et d’écouter leurs paroles : « Si l’on ne vous accueille pas et si l’on n’écoute pas vos paroles, sortez de cette maison
ou de cette ville, et secouez la poussière de vos pieds. Amen, je vous le dis : au jour du Jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera
traité moins sévèrement que cette ville » (Mt 10,14-15). Voir aussi CEC n°s 2357 et 2358.
4

Moïse, qui mène son troupeau dans la montagne, découvre presque par hasard un spectacle
étrange : un buisson qui brûle sans se consumer. Il fait un détour pour voir cela de plus près. Et
Dieu voit qu’il a fait ce détour. C’est alors que Dieu prend l’initiative de lui parler et de l’appeler
par son nom. Il lui demande d’abord de se déchausser, car la terre où il se tient est une terre
sainte. Puis il se révèle comme Dieu : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu
d’Isaac, Dieu de Jacob » (Ex 3,6). Ensuite il lui manifeste ses intentions :

« Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre
spacieuse et fertile (…) Et maintenant, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple,
les fils d’Israël (Ex 3,8.10) ».

La réaction de Moïse ne se fait pas attendre : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et
pour faire sortir d’Égypte les fils d’Israël ? » (cf. Ex 3,11). Commence ainsi un long dialogue,
où Moïse fait part de ses objections et où Dieu ne cesse de vouloir le convaincre. Vient un
moment crucial : « "Ils vont me demander quel est son nom [à Dieu] ; que leur répondrai-je ?"
Dieu dit encore à Moïse : "je suis celui qui suis" » (Ex 3,14). Ainsi, dans la prière, Dieu révèle
qui il est, il dévoile son « identité » mystérieuse :

« Dieu est l’Être infini, transcendant, celui qui est : "Je suis Celui qui suis". Infini en son éternité, dépassant
donc le temps car il est au-dessus du temps ; infini dans ses perfections, par ses dimensions et par tout.
Infini dans lequel par conséquent, on ne peut pas trouver un ordre de croissance ; il n’y a pas de
développement car une croissance, un perfectionnement, supposerait qu’il n’était pas parfait dès le
principe »7.

Moïse sera donc cet envoyé de Dieu qui va conduire le peuple d’Israël vers la terre promise.
Cette libération, suivie d’une longue marche dans le désert, où Dieu donnera les tables de la
Loi sur le mont Sinaï, ne se fera pas sans heurts. Moïse, plus d’une fois, devra intervenir auprès
de Dieu pour qu’il prenne son peuple en pitié et lui pardonne ses révoltes et ses fautes. L’épisode
le plus grave est sans conteste celui du veau d’or. Autant il implore Dieu de prendre en pitié le
peuple qui lui appartient (qu’il veut effacer de la surface de la terre), autant il laisse éclater sa
colère face à celui-ci, le forçant même à boire l’eau souillée par l’idole détruite. Cette attitude
de Moïse vis-à-vis de Dieu est, à sa façon, bien exprimée par le psaume : « Dieu a décidé de les
détruire. C’est alors que Moïse, son élu, surgit sur la brèche, devant lui, pour empêcher que sa
fureur les extermine » (Ps 105,23). Les arguments de Moïse sont fondés sur la miséricorde
divine.

« Dieu est amour, Il est donc juste et fidèle ; Il ne peut se contredire, Il doit se souvenir de ses actions
merveilleuses, sa Gloire est en jeu, Il ne peut abandonner ce peuple qui porte son nom »8.

Moïse est véritablement un médiateur entre Dieu et les hommes, et annonce l’Unique
médiateur que sera le Christ. C’est encore Moïse qui intercèdera pour Israël lorsque Josué et les
guerriers israélites combattront les Amalécites. Lorsqu’il tient les mains levées pour prier, Israël
domine. Lorsqu’il baisse les bras, Israël recule (cf. Ex 17, 8-16). Finalement, Aaron et Hour
disposeront des pierres pour soutenir les bras de Moïse jusqu’au coucher du soleil, et Israël
vaincra. Dans cet épisode, l’Écriture nous montre aussi la force et la puissance de la prière,

7
MARIE-EUGÈNE DE l’ENFANT-JÉSUS, O.C.D., Au souffle de l’Esprit. Prière et action, Venasque, Éditions du Carmel, p. 44.
8
CEC, n° 2577.
5

capable d’empêcher la puissance du Mal d’engloutir les élus de Dieu. Cette prière fait penser à
la demande du Notre Père : « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal ».
Dans les rencontres entre Dieu et Moïse, une atmosphère d’amitié et de profondeur est
palpable : « Dieu parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami » (Ex 33,11).
Dieu dit même un jour à Aaron et à Myriam, qui avaient critiqué Moïse :

« Écoutez bien mes paroles : quand il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je me fais connaître à lui
dans une vision, je lui parle dans un songe. Il n’en est pas ainsi pour mon serviteur Moïse, à qui j’ai confié
toute ma maison, je lui parle directement [en hébreu : « bouche à bouche »], et non pas en énigmes ; ce
qu’il voit c’est l’image même du Seigneur (Ex 12,6-8) ».

Moïse se rend souvent à la tente de la Rencontre ou du Rendez-Vous. Une nuée mystérieuse,


à ce moment-là, repose à l’entrée de la tente (cf. Ex 33,9). Tous les fils d’Israël se lèvent lorsque
Moïse s’y rend. Moïse retire de ses colloques avec Dieu les instructions et les paroles que le
peuple doit recevoir. Un jour qu’il descendit du Sinaï, son visage devint rayonnant de lumière
(cf. Ex 34,35), au point qu’il dût se voiler la face. Moïse, épris de Dieu, désire même voir Dieu
face à face. Mais Dieu le lui interdit, car « nul ne peut voir la face de Dieu sans mourir » (Ex
33,20). Dieu cependant accède en partie à la requête de Moïse et se montre « de dos », en
passant devant lui (cf. Ex 33,23). La prière de Moïse annonce déjà la prière contemplative de
celui qui espère en Dieu afin d’être comblé de tous biens.
La prière d’Élie, prophète de la conversion
Élie est la figure même du prophète, toujours sur les routes, insaisissable (cf. 1 R 18,12).
Son nom signifie « Mon Dieu est YHWH ». Sa parole brûlait comme une torche (cf. Si 48,1)9.
Élie est considéré comme « le père des prophètes », « de la race de ceux qui cherchent Dieu,
qui poursuivent sa face »10. Le rôle des prophètes est non seulement de préparer le peuple de
Dieu aux épreuves présentes et à venir, mais aussi de rappeler les exigences de la Loi, qu’il ne
faut pas seulement écouter mais mettre en pratique. In fine, les prophètes annoncent le temps
où Dieu mettra sa loi dans le cœur des hommes (cf. Jr 31,33). Ils dénoncent, dans la pratique
cultuelle, l’hypocrisie, les faux-semblants, le ritualisme et appellent sans cesse à la conversion
du cœur, des pensées, de la vie. Les prophètes, par ce qu’ils dénoncent, sont souvent persécutés,
mais Dieu les protège et parle à travers leurs vies et les signes qu’ils accomplissent. C’est en
pensant à Élie que Jacques, dans son épître, écrit : « La supplication ardente du juste a beaucoup
de puissance » (Jc 5,6).
Au temps d’Élie, le peuple d’Israël pêche gravement contre le Seigneur en accueillant le
culte des dieux Baals, introduits à la cour du roi Achab par son épouse Jézabel. Il s’agit du
péché d’idolâtrie. Alors le peuple subit une période de sécheresse de trois ans (1 R 17,1s) afin
d’être incité au repentir. Élie, nourri d’abord par des corbeaux, est envoyé par Dieu auprès d’une
veuve païenne, à Sarepta. Là, il la nourrit ainsi que son fils. Lorsque ce dernier meurt, il le
ressuscite. La veuve finit par reconnaître qu’il est un homme de Dieu, et que celui-ci parle à

9
Le livre de l’AT intitulé Ecclésiatique (à ne pas confondre avec Ecclésiaste) ou encore Siracide, ou Le livre de Ben Sirac le Sage. Ce livre
est considéré comme deutérocanonique et ne figure donc pas dans le canon hébraïque ni dans les bibles protestantes (en général).
10
CEC n° 2582.
6

travers lui : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole
du Seigneur est véridique » (1 R 17,24).
Mais Élie est surtout connu pour avoir mis au défi les prêtres de Baal et d’Ashéra au mont
Carmel. C’est à sa prière que le feu descend du ciel pour embraser l’holocauste (un taureau) et
le bois trempé (1 R 18,38). C’est alors que le peuple d’Israël finit par reconnaître que seul
YHWH est Dieu. La sécheresse prend fin presque instantanément. Mais menacé par Jézabel,
Élie s’enfuit au désert et marche vers l’Horeb. Il subit le désespoir et la solitude des passionnés
de Dieu tout en oubliant les progrès accomplis. Il oublie la douceur et la patience de Dieu pour
qui « un jour est comme mille ans ».

« J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, Seigneur, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton
Alliance, renversé tes autels, et tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent
à prendre ma vie (1 R 19,10) ».

