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LE SECRET OU L'INTELLIGENCE INTERDITE


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COLLECTION : THÉORIE ET PRATIQUE

Autres titres p a r u s d a n s la même collection

Colette Duflot : Des marionnettes pour le dire. Entre jeu et thérapie.


Yves Morhain : L'adolescence à l'épreuve du Rorschach.
Jacqueline Royer : L'examen psychologique de l'enfant.
Gilbert Tarrab & Robert Pelsser : Le Rorschach en clinique et en
sélection.

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement


ou partiellement le présent ouvrage sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre
Français d'exploitation du droit de copie.
6 bis, rue Gabriel Laumain - 75010 Paris

© Editions Hommes et Perspectives S.A. 1993


18, boulevard Camille Flamarion, 13001 Marseille
Tél. 91.62.22.77 - Fax. 91.62.22.82.
ISBN: 2.907713.49-3
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Claire Delassus

L E SECRET
OU
L'INTELLIGENCE INTERDITE

Préface p a r Jean-Pierre Chartier


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"La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache".


André Malraux, Antimémoires.

"Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre
constate que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui
dont les lèvres se taisent, bavarde avec le bout des doigts ; il se tra-
hit par tous les pores. C'est pourquoi la tâche de rendre conscientes
les parties les plus dissimulées de l'âme est parfaitement réali-
sable" .
Sigmund Freud, Fragment d'une analyse d'hystérie (1905).
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Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement J e a n - P i e r r e


Chartier pour le soutien encourageant et les conseils avisés qu'il
m'a apportés tout au long de ce travail.
J e remercie également Michèle Wallon-Bonnemaison et
toutes les psychologues de son équipe du laboratoire de psycholo-
gie de l'hôpital Henri Roussel pour leur accueil et la formation
qu'elle m'ont donnée.
Enfin, j e remercie aussi toutes les personnes qui m'ont
apporté leur aide, de près ou de loin tout au long de la rédaction
de ce livre.
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Préface

Les lecteurs de Tintin ont appris d'un analyste-détective les


secrets de famille d'Hergé qui transparaissent à travers les person-
nages de la célèbre bande dessinée. Rebekka, la mystérieuse épouse
de Jakob Freud, est-elle pour quelque chose dans la passion de
découvreur des énigmes de la psyché de Sigmund et dans son goût
immodéré pour l'archéologie ?
Le "secret de famille" serait-il comme la langue d'Esope la
pire ou la meilleure des choses pour l'intelligence de l'enfant ?
C'est à une passionnante enquête sur les significations, les
effets possibles et même la métapsychologie du secret que Claire
Delassus nous convie.
L'amphibologie du mot secret renvoie autant à une opération
de tri et de rejet qu'aux lieux d'aisances dénommés segreta
jusqu'au XVIIème siècle. Il est dans la nature du secret de se mon-
trer et de se cacher. Dans un même mouvement, il est interdit de le
dire, il est aussi interdit de l'oublier.
L'auteur décline alors les différentes formes que le secret
peut prendre : secret de polichinelle qui, souvent, comme le train,
peut en cacher un autre... non-dit qui indique la présence d'un indi-
cible et vrai secret qui serait de l'ordre de l'impensable... Véritable
trou noir psychique qui retient prisonnier l'énergie et la libido du
sujet "ensecrété"...
A la transmission de mère en fille de savoir et de savoir-faire
ancestraux s'est substitué aujourd'hui le silence sur les conditions
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de la filiation (accouchement sous x, Five...) et ses probables


conséquences psychiques... on a envie de dire devant l'incohérence
d'une loi qui garantit la confidentialité du donneur de sperme et la
possibilité récente de prouver la paternité : mais où sont les secrets
d'antan !
La relecture que Claire Delassus, à la suite de Guy Ausloos,
propose du mythe d ' O e d i p e où les secrets se recouvrent et
s'enchaînent dans une logique implacable qui est celle de la malé-
diction des Labdacines montre bien que le secret mortifère est de
toute éternité.
Le mythe familial aura alors pour fonction de recouvrir ce
qui doit rester caché car innomable parce qu'ignominieux. La
" c h a î n e d u s e c r e t " f o n c t i o n n e a l o r s à l ' i m a g e d e c e s p a r t i q u e s

s u p e r s t i t i e u s e s o ù u n m e s s a g e e s t a d r e s s é à l ' a u t r e a v e c l ' o b l i g a t i o n

d e l e t r a n s m e t t r e t o u t e n l e g a r d a n t c è l é .

