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Développement des cultures vivrières et modification de l'occupation du sol


en pays Adioukrou (1975-1990)

Article in Cahiers Nantais · January 2000


DOI: 10.3406/canan.1999.1248

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Développement des cultures vivrières et modification de


l’occupation du sol en pays Adioukrou (1975–1990)

Marie-Antoinette ADEMOLA-OUATTARA, Koffi ATTA, IGT – Abidjan


Patrick POTTIER
IGARUN – Nantes. UMR 6590-CNRS "Espaces géographiques et sociétés"

Résumé : Le développement des cultures villageoises dans le pays Adioukrou entre 1975 et 1990, représente un bon
exemple des tendances actuelles de l’agriculture dans la zone forestière du sud de la Côte d’Ivoire. La
politique nationale de promotion des cultures vivrières, y a trouvé un écho favorable, compte tenu d’un
contexte local favorable au développement de la culture du manioc.

Mots-clés : Occupation du sol. Milieu tropical. Défrichement. Agriculture vivrière. Côte d’Ivoire.

Abstract : The development of food crops in the Adioukrou country between 1975 and 1990, represents a good current
trend example of the agriculture in the southern forest zone of the Ivory Coast. The national promotion
policy of food crops, has found there a favorable echoes, held account of a favorable local context to the
development of the culture of the cassava.

Key words : Landuse. Tropical zone. Clearing. Food crops. Ivory Coast.

L’étude des dynamiques des espaces naturels et agricoles entre 1975 et 1990 dans le pays Adioukrou
(basse Côte d’Ivoire, Fig. 1) permet d’appréhender l’ampleur des mutations qui sont en cours dans
cette zone forestière du pays(1).

Tous les éléments d’une profonde mutation de l’activité agricole sont réunis. Le pays Adioukrou
constitue ainsi un bel exemple de territoire où la végétation naturelle a pratiquement disparu face à la
progression et l’intensification des cultures, où la saturation des terres s’accompagne d’une part de la
dégradation et de l’appauvrissement des sols, et d’autre part d’un système foncier qui vole en éclats,
où, enfin, les modes et les techniques de culture ont dû s’adapter à une transformation réelle du
système de production agricole(2).

La progression des surfaces agricoles consacrées à la culture du manioc, transformé localement en


attiéké (semoule très prisée par les Ivoiriens), constitue dans ce contexte la dimension la plus originale
et spectaculaire de la transformation du pays Adioukrou entre 1975 et 1990. La proximité du marché
d’Abidjan, située à peine à 40 kilomètres, a ainsi permis à une tradition locale ancienne de transformer
ce territoire, longtemps occupé par les plantations industrielles, d’un modèle de développement
exogène en un pays d’agriculture paysanne dynamique, bien rémunérée, et totalement intégrée à
l’économie nationale.

I - SOCIÉTÉ ET TERRITOIRES EN PAYS ADIOUKROU

L’espace ethno-culturel Adioukrou se définit par les limites du territoire où la langue Modzukru est
parlée par la population autochtone(3). C’est à travers cette langue qu’est véhiculée la culture par
laquelle l’ethnie s’identifie et se différencie des ethnies circum-voisines ; au nord Abidji et Krobou, à
l’est Ébrié, à l’ouest Avikam, et au sud Ahizi et Alladian.

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7° 5° 3°W

MALI BURKINA-FASO

SAVANES
ODIENNÉ KORHOGO

GUINÉE DENGUELÉ
9°N
ZANZAN

WORODOUGOU VALLÉE DU
BANDAMA
SEGUELA BONDOUKOU
BOUAKÉ
MAN

LACS N'ZI-COMOÉ

18 MONTAGNES DALOA YAMOUSSOUKRO
BOUAFLÉ MOYEN-COMOÉ
HAUT- MARAHOUÉ DIMBROKO
ABENGOUROU
SASSANDRA
AGNEBY GHANA
AGBOVILLE
DIVO
SUD-
SUD- COMOÉ
LIBERIA BANDAMA LAGUNES ABOISSO
BAS-SASSANDRA
5° ABIDJAN
SAN-PEDRO

réalisation : A.DUBOIS-IGARUN
Océan Atlantique
N

0 40 km
Source : division géographique (ABD) du MAE

Fig. 1 : Localisation du pays Adioukrou

Ce territoire est compris entre les 5e et 6e degré de latitude nord, et entre les 4e et 5e degré de longitude
ouest. De ces limites méridionales qui coïncident avec la lagune Ébrié, aux confins septentrionaux
autrefois contrôlés par les villages de Lopou et Youhoulie, la distance à vol d’oiseau n’excède pas
30 kilomètres. Deux cours d’eau de type pérenne forment pratiquement un anneau complet autour de
cet espace ethnique, l’Agnéby et l’Ira, qui bouclent d’est en ouest sur un parcours d’un peu moins de
40 kilomètres en ligne droite. D’une superficie de 744 kilomètres carrés, le pays Adioukrou s’étend
sur un bas plateau d’altitude moyenne inférieure à 80 mètres et une plaine fluvio-lagunaire. Les deux
ensembles sont séparés par un talus généralement orienté vers le sud-est (Fig. 2). De nombreux
affluents intermittents, mixtes et pérennes, de l’Agnéby et de l’Ira, ainsi que de petits cours d’eau se
dirigeant vers la lagune, parcourent ce territoire en un chevelu hydrographique qui a par endroit incisé
le plateau.