Élie découvre alors Dieu, non pas dans le tonnerre, le feu et les tremblements de terre, mais
dans « une brise légère ». Dieu demande à Élie de poursuivre la mission : oindre deux rois
(Israël et Syrie) et prendre pour disciple Élisée. Israël sera sauvé par un reste de sept mille
hommes : « tous les genoux qui n’auront pas fléchi devant Baal et toutes les bouches qui ne lui
auront pas donné de baiser ! » (1 R 19,18).
L’AT contient de nombreuses cantiques et prières. Songeons à la prière de David, à qui est
attribué le miserere (Ps 50), à celle d’Esther, de Tobit, de Samuel, d’Azarias et de ses frères et
de tant d’autres. Le livre des psaumes, dont nous reparlerons atteste de la vie orante d’Israël au
cours des fêtes et assemblées, des pèlerinages. Les psaumes sont une prière à la fois personnelle
et communautaire, en réponse à la parole de Dieu : « Le Psautier est le livre où la Parole de
Dieu devient prière de l’homme »11.
La prière dans le Nouveau Testament
La prière de Jésus au Père
« "Un jour, quelque part, Jésus priait. Quand il eut fini, un de ses disciples lui demanda : Seigneur apprends-
nous à prier" (Lc 11,1). N’est-ce pas d’abord en contemplant son Maître prier que le disciple du Christ
désire prier ? Il peut alors l’apprendre du Maître de la prière »12.

Plusieurs sources de première importance explicitent et résument la prière du Christ, mais


aussi ses enseignements à ce sujet13. C’est en voyant le Christ prier que les apôtres ont appris
eux-mêmes à prier. Bien plus, la prière de l’Église est une prière avec le Christ, et même en lui.
Mais quand et comment Jésus priait-il ?
L’Évangile de Luc nous apprend que Jésus faisait la lecture à la synagogue de Nazareth ; il
s’est donc inséré dans la prière du peuple d’Israël, en a utilisé les mots, ceux des Écritures (cf.
Lc 4,16). Mais dès son enfance, la prière de Jésus est une prière filiale, soucieuse de Dieu qu’il
appelle son Père : « Je me dois aux affaires de mon Père » (Lc 2,49). Au moment de son
baptême, et tandis que Jésus priait, le Père lui-même fait entendre sa voix, indiquant cette même

11
CEC, n° 2587.
12
CEC, n° 2601.
13
Dans le CEC, n° 2598 à 2616. Dans la Présentation générale de la Liturgie des Heures (PGLH), n° 3 et 4. Dans la Constitution dogmatique
sur la liturgie (Sacrosanctum Concilium : SC) du Concile Vatican II, n° 83. Nous suivrons le développement du CEC.
7

communion entre le Père et le Fils : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie »
(Lc 3,22). Une parole que nous retrouvons au moment de la Transfiguration (cf. Lc 9,28).
Avant de commencer sa vie publique, Jésus est poussé par l’Esprit dans le désert afin d’être
tenté par Satan. Sa prière repousse les tentations. L’épisode montre l’importance de la présence
de l’Esprit Saint dans la vie et la prière de Jésus. Jésus prie ainsi avant les moments décisifs de
sa mission, avant d’appeler les Douze, avant que Pierre le confesse comme « le Christ, le Messie
de Dieu » (Lc 9, 20), et afin que la foi de Pierre ne défaille pas (cf. Lc 22,32). Jésus se retire
souvent dans la solitude pour prier (cf. Lc 5,16), parfois dans la montagne, ou « dans des
endroits déserts » (cf. Lc 5,16). Il se lève de très bonne heure (cf. Mc 1,35), passe parfois la nuit
à prier (cf. Mt 14, 23.25), « depuis le soir jusqu’à la quatrième veille [l’aube] » (Lc 6,12). « Il
prononçait de même les bénédictions traditionnelles adressées à Dieu au moment des repas »14.
Jésus prie les psaumes avec ses apôtres (Mt 26,30 ; Mc 14,26) ; l’évangile de Jean en a retenu
le moment avant qu’il ne descendre au jardin de Gethsémani. À cet endroit même Jésus prie
encore avant d’entrer dans sa Passion : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ;
cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne » (Lc 22,42). Sur la croix, enfin,
Jésus exprimera plusieurs prières : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc
23,24), « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Mt 27,46 ; Mc 15,34) et « Père,
en tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23,46). Cette dernière prière est presque traditionnelle
face à la mort : on la retrouve dans les psaumes (Ps 30,6), chez Syméon d’une certaine manière
(cf. Lc 2,26-29), et chez Étienne, le premier diacre à subir le martyr (Ac 7,59).
Une relation trinitaire
Dans sa prière, Jésus porte toute l’humanité, en particulier ses disciples. La plupart du
temps, cette prière est secrète et personnelle, mais les Évangiles donnent quelques exemples où
Jésus prie devant ses disciples. Retenons trois moments en particulier, trois exemples de prières.
Une première prière nous est apportée par saint Luc et on la retrouve dans saint Matthieu.
Lorsque Jésus voit revenir ses disciples de mission, tout joyeux, qui lui disent : « Seigneur,
même les démons nous sont soumis en ton nom » (Lc 10, 17), il leur répond : « Je voyais Satan
tomber du ciel comme l’éclair ! » (Lc 10, 18). Peu après, « exultant de joie sous l’action de
l’Esprit Saint », il dit :

« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par
mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon
le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler (Lc 10, 21-22) ».

Jésus ne s’attarde pas sur le fait que ses disciples partagent quelque chose de sa puissance
contre les esprits mauvais, mais plutôt que le Père lui-même se révèle à ces « tout-petits ». En
associant la prière à la révélation, Jésus apprend à ses disciples à prier dans le Fils, afin de
découvrir quelle est la volonté de Dieu, et ultimement qui Il est dans sa relation au Christ : le
Père.
Une seconde prière est rapportée par saint Jean avant la résurrection de Lazare :

14
PGLH, p. 19.
8

On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : "Père, je te rends grâce parce que tu m’as
exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure,
afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé" (Jn 11, 41-42).

Cette prière, qui commence aussi par l’action de grâces, montre encore la confiance aimante
de Jésus pour son Père. Elle est adhésion à Lui, source de tout don, plus que demande crispée
sur le don lui-même. C’est toujours Dieu qui se donne dans ses dons. « Le Donateur est plus
précieux que le don accordé, il est le "Trésor", et c’est en lui qu’est le cœur de son Fils ; le don
est donné "par surcroît" (cf. Mt 16,21.33) »15. Si Jésus est toujours exaucé, c’est parce que :
« Le Père et moi nous sommes Un » (Jn 10,30).
Enfin, une troisième prière, plus longue cette fois, est encore rapportée par saint Jean, il
s’agit de la « prière sacerdotale » de Jésus (Jn 17). On l’appelle aussi la prière de l’Heure16.
Cette prière fait découvrir au chrétien le cœur sacerdotal de Jésus, le véritable Grand-Prêtre de
l’Alliance nouvelle et éternelle qui s’offre, au moment de sa Passion, dans son corps et son
sang, afin que l’humanité soit sauvée des conséquences mortelles du péché et soit réconciliée
avec le Père.

Dans cette prière Pascale, sacrificielle, tout est "récapitulé" en lui : Dieu et le monde, le Verbe et la chair,
la vie éternelle et le temps, l’amour qui se livre et le péché qui le trahit, les disciples présents et ceux qui
croiront en lui par leur parole, l’abaissement et la gloire. Elle est la prière de l’Unité 17.

Une dimension oblative


L’épître aux Hébreux explicitera cette dimension sacerdotale du Christ, qui fonde le
sacrement de l’Ordre de l’Église, qui fait de celle-ci l’unique Épouse de l’Époux (Ep 5,23-26),
afin de réunir toute l’humanité sous un seul Chef.

En Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons
donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à
nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché.
Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en
temps voulu, la grâce de son secours (He 4, 14-16).

En Jésus, il n’y a que « oui », que consentement au Père (cf. 2 Co 1, 19-20). Ce


consentement exprime son adhésion profonde et totale aux desseins du Père quand bien même
elle implique l’épreuve. Elle est l’expression ultime de la fidélité de Dieu à ses promesses
depuis toujours. En réponse, le chrétien est appelé à dire aussi un oui profond : c’est l’Amen à
la volonté de Dieu, comme nous l’avons relevé chez saint Paul. Cette obéissance de Jésus à la
volonté du Père transparaît de façon éminente au jardin de Gethsémani et trouve sa
correspondance au Fiat de Marie à l’ange Gabriel, et à travers elle, de toute l’Église prête à
accueillir le Christ dans toutes les joies et les peines de l’humanité. Elle n’est pas à confondre
avec la soumission de l’esclave, qui ne participe pas par sa volonté ou son intelligence aux
desseins de son Maître. L’obéissance du Christ est celle d’un fils, qui invite les siens à se
comporter comme des fils et des filles de Dieu à leur tour, puisqu’ils sont baptisés dans le Fils.
L’intelligence et la volonté du Fils ne constituent pas pour autant un obstacle à la volonté du

15
CEC, n° 2604.
16
CEC, n° 2749.
17
CEC, n° 2748.
9

Père, qui n’est pas, qui n’est ni froide ni inhumaine, ni arbitraire ou tyrannique. Ce mystère de
la volonté du Père, Paul l’a explicité :

C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence. Il nous
dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps
à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre (Ep 1, 7-10).