L e s l o y a u t é s i n v i s i b l e s d e B o s z o r m e n y i - N a g y r e n d e n t b i e n

c o m p t e d e c e t t e t r a n s m i s s i o n d e d e t t e s d o n t l ' i n s o l v a b i l i t é s e

r e t r o u v e p a r e x e m p l e d a n s l ' h i s t o i r e d e l ' h o m m e a u x r a t s !

S i l e s " g e n s s a n s p a s s é s o n t d e s g e n s s a n s n o m s " ( K u n d e r a ) ,

l ' o m b r e d e s o b j e t s p a s s é s s o u s s i l e n c e é c r a s e c e l u i q u i a v é c u t r o p

d ' h i s t o i r e s . S i l e s e c r e t m o d è l e l a p s y c h é d e c e l u i q u i y e s t c o n f r o n -

t é , d i f f é r e n t e s m o d a l i t é s d e r é p o n s e p e u v e n t ê t r e r e n c o n t r é e s , i s o -

l é e s o u c o m b i n é e s .

T o u e n é v o q u a n t l a r é p é t i t i o n d ' a g i r s , c o n s é q u e n c e d e s n o n -

d i t s , e t s o n é v e n t u e l " A u f h e b u n g " p a r l e s s u b l i m a t i o n s e t l a c r é a -

t i o n ( F r e u d , H e r g é , R o m a i n G a r y p o u r n e c i t e r q u e q u e l q u e s n o m s ) ,

l ' a u t e u r s ' a t t a c h e à é t u d i e r l e s e f f e t s p a r a l y s a n t s d e s s e c r e t s s u r

l ' i n t e l l i g e n c e .

A p a r t i r d e b i l a n s p s y c h o l o g i q u e s d ' e n f a n t s e n é c h e c s c o l a i -

r e , e l l e r e p è r e u n e s é r i e d ' i n d i c e s q u i p e u v e n t m e t t r e s u r l a v o i e

d ' u n s e c r e t .

L e s t r o u b l e s s p a t i o - t e m p o r e l s , l e d é c a l a g e f l a g r a n t e n t r e l e

p o t e n t i e l i n t e l l e c t u e l r é e l e t l e s r é s u l t a t s s c o l a i r e s , l a c u r i o s i t é p a r a -

d o x a l e q u i h y p e r - s p é c i a l i s e u n e n f a n t s u r u n e t h é m a t i q u e m i n e u r e
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sont autant de signes qui plaident pour la présence d'une intelligen-


ce interdite.
Les praticiens trouveront également dans cette recherche de
précieux apports fournis par les tests projectifs (T.A.T., Rorschach)
où l'auteur décèle des réponses évocatrices du secret.
Certes ce travail méritait d'être approfondi et poursuivi, le
nombre de cas cliniques restant par trop restreint mais d'ores et
déjà il apporte un éclairage indispensable à tous ceux qui s'interro-
gent sur le "fruit défendu de l'arbre de la connaisssance que le livre
de la Genèse nous recommande de ne pas manger".
Le but d'une préface est certes de donner envie de lire
l'ouvrage, aussi la terminerais-je en évoquant tout le plaisir que j'ai
pris à la lecture de celui-ci. Aux antipodes du galimatias universi-
taire et de l'hermétisme de bon ton trop souvent rencontrés dans la
littérature professionnelle, la langue utilisée surprend d'autant par
la culture qui la soustend que par d'indéniables qualités littéraires...
Et si le secret de Claire Delassus était d'être (sans le savoir) un
écrivain ?

