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UNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES

SCIENCES
PAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE III
FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES

CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS

La faute inexcusable de l'armateur et le principe de la


limitation de sa responsabilité

Mémoire présenté par STAVRAKIDIS Triantafyllos


dans le cadre du Master II Droit Maritime et des
Transports, sous la direction de Monsieur Christian Scapel

PROMOTION 2008

1
La faute inexcusable de l'armateur et le principe de la
limitation de sa responsabilité

Cet ouvrage est dédié à ma mère, Stavroula

'' Le plus grand mal, à part l'injustice, serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sa
faute ''

Platon , Extrait de Gorgias

2
3
REMERCIEMENTS

Que les professeurs Pierre Bonassies et Christian Scapel trouvent ici l’expression de ma
profonde reconnaissance ; M. Bonassies pour sa sollicitude lors de l’encadrement de mes travaux
de recherches et M. Scapel pour m’avoir reçu au sein du CDMT et pour sa confiance. Leurs
enseignements m'ont été précieux.
Je voudrais également exprimer mes sincères remerciements à tous mes Professeurs pour
m'avoir transmis leur passion pour la mer et leur savoir pour le droit maritime.
Je souhaiterais aussi remercier Martine Cheron pour sa disponibilité ainsi que pour ses
encouragements tout au fil de ces deux années.
Merci aussi à tous mes collègues tant de cette année (Ayaka, N'gagne, Frank, Vanessa,
Anais, Khoudia, Adleine, Solenne, Julie, Jean-Mathieu, Axelle, Pierre, Akpène.......) que de l'année
dernière (Oriane, Fred, Christine, Akila, Mohammed......), de même qu'à Neli, pour leur correction,
leur aide, leur disponibilité et surtout leur patience.
Finalement, je tiendrais à remercier profondément mes parents pour leur présence de tous
les instants. Sans eux, rien n’aurait été possible.

4
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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE: LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Chapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable et ses


applications
Section 1 : La naissance de la faute inexcusable en droit des
accidents de travail (loi du 9 avril 1898)
Section 2 : La faute inexcusable en matière des transports
condamnation d'un comportement jugé fautif

Chapitre 2 : La faute inexcusable fondement actuel de la


déchéance de la limitation de responsabilité de l'armateur
Section 1 : En droit commun de responsabilité de l'armateur
Section 2 : Dans les régimes spéciaux de responsabilité (Fipol,
HNS, Pollution par les soutes)
Section 3 : Le troisième paquet Erika et la reforme de la faute
inexcusable par la directive relative à la responsabilité civile et
aux garanties financières des propriétaires de navires

6
DEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTE
INEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES CONSEQUENCES

Chapitre 1 : La conception jurisprudentielle de la faute


inexcusable de l'armateur et ses incidences sur l'institution de la
limitation de la responsabilité
Section 1 : Les éléments de la faute inexcusable
Section 2 : La limitation de responsabilité : droit exceptionnel de
l'armateur ?

Chapitre 2 : La faute inexcusable dans la procédure de limitation


Section 1 : Contestation du droit de l'armateur de limiter sa
responsabilité
Section 2 : Les conséquences de l'admission de la faute
inexcusable de l'armateur sur ses droits

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES MATIERES

7
TABLE DES ABREVIATIONS
ET DES ACRONYMES

ADMO Annuaire du Droit Maritime et Océanique


Annales IMTM Annales de l'Institut méditerranéen des transports maritimes
Alin. Alinéa
Ass. Plén. Cour de cassation, Assemblée Plénière
BTL Bulletin des transports et de la logistique
Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)
Bunker Convention ( International Convention on Civil Liability for
BC
Bunker Oil Pollution Damage)
C.A Cour d'appel
Cass. Cour de cassation
Cass. Civ. Cour de cassation, chambre civile
Cass. Com Cour de cassation, chambre commerciale
Cass. Soc Cour de cassation, chambre sociale
CJCE Cour de Justice des Communautés Européennes
CLC Civil Liability Convention
Convention relative au contrat de transport de marchandises en
CMNI
navigation intérieure
Convention sur le contrat de transport international de
CMR
marchandises par route
Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement
CNUDCI
(UNCITRAL)
Code ISM Code international de gestion et de sécurité
Code international des marchandises dangereuses (The
(The International
Code IMDG
Maritime Dangerous Goods)
Comm. Commentaire
CSS Code de la sécurité sociale
D. Recueil Dalloz
D. eur. Transp. Droit européen des transports
DTS Droits de Tirage Spéciaux
Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus a la
FIPOL
pollution par les hydrocarbures
FFSA Fédération Française des Sociétés d'Assurances

8
Gaz. Pal Gazette du Palais
HNS Hazardous ans noxious substances

J.C.P E Semaine Juridique Entreprises et Affaires

J.C.P G Semaine Juridique Édition Générale


J-Cl Jurisclasseur Encyclopédie
JDI Journal du Droit International
JPA Jurisprudence du Port d'Anvers
Infra Ci-dessous
Lloyd's Rep. Lloyd's reports
LMCLQ Lloyd's Maritime and Commercial Law
NCPC Nouveau Code de Procédure Civile

OACI Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO)

OMI Organisation maritime internationale (IMO)


OPA 1990 Oil Pollution Act of 1990
RCA Responsabilité Civile et Assurances (Revue/Lextenso)
RD transp. Revue de droit des transports terrestre, maritime, aérien
Rép.civ. Dalloz Répertoire civil Dalloz
Rép.com
Rép.com Dalloz Répertoire commercial Dalloz
Rev. Scapel Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports
Rev.cr.dr.int.priv. Revue critique de droit international privé
RFDA Revue Française de Droit Aérien
RGDA Revue générale du droit des assurances
RJC Revue de jurisprudence commerciale
RJDA Revue de jurisprudence du droit des affaires
RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercial
Règles Uniformes concernant le contrat de transport international
RU-CIM
ferroviaire des marchandises
Convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation
SNPD pour les dommages liés au transport par mer des Substances Nocives
et Potentiellement Dangereuses
Supra Ci-dessus
Obs. Observations
V. Voir

9
INTRODUCTION

Le droit maritime, « droit des contradictions1», peut être défini comme « l'ensemble des
règles juridiques spécifiques directement applicables aux activités que la mer détermine2». « Il
incarne un système normatif conçu pour répondre à des questions dont la spécificité provient de
l’hétérogénéité du volume sur et dans lequel il a vocation à s’appliquer. Cette matière originale et
indépendante est gouvernée par un corpus juridique et des institutions particulières, relevant d’un
invincible non-conformisme justifié par les conditions qui président à sa mise en œuvre et tout
particulièrement par les risques qui y sont attachés3».
Un particularisme « inéluctable4» caractérise donc le droit maritime, un particularisme qui
s'explique incontestablement par la théorie des risques de la mer5, quoique que le risque de mer ne
s’impose plus aujourd’hui avec la même autorité6. Certes, ce particularisme ne doit pas être poussé
à l'excès et nous conduire à admettre l'autonomie du droit maritime et à le considérer comme un
droit « auto-institué et qui s’autorégelemente, s’autoalimente7». Au contraire, le droit maritime,
nonobstant l'originalité de ses règles, reste soumis aux principes généraux du droit commun, et en
particulier à la théorie générale des contrats et des obligations8. Il doit être considéré comme une
branche de droit simplement spécifique, singulière, qui dépendrait pour l’essentiel d’un droit

1 Y. Tassel, « Le droit maritime- un anachronisme ? », ADMO 1997, p. 157 et Y. Tassel, « La spécificité du droit
maritime», Neptunus International, vol. 6.2, Nantes 2000, http://www.droit-
univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm, p.1.
2 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p. 1, no 1. V. pour une définition identique, Y.
Tassel, op. cit., p. 143-144 : « il s'agit des règles relatives notamment aux choses aptes à se trouver en mer, aux
activités liées à la mer, aux événements se produisant en mer, aux hommes qui vont a la mer et enfin aux espaces
marin... Bref, le droit maritime est l'ensemble des règles de droit dont l'hypothèse contient le mot navire ou le mot
mer et leurs dérives ».
3 A. Montas, « Le rapport du droit maritime au droit commun, entre simple particularisme et véritable autonomie »,
DMF 2008, p. 307.
4 M. Rémond Gouilloud, Droit maritime, Pedone, 2ème éd, 1993, p. 6.
5 Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à l'aube du XXIème siècle », in Études offertes à Pierre Catala, Le
droit prive français à la fin du XXème siècle, Litec, 2001, p. 930 : « Il est certain que le particularisme du droit
maritime français, qui fait sa force et son intérêt, ne se justifie plus de nos jours par référence à l’idée de fortune de
mer. La raison d’être de son originalité tient dans les risques de la mer » ; A. Montas, op. cit., p. 307-315 : « Le
droit maritime est en effet ordonné autour de la notion de risque maritime ».
6 Ph. Delebecque, op. cit., p. 930 : « Ce fondement se trouve ébranlé par les changements récents qui font que les
transports sont plus surs, que les expertises plus fidèles et que les préoccupations premières des chargeurs ne se
fixent plus sur les pertes ou les avaries mais plutôt sur les retards » ; V. aussi, P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no
7, p. 8.
7 J.-P Chazal, « Réflexions épistémologiques sur le droit commun et les droits spéciaux », Liber amicorum Jean
Calais-Auloy - Études de droit de la consommation, Dalloz, Paris 2004, p. 289.
8 Ph. Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005, numéro spécial en l'honneur de
Antoine Vialard, no 1 : « la dialectique du droit commun- droit maritime est éternelle et que les apports du droit
maritime au droit privée sont réels et sans cesse renouvelées ».

10
commun supérieur, auquel il serait rattaché9, si bien que ce dernier s'applique subsidiairement, en
l’absence de disposition maritimiste dérogatoire10. « Spécificité n’est donc pas autonomie11».
Il demeure que certaines institutions du droit maritime (ainsi les avaries communes, la faute
nautique, la règle no cure no pay, la canalisation de responsabilité) sont imprégnées d'une
originalité en tant qu'elles ne se retrouvent en principe dans le droit commun, chose qui constitue la
meilleure preuve que le droit maritime ne se soumet pas au droit civil.
De ces institutions particulières au droit maritime12, l'exemple le plus considérable, mais
parfois décrié13, est celui de la limitation de responsabilité dont, de tout temps, a bénéficié et
bénéficie aujourd'hui encore, l'entrepreneur maritime, l'armateur.
L'institution de la limitation de responsabilité de l'armateur située au cœur du droit
maritime, pièce maitresse du droit maritime, a, étant inconnue au droit romain, apparu au XIe siècle
en Italie dans les tables d' Amalfi. Grâce au contrat de commande chaque participant pouvait limiter
sa responsabilité dans l'expédition maritime à l'étendue des fonds qu'il a engagés14. Inscrit en
Espagne dans le Code de Valence et dans le Consulato del Mare de Barcelone au XIVe siècle, ce
principe est accepté du sud au nord de l'Europe15. Grotius dans son jure belli ac pacis16 a formulé
pour la première fois le principe de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire17.
Pilier du droit de la responsabilité civile de l'armateur, « pierre angulaire »18 ou « clef de
voute »19 du droit maritime, l'institution de la limitation est l'une des plus fondamentales et de plus
originales du droit maritime. En effet, s'il est un objectif que l'on assigne à tout système de
responsabilité civile quel qu'il soit, c'est celui de réparation. La fonction de réparation constitue, en

9 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 6, p. 8 : « Il ne pourrait en être autrement, et les règles du droit commun être
alors écartées, que si ces règles heurtaient par trop la logique même de l’institution maritime en cause ».
10 A. Vialard, Droit maritime, PUF Droit fondamental, 1997, no 12, p. 24.Y. Tassel, préc., p. 1, http://www.droit-
univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm.
11 Y. Tassel, op.cit., p. 2, http://www.droit-univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm.
12 R.Rodière et E. Du Pontavice , Droit maritime, Dalloz, 12ème éd., n0 139, p. 116.
13 En effet, cette institution a fait l'objet d'une critique fondamentale, dans les années 1960-1970, critique émanant des
pays en voie de développement qui défendaient les intérêts des chargeurs. Néanmoins, ces mêmes pays, après s'être
engagés dans un effort considérable de développer leur flotte maritime, se montrent de non jours moins favorables à
l'institution de la limitation de responsabilité.
14 Ce que l'on appelle l'époque associative du droit maritime située au Moyen Age, quand plusieurs personnes
participaient à l'aventure maritime et en partageaient les risques. (Massimiliano Rimaboschi, L'unification du droit
maritime, contribution à la construction d'un ordre juridique maritime, préf. P. Bonassies, Thèse, Aix en Provence,
2006, p. 163 et s. et p. 267 et s.).
15 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, préc., p. 58.
16 L. Delwaid, « Considérations sur le caractère réel de la responsabilité du propriétaire de navire », Liber Amicorum
Roger Roland, p. 157.
17 Grotius était d'avis que les armateurs, à savoir ceux qui touchent le fret du navire, étaient tenus vis-à-vis des
affréteurs des (quasi-) délits ou des contrats de prêts à la grosse ou d'autres contrats passés dans l'intérêt du navire si
les cocontractants avaient agi de bonne foi, mais cela uniquement dans la mesure de leur apport dans l'armement.
Pour ce qui concernait les actes délictuels commis par le capitaine en dehors de ses fonctions les armateurs n'étaient
pas tenus, sauf s'ils en avaient bénéficié, ou ils avaient donne instruction ou contribué à commettre le (quasi-) délit.
18 A. Vialard, op. cit., n° 148, p. 125.
19 G. Ripert, Traite de droit maritime, Lib. Rousseau, Paris, 4ème éd., 1952, t. II, n0 1228 et s.

11
effet, l'essence même de la responsabilité civile20.
En droit terrestre, tout entrepreneur est responsable, d'une manière illimitée - sauf le cas
d’un aménagement contractuel de sa responsabilité - des dommages causés par l'exploitation de son
entreprise, que sa responsabilité soit née d'un contrat, de sa faute, de la faute de l'un quelconque de
ses préposés, ou de telle ou telle source extracontractuelle.
À l'exact opposé, en droit maritime, l'armateur est, échappant au principe du droit commun
de réparation intégrale des préjudices, autorisé de limiter sa responsabilité21 dans la mesure où
certaines conditions sont remplies22. La limitation, quoique contraire aux principes généraux du
droit de la responsabilité, constitue une protection indispensable au maintien de l'activité des
armements23.
Cette limitation s'est d'abord exprimée en droit classique (par l'Ordonnance de la Marine de
186124 et par le Code de commerce25) d'une manière brutale, par l'abandon du navire aux victimes,
alors même que ce navire gisait au fond de l'océan. Aujourd'hui, elle subsiste, grâce à l'évolution du
droit anglais qui s'est tourné vers un système moins élémentaire de limitation, sous une forme plus
nuancée, celle de la limitation en valeur, la quelle se réalise par la constitution d'un fonds
proportionnel au tonnage du navire fonds attribuée aux victimes26. Ce système s'est propagé du
reste à l'ensemble des pays maritimes.
L'évolution du droit maritime pour ce qui concerne l'institution de la limitation de
responsabilité s'est effectuée en deux étapes. La première étape s'est concrétisée par l'élaboration de
la Convention de Bruxelles de 1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de
navires de mer, signée le 10 octobre 1957 , texte adoptant le système britannique de la constitution
d'un fonds de limitation et prenant le relais de la Convention de 1924 qui laissait le choix de
l'armateur entre l'abandon du navire et la limitation en valeur, consacrant ainsi le système d'option
système qui ne pouvait certainement pas aboutir à l'harmonisation des droits nationaux (bâtard ce

20 K. Le Couviour, La responsabilité civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Thèse,
Aix en Provence, préf. A. Vialard, PUF 2007, n° 349, p.149.
21 L'idée de la limitation de réparation, se retrouve dans d'autres domaines de droit, tel celui du droit des transports. Il
reste que dans cette dernière hypothèse la limitation ne concerne que la responsabilité contractuelle et non pas la
responsabilité délictuelle à l'endroit des tiers étrangers aux relations contractuelles.
22 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
Annales IMTM, 1985, p. 147 ; P. Bonassies, « Vingt ans de conventions internationales maritimes », Annales
IMTM, 1996, p. 51 et s.
23 R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., n0 140, p. 118 : il reste que la limitation de responsabilité présente
l'inconvénient que toutes les victimes ne sont pas des armateurs ou des expéditeurs professionnels assurés contre la
perte ; parmi les victimes il peut y avoir des personnes qui ne sont pas assurés, comme les passagers.
24 Livre II, titre 8, article 2 : « les propriétaires de navires sont responsables des fais du maistre, mais ils en
demeureront déchargés, en abandonnant leur bâtiment et le fret ».
25 Article 216 du Code de commerce, modifié en 1841: « Tout propriétaire de navire est civilement responsable des
faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. La responsabilité cesse par l'abandon du navire
et du fret ».
26 L. Delwaid, op. cit., p. 107 et s.

12
compromis était voué à l'échec27) mais qui a constitué du moins la première mise en cause de l'idée
de l'abandon en nature.
La deuxième étape a été franchie par le truchement de la mise sur les rails de la Convention
de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière des créances
maritimes texte adopté sous les auspices de l'OMCI. Ce nouveau texte a aménagé considérablement
le régime de la limitation de responsabilité : il a augmenté les plafonds de limitation, il a élargi le
domaine de la limitation, celui-ci concernant, comme l'indique l'intitulé de la Convention la
responsabilité en matière de créances maritimes et ne limitant plus au propriétaires de navires de
mer. En d'autres termes, la limitation ne s'applique plus à l'armateur mais à des créances28. Cette
dernière modification a pour effet que l'on ne puisse plus rattacher l’institution à la théorie du
patrimoine de mer, ou de la fortune de mer29, théorie qui exprime l'idée que le propriétaire du
navire, mettant en jeu le bien qu'il a affecté à l'expédition maritime, doit se voir attribuer le bénéfice
de la limitation de responsabilité30. Les fondements de la limitation31 doivent d'ores et déjà être
recherchés plutôt dans les notions des risques de la mer32, du caractère d'intérêt général des activités
maritimes33, de l'idée de réciprocité (à savoir la solidarité des gens de mer)34, voire dans
l'assurabilité des risques (si les plafonds de limitation s'élèvent, les assurances ne pourraient plus les
supporter)35.

27 M. Rémond Gouilloud, op.cit., n0 308, p. 172.


28 Ce principe de la limitation de responsabilité du propriétaire du navire subsiste avec des aménagements en matière
de pollution par les hydrocarbures dans la mesure ou la prise en charge des dommages non réparés par le
propriétaire de navire est le fait d'un fonds international d'indemnisation alimenté par les versements dus par les
importateurs.
29 Caractérisée par le professeur Pierre Lureau déjà en 1973 comme un argument « faiblard » (P. Lureau, « Le
fondement et évolution historique de la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. L'opposition de
l'administration », DMF 1973, p. 705).
30 M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 309, p. 172 ; I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de
l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p. 403.
31 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », J-Cl. Transport, Fasc. 1110, 2007, no 3 à 12.
32 Y. Tassel, Mer, navire, capitaine : une vue intégrée, in Études offertes à Philippe-Jean Hesse, Du droit du travail aux
droits de l'humanité, Presses Universitaires de Rennes, coll. « l'univers des normes », 2003, p. 211 : « la mer est par
sa nature un espace dangereux ; elle est absolument contraire à la nature physique de l'être humain . Il est
compréhensible que de nombreuses institutions juridiques aient pour raison d'être de prévenir les dangers de la mer
et, si par infortune ils se réalisent, de mitiger les conséquences qui en résultent ». K. Le Couviour, La responsabilité
civile à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport maritime, Thèse, Aix en Provence, préf. A. Vialard,
PUF, 2007, n° 363, p. 153 : « lorsque dans le brouillard le marin risque de se perdre, le conducteur d'un train n'a
qu'a suivre le rail qui le conduira à sa destination » ; M. Rémond Gouilloud, op.cit., p. 6. V. aussi, Ph. Delebecque,
op. cit., p. 938 : « Mais l'institution de la limitation doit être défendue, car le commerce maritime reste une activité
périlleuse et surtout indispensable à l'intérêt général, ce qui explique que ceux qui y participent bénéficient de
compensations » ; A. Montas, op. cit., p. 308.
33 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 5, p. 6.
34 K. Le Couviour, op.cit., n° 360, p.152 : « la victime d'un dommage survenu en mer consentirait à une réparation
amputée avec l'espoir de bénéficier de ce même privilège ».
35 I. Corbier, La notion juridique d’armateur, préc., p. 80 et A. Vialard, op. cit., n° 148, p. 126 ; Y. Tassel, « Le
dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659 : le texte est issu d’une communication faite lors de la 4ème
conférence internationale de droit maritime qui, organisée par le Barreau du Pirée du 6 au 9 juin 2001, avait pour
thème « La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international », p. 355 et s., Sakkoulas, 2001 et «

13
Toutefois, la modification la plus importante que l'application de la Convention de Londres
implique est celle de la substitution de la périphrase de l'article 4 (reprise par l'article 58 de la loi de
1967), en tant que cause de déchéance du droit à limitation, à la faute simple. Contrairement à la
Convention de 1957, la limitation ne sera plus exclue dorénavant que lorsqu'il est démontré que le
candidat à la limitation a causé le dommage « soit par son fait ou son omission personnels commis
avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement mais avec conscience
qu'un tel dommage en résulterait probablement ».
En effet, la faculté de limitation de responsabilité accordée à l'armateur n'est pas absolue et
disparaît en cas de faute personnelle de celui-ci, la gravité de la faute occasionnant la déchéance du
droit à limitation ayant variée avec l'évolution des textes. Ainsi dans le droit applicable en France
jusqu'au 30 novembre 1986, l'armateur s'il n'avait pas commis de faute personnelle pouvait limiter
sa responsabilité à un plafond proportionnel au tonnage du navire. Dans le droit applicable depuis
le 1er décembre 1986 (date d'entrée en vigueur de la Convention de Londres ainsi que de la loi du
21 décembre 1984 adaptant les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 à la nouvelle Convention),
l'armateur conserve cette faculté même en cas de faute, la limitation n'étant exclue qu'en cas de
faute très grave, soit une faute intentionnelle (bien improbable) soit une faute commise
témérairement mais avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement, faute que la
doctrine unanime et la jurisprudence traduisent comme faute inexcusable et la situent, côté
gravite , entre la faute lourde et la faute intentionnelle.
Le choix des rédacteurs ne saurait pas surprendre. La même formule avait déjà été introduite
dans un premier temps dans le Protocole de la Haye du 28 septembre 1955 modifiant la Convention
de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien
international et dans un deuxième temps dans les textes régissant le contrat de transport maritime
tant de marchandises (Protocole du 23 février 1968 modifiant la Convention de Bruxelles du 25
aout 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement, Règles d'Hambourg
de 1978) que de passagers (Convention d'Athènes). Le concept d'une faute particulièrement grave
(correspondant ici à la notion française de faute inexcusable) en tant que cause de déchéance d'un
entrepreneur était connu même avant l'adoption de la Convention de Londres36.

La spécificité du droit maritime », préc. : l’assurance ne peut exister sans limitation de responsabilité, ne serait-
ce que parce que la prime à payer par l’assuré est déterminée en fonction du risque couru par l’assureur ; D.
Christodoulou, « L'impact du Code ISM sur le principe de la limitation de responsabilité et en particulier sur les
conditions pour une indemnisation complète du dommage éprouvé », Quatrième conférence du droit maritime,
organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international. Ce
fondement a été quand même contesté par le Professeur Pierre Bonassies (P. Bonassies « Problèmes et avenir de la
limitation de responsabilité », DMF 1993, p. 103).
36 En 1985, le concept de la faute inexcusable a été utilisé dans un autre domaine : le législateur, et non plus le
législateur international a recours à cette notion pour supprimer le droit à réparation d'un accident de circulation.

14
Dans ces conditions, le problème de la méthode d’appréciation de la faute inexcusable
devait rapidement se poser. Selon une première approche, la faute inexcusable devait être appréciée
subjectivement, in concreto, en recherchant toujours les données psychologiques concrètes qui
animaient le défendeur particulier. Dans une seconde conception, elle devait être appréciée
objectivement, in abstracto, par référence aux données psychologiques que l’on doit normalement
trouver chez un défendeur quelconque.
Pencher pour une appréciation subjective, c’était admettre une équivalence des notions de
dol et de faute inexcusable et limiter grandement les cas où l’on pourrait considérer que la conduite
du défendeur supprimait l’application de la limitation. Accepter une appréciation objective, c’était
réduire l’équivalence aux effets de la faute lourde et autoriser plus largement l’inapplication de la
limitation. Le critère de la conscience du dommage demeure donc discuté et non unifié et rend
difficile tout essai de prévision de la solution du litige.
La formulation précise des textes internationaux ouvre indubitablement la porte à une
interprétation concrète. En effet, les rédacteurs du texte de 1976, suivis par le législateur national,
pensaient que, par la modification de la cause apportant déchéance de l'armateur de la limitation de
sa responsabilité, de rende le droit à limitation incontournable (unbreakable, selon l'expression
utilisée par les juristes anglais). « Leur espoir a été fortement déçu, en tout cas devant les
juridictions françaises 37».
En effet, aux antipodes de la volonté des rédacteurs de la Convention de Londres on
retrouve l’interprétation judiciaire française du concept de faute inexcusable qui « constitue un
océan d’originalité dans une jurisprudence internationale massivement contraire, compte tenu que
cette dernière considère que la phrase témérairement et avec conscience qu’un dommage en
résulterait probablement doit être envisagée comme ayant une signification subjective38». La
jurisprudence française, opérant un rapprochement avec sa vieille jurisprudence en droit du travail
et refusant de « plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », se tourne vers une
interprétation large39 de la faute inexcusable, qui a pour contrecoup que la déchéance de la
limitation de responsabilité devienne la règle et la limitation de responsabilité devienne l'exception,
écartant de ce fait l'adage selon lequel en droit maritime, « le droit commun c’est la limitation et
non la responsabilité pleine et entière40». Cette tendance peut paraître sévère mais elle était

37 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 283.


38 A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation », DMF 2002, p. 579.
39 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s. -
« La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p. 403 : « la
faute inexcusable est devenue une simple variété de faute lourde ».
40 G. de Monteynard, « Responsabilité et limitation en droit des transports », Rapport, Cour de cassation, Doc..
Française, 2002, p. 247.

