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Dans le noir, on entend la voix d’une femme.

EDITH (OFF)
Bonjour Madame ! Une baguette tradition s’il vous
plaît... Oui bien cuite... Oui ça sera tout… Alors ?

1 INT. CABINET D’ENDOCRINOLOGIE - JOUR 1

Apparait à l’image EDITH LEROY, la cinquantaine, l’air de la parfaite


bourgeoise de province. Elle est assise sur une table d’auscultation face à une
ENDOCRINOLOGUE qui lui accroche au bras la brassière d’un tensiomètre.

ENDOCRINO
Ah oui super, ça commence à faire effet là…

EDITH
Oui mais je pensais que ça agirait plus vite…

ENDOCRINO
Vous êtes tous pareils, impatients comme des
enfants… mais on arrête de parler deux minutes.

EDITH
Pardon, je suis toute excitée.

L’endocrino prend sa tension.

ENDOCRINO
13-8, parfait. Et sinon pas de palpitations ?

EDITH
Non, non tout va bien. Et regardez !

Toute fière, elle lève la pointe de son menton vers l’endocrino.

ENDOCRINO
Ah oui formidable, ça pousse... (enlevant la brassière
du bras d’Edith) Et vous avez pu parler à votre
mari ?

EDITH
Pas encore, j’attends le bon moment.

ENDOCRINO
Vous savez, bientôt vous pourrez plus lui cacher.

EDITH
Je sais, c’est juste que j’attends que son mandat se
termine.

La sonnerie de son portable l’interrompt. Elle regarde le numéro qui s’affiche.

- 1-
EDITH
Tiens, quand on parle du loup…

JEAN (OFF)
Je risque d’avoir un peu de retard. On attend la
mariée, comme d’habitude.

EDITH
Ne t’inquiète pas, je suis encore à Boulogne, je finis
une course.

JEAN
Parfait ma chérie, à tout à l’heure.

Jean raccroche, Edith se tourne vers l’endocrino, se sentant un peu minable.

EDITH
Vous avez raison, ça ne peut pas durer, je dois lui
dire la vérité.

ENDOCRINO
Mais oui, ça vous ôtera d’un poids !

EDITH
Vous savez quoi, je vais lui dire maintenant, au
restaurant.

ENDOCRINO
Excellente idée… Tenez d’ailleurs (sortant une
carte)... les coordonnées du groupe de parole dont je
vous ai parlé.

Edith saisit la carte sur laquelle est écrit le nom de l’association “En-Trans”.

GÉNÉRIQUE

UN HOMME HEUREUX
2A EXT. CAMPAGNE DES HAUTS-DE-FRANCE - JOUR 2A

Vue du ciel de Montreuil-sur-Mer, petite ville de 2400 âmes, fortifiée par Vauban
et située dans le Pas-de-Calais, à 10 km du littoral.

2B EXT. RUES MONTREUIL SUR MER - JOUR 2B

Série de plans fixes dans la ville, où l’on voit les habitants vaquer à leurs
occupations.

- 2-
3 INT. HÔTEL DE VILLE DE MONTREUIL SUR MER - JOUR 3

A l’intérieur de l’hôtel de ville, le Maire, bardé de l’écharpe tricolore, marie un


jeune couple. A sa voix, on reconnaît JEAN LEROY, le mari d’Edith, qui
s’adresse aux futurs mariés.

JEAN
Dire que je vous ai connus tous les deux, hauts
comme ça…

Les futurs mariés sourient…

JEAN
Ma chère Sabrina, j’ai entendu dire que vous aviez
rencontré Kevin au carnaval de Dunkerque.
Décidément ce carnaval est la meilleure agence
matrimoniale de la région, enfin pour ceux qui s’en
souviennent le lendemain !

L’assistance éclate de rire. Amusée, la mariée se tourne vers le marié, qui rougit.

JEAN
Blague à part, vous avez choisi le jardin du mariage
pour y planter votre amour et le voir s’épanouir
grâce à l’attention quotidienne que vous lui
porterez. Cela relève pour moi du plus bel
engagement qu’un homme et une femme puissent
prendre.

L’assemblée applaudit.

4 EXT. PARVIS DE LA MAIRIE - MONTREUIL S/MER - JOUR 4

A la sortie de la mairie, Jean salue les mariés et leurs parents, quand un homme
s’approche. C’est FRANCIS, son adjoint, la cinquantaine, le visage jovial, vêtu
d’un costume démodé. Il s’adresse à Jean en aparté.

FRANCIS
J’ai reçu un appel du parti, ils sont furieux que tu
ne te présentes pas sous leurs couleurs. Ils
menacent de t’exclure.

JEAN
Qu’ils le fassent ! Ils sont complètement
déconnectés à Paris… Déjà qu’ils ont failli me faire
perdre la dernière fois avec leurs errements sur le
mariage pour tous. Et maintenant, ils en rajoutent
une couche en restant flou sur la PMA. Crois-moi,
on sera beaucoup mieux sans étiquette !

Francis acquiesce, mais on le sent un peu inquiet.

- 3-
JEAN
Faut que je file, Edith m’attend.

FRANCIS
Profites-en pour lui dire que tu te représentes, ça
t’ôtera d’un poids.

JEAN
C’est au programme !

Jean s’éloigne, l’air préoccupé.

5 EXT. RESTAURANT LE CRONQUELET- JOUR 5

Edith est attablée seule, elle patiente, visiblement nerveuse. Le PATRON


s’approche, souriant.

LE PATRON
Edith, une petite coupe en attendant Jean ?

EDITH
Non merci, c’est gentil.(se reprenant) En fait si, je veux
bien… un whisky.

Le patron masque son étonnement, puis s’éloigne.

Edith aperçoit Jean qui entre dans le restaurant. Il se dirige vers sa table quand il
est interpellé par un homme attablé, monsieur Dufour, qui déjeune seul.

DUFOUR
Monsieur le Maire ! Vous tombez bien. Je voulais
vous parler du dos d’âne installé devant chez moi.
Il fait un boucan d’enfer quand les voitures roulent
dessus. C’est bien simple on ne dort plus avec ma
femme.

JEAN
C’était une demande des riverains pour la sécurité
des enfants. Sécurité ou tranquillité, il faut choisir…

DUFOUR
Ben c’est tout choisi. Faites quelque chose ou je
l’attaque à la masse !

JEAN
Vous n’attaquez rien, monsieur Dufour, je passerai
vous voir, on va trouver une solution.

Sur ce, Jean rejoint sa femme. Il dépose un baiser sur son front et s’assoit.

JEAN
Bonjour ma chérie.

- 4-
EDITH
Bonjour.

JEAN
Je viens de marier Kevin, le cadet des Portal, tu te
souviens de Kevin ?

Edith fait oui de la tête.

JEAN
La semaine dernière c’était Mia, l’aînée des Dubois,
celle d’avant, Timéo, le fils Vandal. Timéo... Que de
l’exotique ! Ils ont honte d’être français ou quoi ?! Et
évidemment ça on n’a pas le droit de le dire...

Visiblement habituée à ses emportements, Edith sourit poliment. Jean saisit la


carte.

JEAN
On choisit nos plats, ça au moins, ça ne crée pas de
polémiques… quoiqu’avec les antispécistes. T’es
pas devenue antispéciste au moins ?

EDITH
T’es bête !

Jean sourit. Le patron arrive.

LE PATRON
Bonjour Jean.

Le patron dépose le whisky devant Edith.

JEAN
Tu bois du whisky ?

LE PATRON
Elle a le droit de se détendre, non ? C’est pas tous les
jours facile d’être la femme du maire. Hein Edith ?

EDITH
Heureusement c’est bientôt fini, n’est-ce pas Jean ?

Jean affiche un sourire niais, mais ne confirme pas…

JEAN
Euh… Moi aussi je vais prendre un whisky.

CUT TO :

Le couple attaque le plat principal. Jean parle avec passion.

- 5-
JEAN
Quand je pense que le fils Vasseur veut prendre ma
mairie… pour faire quoi ? Nous obliger à rouler en
trottinettes électriques ? C’est épouvantable.

Edith acquiesce, mais elle est visiblement ailleurs.

JEAN
Je t’ennuie ?

EDITH
(fébrile) J’ai quelque chose à te dire, Jean. Quelque
chose de très important…

Au même instant, elle est coupée dans son élan par la sonnerie du téléphone de
Jean.

JEAN
Excuse-moi. (mettant son téléphone sur silencieux) Je
t’écoute.

EDITH
Voilà… Lorsqu’on s’est rencontrés, on était jeunes…
Et puis Marie est arrivée, et Pierre, et Luc… On
s’aimait, mais, pour être tout à fait honnête, je me
cherchais encore, je ne savais pas qui j’étais
vraiment… Pendant tout ce temps, ça n’a pas
toujours été facile, mais j’ai rempli mon rôle de
mère et d’épouse du mieux que j’ai pu…

JEAN
Enfin ma chérie, je sais tout ça… Tu es formidable.

EDITH
C’est pas ça que je veux dire. (prenant une
inspiration) C’est juste que je me suis oubliée dans
tout ça. Pire, je me suis niée…

JEAN
Niée ? Tu y vas pas un peu fort, là ?

EDITH
Non Jean, il est temps que j’assume mes désirs
profonds.

JEAN
(soudain inquiet) Tu as rencontré quelqu’un ?

Edith garde le silence.

- 6-
JEAN
(fronçant les sourcils) Edith, quand une femme
déclare à son mari qu’elle veut assumer ses désirs
profonds, y a souvent un homme derrière ça. Je me
trompe ?!

EDITH
Un homme ? Oui, si tu veux, on peut dire ça comme
ça.

JEAN
C’est qui ?!

EDITH
Il est assis en face de toi.

Jean se penche et voit Dufour.

JEAN
Dufour ?!!!

EDITH
Mais non, enfin !

Jean balaie du regard la pièce.

JEAN
Ben qui alors !?

EDITH
Moi, Jean.

Jean reste hébété un instant.

EDITH
Je suis un homme, je l’ai toujours été.

Jean affiche un petit sourire.

JEAN
C’est une blague ?

EDITH
Non, je suis très sérieux.

JEAN
Tu me fais peur, là !

EDITH
Si ça peut te rassurer, je t’aime toujours, ça ne
change rien à mes sentiments pour toi…

- 7-
JEAN
Tu es gentille.

EDITH
Comprends-moi, depuis que je suis né, j’ai lutté, j’ai
joué la comédie... mais ça bouillonne en moi, j’y
peux rien, c’est dans ma chair, dans mes veines, je
suis un homme !

JEAN
Enfin Edith, je m’en serais rendu compte quand
même ! Tu es une femme y a aucun doute !

EDITH
Ah oui ? Et qu’est-ce qui te fait dire que je suis une
femme ?

JEAN
(Ironique) Tout. Ton prénom ? Tes seins ? Je sais pas
moi, peut-être aussi le fait que tu as accouché, non ?

EDITH
Ça m’étonne pas de toi, tu t’arrêtes qu’aux
apparences. C’est pas parce qu’on a un sexe de
femme qu’on peut pas être un homme.

Effaré, Jean vérifie que personne ne l’ait entendue aux tables voisines.

JEAN
Parle moins fort s’il te plaît.

EDITH
Ah oui, tes électeurs, tu as peur de ce qu’ils
pourraient penser ?! C’est exactement pour ça que
j’ai voulu te le dire en public, comme ça tu es obligé
de m’écouter sans hurler.

Jean la dévisage comme si elle était folle.

JEAN
Tu te rends compte que ce que tu me racontes est
délirant, c’est contre nature enfin !

EDITH
Il y a énormément d’exemples dans la nature
justement. Y a des poissons qui peuvent changer de
sexe plusieurs fois de suite dans leur vie, le mérou
par exemple, il peut commencer sa vie en tant que
mâle et la finir en femelle ! Et je ne parle même pas
des escargots, ils sont les deux.

JEAN
Tu te compares à un mérou maintenant ?

- 8-
EDITH
Le monde change, Jean…

Ulcéré, Jean se lève.

JEAN
J’en ai assez entendu.

Jean s’éloigne, puis il revient à la table et lui parle les dents serrées.

JEAN
Va prendre une douche et un calmant, et arrête ces
inepties, sinon je t’envoie chez les dingues !

Jean quitte le restaurant. Edith croise le regard des clients aux tables voisines, elle
soutient fièrement leur regard. Le patron s’approche.

LE PATRON
Tout se passe bien ?

EDITH
Très bien. Je vais reprendre un whisky.

Le patron acquiesce, surpris et s’éloigne.

6 INT. MAIRIE - JOUR 6

Jean entre dans sa mairie et passe devant l’hôtesse d’accueil qui le salue.

HÔTESSE D’ACCUEIL
Bonjour, Monsieur le Maire.

L’air préoccupé, celui-ci trace sans répondre.

7 INT. BUREAU JEAN - MAIRIE - JOUR 7

Jean ouvre la porte de son bureau qui donne sur la place du village, il pose sa
veste sur une chaise et s’arrête, pensif, devant une photo affichée au mur où on le
voit serrer Edith dans ses bras... quand Francis passe la tête dans son bureau.

FRANCIS
Jean, je te dérange une minute…

Il entre, suivi d’un trentenaire en costume bleu nuit sur une chemise blanche,
sans cravate.

FRANCIS
Jean… Je te présente Thomas Gervais, dont je
t’avais parlé, il va nous filer un coup de main sur la
com. Il maîtrise bien les nouveaux outils, c’est un as
des réseaux sociaux.

- 9-
Jean sort de ses pensées et s’assoit derrière son bureau.

JEAN
Mouais, ici rien ne vaut le contact humain, le bon
vieux serrage de paluche et l’apéro chez l’habitant.

FRANCIS
Les deux sont complémentaires, Jean.

THOMAS
J’ai étudié le contexte sociologique de la commune,
et je crois savoir précisément le segment sur lequel
vous devrez vous positionner.

JEAN
Vous êtes gentil jeune homme, mais j’ai gagné trois
fois ma mairie et je pense connaître mes électeurs
mieux que quiconque, alors vos méthodes 2.0…

Jean ouvre un dossier pour signifier que la discussion est close.

FRANCIS
Jean, s’il te plaît. On a besoin de sang neuf, surtout
cette année, la concurrence va être coriace.

JEAN
Elle l’a toujours été, ça m’a jamais empêché de
gagner.

FRANCIS
Oui mais là ton électorat vieillit à vitesse grand V,
beaucoup sont déjà au cimetière. Si tu veux passer,
tu dois séduire les jeunes.

THOMAS
Pour ça, il faut changer de logiciel.

FRANCIS
Le monde change, Jean !

Cette réflexion, la même que celle d’Edith, fait brutalement sortir de ses gonds
Jean, qui frappe sur son bureau.

JEAN
Vous commencez tous à me faire chier avec votre
monde qui change !

Francis fait signe à Thomas de sortir et s’approche de Jean.

FRANCIS
Edith a mal pris que tu te représentes ? (Jean garde le
silence.) C’est ce que je craignais, faut jamais rien
promettre à une femme.

- 10-
JEAN
Je ne lui ai pas encore dit, c’était pas le bon
moment.

FRANCIS
Traîne pas, ça serait con qu’elle l’apprenne par la Voix
du Nord.

Jean fixe Francis, se demandant s’il doit lui révéler ce qui se passe avec Edith.

FRANCIS
Bon sinon, pour le ch’tio, là… Qu’est-ce qu’on fait ?

JEAN
Prends-le si ça t’amuse. Mais je te préviens, je parle
comme je le sens, pas d’éléments de langage à la
con !

8 INT.MAISON LEROY - SOIR 8

Toujours aussi préoccupé, Jean rentre chez lui, les traits tirés. Il dépose ses
affaires dans l’entrée. Puis, il pénètre dans le salon plongé dans la pénombre, et
voit une silhouette d’homme en costume sombre, de dos, les mains dans les
poches, se détacher devant la fenêtre.

JEAN
Edith ?

Pas de réponse. Inquiet, il saisit le premier objet qui lui tombe sous la main et
allume la lumière.

JEAN
Qui est là ?

La silhouette se retourne lentement.

EDITH
Bonsoir, Jean.

JEAN
Tu es complètement maboule ! J’ai failli avoir une
attaque ! C’est quoi cet accoutrement ?

EDITH
(haussant le ton) Tais-toi et écoute-moi !

Jean est surpris par son ton autoritaire. Habillée en homme, affublée d’une fausse
moustache, les cheveux plaqués, un peu éméchée, Edith a gagné en assurance.

- 11-
EDITH
Je sais que c’est déstabilisant pour toi, j’en suis
désolée, mais il va falloir t’y faire Jean, je suis un
homme !

JEAN
N’importe quoi ! Qui t’a foutu cette idée dans la
tête ? C’est encore ton partenaire de golf à la con ?

EDITH
Je n’ai besoin de personne pour savoir qui je suis.

JEAN
Ça vous amuse de foutre ma carrière en l’air ?

EDITH
Quelle carrière ? Ton mandat se termine, non ?

JEAN
Je comptais justement te l’annoncer à midi : j’ai
décidé de me représenter. Alors tu comprends que
tes délires sont très mal venus.

EDITH
(outrée) Et notre tour de France en camping-car ?

JEAN
Notre “tour de France en camping-car” ? Non mais
tu crois quoi ? Que je vais bivouaquer avec un
travelo ?

EDITH
Pauvre type ! Tu m’avais promis. C’est dégueulasse !

JEAN
Je ne sais pas ce qui est le plus dégueulasse dans tout
ça.

Enervée, elle attrape un imperméable et s’apprête à sortir, mais Jean la retient par
le bras.

JEAN
Tu vas où ?

EDITH
Digérer l’info !

JEAN
Elle est bonne celle-là !

Elle le repousse, mais il lui barre le passage.

- 12-
JEAN
Je t’interdis de sortir dans cette tenue !

EDITH
Oh mais ne t’inquiète pas, c’est pas la première fois
que je sors comme ça.

JEAN
Qu’est-ce que tu racontes ? (sidéré) Tu l’as fait
souvent ?

EDITH
Ben oui, c’est même ce qui m’a fait tenir jusque-là,
figure-toi. Une vraie bulle d’air. Le regard
d’inconnus, hommes ou femmes, qui me voient
telle que je suis vraiment, un bonhomme !
(provocatrice) Une fois tu m’as même bousculé dans
la rue et tu m’as dit : pardon monsieur.

Son explication n’amuse pas du tout Jean, qui devient fou de rage et l’empoigne
fermement pour l’empêcher de sortir.

JEAN
Je vais te faire enfermer !

EDITH
Lâche-moi !

Voulant se dégager, Edith lui balance un coup de genou dans les parties. Jean
grimace de douleur.

JEAN
(effaré) Tu m’as frappé ?

Edith semble elle-même surprise par son geste, elle ouvre la porte pour sortir.
Jean se précipite derrière elle.

JEAN
Edith !

Elle lui claque la porte au nez.

9 EXT. JARDIN - DEVANT MAISON LEROY - SOIR 9

Edith traverse précipitamment le jardin de la propriété et ouvre le portail. Jean


sort comme un fou de la maison.

JEAN
Edith !!! Reviens tout de suite !