À la différence des sacrifices de l’Ancienne Alliance, où l’on offrait des animaux pour le
pardon des péchés, Jésus s’est offert lui-même et une fois pour toutes, abolissant le régime des
sacrifices pour celui de la miséricorde. Il obtient ainsi à l’humanité le pardon des péchés par
l’offrande de son corps et de son sang, ce que l’Église offre elle-même par le sacrement de
l’Eucharistie ainsi que celui de la Pénitence et de la Réconciliation qu’administrent les prêtres
et les évêques. Une fois encore, l’épître aux Hébreux exprime la prière sacerdotale et
sacrificielle de Jésus, lui qui assume devant le Père le péché de tous, afin que tous soient sauvés :

Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a
reçue de Dieu, qui lui a dit : "Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré", car il lui dit aussi dans un
autre psaume : "Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité". Pendant les jours de sa vie dans la
chair, il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le
sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses
souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause
du salut éternel, car Dieu l’a proclamé grand prêtre de l’ordre de Melkisédek (He 5,5-10).

En effet, c’est sur la croix que les dernières paroles de Jésus à son Père, expriment à la fois
le don de lui-même et sa prière, qui ne font plus qu’un, jusqu’à ce que, ayant tout pardonné (cf.
Lc 23,34), vivant dans sa chair le sentiment d’être, dans son humanité, abandonné de Dieu (cf.
Mt 27,46 ; Mc 15,34), il remet son esprit entre les mains du Père (cf. Lc 23,46). Jésus, n’est
plus alors qu’un grand Cri où, dit le CEC, tous les cris de l’humanité peuvent se retrouver,
toutes les demandes et intercessions, qu’il a par avance assumées. En ressuscitant son Fils, le
Père manifeste qu’il agrée sa demande, comme le dit le psaume. « Il m’a dit : "Tu es mon fils ;
moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande, et je te donne en héritage les nations, pour
domaine la terre tout entière" » (Ps 2, 7-8 ; cf. Ac 13,33). Enfin, « assis à la droite du Père », il
intercède sans cesse auprès du Père pour l’humanité et l’Église (cf. He 7,25).
Jésus exauce la prière
De nombreux épisodes montrent que Jésus exauce la prière de celui ou celle qui se tourne
vers lui avec foi. Quelques exemples : il guérit le lépreux (cf. Mc 1,40-41), il accède à la
demande de Jaïre pour sa fille et la ressuscite (cf. Mc 5,36 et sv.), il exauce la Cananéenne qui
prie aussi pour sa fille possédée par un démon (cf. Mc 7,29). Il guérit encore le serviteur du
centurion (cf. Mt 8,5-13). Il promet au bon larron de le faire entrer au paradis (cf. Lc 23,43). La
guérison de l’hémorroïsse montre qu’une force est sortie de Jésus sans qu’il sache à qui elle
était destinée (cf. Mc 5,28). Il guérit le paralytique sur la foi des porteurs (cf. Mc 2,1-12).
De nombreuses personnes se tournent auprès de Jésus pour lui demander des guérisons (cf.
Mt 4,24-25), comme à Capharnaüm où « la ville entière se pressait à la porte » (Mc 1,33). Jésus
est venu manifester la miséricorde du Père et exauce la prière. C’est parce qu’il sorti du Père,
qu’il peut guérir et sauver les hommes ; aucun être humain n’en est capable.
10

Jésus, maître de la prière


Comment prier ?
Jésus encourage ses disciples à prier et même le leur apprend, à leur demande. Il leur
enseigne tout d’abord l’importance d’une prière personnelle, qui ne soit pas une démonstration
publique, afin qu’elle soit surtout prière du cœur, authentique, ne quêtant pas l’approbation des
hommes, mais celle de Dieu : « Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée,
ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te
le rendra » (Mt 6,6). Une parole que les chrétiens méditent le Mercredi des cendres, afin que le
carême soit marqué par un sincère désir de conversion personnel dans la prière.
Dans l’évangile de Luc, Jésus insiste sur la nécessité de la prière (cf. Lc 18,1), son efficacité
(cf. Lc 11,9-10), sur le fait qu’il faut prier à temps et à contretemps sans craindre d’être importun
(cf. Lc 11,5-8). La prière du disciple doit être humble et non pas comme celle du publicain (cf.
Lc 18,9-14). Elle doit être vigilante afin de ne pas s’endormir dans la tristesse ou entrer en
tentation (cf. Lc 21,36), persévérante et confiante en la bonté de Dieu « qui sait ce dont vous
avez besoin » (cf. Lc 11,5-13 ; Mt 6,8). Ailleurs Jésus insiste sur le fait que la prière doit être
faite avec désintéressement, sans chercher à se faire valoir aux yeux des autres, y compris à ses
propres yeux (cf. Mt 6,5-8), elle doit donc être faite sans marchandage (cf. Jn 2,13-25), sans
rabâchage (cf. Mt 16,7 et déjà dans 1 R 18,26-29).
Jésus, en particulier enseigne à ses disciples le Notre Père, non sans que les disciples le lui
aient demandé : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris
à ses disciples » (Lc 11,1). L’Oraison dominicale (« la prière du Seigneur ») comme on
l’appelle parfois est « un résumé de tout l’Évangile »18. Elle est « au centre des Écritures », mais
elle est aussi « la prière de l’Église », ce qui apparaît tout spécialement dans la liturgie
eucharistique avant la communion, mais aussi dans la Liturgie des Heures et les autres
sacrements de l’initiation. On trouvera dans le CEC un abondant commentaire du Notre Père
(n°2759 à 2863). Saint Augustin la commente dans sa Lettre à Proba dont on retrouve des
extraits dans la Liturgie des Heures (t. IV).
Que demander ?
Comme nous le savons, la prière du Pater qu’enseigne Jésus comporte sept demandes qui
contiennent tout ce qu’il est bon de demander à Dieu. Il s’agit précisément des prières qu’Il
demande que nous lui adressions. Mais comment savoir si, indépendamment du Notre Père, ce
que l’on demande dans la prière est juste ? Saint Thomas d’Aquin donne une indication : il
s’agit de demander pour soi les choses nécessaires au salut de manière pieuse et persévérante19.
Il est donc évident qu’on ne demande pas à Dieu le pouvoir, la richesse, le bien-être, le succès
ou la gloire.
Pourquoi Thomas n’inclut-t-il pas la prière de demande pour les autres ? D’une part, celle-
ci peut devenir un cas d’intercession, ce qui est un peu différent. D’autre part Thomas souligne
que si l’on demande pour soi, c’est que le priant a a priori un cœur ouvert pour en recevoir la

18
TERTULLIEN, De la prière (De oratione) Or. 1., cf. CEC, n° 2761.
19
THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae, q. 83, a.15, ad 2 m.
11

grâce, ce qui n’est pas toujours certain quand on prie pour autrui. « Quand je prie pour autrui,
ma prière se heurte aux mêmes limites que l’amour de Dieu pour autrui : la liberté d’autrui »20.
Par ailleurs, s’il s’agit de demander les choses nécessaires au salut, c’est qu’il faut demander
ce que Dieu lui-même veut donner et communiquer : les vertus théologales que sont la foi
(« Seigneur augmente en nous la foi » demandent les apôtres ; Lc 17,5), l’espérance et la
charité ; les vertus morales (tempérance, force, prudence, justice) ; les dons du Saint-Esprit qui
perfectionne celles-ci ; et même les charismes et les ministères21 (1 Co 12,8-11 ; 28-31). Par-
dessus tout, même sur le lit de la mort, ou « entre le parapet et l’eau de la rivière » comme dirait
saint Jean-Marie Vianney, Dieu veut et peut communiquer la grâce du salut, de la vie éternelle,
à celui qui se repent de ses péchés du fond de son cœur et la lui demande.
La délivrance d’une infirmité par exemple n’est pas forcément nécessaire au salut, comme
nous l’apprenons de l’expérience de saint Paul à qui Dieu dit dans la prière : « Ma grâce te
suffit, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9).

L’Apôtre a montré qu’il ignorait, lui aussi, à quoi servent nos épreuves, car peut-être ne savait-il pas ce
qu’il devait demander pour prier comme il faut, lorsque lui fut infligée une écharde dans la chair, un envoyé
de Satan pour le gifler, afin de lui éviter tout orgueil dans ses révélations exceptionnelles. À cause de cela,
il a demandé trois fois au Seigneur d’écarter de lui cette épreuve : il ignorait évidemment ce qu’il fallait
demander pour prier comme il faut. Finalement, il entendit la réponse de Dieu expliquant pourquoi la prière
d’un tel homme n’obtenait pas de résultat, et pourquoi le résultat n’en aurait pas été avantageux : Ma grâce
te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.

C’est donc dans ces épreuves qui peuvent nous être soit utiles, soit nuisibles que nous ne savons pas ce que
nous devons demander pour prier comme il faut. Cependant, parce qu’elles sont dures, pénibles, contraires
au sentiment naturel de notre faiblesse, par un mouvement de volonté qui est commun à tous les hommes,
nous prions pour qu’elles soient écartées. Mais si Dieu ne le fait pas, nous devons lui être assez attachés
pour comprendre qu’il ne nous délaisse pas ; bien plus, nous devons espérer recevoir des biens plus grands
pour cette religieuse acceptation de nos maux. Car c’est ainsi que la puissance donne toute sa mesure dans
la faiblesse. […] De telles paroles ont été écrites pour ne tire pas vanité de ce qu’on a été exaucé : peut-être
avait-on demandé avec impatience quelque chose qu’il aurait mieux valu ne pas obtenir ? Et il ne faut pas
non plus se décourager et désespérer de la pitié divine si on n’est pas exaucé : car peut-être demandait-on
quelque chose dont la possession apporterait une épreuve plus cruelle, ou bien qui amènerait, avec la
prospérité, la corruption et la ruine définitive ? Dans de tels cas, nous ne savons donc pas ce qu’il faut
demander pour prier comme il faut22.

