NOU

VEA
U JO
François Bayrou “L’urgence URN
AL
vitale d’une réunification nationale”

No 1413
du 11 au 17 avril 2024 www.marianne.net Transgenres
EN EUROPE
CETTE GAUCHE
LA VÉRITÉ N’A PAS DE MAÎTRE
QUI DIT STOP
RÉVÉLATIONS

JO : les failles
du système Aya Nakamura
antidrone Danse avec les stars
Foot et ramadan
Affaire Samara
Lycée Ravel
Crépol

Qui
...
Mort d’Émile
Les ratés de la
gendarmerie
ARRÊTERA LA
GUERRE
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L’ÉDITO de Natacha Polony
Antisémite,
vraiment ?
l y a six mois tout juste, le Hamas lançait sur Israël une attaque
I
monstrueuse, un massacre de civils comme le pays n’en avait
jamais connu, femmes, enfants, avec une perversité dans l’hor-
reur qui rappelait les atrocités de la décennie noire en Algérie
ou celles de l’État islamique. Nous ne mesurons pas encore
les bouleversements géopolitiques engendrés par ce coup de
tonnerre mais nous voyons déjà, après six mois d’une riposte
telle, de la part d’Israël, que même son indéfectible allié, les États-
Unis, tente d’y mettre fin, comment ce conflit a fracturé une société
française qui n’avait pas besoin de cette déchirure supplémentaire.
Nous voyons comment ce conflit rend fou.
Une fois n’est pas coutume, cet éditorial, qui ne sert habi-
tuellement qu’à développer une réflexion distanciée, sera
écrit à la première personne. Car je suis, depuis un peu plus de
deux semaines, traînée dans la boue, harcelée sur les réseaux
sociaux, accusée d’antisémitisme. Rien
que ça ! La cause ? Un débat virulent face
à Bernard-Henri Lévy, venu présenter son Il semble,
dernier livre dans l’émission de Léa Salamé, qu’aujourd’hui,
« Quelle époque ! ». Le livre en question,
Solitude d’Israël (Grasset), s’interroge sur le il n’y ait plus de place
sens de l’existence d’Israël autant que sur les pour la juste mesure,
conséquences du 7 octobre. Une réflexion
qui, en revenant sur l’histoire du « plus vieux
pour la raison.
peuple persécuté du monde », semble éva- Elle est pourtant
cuer la question de la nature des territoires la condition
palestiniens et du droit de leurs habitants. Il
récuse notamment l’idée qu’Israël se serait
de la paix.
mis dans la position d’un État colonial. Et
il ne comprend absolument pas pourquoi la communauté inter-
nationale ne soutient pas Israël dans sa riposte totale au Hamas.
Dans ce débat, je tentai d’évoquer les populations civiles bom-
bardées à qui Bernard-Henri Lévy n’accordait même pas le statut de
« victimes collatérales ». Je défendis le droit international, celui qui
dessine les frontières d’Israël et de la Palestine et celui qui interdit
de priver d’eau, d’électricité et de médicaments une population
civile lors d’opérations militaires. Je rappelai à Bernard-Henri Lévy,
incarnation chimiquement pure du néoconservatisme, comment
son messianisme lyrique, glorifiant un Occident moralement supé-
rieur face à un supposé « axe du mal », l’avait conduit à soutenir
la guerre en Irak et à provoquer l’intervention en Libye dont les
conséquences sont la déstabilisation du Sahel et l’instauration de
marchés aux esclaves à Tripoli. « Vous êtes en train de fabriquer des
générations de soutiens du Hamas », lui lançai-je.
Depuis, je suis donc « antisémite ». Et je propage la propagande
du Hamas. Des Français de confession juive m’interpellent sur les
réseaux sociaux avec des « honte à vous ». Et je me surprends à me
demander si cette paix civile que j’ai toujours défendue, au sein
d’une communauté nationale réglant ses différends par le débat
démocratique, est encore possible, en un temps où chacun, au
nom de son bon droit, peut criminaliser qui ne pense pas comme
lui et perdre toute mesure.
J’ai commencé le journalisme à Marianne en 2002. Mes pre-
miers articles rendaient compte de la publication d’un livre trop
négligé à l’époque : les Territoires perdus de la République (Mille et
Une Nuits). Mes premiers reportages furent consacrés à la montée
de l’antisémitisme dans les collèges et les lycées, à une époque où
écrire cela conduisait à se faire traiter de raciste. Au lendemain du
19 mars 2012 et de la tuerie perpétrée par Mohamed Merah, pré-
tendument au nom des enfants palestiniens, j’ai rappelé que ce
garçon était au collège dix ans plus tôt, qu’il était de ces jeunes gens
dont l’antisémitisme viscéral et l’islamisme croissant avaient été
décrits dans les Territoires perdus de la République. J’ai écrit mon
dégoût d’avoir vu évacuer ce massacre d’enfants juifs – un petit avec
sa tétine, une fillette attrapée par les che-
veux pour lui tirer une balle dans la tête –, au
motif qu’on était en campagne électorale.
En 2014, j’ai alerté sur ces manifestations,
dans Paris, où l’on pouvait entendre crier
« Mort aux juifs ». Et je suis donc antisémite.
« Vous dites “vous” à BHL, c’est donc que
vous accusez les juifs ! ». Non, je dis « vous »
parce que je combats les néoconservateurs
dont il est le fer de lance, qui soutiennent
la politique irresponsable de Benyamin
Netanyahou alors même que lui, BHL,
n’a jamais été de ce camp politique ; des
néoconservateurs dont la vision messianique déstabilise la paix
mondiale en instaurant un deux poids, deux mesures vis-à-vis du
droit international. Il ne s’agit, à aucun moment, de minimiser la
monstruosité du Hamas, ce mouvement islamiste qui a instauré la
terreur à Gaza et qui instrumentalise le malheur des Palestiniens.
Mais la gauche israélienne elle-même a suffisamment reproché à
Benyamin Netanyahou d’utiliser le Hamas pour affaiblir tout autre
interlocuteur palestinien.
Il reste 130 otages détenus dans des conditions atroces, mais
croit-on vraiment que c’est en rasant Gaza qu’on va les libérer ?
Il faut éradiquer le Hamas, mais croit-on vraiment que c’est en
créant un ressentiment viscéral chez les Palestiniens qu’on va les
détacher du Hamas ? Et les Cisjordaniens ? Eux qui n’ont pas voté
pour le Hamas, méritent-ils d’être expropriés par des colons ? Croit-
on vraiment œuvrer pour la paix de cette manière ? L’admirable
texte d’Anne Sinclair dans le Point se posait les mêmes questions.
Hélas, les arguments ont peu de poids. Il semble aujourd’hui
qu’entre ceux qui considèrent l’horreur du 7 octobre comme un
acte de résistance et ceux qui estiment que le droit à se défendre
autorise les crimes de guerre, il n’y ait plus de place pour la juste
mesure, pour la raison. Elle est pourtant la condition de la paix. M
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 3
 No 1413 du 11 au 17 avril 2024
MARIANNE 28, rue Broca, 75005 Paris
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RÉDACTION
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RÉDACTION EN CHEF : Stéphane Aubouard (monde) (29 48),
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Couverture : Arnaud Robin / Divergence pour “Marianne” - Emmanuel Dunand / AFP - Keystone-France / Gamma-Rapho / Getty - Envato. Sommaire : Jean-Michel Mart / PhotoPQR/ “Le Midi Libre” / MaxPPP - Arnaud Robin / Divergence pour “Marianne”
CHRONIQUEURS :
Périco Légasse (29 65), Samuel Piquet (29 01).
CONSEILLER ÉDITORIAL : Alain Léauthier (29 44).
FRANCE : Rachel Binhas (29 02), Hadrien Brachet (29 79),
Margot Brunet (29 14), Étienne Campion (29 45),

12
Paul Conge (29 87), Violaine des Courières (29 36),
François Darras (29 00), Laurence Dequay (grand reporter social)
(29 24), Sébastien Grob (29 29), Emilien Hertement (29 34),
Maël Jouan (29 31), Pierre Lann (29 91), Louis Nadau (29 16),
Marie-Estelle Pech (29 59), Bruno Rieth (29 78).
INVESTIGATION : Marc Endeweld (grand reporter) (29 52),
Emmanuel Lévy (29 20), Vanessa Ratignier (29 52),
Laurent Valdiguié (grand reporter) (29 62).
MONDE : Anne Dastakian (grand reporter) (29 23),
DOSSIER Quentin Müller (reporter) (29 95).
CORRESPONDANTS : Diane Cambon (Espagne),

3 L’ÉDITO de Natacha Polony
Antisémite, vraiment ?
6 Ce que Marianne
en pense
- Agnès Verdier-Molinié
Prompteur ultralibéral
- Les censeurs en roue libre
chez Hanouna
34 Chroniques
10 INDISCRÉTIONS
Les européennes ne font pas
la présidentielle
36 MJC, la maison de Sartre
Marianne RÉVÈLE
22 JO : un système antidrone défaillant
38
Marianne RENCONTRE
24 François Bayrou : “La tâche la plus
vitale : la réunification nationale”
40
Marianne RACONTE
28 Mort d’Émile. Malchances
et loupés à la gendarmerie
12 QUI ARRÊTERA
Ariel F. Dumont (Italie), Julien Lacorie (Israël),
Fabien Perrier (Grèce), Thomas Schnee (Allemagne) .
CULTURE : Frédérique Briard (29 57), Myriam Perfetti (29 53).
LA GUERRE IDENTITAIRE ?
ASSISTANTE : Elsa Bessot (29 26).
JEUX : Jean-Paul Cordier.
JOURNAL DES LECTEURS : lecteurs@journal-marianne.com
CHARGÉE DES ÉVÉNEMENTS EXTÉRIEURS : Éliane Paty (29 40).
COMMUNITY MANAGER : Marius François (29 43).
14 Des signaux faibles… à l’alerte rouge RÉALISATION
19 Jérôme Fourquet : “Une dynamique de RÉDACTRICE EN CHEF TECHNIQUE : Isabelle Michaux (29 33).
ÉDITION : Myriam Perfetti (chef d’édition) (29 53),
ségrégation à l’œuvre dans certains quartiers” Nathalie Maréchal (29 60) ; Ludivine Benard (29 61),
Christophe Baffier-Candès (révision) (29 19),
Christophe Barré (révision) (29 58), Julien Vallet (web) (29 67).
MAQUETTE : Bertrand Lacanal (direction artistique) (29 27),
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PHOTO : Frédérique Briard (29 57), Gaëlle Gauducheau (29 28).
PORTRAITS DES CHRONIQUEURS : Seb Jarnot (29 27).
Marianne VOUS RAFRAÎCHIT ADMINISTRATION
LA MÉMOIRE SERVICES GÉNÉRAUX : Marie Filipovic (29 90).
INFORMATIQUE : Karim Benmalek (29 77).
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et de Lavilliers VENTE AU NUMÉRO : Julie Chahinian (directrice),
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LE CONTRE-AGENDA Marine Bobière (chef de produit).
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BD. “La Route”, enfin une adaptation IMPRIMERIE : Newsprint Lieusaint (77).
ISSN : 2425-4088 (imprimé) / 1286-4749 (en ligne)
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PUBLICITÉ : CMI Media, Valérie Masson, Séverine Franier,
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4 - Marianne - 11 au 17 avril 2024

50 Le banc public
par Cécile Guilbert 44 Ce numéro comporte une lettre de bienvenue et un courrier,
posés sur une sélection d’abonnés ainsi qu’un encart « Liriade »
posé sur la totalité des abonnés France.
LE DESSIN de LB

11 au 17 avril 2024 - Marianne - 5

 Ce que
Marianne
en pense
Le portrait crashé par Lucas Planavergne
AGNÈS VERDIER-MOLINIÉ
Prompteur ultralibéral
Ç
a ne doit pas être facile de commettre autant d’ouvrages, de squat-
ter si souvent les plateaux de télé, pour finalement dire tout le temps
la même chose. Pourtant, Agnès Verdier-Molinié accomplit cette
prouesse depuis plus d’une décennie en martelant ses cantiques
ultralibéraux à chaque occasion qui se présente. Dernière fois que la
lobbyiste de 45 ans a sorti la tête de ses tableaux Excel ? Fin mars, après
l’annonce du déficit public de 5,5 % du PIB en 2023 – chiffre nettement
supérieur à celui prévu par le gouvernement de Gabriel Attal. En moins de
temps qu’il ne faut pour dire « dette », elle a enchaîné tribune dans le JDD,
édito pour Valeurs actuelles, entretien au micro de BFMTV… Le tout à peu de
frais, puisque le message de celle qui fut brièvement journaliste au début
de sa carrière reste le même : il ne faut surtout, surtout pas s’attaquer aux
privilégiés ou mettre fin aux niches fiscales.
« Nous payons déjà collectivement trop d’impôts [...] Faire les poches des
Français et de leurs entreprises n’est plus la solution », insiste la présidente
de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques
publiques (iFrap), think tank – proche du Medef et inscrit à l’Assemblée
nationale comme représentant d’intérêts privés – qu’elle dirige depuis 2007.
Sa solution, ô combien novatrice et ingénieuse ? Rompre avec le « quoi qu’il
en coûte », qui n’aurait en réalité « jamais cessé ».
Qu’importe si Bercy a déjà prévu 20 milliards d’euros de coupes budgé-
taires pour 2025, ce n’est pas assez pour Agnès « rapace » Verdier-Molinié.
Pour assainir les comptes de l’État, elle préconise de ne lésiner sur aucun
moyen. Supprimer des postes de fonctionnaires, baisser le
plafond de la Sécurité sociale, retarder l’âge de départ à la
retraite… Le moindre centime est bon à prendre, du moment
qu’il n’est pas pris dans la poche d’une multinationale
ou d’un ultra-riche.
« Notre méthode consiste à ne sanctuariser aucune
dépense publique. Prenons l’exemple de l’Éducation
nationale, secteur considéré comme intouchable. [...] On
peut réaliser 5 milliards d’économies », promet-
tait-elle déjà à l’emporte-pièce dans une inter-
view au Figaro en 2014. Interrogée par
Boursorama en novembre 2023, presque
dix ans plus tard, l’auteure des essais
sobrement intitulés les Fonctionnaires
contre l’État (Albin Michel, 2011) et Où va
notre argent ? Des dépenses qui explosent,
des services publics qui s’effondrent : le scan-
dale français (L’Observatoire, 2023) tenait le
même discours : « Pas besoin d’aller chercher
loin pour faire des économies ! » Comme quoi
le temps passe, les finances fluctuent, mais les
ultralibéraux ne changent pas. M
6 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
IMPÔTS
Salauds de “très riches” !
Révélation ! Les macronistes approuvent
la politique de Macron ... Heureusement,
le sondage « Les Français, le déficit public
et la réforme de l’assurance chômage »,
réalisé par l’institut Elabe pour les Échos et
l’Institut Montaigne, ne se résume pas à cette
lapalissade politique. Bien sûr, les proches de
la majorité présidentielle soutiennent à 84 %
le durcissement des règles sur les aides aux
chômeurs (52 % seulement pour l’ensemble
des Français) mais, assez étonnamment,
ils veulent augmenter les impôts sur les
superprofits des entreprises et sur les gains
des plus riches. Attachés comme personne
d’autre aux grands équilibres budgétaires,
les macronistes n’excluent pas le concours
du percepteur pour remettre les finances
publiques au carré mais à condition de
solliciter… les autres. Près des trois quarts
des Renaissance (73 %) veulent « augmenter
les impôts pour les Français les plus riches
uniquement », selon les termes exacts
du sondage. Évidemment, les électeurs
de Jean-Luc Mélenchon approuvent aussi
– et même à 84 % – de faire passer les riches
à la caisse. Mais tout de même, d’où peut bien
venir cette passion égalitaire des macronistes,
pourtant enclins à défendre la réussite
financière et la libre entreprise ? Difficile
de répondre tant la notion de « riches »
apparaît comme très subjective. Selon
l’Observatoire des inégalités, les 12 % des
Français les plus aisés gagnent plus de 3 860 €
net par mois. En 2011, François Hollande
– dans sa déclaration de désamour pour
les riches – avait fixé le seuil à 4 000 €
mensuel. Compte tenu de l’inflation
– galopante –, ce seuil équivaudrait aujourd’hui
à 4 900 €. En fait, parmi les « plus riches »,
il fallait sans doute entendre les milliardaires
et non… les millionnaires. La nouvelle lutte
des classes ! Franck Dedieu
Merci confrères !
Faux bébés décapités
Le Monde a longuement enquêté sur une rumeur
qui a largement circulé à l’initiative d’Israël :
celle des 40 bébés qui auraient été retrouvés
décapités dans le kibboutz Kfar Aza, l’une des
localités israéliennes les plus meurtries lors des
crimes commis par le Hamas, le 7 octobre. Même
Joe Biden avait cru bon de valider cette allégation
infondée. Vérification faite, contrairement à ce
qu’ont longtemps affirmé les autorités israéliennes,
il s’agit d’une infox de la pire espèce, à croire
qu’il fallait ajouter de l’horreur à l’horreur.

TERRORISME
Quand Andreas Malm, chouchou
de LFI, applaudit le Hamas
eut-on être la coqueluche des
P milieux progressistes tout en
saluant les opérations menées
par le Hamas le 7 octobre 2023 et
leur cortège d’exactions ? Le cas
d’Andreas Malm fournit une réponse
immédiate : oui, trois fois oui.
Fin mars, le géographe suédois a passé
la semaine en France pour une de ces
tournées médiatico-politiques dont il a
l’habitude. Son plaidoyer pour la réhabi-
litation de la violence dans le répertoire
d’action écologiste a été chaudement
accueilli. L’Institut La Boétie, fonda-
tion codirigée par Jean-Luc Mélenchon
pour servir de laboratoire intellectuel
à La France insoumise, a même confié
une chaire à Andreas Malm, et l’a reçu le
30 mars pour une conférence consacrée
au « sabotage » du « capitalisme fossile ».
Le public avait-il conscience de l’ad-
hésion manifeste d’Andreas Malm aux
thèses du Hamas ? Si son engagement
propalestinien n’est pas nouveau, la
radicalité de l’intellectuel scandinave
a franchi un nouveau cap depuis les
événements du 7 octobre. C’est bien
simple : non seulement le Suédois
semble ne voir aucun problème dans
les actions perpétrées par le Hamas ce
Abdullah Firas / Abaca - Francois Greuez / Sipa
Il a osé le dire
“Je ne comprends pas
que ce ne soit pas encore
la révolution.”
“DES PLEURS
DE JOIE”
Le géographe
suédois ne voit
aucun problème
aux horreurs
perpétrées
le 7 octobre 2023
en Israël. Bien
au contraire.
jour-là, mais il semble les applaudir.
Pourtant, les massacres, les viols, les
décapitations et autres atrocités com-
mises par la « résistance armée » ont
été dûment documentés.
Pas de quoi émouvoir outre mesure
notre « léniniste écologiste », qui décrit
les événements comme « un acte de
libération », évoquant le caractère
« héroïque » des forces palestiniennes,
lors d’une conférence à Stockholm en
décembre 2023. Pour Andreas Malm, les
vidéos de destruction publiées par la
propagande du Hamas sont « une
drogue » qu’il « injecte dans [ses] veines ».
Dans un blog publié le 8 avril, il confesse :
« La première chose que nous avons dite
dans les premières heures [du 7 octobre],
ce n’était pas vraiment des mots, plutôt des
pleurs de joie. Ceux parmi nous qui avaient
vécu leur vie avec et à travers la question
de la Palestine ne pouvaient pas réagir
d’une autre manière au spectacle de la
résistance prenant d’assaut le poste-
frontière d’Erez. […] Comment ne pas crier
de stupéfaction et de joie ? » Peut-être en
conservant un minimum de décence
et de jugeote, ce qui est visiblement
trop demander au nouveau chouchou
de LFI. M Hadrien Mathoux
CALI, CHANTEUR, l’Humanité magazine, le 4 avril 2024.
Prenons-les au MOT
par Samuel Piquet
INCARNER OU
JOUER UN RÔLE
Le 1er avril, Mediapart titrait :
« Sénégal : Bassirou Diomaye Faye
veut incarner une “rupture” en
“douceur” ». Le même jour, à propos
des prochaines européennes,
François Hollande déclarait au
Parisien croire en « la possibilité
d’inventer une nouvelle union et
d’incarner une force qui puisse
de nouveau arriver au pouvoir
avec des alliés ». Quelle « force »
s’agira-t-il d’incarner précisément ?
On ne le saura pas. Le verbe
« incarner » est souvent employé
ces dernières années pour annoncer
un prétendu changement de vision,
d’attitude, voire de représentation.
Pour désigner le prochain porte-
drapeau de la France, le Comité
olympique français a par exemple
annoncé que celui-ci devra « incarner
des valeurs » et éviter de créer des
« polémiques ». On sent à quel point
la valeur de la liberté d’expression
sera primordiale. Emprunté, en 1350,
au latin ecclésiastique incarnare,
incarnatus, « entrer dans un corps »,
spécialement en parlant du Christ, à
partir du latin classique carno, carnis,
« chair », le terme signifiait à l’origine
« revêtir d’un corps charnel, d’une
forme humaine ». Par extension,
il a signifié « représenter un
personnage dans un spectacle » et
« représenter une chose abstraite
sous une forme matérielle et
sensible ». C’est cette acception qui
est privilégiée par les personnalités et
les politiques pour laisser supposer
une profondeur. Plus les discours
sont creux et manquent de chair,
plus règne le vide, plus on prétend
« incarner » quelque chose.
Le 30 novembre, le Figaro titrait :
« Emmanuel Macron peine à incarner
son “écologie à la française” ».
Étonnant. Le 9 janvier, sur Public
Sénat, un des « spécialistes de
la vie politique » invité sur le plateau
annonçait : « Gabriel Attal est là
pour incarner une nouvelle phase
dont on ne sait pas de quoi elle sera
faite. » Voilà un beau projet d’avenir
et un bon résumé du macronisme. M
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 7
 Ce que
Marianne
en pense
MÉDIAS TICS par Samuel Piquet
“Télérama”
ou le journalisme
d’atmosphère
T
élérama a consacré un portrait de quatre pages à
l’islamologue Gilles Kepel, dans lequel on nous
annonce que celui-ci « fraye aujourd’hui avec les
médias d’extrême droite ». Voilà une révélation qui
n’est pas anodine et dont on a hâte de découvrir
l’ampleur. Or qu’avons-nous pour preuve ? Que
« s’il était invité de la matinale de France Inter le
25 mars, on lit désormais davantage Kepel dans les
colonnes du JDD sauce Bolloré ou chez les médias
d’extrême droite ». Le politologue aurait donc le tort
d’accepter de répondre aux médias de tout bord ?
Voilà qui n’est pas sans rappeler les heures les plus
sombres du pluralisme et du débat démocratique.
Mais ce n’est pas tout : en 2023, il a aussi « préfacé
l’ouvrage de Florence Bergeaud-Blacker, une anthro-
pologue prisée par l’extrême droite ».
On connaissait déjà l’accusation par association,
« proche d’untel, lui-même proche de l’extrême
droite ». Télérama va plus loin et invente l’érein-
tement par appréciation. Le journal rappelle éga-
lement que son livre Prophète en son pays est « un
brûlot » qui « donne à voir une rancune tenace ».
Tout ce qui n’est pas bienveillant ne peut être
que généré par des passions tristes. Le reste n’est
qu’une longue suite d’attaques personnelles de
connaissances auxquelles se mêlent des critiques
gratuites de son travail de chercheur. Il n’en faut
pas plus pour que Télérama en déduise que, « de
l’avis général », Gilles Kepel « a déserté de longue
date le champ de la recherche ».
Si l’hebdomadaire n’est pas parvenu à trouver
un seul contradicteur, ce ne peut être, hélas, que
le fruit du hasard. La providence est si capricieuse.
Télérama moque aussi sa thèse selon laquelle il
existerait « un djihadisme d’atmosphère ». « “C’est un
concept au doigt mouillé, et surtout le marchepied par-
fait pour l’extrême droite”, s’étrangle un chercheur. »
Largement suffisant pour invalider le concept.
D’ailleurs, la démission du proviseur du lycée
Ravel ou le passage à tabac de Samara attestent,
s’il était besoin, l’inanité de cette thèse. « Qu’est-il
arrivé au brillant politologue ? », se demande le
journal. Pas grand-chose, si ce n’est, précisément,
que, contrairement à Télérama, il a peu changé au
cours de ces trente dernières années. M
8 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
DESSIN SATIRIQUE
Les censeurs en roue libre
chez Cyril Hanouna
ans une énième séquence
D lunaire sur le plateau de
« Touche pas à mon poste »,
le 3 avril, les chroniqueurs
de l’émission ont réagi à la
une de Charlie Hebdo mettant en
scène les ossements du petit Émile
pourchassés par des caméras, avec,
en légende : « Émile, le nonosse qui
excite la meute. » Le dessin satirique
signé Riss dénonce le traitement
médiatique de cette affaire et les
multiples détails macabres que
certains n’ont pas hésité à mettre
en avant de manière sensation-
naliste. Mais les chroniqueurs de
l’émission, habitués à s’en prendre
à la liberté d’expression lorsqu’ils ne
la comprennent pas, se sont une
nouvelle fois déchaînés sur cette
simple caricature critiquant des
errements malsains.
Gilles Verdez, le bouffon du roi
Hanouna, enclenche les hostilités
le premier. « C’est une honte… Vous
pensez à la famille qui voit ça ? C’est
abominable, je ne comprends même
pas que ça puisse être publié au nom
de la liberté d’expression. Mais la
liberté d’expression, est-ce qu’elle ne
s’arrête pas au moment où ce n’est
pas drôle ? Où on offense ? Où on
LE CHIFFRE QUI CHIFFONNE
140 000
C’est le nombre de locataires menacés d’expulsion
avec la fin de la trêve hivernale, survenue le 31 mars, d’autant
plus après la loi adoptée en 2023 qui facilite et accélère
les procédures, notamment en cas de loyer impayé.
Source : Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement.
OS À RONGER
La meute des
chroniqueurs
de “TPMP”
s’est déchaînée
sur la caricature
de Riss, qui
critiquait
les errements
malsains
de certains
médias.
brise une famille déjà brisée ? », s’in-
digne notre clown devant un Cyril
Hanouna fustigeant les « donneurs
de leçons » de Charlie Hebdo.
Un autre membre de la meute,
usant de la même rhétorique avec
une déclaration qui frôle l’appel à la
violence, aboie : « Si moi ça m’était
arrivé un truc comme ça, je peux être
méchant. Et pourtant, j’étais Charlie,
pourtant, on les a soutenus. Je peux
faire un tweet, je peux insulter des
gens. Si je croise un journaliste dans
la rue, il va prendre ma main dans la
gueule. » Mais Charlie a le cuir épais,
et les réprimandes d’un benêt ne
sont que broutilles à côté des balles
d’une kalach.
Les vomis d’Hanouna et de sa
bande sont en réalité symptoma-
tiques de ceux qui s’en prennent
aujourd’hui encore à de simples
caricatures. Le 11 mars, la dessina-
trice Coco, rescapée des attentats
de Charlie Hebdo, était menacée de
mort pour un dessin sur le rama-
dan à Gaza publié dans Libération.
Énième preuve que les ennemis de
la liberté sont encore légion, qu’ils
déblatèrent en pleine lumière
ou cachés derrière un pseudo. M
Emilien Hertement
Capture d’écran C8