15
prévisible. Les tribunaux dans la recherche de la faute personnelle dans la Convention de 1957
étaient aussi rigoureux.
C'est donc autour de cette évolution de la notion de faute inexcusable de l’armateur
expression qui « associe aujourd’hui un concept fondamental du droit maritime et une notion
inventée par le législateur en matière des accidents du travail pour priver l’employeur qui a
commis une faute d’une exceptionnelle gravité de la possibilité de se prévaloir d’atténuations ou
d’exonérations de responsabilité41 » que notre étude sera axée.
Cette jurisprudence française à contre-courant international est-elle tenable ? Quels sont ses
retentissements sur l'institution de la limitation, institution particulière du droit maritime, ainsi que
sur le principe de réparation totale du préjudice subi (restitutio in integrum), principe cardinal du
droit commun42? Quelles sont ses incidences sur les droits des armateurs auteurs de faute
inexcusable et en définitive sur les droits des victimes de faute inexcusable ? Est-ce que cette
conception de la faute inexcusable demeurera intangible ou une nouvelle réorientation dans
l’approche du problème amorcera si bien que la limitation de responsabilité deviendrait
véritablement ce droit incassable, appelé de leurs vœux par les rédacteurs des conventions
internationales ?
L'intérêt aussi bien théorique que pratique de cette problématique dégagée ci-dessus, qui
peut se résumer dans la phrase suivante « la limitation de responsabilité de l'armateur face à la
faute inexcusable43 », peut aisément être confirmé, comme en témoigne le fait qu'il s'agit d'une
question chère à certains des auteurs français les plus éminents. Nous nous bornerons ici à citer le
Professeur Pierre Bonassies, le Professeur Antoine Vialard, le Professeur Philippe Delebecque, le
Professeur Yves Tassel ou Mme Isabelle Corbier qui avec leurs développements ont donné des
éclaircissements inappréciables sur cette question obscure et complexe, apportant ainsi leur pierre
d'édifice à l'évolution de l'institution de la limitation de responsabilité armateur dans le droit
maritime aussi bien français qu'international.
La jurisprudence est par ailleurs particulièrement pléthorique. Mais ce qui rend notre sujet
captivant est l'histoire même de l'institution de la limitation de responsabilité et les réserves qui
s'expriment à son endroit, notamment par le biais de l'invocation de la faute inexcusable. Des voies
se sont élevées, au sein de la Communauté Européenne, pour que le déplafonnement de la

41 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc.


42 P. Jourdain, Les principes de responsabilité civile, Dalloz, 7ème éd, 2007, p. 133 : « Le principe de la la réparation
intégrale se déduit de l'objet même de la responsabilité civile qui est de rétablir autant que possible l'équilibre
détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation antérieure ».
43 Expression dont le père spirituel est le Professeur Pierre Bonassies. La première fois que cette expression a été
utilisée, c'était au fil de la présentation par le Professeur éminent des exposés dédiés au Professeur Antoine Vialard à
l'occasion de la journée organisée en son honneur (le 8 juin 2005) et que l'on peut retrouver dans le Droit Maritime
Français 2005, no 663.

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limitation de la responsabilité de l'armateur soit envisagé et de ce fait le débat sur la légitimité de la
limitation a été renforcé. La Commission Européenne en accord avec le Parlement envisagent
d'instaurer au moyen du Troisième paquet de sécurité une directive relative à la responsabilité
civile et aux garanties financières des propriétaires de navires qui comportera entre autres des
dispositions remarquables en ce qui concerne la notion de la faute privative de la limitation de la
responsabilité . En effet les institutions européennes préconisent la conception française de la faute
inexcusable qui devra, d'après elles, s'appliquer uniformément par les juridictions communautaires.
C'est pour ça que la Commission demande en outre un mandat pour lancer un processus de
révision de cette Convention à l’OMI, après consultations des partenaires concernés et une analyse
économique du secteur, dans un but de promouvoir les idées de l'augmentation des plafonds de
limitation de la convention de Londres afin de garantir de meilleures indemnisations et de la
reforme de la notion de l'article 4 de la Convention de Londres.
Parallèlement, la mise en œuvre du Code ISM dont l'objectif est de garantir et de
promouvoir la sécurité en mer est susceptible de déteindre sur l'institution de la limitation de
responsabilité et sur l'évaluation de l'attitude de l'armateur. En effet il concrétise les obligations dont
l'entreprise d'armement est tenu. et il devient la référence et la mesure conforment auxquelles
l'attitude de l'armateur sera appréciée. Et s'il est démontré que l'armateur a manqué aux obligations
qui découlent des dispositions du Code ISM, sa défaillance sera dans la plupart des cas qualifiée de
faute inexcusable et l'exclusion de la limitation plus fréquente. La preuve du caractère inexcusable
de la faute sera facilitée. L'armateur, étant avisé de la question sécuritaire, aurait dû prévoir
l’existence du dommage44.
Les rapports de la limitation de responsabilité avec la notion de faute privative du bénéfice
de limitation et, depuis la mise en œuvre de la Convention de Londres, de la faute inexcusable, se
situaient de tout temps au cœur du droit maritime français. Mais le débat qui se développe autour de
cette controverse devient de plus en plus intense compte tenu qu'il manifeste l'antithèse entre la
nécessité en droit maritime de la limitation de l'indemnisation et l'hostilité de la jurisprudence civile
à l'égard de toute idée portant atteinte au droit à réparation intégrale de la victime45. Par ailleurs,
derrière cette antithèse on retrouve des conflits juridiques traditionnels ; l'interprétation de la faute
inexcusable reflète en effet l’affrontement entre deux conceptions de la réparation. D’un côté le juge
civiliste, soucieux d’assurer à la victime la réparation intégrale de son préjudice, équivalent
pécuniaire de l’idéale « restitutio in integrum ». De l’autre côté les commercialistes, sachant

44 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc.


45 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007.

17
qu’aucun investisseur n’accepte de s’engager sans limitation de sa responsabilité, la reconnaissent
comme une pièce nécessaire de ce meccano d’engagements plafonnés que constitue le monde des
affaires. Elle fait également écho du conflit entre le droit interne et le droit international46.
Nous allons donc passer au crible ces antithèses
qui se relèvent chaque fois que le bénéfice de la limitation excipé par l'armateur heurte sur l'écueil
de la faute inexcusable invoqué par la victime.
À cet effet nous allons diviser notre étude en deux parties : dans la première partie nous
allons scruter le régime de la faute inexcusable et nous allons nous pencher sur les fondements que
ce « gallicisme » juridique47, bien répandu dans l'ordre juridique français, a connu depuis sa
naissance en 1898 à propos des accidents du travail.
La deuxième partie de notre étude sera consacrée à « l'interprétation franco-française » de
la notion de faute inexcusable par l'intermédiaire de l'examen de ses éléments constitutifs. Dans le
cadre de cette deuxième partie nous allons également nous interroger sur les incidences de cette
interprétation de la faute inexcusable sur l'institution de la limitation elle-même, sur ses aspects
procéduraux et sur les droits des parties plaidantes.

La notion d' armateur48

Il paraît opportun, avant d'aborder la question de la faute inexcusable face à la limitation de


responsabilité, question qui se trouve au cœur de notre étude de s'expliquer sur la notion d'armateur,
source des difficultés. Aux termes de l'article 1 de la loi du 3 janvier 1969, l'armateur peut être
défini comme « celui qui exploite le navire en son nom, qu'il en soit ou non propriétaire ». Il résulte
que l'armateur d'un navire n'est nécessairement pas son propriétaire. Mais l'article 2 de la même loi
vient préciser que « Le propriétaire ou les copropriétaires du navire sont présumés en être
l'armateur ». Cette présomption établie par l'article 2 n'est pas irréfragable et partant les pouvoirs et
les responsabilités d'un armateur peuvent être transférés à un non propriétaire au quel cas c'est ce
dernier qui revêtira la qualité de l'armateur du navire. Cette construction juridique du transfert de la
qualité de l'armateur engendre le schéma suivant : armateur non propriétaire et propriétaire non

46 A. Vialard, op. cit., n° 22, p. 20 : « chaque fois que la notion est d'origine internationale et n'a pas d'équivalent, elle
doit être considérée comme autonome». « Il n' y a pas de lecture française, anglaise, japonaise pour une convention
internationale portant loi uniforme, une telle convention devant être interprétée en elle-même et par elle-même ».
47 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », Liber Amicorum Roger Roland, Brussel, 2003,
p. 75 et s.
48 Fr. Coffano, L'identité de l'armateur, Aix en Provence, 2003.

18
armateur d'un navire et peut avoir son origine dans diverses raisons49.
On en infère que la qualité de l'armateur est au premier abord conférée au propriétaire du
navire, à moins que celui décide d'impartir les obligations et les responsabilités que cette notion
implique à une autre personne. Dans cette logique, il importe par la suite de s'interroger s'il n'est pas
possible de contempler qu'une partie seulement des pouvoirs et de responsabilités de l'armateur soit
transférée à un non propriétaire, situation qui induit l'éclatement de la qualité de l'armateur et qui
nous conduit à admettre que deux personnes ont en même temps la qualité d'armateur.
Pareille question peut surgir d'une part dans le cas d'un contrat d'affrètement à temps (sans
transfert de la qualité de l'armateur) et d'autre part dans l'hypothèse où la gestion technique du
navire a, par un contrat, dit contrat de ship managements, été conférée à une société spécialisée qui
agira pour le compte de l'armateur, en tant que mandataire et en cas de faute dans l'accomplissement
de son mandat, sa responsabilité sera engagée à côté de celle de l'armateur du navire. Or, cette
société ne peut nullement être qualifiée d'armateur. À la rigueur, lorsque elle assume non seulement
la gestion technique d'un navire mais également sa gestion commerciale (à savoir la conclusion des
contrats -transport, affrètement du voyage- d'utilisation du navire), sa responsabilité peut être
assimilée à celle d'un armateur, sans néanmoins faire disparaître la responsabilité de ce dernier.
En revanche, la situation est plus compliquée dans le cas d'un contrat d'affrètement à temps
où le fréteur conserve la gestion nautique du navire tandis que l'affréteur en exerce la gestion
commerciale. Mme I. Corbier est arrivée à la conclusion que l’armateur étant celui qui exploite le
navire en son nom, qu’il en soit propriétaire ou non, il ne serait pas incongru d'accepter l'idée d'une
dualité d'armateurs pour considérer que le fréteur à temps est l'armateur nautique et l'affréteur à
temps l'armateur commercial du navire50. À l’appui de cette thèse, un arrêt de la Chambre
commerciale de la Cour de cassation du 26 octobre 1999, ''navire Fatima51'' où a été jugé que
« dans l’affrètement à temps, la qualité d’armateur, qui appartient à celui qui exploite le navire en
son nom, qu’il en soit propriétaire ou non, se trouve partagée entre le fréteur, qui conserve la
gestion nautique de son navire, et l’affréteur, qui en a la gestion commerciale».
Néanmoins cette décision demeure contestée par la doctrine. Le Professeur Philippe
49 Contrat de gérance, contrat de location-crédit bail, contrat d'affrètement coque nue, voire contrat d'affrètement à
temps avec transfert de la qualité d'armateur – affrètement avec démise, time charter with demise, affrètement avec
dévolution.
50 I. Corbier, « L'evolution de la notion d'armateur », préc., et La notion juridique d’armateur, préc., p. 105. V. aussi
en même sens M. Rémond Gouilloud, op. cit., no 231 : « Souvent même le navire est exploité par deux armateurs
dont l’action se superpose : ainsi en cas d’affrètement à temps, le propriétaire du navire, qui tire profit de son
navire en le frétant, en est bien l’armateur ; et l’affréteur à temps, qui, à son tour, exploite le navire en concluant
contrats de transport et affrètements au voyage, l’est également. Pour dissiper la confusion, ce dernier est souvent,
en pratique, qualifié d’armateur-affréteur par opposition à l’armateur-propriétaire ».
51 Cass. Com., 26 oct. 1999 : Juris-Data n° 1999-003672 ; DMF 2000, p. 106, rapp. J.-P. Rémery, obs. I. Corbier ;
DMF HS n° 5, mai 2001, n° 23, obs. P. Bonassies ; V. dans le même sens CA Aix-en-Provence, 25 févr. 1979,
''navire Ann Bewa'' , DMF 1980, p. 181.

19
Delebecque s’est opposé à qualifier cette décision d’arrêt de principe 52, se prononçant pour une
définition unitaire de la qualité d’armateur. Reconnaissant la qualité d’armateur dans l’affrètement à
temps au seul fréteur, le Professeur Philippe Delebecque a précisé que le terme « armateur » n’était
pas un terme générique.
Parallèlement, le Professeur Pierre Bonassies critiquant la solution retenue par la Cour
suprême, met en évidence que cet arrêt confond le régime contractuel et régime légal. La notion
d’armateur, avec toutes les conséquences de droit qui lui sont attachées, notamment aujourd’hui en
matière de sécurité de la navigation, est une notion légale pendant que la notion d’affrètement à
temps est une notion contractuelle, notion dont ce sont d'abord les dispositions du contrat
d’affrètement qui définissent le contenu. Et le professeur éminent ajoute que « l’analyse de la Cour
de cassation est sans doute contraire aux intentions du législateur. Car on peut penser que le
Doyen Rodière, s’il avait voulu que la distinction entre gestion nautique et gestion commerciale
informât la notion d’armateur, n’aurait pas manqué de le dire dans la loi du 3 janvier 1969, ou
dans le décret du 19 juin 1969 53».
En fin cette conception éclatée de l'armateur est critiquable pour une raison primordiale :
elle se concilie difficilement avec l'objectif majeur du droit maritime contemporain qui est la
sécurité maritime. Les exigences de la sécurité de la navigation maritime édictent que, à l'instar du
capitaine qui demeure toujours responsable de la sécurité du navire, « la concentration des
responsabilités doit pareillement exister quant à l'entreprise responsable à l'égard des tiers des
faits du capitaine en tant que capitaine54». Par ailleurs, le Code ISM définissant la compagnie, à
savoir l'armateur, comme « le propriétaire, ou autre personne ou organisme auquel le propriétaire
a confié la responsabilité de l'exploitation du navire » paraît bien exclure la possibilités qu'un
navire ait plusieurs armateurs.
Ce dernier argument apportant la pleine conviction, le terme armateur à chaque fois qu'il est
employé tout au fil de cette étude, il renvoie à la personne qui détient la gestion nautique du navire,
la gestion commerciale ne jouant aucun rôle décisif à l'attribution de la qualité de l'armateur55.

52 Cet arrêt se portait sur le problème de savoir ce qu'il fallait entendre par le terme anglais « owner ».
53 V. Hors série, Le droit maritime français en l'an 2000, n° 23, obs. P. Bonassies.
54 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 185.
55 Cette distinction n'a tout de même d'intérêt pratique pour ce qui du bénéfice de la limitation de responsabilité
entendu qu'il est conféré tant au fréteur à temps qu'à l’affréteur à temps, ce dernier ne pouvant néanmoins l'invoquer
à l'égard du fréteur à temps pour des dommages causés au navire, le bénéfice étant reconnu seulement pour les
dommages survenus à bord du navire ou en relation directe avec l'exploitation de celui-ci et non pas pour les
dommages provoqués au navire.

20
21
PREMIERE PARTIE : LE
REGIME DE LA FAUTE
INEXCUSABLE

La faute inexcusable a pénétré dans le régime de responsabilité civile de l'armateur dans les
années 70 et depuis lors est devenue le point de référence de l'institution de la limitation de
responsabilité des acteurs maritimes. Cependant, quand la faute inexcusable a été adoptée par les
conventions internationales régissant la responsabilité civile du propriétaire de navire, elle n'était
pas une notion inconnue dans l'ordre juridique et dans la jurisprudence français. Tout au contraire,
la faute inexcusable avait déjà marqué par ses applications et ses interprétations nombreuses, bien
que divergentes, différents domaines du droit. D'ailleurs l'idée d'une faute exceptionnellement
grave, privative pour son auteur, de la possibilité de se prévaloir des atténuations ou exonérations
de responsabilité n'était pas nouvelle.
Aussi avant de nous attacher au rôle et aux fondements de la faute inexcusable au sujet de la
limitation de responsabilité de l'armateur (Chapitre 2), il convient de s'interroger sur ses
applications, sa place et en définitive sur sa valeur normative en droit français (Chapitre 1)1.

1 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur », préc., p. 52-69.

22
CHAPITRE 1 : L'APPARITION DE
LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES
APLLICATIONS2

La qualification de faute inexcusable n'a pas d'intérêt particulier en droit commun où les
situations qu'elle peut recouvrir relèvent de la notion de faute lourde. C'est une qualification propre
à certains régimes spéciaux de responsabilité. La faute inexcusable est donc prise en considération
par le droit français dans trois domaines : dans les accidents du travail, dans les accidents de la
circulation automobile et dans le droit de transports3 (et par extension dans le régime de
responsabilité civile de l'armateur).
Ce premier chapitre de notre étude fera dès lors l'objet d'un examen des applications de la
faute inexcusable en droit français. Aussi, allons-nous dans un premier temps examiner comment la
faute inexcusable a pénétré dans l'ordre juridique français par l'entremise du droit des accidents du
travail ainsi que sa nouvelle application en matière d'accidents de la circulation (Section 1). Ensuite,
nous allons scruter la question de l'introduction de celle-ci dans le droit de transports, en tant que
cause de déchéance du transporteur de son droit de limiter sa responsabilité, qui s'est concrétisée
par son établissement dans les textes internationaux et nationaux régissant le contrat de transport
(Section 2).

2 J. Gestin et Y-M. Serinet « Erreur », Rep. civ. Dalloz, 2006, n 0 292 et s. ; Ph. Conte, « Responsabilité civile,
Responsabilité du fait personnel », Rep. civ. Dalloz, 2000.
3 C. Larroumet, Les Obligations : Le Contrat, Économica, 6e éd, 2006, p. 675, no 624 ; G. Viney et P.Jourdain, Traité
de droit civil. Les conditions de responsabilité : LGDJ, 3e éd., 2006, p. 644, no 613 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph.
Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3e éd., 2003, no 58, p. 35.

23
Section 1 : La naissance de la faute
inexcusable en droit des accidents du
travail (loi du 9 avril 1898) et son
application aux accidents de circulation
(loi du 5 juillet 1985)

La notion de faute inexcusable n'est donc pas nouvelle en droit français. Elle apparaît en
effet pour la première fois en droit français avec la loi de 1898 sur la réparation des accidents du
travail (§ 1). Par ailleurs, le droit des transports ne revendique pas l'exclusivité de l'application de la
notion de faute inexcusable. En sus du domaine des transports, la faute inexcusable a empreint non
seulement le droit des accidents du travail mais également le droit des accidents de circulation par
l'intermédiaire de la loi du 5 juillet 1985 (§ 2). On notera donc que le champ d'application de la
notion de faute inexcusable s'amplifie progressivement ; elle est de nos jours une notion
profondément inscrite dans l'ordre juridique français.

§ 1) Faute inexcusable et droit des accidents du


travail

La première application de la notion de faute inexcusable a concerné le droit des accidents


du travail où la loi du 8 avril 1898 (dont les dispositions ont été insérées dans le Code de Sécurité
Sociale - art. L. 452-1 et s.-) énonçait que la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'ils se
sont substitués à ce dernier dans la direction de l'entreprise, donne à la victime de l'accident du
travail ou d'une maladie professionnelle le droit de recevoir des prestations plus élevées que celles
auxquelles peuvent prétendre ordinairement les assurés sociaux4.
Parallèlement la faute inexcusable de la victime peut, selon l'article L. 453-1, alin. 2 du
CSS, motiver une réduction de la rente d'accident du travail.
Au demeurant, dans le domaine des accidents de travail et des maladies professionnelles ni

4 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 634, no 608-1 ; P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime : LGDJ,
2006, p. 430, no 430 : « Les avantages sont de deux ordres : d' abord, elle reçoit une rente majorée qui est payée à
la caisse, laquelle récupère le montant de la majoration par l'imposition d'une cotisation supplémentaire à
l'employeur. Ensuite, la victime peut obtenir, en agissant devant la juridiction de la Sécurité sociale, la réparation
intégrale des dommages subis du fait de l'accident ainsi que la perte des possibilités de promotion professionnelle et
en cas d'incapacité permanente de 100 %, de la perte de gains dans la limite du salaire minimum légal au jour de la
consolidation ; par ailleurs, en cas de mort de la victime ses proches peuvent obtenir réparation de leur préjudice
d'affection, et c'est ici encore, la caisse qui verse l'indemnisation et en récupéré le montant sur l'employeur ».

24
la loi du 9 avril 1898, ni les textes postérieurs n'ont pris soin de définir les éléments et le critère de
la faute inexcusable. Il est donc revenu aux tribunaux de définir cette nouvelle notion. Deux
orientations étaient dès le début concevables : soit la définir, en mettant l'accent sur l'aspect
subjectif et partant la rapprochant de la faute intentionnelle, soit mettre l'accent sur l'élément de
gravité objective, ce qui devait conduire à mordre davantage sur le domaine de la faute lourde.
Entre ces deux tendances, les tribunaux ont tenté de trouver une solution modérée.
C'est ainsi que les chambres réunies de la Cour de cassation se sont amenées à se prononcer
le 15 juillet 19415 en adoptant une définition à la fois complexe et nuancée6. La définition
composée de cinq éléments rend compte de l’équilibre trouvé par les magistrats de la Cour suprême
entre les composantes objectives et subjectives de l’analyse : le « caractère volontaire » de l’acte
ou de l’omission dommageable, la « conscience du danger que devait en avoir son auteur »
illustrent les éléments subjectifs ; l’aspect objectif résulte de l’exigence de la « gravité
exceptionnelle » ainsi que de « l’absence de causes justificatives »7.
Et cette formule a remporté un succès remarquable puisqu'elle a été ensuite répétée dans
d'innombrables arrêts et que, quarante ans plus tard, en 19808, l'Assemblée plénière l'a reprise
presque intégralement. Cette longévité est évidement le fruit du soin avec lequel les magistrats de
la Cour de cassation ont essayé d'équilibrer les éléments subjectifs (« caractère volontaire de l'acte
ou de l'omission », « la conscience du danger que devait en avoir le son auteur » et objectifs («
gravite exceptionnelle » et « absence de causes justificatives ») afin de situer la faute inexcusable
entre la faute intentionnelle et la faute lourde9 ». Cette définition s’appliquait indifféremment à la
faute inexcusable de l’employeur ou à celle du salarié10.
Néanmoins, la Chambre sociale de la Cour de cassation a progressivement mais
constamment atténué l'aspect subjectif de la faute inexcusable, qu'elle a, de fait, sensiblement
rapproché de la faute lourde. La faute inexcusable est devenue dans le domaine des accidents du
travail et des maladies professionnelles une simple variante de la faute lourde. Et cette tendance de
la Cour de cassation a été réaffirmée par sa jurisprudence contemporaine dans l'affaire de
l'amiante11.
5 Ch. Réunies, 15 juillet 1941, D. 1941, p. 117 ; Gaz. Pal., 1941, p. 254.
6 « La faute inexcusable s’entend de « la faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission
volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificatrice et
se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 ».
7 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; J-M Hostache, La faute
inexcusable, Aix en Provence, 2001.
8 Ass. Plén., 18 juillet 1980, Bull. Plén., n°5 : « la faute inexcusable prévue par l’article L 468 du Code de la sécurité
sociale est une faute d’une exceptionnelle gravité, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience
que devait avoir son auteur du danger qui pouvait en résulter et de l’absence de toute cause justificatrice».
9 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 645, no 615.
10 I. Corbier , «La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», préc., p. 103 et s.
11 Arrêts rendus dans des affaires relatives à des demandes d’indemnisation consécutives à des maladies

25
Désormais, l’employeur commet une faute inexcusable en cas de manquement à son
obligation de sécurité de résultat12 à l’égard du salarié lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir
conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour
l’en préserver. Désormais, toute violation consciente par l’employeur de l’obligation de sécurité de
résultat pesant sur lui, en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles,
constitue une faute inexcusable13. La Cour de cassation a donc considérablement atténué ses
exigences par rapport à la démonstration de la faute inexcusable de l'employeur, en vue de favoriser
la réparation intégrale des dommages subis par les victimes. Il suffit dorénavant que la faute de
l'employeur ait été une cause nécessaire de l'accident. Il en résulte que la Cour de cassation instaure
une sorte de présomption de faute inexcusable en cas d'accident de travail ou de maladie
professionnelle qui débouche sur une réparation qui se rapproche en pratique d'une réparation de
droit commun14.
On en infère l'absence de la condition de gravité exceptionnelle de la faute de même que
l'appréciation in abstracto seulement de l'élément de la conscience du danger. Par voie de
conséquence, la Chambre sociale de la Cour de cassation exprime sa volonté pour un élargissement
sensible de la notion de faute inexcusable en matière d' accidents du travail15.
La nouvelle définition de la faute inexcusable de l’employeur ne peut pas être transposée à
la faute inexcusable du salarié puisqu’elle tendrait à priver d’indemnisation tout salarié victime
d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle16. Aussi la Cour de cassation s'est
attachée à restreindre les possibilités de réduction ou d'exclusion de l'indemnisation
complémentaire du salarié victime d'une faute inexcusable de l'employeur. D'après cette
jurisprudence seule la « la faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans
raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience »17 peut revêtir le
caractère de la faut inexcusable18.
professionnelles dues à la contamination de salariés par l’amiante : Cass. Soc. 28 fév. 2002, Bull. V, n° 81 (7 arrêts).
12 C'est nous qui soulignons.
13 « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de
sécurité résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des
produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute
inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du CSS, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du
danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». I. Corbier, «
Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p. 297.
14 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007.
15 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 648, no 616-1.
16 C. Larroumet, op. cit., p. 675, no 624.
17 Cass. Civ. 2e, 27 janvier 2004, Bull. II, n°25.
18 G. Viney et P. Jourdain estiment quand même illogique l'attitude de la Cour de cassation qui donne à une faute
identiquement qualifiée par les textes un contenu si différent selon qu'elle se rapporte au comportement de la
victime ou de l'auteur de dommage et ils proposent que le législateur arrête de persister à recourir à un même

26
« Ainsi s'agissant de la faute du salarié, la Cour de cassation ne se réfère plus au
manquement à une obligation de sécurité, obligation qui importe pourtant au salarié. Elle
réintroduit l’exigence d’une faute d’une exceptionnelle gravité et reprend la référence au caractère
volontaire de la faute. Cette définition étroite donne une autre place à la faute inexcusable du
salarié dans la hiérarchie des fautes : au dessous de la faute intentionnelle, mais au dessus de la
faute lourde, de gravité inférieure19 et elle a pour effet que la jurisprudence la retienne
exceptionnellement20. Elle reprend en effet à l’identique la définition de la faute inexcusable d’une
autre victime, la victime non conductrice d’un accident de la circulation21 ».