Jean-Pierre Chartier.
Psychanalyste, membre titulaire du 4ème groupe
Directeur de l'Ecole de Psychologues Praticiens.
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Introduction

Toute famille a ses secrets, secrets plus ou moins honteux,


inavouables ou tragiques. Mais tous ces secrets ont quelque chose
en commun : ils sont frappés d'interdit, interdits de séjour, interdits
de parole, ces secrets doivent rester ensevelis sous le poids de la
honte, de la culpabilité et du silence.
Mais il ne faut pas croire que ces secrets familiaux sont
enfouis à jamais et n'appartiennent qu'au passé; les faits à l'origine
des secrets ne constituent pas seulement une date bannie de la chro-
nologie familiale. Certains ont voulu les rayer de l'histoire et de la
mémoire familiale, mais, tels des noyés, ils commencent par faire
des bulles, puis sombrent par le fond, pour remonter lentement vers
la surface, longtemps après la tragédie.
Etymologiquement le secret est quelque chose qui doit être
retenu à l'écart des autres et du monde, au pire il est complètement
nié, il n'a jamais existé: secret sur le secret. Evidemment ce ne sont
pas les actes glorieux, les succès ou les grandes réussites qui
constituent les secrets de famille : ce sont les actes délictueux, les
comportements qui ont été jugés comme allant à l'encontre de la
morale, de l'honneur, des bonnes moeurs de l'époque. Ce sont tous
les événements qui ont marqué la mémoire du sceau de la honte ou
de la souffrance et qui ont été reniés par la famille. Ce "squelette
dans le placard", comme le désignent les Anglais nous attend au
détour d'une recherche généalogique en bonne et due forme.
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D'ailleurs dans le vocabulaire du généalogiste, on retrouve le terme


de "squelette" qui désigne l'arbre que l'on construit avec l'état civil
et les registres paroissiaux. Allez donc enlever un os stratégique à
ce squelette et patatra, tout l'arbre s'effondrera. Voilà bien le prin-
cipe du fonctionnement du secret.
Nous verrons comment un événement crucial, qui a été
occulté de l'histoire familiale, rejaillira par de multiples voies
détournées sur les générations ultérieures sans même qu'elles en
aient conscience. Le secret est une entité active qui a sa propre vie,
son propre langage et des effets tout à fait particuliers sur l'équi-
libre familial.
Le secret a notamment le pouvoir de pétrifier la pensée de
ceux qui en héritent. Essayer donc de penser à quelque chose
d'impensable, un secret qui est par essence inconnu et sur lequel
pèse un interdit relié à une forte culpabilité. Autant dire que la cul-
pabilité produit les mêmes effets que la dynamite, le secret fonc-
tionne comme une véritable bombe à retardement. Trois solutions
s'imposent à celui qui est confronté au secret : faire avec mais sans
y penser, essayer de l'oublier en pensant à autre chose, ou bien le
découvrir tout en le désamorçant.
Autrement dit le secret exerce une action à la fois structu-
rante et déstructurante sur le psychisme; imaginez une maison
construite sur ou autour d'un puits : quel que soit l'édifice, le puits
sera intégré aux plans de la maison; il sera soit en-dessous, et en ce
cas l'humidité pourra s'infiltrer dans les fondations et fissurer les
murs, soit il sera condamné et emmuré interdisant tout accès à une
certaine partie de la maison. Il peut aussi être visible par tous, en
plein milieu du jardin, chacun en connaissant l'existence, mais tous
se gardant bien d'en approcher pour voir ce qu'il contient.
Notre démarche consiste à suivre le parcours du secret : de
son instauration, à sa transmission, au rôle qu'il peut jouer dans
l'économie psychique et aux conséquences dramatiques qu'il peut
engendrer. En effet, le secret a sa propre logique et véhicule de par
sa nature même un paradoxe : il est interdit de le connaître, mais il
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est aussi interdit de l'oublier. Difficile de vivre avec un tel héritage


souvent invisible mais ô combien présent.
L'homme, tel l'arbre, a besoin de racines pour se construire;
coupez les racines de l'arbre et il tombera ; si les racines s'entremê-
lent et s'enchevêtrent,son équilibre s'en trouvera ébranlé. La
connaissance de ses origines et donc de ses ascendants est un
besoin vital pour l'homme : il a besoin de se sentir enraciné dans
une lignée pour pouvoir croître et s'épanouir.
Lorsque l'on sait d'où l'on vient, on sait déjà mieux qui l'on
est et cela permet de savoir où l'on va. "Fruits et racines ont même
commune mesure qui est l'arbre" nous livre Saint-Exupéry, rappe-
lant bien ainsi le lien qui unit les générations des ascendants à leurs
descendants. L'existence d'un secret stigmatise "une faute" qui n'a
pu être assumée. La culpabilité qui en résulte se transmet de géné-
ration en génération sous la forme d'une dette non acquittée qui
pèse sur les descendants.
Ainsi, comme l'écrit Jean Cocteau, "de notre naissance à
notre mort, nous sommes un cortège d'autres qui sont reliés par un
fil ténu", dont le mythe familial et le secret sont les témoins, reflets
illusoires d'un passé qui se voudrait exempt de toute tragédie.
Certains, croyant pouvoir infléchir le cours de cette transmis-
sion, occultent ou déguisent volontairement une part de l'histoire
familiale; mais, loin d'être oublié, ce pan de mémoire continue à
vivre et à hanter les esprits souvent à leur insu, tel l'écho qui se
répercute et rebondit de par en par, bien longtemps après que le son
inaugural se soit évanoui.
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Avant de nous plonger au sein même du secret ou des