On s’en fout !
Le scooter
de l’ex à vendre
Le célébrissime Piaggio MP3
gris, le scooter sur lequel
François Hollande, casqué,
avait été surpris en train
d’apporter des croissants à
l’actrice Julie Gayet, devenue
sa compagne, en 2014, sera
mis aux enchères le 26 mai, à
Paris, par son propriétaire
actuel, qui l’avait acheté
en 2015. Quant à l’ancien
président, persuadé de
sa bonne étoile électorale,
il essaie de se vendre dans
les médias à l’occasion de
la sortie de son dernier livre.
Mais il n’est pas sûr de trouver
beaucoup d’acheteurs.
JEUX OLYMPIQUES
Sportifs russes,
“niet” !
Les athlètes russes et
biélorusses ont été exclus
de la cérémonie d’ouverture
des JO. Reste à savoir si ces
derniers participeront aux
épreuves et, si oui, dans
quelles conditions. Pour le
ministre des Sports ukrainien,
Matvi Bidny, la réponse est
négative. Et d’affirmer, lors
d’un récent passage à Paris :
« Il est indispensable que les
athlètes russes ne se sentent
pas les bienvenus en France. »
Anne Hidalgo campe sur
la même position, à croire que
les sportifs russes sont tous
vendus à Poutine et qu’ils
doivent être assimilés à des
criminels de guerre. Si l’on
élargissait ce principe, les JO
Rainer Keuenhof / Acrion / Sipa - Vincent Isore / IP3
seraient voués à disparaître.
Jusqu’à preuve du contraire,
les États-Unis n’en ont pas été
exclus après l’invasion de
l’Irak. De même, personne
n’envisage d’exclure les
athlètes israéliens en raison
de l’opération en cours
à Gaza. Un lancer de poids
à deux mesures ? Jack Dion
Le match
Allemagne
Quelle est la meilleure politique face au cannabis ?
D’un côté, l’Allemagne, qui vient de légaliser la consommation.
De l’autre, la France, engagée dans le tout-répressif.
Par Thomas Schnee
Quelle méthode ?
Allemagne. Depuis le 1er avril,
la consommation est légale, chez soi ou à plus
de 100 mètres d’une école ou d’une installation
sportive. La détention de 50 g est autorisée,
ainsi que la culture à domicile de trois plants
par adulte. Dès le 1er juillet, il sera possible de
produire en passant par des clubs de cannabis
à but non lucratif. Plus tard, la production
et la vente légales seront testées dans
des projets encadrés par les pouvoirs publics.
Qui fume le plus ?
Allemagne. Selon la dernière étude officielle
sur la consommation de stupéfiants (2021),
8,8 % de la population allemande aurait
pris du cannabis au moins une fois
dans les douze derniers mois. Soit environ
4,5 millions d’individus. Ils sont 34,7 %
à en avoir consommé au moins une fois
dans leur vie. Enfin, 50,8 % des jeunes
(18-25 ans) ont consommé du cannabis
au moins une fois dans leur vie.
Qui charge le plus la dose ?
Allemagne. Outre-Rhin, on constate
une augmentation du taux de THC,
la substance qui provoque l’addiction,
dans la résine et dans l’herbe. L’objectif de la
légalisation est donc d’augmenter le contrôle
sur la production. Les clubs de cannabis
devront faire tester leurs productions.
Ils devront aussi nommer une personne
responsable pour la prévention santé.
France
France. L’État français préfère la répression.
Gérald Darmanin veut « taper la politique
de l’offre autant que celle de la demande ».
Pour 2023, il a annoncé un record absolu
d’arrestations, avec 36 429 trafiquants
interpellés. Depuis 2021, les amendes
forfaitaires (200 €) sont inscrites
au casier judiciaire. Le ministre de l’Intérieur
souhaite aussi que la police réalise
des tests salivaires sur la voie publique.
France. Le Baromètre de Santé publique
France 2021 recense 10,6 % des adultes ayant
consommé au moins une fois dans l’année.
Par ailleurs, 44,8 % des 15-64 ans ont déjà
consommé du cannabis au moins une fois
dans leur vie, contre 27 % dans l’ensemble
de l’Union européenne. Ce qui place
la France en tête de la consommation
européenne. Chez les moins de 25 ans,
48 % ont déjà expérimenté.
France. Le gouvernement excluant le contrôle
de la production, la police scientifique ne
peut que constater et prévenir sur la qualité
des substances en vente sur le marché.
L’Office antistupéfiants du ministère
de l’Intérieur recense une forte augmentation
du taux de THC, passé de 12,3 % en 2011
à 30 % en 2022 pour la résine, et de 10,4 %
en 2011 à 14 % en 2022 pour l’herbe.
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 9
 Le dessous des cartes
Les européennes
ne font pas
la présidentielle
Réussir ou échouer à envoyer des députés à
Bruxelles ne permet pas de prédire son score au moment
du roi des scrutins… Trois exemples le prouvent.
Par Hadrien Mathoux
Dans une tentative pour mobiliser
son électorat, Jean-Luc Mélenchon
déclarait le 14 mars, à la faculté de
Nanterre : « Le 9 juin, ce n’est pas
une élection européenne, c’est le pre-
mier tour de l’élection présidentielle
de 2027. » Les modestes 6,3 % réali-
sés par LFI aux européennes de 2019
n’avaient pourtant pas empêché le
tribun de réunir 21,95 % des suffra-
ges trois ans plus tard. Et d’autres
précédents démentent la thèse
de « JLM »…
Le bide des écolos
Comme des poissons dans l’eau
lors des européennes, les écolo-
gistes ont l’habitude de s’effondrer
lors des présidentielles, victimes du
vote utile à gauche ainsi que de la
personnalisation du scrutin suprême.
Ainsi, le triomphe de 2009 (16,28 %)
a été suivi par la débâcle d’Eva Joly
(2,31 %), tout comme le succès de
2019 (13,47 %) précéda le revers de
Yannick Jadot (4,63 %).
10 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
L’illusion souverainiste
Les années 1990 furent marquées
par les percées de listes souverainistes
de droite chapeautées par Philippe
de Villiers, auteur de bons scores en
1994 (12,34 %) et 1999 avec le renfort
de Charles Pasqua (13,06 %). Mais
le Rassemblement pour la France
(RPF), taillé sur mesure pour les euro-
péennes, n’a pas transformé l’essai
à la présidentielle, avec l’échec des
initiatives Villiers (4,74 % en 1995,
pas candidat en 2002).
La “remontada” de Sarkozy
À l’inverse, une défaite aux euro-
péennes ne condamne pas une famille
politique au déclin. Illustration en est
faite avec l’UMP, en pleine capilotade
en 2004, avec ses 16,6 %, mais revi-
gorée trois ans plus tard par la fusée
Nicolas Sarkozy, qui obtient 31,18 % des
voix dès le premier tour. De quoi don-
ner de l’espoir aux Bellamy, Zemmour
et autres Toussaint, en grande diffi-
culté dans les sondages pour 2024. M
INDISCRÉTIONS ]
EELV : le “retour
de flamme”
et le crash ?
Comment éviter le crash définitif de la
campagne européenne des écologistes ?
À en croire une écolo de premier plan,
leur tête de liste, Marie Toussaint, mène
une campagne qui ne lui ressemble pas :
« On ne passe le mur du son que
quand on est soi-même. Elle est la seule
écologiste de France qui a tordu le bras
à Macron [avec “l’Affaire du siècle”],
elle devrait le mettre en avant ! » Cela
n’empêche pas notre source d’afficher un
certain pessimisme, en toute « sororité » :
« Quand je reviens six mois en arrière,
où on avait la possibilité d’avoir la tête
d’une liste unique de la gauche, soupire-
t-elle, serrant son crâne entre ses mains.
On a vécu une forme de retour de flamme
post-Nupes : les éléphants ont rattrapé
leurs lambeaux de pouvoir. » L.N.
Communicants
fuient
gouvernement
Gérald Darmanin perd l’un de ses plus
fidèles lieutenants. Matthieu Ellerbach,
son spin doctor depuis 2019, rejoint
le privé. Il garnira les rangs de l’agence
de com Publicis au côté de Clément
Léonarduzzi, lui-même ex-conseiller
à l’Élysée. Le deal s’est scellé fin 2023,
à l’occasion d’un chassé-croisé. Jonathan
Guémas ayant retrouvé un poste auprès
du président après un court passage
chez Publicis, Léonarduzzi cherchait
à le remplacer. Cette belle prise risque
de faire encore grincer quelques dents
du côté du concurrent, Havas, dans
la galaxie Bolloré, pourtant assez
prompt à fournir le gouvernement en
conseillers. « Clément a fait de sa
proximité avec l’Élysée un argument
de vente », grinçait déjà, il y a
quelques semaines, un cadre de Havas.
Et le mercato n’est pas terminé.
The Arcane, « cabinet de conseil en
influence et en gouvernance », a lui aussi
son consultant estampillé gouvernement.
Marion Darrieutort, la patronne, vient
de recruter Olivia Andrez, dircab
d’Olivier Véran lorsqu’il était
porte-parole du gouvernement.
Une question subsiste : ses pas de
danse seront-ils à la hauteur de ceux
de sa patronne lors de ces soirées
dont Darrieutort a le secret ? M.J.
Glucksmann :
tête froide et
adducteurs fragiles
« La campagne est encore longue,
il faut raison garder, tête froide
conserver, et sa bouche point
trop n’ouvrir. » Les nostalgiques
des « Guignols de l’info » auront
reconnu ce sketch, parodiant un
Jacques Chirac faussement impassible
face aux sondages le donnant gagnant
en 1995. Une ambiance similaire règne
dans l’équipe de Raphaël Glucksmann,
en tête à gauche. Ses membres suggèrent
que la tête de liste socialiste pioche
à la fois chez les macronistes et chez
les Insoumis : « Notre espace politique
n’est pas encore clair, on ne sait
pas jusqu’où on peut aller, donc il faut
être prudent, prévient un proche
du candidat. Et puis Raphaël ne sait
pas tenir une ligne à laquelle il ne croit
pas, donc il ne faut pas chercher
à faire le grand écart en plaisant
à l’un ou à l’autre. » Glucksmann
manquerait de souplesse ? L.N.
L’info en plus
Le Bourget : la porte dérobée des JO
Dossiers criminels :
vers une révolution ?
Le laboratoire d’hématologie médico-
légale à Bordeaux, très sollicité par les
enquêteurs, espère obtenir, dans l’année,
la validation (« l’accréditation », dans
le jargon) de trois nouveaux programmes
complémentaires, très prometteurs.
Le but ? Dissocier les traces ADN
mélangées pour mieux les identifier.
Comment gérer l’arrivée en France des
66 000 accrédités internationaux, sportifs,
officiels et journalistes pour les Jeux de Paris ?
L’aéroport d’Orly sera la porte d’entrée pour
« les délégations européennes », selon ADP, ce
qui représente 12 000 personnes. Le gros du
flux passera donc par Charles-de-Gaulle
(52 000 accrédités). Quant à l’aéroport
du Bourget, il accueillera des délégations
diplomatiques et d’affaires. Mais certains
pays, comme Israël, ont réclamé d’y atterrir.
Plus petit, plus discret, plus facile à sécuriser
et permettant un accès express à la capitale,
voilà des atouts majeurs pour les Israéliens au
regard de l’actualité. « Quel que soit l’aéroport
choisi par les différentes délégations,
les dispositifs seront adaptés à leurs
besoins », confie-t-on à Marianne du côté des
organisateurs. Quitte à virer au casse-tête. B.R.
Ce que la science peine pour le moment
à faire dès lors que trois empreintes
génétiques au moins se retrouvent
entremêlées sur un scellé de scène de
crime. Parmi les (nombreux) dossiers
qui pourraient bénéficier de cette
avancée : l’affaire Grégory. En 1984,
le tueur de l’enfant avait revendiqué
son geste dans une lettre expédiée
aux parents. Quatre ADN masculins
mêlés ont été isolés sur le timbre. T.S.

ÉCLAIR DE LUCIDITÉ
ENCADRÉ SURTITRE“On ne peut pas être
le parti des banquiers et
des experts-comptables”
IAN BOUCARD Député LR
Depuis l’annonce par l’Insee d’un déficit public bien
plus élevé que les prévisions annoncées initialement par
le gouvernement, les Républicains ne se privent
pas de railler la mauvaise copie de Bruno Le Maire.
De quoi marquer le retour du vieux refrain d’une droite
responsable, seule à même de maîtriser les finances
publiques. Une stratégie payante dans les urnes ? Déjà très
opposé en 2023 à la réforme des retraites, le député LR Ian
Boucard estime que son parti ne peut pas se dispenser
d’un petit ravalement de sa doctrine économique.
« Quand« onEXERGUE_c16_bleue
parle de pouvoir d’achat en disant qu’on va»
supprimer les taxes sur l’héritage, on va parler à
SIGNATURE
douze mecs en France, soupire l’élu du Territoire de Belfort.
On ne peut
TXTpas être le parti
3_medium. M des banquiers et des experts-
comptables.
Notes » LR, dès demain sur les barricades ? H.B.
Les arrière-cuisines de
l’immobilier parisien
Soupçonné de prise illégale d’intérêts
par le Parquet national financier,
Jean-Louis Missika, l’ancien adjoint (PS)
à l’urbanisme d’Anne Hidalgo, dont
il a par ailleurs dirigé la campagne
municipale en 2020, a reconnu
sa culpabilité. Sitôt achevées ses
fonctions à la Mairie de Paris, l’ancien
édile avait monnayé ses services
auprès de deux promoteurs parisiens
qui avaient bénéficié de programmes
pilotés par ses soins. Condamné à
90 000 € d’amende et deux ans
d’inéligibilité, Missika échappe
au procès, contrairement donc à
Gecina et Novaxia, et à leurs dirigeants,
poursuivis pour complicité et recel
de prise illégale d’intérêts. Prévues
mi-juin, les audiences devraient jeter
une lumière crue sur les arrière-cuisines
de l’immobilier parisien. E.L et V.R.
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 11
 Samara, Crépol,
Aya Nakamura...

QUI
ARRÊTERA
LA GUERRE
identitaire ?
Signal faible après signal faible, drame après drame, la fragmentation
de la société française ne cesse de s’aggraver. Des réseaux sociaux
à la cour d’école, la violence et la haine prospèrent d’autant plus
sur l’affaiblissement du modèle universaliste. Voilà pour le constat,
reste à trouver les solutions. Par Alain Léauthier et Hadrien Mathoux