Ce milieu bénéficie des influences océaniques et d’un régime climatique équatorial de transition à
quatre saisons : deux saisons sèches et deux saisons de pluies. La durée des saisons sèches est
inférieure à quatre mois. La plus importante et la plus rigoureuse se déroule de décembre à février.
Une autre, moins marquée et de plus courte durée s’étend d’août à septembre et succède à la grande
saison des pluies. La pluviométrie moyenne oscille entre 1 600 et 2 000 mm de précipitations. Le
déficit hydrique cumulé varie entre 300 et 400 mm d’eau par an. La moyenne des températures est
relativement constante, autour de 25°. Les sols de la région sud forment une mosaïque de terroirs aux
aptitudes culturales variables. S’ils ne sont pas démunis de qualités physiques, ils présentent presque
toujours de faibles potentialités chimiques. Ces sols sont constitués de dépôts détritiques sablo-
argileux (sols hydromorphes) et ferralitiques fortement désaturés sous forte pluviométrie. Leurs
aptitudes culturales sont bonnes. En effet, il s’agit de sols profonds ou peu gravillonnaires à propriétés
physiques favorables.

Cahiers Nantais n° 51
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Plateau

Plaine lagunaire

Cours d'eau intermittent

Cours d'eau pérenne


40

Ira Nom de cours d'eau

Talus 80

Ira
42 Point côté
62
Vallée
Adia
kmé

Bo
Ville principale

kud
ji

by
Agne
70
DABOU
rou
Cos
de

N
Baie

42 Éb rié
Lagune 6 Km

Source : carte topographique, doc. CCT-DCGTx d'après M.A. ADEMOLA/OUATTARA, IGT-LATIG, 1996

Fig. 2 : Croquis topographique de l’espace de vie traditionnel Odjoukrou

Dans ce secteur ombrophile du domaine guinéen, le climat dominant est celui de la forêt dense humide
sempervirente, mais cet espace Adioukrou laisse également une large place aux savanes incluses,
d’origine paléoclimatique ou édaphique. Aujourd’hui, la couverture végétale originelle est à un stade
secondaire fortement dégradé. Après les premiers défrichements et jusqu’au milieu du vingtième
siècle, le partage du sol entre les cultures était lié à l’organisation de la société (Kobi, 1981). Dans ce
système traditionnel, la forêt primaire, composée de grands arbres, était d’une pénétration difficile.
Elle constituait la zone de palmeraie potentielle, c’est-à-dire l’espace d’extension possible de l’activité
agricole des Adioukrou, dont la tradition est la culture sous forêt. La "sar", ou palmeraie traditionnelle,
constituait le complexe agraire où les aliments de base étaient produits : manioc, banane, huile de
palme… Ce fut l’élément le plus important du système spatial, l’élément régulateur des rapports entre
la parenté et le système de production. Au début du siècle (Fig. 3), la zone savanicole centrale était
quant à elle déjà occupée par des plantations industrielles d’origine coloniale. La forêt marécageuse,
enfin, demeurait la zone d’où provenaient les matériaux de construction, les articles de vannerie et de
pêche. Elle était propriété collective des villages.
À la suite de l’indépendance, le pays Adioukrou suit les grandes réformes politiques et se transforme.
Les premières mutations spatiales sont provoquées par la diffusion des cultures de rente, par
l’ouverture de vastes étendues de plantations villageoises et industrielles. Les revenus augmentent et
les villages connaissent déjà une certaine prospérité. Dans une seconde phase, à partir de 1980, face
aux fluctuations des prix sur le marché mondial et de la croissance urbaine accélérée, l’État ivoirien
encourage le développement des cultures vivrières afin, d’une part, d’atteindre l’autosuffisance
alimentaire, et d’autre part de réaliser des recettes substantielles sur le marché intérieur en vue de
réduire le déficit de la balance commerciale. Le pays Adioukrou, à l’image de toute la partie sud de la
Côte d’Ivoire, par la combinaison de l’initiative de développement des cultures de rentes et celle de la
promotion des cultures vivrières, connaît alors une véritable mutation qui lui donne sa physionomie
actuelle : un paysage rural inégalement réparti entre l’agriculture vivrière et l’économie de plantation,
aux mains de propriétaires villageois, de sociétés privées ou publiques.

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Occupation du sol en 1935

Forêt
Akakro
Forêt marécageuse
Palmier traditionnel culture
Palmier industriel
Savane Akradjo
Ousrou
Savane à rônier Lopou
Youhoulli Yassap Orgaff
Zone bâtie
Orbaff
Pistes
Cours d'eau pérenne
Cours d'eau intermittent Vieux-Badien Débrimou

Armêbê

Mopoyem Agneby
Toupah
Cosrou Bohna Bodou DABOU
Agbayé
Tiaha

Pandah Kaka
N

Dabouli Ébr
Lagune 6 Km

Source : Service cartographique de l'AOF, document CCT-DCGTx d'après M.A. ADEMOLA/OUATTARA IGT-LATIG, 1996 et P. POTTIER, IMAR-IGARUN

Fig. 3 : L’espace de vie traditionnel des Odjoukrou en 1935

Cette mosaïque d’espaces qui se construit n’est pas particulière au pays Adioukrou. Pourtant, dans
cette partie de la Côte d’Ivoire, l’ampleur de la réponse paysanne est exemplaire. Elle trouve ses
racines dans la spécialisation qui l’accompagne, le développement considérable de la culture de
manioc, dont on tire par transformation l’attiéké, après avoir pilé la tubercule et l’avoir cuite à la
vapeur pour produire une semoule très appréciée pour l’accompagnement des sauces et plats
traditionnels. On estime aujourd’hui de 85 % à 90 % la part des cultures vivrières consacrée à la
culture du manioc dans le pays Adioukrou. Son développement a surtout favorisé plus qu’ailleurs la
mise en culture des terres et la pression de l’agriculture sur le milieu.
La pression qui s’exerce alors sur l’espace s’accompagne, bien entendu, d’une forte progression
démographique. La population du pays Adioukrou est passée de 74 628 habitants en 1975 à 113 648
en 1990. La ville de Dabou, centre urbain principal de la région, a vu sa population pratiquement
doubler entre 1975 et 1990, de 23 870 à 41 818 habitants. Les densités rurales, d’environ 100 habitants
au kilomètre carré, ont atteint quinze années plus tard des proportions élevées, avec une moyenne de
150 habitants au kilomètre carré, dans une région où les surfaces importantes en culture industrielle
laissent imaginer l’ampleur de la pression anthropique dans les secteurs de culture vivrière. Pendant la
même période, les surfaces en forêt primaire ont été réduites de 82 %, celles des savanes de 74 %.