- 13-
Au même instant, il aperçoit des passants dans la rue qui se retournent sur lui, il
leur adresse un sourire de façade. Edith en profite pour monter dans sa voiture et
démarrer en trombe. Paniqué, Jean retourne en courant dans la maison.

10 INT. SALON - MAISON LEROY- SOIR 10

Jean saisit son portable. Il appelle sa femme, mais tombe sur son répondeur, il
rappelle aussitôt et laisse un message.

JEAN
Edith, je t’ordonne de rentrer !

11 SCÈNE SUPPRIMÉE 11

12 EXT. MAISON - TOUQUET - NUIT 12

Edith se gare devant une maison typique et cossue du Touquet.

Elle sort de sa voiture et sonne à la porte. Un homme élégant, lui ouvre, c’est
GÉRALD, la cinquantaine, son prof de golf et meilleur ami. Il n’est visiblement
pas surpris de la voir vêtue en homme.

GÉRALD
Qu’est-ce tu fais là ? On a prévu une virée ?

EDITH
J’ai tout dit à Jean.

GÉRALD
Tu l’as fait ? Vraiment ? (comprenant que c’est réel.)
Alors là, tu m’épates ! Excuse-moi, mais… Je pensais
que t’aurais jamais les couilles. Allez entre, on va
fêter ça, dignement !

Gérald lui ouvre grand la porte

EDITH
J’ai pas trop l’esprit à la fête Gérald… Jean a très
mal réagi.

GÉRALD
Tu m’étonnes ! (hilare) J’aurais trop aimé voir sa
tête.

13 INT. SALON - MAISON GÉRALD - NUIT 13

Un bouchon de champagne saute. Gérald sert une coupe qu’il tend à Edith,
encore toute chamboulée.

- 14-
EDITH
Je ne sais pas ce qui m’a pris, le coup est parti tout
seul, en plein dans le mille !

GÉRALD
(amusé) Moi je dis bravo, ça va lui remettre les idées
en place à ce vieux réac !

EDITH
J’ai un peu honte quand même… C’est peut-être à
cause de la testostérone, l’endocrino m’a dit que ça
pouvait changer l’humeur, rendre agressif.

GÉRALD
Tu deviens un mec, c’est tout !
(levant son verre) Allez, à ta nouvelle vie !

EDITH
J’aimerais tellement qu’il comprenne.

GÉRALD
Arrête de penser à lui, tu crois qu’il pense à toi en
se représentant ?
(Edith garde le silence) L’important maintenant, c’est
que tu ailles jusqu’au bout. Ceux qui t’aiment
t’accompagneront, les autres tu t’en fous !

EDITH
T’as raison, demain je me fais ratiboiser la tête,
depuis le temps que j’en rêve.

GÉRALD
Pas trop court, hein ?

EDITH
Non, je vais essayer une petite coupe sympa à la
Delahousse.

Emu, Gérald la serre dans ses bras.

GÉRALD
Tu vas être trop belle ! (se reprenant) Pardon, trop
beau !

En l’enlaçant, Gérald fait tomber la fausse moustache d’Edith, qui la ramasse et la


replace, un peu gênée.

EDITH
Vivement que mon traitement fasse effet.

GÉRALD
Tu veux toujours te faire opérer ?

- 15-
EDITH
Les seins oui, pour le reste, je sais pas, j’hésite…

On sonne à la porte. Ils se regardent…

14 EXT. MAISON GÉRALD - NUIT 14

A l’extérieur, Jean sonne avec insistance. Gérald lui ouvre, très calme.

GERALD
Jean ? Quel bon vent t’amène ?

JEAN
Arrête de te foutre de ma gueule toi, dis à Edith de
sortir, je sais qu’elle est là.

GERALD
“Il” tu veux dire ?

JEAN
Me cherche pas, toi ! Je suis assez à cran comme ça.

GERALD
Eh oh du calme. Edith a besoin de décompresser, il
te rappellera quand ça ira mieux.

JEAN
Tu te la tapes ? C’est ça ? Au point où j’en suis, je
peux tout entendre.

GERALD
Jean... mon pauvre Jean… Petit Jean... Je suis gay, tu
sais ça ?

JEAN
Raison de plus.

Soudain, Jean tente de forcer le passage.

JEAN
Je veux parler à ma femme, merde !

Sportif, Gérald le colle contre le mur. Au même instant, Edith déboule, portable
en main.

EDITH
Tu me laisses tranquille Jean, où j’appelle la police !
J’hésiterai pas !

Jean la fixe en contenant sa colère… et finalement abdique.

- 16-
JEAN
Je te préviens Edith, demain j’appelle mon avocat et
je demande le divorce !

Gérald relâche son étreinte, Jean rebrousse chemin, furieux sous le regard attristé
d’Edith.

15 INT. RESTAURANT DARNETAL - NUIT 15

Accoudé au bar du restaurant devant un verre de rouge, Francis fait des efforts
surhumains pour ne pas éclater de rire, sous le regard agacé de Jean.

JEAN
Ça te fait rire ?

FRANCIS
Excuse-moi, mais avoue que c’est cocasse ?!

JEAN
Pour moi c’est un drame. Tout ce que j’ai construit
est en ruine. Mon couple, mon futur mandat, ma
vie.

FRANCIS
Dramatise pas non plus. C’est sûrement passager.
Edith fait peut-être une sorte de burn out de la
femme au foyer, j’ai lu un papier là-dessus.

JEAN
Un burn out ? Depuis que les enfants sont grands,
la seule chose qu’elle fait, c’est de s’occuper de son
association et de jouer au golf.

FRANCIS
Ou alors c’est la ménopause, c’est violent pour les
femmes, y en a qui pètent les plombs… Regarde, la
femme de Pouillard, le notaire, elle a tout plaqué du
jour au lendemain, pour aller s’occuper des girafes
au Botswana.

JEAN
Bah il a de la chance Pouillard, à choisir j’aurais
préféré être plaqué pour une girafe. Non mais tu te
rends compte du ridicule de la situation ?! Ils vont
tous se foutre de ma gueule. Moi qui prône les
valeurs de la famille.

FRANCIS
C’est sûr que tes électeurs risquent d’être un peu
déboussolés.

- 17-
JEAN
Déboussolés ? Même en divorçant je peux dire
adieu à ma mairie. C’est foutu.

FRANCIS
Attends, on n’a pas encore perdu et pour l’instant
personne n’est au courant. Tu peux peut-être
essayer de la raisonner, au moins le temps de la
campagne ?

JEAN
Mais elle est devenue complètement dingue. En
quarante ans de vie commune, j’ai rien vu venir, tu
t’rends compte ?

FRANCIS
Elle aimait les tripes, ça aurait dû t’alerter.

Jean fusille du regard son ami, sa boutade ne le fait pas rire du tout.

16 EXT. DEVANT LE DARNETAL - NUIT 16

Les deux amis sortent du restaurant. Jean semble toujours aussi abattu.

FRANCIS
Allez Jean ! C’est pas la fin du monde.

JEAN
Non, mais c’est la fin de MON monde.

Francis affiche une mine compatissante.

FRANCIS
Bon, je passe te prendre demain matin.

JEAN
On a quoi demain ?

FRANCIS
Enterrement à 10h.

JEAN
Encore ? C’est qui ?

FRANCIS
Madame Martineau.

JEAN
Et une voix en moins. C’est une hécatombe. Qu’est-
ce qu’ils ont tous à mourir en ce moment ?! Pfff…
J’ai même pas préparé de discours.

- 18-
FRANCIS
Tu n’as qu’à reprendre celui de Madame Taupin, tu
fais deux, trois modifs et emballé c’est pesé ! En
plus y avait personne à son enterrement.

Jean aperçoit alors un groupe de personnes qui s’approche. Il grimace en fixant


plus particulièrement un jeune homme de 28 ans, CÉDRIC VASSEUR, son
adversaire principal pour les municipales.

JEAN
Manquait plus que lui.

Le jeune homme, entouré de jeunes loups, lui adresse un sourire arrogant.

CÉDRIC VASSEUR
Pas encore couché, Monsieur le Maire ?!

JEAN
Eh non, vous voyez...

CÉDRIC VASSEUR
Je dis ça pour vous, faut s’économiser à votre âge…
Heureusement, c’est bientôt la retraite, à moins que
vous restiez agrippé à votre siège ? J’ai entendu des
bruits.

Jean rit jaune, mais ne trouve pas de répartie. Francis vient à sa rescousse.

FRANCIS
Vous serez le premier averti ! En attendant, vous
devriez rentrer, c’est l’heure du biberon.

CÉDRIC VASSEUR
Po po po, le sniper de ouf ! Si c’est vous qui vous
occupez des slogans de campagne, on est
tranquilles.

Les jeunes loups autour de Vasseur rigolent. A bout de nerfs, Jean préfère
s’éloigner. Francis le rattrape.

FRANCIS
C’est pas le moment de flancher, s’ils sentent
l’odeur du sang les bébés requins, ils vont te
déchiqueter.

JEAN
Edith m’a tué.

- 19-
17 INT. SALON - MAISON LEROY - NUIT 17

Trois heures du matin, il y a de la lumière dans le salon des Leroy. Assis dans le
canapé, les yeux rougis, Jean, en pyjama, regarde sur un écran de télé des petits
films de famille filmés avec un caméscope. On voit Edith enceinte, puis avec leur
premier enfant qui apprend à marcher. Devant les images de son bonheur passé,
Jean semble désemparé…

La porte d’entrée s’ouvre. Edith apparaît dans le salon toujours habillée en


homme avec sa fausse moustache, qu’elle arrache.

EDITH
Tu cherches un indice qui t’aurait échappé ?

Jean hausse les épaules, l’air perdu. Elle vient s’asseoir à côté de lui sur le canapé
et désigne des images d’eux en maillot de bain, entourés de leurs trois enfants,
une fille et deux garçons.

EDITH
C’est à la Baule…

JEAN
L’époque où je pensais qu’on formait une vraie
famille, où je croyais que tu étais une femme
heureuse.

EDITH
On est toujours une famille, Jean.

Ils s’échangent un regard intense.

EDITH
Jean, je n’arrive pas à m’imaginer sans toi, je t’aime
et je sais que tu m’aimes, je suis certaine qu’on peut
vivre cette aventure ensemble. (elle lui prend la main)
J’ai un marché à te proposer.

JEAN
(grimaçant, retirant sa main) Quel genre de marché ?
Mes couilles contre tes seins ?

EDITH
C’est pas drôle… Ecoute-moi, je sais à quel point ta
mairie est importante pour toi, et j’ai conscience
que ma décision risque de perturber ta campagne.

JEAN
(ironique) Tu crois ?

EDITH
Jean… (prenant à nouveau sa main) Je suis prêt à
mettre en veilleuse l’homme qui est en moi, le
temps de ta campagne.
.../...

- 20-
EDITH (suite)
Mais attention, une fois les élections terminées, je
ne me cacherai plus et je reprendrai ma transition.
Comme ça, tu auras le temps de te faire à l’idée.

JEAN
Ta transition ? Comment tu peux imaginer que je
vais me faire à l’idée ? (se levant, énervé) Tu t’es
vue dans ton déguisement ?

EDITH
Tu ne comprends pas, c’est avant que j’étais
déguisé, quand j’étais en femme ! Dieu m’a conçu
avec un vice de forme, il est temps que je répare
cette erreur.

JEAN
Un vice tout court, tu veux dire ! Et laisse Dieu en
dehors de ça s’il te plaît. Je n’accepterai jamais ! Tu
comprends ? JAMAIS !!!

EDITH
(calme et déterminée) Comme tu voudras, alors on
divorcera, mais tu ne pourras pas me reprocher
d’avoir entravé ta carrière.

JEAN
Tu as pensé aux enfants ? Tu vas leur dire quoi ?
Qu’ils n’ont plus de mère, mais deux pères.

EDITH
Ils comprendront, tu verras. (se levant à son tour) Je
te laisse réfléchir à ma proposition. Bonne nuit.

L’œil noir, Jean la regarde monter les escaliers.

18 EXT. JARDIN - MAISON LEROY - JOUR 18

Le lendemain matin, Francis se gare devant la maison des Leroy. Vêtu d’un
costume sombre, Jean apparaît sur le perron et se dirige d’un pas pressé vers son
adjoint. Au même instant, Francis remarque Edith qui ouvre les volets du
premier étage.

FRANCIS
(baissant sa vitre) Ça roule, Edith ?

EDITH
Je pète la forme ! Dis-moi, tu cherches toujours une
robe pour le carnaval ?

Jean se retourne et adresse un regard assassin à Edith.

- 21-
FRANCIS
À fond ! La mienne a pas survécu au bal des
acharnés, je l’ai totalement détruite.

EDITH
Passe quand tu veux, j’en ai plein à te filer.

Francis acquiesce et Jean le rejoint dans la voiture, en marmonnant.

JEAN
Vieille folle ! Complètement timbrée.

Francis démarre.

19 EXT. PROPRIÉTÉ LEROY - JOUR 19

La voiture passe le portail. Francis conduit.

FRANCIS
Tu l’as raisonnée ?

JEAN
Oui, problème réglé ! J’ai obtenu qu’elle mette son
délire de côté, le temps de la campagne.

FRANCIS
Super, on respire… mais après les élections, tu feras
quoi ?

JEAN
Je divorce direct, cette question ! Y a tromperie sur
la marchandise.

FRANCIS
Je croyais que tu étais opposé au divorce, que ça
allait à l’encontre de tes convictions religieuses…

JEAN
Là, c’est un cas de force majeure ! Je me suis marié
pour le meilleur et pour le pire, mais ce pire là, je ne
pense pas que l’église l’ait prévu.

FRANCIS
L’église évolue sur beaucoup de sujets, tu sais.

JEAN
Oui ben pas moi ! Non mais tu te rends compte que
si ça trouve, MADAME réfléchit tranquillement à se
faire greffer une saucisse entre les jambes.

FRANCIS
Tu déconnes ?

- 22-
JEAN
Non !

FRANCIS
Tu devrais peut-être aller voir un psy.

JEAN
Non mais ça va pas, non ?! C’est elle la dingo ! Moi
je vais très bien. Je ne suis pas responsable de sa
folie quand même.

FRANCIS
Je sais, mais c’est pas anodin ce qui t’arrive, ça te
ferait peut-être du bien d’en parler.

JEAN
Pour que le psy se répande dans ses dîners en
ville ?

FRANCIS
Ils sont soumis au secret professionnel.

JEAN
Tu parles, y a plus de déontologie quand t’as un
coup dans le nez.

20 EXT. PARVIS DE L’ÉGLISE DE MONTREUIL - JOUR 20

Un cercueil porté par des hommes en costumes noirs entre dans l’église, suivi par
le cortège, composé de la famille, des amis et du voisinage.

Bien en vue de tous, à l’entrée de l’église, Jean et Francis affichent des têtes de
circonstance et saluent les gens qui passent devant eux. En fin de cortège, un
homme s’approche de Jean.

L’HOMME
Monsieur le Maire, on pourrait se voir après ? C’est au
sujet de mon permis de construire.

Jean acquiesce poliment. Une vieille dame s’approche à son tour.

VIEILLE DAME
Vous allez vous re-présenter ?

JEAN
Ça dépendra de l’attente de mes chers administrés,
je ne voudrais pas faire le mandat de trop.

LA VIEILLE DAME
En tous cas, moi je voterai pour vous. On sait ce
qu’on perd, pas ce qu’on gagne.

- 23-
Jean arbore un sourire reconnaissant. La vieille dame se met alors à tousser
fortement. Francis lui remet bien son écharpe en place.

FRANCIS
Ne prenez pas froid, entrez vite. Et vous devriez
porter un masque, on n’est jamais trop prudent.

La vieille dame hausse les épaules et entre. Francis échange un regard complice
avec Jean.

FRANCIS
Faut qu’elle tienne jusqu’à l’élection.

JEAN
M’en parle pas, saloperie de virus !

21 EXT. GOLF DU NAMPONT - JOUR 21

Edith, à nouveau habillée en femme, traverse le golf en tirant son sac et croise un
golfeur.

GOLFEUR
Bonjour Madame Leroy !

Edith lui sourit de mauvaise grâce et se rend sur le départ du trou n°1 où l’attend
Gérald. Celui-ci marque un arrêt en la voyant, surpris.

GÉRALD
Bah alors tu t’es pas coupé les cheveux ?

EDITH
J’ai passé un accord avec Jean, je repousse ma
transition jusqu’aux élections.

GÉRALD
Ouais d’accord. Tu te dégonfles, quoi.

Elle saisit une balle et un club, puis se met en position.

EDITH
Je suis toujours aussi motivée… mais je ne peux pas
lui faire ça juste avant sa campagne.

GÉRALD
Tu le fais encore passer avant toi.

EDITH
C’est ça ou je le perds définitivement. Et puis trois
mois de plus ou de moins, qu’est-ce que c’est ? J’ai
bien attendu cinquante ans.

- 24-
Gérald affiche une moue sceptique. Edith prend son élan et fait un swing de
malade, la balle part comme une fusée.

GÉRALD
Dis-moi, ton traitement là, t’en prends pas trop ?

22 INT. BUREAU JEAN - MAIRIE - JOUR 22

Jean et Francis écoutent Thomas, le jeune loup qui va gérer la com.

THOMAS
Pour commencer, on va créer une page Facebook et
ouvrir un compte Instagram et Twitter.

JEAN
Comptez pas sur moi pour faire mumuse avec
toutes ces conneries, j’ai horreur de ça !

THOMAS
Vous n’aurez rien à faire, c’est moi qui ferai vivre
vos comptes…

FRANCIS
On en a déjà parlé Jean, faut se mettre à la page.

Jean acquiesce de mauvaise grâce.

THOMAS
Ce qui serait bien aussi, pour votre lancement de
campagne, c’est de faire une petite vidéo qu’on
postera sur les réseaux.

FRANCIS
Excellent.

Jean ne semble pas convaincu.

THOMAS
Pour jouer la proximité, on pourrait la faire dans
votre cuisine, vous, en train de mitonner un bon
petit plat, ça serait smart. D’ailleurs, ça serait bien
aussi que votre femme participe.

Jean adresse à Francis un regard qui en dit long.

JEAN
On va éviter, ma femme n’aime pas s’exposer.

THOMAS
Dommage, l’image d’un couple uni c’est important
pour les électrices.

- 25-
FRANCIS
C’est pas faux ça… Regarde Brigitte Macron, elle
s’est vachement investie dans la campagne.

JEAN
Okay, je vais lui en parler, mais je promets rien… Et
j’espère que votre stratégie ne se résume pas à faire
des vidéos culinaires avec ma femme ?

FRANCIS
Evidemment !

THOMAS
Sinon, j’ai étudié vos adversaires, le plus dangereux
c’est Cédric Vasseur. Il représente la jeunesse, le
changement, le progrès…

JEAN
L’inexpérience surtout.

FRANCIS
Faudra donc mettre le paquet là-dessus, et aussi
voir s’il n’a pas d’autres failles.

THOMAS
J’ai pas trouvé grand chose sur lui…. Il est né ici,
mais il est parti tôt faire ses études à Lille, puis il a
fait Science Po et HEC à Paris, ensuite il est passé
dans une banque d’affaires à Shanghai.

FRANCIS
Waouh quand même, sacré CV.