§ 2) Faute inexcusable et accidents de


circulation22

En cette matière, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ne donne pas non plus de définition de la
faute inexcusable de la victime visée à l'article 3 alin.1er et dont l'effet consiste dans la suppression
du droit de réparation de la victime pour vu que la faute inexcusable de celle-ci soit la cause
exclusive de l'accident23. De même qu'en matière des accidents du travail, sur le plan des accidents
de circulation, c'est la Cour de cassation qui est intervenue afin de combler cette lacune législative.
Aussi, la Deuxième chambre civile, par une série de onze arrêts du 20 juillet 198724, a défini
la faute inexcusable comme « la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison
valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience25 ». Cette dernière expression
démontre que la Cour suprême s'attache à une appréciation in abstracto de la conscience du danger
d'où la qualification objective de la faute inexcusable en droit des accidents de circulation, analogue
de celle qui a été adoptée en droit des accidents de travail pour ce qui concerne la faute de

concept quand les exigences de gravite sont pour le moins différente et de se contenter d'une faute lourde (ou
simple) de l'employeur quand il s'agit de faire bénéficier la victime d'un complément d'indemnisation, tout en
maintenant la notion de faute inexcusable quant à la pénalisation de la victime (G. Viney et P.Jourdain, op. cit., p.
652, no 616-2).
19 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p.
297.
20 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 650, no 616-2.
21 G. Viney et P. Jourdain, ibid.
22 S. Abravanel - Jolly, J-Cl Responsabilité civile et Assurances, RÉGIMES DIVERS. - Circulation routière . -
Indemnisation, des victimes d'accidents de la circulation . - Droit à indemnisation, Fasc. 280-10 2004, no 69 et s.
23 Cette exception ne concerne pas les victimes qui ont moins de seize ans et plus de soixante dix ans ou celles qui sont
titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'invalidité au moins égal à 80 %.
24 Cass. Civ 2ème, 20 juill. 1987, Bull. Civ. II; nos 160 et 161.
25 C'est nous qui soulignons.

27
l'employeur26.
Or, la Cour de cassation a montré par les solution qu'elle a retenues postérieurement à l'arrêt
de 1987 sa détermination de s'en tenir à une conception plus restrictive de la notion de faute
inexcusable. C'est ainsi que l'Assemblée plénière, lorsqu'elle a été appelée à s'y prononcer, en raison
de la résistance opposée à cette rigueur par certaines cours d'appel, affirme, dans un arrêt du 10
novembre 199527, la position de ne pas affaiblir le caractère de gravité exceptionnelle de la faute
inexcusable et de ne laisser aux juges du fond qu'une marge d'appréciation très étroite.
En conclusion, nonobstant une définition très semblable à celle qui a été adoptée en matière
d'accidents du travail, c'est plutôt une conception restrictive de la faute inexcusable que la
jurisprudence ultérieure et récente a retenue dans le domaine des accidents de circulation. L'analyse
de cette jurisprudence pousse à admettre que seule une faute d'une témérité active et d'une
imprudence manifeste et exceptionnelle peut justifier sa qualification d'inexcusable. Et la chose
s'explique par le fait qu'il s'agit ici de la faute de la victime et non de la faute de l'auteur. D'ailleurs
elle a pour corollaire non simplement la réduction de l'indemnisation de la victime mais la
suppression totale de son droit à réparation, conséquence ostensiblement plus grave que celle du
droit des accidents de travail28. Une interprétation plus stricte doit dès lors être mise en place29.
Une pluralité de conceptions et de qualifications caractérise la jurisprudence contemporaine
française. « La notion de faute inexcusable recouvre des actes dont le comportement dommageable
constitue le mobile lorsqu’elle se rapporte au comportement de la victime ; elle vise parallèlement
des actes dont le dommage n’est qu’une conséquence accidentelle lorsqu’elle se rapporte au
comportement de l’auteur du dommage. Néanmoins, le fait que cette faute, identiquement qualifiée,
ait un contenu différent selon la personne en cause illustre les difficultés auxquelles se trouve
confrontée la jurisprudence sociale pour accorder une meilleure indemnisation du salarié30 ».
La faute inexcusable telle qu'elle a été présentée jusqu'à ce point de notre étude est une
notion énoncée par les textes mais sans définition par ces derniers. Ce manque de précisions sur les
éléments de la faute inexcusable de la part du législateur est en outre dans l'origine du défaut d'
homogénéité qui règne dans la jurisprudence. Aussi bien, la faute inexcusable du droit des accidents
du travail et de la circulation est-elle une notion propre au droit français, inspirée par le législateur
26 Lamy Assurances – 2008, PARTIE 2 - Assurances de dommages, no 2611, Faute inexcusable, cause exclusive de
l'accident.
27 Ass. Plén., 10 nov. 1995, Bull. Civ., ass. Plén. no 6.
28 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. : « la jurisprudence préserve
ainsi l’efficacité du système d’indemnisation automatique des victimes d’accidents de la circulation, mis en place
par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la
circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation en décourageant les défendeurs – en pratique, les
assureurs – de plaider systématiquement l’existence d’une telle faute ».
29 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 659, no 617.
30 I. Corbier, ibid.

28
français.
La faute exclusive du bénéfice de limitation que connaissent le droit aérien et le droit
maritime, envisagée sous l'angle commercial, et non social, vient d'une autre « filière », que l'on
peut appeler la filière internationale, étant donné qu'elle émane de conventions internationales
auxquelles la France a adhéré, et qui ont entraîné, par contrecoup, une modification du droit
interne31. La doctrine a proposé et elle a adopté le concept de « faute inexcusable » pour traduire la
périphrase complexe des conventions internationales et la tentation a été grande de transposer cette
jurisprudence multidécennale du droit social, sans prêter grande attention à la formulation précise
des textes internationaux qui ouvraient indubitablement la porte à une interprétation « concrète ».
Il importe donc d'étudier si cette tentation a été vérifiée dans la pratique.

Section 2 : La faute inexcusable en


matière des transports, condamnation
d'un comportement jugé fautif

Le transporteur, quel que soit le mode de transport, qu'il s'agisse de transport de


marchandises ou de passagers est, en principe, tenu d'une obligation de résultat. La loi française,
comme les conventions internationales que la France a ratifiées, consacrent une responsabilité "de
plein droit", "objective", du transporteur, ce dernier voyant, dès lors sa responsabilité engagée par le
simple fait de la survenance du dommage subi par les voyageurs ou par les marchandises32.
Dans un souci d'atténuer la rigueur de la responsabilité du transporteur, le législateur a mis
en place des mécanismes sophistiqués de cas exceptés, l'exonérant de sa responsabilité. Il en est de
même de la force majeure, à l'instar du droit commun contractuel mais également de catégories
spécifiques au droit des transports et particulièrement au droit des transports maritimes33.
Dans la même logique d'équilibre du compromis nécessaire entre les intérêts du transporteur
et ceux de son cocontractant34 les textes accordent traditionnellement, au transporteur le droit d'une
limitation de responsabilité. La responsabilité du transporteur est donc une responsabilité plafonnée,
permettant à ce dernier de ne pas réparer l'intégralité du dommage dont il est reconnu responsable.

31 D. Veaux et P. Veaux-Fournerie , « La pénétration en droit français de la théorie de la faute inexcusable en matière


aérienne et maritime sous l'influence des conventions internationales », Internationalisation du droit, Mélanges en
l'honneur de Yvon Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 394 et s.
32 C. Paulin , Droit des transports, Litec, 2005, p. 250 no 493 et s.
33 G. de Monteynard, op. cit., p. 247.
34 P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2006, p. 679, no 1067.

29
Le droit des transports dans son intégralité est particulièrement empreint des réparations limitées35.
Ces limitations de responsabilité du transporteur sont au centre de nombreuses affaires
relatives au transport terrestre, maritime36 ou aérien. Le débat est classique. La responsabilité du
transporteur est souvent limitée par des dispositions d'origine légale ou conventionnelle37. La
victime d'une inexécution de ses obligations par le transporteur va tenter d'écarter ces limitations en
recourant, en fonction des cas, à la faute lourde, faute inexcusable, ou au manquement du
transporteur à une obligation essentielle38. Il lui faudra en pratique apporter une preuve très difficile.
Faisant application des principes qui gouvernent la responsabilité contractuelle tirée des
articles 1147, 1148 et 1150 du Code civil, la jurisprudence a admis que, fût-ce en présence de
Convention internationale ou de texte législatif, certaines fautes qualifiées permettaient à la victime
d'échapper à la limitation de responsabilité dont bénéficie le transporteur. Elle consacre précisément
l'existence d'une faute lourde39 en matière de transport routier de marchandises. En revanche, en

35 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p.
256, n0 271.
36 Voir C. Scapel, Le domaine des limitations légales de responsabilité dans le transport de marchandises par mer,
Thèse, Aix en Provence, 1973.
37 Inscrits dans la loi ou dans un contrat, les plafonds font échec à la réparation intégrale du préjudice. Il en est de
deux sortes : tantôt la limitation est attachée a un contrat, tantôt elle est prévue globalement, pour un ensemble des
dettes. Dans le premier cas, elle vise à rationaliser une dette ; dans le second a apurer la situation d'un débiteur (M.
Rémond Gouilloud, Le contrat de transport, Dalloz, 1993, p. 55).
38 Cependant, il va de soi que cette limitation est exclue si les dommages subis, par le voyageur ou par la marchandise,
proviennent d'une faute intentionnelle du transporteur. Mais comme la faute intentionnelle est rare et difficile à
prouver, les conventions internationales, conclues en la matière, assimilent certaines fautes non intentionnelles, mais
très graves, à la faute intentionnelle, pour allouer à la victime une réparation intégrale de son préjudice, sans tenir
compte des limitations habituelles de responsabilité. V. A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies:
Économica, 2e éd., 1998, n° 402, p. 293 : « seule la faute dolosive parce qu'elle échappe à toutes les règles et,
surtout, parce qu'elle manifeste la volonté non équivoque, positive, de sortir du contrat, est susceptible d'écarter la
limitation; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats », LGDJ, 1981.
39 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p.
289, n0 333.

30
droits maritime et aérien40 41, c'est la faute inexcusable qui devra être prise en considération 42. Or, les
deux concepts ont la même fonction : exclure la limitation de responsabilité lorsque le transporteur
n'a pas correctement exécuté la mission qui lui a été confiée43.
Une des tentatives pour faire sauter le verrou de ces limitations44, lorsqu'elles sont prévues
par les contrats-types applicables en droit des transports routiers45 ou par la CMR46 est la faute
lourde du transporteur terrestre dont la définition est aujourd'hui arrêtée (à l'occasion de l'affaire
Chronopost) par la Chambre mixte de la Cour de cassation: il s'agit d'une faute «caractérisée par
une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de
l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle »47
40 Et depuis peu ferroviaire : sur le plan international, la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires
portant Règles uniformes concernant le contrat international ferroviaire des marchandises, signée à Berne le 9 mai
1980 a été modifié par le Protocole de 1990 entré en vigueur le 1er novembre 1996. Modernisant certaines
dispositions institutionnelles, ce protocole dit « Protocole 1990 » a procédé, surtout, à l'adaptation du droit
international des transports ferroviaires et ce, en harmonisant certaines dispositions sur la responsabilité civile des
RU-CIM avec d'autres Conventions internationales: il abandonne dès lors les notions de dol et de faute lourde au
profit de celle de faute inexcusable. Ainsi, l'article 44 des RU-CIM 1980 dispose, en effet, que les limitations
d'indemnité ne s'appliquent pas s'il est prouvé que le dommage résulte « d'un acte ou d'une omission que le chemin
de fer a commis soit avec l'intention de provoquer un tel dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un tel
dommage en résulterait ».Les Règles uniformes version 1999, portant modification de la Convention relative aux
transports ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, adoptées à Vilnius le 3 juin 1999, se présentant sous la forme d'un
Protocole et désormais applicables, comportent une disposition semblable (RU-CIM 1999, art.36).
41 Plus récemment, le 3octobre 2000 a été adoptée à Budapest, puis signée dans cette même capitale le 22 juin 2001,
par onze États européens, la Convention « relative au contrat de transport de marchandises en navigation intérieure »
(CMNI) La CMNI s'applique depuis le 1eravril 2005 après avoir obtenu cinq ratifications (celles de la Hongrie, du
Luxembourg, de la Roumanie, de la Suisse et de la Croatie) nécessaires à son entrée en vigueur Une faute
inexcusable ou dolosive commise par le transporteur ou le transporteur substitué, voire par leurs préposés et
mandataires, entraîne la perte des limitations d'indemnité (CMNI, art.21.1). Lors du congrès de l'IVR (Registre
fluvial rhénan), les 12 et 13 mai 2005, le secrétaire d'État aux Transports et à la Mer a annoncé la volonté du
gouvernement français de ratifier la Convention de Budapest. Un projet de loi autorisant la ratification de la
Convention de Budapest a été déposé au Sénat le 5 juillet 2006. Et un décret no 2008-192 portant publication de la
CMNI a été publié le 29 février 2008 et précise que ce texte est entré en vigueur pour France le 1er septembre 2007.
42 G. de Monteynard, op. cit., p. 247.
43 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s.
44 H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111.
45 De même qu'en matière de transport interne, ferroviaire ou fluvial, de marchandises. C'est à dire les transports
réglementés par les articles 94 à 102 du Code de commerce ancien, devenus L. 132-3 à L. 132-9, l'article L 133-1
du Code de commerce n'interdisant pas les clauses ayant seulement pour objet de limiter le montant de l'indemnité,
qui demeurent valables à la double condition d'avoir été connues et acceptées par l'expéditeur lors de la conclusion
du contrat de transport et de ne pas aboutir à une indemnité dérisoire par rapport au montant du dommage. dès lors,
est licite la clause par laquelle un transporteur cantonne sa responsabilité « à la réparation du seul dommage matériel
justifié ». Il s'agit, en effet, d'une clause limitative de l'indemnité, et non d'une clause exonération de garantie Au
demeurant, le droit de transport routier des marchandises présente la particularité des contrats types, applicables de
plein droit, lorsque les parties n'ont pas pris la peine de définir leurs rapports dans une convention écrite (article 8 §
II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs). Ces textes, consacrés par
décrets, ne constituant pas des règlements, mais des textes de droit privé, prévoient des clauses de limitation de
responsabilité applicable automatiquement, dans la mesure où les parties n'ont rien prévu.
46 Convention relative au contrat de transport international de marchandises par routes (en abrégé : CMR), signée le 19
mai 1956 à Genève et entrée en vigueur le 2 juillet 1961. L'article 29 de la CMR prévoit que le transporteur ne peut
se prévaloir des dispositions de la CMR qui excluent ou limitent sa responsabilité lorsque le dommage est imputable
à son dol ou à une faute qui, d'après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalant au dol. Tel est le
cas, en France, de la faute lourde, traditionnellement assimilée au dol quant à ses effets.
47 Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18.326 et 03-14.112, JCP G 2005, II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p.
681, obs. D. Mazeaud et p. 753, obs. P. Delebecque ; Dr. & patr. 2005, no 141, p. 36, obs. G. Viney ; JCP E 2005, no

31
Longtemps, deux manières de caractériser la faute lourde ont en effet coexisté. La première,
objective, la déduisait du caractère essentiel de l’obligation inexécutée ou de l’ampleur du
dommage ; la seconde, subjective, la déduisait d’un jugement de valeur sur la qualité du
comportement du débiteur. L’enjeu était le même : écarter les limitations de responsabilité résultant
de la convention des parties ou de la loi. La Chambre mixte en 2005, en décidant que « la faute
lourde de nature à mettre en échec la limitation d'indemnisation prévue par le contrat-type ne
saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se
déduire de la gravité du comportement du débiteur », adopte une conception subjective de la faute
lourde48, et elle vient infléchir sa jurisprudence relative en renonçant à toute référence au caractère
fondamental de l'obligation transgressée et en recentrant la notion autour de ses critères subjectifs :
gravité du comportement, conscience des risques49.

La faute lourde fait, quand même, encore l'objet de deux arrêts du 13 juin 200650 et du 21
février 200651.Ces deux arrêts, portant toujours sur l'affaire Chronopost, complètent et apportent des
précisions à ceux de la Chambre mixte du 22 avril 2005 et tous les deux confirment, sans ambiguïté,
le ralliement de la Chambre commerciale à la conception subjective de la faute lourde.
Par conséquent, il résulte des arrêts présentés, comme déjà de ceux de la Chambre mixte du
22 avril 2005, que la faute lourde du transporteur ne peut pas s'apprécier objectivement en fonction
de l'importance de l'obligation non remplie, mais plutôt subjectivement en fonction des
circonstances spécifiques à chaque espèce, dont la preuve incombe à la victime du dommage52. Et la
jurisprudence des Chambres de la Cour de cassation semble sur ce point unifiée53.
La solution est-elle de portée générale ou concerne-t-elle seulement l’hypothèse du contrat
type de messagerie? Peut-être averti de cette interrogation, l’arrêt du 13 juin 2006 prend soin de ne
pas seulement fonder sa solution sur les textes propres à la messagerie mais d’y ajouter le visa de
l’article 1150 du Code civil, ce que le précédent de février de la même année n’avait pas fait54. La
40, p. 1446, obs. Paulin Ch.; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111.
48 P. Stoffel-Munck, « Novembre 2005 – juin 2006 : la jurisprudence au service d’une défense raisonnée des prévisions
des partie » Droit & Patrimoine 2006, p. 99 et s.
49 C. Legros, « Transports rapides : Cour de cassation et Conseil d’Etat se liguent pour assurer le sauvetage des
plafonds réglementaires de réparation », étude publiée sur le site de l'Institut International Des Transports,
www.idit.asso.fr.
50 Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Bull. civ. IV, n° 43 ; JCP G 2006, II, n° 10123, obs. G. Loiseau.
51 Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-20.139, Bull. civ. IV., n° 48 ; RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006,
p. 694, obs. D. Mazeaud.
52 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s.
53 V. cependant Cass. 1ère civ., 4 avr. 2006, n° 04-11.848, inédit, et non destiné à la publication, qui adopte une
caractérisation objective (en jugeant qu’elle peut être déduite du simple constat de l’inexécution d’une obligation
essentielle) mais qui ne concerne pas le droit du transport. Divergence qui, comme P. Stoffel-Munck l'observe, serait
regrettable car la position de la chambre commerciale paraît logique et raisonnable (P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99
et s.). Quoi qu'il en soit cet arrêt en opposition avec la jurisprudence la chambre mixte et de la chambre commerciale
de la Cour de cassation, semble indiquer que la solution est effectivement limitée au contrat de transport.
54 V. RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006, p. 694, obs. D. Mazeau.

32
solution semble donc générale du point de vue de la Chambre commerciale55, et valoir aussi bien
pour les limitations conventionnelles que légales de responsabilité56. On peut d’autant mieux le
penser que cette chambre semble bien poursuivre en cette matière, une véritable politique en faveur
d'une application moins sévère de l'attitude tu transporteur57.
Une deuxième tentative pour faire « crever »les plafonds de responsabilité et d'obtenir une
réparation intégrale est, ainsi qu'il a été déjà noté, l'application de la faute inexcusable, a priori au
moins un degré de gravité au dessus de la faute lourde mais qui est en principe appréciée
objectivement58. Nous allons donc examiner l'instauration de cette notion en droit des transports
ainsi que son interprétation par la jurisprudence. Nous allons dès lors s'interroger si la solution d'une
interprétation subjective de la faute faisant échec à la limitation de responsabilité du transporteur
routier est transposable en droit des transports aériens59 (§ 1) et ensuite en droit des transports
maritimes 60 (§ 2) et si elle est susceptible d' atténuer la rigueur dont la jurisprudence de la Cour de
cassation fait preuve à l'encontre du transporteur en ce qui concerne l'interprétation de la faute
inexcusable.

55 Par ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient, par un arrêt du 27 fév. 2007, rendu,cette fois-ci,
dans un cas d'application de l'article 29 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat international
de marchandises par route (CMR), la même approche subjective de la faute qu'en droit interne, fondée sur une
analyse concrète du comportement du transporteur (Cass. Com. 27 févr. 2007, n° 05-17.265 ; RTD com. 2007, p.
592, obs. B. Bouloc ; JCP E 2007, p. 1705, obs. A. Cathiard ; BTL 2007, p. 183 ; H Kenfack, « Droit des transports,
juillet 2006 - juin 2007 », D. 2008, p. 1240). Cette uniformité de la définition de la faute lourde en transport interne
et international a été favorablement saluée par la totalité de la doctrine.
56 Cette affirmation d'une conception subjective de la faute lourde ne doit pas conduire à penser que le recours à la
notion d'obligation essentielle est devenu sans intérêt. Ces deux concepts ont des domaines d'application distincts.
En effet, lorsqu'elle est de nature contractuelle, la clause limitant la réparation est réputée non écrite « si elle
contredit la portée de l'engagement et porte ainsi atteinte à l'essence du contrat, ce qui n'exclut évidemment pas
qu'elle puisse également être mise en échec, sur le fondement de l'article 1150 du Code civil et du principe
d'assimilation de la faute lourde au dol, par une faute lourde strictement entendue. En revanche, seule la preuve
d'une telle faute, dont la charge incombe exclusivement au créancier, fait obstacle à l'application des clauses
restrictives de responsabilité ou de réparation prévues par un contrat-type approuvé par décret » (Viney G., op.
Cit.). Voir également sur le principe Ph. Delebecque, J-Cl, commercial, Contrats, fasc. 11, n° 55 et Cass. com., 30
mai 2006, n° 04-14.974, Bull. civ. IV, n°132 ; BTL 2006, p. 383, obs. M. Tilche.
57 P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s.
58 J.-M. Jacquet et Ph. Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, 3ème éd., 2002, n° 274.
59 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. ; V. aussi Lamy, Droit du contrat, 385-86 : « Faute lourde – Conception subjective –
Arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 - c) Portée de la solution » ; RTD civ. 2006, p. 569, obs. P. Jourdain.
60 Ph. Delebecque, « La jurisprudence Chronopost : quelle portée pour le droit maritime ? » DMF 2005, p. 734.

33
§ 1) En droit des transports aériens

Nous allons étudier successivement l'évolution de la notion de faute inexcusable dans les
textes, nationaux et internationaux régissant le contrat de transport aérien (A) et ensuite la
conception jurisprudentielle de celle-ci en droit aérien et ses fluctuations (B).

A) Les textes

Tout d’abord apparue dans le domaine du transport aérien, la notion de faute inexcusable a
ensuite imprégné le transport maritime. La faute inexcusable a en effet fait son apparition dans le
domaine du transport aérien avec le protocole de La Haye du 28 septembre 1955
Comme le rappelle le doyen Chauveau61, les auteurs de la Convention de Varsovie du 12
octobre 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international avaient
voulu, dans l'esprit de la délégation française, viser une faute particulièrement grave ; le premier
texte français parlait d’un dol ou d’une faute assimilable au dol62. Mais les délégués de langue
anglaise ont fait valoir que le mot dol était intraduisible en anglais, parce que la notion qu'il
recouvrait était inconnue dans leur droit. En conséquence, ils ont suggéré une notion voisine, celle
de Willful misconduct qui peut être traduite par inconduite délibérée et qui consiste dans l'action ou
l'omission volontaire que celui qui agit ou s'abstient sait être une infraction à son devoir en la
circonstance et sait qu'il en résultera probablement un dommage pour autrui. Elle contient donc un
élément intentionnel, mais elle se distingue de la faute intentionnelle, compte tenu qu'il suffit que
l'auteur ait conscience de son inconduite et du dommage qui peut en résulter, sans tout de même,
que ce dommage soit désiré comme en cas de dol63. C'est donc pour ça que l'article 25 de la
Convention de Varsovie a prévu que le transporteur n'aura pas le droit d'invoquer les dispositions
qui limitent sa responsabilité si le dommage provient de son dol ou d'une faute équivalente au dol
selon la loi du tribunal saisi, cette dernière expression renvoyant à la notion anglaise Willful
misconduct
Toutefois, en faisant recours à la loi du tribunal saisi, l'article 25 laissait aux tribunaux
nationaux la possibilité de se référer à des notions différentes. C'est ainsi que les tribunaux français

61 P. Chaveau, D. 1979, p. 293.


62 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc.
63 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc.

34
ont fait référence à la faute lourde, regardée comme faute équipollente au dol. Face à la variété des
interprétations auxquelles ont donné lieu, dans les différents États parties, les expressions « dol » et
« faute équivalente au dol », les auteurs du protocole de La Haye ont, à l'initiative de l'OACI, défini
de façon précise le type de faute qui devait conduire à exclure le droit pour le transporteur de limiter
sa responsabilité.
Le Protocole de La Haye de 195564 a voulu substituer une formule acceptable par tous65.
Proposée par le major Beaumont et le doyen Chauveau, la formule adoptée par l’article 25 devait
mettre fin aux discussions et divergences d’application antérieures : « les limites de responsabilité
ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du
transporteur ou de ses préposés, faits soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit
témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement, pour autant que,
dans le cas d’un acte ou d’une omission de préposés, la preuve soit également apportée que ceux-ci
ont agi dans l’exercice de leurs fonctions »
Parallèlement, la loi du 2 mars 1957, un texte de circonstance, avait modifié les articles 41,
42, 43, alinéa 2 et 48 de la loi du 31 mai 1924 pour soumettre au régime de responsabilité de la
Convention de Varsovie les transports internes à une époque où le Protocole de La Haye n'était pas
encore entré en vigueur. Du reste, ces textes sont devenus les articles L. 321-3, L. 321-4, L. 321-5 et
L. 322-3 du Code de l'aviation civile, aujourd'hui en vigueur.
D'une part, selon les art. L. 321-3 et L. 322-3, la responsabilité du transporteur aérien est
régie par les seules dispositions de la Convention de Varsovie ou de toute autre convention la
modifiant et applicable en France, même si le transport n'est pas international au sens de cette
convention. Autrement dit, à compter de l'applicabilité en France du Protocole de La Haye, ce sont
les dispositions de la Convention de Varsovie modifiée par le Protocole de La Haye qui sont
applicables en France, même si le transport n'est pas international au sens de la Convention.
D'autre part, comme le Protocole de La Haye n'était pas encore applicable, l'une des
dispositions de la loi de 1957, disposition devenue l'article L. 321-4, alinéa 1, déclare ce qu'il faut
entendre par faute équipollente au dol dans l'article 25 de la Convention de Varsovie non modifiée.
On sait que cette notion de faute considérée comme équipollente au dol figure dans la Convention
de Varsovie et précisément ne figure plus dans le Protocole de La Haye. En attendant l'entrée en
vigueur du Protocole de La Haye, le législateur français a voulu imposer une définition de la faute
considérée comme équipollente au dol en régime interne comme en régime international. Il a donné

64 Pour une analyse sur l'évolution de cette rédaction, V. H. Zoghbi, La responsabilité aggravée du transporteur
aérien. Dol et faute équivalente au dol. Étude développée du protocole de la Haye, LGDJ, 1962, n° 164, p. 69.
65 B. Mercadal, Transports Aériens, Rép.com. Dalloz, n° 192.