12 - Marianne - 11 au 17 avril 2024

 st-ce un effet trompeur, un simple « ressenti »
E
engendré par le cycle tournoyant de l’information
continue ? Le constat est pourtant dans bien des
têtes : la France semble atteinte d’un mal qui gagne
sans cesse du terrain et n’a trouvé pour l’heure
aucun remède. Certains l’appellent un « com-
munautarisme de sécession » et en perçoivent
les effets destructeurs dans une série d’incidents, où
l’appartenance à une religion, un clan, un quartier, un
groupe racial, voire à un genre l’emporte sur toute autre
considération. À l’indifférenciation citoyenne au cœur du
projet républicain s’oppose désormais une affirmation
identitaire tous azimuts. Elle est celle des « décoloniaux »,
des « indigénistes », des antiracistes et des néoféministes
non universalistes, mais aussi des identitaristes d’extrême
droite, tous unis dans la détestation de la « République une
et indivisible » et de ses lois. Cette contestation radicale de
ce qui fut, bon an mal an, le cadre spécifique d’existence
de la nation française ne date certes pas d’aujourd’hui.
En première ligne face aux fanatismes religieux par
le passé, l’école en subit à nouveau les assauts depuis
qu’en 1989, poussées par leurs familles adeptes d’un islam
rigoriste, trois élèves tentèrent d’imposer le port du voile
islamique au collège de Creil. Il faudra attendre 2004 et la
loi sur le port de signes religieux ostensibles pour que la
réponse de l’État, jusque-là dispersée, confuse et faible,
affiche un tant soit peu de substance. Mais vingt ans plus
tard, rien n’est réglé, bien au contraire, et les revendica-
tions particularistes cognent de plus en plus fort aux
portes des établissements scolaires.
Compliqué de continuer à “faire société”
Dans le second degré, des chefs d’établissement ré-
sistent encore, jusqu’au moment où ils craquent. C’est ce
qui est arrivé au proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel,
menacé de mort pour avoir demandé à une élève de retirer
son voile fin février. Le rectorat jugera bon d’évoquer une
« retraite anticipée » lorsqu’il présentera sa démission avant
que l’intéressé rectifie, dans un mail interne, évoquant des
raisons de « sécurité ». Les fantômes de Samuel Paty et de
Dominique Bernard, assassinés respectivement en 2020
et en 2023, n’incitent pas à prendre à la légère les intimida-
tions. Elles touchent les enseignants mais aussi des élèves,
comme l’illustre le lynchage de la jeune Samara à la sortie
de son collège de Montpellier. L’affaire ne se résume pas à
un unique conflit, pur et dur, entre adolescents sur ce que
serait le « vrai islam » mêlé à d’autres motivations, que
le foyer jamais éteint des réseaux sociaux porte tout de
suite à incandescence. Reste qu’elle illustre aussi, comme
l’affaire de Crépol ou le meurtre du jeune Shemseddine,
à Viry-Châtillon – où l’hypothèse de « crime d’honneur »
semble privilégiée –, à quel point il devient compliqué,
en France, de « faire société. »
« Faire société », avec des guillemets. Une ponctuation
qui s’impose, tant les mots d’ordre des républicains auto-
proclamés semblent parfois dérisoires face à l’ampleur de
la menace. Au fond, que valent les exhortations au « vivre-
ensemble » ou les rappels désincarnés à des « valeurs de
la République » dont on soupçonne parfois ceux qui les
invoquent d’avoir du mal à les définir ? Le bouillonne-
ment de la marmite identitaire est aussi la faillite d’un
Envato
camp, celui de républicains souvent sincères qui semblent
éprouver les pires difficultés à
ne pas faire de la laïcité une relique
poussiéreuse. Au mieux, élément de folklore
un peu ringard apte à ne convaincre que les déjà
convaincus ; au pire, instrument autoritaire que
l’on brandit au visage des inconvenants pour
leur sommer de s’intégrer. Un brin faiblard, face à
des menaces multiformes qui s’additionnent et se
combinent. L’essor de l’islamisme est ainsi nourri en
continu par des flux migratoires incontrôlés, concen-
trés dans des zones où la pauvreté lui fournit un carburant
supplémentaire. La gauche mélenchoniste, y voyant une
manne électorale tombée du ciel, entre dans la faran-
dole identitaire, en adoptant un discours clientéliste
s’accordant à merveille avec une pensée woke qui lui sert
désormais de bréviaire intellectuel.
Un défi vertigineux
Et voici qu’à l’autre extrémité du spectre les remugles
de la guerre civile attisent l’appétit d’un cénacle de cha-
rognards avides de ressusciter une France haineuse et
décatie. Comment sortir de l’impasse ? Certainement
pas en fétichisant une République formelle, qui ne ferait
que proclamer de nobles principes sans jamais vouloir
les concrétiser dans le quotidien des Français. « Quand
les hommes ne peuvent pas changer les choses, ils changent
les mots », disait Jean Jaurès il y a un siècle, ajoutant que
« la République restera laïque parce qu’elle aura su rester
sociale ». Penser qu’il suffit de décréter l’avènement du
citoyen universaliste sans œuvrer aux conditions maté-
rielles de l’émancipation est une erreur qui a traversé
toute l’histoire républicaine, de la Révolution française
au macronisme actuel. Sachons toutefois ne pas nous
enfermer dans la posture inverse, qui consisterait à penser
qu’une politique économique plus généreuse pourrait
tenir lieu de réponse unique face à la catastrophe qui
menace. Si le défi qui nous toise est si vertigineux, c’est
que toutes ses dimensions sont reliées. La crise traversée
par notre nation est sociale, culturelle, morale. Les Fran-
çais républicains, patriotes et fraternels sont pourtant
majoritaires dans le pays, mais leur voix peine à se faire
entendre au milieu du vacarme général. M
11 au 17 avril 2024- Marianne - 13
 LE DOSSIER Qui arrêtera la guerre identitaire ?
Polémiques-macs
Des signaux faibles…
à l’alerte rouge
Du moindre clash télévisé au fait divers le plus
dramatique, les conflits identitaires s’invitent partout.
Au gré des instrumentalisations politiques mais aussi
des réflexes mécaniquement adoptés par une partie de
la population. Par Lisa Guillemin, Alain Léauthier, Marie-Estelle Pech,
Lucas Planavergne et Bruno Rieth
Aya Nakamura
eated by Thanh Nguyen
Fin février, on apprend que l’Élysée sou-
oject
haite que la chanteuse franco-malienne
reprenne une chanson d’Édith Piaf pour la
cérémonie d’ouverture des JO. Au départ,
quelques piaillements gentillets – et tout
à fait entendables – sur la pertinence du
choix de l’interprète de Djadja. Des fans
d’Aya Nakamura perçoivent, eux, des relents
racistes dans la critique. Bien vite, les iden-
titaires saisissent la polémique en vol. Le
groupe Les Natifs déploie une banderole
à Paris parodiant un texte de la star :
« Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas
le marché de Bamako ». La justice a
ouvert une enquête pour racisme.
“Danse avec
eated by Thanh Nguyen
les stars”
oject
Au départ, une altercation entre
l’humoriste Inès Reg et la chanteuse
Natasha St-Pier dans les coulisses de
l’émission « Danse avec les stars ».
Le feu prend quand la seconde dé-
pose une main courante après s’être sentie
Y A PAS MOYEN Un collectif d’ultradroite
s’est élevé contre la possible prestation
de la chanteuse Aya Nakamura aux JO.
Une enquête pour racisme a été ouverte.
menacée par l’entourage de la première.
Inès Reg place alors la dispute sur le terrain
du racisme : « Mon manager, c’est un Noir, il
est martiniquais, le gars qui me filme, c’est un
Arabe, c’est un Marocain […], je suis l’Arabe,
je suis la nana du 93 de cette histoire. Je suis
la perdante. » De quoi emballer les réseaux
sociaux, divisés entre racistes éructant « la
racaille qui a ça dans le sang », et « racisés »
voyant en Natasha St-Pier une « Karen » en
puissance (surnom importé des États-Unis
désignant une femme blanche raciste).
Ou quand la fracture identitaire s’insinue
jusque dans un programme familial.
Foot et ramadan
eated by Thanh Nguyen
Chaque année, la polémique renfile ses
oject
crampons pour le ramadan. Début mars,
la Fédération française de foot a confirmé
l’interdiction des pauses sur le terrain (ré-
clamées par ceux qui rompent le jeûne) et
ordonné aux staffs des équipes de refuser
d’adapter leurs programmes (entraînements,
heures des repas…) pour coller aux pratiques
religieuses. Aussitôt, Demba Ba, ex-joueur
franco-sénégalais et désormais conseil-
ler sportif de l’USL Dunkerque, a dénoncé
une « chasse aux musulmans ». Le joueur de
l’Olympique lyonnais Mahamadou Diawara
a pour sa part décidé de ne pas honorer sa
sélection en équipe de France des moins
de 19 ans. « Il y a une défiance généralisée de
l’autorité, à l’école, face à la police… Le sport n’est
pas épargné », réagit Éric Borghini, membre
du comité exécutif de la Fédé.
Saint-Brevin
eated by Thanh Nguyen
Début 2023, après un an de croisade me-
oject
née contre le maire de Saint-Brevin-les-Pins
Reynaud Julien / APS-Medias / Abaca
(Loire-Atlantique) par les sections locales de
Reconquête ! et du RN, ils ne sont finalement
« qu’une poignée [à avoir] bravé le froid pour
manifester leur colère encore trop silencieuse »,
relate Valeurs actuelles. L’hebdo déplore la
faiblesse de la mobilisation contre le projet
visant à déplacer près d’une école le centre
 MENACÉ DE MORT Le proviseur du lycée Maurice-
Ravel, à Paris, a quitté ses fonctions après qu’une
élève a refusé d’ôter son voile dans l’établissement
et s’est plainte sur les réseaux sociaux.
d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), ins-
tallé dans la commune depuis 2016. Le lende-
main, Damien Rieu, militant à Reconquête !,
partage l’article sur son compte Telegram
(25 000 abonnés). Une stratégie d’influence
qui a fait ses preuves : des maires, comme
celui de Callac (Côtes-d’Armor), ont déjà
renoncé à des projets semblables sous les
menaces de l’extrême droite. Les mois sui-
vants, le battage s’intensifie. Début mai, Yan-
nick Morez, premier édile de Saint-Brevin-
les-Pins, démissionne. Quelques semaines
plus tôt, son domicile avait été visé par un
incendie volontaire. Le déplacement du
centre d’accueil est, lui, maintenu.
Israël-Palestine
eated by Thanh Nguyen
oject
« Il ne faut surtout pas importer le conflit
israélo-palestinien en France ! » Après les évé-
nements du 7 octobre, Olivier Véran, alors
porte-parole du gouvernement, a entonné
la ritournelle qui suit immanquablement
chaque embrasement du Moyen-Orient. En
réalité, voilà bien longtemps qu’en France,
l’importation du conflit n’est plus une me-
nace mais une réalité. Il fut un temps où
les tensions se limitaient à quelques rues
de Paris. Comme en juin 1968, quand des
joueurs de cartes des deux « communau-
Pierrick Villette / Abaca - Lionel Urman / Sipa
tés » en vinrent aux mains sur le boulevard
de Belleville, avant que la dispute s’étende
à plusieurs dizaines de belligérants. Il fallut
l’intervention du Grand Rabbinat et des
ambassadeurs d’Algérie et de Tunisie pour
calmer les esprits. Aujourd’hui, le sort de la
Palestine est devenu à la fois cause nationale
et cause miroir, mobilisant notamment une
partie de la jeunesse musulmane. Autrefois
LEGENDE-ATTAK Otatur
si alitias eariae plic to
quidemped eate sus et
qugm atia debitisquiae
et omniscia nem estio.
Onsedis repernamus et,
vigilants face au risque de fractures, certains
partis, à l’image de La France insoumise,
ont fait de la cause un levier majeur de leur
agenda électoral, allant jusqu’à prôner un
État palestinien allant du « Jourdain à la
mer », comme le fait Rima Hassan, une des
candidates insoumises aux européennes.
Lycée Maurice-Ravel
eated by Thanh Nguyen
Fin février, le proviseur du lycée parisien
oject
Maurice-Ravel demande à une élève de reti-
rer son voile. Dans le même temps, cette
dernière prétend qu’il lui a frappé le bras.
Victime de menaces de mort sur Internet,
le fonctionnaire quitte son établissement
pour « raisons de sécurité » le 25 mars. L’élève
venait à nouveau de se plaindre dans une
vidéo relayée par le Collectif contre l’islamo-
phobie en Europe. Le proviseur n’était qu’à
trois mois de la retraite mais a précipité son
départ, usé par les tensions. La polémique
s’est d’autant plus enflammée que le rectorat
AGENDA ÉLECTORAL
Rima Hassan, candidate
LFI aux européennes
de juin, défend un
État palestinien allant
“du Jourdain à la mer”.
Quitte à alimenter
les fractures en France…
de Paris a commis une erreur de communi-
cation, justifiant ce retrait pour des raisons
de « convenances personnelles ». Un langage
administratif laissant croire que l’institution
fermait les yeux. Pourtant, les syndicats de
chefs d’établissement ont relevé que le gou-
vernement avait été d’un soutien sans faille.
Gabriel Attal a ainsi annoncé une plainte de
l’État visant la jeune fille. L’affaire a surtout
révélé à quel point les chefs d’établissement
sont en première ligne face à la violence.
Crépol
eated by Thanh Nguyen
Le 19 novembre, Thomas, 16 ans, est poi-
oject
gnardé à mort devant une salle des fêtes à
Crépol (Drôme). D’autres personnes sont
blessées. Neuf jeunes suspects sont inter-
pellés, la plupart venant du quartier popu-
laire de la Monnaie, à Romans-sur-Isère. Un
témoin de la bagarre sanglante, cité par le
Dauphiné libéré, aurait entendu : « On est là
pour tuer des Blancs. » Des membres de l’ex-
trême droite crient au « francocide », terme
qu’ils tentent d’imposer dans le débat pour
désigner, selon Marion Maréchal, « une insé-
curité endémique principalement originaire
d’une délinquance issue de l’immigration ou de
nationalité étrangère, à l’encontre de Français ».
Réseaux sociaux et médias du groupe Bol-
loré évoquent « une expédition préméditée »
pour « planter des Blancs ». Quatre-vingts
militants d’ultradroite se rendent à Romans-
sur-Isère pour en découdre. Finalement,
l’enquête a écarté le mobile raciste – neuf
des 104 témoins entendus avaient évoqué
des propos hostiles « aux Blancs » – ou l’ex-
pédition préméditée, et a confirmé la thèse
d’une bagarre ultra-violente déclenchée par
« un motif futile ». M
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 15
 LE DOSSIER Qui arrêtera la guerre identitaire ?
Cas d’école
Derrière l’affaire Samara,
bêtise, ghetto et réseaux sociaux
Le passage à tabac de cette collégienne
à Montpellier concentre nombre de
dysfonctionnements de la société française.
Par Marie-Estelle Pech
L’EFFROI
Hassiba Radjoul, exisme, religion et effet de meute : c’est le cock-
S
la mère de la
jeune Samara, tail explosif qui s’est abattu de façon terrifiante
a précisé que sur Samara, 13 ans, à Montpellier. Son histoire,
sa fille était c’est celle de « gamins » qui ont l’habitude de se
régulièrement menacer sur les réseaux sociaux de façon « ultra-
insultée en
raison de son violente », raconte une source judiciaire. On s’y
allure “trop traite de « pute » dans des messages sur Snapchat.
européenne”. Et on « affiche » ses camarades de classe dans des photo-
montages dégradants. Le 2 avril, deux filles et un garçon,
âgés de 14 à 15 ans – mis depuis en examen pour « tentative
d’homicide volontaire » –, rouent de coups l’adolescente à la
sortie du collège Arthur-Rimbaud, situé dans un quartier
difficile. Au point de l’envoyer à l’hôpital, dans un coma
dont elle ne sortira que deux jours plus tard. Les raisons de
ce tabassage sont dérisoires : le garçon reproche à Samara
d’avoir publié une photo de lui avec une « tête de lapin ».
Une des jeunes filles, F., voilée, est furieuse car Samara
aurait posté une photo d’elle, tête nue : « Un des micro-élé-
ments déclencheurs de cette expédition punitive est peut-être
religieux. C’est un fait parmi d’autres imbécillités mais ce n’est
pas un motif écarté par le parquet », précise un enquêteur.
Samara, qui, selon la justice, n’est pas en reste pour
moquer ses camarades, est d’autant plus visée qu’elle se
teint les cheveux en rouge, raison pour laquelle certains
16 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
de ses camarades avaient pris l’habitude de la traiter de
« Roumaine ». F., la jeune fille voilée, avait été exclue à
deux reprises du collège, ces derniers mois, pour l’avoir
menacée. Les deux cumulaient les heures de colle en
raison de leur comportement. Samara est issue d’une
famille de harkis, F. d’une famille de musulmans pra-
tiquants « mais pas rigoristes », affirme un enquêteur.
Après l’agression, des interviews alarmantes de la mère
de Samara, Hassiba Radjoul, ont tourné en boucle. Elle
y indiquait que sa fille avait été ciblée en raison de son
maquillage et de son allure vestimentaire « trop européenne
et trop libre ». Sa « harceleuse […] la traitait de kouffar, qui
veut dire “mécréant” en arabe […]. Toute la journée, c’était
des insultes, on la traitait de kahba, ça veut dire “pute”. Ce
n’était plus vivable ». Le genre de propos qui transforment
un fait divers en événement politique.
Adieu la mixité scolaire
Les élus du RN sont aussitôt montés au créneau, à
quelques minutes d’intervalle, avec des éléments de
langage similaires, évoquant l’école qui « fait face à une
offensive islamiste » et égratignant un gouvernement pas
assez « ferme ». Le député PS Jérôme Guedj a saisi le pro-
cureur au titre de l’article 31 de la loi de 1905, punissant
toute pression religieuse. Invitée sur le plateau de Cyril
Hanouna, Hassiba Radjoul finit presque par se dédire. Elle
dénonce « l’instrumentalisation de l’extrême droite » et dit
« incriminer la fille qui a harcelé [sa] fille, pas une communau-
té », lisant un texte précisant que Samara, « musulmane »,
faisait bien ses « cinq prières par jour ». Peur face à des
intimidations ? Doutes a posteriori ? L’enquête tranchera.
Quoi qu’il en soit, un élu local reconnaît que « ce n’est
pas toujours simple d’être une fille » dans ce quartier en
raison des pressions communautaires. Président du club
Montpellier Basket Mosson, Khaled Baki, 54 ans, y a grandi
à l’époque où la mixité scolaire existait encore. Il partageait
les bancs de l’école avec Valérie, la fille du directeur, et des
« enfants des profs » : « Ils ne mettent plus leurs gamins » dans
ce quartier paupérisé, « habité par 90 % de Maghrébins », dit-
il. Lui-même a inscrit ses filles dans le privé « pour qu’elles
Jean-Michel Mart / PhotoPQR / “Midi libre” / MaxPPP
y découvrent la mixité ». Député Renaissance de l’Hérault,
Patrick Vignal note pour sa part qu’on a beau avoir « rasé
des barres d’immeubles et rénové ce quartier à coups de millions
d’euros, on n’y a pas changé les mentalités ». M
“Un élément déclencheur de
cette expédition punitive est
peut-être religieux.” UN ENQUÊTEUR
 Obscurantisme en salles obscures
“Nous n’en sommes
qu’au début avec l’islamisme”
Dans “Amal. Un esprit libre”, le cinéaste belge Jawad Rhalib met en
scène une prof de français qui, dans son lycée bruxellois, est confrontée à
la violence de certains élèves, fanatisés. Rencontre avec l’auteur de
ce long-métrage implacable et glaçant. Propos recueillis par Olivier De Bruyn
mal enseigne le français dans un lycée de
A
Bruxelles, et son quotidien ne va pas tarder à
devenir un enfer. Respectée jusqu’alors par
ses élèves, la prof devient la cible de plusieurs
d’entre eux. Ses grandes « fautes » : avoir pris
la défense d’une ado harcelée en raison de son
homosexualité, et avoir fait étudier à ses lycéens
les écrits du poète Abu Nuwas, décédé en… 815, et consi-
déré comme subversif par les intégristes. Sans concession,
le réalisateur belge d’origine marocaine Jawad Rhalib
dresse le portrait d’une prof combative et celui d’une
société menacée par l’obscurantisme. Il s’explique.
Marianne : Pourquoi ce long-métrage aujourd’hui ?
Jawad Rhalib : Dans mes réalisations, j’entends témoigner
du monde dans lequel nous vivons. Lors de la sortie en
Belgique de l’un de mes documentaires, des projections
pour les scolaires ont été organisées et j’ai été frappé par les
réactions de certains élèves, minoritaires mais influents.
Déjà fanatisés, ils n’hésitaient pas à dire que, à leurs yeux,
la musique, la danse ou la littérature étaient des activités
illicites. La majorité silencieuse ne savait pas comment se
positionner par rapport à cette violence verbale. J’ai donc
décidé d’enquêter sur l’influence islamiste dans le milieu
scolaire et de faire une fiction qui évoque frontalement le
sujet. Cela me semblait important qu’un cinéaste comme
moi, d’origine musulmane, s’empare de ce thème.
Le film est très précis dans sa description
d’un engrenage destructeur…
Je me suis longtemps documenté et j’ai fréquenté assidû-
ment les établissements scolaires pour dialoguer avec les
profs et l’ensemble du personnel. L’idée du film a germé
avant l’assassinat de Samuel Paty. Après ce drame, je
pensais que d’autres cinéastes allaient lancer des projets
évoquant la situation alarmante dans les écoles. Cela n’a
pas été le cas. Je pense que les cinéastes ont peur, notam-
ment de ne pas trouver de financement. Il est pourtant
possible d’y arriver : j’en suis la preuve.
Votre film montre l’entrisme de l’islamisme
en milieu scolaire. En premier lieu avec le personnage
de Nabil, ce professeur de religion [les cours de religion
sont obligatoires en Belgique] dont l’apparente
modernité dissimule l’idéologie extrémiste.
DR
Nabil a quelque chose de Tariq Ramadan. Il manie à la per-
fection les codes occidentaux et le double discours. Cette
ambiguïté rend ce genre d’individus très dangereux. Nabil
met en place un stratagème redoutable. Il ne se départit
jamais de son sourire, de son calme, et joue à merveille
avec l’aveuglement des collègues d’Amal qui, au nom
d’une prétendue tolérance, abdiquent sur l’essentiel.
La fin n’a rien de rassurant. Vous avez toujours
su que vous achèveriez votre récit ainsi ?
Oui. Je n’avais aucunement envie de céder à la convention
de la fin heureuse. Des personnes comme Nabil, il y en a
beaucoup, et les derniers plans rappellent une évidence :
nous n’en sommes qu’au début avec l’islamisme. Certains
producteurs et distributeurs m’ont suggéré de tourner
une autre fin ou de couper la scène. Accepter aurait été COMBATIF
contradictoire avec le propos du film et avec ce que je suis. “Après
l’assassinat
de Samuel Paty,
Rencontrez-vous des difficultés pour le distribuer ? je pensais
Rien n’est simple. J’ai la chance d’avoir un distribu- que d’autres
teur (UFO) qui accomplit un travail remarquable et qui cinéastes allaient
lancer des
constate que le film suscite l’enthousiasme dans tous les projets évoquant
festivals où il est présenté et qu’il a déjà réuni 25 000 spec- la situation
tateurs. Certains exploitants, heureusement minoritaires, alarmante dans
freinent pourtant des quatre fers. Certains disent que les écoles. Cela
n’a pas été le cas.
j’attaque l’islam, voire que mon film frôle l’islamophobie. Ils ont peur,
Ce qui est un contresens absolu. Ils ont décidé de ne pas notamment de ne
montrer le film : c’est aussi simple et dramatique que cela. pas trouver de
Dramatique, car ce refus témoigne d’un aveuglement financement”,
assure Jawad
face à un problème majeur. M Rhalib. Ci-
Amal. Un esprit libre, de Jawad Rhalib. En salles le 17 avril. dessous, l’actrice
Lubna Azabal.
 LE DOSSIER Qui arrêtera la guerre identitaire ?
Âge tendre
et gueule de bois
À gauche,
à droite,
la tentation
du repli
Loin du référentiel socio-économique
de leurs aînés, les jeunes se politisent
à partir des questions culturelles.
Quitte à cliver. Par Lisa Guillemin
i vous leur parlez d’universalisme, vous risquez
S
de passer pour un vieux con. Chez les jeunes, en
effet, la radicalité s’opère désormais sur le front de
l’identité et des valeurs culturelles – et non plus
sur un référentiel socio-économique. Quitte à
créer une génération très clivée, entre une alliance
religieux-« progressistes » d’un côté et un bloc « à
droite toute » de l’autre. Ces oppositions se sont d’ailleurs
nettement manifestées à la dernière présidentielle. Selon
l’analyse électorale menée par les chercheurs Vincent Tiberj
et Laurent Lardeux, si les candidats Mélenchon et Le Pen
sont arrivés largement en tête chez les 18-34 ans (35,5 %
ont voté pour le candidat LFI, 29 % pour la candidate RN),
ce n’est pas pour leurs propositions socio-économiques
mais pour leurs positions culturelles, comme le rapport à
la diversité, au genre, à l’autorité. Des variables beaucoup
plus déterminantes chez les jeunes que chez leurs aînés.
Une analyse corroborée par le sociologue Manuel
Boucher. « Les jeunes se politisent aujourd’hui en fonction
des conflits liés à l’identité, à la morale ou aux valeurs cultu-
relles. C’est lié à une forme de délaissement de la critique du
capitalisme qu’on pouvait encore observer il y a vingt ans. » Et
conjointement à une « racisation » des rapports sociaux
exacerbée par les entrepreneurs identitaires, comme les
Indigènes de la République ou le Comité pour Adama.
« Dans les mouvements antiracistes, il existe un clash entre
anciens et nouveaux militants. Les premiers pouvaient être
dans une démarche d’égalité universaliste alors que ceux
d’aujourd’hui sont dans une revendication de la spécificité de
la race », poursuit le professeur de sociologie.
Un point de crispation se noue surtout autour de la
religion. « Le clivage religieux qui a émergé chez les jeunes il
y a une quinzaine d’années se révèle le plus prégnant de tous »,
observe Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS.
18 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
MONTÉE DE
LA RELIGIOSITÉ
« Dans les années 1990, les études de l’Ined sur les personnes
d’origine étrangère montraient une convergence des valeurs
Dans une enquête
menée en 2016,
culturelles entre les jeunes d’origine française et ceux d’origine
le sociologue
Olivier Galland
maghrébine. Puis nous avons vu apparaître une montée très forte
de la religiosité chez ces derniers. » Dans son livre la Tentation
notait que
32 % des lycéens
radicale, co-écrit avec Anne Muxel à partir d’une enquête musulmans
estimaient
menée en 2016, il indique ainsi que 32 % des lycéens mu- que la religion
sulmans des 23 établissements étudiés estimaient que la
l’emportait
religion l’emportait sur la science, contre 11 % des autres. sur la science.
Contre la “féminisation de la société”
Cette tendance s’accompagne, paradoxalement, d’une
alliance avec une jeunesse diplômée, friande des libertés
communautaires anglo-saxonnes. « Au nom de la défense
des minorités religieuses, les jeunes non musulmans sont très
tolérants avec les revendications identitaires de la jeunesse
musulmane, même si elles vont à l’encontre des libertés indi-
viduelles », poursuit Olivier Galland. Autre point clé : les
idées néoféministes. « On observe une montée d’une identité
de genre très forte chez les jeunes femmes, avec des conceptions
beaucoup plus “progressistes” que chez leurs homologues mas-
culins », analyse Olivier Galland. Comme en écho, d’autres
études soulignent un repli identitaire chez les jeunes
hommes, laissant transparaître un nouveau clivage entre les
sexes dans la génération Z. Le Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes s’inquiétait ainsi, en janvier, des
« réflexes masculinistes et comportements machistes » chez les
hommes entre 25 et 34 ans. Selon ces travaux, 37 % d’entre
eux estiment que le féminisme « menace leur place » en tant
qu’homme, et 52 % que l’on « s’acharne sur les hommes ».
Or ceux qui déplorent la « féminisation de la société »
semblent aussi souvent perméables à la théorie du grand
remplacement migratoire. Une tendance flagrante sur les
Nicolas Vallauri / “la Provence” / MaxPPP
réseaux sociaux, avec des influenceurs identitaires aux mil-
liers d’abonnés, tels Papacito, le Raptor ou Damien Rieu. M
“ Le clivage religieux qui a émergé chez
les jeunes il y a quinze ans se révèle le plus
prégnant de tous.” OLIVIER GALLAND Directeur de recherche au CNRS
 La France sous ses yeux

“Une dynamique de ségrégation

à l’œuvre dans certains quartiers”
Le sondeur Jérôme Fourquet, auteur de
“la France d’après” et de “l’Archipel français”
(Seuil), analyse cette succession d’événements
illustrant les fractures identitaires du pays.
Propos recueillis par Étienne Campion
Marianne : Assistons-nous à une accélération
de la guerre identitaire ?
Jérôme Fourquet : Mon diagnostic n’est pas forcément celui
d’une accélération ou d’une multiplication mais d’une
réitération régulière de ces événements, entretenant un
« bruit de fond ». De manière lancinante, ces affaires, de
nature et de gravité différentes, remontent régulièrement
à la surface médiatique. Et rappellent que, parallèlement
aux tensions économiques et sociales très fortes dans
le pays (réforme des retraites, pouvoir d’achat, mouve-
ment des agriculteurs…), une autre ligne de faille existe :
identitaire et communautaire.
On a tendance à confronter ces deux grilles de lecture…
Les deux peuvent souvent se combiner. Lors des émeutes
de l’été 2023, même si le ministre de l’Intérieur s’est
fendu d’une sortie sur le thème des « Kevin et Mathéo »,
la surreprésentation des jeunes issus de l’immigration
était manifeste. Parallèlement, on a constaté que ces
émeutes avaient essentiellement touché les communes
et les quartiers les plus en difficulté socialement.
Reprenons la succession des événements. Dans le sil-
lage du 7 octobre, nous avons assisté à ce qu’on appelle
pudiquement une accélération de l’« importation du
conflit israélo-palestinien », avec une explosion des actes
antisémites, et, de manière collatérale, l’assassinat de
Dominique Bernard par un jeune Tchétchène, à propos
duquel on peut penser que le climat lié au Proche-Orient
l’a incité à passer à l’acte. Ce fut ensuite le drame de Crépol,
où la grille de lecture d’un affrontement entre deux France
s’est imposée. Plus récemment, il y a eu, au lycée Mau-
rice-Ravel, ce proviseur menacé, parti prématurément à
la retraite parce qu’il estimait que sa sécurité n’était pas
assurée. Plus anecdotique, les réseaux sociaux se sont
Emmanuelle Marchadour / Edition Seuil
de Libération, en 2015, qui racontait l’engagement de plu-
sieurs femmes, dans ces quartiers populaires de Mont-
pellier, sur le thème : « En classe, on voudrait des petits
blonds avec nos enfants. » De même, en 2021, Emmanuel
Macron avait été interpellé par une habitante voilée de la
Mosson : « Mon fils m’a demandé si le prénom Pierre existait
vraiment ! » On voit comment des faits divers se font écho
et donnent à voir la dynamique de ségrégation à l’œuvre
dans certains quartiers, qui débouche sur un référentiel
communautaire strict, s’imposant avec violence à tous,
et notamment aux jeunes femmes.
Ces sujets sont au cœur de la série « La fièvre »,
sur Canal +, qui montre la société française
s’embraser avec la menace d’une guerre civile.
« La fièvre » a une vocation pédagogique : montrer les
dangers qui nous guettent, parce que certains font sem-
blant de regarder ailleurs. Derrière le devoir d’alerte,
il y a aussi la volonté d’exorciser cette menace en la
mettant à distance. Tous ceux qui disent « ça va finir
comme le Liban » oublient une chose, c’est que, pour
l’instant, il n’y a pas d’armes. La digue qui protège encore
la France du scénario d’une guerre civile à la libanaise,
c’est notamment l’absence d’armes. L’idée de la série
est de savoir si on est à minuit moins le quart ou si la
guerre civile a déjà commencé, en questionnant la fra-
gilité des digues. Mais il y a aussi, en filigrane, l’ébauche
d’une réponse républicaine et universaliste à ce spectre.
Le scénariste Éric Benzekri montre comment le club
La France d’après, de foot au cœur de l’intrigue devient une coopérative,
tableau politique
de Jérôme Fourquet, s’engage dans sa gouvernance et propose un nouveau
560 p., 24,90 €. logiciel politique et sociétal. M

emballés autour de l’altercation entre deux candidates

de « Danse avec les stars » sur TF1, rapidement encodée
à travers le prisme du conflit identitaire. Enfin, l’actualité
a été marquée par l’agression de Samara, à Montpellier,
dans le quartier de la Mosson. Sa mère rapporte que sa fille
a été traitée de « mécréante », parce qu’elle se maquille et
s’habille « à l’européenne ». Je me souviens d’un reportage
 LE DOSSIER Qui arrêtera la guerre identitaire ?
Forces d’interposition

Comment stopper Le constat ne suffit pas,

les solutions ne sont
guère évidentes.
Un politique, un historien
l’affrontement et deux professeurs nous
livrent leurs réflexions.