II - LES TRANSFORMATIONS DES ESPACES NATURELS ET AGRICOLES

L’analyse des photographies aériennes de 1975 et d’une image Landsat TM de 1990, a permis de
mettre à jour l’ampleur des principales mutations spatiales qui se sont opéré dans le pays Adioukrou.
La complexité des paysages par l’association des cultures, d’une part, et la mise en culture sous
couvert forestier, d’autre part, ne facilitent pourtant pas l’interprétation et l’analyse de ces données
brutes(4). Il apparaît toutefois possible, compte tenu des dynamiques qui sont en jeu, d’évaluer
quantitativement les évolutions et de tenter ainsi une analyse portant sur les principales causes de ces
bouleversements.

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1975

2000 10000 20000 hectares

1990

2000 10000 20000 30000 hectares

0 10 km

Ananas Forêt Culture villageoise Savane


Hévéa ind. Forêt-culture Culture maraîchère Zone marécageuse
Palmeraie ind. Culture-forêt Culture-savane Zone bâtie
Bananeraie Forêt-culture maraîchère Savane-culture Piste atterrissage

Sources: photographies aériennes 1975 & image Landsat TM 1990, doc. CCT-DCGTx. d'après P. POTTIER et M.A. ADEMOLA/OUATTARA, IGARUN-IGT,1996

Fig. 4 et 5 : Occupation du sol dans le pays Adioukrou en 1975 et 1990

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A - Le défrichement des derniers espaces naturels


En 1975, la surface occupée par les espaces restés naturels est évaluée à 23,8 % des 744 kilomètres
carrés du pays Adioukrou (tableau 1). Ce sont des zones considérées comme intactes de toute
intervention humaine susceptible de modifier leur équilibre. Ces espaces qui occupent alors 17 % de la
totalité de la zone pour la forêt primaire, 3 % pour la forêt marécageuse et 3,8 % pour la savane, sont
déjà dispersés et atomisés. Ils occupent essentiellement les secteurs nord et sud-ouest (Fig. 4), et
révèlent des disponibilités locales en terre qui se raréfient déjà à cette époque. Ils s’étendent en 1975
sur 17 707 hectares, et c’est la forêt qui en constitue la part essentielle avec 13 000 hectares.

1990 A B CV CF CM CS FC FCM FM F SC S HI PI ZB PA Total


1975
1975

A 0

B 96 36 144 276

CV 15 858 1 521 91 134 620 53 456 18 733

CF 9 713 2 598 923 437 13 670

CM 70 807 196 1 072

CS 0

FC 58 1 843 763 535 3 199

FCM 0

FM 31 210 1 164 827 2 231

F 5 460 3 219 1 993 1 707 194 97 12 670

SC 144 170 314

S 346 1 268 607 584 2 804

HI 7 848 37 7 884

PI 678 9 321 36 10 035

ZB 1 482 1 482

PA 51 51

Total 403 127 34 356 8 101 1 054 777 3 451 1 307 1 022 2 234 718 9 340 9 374 2 107 51 74 421
1990

Caractères gras : Valeurs stables Conception et réalisation : M.A. Ademola-Ouattara (1996)


Caractères non gras : Valeurs de la dynamique
Tableau 1 : Évolution des superficies des affectations de 1975 à 1990 ( en hectares)
A = Ananas FM = Forêt marécageuse
B = Banane F = Forêt
CV = Culture villageoise SC = Savane Culture
CF = Culture Forêt S = Savane
CM = Culture maraîchère Hi = Hévéa industriel
CS = Culture Savane Pi = Palmier industriel
FC = Forêt Culture ZB = Zone bâtie
FCM = Forêt Culture maraîchère PA = Piste d’atterrissage

Les défrichements déjà opérés n’ont pas pour autant eu la même ampleur sur l’ensemble du reste du
pays Adioukrou, si bien que la végétation naturelle s’y retrouve encore largement dans certaines zones
de culture associée. Dans les secteurs de forêt-culture qui représentent la première phase du
défrichement, les espaces encore boisés en 1975 alternent avec les champs de culture, dans un rapport
d’environ 60 et 40 % des surfaces. Dans la seconde phase de mise en culture, ces proportions évoluent
à 30 et 60 % pour les secteurs de la classe culture-forêt. Des processus identiques sont observés dans