35
la définition suivante de la faute considérée comme équipollente au dol66 : Celle-ci est « la faute
inexcusable. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du
dommage et son acceptation téméraire sans raison valable », reproduisant ainsi littéralement une
proposition du doyen Chaveau, qui était déjà à l'origine de la modification de l'article 25 rédigée
avec le major Beaumont67.
On constate, donc, que le texte français (C. aviation, art. L. 321-4, texte commun aux
transports de personnes et aux transports de marchandises) est un peu plus exigeant, car il comporte
deux éléments supplémentaires : la « faute délibérée » et l'absence de « raison valable »68.
S'agissant de la Convention de Montréal du 28 mai 199969, celle-ci tout en limitant, à l'instar
de la Convention de Varsovie, le montant de l'indemnisation, elle exclut, contrairement à son
homologue, de la déchéance de plafonds de limitation le transporteur de marchandises en cas de
faute inexcusable70 (Convention de Montréal, art. 22.5)71. La faute inexcusable ne joue donc que
pour la responsabilité du transporteur aérien en cas de retard subi par les passagers72, d’une part, et
de destruction, perte, avarie ou retard subis par leurs bagages, d’autre part 73. Dans les transports de
marchandises, la responsabilité est toujours de droit et plafonnée. Mais il n'est plus question de
déplafonnement (art. 22-3), c'est la règle de l'infranchissabilité de plafond qui a été retenue74.

66 E. du Pontavice, « La faute inexcusable du droit aérien », RTD Com. 1990, p. 128.


67 P.Chaveau, « Le projet de loi sur la responsabilité du transporteur par air », D. 1955, chron. p. 81 ; I. Corbier, «La
notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», préc.
68 Ph. Delebecque, « Limitation de responsabilité et faute inexcusable du transporteur aérien », RD transp., Mars 2007,
p. 75 (obs. sous l'arrêt de la CA Paris en date du 16 nov. 2006).
69 Entrée en vigueur au niveau mondial le 4 novembre 2003 grâce à la 30 e ratification effectuée par les États-Unis, et
le 28 juin 2004 pour la France et la plupart des autres États membres de l'Union européenne et la Communauté
européenne.
70 L'article 22.5 de la Convention de Montréal reprend littéralement la définition de la faute inexcusable établie par
l'article 25 de la Convention de Varsovie modifiée par le protocole de la Haye.
71 Suivant, ici, la solution introduite par le Protocole de Montréal n° 4, adoptés le 25 septembre 1975 à Montréal, entré
en vigueur le 14 juin 1998 qui n'a pas donné lieu à ratification par la France (bien que le parlement français ait
autorisé le gouvernement à ratifier les quatre protocoles par une loi no 81-1078 du 8 décembre 1981, JO 9 déc.).
72 V. cependant : B. Mercadal, op. cit., n° 194 : au-delà de ce plafond de 100. 000 DTS, il nous semble que le
transporteur retrouve le droit de se prévaloir de limitations conventionnelles de réparation. D'ailleurs, en cas de
dommage inférieur ou égal à 100 000 DTS par passager, le transporteur n’est pas en droit d’exclure ou de limiter sa
responsabilité ( art. 21, § 1er), sauf faute de la victime.
73 Ph. Delebecque, « Convention de Varsovie. Transports aériens. Refonte. Convention de Montréal du 28 mai 1999 »,
RTD Com. 2001 p. 303 ; Ch. Paulin, « Entrée en vigueur de la Convention de Montréal », D. 2004, p. 1954.
74 L. Baby, « Le projet de modernisation de la Convention de Varsovie : l'évolution souhaitée des limites de réparation
du transporteur aérien résistera à la cinquième juridiction ? », RFDA, 1999, p. 13. Règle que l'on retrouve dans le
droit de transports terrestres allemand avant la mise en œuvre de la German Law Reform Act du 1er juillet 1998, v.
Ch. Breitzke Limitation of liability and breaking law, D. eur. Transp., 2005, p. 190 : the liability of the overland
carrier was limited (...) irrespective of whether the damage was caused negligently or intentionnally, regulation who
was quite advanced at that time, it rendered superflous all unnecessary dipsutes about the possible breaking of
limitation in cases where intention or facts tha could be legally equated to intention had been arrived. Après la
German Law Reform Act du 1er juillet 1998, le droit allemand se conforme au droit international et dorénavant
l'article 431 du Code de commerce allemand établit la déchéance du transport terrestre de son droit de limiter sa
responsabilité lorsque lui ou ses préposes « acted intentionnaly or recklessy and with knowledge tha the damage
would probably result ».

36
Il émane de ces définitions proposées en 1955 par la Convention de Varsovie (approuvée par
la Convention de Montréal) et en 1957 par la loi française que l'intention du législateur est d'opter
pour une conception in concerto de la faute inexcusable. Malgré tout, la Cour de cassation, en se
démarquant de la lettre des textes (voire de leur esprit75) de même que de la jurisprudence
dominante étrangère, penche pour une interprétation objective de la faute inexcusable du
transporteur aérien et, il en va de soi, de ses préposes et mandataires (article 25 de la Convention de
Varsovie, article 22.5 de la Convention de Montréal).

B) Interprétation de la faute inexcusable du transporteur aérien

a) En droit de transport aérien des marchandises

Deux conceptions se sont opposées sur la façon d’apprécier la faute visée à l’article 25 de la
Convention, comme à l'article L. 321-4, alinéa 1. La première conception, dite « subjective » ou in
concreto, consiste à apprécier si, dans les faits, le transporteur (ou ses préposés) a eu conscience
qu’un dommage résulterait probablement de son attitude. La seconde conception, dite « objective »
ou in abstracto, consiste à apprécier si le transporteur (ou ses préposés), en agissant comme il l’a
fait, aurait dû avoir conscience de sa témérité et de la probabilité du dommage. Cette appréciation
doit être faite par rapport au comportement d’une personne normalement avisée et prudente76
Dans le souci de désintéresser de façon satisfaisante les victimes d’accidents aériens77, la
Cour de cassation française a refusé de consacrer une définition étroite de la faute inexcusable et a

75 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s. ; A.


Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies: Économisa, 2ème éd., 1998, n° 347, p. 6 et 259 : Il est vrai que
les travaux préparatoires du Protocole semblent se tourner vers une appréciation concrète de la faute inexcusable.
Une telle appréciation peut se justifier par le désir de préserver la limitation de responsabilité. En effet, interpréter
la faute inexcusable de manière stricte permet d’éviter les débordements, car il ne faut pas perdre de vue qu’en droit
des transports, « le droit commun, c’est la limitation de responsabilité et non la responsabilité pleine et entière » ;
RD transp. 2007, Comm. n° 45, obs. P. Delebecque : « Faut-il redire que ces solutions nous semblent plus
respectueuses de l'esprit de la Convention internationale qui a voulu mettre sur le même plan faute intentionnelle et
faute inexcusable? Comment pourrait-on assimiler les deux notions si l'une d'entre elles devait être interprétée à
l'aune d'un modèle abstrait ? De surcroît, les plafonds de réparation sont, s'agissant des marchandises, assez élevés
et comme ils traduisent la manière dont la réparation doit être en principe assurée, il ne faut sans doute pas
favoriser le déplafonnement par une interprétation compréhensive de la faute inexcusable ».
76 B. Mercadal, op. cit., n° 194.
77 R. Rodière, « La faute inexcusable du transporteur aérien » : D. 1978, chron. p. 31.

37
opté pour la conception objective78, comme elle l’avait déjà fait en droit du travail, ce qui permet de
retenir plus facilement la faute inexcusable du transporteur ou de ses préposés79. Par voie de
conséquence, le rôle de la Cour de cassation se cantonne dans l'examen si les juges du fond
qualifient suffisamment les caractères de la faute inexcusable80.
Dès lors, « chaque fois que des pilotes ont commis des fautes en contrevenant
volontairement aux prescriptions – qu’elles soient légales, réglementaires ou propres à la
compagnie aérienne – définissant les conditions de sécurité, les juges français peuvent qualifier ces
fautes d’inexcusables dès lors qu’ils constatent que les pilotes auraient dû avoir conscience qu’un
dommage en résulterait probablement. Lorsqu’elle est établie, la seule conscience que le
transporteur aérien aurait dû avoir, compte tenu des circonstances, suffit à obliger celui-ci à
réparer l’intégralité du dommage direct et certain qu’il a causé. De même, dès l’instant où
l’événement dommageable pouvait être prévu, le transporteur qui n’a rien fait pour l’éviter sera
jugé avoir accepté témérairement de prendre un risque dommageable. Probabilité et prévisibilité
du dommage semblent remplacer ici la conscience du danger et justifier la condamnation du
transporteur aérien à réparer intégralement les préjudices subis par les victimes81 ».
Cette appréciation abstraite de la faute inexcusable la détache de la faute intentionnelle et la
rapproche par voie de conséquence de la notion de faute lourde82 utilisée dans le transport terrestre
pour faire échec au principe de la limitation de responsabilité, telle qu'elle était envisagée sous

78 V. Cass. 1re Civ., 5 décembre 1967, JCP 1968, II.15350 ; Cass. 1ère civ., 2 mars 1971 : Bull. civ. 1971, I, n° 65. ;
Cass. 1ère civ., 20 déc. 1988, n° 87-17.887, Bull. civ. I., n° 372 ; Cass. com., 14 mars 1995, n° 93-16.196 : Juris-
Data n° 1995-000668 ; Bull. civ. 1995, IV, n° 86 ; Cass. com, 2 avril 1996, Bull civ. 1996, n° 114 ; Cass. 1re civ., 18
oct. 2005, n° 02-12.383, Juris-Data n° 2005-0303376. La Cour de cassation se référait (mis à part un arrêt de la
première chambre civile de la Cour de cassation du 5 novembre 1985 -Cass. 1ère civ., 5 nov. 1985, n° 84-11.068
Bull. civ. 1985, I, n° 286 selon lequel « la cour d'appel (...) a caractérisé concrètement une faute ») selon les
hypothèses, à une faute « appréciée objectivement » à une « personne normalement avisée et prudente », à un
transporteur qui « ne pouvait manquer d'avoir conscience », à une « omission [qui] impliquait la conscience d'un
dommage » ou, enfin, à un transporteur qui « aurait dû avoir conscience » qui « ne pouvait ignorer le dommage
probable ».
79 G. de Monteynard, op. cit., p.247 ; D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la
conférence « L’équité dans la réparation du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de
cassation (www.courdecassation.com), colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités
2006-2007.
80 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s.
81 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc., approuvant sur ce point les
observations de A. Seriaux – A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies: Economica, 2ème éd., 1998, n
° 344, p. 256 -.
82 A. Sériaux, op. cit., n° 344, p. 256 ; R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., p. 31 ; I. Corbier, « Métamorphose de la
limitation de responsabilité de l'armateur » préc.; I.Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la
limitation de responsabilité », préc., p 103 et s. V. également J-P Tosi : J-Cl, Transport Aérien. - Montant de
responsabilité du transporteur, Fasc. 460-20, n° 49 et s. : l'élément objectif est devenu celui de la faute lourde
L'élément subjectif est apprécié "in abstracto" - L'élément subjectif a deux composantes : 1° la témérité, ce qui
suppose une obstination dans l'erreur, distincte de la faute d'inadvertance, inattention d'un instant ou erreur de
jugement 2° la conscience de la probabilité du dommage, ce qui imprime à l'acte un caractère délibéré (wilful) et
réfléchi ; V. aussi Lamy, Droit Économique 2008, Partie I : Notions générales, Faute inexcusable n° 77 ; Viney G.,
« Remarques sur la distinction entre faute intentionnelle, faute inexcusable et faute lourde », D. 1975, chr., p. 264.

38
l'éclairage de la violation d'une obligation essentielle, avant la jurisprudence Chronopost83.
Or, cette rigueur n'est peut être pas définitive. Dans un arrêt du 22 mars 2006 84, la Chambre
commerciale de la Cour de cassation se prononce85, en l'espèce, avec netteté en faveur d'une
conception concrète de la faute inexcusable.
La société Gallego confie le 7 décembre 1994 à la société DHL international un pli
contenant son offre pour la construction de différentes structures autoroutières, afin qu'il soit
acheminé par avion pour remise à la société des autoroutes du Sud de la France ; le pli est délivré le
vendredi 9 décembre 1994, alors que la date limite de dépôt des offres était fixée au 8 décembre
avant 12 heures. La société Gallego assigne le transporteur en réparation du préjudice résultant de la
perte de chance d'obtenir le marché. Le contentieux se développe dans un premier temps sur une
base extra-contractuelle, l'expéditeur souhaitant échapper aux règles de prescription et aux plafonds
de réparation. Mais assez rapidement, le débat est replacé sur son véritable terrain : les parties étant
liées par contrat, il ne saurait être question d'appliquer l'article 1382 du code civil (Cass. com., 15
oct. 2002, BTL 2002, n° 2960). L'affaire est renvoyée devant la Cour d'appel d'Agen qui retient la
responsabilité contractuelle du transporteur, tout en appliquant les plafonds habituels de réparation,
la faute inexcusable du transporteur n'étant pas, selon elle, caractérisée. D'où la question posée à la
Cour de cassation : l'omission du transporteur constitue-t-elle, oui ou non, une faute inexcusable?
La Cour de cassation dans l'arrêt du 21 mars 2006, rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de
la Cour d'appel d'Agen, répond par la négative au motif qu'il « n'était pas prouvé par la lettre de
voiture ou tout autre document que la société DHL international savait qu'un retard de livraison
d'une journée priverait la société Gallego de la possibilité de participer à l'appel d'offre et lui
causerait le préjudice dont cette dernière demande réparation... ».
La conception adoptée86 en l'occurrence, dominante des autres pays signataires87 de la
Convention de Varsovie, consiste à prouver que le transporteur avait effectivement conscience de la
probabilité du dommage, et elle entraîne, de fait, des conclusions importantes dans l'interprétation
de la notion de la faute inexcusable. Elle rapproche, en effet, celle-ci de la faute dolosive, car elles
83 Cf supra p. 31.
84 Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-19.246, Bull civ. IV, n° 77 ; RTD civ. 2006, p. 569, obs. P. Jourdain ; RTD com.
2006, p. 519, obs. P. Delebecque ; JCP 2006, II, 10090, obs. M. Mekki ; JCP E 2006, 2280, obs. F. Letacq ; P.
Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s. ; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111 ;
P. Bonnassies, DMF 2007, Hors-série n°11, p 51. V. aussi Ch. Paulin, « Un an de droit des transports... et plus encore
. - Panorama de la législation et de la jurisprudence de l'année 2006 », RD transp., 2007, Étude 1.
85 Entreprenant ainsi un spectaculaire revirement de jurisprudence (JCP G 2006, II, 10090, obs. M. Mekki).
86 D'ailleurs, déjà préconisée en 1967 par l'avocat général Lindon qui soutenait la thèse d'une appréciation subjective
de la faute inexcusable (Cass. 2e civ., 5 déc. 1967 : JCP G 1968, II, 15350, concl. contr. Lindon), thèse qui à
l'époque n'a pas la conviction de la Cour suprême, quoique saluée favorablement par la doctrine (R. Rodière et E.
Du Pontavice, op. cit., p.31).
87 V. A. Sériaux, op. cit., n° 356 et J.P. Tosi, op. cit., n° 53. En guise d'exemple la Belgique ou la Suisse cependant, la
jurisprudence américaine et celle des tribunaux au Canada se sont prononcées pour une appréciation objective de la
faute inexcusable.

39
semblent toutes deux fondées sur la mauvaise foi de l'agent, et l'éloigne de la faute lourde, fondée
sur la gravité du comportement et dénuée d'élément intentionnel88. Elle est alors plus difficile à
établir par la victime de l'inexécution.
Par ailleurs, une telle conception de la faute inexcusable est en harmonie avec celle adoptée
à propos de la faute lourde et contribue à orienter le droit du transporteur aérien de marchandises
vers le droit interne du transport relatif aux messageries expresses. La solution adoptée s'inscrit
alors parfaitement dans le giron des arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 précités89. En effet,
l'arrêt du 21 mars 2006 retient que la connaissance de la date de livraison par DHL international, et
la violation, par le transporteur, de son obligation de délivrer la marchandise à cette date, ne suffit
pas à faire du retard, même non justifié, une faute inexcusable. Ce qui vaut pour la faute lourde
devrait valoir pour la faute inexcusable, la première étant moins « grave » que la seconde 90. Car,
cette notion n'a, on l'a déjà noté, plus les faveurs du droit interne depuis le dernier épisode de
l'affaire Chronopost qui adopte une conception de la faute lourde détachée de l'obligation
fondamentale lorsqu'il est question d'écarter un plafond légal91 d'indemnisation92.
La position en cause de la Chambre commerciale a fait l'objet des critiques abondantes et
elle a été diversement perçue. En outre, la doctrine semble être partagé par rapport à la portée qui

88 JCP G. 2006, II, 10090, obs. M. Mekki : L'arrêt rendu par la Cour de cassation peut être justifié à plusieurs
égards(...). En se rapprochant de la faute dolosive et en se détachant corrélativement de la faute lourde, la logique
de l'arrêt peut également être approuvée. La faute inexcusable devient réellement la faute « équivalente au dol »,
selon la rédaction initiale de la convention de Varsovie. Ce détachement corrélatif de la faute lourde est cohérent
car la convention de Varsovie a été modifiée par le Protocole de La Haye afin, notamment, de satisfaire à la
demande des anglais qui utilisaient la notion de wilful misconduct, faute qui, du moins à l'époque des débats,
n'avait rien de commun avec la faute lourde du droit français ; RTD com. 2006, p. 519, obs. P. Delebecque : l'arrêt a
également le mérite de ne pas dilater la notion de faute inexcusable et sans doute aussi de revenir à une
appréciation « in concreto », ce qui est plus approprié, en tout cas dans le transport de marchandises. V. également
A. Sériaux, op. cit., n° 347 et s. et ses arguments pour une appréciation in concreto, résultant aussi bien de l'esprit
des textes que de leur lettre : d'une part, l'appréciation in concreto serait commandée par l'esprit même de la
législation admettant le recours a la faute inexcusable, à défaut du dol. D'autre part, et sans qu'il soit besoin de se
référer aux grands principes, la seule lettre des textes définissant la faute inexcusable serait suffisante pour
engendre une interprétation nécessairement subjective de la notion en question.
89 Cf supra p. 31.
90 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. ; JCP 2006, II, 10090, obs. M. Mekki : La solution a le mérite d'être cohérente en ce
qu'elle contribue à rapprocher le droit du transport aérien de marchandises et le droit interne applicable au
transport de messageries expresses. Concernant ce dernier, la Cour de cassation a en effet jugé que le simple
retard, même non justifié, n'est pas constitutif d'une faute lourde seule à même d'écarter le plafond légal
d'indemnisation (...). En jugeant que la connaissance de la date de livraison ne suffit pas à faire d'un retard même
non justifié une faute inexcusable, l'arrêt commenté se situe dans la même lignée. La faute lourde étant moins grave
que la faute inexcusable, ce qui valait pour la première devrait valoir a fortiori pour la seconde ; V. aussi Lamy
Droit du contrat 385-86 : « Faute lourde – Conception subjective – Arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 - c)
Portée de la solution » ; P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s. ; JCP E 2006, 2280, obs. F. Letacq.
91 La théorie de la violation d'une obligation essentielle vaut seulement lorsqu'il est question d'écarter la limitation
contractuelle de la responsabilité du transporteur routier.
92 V. RTD civ. 2006, p. 569, obs. P. Jourdain : « Ainsi, si les divers arrêts Chronopost auront largement contribué à
préciser la notion de faute lourde, c'est, cette fois encore à propos d'un transport rapide, qui permet à la Cour de
cassation de refuser toute objectivation et tout élargissement de la faute inexcusable ». V. cependant contra , JCP
2006, II, 10090, obs. M. Mekki : (...) On ne peut cependant s'empêcher de penser que c'est le respect des délais qui
fait la raison d'être de ce type de contrat de transport express de pli (...).

40
doit être accordé à l'arrêt rapporté93. Cet arrêt pourrait être considéré comme un arrêt de principe ?
M. Mekki observe que cet arrêt de la Cour suprême soulève la question abstruse des
dispositions régissant le transport express. En effet, la convention de Varsovie et les modifications
postérieures ont pour objet le transport de passagers, de bagages et de marchandises. Rien ne
figure dans ces conventions, ni même dans les travaux préparatoires, sur les transports express de
«marchandises». Pourtant, ce type de transport est bien singulier. D'une certaine manière, le délai
de livraison est l'objet même de la convention. Le mode de transport est secondaire. (...) La solution
ne serait-elle pas alors de construire un régime de responsabilité propre (impliquant une telle
interprétation de la faute inexcusable à ce type de prestation sans avoir égard au mode de transport
utilisé) ?
Aussi bien, le Professeur Philippe Delebecque met en exergue la nécessité de se demander si
cette solution ne constitue que la dernière valse, sinon du baroud d'honneur en faveur de la faute
inexcusable puisque l'on sait que la Convention de Montréal, aujourd'hui en vigueur, a considéré
que les plafonds de réparation devaient s'appliquer en toute hypothèse, même en cas de faute
inexcusable (idée qui se retrouve également dans le Protocole de Guatemala modifiant la
Convention de Varsovie)94. Si l'on suit cette position, l'arrêt du 21 mars 2006 ne semble être qu'un

93 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p.718, no 1114 : L'arrêt du 22 mars 2006 peut, certes, marquer un revirement
de la Chambre commerciale, et l'abandon de la conception objective de la faute inexcusable développée en droit
français par quarante ans de jurisprudence (...) Ce revirement serait (...) sans justification évidente (...)
provisoirement et dans l'attente de sa confirmation tant par la Cour de cassation elle même que par les juges du
fond, nous préférons rattacher l'arrêt à la règle que le débiteur contractuel n'est tenu que du dommage prévisible
(art. 1150 du Code civil) ; JCP G. 2006, II, 10090, obs. M. Mekki : la pertinence du raisonnement de la Cour de
cassation peut être contestée tant au regard de l'appréciation réalisée en aval qu'au regard de la règle applicable en
amont (...) l'appréciation très rigoureuse effectuée par les magistrats risque, en pratique, de rendre impossible la
preuve d'une faute inexcusable distincte de la faute dolosive (...). La volonté de la Cour de cassation de consacrer
définitivement l'appréciation in concreto au détriment de l'appréciation in abstracto pourrait être mise en doute.
(...). Moins qu'un revirement, cet arrêt serait la consécration d'une acception « pragmatique » de la question. V.
aussi, RTD civ. 2006, p. 569, obs. P. Jourdain : Si au regard de la notion elle-même cette attitude nous paraît
justifiée, ses conséquences n'en sont pas moins regrettables puisqu'elle prive les victimes d'une indemnisation
intégrale alors même qu'une obligation essentielle est violée. Ce constat nous conduit une fois de plus à souhaiter
que la jurisprudence accepte de priver d'effet les limitations, même légales, d'indemnisation en cas de manquement
à une telle obligation ; et E. du Pontavice, RTD Com. 1990, p. 128 : (...) C'est bien cette interprétation objective
qui prévaut puisque la Cour de cassation relève simplement la témérité, incontestable, du pilote, sans rechercher s'il
avait eu conscience des conséquences de sa témérité. Nous ne sommes pas opposés à cette interprétation dans la
mesure où elle exige des transporteurs et des pilotes une plus grande rigueur (souhaitable notamment dans l'intérêt
des passagers) que l'interprétation subjective, qui a pour incidence de priver pratiquement d'effet dans la quasi-
totalité des cas, les dispositions faisant échec à la limitation de réparation. Néanmoins, l'analyse concrète de la
faute inexcusable préconisée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble être corroborée par
les juges du fond. En effet la CA Paris dans un arrêt du 16 novembre 2006 (BTL 2006, 743 ; RD transp. 2007,
Comm. n° 45, obs. P. Delebecque) observe que « la seule réalité du dommage advenu - écrasement d'appareils
fragiles - ne suffit pas à démontrer, à la charge du transporteur une faute délibérée impliquant la conscience
de la probabilité du dommage et son acceptation sans raison valable (c'est nous qui soulignons).
94 Cette disposition de la Convention de Montréal a été vivement critiquée. V. Ph. Delebecque, Mélanges offerts à J-L
Aubert, « Pour une théorie du contrat de transport », LGDJ, 2005, p. 113 : « (...) est une erreur contre laquelle il
faut prendre dorénavant les devants. Un plafond « unbreakable » heurterait tous les principes ». ; Ph.
Delebecque, « La convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport
aérien international ou le nouveau droit du transport aérien », JDI 2005, p. 263 ; JCP 2006, II, 10090, obs. M. Mekki

41
arrêt de circonstances, dont la solution ne pourrait pas l'emporter dans le monde des transports.
Parallèlement et toujours dans la même problématique, il importe de se demander si l'entrée en
vigueur de la Convention de Montréal implique effectivement la disparition complète de la faute
inexcusable du régime de responsabilité du transporteur aérien95.
En effet, la Convention de Montréal régit les transports aériens internationaux entre les seuls
États l’ayant ratifiée. Elle est donc à priori appelée à coexister avec la Convention de Varsovie,
encore applicable dans de nombreux pays.
En outre, le règlement CE no 2027/97 du 9 octobre 1997 modifié par le règlement CE no
889/2002 du 13 mai 2002, relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident,
élargissant le champ d'application des dispositions de la Convention de Montréal, régit tant les
transports domestiques à l’intérieur de chaque État membre que les transports internationaux à
l’intérieur ou à l’extérieur de la Communauté, dès lors qu’ils sont assurés par les compagnies
aériennes de transport public relevant d'un État membre. Mais seulement lorsqu'il s'agit des
transports des passagers et de leurs bagages.
En revanche, le transport interne de marchandises ne connaît guère l'attraction d'un
règlement européen. Par voie de conséquence, il est soumis au Code de l'aviation civile96 ; Se pose
dès lors la question suivante : le renvoi normatif qui y est opéré conclut-il au maintien du régime
varsovien modifié à La Haye, ou bien faut-il admettre l'emprise généralisée du système issu de la
Convention de Montréal ? La détermination de la norme conventionnelle applicable dépend de
l'interprétation à donner aux dispositions des articles L. 321-3 et L. 322- 3 CAC, le transport interne
étant soumis à la Convention de Varsovie et à toute convention la modifiant; la Convention de
Montréal peut-elle être réputée comme un instrument modifiant la Convention de Varsovie ? La

: « L'inconvénient majeur de la convention de Montréal est qu'elle met en place un système de responsabilité très
critiquable lorsque le dommage résulte d'un retard dans l'acheminement d'une marchandise (...) Cette solution est
en contradiction avec les principes fondamentaux du droit français de la responsabilité civile. Elle s'oppose,
notamment, au principe, bien ancré en droit français, selon lequel « le dol corrompt tout » ; RD transp. 2007,
Comm. n° 45, obs. P. Delebecque : « Les travaux préparatoires sont très clairs : les rédacteurs ont voulu éviter les
contentieux et faire en sorte que les plafonds, au demeurant toujours élevés, jouent systématiquement. On n'imagine
pas cependant que ces plafonds puissent s'appliquer en cas de faute intentionnelle. Le dol fait et doit faire échec à
toutes les règles. (...) Le juge s'y tiendra-t-il en cas de faute dolosive du transporteur ? L'avenir le dira, mais rien
n'est moins sûr. Surgit, donc, la question de savoir quelle sera la réaction du juge français envers une disposition
tellement contraire aux principes du droit français positif ». Le professeur Ch. Scapel prétend qu'un retour par
jurisprudence à la théorie du dol «contractuel» (V. Cf infra note 162) est fortement possible ( Ch. Scapel, «
Transport aérien : « e-ticket » obligatoire », INFO DROIT IMTM, juin 2008 ).
95 Dans son commentaire des arrêts de la Première chambre civile ( RD transp. 2007, Comm. n° 45) rendus en matière
de transport aérien des passagers (Cf. supra note 124), remarque que « l'arrêt rapporté peut être interprété comme
ayant voulu fixer une jurisprudence en considérant que cela était nécessaire pour adoucir le régime actuel et donc
le régime varsovien. Si le régime varsovien est encore applicable, on comprend en effet qu'il ne soit pas inutile
d'élargir les conditions du déplafonnement pour se rapprocher du régime de Montréal. Si cette intuition est juste, on
aimerait qu'elle soit démentie au plus vite par la réforme si attendue du Code de l'aviation civile ».
96 V. Grellière, « La responsabilité du transporteur aérien interne : de Varsovie à Montréal »: Gaz. Pal. 2-3 août 2006,
p. 2 s.

