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La Guerre et la paix :

Так говорила в июле 1805 года известная Анна Павловна Шерер, фрейлина и
приближенная императрицы Марии Феодоровны, встречая важного и чиновного
князя Василия, первого приехавшего на ее вечер. […]

Уже был второй час ночи, когда Пьер вышел от своего друга. Ночь была июньская
петер-бургская, бессумрачная ночь. […] … ночь … походившую более на вечер или
на утро.

La discordance entre les deux passages est le fait de l’auteur, qui situe le début de son roman un
soir de juillet 1805 (le bristol d’Anna Pavlovna Scherer prie les invités de paraître à sa soirée
entre 19 h et 22 h) et, quelques chapitres plus loin, — LA MÊME NUIT — Pierre Bézoukhov quitte
André Bolkonski après souper, vers une heure du matin, par une nuit blanche de juin, carac-
téristique de Saint-Pétersbourg.

Henri Mongault :

(p.3) C’est par ces paroles qu’au mois de juin de l’an 1805 la fameuse Anna Pavlovna
Scherer, dame d’honneur favorite de l’impératrice Marie Fiodorovna, accueillit le prince
Basile, personnage important et haut placé, qui arrivait, bon premier, à sa soirée.
(p. 36) Pierre ne sortit de chez son ami qu’à une heure passée. C’était une belle nuit blan-
che, comme il y en a à Pétersbourg au mois de juin. […] … une nuit … très semblable au
crépuscule ou au matin.

Le traducteur a, sans mot dire, rectifié l’incohérence du texte original ; sa discrétion m’a entraî-
né à lui imputer, à tort, ce qui pouvait passer pour une inexactitude (voir « Tolstoï et la traduc-
trice compulsive »). Mea culpa.

En ce qui concerne Maria (pourquoi Anna mais Marie ?) Féodorovna, les éditions ne précisent
pas — indication superflue pour les contemporains de Tolstoï — qu’il s’agit de l’« impératrice
douairière » (Вдовствующая Императрица), mais le lecteur du XXIe siècle risque de ne pas voir
que l’importance sociale de Mlle Scherer ne doit pas être exagérée.

L’hôtesse, comme je l’indiquais il y a peu, « veut entendre de la bouche de son interlocuteur que
les hostilités ont commencé », ce qui n’est pas le cas à beaucoup près :
 В кабинете, полном дыма, шел разговор о войне, которая была объявлена мани-
фестом, о наборе. Манифеста еще никто не читал, но все знали о его появлении.
H. Mongault, p. 72 : « Dans le cabinet plein de fumée, on ne parlait que du recrutement et de la
guerre. On savait que celle-ci venait d’être déclarée par un manifeste, que personne d’ailleurs
n’avait encore lu. »
 Полковник рассказал, что манифест об объявлении войны уже вышел в Петербурге и
что экземпляр, который он сам видел, доставлен ныне курьером главнокомандующему.
H. Mongault, p. 78 : « À en croire le colonel, la déclaration de guerre avait déjà été publiée à
Pétersbourg, et un exemplaire du manifeste, qu’il avait vu de ses propres yeux, venait d’être
remis par courrier au gouverneur militaire de Moscou. »

Pour mémoire, les « nuits blanches » (Белые Ночи, titre d’un court roman de Dostoïevski)
« comme il y en a à Pétersbourg au mois de juin » sont une période d’une cinquantaine de jours (en
gros : de fin mai à la mi-juillet) où la nuit ne dure que deux heures environ — et encore : on a pu
écrire qu’il s’agit plutôt d’une pénombre.

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Ne quittons pas encore la soirée d’Anna Pavlovna.


Pierre Bézoukhov y met de l’animation en se faisant l’avocat du diable : Napoléon.
Un royaliste émigré, le vicomte de Mortemart (Мортемар), évoque l’exécution du duc d’En-
ghien : « depuis l’assassinat du duc il y a un Martyr de plus dans le ciel, un héros de moins sur la terre »,
suscitant l’émotion des assistants, mais aussi la contradiction.

Personnages en présence :
Pierre Bézoukhov ; Anna Pavlovna Scherer ; Lisa, épouse d’André Bolkonski (réputée « la femme
la plus séduisante de Pétersbourg », surnommée la petite princesse) ; Hippolyte Kouraguine.