Restaurer la figure Pour une pédagogie

du professeur” de la laïcité”

I À
l est toujours possible d’étudier Voltaire à Bondy,
dans mes classes, parce que je construis avec
mes élèves un rapport de confiance qui s’élabore
de mois en mois et qui permet, à un moment donné,
de faire de l’humour, de faire montre d’ironie,
même avec la religion. Mais il est vrai qu’on vit un peu
sous un climat dingue et que les formes religieuses
qui progressent, les radicales, sont les plus ineptes.
Difficile d’envisager des solutions dans un contexte
de recrutement d’un personnel de moins en moins
qualifié. Aujourd’hui, on embauche en cinq minutes
d’entretien des vacataires dans l’Éducation nationale,
des gens qui ont à peine bac + 3, qui ne sont plus
au niveau. Ils font le job pendant un ou deux ans puis
s’en vont en courant parce qu’ils ne sont pas taillés
pour. En septembre 2023, le rectorat de Créteil
a tout de même passé des annonces sur Facebook
pour trouver des professeurs ! C’est invraisemblable…
Pourtant, c’est la figure du professeur
qu’il convient de restaurer. Il faut pouvoir
maintenir une exigence en matière de contenu
et de niveau. En banlieue, on est devant
des classes qui sont devenues des ghettos.
J’ai toujours pensé qu’il fallait bien s’habiller
devant les élèves, que je leur dise
que je vivais à Paris et qu’il m’arrivait
de partir loin en vacances, qu’il fallait
faire vivre ce prestige du professeur.
Malheureusement, le recrutement
actuel de vacataires, toujours moins
exigeant, donne des professeurs
qui ressemblent aux élèves. Or ce
qu’il se passe de bien dans l’Éducation
nationale est toujours à l’initiative
des personnes. Tout le monde peut le
vérifier dans sa propre histoire : c’est un
Par l’heure où la fracture identitaire est de plus en
THOMAS plus source de violence, seule une pédagogie de
B. REVERDY la laïcité pourra nous aider à sortir de la guerre
Professeur agrégé des clans qui fait rage. Car la laïcité, ce n’est pas
de lettres à Bondy un catalogue d’interdits. Ce n’est pas la haine de
(93) et romancier la religion ni l’athéisme. C’est un principe politique qui
(le Grand Secours, nous permet de vivre ensemble pacifiquement. Cela
Flammarion, passe nécessairement, non par la négation, mais par
2023)
la relativisation de nos identités. Et cette relativisation
Par est rendue possible par la découverte de notre richesse
NADIA intérieure, ainsi que de celle des autres. Aucun de nous
GEERTS ne se résume à une croyance, une religion, une origine,
Agrégée une identité. Et la beauté de la laïcité, c’est de nous
en philosophie, permettre de le découvrir, et par là de construire des
auteure de Woke ! ponts avec les autres, alors que les discours identitaires
La tyrannie
victimaire érigent des murs. Amin Maalouf plaide ainsi pour
(éd. F. Deville) l’émergence d’une nouvelle approche de la notion
d’identité : « Une identité qui serait perçue comme la
somme de toutes nos appartenances, et au sein de laquelle
l’appartenance à la communauté humaine
prendrait de plus en plus d’importance, jusqu’à
devenir un jour l’appartenance principale,
sans pour autant effacer nos multiples
appartenances particulières. » Quelle
réussite si l’école pouvait contribuer à
produire pareils citoyens, conscients
des multiples facettes de leur
identité, et non repliés sur
l’une d’elles !
Bourgois / Opale - Facebook

professeur qui, un jour, nous a fait aimer

la littérature, ou les maths ou l’anglais.
L’exigence en matière de recrutement
est donc fondamentale.

20 - Marianne - 11 au 17 avril 2024

 Une lutte concrète
pour la justice et l’égalité”
our un républicain sincère, sortir de la guerre
P
identitaire, ce n’est pas la gagner, c’est y mettre
un terme. L’idée qu’il y a, dans notre pays,
deux France qui s’affrontent n’est pas nouvelle.
Elle fait partie du bréviaire de l’extrême droite
depuis cent cinquante ans. Elle couve et ressurgit
dans les points bas de l’histoire nationale. Elle
s’exprime désormais dans une grammaire nouvelle et
radicalisée : la théorie des deux peuples. Deux peuples
qui se disputeraient, en France, la définition
des normes, des mœurs et le contrôle du territoire.
La guerre identitaire prend les traits de l’inexorable
et de la tragédie. Les pressions religieuses
sur les enseignants, les violences sur les personnels
de l’Éducation nationale en seraient un témoignage.
L’extrême droite se présente alors comme le camp
capable de gagner la guerre identitaire et propose
pour solde de tout compte des mises au pas collectives,
comme la prohibition du voile dans l’espace public
défendue par Marine Le Pen et l’affirmation de
la prééminence de la culture chrétienne pour Marion
Maréchal. Comment déjouer l’engrenage ? D’abord,
il faut assumer de dire que les enjeux liés à la sécurité,
à l’immigration et à l’intégration ne sont pas indignes.
Partant, il faut poser sur ces enjeux des actes qui ne
ressortent pas de l’affrontement des identités. Ce
qui se joue, c’est la défense des principes politiques
qui nous fondent, comme la laïcité et la liberté de
conscience. C’est la République contre ses ennemis
plutôt que les deux France face à face. L’expérience
historique nous montre que, lorsque la question
sociale domine l’agenda, le spectre de
la guerre civile identitaire disparaît
de la conscience collective. Il y a
donc une responsabilité particulière
de la gauche pour parvenir à
substituer au chaos du ressentiment
l’aménagement démocratique d’une
lutte concrète, celle des intérêts,
de la justice et de l’égalité.
C’est le mandat implicite
que nous a donné le peuple
après la mobilisation pour
Pablo Porlan / Hans Lucas via AFP - Hannah Assouline / Opale
les retraites.
Un moratoire
de cinq ans pour rétablir
l’ordre républicain”
Par
ALEXANDRE
a France subit depuis des années des assauts
L
OUIZILLE
Sénateur PS hostiles qui s’apparentent à une guerre à bas
de l’Oise bruit : son territoire est envahi (Mayotte), ses
biens sont pillés (statistiques de la délinquance
d’appropriation), sa jeunesse est balayée par
Par le tsunami mafieux des drogues (consommation
PIERRE multipliée par cinq en vingt ans), son modèle social
VERMEREN laïque républicain est attaqué par l’offensive fréro-
Historien salafiste, l’école étant la cible principale. Car elle seule
et professeur
a la capacité d’établir l’égalité réelle hommes-femmes,
à l’université
Paris-I Panthéon- insupportable aux islamistes, et d’ouvrir les esprits face
Sorbonne, auteur aux tenants de l’abêtissement de masse. Ces offensives
de On a cassé sont relayées et soutenues par des États et des groupes
la République. dûment identifiés qui veulent « régler son compte »
150 ans d’histoire historique à la France. Leurs ingérences sont de plus
de la nation en plus voyantes et décomplexées, ce que révèlent tant
(Tallandier, 2020)
les questions de l’islam, des drogues (voir le terrifiant
rapport parlementaire en cours sur le narcotrafic)
que celle des OQTF (obligation de quitter le territoire
français). La guerre identitaire, qui est une arme
de désintégration de la société française, est soutenue
et copilotée de l’extérieur, avec des relais hélas bien
classiques au sein de notre société. Répondre à cette
situation exige des mesures fortes et nouvelles qui
sont incompatibles avec l’état actuel de la législation
française et européenne. Il faudrait décréter un
moratoire de cinq ans pour rétablir l’ordre républicain
dans tous ces domaines. L’État a les moyens d’agir mais
il est paralysé. Il ne s’agit pas de sortir de la République
mais de la conforter, ce qui suppose un mandat
électoral précis ratifié par le peuple.
Or la majorité des électeurs vit dans
le passé (les 17 millions de retraités) ou
le déni (la bourgeoisie), car regarder ces
réalités en face, et ce que cela signifie,
leur est insupportable. Le service public
de l’audiovisuel n’éclaire pas
ces deux segments électoraux
qui composent la majorité
des électeurs votants. Il faut
donc informer toute la société
sur la situation réelle
du pays, et la faire voter
en conséquence : les Français
informés trancheront.
Une guerre ne se mène pas
avec les moyens de la paix.
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 21
 Marianne RÉVÈLE
Ciel, mon Paris !
JO : un système
antidrone défaillant
À moins de quatre mois de la cérémonie d’ouverture
des Jeux de Paris, le dispositif de lutte antidrone laisse
à désirer. Selon nos informations, deux exercices militaires
ont échoué. Par Marc Endeweld, Emmanuel Lévy et Vanessa Ratignier
fficiellement, le dispositif de lutte anti-
O drone est opérationnel pour les jeux
Olympiques et Paralympiques de 2024.
Telle est la conclusion de l’exercice
« Coubertin LAD 2 », qui a regroupé une
série de cinq tests effectués du 11 au 15 mars.
L’enjeu : déployer le dispositif et éprouver son
efficacité. Censé identifier, détecter et neu-
traliser les drones, le système Parade en est le
produit phare. Problème : « Sur deux des sites
où Parade a été testé, ça n’a pas fonctionné selon
les performances attendues », confie à Marianne
un observateur de l’exercice. « C’est-à-dire
que Parade arrête les drones mais dans un péri-
mètre bien plus restreint qu’attendu. » En clair,
Parade n’a pas fait le boulot. C’est d’autant
plus problématique que l’un de ces deux tests
22 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
a eu lieu aux abords d’un ministère, en plein
Paris. Réalisé à portée de vol de la place de
la Concorde et du Champ-de-Mars, en plein
cœur de la capitale, le déploiement du sys-
tème Parade n’a pas fonctionné, nous assure
une source proche du dossier. Ce que nous
confirme une huile de l’armée de l’air.
Marianne est également en mesure de
révéler l’échec d’un autre test du dispositif
phare de la lutte antidrone, observé dans
cette même série mais à Marseille cette fois,
et lui aussi confirmé en haut lieu. Sollicité, le
ministère des Armées se contente d’expli-
quer que le « retex [comprendre le « retour
d’expérience » de l’exercice Coubertin] est
bon », qu’il « a permis de vérifier le bon fonc-
tionnement de la chaîne de commandement »
et permet d’imaginer pour demain une
« montée en puissance du dispositif JO ». C’est
joliment dit. Mais de concéder, dans un lan-
gage mi-militaire, mi-embarrassé, à propos
de Parade, que « des performances non nomi-
nales ont été observées ». C’est encore plus
joliment dit…
Nickel en labo, mais pas in vivo
Survenu en zone urbaine dense, où se
déroulera une bonne partie des épreuves,
l’échec parisien, à l’instar de celui qui a été
observé à Marseille, ne transparaissait pour-
tant pas dans les conclusions de « Coubertin
LAD 2 », abondamment relayées par la presse,
qui a été conviée à assister à une autre séance
de tests. Cette dernière, effectuée sur le tar-
mac de la base aérienne militaire de Vélizy-
Villacoublay (Yvelines), s’est déroulée dans
Emmanuel Dunand / AFP
des conditions optimales, sur une zone plane
où rien n’est dissimulé par des immeubles. En
clair, ça fonctionne en labo, mais pas in vivo.
Le risque n’est pas nouveau. Le Canard
enchaîné s’en était fait le relais. Et avant
 À LA PARADE Tout s’est bien passé lors de la séance
de démonstration d’un fusil brouilleur devant la presse
à Vélizy-Villacoublay, au sud-ouest de Paris, le 14 mars.
Les tests en zone urbaine dense, eux, ont beaucoup déçu.
cela, dans les colonnes de Marianne, en
octobre 2023 (no 1388), Cédric Perrin, le
président LR de la commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces
armées du Sénat, faisait part de ses inquié-
tudes. « Parade, alertait-il alors, est au cœur
de notre dispositif de sécurisation des grands
rassemblements. Mais [il] ne fonctionne visible-
ment pas comme il devrait, et cela m’inquiète.
C’est pourtant cette solution, proposée par
Thales et CS Group, qui a remporté le marché
lancé par la Direction générale de l’armement
[DGA] en 2021. » Contactés par Marianne,
Thales et la DGA n’ont pas souhaité com-
menter l’échec des tests de ce programme,
d’un montant de 350 millions d’euros sur
onze ans et qui a donné lieu au déblocage
de 33 millions d’euros au moment de la
signature, au printemps 2022.
« Ce système ne fonctionne pas », nous
confirme un intermédiaire du secteur.
« Thales a déjà un an de retard. Or il n’était
prévu que six mois de marge d’erreur pour le
programme Parade ! », s’indigne pour sa part
une source au ministère de la Défense. Qui
souligne : « L’armée de l’air est furax, d’autant
que les tests initiaux de drones n’ont pas été
réalisés dans des conditions opérationnelles. »
Et notre source de lâcher : « Parade, on ne
l’a jamais vraiment vu fonctionner jusqu’à
ces derniers jours. Et encore, il faut former les
opérateurs qui vont le piloter à distance et il
vaudrait mieux éviter les mauvaises surprises. »
Mais un autre observateur tempère : « La
facilité du pilotage à distance, c’est sans doute
le seul point du cahier des charges qui donne
satisfaction » – c’est dire.
Dans les hautes sphères de l’armée de l’air,
on se veut confiant. « Développé par Thales et
CS Group, le programme Parade vient en com-
plément d’autres équipements lourds que sont le
dispositif Bassalt [conçu par Hologarde, une
filiale d’Aéroports de Paris], ses équivalents
Milad [avec un radar, une caméra et une
capacité de brouillage] et Radiant [utilisé par
la Préfecture de police de Paris], capables de
détecter, d’identifier et de neutraliser via un sys-
tème de brouillage », précise notre haut gradé.
Une litanie également claironnée par le
ministre des Armées, Sébastien Lecornu,
lors de son audition à huis clos, ce mardi
2 avril, par la commission des Affaires étran-
gères, de la Défense et des Forces armées
du Sénat. Devant les parlementaires, le
ministre a, en substance, assuré que « Parade
est en voie d’amélioration, comme a pu l’être,
hier, le radar équipant le Rafale, l’avion de
combat développé par Dassault ». Pour bien
faire passer le message, il est venu accom-
pagné du chef d’état-major de l’Armée de
l’air et de l’espace, Stéphane Mille, ainsi
que du délégué général pour l’armement,
Emmanuel Chiva.
Depuis des mois, les parlementaires
passent au crible le dispositif de lutte anti-
drone. Le sujet est si délicat que, à l’issue
d’une bonne vingtaine d’auditions, décision
a été prise de transmettre directement à
l’exécutif le fruit de leurs travaux, sans les
rendre publics. « Certains éléments sont sen-
sibles, et la commission souhaite avant tout faire
des recommandations pour améliorer notre
sécurité nationale », précise-t-on au Palais
du Luxembourg. Selon nos informations, le
rapport, en voie de finalisation, sera remis
“Pour intercepter ces drones préprogrammés,
la seule possibilité est le tir à vue.”
au président du Sénat, Gérard Larcher, au
Premier ministre, Gabriel Attal, ainsi qu’au
ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et
à celui des Armées, Sébastien Lecornu.
Ces déboires suscitent des remous chez
Thales. Au début des années 2000, on s’en
souvient, son actionnaire l’avionneur Das-
sault avait renâclé à se lancer sur le marché
des drones. C’est qu’il ne fallait surtout pas,
alors, faire de l’ombre à l’avion de combat
maison, le fameux Rafale… Hormis Parade,
le programme Watchkeeper, réalisé en col-
laboration avec le groupe israélien pionnier
du secteur Elbit, a suscité lui aussi quelques
sueurs froides. La carrière de ce drone mili-
taire, qui équipe notamment l’armée britan-
nique, fut ainsi ponctuée de nombreux inci-
dents, notamment des crashs inexpliqués.
Difficiles à détecter
Mais retour en France. Et au cas des Jeux de
Paris. « Nous sommes face à un vrai problème :
comment arrêter les drones potentiellement
hostiles ? », insiste notre source, qui fait office
d’intermédiaire dans le secteur. « Ils ont des
signatures électroniques extrêmement faibles et
sont donc difficiles à détecter, ce qui nécessite des
radars extrêmement puissants. » Et d’ajouter :
« En effet, pour intercepter ces drones prépro-
grammés, la seule possibilité est le tir à vue. »
Pour cette source, « la sécurisation et la protec-
tion de l’espace aérien lors des activités de plein
air des JO » constitue donc un « vrai sujet ».
Voilà peut-être pourquoi, au ministère de
l’Intérieur et à celui de la Défense, de nom-
breux responsables plaident pour annuler
la cérémonie d’ouverture, qui doit se dérou-
ler sur les bords de Seine. « On fera all-in »,
comme au poker, quand un joueur engage
l’ensemble de ses jetons, veut rassurer notre
ponte de l’armée de l’air, avant de détailler le
dispositif de défense aérienne qui sera mis
en place au-dessus de la capitale : un Awacs
(avion doté d’un radar aéroporté semblable
à une soucoupe volante), des avions de
chasse (en vol et au sol, parés au décollage),
ainsi que des avions ravitailleurs et d’autres
capables d’intercepter des appareils sus-
pects, des hélicoptères transportant des
tireurs d’élite, sans oublier les fusils brouil-
leurs et le dispositif de lutte antidrone, dont
fait notamment partie Parade. « Focaliser sur
Parade, c’est un faux problème », minore-t-il.
Ajoutant : « Des vérifications seront effectuées
à compter du 15 avril, et si cela ne fonctionne
pas, nous pourrons de toute façon compter sur
le reste du dispositif. » Rassuré ? M
UN INTERMÉDIAIRE DANS LE SECTEUR
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 23
 Marianne RENCONTRE

Le grand entretien
“La tâche la plus vitale :
la réunification nationale”
François Bayrou est une voix qui compte dans la majorité présidentielle. Et parfois dissone.
À l’heure où l’anniversaire du septennat Macron approche, et à quelques semaines
de la désignation de nos eurodéputés, le président du MoDem passe en revue les grands
sujets du moment : renouveau démocratique, société déchirée, justice sociale, dette,
équilibres au sein de l’UE. Propos recueillis par Natacha Polony - Photos Arnaud Robin / Divergence pour “Marianne”
Marianne : Nous voyons s’achever senti en faisant de l’« assignation à rési- les cartes soient sur la table. En France, on se
un septennat qui avait une promesse dence » un des principaux sujets de sa cam- méfie des citoyens, on maintient les cartes
– et c’est en partie pour ça que vous avez pagne. Doit être réformée une société où, sous la table, on préfère décider entre soi.
rejoint Emmanuel Macron –, la révolution en particulier par défaut de l’école, tout est Cela m’a beaucoup frappé au moment de la
démocratique. Aujourd’hui, quelle est votre joué d’avance : dis-moi où tu nais, je te dirai réforme des retraites. Les arguments étaient
définition de cette révolution démocratique ? ce que tu seras ! Trop peu de responsables pourtant aveuglants. Alors que le Conseil
François Bayrou : Notre société vit un drame partagent cette inquiétude. d’orientation des retraites affirmait que le
au long cours. C’est la rupture, toujours Il n’y a pas, pour moi, de tâche plus im- système était « à l’équilibre » et même « en
plus profonde, entre la base de la société, portante, plus urgente, vitale au sens propre léger excédent », nous avions établi très tôt,
ceux qui sont le pays et le font vivre, et le du mot, que de porter une œuvre de réuni- dans un rapport du Plan, que cet « équilibre »
prétendu sommet. fication nationale. comptable nécessitait l’apport de 30 à 40 mil-
liards d’argent public chaque année. Argent
Les élites ? Mais il y a aussi des affrontements dont nous n’avons pas le premier cent, et que
Le mot « élites » n’est pas adapté. Pour moi, revendiqués ? nous empruntons ! Et donc que les retraites
une élite se définit par le caractère, la vision, Ce mauvais climat se complique d’une né- d’aujourd’hui étaient en fait à la charge de
une certaine éminence dans l’ordre moral, vrose, celle du ressentiment, qui conduit nos enfants. Y a-t-il plus immoral ? Pourquoi
intellectuel ou spirituel. Ce n’est pas ainsi à chercher partout des boucs émissaires, ne l’a-t-on pas dit aux Français ? Je suis sûr
que sont ressentis les milieux de pouvoir et notamment du côté de la notoriété ou de la que nous aurions convaincu. Pour n’avoir
d’influence. La perte de confiance est à la réussite. Les réseaux sociaux en sont obsé- pas partagé l’information et la réflexion, il a
base. Tout se passe comme s’il n’y avait plus dés. C’est un dévoiement du fond égalitaire fallu passer en force. Gâchis !
d’adhésion envers les responsables, plus de de l’idéologie française – le procès fait tous
références communes, une immense désaf- les jours à Bernard Arnault en est une cari- Vous parlez de démocratie, mais
filiation, une sorte d’indifférence hostile, cature. Cette dérive existait, mais elle était la technocratie, le Conseil d’État,
une sécession continue. contredite par l’idéal de méritocratie répu- l’Inspection des finances, le Trésor,
blicaine. Malheureusement, personne ne tiennent toujours les rênes.
Province contre Paris ? peut plus soutenir que la méritocratie de- Dans toutes les sociétés trop pyramidales,
Cette rupture est particulièrement sen- meure le ressort principal de notre société. l’entre-soi au sommet devient une fatalité.
sible entre la province, lointaine, ignorée, C’est pourquoi il fallait ouvrir le recrute-
reléguée, et les milieux de pouvoir : Paris, Vous soutenez que pour cette œuvre ment, et c’est ce qui a été proposé avec les
les beaux quartiers de la capitale et la péri- de « réunification » du pays, la démocratie « prépas-talents ». Mais je crois qu’il faut
phérie favorisée. Mais les « quartiers » péri- est une arme sous-estimée. aller encore plus loin. Si on en reste à des
phériques de la capitale ne sont pas plus La démocratie, c’est l’exigence que le citoyen recrutements précoces, on perd la vraie di-
près des lieux de pouvoir que mes lointaines ait pleinement sa place dans les décisions versité des parcours et des expériences. Les
Pyrénées. Cette rupture est culturelle et qui sont prises en son nom. Pour cela, il faut armées ont développé le modèle de l’école
sociale autant que géographique. Ce drame, prendre les citoyens au sérieux, en tant que de guerre, sélection et formation des chefs,
Emmanuel Macron l’avait parfaitement partie prenante du pouvoir. Il faut donc que sur des critères qui prennent en compte
24 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
l’expérience du terrain et des hommes, non
pas à 20 ans, mais à 35 ans. Il faut ouvrir aussi,
dès aujourd’hui, aux initiatives de terrain.
C’est le sens du mouvement de refondation
de l’action publique, le Conseil national de
la refondation qu’a voulu le président de la
République. Mais il faut vaincre les réticences
et les routines. C’est difficile, mais c’est vital.

La rupture Paris-province vient

aussi de la désindustrialisation
et du phénomène d’aspiration
de la richesse par les métropoles.
Un des symptômes de la dérive que nous
avons connue depuis des décennies, c’est
l’effacement de l’exigence d’aménagement
du territoire. La vérité oblige à dire que,
entre de nombreux territoires de province
et Paris, les liaisons sont pires aujourd’hui
qu’il y a vingt ans. On a fixé la limite de
deux heures et demie en train pour bannir
les liaisons aériennes. Mais au-delà de ce
périmètre, en fait, il n’y a presque plus de
liaisons aériennes. Or les liaisons sont une
donnée essentielle pour l’activité intellec-
tuelle, pour la recherche, pour l’investisse-
ment. L’activité va à l’activité, donc concen-
tration d’un côté et sentiment d’abandon de
l’autre. L’aménagement du territoire, voilà un
chantier à reprendre et un plan nécessaire.

Les députés MoDem sont en pointe sur la

taxation des superprofits, la redistribution,
sur la justice sociale finalement. C’est une
façon d’éviter que la balance ne penche
trop vers la droite, vers le néolibéralisme ?
Sans effort de justice, sans certitude que
les efforts sont équitablement partagés,
l’adhésion des citoyens à une politique est
impossible. L’argent public va devenir rare,
tout le monde devra participer pour trouver
un meilleur équilibre, et cela impose en
même temps des signaux de justice. Dans
la perspective d’unité du pays, un effort de
justice sociale est la condition même de
l’efficacité économique.