42
doctrine n'est pas unanime sur cette question97 qui reste donc ouverte, dans l'attente d'une décision
de la Cour de cassation pour répondre avec certitude à cette interrogation.

b) En droit de transport aérien des passagers

Quoi qu'il en soit, la solution retenue par cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de
cassation ne concerne nullement la faute inexcusable en cas des dommages subis par les passagers98.
Il est dès lors incontestable que la portée de cet arrêt doit sous cet éclairage être relativisée. Et la
chose a été affirmée par trois arrêts postérieurs de la première chambre civile de la Cour de
cassation 99. Dans tous les trois cas, il s'agissait de transport de passagers et de dommages corporels
et plus précisément de décès et de lésions corporelles. De même, dans tous les trois cas, la
Convention de Varsovie était applicable (par renvoi du droit interne, et spécialement de l'article L.
322-3 du Code de l'aviation civile)100.
Dans une telle situation, il est désormais de jurisprudence que la faute inexcusable suppose
la témérité de son auteur et la conscience de la probabilité du dommage et, sur ce dernier terrain, la
conscience objective du dommage, celle de l'homme prudent et avisé et non celle dont l'intéressé
97 V. Grellière, op. cit., p. 2 s : (...) la volonté d'aligner le régime interne de responsabilité sur les solutions données
dans l'ordre international par le droit uniforme dans sa version la plus récente. Il ne doit y avoir aucune différence
de régime entre ce que la France accepte dans les relations internationales et le dispositif interne . Préconiser le
maintien des textes anciens - au nom d'une interprétation étroite et littérale du concept de modification - constitue
une splendide infidélité à l'intention du législateur. (...) Toute réforme de la Convention de Varsovie par une
convention subséquente devient droit positif interne . L'alignement se fait de plein droit. (...) Maintenir le système
varsovien revient à restaurer une dualité de régime que le législateur avait précisément voulu écarter. Montréal doit
supplanter Varsovie.; V. aussi dans le même sens, Resp. civ. et assur. 2008, Comm. 32, obs. A. Vignon Barrault : «
En définitive, il est d'autant plus regrettable que le Code de l'aviation civile renvoie à la Convention de Varsovie
qu'elle s'inscrit à rebours de la Convention de Montréal du 28 mai 1999. (...). Il reste donc à souhaiter en ce début
d'année que le législateur perçoive dans ces arrêts un appel à réformer d'urgence le Code de l'aviation civile » ; V.
cependant contra : J -P. Tosi, « Dépoussiérons le Code de l'aviation civile » ! : D. 2005, p. 719, spéc., n° 11 ; JCP
2006, II, 10090, obs. M. Mekki : « C'est ce manque de légitimité (instauration d'une limitation unbreakable) de la
convention de Montréal qui pourrait justifier à l'avenir une interprétation restrictive. Certes, cette exclusion serait
problématique car, selon les circonstances, les transporteurs et les victimes seront soumis à l'une ou l'autre
convention contrairement à l'esprit unificateur de la convention de Varsovie. Mais la justice du système doit ici
l'emporter sur sa simplification ».
98 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. ; JCP 2006, II, 10090, obs. M. Mekki.
99 Cass. Civ. 1re, 2 oct. 2007, n° 04-13.003 et n° 05-16.019, RD Transp. 2007, Comm. n° 247, obs. P. Delebecque ;
BTL 2007. 612, chron. M. Tilche ; JCP G 2007, II, page 27 10190, obs. Ph. Delebecque ; Resp. civ. et assur. 2008,
Comm. 32, obs. A. Vignon Barrault ; RD Transp. 2007, comm. 223, obs. C. Colle et Cass. 1re civ., 20 déc. 2007, n°
05-13.027, RD transp. 2008, Comm. n° 83, obs. P. Delebecque ) Lamy, Revue Droit civil, Responsabilités
Professionnelles, 2007, n° 43.
100 Mais cette Convention n'est plus, en France comme dans de nombreux pays, de droit positif dans les transports
internationaux désormais régis par la Convention de Montréal qui, dans les transports de passagers, supprime tous
les plafonds et, dans les transports de marchandises, écarte délibérément toute référence à la faute inexcusable. D'où,
de nouveau, la controverse sur son maintien ou non comme cadre de référence pour les transports internes. V.
Grellière, La responsabilité du transporteur aérien interne : de Varsovie à Montréal : Gaz. Pal. 2-3 août 2006, p. 2 s ;
V. cependant contra : J -P. Tosi, « Dépoussiérons le Code de l'aviation civile » !, D. 2005, p. 719, spéc., n° 11.

43
lui-même peut faire preuve101. La question est donc de savoir s'il était possible de prévoir le
dommage et non pas s'il était possible de l'éviter. La diligence ou plutôt le défaut de diligence que
l'on va reprocher à l'auteur du dommage s'apprécie donc a priori et non pas a posteriori102.
Certes, cette jurisprudence arrêtée dans le domaine des transports internes de passagers ne
vaut pas également pour le transport interne de marchandises103. « La première chambre civile n'a
pas voulu donner une leçon à la chambre commerciale et rappeler, dans une certaine mesure, celle-
ci à l'ordre. Les choses ne se passent pas ainsi et surtout il est beaucoup plus vraisemblable que les
deux chambres de la Cour de cassation aient voulu se partager les tâches, d'autant que le transport
de passagers et celui de marchandises n'obéissent plus à la même logique104 ».
Cette divergence de vue au sein de la Cour de cassation paraît ainsi révélatrice, non pas
d'une volonté de l'une ou de l'autre d'imposer sa propre appréciation de la faute inexcusable, mais
témoigne plutôt d'une impossibilité d'en retenir une conception unitaire tous domaines confondus.
En effet, en matière d'accidents corporels105, la faute inexcusable apparaît comme une notion
juridique dont l'appréciation par le juge s'opère sous le contrôle de la Cour régulatrice.
Pratiquement, l'appréciation objective de la faute inexcusable a pour effet d'atténuer la rigueur du
système créé par la Convention de Varsovie en facilitant la mise à l'écart des plafonds
d'indemnisation.
À l'inverse, la logique qui prévaut à propos de transport de marchandises est tout autre. Dans
ce cadre particulier, l'aspect contractuel revient au premier plan106 : il ne s'agit plus alors de
préserver l'intérêt supérieur de la victime d'un accident corporel mais de respecter la charte
contractuelle et, spécialement, les clauses figurant dans le contrat de transport107. Dans cette
perspective, la contradiction des solutions entre les deux chambres n'est qu'apparente. En effet,
s'agissant de transports de marchandises, les plafonds de responsabilité ne devraient être écartés
qu'en présence d'une faute d'une particulière gravité108.
Peut-être, comme le Professeur Philippe Delebecque le fait remarquer, est-ce ce mouvement

101 D. le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007. p. 15.
102 RD transp. 2007, Comm. n° 247, obs. P. Delebecque.
103 RD transp. 2007, Comm. n° 247, obs. P. Delebecque : « En se prononçant très nettement en faveur d'une
appréciation objective de la « faute inexcusable » d'un pilote d'aéronef transportant en France des passagers, la
Cour de cassation a-t-elle voulu établir de nouvelles distinctions dans le régime du transport aérien ? Rien ne
permet de l'exclure. Bien au contraire ».
104 RD transp. 2007, Comm. n° 247, obs. P. Delebecque.
105 Domaine basculé dans la logique du droit de la consommation, de l'information et de la protection des
consommateurs.
106 Il s'agit là d'un droit de professionnels, conçu par des professionnels et mis en œuvre par des professionnels.
107 RCA 2008, Comm. 32, obs. A. Vignon Barrault.
108 Dans la logique identique qui inspire la toute récente jurisprudence Chronopost qui prône une appréciation plus
subjective de la faute lourde.

44
qui se dessine. Si cette impression se vérifie, il faut souhaiter que cette différence d'appréciation de
la faute inexcusable en fonction des données sociologiques et économiques qui sous-tendent
l'opération en cause se prolonge : une fois encore, le concept de faute inexcusable n'est pas propre
au droit aérien. Le droit maritime en fait de nombreuses applications et aimerait, lui aussi, avoir un
peu plus de prévisibilité109.

§ 2) En droit des transports maritimes110

Le droit des transports maritimes, comme le droit des transports aériens est fortement
préoccupé par l'institution de la limitation de responsabilité du transporteur, de la conception et de
la place de la faute inexcusable dans le régime de responsabilité du transporteur. Apparue dans le
domaine du transport aérien, la faute inexcusable a imprégné le domaine de transport maritime, au
premier abord des passagers et puis des marchandises.
Compte tenu de la variation des textes111, à l'opposé du droit aérien, selon qu'il s'agit de
transports de marchandises ou de passagers, nous allons séparément aborder la question de
l'application de la faute inexcusable en cas de transport de marchandises et en cas de transport de
passagers. Par ailleurs, nous allons, en dernier lieu, examiner un aspect singulier (et en pleine
actualité) de l'application de la faute inexcusable, en tant que cause de déchéance de l'entreprise de
manutention de son propre droit de limitation. En effet, la loi du 18 juin 1966 alignant la
responsabilité des entreprises de manutention maritime sur celle des transporteurs, soulève la
question de savoir si la faute inexcusable a pour effet le déplafonnement de la responsabilité de
celles-ci.

A) Transport maritime de marchandises

109 RD transp., 2007, Comm. n° 247, obs. Ph. Delebecque ; V. aussi, Le droit positif français en 2007, DMF 2008, obs.
Ph. Delebecque : « Dès lors, la question se pose de savoir si la ligne de partage entre les deux interprétations
possibles passe par la distinction entre le transport de passagers et le transport de marchandises. Il ne manque pas
d’arguments en ce sens, si l’on veut bien admettre que le droit des passagers relève de plus en plus d’une logique
consumériste ».
110 D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, op. cit., p. 394 et s.
111 Le contrat de transport maritime de passagers a, contrairement au droit aérien où les conventions de Varsovie et de
Montréal réglementent le transport de marchandises et de passagers à la fois, fait l'objet des conventions successives
spéciales.

45
La Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en
matière de connaissements, tout en envisageant le principe de la limitation de responsabilité du
transporteur maritime, méconnaît la possibilité d'y faire échec112. Et la loi du 2 avril 1936 a repris
ces principes en droit interne, alors que la jurisprudence française a pris soin de les adapter aux
principes fondamentaux du droit français de la responsabilité civile, le dol seul pouvant faire échec
à la limitation légale (le dol faisant échec à toutes les règles)113, sans néanmoins admettre d'assimiler
la faute lourde au dol. Cette solution a trouvé sa sanction explicite par le truchement de l'article 28
de la loi du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètements et de transports maritimes.
Or, à partir des années 1970, la notion de faute inexcusable s'insère dans le droit
international de transport : toutes les conventions internationales y font référence. Le transport
maritime ne saurait pas y manquer. C'est ainsi que la faute inexcusable est apparue dans le Protocole
du 23 février 1968 modifiant la Convention de Bruxelles de 1924114. Parallèlement, elle a été
introduite, dans de termes analogues, dans les Réglés d'Hambourg, adoptées le 31 mars 1978 et
entrées en vigueur le 1er Novembre 1992 (article 8).
En droit interne français, la notion pénètre plus tardivement. En effet, ce n'est que par la loi
du 23 décembre 1986, remaniant la loi du 18 juin 1966, que le droit français s'est rallié, à l'ordre
juridique international (article 28), harmonisant parallèlement les solutions retenues en droit aérien
et en droit maritime.
Néanmoins, la loi française présente une divergence essentielle, bien que négligée dans la
pratique, par rapport au texte de l'article 4.5e de la Convention de Bruxelles modifiée. En effet,
l'article 28 de la loi de 1966 se réfère expressément, comme entraînant la déchéance du transporteur,
au seul fait ou omission personnels à celui-ci, alors que le Protocole de 1968 se référant seulement à
l'acte ou omission du transporteur, est conçu comme incluant la faute inexcusable du préposé 115.
D'ailleurs, le nouveau le projet CNUDCI sur le transport de marchandises entièrement ou
partiellement par mer se réfère à la notion non pas de « faute inexcusable », mais de « faute

112 Dans sa rédaction initiale, l'article 4.5 de la Convention de Bruxelles prévoyait : '' En aucun cas le transporteur
maritime ne sera tenu au delà des plafonds légaux de responsabilité ''. Ainsi, sous l’empire de la Convention de
Bruxelles originaire, le texte ne parle pas de faute inexcusable. Le concept n’est donc pas appelé à jouer.
113 La Cour de cassation se référait en effet implicitement à la conception du dol dit « contractuel », selon laquelle le
dol dans l’exécution d’un contrat résulte de l’inexécution délibérée d’une obligation contractuelle essentielle, et
cette conception trouve sa source dans la jurisprudence des chambres civiles depuis le célèbre arrêt Jacques Martin
rendu en 1969 (Cass. 1ère civ. 4 févr. 1969, Gaz. Pal. 1969.1. p. 204 ; dans le même sens : Cass. 3ème civ. 18 déc.
1972, D. 1973. somm. 29).
114 Article 4.5 du prévoit désormais que '' ni le transporteur, ni le navire n'auront le droit de bénéficier de la limitation
de responsabilité établie par ce paragraphe s'il est prouve que le dommage résulte d'un acte ou une omission du
transporteur qui a eu lieu soit avec intention soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résulterait
probablement ''.
115 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 718, no 1114.

46
personnelle inexcusable » (article 99)116.
En tout cas, la Cour de cassation saisie du trouble de l'interprétation de la faute
inexcusable117 en droit des transports maritime, elle s'est trouvée confrontée au même dilemme ; En
effet, lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre la notion de faute inexcusable et de la confronter aux faits,
deux conceptions s'opposent. La première renvoie à une analyse abstraite de la situation et conduit à
se demander quel aurait été le comportement du bon professionnel dans la même situation que celle
dans laquelle s'est trouvé l'intéressé. La seconde conception débouche sur une appréciation in
concreto. Il faut alors vérifier si le transporteur a eu effectivement conscience qu'un dommage
résulterait probablement de son attitude.
Dans la mesure où le texte fait référence à la conscience du transporteur maritime, il semble
que seule une approche concrète et de la psychologie du transporteur maritime corresponde à
l'intention du législateur. La Cour de cassation s'est, pour autant, prononcée en faveur d'une
appréciation objective de la faute inexcusable118. La jurisprudence de la Cour suprême a fait donc
preuve de rigueur à l'égard du transporteur, suivant en même temps une politique protectrice des
intérêts des chargeurs.
Cette sévérité à l'encontre du transporteur maritime de marchandises s'exprime, comme le
119
relève très justement M. Isabelle Corbier , de deux manières. Plus précisément, la Cour de
cassation, par la conception de la faute inexcusable qu'elle adopte, elle fait, d'abord, de celle-ci une
simple variante de la faute lourde120 ; tantôt, elle sanctionne l'inexécution d'une obligation
fondamentale du transporteur ; tantôt, elle sanctionne l'inaptitude du transporteur maritime à
accomplir la mission dont il est chargé.
Au surplus, cette rigueur de la jurisprudence est d'autant plus saisissante que les tribunaux
ignorent le caractère personnel que la faute inexcusable doit revêtir pour fonder le déplafonnement
de sa responsabilité121. Or, si la chose est normale pour les transports régis par la Convention de

116 Ph. Delebecque, « Le projet CNUDCI sur le transport de marchandises entièrement ou partiellement par mer :
derniers pas avant une adoption », DMF 2007, n° 685.
117 Terminologie consacrée par la Cour de cassation, Cass. com., 7 juill. 1998, navire ''Atlantic Island'' : DMF 1998,
p. 826.
118 Cass. com., 20 mai 1997 ; DMF 1997, p. 976, rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies. - En ce sens, A. Sériaux,
op. cit., n° 364 et 365. I. ; Corbier, préc., p 103 et s. A. Vialard , op. cit., n° 104 et s.
119 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et s. ;
A.Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579. ; I. Corbier, « La
faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » : DMF 2002, p. 403 ; G. de
Monteynard, op. cit., 2002, p. 247.
120 En recourant aux mêmes méthodes pour la qualification de la faute inexcusable et de la faute lourde, la Cour de
cassation adopte un concept unique pou ce qui concerne la cause de déchéance du droit à limitation de
responsabilité.
121 Cass. com., 7 janv. 1997, navire ''Teleghma'', DMF 1997, p. 737, obs. Ph. Delebecque ; DMF 1998, Hors-série n°
2, n° 68 et 101 ; DMF 2000, Hors-série n° 4, n° 71 ; Cass.com. 27 0ctobre 1998, navire ''Girolata'' : DMF 1998
rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies, p.1129 - DMF 1999, Hors-série n° 3, p. 70, n° 93, obs. P. Bonassies.

47
Bruxelles, l'adjectif personnel étant absent dans la Convention de 1924 modifiée, elle l'est moins
pour les transports soumis à la loi française du 18 juin 1966, modifiée par la loi du 6 décembre 1986
qui, nous venons de le noter, définit comme constituant la faute inexcusable, seulement le fait ou
l’omission personnels du transporteur 122.
Faut-il alors penser que, pour la Cour de cassation, le terme de personnel peut en quelque
sorte être oublié par le juge, d’autant qu'elle n’a guère porté attention à cet aspect des choses123?
Répondre par l’affirmative serait certainement excessif, comme le relève le Professeur
Pierre Bonassies124. D'ailleurs, la Cour de cassation n'a jamais été appelée à se prononcer sur cette
question, les pourvois concernant la faute inexcusable du transporteur maritime ne la lui ayant
jamais posée. En conséquence, la Cour suprême n'avait paradoxalement pas, jusqu'à présent, à
rechercher si la faute avait été commise par le transporteur lui même ou par son préposé. Il faudrait
qu'un pourvoi reproche aux juges du fond de ne pas s'être interrogés sur le caractère personnel de la
faute commise par le transporteur pour que la Haute Juridiction s'y prononce expressément.
Si une telle question lui était posée, la Cour de cassation soit rapprocherait la faute
inexcusable commise par le capitaine ou l'équipage de la faute inexcusable perpétrée par le
transporteur soit elle entérinerait la distinction de la faute commise par le capitaine ou l'équipage de
la faute inexcusable du transporteur.
En d'autres termes, le dilemme qui sera posé un jour ou l'autre à la Cour de cassation sera de
choisir entre l'harmonie au sein du droit de transports, les autres conventions internationales s'étant,
déjà, prononcées125 en faveur d'une faute inexcusable pas nécessairement personnelle du
transporteur ou la reconnaissance, en la matière, d'une spécificité du droit maritime, compte tenu
que la Convention de Londres de 1976 comporte de solutions analogues que celles de la loi
française.
Il serait tentant que la deuxième solution soit privilégiée. En effet, cette solution est la
solution de l'avenir, étant donné que le nouveau le projet CNUDCI sur le transport de marchandises
entièrement ou partiellement par mer se réfère à la notion non pas de « faute inexcusable », mais de
« faute personnelle inexcusable » (article 99)126. La Cour de cassation devra, de ce fait
inévitablement, prendre en considération du caractère personnel de la faute inexcusable dans
l'interprétation de celle-ci. Une solution contraire ne sera, dans l'avenir, justifiée par la lettre des

122 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p.718, no 1114. : « Plus qu'un oubli des juges, il faut sans doute voir la une
autre manifestation de la rigueur de la jurisprudence ».
123 V. I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », préc., p. 103.
124 Cass.com. 27 0ctobre 1998, ''navire Girolata'', DMF 1998 rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies, p.1129 - DMF
1999, Hors-série, n° 3, p. 70, n° 93, obs. P. Bonassies.
125 Ainsi les Conventions de Varsovie et de Montréal en matière aérienne.
126 Ph. Delebecque, op. cit., n° 685.

48
textes, aussi bien nationaux que internationaux, réglementant le transport maritime127.
S'agissant maintenant de l'assimilation de la faute inexcusable à la faute lourde consistant
dans l'inexécution d'une obligation fondamentale, l'exemple, le plus topique qui puisse se déduire de
l'examen de la jurisprudence est celui de l'obligation du transporteur d'exécuter, de façon appropriée
et soigneuse128 les opérations de chargement et de déchargement.
Particulièrement abondante est la jurisprudence sur le cas du chargement en pontée
irrégulier129, à savoir le chargement en pontée sans l'accord du chargeur130. En effet, le fait même
d’avoir chargé la marchandise en pontée sans l’accord du chargeur ou en dépit de ses
recommandations, constituait un comportement fautif caractéristique d’une faute inexcusable131.
Les juges, dans ces arrêts, se sont bien gardés de rechercher si le transporteur a véritablement eu
l’intention de provoquer le dommage, ou même si il avait conscience qu’un dommage en résulterait
probablement. Si ils l’avaient fait, ils n’auraient sûrement pas conclu à la faute inexcusable dans la
mesure où « tout transport en pontée ne génère systématiquement, Dieu merci, un dommage »132.
127 On observera que la conception de la Common Law l' a emporté sur la conception française qui exige que la faute
du préposé colore la responsabilité de l'entreprise. V. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 718, obs. 160 et Ph.
Delebecque, « Le projet d’instrument sur le transport international de marchandises par mer », DMF 2003, n° 642.
128 Article 38 du décret du 31 décembre 1966 ; différente est la solution qui a été retenue en droit anglais lequel refuse
de voir dans les dispositions de la Convention de 1924 une obligation analogue à la charge du transporteur.
129 Il est aujourd'hui acquis que la pontée est régulière, lorsqu'elle a été notifiée au chargeur, elle a été mentionnée sur
le connaissement et elle a été acceptée expressément par le chargeur, par le truchement de sa signature, a la quelle ne
peut nullement être assimilée la signature apposée au verso du connaissement en qualité d'endos ( P. Bonassies et
Ch.Scapel, op. cit., p. 617, n° 964 ).
130 Or, il ne suffit pas non plus au transporteur d’avoir chargé la marchandise en pontée régulièrement pour échapper à
la faute inexcusable. L’arrêt Teleghma (Cass. com., 7 janv. 1997, navire ''Teleghma'', DMF 1997, p. 737, obs. Ph.
Delebecque ; DMF 1998, Hors-série n° 2, n° 68 et 101 ; DMF 2000, Hors-série n° 4 et n° 71) en illustre en effet un
exemple : le transporteur ne peut invoquer le bénéfice d’une pareil clause [autorisant le chargement en pontée] s’il
est prouvé que le dommage provient de son fait ou de son omission personnels avec l’intention de provoquer un tel
dommage, ou témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ; en retenant la
circonstance de l’exécution du contrat de transport maritime entrepris dans des conditions qui engendraient
nécessairement le dommage, dès lors témérairement et avec conscience qu’un préjudice en résulterait, la Cour
d’appel a pu estimer que le comportement du transporteur maritime ainsi qualifié ne lui permettait d’invoquer ni le
bénéfice de la clause litigieuse, ni la limitation de responsabilité prévue par l’article 28 de la loi du 18 juin 1966. V.
aussi dans le même sens, CA. Fort-de-France, 20 déc. 2002, navire ''Atlantic Island'', RJC 2003, p. 222, obs.
Ph.Delebecque.
131 CA Rouen, 18 févr. 1999, navire ''Düsseldorf Express'', DMF 2000, p. 231, obs. R. Achard : Le connaissement
couvrant le transport d’une essoreuse industrielle de La Nouvelle Orléans au Havre portait la mention : « under deck
stowage only, do not stow cargo on top of container, use precaution in loading, unloading & stowage ». Cette
mention fut rayée par le transporteur ou son agent, et l’essoreuse, placée sur un conteneur open top, transportée en
pontée, avec des dommages considérables. Malgré l’argument du transporteur que le chargeur était un client
habituel, qui savait que la mention under deck qu’il portait sur les connaissements couvrant ses expéditions était
systématiquement rayée, la Cour de Rouen a condamné le transporteur, et lui a refusé de se prévaloir tant de la
clause de non responsabilité pour les transports en pontée que de la limitation légale de responsabilité, en raison de
la faute commise à avoir entrepris le voyage dans des conditions propres à nécessairement engendrer le dommage ;
V. dans le même sens, CA Versailles, 30 mars 2000 : BTL 2000, p. 541.
132 J-S Rohart et C. Cornuault, « La pontée : une faute inexcusable en droit français ? », Liber Amicorum Roger
Roland, Brussel, 2003, p. 372 ; V. cependant l’arrêt Magda (CA Paris, 12 mai 2000, navire ''Magda'', BTL 2000, p.
800 ; DMF 2001, p. 65, n° 79), où la Cour d'appel de Paris a jugé que « la pontée, même non autorisée, sur un
navire grumier n'a pas pour résultat de priver le transporteur de toute exception ou limitation de responsabilité en
relation avec les pertes favorisées par cette pontée ; que pour ce type particulier de transport, connu des
professionnels du négoce du bois, l'absence d'information des conditions de chargement et l'omission de les préciser