Dieu communique aussi « la grâce d’état », c’est-à-dire la grâce dont chacun a besoin pour
accomplir son devoir, pour exercer ses responsabilités, ou encore « la grâce actuelle », celle
dont les chrétiens ont besoin chaque jour pour persévérer dans la foi. La prière de demande peut
encore concerner la vocation, ou le discernement des esprits, mais nous en parlerons plus loin.
Prier avec piété
Prier avec piété, dit saint Thomas, est nécessaire pour être exaucé, à l’image du Christ qui
fut exaucé en raison de sa piété (He 5,7). La piété est une notion complexe, liée à la notion de
justice, on l’appelle parfois « vertu de religion ». Elle exprime surtout l’attitude du priant, faite

20
UN CHARTREUX, La prière. Entre combat et extase, Paris, Presses de la Renaissance, 2003, p. 56s.
21
Ainsi du don de la foi comme charisme. Saint Cyrille de Jérusalem, dans une catéchèse baptismale commente : Cette foi qui est conférée par
l’Esprit à titre grâcieux n’est pas seulement dogmatique ; elle réalise ce qui est au-delà des forces humaines. Celui qui possède une telle foi
dira à cette montagne : Passe d’ici là-bas, et elle y passera. Quand quelqu’un dira même cela avec foi, croyant que cela se réalisera, sans hésiter
dans son cœur, alors il recevra la grâce du miracle ». LH, t.IV, p. 262.
22
AUGUSTIN, Lettre à Proba. Voir la LITURGIE DES HEURES (désormais : LH), t. IV, Paris, Cerf, Desclée/Desclée De Brouwer/Mame,
1993, p. 211.
12

de confiance, d’obéissance à la volonté de Dieu, d’humilité, de respect vis-à-vis de la


transcendance divine, de pureté d’intention. Mais l’homme pieux est aussi le fidèle, celui qui
prie au long de sa vie avec persévérance. C’est une prière qui est faite « au nom de Jésus », et
qui, en lui, attend d’être exaucée par le Père (Mt 5,3 ; Jn 15,16). Les pères du désert, de leur
côté, demandaient avec insistance « la pureté du cœur », pour être exaucés. Les pratiques
pénitentielles qui accompagnent la prière peuvent aussi montrer l’engagement de la personne
dans la prière (jeûnes, mortifications, réparations, aumônes).
Il faut prier avec persévérance. Même si Dieu n’exauce pas tout de suite, il peut exaucer
plus tard « au moment favorable » (Is 49,8 ; 2 Co 6,2). L’apprentissage de la patience est
essentiel et modèle le cœur du priant qui « ne sait pas demander ce qu’il faut », qui, dans la foi
accepte de ne pas savoir si ou quand il sera exaucé (ou même s’il le sera) mais s’ajuste petit à
petit à ce que Dieu veut lui donner et au moment qu’Il lui plaît.
Prier sans cesse
Déjà l’Apôtre demandait de « prier sans cesse » et de « rendre grâce en toutes
circonstances : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus ». (1 Th 5,17-18) dans
d’ultimes recommandations à la fin de sa lettre aux Thessaloniciens. Mais comment prier sans
cesse ? Certes, la prière des heures (5 fois par jour) est déjà une manière de répondre. Plus loin
nous découvrirons « la prière de Jésus ». Écoutons la réponse d’Augustin :

Désirons toujours la vie bienheureuse auprès du Seigneur, et prions toujours. Mais les soucis étrangers et
les affaires affaiblissent jusqu’au désir de prier ; c’est pourquoi, à heures fixes, nous les écartons pour
ramener notre esprit à l’affaire de l’oraison. Les mots de la prière nous rappellent au but de notre désir, de
peur que l’attiédissement n’aboutisse à la froideur et à l’extinction totale, si la flamme n’est pas ranimée
assez fréquemment23.

Le Seigneur veut exciter le désir par la prière. Priez sans cesse signifiera désirer sans cesse,
pour accueillir sa grâce24.

Il sait ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions ? Alors, pourquoi nous exhorte-t-il à la
prière continuelle ? Cela pourrait nous étonner, mais nous devons comprendre que Dieu notre Seigneur ne
veut pas être informé de notre désir, qu’il ne peut ignorer. Mais il veut que notre désir s’excite par la prière,
afin que nous soyons capables d’accueillir ce qu’il s’apprête à nous donner. Car cela est très grand, tandis
que nous sommes petits et de pauvre capacité ! C’est pourquoi on nous dit : Ouvrez tout grand votre cœur.
Ne formez pas d’attelage disparate avec les incrédules25.

Il ne s’agit pas seulement de demander, mais d’apprendre à aimer. « Parler abondamment


est une chose [difficile et non nécessaire], aimer longuement en est une autre »26. En réponse à
l’appel du Seigneur à « prier sans cesse » (1 Th 5,17), les premières communautés chrétiennes
se sont montrées persévérantes dans la prière. Les Actes des Apôtres nous rapportent ainsi que
« Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de
Jésus, et avec ses frères » (Ac 1,9). Cette assiduité leur fait attendre la venue de l’Esprit, promise
par Jésus au jour de son Ascension.

23
Ibid., p. 199.
24
Voir aussi 5.5.2.
25
Ibid., p. 196.
26
Ibid., p. 199-200.
13

La prière de l’Église
Une prière trinitaire et mariale
La prière est toujours adressée au Père (cf. les Prières eucharistiques), dans le Christ, par
l’Esprit. Les doxologies expriment la plénitude la prière selon qu’elles s’adressent au Père, au
Fils ou à l’Esprit, dans l’Unité des Trois.
La prière au Père
« Il n’est pas d’autre chemin de la prière que le Christ »27. Pour être exaucé, le chrétien sait
qu’il prie le Père au nom de Jésus. Seule la prière dans la foi au nom du Christ est exaucée.
« Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui il veut le révéler » dit Jésus (Mt
11,27). De même l’audace filiale par laquelle le chrétien s’adresse au Père (« nous osons dire »,
formule qui introduit la récitation ou le chant du Pater à la messe) n’est possible que dans le
Christ. Accueillir Jésus, c’est donc aussi accueillir le Père, et inversement : « Qui vous accueille
m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé » Mt 10,40), parce que le Père
et Jésus sont Un. Prier Dieu, pour beaucoup de chrétiens, c’est prier le Père, à moins que,
explicitement, le cœur se tourne vers le Christ ou l’Esprit. Mais en priant un des trois, c’est
toujours les trois qui sont priés
Prier le Père, c’est toujours prier Celui qui est à la source de tout ce qui existe, celui vers
qui monte les louanges de chacun en particulier, et de tous en général. C’est prier le Créateur
du monde et de tout ce qu’il renferme, le Maître de l’histoire, et celui qui est la Providence des
hommes. C’est bien sûr aussi prier Celui qui donna à l’humanité son propre Fils, Jésus, afin que
par lui, le monde soit sauvé. Avec Jésus, le Père envoie l’Esprit pour que l’humanité ne soit pas
orpheline du Christ (cf. Jn 14,18), mais que, dans l’Esprit, elle retrouve le Fils, et s’accomplisse
comme fils et filles de Dieu.
La prière à Jésus
Jésus, comme seconde personne de la Trinité, consubstantiel au Père selon le Concile de
Nicée, est aussi celui à qui s’adresse la prière chrétienne, par exemple dans l’Agnus Dei de la
liturgie eucharistique. Dans les Actes, les apôtres invoquent le Nom de Jésus pour opérer des
guérisons. « Jésus » en effet signifie « YHWH sauve » (cf. Mt 1, 21). Comme nous le savons,
c’est le nom que l’ange Gabriel révèle à la Vierge Marie au moment de la conception de Jésus
en elle : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus » (Luc
1,31). Pierre dira même le jour de la Pentecôte : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car,
sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4,12). Le
nom de Jésus contient celui de la Présence divine imprononçable (YHWH). « Jésus est
ressuscité, et quiconque invoque son nom accueille le Fils de Dieu qui l’a aimé et s’est livré
pour lui » (cf. Rm 10,13 ; Ac 2,21 ; 3,15-16 ; Ga 2,20). Prenons quelques exemples.
Au Moyen Âge, où la dévotion à l’humanité de Jésus se développe, se répand la prière
« Âme du Christ », longtemps attribuée à saint Ignace de Loyola :

Âme du Christ, sanctifie-moi.


Corps du Christ, sauve-moi.

27
CEC, n° 2664.
14

Sang du Christ, enivre-moi.


Eau du côté du Christ, lave-moi.

Passion du Christ, fortifie-moi.


Ô bon Jésus, exauce-moi.
Dans tes blessures, cache-moi.
Ne permets pas que je sois séparé de toi.

De l’ennemi, défends-moi.
A ma mort, appelle-moi.
Ordonne-moi de venir à toi
Pour qu’avec tes saints, je te loue,
Dans les siècles des siècles,
Ainsi soit-il.