Cahiers Nantais n° 51
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les secteurs traditionnels de la savane, avec des rapports entre les espaces restés naturels et ceux
d’emprise agricole notable de 75 et 25 % pour le premier niveau de mise en culture (classe savane-
culture), et 20 contre 80 % des surfaces pour le second (classe culture-savane). C’est donc l’ensemble
des dynamiques qui touchent ces différentes compositions paysagères, qu’il convient de prendre en
compte dans l’évolution globale de la couverture végétale naturelle du pays Adioukrou entre 1975 et
1990. Ce sont les espaces restés encore totalement épargnés par le défrichement en 1975 qui ont connu
les plus forts reculs sous la pression du développement de l’activité agricole. À raison de 915 hectares
par an, le défrichement a eu raison de 82 % de la forêt primaire résiduelle (soit 10 436 hectares en
moins), 74 % de la savane et 54 % de la forêt marécageuse. Avec une surface qui n’occupe plus que
5,34 % du pays Adioukrou en 1990, la couverture végétale naturelle s’est donc considérablement
réduite, pour pratiquement disparaître (Fig. 5).
Le défrichement de la forêt a connu une ampleur particulière dans toute la partie sud de la Côte
d’Ivoire. Les chiffres du ministère de l’Agriculture ivoirien ont fait état d’une progression du
déboisement d’environ 500 000 hectares par an entre 1966 et 1982. A. Hauhouot (1990), considérant
le recul de la superficie du couvert forestier de 16 millions d’hectares au début du siècle, à 3 millions
au début des années quatre-vingt-dix, attribue pour près de 90 %, comme G. Rougerie (1990), cette
réduction non pas à l’exploitation forestière, mais "à la course au foncier à des fins agricoles". Dans le
pays Adioukrou, le processus déjà bien engagé au début des années soixante-dix, se poursuit donc à un
rythme élevé, selon un modèle parfaitement décrit par A. Hauhouot (1990). La forte progression des
cultures de manioc n’a donc fait que renforcer localement une tendance enregistrée bien au-delà, lui
procurant une dimension exceptionnelle plus par son intensité que par son originalité. Dans les
secteurs déjà en partie concernés par les défrichements agricoles en 1975, en milieu de forêt comme de
savane, les évolutions ont été moins sensibles. Elles atteignent toutefois 40,7 % de réduction pour les
surfaces de la classe culture-forêt, et dans tous les cas, c’est bien sûr en faveur du développement de
l’agriculture que s’est effectué ce transfert. Au total, on peut évaluer à 22 480 hectares ce transfert net
de surfaces naturelles incluses ou non en zone déjà plus ou moins défrichée, vers des modes
d’utilisation agricole de la terre. Avec un rythme de croissance de près de 1 500 hectares par an,
l’activité agricole a ainsi progressé sur 30 % du pays Adioukrou en quinze ans.

B - L’accroissement de l’emprise agricole

En 1975, la pression anthropique est déjà forte sur ce territoire, mais elle revêt des aspects différents
selon les systèmes de culture en vigueur. C’est essentiellement dans la partie située au centre et au sud
du pays Adioukrou, que les défrichements ont été les plus anciens et les plus nombreux (Fig. 4). Avec
76,2 % d’espaces considérés comme déjà humanisés en 1975, la partie agricole peut être divisée en
deux sous-ensembles. Le premier concerne les secteurs d’agriculture industrielle, mis en valeur par
des sociétés publiques ou privées, où s’étendent les cultures d’hévéa et de palmier. Ces sociétés agro-
industrielles se sont essentiellement développées sur la zone centrale des savanes, et y ont implanté
avant les années soixante-dix de vastes plantations (hévéa : 7 884 hectares et palmier : 10 035
hectares), des usines et des cités ouvrières, ainsi qu’une piste d’atterrissage. Le second regroupe les
secteurs d’agriculture villageoise. Il représente, avec 38 508 hectares, près de 68 % des espaces
humanisés tout ou partie en 1975. Différents par la diversité des cultures, comme par la pression
anthropique, ces secteurs regroupent aussi bien la zone de culture villageoise stricte (plantation
villageoise de palmier à huile, d’hévéa, cultures vivrières -manioc, igname, maïs, légumes, banane...-),
que celle des formations végétales naturelles dégradées pour partie par le défrichement agricole (forêt-
culture, culture-forêt, savane-culture…). Les cultures de palmier traditionnel, palmier sélectionné, et
de vivriers, y sont très présentes, celles de la banane et des cultures maraîchères un peu moins. La
jachère, couvrant parfois des secteurs occupés par d’anciennes zones de café et de cacao délaissées,
concerne des surfaces encore importantes en 1975, avec près de 7 566 hectares. Elles sont répertoriées
dans les classes composées, associant les formations végétales naturelles et les îlots de culture. Au
total, on peut évaluer à 30 517 hectares l’ensemble des surfaces occupées par les cultures villageoises
en 1975.

Cahiers Nantais n° 51
139

Fig.6 - Surfaces en forêt, culture et forêt -


cultures associées en 1975

Fig.7 - Surfaces en forêt, culture et forêt -


cultures associées en 1990

0 10 km

Forêt Forêt-culture Culture-forêt Forêt-culture maraîchère Culture villageoise

Sources: photographies aériennes 1975 & image Landsat TM 1990, doc. CCT-DCGTx. Conception et réalisation : P. POTTIER, IGARUN 1996

Fig. 6 et 7 : Évolution des surfaces en forêt, forêt-culture et culture villageoise entre 1975 et 1990

Cahiers Nantais n° 51
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Entre 1975 et 1990, les surfaces qui ont conservé un mode d’occupation du sol identique (Fig. 6), ne
concernent que 56 % du pays Adioukrou. Avec plus de 89 % de stabilité et une couverture qui reste
pratiquement constante (de 17 920 à 18 714 hectares), les cultures industrielles constituent au centre
de la zone la partie la plus pérenne de l’activité agricole. Les surfaces exclusivement occupées par les
cultures villageoises dès 1975 dans le sud du pays, connaissent également une grande stabilité (pour
plus de 15 858 hectares). Associées aux précédentes, elles représentent plus des 4/5 de ce qui est resté
stable entre 1975 et 1990.
Dans le reste du pays Adioukrou, les évolutions majeures enregistrées entre 1975 et 1990 ont
essentiellement touché les zones de type forestier (Fig. 7). C’est avant tout sous la pression de
l’activité agricole que se sont opérés ces changements, avec une très forte progression des secteurs de
culture villageoise stricte, passés de 18 733 hectares en 1975, à 34 356 en 1990 (occupant ainsi 25,2 %
du pays Adioukrou en 1975, et 46,2 % en 1990). Le front de progression a concerné l’ensemble des
périphéries de la zone centrale stable des cultures industrielles, mais c’est avec plus de vigueur qu’il
s’est développé dans les parties nord et sud-ouest du pays, jusqu’alors demeurées majoritairement
forestières. Les évolutions observées sur quinze années seulement, représentent des bouleversements
importants d’un point de vue territorial (Fig. 8 et 9). Avec une progression de 83 % en surfaces, les
cultures villageoises tendent en effet à réduire à la portion congrue les zones de forêt primaire (5 460
hectares sont directement transformés en zone de culture), celles de savane (1 268 hectares sont
totalement annexés), tout en dégradant un peu plus celles déjà en partie défrichées en 1975 (1 843
hectares de forêt-culture se transforment en zone de culture totalement défrichée, 9 713 hectares de
culture-forêt…).
Ces dynamiques ont été complétées par celles internes aux espaces de culture villageoise, de forêt et
culture associée, qui bien qu’étant demeurés dans une même classe d’occupation du sol, n’en ont pas
pour autant été totalement figés. Les types de culture ont beaucoup changé, et notamment, les cultures
vivrières s’y sont déplacées et y ont beaucoup progressé. L’hévéa villageois et l’ananas, qui n’étaient
pas cultivés en 1975, y sont même apparus pendant cette période.