Vous avez cru à l’alternance de 2017. En quoi

a-t-elle fait changer la pratique du pouvoir ?
D’abord en ce qu’elle a mis un terme à la
bipolarisation, qui était en fait un monopole
à deux, PS d’un côté, UMP-LR de l’autre, qui,
pendant trente ans, se repassaient les clés
du pouvoir, sans que rien change vraiment.
À partir de 2017, on a vu arriver de nouveaux
visages et de nouvelles expériences de vie,

“Dans les sociétés

trop pyramidales,
l’entre-soi au sommet
devient une fatalité.”
 Marianne RENCONTRE François Bayrou
au Parlement en tout cas. Le pluralisme
dans lequel nous vivons maintenant, et je
crois pour longtemps, permet à tous les cou-
rants de se faire entendre, même si c’est
encore dans le désordre. Mais il est vrai que
le monde politique a toujours du mal à com-
prendre le pluralisme, et, par exemple, à ac-
cepter que des courants différents puissent
travailler ensemble. On croit toujours que
la victoire donne tout pouvoir et que la mis-
sion de l’opposition, c’est de faire disparaître
ceux qui ont la majorité. Un progrès décisif
se produira quand on comprendra qu’il est
plus fructueux de travailler avec les autres,
même différents, que de les écraser.
Le centrisme tel que vous l’entendez
n’a donc pas remplacé la fausse alternance.
Le centre, c’est la recherche de la tolérance et
de la compréhension réciproque. Et c’est en
même temps la clé du pluralisme, puisqu’on
n’est plus obligé d’être d’un côté ou de l’autre,
blanc ou noir. La philosophie du centre, c’est
l’humanisme. L’humanisme, c’est cette idée
que le but de la société, ce n’est ni l’exalta-
tion de la nation, ni le triomphe d’une classe
sociale, ni celui d’une religion, c’est l’épa-
nouissement de l’être humain, autant dans
son caractère privé que dans son caractère
communautaire car il n’y a pas d’être humain
qui puisse vivre tout seul. Et tous ceux qui
croient à cet idéal ont le devoir de s’organiser
et d’agir ensemble. Cet humanisme, sous le
nom de République démocratique, laïque et
sociale, c’est le projet même de la France. Et la
construction européenne en est la condition.
Vous croyez vraiment que les autres
pays de l’Union européenne
ont le même projet que le nôtre ?
26 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
La France est une communauté de destins,
c’est dans ce creuset que nous décidons
ensemble où nous devons aller. Et l’Europe
est une communauté de civilisations, de
pluralisme philosophique ou religieux,
d’attachement au droit et aux libertés, ins-
titutions démocratiques, mêmes sources
culturelles à Rome et à Athènes, mêmes
formes artistiques.
Concrètement, comment articule-t-on
nations et Union européenne ? Il y a
en ce moment des projets pour passer à la
majorité qualifiée dans tous les domaines.
L’élargissement va le rendre obligatoire.
Je suis très prudent devant l’idée de majorité
qualifiée, même si beaucoup de mes amis y
sont favorables. Ou alors, il faut l’articuler
avec une notion différente que de Gaulle
avait très bien qualifiée : c’est la notion
d’intérêts vitaux. Vous ne pouvez pas être
mis en minorité sur quelque chose qui est
vital pour vous. Par exemple, la majorité
qualifiée au moment de la guerre d’Irak
nous aurait mis en minorité. Je pense qu’il
est très important de rassurer les petits pays
aussi bien que les fondateurs de l’Union
européenne. Leur dire que leurs intérêts
vitaux ne peuvent pas être mis en cause par
la construction européenne. Autrement,
on va vivre dans une perpétuelle tension
et une perpétuelle crainte qui sera attisée
par les antieuropéens.
Quels sont les intérêts vitaux de la France ?
Il y a sa capacité nucléaire, son outre-mer,
une conception exigeante de la laïcité et de la
solidarité, les services publics, une exigence
de maintenir son armée et sa défense, son
siège au Conseil de sécurité.
Alors comment peser dans
l’Union avec notre crise, notre niveau
de dette par exemple ?
La faute n’est pas la dette mais l’utilisation que
nous en avons faite. On s’en est servis, depuis
cinquante ans, immoralement, comme des
facilités de financement des dépenses cou-
rantes. Il aurait fallu s’en servir pour l’investis-
sement, pour armer le pays dans la recherche,
la sauvegarde et la création de nos forces de
production, notre capacité à être à l’avant-
garde du numérique. Quand vous pensez que
sur la trentaine de personnes qui a inventé
ChatGPT la moitié sont françaises ! De même,
comme vous savez, les promoteurs de l’ARN
messager sont français. Les députés français
au Parlement européen devront faire pression
pour que la Banque centrale européenne
permette une politique d’investissement,
pour maintenir notre capacité à être au même
niveau que les États-Unis et la Chine. Cela dit,
Poutine nous a fait faire un grand pas vers la
reconnaissance de l’urgence de l’UE.
Oui, mais si le grand pas que nous a fait
faire Poutine, c’est d’aller vers la majorité
qualifiée, de nous ranger économiquement
et géopolitiquement derrière les États-Unis,
est-ce vraiment un pas en avant ?
Je ne crois pas que l’on puisse reprocher au
président français d’être dans cette intention.
Non, je ne le pense pas. En revanche,
comment on fait pour éviter la pression ?
Grâce aux coopérations renforcées. C’est-
à-dire la capacité de nouer des accords à
l’intérieur de l’UE avec des gens qui veulent
aller dans le même sens que nous. Et plus loin
avec nous. Par exemple, l’industrie militaire,
pour que l’Ukraine puisse recevoir l’aide
nécessaire.
Vous craignez l’arrivée au pouvoir
de Marine Le Pen en 2027 ?
Je ne crains jamais ce contre quoi je peux
me battre.
Mais une fois qu’on a cassé la fausse
alternance UMP-LR/PS, quelle alternance
reste-t-il ?
L’alternance, en France, n’est pas une ques-
tion de camps législatifs, mais au moins
autant une question de personnalité à la
présidence de la République. C’est cela, la
Ve République. Il ne s’agit pas seulement
de couleur politique mais d’un patrimoine
d’expériences, d’idées, de moments histo-
riques qui font que le président porte des
combats essentiels pour la nation. M
Propos recueillis par N.P.
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“ L A V É R I T É N ’A PA S D E M A Î T R E ”
 Marianne RACONTE
Mort d’Émile
Malchance et loupés
Haut-Vernet (04) à la gendarmerie
Si tous les scénarios expliquant la disparition du petit garçon
de 2 ans et demi restent envisagés, la thèse de l’accident semble la plus
plausible. Mais celle de l’intervention d’un loup n’est pas exclue.
Par Laurent Valdiguié
ls n’ont pas le moral et ils s’en veulent »,
«I confie un haut gradé de la gendarme-
rie en évoquant les équipes chargées
de l’enquête sur la disparition du petit
Émile. « C’est quand même un choc de
se dire qu’on a pu passer à côté… » Le samedi de
Pâques, le crâne de l’enfant a été retrouvé par
une promeneuse, à « vingt-cinq minutes à pied
du village », dans un chemin « sans grande dif-
ficulté », a admis le procureur Blachon. Même
si le magistrat n’écarte « aucune hypothèse »,
plusieurs sources indiquent à Marianne qu’à
« 90 % » il semble s’agir d’un accident. Une
histoire vieille comme le monde d’un enfant
perdu en forêt. « Et qu’on a été infoutus de
trouver si près du village », peste un ancien
gendarme, dans un mélange de colère et
d’émotion. Neuf mois de recherches vaines
pour en arriver à ce constat : l’enquête a joué
de malchance, et sans doute, aussi, multiplié
les loupés.
Les deux chemins. Il est autour de
17 heures, ce samedi 8 juillet. Émile, réveillé
de sa sieste et chaussé, quitte seul la maison
de ses grands-parents et effectue les 50 m
jusqu’à la fontaine du village, à côté d’un
clapier à lapins. « Il aurait ensuite quitté le
Haut-Vernet par le GR 69 », indique le maire
du Vernet, François Balique. Pendant une
vingtaine de minutes, le garçonnet avance
sur ce large chemin emprunté par les 4×4
jusqu’à une patte d’oie. « Dans ce tronçon,
personne ne peut le voir, à part des promeneurs,
“La zone est censée avoir été couverte,
mais on est passés à côté apparemment.”
28 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
mais il n’y avait personne »,
regrette le maire. Au pre-
mier carrefour, Émile a le
choix : continuer tout droit
jusqu’au gué du torrent
des Auches, ou prendre à
droite sur un sentier à flanc
de montagne. Une chose est
sûre : son crâne et ses vêtements
ont été retrouvés en contrebas de
ces deux itinéraires possibles, quand ces
deux tracés deviennent parallèles, de chaque
côté du torrent, juste avant de rejoindre la
départementale 900. « On ne sait pas encore
par où il a pu passer exactement, tout le secteur
est très raviné en raison des dernières grandes
pluies, confie un gendarme. Il faudra attendre
les résultats de la modélisation en cours. »
Question sans réponse
À lire la carte IGN et ses courbes de niveau,
l’endroit de la découverte semble, après
coup, tristement « évident ». Émile aurait
quitté le village par une de ces deux voies
accessibles en voiture et serait descendu
jusqu’à tomber sur le torrent des Auches
ou un de ses petits affluents. Le pire des scé-
narios pour ce qui va suivre. D’abord parce
que le garçon, aidé par la pente, va franchir
une distance plus grande que celle que ses
poursuivants imaginent. Ensuite parce que
« s’il est tombé dans le torrent ou un trou d’eau,
il a pu se noyer et donc se refroidir très vite »,
FRANÇOIS BALIQUE Maire du Vernet
MYSTÈRE “Émile a pu
se noyer”, confie François
Daoust, ancien patron
du pôle judiciaire
de la gendarmerie.
estime le général François
Daoust, ancien patron du pôle
judiciaire de la gendarmerie.
En cas de noyade, pas de cris. Moins
d’odeurs. Et le corps se refroidissant dans
l’eau, très vite plus de « signal » de chaleur
à la caméra thermique. En clair, au milieu
d’une végétation dense en ce mois d’été, les
pires conditions pour les recherches.
L’escargot. Ce soir-là, en une heure, une
quarantaine de gendarmes et un hélicoptère
sont sur place. Rien à la caméra thermique.
L’appareil diffuse un message de la mère
d’Émile demandant à son fils de se montrer.
« La règle dans ce genre d’opération, c’est la
technique de l’escargot, on commence par le plus
près et on s’éloigne, glisse le général Daoust.
Quand j’ai piloté des recherches, j’ai toujours
envoyé immédiatement des binômes inspecter
au plus loin les points d’eau et les endroits les
plus escarpés. » Cela a-t-il été fait ? Des équipes
sont-elles parties pour longer le torrent des
Auches depuis le gué du GR 69 jusqu’à la
départementale 900 ? « Des gens du village
sont allés jusqu’à la patte d’oie, ça, c’est sûr, puis
très probablement jusqu’au gué, se souvient
le maire, mais on ne pensait pas qu’il puisse
être allé si loin. Moi, j’étais persuadé qu’il était
allé vers la cabane et les précipices derrière. »
Et puis, le premier chien pisteur sur place, ce
8 juillet, ne marque pas la direction du GR 69…
Les saint-hubert. Le lendemain, diman-
che 9 juillet, les saint-hubert, ces chiens
DR

4. Zone de la découverte
du crâne, d’ossements
et des vêtements
PRÉSOMPTION À lire la carte, on peut supposer qu’Émile aurait emprunté le GR 69, puis bifurqué à la patte d’oie ou continué vers le gué, non loin du torrent des Auches.
spécialisés dans le pistage, s’arrêtent à la
fontaine du village. Cela reste la grande ques-
tion sans réponse de cette enquête. Pourquoi
n’ont-ils pas suivi la trace qui descend sur le
chemin ? « Les chiens ne sont pas infaillibles »,
admet un gendarme. Pour Stéphane Renaud,
dresseur comportementaliste canin, ancien
maître-chien de l’armée, cela reste difficile
à admettre : « Un chien peut toujours se trom-
per, mais pas trois… Bien sûr, le samedi, en fin
d’après-midi, il faisait chaud, ce qui n’est pas
idéal, mais le lendemain matin, les conditions
étaient parfaites. Et il y avait très peu de vent. Les
saint-hubert sont capables de suivre une piste
de six jours. Pour moi, c’est incompréhensible. »
Cinq jours. Du dimanche au jeudi, jusqu’à
800 personnes arpentent le secteur, accom-
pagnées d’une centaine de gendarmes et de
trois hélicoptères. Là encore, chou blanc.
« Toute la zone est censée avoir été couverte,
mais on est passés à côté apparemment »,
admet le maire du Vernet dans un grand
soupir. Une deuxième catégorie de chiens
Carte IGN
entre en scène, les chiens « questeurs »,
des malinois, qui recherchent la présence

LE 5/7

 

   
3. Le gué
du garçon. « Le corps d’un enfant, pendant
plusieurs jours, est comme une fontaine à
odeurs. On découpe sur la carte des carrés de
100 m de côté et on cherche méthodiquement »,
confie Stéphane Renaud, là encore étonné
qu’aucun des malinois n’ait retrouvé Émile
du dimanche au jeudi. « Je ne peux affirmer
que chaque mètre carré a été foulé par un
membre des équipes de recherche », a admis
le procureur Blachon. Un « aveu » judiciaire
franc mais… avec le recul un peu désolant.
Cadavre. Au-delà de soixante-douze
heures après le décès, une troisième caté-
gorie de chiens intervient : les spécialistes
de la recherche de cadavres. « Un corps qui
se décompose émet énormément d’odeurs. Ces
chiens-là, pour peu qu’ils soient sous le vent,
peuvent trouver à plus de 300 m », assure Sté-
phane Renaud. Mais le procureur Blachon a
reconnu que ces chiens spécialisés n’avaient
« pas couvert la zone dans laquelle les ossements
ont été découverts ». « Les enquêteurs se sont
à cet instant concentrés sur les points d’intérêt
essentiels », a ajouté le magistrat, signifiant
ainsi que le bas du torrent des Auches n’avait
MATHILDE
MUNOS
1. La fontaine
2. La patte d’oie
malheureusement pas été identifié comme
zone de recherche principale.
L’hypothèse des loups. Pour le procureur,
« toutes les hypothèses » restent à l’étude,
même si le premier examen du crâne révèle
un long séjour à l’air libre dans la nature.
« En tout cas, la piste familiale est totalement
exclue », tranche François Balique, voulant
couper court aux rumeurs. Quid de celle
d’un crime, impliquant la dépose du corps
bien après ? Il faudra attendre les analyses
sur les vêtements, toujours en cours, et la
découverte d’éventuels autres ossements.
Localement, une autre hypothèse se fait
jour : celle des loups. « Il y en a ici, surtout
l’été avec les troupeaux, reconnaît François
Balique, y compris des loups solitaires. » « S’il
n’y a personne, un loup peut très bien attraper
un enfant à la fontaine du village et courir une
demi-heure sans s’arrêter, sans relâcher sa
pression, et sans faire couler de sang », estime
Stéphane Renaud, persuadé que, dans ce
cas, « aucun des chiens n’aurait suivi sa trace ».
Un dernier scénario glaçant : celui du Petit
Chaperon rouge. M
 Marianne DÉCRYPTE
Sous les pavés, des sages
Soixante-huitards,
y en avait des biens !
Entendu, le “jouir sans entraves” du joli mois de mai contenait en germe
les dérives néolibérales observées et maintes fois dénoncées dans ces colonnes.
Pour autant, le mouvement ne saurait se limiter aux quelques slogans répétés
par une génération d’enfants gâtés. Mai 68 n’est pas monolithique. Par Kévin Boucaud-Victoire
a critique de Mai 68 ne date pas
L d’hier. En 1988, deux philosophes,
Luc Ferry et Alain Renaut, publient
la Pensée 68. Ils y décrivent un mouve-
ment antihumaniste, voire nihiliste, et
remportent un vif succès. Mais l’offensive
avait commencé bien avant et venait de la
gauche. En 1973, le philosophe communiste
Michel Clouscard avance que le mouve-
ment étudiant n’aura été qu’une étape vers
le stade « libéral-libertaire » du capitalisme.
De même, en 1978, dans sa Modeste contribu-
tion aux discours et cérémonies officielles du
dixième anniversaire, Régis Debray, encore
auréolé de son titre de compagnon de route
de Che Guevara, considère Mai 68 comme le
« berceau de la nouvelle société bourgeoise ».
Toujours en provenance de la gauche sui-
vront Jean-Claude Michéa et Jean-Pierre
Le Goff, auteur de trois ouvrages consacrés
à l’« héritage impossible de Mai 68 ». Critiques,
ils se montrent très nuancés dans leurs
analyses. Ainsi, dans Impasse Adam Smith,
Michéa rappelle que Mai 68 est avant tout
une pluralité de phénomènes qui « n’ont eu
à aucun moment le caractère d’un ensemble
idéologique et culturel uniforme ». Ainsi,
résume-t-il, nous avons assisté à « deux mou-
vements distincts : d’un côté, un Mai 68 étudiant,
qui constituait la partie visible de l’iceberg,
et, de l’autre, un Mai 68 populaire – ouvriers,
employés, paysans – d’une ampleur et d’une
puissance incomparablement supérieures ».
Il y avait, d’un côté, des éléments « idéolo-
giquement structurés », quand « d’autres, au
contraire, participaient simplement de cette
contre-culture diffuse, qui était entrée dans
l’air du temps ». Pour sa part, Jean-Pierre
Le Goff insiste sur le slogan « Ne me libère
pas, je m’en charge ». « Il y avait une volonté
d’autonomie, de ne pas tout attendre de l’État. »
Pour le sociologue, « Mai 68 a permis à la
société de se débarrasser de tabous, d’un mora-
lisme étouffant sur la sexualité et le plaisir.
Cela a également été un grand moment de
libération de la parole. Le problème, c’est qu’il
n’y a pas eu d’équilibre. La critique de l’État
bureaucratique s’est muée en refus de l’État
lui-même. La critique du moralisme a mené à un
refus de toute morale et de toute interdiction ».
Le Goff ajoute néanmoins : « Contrairement
à ce qu’affirme une partie de la droite et de
l’extrême droite, Mai 68 n’est pas responsable
de tous nos maux, comme l’islamo-gauchisme
ou le communautarisme. À l’époque, la critique
reste universaliste. » Clemenceau envisageait
la Révolution française comme un bloc.
Mai 68 se présenterait peut-être comme
un empilement d’idées et de mouvements.
En voilà quatre à garder, sinon comme réfé-
rences, du moins en mémoire.
Les ouvriers, vrais pionniers
Sept millions de travailleurs vont faire
grève du 13 au 27 mai 1968, jour des accords
de Grenelle. Si on croit souvent que c’est
le mouvement étudiant qui a provoqué la
plus grande grève générale du XXe siècle,
la réalité est plus complexe. Dès le 19 jan-
vier, à Caen, un mouvement social dans
Alain Nogues / Sygma via Getty Images
les usines de la Saviem, de Sonormel et de
Jaeger préfigure ce qui arrivera quelques
MOBILISÉS Sept millions de travailleurs feront grève
durant mai 1968. Ils obtiendront une augmentation
de 35 % du salaire minimum et la création de la section
syndicale d’entreprise. Ci-contre, à l’usine Renault.
 GERMANOPRATINS Pour Jean-Pierre Le Goff, “la critique du moralisme de Mai 68 a mené à un refus de toute morale”. Ci-dessus, à g., Jean-Paul Sartre, Michel Foucault
et André Glucksmann, en 1969. VERT-ROUGE Nombre de soixante-huitards s’engageront ensuite dans des luttes écolos, comme ici, à d., aux côtés des paysans du Larzac.

mois plus tard. Les ouvriers se mettent en
grève : ils réclament l’amélioration de leurs
conditions de travail. Quelques jours plus
tard, le mouvement gagne tout le Calvados.
Mais il est même possible de remonter plus
loin, à 1963. La grève des mineurs a, rétro-
spectivement, des allures de répétition géné-
rale, cinq ans avant Mai 68. Du 1er mars au
4 avril, le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine et
le Centre, bassins miniers, sont ébranlés. Des
centaines de milliers de manifestants sont
dénombrés et la production française est
très ralentie. La grève générale de Mai 68 ne
débouche pas sur une révolution, au grand
dam de nombre de gauchistes, mais les tra-
vailleurs obtiennent de vraies avancées,
comme l’augmentation de 35 % du smig,
qui fait alors office de salaire minimum, ou la
Gérard Aimé / Gamma-Rapho via Getty Images - Alain Dejean / Sygma via Getty Images - Gamma-Keystone via Getty Images
habite la jeunesse, qui ressent une solitude
liée à la vie en ville ». Biberonnés par ces
écrits théoriques, les onze étudiants qui
composent les Enragés se rapprochent de
l’IS, avec qui ils fusionnent durant le mois
de mai 1968 afin de former les Enragés situa-
tionnistes. « Si ce sont les situationnistes qui
ont le mieux traduit l’individualisme de la jeu-
nesse, leur critique était bien trop radicale pour
aboutir à quelque chose de sérieux », prévient
néanmoins Jean-Pierre Le Goff.
Les écolos décentralisateurs
En faisant sortir la critique sociale de la
sacro-sainte lutte des classes, Mai 68 permet
aux militants de s’ouvrir à d’autres combats.
Parmi eux, l’écologie, alors portée par une
poignée d’intellectuels, comme Jacques Ellul
à la modernité. Une nouvelle vague de jeunes
chrétiens s’engagent en politique, mettant
en avant l’esprit charitable du Christ, la tolé-
rance et la doctrine sociale de l’Église, définie
quelques décennies plus tôt par le pape
Léon XIII dans l’encyclique Rerum Novarum
(1891). Ces « cathos de gauche » sont bien évi-
demment présents dans le Quartier latin en
mai 1968. Dès le mois de mars, un colloque
se tient à Paris sur le thème « Christianisme
et révolution ». Dans le communiqué final :
« Nous ne sommes pas sans savoir que cette
révolution implique une remise en cause du
christianisme dans ses formes de pensée, d’ex-
pression et d’action. » Le col romain, plus
contestataire que le col Mao ! M

création de la section syndicale d’entreprise. ou Bernard Charbonneau, aux idées proches

Les Enragés, ces créatifs
Le 6 mai, huit étudiants sont convoqués
en conseil de discipline à la Sorbonne. Parmi
eux, Daniel Cohn-Bendit, icône du célèbre
Mouvement du 22 mars, mais aussi René
Riesel, discret représentant des Enragés.
Si son nom fait référence aux sans-culottes
les plus radicaux, le groupuscule s’inspire
surtout de l’Internationale situationniste (IS)
de Guy Debord, qui joue un rôle important
dans la révolte. En 1966, l’IS est à l’origine du
« scandale de Strasbourg », avec la publica-
tion d’une brochure imprimée par l’Unef
locale et intitulée De la misère en milieu étu-
diant, véritable brûlot contre le capitalisme
et appel à la révolution. En 1967, les sorties
en librairie de la Société du spectacle, de Guy
Debord, et du Traité de savoir-vivre à l’usage
des jeunes générations, de Raoul Vaneigem,
inspirent une part non négligeable de la
jeunesse. Pour Le Goff, le deuxième ouvrage
« est celui qui a le mieux compris la rage qui
de Guy Debord et de Cornelius Castoriadis.
Certes, l’écologie est très peu présente dans
le Quartier latin, durant le mois de mai. Mais
nombre de soixante-huitards s’engagent
dans diverses luttes les années suivantes
(le Larzac), et cette pensée vert-rouge pèse
encore de tout son poids. L’idée de changer
le monde sans prendre le pouvoir vient de
ce courant. Comme le fameux « agir local,
penser global », devenu un mot d’ordre de
consultant pour remporter des marchés.
Des cathos très à gauche
Le 8 décembre 1965 s’achève le IIe concile
œcuménique du Vatican, plus connu sous
le nom de Vatican II, conduit sous la hou-
lette du pape Jean XXIII, puis de Paul VI.
Il consacre l’ouverture de l’Église catholique
COLÈRE Le 6 mai 1968, huit étudiants, dont Daniel Cohn-
Bendit, passent en conseil de discipline à la Sorbonne.
Ci-contre, un étudiant du Quartier latin face à la police.