La tradition de la prière du cœur, issue de l’hésychasme, se modèle sur la prière du publicain


(cf. Lc 18,13) et celle de l’aveugle Bartimée (cf. Mc 10,46-52) : « Jésus, Christ, Fils de Dieu,
Seigneur, aie pitié de nous pécheurs ». Elle s’est largement répandue dans le monde chrétien,
aussi bien en Orient qu’en Occident, grâce entre autres à la diffusion du livre Récits d’un pèlerin
russe. Elle s’inspire de l’humilité de Jésus, comme l’exprime l’hymne aux Philippiens (cf. Ph
2,6-11). Il en existe des variantes, comme : « Seigneur Jésus, Fils du Dieu, Sauveur, prends
pitié de moi pécheur ». Les récits d’un pèlerin russe ont popularisé cette prière en Occident à
partir d’une simple question : « Comment prier sans cesse ? » Elle exprime ce que nous avons
dit plus haut : c’est par la persévérance, l’humilité, et le repentir que l’homme est exaucé
lorsqu’il demande son salut. Il est conduit à désirer et aimer Dieu continuellement.
La prière à l’Esprit Saint
L’Église invoque aussi l’Esprit Saint dans sa prière. La prière à Jésus elle-même n’est
possible que sous l’action de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 12,3). De même qu’il est impossible de
connaître le Père sans le Fils, de même il est impossible de connaître le Fils sans l’Esprit Saint.
Pierre lui-même n’a pu faire sa confession de foi que grâce à une révélation du Père (cf. Mt 16).
D’où la méprise continuelle sur Jésus dans le judaïsme et l’islam sur la nature divine de Jésus
et ailleurs dans d’autres spiritualités et religions. L’hérésie arienne n’a pu se développer qu’en
un temps d’ignorance de l’Esprit. C’est le don de l’Esprit qui convertit les auditeurs de Pierre
au jour de la Pentecôte : ils découvrent alors par lui que Jésus est le Fils de Dieu (Ac 2,17s.).
C’est ainsi que le chrétien invoque le Saint Esprit pour lui faire connaître et aimer Jésus. Il
invoque aussi l’Esprit en vue de la mission, avant toute entreprise ou action, afin d’être inspiré
dans les choix ou les décisions à prendre. C’est pourquoi la formule habituelle est : « Viens
Esprit Saint ». La séquence de la Pentecôte28 exprime le désir de l’Église de recevoir « l’hôte
très doux de nos âmes » :

Viens, Esprit-Saint, en nos cœurs,


et envoie du haut du ciel
un rayon de ta lumière.

28
Le poème Veni, Sancte Spiritus est attribué à l’archevêque de Cantorbery Étienne Langton (+ 1228). Un autre hymne célèbre est le Veni
Creator, d’un auteur anonyme du IXe s.
15

Viens en nous, père des pauvres.


Viens, dispensateur des dons.
Viens, lumière de nos cœurs.

Consolateur souverain,
hôte très doux de nos âmes,
adoucissante fraîcheur.

(…)

O lumière bienheureuse,
viens remplir jusqu’à l’intime
le cœur de tous tes fidèles.

Sans ta puissance divine,


il n’est rien en aucun homme,
rien qui ne soit perverti.

On se rappelle que les Écritures se terminent, dans le livre de l’Apocalypse, par un grand
appel de l’Église et de l’Esprit à la venue du Christ : « L’Esprit et l’Épouse disent : "Viens !"
Celui qui entend, qu’il dise : "Viens !" Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il
reçoive l’eau de la vie, gratuitement » (Ap 22,17).
En prière avec Marie, la Mère de Dieu
Depuis que la Vierge Marie fut donnée à Jean au pied de la croix comme mère (cf. Jn 19,
25-27), et que celle-ci reçut comme fils l’apôtre bien-aimé, l’Église prie avec Marie, qui est
pour elle à la fois l’image et le modèle29. Les chrétiens reconnaissent en elle leur mère. Le
croyant, conscient de sa faiblesse et de son péché lui demande d’intercéder auprès de Jésus :
« Prie pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort », tout en magnifiant
Dieu avec elle pour les merveilles qu’Il a accomplies dans sa vie. De nombreuses prières,
comme celles du Rosaire, l’Angélus, le Regina Caeli, le Salve Regina accompagnent la prière
du chrétien au cours de sa vie. Mentionnons celle du « Souvenez-vous », moins connue que
d’autres :

Souvenez-vous, ô très miséricordieuse


Vierge Marie qu’on n’a jamais entendu dire
qu’aucun de ceux qui ont eu recours à vous,
imploré votre protection ou réclamé
votre secours, ait été abandonné.
Animé d’une pareille confiance,
ô Vierge des vierges,
ô ma Mère, je cours vers vous,
et gémissant sous le poids de mes péchés,
je me prosterne à vos pieds.
O Mère du Verbe incarné,
ne rejetez pas mes prières, mais écoutez-les
favorablement et daignez les exaucer.
Amen.

Le monde de la musique a composé des Stabat Mater. Dans la liturgie des Églises
orthodoxes, on chante l’hymne Acathiste ou la Paraclisis. Depuis son « oui » à l’Annonciation,

29
CONCILE VATICAN II, Constitution apostolique Lumen Gentium (LG), ch. VIII, n° 63-65.
16

et sa participation à la Passion de son fils prophétisé par Syméon, Marie « montre le chemin »
(Hodighitria), « elle en est le Signe »30.
Marie est aussi, comme le montre son Magnificat en particulier, l’image de l’Orante
parfaite, celle de l’Église qui prie Dieu. Sa présence au moment de la Pentecôte, mentionnée
par Luc dans les Actes montre le souci constant qu’elle a pour ses enfants, afin que, comme elle
(cf. Lc 1, 41), ils se laissent remplir par l’Esprit.
La prière et l’amour de Dieu
Nous en avons déjà brièvement parlé dans le point qui concerne l’apprentissage de la prière :
« Jésus, le Maître de la prière ». Mais il est bon d’insister sur deux attitudes fondamentales,
celle de l’humilité, et celle du désir. En fin de compte, Dieu attend d’être prié et aimé « de tout
son cœur, de toute son âme et de toute son intelligence » (Cf. Dt 6,5 ; Mt 22,37).
L’humilité est le fondement de la prière31
La Vierge Marie, dans le Magnificat, le dit elle-même : « Il s’est penché sur son humble
servante, désormais toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1,48). La prière des
humbles ou des humiliés fait s’émouvoir les entrailles (rahammim) de Dieu et appelle sa
miséricorde. « Une prière courageuse, humble et forte, fait des miracles » a dit un jour le pape
François32.
Devant Dieu, l’homme prend conscience de sa petitesse, de sa fragilité, de son impuissance,
vulnérable face au péché et au mal. Il se rend compte aussi que Dieu bénit cette petitesse et ne
la repousse pas. Ainsi découvre-t-il l’humilité, l’attitude la plus juste et la plus fondamentale
dans la prière. Est humble celui qui le sait et qui ne se prend pas pour un dieu, mais qui apprend,
au contraire, à compter sur Dieu dans les moments de détresse. « Des profondeurs, je crie vers
toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma
prière » (Ps 12, 1-2). Dieu n’exauce que la prière des humbles, comme nous le rappelle si bien
la prière des pauvres de YHWH (les anawim) et plus tard celle du publicain (Lc 18,10-14). Les
orgueilleux, qui sont remplis d’eux-mêmes, comment pourraient-ils trouver grâce auprès de
Dieu ? La culture contemporaine, en exaltant sans cesse le « moi », le « je », les désirs
terrestres, n’aide pas au décentrement auquel invite la prière. L’humilité est à l’inverse du cri
de Nietzsche : « Il n’y a qu’une seule chose qui soit insupportable c’est de n’être pas Dieu ».
Mais qu’est-ce que l’humilité ? Le mot est proche du mot humus. L’humilité est l’attitude
du cœur de celui qui se voit dans sa réalité et sa vérité, éclairé par la lumière de Dieu :
« L’homme n’est qu’un souffle » (Ps 38,7). Celui qui s’approche de Dieu se rend de plus en
plus compte de la grande différence qu’il y a entre Dieu et lui. Dieu seul est Dieu ! Dieu seul
est Tout-Puissant, Éternel, Immuable. Lorsqu’Adam a péché devant Dieu, celui-ci veut lui
apprendre l’humilité : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière », qui signale la manière
de retourner à Dieu : par l’humble mort à soi-même. Cette parole est reprise au moment de
l’imposition des cendres, le Mercredi des Cendres qui marque l’entrée en Carême (une autre
possibilité est offerte par la liturgie : « Convertis-toi et crois à l’Évangile »). Se rappeler que