secrets, il nous semble indispensable de définir très précisément ce
mot afin d'en dégager tous les sens, que le langage voudra bien
nous confier. L'analyse étymologique nous permettra de nous plon-
ger aux racines de ce mot pour en tirer sa véritable signification.
L'exploration étymologique ainsi que l'emploi fréquent du mot
secret dans différentes locutions pourra nous surprendre et nous
permettre de débusquer des sens parfois inattendus.

ETYMOLOGIE ET LOCUTIONS

Plongeons-nous donc sans plus attendre dans les racines du


mot secret : le mot secret provient du latin secretus du XVIème
siècle, et signifie "séparé, secret" ; l'autre racine vient du verbe
secernere qui signifie "écarter". La première définition donnée par
le Grand Robert du mot secret est la suivante : " Ensemble de
connaissances et d'informations qui doivent être réservées à
quelques-uns, et par suite que le détenteur ne doit pas révéler. "
Le premier sens dégagé traduit donc le fait de détourner un
certain nombre d'informations, de connaissances, qui sont alors
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réservées à un nombre limité de personnes. Arnaud Lévy dans un


article intitulé : Evaluation étymologique et sémantique du mot
secret 1* nous dévoile une parenté étymologique entre les mots
secret et excrément.
En effet, bien avant l'apparition du mot français au XVIème
siècle, le terme le plus fréquemment utilisé en vieux français était
"segret", plus rarement "segrai" ou " segroi". Ce mot avait le même
sens que de nos jours, mais il est à souligner qu'au XIIIème siècle,
dans le Sud Ouest de la France, "la chambre segreta" désignait les
lieux d'aisance, aussi désignés par le terme de "segreta". Ce mot a
gardé ce sens jusqu'au XVIIème siècle environ, puisqu'on peut lire
dans un texte juridique datant de 1618 : "Tous les secrets com-
muns, égouts, cheminées communs seront vidés et nettoyés à frais
communs."
Ceci révèle clairement la parenté étymologique existant entre
secret et excrément, parenté qui peut surprendre et faire sourire.
Prolongeant son analyse, l'auteur reprend le verbe "secerno" qui
signifie séparer, mettre à part. Disséquant les nombreux dérivés
étymologiques de ce verbe, nous découvrons de nouveaux sens :
ainsi, le verbe "secerno" est lui-même composé du préfixe "se"
indiquant une séparation et du verbe "cerno, crevi, cretum" consti-
tuant la racine même du mot secret.
Le premier sens du verbe "cerno" signifie cribler, passer au
crible, et désigne l'opération de tamisage du grain, visant à trier,
grâce au crible, le bon grain du mauvais grain, résidu ou criblure.
Donc la racine du mot secret trouve ses origines dans une opération
agricole !.
Mais le verbe cerno a également d'autres sens dérivés du
premier et notamment celui de discerner, distinguer un objet au
loin, mais aussi le sens figuré de discerner, c'est-à-dire distinguer le
vrai du faux, le bien du mal. Cernere signifie également trancher,
juger.

* Références en fin de partie, page 108.