JEAN
Qu’est-ce qu’il vient foutre ici ?

THOMAS
Je sais pas… mais c’est parfait pour nous, on dira
qu’il est déconnecté, hors sol…

JEAN
Vous ne le trouvez pas un peu précieux, vous ?

THOMAS
C’est à dire ?

JEAN
Bah, il serait de la fanfare que ça m’étonnerait pas.

Thomas ne comprend pas l’expression.

FRANCIS
De la jaquette… homo quoi !

- 26-
THOMAS
Ah d’accord… (atterré) Mais ça fait longtemps que
c’est plus un handicap, en fait.

FRANCIS
Chez vous peut-être, mais ici la Gay Pride n’est pas
encore arrivée. Enfin bon, on n’a aucune preuve
qu’il en soit.

JEAN
En politique, l’important, c’est ce qui est cru, pas ce
qui est vrai.

FRANCIS
C’est bien ça ! C’est de toi ?

JEAN
Non Talleyrand. Toi c’est sûr t’as pas le CV de
Vasseur.

23 INT. ASSOCIATION TRANS PAS-DE-CALAIS - DUNKERQUE - JOUR 23

Une construction des années 50 à Dunkerque. A l’intérieur, dans une salle


fonctionnelle, on découvre un petit groupe d’hommes et de femmes trans, tous
âge et conditions confondus, assis en cercle. Ils ont tous le regard rivé sur Edith,
qui porte casquette et grosses lunettes noires. Ils attendent qu’elle parle mais elle
est bloquée.

KARINE, femme transgenre de caractère, qui anime le groupe, intervient.

KARINE
Allez, on t’écoute Edith, n’aie pas peur.

EDITH
Euh… (intimidée) Par où commencer… je suis
désolée, j’ai pas trop l’habitude de parler en public.

KARINE
Personne ne te jugera ici, on est toutes et tous
passés par là.

EDITH
Bon voilà… Si je suis là, c’est qu’après des années
d’hésitation, j’ai décidé de franchir le rubicon.
D’être enfin ce que j’ai toujours été : un homme.

L’assemblée applaudit. Sauf une personne (EMILIE, une femme transgenre


d’une cinquantaine d’années) qui se demande ce que ça veut dire “rubicon”.

EDITH
Merci… mais dans ma tête ça reste un peu confus,
je me pose des questions…

- 27-
KARINE
On va essayer d’y répondre, il n’y a pas de tabous
entre nous.

EDITH
Par exemple… Je me suis toujours sentie un homme
au plus profond de moi, mais paradoxalement, je
n’ai jamais été attirée par des femmes… C’est
normal ?

Ça fait sourire certains dans l’assemblée.

KARINE
Y a rien de normal ou d’anormal… Faut pas
confondre le genre et l’orientation sexuelle. Il y a
des transgenres hétéros, gays, bi, pan-sexuels. Il y a
toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Jade, une femme transgenre, intervient.

JADE
Ouais, faut pas oublier les a-sexuels… Sans compter
qu’il y a aussi des trans non binaires, les fluides, les
bigenres, les tri-genres, les poly-genres.

KARINE
Je sais Jade.

JADE
Et les demi-genres.

KARINE
Aussi. Mais on va simplifier pour Edith.

EDITH
Donc moi alors… je suis… hétéro ?

KARINE
Bah non Edith, tu es un homme qui aime les
hommes, donc tu es gay.

EDITH
Ah oui. (rougissant) Je suis sotte. Enfin idiot, je veux
dire.

CAROLE, une autre femme transgenre, lève la main. Karine lui fait signe de
parler.

CAROLE
Moi c’est Carole… Tu as fait ton coming out auprès
de ta famille, tes amies ?

- 28-
EDITH
Je l’ai dit à un ami, qui me soutient… Et à mon
mari, mais lui, il a très mal réagi.

KARINE
Classique. Il faut du temps pour qu’un cisgenre
accepte… et beaucoup ne l’acceptent jamais.

EDITH
Excusez-moi, c’est quoi un cisgenre ?

KARINE
Ce sont les personnes dont l’identité de genre est en
accord avec le genre qu’on leur a assigné à la
naissance.

EDITH
(larguée) C’est-à-dire ?

CAROLE
Par exemple, un homme qui se sent homme et qui
est né avec un zizi, comme ton mari, c’est un cis-
genre.

EDITH
Ah d’accord, j’apprends plein de choses, c’est
super !

CAROLE
Tu comptes te faire opérer ou pas ?

EDITH
Là aussi je suis un peu perdu… D’un côté,
j’aimerais avoir le corps d’un homme avec tous les
attributs masculins… et en même temps, j’aimerais
rester avec mon mari et continuer à avoir des
relations avec lui. C’est bizarre, non ?

KARINE
Mais pas du tout, comme on t’a dit, toutes les
combinaisons sont possibles.

EDITH
Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !

KARINE
Mais oui ! L’important c’est d’être en accord avec
soi-même.

Karine se tourne vers Serge, un homme transgenre.

- 29-
KARINE
Serge se sent 100% homme, mais il a souhaité
garder ses seins et son uterus.

SERGE
Pour moi c’était impensable de ne pas porter mon
enfant. Etre un mec, ça ne m’a pas empêché de bien
vivre ma grossesse. Et pour la santé de mon bébé, je
voulais allaiter donc j’ai gardé mes seins.

Tous applaudissent, admiratifs et émus. Edith, elle, est un peu décontenancée.


Un autre homme transgenre intervient.

ADAM
Et si je peux te donner un conseil, pour te sentir
mec, commence déjà par adopter des attitudes
viriles, tiens-toi les jambes écartées, crache par
terre, jure, fréquente des bars, tu verras que le
regard des autres changera…

JADE
(fait la moue) Bonjour les clichés, y a des hommes
efféminés aussi.

ADAM
Excuse-moi, mais un mec trans cherche plutôt à
ressembler à Brad Pitt qu’à Stéphane Bern.

JADE
Pff ! Quel beauf celui-là ! Ce que tu viens de dire
c’est limite homophobe !

ADAM
Je vois pas en quoi c’est homophobe.

CAROLE
En plus je le trouve pas si viril que ça moi Brad
Pitt…

KARINE
Bon on s’éloigne là !

Serge se tourne vers Edith.

ADAM
Sinon, tu peux utiliser des prothèses où même des
chaussettes rembourrées, ça fait illusion et ça coûte
que dalle.

SERGE
Et encore, t’es pas forcé d’avoir d’avoir un truc
entre les jambes pour te sentir mec.

- 30-
Adam lève les yeux au ciel.

CAROLE
Et pour les seins, tu peux porter un binder pour
comprimer ta poitrine.

ADAM
Moi je suis contre toutes ces singeries ! On n’est pas
des trav’, merde !

KARINE
Adam !!! (choquée) Je ne te laisserai pas tenir des
propos discriminatoires sur les travestis. On se
plaint suffisamment de la connerie des cisgenres,
c’est pas pour se comporter comme eux.

Un ange passe. Karine se tourne vers Edith.

KARINE
Tu devrais déjà choisir un prénom masculin, c’est
une étape importante.

Tout le monde confirme. Edith acquiesce.

KARINE
Tiens d’ailleurs, à propos de nom, y en a qui
trouvent qu’”En-Trans”, c’est trop connoté
drogue… qu’est-ce que vous pensez si on changeait
pour “Air-Trans” ?

EMILIE
(ironique) Ah oui super et pourquoi pas “Trans-
Inter” aussi !

CAROLE
Moi j’ai pensé à “Trans-Mission”.

Plusieurs membres s’enthousiasment, même Adam.

KARINE
“Trans-Mission”… Oui c’est sympa.

24 EXT. ASSOCIATION LGBT - DUNKERQUE- SOIR 24

Fin de la réunion, tout le monde sort du bâtiment. L’ambiance est chaleureuse, on


s’embrasse et on se donne rendez-vous la semaine prochaine. Alors qu’Edith
commence à s’éloigner, Carole l’interpelle.

CAROLE
Edith ? T’es en voiture ?

- 31-
EDITH
Oui… pourquoi ?

CAROLE
Tu passes par Gravelines ?

EDITH
Je peux faire un crochet.

CAROLE
Ah super !

Elles marchent ensemble en direction de la voiture.

CAROLE
Tu sais, faut pas te stresser pour ta transition, ça
peut se passer dans la joie et la bonne humeur. Pour
moi ça a été une seconde naissance.

EDITH
Ah oui ? Et ton entourage, ça a été ?

CAROLE
Bah dans l’ensemble oui, sauf mon mec qui l’a très
mal pris. Plus binaire, tu meurs...

EDITH
Et vous êtes toujours ensemble ?

CAROLE
Non. Mais maintenant ça va, on est potes.

EDITH
Tu travailles ?

CAROLE
Oui, je suis agente d’entretien à la centrale
nucléaire.

EDITH
Et tes collègues, ils savent que tu es… trans ?

CAROLE
Bah oui, ils m’ont connue avant.

EDITH
Et ils l’ont bien pris ?

CAROLE
Ben au début j’ai eu droit aux grosses vannes
salaces... la Centrale, c’est un peu comme dans une
caserne, mais maintenant je suis bien acceptée, y en
a même qui me draguent.

- 32-
EDITH
Vraiment ?

CAROLE
Bah oui, les gens sont plus ouverts qu’on ne pense.
J’ai même été réélue à la tête du club de foot de la
centrale. Avant ils m’appelaient Monsieur le
président, maintenant c’est Madame la présidente.
Tu fais du sport, toi ?

Un peu gênée, Edith acquiesce et s’arrête devant sa voiture.

EDITH
Euh, non... Je pratique juste un peu de golf.

CAROLE
C’est la pétanque des riches, ça !

Edith sourit poliment, sort son bip et déverrouille les portières.

25 EXT.INT -VOITURE EDITH - ROUTE DÉPARTEMENTALE - SOIR 25

Edith est au volant. À ses côtés, Carole la regarde avec insistance.

CAROLE
Je vois tout à fait le style de mec que tu vas être…
classe, chicoss’, un peu style Bradley Cooper, tu vas
toutes les faire craquer.

Un peu mal à l’aise, Edith sent sur elle le regard de Carole qui la fixe avec une
lueur de désir.

EDITH
Excuse-moi mais… si c’est pas trop indiscret, toi
maintenant t’es… gay, lesbienne ou hétéro ?

CAROLE
T’aimes les étiquettes, toi.

EDITH
C’est juste pour savoir, comme ça.

CAROLE
J’aime tout le monde moi. Du moment qu’ils sont
majeurs et consentants ! La seule chose qui compte
pour moi, c’est l’âme.

EDITH
(dépassée) Mais t’es quoi alors ?

- 33-
CAROLE
Si tu veux vraiment me mettre dans une case, je suis
pansexuelle, je bouffe à tous les râteliers.

Tête d’Edith un peu déroutée.

CAROLE
Je rigole Edith ! T’es con.

Carole lui met un coup de coude, Edith affiche un sourire coincé.

EDITH
Et ta voix, tu t’es fait opérer ?

CAROLE
(prenant une voix d’homme, très grave) Non, je l’ai
travaillée avec un orthophoniste… (reprenant sa voix
de femme) Mais t’inquiète, toi avec la testostérone
que tu prends, tu vas vite avoir une voix de
camionneur.

EDITH
Génial !

26 EXT. INT - VOITURE EDITH - DEVANT LA CENTRALE - SOIR 26

La voiture d’Edith se gare devant la centrale, au crépuscule.

CAROLE
Ici c’est parfait.

EDITH
Tu loges dans la centrale ?

CAROLE
Ben non Edith, je travaille de nuit.

EDITH
Je me disais aussi…

CAROLE
Bon t’as mon numéro, si t’as la moindre question,
t’appelles, jour, nuit, pas de souci. On doit
s’entraider, c’est la base.

Carole serre Edith dans ses bras et lui fait une grosse bise. Pas très habituée au
contact physique, Edith reste un peu figée.

CAROLE
Prends soin de toi, mon beau.

- 34-
27 INT.JARDIN MAISON LEROY - JOUR 27

Le front perlé de sueur, Edith, en tenue de jardinier, combinaison et bottes en


caoutchouc, creuse un trou dans le jardin.

CUT TO :

Le trou creusé, elle jette au fond un soutien-gorge, une culotte.

28 INT. EGLISE DE SAINT SAULVE - MONTREUIL S/MER - JOUR 28

A Montreuil-sur-Mer, la porte de l’église abbatiale s’ouvre dans un grincement


qui fait se retourner une vieille bigote qui priait. La tête de Jean apparaît dans
l’encadrement. A l’intérieur, l’Abbé, la quarantaine, range des cierges. Jean
s’approche, glisse une pièce et prend un cierge.

JEAN
(feignant la surprise) Ah mon Père… Bonjour.

L’ABBÉ
Comment allez-vous Monsieur le Maire ?

JEAN
(allumant le cierge) Bien, bien… Très bien, merci.

L’ABBÉ
Alors ces élections, ça s’annonce comment ?

JEAN
Tous les voyants sont au vert, mon père, mais on ne
peut malheureusement pas tout contrôler, le choix
des électeurs reste un mystère.

L’ABBÉ
Il faut accepter que des choses nous échappent,
mon fils…

JEAN
Eh ben justement… J’ai un ami… Enfin comment
vous dire… Il est en plein désarroi à cause de sa
femme, mais je ne sais pas comment l’aider. Peut-
être pourriez-vous m’éclairer ?

L’ABBÉ
Je vous écoute mon fils.

JEAN
Je vous préviens, c’est pas très catholique.

L’ABBÉ
Parlez sans crainte.

- 35-
JEAN
Voilà, la femme de mon ami, prétextant que Dieu
l’a affublée d’un corps qui ne correspondait pas à
son identité sexuelle, a décidé d’en changer, pour
devenir un homme.

L’abbé fronce les sourcils.

JEAN
Je vous avais prévenu… (s’énervant soudain) Face à
cette folie, et le mot est faible, mon ami, est pris
dans un affreux dilemme… D’un côté, il ne peut
vivre une relation contre nature, de l’autre, il aime
sa femme et il s’est marié devant Dieu, pour le
meilleur et pour le pire.

Jean marque une pause et regarde du coin de l’oeil, les réactions de l’abbé qui a
la mine grave.

JEAN
Qu’est-ce que vous lui conseilleriez, mon père ?
Moi je lui conseillerai bien de divorcer, mais vous ?

L’ABBÉ
Le divorce est toujours une mauvaise solution, on
ne soigne pas le mal par le mal. Quant à la femme…
c’est une brebis égarée. Nous sommes les créatures
du tout puissant et lui seul décide de notre
apparence.

JEAN
Ça on est d’accord ! Mais bon, ça ne résout pas le
problème de mon ami.

L’ABBÉ
Votre ami doit puiser en lui tout l’amour qu’il a
pour sa femme, c’est la seule façon de la ramener
sur le droit chemin.

JEAN
Ah bon, c’est tout ?

L’ABBÉ
C’est tout.

JEAN
Bon ben, je vais répéter ça à mon ami, mais je doute
qu’il puisse entendre des paroles aussi sages. Il est
très très perturbé, vous savez.

- 36-
L’ABBÉ
C’est la seule voie, mon fils. A moins que cette
femme soit possédée par Satan, et dans ce cas… Elle
aurait besoin d’un exorciste, mais ce n’est plus
pratiqué de nos jours.

JEAN
Bah je sais bien, tout se perd !

29 INT/EXT. JARDIN - SALON - MAISON LEROY - JOUR 29

Jean rentre chez lui. Il traverse le salon et voit par la fenêtre donnant sur le jardin,
Edith, dans sa combinaison de jardinier, qui revient vers la maison, pelle à la
main et roulant un peu des épaules. Elle plante sa pelle dans la pelouse et
balance maladroitement un molard qui retombe sur ses bottes. Jean grimace et
ouvre la porte de la terrasse qui donne sur le jardin.

JEAN
De mieux en mieux ! La grande classe ! (tête d’Edith
surprise) Mais dis-moi, tu ne devais pas le mettre en
veilleuse le type qui est en toi ?!

Edith rejoint Jean sur la terrasse.

EDITH
Que les choses soient claires, Jean, j’ai passé ce
marché avec toi pour ne pas entraver ta campagne,
mais à la maison je fais ce que je veux. D’ailleurs, à
partir de maintenant, je m’appelle : “Eddy”.

(A partir de maintenant Edith sera nommé Eddy dans les descriptions.)

JEAN
Eddy ? On touche le fond, là !

EDDY
Peut-être que toi tu touches le fond, mais moi, pour
le première fois de ma vie je sors la tête de l’eau.

JEAN
Je ne serai pas complice de ta folie !

EDDY
Tu préfères peut-être que je fasse mon coming out
public ?

JEAN
Ça y est, on passe au chantage maintenant.

Ils se défient du regard.

- 37-
JEAN
Après tout, je m’en fous ! Va pour Eddy ou Johnny,
ou même Kevin si tu veux, je ne suis plus à ça près.

EDDY
Merci Jean, c’est trop aimable.

JEAN
En revanche, j’aimerais que tu t’impliques un
minimum dans ma campagne.

EDDY
C’est-à-dire ?

JEAN
Que tu joues ton rôle d’épouse.

EDDY
Je t’arrête tout de suite ! Pas question que je joue les
potiches !

JEAN
On peut-être épouse et moderne, regarde Brigitte
Macron !

EDDY
Je préfère Michelle Obama.

JEAN
Ça m’étonne pas ! Elle est un peu hommasse ta
Obama… D’ailleurs, je devrais peut-être appeler
Barak, si ça se trouve, il vit le même cauchemar que
moi.

EDDY
T’as vraiment des réflexions de cisgenre.

JEAN
Cisgenre ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ?

EDDY
C’est quelqu’un qui est en accord avec le genre
qu’on lui a attribué à la naissance, comme toi.

JEAN
Y a déjà un mot pour dire ça ?!

Enervé, Jean va pour tourner les talons, quand il voit au fond du jardin la croix
sur le monticule.

JEAN
C’est quoi ça ?

- 38-
EDDY
La tombe d’Edith. Je l’ai enterrée tout à l’heure.

Sidéré, Jean reste un bref instant littéralement scotché, puis revient sur terre.

JEAN
Okay… tout va bien, tout est normal… et sinon on
mange quoi ce soir ?

EDDY
Désolé, mais j’ai pas eu le temps de préparer à
manger…

JEAN
(moqueur) C’est normal, tu viens de perdre un
proche, c’est déstabilisant. Tu sais quoi, moi, je vais
aller manger dans un routier, j’ai une furieuse envie
d’être entre cisgenres !

Eddy hausse les épaules.

30 INT. RESTAURANT DARNETAL - SOIR 30

Jean a retrouvé Francis dans une auberge.

FRANCIS
Ecoute, l’important c’est de ne pas la braquer, on a
besoin d’elle.

JEAN
C’est pas toi qui te coltines ses délires, elle débloque
totalement.

FRANCIS
Tu sais quoi…(goguenard) Fais comme elle, fais ta
transition toi aussi ! Mets-toi dans la peau d’un type
ouvert, cool bien pensant !

Tête de Jean, que ça ne fait pas rire.

FRANCIS
Non laisse tomber, y’a trop de boulot.