— Казнь герцога Энгиенского, — сказал мсье Пьер, — была государственная необходи-


мость; и я именно вижу величие души в том, что Наполеон не побоялся принять на
себя одного ответственность в этом поступке.
— Dieu! mon Dieu! — страшным шопотом проговорила Анна Павловна.
— Comment, M. Pierre, vous trouvez que l’assassinat est grandeur d’âme, — сказала маленькая
княгиня, улыбаясь и придвигая к себе работу.
— Ah! Oh! — сказали разные голоса.
— Capital! — по-английски сказал князь Ипполит и принялся бить себя ладонью по
коленке.

Henri Mongault, p. 23 :
— L’exécution du duc d’Enghien, dit monsieur Pierre, fut une nécessité d’État ; et, selon moi,
en assumant seul la responsabilité de cet acte, Napoléon a donné une preuve évidente de sa
grandeur d’âme.
— Dieu ! mon Dieu ! murmura Anna Pavlovna épouvantée.
— Comment, monsieur Pierre, vous trouvez que l’assassinat est de la grandeur d’âme, dit la petite
princesse toujours souriante en rapprochant son ouvrage.
— Ah ! Oh ! s’écrièrent d’aucuns.
— Capital ! dit en anglais le prince Hippolyte, qui ponctua cette exclamation en se tapant
sur la cuisse.

 Des protagonistes, Pierre Bézoukhov est le seul que narrateur et personnages appellent en
russe « monsieur (+ prénom) » dans la toute première partie du roman ; en réalité, la forme uti-
lisée dans tous les cas est Мсье, variante de Месье (indéclinable), et note la prononciation m’sieur,
sans les connotations qu’elle a en français.

 L’écrivain choisit de faire réagir Hippolyte Kouraguine au moyen d’une exclamation an-
glaise idiomatique et d’un faux-ami, si l’on se place du point de vue d’un francophone. Voyez ce
qu’écrivait Maxime Kœssler (Les faux amis des vocabulaires anglais et américain, Vuibert, 1975, p.
118) :

Noter que ce mot, employé familièrement ou non, prend parfois le sens de : excellent,
fameux, parfait, épatant, impayable, de première, p. ex. dans l’expression a capital joke,
une excellente plaisanterie, ou une plaisanterie impayable, a capital medicine, un remède
souverain. Dans ce cas, on le rencontre fréquemment sous forme d’exclamation. […]
“Franck, it is so lucky ! There’s not a soul in my house but me to-night.” “Capital”, said Troy.
(TH. HARDY, Madding Crowd, XXIX, 271.)
« Oh! Franck, quelle chance! Il n’y a pas un chat chez moi ce soir. » — « Fameux ! » s’écria
Troy.

C’est bien entendu ainsi qu’il faut interpréter l’adjectif que les éditeurs russes rendent par Пре-
восходно ! (excellent !).

 Enceinte, la petite princesse a apporté à la soirée mondaine de l’ouvrage de dame (tricot,


broderie, tapisserie), qu’elle range dans son réticule :

Nom donné, sous le Directoire, aux petits sacs que les femmes por-
taient avec elles, et qui, par corruption, ont été dits ridicules.
Je vous ai déjà dit que les femmes avaient repris l’usage des sacs à ouvrage que
les antiquaires appellent réticules, attendu que ceux des dames romaines
étaient formés en filet de réseau ; mais les bourgeoises qui les portent disent
toujours des ridicules.
DECOURCHAMP, Souvenirs de la marquise de Créquy, t. IX, ch. V.

Littré

(Attribués à Pierre Marie Jean Cousen dit de Courchamps,


les prétendus Souvenirs de la marquise de Créqui [1714-1803] sont une
des plus étonnantes mystifications littéraires du XIXe siècle ; la fraude
fut mise en évidence par Charles Romey [1804-1874]. L’attestation rete-
nue par Littré n’est donc pas recevable pour la datation.)

L’accessoire féminin, avec la mode dont il faisait partie, se répandit


dans une bonne partie de l’Europe et chaque langue modela à sa guise
le nom qu’elle avait choisi : le russe opta pour ridicule et Ридикюль ;
Tolstoï se sert des deux termes, mais ses choix ne sont pas toujours réper-
cutés par les traducteurs : « Voyons, à quoi pensez-vous? … apportez-moi
mon ridicule », ordonne sans aménité la petite princesse à son frère Hippo-
lyte, qu’elle vouvoie — mais H. Mongault a préféré « réticule » comme
équivalent de Ридикюль.

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