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Par extension, cernere possède deux dérivés particulièrement


intéressants : ex-cerno et se cerno. Ex-cerno, dont le préfixe met
l'accent sur le rejet, signifie évacuer par criblage et le terme
d'excrétion en dérive. Ainsi excrementum, qui désigne la criblure
mais a également le sens de déchet, a donné le mot français
d'excrément. A l'opposé, le terme secerno a donné le terme de
sécrétion. Secret et excrément ont donc une parenté étymologique,
une racine commune véhiculant l'idée de tri et de séparation. Le
préfixe ex, met l'accent sur le rejet et désigne l'élaboration et le
rejet de substances inutiles et toxiques : les excréments, alors que le
préfixe se insiste sur la mise à l'écart avec une notion de conserva-
tion de substances nobles et physiologiquement utiles.
Cette analyse étymologique nous ramène à l'importance
même du secret, qui peut être gardé comme un bien précieux, un
trésor, ou qui, exposé à d'autres, peut se comporter comme un véri-
table toxique, engendrant bien des conflits par les informations
qu'il recèle. La langue française nous confie encore bien d'autres
sens liant à la fois le mot secret et le mot excrément. Par exemple
au travers de cette expression du langage courant : "il faut laver son
linge sale en famille". Autrement dit, ce qui est "sale et honteux",
ne doit pas sortir du cercle familial et doit donc rester secret !
L'étymologie nous a révélé une parenté entre les mots secret
et excrément ; nous verrons plus loin que la forme et le sens s'unis-
sent pour nous dévoiler le caractère "anal " du secret dans sa fonc-
tion de rétention d'un savoir et d'appropriation d'un pouvoir.

Le secret dans les méandres du langage


L'analyse des différents sens du mot secret et surtout de ses
différents emplois, nous renvoie à un véritable polymorphisme des
usages de ce mot. Ainsi, le secret peut-il désigner un lieu, comme
dans l'expression : "Mettre quelqu'un au secret" qui signifie empri-
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sonner une personne et lui interdire toute communication avec


autrui. L'accent est mis ici sur l'isolement du prisonnier et sur
l'impossibilité d'avoir des échanges avec le monde extérieur.
Retrouvant la parenté étymologique évoquée plus haut, cette cita-
tion extraite de l'oeuvre de Racine, évoque aussi un lieu : Souvent
ce cabinet superbe et solitaire, des secrets de Titus est le dépositai-
re. Citation où l'on retrouve d'ailleurs l'idée d'isolement liée au
secret. Dans un autre ordre d'idée, l'on retrouve la notion de lieu
secret dans l'expression : "Les secrets d'alcôve ou de l'alcôve",
désignant les secrets de la vie conjugale et intime, puisque l'alcôve
est un renfoncement pratiqué dans une chambre pour y placer un
lit. D'autre part, l'expression "à huis clos" qui signifie en secret,
renvoie à un lieu, à un endroit clos, fermé, où des confidences
pourront s'échanger à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes.
L'adjectif secret, lui, renvoie aussi à un lieu difficile à trou-
ver, et donc par extension à une cachette : un tiroir secret, la combi-
naison secrète d'un coffre-fort, une porte ou une issue secrète.
Ainsi, le secrétaire, n'est-il pas ce petit meuble raffiné auquel on
confie toute sorte de secrets et qui a pour mission de les garder, de
les taire ? Secret-taire ?
Par association d'idées, l'on s'aperçoit que le secret apparaît
aussi dans des expressions imagées où les organes des sens sont en
jeu. Le premier sens concerné est bien sûr la vue, un secret est par
essence caché à l'abri des regards indiscrets ; ne dit-on pas dévoiler
un secret, le mettre à jour ? Nous retrouvons d'ailleurs la même
idée avec les expressions "il n'y a pas de fumée sans feu", qui ren-
voie plus aux conséquences du secret dans ce qu'il peut avoir
d'apparent et "couver sous la cendre ", qui indique la présence d'un
foyer (secret) mais invisible à l'oeil nu parce que recouvert; si l'on
poursuit cette métaphore,on peut imaginer qu'il suffira d'un petit
coup de vent pour ranimer le feu et le faire repartir. Associé au
regard, l'expression " connaître l'envers de la tapisserie" ou
"connaître l'envers du décors" insiste sur l'importance de ce que
l'on ne voit pas d'emblée, sur ce qui est caché et qui requiert, en
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quelque sorte, un don de double vue pour pouvoir connaître à la