31 INT. MAISON LEROY - SOIR 31

De retour chez lui, Jean monte dans la chambre et trouve Eddy qui dort en
ronflant. Il le fixe en grimaçant, hésite à se coucher, et ressort finalement de la
chambre.

- 39-
32 INT. SALON - MAISON LEROY - JOUR 32

Au petit matin, Eddy découvre Jean qui dort dans le canapé du salon. Attendri, il
remonte délicatement le plaid sur ses épaules, le regarde avec tendresse puis il va
dans la cuisine où BRIGITTE, la femme de ménage, s’apprête à passer
l’aspirateur.

EDDY
Bonjour Brigitte… Commencez par la chambre. Jean
s’est endormi sur le canapé.

BRIGITTE
Bien Madame.

EDDY
Brigitte… s’il vous plait, arrêtez de m’appeler
Madame, ça me gêne.

BRIGITTE
Ah bon… mais… vous voulez que je vous appelle
comment ? Edith ?

EDDY
Non plus.

BRIGITTE
Mais alors comment ?

EDDY
Je vais y réfléchir…

Décontenancée, Brigitte s’éclipse.

33 INT. CUISINE - MAISON LEROY - JOUR 33

Installé à la table de la cuisine, Eddy, en peignoir, déjeune en regardant sur son


smartphone le tuto d’un homme transgenre qui donne des conseils sur le port du
binder. C’est alors que Jean entre, les cheveux en pétard, visiblement pas très
réveillé.

JEAN
Bonjour Edith… Il reste du café ?

Eddy continue à regarder sa vidéo comme s’il ne l’avait pas entendu.

JEAN
J’ai dit bonjour : Edith !

Eddy coupe la vidéo et regarde autour de lui.

EDDY
Je ne vois pas d’Edith ici.

- 40-
JEAN
Ah oui, pardon… Bonjour Eddy… Tu sais c’est
nouveau pour moi, tu pourrais être un peu
indulgente.

EDDY
Indulgent, Jean.

JEAN
Tu sais quoi ? Tu me les brises, MENUE ! C’est
bon ? L’accord te va, là ?

EDDY
Si tu veux que je m’implique un minimum, il va
falloir faire des efforts. C’est donnant, donnant !

On sonne à la porte.

JEAN
On attend quelqu’un ?

EDDY
C’est mon coach. J’ai décidé de me remettre en
forme.

Brigitte apparaît.

BRIGITTE
Je vais ouvrir, Madame ? (se reprenant, confuse)
Euh… pardon… je… je vais ouvrir.

Disparaissant précipitamment.

JEAN
Qu’est-ce qu’elle a elle aussi ?

34 INT. BUREAU JEAN - MAISON LEROY - JOUR 34

Dans son bureau, Jean, au téléphone avec Francis, regarde sur son ordinateur une
proposition d’affiche pour sa campagne, dont le slogan est : “En avant comme
avant” !

JEAN
J’aime bien… Dans : “En avant” il y a la notion de
volonté, de modernité, de changement… et dans
“comme avant” celle de tradition, de continuité.
C’est tout à fait moi… Je valide.

Au même instant, du gros hip hop résonne… Jean fonce à la fenêtre et voit dans
le jardin, Eddy en survêtement, qui fait des exercices d’échauffement sous le
regard de MIKA, le coach, un jeune homme athlétique.

- 41-
JEAN
C’est possible de baisser le son ?! Je bosse moi !

Mika s’exécute, puis se tourne vers Eddy.

MIKA
Quelle partie du corps vous voulez travailler ?
Abdos ? Fessiers ?

EDDY
Bah surtout les biceps. (bombant le torse et pliant les
bras comme Popeye) Un peu comme vous. Et aussi là,
devant.

MIKA
Les pecs ?

EDDY
Oui c’est ça les pecs !

MIKA
Vous êtes sûre ? Attention quand même… vous
allez prendre de la masse.

EDDY
Super, c’est bien ça la masse, c’est exactement ce
que je veux !

MIKA
Okay c’est parti !

Jean lève les yeux au ciel, quand son téléphone sonne. Agacé qu’on le dérange
encore, il décroche, limite aimable. C’est MARIE, sa fille.

JEAN
Oui.

MARIE (OFF)
Bonjour papa, je voulais savoir pour la fête des
mères, tu as une idée de cadeau ?

JEAN
Euh… Tu me prends au dépourvu là… En plus, je
ne suis pas certain que ta mère aie envie de la fêter
cette année.

MARIE (OFF)
Pourquoi ?!

Jean regarde d’un œil noir Eddy qui fait des exercices avec des élastiques, on le
sent tenté de dire le fond de sa pensée.

- 42-
JEAN
Bah, elle est fatiguée, très fatiguée. A mon avis elle a
besoin de beaucoup de repos… et moi j’ai ma
campagne à gérer.

MARIE (OFF)
C’est pas une raison pour que le monde s’arrête. On
a toujours fêté la fête des mères. Comme la fête des
pères, d’ailleurs.

JEAN
(s’énervant soudain) Bah le monde change ! Va falloir
t’y habituer, ma chérie.

MARIE (OFF)
(surprise par son ton) Ça va papa ?

JEAN
Ecoute, si tu y tiens absolument, organise ça avec
tes frères. Vous avez carte blanche.

35 INT. ESCALIERS - MAISON LEROY - JOUR 35

En sueur, Eddy, qui a terminé son cours de muscu, monte quatre à quatre les
escaliers et croise Jean qui sort de son bureau.

JEAN
(narquois) Notre fille vient d’appeler, au sujet de la
fête des mères.

EDDY
C’est quoi ce sourire ?

JEAN
Bah… J’ai hésité à lui dire qu’elle n’avait plus de
maman, mais deux papa.

EDDY
Je te préviens Jean, je t’interdis de leur annoncer,
c’est à moi et à moi seul de le faire.

JEAN
Je t’ôterai pas ce plaisir, par contre j’aimerais bien
être là.

Eddy hausse les épaules. Content de lui, Jean commence à descendre les
escaliers.

JEAN
Au fait, demain on fait la vidéo, je compte sur toi
pour être un minimum féminine, Eddy !

- 43-
36 INT. CUISINE - MAISON LEROY - JOUR 36

Dans la cuisine des Leroy, Thomas et Francis finissent d’installer une mandarine
et un réflecteur. Tablier autour de la taille, Jean se place derrière le plan de travail
où est posé un tas de patates.

Eddy apparaît, il porte une robe rose ultra féminine avec un décolleté plongeant,
des collants roses et des escarpins roses.

EDDY
(prenant la pose) Voilà !

Les trois hommes le regardent, un peu décontenancés par son look.

EDDY
Ça vous va, c’est assez féminin ?

THOMAS
Vous êtes magnifique… mais c’est peut-être un poil
too much pour cuisiner ?

FRANCIS
Oui, j’imaginais quelque chose de plus décontracte.

JEAN
Oui ben c’est bon ! On ne va pas y passer la nuit,
elle n’a qu’à enfiler un tablier.

Devant l’empressement de Jean, Francis et Thomas acquiescent.

CUT TO :

Derrière le plan de travail, Jean et Eddy, qui a enfilé un tablier qui recouvre sa
robe, font face à Thomas qui fait le point sur sa caméra… quand quelque chose
tracasse ce dernier. Il se penche vers Francis et parle à voix basse.

THOMAS
Elle a un duvet brun au-dessus de la bouche, ça fait
bizarre.

Francis fixe Edith.

JEAN
C’est pour aujourd’hui ou c’est pour demain ?!

FRANCIS
Y a un petit souci, viens voir.

Jean s’approche, Francis lui fait signe de regarder sur le retour.

FRANCIS
On dirait qu’elle a une moustache.

- 44-
Francis zoom sur sa bouche.

JEAN
Ah oui… ça se voit beaucoup quand même.

Jean va trouver Edith et lui parle discrètement.

JEAN
Ton duvet, tu peux l’épiler ou le décolorer ?

EDDY
Tu rigoles ou quoi ?! Je ne m’injecte pas de la
testostérone pour raser le peu de poils que j’ai
réussi à faire pousser.

JEAN
De la testostérone ? Mais, t’es complètement
maboule de prendre ces cochonneries pareilles ? Tu
vas te bousiller la santé !

EDDY
Je suis suivi par un endocrinologue, il n’y a aucun
risque.

Abasourdi, Jean retrouve Francis.

JEAN
Elle refuse.

FRANCIS
Thomas ? On peut retoucher la vidéo ?

THOMAS
Image par image c’est possible, mais ça coûte un
bras !

JEAN
Bon allez, mettez-la dans l’ombre ou de dos, j’en
sais rien merde ! C’est votre idée !

CUT TO :

Jean est retourné en place à côté d’Eddy, qui a le visage dans l’ombre. Prenant
son rôle d’assistant réal au sérieux, Francis hurle.

FRANCIS
Action !

Eddy commence à éplucher les patates que Jean découpe en frites, affichant un
sourire publicitaire.

- 45-
JEAN
Tous les dimanches, Edith et moi, nous profitons du
jour du Seigneur pour faire des moules frites, c’est
un moment d’intimité important pour nous.

EDDY
Oui on échange et je lui rapporte l’humeur des
Montreuillois, que j’ai glané sur le marché, au café,
dans la rue. Je suis ses yeux et ses oreilles…

JEAN
On forme une team de choc.

Eddy acquiesce en affichant un grand sourire, un peu trop exagéré pour être
honnête.

JEAN
C’est d’ailleurs Edith qui m’a poussé à me
représenter.

En entendant ça, Eddy fusille du regard Jean, qui affiche un sourire faux cul.

THOMAS
Coupez ! C’est super, mais on en refait une, un peu
plus détendue.

FRANCIS
Vous devriez peut-être boire une bière en même
temps, ça ferait plus proche des gens.

37 EXT. PLACE DU MARCHÉ - MONTREUIL - JOUR 37

C’est jour de marché. Jean, Francis, Thomas et les colistiers remontent les allées
en distribuant des tracts. Enthousiaste, Jean joue pleinement son rôle, il serre les
mains à tout va à la manière de Chirac.

JEAN
Pierrot !… Comment va Sophie ?

PIERRE
Très bien. Un peu trop, même. C’est ça le problème.
Elle m’épuise.

JEAN
Fallait pas épouser une jeunette !

Tout le monde rigole. Jean poursuit son chemin et s’adresse à une nouvelle
personne.

JEAN
Votre fille a trouvé son stage, Franck ?

- 46-
FRANCK
Oui Monsieur le Maire. Je sais pas comment vous
remercier.

JEAN
En allant voter… mais pour moi !

Jean continue d’avancer, des badauds l’apostrophent.

UN FEMME
On est avec vous !

UN HOMME
Prévenez Edith, dimanche prochain on vient
manger des moules chez vous.

Jean éclate de rire.

38 EXT. GOLF DE NAMPONT - JOUR 38

Sur le green, Gérald putte et se tourne vers Eddy.

EDDY
Toi tu te rases avec un rasoir électrique ou à la
main ?

GÉRALD
A la main, c’est plus net… mais t’en es pas encore
là, mon chéri.

EDDY
Bah si regarde !

Eddy désigne du doigt son duvet.

GÉRALD
Ah oui, ça pousse.

EDDY
Attends t’as rien vu…

Fier de lui, Eddy retrousse son pantalon pour découvrir ses mollets qui sont
couverts de poils noirs.

GÉRALD
Arrête, tu m’excites.

Eddy éclate de rire.

- 47-
39 EXT. PLACE DU MARCHÉ - MONTREUIL - JOUR 39

Jean poursuit sa déambulation dans le marché. Une petite vieille l’interpelle.

PETITE VIEILLE
Monsieur le Maire, vous pensez à restaurer le
clocher de notre église, il fait pitié.

JEAN
Je suis bien d’accord, c’est dans mon programme.
Francis… t’en donnes un à Madame Vandal.

Francis s’exécute. Jean et sa troupe passent devant la fromagère qui l’interpelle.

FROMAGÈRE
Un bout de Maroilles, Monsieur le Maire ?

La fromagère lui tend une planche de fromages. Jean prend un bout qu’il
enfourne dans sa bouche.

JEAN
Humm, c’est notre caviar à nous ça ! (désignant un
fromage sur le plateau, la bouche pleine) Et celui-là ?

FROMAGÈRE
C’est le pavé Montreuillois, goûtez !

Jean saisit le bout de fromage et l’avale goulûment.

CUT TO :

Jean s’éloigne de la fromagère avec sa troupe.

JEAN
(la bouche pleine) Mouchoir Francis.

Francis tend un mouchoir à Jean qui recrache les fromages.

40 INT. SALLE DE BAIN GÉRALD - JOUR 40

Le visage couvert de mousse, Eddy est en train de se raser devant un miroir sous
le regard de Gérald qui supervise l’opération.

EDDY
Je suis tellement soulagé depuis que je l’ai dit à
Jean, tu ne peux pas savoir.

GÉRALD
Et les enfants, tu leur dis quand ?

- 48-
EDDY
Je ne sais pas… Ils viennent dimanche pour la fête
des mères, j’hésite…

GÉRALD
Dis-leur, comme ça la semaine suivante t’enquilles
avec la fête des pères.

Eddy éclate de rire.

EDDY
Elle est bonne celle-là !

41 EXT. PLACE DU MARCHÉ - MONTREUIL - JOUR 41

Jean poursuit son périple dans le marché, il se tourne vers Thomas.

JEAN
Prenez des notes, Thomas, c’est comme ça qu’on
gagne, en mouillant le maillot sur le terrain, pas en
restant derrière son écran.

Jean s’arrête devant l’étale du charcutier et l’interpelle.

JEAN
Comment il va le charcutier ?

LE CHARCUTIER
Ecoutez il va bien, il vous remercie… Vous voulez
goûter mon andouille ?

JEAN
(pensant le contraire) Comment refuser ?!

Le charcutier lui offre une tranche. Jean l’enfourne sous les regards amusés de
Thomas et Francis.

JEAN
(la bouche pleine) Fantastique cette andouille. Voilà
pourquoi je me bats, pour ce savoir-faire, bien de
chez nous. Qu’il faut préserver à tout prix… Vous
allez voter, j’espère ?

LE CHARCUTIER
Pour être honnête, je pense pas… C’est pas contre
vous, c’est juste que moi les gus de votre parti, on
ne sait pas vraiment si vous êtes de droite, vous
devez vous chercher à mon avis, parce que nous on
est perdus.

- 49-
JEAN
On est d’accord et c’est bien pour ça que je me
présente en indépendant. Vous n’êtes pas au
courant ?

LE CHARCUTIER
Ah bah ça, ça peut changer la donne… parce que
les guignols à Paris, je peux plus les voir en
peinture.

JEAN
Vous avez raison, ils vivent sur une autre planète,
ce sont des extraterrestres.

LE CHARCUTIER
Tiens, en parlant de martiens, v’là votre concurrent.

Jean se retourne et voit dans une allée Cédric Vasseur et ses jeunes colistiers. L’air
comploteur, Jean se penche vers le charcutier.

JEAN
Il paraît qu’il est de la planète homo.

LE CHARCUTIER
Vous êtes sûr ? Pourtant il est marié avec une fille
Mortreux…

FRANCIS
C’est une couverture. En vérité, c’est le genre à
claquer tout le budget de la ville pour organiser la
Gay Pride.

LE CHARCUTIER
Houlà ! Pas de ça chez nous ! Je suis donneur moi,
pas receveur !

Jean adresse un clin d’œil complice à son équipe, Francis sourit, Thomas se
désolidarise en détournant le regard.

Jean s’éloigne, Francis lui tend discrètement un mouchoir.

42 EXT. JARDIN - MAISON LEROY - JOUR 42

Eddy termine de dresser la table dans le jardin. Jean le rejoint avec une bouteille
de champagne.

JEAN
(Taquin) Je peux te poser une question Edith ?

EDDY
Je ne connais pas d’Edith.

- 50-
JEAN
Pardon, Eddy, faut que je m’habitue… Si tu es un
homme, nos enfants n’ont plus de mère alors ?

EDDY
Arrête de faire l’idiot, ils ont toujours une mère,
sauf que leur mère est un homme. C’est pas plus
compliqué que ça.

JEAN
Je ne suis pas certain que nos enfants le prennent
aussi simplement.

EDDY
Tu vas vite être renseigné.

Jean se fige, soudain inquiet.

JEAN
T’as quand même pas l’intention de leur annoncer
aujourd’hui ?

Eddy sourit.

JEAN
Tu n’as pas le droit de me faire ça ! Pas maintenant,
pas avant les élections. On a passé un deal !

EDDY
Oui mais pas au sujet des enfants. Ils doivent
savoir, je ne peux plus leur mentir.

JEAN
Okay mais pas maintenant ! Ils vont être tellement
choqués qu’ils ne pourront pas le garder pour eux,
sans parler de ton gendre.

On sonne alors au portail.

JEAN
Je t’interdis de leur annoncer !

EDDY
Et moi, je t’interdis de m’interdire ! Edith obéissait,
mais pas Eddy ! Eddy fait ce qu’il lui plaît
(chantonnant) plaît, plaît !

43 INT. SALON - MAISON LEROY -JOUR 43

MARIE, PIERRE, LUC (en chœur)


Bonne fête maman !!!

- 51-
Les trois enfants lèvent leur verre de champagne et trinquent avec Eddy. Il y a
MARIE, l’aînée, la trentaine, coupe au carré, bon chic bon genre, accompagnée
de son époux, le second, PIERRE, 25 ans, propre sur lui, vêtu en pantalon et polo
Ralph Lauren et enfin, le benjamin, LUC, look plus bohème.

Pierre tend un cadeau à sa mère.

PIERRE
Tiens Maman.

EDDY
Oh… qu’est-ce que c’est ?

Eddy ouvre le cadeau et découvre un flacon de parfum sous le regard inquiet de


Jean.

PIERRE
Tu mets toujours Shalimar ? Papa n’a pas su me
dire.

Jean se crispe, redoutant sa réponse.

EDITH
Non, non, j’ai pas… changé. Merci Pierre.

Jean se détend.

CUT TO :

Sous le regard de Jean toujours aux aguets, Eddy ouvre maintenant l’enveloppe
que lui tend sa fille, Marie, et en sort une réservation.

EDDY
Oh, un week-end à “L’Abbaye de Chantelle”... Tu
me gâtes là !

MARIE
Papa m’a dit que tu avais besoin de repos.

EDDY
Tu connais ton père, il exagère toujours… Mais c’est
pour moi seul ?

MARIE
Oui. (à son père) C’est un couvent de Bénédictines,
les hommes ne sont pas admis.

JEAN
Pas de problème… Ça va lui faire du bien à votre
mère, de se retrouver entre femmes.

- 52-
Eddy lui adresse un regard agacé.

CUT TO :

Eddy déchire un grand paquet et découvre un tableau encadré.

EDDY
Un tableau !

Il prend du recul pour admirer la toile qui représente une interprétation très libre
de la Vénus de Botticelli. Eddy se tourne vers Luc, son plus jeune fils.

EDDY
C’est magnifique, Luc…

LUC
Je me suis inspiré de la Vénus de Botticelli… mais
c’est pas tout, regarde bien.

Eddy examine le tableau.

EDDY
Je suis censé voir quoi ?