C - Le fort développement des cultures vivrières


L’utilisation agricole de la zone villageoise recouvre des systèmes de culture différents. Les cultures
vivrières (essentiellement le manioc, mais aussi l’igname, le maïs et les légumes) s’imposent dès 1975
comme le système de production agricole principal des populations de l’espace Adioukrou (environ
52 % des surfaces en culture villageoise, dans certains secteurs plus de 80 %), mais elles partagent le
territoire exploité par les populations locales avec la culture du palmier traditionnel (9 %), du palmier
sélectionné (16 %) et des cultures maraîchères (3 %). L’analyse de certains terroirs villageois
(Adémola-Ouattara, 1997) montre une grande dispersion des surfaces de vivriers dans le paysage, avec
des îlots de culture de taille moyenne proche de 2,5 hectares, alternant avec les autres surfaces
agricoles, dont certaines sont quelquefois disposées en îlot plus vaste et continu comme pour le
palmier traditionnel.

Entre 1975 et 1990, la forte progression des secteurs mis en valeur par les sociétés villageoises,
concernent donc essentiellement les cultures vivrières. Leur progression est réelle en surface, avec une
augmentation de 14 067 hectares (+74 % en quinze ans), qui en fait le premier système de production
du pays Adioukrou en 1990 (44,5 % de l’ensemble du territoire). Elle s’est opérée essentiellement au
détriment des espaces forestiers, pour 5 460 hectares de forêt primaire et 9 713 de culture-forêt. Cette
évolution des cultures vivrières est d’autant plus remarquable que les autres systèmes de culture
villageoise connaissent des destinées très différentes. Certes, l’hévéa villageois apparaît avec force
(2 242 hectares), la culture de l’ananas se développe (404 hectares), les cultures maraîchères ont
progressé de 686 hectares (+64 %), mais parallèlement les surfaces en palmier traditionnel (-77 %) et
sélectionné (-33 %) connaissent de fortes régressions (-3 951 hectares en quinze ans).

À l’intérieur des zones anciennes de culture villageoise, les différentes affectations ont également
connu quelques bouleversements, les cultures vivrières ont progressé au détriment du palmier

Cahiers Nantais n° 51
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traditionnel et sélectionné, ou de la jachère qui recule de 349 hectares (-4,61 % des surfaces entre 1975
et 1990). L’introduction de l’hévéa villageois s’est faite aux dépens du palmier traditionnel.

Au total, le facteur majeur de la dynamique des espaces naturels et agricoles dans le pays Adioukrou
demeure bien le fort développement des cultures vivrières, dont le manioc occupe une place
déterminante. Quelquefois cultivé seul, en alternance ou partageant les champs de culture avec
l’igname, le maïs (photo 1) ou les légumes, d’autres fois associé aux premières années de pousse du
palmier sélectionné (photo 2) ou de l’hévéa villageois, on peut considérer que le manioc représente de
85 à plus de 90 % des surfaces identifiées en culture villageoise stricte. Il est par ailleurs très présent
dans les secteurs défrichés des classes composées, forêt-culture et culture-forêt, notamment.

III - FACTEURS ET CONSÉQUENCES DES MUTATIONS AGRICOLES

C’est dans un contexte local particulier que s’est mise en place, dans le pays Adioukrou, la politique
de développement des cultures vivrières lancée par le gouvernement ivoirien à la fin des années
soixante-dix. Déjà présente dans l’économie traditionnelle de la région avant 1960, et notamment au
sein de la palmeraie traditionnelle ou "sar", la culture du manioc s’est en fait développée sous
l’impulsion de divers facteurs, tant sociologiques qu’économiques.

A - Les transformations du système social

Le développement de l’agriculture dans le pays Adioukrou a tout d’abord été favorisé par les
potentialités du milieu naturel. Le relief sans accident majeur, le climat marqué par une bonne
pluviosité avec intensité et régularité, le réseau hydrographique dense et offrant de bonnes capacités de
drainage, les sols favorables, fertiles, fortement désaturés en zone forestière ou hydromorphes dans les
secteurs bas, ont constitué sans aucun doute des éléments déterminants dans l’essor agricole de la
région. Mais, c’est aussi dans un contexte social particulier que s’est produite la spécialisation
agricole. Dans le système économique traditionnel, la femme était associée aux travaux des champs et
chargée de la transformation des produits agricoles, transformation des tubercules de manioc en
attiéké, fabrication de l’huile de palme… (Koby, 1981). Cette organisation a connu un bouleversement
à partir de 1960, avec le développement des cultures de rente et notamment l’introduction du palmier
sélectionné cultivé en plantation villageoise, permettant ainsi l’amélioration des conditions de vie des
sociétés locales (Cauvin, 1979). L’engagement de la population dans la production du palmier, et
notamment des hommes, a toutefois contribué à la mise à l’écart de la traditionnelle force de travail
féminine.

