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Valérie Josselin, « Témoignage : "Notre maison de famille, entre bonheur et galères...

" »,
Femme actuelle, 19/08/2019
L’indivision est souvent source de conflits. Mais si l’on ne souhaite pas se séparer d’une
maison chargée de souvenirs de famille, les compromis sont indispensables pour préserver
l’entente. Sandrine raconte son expérience.
C’est une maison chargée de souvenirs. Une ancienne longère achetée dans la région de
Beauvais par le grand-père pendant la guerre pour “mettre à l’abri” ses deux enfants.
Amoureuse de la campagne, Mireille, sa fille, en a hérité. Ses trois enfants y ont passé toutes
leurs vacances, petites et grandes. Elle est devenue le témoin privilégié des mariages, des
anniversaires et des retrouvailles familiales. Il y a quatre ans, quand Mireille, désormais trop
âgée pour l’entretenir, a voulu vendre, ce fut l’insurrection ! Un compromis fut signé chez le
notaire pour la garder en indivision. Elisabeth, la sœur aînée, qui a les moyens, a proposé de
prendre en charge tous les frais. Il est déjà prévu légalement que cette maison lui revienne au
décès de leur mère. Elle rachètera alors les parts de son frère et de sa sœur. Sandrine, « la
petite dernière », a dû revisiter ses habitudes...
“Je ronge mon frein… en silence”
“Du temps de ma mère, la maison était toujours impeccable. Il faisait bon, les draps sentaient
le propre et étaient rangés par taille et par pièce, on voyait à travers les vitres, et on ne passait
pas son temps à chercher une ampoule neuve ou la clef du hangar à vélo ! Le jardin, entretenu
par un voisin moyennant finances, avait gardé tous les pommiers et les cerisiers que mon
grand-père affectionnait. Avec ma sœur, c’est différent. Pour faire baisser les charges, elle a
renoncé à la femme de ménage et au jardinier, et chauffe le minimum, ce qui a pour effet de
favoriser les moisissures. Elle a décrété que le bouleau, planté avant ma naissance, faisait des
“cochonneries” sur la terrasse, et que les hortensias demandaient trop d’entretien. Une pelouse
lisse comme un terrain de foot, c’est plus pratique à tondre ! Pour moi, qui ai toujours voté
écolo, c’est une hérésie ! Comme elle paie, elle est naturellement prioritaire et vient le plus
souvent possible, de préférence... quand il fait beau. Mais nous n’avons pas le même niveau
d’exigence. Moi, je suis un peu maniaque... Résultat, quand j’arrive le week-end suivant parce
que la maison est libre, je commence par passer l’aspirateur et vider la poubelle. Mais cela me
paraît difficile de râler puisque Elisabeth a le cœur sur la main et n’a jamais joué la
propriétaire possessive et intransigeante. Et j’oubliais, elle s’est aussi attribué la meilleure
chambre, avec la salle de bain. Il y a bien une douche à l’étage, mais l’hiver, quand j’ai envie
de prendre un bain, je suis obligée de lui demander si cela ne la dérange pas ! A plus de 50
ans, je retrouve ma place de “petite dernière”, obligée de s’affirmer pour exister…
“Je rivalise d’imagination pour marquer mon territoire”
Heureusement, ma sœur, soucieuse des traditions et nostalgique du passé, n’a rien changé à la
déco de la maison, qui est restée dans son "jus", avec ses assiettes en faïence accrochées au
mur, ses crucifix au-dessus des lits, et tous les cadres photos. Bon, elle n’a pas pu s’empêcher
de ramener son canapé élimé par les griffes du chat, sa collection de disques vinyles et ses
dessus de lit thaïlandais, mais ça va. Dans son apparence, la maison reste celle de la famille,
où tout le monde retrouve facilement ses marques. Après mon licenciement, j’ai connu une
période de vaches maigres et j’ai dû prendre un logement plus petit. Ma mère m’avait donné
l’autorisation d’entreposer quelques affaires dans la maison : lampes, tableaux, tapis… Le
problème, c’est que ma sœur, avec l’habitude, pense qu’ils ont toujours été là ! Il a fallu que je
fasse intervenir ma mère pour qu’Elisabeth comprenne qu’ils sont à moi et que je pourrai les
reprendre un jour. Mon nouveau copain m’a fait récemment remarquer que notre voiture
n’était jamais vide quand nous descendions là-bas. Il faut toujours que j’y laisse un petit
quelque chose : une paire de baskets (pour courir), une polaire (au cas où il fait très froid), un
oreiller anatomique (pour prévenir le torticolis), mon thé ou mon chocolat préféré (que je ne
trouve pas à la supérette du coin) … Le dimanche soir, j’ai aussi pris l’habitude de plier mes
draps et de les étiqueter à mon nom, avant de les ranger dans l’armoire bien en évidence…
“Nous sommes obsédés par la peur du conflit”
Les colères légendaires de mon père nous ont traumatisés quand nous étions petits. Cela
explique sans doute les efforts continuels que nous faisons chacun pour éviter de nous
disputer, malgré nos différences de tempérament, de goûts, de style. Ceux qui connaissent
notre famille n’hésitent pas à parler de “clan”. Ce qui nous étonne à chaque fois, car nous ne
sommes pas très famille. Enfin, c’est qu’on se raconte. Nous préférons nous croire libres. Si
nous nous voyons régulièrement - y compris en région parisienne - c’est parce que nous nous
sentons davantage copains que frères et sœurs. Je crois que ma mère est à l’origine de notre
entente. Elle a toujours été juste. Dès qu’elle aide financièrement Elisabeth quand il y a des
travaux, elle nous adresse un chèque pour compenser. C’est elle qui a tenu à baptiser les
chambres par numéro, et non par petit nom, pour montrer qu’elles sont interchangeables.
"Nous nous y retrouverons toujours"
Encore très active, ma mère est aussi la reine de l’anticipation... Cette année, elle a acheté
dans le village une petite maison de ville pour la prêter en cas d’embouteillage dans la maison
principale. Nos enfants sont aujourd’hui de jeunes adultes qui vont devenir parents à leur tour.
Ils seront bien contents de pouvoir se retrouver entre cousins et cousines. Mon frère, lui, qui
travaille à domicile et en a assez de la ville, pense carrément à vendre son appartement
parisien pour s’installer dans le coin. Cette idée me tranquillise. Je ne serais pas privée de
points de chute. C’est chouette de se dire qu’on pourra tous être réunis en même temps, sans
avoir à tenir un agenda ou se marcher dessus. Mais on sait à l’avance où se passeront les
grandes tablées familiales, hiver comme été ! Cette maison restera toujours notre point de
rendez-vous privilégié. Elisabeth en héritera mais elle nous y accueillera toujours avec la
même générosité.”

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