LUC
Tu vois rien ?

Jean s’approche du tableau.

JEAN
Mais c’est toi !

EDDY
Ah…?

Jean ne peut retenir un petit sourire sarcastique que remarque Eddy.

JEAN
Quel talent, Luc ! Je crois que tu as percé le mystère
de ta maman.

MARIE
(à Luc) Ton psy doit se régaler avec toi.

LUC
J’assume, notre mère est une déesse, non ?

Tout le monde se tourne vers Eddy qui semble pour le moins désorienté. Jean
rompt alors brutalement le silence de peur qu’Eddy ne parle.

JEAN
Bon allez, on passe à table !

- 53-
44 EXT. JARDIN - MAISON LEROY -JOUR 44

La petite famille est au milieu du repas. Inquiet qu’Eddy fasse son coming out,
Jean est à l’affût, il le surveille du coin de l’œil, sans que personne ne le
remarque.

EDDY
Tu fais quoi cet été Luc ?

LUC
Avec des copains on se fait le chemin de Stevenson.

EDDY
Sympa, on avait adoré avec ton père… et toi
Pierre ?

PIERRE
Je vais faire de la plongée dans le golf d’Ajaccio.
Il parait que les fonds marins sont encore plus
dingues qu’en Guadeloupe.

JEAN
Y a des mérous ?

PIERRE
Beaucoup, y a même une zone que les plongeurs
appellent Mérouville.

JEAN
Mérouville ! Ça fait rêver, pas vrai Edith ?

Eddy comprend l’allusion mais ne relève pas, il se tourne vers sa fille.

EDDY
Et vous ?

MARIE
Nous… ben avec Alexandre, on a une grande
nouvelle à vous annoncer… Maman, papa,
cramponnez-vous ! Tin-tin ! On attend un enfant.

Cueillis à froid, Eddy et Jean échangent un regard perplexe, Marie s’étonne de


leur froideur.

MARIE
Cachez votre joie ! Je pensais que ça vous ferait plus
plaisir… Maman, t’es pas contente d’être grand-
mère ?

EDDY
Mais si bien sûr… C’est juste que je m’y attendais
pas, c’est tout.

- 54-
Jean ne peut s’empêcher de ricaner.

MARIE
Qu’est-ce qui te fait rire, papa ?

JEAN
Rien, je me dis juste que ça va lui faire tout drôle à
votre maman qu’on l’appelle mamie. Hein Edith ?

Eddy dévisage sévèrement Jean.

EDDY
Eh bien moi aussi j’ai quelque chose à vous
annoncer.

Tout le monde se tourne vers Eddy. Jean panique, persuadé qu’il va faire son
coming out et feint aussitôt un malaise.

JEAN
Je me sens pas bien !!! Arrrghhhhh !!!

Affolés, ses enfants se précipitent sur lui, ce qui coupe court à l’annonce d’Edith.

45 INT. SALON - MAISON LEROY - JOUR 45

Jean est allongé sur le canapé du salon. Un médecin penché sur lui prend sa
tension, sous le regard inquiet de ses enfants.

Marie dit en aparté à sa mère.

MARIE
J’espère que c’est pas à cause de mon annonce ?

EDDY
T’inquiète pas ma chérie, ça n’a rien avoir. Ton père
est juste un peu agité en ce moment.

Le médecin se relève et se tourne vers la famille.

LE MÉDECIN 2
La tension est un peu basse, mais à part ça tout va
bien. Il a juste besoin de repos.

46 EXT. PERRON MAISON LEROY - SOIR 46

Sur le perron, Eddy et Jean, disent au revoir à leurs enfants.

MARIE
T’épuise pas trop avec ta campagne papa.

- 55-
PIERRE
Oui, évite le stress.

JEAN
Dites ça à votre mère, elle n’est pas toujours facile,
vous savez.

Outrée, Eddy le fusille du regard.

LUC
Il blague, maman !

JEAN
Mais oui, je blague ! Votre mère est une femme
exceptionnelle. Hors norme !

Les enfants leur envoient des bisous et s’éloignent.

CUT TO :

Eddy referme la porte de la maison et se tourne vers son mari.

EDDY
T’as pas honte de manipuler tes propres enfants ?!
C’est d’un minable !

JEAN
J’ai fait un vrai malaise, je te le jure ! C’est d’ailleurs
une bénédiction, ça nous a évité un drame familial.

EDDY
Le drame c’est de mentir à ses enfants, j’ai
l’impression de les trahir.

JEAN
Il vaut mieux les trahir que les démolir.
Tu crois vraiment que Marie est prête à annoncer à
son bébé qu’il n’a pas une mamie, mais deux
papys ?!

Eddy va pour répondre, mais finalement préfère monter se coucher.

EDDY
Tu me fatigues.

47 INT. SALLE DE BAIN - MAISON LEROY - SOIR 47

Eddy, en pyjama, teste sa voix devant le miroir.

EDDY
Bonsoir… Bonsoir… Moi c’est Eddy… Eddy Leroy,
Eddy Leroy... enchanté… Ravi...

- 56-
Quand Jean passe la tête dans la salle de bain.

JEAN
Je peux te poser une question ?

EDDY
(sursaute) Tu m’as fait peur !

JEAN
Quand on faisait l’amour, tu simulais ?

EDDY
S’il y a bien un domaine dans lequel je n’ai jamais
simulé, c’est celui-là.

JEAN
Ok, mais il y a un truc que je ne comprends pas, si
tu es un homme, comment tu peux avoir du plaisir
avec moi ?

EDDY
C’est parce que je suis gay !

Jean reste sans voix. Eddy lui saisit la main…

EDDY
Je sais que c’est déstabilisant pour toi, mon chéri.
Mais je t’aime toujours et je sais que tu m’aimes
encore. Il faut qu’on surmonte ce passage difficile
ensemble.

Ils échangent un regard intense, puis Jean retire sa main.

JEAN
J’aimais Edith, pas Eddy.

Il sort de la salle de bain, laissant Eddy seul et triste.

48 INT. CUISINE - MAISON LEROY- JOUR 48

Habillé et rasé, Jean, prêt à partir, entre dans la cuisine et découvre Eddy qui lit
l’Equipe en prenant son café.

JEAN
On serait pas un peu dans la caricature, là ?

EDDY
Ben quoi ? Je m’informe !

JEAN
J’espère que tu vas pas te mettre à regarder le foot
en rotant de la bière bon marché !

- 57-
Brigitte entre avec un petit colis Amazon.

BRIGITTE
J’ai trouvé ce colis dans la boite aux lettres… au
nom d’Eddy Leroy.

EDDY
Oui, oui, c’est pour moi…

Eddy se lève et saisit le colis avec empressement.

JEAN
(Suspicieux) C’est quoi ?!

EDDY
Ça ne te regarde pas.

JEAN
T’as raison je préfère pas savoir.

Brigitte sent un malaise mais feint de ne rien voir.

BRIGITTE
Je commence par votre chambre ?

BRIGITTE
Oui, merci Brigitte…

Brigitte sort de la cuisine, Jean avale nerveusement une gorgée de café et sort lui
aussi de la pièce.

JEAN
M’attends pas ce soir j’ai une grosse journée.

Eddy attend qu’il soit dehors et se précipite pour ouvrir le colis, comme un
enfant le jour de Noël... c’est un paquet de binders.

49 EXT. INT-VOITURE - DUNKERQUE - JOUR 49

Eddy, habillé en homme, fausse moustache et casquette sur la tête, attend les bras
croisés devant sa voiture. Quand Carole le rejoint.

CAROLE
Salut Eddy…

Eddy va pour lui faire la bise, mais Carole l’arrête.

CAROLE
Attends, attends ! (elle l’examine de la tête aux pieds)
C’est ce que je pensais, j’ai bien fait d’insister, t’es
carrément super bandant en mec !
.../...

- 58-
CAROLE (suite)
(Eddy rougit) Par contre, ta veste c’est pas possible,
on dirait un maître d’hôtel.

EDDY
Tu trouves ? Tu remarques rien d’autre ?

Eddy se met de profil pour exhiber fièrement sa poitrine aplatie par les binders.

CAROLE
T’as mis un binder ?

Eddy acquiesse tout fier.

CAROLE
Trop bien ! Allez viens on va soigner ton look.

51 EXT. RUE COMMERÇANTE DUNKERQUE - JOUR 51

Eddy, accompagné de Carole, remonte fièrement une rue commerçante…

CAROLE
Ça va le binder, il te comprime pas trop ?

EDDY
Faudrait pas que j’éternue.

CAROLE
Tant que tu peux péter.

Carole éclate de rire. Eddy prend un air gêné.

CAROLE
(Lui donnant un coup de coude) Allez, arrête de faire
ton coinsoss !

Carole l’entraine dans un magasin pour hommes.

52 INT. BOUTIQUE DUNKERQUE - JOUR 52

Façon Pretty Woman, Eddy et Carole font du shopping en musique. Eddy, sous le
regard de Carole, sort à plusieurs reprises d’une cabine d’essayage dans des
tenues masculines différentes.

53 INT. BAR MARIE JANE - DUNKERQUE - SOIR 53

Eddy, dans son nouveau look vaguement inspiré de celui Bradley Cooper dans
“A Star is Born”, sirote avec avec Carole un cocktail au comptoir.

EDDY
Tu viens souvent ici ?

- 59-
CAROLE
Ouais, c’est cool ici, les gens sont sympas.

A ce moment-là arrive un homme. Il fait la bise à Carole.

EX DE CAROLE
Salut ma belle…(Toisant Edith) C’est ta nouvelle
conquête ?

Eddy rougit.

CAROLE
Non. Malheureusement, il est pédé comme toi.

L’EX éclate de rire… puis regarde Eddy avec gourmandise.

CAROLE
Rêve pas ! T’es pas son genre.

EDDY
(montrant son alliance) Et je suis marié.

EX DE CAROLE
Personne n’est parfait ! Bisous Carole.

Il s’éloigne pour rejoindre un groupe d’amis.

CAROLE
C’est mon ex…

EDDY
Le binaire ?

CAROLE
T’as tout compris… (Montrant les verres) Allez on
rhabille chez gamins et tu me jettes à la Centrale ?

54 INT. QG DE CAMPAGNE JEAN - MONTREUIL - NUIT 54

23h. Dans une ancienne boutique qui a pignon sur la place du marché et qui a été
louée pour l’occasion, l’équipe de campagne de Jean, dont Francis, Thomas et ses
colistiers, carburent au café pour tenir.

JEAN
Je veux insister sur le projet de réfection du clocher.

THOMAS
Il y a peut-être des mesures plus urgentes, non ?

FRANCIS
Mon petit Thomas, on n’est pas à Paris, les gens ici
sont encore très pieux…

- 60-
JEAN
D’ailleurs, même si ça ne dépend pas des
prérogatives d’un maire, faites passer que je suis
contre la PMA et la GPA…

FRANCIS
On pourrait même glisser que si tu célèbres “le
mariage pour tous”, c’est uniquement parce que tu
es respectueux des lois de la République.

JEAN
Exactement, c’est une très bonne idée !

Jean est coupé par la sonnerie de son téléphone, la photo d’Edith apparaît sur
son écran.

JEAN
Excusez-moi…

Il s’isole pour répondre.

EDDY (OFF)
Jean ? (la voix savonneuse, visiblement un peu
éméché) Je te dérange ?

JEAN
Un peu oui.

EDDY (OFF)
Je suis en panne, j’ai crevé.

JEAN
Bah, change ta roue.

EDDY (OFF)
Je sais pas comment on fait.

JEAN
Elle est bonne celle là ! Tu claironnes que tu es un
mec, non ?! Eh ben un mec ça sait changer une
roue… C’est même le B-A-BA.

EDDY
Jean s’il te plaît ? J’ai peur.

JEAN
Appelle un dépanneur.

EDDY
J’ai essayé, il peut pas venir, il est pris sur l’A16… Je
t’en supplie.

- 61-
JEAN
T’es où ?

55 EXT. VOITURE JEAN - NUIT 55

Au volant de sa voiture, Jean longe la centrale nucléaire sur une artère lugubre
bordée de grilles surmontées de barbelés… quand il aperçoit, sous un
lampadaire, Eddy, sa casquette toujours vissée sur la tête, qui poireaute devant sa
voiture.

Jean se gare à sa hauteur et baisse sa vitre, furieux.

JEAN
On peut savoir ce que tu fous ici, habillée comme
ça en plus !? Je croyais qu’on avait un deal ?

EDDY
Le deal c’est sur Montreuil, pas sur Dunkerque ! Je
faisais du shopping avec une copine.

JEAN
Vous achetiez quoi ? De l’uranium ? Des
combinaisons radioactives ? Ça va pas mieux
franchement, de pire en pire !

Toujours un peu pompette, Eddy hausse les épaules.

56 INT. SALLE DE SURVEILLANCE - CENTRALE - NUIT 56

A l’intérieur de la centrale, un agent de sécurité surveille les moniteurs de


contrôle quand quelque chose l’intrigue…

AGENT 1
Qu’est-ce qu’ils foutent devant l’entrée ceux-là ?

Il se tourne vers son collègue, Dufour, l’homme qui s’était plaint auprès de Jean
de la construction d’un dos d’âne devant chez lui.

AGENT 1
Vas-y zoome sur la 6.

Dufour zoome, pile à l’instant où Jean sort un objet métallique du coffre de sa


voiture, en réalité un cric.

AGENT 1
C’est quoi ça ? Préviens la sécu qu’ils aillent jeter un
coup d’oeil.

DUFOUR
Attends ! Mais… c’est Leroy.

- 62-
AGENT 1
Qui ça ?

DUFOUR
Le Maire de Montreuil…

AGENT 1
T’es sûr ?

DUFOUR
Ma main à couper, c’est lui qui m’a collé le dos-
d’âne devant chez moi… qu’est-ce qu’il fout là ce
gland ?

A l’écran, ils voient Jean qui place le cric sous une la voiture d’Edith.

AGENT 1
Il dépanne un pote, on dirait…

57 EXT. DEVANT CENTRAL - NUIT 57

Jean a terminé de changer le pneu, il se relève.

JEAN
Et voilà le travail !

EDDY
Merci, t’es un amour…

Eddy l’enlace brutalement. Surpris, Jean amorce un mouvement de recul et


tombe à la renverse sur le capot avec Eddy sur lui.

JEAN
Qu’est-ce tu fais !?

EDDY
Allez fais pas ton coinsoss, tu mérites un p’tit
bisous !

Il l’embrasse à pleine bouche.

58 INT. SALLE DE SURVEILLANCE - CENTRALE - NUIT 58

Dans la centrale, l’agent de sécurité interpelle son collègue qui joue sur son
smartphone.

AGENT 1
Il est pédé ton maire ?

DUFOUR
C’est pas le genre.

- 63-
AGENT 1
Tu le connais mal alors…

Dufour hallucine en voyant son maire avec un homme portant une casquette et
une moustache qui le chevauche et l’embrasse.

DUFOUR
Oh putain !!!

59 EXT. DEVANT CENTRAL -NUIT 59

Jean détourne son visage en grimaçant.

JEAN
Ta moustache c’est pas possible !

Eddy se relève, pompette.

EDDY
T’as raison, vivement que j’en ai une vraie !

Décontenancé, Jean ne sait quoi répondre…

JEAN
Bon allez on y va, cet endroit est sordide.

Jean remonte dans sa voiture, Eddy dans la sienne.

60 INT. QG DE CAMPAGNE DE VASSEUR - JOUR 60

Dans le QG de campagne de Cédric Vasseur, un colistier s’approche de son


candidat son smartphone à la main.

COLISTIER VASSEUR
Cédric, j’ai un scoop de ouf ! Regarde.
C’est un type qui bosse à la centrale de Gravelines
qui me l’a envoyé.

Cédric Vasseur regarde l’écran et voit le maire qui embrasse un moustachu…

CÉDRIC VASSEUR
Oh putain, mais c’est Leroy ! Yes ! Yes ! C’est du
lourd, ça. Du méga lourd ! (au colistier) Poste la
vidéo sur twitter, ses électeurs vont adorer. #scoop,
#scandale, #nofilter, #leroyestmort
#jevaisgagnercetteputaindélection.

- 64-
61 INT. BAR PMU - JOUR 61

Le lendemain matin, Jean pousse la porte du PMU, situé face à la mairie. Aussitôt
tout le monde se tait et regarde ses pieds.

JEAN
Bonjour tout le monde ! Paul, tu me sers mon petit
café, s’il te plaît ?

Jean s’installe au comptoir et commence à lire le Figaro. On entend les mouches


voler.

JEAN
C’est bien calme ce matin… On enterre encore
quelqu’un ?

Le patron hausse les épaules pour signifier qu’il l’ignore et lui sert son café. Dans
le dos de Jean, des clients rigolent sous cape.

62 EXT. JARDIN - MAISON LEROY/SALLE MÉDICALE - JOUR 62

De l’Eurodance emplit l’écran.

MIKA
Gauche droite ! Gauche droite ! Allez Eddy on lâche
rien et on oublie pas de respirer…

Sur la pelouse, Eddy fait sa muscu matinale sous les ordres de Mika… quand son
téléphone retentit.

EDDY
(voulant répondre) C’est encore ma fille.

MIKA
Non Edith… c’est pas le moment de flancher !

EDDY
C’est peut-être urgent.

MIKA
L’urgence c’est tes pecs, allez hop hop hop, on
pense à la plage ce été !

CUT TO :

Un peu plus tard, Eddy en sueur, une serviette autour du cou, assis sur un
transat, appelle sa fille.

CUT TO :

- 65-
Accompagnée d’Alexandre, Marie allongée sur une table médicale, le ventre à
l’air, couvert de gel, saisit son portable qui vibre en s’adressant à l’échographiste
qui lui passe une sonde sur l’abdomen.

MARIE
Désolée, c’est important.

Alexandre lui adresse un regard reproche, mais elle s’en fiche.

EDDY
T’as essayé de me joindre, ma chérie ?

MARIE
(affolée) Maman, dis-moi que ce n’est pas vrai ?
C’est pas possible, c’est la honte !

Eddy marque un temps, puis pensant que sa fille est au courant de sa transition
en homme, il prend un ton grave.

EDDY
Tu l’as su comment ?

MARIE
Tout le monde le sait !

EDDY
(sidéré) Comment ça ?!

MARIE
La vidéo tourne sur tous les réseaux sociaux ! C’est
horrible !

EDDY
Mais quelle vidéo ? (ne comprenant plus) De quoi tu
parles ?

MARIE
Eh ben de la vidéo ! La vidéo de papa ! Qui
embrasse un moustachu !

Elle croise le regard de l’échographiste.

EDDY
Un moustachu ?

MARIE
Tu l’as pas vue ?!

EDDY
Je te rappelle.

Il raccroche brutalement, blême.

- 66-
Marie repose son téléphone, un peu déboussolée.

L’ECHOGRAPHISTE
Bon si ça vous intéresse, je peux vous dire le sexe de
votre enfant.

ALEXANDRE
Non, non, on veut garder la surprise pour la
naissance, hein Marie ?

Elle acquiesce.

CUT TO :

Le regard fixé sur l’écran de son ordinateur, Eddy finit de visionner la fameuse
vidéo. Puis, désemparé, il reste le regard dans le vide. Quand la sonnerie du
portail le sort de sa torpeur.