30
CEC, n°2674. 2678.
31
CEC, n°2559.
32
Voir : news.va/fr/news/la-vraie-priere-humble-et-forte-fait-des-miracles (Page consultée le 1/03/2016).
17

l’on n’est que poussière, le temps de cette vie, encourage à se rappeler la fragilité de la condition
humaine, qui se termine par la mort, mais qui, en cherchant à se réconcilier avec Dieu, ouvre à
l’espérance du Paradis.
Les grands priants sont très humbles. Sans cesse devant Dieu, ils connaissent leurs limites,
ils reconnaissent que « Dieu est et qu’ils ne sont pas » comme le dit Jésus à sainte Catherine de
Sienne. De Moïse, par exemple, il est écrit dans le livre des nombres : « Moïse était un homme
très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,3). On a cité la Vierge
Marie dans son Magnificat. Dire qu’on est humble, est-ce de l’orgueil ? Non, si cela est vrai,
comme le dit sainte Thérèse de Lisieux au moment de mourir, rendue humble par tant de
souffrances33. L’humilité véritable, c’est aussi accepter la place véritable que Dieu propose dans
la vie, même et surtout si elle est peu engageante, peu reconnue, difficile à assumer. À l’opposé,
la fausse humilité affecte de prendre une place qui n’est pas la sienne, en ne portant pas la
charge dévolue, ou en la faisant porter par d’autres (cf. Mt 23, 1-12). Ainsi d’un évêque qui
refusa un jour de présider une réunion, de prendre ses responsabilités, alors que c’était son
devoir de l’assumer. L’homme véritablement humble repousse la recherche des honneurs, ne
cherche pas à être « le plus grand » (Lc 22,24), il ne cherche ni honneur, ni gratification, ni
reconnaissance. Il choisit « la dernière place » plutôt que la première cherchant à éviter
l’humiliation d’être repoussé à la dernière (cf. Lc 14,7-14). « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car
je suis un homme pécheur » dit Pierre à Jésus après la pêche miraculeuse (Lc 5,8).
L’humble est donc l’homme qui sait avoir besoin du secours divin pour être sauvé : on ne
peut se sauver soi-même. Dieu ne rabaisse jamais l’humble, mais au contraire il l’élève, comme
le dit encore la Vierge Marie (cf. Lc 1,52) ou le psalmiste : « De la poussière, il relève le faible »
(Ps 112,7 ; 1 S 2,8). Il rabaisse au contraire les superbes et les orgueilleux. C’est pourquoi la
prière des humbles est exaucée, comme par exemple la merveilleuse prière d’Esther, avant
qu’elle ne se présente devant le Roi Assuérus, qui ne s’appuie que sur Dieu lui-même (Est
4,17L-17Z). Si Dieu n’intervient pas, elle sait qu’elle risque la mort. « L’humilité est la
disposition pour recevoir gratuitement le don de la prière : "L’homme est un mendiant de
Dieu" »34. L’humble n’aspire qu’à Dieu lui-même, ayant abandonné tout désir de richesse, de
pouvoir, de gloire, de reconnaissance, de satisfaction : il compte sur Dieu, en qui il a confiance,
et il sait se reconnaître pécheur.
« Ta prière, c’est ton désir »35
La prière est une réalité mystérieuse. C’est Dieu qui la fait naître dans le cœur de l’homme,
qui désire « être prié » afin de… combler l’homme de ses dons, même s’il en ignore tout. La
prière est donc elle-même un don de Dieu, une grâce qui ne se mérite pas, mais qui est donnée
gratuitement à l’homme en vue de dons toujours plus grands. L’homme attentif à ce qui se passe
au fond de son cœur, ressent ce désir et, dans le meilleur des cas, y répond généreusement,
conscient de sa faiblesse et de ses nécessités, le tout en vue du salut. Sa prière, réponse au désir

33
« Oui, il me semble que je n’ai jamais cherché que la vérité ; oui, j'ai compris l’humilité du cœur... il me semble que je suis humble ». (Carnet
Jaune, 30 septembre 1897, paroles prononcées le jour de sa mort et recueillies par sœur Agnès). La « petite voie » de Thérèse est aussi voie de
l’humilité : « Sans cesse elle m’enseignait la pratique de l’humilité. Ce qu’elle appelait sa "petite voie d’enfance spirituelle" était le sujet
continuel de nos entretiens ». (Procès de Béatification, 1270).
34
CEC, n° 2559. Cf. AUGUSTIN, Sermons (Sermones), 56,6,9 (PL 38).
35
Cf. AUGUSTIN, Lettre à Proba ; Commentaire du Psaume 37.
18

de Dieu, peut devenir un élan du cœur, dans lequel, comme nous l’avons vu, habite l’Esprit. La
prière est un élan qui le pousse à prendre du temps pour (re)trouver Dieu et être en communion
avec lui. C’est donc Dieu qui prie l’homme de le prier. Et l’homme prie Dieu de se tourner vers
lui. Écoutons un grand priant nous parler de la prière, saint Jean-Marie Vianney (1786-1859),
appelé aussi « le curé d’Ars » :

Vous prier, vous aimer : voilà le bonheur de l’homme sur la terre ! La prière n’est autre chose qu’une union
avec Dieu. Quand on a le cœur pur et uni à Dieu, on sent en soi un baume, une douceur qui enivre, une
lumière qui éblouit. Dans cette union intime, Dieu et l’âme sont comme deux morceaux de cire fondus
ensemble ; on ne peut plus les séparer. […] Nous avions mérité de ne pas prier ; mais Dieu, dans sa bonté,
nous a permis de lui parler. Notre prière est un encens qu’il reçoit avec un extrême plaisir. Mes enfants,
vous avez un petit cœur, mais la prière l’élargit et le rend capable d’aimer Dieu. La prière est un avant-goût
du ciel, un écoulement du paradis. Elle ne nous laisse jamais sans douceur. C’est un miel qui descend dans
l’âme et adoucit tout. Les peines se fondent devant une prière bien faite, comme la neige devant le soleil.
La prière fait passer le temps avec une grande rapidité, et si agréablement, qu’on ne s’aperçoit pas de sa
durée36.

L’homme est un être de désir. Il désire obtenir les biens les meilleurs, en particulier la
sécurité, le bonheur, la paix, la joie. Mais le Seigneur « élève » le cœur de l’homme en lui
faisant désirer les biens beaucoup plus grands, célestes, impérissables, au contraire des biens
terrestres temporaires et provisoires (cf. Col 3,2 ; Mt 6,19-21). C’est l’Esprit qui suscite en
l’homme le désir de « posséder » Dieu lui-même, de se donner au donateur, d’accueillir celui
qui se donne pour mieux se donner soi-même. Un des plus beaux exemples de cela se trouve
dans l’Évangile de Jean : la rencontre entre Jésus et la Samaritaine. Jésus dit à une femme qui
vient puiser de l’eau :

"Donne-moi à boire". Et elle dit : "Comment, toi qui es juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une
femme samaritaine ?" Jésus lui répondit : "Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi
à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné l’eau vive". "Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le
puits est profond…" Jésus répond : "Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de
l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissant
en vie éternelle". La femme lui dit : "Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne
plus ici pour puiser" (Jn 4,7-14).

« Dieu a soif que nous ayons soif de Lui »37. La Tradition interprètera dans le même sens la
parole de Jésus sur la croix : « J’ai soif » (Jn 19,28)38. Il ne s’agit pas seulement de la soif
physique de Jésus, mais aussi de la soif de l’amour de ceux à qui il a donné sa vie par amour.
L’amour désire toujours la réciprocité. Mère Térésa a fait inscrire cette parole (« J’ai soif »)
dans les chapelles des Missionnaires de la Charité. Écoutons encore Augustin nous parler du
désir dans la prière.

Devant toi est tout mon désir. Pas devant les hommes qui sont incapables de voir le cœur, mais devant toi
est exposé tout mon désir. Que ton désir soit devant Lui, et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. Ton
désir, c’est ta prière ; si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. Aussi n’est-ce pas pour rien que
l’Apôtre a dit : "priez sans cesse". Aurons-nous donc toujours les genoux en terre, le corps prosterné, les
mains levées pour qu’il nous dise : priez sans cesse ? Si c’est uniquement cela que nous appelons prier, je
ne vois guère que nous puissions le faire sans cesse. Mais il est dans l’âme une autre prière, intérieure cel1e-

36
Jean-Marie Baptiste VIANNEY, Pensées, p. 84 et sv.
37
CEC, n° 2560, cf. AUGUSTIN, Questions sur le Pentateuque (Quaestionnes in Heptateuchum), 64,4.
38
On peut penser aux paroles de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « "J'ai soif !" Ces paroles allumaient en moi une ardeur inconnue et très
vive... Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes... Ce n’était pas encore les âmes de
prêtres qui m’attiraient, mais celles des grands pécheurs, je brûlais du désir de les arracher aux flammes éternelles ». THÉRÈSE DE
L’ENFANT-JÉSUS, Œuvres complètes, p. 143 (Ms A, 45v.).
19

là et qui n’a pas de cesse, c’est le désir. Quoi que tu fasses, si tu désires le sabbat éternel, tu ne cesses de
prier. Si tu veux ne pas cesser de prier, ne cesse pas non plus de désirer. Ton désir continuel sera ta voix
continuelle. Tu tomberas dans le mutisme, si tu laisses retomber ton amour. Quels sont ceux qui sont
muets ? Ceux dont il est dit : "Parce que l’iniquité s’est multipliée, la charité s’est refroidie chez beaucoup".
Le refroidissement de la charité, c’est le mutisme du cœur ; la flamme de la charité, c’est le cri du cœur. Si
la charité demeure sans cesse, sans cesse aussi tu cries ; si tu cries sans cesse, sans cesse aussi tu désires39.