11 au 17 avril 2024 - Marianne - 31

 Marianne DÉCRYPTE

Rétropédalage

Transgenres : la gauche
européenne en plein doute
Sommes-nous allés trop loin ? Dans plusieurs pays d’Europe, les partis qui portaient
les revendications des personnes transgenres s’interrogent, voire reculent sur la pertinence
de nouvelles lois. Explications.
32 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
 ROYAUME-UNI
Le choc de l’affaire
Isla Bryson
Le nom d’Isla Bryson sonne comme
un drame pour la gauche progressiste.
Jusqu’en 2020, cette transgenre écossaise
était connue sous le nom d’Adam. En 2019,
Adam, âgé de 27 ans, se retrouve accusé
d’avoir violé deux femmes. Dans l’attente
de son procès, il change de genre, adopte le
prénom d’Annie, puis d’Isla. En février 2023,
Isla est condamnée à huit ans de prison et
envoyée dans la prison de Cornton Vale,
réservée aux femmes. Un mois plus tard,
la presse révèle l’affaire et le scandale
éclate. Bryson sera transférée dans un éta-
blissement pour hommes. Dans la foulée,
The Times révèle que les prisons britan-
niques réservées aux femmes accueillent
six femmes transsexuelles.
Le Parti travailliste anglais est secoué.
L’auto-identification des personnes trans-
genres faisait partie de son programme
pour l’élection générale 2019. À son arrivée
à la tête du Labour en 2020, Keir Starmer
n’a pas modifié cette politique, établie lors
du mandat de son prédécesseur Jeremy
Corbyn. Au cours des années suivantes, il
montre néanmoins des signes d’infléchis-
sement. L’affaire Isla Bryson le fait basculer.
En juillet 2023, Starmer indique qu’« après
avoir eu le temps d’y réfléchir », il estime que
l’auto-identification n’est pas « la bonne solu-
tion ». « Nous voulons moderniser le processus,
nous débarrasser de certaines indignités [mais]
préserver le processus médical », précise-t-il.
En écho à l’affaire Isla Bryson, il précise :
« Il devrait y avoir des lieux sûrs, des espaces
sûrs pour les femmes. » L’onde de choc est
sévère pour un Parti travailliste divisé depuis
longtemps sur la question mais où les parti-
sans de l’auto-identification qualifient trop
allègrement leurs camarades récalcitrants
d’« anti-trans ». L’aile « progressiste » du parti
accuse Keir Starmer d’un renoncement
motivé par l’élection générale, prévue cette
année, qui devrait mener le parti au pouvoir
après quatorze ans de conservatisme. M
Tristan de Bourbon
ESPAGNE
La loi détournée
Le résultat de l’étude du Centre de
recherches sociologiques (Centro de
Investigaciones Sociológicas ou CIS) est
tombé comme un couperet fin janvier :
44 % des hommes pensent que le féminisme
va trop loin en Espagne. Et 55 % des jeunes
(16-25 ans) estiment même que les hommes
sont discriminés. Le pays, qui applique
depuis une décennie d’ambitieuses poli-
tiques en faveur des droits des femmes et
des minorités sexuelles (mariage homo-
sexuel, loi transgenre simplifiée), connaît-
il le phénomène « backlash » – un retour
de bâton contre les lois progressistes ? Un
certain féminisme, porté à la gauche de
la gauche par le parti Podemos, semble
avoir braqué une partie de la population.
Certaines lois ont suscité des débats très
houleux, comme celle sur l’identité du
genre. Adopté en 2023, le texte permet de
changer de sexe sur les registres de l’état
civil à partir de l’âge de 16 ans en faisant une
demande auprès de l’administration. Il n’est
plus nécessaire de fournir des preuves médi-
cales ni de se justifier devant un tribunal de
justice. La réforme a provoqué un schisme
au sein du féminisme espagnol. Plusieurs
associations ont mis en garde contre un
« effacement juridique du sexe biologique »
et redoutent un usage frauduleux de la loi.
Ce qu’ont illustré une quarantaine de mili-
taires en demandant un changement de
genre pour bénéficier de certains avantages
réservés aux femmes au sein des forces
armées (chambre individuelle avec salle
de bains, augmentation de la solde de 15 %,
droit à porter les cheveux plus longs). Si
une majorité de la population espagnole a
condamné cette démarche provocatrice,
il reste que 65 % des Espagnols, selon une
enquête de l’institut de sondage Sigma Dos,
jugent « problématique » le droit à la libre
autodétermination de genre. M Diane Cambon
SUÈDE
Les féministes
freinent
Cinquante-deux ans après avoir été
pionnier, avec la loi de 1972 permettant
à tout citoyen de changer de sexe à l’état
civil, le pays voit ses féministes s’opposer
aujourd’hui à la modernisation de ce texte.
Elles ont posé leur veto contre le projet
présenté par les conservateurs et les libé-
raux, tout comme l’extrême droite et les
chrétiens-démocrates, mais pour des rai-
sons fort différentes. Le grief ? Que cette
nouvelle loi visant à alléger les démarches
à effectuer entraîne des conséquences néga-
tives sur les droits des filles et des femmes.
Jusqu’à présent, la procédure, réservée aux
seuls majeurs, consistait à obtenir le dia-
gnostic de dysphorie de genre après une
évaluation psychologique. Ce qui ouvrait
ensuite la voie à une opération chirurgi-
cale. La nouvelle loi prévoit de donner plus
de place à l’autodétermination et autori-
sera à changer juridiquement de sexe dès
l’âge de 16 ans, avec l’accord des parents. Or
depuis quelques années, en Suède comme
ailleurs, on constate un nombre croissant de
cas de jeunes personnes regrettant d’avoir
franchi le pas. Dans le Monde du 29 mars,
Clara Berglund, secrétaire générale de la
Fédération des organisations de femmes,
qui regroupe une cinquantaine d’associa-
tions, résumait la situation : « Les connais-
sances sur ce sujet sont en train d’évoluer et
nous aurions besoin de faire une pause pour
en analyser les conséquences. » Le quotidien
précise que ces remords touchent particu-
lièrement les jeunes femmes. Ainsi, de 2007
à 2017, le nombre d’adolescentes de 13 à
17 ans suivies pour une dysphorie de genre
a augmenté de 2 300 % en Suède, passant
de 31 à 727 cas. Dans le même temps, des
études affirment qu’une majorité de ces
ados souffrirait d’autisme et de troubles de
l’attention. Depuis 2021, les principaux hôpi-
taux de Suède ont déjà revu leur protocole
et donnent moins facilement d’hormones
aux mineurs. M Stéphane Aubouard
FRANCE
Cette gauche qui
veut aller plus loin
Jusqu’en 2016, le changement d’état civil
n’était possible qu’après une opération
chirurgicale. Mais la loi de modernisation
de la justice du XXIe siècle, alors votée, dis-
pose que « toute personne majeure ou mineure
émancipée qui démontre par une réunion suf-
fisante de faits que la mention relative à son
sexe dans les actes de l’état civil ne correspond
pas à celui dans lequel elle se présente et dans
lequel elle est connue peut en obtenir la modi-
fication ». En clair, il est possible d’adopter
légalement un autre genre à condition de
prouver qu’on est bien identifié sous celui-
ci. Une partie de la gauche juge pourtant ces
dispositions « discriminatoires ». Le 2 avril,
la sénatrice EELV Mélanie Vogel a déposé
une proposition de loi pour faciliter le chan-
gement d’état civil des transgenres à partir
de l’âge de 15 ans. Une simple déclaration
auprès d’un officier de l’état civil suffirait.
Pendant la dernière campagne présiden-
tielle, Jean-Luc Mélenchon allait dans le
même sens, déclarant que « les libertés fon-
damentales de la personne humaine [devaient]
être dans la Constitution ». Il estimait alors
qu’il devrait être possible de changer de
genre par « simple déclaration administra-
tive », comme en Argentine ou en Uruguay.
En face, la droite est évidemment opposée
à une telle réforme. En mars, un groupe de
travail de sénateurs LR a remis un rapport
sur la transidentité, proposant notamment
d’interdire la transition médicale avant l’âge
de 18 ans. M Kévin Boucaud-Victoire
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 33
 À LA VOLÉE
SENS DESSUS DESSOUS
34 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
par Jack Dion
La grande peur
des fous de l’Otan
n spectre hante l’Europe : le défai-
U tisme. Des esprits taraudés par la peur
voient déjà les chars russes pousser
leur offensive jusqu’aux Champs-
Élysées, après avoir conquis Kiev, pen-
dant que des Américains isolationnistes se
calfeutreraient dans leur pré carré, encoura-
gés par un Donald Trump empressé de jeter
l’Otan à la ferraille après son retour à la Mai-
son-Blanche. Pas de panique, amis nostal-
giques de l’atlantisme tout-puissant. Aucun
dirigeant américain ne propose de claquer
la porte de l’Otan, pas même le candidat
républicain. Ce dernier exige seulement
de ses alliés (qui sont d’abord ses sujets)
de passer à la caisse et de verser une obole
plus conséquente pour contribuer à l’effort
de guerre potentiel, ni plus ni moins. Bref,
l’Otan a de beaux jours devant elle.
De toute façon, il faut savoir raison garder.
Quelles que soient les arrière-pensées de
Vladimir Poutine, il n’est nullement en son
pouvoir d’aller au-delà d’une certaine limite.
par Jérémie Peltier
Pas le même maillot,
ni les mêmes emmerdes
e petit arbitre de foot est bien dans
L la merde en ce moment. Si vous
lisez parfois la presse sportive, vous
avez noté que ça chauffait sévère en
haut lieu. On veut se faire les arbitres,
qu’on juge trop bidon, trop faibles, trop
sévères, trop tout. Sans prédire la fin de
l’histoire, et quand bien même c’est évi-
demment toujours à cause de l’arbitre que
mon équipe favorite a paumé injustement
tous ses matchs importants ces dix der-
nières années, je me dis qu’ils sont déjà bien
sympas d’accepter de jouer encore ce rôle
ingrat. Car il faut se rendre à l’évidence :
dans quelques années, plus personne ne
voudra exercer ce job de con.
Et le pire, j’ai envie de dire, c’est dans
le foot amateur. Car chez les pros, encore,
il y a des témoins, des images, du son, ils
ne sont pas dans une solitude absolue. Bon,
cela dit, les millions de regards portés sur
eux le temps d’un match peuvent aussi
avoir quelques conséquences : en 2023, à
Quand bien même y songerait-il, la Russie
n’a pas les moyens d’une offensive tous
azimuts, d’autant qu’elle se trouverait
rapidement en conflit ouvert avec un pays
membre de l’alliance militaire, ce qui
ouvrirait la voie à un affrontement généralisé
dont elle n’aurait aucune chance de sortir
gagnante. Ne fantasmons pas. À tort ou à
raison, la Russie est obsédée par ses
frontières, et rien ne peut laisser imaginer
qu’elle veuille mettre l’Europe à genoux pour
installer un ordre poutinesque allant de
Brest à Vladivostok.
En matière d’expansion armée,
certains devraient balayer devant leur
porte. Officiellement, les États-Unis
disposent de près de 870 bases militaires
réparties aux quatre coins du monde,
contre moins d’une vingtaine pour la
Russie et une seule pour la Chine (Djibouti).
Voilà qui remet les pendules guerrières à
l’heure. S’il y a un impérialisme qui n’a pas
baissé pavillon dans le monde, c’est bien
l’aéroport de Budapest, l’arbitre de la finale
de la Ligue Europa entre Rome et Séville
(victoire de Séville aux tirs au but) avait
dû être escorté par la police hors de la salle
d’embarquement alors que des « sup-
porteurs » romains lui balançaient (ainsi
qu’à sa fille et à sa femme) plusieurs
sortes de projectiles, telles des tables et
des chaises.
Malgré cela, les arbitres pros risquent
moins de se faire tabasser à l’abri des
regards, contrairement aux petits arbitres
qui voyagent chaque dimanche dans des
contrées aux terrains cabossés pour
quelques clopinettes, une bière premier
prix et un sandwich au pâté dégueulasse
consommés dans un vestiaire sans eau
chaude et qui sent la pisse. Car ce qu’il faut
savoir, en ce moment, c’est que nos arbitres
amateurs se font dégommer presque tous
les week-ends, dans notre cher pays, par les
joueurs, les « éducateurs » et les gentils
poivrots de la buvette.

celui de la bannière étoilée. Certes, il est
contesté économiquement par la Chine,
mais, sur plan militaire, il n’y a pas photo,
même si l’empire du Milieu va de l’avant
à marche forcée.
Il importe donc de ne pas se laisser
envoûter par ceux qui voient la main de
Poutine partout et dénoncent en perma-
nence les risques d’un embrasement géné-
ral, toujours possible, moins par volonté
d’expansion russe que par les périls nés
d’un affrontement en plein cœur de l’Eu-
rope, à l’initiative d’une Russie se considé-
rant menacée d’encerclement. On peut tou-
jours se moquer d’une telle crainte, même
si le désir d’enrôler l’Ukraine dans l’Otan
est documenté et difficilement contes-
table. Ce n’est pas un détail. On imagine la
réaction de Washington si la Russie allait
installer des bases militaires au Canada,
ou si des navires de guerre chinois osaient
s’aventurer dans le détroit de Floride, entre
Cuba et les côtes américaines. Il n’est pas
sûr que les États-Unis y verraient la preuve
d’une simple concurrence sur le marché
des croisières. Comme quoi les bonnes
raisons des uns ne sont pas forcément
celles des autres. M
Résultat : dans l’époque de la déglingue,
et pour cesser d’être dans l’anonymat, des
arbitres sont désormais équipés de caméras
GoPro. Le district de la Loire teste cela
depuis 2017, le district de Moselle depuis 2019,
et celui du Grand Vaucluse depuis peu.
D’ailleurs, petite parenthèse, quand on y
réfléchit, peut-être que tout finira de toute
façon comme cela : un jour, les profs auront
eux aussi une GoPro sur le torse afin de
prouver ce qu’ils disent, les insultes reçues
et les crachats évités en classe. Pour les
arbitres, le résultat de cette ambiance très
agréable (qui ne touche pas que le football
d’ailleurs, mais aussi le rugby amateur), c’est
qu’il n’y en aura bientôt plus assez. On finira
donc par jouer sans arbitre comme on finira
par accoucher sans sage-femme.
« On n’a pas le même maillot, mais on a
la même passion. » Ce slogan un peu con, il
faut bien le dire, mais qui restait dans la tête
de tous les amateurs du « Téléfoot » d’antan,
risque bien d’être obsolète dans quelque
temps. Les petits arbitres n’ont toujours pas
le même maillot, et n’ont surtout plus la
même passion pour finir à l’hosto. M
Retrouvez la chronique de Jérémie Peltier en alternance
avec celle de Christophe Guilluy.
Au laser par Chloé Morin
Ils veulent attraper
le “Pompon”
es Trente Glorieuses pourraient-
L elles un jour faire leur retour ?
Tout le monde en rêve ! La France
inquiète, la France en panne, la
France qui doute se pose inlas-
sablement la question. Face à la frac-
turation de la société, face à la dette
abyssale, face à la menace de guerre,
la célébration des 50 ans de la mort
de Georges Pompidou nous rappelle
une nation pleinement consciente de
ce qu’elle était capable de faire.
David Lisnard, tenant d’une droite
qui refuse la radicalité et qui cherche à
résister aux assauts du Rassemblement
national, célèbre ce grand président un
peu méconnu dans un récent ouvrage
coécrit avec Christophe Tardieu. Il nous
rappelle cette citation de Pompidou :
« Gouverner, c’est décider, et décider,
c’est choisir. […] On ne gouverne pas
avec des “mais”. » Ce président-là aura
incarné une forme de modernité et une
capacité à réformer effectivement le
pays pour le projeter dans l’avenir :
industrie, éducation, culture, armée,
rayonnement à l’étranger…
La France de « Pompon » est celle
des gens heureux. Une France conqué-
rante, celle de Vasarely et du Concorde.
Une France sans chômage, en plein
développement dans tous les secteurs
d’avenir : électronique, informatique,
nucléaire, aéronautique, espace… C’est
celle de la croissance, d’une société
consumériste, avec ses hypermarchés
et le développement du tout-automo-
bile. C’est celle des trois chaînes de
télé, avec l’arrivée de la couleur, une
vraie révolution ! Les détracteurs de
Pompidou évoquent plutôt la béto-
nisation du pays. Mais la tendance
était alors mondiale… Cette France en
plein essor, dans la foulée du général
de Gaulle – dont Georges Pompidou
aura été le Premier ministre pendant
six ans –, s’épanouissait au cœur de la
guerre froide. Le natif de Montboudif,
dans le Cantal, terrien et urbain, grand
bâtisseur, féru de littérature et d’art
contemporain, savait se montrer tout
à la fois décidé et complexe.
Ce qui est frustrant avec cette célé-
bration, c’est que nous en sommes
réduits à revisiter une histoire glorieuse
pour mieux faire le constat de notre
impuissance. Emmanuel Macron pré-
férerait sans doute qu’on le compare
à Pompidou, qui a réussi à transformer
la France, plutôt qu’à un Giscard, qui a
incarné le renouveau de la vie politique
mais a fini sous les quolibets. Quant à la
droite, qui ne cesse de dériver vers son
bord extrême, elle rêve de retrouver cet
élan directement hérité d’un gaullisme,
revendiqué aussi aujourd’hui par les res-
ponsables du RN. La confusion règne.
Quel responsable politique actuel
répondrait à une interpellation du
journaliste Jean-Michel Royer sur le
suicide de Gabrielle Russier par un
poème d’Éluard ? Qui porte encore une
vision de long terme, résiste à l’air du
temps, autant au consumérisme débridé
qu’à la polarisation délirante du paysage
médiatique ? Il faut évidemment se
garder de l’idéalisation d’un passé aux
couleurs sépia. Mais à l’heure d’un
abaissement généralisé du débat public,
d’un court-termisme du personnel
politique qui confine à la cécité, il est
bon de revenir à ce que nous avons été
pour reprendre confiance en ce que
nous pouvons encore être demain. M
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 35
 Marianne VOUS RAFRAÎCHIT LA MÉMOIRE
Seconde jeunesse ?
MJC, la maison
de Sartre
et de Lavilliers
POURQUOI ON EN PARLE La ministre de la Culture
Rachida Dati entend rendre les MJC éligibles
au “pass Culture”, histoire de réhabiliter ces institutions
créées à la Libération, si utiles à la cohésion sociale
et pourtant délaissées. Par Audrey Levy
n 1906, lorsque Catherine Descroix,
E jeune étudiante, s’installe au 6, rue
Mouffetard, à Paris (Ve), le quartier est
insalubre, dévasté par la misère. Sur
le fronton de l’église Saint-Médard, on
peut lire cette maxime édictée par Louis XV :
« De par le Roi, défense à Dieu de faire miracle
en ces lieux ». Catholique pratiquante,
Catherine mettra fin à la malédiction, arrê-
tant ses études pour créer l’association Chez
nous. Son ambition ? Sortir les habitants du
quartier de la détresse. Vaste programme !
À cette époque, elle était loin d’imaginer
qu’elle serait à l’origine d’un réseau composé
de 1 800 maisons (1 000 aujourd’hui) qui per-
durerait, connu sous le nom de Maisons de la
jeunesse et de la culture (MJC). Elle s’affiliera
au Sillon, le mouvement issu du catholicisme
social de Marc Sangnier, dont elle partage
le mantra : Se conduire en parfaits chrétiens
et démocrates pour le bien du Christ et le bien
du peuple. Sa priorité : épargner à de jeunes
provinciales de sombrer dans la perdition à
Paris, et mettre en place une action sociale
en relogeant décemment les ouvriers.
S’appuyant sur les bénéfices liés à la vente
de chaussures fournies par une coopérative,
elle créera une bibliothèque et une chorale,
organisant des sorties « caravanes ».
Après la Première Guerre mondiale,
deux de ses collègues, responsables des
Éclaireurs de France, reprendront le flam-
beau, installant l’activité au 76, rue Mouffe-
tard, où ils créeront un cinéma, un bar « anti-
alcoolique », une caisse de solidarité pour
les familles démunies et dont on emmène
les enfants en colo. « Dans cette Maison pour
tous s’agrégeront des volontaires qui y prati-
queront une laïcité ouverte, jetant les bases de
l’éducation populaire », détaille Patrick Chenu,
directeur général des MJC de France. Sombre
période sous l’Occupation, où ces Maisons
seront utilisées par le régime de Vichy pour
encadrer les jeunes, avec la création de chan-
tiers de jeunesse et d’écoles de cadres. Reste
que, la nuit, une autre mission habite cer-
taines « maisons » : soutenir la Résistance.
À Romans-sur-Isère, leur chef, Paul Jansen,
a entraîné des jeunes dans le maquis du
Vercors, tandis qu’à Lyon le député SFIO
POPULAIRE La poétesse Minou Drouet,
sur la scène de la MJC de Verdun, en 1970.
André Philip, qui avait rejoint de Gaulle à
Londres, a fédéré, autour de la République
des jeunes, créée en 1944, les mouvements
de la jeunesse qui « alimenteront les réseaux
clandestins du plateau des Glières », précise
Frédéric Prelle, président de la confédération
régionale des MJC en Rhône-Alpes.
De tous les combats
À la Libération, c’est à ce résistant que le
Gouvernement provisoire confiera la mis-
sion d’émanciper les jeunes par la culture :
les maisons seront rebaptisées « MJC », ré-
unies au sein d’une Fédération française
créée en 1948. S’y retrouveront des humo-
ristes, comme Raymond Devos, des intel-
lectuels, tels que Jean-Paul Sartre et Simone
de Beauvoir, des artistes qui y réaliseront
leurs premiers pas, de Laurent Voulzy à Ber-
nard Lavilliers. Ce n’est qu’à partir de 1959
qu’elles connaîtront leur heure de gloire.
L’époque est tourmentée : des rixes ont écla-
té dans le pays, perpétrées par des bandes
de jeunes, les « blousons noirs », qui font fré-
mir le gouvernement. Pour éteindre l’incen-
die, de Gaulle nommera l’alpiniste Maurice
Herzog secrétaire d’État à la Jeunesse et aux
Sports, et lancera un grand plan pour le bâti
prévoyant la construction de Maisons des
jeunes : on en édifiera 695, entre 1962 et 1965.
Les MJC prendront part aux grands com-
Roger-Viollet
bats de leur époque : mobilisées pendant la
guerre d’Algérie, « elles accompagneront les