Il se rend dans l’entrée et répond au visiophone.

EDDY
Oui ?

VOIX D’HOMME
Jacques Lambert de la Voix du Nord, je souhaiterais
parler au Maire.

EDDY
Euh… Il n’est pas là.

LE JOURNALISTE
Et sa femme ?

EDDY
Non plus.

Eddy vérifie ensuite à la fenêtre que l’homme s’éloigne, puis se précipite dans le
salon, saisit son téléphone et appelle.

EDDY
Gérald…

GÉRALD OFF
Ah, Eddy… J’allais t’appeler, y a longtemps que je
ne me suis pas bidonné comme ça. Jean soupçonné
d’être pédé, quel délice !

EDDY
Moi, ça ne me fait pas rire. Tu te rends compte des
conséquences ?! Il peut dire adieu à sa mairie. Il ne
me pardonnera jamais.

Il est interrompu par des doubles appels, c’est Luc.

- 67-
EDDY
Oh zut ! Luc maintenant ! Je ne réponds pas ! C’est
l’angoisse, c’est l’angoisse ! Je peux venir chez toi ?

GÉRALD OFF
Viens et arrête de paniquer.

63 INT. MAIRIE DE MONTREUIL - JOUR 63

Jean arrive à la mairie, comme une fleur, il traverse le hall, salue l’hôtesse
d’accueil.

JEAN
Bonjour Monique, vous allez bien ?

HOTESSE D’ACCUEIL
(feignant la normalité) Oui, Monsieur…

Jean s’éloigne sous le regard perplexe de Monique.

64 INT. BUREAU JEAN - MAIRIE DE MONTREUIL - JOUR 64

Jean entre avec énergie dans son bureau où l’attendent Francis et Thomas.

JEAN
(frappant dans sa main) Allez les gars, en avant
comme avant ! J moins 20 avant de renvoyer
Vasseur dans son bac à sable !

Francis et Thomas, la mine déconfite, arborent un sourire coincé…

JEAN
C’est quoi ces têtes ? Y a un problème ?

Les deux affichent un air gêné, chacun espérant que l’autre prenne la parole.
Francis supplie du regard Thomas qui se défausse.

FRANCIS
T’as pas vu la vidéo ?

JEAN
Quelle vidéo ?

Francis se tourne vers Thomas.

THOMAS
Bah la vidéo de vous… qui…

JEAN
Qui quoi ?!

- 68-
THOMAS
Ben… qui…

FRANCIS
Le mieux c’est que tu regardes.

CUT TO :

Jean termine de visionner la vidéo sur l’Ipad de Thomas, il est effondré.

JEAN
On peut faire effacer cette horreur ?

THOMAS
Impossible, c’est viral, le mal est fait…

JEAN
Mais les gens, ils disent quoi ?

THOMAS
Ben, y en a qui s’en foutent, d’autres qui se marrent,
d’autres encore qui vous couvrent d’insultes.

JEAN
Et Vasseur ?

THOMAS
Silence radio.

FRANCIS
Tu m’étonnes, c’est du tout cuit pour lui ! Si encore
tu avais trompé Edith avec une femme !

THOMAS
Pardon mais je ne pense pas que ça aurait changé
grand chose…

Jean percute.

JEAN
Mais ça va pas la tête ! Je suis pas pédé putain !
C’est Edith qui m’embrasse.

Thomas et Francis échangent des regards incrédules.

JEAN
Attendez !? (sidéré) Vous avez vraiment cru que
j’embrassais un homme, là ? Mais enfin Francis, t’as
pas reconnu Edith ?! Francis ?! Tu connais son
délire, non ?!

Francis affiche un air niais. Thomas, lui, est perdu.

- 69-
FRANCIS
Je me disais aussi…

THOMAS
Euh… (incrédule) Votre femme… Elle faisait quoi
déguisée en homme ?

JEAN
Elle est pas déguisée, enfin si… comment dire.

FRANCIS
(volant au secours de Jean) Elle a décidé de changer
de sexe. Elle est en pleine “transition”.

THOMAS
(estomaqué) Ah, ok !!! Je comprends mieux le duvet.

Thomas sourit, amusé.

JEAN
Ça vous amuse ?

THOMAS
Non mais… (se retenant de rire) c’est rigolo. Vous
qui vouliez faire courir une fausse rumeur, c’est un
peu l’arroseur-arrosé.

JEAN
Gardez vos réflexions pour vous, vous serez gentils.

THOMAS
Pardon… En tous cas, va falloir un peu adapter
notre discours.

JEAN
Quel discours !? Je suis mort, soit j’avoue que ma
femme est un trans, soit je laisse croire que je la
trompe avec un petit pédé à moustache. Qui va
voter pour moi ?!

Au même instant, Monique, l’hôtesse d’accueil, déboule dans la pièce.

MONIQUE
Y a Lambert de la Voix du Nord dans le hall, il
insiste pour vous voir.

En panique, Jean blêmit et s’assoit, en se tenant le cœur.

JEAN
Je me sens pas très bien…

- 70-
THOMAS
Calmez-vous, on va trouver une parade. En
attendant, personne ne parle à la presse !

Jean et Francis acquiescent. Monique également.

65 INT. SALON - MAISON GÉRALD - JOUR 65

Chez Gérald, Eddy est prostré dans le canapé.

EDDY
Mon couple est foutu.

GÉRALD
Excuse-moi, mais il était déjà mal en point.

EDDY
J’étais persuadé que notre amour serait plus fort.

Tête de Gérald pas convaincu. On sonne à la porte.

CUT TO :

Gérald ouvre la porte à Carole, qui lui adresse un grand sourire.

CAROLE
Hello Gérald ! J’suis Carole, la copine d’Eddy.

Carole entre en se déhanchant un peu exagérément sur ses hauts talons. Dans
son dos, Gérald affiche une moue méprisante.

Carole, suivie par Gérald, rejoint Eddy dans le salon.

CAROLE
Alors comme ça, c’est pas moi qu’on appelle en
premier quand on a un gros malheur ?!

GERALD
Je suis son meilleur ami, c’est normal.

CAROLE
Rôôoh Gérald, fais pas ta jalouse, je rigole. Tiens,
sers nous plutôt un verre.

Scié par son culot, Gérald la dévisage avec condescendance, puis va chercher une
bouteille, tandis que Carole prend la main d’Eddy.

CAROLE
C’est quoi cette tête Eddy. Assume ! T’es un mec
merde !

- 71-
EDDY
C’est pas la question, j’ai bousillé la réputation de
mon mari.

Un temps, tout le monde réfléchit, quand le visage de Carole s’illumine.

CAROLE
Si tu veux le dédouaner, je vois qu’une solution,
faut faire ton coming out public.

EDDY
Ça va pas non ?! Je lui ai promis d’attendre, tu veux
qu’il me tue ou quoi ?

CAROLE
Il va te remercier oui ! On le soupçonnera plus
d’être pédé !

Gerald revient avec une bouteille.

GÉRALD
Ah d’accord, parce que rouler une gamelle à un
pédé c’est plus grave qu’à un trans ?

CAROLE
Rôôôôh Gérald, sois pas susceptible ! C’est juste
que le “trans”, comme tu dis, c’est Eddy... donc y a
pas tromperie.

Eddy et Gérald échangent un regard perplexe.

EDDY
(à Gérald) Tu en penses quoi toi ?

GÉRALD
J’en pense que ça fait dix ans que j’attends ce
moment et que de toute façon ça finira par se
savoir.

CAROLE
Crois-moi Eddy, si tu trouves les mots justes, en
expliquant la souffrance que c’est d’être né dans le
mauvais corps, je suis certaine que les gens seront
touchés. En plus, ça fera avancer la cause.

Eddy réfléchit…

EDDY
Ok. (déterminé) Mais pas n’importe comment !

- 72-
66 INT. SALLE DE BAIN - MAISON GÉRALD - JOUR 66

Une paire de ciseaux coupe allègrement des touffes de cheveux. C’est Gérald qui
ratiboise Eddy sous le regard de Carole.

CUT TO :

Gérald prend du recul pour admirer Eddy qui a maintenant une coupe de beau
ténébreux.

GÉRALD
Alors, tu te plais beau gosse ?

Eddy se regarde.

EDDY
Je me ressemble enfin. Adieu Edith, bonjour Eddy !

CAROLE
T’es à bouffer, dommage que tu sois pédé…

67 INT. DRESSING ROOM - MAISON GÉRALD - JOUR 67

Gérald ouvre en grand sa penderie et désigne des pulls et des pantalons qui sont
tous couleur pastel.

CAROLE
Ce polo irait bien avec ta carnation.

GÉRALD
Ah non, il lui faut un truc qui fasse plus mec !

CAROLE
En quoi framboise ça fait pas mec ? Même les
rugbymans portent du rose !

GÉRALD
Je sais, c’est pas à moi que tu vas dire ça, c’est mon
polo… mais dans le fond, on a beau dire, le rose ça
fait un peu fi-fille.

CAROLE
N’importe quoi ! Moi je peux te dire qu’en tant que
femme, un mec en rose c’est aussi viril qu’un mec
en bleu.

GÉRALD
Parce que tu crois que tu es la meilleure
représentante de la gente féminine ?

Les deux se défient du regard, Eddy s’interpose.

- 73-
EDDY
Bon ça suffit ! Arrêtez vos chamailleries !

68 INT. BUREAU JEAN - MAIRIE - JOUR 68

Barricadé à la mairie, Jean est prostré dans un coin, assis à même le sol, la cravate
de travers.

FRANCIS
Et si on disait qu’Edith revenait d’un bal masqué ?

THOMAS
C’est pas bête ça.

FRANCIS
Qu’est-ce tu en penses Jean ?

Jean se lève et sort comme un zombi.

FRANCIS
Tu vas où Jean ?

JEAN
Pisser.

69 INT. SALON - MAISON GÉRALD - JOUR 69

Chez Gérald, le calme est revenu. Eddy, qui a trouvé des vêtements qui lui
conviennent, pose devant le téléphone portable de Gérald, tandis que Carole relit
un texte écrit à la main.

EDDY
Alors ? C’est pas trop ridicule ?

CAROLE
Franchement… (les larmes aux yeux) C’est hyper
émouvant… par contre quand tu parles de ton sexe
de femme, ça me gêne. Tu devrais plutôt dire sexe
de naissance, parce que tu pourrais très bien être
une femme avec un sexe d’homme.

EDDY
Ah oui, c’est vrai.

Gérald lève les yeux au ciel.

GERALD
Bon si on arrêtait d’enculer les mouches. On la fait
cette vidéo ?!

- 74-
70 INT. BUREAU JEAN - MAIRIE -JOUR 70

A la mairie, Francis et Thomas cherchent toujours une stratégie.

FRANCIS
Ou alors on dit qu’elle faisait des essais de costard
pour le carnaval de Dunkerque ?

THOMAS
Pas con, c’est plus crédible, mais pourquoi devant
la centrale ? (Francis réfléchit) Dis-donc ça fait hyper
longtemps que Jean est aux toilettes ?

71 INT. TOILETTES - MAIRIE - JOUR 71

Francis entre dans les toilettes.

FRANCIS
Jean ?! Jean ?

Pas de réponse. Francis frappe à la porte.

FRANCIS
Jean ?! T’es là ?

Toujours pas de réponse.

FRANCIS
Jean ?! Réponds merde ! Jean !

JEAN (OFF)
(hurlant soudain) Foutez-moi la paix ! Je veux rester
seul !

FRANCIS
Enfin Jean, arrête, on va trouver une solution. On a
plein de super idées, là.

JEAN (OFF)
Vous pouvez vous les foutre au cul, je ne veux plus
voir personne. Faites tous chier !

FRANCIS
Jean, s’il te plaît, c’est déjà assez le bordel,
complique pas les choses.

72 INT. BUREAU - MAIRIE - JOUR 72

Francis revient dans le bureau.

- 75-
FRANCIS
Il veut pas sortir des toilettes, il commence à me
faire peur…

Thomas ne répond pas, il a les yeux rivés sur son I-Pad. Francis s’approche pour
voir ce qui accapare son attention et découvre sur l’écran, Eddy qui parle avec
intensité, l’air habité, en Facebook Live, où l’on voit défiler sur le côté de l’écran
des coeurs et des pouces levés par centaines.

EDDY
Mon mari ne m’a pas trompé, c’est moi qu’il
embrasse sur la vidéo. Il ne voulait pas choquer ses
électeurs… Par amour pour lui, j’avais accepté de
repousser mon coming out.

FRANCIS
Oh putain !

73 INT. TOILETTES - MAIRIE - JOUR 73

Francis revient dans les toilettes.

FRANCIS
Jean ! Jean ! Tu m’écoutes ?

JEAN OFF
Laisse-moi tranquille !

FRANCIS
Jean, y a du nouveau… Edith a fait une vidéo qui
circule sur les réseaux sociaux.

La porte des toilettes s’entrouvre, Jean passe sa tête.

JEAN OFF
Elle dit quoi ?

FRANCIS
Tout, qu’elle est un homme et patin-coufin…

Jean reste un instant figé, puis se ré-enferme dans les toilettes en claquant la
porte au nez de Francis.

FRANCIS
Non mais attends ! Jean, arrête tes conneries…

74 INT. SALON - MAISON GÉRALD - JOUR 74

Carole et Gérald ont leurs yeux rivés sur leur smartphone.

- 76-
EDDY
Alors, y a des gens qui réagissent ?

CAROLE
Grave ! #Eddylafemmedumaire est en train de
devenir tendance sur twitter, tu fais un carton ! Y a
des centaines de tweets !

EDDY
(amusé) #Eddylafemmedumaire ?! Mais ils ont rien
compris !? Je suis plus une femme.

CAROLE
T’as raison… mais bon c’est pas méchant, dans
l’ensemble les gens te soutiennent.

GÉRALD
Oui, c’est fou. Sur ton Facebook aussi, y a plein de
commentaires positifs, écoute ça : “Bravo Eddy pour
ton courage ! T’es un exemple pour toutes celles et ceux
qui vivent cachés à l’intérieur d’eux même !” Un autre :
“Obligé de nier son identité pour protéger la réputation
de son mari. Démonstration implacable de l’intolérance
de notre société !”

CAROLE
Y a même des tweets venant du Canada,
d’Australie… Et aussi un trans congolais qui
t’envoie plein de petits cœurs. T’es en train de
devenir la nouvelle icône LGBT. (tendant son
smartphone.) Regarde ! Mort de rire ! Ils ont collé ta
tête sur le corps de superman !

Eddy regarde le photo montage, un peu perplexe.

EDDY
Et ceux que ça dérange, ils disent quoi ?

Un temps. Carole et Gérald fixent un tweet particulièrement insultant.

CAROLE
Tu veux vraiment savoir ?

Au même instant, on sonne à la porte, Eddy se lève d’un bond.

EDDY
Ça doit être mes enfants !!!

75 INT. TOILETTES - MAIRIE - JOUR 75

Francis et Thomas sont devant la porte des toilettes où hurle Jean.

- 77-
JEAN OFF
Laissez-moi ! JE VEUX MOURRIR !

THOMAS
Vous exagérez Jean… Tout n’est pas perdu, on peut
encore renverser la situation.

JEAN OFF
Ah oui, comment ?!

THOMAS
Sur les réseaux sociaux, les réactions sont plutôt
positives, les gens voient une forme de courage
dans le coming out de votre femme.

A l’intérieur des toilettes, assis sur la cuvette, Jean hausse les épaules.

JEAN OFF
Ce ne sont pas mes électeurs !

FRANCIS
Peut-être… mais avec Thomas, on est persuadés
que si tu mises tout sur l’amour et la fidélité, tu
peux les retourner.

JEAN OFF
De quoi vous parlez ?

THOMAS
Il faut dire que vous avez caché la vérité pour
protéger votre famille, mais maintenant que le voile
est tombé, vous acceptez complètement que votre
femme soit un trans.

JEAN OFF
(hurlant) Jamais !!!

FRANCIS
Attends, écoute, tu diras qu’au début tu as été
déstabilisé, que ça allait à l’encontre de tes
convictions, mais que tu aimes Eddy plus que tout,
qu’il soit un homme ou une femme !

JEAN OFF
Hors de question ! Je n’accepterai jamais de
m’humilier en public !

THOMAS
C’est ça ou vous pouvez dire adieu à votre mairie !

- 78-
FRANCIS
Réfléchis ! Tu peux émouvoir une partie de tes
électeurs, mais en plus, tu vas pouvoir piquer ceux
de Vasseur.

THOMAS
Sans compter qu’on peut le détruire, j’ai la preuve
que la vidéo a été postée depuis son QG.

Jean se lève d’un bond de la cuvette et ouvre la porte instantanément.

JEAN
Il a fait ça cette fiente ?

THOMAS
Oui, on va pouvoir renverser la vapeur. Lui qui se
présente comme le candidat de la tolérance on va
l’accuser d’être un tartuffe cynique et hypocrite qui
utilise des méthodes nauséabondes pour
disqualifier son adversaire.

FRANCIS
On peut même pousser le bouchon et l’accuser
d’homophobie !

JEAN
(soudain ragaillardi) On va se gêner !

Les trois se frappent dans les mains. Jean est remonté comme un coucou.

76 EXT. COUR DERRIÈRE LA MAIRIE - JOUR 76

Jean sort par la porte arrière de la mairie comme un voleur et fonce vers sa
voiture, son portable rivé à l’oreille, accompagné par Thomas et Francis.

JEAN
Elle répond pas, elle doit être chez son copain pédé.

THOMAS
On a dit plus d’expressions homophobes, vous êtes
quelqu’un d’ouvert, de bienveillant, de tolérant.

JEAN
C’est bon, j’ai compris, n’en fais pas trop non plus,
toi.

Jean monte dans sa voiture, démarre en trombe, roule quelques mètres et s’arrête
net. Francis s’approche et frappe au carreau de la portière.

FRANCIS
Qu’est-ce tu fous ?

- 79-
JEAN
Je peux pas jouer avec ses sentiments à ce point,
c’est dégueulasse !

FRANCIS
Tu veux laisser ta place à Vasseur ?

JEAN
Non… mais, c’est ma femme quand même. Et je fais
comment après ?

FRANCIS
Après c’est après…

Jean soupire.

77 EXT/INT. VOITURE - MAISON GÉRALD - TOUQUET - JOUR 77

Au volant de la voiture, Jean se gare devant chez Gérald. Le visage grave, il fixe
la maison un instant… puis prend son courage à deux mains et ouvre la portière.

78 EXT. MAISON GÉRALD - JOUR 78

Jean sonne à la porte de Gérald et affiche un sourire forcé. Gérald ouvre et le


regarde, visage fermé.

JEAN
Bonjour Gérald… Edith est là ?

GERALD
Tu veux parler d’Eddy ?

JEAN
C’est ça…

GERALD
Entre… pas d’histoires ou je te fous dehors.

Jean entre, doux comme un agneau.

79 INT. SALON - MAISON GÉRALD - JOUR 79

Gérald accompagne Jean jusqu’au salon où se trouvent ses deux fils, Pierre et
Luc. Surpris, Jean s’avance vers eux.