fois l'envers et l'endroit, le visible et l'invisible des choses.
"Etre dans le secret des Dieux", n'est-ce pas connaître les
dessous d'une affaire en accointance avec un petit nombre de gens
influents et haut-placés ? On retrouve d'ailleurs la même idée dans
ce proverbe turc : "Qui conçoit en secret, accouche en public", ou
ce qui se trame en secret, hors de portée du regard des autres, finit
toujours par se voir au grand jour.
Le second sens mis en jeu est l'odorat. Ne dit-on pas :
"Découvrir le pot aux roses " ou bien "Etre mis au parfum",
lorsque l'on découvre quelque chose qui ne devrait pas être révélé ;
de même il arrive que l'on dise que " le secret a transpiré", ce qui
nous montre encore comment le secret peut être associé aux mau-
vaises odeurs (ce qui nous rappelle encore davantage la parenté
étymologique entre secret et excrément!). L'expression familière "il
y a de l'oignon", pour désigner la présence d'un secret, renvoie
aussi à une odeur forte; la métaphore de l'oignon est d'ailleurs
riche de sens : n'est-ce pas en arrachant une à une les pelures ser-
rées et superposées de l'oignon que les larmes montent aux yeux
brûlants et irrités ? Plus forte est encore cette expression : "Ça sent
le cadavre...", qui signifie que les choses vont mal, ou peuvent mal
tourner. De même lorsque l'on associe volontiers dans le langage
familier les gens curieux, fouineurs qui cherchent ce qu'ils ne
devraient pas chercher, à des gens qui "ont du nez" ou qui "fourrent
leur nez partout".
A l'inverse, quand on veut extirper un secret à quelqu'un,
l'on dit alors suivant l'expression en usage "Tirer les vers du nez",
or ver vient du latin et signifie vrai.
Mais le sens le plus à l'oeuvre dans la propagation des
secrets reste l' ouïe : on dit ébruiter un secret, une affaire, ou bien
"glisser un secret sous l'oreiller", comme un chuchotement. Le
secret, ne l'oublions pas se transmet de bouche à oreille ! L'expres-
sion : "Sous le sceau du secret" signifie confier un secret, une
information sous condition impérative de ne rien divulguer : les
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lèvres doivent restées scellées. Dans le cas contraire, on a "vendu la


mèche", car "rien ne pèse autant qu'un secret" et pourtant ne
confie-t-on pas ses petits secrets en disant : "Motus et bouche cou-
sue" ?
C'est le langage qui trahit nos secrets, secrets qui pèsent par-
fois si lourds, qu'on ne voudrait pas les connaître soi-même.
Le secret peut être aussi lié avec la mort : ne dit-on pas d'un
vieillard peu loquace et sur le point de mourir : "Il emportera son
secret dans la tombe" ? Ou encore pour montrer que l'on est
discret : "Ayez confiance en moi, je suis "muet comme une tombe".
Ne parle-t-on pas encore d'ensevelir ou d'enfouir un secret
en soi-même comme dans un tombeau ? Dans ce lien avec la mort,
l'on retrouve la notion de silence associée au repos éternel et à la
notion de lieu : d'une tombe les gens ne parlent pas. En tout cas la
mort, elle ne révèle jamais son secret aux survivants ! Une autre
expression assez ancienne relie secret, mort et pouvoir : " savoir où
est le cadavre de quelqu'un " signifie "connaître son secret, savoir
quel est son vice dominant, son faible".(Dictionnaire de la langue
verte d'A.Delvau de 1867).

D u N O N - D I T AU S E C R E T DE POLICHINELLE

Le secret est avant tout une information de la plus haute


importance concernant un événement honteux ou dramatique ou
des comportements jugés comme étant répréhensibles de la part de
certaines personnes. Cette information précieuse peut être connue
d'une ou de plusieurs personnes devant garder impérativement le
silence. Donc le secret est avant tout un savoir, savoir d'autant plus
précieux, qu'il ne doit pas être transmis.
Comme le dit Rémy de Gourmont : Savoir ce que tout le
monde sait, c est ne rien savoir, le savoir commence là où commen-
ce ce que le monde ignore. (in Promenades philosophiques)
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Le psychiatre Guy Ausloos dans un article sur les secrets de