Les femmes, ainsi marginalisées, ont dû réagir afin d’éviter d’être confinées aux strictes activités
domestiques, tout en assurant un revenu complémentaire pour la famille. Réaffirmant leur place dans
la structure familiale et sociale, elles se sont alors investies dans la production du manioc et sa
principale transformation en attiéké, pour lesquelles elles avaient déjà un savoir-faire reconnu et dont
une demande accrue de la part des marchés locaux, et surtout urbains voisins (Abidjan n’est qu’à
40 kilomètres de distance), ne pouvait qu’encourager l’accroissement de la production et la mise sur le
marché (Essoh, 1980). Cette activité a créé des retombées économiques positives sur toute la filière.
Au départ commercialisée dans les cités ouvrières, puis intégrée aux circuits de commercialisation des
produits vivriers vers les centres urbains et notamment Abidjan, la production de l’attiéké a permis de
dégager des revenus importants pour tous les acteurs de la filière (Diop, 1992). Les structures
d’encadrement des populations villageoises, mises en place par les ensembles agro-industriels, ont
également favorisé l’écoulement des productions vivrières et encouragé les femmes, ensuite aidées par
les hommes, a produire un peu plus et étendre ainsi les surfaces en culture.

La situation difficile des jeunes déscolarisés vivant au village, ou "perdus" en ville, a favorisé un peu
plus le retour au pays, la mise en culture et l’intérêt pour le manioc dans l’ensemble de la société
paysanne. La population totale de la zone, rappelons-le, est passée de 74 628 habitants en 1975, à
116 648 en 1990.

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Surfaces stables entre 1975 et 1990

Surfaces ayant changé d'affectation


entre 1975 et 1990
(les classes représentées sont celles
de 1975 qui ont disparu)

0 10 km

Hévéa ind. Forêt Culture villageoise Savane


Palmeraie ind. Forêt-culture Culture-maraîchère Zone marécageuse
Bananeraie Culture-forêt Savane-culture Zone bâtie
Piste atterrissage
Sources: photographies aériennes 1975 & image Landsat TM 1990, doc. CCT-DCGTx. Conception et réalisation : P. POTTIER, IGARUN 1996

Fig. 8 et 9 : Dynamique d'occupation du sol dans le pays Odjoukrou entre 1975 et 1990

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C’est que cet essor agricole, provoqué par la population locale, a aussi été soutenu par la présence et
l’apport d’une population allogène et étrangère, tout autant investie dans l’agriculture. Autour des cités
ouvrières des ensembles agro-industriels, les ouvriers ont également contribué au développement des
cultures vivrières et notamment du manioc, tout espace mis à disposition représentant ainsi un revenu
financier potentiel. Aujourd’hui, la culture du manioc crée des revenus pour tous, du fait de la
complémentarité des tâches au sein de la structure familiale, l’homme étant occupé à la culture, la
femme à la transformation du produit.

D’une économie de consommation à une économie de profit, sous l’effet conjugué du développement
des cultures de rente mettant à l’écart les femmes et de l’accélération de la croissance urbaine, la
production du manioc et sa dérivée attiéké a ainsi permis, à l’initiative des autorités ivoiriennes de
promotion des cultures vivrières, de trouver dans le pays adioukrou un écho très favorable. Mais c’est
aussi sous l’impulsion de facteurs fonciers, d’innovations structurelles et technologiques, que ce
développement fut possible.

B - Les disponibilités foncières et la restructuration spatiale


En 1975, il existait encore un potentiel réel de surfaces non agricoles, secteurs encore naturels ou
seulement en partie défrichés, globalement localisés au nord et au sud-ouest de l’espace Adioukrou.
Cette disponibilité a permis le développement des activités agricoles jusqu’en 1990. Les agriculteurs
en quête de terres fertiles n’ont pas hésité à abattre les espaces naturels disponibles et à les mettre en
culture, d’autant que traditionnellement, c’était dans le domaine forestier que l’agriculture était
pratiquée dans cette région, alors que la flexibilité du régime foncier traditionnel rendait la terre
accessible au plus grand nombre.
Cet accès a également été facilité par des politiques de développement agricole. La situation de Dabou
et le cadre naturel ont permis l’introduction de cultures de rente. Cette introduction a conduit à une
organisation de l’espace de manière à faire écouler facilement les productions. En effet, les
productions de l’hévéa et du palmier à huile ont besoin d’être écoulées vers les industries de
transformation. Cela a conduit à la mise en place d’un réseau routier très dense, dont ont profité les
populations locales pour leurs propres exploitations. Ainsi, les secteurs où se situent les principaux
fronts pionniers sont traversés en 1990 par des voies de bonne viabilité. Dans ces zones, le réseau
routier, constitué de pistes et routes secondaires connectées au réseau principal, a sans aucun doute
influencé globalement le défrichement, y compris pour les cultures vivrières et le manioc qui
bénéficient alors des mêmes avantages, en terme de désenclavement des villages, de facilité de
pénétration des espaces naturels, et d’écoulement des productions.

L’introduction de nouvelles techniques, avec l’utilisation plus systématique d’outils d’abattage, de


terrassement, ou des moulins pour écraser le manioc, a également joué un rôle. Dans les zones déjà
agricoles, le recul du palmier à huile est souvent lié au vieillissement des premières plantations. Mais
le vieillissement et l’abattage des plans plus systématique ont ainsi favorisé la restructuration du
foncier et la modification des cultures. C’est alors la culture du manioc, plus incitative car au cycle
végétatif plus court (9 à 18 mois), qui a remplacé celle du palmier, d’autant que la pression sur le
foncier limita bien souvent l’obtention de terres pour une longue durée. Il s’agit là d’un des effets
produits par le fort développement de l’activité agricole dans le pays Adioukrou.