JEAN
Qu’est-ce que vous faites là ?!

LUC
On est venus soutenir maman.

- 80-
PIERRE
Et la féliciter, c’est courageux ce qu’elle a fait.

LUC
Même si on aurait préféré l’apprendre autrement.

JEAN
Et Marie ?

LUC
Elle le prend pas très bien.

JEAN
Ah bon ? Qu’est-ce qu’elle peut être vieux jeu, votre
sœur.

Pierre et Luc échangent un regard d’incompréhension.

LUC
Maman nous a dit que toi aussi tu ne l’avais pas
très bien pris.

Jean aperçoit Eddy qui est assis sur la terrasse dans le jardin à côté de Carole.

JEAN
Ben… J’avoue que ça m’a un peu chamboulé…
Mais je commence à me faire à l’idée…

Jean s’avance vers la terrasse, suivi de Gérald. Carole se lève et tend sa main à
Jean.

CAROLE
Enchantée, moi c’est Carole, l’amie et coach d’Eddy.

Gérald lève les yeux au ciel.

JEAN
Ravi.

Jean affiche un sourire embarrassé, puis se tourne vers Eddy.

JEAN
On peut parler tranquillement tous les deux ?

Eddy acquiesce. Gérald se tourne vers Carole.

GÉRALD
On rejoint les autres dans le salon, je vais faire du
thé.

Gérald et Carole quittent la terrasse et laisse Eddy et Jean qui se retrouvent seuls,
un peu mal à l’aise…

- 81-
JEAN
Je peux m’assoir ?

Jean s’assoit à côté d’Eddy. Moment de flottement.

JEAN
C’est bien que les garçons le prennent comme ça.

EDDY
(désarçonné) Euh oui…

JEAN
Et t’inquiète pas pour Marie, elle finira bien par s’y
faire.

Décontenancé, Eddy marque un temps.

EDDY
Tu m’en veux pas ?

JEAN
D’être toi même ? De t’assumer ? C’est moi qui
m’en veux d’avoir été aussi con. J’étais en colère !
C’était un choc, mets-toi à ma place, fallait que je
digère…

Eddy est de plus en plus déboussolé.

EDDY
T’es en train de me dire que tu m’acceptes tel que je
suis ?

JEAN
Oui.

EDDY
(déstabilisé) Et ton élection ?

JEAN
Je la gagnerai ou je la perdrai, mais ça sera avec toi !

Jean serre très fort contre lui Eddy, qu’on sent perdu.

80 A INT. STUDIO FRANCE 3 RÉGION - JOUR 80 A

La présentatrice du JT lance un sujet.

PRESENTATRICE
Et maintenant, dans le cadre des élections
municipales, Jean Leroy, le maire sortant de
Montreuil-sur-Mer, a publié sur sa page facebook
une vidéo qui ne manquera pas de faire réagir…

- 82-
80 B INT. SALON - MAISON LEROY - JOUR 80 B

Confortablement installés dans leur canapé, Jean et Eddy font face à la caméra.

JEAN
Quand ma femme m’a annoncé qu’elle était un
homme, j’ai d’abord pensé que je devrais choisir
entre ma foi profonde et mon amour, non moins
profond pour... (regardant Eddy)... lui. C’était un
choix terrible, cornélien, j’ose le dire… comme si je
devais choisir entre me couper un bras ou une
jambe. Comment trancher ?!

Jean prend la main d’Eddy qui a du mal à cacher son émotion.

JEAN
Après des jours de réflexion et des nuits
d’insomnies, j’ai fini par réaliser que ce dilemme
était absurde, car comme l’a dit Jésus, l’amour et la
foi ne font qu’un !

81 INT. PMU - MONTREUIL - JOUR 81

On découvre la suite de la vidéo sur l’écran de télé du PMU de Montreuil qui


diffuse F3 région Hauts-de-France.

JEAN (à l’écran)
J’espère que les Montreuilloises et Montreuillois
comprendront que j’ai fait non seulement le choix
de l’amour, mais aussi celui de la famille. C’est dans
cet état d’esprit et animé par ce souffle nouveau
que je m’engage avec plus de determination que
jamais dans la dernière ligne droite de cette
campagne.

Accoudé au comptoir, le patron et ses clients sont déconcertés.

LE PATRON
Alors là, c’est le pompon !

L’OUVRIER
On n’arrête pas le progrès !

UN HABITUÉ
Le changement, c’est maintenant !

Eclats de rire.

L’OUVRIER
Si ça se trouve, c’est à cause des pesticides, ils
disent que ça crée des dérèglements hormonaux.

- 83-
UN HABITUÉ
Je vais mettre direct ma femme au bio !

Tout le monde rigole. Sauf la patronne.

LA PATRONNE
Vous êtes bêtes, moi, je trouve ça beau. C’est une
vraie preuve d’amour.

LE PATRON
Tu m’étonnes, faut vraiment qu’il l’aime sa femme.

UN HABITUÉ
Son mec, tu veux dire !

Les autres rigolent de plus belle. La patronne hausse les épaules.

LA PATRONNE
En tous cas pour moi ça change rien, du moment
qu’il fait son boulot de maire.

L’OUVRIER
C’est vrai, on s’en fout au final !

Installé au fond bar, Thomas écoute, incognito.

82 INT. QG DE CAMPAGNE JEAN - SOIR 82

Thomas entre dans le QG de campagne où se trouvent Jean et Francis mais aussi


Eddy, Carole, Gérald et les enfants qui prennent un verre.

JEAN
(inquiet) Alors l’ambiance au PMU ?

THOMAS
SUPER !

En aparté, Eddy se tourne vers ses deux fils, Pierre et Luc.

EDDY
Marie ne vient pas ?

PIERRE
Non, j’ai insisté mais tu la connais elle est butée.

LUC
(sur le ton de la vanne) Elle a peur que ce soit
génétique.

EDDY
T’es bête !

- 84-
Pendant ce temps, Thomas poursuit son compte rendu.

THOMAS
Vous avez fait mouche, votre déclaration est
globalement bien accueillie.

FRANCIS
Alors là, si t’as même convaincu les clients du
PMU, c’est dans la poche !

CAROLE
Et c’est grâce à qui ? Bibi !

GÉRALD
T’es gentille mais j’étais là moi aussi. (glissant à
l’oreille d’Eddy) Toujours à tirer la couverture à elle,
celle-là.

EDDY
Laisse, elle est heureuse pour moi.

Au même instant, provenant de la rue on entend hurler.

CHARCUTIER OFF
Bande de dégénérés !

Jean va à la fenêtre et voit le charcutier qui s’éloigne en zigzaguant et en faisant


des doigts d’honneur.

JEAN
Globalement bien accueilli ?

THOMAS
J’ai pas dit qu’il y avait un consensus, non plus.

PIERRE
On peut pas plaire à tout le monde.

LUC
C’est clair, des fois il vaut mieux pas, même.

FRANCIS
En tous cas, les médias sont comme des fous, ils me
bombardent de demandes d’interviews. Vous allez
devenir des vedettes vous deux !

Carole lève son verre.

CAROLE
A nos vedettes !

Tous lèvent leur verre et trinquent avec enthousiasme, sauf Jean, qui contient sa
joie.

- 85-
EDDY
T’es pas content ?

JEAN
Si, si… Mais j’ai pas encore gagné.

EDDY
T’inquiète, je vais t’aider à la gagner ton élection.

Eddy lève son verre et trinque avec Jean, les yeux dans les yeux.

83 INT/EXT. MONTREUIL-SUR-MER - JOUR/NUIT 83

Séquence clipée où l’on voit Jean en campagne dans Montreuil, accompagné


d’Eddy. On les voit inaugurer une statue, traire des vaches, déplumer une poule,
boire l’apéro chez l’habitant, tracter dans les rues, faire un concours de bras de
fer au bar PMU. Complices, ils se prêtent au jeu avec enthousiasme.

84 INT. BUREAU MAIRIE - JOUR 84

Plusieurs couvertures de journaux et magazines sont étalées sur le bureau du


Maire, toutes parlent de Jean et Eddy. Francis et Thomas jubilent au contraire de
Jean qui reste circonspect.

THOMAS
C’est un carton ! La presse régionale, nationale, pro
LGBT, Tout le monde parle de vous. Même “La
Croix” !

Thomas désigne le journal La Croix qui titre : “Peut-on concilier sa foi et les
bouleversements sociétaux ?” Avec pour illustrer le sujet une photo de Jean qui tient
par la main Eddy, vêtu en homme.

THOMAS
C’est ouf, non ?!

FRANCIS
Si avec ça tu ne rafles pas la mairie…

JEAN
Arrêtez, vous allez finir par me porter la poisse…
D’ailleurs, ça me fait penser que je dois aller mettre
un cierge à l’église.

FRANCIS
Tu y vas avec Eddy, j’espère ?

JEAN
C’est pas un peu provoc’ ?

- 86-
FRANCIS
Mais non, tu dois assumer, même devant Dieu.

THOMAS
Il faut être cohérent jusqu’au bout.

Jean acquiesce, mais on le sent un peu perturbé.

85 EXT. PARVIS DE L’ÉGLISE DE MONTREUIL - JOUR 85

A la sortie de l’église, Jean au bras d’Eddy, habillé en homme, sont arrêtés par
une vieille bigote. Celle-ci prend la main d’Eddy.

BIGOTE
Vous savez… J’ai toujours pensé que la vierge
Marie, elle devait être des deux sexes.

EDDY
Ah bon ?

BIGOTE
Bah oui, sinon comment elle aurait fait un enfant
toute seule.

JEAN
C’est pas idiot, n’est-ce pas Eddy ?

Eddy acquiesce, amusé.

BIGOTE
En tous cas, on prie pour vous. J’espère que vous
allez gagner.

Jean, tout sourire, s’éloigne avec Eddy, quand depuis les marches de l’église, le
curé interpelle Jean, goguenard.

L’ABBÉ
Ah, Monsieur le Maire ! (taquin) J’espère que ça
s’est arrangé pour votre ami ?

Jean, mal à l’aise, affiche un sourire coincé et accélère le pas.

EDDY
De qui il parle ?

JEAN
Je sais pas… Allez on s’active, on doit encore passer
à l’Ehpad et à la coopérative de lait.

EDDY
Avant, il faut que je fasse une pause pipi, j’en peux
plus.

- 87-
JEAN
Ok on s’arrête au PMU, mais vite fait !

86 INT. PMU - TOILETTES - JOUR 86

Jean et Eddy entrent dans le PMU.

JEAN & EDDY


Bonjour !

Les clients au comptoir se retournent et les saluent avec plus ou moins de


bienveillance. On sent quelques regards moqueurs sur Eddy.

EDDY
(au patron) J’emprunte vos toilettes deux minutes.

Le patron acquiesce et se tourne vers Jean, tandis qu’Eddy se dirige vers les
toilettes.

PATRON
Alors Monsieur le Maire, comment ça se présente
ces élections ?

JEAN
Bien, très bien même.

PATRON
Faut dire que vous êtes bien épaulé cette année.

JEAN
Je vous le fais pas dire.

CUT TO :

Eddy va pour entrer du côté réservé aux hommes mais pile à cet instant le
charcutier en sort.

CHARCUTIER
Hop hop hop, tu vas où comme ça ? Tu t’es perdue
ou quoi ? Ici c’est réservé aux hommes.

Goguenard, le Charcutier désigne le mot homme sur la porte.

CHARCUTIER
Tu sais pas lire ?

EDDY
Je suis un homme justement.

CHARCUTIER
Ah oui ? Alors vas-y montre-moi ta saucisse qu’on
rigole !

- 88-
Le charcutier lui met alors la pression physiquement en s’avançant vers lui.

CHARCUTIER
Allez baisse ton froc !

EDDY
Ça suffit maintenant (criant) Laissez-moi !!!

Jean débarque dans les toilettes.

JEAN
Qu’est-ce qui se passe ?

CHARCUTIER
Ah Monsieur le Maire ! Vous tombez bien. Pour savoir
dans votre programme vous avez prévu de faire des
chiottes pour les travelos ?

Jean fusille du regard le charcutier.

JEAN
Je vois pas de travelo, ici.

CHARCUTIER
Ah oui ?

JEAN
En revanche, je vois un gros con !

CHARCUTIER
Ah ouais ? Viens là, je vais te bouffer le foie !

JEAN
Vas-y essaie, moi je vais te faire bouffer tes couilles !

Les deux hommes s’empoignent et commencent à lutter maladroitement.

EDDY
(paniqué) Arrêtez !!! Arrêtez !!!

Le patron surgit…

LE PATRON
Et oh oh ! On se calme, là ! Viens là, toi !

Le patron entraine de force le charcutier, Jean se tourne vers Eddy qui est tout
chamboulé.

EDDY
Merci, Jean.

Jean prend Eddy dans ses bras.

- 89-
JEAN
Va falloir te faire une carapace, je serai pas toujours
là.

87 EXT. MAISON LEROY - SOIR 87

La nuit est tombée sur la maison des Leroy.

88 INT. MAISON LEROY - SOIR 88

Jean sort de la salle de bain et entre dans le lit où l’attend Eddy…

JEAN
Allez, extinction des feux ! Demain c’est le grand
jour… Bonne nuit.

Il éteint. Un temps. La chambre est plongée dans le noir.

EDDY
Jean, je peux te poser une question ?

JEAN
Hum…

EDDY
Quand est-ce qu’on va refaire l’amour ?

Un terrible silence s’installe. Il rallume la lumière.

JEAN
Ecoute, je suis pas sûr que ce soit le bon soir… j’ai
la tête farcie avec l’élection, là. Tu comprends ?

EDDY
Oui.

JEAN
Bon allez dodo !

Il éteint à nouveau la lumière.

89 INT. GYMNASE - BUREAU DE VOTE - MONTREUIL - JOUR 89

C’est le jour des élections. Dans le bureau de vote, Jean, accompagné d’Eddy
prend la pause devant les photographes et glisse l’enveloppe dans l’urne. Les
flashs crépitent.

- 90-
90 EXT. RUE DEVANT GYMNASE - JOUR 90

A la sortie du bureau de vote, un attroupement de journalistes et de badauds


entourent Jean et Eddy. Les micros se tendent vers Jean.

JEAN
Cette élection est évidemment importante pour
l’avenir de la ville, mais avec Eddy comme
compagnon, elle aura aussi une valeur historique.
Notre couple incarne la voie de la réconciliation
entre les valeurs traditionnelles auxquelles je suis
attaché et une certaine forme de modernité.

Les journalistes se tournent vers Eddy : “Eddy un mot ?!” Celui-ci rougit. Jean lui
fait signe de parler.

EDDY
Euh… Je remercie les Montreuillois pour leur
bienveillance… J’espère que mon expérience aidera
à mieux faire accepter les personnes comme moi et
qu’elles pourront enfin sortir du bois.

Dans la foule, le charcutier du marché, habillé en chasseur, se tourne vers un


collègue lui aussi vêtu en chasseur.

LE CHARCUTIER
Qu’ils essayent ! On va leur envoyer un bon coup
de chevrotine !

Sa voix est aussitôt recouverte par les trans de l’association qui scandent: “Eddy
président, Eddy président!” Un peu jaloux, Jean affiche un sourire de façade et
prend Eddy par la taille.

JEAN
Je crois que j’ai déjà trouvé mon successeur.

91 INT. QG CAMPAGNE JEAN - MONTREUIL - SOIR 91

Dans l’attente des résultats, le couple s’est retranché dans le QG avec Thomas et
les autres colistiers, Carole, Gérald et Pierre et Luc. Tout le monde a les yeux
rivés sur son portable, scrutant les moindres indices qui pourraient donner une
tendance. Tendu, Jean tourne en rond comme un fauve. Quand Thomas reçoit un
texto…

THOMAS
Francis dit que le bureau de vote vient de fermer, le
dépouillement commence !

- 91-
92 INT. GYMNASE - BUREAU DE VOTE - SOIR 92

Dans le bureau de vote. Francis surveille le dépouillement et pour l’instant, Jean


et son adversaire sont au coude à coude.

93 INT. QG DE VASSEUR - MONTREUIL - SOIR 93

Dans le QG de Vasseur, la tension est tout aussi palpable.

COLISTIER 1
Il n’a aucune chance, les gens ne voteront jamais
pour un type qui partage sa vie avec un trans !

COLISTIER 2
Méfiance…

VASSEUR
Il a raison. Ils ont plus d’un million de followers sur
Instagram, c’est pas rien !

COLISTIER 1
Okay mais c’est pas représentatif des gens du coin,
c’est tous des sympathisants LGBT.

VASSEUR
Y en a peut-être plus que tu ne crois dans la région.

94 INT. QG DE CAMPAGNE JEAN - SOIR 94

Au QG, la tension est à son paroxysme. Pour maîtriser la pression, Jean


s’empiffre de charcuterie.

EDDY
Jean c’est mauvais pour ton cholestérol.

CAROLE
Et toi arrête de le materner, on dirait une bonne
femme !

C’est alors que Thomas reçoit un appel.

THOMAS
C’est Francis…

Thomas va pour répondre, mais Jean se précipite et lui arrache le téléphone des
mains.

JEAN
On a gagné ?

Un temps.

- 92-
FRANCIS (OFF)
Non : on les a écrabouillés !!!

Jean lève un poing rageur.

JEAN
On a gagné !!!

Tout le monde exulte. Eddy lui tombe dans les bras.

EDDY
Bravo mon chéri ! Tu es le meilleur !

Jean est tellement heureux qu’il embrasse fougueusement Eddy sur la bouche.
Thomas a du mal à cacher sa surprise. Carole se met à faire des youyous, Gérald
fait péter une bouteille de champagne. Les colistiers se congratulent. Eddy
trinque avec Jean.

EDDY
Dommage que Marie soit pas là.

JEAN
Laisse lui un peu de temps.

95 EXT. PMU - MONTREUIL - NUIT 95

Devant le bar PMU redécoré pour l’occasion, des Montreuillois en liesse scandent
: “On a ga-gné, on a ga-gné !”.

Jean et tout son entourage rejoignent l’attroupement, et les vivats redoublent


d’intensité. Vasseur vient le saluer, cachant difficilement sa déception.

JEAN
Dans six ans c’est votre tour, vous aurez le temps de
vous préparer.

Vasseur sourit jaune. Jean monte sur une table et lève les bras en signe de
victoire.

JEAN
Merci à vous tous ! Merci ! Je vous promets
d’honorer la confiance que vous avez placée en
moi !

C’est alors qu’il est interrompu par les trans de l’association qui, entraînés par
Carole, scandent: “Eddy ! Eddy ! Eddy !” Désappointé, Jean va pour reprendre le
fil de son discours, mais c’est maintenant toute la foule qui scande le nom
d’Eddy. Jean adresse un regard à Eddy.

- 93-
JEAN
Je voulais créer un petit suspense… Mais
l’impatience est trop grande… Je vous demande
d’accueillir… Celui, sans qui rien n’aurait été
possible, Eddy !

Eddy rejoint Jean sous les ovations. Jean saisit la main d’Eddy et lève son bras en
l’air. Les applaudissements redoublent. Jean tend le micro à Eddy.

EDDY
Bravo aux Montreuillois ! À travers vos votes, vous
avez fait preuve d’ouverture et de tolérance !