Les attitudes de la prière


La prière, contrairement au Yoga et à d’autres pratiques de méditation orientale, ou
d’exercices corporels qui ont une fin spirituelle, ne consiste pas en des postures (être debout,
assis, à genoux, ou prostré), car les postures, en elle-même, sont impuissantes à provoquer la
rencontre de Dieu, qui se passe toujours dans le cœur de l’homme. Cependant, parce que
l’homme est un d’esprit et de corps, les postures peuvent aider la prière, en particulier à trouver
l’attitude intérieure juste vis-à-vis de Dieu. Être debout signifie le respect vis-à-vis de celui à
qui on s’adresse, mais aussi avoir conscience de participer, en tant que chrétien, à la résurrection
d’entre les morts (qui eux, sont étendus ou couchés), c’est l’attitude normale de l’Orant, comme
on le voit déjà dans les catacombes. L’attitude assise est celle de l’écoute et de la méditation.
Être à genoux peut signifier autant l’adoration que le repentir ou l’humble prière. Être prostré
(allongé sur le sol), comme au début de la célébration du Vendredi Saint, rappelle la
supplication la plus fervente face à un moment grave, ou, lorsqu’il s’agit d’une ordination ou
d’une consécration religieuse, la même supplication devant un choix radical qui engage toute
l’existence. Dans ce dernier cas, la personne a pleinement conscience que sa vocation et son
engagement dépasse ses forces et demande à Dieu et aux saints les secours nécessaires. C’est
le moment en effet, où l’on chante la litanie des saints.
La prière appelée à jaillir d’un cœur pur
Parler du désir, comme nous l’avons fait un peu plus haut nous conduit naturellement à
parler du cœur. La vraie prière est celle qui jaillit du cœur. Comme nous l’avons dit, le cœur est
le « lieu » où Dieu habite au plus profond de l’homme. C’est un lieu secret et mystérieux, où
l’homme et Dieu sont unis dans le Christ, dès le baptême, même si le péché peut introduire la
division du cœur40. C’est le lieu de la décision, de la vérité et de la rencontre de Dieu 41. La
prière du cœur transpercé par la douleur du péché est elle-même une grâce. Le priant connaît
bien cet avertissement : « Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi » (Is
29,13 ; Mt 15,8), ce qui l’invite à combattre la distraction, la sécheresse, l’indifférence vis-à-
vis de Dieu et des autres. La prière risque toujours de devenir à un moment ou un autre formelle,
superficielle, expression de l’obéissance, du devoir, et même de mauvais gré comme pour en
avoir fini avec Dieu. Aujourd’hui, où ce sentiment du devoir de la prière (comme vertu de
religion) n’existe pratiquement plus, le risque est grand que la prière disparaisse des pratiques
chrétiennes habituelles. Même les églises, surtout lorsqu’elles sont habituellement fermées ne
sont plus alors comme des lieux qui appellent à la prière.
La place de la prière dans la vie d’un chrétien est en soit révélatrice : en tant que « lieu »
d’épreuve et de discernement, le chrétien évalue le temps qu’il accorde à Dieu dans sa vie que

39
AUGUSTIN, Homélie sur le Psaume 37,14, v. 10, dans LH I, p. 26.
40
CEC, n°2565.
41
CEC, n°2562-2563.
20

ce soit dans les moments heureux ou difficiles. Abandonner la prière n’exprime pas toujours le
rejet de Dieu, mais peut exprimer l’indifférence, l’ennui que l’on peut éprouver dans la prière,
sans qu’il ait été vaincu, ou l’incapacité encore de comprendre ce qui est essentiel (« la
meilleure part » que choisit Marie, la sœur de Marthe). Il se peut aussi que l’absence de prière
reflète un manquement dans l’éducation chrétienne : personne n’en ayant jamais parlé, livré à
lui-même, l’homme est toujours tenté de préférer ce qui est plus attrayant ou ce qui provoque
davantage de sensations que le chemin humble, discret, parfois difficile de la prière.
L’être humain, en effet, surtout en ces temps de sécularisation généralisée en Europe, vit
souvent à la surface de lui-même. Il ne conçoit alors sa vie qu’en relation avec les choses et les
êtres qui l’entourent, et il dirige les désirs de son cœur vers ces réalités, pensant y trouver le
bonheur. Souvent, il n’en recueille que distraction et déception. Vient le moment où il faut
intérioriser et découvrir ce qui se trouve au plus profond de soi-même, ce qui a le plus de valeur,
ce qui est essentiel. La foi chrétienne enseigne qu’avant que d’être aux autres, l’homme doit
découvrir qu’il est à Dieu : sa vie est entre ses mains. Même l’amour du prochain doit être
purifié de la satisfaction qu’il peut apporter en retour, pour entrer dans la gratuité du don, voire
du pardon. Augustin a fait cette découverte :

Je t’ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle. Je t’ai aimée bien tard ! Mais voilà : tu étais au-
dedans de moi quand j’étais au-dehors, et c’est dehors que je te cherchais ; dans ma laideur, je me précipitais
sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi. Elles me retenaient loin de toi, ces
choses qui n’existeraient pas, si elles n’existaient en toi. Tu m’as appelé, tu as crié, tu as vaincu ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi, et tu as dissipé mon aveuglement ; tu as répandu ton parfum, je l’ai respiré et je
soupire maintenant pour toi ; je t’ai goûtée, et j’ai faim et soif de toi : tu m’as touché et je me suis enflammé
pour obtenir la paix qui est en toi42.

Toute la pensée d’Augustin pourrait se résumer par cette parole : « Car tu nous as fait pour
toi et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi »43. Dieu est plus intime à l’homme
que l’homme ne l’est à lui-même ajoute-t-il encore plus loin dans les Confessions44. C’est ce
que la prière apprend à l’homme : si Dieu est au plus intime de lui-même, le chercher est la
tâche la plus noble et la plus essentielle à accomplir pour le connaître et l’aimer. Bien sûr, cela
suppose la foi qui fait pénétrer le mystère et l’acceptation que tout ne soit pas compréhensible
tout de suite, cela suppose qu’il y ait progrès dans la vie spirituelle, grâce à la prière. Quand
Jésus lave les pieds de Pierre, avant d’entrer dans sa Passion, il lui dit : « Ce que je veux faire,
tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras » (Jn 13,7). Pierre doit alors
s’abandonner entre les mains du Seigneur. De même lorsque Jésus entend ressusciter Lazare, il
dit à Marthe, qui doit accepter de comprendre davantage en profondeur qui est Jésus : « Moi, je
suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et
croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » (Jn 11,25-26).

42
AUGUSTIN, Confessions, X,27,38, p. 276-277, cf. LH I, p. 619.
43
AUGUSTIN, Confessions, I,1,1.
44
Le pape Benoît XVI commente en Audience générale, le 30 janvier 2008 : "En effet – reconnaît Augustin (Confessiones, III,6,11) en
s’adressant directement à Dieu – tu étais à l’intérieur de moi dans ce que j’ai de plus intime et plus au-dessus de ce que j'ai de plus haut", interior
intimo meo et superior summo meo; si bien que – ajoute-t-il dans un autre passage lorsqu’il rappelle l’époque antérieure à sa conversion – "tu
étais devant moi; et quant à moi en revanche, je m’étais éloigné de moi-même, et je ne me retrouvais plus; et moins encore te retrouvais-je"
(Confessiones, V,2,2). w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080130.html (Page consultée le
2/03/2016).
21

Les sentiments dans la prière


La prière ne doit pas pour autant devenir sentimentale, larmoyante ou doucereuse : les
sentiments ne sont pas davantage un gage d’authenticité de la prière et ne préjugent pas de
l’exaucement. Les sentiments peuvent être eux aussi affectés (comme les pleureuses
professionnelles des funérailles dans certaines régions du monde), on peut prendre ses désirs
pour la réalité et confondre l’action de Dieu avec ses désirs, c’est aussi de cette manière que
l’Église discerne les faux prophètes, qui ne cherchent pas tant la fidélité à Dieu, que de satisfaire
les réquisits d’une population, des gouverneurs, autorités et autres puissants de ce monde. Aux
sentiments, ou aux sensations, l’Église préfère la foi et la vérité, et la charité en action45. Elle
préfère l’humble prière, persévérance et cachée qui exprime la confiance et l’amour de Dieu :
« Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ? » (Jn 6,68), dit l’apôtre Pierre.
L’authenticité et la profondeur de la prière ne mobilisent donc pas toujours les sentiments
et parfois les exclut. La prière fait même surgir des sentiments contraires à ceux qui sont en
surface de soi (ce qui explique parfois pourquoi certains ont difficile à se retrouver face à eux-
mêmes dans la solitude). Ainsi en est-il dans la liturgie, marquée par cette « objectivité » de
toute l’Église qui prie, quels que soient les sentiments particuliers de ceux qui sont rassemblés.
L’inadéquation entre les sentiments intérieurs et ceux de la prière liturgique a la vertu d’élargir
le cœur et invite le priant à se dépasser lui-même pour avoir en premier le souci de Dieu et celui
des autres en s’oubliant soi-même et le souci de ses affaires (cf. 1 Co 7,32-33). On peut donc
être joyeux dans la désolation, ou en paix dans l’épreuve et l’adversité.
Mais il y a aussi de très nombreux exemples qui montrent dans les Écritures ou la vie des
saints, que la prière peut être pleine de sentiments et d’émotions, de consolations ou de
désolations face à l’expérience du péché ou du mal. Pensons à Jésus qui pleure en approchant
du tombeau de Lazare. Pensons à la prière d’Anne, future mère de Samuel, qui se plaint et
pleure au Temple de Dieu parce qu’elle n’a pas d’enfant, ou celle de David qui s’humilie pour
sauver l’enfant qu’il vient d’avoir avec Bethsabée menacé de mourir. Saint Ignace, dans son
journal intime, décrit la vivacité de ses sentiments à chaque fois qu’il célèbre la messe :

Avant la messe, dans ma chambre, à la chapelle, et en me préparant, beaucoup de larmes. Pendant la messe,
grande abondance de larmes, se prolongeant jusqu’à la fin. Et après, larmes très intenses46.

Le « don des larmes » est ainsi l’expression d’une profonde piété, lié à l’intercession pour
les pécheurs, comme nous le montre encore l’exemple de saint Dominique ou saint Silouane du
Mont Athos :

Si la grâce de l’Esprit Saint habite le cœur d’un homme, même en une mesure infime, cet homme pleure
pour tous les hommes ; il a plus encore pitié de ceux qui ne connaissent pas Dieu ou lui résistent 47.

