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Don Quijote : avant la noce de Camacho el rico

Ni jambon ni jonquilles
II, XX, échange entre Sancho Panza et Don Quichotte :

« De la parte de esta enramada, si no me engaño, sale un tufo y olor harto más de torreznos
asados que de juncos y tomillos ; bodas que por tales olores comienzan, para mi santiguada
que deben de ser abundantes y generosas. — Acaba, glotón […] »

 « Du côté de cette ramée, dit-il, vient, si je ne me trompe, un fumet et une odeur


bien plutôt de tranches de jambon frites que de thym et de serpolet. Sur mon âme,
noces qui s’annoncent par de telles odeurs promettent d’être abondantes et géné-
reuses. — Tais-toi, glouton […] »
Louis Viardot, 1836, p. 674

Les torreznos sont des lardons.


Dans l’original, il n’est pas question de serpolet.
Para mi santiguada : (santiguada « signe de croix ») « sur ma foi ». Francisco Rico note, à
propos de la même expression, employée par le curé (I, V) : « ‘por mi cara santiguada’,
forma de juramento por la que uno se compromete consigo mismo a hacer algo », mais
commente notre passage : « ‘por la cruz con que me santiguo’».

 « Si je ne m’abuse et sauf erreur, il vient de ces feuillages un fumet qui tient plus
du lard grillé que du thym ou de la marjolaine. Des noces qui commencent avec des
odeurs pareilles ne peuvent qu’être abondantes et plantureuses ! — Debout, glouton !
[…] »
Aline Schulman, 1997, II, p. 145

Sancho Panza a une réputation méritée de bavard, mais ici le redoublement d’expression
n’est pas de son fait.
Il n’est pas question de marjolaine (mejorana).
Para mi santiguada n’est pas traduit.
Acaba : « Debout » ? Cela donne du mouvement au texte, mais ce n’est pas ce qu’il dit.

 « De ce côté-ci de la ramée, s’échappe, si je ne me trompe, un fumet et une odeur


qui ressemble plus à la senteur du jambon frit qu’à celle du thym ou de la jonquille.
— Assez, glouton ! […] »
Jean Canavaggio, 2001, p. 1045

Les « joncs [odorants], souchets » (juncos de olor, junquillos) ne sont pas des « jonquilles »
(junquillas, narcisos).
La seconde partie de la phrase dite par l’écuyer n’étant pas traduite du tout, l’interven-
tion de Don Quichotte (désireux d’endiguer le flot de paroles de son écuyer) revêt une
brusquerie difficile à comprendre.

 « Si je ne m’abuse pas, il vient du côté de la ramée là-bas une odeur, une senteur
qui est celle du lard grillé beaucoup plus que des jonquilles et du serpolet. Par ma
croix où je me signe, des noces qui commencent par ce genre d’odeurs doivent être
abondantes et généreuses !
— As-tu fini, glouton ? […] »
Jean-Raymond Fanlo, 2008, p. 791

Il ne s’agit ni de jonquilles, ni de serpolet.


Le remplacement de si je ne m’abuse par si je ne m’abuse pas me surprend très désagréable-
ment. Le lecteur qui n’est pas en mesure de comparer avec l’original pourrait avoir l’im-
pression que le traducteur n’a fait que chercher à rendre une incorrection présente dans
l’espagnol de Sancho Panza, alors que tel n’est pas le cas : si no me engaño = « si je ne
m’abuse, si je ne me trompe, sauf erreur de ma part ».

Remarques

 Je me serais attendu à ¡ Acaba ! glotón…


 Rien n’empêche de rendre glotón par « goinfre ».
 Au risque de me tromper / si no me engaño : pour traduire enramada, au lieu de
ramée, « tonnelle, charmille, berceau de verdure » ne feraient-ils pas l’affaire ?
DRAE 1. f. Conjunto de ramas de árboles espesas y entrelazadas naturalmente.
2. f. Adorno formado de ramas de árboles con motivo de alguna fiesta.
3. f. Cobertizo hecho de ramas de árboles. [« tonnelle »]

En II, XIX, un étudiant, compagnon de route occasionnel de Don Quichotte, lui fournit
des précisions relatives au futur époux, Camacho el rico :

En efecto, el tal Camacho es liberal y hásele antojado de enramar y cubrir todo el prado por
arriba, de tal suerte que el sol se ha de ver en trabajo si quiere entrar a visitar las yerbas ver-
des de que está cubierto el suelo.

En effet, le dit Camacho est prodigue et s’est mis en tête de garnir de branchages
tout le pré et de le couvrir par-dessus, si bien que le soleil va devoir se donner du
mal s’il tient à se frayer un chemin et rendre visite à l’herbe verte dont le sol est
jonché.

Explication : « couvrir de branchages ou de feuillages l’entrée de la maison était un signe


d’amour » [J.-R. Fanlo]. Cf. Francisco Rico : ‘cubrir el prado con un entretejido de ramas,
flores y hierbas olorosas’; enramar es señal de declaración de amor, pues normalmente se
enramaba la entrada de la casa; hacerlo con todo un prado es un detalle de ricachón
liberal (‘generoso’). Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches…

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