Jean applaudit, puis s’empresse de reprendre la parole.

JEAN
Oui bravo aux Montreuillois ! Et maintenant, il est
temps de faire la nouba ! Et je veux que tout le
monde participe, même mes adversaires !

CUT TO :

La fanfare locale reprend frénétiquement “Allumer le feu” de Johnny Halliday.

Sur le parvis, les trans de l’association mettent une ambiance de folie et


entraînent tous les Montreuillois dans la danse. Jean invite à danser Eddy, il
semble réellement heureux et partage totalement cet instant de bonheur avec lui.
Leurs enfants, ainsi que Francis, Thomas, Carole et Gérald, forment un cercle
autour d’eux et frappent dans leurs mains.

Quand Jean apostrophe Eddy…

JEAN
Regarde qui arrive…

Le visage d’Eddy s’illumine en voyant arriver Marie, qui lui sourit.

EDDY
Je suis tellement heureuse que tu sois là.

Elles s’enlacent tendrement.

EDDY
(lui glisse à l’oreille) T’es plus fâchée ?

MARIE
Au contraire, j’ai toujours rêvé d’être la seule fille
de la famille.

- 94-
96 EXT. JARDIN MAISON LEROY - NUIT 96

JEAN & EDDY


On a gagné ! On a gagné !

Au bout de la nuit, Jean et Eddy, chantant à tue-tête, passent le portail de leur


maison et se garent dans la cour.

Ils sortent de la voiture en rigolant et en zigzaguant, visiblement bien éméchés.

97 INT. CHAMBRE - MAISON LEROY - NUIT 97

Main dans la main, ils entrent dans leur chambre.

JEAN
Je me suis amusé comme un fou ! J’ai l’impression
d’avoir vingt ans !

EDDY
Moi aussi, ça fait tellement du bien de rire !

Ils se regardent quand soudain, Jean plaque Eddy contre le mur et commence à
l’embrasser partout. Surpris par sa fougue, Eddy se laisse faire. Tout en
l’embrassant, Jean le fait basculer sur le lit, puis lui ôte ses chaussures d’homme
et son pantalon avec empressement.

JEAN
Mais c’est mon caleçon ça ?!

EDDY
Bah oui on fait la même taille.

JEAN
Tu vas voir si on fait la même taille ?!

Eddy éclate de rire.

CUT TO :

Le jour se lève sur la maison des Leroy. Jean ouvre un œil et semble un peu
surpris d’être dans les bras d’Eddy. Il se dégage délicatement, puis sort du lit
sans un bruit. Eddy lâche un soupir de bien être.

98 INT. CUISINE - MAISON LEROY - JOUR 98

En peignoir, Jean prend un café, quand Eddy le rejoint, heureux et léger.

EDDY
Quelle nuit !

- 95-
Jean sourit poliment, mais reste muet. Eddy lui passe tendrement une main dans
le dos.

EDDY
Ça va pas ?

JEAN
J’ai la gueule de bois…

EDDY
Faut dire qu’on en tenait une belle. Y a longtemps
qu’on n’avait pas rigolé comme ça.

JEAN
On a couché ensemble ?

EDDY
Tu ne t’en souviens pas ? (amusé) Pourtant t’étais en
pleine forme…

JEAN
Vaguement… (se levant) Je vais me doucher.

Eddy le regarde sortir un peu décontenancé.

99 EXT. JARDIN MAISON LEROY - JOUR 99

Rasé de près et habillé, Jean descend dans le salon et retrouve Eddy qui enfile un
manteau.

EDDY
Je vais faire un tour chez Bricorama, tu as besoin de
quelque chose ?

Jean fait non de la tête. Eddy lui envoie un smack et quitte la pièce. Pile à cet
instant le portable de Jean sonne, il regarde le nom sur l’écran et décroche.

FRANCIS (OFF)
Alors le winner ! Pas trop mal aux cheveux ?

JEAN
Un peu oui…

100 EXT. DEVANT LA MAISON LEROY - JOUR 100

Eddy monte dans la voiture, quand il s’exclame.

EDDY
Flûte les clefs !

- 96-
101 EXT. SALON - MAISON LEROY - JOUR 101

Dans le salon, Jean discute avec Francis qu’il a mis sur haut-parleur.

FRANCIS (OFF)
Et tu vas faire quoi maintenant avec Eddy ? Tu
comptes toujours divorcer ?

JEAN
Je viens juste de gagner Francis, laisse-moi
reprendre mon souffle.

FRANCIS (OFF)
Bien sûr… En tous cas, on s’est bien rattrapé aux
branches, bravo !

Eddy apparait dans l’encadrement de la porte du salon.

FRANCIS AU TÉLÉPHONE
Par moment, on aurait même dit que ça te plaisait
d’embrasser la femme à barbe.

JEAN
T’es cons ! N’importe quoi !

Dans le dos de Jean, Eddy fait tomber les clefs qu’il avait dans la main. Jean se
retourne. Eddy le dévisage avec un mélange de profonde tristesse et de haine.
Silence de mort. Eddy ramasse les clefs et s’en va…

JEAN
Eddy ! Attends !

Eddy a déjà claqué la porte.

FRANCIS (OFF)
Jean ?! Qu’est-ce qui se passe ?

Jean reste planté dans l’entrée, l’air désemparé.

102 EXT. DEVANT LA MAISON - JOUR 102

Eddy monte dans sa voiture et démarre… mais Jean déboule comme un fou et se
jette devant le capot pour l’empêcher de partir.

JEAN
Eddy je t’en prie, laisse-moi t’expliquer !

EDDY
(hurlant) Dégage ou je t’écrase !

Eddy accélère. Jean se jette sur le côté et tombe en arrière sur ses fesses.
Impuissant, il regarde la voiture s’éloigner.

- 97-
103 EXT. AUTOROUTE - JOUR 103

En larmes, Eddy roule sur l’autoroute qui traverse le Boulonnais en direction de


Dunkerque.

“Un homme heureux”, la chanson de William Sheller se fait entendre et couvre


les scènes qui suivent.

104 EXT. RUE DEVANT LA CENTRALE DE GRAVELINES - JOUR 104

Eddy est garé devant la sortie de la centrale. Il se regarde dans le rétro intérieur
et essuie ses larmes. La portière s’ouvre sur Carole qui monte dans la voiture.

CAROLE
Qu’est-ce qui t’arrive mon lapin ?

EDDY
Tu peux me loger ?

105 INT/EXT. SALON - PERRON- MAISON LEROY - FIN DE JOURNÉE 105

Malheureux, Jean est seul, affalé devant un programme abrutissant à la télé…


quand il entend une voiture. Il se lève, regarde à la fenêtre et voit la voiture
d’Eddy qui se gare. Plein d’espoir, il se recoiffe, remet sa chemise dans son
pantalon et va ouvrir la porte, quand il déchante en voyant Carole sortir du
véhicule. Elle s’approche…

CAROLE
Bonsoir Jean… Eddy m’a demandé de venir
chercher quelques bricoles, je peux entrer ?

Jean acquiesce, décontenancé.

106 INT. ENTREE - MAISON LEROY - FIN DE JOURNÉE 106

Carole, tirant une valise à roulettes, se dirige vers la porte d’entrée sous le regard
de Jean.

CAROLE
Tu pourras donner les fringues qui restent à la
femme de ménage ? Bon, je crois que j’ai rien
oublié… Au revoir.

Elle ouvre la porte, quand elle s’arrête net et se retourne sur lui.

CAROLE
Ah si je suis tarte ! Eddy m’a dit de te dire que la
femme à barbe lance la procédure de divorce.

Sur ce, elle s’éclipse en claquant la porte, laissant Jean abasourdi.

- 98-
107 INT. DRESSING - MAISON LEROY - FIN DE JOURNÉE 107

Debout dans le dressing, Jean regarde ce qu’il reste d’Edith sur les portants : des
robes, des chemisiers, des manteaux… quand soudain il se rue sur les vêtements
et les balance de rage à travers la pièce. La chanson de William Sheller s’arrête.

SIX MOIS PLUS TARD.

108 INT. CHAMBRE - MATERNITÉ - JOUR 108

Sous le regard de Marie qui a les yeux cernés, Jean, ému, tient dans ses bras son
petit-fils, il lui fait des gazouillis. Les frères de Marie sont là, ainsi que son
conjoint qui immortalise en photo Jean qui prend la pause avec son petit-fils.

MARIE
Il a le menton de son grand-père, non ?

JEAN
Lequel ? Il en a trois.

Tout le monde sourit à la boutade. C’est alors que Marie reçoit un texto…

MARIE
Je suis désolée Papa, Eddy arrive… Je lui ai dit que
c’était l’occasion de vous parler, mais y a rien à
faire, il veut pas te voir.

Jean acquiesce avec un petit air de misère et tend le bébé à sa mère.

109 INT. COULOIR MATERNITÉ - JOUR 109

En embuscade au bout d’un long couloir de la maternité, Jean, ému, observe


Eddy qui entre dans la chambre de sa fille, avec un gros nounours en peluche
calé sous le bras.

110 INT. GRANDE SALLE /MAIRIE DE MONTREUIL-SUR-MER - JOUR 110

Dans la salle du conseil municipal, Jean, les yeux cernés, le regard dans le vague,
n’écoute pas les membres du conseil municipal.

VASSEUR
Vous croyez pas qu’il serait plus pertinent d’utiliser
ces espaces pour installer des bacs à composts ?

FRANCIS
Très bonne idée ! Et pourquoi pas des toilettes
sèches sur la place de l’église ?!

CONSEILLER MUNICIPAL
Qu’est-ce que vous en pensez, monsieur le maire ?

- 99-
Pas de réponse. Francis donne un coup de coude à Jean. Celui-ci redresse la tête.

JEAN
(ailleurs) Oui, oui, très bien !

Gêne dans l’assemblée.

111 INT. ASSOCIATION TRANS PAS-DE-CALAIS - DUNKERQUE - JOUR 111

Jean est assis parmi les membres de l’association des transgenres du Pas-de-
Calais. Karine lui fait signe de prendre la parole.

JEAN
Je m’appelle Jean, j’ai 61 ans, je suis un homme, un
homme cisgenre et… je sais plus où j’en suis.

Il fond en larmes. Sa voisine le prend dans ses bras et le serre contre sa poitrine.

112 INT. RESTAURANT DARNETAL - SOIR 112

Francis, serviette autour du cou, dévore une tête de veau, tandis que Jean, assis à
ses côtés, n’a pas touché à la sienne.

FRANCIS
Tu manges pas ?

JEAN
J’ai pas faim.

FRANCIS
Alors là, si même la tête de veau te fait plus bander,
je ne peux plus rien pour toi.

Sa boutade réussit à décrocher un petit sourire à Jean.

JEAN
Si je me confie, tu me juges pas ? (Francis acquiesce,
la bouche pleine) Eddy me manque.

Jean regarde Francis avec une grande détresse. Moment de gêne.

FRANCIS
Allez mange, demain c’est carnaval, va nous falloir
des forces.

JEAN
J’irai pas.

FRANCIS
Tu déconnes ?!

- 100-
Jean fait non de la tête. Francis frappe brutalement du poing sur la table.

FRANCIS
Si tu ne viens pas, tu me vois plus jamais !

113 EXT. RUES DE DUNKERQUE - JOUR 113

Débouchant d’une petite rue qui donne sur le port de Dunkerque, deux
silhouettes de femmes apparaissent. On découvre Jean, barbe de trois jours,
portant la robe rose d’Edith, l’autre c’est Francis maquillé comme une voiture
volée, en jupe Léopard, boa rose, perruque noire, perché sur des escarpins.

Les deux compères rejoignent la foule bigarrée qui se rassemble sur les quais
pour faire “La bande” (cortège des Carnavaleux). Tous sont déguisés. C’est un
joyeux bordel où sont réunis notables et couches populaires, sans plus aucune
distinction sociale.

A l’avant de la bande, les musiciens de la fanfare, vêtus de cirés jaunes de


pêcheur, jouent une chanson traditionnelle : “Putain d’Islande” (hommage poignant
aux marins qui pêchaient dans le Grand Nord) reprise en chœur par les Carnavaleux.

La bande se met en branle en direction de la Place de l’Hôtel de Ville de


Dunkerque. Ça chante, ça danse, ça chahute. Francis participe à fond, il reprend
maintenant à tue-tête “Le zizi de ma tante” et essaie de transmettre son
enthousiasme à Jean, qui suit l’air triste et pathétique sur ses talons aiguilles.

114 EXT. GRANDE PLACE - DUNKERQUE - JOUR 114

La bande arrive sur la grande place et se presse sous les fenêtres de la mairie en
hurlant : “Libérez les harengs !”. Ils sont des milliers, serrés comme des sardines.

Depuis le balcon, le Maire de Dunkerque et ses adjoints lancent des harengs sur
la foule qui se précipite pour les attraper, déclenchant des mouvements de foule,
comme des vagues. Charrié de droite à gauche, Jean serre les dents, tandis que
Francis réussit à saisir un hareng qu’il brandit comme un trophée. L’ambiance est
folle. Jean aperçoit dans la foule multicolore un visage qui ressemble
étrangement à celui d’Eddy. Il part à sa rencontre. A côté, Francis est à fond, il
danse avec un homme, une force de la nature, déguisé en Fée Clochette, tandis
que d’autres scandent en choeur :

LES CARNAVALEUX
Le zôt'che, le zôt'che !

Francis se plie à la demande et fait un baiser sur la bouche de la fée Clochette.


Plus loin, Jean interpelle le carnavaleux qu’il traque, espérant que se retourne
Eddy... mais non, c’est jeune-homme barbu manifestement proche du coma
éthylique.

- 101-
115 EXT. RUES DUNKERQUE - SOIR 115

La nuit est tombée, mais dans les rues, la foule des Carnavaleux est toujours
aussi importante, bruyante et joyeuse.

Pas mal éméché, mais digne et très motivé, Francis suit le mouvement avec
enthousiasme, au contraire de Jean qui suit péniblement.

JEAN
Je ne suis pas sûr d’aller au bal des acharnés.
J’ai des ampoules.

FRANCIS
Tu commences à me faire chier à chouiner ! Si tu
veux rentrer, rentre ! Mais compte pas sur moi pour
te raccompagner.

Francis s’éloigne. Jean soupire et se résigne à le suivre en traînant la patte.

116 INT. SALLE DE BAL - DUNKERQUE - NUIT 116

Dans une grande salle contenant des centaines de personnes, les Carnavaleux
dansent et chantent autour d’une scène ronde où joue la fanfare.

Accoudé au bar, Jean repousse une Carnavaleuse déguisée en langouste… quand


son regard est attiré par un Carnavaleux dont le visage, entièrement maquillé, est
scindé en deux, un côté noir, l’autre blanc. C’est Eddy qui commande deux
verres. Jean devient fébrile, ne sachant comment réagir, puis il se fait violence et
l’aborde.

JEAN
Eddy… (Eddy se tourne, surpris de le voir) Je croyais
que tu détestais le Carnaval ?

EDDY
Faut croire que j’ai changé. (Elle le toise) C’est ma
robe ça ?

Jean la fixe.

JEAN
Tu me manques.

EDDY
Je ne te crois plus, Jean.

Eddy va pour s’en aller, mais Jean la retient par le bras.

JEAN
Ecoute-moi juste deux minutes, je t’en supplie !

- 102-
EDDY
(soupirant) Je t’écoute.

JEAN
Je… Je voulais juste te dire que je te trouve très
courageux. Je t’admire !

EDDY
Tu m’admires ?

JEAN
Oui. T’as une sacrée paire de couilles.

Eddy sourit. Ils se regardent avec intensité sans un mot. Puis, Jean s’enfile un
grand verre de rhum, comme pour se donner du courage.

JEAN
Je ne peux pas vivre sans toi.

Eddy garde le silence.

JEAN
Je suis sérieux, je suis même prêt à lâcher ma mairie
pour toi, je peux pas dire mieux !

EDDY
Tu ferais ça ?

JEAN
Oui… et j’achèterai un beau camping-car et on le
fera ce grand voyage.

Jean le regarde avec intensité. Il a du mal à cacher son émotion. Quand Francis
débarque en tenant par la main Carole. Complètement bouurrés tous les deux, ils
regardent Eddy et Jean en affichant un grand sourire.

FRANCIS
Ah ça y est ! Vous vous êtes retrouvés les
amoureux. Allez faites-vous un “zôt'che”! C’est le
carnaval, on oublie tout !

Jean et Eddy se regardent, un peu embarrassés.

FRANCIS & CAROLE


Un zôt’che ! Un zot’che ! Un zot’che !

DES CARNAVALEUX
Un zôt’che ! Un zot’che ! Un zot’che !

JEAN
En bon républicain, j’ai toujours respecté la voix du
peuple…

- 103-
Dans la foulée, Jean saisit Eddy par le cou et l’embrasse sur la bouche, sous les
cris de joie des Carnavaleux qui se tournent maintenant vers Francis et Carole en
reprenant en choeur :

DES CARNAVALEUX
Un zôt’che ! Un zot’che ! Un zot’che !

Petit moment de flottement, Francis regarde Carole qui lui adresse un sourire
charmant. Francis s’approche d’elle et lui fait un zot’che. On applaudit. Carole
est ravie. C’est alors que Gérald débarque en Castafiore.

GÉRALD
Et moi personne me fait un zot’che !?

CAROLE
Mais si mon Gérald !

Carole le prend par la taille et lui fait un énorme zot’che. Les carnavaleux se
mettent à chanter au son d’un bignou “Putain d’Island”. Eddy et Jean reprennent
en chœur avec les autres.

EDDY, JEAN
Depuis trois jours, t'es déguisé, t'es maquillé et t'as
picolé
Te v'là à c't'heure, su'l'point d'parti'
Cap sur l'Islande
Mort aux flétans !

117 INT. SALLE DES MARIAGES - MAIRIE- MONTREUIL - JOUR 117

Plusieurs mois plus tard. Tout le monde est réuni dans la salle des mariages. Il y
a les trois enfants de Jean et Eddy, l’époux de Marie et leur bébé, mais aussi
Gérald, Thomas, les trans de l’association, des Montreuillois, la fromagère et
même le curé. Sans oublier Carole qui adresse un clin d’œil à Francis, qui arbore
l’écharpe tricolore et se tient debout face à Jean et Eddy.

FRANCIS
Jean Leroy, acceptez-vous de prendre pour époux,
Eddy Chauvin, ici présent ?

JEAN
Oui !

FRANCIS
Eddy Chauvin acceptez-vous de prendre pour
époux, Jean Leroy, ici présent ?

EDDY
Oui.

Jean et Eddy s’embrassent sous les applaudissements.

- 104-
118 EXT. PARVIS DE LA MAIRIE -JOUR 118

A l’extérieur, les convives font une haie d’honneur et jettent du riz sur les mariés
qui sortent de la mairie. Ces derniers, sur un nuage, se dirigent main dans la
main vers un camping-car flambant neuf garé dans la rue.

119 EXT. ROUTE, CAP GRIS NEZ, CAP BLANC NEZ - JOUR 119

Le camping-car sur lequel une pancarte est écrit “just married” s’éloigne sur la
route qui longe les falaises du cap gris nez et blanc nez. *

- 105-

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