C - Les effets de l’intensification de la mise en culture

Nous avons vu que les disponibilités foncières qui ont favorisé le développement des cultures vivrières
se sont progressivement taries à la fin des années quatre-vingt. Depuis 1990 et dans ce contexte de
saturation des terres, d’un côté le régime foncier connaît ainsi de nouvelles applications, et d’un autre
côté, les systèmes et techniques de culture ont dû évoluer.

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(cliché M.A. ADEMOLA/OUATTARA)


Photo 1 : Association de cultures manioc-maïs

(cliché M.A. ADEMOLA/OUATTARA)

Photo 2 : Association de cultures en zone de palmiers villageois


(cliché M.A. ADEMOLA/OUATTARA)

Photo 3 : Colonisation des lisières des secteurs de plantation industrielle


et de bord de route par les cultures de manioc.

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La considération de la terre comme richesse s’est renforcée. Le type de propriété le plus répandu est
lignager et concerne donc les terres des autochtones. L’administration est alors exercée par le chef du
lignage, qui attribue les parcelles à exploiter à ses membres. Depuis la fin des années quatre-vingt, les
femmes ont été exclues de ce système d’attribution. Elles doivent donc se contenter, soit d’un rôle
d’aide au champ auprès du mari ou d’un parent agriculteur (venant compléter celui essentiel de la
transformation du produit), soit de cultiver elle-même le manioc "sous les pieds des palmiers ou des
hévéas", en système de cultures associées. Compte tenu de la raréfaction des terres, ce système
d’association est également de plus en plus pratiqué par les hommes.
La population allogène exploite, quant à elle, des terres de don, de prêt ou de location, plus rarement
d’achat. Les stratégies de reprise de ces terres par les populations autochtones sont aujourd’hui en
pleine expansion. Largement utilisées pour la culture du palmier sélectionné, rentrant aujourd’hui dans
une phase de vieillissement, ces terres sont l’enjeu d’une forte concurrence. L’abattage étant de plus
en plus considéré comme la fin du contrat de cession, l’administrateur lignager fait alors procéder à la
réappropriation et à la mise en culture. L’exploitant allogène se voit ainsi de plus en plus privé de ces
anciennes surfaces d’exploitation.
Dans ce contexte de saturation du foncier, les cas d’occupation anarchique sont de plus en plus
fréquents. Ils sont souvent le fait des femmes Adioukrou ou des allogènes ne disposant plus de terre, et
s’effectuent le long des routes (photo 3) ou dans les espaces interstitiels des villages et des villes. Cette
concurrence sur la terre provoque également des conflits fonciers de plus en plus fréquents, liés aux
problèmes de limites de propriété entre lignages, allogènes, autochtones, classes d’âge… Parfois, les
contentieux débouchent sur l’abattage des cultures et la rétrocession des terres.
Face aux besoins en terre, les systèmes et techniques de culture ont dû également évoluer. Les
systèmes de cultures associées ont progressé pour atteindre aujourd’hui approximativement 50 % des
espaces de la zone villageoise. Les secteurs de culture unique sont soit consacrés au manioc, soit au
palmier ou à l’hévéa. Le manioc est le produit de toutes les associations, avec le palmier sélectionné,
l’hévéa ou le maïs. Outre l’économie de terre, l’association culturale permet également aux
populations d’entretenir avec plus d’efficacité les cultures à long cycle végétatif, et de nettoyer les
espaces libres entre les plans.
Pour faire face à la réduction des disponibilités foncières, la pratique traditionnelle de la culture
itinérante sur brûlis est de moins en moins utilisée. Elle se réduit aujourd’hui aux seuls secteurs
nouvellement défrichés en zone de forêt, ou sur les parcelles de jachère ancienne. Parallèlement, la
culture sédentaire se développe sur des parcelles qui ne sont plus mises en repos, contribuant ainsi à
l’appauvrissement des sols et à la réduction des rendements. L’apport d’engrais n’étant pas pratiqué, la
sédentarisation des cultures pourrait ainsi devenir, dans les prochaines années, un facteur important de
déséquilibre du système agraire par la dégradation et l’épuisement des sols. La question qui demeure
reste en fait aujourd’hui, celle du passage à de nouvelles pratiques culturales, car à présent, le pays
Adioukrou est "rempli d’hommes" et devra évoluer vers une mise en valeur plus rationnelle.

Conclusion

En quinze années, le pays Adioukrou a donc connu une évolution que l’on peut aujourd’hui considérer
en "fin de cycle". En 1975, alors que le processus de développement des cultures vivrières était certes
déjà engagé, la pression humaine se situait toutefois en deçà des niveaux de densité supérieurs à
100 habitants au kilomètre carré, et les réserves naturelles couvraient encore près de 24 % de
l’ensemble du territoire. La situation en 1990 marque ensuite un tournant, avec l’apogée de la mise en
culture selon des pratiques restées contraintes par les modèles culturaux anciens. La forte progression
de la culture du manioc est particulière au pays Adioukrou, mais au-delà de cette originalité culturale,
il s’agit bien d’une évolution dont les processus et les facteurs dynamiques se retrouvent dans bien des
zones agricoles de l’ancienne partie forestière de la Côte d’Ivoire (Kra, 1986). Elle a simplement

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148

atteint dans cette région un stade très avancé qui pose aujourd’hui la question du passage nécessaire à
un nouveau modèle cultural.