49
Toutefois, l'un des arrêts les plus récents de la Cour de cassation 133 semble désormais être
favorable à une appréciation plus restrictive de la faute inexcusable, mettant un frein à cette
conception large de la notion134. La faute inexcusable ne peut, dès lors, plus résulter de la simple
constatation du caractère irrégulier du chargement en pontée, du manquement du transporteur à son
obligation d'en aviser le chargeur. Pour qu’il le devienne, d’autres éléments, doivent être rapportés.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris, une fois cassé pour défaut de base légale135, a été renvoyé devant
la Cour d’appel d’Orléans. Cette dernière136 se prononçant, retient, comme la cour d’appel de Paris,
la faute inexcusable du transporteur, mais elle motive, à l'exigence de la Cour de cassation, très
scrupuleusement les raisons qui la poussent à retenir cette qualification.
Ce sont la témérité et la conscience de la probabilité du dommage que la Cour d’Orléans a
taché de démontrer dans une analyse minutieuse des faits et du comportement du transporteur
maritime : prévisions météorologiques de tempêtes sur la route du navire et, donc, exposition
certaine à de mauvaises conditions de mer pour un colis sensible à l’humidité et placé sur le pont et
à l’avant du navire ; impéritie et désinvolture du transporteur qui laisse le soin à l’équipage de tenter
une réparation de fortune de l’emballage et refuse d’organiser à la première escale un transfert en
cale du colis endommagé, malgré les multiples demandes adressées en ce sens par le capitaine à son
armateur ; conscience que cela ne pouvait manquer de provoquer la corrosion du matériel par son
exposition prolongée aux effets de la salinité de l’eau de mer.
Outre la condamnation de l'inexécution d'une obligation fondamentale, la faute inexcusable,

sur les connaissements n'ont pas revêtu le caractère d'une faute lourde ou encore moins dolosive exclusive de toute
limitation de responsabilité au sens de la Convention dans sa version de 1924 ».
133 Cass. com., 14 mai 2002, navire ''Ethnos'', DMF 2002, p. 620, rapp. G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque :
Pour conclure au rejet de cette qualification, le conseiller rapporteur attire l’attention de la Cour sur la spécificité du
droit maritime qui implique clairement que la notion de faute inexcusable d’un transporteur maritime doit être
d’interprétation stricte : « le droit commun c’est la limitation et non la responsabilité pleine et entière » ; G. de
Monteynard, op. cit., 2002, p. 247 ; A. Vialard, L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation : DMF
2002, p. 579 : « arrêt qui nous induit en tentation de considérer que la Cour est en train de revenir à plus mondiale
interprétation de nos textes ».
V. en sens inverse, CA Rouen, 9 septembre 2004, navire ''Marina Ace'', DMF 2004, n° 655, obs. I. Corbier : «
Dans un arrêt du 14 mai 2002, la Haute Juridiction semble mettre un frein à la conception large de la notion : la
seule circonstance que le chargement en pontée était irrégulier ne suffit pas à qualifier d’inexcusable la faute
commise par le transporteur maritime (...) Il aurait été téméraire de se réjouir de voir confirmé le droit
fondamental du transporteur à limiter sa responsabilité : la décision commentée ici le prouve. La motivation des
juges du fond rend compte de l’inconséquence du transporteur maritime. En vain, cherche-t-on l’idée de risque
témérairement pris et assumé par le transporteur : de témérité – c’est-à-dire de hardiesse imprudente – ou de
hardiesse – c’est-à-dire d’insolence et d’effronterie –, il n’est ici point question. De faute d’une gravité
exceptionnelle ? Pas davantage. En refusant au transporteur maritime le droit de bénéficier de la limitation de
responsabilité, la Cour d’appel de Rouen inscrit sa décision dans un courant jurisprudentiel établi qui considère la
limitation comme un droit exceptionnel offert à l’armateur, propriétaire ou transporteur ».
134 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc.
135 Pour les hauts magistrats, les éléments pris en considération étaient sans doute pertinents, mais ils n’étaient pas,
en eux-mêmes, «suffisants» pour caractériser la faute inexcusable.
136 C.A. Orléans, ch. soc., 2 avril 2004, DMF 2004, p. 549, obs. A. Vialard ; DMF 2005, Hors -série n° 8 n° 9, obs. Ph.
Delebecque ; Revue Scapel, 2003, p. 119.

50
telle qu'elle est appréhendée, peut également induire à sanctionner l'inaptitude du transporteur à
accomplir la mission dont il est chargé137, par exemple le comportement aberrant du transporteur138
ou l'incapacité de ce dernier à donner des informations sur la marchandise139, sans examiner si le
transporteur avait conscience du dommage qui pourrait en résulter .
Toutefois, cette jurisprudence austère (qui a été abondamment discutée140) dans
l'appréciation de la responsabilité du transporteur maritime de marchandises et de son droit à limiter
l'indemnisation dont il est redevable, n'est, comme en matière aérienne, pas finale.
En effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 février

137 A. Vialard : J-Cl, Responsabilité Civile et Assurances : Transport Maritime- Responsabilité du transporteur de
marchandises – Limites, Fasc. 465-20 n° 104 et s. ; I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de
l'armateur » préc.
138 Cass.com. 27 0ctobre 1998, navire ''Girolata'', DMF 1998 rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies, p.1129 - DMF
1999, Hors-série n° 3, p. 70, n° 93, obs. P. Bonassies : « Ayant constaté que le transporteur avait observé une
attitude purement passive, alors que, sous une pluie fine, de nuit et sans autre éclairage que celui du phare du
navire, le conducteur d’un camion avait tenté d’accéder à la cale du navire en marche arrière, en empruntant de
surcroît la rampe de chargement latéralement, la Cour de Paris avait conclu à l’existence d’une faute inexcusable.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre la décision d’appel, en observant que la Cour d’appel avait «
pu déduire » des circonstances relevées par elle la conclusion par elle affirmée. Aussi, l’interprétation très ouverte
donnée par la Cour d’appel de Paris de la notion de faute inexcusable a été jugée « acceptable ».
139 Cass. com., 4 janv. 2000, navire ''Woermann Banniere'' : BTL 2000, p. 232 ; DMF 2000, p. 466, obs. Ph.
Delebecque ; DMF 2000, Hors-série n° 4 et n° 81, obs. P. Bonassies : la Cour de cassation énonce, en l'occurrence,
que la carence du transporteur et son incapacité à donner des informations sur la marchandise sont assimilables une
faute inexcusable. les pertes des marchandises - inexpliquées par le transporteur - résultaient d'un acte ou d'une
omission de sa part qui avait eu lieu témérairement et avec conscience qu'un dommage en résulterait probablement.
De la constatation du dommage, était donc induit la faute inexcusable du transporteur. Dans le même sens, CA
Nouméa, 1er oct. 1998 : BTL 1999, p. 444. V. cependant, Cass. Com., 7 juill. 1998, navire Atlantic Island : DMF
1998, p. 826, rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies : les juges de la Cour de cassation ont censuré l’arrêt de la
Cour d’appel en décidant que « Pour refuser aux transporteurs maritimes […] le bénéfice de l’application du
plafond d’indemnisation le plus élevé, l’arrêt retient que le fait d’avoir placé en pontée des conteneurs qui auraient
dû être chargés en cale constitue une faute commerciale (faute lucrative) – c'est nous qui soulignons-. En se
déterminant par ces seuls motifs, sans rechercher si une telle faute pouvait être qualifiée de faute dolosive ou
inexcusable des transporteurs maritimes, la cour d’appel n’a pas donnée de base légale à sa décision ». La
cassation était en l'espèce inévitable, une faute commerciale ne pouvant, sans autre explication, être assimilée à la
faute prévue par le Protocole de 1968.
140 V. par exemple les réserves de P. Bonassies et de Ph. Delebecque dans leurs commentaires sous l'arrêt du navire
''Woermann Banniere'' : « On croyait en effet acquis que la preuve de la faute inexcusable devait être rapportée
par celui qui l’invoque. Faut-il désormais, après avoir lu la décision de la chambre commerciale du 4 janvier 2000,
se contenter de présomptions, fussent-elles précises et concordantes ? Il est difficile de l’admettre, sauf à vouloir
abandonner au juge un pouvoir considérable. Lorsqu’une limitation de réparation est en cause, comme en
l’occurrence, il appartient logiquement à celui qui entend la combattre d’établir que la protection accordée par la
loi ou par la convention au transporteur n’a plus de raison d’être. Dispenser le demandeur de rapporter la preuve
que le transporteur ne mérite plus d’être protégé revient à bouleverser l’équilibre même de la responsabilité telle
qu’elle a été conçue par le législateur. Du reste, il a toujours été dit que le seul fait pour le transporteur de ne
pouvoir donner d’éclaircissements sur les causes et les circonstances d’une perte ou d’un manquant n’établissait
pas l’existence d’une faute caractérisée (c'est nous qui soulignons). Du reste, on pouvait penser qu’il y avait une
différence de nature entre la faute inexcusable et la faute lourde et que les concepts n’étaient pas identiques. La
faute inexcusable se situe, dans l’échelle des fautes établie en fonction de leur gravité, juste au deuxième échelon,
c’est-à-dire en dessous de la faute dolosive. La faute inexcusable, faut-il le rappeler, est une action ou une omission
volontaire, d’une gravité exceptionnelle commise avec la conscience du danger qui peut en résulter et qui ne
s’accompagne d’aucune cause de justification. La faute inexcusable suppose un comportement téméraire. Elle se
distingue dès lors de la faute lourde que l’on définit, en droit des transports, comme « une négligence d’une extrême
gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il a
acceptée ».

51
2006141, semble adopter une interprétation subjective de la faute inexcusable du transporteur
maritime. En l'espèce, le transporteur n'avait pu assurer la livraison du conteneur dont il avait pris la
charge et il était « incapable d'avancer la moindre explication sur les circonstances de cette
disparition ». Le pourvoi tendait à caractériser la faute inexcusable à partir de la gravité objective
du comportement reproché au transporteur, c'est-à-dire à la ramener à la faute lourde. Au
demeurant, il est rejeté et confirme la tendance, déjà indiqué ci-dessus en droit des transports
aérien142, de la Chambre commerciale soucieuse des impératifs économiques et débarrassée sur ce
point des questions de dommages corporels, en faveur d'une interprétation subjective de la faute
inexcusable. La seule perte d'une marchandise au cours d'un transport ne constitue pas en soi une
faute inexcusable interdisant au transporteur de se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue
par la Convention de Bruxelles. « Le transporteur bénéficie de la limitation dès lors qu'il n'a pas
été établi que son comportement procède d'un acte ou d'une omission qui a eu lieu
témérairement »..
Néanmoins, cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation n'a pas été
unanimement saluée par la doctrine. Ainsi, si le Professeur Philippe Delebecque remarque que la
solution, quoique stricte, paraît justifiée143, professeur Martine Rémond Gouilloud réplique qu'il
subsiste en effet un malaise. Bien que la disparition du conteneur litigieux « ne permette pas la
qualification de comportement téméraire » de la part du transporteur, l’arrêt d’appel, respectueux
de la jurisprudence consacrée, n’en relève pas moins que ce fait démontre une inorganisation de sa
part, la disparition « pouvant s’expliquer par un acte frauduleux des personnes dont il répond, ou
par une livraison à un autre que le destinataire ». (...) Du coup l’on vient à s’interroger sur
l’impunité bénéficiant à la négligence grossière d’un professionnel témoignant « d’une incapacité à
remplir sa fonction ». (...) On voit mal, du reste, pourquoi l’accumulation, négligences et
imprudences, n’est pas sanctionnée à ce titre, alors qu’elle seule explique l’inorganisation
dommageable144.
Quoi qu'il en soit, le nouveau courant jurisprudentiel, justifié ou pas, de la Chambre
141 Cass. com., 7 févr. 2006, navire ''Touggourt'', n° 03-20.963, Bull civ. IV., n° 34 ; RTD com. 2006, p. 521, obs. P.
Delebecque ; JCP E 2006, p. 2280, obs. C. Legros ; DMF 2006, p. 516, obs. M. Remoud-Gouilloud ; DMF 2007,
Hors-série n° 11, obs. P. Bonassies ; D. eur. Transp., p. 350 et s.
142 Cf supra p. 38. V. aussi, RTD com. 2006, p. 521, obs. P. Delebecque : « Nous observerons ici que la Cour de
cassation semble, depuis quelque temps, vouloir reprendre la main. On l'a noté en matière aérienne. On le note
encore en matière maritime où, bien que soulignant l'inexécution de l'obligation de livraison du transporteur et son
manque d'organisation, la Haute Juridiction refuse de conclure à l'existence d'une faute inexcusable ».
143 RTD com. 2006, p. 521 ; V. aussi, H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 », D. 2007, p. 111,
abondant dans le sens de Ph. Delebecque.
144 DMF 2006, p. 516 ; V. aussi, I. Bon-Garcin, « Les transports, contrats et responsabilités », JCP E 2006, p. 2280 : «
Un tel renforcement de la sévérité dans l'appréciation de la faute inexcusable conduit à se demander si cette notion
peut être encore mise en œuvre pour écarter les limitations conventionnelles de réparation, aboutissant dès lors à
une absence de sanction de l'incurie du transporteur, faute de démontrer une intention dolosive, quasi-inexistante en
pratique et de surcroit très difficile à prouve ».

52
commerciale de la Cour de cassation vers une appréciation subjective de la faute inexcusable et
l'évolution de celle-ci, au moins en matière de transports, sont, d'ores et déjà, incontestables. Dès
lors, la question qui se pose est de savoir si ces évolutions que connaît le droit des transports ne font
pas présager un revirement de la jurisprudence en matière aussi de faute inexcusable de
l’armateur145.

B) Transport maritime de passagers et de leurs bagages146

À l'instar du droit aérien de transport de passagers, le droit international a eu une influence


décisive sur le droit français de transport maritime de passagers, lequel a suivi «les péripéties de ces
évolutions internationales »147. Aujourd'hui, après une période d'incertitude liée à l'application
concurrente de la loi nationale et de la Convention internationale en vigueur, la détermination du
droit de la limitation de réparation en matière de transport de passagers ne peut pas être plus clair,
puisque dans un souci « de s'adapter aux réalités internationales »148, le législateur français a
décidé de renvoyer directement à la lettre de la Convention du 19 novembre 1976, « utilisant ainsi
la technique de législation par référence »149. Ainsi l'article 40 modifié dispose-t-il désormais que la
réparation est due par le transporteur, pour ce qui concerne les créances résultant de la mort et des
lésions corporelles de passagers qu'il transporte150 dans les limites fixées à l'article 7 de la
Convention internationale sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes faite

145 V. Ph. Delbecque, « La faute inexcusable en droit maritime français », JPA, 2005, p. 328 et s. ; DMF 2007, Hors-
série n° 11, obs. P. Bonassies ; P. Bonassies, Rapport de synthèse, Actes de la 9ème journée Ripert, DMF 2002,
p.1085 ; Cass. com., 14 mai 2002, navire ''Ethnos'' : DMF 2002, p. 620, obs. Ph. Delebecque : « On est tout
naturellement conduit à se demander si ce qui vaut pour le transporteur vaut également pour l’armateur qui, lui
aussi, est déchu de son droit à limitation de responsabilité en cas de faute inexcusable. Ici, la jurisprudence ne fait
preuve d’aucune magnanimité et retient assez facilement la faute inexcusable du professionnel de l’armement.
L’appréciation se fait toujours d’une manière objective, tandis que le degré de diligence requise ne cesse de se
rehausser devant les exigences de sécurité ».
146 F-X Pierronnet, Responsabilité civile et passagers maritimes, Thèse, Aix en Provence, 2004.
147 A. Vialard, Droit maritime, PUF, Droit fondamental, 1997, n° 152, p. 131 ; En effet la première convention qui a
été mise en place pour réglementer le contrat de transport maritime de passagers était celle de Bruxelles du 27 mai
1962. Or, cette convention présentait l'inconvénient qu'elle ignorait les bagages. Par voie de conséquence, une
deuxième convention a été élaborée pour combler cette lacune, celle de Bruxelles du 13 décembre 1974. Le
rapprochement des deux conventions a tout de mémé mis en lumière un manque d'eurythmie entre les deux textes.
C'est ainsi qu'a été mise en vigueur la Convention d'Athènes du 13 décembre 1974, adoptée dans le cadre de l’OMI,
modifiée par trois protocoles, en 1976, en 1990 et en 2002 (ce dernier opère une reforme considérable des principes
de responsabilité du transporteur) et fruit des tentatives de réviser le régime du contrat de transport maritime de
passagers.
148 A. Vialard, op. cit., n° 526, p. 455.
149 P. Bonassies, « La responsabilité de l'armateur de croisière », Revue Scapel, 1999, p. 84 et s.
150 Il est important de ne pas confondre l'article 7 de la Convention avec l'article 6 qui concerne les créances pour mort
ou lésions corporelles subies par des tiers, avec qui l'armateur n'a aucun lien contractuel. Dans cette hypothèse, c'est
donc l'article 6 qui s'applique.

53
à Londres, modifiée par le protocole du 2 mai 1996. Ce dernier est, récemment, entré en vigueur, en
France, à savoir, le 25 septembre 2007. Il augmente considérablement les plafonds de limitation 151
mais la modification la plus importante qu'elle entraîne consiste dans le fait qu'il supprime le
152
plafond absolu qui affectait la limitation de 1976 (25 millions de DTS)153. Il suit de là que la
limitation de responsabilité du transporteur maritime de passagers s'aligne, contrairement à ce qui
vaut pour le transporteur de marchandises, sur celle de l'armateur pour le cas de mort ou de lésions
corporelles subies par les passagers.
Aussi bien, l'article 40 dispose dans son deuxième paragraphe que « ces limites ne
s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte du fait ou de l’omission personnels du
transporteur ou de son préposé, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage ou commis
témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ». Il ressort dès
lors de la lettre de cette disposition la différence essentielle que la déchéance des limitations légales
de responsabilité est dans le transport de marchandises encourue au cas de faute inexcusable du
transporteur lui même, alors que dans le transport de voyageurs, la déchéance joue également au cas
de faute inexcusable d'un préposé du transporteur. Ceci peut se justifier par le fait que les accidents
corporels sont beaucoup plus graves que les avaries subies par les marchandises. En revanche,
l'article 4 de la Convention de Londres applicable tant pour les dommages corporels que pour les
dommages matériels ne fait pas distinction selon la nature du dommage subi et il exige que l'acte ou
l'omission soient personnels pour induire la perte du bénéfice de limitation de responsabilité.
S'agissant de la Convention d'Athènes, du 13 décembre 1974154, relative au transport par mer
de passagers et de leurs bagages modifiée par le Protocole d'Athènes de 2002 155, pas encore
ratifiée156 par la France, elle prévoit également la même possibilité d'écarter la limitation de
151 La limitation sera désormais de 175. 000 DTS par passager transporté (ou, plutôt, « que le transporteur est autorisé
à transporter»).
152 C'est nous qui soulignons.
153 DMF 2008, Hors série, n° 12, obs. P. Bonassies ; M. Ndende, « Le protocole du 2 mai 1996 modifiant la
Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes,
RD Transp. 2007 », étude 15 ; J. Ha Ngoc, « Modification des plafonds de limitations de responsabilité en matière
de créances maritimes », RD Transp. 2007, comm. 216.
154 G. Legendre, « La convention d'Athènes relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages », DMF
1976, p. 451.
155 P. Griggs, « Le protocole d'Athènes » DMF 2002, p. 291
156 Quoique P. Bonassies met, à plusieurs reprises, l'accent sur la nécessité que « la France profite de cette nouvelle
étape pour rallier le système international ainsi modernise et mettre en harmonie la loi interne avec celui-ci. Cela
améliorait la protection des passagers et, techniquement, supprimerait de conflits de lois toujours difficiles a
résoudre» (DMF 2008, Hors série, Le droit positif français en 2007 et DMF 2007, Hors série, Le droit positif en
France en 2006) ; V. dans le même sens M. Ndende, « La position du droit français au regard des conventions
internationales de droit maritime privé », DMF 2006, p. 456. Du reste, il importe de souligner qu'un des objectifs du
3ème de sécurité maritime est de d’intégrer les dispositions internationales de la Convention d’Athènes de 2002
dans un règlement européen sur la responsabilité et l’indemnisation des dommages aux passagers en cas d’accidents.
Initiative qui aura pour effet d'accélérer la mise en œuvre de la Convention d'Athènes en France ( Ph. Boisson,
« Trois mesures au cœur des débats sur le 3e Paquet de sécurité maritime : indemnisation des passagers,
responsabilité de l’armateur et sociétés de classification », DMF 2007, p. 345 ).

54
responsabilité du transporteur157 lorsque les dommages « résultent d’un acte ou d’une omission que
le transporteur a commis, soit avec l’intention de provoquer ces dommages, soit témérairement et
en sachant que ces dommages en résulteraient probablement » (Article 13 de la Convention
d’Athènes). Le libellé de cette disposition est analogue à celui de la Convention de Bruxelles. Ceci
nous permet de conclure que le caractère personnel de la faute inexcusable ne devient pas un
élément constitutif pour l'appréciation de la faute inexcusable du transporteur maritime de
passagers. Par la suite, la faute des préposés du transporteur est susceptible d'entraîner la déchéance
de ce dernier de son droit de limitation.
La jurisprudence en matière de limitation de responsabilité du transporteur maritime de
passagers est, inversement à celle de transport aérien, rare158. On peut cependant se reporter à un
important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 avril 1991
Goelette « Tuhaa Paé II », décision où la Cour suprême s'est montrée justement sévère159. Il s'agit
d'un arrêt de principe. Dans cette affaire, une goélette affectée au transport maritime de passagers
avait mouillée au large d'un embarcadère à partir du quel ses passagers, effectueraient les opérations
de transbordement. Au cours d'une opération d'embarquement effectuée par une de deux baleinières,
plusieurs passagers ayant péri en raison d'un incident survenu à l'occasion des manœuvres. Reconnu
responsable de l'accident mortel, le transporteur a néanmoins excipé le bénéfice de la limitation de
réparation par la loi et la Cour d'appel de Papete avait admis le transporteur à limiter sa
responsabilité, rejetant, par la suite, l'allégation des ayants droit des victimes que les négligences et
les fautes du transporteur maritime devaient s'analyser comme une faute inexcusable. Un pourvoi en
cassation a été alors formé. La Cour de cassation censure les juges pour ne pas avoir tiré les
conséquences légales de leurs propres constatations. En effet, ils avaient relevé, d'une part que les
conditions et les risques de transbordement à travers les récifs étaient connus du transporteur,
d'autre part que la baleinière utilisée pour le transbordement transportait un nombre de passagers
excessif. La Cour suprême en conclut qu'il résultait de cette dernière observation que la baleinière
en cause "n'était pas manœuvrable", et qu'ainsi, "le transporteur avait été téméraire et devait avoir
157 Qui varie selon qu'il s'agit d'accident individuel, au quel cas la limite est fixée à 175.000 DTS (article 7), -portée à
400.000 DTS par le Protocole de 2002 (article 6 du protocole)- ou de sinistre majeur (sinistre affectant une part
importante des passagers, un peu plus de 40 %) auquel cas la Convention d'Athènes renvoie aux dispositions de la
Convention de Londres, à savoir 175.000 DTS par voyageur.
158 Voir à titre d'exemple, CA Rennes, 1er mars 1988, navire Armorique, DMF 1990, p.159, obs. P. Bonassies.: un arrêt
qui donne un bon exemple d’application des articles 38 et 40 de la loi du 18juin 1966. Un passager ayant péri
asphyxié à l’occasion de l’incendie du navire Armorique, la Cour relève d’abord diverses fautes du transporteur : le
local où était né l’incendie était ouvert alors qu’il aurait dû être verrouillé ; les passagers n’avaient pas reçu de
directives précises, aucune alerte sérieuse ne semblait avoir été donnée. La Cour en conclut à la responsabilité du
transporteur, qui n’avait pu faire la preuve exigée par l’article 38 que l’accident n’était imputable ni à sa faute ni à
celle de ses préposés. En revanche, la Cour considère que les négligences relevées par elle ne constituaient pas la
faute inexcusable définie par l’article 40 de la même loi, appréciation qui semble des plus fondées.
159 Cass.com., 16 avril 1991, Goelette « Tuhaa Pae II », Bull.civ. IV, n° 146 ; P. Bonassies, le droit positif français en
1991, DMF 1992, p. 171 ; DMF 1992, p. 633 ; BT 1991, p. 394.

55
eu conscience de ce que le dommage survenu était probable". Il en résulte que la Cour de cassation
a en l'espèce retenu la présence d'une faute inexcusable en se fondant sur le comportement du
transporteur maritime qui a mis en péril la sécurité des passagers.
La sévérité ici manifestée par la Cour de cassation est conforme à la jurisprudence classique
en matière de droit aérien160. Mais la question fondamentale qui surgit aujourd'hui en ce qui
concerne la limitation de responsabilité du transporteur maritime de passagers (de même que de
l'armateur) n'est pas l'appréciation de la faute inexcusable ou le degré de sévérité dont les magistrats
doivent faire preuve chaque fois que cette problématique soulève. Le cœur du débat s'axe plutôt
autour de l'utilité, de la valeur, de la compatibilité et de l'adéquation de l'institution de la limitation
de responsabilité avec les dommages corporels161. Le droit maritime, faudrait-il, suivre les directives
du droit aérien162, ayant, déjà, institué une responsabilité objective et illimitée du transporteur ?
Cette question sera épluchée dans la deuxième partie de notre étude, à l'occasion de la limitation de
responsabilité de l'armateur.