nouveaux arrivants dans les quartiers HLM,
comme La Duchère, à Lyon », détaille Frédéric
Prelle. Elles s’empareront aussi des droits
des femmes, militant pour l’avortement.
« S’inspirant des MJC, où le droit de vote est fixé
à 16 ans, Giscard abaissera l’âge de la majorité
à 18 ans en 1974 », poursuit-il. Considérées
comme trop à gauche par Pompidou, « elles
payeront leur participation pourtant modérée
aux événements de Mai 68 », explique Patrick
Chenu. Le ministre François Missoffe, qui
a remplacé Herzog, est catégorique : c’est
« un repaire de communistes » qu’il faut dé-
manteler. Lâchées par l’État, un tiers des
MJC quitteront la Fédération française pour
créer l’Union des fédérations régionales des
Maisons des jeunes et de la culture. Plus
ancrées dans les régions, elles dépendront
néanmoins des budgets alloués par les col-
lectivités et de l’alternance des équipes
municipales. Le sursaut impulsé dans les
années 1980 par le Premier ministre Pierre
Mauroy, qui a fait de la démocratisation des
loisirs une priorité, puis par Jack Lang, leur
Photopress Archiv / Keystone / Bridgeman Images
défenseur à la Culture, sera de courte du-
rée. Avec la récession des années 1990, elles
devront faire face aux restrictions budgé-
taires et à une réorientation des politiques
publiques. « La Fédération française des MJC
a été placée en liquidation judiciaire, mais nous
les avons réunifiées en créant les MJC de France
en 2022 », se réjouit Patrick Chenu. Un nou-
veau chapitre est en train de s’écrire. M
Le classique à (re)découvrir
“LA MONTAGNE MAGIQUE”
DE THOMAS MANN
À qui le pouvoir
dans une
société malade ?
C’est à Davos, dans les Alpes suisses, que se concertent
chaque année les maîtres du monde, les élites du
milieu des affaires et de la finance. Or, ironie de l’Histoire,
c’est dans cette même ville, réputée jadis pour traiter les
maladies pulmonaires, que Thomas Mann plante le décor
de son roman la Montagne magique. L’oisiveté et la mort
rôdent chez les pensionnaires de ce sanatorium de luxe
pour lesquels des médecins, mi-prophètes, mi-analystes,
n’assurent en réalité aucun soin, la condamnation des
premiers étant la condition de la rétribution financière des
seconds. Petit marché crapuleux où le but des soignants
est moins de guérir le malade que de le retenir. La clé
de cette rouerie ? L’apathie et la docilité des pensionnaires
à accepter leur destin de malade. Les divertissements
étant alors les seuls palliatifs pour conjurer la mort.
PARRAINAGE Dans notre époque qui manque d’espérance, et
À l’origine affiliées au face au désarroi, à la vacuité qui semblent habiter nos
Sillon, le mouvement
issu du catholicisme sociétés et nos vies, serions-nous devenus ces malades
social de Marc apathiques, insouciants, ou résignés ? Et les charlatans,
Sangnier, les MJC les démagogues, seraient-ils nos seuls mentors ?
restent aujourd’hui Pourtant, au sein de cette communauté d’ectoplasmes,
un moyen d’accès
à la culture pour surgissent deux pédagogues qui laissent entrevoir
22 millions de une thérapie possible aux maux de ce monde. Settembrini,
Français en zone le républicain, homme des Lumières, du progrès,
rurale. Ci-dessus, de l’action, confiant dans le développement de la société
une réunion
du Sillon, vers 1910. capitaliste. Naphta, le jésuite, agitateur dangereux,
fanatique ascétique, qui prône un marxisme radical,
autoritariste. Auquel des deux l’Histoire va-t-elle
donner raison, alors que, comme dans le roman, le bruit
des bottes se fait entendre ? M Isabelle Vogtensperger
La Montagne magique, de Thomas Mann, Le Livre de poche,
nouvelle traduction de Claire de Oliviera, 1 176 p., 12,90 €.
PROPHÉTIQUE Thomas Mann, à Erlenbach (Suisse), en 1954.
11 au 17 avril 2024- Marianne - 37
 LE CONTRE-AGENDA
CULTURE
BANDE DESSINÉE Vous nous suivez ?
“La Route”, enfin une adaptation
de roman réussie !
«L’
adaptation est un acte
d’amour ! », déclarait
l’écrivain Daniel Picouly,
parrain de la collection
« Les grands classiques
de la littérature en bande dessinée »
chez Glénat, lors de son lancement en
2017. Un acte qui inspire, parfois – sou-
vent, même ! – une forme d’aversion,
tant l’exercice se révèle casse-gueule.
Sur les 1 102 adaptations d’œuvres
parues à ce jour en France, des récits
d’Homère aux romans d’Émile
Zola, en passant par ceux d’Albert
Camus et même par les poésies de
La Fontaine, on compte chichement,
sur les doigts des deux mains, celles
qui sont parvenues à émerger de la
masse. Indubitablement, la Route, de
Manu Larcenet, déclinaison virtuose
38 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
Par Myriam Perfetti
du roman postapocalyptique (aux
2 millions d’exemplaires vendus dans
le monde) de Cormac McCarthy, prix
Pulitzer 2007, en fait partie. Larcenet
s’empare même de la Route bien plus
qu’il ne l’adapte – un peu comme
Aretha Franklin avait estomaqué Otis
Redding en reprenant son tubesque
Respect – « Cette fille a pris ma chanson
et l’a emmenée plus loin que moi ! » Bien
que fidèle à la noirceur du récit ori-
ginel, qui voit un père et son fils ten-
ter de survivre dans une Amérique
dévastée, recouverte de cendres
froides, hantée par des hordes de
cannibales dénués de la moindre
humanité et quelques âmes errantes,
l’œuvre de Larcenet est originale en
soi. Une véritable claque visuelle !
De celles qui laissent des traces. À des
années-lumière de l’attendue et fade
version cinématographique sortie en
2009, avec Viggo Mortensen dans le
rôle principal, Larcenet a réussi le tour
de force de traduire graphiquement le
style déroutant, épuré, avare en ponc-
tuation et en dialogues de McCarthy.
Mieux, avec ces cases muettes aux
traits hachurés dans lesquelles les
protagonistes anonymes, « l’homme »
et « le petit », luttent contre le froid, la
faim, la peur, il illustre les vides et les
silences laissés à dessein par l’auteur
de la Trilogie des confins.
Un grand exercice de style
La couleur et les sons ont disparu
de ce monde d’après radical : Larce-
net, de son puissant trait réaliste,
se concentre dès lors sur les décors
squelettiques, véritables sépultures
du grand cimetière américain. Et
se focalise sur les regards échangés
entre le père et le fils, seules traces
de mansuétude dans ce chaos aux re-
lents de tragédie antique. Depuis que
Gotlib lui a ouvert les colonnes de
Fluide glacial, en 1994, Manu Larce-
net ne cesse d’étonner. Et d’emprun-
ter tous les styles : cartoonesque (le
Combat ordinaire), minimaliste et
expressif (le Retour à la Terre), hal-
lucinogène, aquarelles et dessins
d’enfants colorés (Blast), réaliste et
inconfortable, à l’encre de Chine
(le Rapport de Brodeck, sa première
adaptation d’une œuvre littéraire,
de Philippe Claudel en l’occurrence),
et en niveaux de gris colorés pour
cette Route métaphysique. Décédé le
13 juin 2023, Cormac McCarthy n’au-
ra pas eu le temps de se plonger dans
les superbes cases grisâtres de Larce-
net. Mais on est certain qu’il aurait
donné son imprimatur à cette vision
La Route, d’après magistrale. Alors, même si vous n’ai-
Cormac McCarthy, mez pas les adaptations littéraires en
de Manu Larcenet,
Dargaud, 160 p., BD, cette fois, allez-y les yeux fermés
28,50 €. – ou plutôt grands ouverts. M
DR
 Courez-y !
ÉDITION LITTÉRAIRE Aujourd’hui,
le temps de « survie » des livres disposés
sur les tables de vos librairies est de plus
en plus réduit, une
actu chassant l’autre.
Raison de plus pour
ne pas manquer
le bouleversant Nous
n’avons pas peur.
Le courage des
femmes iraniennes,
publié par les Éditions du Faubourg.
L’actrice Golshifteh Farahani fait partie
des 16 femmes qui y témoignent
de leur lutte pour la liberté en Iran.
ÉVÉNEMENT (ÉPHÉMÈRE) Le 20 avril,
pour le désormais rituel Disquaire Day,
le musée des Arts et Métiers (Paris) organise
une journée consacrée à l’histoire du son,
du gramophone jusqu’au MP3 aujourd’hui
triomphant. Exposition, rencontres et
conférences – notamment une consacrée
à l’histoire de la cassette audio.
STAND-UP Avec Boys Boys Boys, son
dernier spectacle disponible sur Canal+,
Florence Foresti offusquera les offusqués
permanents. Les autres se bidonneront.
Quinqua à qui on ne la raconte pas en
matière d’égalité des droits, l’humoriste
sort la sulfateuse contre les
néoféministes et tourne en
dérision les revendications
« progressistes » dans
l’air du temps (pubs
inclusives, bannissement du
« mademoiselle » ou de la
« galanterie »…). Ce qui ne
l’empêche pas de pilonner le
vrai patriarcat, depuis l’âge des cavernes
jusqu’à nos jours, en s’acquittant du quota
bien dosé contre les culs-bénits de tous
bords. Pour finir, elle rappelle que la vraie
domination est une question d’argent, et
non de genre. Et quand c’est Foresti qui le
dit, c’est (très) drôle.
MUSIQUE En 1984, le très inventif
groupe américain Talking Heads
frappait deux fois très fort : d’abord en
rassemblant ses meilleures chansons sur
le disque live Stop Making Sense ; puis en
confiant au cinéaste Jonathan Demme
la réalisation d’un film saisissant, sur
scène (à Los Angeles), ce moment
Canal+ - Thomas Jean Henri
THÉÂTRE Fuyez !
Carton plein dans le camp du bien
La Française des jeux devrait inventer seule actrice sur le plateau. Et puis,
un jeu à gratter avec tous les poncifs pour réduire l’impact environnemental
niais et épuisants de l’époque, et celui dudit microspectacle, il n’y aura pas de
ou celle qui récolterait le ticket gagnant tournée. Parce que la voiture, le camion,
décrocherait le droit d’en faire une pièce le train, c’est mal. En revanche, et cela
de théâtre – subventionnée, cela va de fait partie du projet artistique, d’autres
soi. Une récente production créée dans « vivant.e.s », en France ou à l’étranger,
le cadre de la Maison de la culture 93, pourront adapter le texte, à condition
à Bobigny (lieu par ailleurs tout à fait que l’actrice seule en scène soit une
estimable), vient de nous fournir un femme n’appartenant pas à la majorité
exemple de ce que cela pourrait donner. visible du territoire fournissant la scène
L’objet s’intitule Une pièce pour de théâtre (et la bougie). Carton plein
les vivant.e.s en temps d’extinction. De au niveau des cases inclusives à gratter !
quoi s’agit-il ? D’un texte (de l’Américaine Et tout ça dans le confort presque
Miranda Rose Hall) mis en scène bourgeois de la salle Christian-Bourgois,
en 2021, lors d’une résidence en Suisse, dotée de 128 fauteuils bien douillets
par l’Anglaise Katie Mitchell. Son propos : – qu’idéalement, il aurait fallu remplacer
le monde va mal ; on va tous mourir ; par des tabourets biodégradables en
d’ailleurs ça n’est pas la première fois, chanvre du Limousin… Mais ça coûtait
puisque des extinctions, il y en a déjà trop cher ? Emmanuel Tellier
eu plein ; alors on va en faire une pièce,
mais sans électricité, donc en s’éclairant Une pièce pour les vivant.e.s en temps
d’extinction, bientôt près de chez vous, si vous
à la bougie (coucou Molière) – parce avez un théâtre, une comédienne correspondant aux
que le nucléaire, c’est mal – et avec une critères énoncés… et une bougie.
Ne passez pas à côté
MUSIQUE
Il y a de la lumière
dans cette Cabane !
Que pourrait être une « folk
du Vieux Continent », une
musique à son aise dans des
habits dépouillés et apatrides
(instruments acoustiques et voix
au naturel), mais aussi solidement
ancrée dans le sol, bien connectée
à ses racines ? Avec Brûlée, le
citoyen belge Thomas Jean Henri,
alias Cabane, apporte sa réponse
personnelle à cette question.
Cette musique des sous-bois,
il l’a, comme beaucoup, découverte
et aimée à travers les disques du
terroir nord-américain, ceux de Neil
Young et de ses héritiers successifs
(Palace Brothers, Vic Chesnutt,
Bill Callahan)… Mais, disque

de grâce dans leur carrière. Quarante ans
plus tard, plusieurs artistes signent
un très réussi Tribute to Stop Making
Sense. On y entend notamment Lorde,
Paramore, Miley Cyrus et The National.
après disque, l’ancien batteur du
groupe Venus imprime une marque
européenne à l’exercice : une forme
d’urgence, une concision, et une
certaine appétence pour le gris
postindustriel, préféré au
vert pastoral habituellement
chanté par les folkeux. Et si
la Wallonie était aussi inspirante
que la Pennsylvanie ? E.T.
Brûlée, de Cabane,
disponible en vinyle, CD,
et sur les plates-formes.
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 39
 C’EST SON COMBAT

Je veux que ma
page Facebook
perde de
son utilité”
Élodie Goupil ne roule pas sur l’or. Au départ,
la page Facebook qu’elle a créée en 2020 était
destinée aux amateurs de troc en tout genre.
Mais les internautes l’utilisent désormais
pour trouver de quoi manger. Un baromètre
PROFESSION : EN INVALIDITÉ ÂGE : 39 ANS VILLE : VIMARTIN-SUR-ORTHE (MAYENNE) de la détresse sociale. Par Jean-Luc Rébaulo

L
e « succès » de sa page Facebook, créée
il y a quatre ans, n’était pas prévu.
« J’ai lancé ça pour m’occuper car je n’avais
plus de travail en raison de ma sclérose
en plaques, rembobine Élodie Goupil.
C’est parti doucement, et là, on est arrivés sur
quelque chose d’énorme. » Au commencement,
« Je ne jette pas, je donne ou je troc » n’était
qu’une initiative parmi des milliers d’autres
sur la Toile pour permettre à chacun d’échan-
ger gratuitement des objets. Ou de proposer
un petit service contre un peu de liquide.
Rien de bien original dans un pays où, dès
le printemps, les vide-greniers fleurissent à
chaque coin de rue. Peu à peu, le nombre de
membres s’est accru. Ils sont à présent plus
de 10 600, vivant exclusivement en Mayenne
(305 000 habitants). Pourtant, l’adminis-
tratrice, habitante de Vimartin-sur-Orthe,
est plus amère que satisfaite. Car les intitulés
des nouvelles annonces en disent plus sur la
détresse sociale du moment que n’importe
quel sondage d’opinion.
« Je troque une commode contre de la farine »,
et j’en ai une cinquantaine par jour ! Pire, beau-
coup sont postés par des retraités ou des gens qui
travaillent mais dont le salaire ne suffit plus. »
Des messages qu’il faut relire, corriger si
besoin et publier au plus vite car ces tran-
sactions constituent bien souvent l’ultime
recours pour récupérer des denrées de pre-
mière nécessité – dont du lait infantile, l’un
des biens le plus recherchés. Un comble dans
ce département qui abrite le siège social du
géant mondial Lactalis !
Une vie à l’euro près
« Une fois que la maison est vide, qu’il n’y a
plus rien à échanger, comment font les gens ? »,
s’inquiète Élodie Goupil. Elle sait de quoi
elle parle : en invalidité, cette secrétaire
de formation ne vit que grâce à une petite
allocation versée par la Sécurité sociale
tandis que son compagnon, lui, enchaîne
les missions en intérim. Autant dire que
chez ces futurs parents d’un bébé à naître
en juin, la vie se déroule aussi à l’euro près.
Malgré (ou forte de) cela, elle continue, avec
l’aide de son amie Mélanie, d’assumer béné-
volement cette charge très chronophage
d’administratrice. Elle ne serait pas contre,
du reste, que des volontaires (ou des col-
lectivités) se manifestent pour soulager
un peu le duo. D’autant que les prochains
mois s’annoncent compliqués, eu égard à la
réforme de l’assurance chômage susceptible
d’accroître encore la précarité. D’ailleurs,
cette page Facebook est devenue un vrai
baromètre des secousses sociales et éco-
nomiques de la France, avec une courbe de
fréquentation qui fluctue selon l’inflation ou
les annonces gouvernementales. « Dès qu’une
aide baisse ou que les prix augmentent, comme
ceux du gaz, de l’électricité ou de l’essence, les
adhésions explosent, et ce n’est visiblement pas
près de s’arrêter. »
Dans un monde idéal, la Mayennaise fer-
merait volontiers sa page Facebook, comme
Coluche l’avait formulé en 1985 en lançant ses
Restos du cœur. Ça ne durerait qu’un temps,
prédisait-il alors en substance. Quatre décen-
nies plus tard, on y est toujours. M
Arnaud Roiné pour “Marianne”

lit-on ici. « J’échange des assiettes contre des

boîtes de conserve », repère-t-on juste en des-
sous quand, plus loin, on offre « du maquillage “Dès que les prix augmentent, comme ceux
contre un gros paquet de spaghettis ». Élodie
Goupil n’en revient pas : « Plus de 90 % des
de l’électricité ou de l’essence, les adhésions
messages, désormais, c’est pour de l’alimentaire, explosent. Et ce n’est pas près de s’arrêter.”
40 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
 LE POING SUR LA TABLE
Triomphe du grignotage et des sodas sucrés
Malbouffe, mon beau miroir…
On croyait le consommateur alerté contre les dangers d’une mauvaise
alimentation et les addictions néfastes, mais le fléau ne recule pas,
au contraire. Tant que la classe politique n’en fera pas un enjeu
national, la France continuera à creuser sa tombe avec les dents.
e bien tristes statistiques viennent
D ternir l’espoir d’un sursaut massif
des consciences en matière de mal-
bouffe. Selon une étude de l’institut
NielsenIQ publiée en partenariat avec
nos confrères de 60 millions et portant sur
les comportements alimentaires en 2023, on
apprend que 25 % des Français ne cuisinent
jamais tandis que le grignotage, qui pro-
gresse de 3 points en deux ans, et les boissons
sucrées rencontrent un engouement sans
précédent. Ces chiffres complètent, dans
un sens opposé, une précédente enquête
révélant que 60 % des Français considèrent
que « consommer responsable », par le choix
de produits durables, est une attitude impor-
tante pour l’avenir de la société, 24 % affir-
mant même qu’il s’agit d’une priorité, avec
une prédisposition pour l’achat local.
Parallèlement, 79 % des consomma-
teurs déclarent accorder de l’importance
à la nutrition et 50 % ajoutent
tenir compte du Nutri-
Score lors de l’achat d’un
produit. Résultats contra-
dictoires ? Pas vraiment, mais
constat d’une fracture socio-
alimentaire entre ceux qui
ont intégré, peu ou prou,
l’urgence à mieux penser
le contenu de leur assiette et
ceux, par ignorance, insouciance,
par Périco Légasse
laisser-aller ou, à ne pas écarter, manque de
moyens, qui le négligent.
L’inquiétude suscitée par cette étude
porte sur le comportement des nouvelles
générations, visiblement plus exposées
que les autres aux offensives de l’industrie
agroalimentaire et de sa complice la grande
distribution. Jouant sur un certain besoin
de « jouir sans entraves » à l’issue de la pan-
démie de Covid et des confinements inhé-
rents, les forces du consumérisme sociétal
instillèrent l’idée que l’on pouvait retrouver
le goût de la liberté par le plaisir, accessible
L’abandon de l’instant
de table à la française
témoigne du grand
chaos de notre société.
à tout instant, sans effort et pour pas cher.
Alors qu’un temps la raison collective avait
incité à intégrer l’équation nourriture, santé,
environnement, bien-être, c’est le phéno-
mène inverse qu’il fallut observer, en par-
tie, après que le naturel du consommateur
conditionné fut revenu au galop. L’émanci-
pation tant attendue n’était en fait que l’effet
d’un instant de crainte vite dissipée à la fin
du bobo. Aussi, afin de récupérer des parts
de marché – même pas perdues au vu des
bilans financiers des années 2020 et 2021 –,
le lobby de la malbouffe, de gondoles miro-
bolantes en rayonnages florissants, redoubla
d’imagination pour inonder le marché de
leurres sucrés, salés, crémeux ou pétillants,
bien sûr juteux, à la gloire du pire ennemi
d’une société organisée : la facilité.
Snacking à domicile…
Première victime, la jeunesse, si prompte
à survoler l’essentiel en contournant
l’épreuve puisque l’effort supposé d’un re-
pas équilibré ou d’un petit déjeuner assis
est désormais vécu comme une odieuse
perte de temps chez les 25-34 ans. Relégué
au rang de cuisinière à bois, même le micro-
ondes est délaissé au profit de la pochette
plastique pour 20 % des Français (16,5 %
en 2018). À nous donc chips, biscuits, bon-
bons, cacahuètes, qualifiés de « snacking à
domicile » par les sociologues. Un grigno-
tage devenu rituel, entre les repas ou à leur
place, à 1,50 € les 120 g, arrosé de millions
d’hectolitres de soda. Sur le marché fran-
çais, Brets annonce 16 millions de paquets
de chips en plus en 2023, quand Red Bull
et Coca Cola triomphent avec
25 millions de bouteilles sup-
plémentaires. Même les plus de
65 ans se mettent à succomber
aux petites friandises coquines
avant de s’endormir. Si l’ins-
tant de table à la française est
un signe de civilisation, son
abandon progressif témoigne
du grand chaos vers lequel se
dirige notre société. Dis-moi
ce que tu manges, je te dirai à
quoi le monde ressemblera…
malbouffe, mon beau miroir. M
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 41
 QUELLE ÉPOQUE !
L Comment la pub
e récent mouvement des agriculteurs
a offert aux chaînes de télévision l’occa-
sion de tendre le micro à des personna-
lités que l’on croise rarement sur nos
écrans. Sans doute avez-vous été frappé
par la bonne tenue des intervenants, du lea-
voit les Français :
der syndical au simple manifestant. Élocution
parfaite (parfois teintée d’un charmant accent
des
abrutis
du Midi), absence de fautes de français, pen-
sée claire et précise, raisonnements exempts
des veules circonvolutions des chroniqueurs
de télé habituels (« Pardon, mais… »). Avec ça,
de beaux mecs, de vraies tronches intéres-
santes, des visages féminins harmonieux et
déterminés (Karine Duc). Bref, on est loin des
triples mentons, des barbes de quinze jours, Grâce à la magie de la télécommande, on coupe
du vocabulaire relâché et des liaisons mal-t-à généralement le son quand les pubs arrivent, ou on zappe
propos de nos ministres et députés. Loin aussi
de l’image dégradante que donne de cette vers “Les femmes tueuses” sur Chérie 25. Et c’est sagesse,
profession la chafouine Karine Le Marchand car nombre d’annonces sont un festival de dénigrement
et son « L’amour est dans le pré ». On ressent
le même malaise devant certains spots publi- et d’offense, sous couvert de pédagogie et d’humour.
citaires sans doute conçus par des créas à Par Léa Anderson
chignon bas, au cerveau embrumé par le
shit et la lecture de Libé : fausse complicité,
comique lourdingue, mise en scène d’une
intimité petite-bourgeoise répugnante… Ils
reflètent les préjugés à l’égard de la France
populaire des nouvelles classes urbaines
favorisées, qui conservent « beaucoup de
vices de l’aristocratie sans en avoir les vertus »,
comme le note Christopher Lasch dans la
Révolte des élites et la Trahison de la démocratie
(« Champs », Flammarion).

Ils font tout mal

Pas méchants, mais godiches. Comme
souvent, c’est un père solo aux traits
chiffonnés (un divorcé passif-agressif ?),
qui se prend une gamelle : « Regardez
les montagnes, les enfants ! » « Wouaaah ! »
Menée par l’incompétent, la petite équipe
se retrouve piégée par l’orage, avec la
tente qui s’envole, les merguez pleines de
flotte et la dernière piquée par une mygale
(Volkswagen Tiguan). Quel dadais ce
papa ! À un âge avancé, mal coordonnés,
les crétins tombent, glissent sur
le jouet du chien, s’étalent dans l’escalier,
s’emplâtrent dans le mur (un côté Buster
Keaton). Heureusement, La Poste est
là, pour « prendre soin de nos aînés »
(Téléassistance - Veiller sur mes parents).

Ils ont mauvais goût

Et en sont fiers, n’imaginant pas que
Getty Images

leur déco ridicule peut rebuter de futurs

42 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
acheteurs (Meilleurs Agents). Certains
poussent l’incongruité à interrompre leur
dîner d’anniversaire pour filer à la salle de
bains faire un test de dépistage du cancer
colorectal (Institut national du cancer).
Ils ne contrôlent pas
leurs émotions
Sautent de joie quand ils mangent
un yaourt, réussissent les crêpes
ou enfilent des chaussettes (Dash).
Dansent pour un oui pour un non :
dans leur cuisine, leur voiture (Ibiza Seat),
leur jardin, parfois presque nus (SeLoger).
Ils chantent à tue-tête sur l’air de Bella ciao
pour narguer les cambrioleurs, incarnés
de façon très irréaliste par un boomeur
moustachu (Sector Alarm). Ils font
des dépenses compulsives, ce qui oblige
le gouvernement à les rappeler
à l’ordre avec des « dévendeurs »
(agence de la transition écologique) ou
à leur expliquer les choses comme à la
maternelle (« Je baisse, j’éteins, je décale »),
quand ces saligauds montent
le radiateur sans se soucier de la planète.
Ils sont dyslexiques,
confondent tout
Ils intervertissent « pouvoir d’achat » et
« pouvoir du chat » (FeuVert). Prennent
Leonardo DiCaprio pour un chauffeur
de taxi (Fiat Electric). Moins intelligents
que leurs chiens, ils sont facilement
bernés par ces derniers, qui grimpent
sur le canapé et foutent le bazar dès
qu’ils ont le dos tourné. Puis se couchent
hypocritement sur le tapis quand pépère
rentre à la maison (Conforama).
Ils sont radins
« C’est pas Versailles ici ! », encore un père
de famille mal rasé, avec un bidon
(médiocre, négligé) qui use de ses
dernières prérogatives patriarcales pour
brimer la maisonnée : il éteint la lumière
alors que sa femme HPI est plongée
dans un bouquin ou que son ado sort de la
douche en peignoir. Va jusqu’à engueuler
les poissons rouges qui barbotent dans
leur aquarium éclairé, avant de se faire
morigéner à son tour par son épouse, mais
cette fois pour une noble cause : « On est
chaque jour un peu plus nombreux à faire
des économies d’énergie. » (TotalEnergies).
Ils sont flasques,
fourbes et veules
Leur vie de bureau est un cauchemar
d’idées à la noix de coco, de teints
de rat crevé, de mauvaise haleine et
de basse flagornerie. Une façon d’évoquer
les déboires de l’économie française,
incapable de défier ses concurrents ? (« Un
jour, peut-être, Reef fera mieux que Free »).
Vieux, ce sont des
moutons bêlants
Ils se sont montrés dociles, pour ne pas
dire crédules, lors de la crise sanitaire.
En particulier, « nos aînés », tout contents
d’être – pour une fois ? – l’objet de la
sollicitude familiale. Grosse séquence
émotion avec Bécaud en bande-son :
« Je reviens te chercher, je savais que tu
m’attendais… » « Ça ne vous a pas fait trop
mal ? », demande la gentille infirmière
à la grand-mère qui vient de recevoir
le philtre magique : « Au contraiiiire ! »,
répond la vieille dame mise au ban
de la société (pour son bien). Et l’héroïque
grand-père, qui a échappé au Covid et au
Rivotril, de faire le clown devant son petit-
fils masqué jusqu’aux yeux, en prenant sa
deuxième dose. « Une relation touchante et
complice », s’émeut le site lareclame.fr
Jeunes, des poussahs,
des parasites
Allongée par terre pour téléphoner
à ses copines, affalé dans son lit défait
avec un casque sur les oreilles, traînant
ses kilos devant le frigo (campagne « T’as
bougé aujourd’hui ? », ministère de la
Santé), le jouvenceau n’est pas toujours
le prescripteur des élégances qui rayonne
dans les pubs beauté ou parfum. Ça peut
être un pot de colle, un cancre, un Tanguy,
qui « n’aura peut-être pas son année », mais
« arrêtera de prendre sa mère pour un taxi »
si on lui paye une voiture (LaCentrale).
Il a une tête d’ahuri et parle caillera
(Marine nationale), ouvre la bouche
comme une carpe (SNCF Connect)
et dit « Sérieux ? » (Yes of Corsa) .
Ils sont ringards et lents
à la comprenette
De vraies bûches. On se demande
s’ils sont encore de ce monde.
Pour débusquer les « blocages dénichés
au cœur des interrogations de ses clients »,
la saga publicitaire Crédit mutuel met en
scène un papy renfrogné, parano, dépassé
par la modernité, vaguement libidineux.
Heureusement, une jeune femme
lumineuse lui donne un cours
de rattrapage. Mais un de ces quatre,
elle pourrait perdre patience… M
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 43
 Mieux vaut
en rire !
Derrière Le Maire sévère
La sévère cure d’austérité que veut imposer
Bruno Le Maire aux Français aurait aussi
des raisons politiciennes, assure le Point. Le ministre
de l’Économie, ne songeant plus qu’à 2027, « pilonne
Les Républicains dans le but de déclencher une motion
de censure, explique un conseiller macroniste,
ce qui lui permettrait de sortir [du gouvernement]
sans avoir à démissionner et tout en ayant averti
en amont sur la situation financière » du pays.
Où l’on voit qui a le sens de l’intérêt général…

PAS DÉLÉGUER, ESCROCS

PAS CLASSE MAIS PAS TROP
D’après l’Express, Emmanuel Un homme et une femme ont
Macron « tient à annoncer été interpellés et placés en
lui-même le plan de garde à vue pour escroquerie,
formation des enseignements à La Madeleine, près de Lille.
que prépare la ministre Ils sont suspectés d’avoir
Nicole Belloubet ». Y a-t-il un simulé un enlèvement
plan pour former la ministre en se faisant passer pour
de l’Éducation au fait qu’elle des ravisseurs dans le but
ne serve à rien, coincée entre de soutirer de l’argent
ce président et ce Premier à deux autres personnes.
ministre qui ne veulent Profitant de la naïveté de
rien déléguer sur l’école ? leurs interlocuteurs, ils sont
parvenus à les escroquer
MANGE, de pas moins de 80 €.
C’EST DE LA BONNE ! Pas sûr toutefois que
À Pâques, Valeurs actuelles cela soit suffisant pour payer
a accompagné au Liban la tête les frais d’avocat.
de liste LR aux européennes,
François-Xavier Bellamy. INCROYABLE :
Et se fait lyrique à propos IL Y CROIT !
d’un déplacement dans Dans le Point, une
la commune de Harissa : « Pas parlementaire européenne
très loin, la statue de Notre- de la droite espagnole loue
Dame du Liban toise la ville. ainsi le chef de file des LR
Le député grimpe jusqu’à ses pour le scrutin du 9 juin :
pieds. Il regarde le paysage, « De tous ceux que je connais,
absorbe sa beauté, puis fixe François-Xavier Bellamy est
le visage de la Vierge. Une l’eurodéputé le plus cohérent.
auréole étoilée la protège. Il n’a jamais eu peur de
Comme un signe pour voter dans le sens de ses
le 9 juin ? » Apparemment, convictions. » On en est
l’auteur de l’article a goûté donc là ? Être agréablement
aux hosties libanaises surpris qu’un élu puisse voter
et elles sont très puissantes ! selon ses principes !