L’intensité avec laquelle s’est opéré ce développement est également particulière. Au regard de la
politique nationale mise en œuvre dans le domaine des cultures vivrières, le pays Adioukrou pourrait
ainsi faire figure d’exemple. Mais, sous cet aspect aussi, cette situation révèle des sujets
d’interrogation déjà soulevés par d’autres en Afrique de l’ouest : déforestation, substitutions délibérées
d’écosystèmes… (Rougerie, 1990). Avec un espace naturel résiduel qui approche 5 % de l’ensemble
de la zone, on peut considérer que les formations végétales climaciques ont disparu. Est-ce une
mauvaise chose, ou au contraire un signe encourageant du dynamisme agricole, de l’intégration des
espaces aux structures territoriales des échanges nationaux, et donc de l’amélioration du bien-être des
populations locales ?
À l’issue de l’étude qui a été menée, la situation rencontrée dans le pays Adioukrou nous semble en
tout cas riche d’enseignement. Elle est, encore une fois, tout à fait représentative des mutations et des
questionnements qui marquent aujourd’hui les campagnes ivoiriennes.

Notes méthodologiques
Choix des données : afin d’appréhender l’ampleur des dynamiques territoriales dans un contexte de forte
progression des zones de culture du manioc, l’identification de l’occupation du sol dans le pays Adioukrou
devait être menée sur une période suffisamment longue. Les dates d’observation ont toutefois été contraintes par
les sources disponibles, qui sont peu nombreuses. Les photographies aériennes les plus anciennes qui permettent
un relevé et une identification pertinentes des surfaces végétales pour l’année de référence, correspondent à une
prise de vue au 1/30 000 effectuée en 1975. Le travail de photo-interprétation a donc été réalisé sur ces
documents panchromatiques et reporté ensuite sur un fond de plan au 1/100 000 de type topographique. Pour la
situation la plus récente, le manque de données photographiques a pu être compensé par un travail d’image-
interprétation sur une image Landsat TM de 1990, puis selon le même procédé par un report sur document
cartographique au 1/100 000. L’image-interprétation a été étalonnée grâce à un relevé de terrain effectué sur les
zones les plus stables depuis 1990.
Détermination des classes : la classification retenue dans le cadre de cette étude a tout d’abord été contrainte
par les pratiques culturales locales, qui s’établissent le plus souvent sous forme d’association de culture, ou de
culture sous forêt selon des pourcentages qui peuvent varier selon l’état d’avancement du défrichement. Elle est
ensuite tributaire, comme pour tout travail s’appuyant sur l’interprétation d’images de résolution et de qualité
différente, des documents disponibles qui ne permettaient ici qu’une identification des grandes zones par
élimination convergentes, en délimitant les secteurs ayant les aspects les plus opposés, avant de vérifier leur
homogénéité interne (Koli Bi Zuéli, 1984, 1990).
Seize classes ont ainsi été retenues. Pour les espaces naturels préservés : forêt, savane, et forêt marécageuse.
Pour les cultures industrielles : palmeraie, et plantation d’hévéa. Pour les cultures : culture villageoise, banane,
ananas, culture maraîchère, et après évaluation terrain les classes combinées de forêt-culture (comprenant 41 %
de culture), culture-forêt (69 % de culture), forêt-culture maraîchère (54 % de culture), savane-culture (26 % de
culture), et culture-savane (79 % de culture). Enfin, pour les espaces spécifiques : bâti, piste d’atterrissage.
Compte tenu des associations culturales et des spécificités des classes composées, la reconnaissance des
affectations du sol en secteur de culture a nécessité un travail de terrain, pour évaluer la part du palmier
traditionnel, du palmier sélectionné, de l’hévéa, de la jachère et des cultures vivrières. Au sein de ce dernier
poste, la part revenant au manioc, à l’igname, au maïs et aux légumes, a été appréciée selon la même méthode.

Notes
1 - Ce travail a été mené dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, réalisé par M. A. Adémola-Ouattara. Les principaux traitements concernant
la confrontation des deux états d’occupation du sol, ainsi que leur exploitation cartographique, ont été engagés dans le cadre d’une mission
d’enseignement destinée aux enseignants et aux étudiants avancés de l’IGT, et portant sur les méthodes et les techniques SIG.
2 - Cette étude n’a pas pris le parti du corpus méthodologique de "l’analyse intégrée des milieux naturels tropicaux", élaboré par les
chercheurs du laboratoire des milieux naturels de l’Institut de Géographie Tropicale d’Abidjan. L’objectif est tout autre, puisqu’il s’agit
essentiellement ici d’évaluer l’ampleur de la progression des cultures vivrières, et notamment du manioc, dans une région déjà de forte
densité rurale.
3 - Adioukrou est le nom du groupe ethno-culturel occupant ce territoire. Le terme odzukru est plus conforme au parlé du groupe selon
l’Institut de Linguistique Appliquée de l’Université d’Abidjan, mais nous avons retenu ici adioukrou, qui correspond à la graphie officielle.

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4 - Voir description méthodologique en fin d’article.

Bibliographie
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de maîtrise IGT, Abidjan, 140 p.
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sélectionné en pays Adioukrou, basse Côte d’Ivoire, Travaux et documents de géographie, n° 38, CEGET, Bordeaux, pp. 7-
74.
DIOP A., 1992, L’attiéké dans la région d’Abidjan : analyse économique de la filière traditionnelle à travers quelques types
d’organisation (Adioukrou, Ebrié, Attié), Thèse de 3e cycle en Sciences économiques, Université d’Abidjan, 146 p.
ESSOH G., 1980, La filière artisanale de l’attiéké de Dabou à Abidjan, Mémoire de DEA en économie rural, Abidjan, 80 p.
HAUHOUOT A., 1992, Les ressources forestières dans la problématique du développement en Côte d’Ivoire, L’Espace
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KOBY A.T., 1981, Le système spatial de l’Odioukrou, Annales de l’Université d’Abidjan, Tome 10, Série G, pp. 94-114.
KOLI BI ZUÉLI B. et TAPÉ BIDI J., 1984, Évaluation de la transformation des terres autour de Bonoua de 1971 à 1977,
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