La prière du cœur est donc d’abord un mystère d’amour entre l’homme et Dieu. « Dieu aime
tous les hommes, mais plus encore celui qui l’aime »48. La prière est, avec la charité témoignée

45
Comme le dit la prière après la communion, le 24 ème dimanche du temps ordinaire dans le Missel Romain : « Que la grâce de cette
communion, Seigneur, saisisse nos esprits et nos corps, afin que son influence, et non pas notre sentiment, domine toujours en nous ».
46
IGNACE DE LOYOLA, Journal Spirituel, p. 106.
47
SILOUANE de l’ATHOS, Écrits spirituels, p. 38.
48
SILOUANE de l’ATHOS, Ecrits spirituels, p. 69.
22

au prochain, la manifestation la plus profonde de l’amour que l’homme peut avoir de Dieu, en
réponse à la découverte qu’il fait d’être aimé par Lui. Saint Paul s’exclamera un jour :

C’est pourquoi je tombe à genoux devant le Père, qui est la source de toute paternité dans le ciel et sur la
terre… Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; restés enracinés dans l’amour, établis dans l’amour.
Ainsi vous serez capables de comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur,
la profondeur… Vous connaîtrez l’amour du Christ qui surpasse tout ce qu’on peut connaître. Alors vous
serez comblés jusqu’à entrer dans la plénitude de Dieu (Ep 3, 14-15.17-19).

À la recherche du Bien-aimé
« Qui cherche, trouve » (Lc 11,10, Mt 7,8). Cette parole de Jésus, dans un contexte qui parle
de la prière s’applique particulièrement à Dieu. Déjà le Cantique des cantiques incitait à
chercher le bien-aimé :

Sur mon lit, la nuit, j’ai cherché celui que mon âme désire ; je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé. Oui, je me
lèverai, je tournerai dans la ville, par les rues et les places : je chercherai celui que mon âme désire ; je l’ai
cherché ; je ne l’ai pas trouvé. Ils m’ont trouvée, les gardes, eux qui tournent dans la ville : "Celui que mon
âme désire, l’auriez-vous vu ?". À peine les avais-je dépassés, j’ai trouvé celui que mon âme désire : je l’ai
saisi et ne le lâcherai pas que je l’aie fait entrer dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui
m’a conçue (Ct 3,1-4).

Que cherche l’homme dans sa prière, sinon Celui qu’il prie ? Pascal a écrit dans ses Pensées
en faisant parler Jésus : « Console-toi. Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé »49.
La prière est donc quête de Dieu, quelle que soit la situation dans laquelle l’homme se trouve,
mais cette quête ne peut commencer sans la grâce de Dieu elle-même qui attire l’homme à lui.
Cette quête est l’expression de son désir, et ce désir ne peut être comblé que par la rencontre.
L’amour de Dieu ne cesse de grandir dans la recherche et augmente à la mesure de la découverte
de l’être aimé. Cet amour peut même devenir une souffrance ou une détresse si Dieu, pour une
raison ou une autre ne répond pas et demeure caché dans son mystère (« Je suis malade
d’amour » dit Ct 2,5).
À l’inverse, de nombreux saints, après avoir expérimenté de façon parfois très sensible
l’amour de Dieu, ont vécu des temps de délaissement, de solitude, de sécheresse, dont ils se
désolent eux-mêmes, comme s’ils étaient abandonnés de Dieu. Ainsi écrit saint Anselme :

Et maintenant, toi, Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment te chercher, où et comment te
trouver. Seigneur, si tu n’es pas ici, si tu es absent, où donc te chercherai-je ? Et si tu es partout présent,
pourquoi ne puis-je pas te voir ? Certes, tu habites une lumière inaccessible. Mais où est la lumière
inaccessible et comment accéderai-je à cette inaccessible lumière ? Qui m’y conduira et me plongera en
elle pour lue je t’y voie ? Et puis, selon quels signes et de quel côté te chercherai-je ? Jamais je ne t’ai vu,
Seigneur mon Dieu, je ne connais pas ton visage. Que peut faire, très haut Seigneur, que peut faire cet exilé
loin de toi ? Que peut faire ton serviteur anxieux de ton amour et rejeté loin de ta face ? Il aspire à te voir,
et ta face se dérobe entièrement à lui. Il désire te rejoindre, et ta demeure est inaccessible. Il voudrait te
trouver, et il ne sait où tu es. II entreprend de te chercher, et il ignore ton visage. (…) Et toi, Seigneur,
jusques à quand ?». Jusques à quand, Seigneur, nous oublieras-tu ? Combien de temps nous cacheras-tu ton
visage ? Quand nous regarderas-tu et nous exauceras-tu ? Quand éclaireras-tu nos yeux et nous montreras-
tu ta face ? Quand reviendras-tu à nous ? Regarde-nous, Seigneur, éclaire-nous, montre-toi à nous. Rends-
nous le bien de ta présence, nous qui, sans toi, allons si mal. Aie pitié de nos laborieux efforts vers toi, nous
qui ne pouvons rien sans toi. Tu nous invites, aide-nous donc. Je t’en prie, Seigneur, ne me laisse pas

49
Blaise PASCAL, Pensées (Les classiques de Poche 16069), Paris, Librairie générale française, 2000, pensée n°751 (édition Sellier), p. 579.
Cf., en note, la référence à saint Bernard : « Celui-là seul peut te chercher qui t’a déjà trouvé » dans De l’amour de Dieu, Patrologie Latine
(PL), 182, col. 887.
23

soupirer de désespoir ; fais-moi plutôt respirer l’espérance… Qu’il me soit au moins permis d’entrevoir la
lumière, même de loin, même depuis les profondeurs. Apprends-moi à te chercher et montre-toi quand je
te cherche ; car je ne puis te chercher si tu ne me guides, ni te trouver si tu ne te montres. Je te chercherai
par mon désir et te désirerai en ma recherche. Je te trouverai en t’aimant et t’aimerai quand je te trouverai50.

Aussi éloigné que puisse se sentir l’homme de Dieu, aussi pécheur soit-il ou se ressent-il
comme tel, la prière sera toujours son ultime recours, y compris (et surtout même) dans les
situations les plus extrêmes comme les dangers de mort (cf. Ps 106), ou les décisions graves à
prendre qui demandent un sacrifice. Dieu a voulu que l’homme puisse toujours faire appel à
lui, quoiqu’il arrive, à n’importe quel moment de sa vie, en n’importe quelle circonstance. Il a
voulu qu’il puisse toujours « revenir » à lui, même au milieu des plus graves péchés qu’il ait pu
commettre, ne fut-ce que par un simple regard jeté vers le ciel… Et même après avoir porté
atteinte à sa propre vie, si on le regrette lorsqu’il est trop tard, en se sentant mourir.
Toute l’histoire sainte témoigne de l’appel incessant de Dieu à le rencontrer, à dialoguer
avec Lui, à faire Alliance avec lui, à mettre sa foi et sa confiance en Lui. Rien ne le rebute, ni
l’idolâtrie, ni l’amoncellement des richesses, ni les guerres, meurtres et autres destructions dont
l’homme est responsable. S’il punit, comme on le voit dans l’AT, en laissant les ennemis
l’emporter sur Israël, c’est encore par amour, pour que le peuple, en tirant les leçons de la
situation, revienne à Lui de tout cœur, en particulier par la prière et le culte. L’AT tire une leçon
générale de l’accroissement du mal dans le monde en le liant explicitement à l’abandon de la
prière et du culte qui est toujours expression de l’oubli de Dieu. « Ils m’ont abandonné, moi la
Source d’eau vive, pour se creuser des citernes lézardées ! » (Jr 2,13).
Parce que l’homme est une créature de Dieu, créée à son image, il est normal qu’il cherche
à percer les mystères de sa nature, le sens de son existence, le fondement de toutes choses, bref
qu’il cherche Dieu51. Toutes les religions témoignent à travers les âges de la même quête
spirituelle de vérité et de salut, spécialement les religions révélées. L’âge techno-scientifique
qui est le nôtre a pu faire penser que désormais Dieu n’est plus nécessaire à la vie et l’existence
humaine. Mais si la science explique le fonctionnement du monde, découvre la permanence des
lois qui régissent la matière, elle est bien incapable de déterminer d’où elles procèdent ou
pourquoi « quelque chose existe plutôt que rien ». La question du sens reste donc toujours aussi
ouverte, parce que l’homme doit finalement y répondre lui-même. Mais le peut-il sans une aide
extérieure ? Il est donc normal et légitime d’appeler tous les hommes à la prière, quelle que soit
leur religion, leurs croyances. Si Dieu n’existe pas, alors l’homme est livré à lui-même et aux
forces et faiblesses de son environnement, qui lui sont plus ou moins favorables ou hostiles. Il
peut espérer améliorer son existence, maîtriser ses appétits, gérer parcimonieusement les
ressources disponibles de son environnement, construire une civilisation basée sur le droit et la
raison, mais, in fine restera toujours la question de la finalité : que peut-on espérer ?
L’effondrement de la matière elle-même, et avec elle toute l’humanité aux ultimes confins de
l’histoire de l’univers – si elle existe encore – pourrait n’être pas la fin de tout.

50
ANSELME, Proslogion, entretien sur l’existence de Dieu, ch. 1. Cf. LH I, p. 50.
51
CEC, n° 2566.

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