famille, donne une définition très précise du secret : C'est un élé-
ment d'information non-transmis, que l'on s' efforce de cacher
consciemment, volontairement à autrui, en évitant d'en communi-
quer le contenu, que ce soit sur le mode digital ou analogique. 2
L'auteur insiste donc sur la volonté explicite de ne pas transmettre
une information. Nous verrons par la suite qu'un secret se transmet
parfois à l'insu même du porteur de secret.
Pourtant, tout ce qui n'est pas transmis ne constitue pas pour
autant un secret ; ainsi, les petites cachotteries de la vie quotidienne
ne sont pas des secrets : tels parents décidant de choisir en cachette
un cadeau à leur enfant, ou bien tel enfant décidant de cacher une
relation amoureuse à ses parents, ne sont pas pour autant à l'origine
de la constitution de ce que nous appelons un secret.
Il existe différentes formes de secrets, des secrets qui n'en
sont pas vraiment et d'autres qui sont des secrets à double ou à
triple fond. Il est important de bien distinguer le non-dit, le men-
songe et le secret. Le mensonge, est "une assertion sciemment
contraire à la vérité, faite dans l'intention de tromper. " Ainsi, pour-
rait-on croire que le fait de ne rien dire ou de ne pas dire quelque
chose (non-dit) est opposé au fait de mentir. Or, le non-dit se rap-
proche plutôt de ce que l'on pourrait appeler " le mensonge par
omission", c'est-à-dire que l'on oublie volontairement de dire
quelque chose. Le non-dit, c'est le blanc du discours, c'est la tache
aveugle qui absorbe toute la lumière, c'est l'absence qui brille d'un
éclat mat. Mais alors, quelle est la différence entre le non-dit et le
secret ?
Les non-dits se limitent à la non-transmission par le langage
digital et verbal, alors qu'ils peuvent être transmis sur un mode
analogique. (G.Ausloos, opus cité) L'exemple d'un non-dit cité par
l'auteur est fréquent et relativement simple : des parents, en pro-
fond désaccord avec les méthodes d'enseignement de l'institutrice
de leur enfant, n'en disent rien à celui-ci ; cependant, nombre de
choses et de comportements traduiront ce désaccord. Finalement, si
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le non-dit reflète une absence de discours sur une chose précise, le


comportement peut révéler et même trahir ce qui n'a pas été dit. Si,
dans le cas du secret, rien ne doit transparaître, le mensonge lui,
peut servir à masquer la vérité, en servant de paravent au secret. Un
exemple : un homme marié et ayant une situation sociable enviable,
a toujours caché à sa femme et à ses enfants le court épisode de sa
vie, durant lequel il a fait de la prison ; s'il n'en parle jamais, sur
quelque mode que ce soit, à savoir ni par allusion, ni par ses atti-
tudes, alors cet épisode de sa vie dont il a honte, peut constituer un
secret.
Par contre, s'il accorde, dans son discours éducatif une gran-
de place au respect de la loi, et va même jusqu'à manifester une
haine farouche pour ceux qui la transgresse, alors, dans ce cas, il
constitue davantage un non-dit focalisé sur un moment de sa vie,
mais un non-dit qui influence encore en grande partie ses opinions
et ses attitudes actuelles.
Dans ce cas précis, une seule personne était détentrice du
secret. Mais le secret peut être partagé avec un ou plusieurs
membres de la famille. Par exemple, dans le cas d'une adoption, il
peut arriver que les deux parents décident d'un commun accord de
ne rien révéler de sa véritable origine à l'enfant, et aillent même
jusqu'à lui mentir pour préserver le secret.
Mais il existe une autre forme de secret : c'est le secret de
Polichinelle, cette forme très particulière de secret évoque un
secret, qui paradoxalement est connu de tous, c'est-à-dire en fait,
une absence de secret. Cette expression désigne par exemple les
petites manies ou. les marottes d'un membre de la famille dont
tout le monde ricane sous cape, mais que l'on évite d'évoquer
devant la personne concernée. Un exemple : tel père de famille
qui se montre excessivement radin dans la vie quotidienne, a une
véritable passion pour le jeu et y perd régulièrement d'impor-
tantes sommes d'argent. Les autres membres de la famille sont au
courant, mais "ferment les yeux" et cette marotte n'est un secret
pour personne.
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A la fois contenu et contenant, il permet d'instaurer les limites entre