Pas les clés du succès

Lu ce titre dans le Figaro : « Marlène Schiappa lance
une fondation en faveur de la réussite des femmes
au travail ». Monter une fondation sur un sujet
que l’on ignore soi-même, c’est un gage de réussite.
44 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
 “Gabriel Attal a raison
sur l’assurance chômage”
proclame Éric Le Boucher, chroniqueur orthodoxe des Échos.
Et d’expliquer : « Vivre sans travailler, ou seulement un peu
pour recharger ses droits, est une vie désormais “normale”. »
D’ailleurs, il n’y a plus de licenciés, de plans sociaux, de
fermetures d’entreprise ou de délocalisations : il n’y a que des
Français qui ne veulent plus travailler. On devrait bannir le mot
« chômeurs » du vocabulaire et le remplacer par « tricheurs ».

EN FAIRE DES TONNES « L’interpellation récente

POUR DES KILOS
Au moins 70 kg de cannabis
ont été découverts chez
la maire d’Avallon (Yonne),
Jamilah Habsaoui, lors
de perquisitions réalisées
dans le cadre d’une opération
judiciaire. Sept personnes ont
été interpellées, dont l’élue et
deux de ses frères. Ces derniers
sont suspectés d’avoir stocké
la drogue à son domicile,
où vivaient son père et l’un des
frères, condamné il y a dix ans
pour trafic de stupéfiants.
L’enquête devra déterminer
si elle était au courant.
Ce serait très étonnant,
70 kg, c’est si facile à cacher.
AUX RACINES
DU MALAISE
France Info a consacré
un article aux mésaventures
d’Isabelle Huppert sur scène,
plusieurs fois huée pour
son rôle de Bérénice dans
la pièce de Romeo Castellucci
très librement adaptée
de Racine. Le média déplore :
d’Isabelle Huppert
par un spectateur dans un
théâtre parisien interroge sur
l’attitude du public pendant
une pièce et sur ses réactions,
complexes, vis-à-vis de
mises en scène déroutantes,
voire transgressives. »
« Nulles » serait plus juste.
LIBAN(BOCHE)
La chambre des notaires
du Grand Paris a recensé
les 62 nationalités
qui ont acheté des biens
dans la capitale en 2023.
À la première place ?
Les Américains, indiquent
les Échos. Et derrière ?
Les Libanais ! Allez savoir
pourquoi, on ne leur
connaissait pas le goût
des murs encore debout !
UN PRÉSIDENT PLUS
TOUT À FAIT NORMAL
Du Parisien, ce titre : « François
Hollande savoure sa popularité
retrouvée ». « Trouvée »
suffirait amplement.

À côté de la cible
“On a besoin de poser
un autre horizon, […] celui
de la puissance de la douceur.”
C’est ce qu’a déclaré, sur France Info, la candidate EELV
aux européennes, Marie Toussaint, pour mettre fin
au drame en cours à Gaza. Il faut bombarder
avec délicatesse, tuer avec tendresse et remplacer
les chars israéliens par des chars de carnaval.

11 au 17 avril 2024 - Marianne - 45

 Mieux vaut en rire !

Hypertensions
Dans un article du Huffpost intitulé « CNews, source
de tensions dans certaines familles », plusieurs
personnes se plaignent des idées politiques
de leurs proches qui regardent régulièrement
la chaîne d’information en continu. Le média
en ligne explique : « Depuis que leur grand-père,
leur père ou leur frère regardent CNews, les tensions
autour des repas de famille se sont multipliées. »
Il est vrai qu’avant CNews les discussions politiques
houleuses dans les familles n’existaient pas.

LES MAINS SALES les réseaux sociaux :

Lu sous la plume de Luc
de Barochez, chroniqueur du
Point : « L’armée israélienne
mène à Gaza une guerre
moins sale que la moyenne.
Une guerre qui n’est pas
“propre” pour autant, car
ce concept n’existe que dans
l’imagination de stratèges
en chambre. » Reste
à savoir si le journaliste
qui ose se livrer à ce genre
de considération peut
ensuite s’en laver les mains.
VIVEMENT 2027 !
Du Point, ce titre :
« Présidentielle 2027 :
comment Édouard Philippe
et Laurent Wauquiez tentent
d’exister sans se griller ». Se
griller est plus à leur portée.
PAS PAR ICI L’ADDITION
L’Humanité magazine se
demande : « Premier rendez-
vous : qui paie l’addition ? »
Et d’évoquer une « tendance »
du début de l’année 2024 sur
« Des jeunes filles se filmaient
au restaurant, remerciant
gentiment l’homme rencontré
pour l’addition, avant
de montrer discrètement sous
la table leur porte-monnaie
complètement vide. »
C’est à se demander
pour lequel des deux ce petit
jeu est le plus avilissant :
l’inviteur ou l’invitée ?
REGARD COLONIAL
Évoquant les commentaires
ayant suivi l’entrée
en fonction d’un président
polygame au Sénégal,
Daniel Schneidermann,
fondateur du site Arrêt
sur images, s’est contenté
d’un bref commentaire
sur X : « Le regard colonial
dans toute son éternité. »
Et voilà comment on
transforme ce droit universel
qu’est l’égalité homme-femme
en attribut colonial.
Le regard antiféministe
dans toute sa nullité.

PLUS ENVIE D’AVOIR ENVIE

Selon la Tribune dimanche, « Éric Ciotti n’a plus
envie de voir Nicolas Sarkozy. Mi-janvier,
le patron des Républicains a annulé le déjeuner
qu’il avait prévu avec l’ex-chef de l’État dans
les bureaux de celui-ci, rue de Miromesnil. »
Finalement, il est sympathique ce Éric Ciotti !

46 - Marianne - 11 au 17 avril 2024

#NOUSTOUTES
Sur France Inter, on s’extasie de la nouvelle trouvaille
de l’auteur de science-fiction Alain Damasio
pour promouvoir l’écriture inclusive dans son dernier livre,
Vallée du silicium : féminiser les pluriels neutres un chapitre
sur deux comme « Nous sommes des figures tremblées :
toi, vous, moi, nous toutes. » Le journaliste explique :
« La force du procédé est bien sûr de faire ressentir
aux hommes ce que cela fait d’être à leur tour invisibles
dans la langue et sa grammaire. » L’effet est immédiat :
on n’a qu’une envie, c’est de courir acheter ce chef-d’œuvre.

PLUS JAMAIS ÇA pop, Taylor Swift, et son tube

La fédération allemande
de foot a décidé de changer
l’esthétique du no 4 de son
nouveau maillot. En effet,
des internautes avaient
relevé une ressemblance
entre le no 4 et le sigle SS,
de sinistre mémoire.
Pour en finir à jamais avec
les signes extérieurs de la
bête immonde, le plus simple
aurait été de supprimer
le chiffre 4, d’éradiquer
la lettre S, d’interdire
la moustache à la Hitler et
de couper la main droite afin
qu’elle ne soit jamais tendue.
TAYLOR SWIFT
VS METALLICA
Les rockeurs de Metallica,
connus pour leur tube … And
Justice For All (« et justice
pour tous ») ont traîné
en justice leur assureur,
qui a refusé de couvrir leurs
concerts annulés pendant
le Covid. Ils ont été déboutés
par les juges de la cour
d’appel de Los Angeles, qui
ont paraphrasé la reine de la
All Too Well, en proclamant,
comme dans la chanson « We
were there. We remember it
all too well » (« nous étions là,
nous ne nous en souvenons
que trop bien »). Outre qu’elle
peut faire battre Donald
Trump, Taylor Swift aide à
rendre la justice.
TROUPLES DU
COMPORTEMENT
Dans un article
de liberation.fr sur l’amour
à trois, le média se réjouit :
« À la télévision ou sur les
réseaux sociaux, en France
ou à l’étranger, les ménages
à trois sont de plus en plus
visibles. […] Pour Libé,
des trouples racontent
le quotidien en dehors des
carcans de la monogamie. »
Puis de déplorer : « Mais,
par-delà les cas médiatiques,
cette forme relationnelle
polyamoureuse reste
minoritaire et peine à être
reconnue. » Incroyable, les
citoyens français réac sont
aussi contre la polygamie.

Attal touche le (pro)fond

Lu ce passage, dans Valeurs actuelles : « Très actif
sur ses réseaux sociaux, Gabriel Attal se découvre
une fibre d’influenceur. Au bureau, en déplacement
ou en meeting, il ne manque presque jamais le rendez-
vous de BeReal, une application gratuite de partage
de photos, postant chaque jour un selfie à l’heure
imposée par l’appli. “Très attaché” à Instagram selon
son entourage, il surfe sur la tendance des “monthly
dumps” (“largages mensuels”, publication en vrac de
photos prises dans le mois). » Comme quoi, Emmanuel
Macron a été très inspiré dans le choix de son
Premier ministre, qui mêle maturité et profondeur.
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 47
 FALLAIT QUE ÇA SORTE

ET VOUS
Réagissez en écrivant à Marianne : lecteurs@journal-marianne.com / “Journal des lecteurs”, 28 rue Broca, 75005 Paris
LE PLUS LU SUR marianne.net LE DÉBAT SUR marianne.net
1. Pourquoi Macron et les autres
« Mozart de la finance »
sont les tocards de l’économie
La France, gagnante
2. « À La Poste, on est devenus de l’Union européenne ?
des vendeurs » : Hervé, 59 ans,
facteur, raconte son premier 14 %
et dernier jour de boulot
3. Christophe Guilluy : OUI NON
« À l’Élysée, Emmanuel Macron Peut-on imaginer
ne pense qu’à la trace la France sans l’euro,
qu’il va laisser dans l’Histoire » sans la PAC, qui permet à nos
agriculteurs d’exister, sans
les financements européens
dans certains secteurs, sans
l’emprunt européen, qui a
Ça vous a FAIT RIRE permis de passer les épreuves
du Covid, le « quoi qu’il en
EUROPÉENNES : coûte », qui a permis d’éviter
QUAND LES CANDIDATS la fermeture de milliers de
RIVALISENT D’INGÉNIOSITÉ petites et moyennes entreprises
POUR TRAQUER et de sauver des centaines de
milliers d’emplois… Oui, il faut
LES ESPIONS RUSSES améliorer le fonctionnement
de l’Europe, mieux défendre
nos intérêts économiques,
créer de vraies collaborations
dans les domaines militaire
et économique, avoir des
positionnements géopolitiques
communs européens.
Logographe concernée
86 %
Le Royaume-Uni n’a pas
arrêté de négocier,
de discuter et de faire fi des
règles. Et l’UE a laissé faire : elle
n’a aucune marge de manœuvre
face à des membres tels que
l’Allemagne et la France.
Nous sommes un des principaux
contributeurs. On ne cesse de
nous répéter qu’on est obligé
de faire ce que Bruxelles décide,
sous peine de sanction… Il
suffirait que nos gouvernements
aient le courage de dire non
et de prévenir qu’en cas
de sanctions le montant serait
déduit de notre contribution
annuelle à l’Union. F.-D. Jimmy
Résultats relevés
le 3 avril 2024 à 14 heures.
Votez, étayez vos points de vue et
soutenez les meilleurs arguments sur
marianne.net/espace-debat/debats
En Ukraine, la négociation,
pas la confrontation
Pas un jour ne passe sans que les médias
nous abreuvent de la douce musique de la
guerre en Europe, qui deviendrait inéluctable.
Un jour, c’est l’envoi de troupes sur le terrain,
le lendemain la livraison d’avions offensifs, et
plus récemment, des menaces d’invasion dans
certains pays de l’Otan. Ce qui se passe en
Ukraine est assez dramatique pour qu’on n’en
rajoute pas. Il est de notre devoir de soutenir
le peuple ukrainien, dont la résistance, depuis
deux ans, nous montre les limites de l’armée
russe, ce qu’on oublie de souligner. Annoncer
la généralisation d’un conflit conventionnel à
toute l’Europe est une folie dont on comprend
mal le but. L’urgence est dans la recherche
de négociations permettant à tous ces gens
de retrouver la paix. Pour cela, les discours
doivent s’infléchir vers moins de dramaturgie
et plus de réalisme, dans l’intérêt bien compris
de toutes les parties et, bien sûr, sous l’égide
de l’ONU, qui pourrait déployer une force
d’interposition sur le front. À défaut, combien
de vies seront encore sacrifiées ? Jean Gastou
Mbappé vs Katoto
Kylian Mbappé, le meilleur joueur français de
Ligue 1, touche 6 millions d’euros par mois de
salaire (hors primes et contrats de sponsoring).
La meilleure joueuse, Marie-Antoinette Katoto,
licenciée dans le même club, est rémunérée
58 000 €. Un homme payé 103 fois plus
qu’une femme au même poste de travail, voilà
un sujet qui aurait dû faire réagir Sandrine
Rousseau. Mais lorsque l’on est la députée
de la neuvième circonscription de la capitale,
on oublie vite ses engagements féministes
de peur d’être taclée aux prochaines élections.
Bruno, Sainte-Anne-sur-Brivet (44)

Les autres groupes de niveau

On reste en contact
Idées reçues
Je suis demandeur d’emploi,
je me démène depuis six mois
pour retrouver du travail en vain et
je souffre sincèrement de ces idées
reçues. Merci pour votre article !
Romain V., sur Instagram,
après avoir lu notre manuel de riposte
sur l’Assurance chômage.
Une laïcité à soigner
Les groupes de niveau permettraient sans
aucun doute aux meilleurs de progresser plus
vite. Les autres confirmeraient l’apprentissage
la religion est une affaire privée. Entre-soi scolaire de notions de base. La proposition paraît de
Cela m’étonnerait beaucoup
Laure, sur Instagram, au sujet de l’entretien bon sens quand on sait que nombre d’enfants
que cette situation évolue.
avec Patrick Pelloux sur la laïcité à l’hôpital. arrivent au collège sans maîtriser la lecture
Ces établissements ont été courante. Comment pourraient-ils acquérir de
Atlantisme, ou seront fréquentés par ceux nouvelles connaissances ? Ce n’est pas leur
quand tu nous tiens qui nous gouvernent. Pourquoi rendre service que les laisser avancer de classe
Les européistes plus atlantistes que ces derniers souhaiteraient-ils en classe dans l’illusion. Très vite, c’est l’échec,
les Américains : Blinken déclare qu’il un changement ? De plus, Henri-IV le découragement. Certes le redoublement
n’y aura pas un seul soldat américain et Louis-le-Grand (lycées publics) n’est pas agréable mais il a permis à beaucoup
sur le sol ukrainien car l’éventualité se débarrassent avec la même d’obtenir le bac, à une époque où seulement
d’un affrontement direct avec la vigueur des « indésirables » 15 % d’élèves d’une classe d’âge y accédaient.
Jean-Francois Badias / AP / Sipa

On manque tellement de personnel
qu’on n’ose froisser personne mais
l’hôpital devrait être laïque, tout
comme l’école. On peut cohabiter
en terrain neutre au travail,
48 - Marianne - 11 au 17 avril 2024
Russie relève de la sécurité nationale que ceux du privé. Et il servait de stimulant à ceux qui voulaient
des États-Unis. Pas d’affrontement Patrice C., sur Facebook, au sujet l’éviter. Ce refus de sélection est un déni de la
entre nations nucléaires. de notre enquête « Ces établissements réalité. Cela dit, les groupes de niveau existent
Mansuy, sur Twitter, après notre une privés qui virent leurs élèves vers le public déjà. Nos élites inscrivent leurs enfants,
sur les va-t-en guerre (lire Marianne no 1412) bientôt sanctionnés ? » dès la maternelle, dans les écoles privées,
négation de l’égalité républicaine. Roger Basset
À vous de jouer par Jean-Paul Cordier

Mots croisés Mots fléchés

I II III IV V VI VII VIII IX X LENT LÉGUME MASSIF MONTANTS À
EFFEUILLAGE ASSURÉ ALPIN (LES) LA FENÊTRE

1 TENTATIVE
D'APPROCHE
DE PAYER
PLUS CHER
HUMILIÉ
ET OFFENSÉ
TUBE
MUSICAL

2
3 GÂTEAU

▼
AU RHUM
PROBLÈME
4 VEINEUX

5
6 UN VENT

▼
DE FOLIE NE PAS
ARRÊTER
EFFICACE DE RÉPÉTER
7 POUR PILER
INDIQUE

▼
L'ORIGINE
8 LANGUE
DE TERRE

9 DÉESSE ÉPOUX

▼
ÉGYPTIENNE RÉPUDIÉ
FAIRE ACCROCHE
10 OFFENSE SUR LE FIL

Horizontalement : 1. Changer pour ne pas sombrer dans la confusion • 2. Passer dans MORT
DE FATIGUE
une autre dimension • 3. Il se bourre avec des histoires. Manches avec des raquettes •
4. Souvent pris pour un pigeon. Renforts de croisées • 5. Absente par distraction. Son MAMELON

▼
RUBIS
éducation fut très littéraire • 6. Se prête parfaitement à la supposition. Elle propose une SUR
DU SEIN
origine profonde • 7. Né dans l’obscurité de la bergerie. Se dit par mépris • 8. La mémoire L'ONGLE SERVICE
AU CLIENT
du petit écran. Brillante apparence voilant la réalité • 9. Il faut qu’elle chute avant de VIVIER

▼
glisser. Mal dans la peau • 10. Offrir une vigoureuse résistance. DE L'ÉTAT
Verticalement : I. Bien trop respecté, apparemment • II. Estampillée d’un simple coup TRÈS
TENDANCE
de griffe • III. Commence à sentir le roussi. Haut comme trois pommes • IV. La bonne JEUNES
▼

forme pour une chiffonnade. Bidasse du Kansas • V. La charge d’une bête de somme. FILLES
Décor principal de l’Étranger de Camus • VI. La même chose en plus court. Détention CÉDER
SON ACHAT
nous y menant tout droit • VII. Il enrichit l’offre de la financière. Construction anarchique
en campagne • VIII. N’importe quel idiot peut le faire. Amène à la raison • IX. Souvent
inscrit au programme • X. Il joue bien trop gros à la roulette. Bavard qui apprenait à
parler.

Sudoku
6 8 3 1
Mots croisés
I
A
II
S
III IV V VI VII VIII IX X
S O C I A T I F
SOLUTIONS du numéro 1412
2 P E T R I , N A N O Mots fléchés

9 2 3
4
P
R
R
A
A
D
G
E
O
,
I
B
S
E
,
L
T
E
U
R P V H A
5 I D E A L E , U S B T R A N I A R D
2 5 6 6 V O , T I R E T T E
7 O U D , M E N H I R E B U O L E R
I C O N E , F I N I
8 5 2
8
9 S I D E R A L E , E I D O A L T R E
10 E R O S , S E R F S I R N E E T
3 9 7 Sudoku L C D C R I S
2 1 4 3 6 8 7 5 9
8 6 7 6 8 3 9 5 7 2 4 1
A E R I E N
5 7 9 2 4 1 3 6 8 S T R I E F R
1 6 9 8 4 2 7 3 6 9 1 5
I F R E L E
9 6 7 4 1 5 8 3 2
3 4 1 3 5 8 2 9 4 7 6 G O B I D U C
7 2 1 5 8 4 6 9 3 N E F L I E R
3 9 6 1 7 2 5 8 4
2 9 6 4 5 8 6 9 3 1 2 7 O S C I E T R E
11 au 17 avril 2024 - Marianne - 49
 Le banc public
Des écrivains s’assoient et regardent passer le monde
Par Cécile Guilbert
Dernier ouvrage paru : Roue libre, Flammarion, 2020.
Ubu éditeur
e monde de l’édition est-il devenu fou ?, se demandent
L
les médias, longtemps tenus en haleine par le meccano
actionnarial Lagardère-Vivendi-Editis, et qui se repaissent ces
jours-ci du turnover des dirigeants – ou plutôt, des dirigeantes,
depuis que l’industrie s’est féminisée. La femme serait-elle un
homme comme un autre ? « Tu signes ou tu dégages », aurait
dit Stéphanie Ferran, numéro deux de Hachette Livres, à
Isabelle Saporta, la patronne de Fayard qui rechignait à parapher
un accord favorable à Lise Boëll, récemment nommée à la tête de
Mazarine pour éditer ses poulains fascistoïdes. Trois ans plus tôt,
débarquée d’Albin Michel, cette dernière avait pris la tête de Plon,
menaçant celle de Céline Thoulouze – rivalité soldée par la création
de deux maisons concurrentes à l’intérieur de la même entité !
Un an plus tard, Sophie de Closets quittait Fayard pour Flammarion
au profit d’Isabelle Saporta, qui vient d’être virée… Simple jeu de
chaises musicales, ou de massacre ? « Voyez, voyez la machin’ tourner/
Voyez, voyez la cervell’ sauter/ Voyez, voyez les Rentiers trembler… »
N’oublions jamais que l’action d’Ubu roi se situe « en Pologne, c’est-
à-dire nulle part », dont Jarry nous dit que « Nulle Part est partout. »
Tout cela serait amusant si les auteurs ne faisaient pas comme
si la marque imprimée sur leurs jaquettes avait encore tellement
d’importance. On sait que trouvant Mazarine ringarde, ceux de Boëll
ont poussé à la création de ce label Mazarine-Fayard, provoquant
le rififi interne que l’on connaît. L’extrême-droitier Bolloré serait-
il l’arbre qui cache la forêt ? Car hormis celles de petites maisons
d’édition à la singularité affirmée, les lignes éditoriales à l’intérieur
des grands groupes sont devenues indiscernables – et donc substi-
tuables comme le prouvent leurs productions et l’interchangeabilité
de leurs patron(ne)s depuis que le capital n’est plus aux mains que
des financiers. Voici donc venu logiquement le temps où les chargés
d’édition ont le même destin que les parallélépipèdes sortis des
imprimeries : remplaçabilité générale et déchetterie.
NOUVEAU PODCAST
"Le vieux monde se meurt, le nouveau
monde tarde à apparaître et dans ce
clair-obscur surgissent les monstres"
disait Antonio Gramsci.
Dans notre monde globalisé, au sortir
de la guerre froide, ces monstres
oubliés ont un nom :
« Le livre n’est pas un produit comme un autre », répète-t-on partout
depuis qu’il l’est devenu. Résultat ? Maintenir le chiffre d’affaires
exige une surproduction démentielle, et donc la multiplication
des auteurs comme des sous-livres, qui, d’ailleurs, ne se vendent
pas. Pendant ce temps, tout ce qui n’est pas rentable est menacé
et la lecture s’effondre. D’où l’invention de cette grotesque jour-
née du « quart d’heure de lecture national » (c’était le 12 mars)
pour « remettre le plaisir de lire dans notre quotidien ». Comme si
lire de la littérature et des livres de sciences humaines n’était
pas la condition sine qua non pour penser ou dire quelque chose
d’intéressant en ce monde.
Ah ! qui ne regrette le temps où publier était parfois l’affaire de
la littérature elle-même, quand lire, écrire, traduire, éditer et vivre
s’envisageaient comme un tout ! À l’exemple de Pound et de
Larbaud, sans qui Ulysse, de Joyce, n’aurait pas vu le jour. De Roberto
Calasso créant Adelphi et Patrick Mauriès les Éditions du Promeneur.
De de Roux créant l’Herne, Sollers les revues-collections Tel Quel,
puis L’Infini, comme Charles Dantzig le Courage et Yannick Haenel
Aventures. Autant d’écrivains qui contredisent la « machine à décer-
veler » et la « pompe à phynances » ubuesques. Et puis, n’y aurait-il pas
tout un roman vrai à écrire sur les conditions de production et les
mœurs éditoriales en France ? Une réplique de ce qu’avait fait Bal-
zac sur le journalisme dans les Illusions perdues, mais au XXIe siècle,
à la sauce high-tech, avec tables de la loi en format Excel et
tiktokeurs en néo-veaux d’or du Moloch éditorial ? Reste à savoir si
un tel livre serait publié. Et par qui. Et s’il se vendrait. Et comment.
Passionnant, non ? M
Retrouvez, dans les prochaines semaines, les textes de Emma Becker,
Clément Bénech, Kamel Daoud, Benoît Duteurtre et Jérôme Leroy.
LE RETOUR
DES EMPIRES
Un podcast du magazine Marianne,
présenté par Stéphane Aubouard
Confidences de diplomates, géopolitique, histoire des peuples...
 E
NOUVELL
décrypte, révèle, propose FORMULE

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et à l’assainissement à 5 villages en Inde.

Raphaël verse chaque année 1% de son chiffre d’affaires

à des associations agréées 1% for the Planet dont Kynarou.

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