C) Faute inexcusable et manutention maritime

Nous allons maintenant examiner la notion de faute inexcusable sous un angle particulier,
débordant d'une part le contexte strict de la responsabilité du transporteur maritime, mais
directement apparenté d'autre part à l'économie générale du régime de l'indemnisation des

160 Cf supra p. 43 ; V. cependant, sur ce point la critique de P-Y Nicolas, «Le transport maritime de passagers :
responsabilités et assurances », DMF 2006, p. 862 : « Au demeurant, me semble-t-il, il ne faut pas se laisser abuser
par l'adjectif « inexcusable » qu'on accole usuellement aux fautes privatives du droit à limitation. La faute du
transporteur n'était pourtant pas intentionnelle ni dolosive : il n'avait pas l'intention de provoquer le dommage et
rien n'indique qu'il ait refusé délibérément d'exécuter ses obligations contractuelles. Du reste, il n'est pas certain
qu'il ait commis une faute lourde, au sens d'une négligence d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant son
inaptitude à exécuter ses obligations. Mais le transporteur a été téméraire en tolérant la surcharge de la baleinière.
Il a pris un risque excessif pour les passagers et « devait » donc « avoir eu conscience » de la probabilité du
dommage, en sa qualité de professionnel, ce qui le privait du bénéfice de la limitation de responsabilité ».
161 A. Vialard, « L' évolution de la notion de faute inexcusable », DMF 2002, p. 579 ; P-Y Nicolas, « Le transport
maritime de passagers : responsabilités et assurances », DMF 2006, p. 840.
162 Voire du transport ferroviaire: le règlement 1371/2007 du 23 oct. 2007 sur les droits et obligations des passagers
a été adopté et entrera en vigueur en décembre 2009 prévoit qu' aucune limite financière n'est fixée à la
responsabilité de l'entreprise ferroviaire pour les dommages subis en cas de décès ou de préjudice corporel d'un
voyageur. Pour tout dommage survenu lorsque le voyageur était à bord du train ou lorsqu'il y montait ou en
descendait ne dépassant pas 220 000 euros pour chaque voyageur, l'entreprise ferroviaire ne peut pas exclure ou
limiter sa responsabilité. Au-delà de ce montant, l'entreprise ferroviaire n'est pas responsable des dommages si elle
apporte la preuve qu'elle n'a pas été négligente. Le texte soulève déjà certaines difficultés notamment parce qu’il
s’éloigne, sur certains points, de la convention internationale (CIV 1999) et crée dès lors des points de conflit ; il a le
grand mérite néanmoins de définir le cadre juridique du transport ferroviaire de passagers dans ses différents aspects
de droit privé, d’organiser les responsabilités de tous ordres, notamment pour retard, et de s’inscrire dans une
démarche dite de qualité. Peut-être pourrait-il servir de modèle en matière de transport maritime de passagers ( V.
DMF 2008, Hors série n° 12, obs. Ph . Delebecque).

56
dommages subis par les ayants droit à la marchandise : celui de la responsabilité de l'entreprise de
manutention.
En effet, le texte de l’article 54 de la loi du 18 juin 1966, alignant le régime de l'entrepreneur
de manutention, qu’il agisse comme stevedore ou comme acconier, sur celui du transporteur
maritime, disposait que « la responsabilité de l’entrepreneur de manutention ne peut en aucun
cas163 dépasser les montants fixés à l’article 28 et par le décret prévu à l’article 43, à moins qu’une
déclaration de valeur ne lui ait été notifiée ».
Il est généralement admis que le législateur a voulu l'unification des régimes des
responsabilités du transporteur maritime et de l'entrepreneur de manutention dans un souci de
décourager les ayant droit à la marchandise de contourner les protections accordées par la loi au
transporteur maritime, en dirigeant leur action en responsabilité contre l'un des ses auxiliaires.
En insérant dans l'article 58 l'expression en aucun cas, le législateur semble pour autant
instaurer une limitation de responsabilité pour l'entreprise de manutention à caractère à peu près
absolu et partant incite, inévitablement, le lecteur à s'interroger si le dol de l'entreprise de
manutention fait sauter le plafond légal de la limitation. Il va, tout de même, de soi que le dol de
l’entrepreneur, comme celui du transporteur, fait échec à l’application du principe de la limitation
de réparation. Admettre le contraire aurait été aller à l’encontre de la symétrie des régimes de
responsabilité du transporteur maritime et de l’entrepreneur de manutention voulue par le
législateur. D’autre part, il serait logique de justifier cette solution en faisant appel à la règle de droit
commun fraus omnia corrumpit164.
Or, la loi de 1986 a, nous l'avons déjà noté, été amendée par la loi du 23 décembre 1986 en
vue de l'uniformisation du régime français avec celui de la Convention de Bruxelles et désormais la
limitation peut être exclue non seulement en cas de dol mais aussi en cas de faute inexcusable. En
revanche, le législateur a, sûrement par erreur ou par inattention, maintenu l'expression en aucun
cas, si bien que le régime de limitation de responsabilité du transporteur est essentiellement
différent de celui de l'entreprise de manutention. En effet, le premier est, d'après la lettre du texte,
privé de son droit de limiter sa responsabilité tant en cas de dol qu'en cas de faute inexcusable
personnelle cependant que le deuxième n' en est déchu qu'en cas de faute inexcusable.
Dès lors comme l'observe, le professeur du Pontavice165, « si l’on s’en tient à la lettre du
nouvel article 54, la référence à l’article 28 ne vise que les nouveaux montants de responsabilité
fixés à l’alinéa 1 et non pas les alinéas suivants relatifs aux cas dans lesquels le transporteur perd
le bénéfice de la limitation de réparation. Il semble donc y avoir ici encore une distorsion entre le
163 C'est nous qui soulignons.
164 R. Rodière, Traité, Tome 3, page 35.
165 E. du Pontavice, Transport et affrètement maritimes, Delmas 2ème édition 1990.

57
régime de responsabilité du transporteur et celui d’entrepreneur de manutention privé de la
limitation de responsabilité exclusivement en cas de dol ».
Toutefois, on ne peut pas manquer d’observer le glissement subtil que la jurisprudence
entreprend entre la notion classique de faute dolosive 166 (au sens de la faute commise
volontairement avec l’intention délibérée de causer le dommage) et la notion voisine de faute
inexcusable, définie dans les textes sur les transports maritimes comme étant « la faute commise
témérairement et avec conscience que le dommage en résulterait probablement ». Par ce glissement
généralement volontaire, la jurisprudence parvient, une fois de plus, à réaliser le réalignement de la
responsabilité de l’entreprise de manutention sur celle du transporteur maritime ; et cette démarche
permet, surtout, d’éviter le résultat choquant de la relative impunité des entreprises de manutention
qui auraient pu continuer à bénéficier des limitations légales même en cas de faute inexcusable,
alors que les transporteurs maritimes en supportent les conséquences. L’imprécision des textes
relatifs à la manutention ne serait donc pas une complaisance du législateur, et la jurisprudence
devra désormais prendre à cœur d’interpréter ces textes dans le sens de l’harmonisation recherchée
par la loi du 23 décembre 1986, car « l’esprit de cette loi doit l’emporter sur la lettre »167.
De ce fait, les tribunaux, lorsqu'ils veulent sanctionner une faute particulièrement grave
d'une entreprise de manutention, le font, en qualifiant très abusivement cette faute de dolosive.
Il reste qu'il y a, comme le professeur Pierre Bonassies168 et Yves Tassel le relèvent, entre le
dol et la faute inexcusable « plus qu’une différence dans le degré de gravité, une véritable
différence de nature. Cette différence se situe au niveau de l’intention ». Le dol est une faute
intentionnelle, où le contractant a voulu, sciemment, causer préjudice à son co-contractant. La faute
inexcusable, si grave soit-elle, est une faute consciente (ou qui devrait être consciente, dans sa
conception objective), mais qui n’est jamais volontaire. «Pour éviter donc semblable dévoiement
des notions, il faudrait soit « forcer » le législateur à modifier l’article 54 de la loi du 18 juin 1966
ou que la Cour de cassation admise par une interprétation nouvelle du texte et de prendre en
compte que l’uniformisation voulue a été rompue par la réforme du régime de la responsabilité du
transporteur maritime malheureusement non « répercutée » dans le régime de la responsabilité de
l’entrepreneur de manutention169 ». En d'autres termes, l'article 54 de la loi de 1966 doit être conçu
comme renvoyant non pas seulement aux montants fixés par l'article 28, mais à ce texte dans sa
166 CA Aix, 29 mars 2007, navire ''Blue Sky'', DMF 2007, p. 683, obs. J. Bonnaud et DMF 2008 p. 22, obs. Y. Tassel ;
Cass. com, 7 novembre 2006, navire ''Diego'', DMF 2007, p.35, obs. H. Tassy et obs. Y. Tassel, approuvant l'arrêt
de la CA Aix 18 mai 2004, navire ''Diego'', DMF 2005. p. 241, obs. Y. Tassel ; CA Rouen, 25 novembre 1999,
DMF 2000, p. 807, obs. Y. Tassel et DMF 2001, Hors serie, no 5 obs. P. Bonassies ; CA Paris, 2 décembre 1999,
navire ''Taboo'', DMF 2000, p. 111, obs. Y. Tassel et DMF 2001, Hors série, no 5 obs. P. Bonassies.
167 M. Ndende et K. Le Couviour, Manutention maritime, Rép.com. Dalloz, 2000.
168 DMF 2008, Hors serie, n° 12, obs. P. Bonassies.
169 P. Bonassies et Ch.Scapel, op.cit., p. 452, no 694 ; V. aussi A. Vialard, Droit Maritime, PUF 1997, p. 433, no 505.

58
totalité, y compris la déchéance en cas de faute inexcusable, opérant ainsi une harmonisation qui
était d’ailleurs au centre de la construction du Doyen Rodière170.
Telle ne semble cependant pas être l'opinion de la Cour suprême qui par un arrêt du 5
décembre 2006171, a, éconduisant la thèse suggérée par la doctrine, clairement pris position : seule
une faute dolosive retenue à l'encontre de l'entrepreneur de manutention peut lui faire perdre le
bénéfice des limitations légales ; le renvoi par l’article 54 à l’article 28 n’est que partiel et ne
concerne que les montants d’indemnisation déterminés à l’article 28 ; les expressions « en aucun
cas et à moins que » impliquent la volonté du législateur de limiter, d’une manière générale et
absolue, la responsabilité de l'aconier et son obligation à réparation »
Néanmoins, une telle position est critiquable pour deux raisons : elle adopte une conception
du dol singulièrement large, on n’y trouve aucune référence expresse à l’intention de provoquer le
dommage et elle n'est point conforme à l'esprit de la loi172 dont l'intention était le nivellement de la
responsabilité de l'entreprise de manutention et celle du transporteur maritime de marchandises. Il
serait donc souhaitable que la Cour suprême accepte la lecture du texte prônée par la doctrine et
étende l'application de la faute inexcusable à la limitation de responsabilité de l'entreprise de
manutention.
En tout état de cause, comme le fait remarquer Jacques Bonnaud173, il faut reconnaître que
la lecture faite par la Cour d’Aix est sur le plan de l’exégèse la bonne (à l'aune de la lettre du texte,
ajoutons-nous). C’est la loi qu’il faut réformer. Aussi bien, René Rodière174 avait déjà proposé une
rédaction analogue de l'article 54 : « la responsabilité de l’entrepreneur de manutention ne peut pas
dépasser, à moins d’une déclaration de valeur qui lui aura été notifiée, la somme à laquelle serait
condamnée le transporteur pour le même dommage ». Or, selon le professeur Pierre Bonassies, une
intervention du législateur paraît « improbable »175.

170 R. Rodière, Traité, Tome 3, page 35 : « l’expression (en aucun cas) est destinée à viser les deux situations, celle de
l’article 50 et de l’article 53 litt. a) d’une part, celle de l’article 51 et de l’article 53 litt. b). de l’autre ».
171 Cass.com, 5 décembre 2006, navire ''Grace Church Comet'', no 04-18.051, DMF 2007, p.40 obs. Y. Tassel ; V
aussi CA Aix, 29 mars 2007, navire ''Blue Sky'', DMF 2007, p. 683, obs. J. Bonnaud : La Cour d’Aix l’a
catégoriquement refusé : « les expressions « en aucun cas et à moins que» impliquent la volonté du législateur de
limiter, d'une manière générale et absolue la responsabilité de l'acconier et de son obligation à réparation, qu'il
accomplisse des opérations de manutention proprement dites ou d'autres opérations, alors que le régime de
responsabilité est différent selon la nature des opérations qu'il est chargé d'accomplir ».
172 «N’est-il pas paradoxal que le transporteur, qui n’est pas directement à l’origine du dommage dès lors que
l’attitude fautive est celle d’un autre qui, de surcroît, est un professionnel indépendant, soit condamné pour la
totalité du préjudice alors que, dans le même temps, l'aconier, directement responsable du dommage du fait de sa
faute inexcusable voit limiter sa responsabilité ? » DMF, 2007, p. 40, obs. Y.Tassel.
173 CA Aix, 29 mars 2007, navire ''Blue Sky'', DMF 2007, p. 683, obs. J. Bonnaud : « La limitation d’indemnisation
du transporteur maritime et de l’acconier : harmonies et discordances ».
174 R. Rodière, Traité, Tome 3, p. 36.
175 P. Bonassies et Ch.Scapel, op.cit., p. 452, no 694.

59
CHAPITRE 2 : LA FAUTE
INEXCUSABLE, FONDEMENT
ACTUEL DE LA DECHEANCE DE
LA LIMITATION DE
RESPONSABILITE DE
L'ARMATEUR

Après avoir présenté les applications de la faute inexcusable dans les autres domaines de
droit où le législateur français ou international a jugé son établissement opportun, nous allons
maintenant analyser le rôle et la valeur de la faute inexcusable en matière de limitation de
responsabilité de l'armateur.
En effet, la portée de la faute inexcusable ne se borne pas seulement au droit commun de
responsabilité de l'armateur (Section 1), mais elle recouvre également les régimes spéciaux de
responsabilité de celui-ci, sans néanmoins que l'effet de la faute inexcusable soit toujours le même
(Section 2). En outre, la Communauté Européenne, particulièrement sensibilisée de la sécurité
maritime et de l'impératif majeur de préserver le milieu marin des conséquences néfastes des
naufrages des navires, comme celui de l'Érika ou du Prestige, ne demeure pas désintéressée de
l'institution de la limitation de responsabilité de l'armateur. C'est ainsi qu'à travers le troisième
paquet Erika se dirige, entre autres, vers une restriction du champ d'application de l'institution
traditionnelle du droit maritime et à un amoindrissement de la gravité de la faute débouchant sur la
privatisation de l'armateur du bénéfice de limitation, engendrant de ce fait les réactions vives des
États membres et de la doctrine (Section 3).
Il suit de là que la faute inexcusable est étroitement liée non seulement à l'histoire de
l'institution de la limitation de responsabilité de l'armateur mais aussi à son avenir.

60
Section 1 : En droit commun de
responsabilité de l'armateur

La faute inexcusable de l'armateur a, dans le régime de la limitation de sa responsabilité, tel


qu'il est organisé de la Convention de Londres modifiée par le protocole de 1996, le même rôle
qu'elle a dans le régime de responsabilité du transporteur, sans toutefois avoir le même contenu ni
comporter les mêmes éléments. Dès lors, la faute inexcusable de l'armateur entraîne-t-elle la
déchéance de son droit de limiter sa responsabilité. La limitation de responsabilité de l'armateur,
même si elle se justifie tant par les risques que par le caractère d'intérêt général de cette navigation
ne peut être conçue comme constituant pour les armateurs un droit incontrôlé. Pour autant, la faute
inexcusable ne faisait pas depuis toujours partie du mécanisme de la limitation de responsabilité de
l'armateur (§ 1). Ce n'est qu'à partir de l'entrée en vigueur de la Convention de Londres que la
privatisation du droit à limitation est subordonnée à l'établissement d'une faute inexcusable,dans
l'intention de mettre en place un droit de limitation incontournable, intangible (§ 2)176.

§ 1) Le régime précédent de la Convention


Bruxelles du 10 octobre 1957177

La Convention sur la limitation des propriétaires de navires de mer, signée à Bruxelles le 10


octobre 1957 (International Convention Relating to the Limitation of the Liability of Owners of
Sea-Going Ships), ratifiée par la France le 7 juillet 1959 et entrée en vigueur le 31 mai 1968 est
venue remplacer la Convention de Bruxelles de 1924, peu satisfaite178, d'où le nombre restreint des
ratifications.
L'article 1§1 alin.1 de la Convention de Bruxelles prévoyait « que le propriétaire d'un
navire de mer peu limiter sa responsabilité au montant déterminé par l'article 3 de la présente
Convention pour les créances qui résultent de l'une des cause suivantes, à moins que l'événement

176 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc., no 45 et s.


177 A. Vialard, La responsabilité des propriétaires de navires de mer, Thèse, Bordeaux, 1969 ; R. Herber, « Quelques
problèmes concernant l'unification du droit surgis à l'égard de la Convention internationale sur la limitation de la
responsabilité des propriétaires de navires de mer, signée à Bruxelles le 10 octobre 1957 », DMF 1970, p. 267 et s. ;
I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » préc. ; P. Griggs and Williams,
Limitation of Liability, LLP, 3ème éd., 1998, p. 5.
178 Notamment en raison du choix qu'elle laissait à l'armateur entre l'abandon du navire et la limitation en valeur. V. A.
Boyer, Le droit maritime, PUF, 1967, p. 95 ; P. Chauveau, Traite de Droit Maritime, Librairies Techniques, 1958, no
462 et s., p. 307 et s.

61
donnant naissance à la créance ait été causée par la faute personnelle du propriétaire »179.
Cette disposition a soulevé plusieurs questions. La première controverse portait dès lors sur
la notion de la faute personnelle et son équivalent dans le texte anglais « actual fault et privity ». En
effet, être privy de, c'est connaître, savoir. Et il semble bien qu'en anglais il y a privity lorsqu'il y a
connaissance du fait générateur de responsabilité. Mais il paraît aussi raisonnable d'admettre que
la seule connaissance du fait soit insuffisante pour priver le propriétaire du bénéfice de la
limitation, à moins qu'il n'ait été en son pouvoir d'empêcher la réalisation du fait dont il a
connaissance180.
La deuxième difficulté avait trait à la gravité de la faute susceptible d'induire la déchéance
de l'armateur de son droit de limitation, question épineuse eu égard au droit anglais qui ne
connaissait pas la classification de divers degrés de faute, à la quelle les droits continentaux sont
familiarisés. En effet, le texte de la Convention ne précise pas davantage la notion de la faute
personnelle. Ceci a amené la doctrine à considérer qu'à défaut de précisions, toute espèce de faute
personnelle mettra en échec la limitation. Cette conception reste en accord avec la jurisprudence
ancienne qui acceptait la faute personnelle sans la qualifier de lourde ou d'intentionnelle181 de même
qu'avec la Convention de Bruxelles de 1924182.
Par ailleurs, un problème particulier au droit français a surgi. La jurisprudence
Lamoriciere183 et Champollion184 ont introduit dans le droit français la règle selon laquelle le
propriétaire est présumé être en faute sans qu'aucune preuve de ce faute ne soit revendiquée. Il est
présumé responsable personnellement et donc personnellement en faute lorsqu'un dommage a été
causé par le navire. Par voie de conséquence, on débouchait sur une responsabilité illimitée. C'est
ainsi que la Convention de 1957 a prévu que la responsabilité de l'armateur est limitée quelque soit
la cause du dommage, faute du capitaine ou de l'équipage ou fait du navire lui même, pour peu qu'il
n'existe pas de faute personnelle du propriétaire (art. 1.3). La modification avec l'État antérieur du
droit est donc fondamentale : l'article 216 du Code de commerce instituait l'abandon en nature dans
le cas où le propriétaire était tenu du chef de son capitaine ou de l'équipage. En conséquence, quand

179 Solution qui ne présente guère de différences avec l'article 2 de la Convention de 1924 : « La limitation de
responsabilité édictée par l'article précédent ne s'applique pas : 1) aux obligations résultant de faits ou fautes du
propriétaire de navire » ; V. R. Rodière et E. Du Pontavice, Droit maritime, 6ème éd., Dalloz, 1974.
180 A. Vialard, op. cit.
181 Solution que l'on trouve également dans le droit maritime français classique, celui de l'Ordonnance de la Marine
d'août 1681 ou du Code de commerce de 1807, le propriétaire du navire étant déchu de son droit d'abandonner son
navire pour échapper à toute responsabilité, dès lors que la simple faute -la culpa levissima du droit romain- avait
contribué à la réalisation du dommage. Solution qui se place tout de même aux antipodes de l'esprit de la
Convention de Bruxelles du 25 aout 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissements qui
ignorait la possibilité de la déchéance du transporteur de son droit de limitation.
182 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », préc.
183 Cass. Com. 19 juin 1951, D. 1951, 717, obs. Doyen Ripert.
184 Cass. Civ. 23 janv. 1959, DMF 1959.277, obs. R. Rodière.

62
l'article 1384.1 du Code civil était la source de la responsabilité du propriétaire en tant que gardien,
il ne pouvait pas invoquer la faculté d'abandon et pourtant aucune faute personnelle n'était alors
prouvée contre lui185. Dorénavant, le demandeur avait intérêt d'invoquer l'article 1382 du Code civil
puisque l'exclusion du bénéfice de limitation demande une faute personnellement imputable au
propriétaire. Invoquer l'article 1384 du Code civil ne servirait à rien puisque ce texte opère
lorsqu'aucune faute n'est établie, le débiteur étant tenu d'une responsabilité de plein droit.
Finalement, il convient de mettre en avant que la Convention de 1957 a opté pour laisser au
soin des législations nationales la question du fardeau de la preuve de la faute exclusive du bénéfice
de limitation. En effet la Convention n'exigeait pas que la faute de l'armateur soit une faute prouvée.
En abandonnant aux droits nationaux la réglementation de cette question fondamentale affectant
l'issue du litige, elle permettait le maintien de la jurisprudence qui existe dans certains droits (droit
anglais, droit américain), et selon la quelle dans certains cas pour le moins, c'est à l'armateur de
prouver qu'il n'a commis aucune faute personnelle s'il prétend bénéficier de la limitation. Par contre,
le droit français de même que la plupart des droits continentaux (dont le grec) mettent la preuve de
la faute à la charge du demandeur186.
Les dispositions de la Convention de 1957, après la ratification de celle-ci par la France ont
été transposées dans le droit en français et la loi du 3 janvier 1967. L'article 58 aligne en effet le
droit français interne sur le droit international, tel qu'était dégagé de la Convention de 1957.
S'agissant de l'appréciation de l'article 1 de la Convention de 1957, sur le fondement de ce
texte une jurisprudence très rigoureuse à l'égard de l'armateur s'était évoluée, affirmant les craintes
des armateurs pour une interprétation large que les tribunaux pourraient donner de la notion de faute
personnelle prouvée187. En effet les juridictions, pour assurer une meilleure indemnisation des
victimes, ont refusé aux propriétaires de navire le droit d'invoquer la limitation et elles ont, pour
obtenir ce résultat, apprécié avec une sévérité particulière le comportement de l'armateur. Cette
tendance se retrouve en outre non seulement dans les décisions des tribunaux français, qui sont par
ailleurs rares, mais aussi dans les décisions des juridictions étrangères, telles les américaines ou les
britanniques ou les belges où la jurisprudence est beaucoup plus abondante188.
Cette sévérité des tribunaux à l'égard des armateurs s'est manifestée d'une part dans
l'appréciation de la notion de faute, d'autre part dans l'appréciation du caractère personnel de la

185 R. Rodière., Traité Général du Droit Maritime, Introduction, L'armement, Dalloz, 1976, no 475, p. 611.
186 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
préc.
187 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, préc., p. 68.
188 R. Rodière et E. Du Pontavice, Droit maritime, Dalloz, 7ème éd. no 476, p.612 ; P. Bonassies, « Vingt ans de
conventions internationales maritimes », préc.

63
faute.
Pour ce qui est de l'appréciation de la faute de l'armateur, l'arrêt le plus notable est l'arrêt
Navipesa Dos189. Dans cet arrêt qui est dans le droit fil d'une jurisprudence et d'une doctrine
traditionnelles qui n'ont jamais cessé de proclamer que le défaut de navigabilité constitue une faute
personnelle de l'armateur190, la Cour de cassation se prononce que, lorsque le navire se trouve, du
fait d'un défaut d'étanchéité – vice propre du navire -, hors d'état d'entreprendre en toute sécurité la
navigation à laquelle il était destiné, son propriétaire a commis la faute l'empêchant d'obtenir la
limitation de responsabilité.
Cependant le professeur René Rodière, critiquant cet arrêt, opine que « autant il est
conforme à l'esprit de la règle que le propriétaire soit tenu de façon illimitée quand il est établi que
le dommage est consécutif à un défaut d'entretien du navire auquel de meilleurs soins ou une plus
grande attention aurait pu remédier, autant il paraît contestable de dire que tout vice du navire,
découvert après coup, révèle la faute personnelle du propriétaire et le doute devient plus pressant
encore quand il est possible que le défaut prétendu du navire n'ait développé sous effet que par la
suite d'une mauvaise utilisation de la pièce dite affectueuse (en l'espèce la porte arriéré de ce
navire roulier n'étant pas parfaitement étanche), car cette utilisation relevait du capitaine et de
l'équipage »191.
Aussi bien, comme nous l'avons déjà souligné, l'interprétation large de la faute exclusive de
l'armateur de la limitation ne se rencontre pas seulement à la jurisprudence française mais elle se
retrouve aussi à la jurisprudence d'autres juridictions nationales, parmi lesquelles les américaines192
et les britanniques193. Du reste, la chose a été affirmée à plusieurs reprises194.
C'est ainsi que dans l'arrêt Stulphur Queen du 25 avril 1972, la cour d'appel fédérale de New
York a accepté la faute personnelle de l'armateur en constatant que ce dernier s'était engagé dans
une opération de construction dangereuse, la transformation d'un pétrolier âgé en transporteur de
souffre tout en confiant son navire à un chantier de haute réputation. Dans le même esprit, le
professeur Pierre Bonassies met, en préconisant ses conclusions, en exergue l'arrêt Amoco Cadiz où
les tribunaux américains (et plus précisément le juge fédéral Frank McGarr) font grief à l'armateur
de ne pas avoir veillé au bon état d'un appareil à gouverner d'un modèle nouveau, méconnaissant les

189 CA Rouen, 15 octobre 1973, navire ''Navipesa Dos'', DMF 1974, p. 29 obs. G. Chereau et J. Warrot et Cass.
Com., 3 déc. 1974, DMF 1975, p. 211, obs. P. Laureau et P. Bouloy.
190 V. les observations de P. Boulov à propos de l'arrêt de la Cour de cassation.
191 R. Rodière et E. Du Pontavice, op.cit., no 476, p. 612.
192 C. Kende, « Le concept de limitation de responsabilité en droit maritime américain », DMF 1989, p. 727 et s.
193 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
préc., « Vingt ans de conventions internationales maritimes », préc., p. 51 ; « La faute inexcusable de l'armateur en
droit français », préc., p.75 et s. et P. Bonassies et Ch. Scapel, op.cit., p. 281, no 428.
194 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, PUF, «Les grandes thèses du droit français», 1999, p. 69.