l'intérieur et l'extérieur, le dedans et le dehors, soi et les autres.
Renvoyant au narcissisme, à la construction de l'identité, il
constitue un élément structurant de l'organisation psychique : le
secret comme condition pour pouvoir penser.
En ce sens, l'espace du secret (privacy) est un garant de
l'équilibre psychique.
Le secret de famille, par contre, est un danger pour l'équilibre
psychique de celui qui le porte, en même temps qu'il est le pivot de
l'homéostase familiale. A la fois fascinant et embarrassant, devant
être à la fois oublié et commémoré, retenu et exhibé, caché et expo-
sé, il oeuvre en silence, produisant un certain nombre de symptômes
plus ou moins graves.
Ce n'est pas par hasard si la révélation du secret est associée à
la mort comme dans l'expression " emporter son secret dans la
tombe", où le silence et la mort l'emportent sur la parole et la vie.
Secret, savoir et mort sont reliés par la culpabilité. L'aveu de
l'inavouable peut être associé à un danger de mort inconscient. C'est
pourquoi la sublimation dans une activité artistique permet au créateur
de se libérer partiellement du secret, de manière cryptée, donc non-
reconnaissable et sans même en avoir conscience. Ce moyen détour-
né, cette échappatoire permet également un travail psychique, un
réaménagement qui contribue à une meilleure intégration du secret.
Mais le plus souvent ce sont le déni et l'amnésie qui sont les
meilleurs alliés du secret, l'installant et le confortant dans sa fonc-
tion de parasite psychique. Parasite qui se transmet de génération
en génération . La psychanalyse a permis de mettre en lumière
l'impact d'événements douloureux qui ont été vécus par les parents
et qui n'ayant jamais pu être dits, sont transmis aux enfants qui en
portent les effets. Ainsi, la psychanalyse -et surtout la psychanaly-
se d'enfants- a fait comprendre la solidarité des générations devant
les effets dévitalisants de certains traumatismes, stress, chocs affec-
tifs, ou vitalisants, réussites, joies. (F.Dolto, La cause des enfants)
Cette découverte nous montre à quel point il est rare et difficile
de pouvoir faire l'économie du passé de ses ancêtres ( outre celui des
parents, on pense à celui des grands-parents). Pour Françoise Dolto
cette découverte de la transmission de l'héritage aussi bien que de la
dette sur le plan émotionnel inconscient des êtres humains, est compa-
rable pour son importance capitale à la découverte sur le plan patho-
gène de la transmission génétique de certaines maladies (opus cité).
Ce secret de famille qui est resté interdit, dont la souffrance est
restée en suspens, sans interlocuteur, continue de hanter les pensées de
celui qui en a hérité de manière silencieuse. Le secret est une histoire
sans parole. La "faute" à l'origine de l'instauration du secret, n'a jamais
pu être révélée, formulée, et n'a jamais pu être assumée. Or le seul
moyen de rompre la chaîne du secret est de parler cette faute, de la
mettre en mots. Encore faudrait-il savoir de quoi il s'agit. Il est parfois
difficile de relier les symptômes à leur origine, surtout s'il s'agit d'un
secret qui par essence a été bien gardé. Le secret s'il ne peut s'exprimer
de façon sublimée, trouvera une autre voie détournée et ceci souvent
aux dépens de celui qui le porte : le sujet pourra éprouver des angoisses
sans nom, une tristesse profonde sans raison apparente, ou pourra déve-
lopper des troubles psychosomatiques qui permettront à la souffrance
qui n'a pas été mise en mots de s'exprimer de façon symbolique.
La "faute" qui n'est pas dite et donc non reconnue, sera alors
déplacée sur d'autres qui s'en sentiront inconsciemment responsables :
ce sont ces dettes invisibles qui perdureront leur travail de séparation
sur plusieurs générations. Rappelons que la première séparation s'est
opérée au sein du psychisme par la mise en place du clivage : une partie
du psychisme ne sait pas qu'elle sait, tandis que l'autre interdit de faire
savoir qu'elle sait. L'esprit est divisé, une chaîne de communication
verbale a été rompue. Pour la rétablir, il faudra toute la neutralité d'un
thérapeute qui, lui, pourra entendre la souffrance et reconnaître la faute
cachée et inavouable sans se sentir atteint par le poids de la culpabilité
dont il doit d'ailleurs décharger le porteur de secret. Seule la parole est
libératrice et peut briser les chaînes invisibles tissées par le secret.
Sans parole, les secrets continueront leur chemin déclenchant
les mêmes histoires répétées sans fin et dont la trame a pour origine

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