64
instructions du conducteur et ils voient une faute dans le fait pour l'armateur de ne pas avoir
suffisamment formé l'équipage à l'entretien, mais aussi à la réparation de l'appareil à gouverner195. Il
en va de même pour la jurisprudence britannique.
En droit anglais, les juridictions ont, dans l'affaire du Lady Gwendolen, reproché à
l'armateur de ne pas avoir institué un système permettant de contrôler le comportement de ses
capitaines et de ne pas avoir attiré l'attention de ceux-ci sur la nécessité d'utiliser le radar avec une
extrême prudence en cas de brume196. Dans une affaire plus récente et beaucoup plus remarquable
(Marion), la Chambre de Lords a condamné l'armateur qui, tout en mettant à la disposition de son
capitaine des cartes parfaitement à jour, n'a pas mis sur le pied le système idoine à contrôler le
comportement de ses commandants197. Outre l'appréciation de la faute de l'armateur, les juges
faisaient aussi preuve de rigueur dans l'appréciation du caractère personnel de la faute de
l'armateur198.
Il est ainsi à noter que les tribunaux ont largement négligé cette exigence imposée par le
texte de la convention199. Ne limitant pas la notion de la faute personnelle à la seule faute du
président ou du directeur général de la compagnie maritime, ils ont opté pour une interprétation
large du terme personnel, soit par un déploiement de la notion d'organe représentant la société
d'armement (un organe suffisamment élevé dans la hiérarchie de celle-ci)200 mais principalement
par le recours à la notion de devoir de contrôle201, dont l'armateur est chargé dans l'organisation de
l'exploitation financière d'un navire.
Il en résulte que sous le régime de la Convention de 1957, le droit à limitation de l'armateur
n'était reconnu que dans la situation où le dommage en cause était à l'évidence la conséquence d'une

195 P. Bonassies, « États-Unis d'Amérique, la décision ''Amoco-Cadiz '' », DMF 1985, p. 688.
196 Court of appeal, 2 avril 1965, Lloyd's List Law Reports, 1965.1 p. 335 ; R. Grime, « The loss of the right to limit »,
Institute of Maritime Law, The University of Saouthampton, Limitation of Shipowners Liability, The new law, , éd.
Sweet & Maxwell, p 106.
197 Chambre des Lords, 16 juin 1984, Lloyd's Law Reports, 1984.2.1 : ''Since the appelants had delegated the
management and operation of Marion to an english company .... (F.M.S.L), the person whose fault would
constitue, as a matter of law, the actual fault of the appelants is the managing director of F.M.S.L and the fault
pf the managing director constituted in law actual fault or privity of the appelant shipowners ''.
198 I. Corbier, La notion juridique d’armateur, PUF, «Les grandes thèses du droit français», 1999, p. 68 ; G. Mark
Gauci, « Limitation of Liability, some reflection on and out-of-date privilege », ADMO, 2005, p. 47 et s. ; R. Grime,
« The loss of the right to limit », Institute of Maritime Law, The University of Saouthampton, Limitation of
Shipowners Liability, The new law, , éd. Sweet & Maxwell, p. 102 et s.
199 C. Kende, op. cit., p. 727 et s. : « il est clair que la faute du responsable des activités maritimes d'une société
(marine manager) est l'équivalent de la faute de celle-ci. De façon générale, la faute de toute personne ayant une
responsabilité plénière de gestion ou d'opération d'une partie des activités de la société elle même. Notre
jurisprudence reconnaît qu'en déléguant une responsabilité entière à un prépose, le manager ne peut pas échapper
à sa responsabilité et que les faute du préposé sont imputables au gestionnaire, donc à la société. Mais en général
la faute des marins n'engage pas la responsabilité de la société ».
200 Cour d'appel fédérale de San Fransisco, DMF 1979, p. 432.
201 V. notamment CA Rouen, 15 octobre 1973, navire''Navipesa Dos'', DMF 1974, p. 29 obs. G. Chereau et J. Warrot
et Cass. Com., 3 déc. 1974, DMF 1975, p. 211, obs. P. Laureau et P. Bouloy et Chambre des Lords, 16 juin 1984,
Lloyd's Law Reports, 1984, p.2.1.

65
faute exclusive du capitaine202.
La volonté de la jurisprudence de refuser systématiquement à l’armateur le droit de limiter
sa responsabilité est dès lors ostensible. Face à cette situation où le principe de la limitation de
responsabilité apparaît de plus en plus comme l’exception, le législateur a décidé de modifier la
définition de la faute de nature à faire sauter le plafond de limitation et à la notion de la faute simple
a substitué la notion de la faute inexcusable203.

§ 2) Le passage de la faute simple à la faute


inexcusable et au droit à limitation
''incontournable'', la Convention de Londrès de
1976204

La notion de faute inexcusable205 remplace dès lors dans la Convention du 19 novembre


1976 (dite en anglais LLMC 1976, Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims) sur
la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes la notion de faute personnelle de
l’armateur retenue par la Convention de 1957206. Dans l’esprit des auteurs de la Convention, cette
202 V. en guise d'exemple, CA Rouen, 1er août 1979, navire ''Ifni'', DMF 1980, p. 200 ; CA Aix en Provence, 18 mars
1977, navire ''Beni Saf'', DMF 1979, p. 72 où a été jugé que la faute personnelle de l'armateur doit être appréciée
selon les exigences normales de l'activité considérée et que le droit à limitation ne peut disparaître du fait
d'accident fortuit alors que le navire était régulièrement visité et surveillé par une société de classification
compétente. Décision extrêmement importante en ce sens qu'elle adopte une interprétation raisonnable de la notion
de la faute personnelle du propriétaire de navire ; On citera également CA Rouen, 30 mars 1988, navire ''Kirsten -
Skou'', (DMF 1989, p. 25, obs. Rémond Gouilloud et D. Lefort ; DMF 1990, Hors série, p. 25 n0 21, obs. P.
Bonassies) où la Cour d'appel de Rouen a comblé la lacune et a donné une définition de la faute personnelle qui est
conçue comme la faute commise par les dirigeants sociaux ou par toutes personnes qui leur sont assimilées, à
l'exception de celles qui ne disposent que d'une délégation limitée de pouvoirs, et notamment du capitaine, alors
même que celui-ci représente l'armateur dans la gestion commerciale du navire (ici dans les soins à apporter aux
marchandises). dès lors, le droit maritime apporte une solution mitigée au débat qui se développe autour de
l'existence d'une responsabilité contractuelle pour fait d'autrui : l'armateur est responsable du fait de ses préposées
mais il est pleinement responsable lorsque le dommage résulte exclusivement de son propre fait. Il reste que la faute
commise par le capitaine démontre son inaptitude et par là l'éventuel manquement personnel de l'armateur à
accomplir son obligation fondamentale, celle d'assurer le bon état de navigabilité du navire, obligation qui ne peut
nullement être déléguée ( V. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 282, no 429 ). On retrouve ce même point de vue
dans les observations de R. Rodière qui opinait que la notion de responsabilité pour fait d'autrui n'existait pas, car le
débiteur est responsable de sa propre faute qui consiste à avoir fait exécuter sa prestation contractuelle par un tiers
alors qu'il devait y satisfaire personnellement, soit a voir commis une faute de choix, de surveillance ou
d'instructions (V. obs. D. Lefort préc.).
203 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002,
p. 403 ; R. Rodière, « La limitation de responsabilité du propriétaire de navire, passé, présent et avenir »: DMF
1973, p. 259.
204 C. Legendre, « La conférence internationale de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances
maritimes », DMF 1977, p. 195.
205 Qui constitue un « gallicisme » juridique V. P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français »,
préc., p. 75 et s.
206 En effet, le décret n0 1055-88 du 18 novembre 1988, publié au JO du 24 novembre 1988, porte publication de la

66
notion doit être admise de manière exceptionnelle en sorte que la limitation de responsabilité de
l’armateur demeure la règle et la déchéance l’exception207. Les auteurs de la Convention reprennent,
opérant une véritable mutation de la faute emportant la déchéance du droit à la limitation208, donc la
définition donnée par le Protocole de 1955, presque à l’identique : « une personne responsable n’est
pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou
omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis
témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ». À l’expression
« acte ou omission du transporteur ou de ses préposés », le législateur maritime substitue « le fait ou
l’omission personnels », refusant ainsi expressément que la faute du préposé soit couverte par
l’armateur et souhaitant mettre un terme définitif à l’analyse antérieure retenue par la jurisprudence
ne distinguant plus la faute personnelle de l’armateur et la responsabilité personnelle de celui-ci209.
Par la suite, le législateur national a mis le droit maritime interne en conformité avec la
Convention de 1976 : l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967 a été modifié par la loi du 21 décembre
1984. Désormais, le propriétaire d’un navire ne peut bénéficier de la limitation de responsabilité «
s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou omission personnels commis avec l’intention
de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en
résulterait probablement ».
En adoptant une définition étroite de la notion de faute inexcusable comme cause de
déchéance de la limitation de responsabilité de l’armateur (la faute intentionnelle aussi prévue par le
texte de l'article 4 de la Convention de Londres étant improbable), le législateur international, suivi
par le législateur national, a pensé redonner au principe fondamental du droit maritime toute sa
portée210. L'intention de ceux qui ont adopté ce texte était de rendre le droit à limitation
pratiquement intangible, d'édifier un système rendant le droit de l'armateur à limitation «

lettre de dénonciation par la France de la Convention de 1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires
des navires de mer. Cette dénonciation a pris effet le 15 juillet 1988, un an après sa notification au Gouvernement
belge (DMF 1989, Hors série, p. 7 obs. P. Bonassies ) ; P. Bonassies, Le droit maritime français, 1950-1960,
Évolution et perspectives, Rev. Scapel, 2002, p. 5 ; D. C. Jackson, Enforcement of maritime claims, 2ème éd., LLP,
1996, p. 525.
207 Kaj Pineus, « Quelques réflexions à propos de la limitation de responsabilité de l'armateur », DMF 1979, p. 515 et
s. : La partie débitrice a été prête a accepter ce prix apparemment élevé et pour cause. Une fois la convention
acceptée, il sera dorénavant bien plus difficile de supprimer le droit de limitation accore à l'armateur.
208 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
préc., p. 8.
209 P. Bonassies, « La responsabilité de l'armateur de croisière », Revue Scapel, 1999, p. 92. « Les règles sont ici
identiques à celles qui s'appliquent à la limitation contractuelle de responsabilité du transporteur de passagers, la
limitation contrat par contrat, - et cependant différentes de celles-ci. Identiques, car seule la faute intentionnelle ou
inexcusable entraîne déchéance du droit à la limitation globale. Différentes, car c'est exclusivement la faute
personnelle de l'armateur qui entraîne déchéance, en aucun cas la faute, même très lourde du capitaine ou d'un
autre préposé ».
210 I. Corbier, « La faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » : DMF 2002,
p. 403.

67
incontournable », « virtually unbreakable »211. Cela a été représenté, en 1976, comme la
contrepartie de l'élévation (élévation supposée ajoutons nous) des montants de la limitation et donc
de la responsabilité correspondante.
Cette intention du législateur international avait quand même pour contrecoup
l'infléchissement des principes traditionaux de la responsabilité civile d'un entrepreneur et plus
particulièrement celui de la responsabilité illimitée lorsque l'issue du contentieux relève que le
dommage occasionné à la victime est consécutif à la faute personnelle de celui-ci. Ceci constitue
d'ailleurs l'apport le plus important de la Convention de 1976 pour ce qui concerne au moins la
déchéance de l'armateur de la limitation.
Certes, cette innovation n'était complètement pas inconnue dans le droit français. Les
conventions régissant le contrat de transport international, que ce soit en matière aérienne
(Convention de Varsovie) ou maritime (Convention de Bruxelles de 1924, Protocole de 1968)
renferment des dispositions identiques. Ce qui restructure le droit français des obligations c'est que
désormais la règle de la responsabilité limitée même en cas de faute personnelle prouvée vaudrait
également sur le plan de responsabilité délictuelle. La Convention de Londres est donc le premier
texte212 qu'initie la responsabilité extracontractuelle à ce principe, déjà reconnu en matière
contractuelle, apportant l'abandon d'une règle cardinale du droit des obligations213.
Néanmoins, pour mesurer la distance qui existe entre les deux textes, il faut, avant tout,
s'interroger sur l'interprétation que la notion de la faute inexcusable a reçue par la jurisprudence et
comment cette notion déjà répandue en droit français et en particulier en droit des transports a été
concrétisée dans la pratique. L'originalité de la lettre de la Convention de Londres a été respectée
par les tribunaux ou ceux-ci se sont montrés hésitants à la suivre? L'érosion monétaire a conduit à
remettre en question cette politique législative et à priver d'autorité l'argument puisé aux travaux
préparatoires ? La jurisprudence résistera-t-elle à l'ancienne tendance de prononcer facilement la
privatisation de l'armateur ?
En effet, celle-ci chargée d’interpréter le sens de cette notion, la jurisprudence s’est trouvée
confrontée à un choix déjà soulevé chaque fois que l'appréhension de cette notion est au centre d'un
211 P. Griggs and Williams, op. cit., p. 5.
212 L'hypothèse d'une responsabilité limitée pour faute se retrouve tout de même à d'autres textes d'ordre international
portant sur la responsabilité extra contractuelle de divers entrepreneurs, tels les textes sur la responsabilité de
l'exploitant d'une entreprise nucléaire, mais la situation de ce dernier est extrêmement particulière pour être prise ne
considération ou la Convention de Rome du 7 octobre 1952 pour les dommages causés aux tiers à la surface par des
aéronefs étrangers (article 12), mais qui n'a jamais été ratifiée par la France. Du reste, des dispositions analogues
contient le protocole de 1984 modifiant la Convention de 1969 sur la responsabilité civile pour dommages dus à la
pollution par hydrocarbures. Pour autant, il ne faut pas oublier le Fonds International créé par la Convention de 1971
est susceptible de fournir des réparations supplémentaires. Ceci engendre de différences essentielles entre les deux
régimes.
213 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
préc., p. 8.

68
litige : soit elle consacrait la définition étroite du législateur maritime et confirmait dès lors le droit
fondamental de l’armateur à limiter sa responsabilité ; soit elle adoptait l’appréciation in abstracto,
conception propre à donner à cette notion une large extension, consacrée par la Cour de cassation
dans le domaine des accidents du travail de même que sur le plan du droit des transports et estimait
ainsi que la limitation de responsabilité était un droit exceptionnel accordé à l’armateur. Cette
question fera l'objet de la deuxième partie de notre étude.

Section 2 : Dans les régimes spéciaux de


responsabilité (Hydrocarbures,
Marchandises dangereuses, Pollution par
les soutes, Nucléaire )214

La responsabilité civile (extracontractuelle) de l'armateur lorsqu'il est propriétaire du navire


est aussi visée par des conventions spécifiques introduites dans le domaine de la lutte contre la
pollution et du transport de marchandises nocives ou potentiellement dangereuses.
La limitation de la responsabilité mise en place par la convention de 1976 et par la loi et le
décret de 1967, legs de l'histoire du droit maritime est une limitation passe-partout, qui pose des
règles valables pour tous les types de navires et pour tous les types d'utilisation de navires. Mais
déjà en 1976, la faiblesse de cette convention à répondre à toutes les circonstances avait été
constatée. Il fallait donc adapter le principe de la limitation à des situations nouvelles, inconnues à
l'époque historique de son émergence, sans en même temps risquer d'en compromettre l'existence
même. La nécessite d'établissement des régimes spécifiques de responsabilité de l'exploitant de
navire a de fait engendré une série de textes internationaux dont l'ambition était de répondre aux
exigences de l'évolution des techniques et des trafics ainsi que de remédier aux insuffisances des
plafonds de limitation mis jusqu'alors en place par les conventions internationales ou par les
législations nationales.
Notre recherche va donc se retourner vers l'analyse de ces systèmes spéciaux de
responsabilité adoptés, compte tenu qu'une des caractéristiques principales de ces systèmes est la
limitation de responsabilité du propriétaire du navire et l'écartement de celle-ci en cas de faute
dolosive ou inexcusable215. En effet la Convention de Londres de 1976 a servi de modèle pour

214 K. Le Couviour, op. cit. ; P. Bonassies, « Vingt ans de conventions internationales importantes », préc.
215 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n0 455 et s., p. 306 et s. ; M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 409 et s., p. 232 et s. ;

69
l'instauration de ces régimes spéciaux de responsabilité216.

§ 1) La limitation de responsabilité du
propriétaire de navire pétrolier (CLC)217

Pendant longtemps, le risque de pollution, risque écologique, n'a pas été isolé des autres
risques armatoriaux. Il a été inclus dans l'ensemble des responsabilités du propriétaire du navire
donnant droit à la limitation selon la Convention de Bruxelles de 1957. Toutefois, les premières
grandes catastrophes pétrolières dans les années 60 (en particulier le désastre du Torrey Canion,
pétrolier libérien, en 1967 qui avait provoqué une pollution massive des côtes anglaises et
françaises) n'ont pas manqué de mettre en exergue la parfaite inadéquation des seuils de
responsabilité prévus pas les Conventions de limitation de droit commun. Pour faire face aux
phénomènes particuliers que constituent les pollutions majeures affectant le milieu marin, le
législateur international en proie aux mouvements de protestation s'est résolu à abandonner le
régime du droit commun de la limitation de responsabilité de l'armateur et à établir des systèmes de
limitation plus adaptés à la lutte contre les risques écologiques218.
À l'initiative des gouvernements de la France et de la Grande Bretagne, les deux pays
frappés par le désastre écologique du Torrey Canion, l'agence spécialisée de Nations Unies, OMCI,
était appelée pour la première fois à s'occuper de la question de la responsabilité du propriétaire du
navire pour les dommages par pollution. Cette tentative a débouché sur une convention
internationale signée le 29 novembre 1969 à Bruxelles, dite plus brièvement Convention sur la
responsabilité civile (en anglais Civil Liability Convention, ou CLC ). La France a ratifié cette
convention par un décret du 26 juin 1976 et elle a, par une loi du 26 mai 1977, introduit en droit

A. Vialard, op. cit., n0 167 et s., p. 143 et s. ; R. Rodière et E. Du Pontavice , Droit Maritime, 12ème éd.,1997, n0 166
et s., p. 144 et s.
216 G. Mark Gauci, « Limitation of Liability, some reflection on and out-of-date privilege », ADMO 2005, p. 47 et s.
217 Il importe de préciser que la convention de 1969/1992 fait peser la responsabilité du dommage par pollution sur le
propriétaire du navire, c'est-à-dire plus précisément "la personne au nom de laquelle le navire est immatriculé" (art.
1. 3 de la convention) et non sur l'exploitant. Ce choix du propriétaire et non de l'armateur exploitant le navire
s'explique par des raisons très concrètes : le désir de faciliter l'action des victimes, lesquelles auraient parfois
beaucoup plus de mal à identifier l'armateur exploitant le navire que le propriétaire (V. P. Bonassies, « Après
l’Erika : les quatre niveaux de réparation des dommages résultant d’une pollution maritime par hydrocarbures »,
Rev. Scapel, 2000, p. 140).
218 Il s'agit de l'idée de la marginalisation du risque maritime face au risque écologique dans la mise en œuvre de la
limitation et de l'atomisation de ce secteur du droit et de l'atomisation du droit : V. A. Vialard, « Sisyphe et
l’uniformisation internationale du droit maritime », DMF 1999 ; K. Le Couviour op.cit., Thèse, Aix en Provence,
préf. A. Vialard, PUF, 2007, n0 435, p. 179. V. également A. Vialard « Faut-il reformer le système d’indemnisation
des dommages de pollution par hydrocarbures ? », DMF 2003, p. 435.

70
français interne les dispositions reprises de la Convention de 1969, texte auquel celles-ci font
expressément référence.
En introduisant une limitation spéciale de responsabilité pour les dommages d'origine
pétrolière219, la CLC, entrée en vigueur le 15 juin 1975, porte à plus du double la limitation
préexistante. Cependant le propre des catastrophes est de trahir la faiblesse des seuils de limitation
retenus. Aussi un protocole de Londres de 1984 revoit à la hausse les plafonds de responsabilité.
Faute de ratifications suffisantes, ce protocole de 1984 n'est jamais entré en vigueur. Aussi a-t-il été
remplacé, le 27 novembre 1992 par un nouveau Protocole de 1992 lequel n'a pas jugé utile de
revenir sur les montants de limitation fixés par le protocole précédent.
Parce que la catastrophe de l'Erika a une nouvelle fois mis en lumière la déficience des
plafonds de limitation de responsabilité du propriétaire, il a été décidé en octobre 2000 de procéder
à un relèvement des plafonds retenus par le Protocole de 1992 à hauteur de 50%. Ce dernier
protocole est mis en chantier en novembre 2003.
Certes, ce droit de limitation de responsabilité n'est pas absolu et la déchéance du bénéfice
de limitation est prévue. Ainsi, dans la Convention de 1969, le propriétaire du navire est déchu de la
limitation en cas de faute personnelle -fault or privilty-, comme dans la Convention de Bruxelles de
1957. À cette époque, on pouvait dire que la faute était, dans le domaine de la pollution, la source
d'une responsabilité illimitée pour toute personne ou entreprise impliquée dans le sinistre. Le
Protocole de 1992 a tout de même fortement modifié le régime établi en 1969.
En effet le protocole de 1992 a ensuite substitué la faute dolosive ou inexcusable à la faute
personnelle comme cause de privatisation du droit à la limitation 220, conformant dès lors cette
discipline à celle de la Convention de Londres de 1976 221. Pareille substitution aurait pu emporter
affaiblissement de l'effet préventif de la responsabilité. Cela était, toutefois, sans compter sur
l'appréciation salvatrice de la notion par les tribunaux. Quand la sécurité est en jeu, rares pourraient
être les fautes inexcusables222. Aussi, en appréciant les dispositions légales, dans un but strictement

219 D'après l'article I.6 la Convention ne s'applique que pour les dommages par pollution , à savoir « le dommage causé
à l'extérieur du navire par une contamination survenue à la suite d' une fuite ou d'un rejet d'hydrocarbures du
navire, où que cette fuite ou ce rejet se produise, étant entendu que les indemnités versées au titre de l'altération de
l'environnement autres que le manque à gagner du à cette altération seront limitées au cout des mesures
raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront ».
220 Art. 5§ 2 CLC amendée : « Le propriétaire n'est pas en droit de limiter sa responsabilité aux termes de la présente
Convention s'il est prouvé que le dommage par pollution résulte de son fait ou de son omission personnels, commis
avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en
résulterait probablement ».
221 Solution qui contraste avec celle adoptée par l'OPA 1990. V. G. Mark Gauci, « Limitation of Liability, some
reflection on and out-of-date privilege », ADMO, 2005, p. 47 et s. : The IMO approach can be contrsted to the
approach taken in OPA 1990. 33 USC§ 2704 (United States Code) now porvides that one minimum threshold for the
loss of the right to limit liability under 0PA 1990 « is gross negligence (...) an attempt by the environmentalists to
lower the threshold for breakage of limitation from negligences to simple negligence was unsuccessfulk,».
222 K. Le Couviour, « Responsabilités pour pollution majeures résultant du transport maritime d'hydrocarbures, après

71
lucratif, aux fins de réaliser des économies, sur l'entretien d'un navire ou sur la composition de son
équipage, l'armateur a toutes les "chances" de commettre ce type de faute.
Toutefois, le rôle de la faute inexcusable ne se cantonne pas à la déchéance du propriétaire
du navire de son droit de limiter sa responsabilité, mais elle touche en parallèle un autre aspect du
régime de la responsabilité pour dommage par pollution, celui de la règle d'une responsabilité
canalisée et exclusive223. Selon les dispositions du protocole de 1992 toute action aussi bien contre
les préposés ou mandataires du propriétaire que contre le pilote ou toute autre personne travaillant à
bord, tout affréteur, y compris un affréteur coque nue, tout armateur ou armateur gérant du navire,
tout assistant contractuel ou légal, toute personne prenant des mesures de sauvegarde et enfin tout
préposé ou mandataire des personnes ci-dessus énumérées est interdite (art. III 4)224.
Mais les immunités ainsi attribuées ne sont pas d'un caractère absolu. Car, la "faute
inexcusable" personnelle permet de mettre en jeu la responsabilité de l'armateur non propriétaire, de
l'affréteur, du capitaine ou autre préposé, enfin du pilote, de l'assistant ou de leurs préposés. Le
Protocole de 1992, s'il énonce, dans son article III. 4, qu'aucune demande en réparation du
dommage par pollution, fondée ou non sur ses dispositions, ne peut être intentée contre les-dits
armateur non propriétaire, affréteur, réserve en effet le cas où la personne en cause aurait commis
un fait ou une omission personnels, ayant les caractères d'une "faute inexcusable", - l'action en
responsabilité contre cette personne devenant alors possible225.
Une telle action, toutefois, une fois franchi le "barrage" de la faute inexcusable, ne pourra
être fondée que sur les dispositions du droit national approprié, non sur celles de la Convention de
1969/1992226. Ce texte ne concerne en effet que la responsabilité du seul propriétaire du navire. Il
n'institue aucune règle de responsabilité à l'encontre de l'armateur non propriétaire, affréteur,
capitaine du navire ou assistant. Si l'un d'entre eux a commis une "faute inexcusable", et que sa
responsabilité est susceptible d'être mise en cause, elle ne pourra l'être qu'à partir des règles d'un
droit national. Dans une hypothèse où c'est le droit français qui serait le "droit approprié", c'est sur
le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, voire sur celui de l'article 1384 qu'une action

l'Erika, le Prestige....l'impératif de responsabilisation », JGP G 2002, n0 51, p. 487 ; A. Vialard, « Responsabilité


limitée et indemnisation illimitée, la magie du droit maritime moderne », Liber Amicorum R. Roland, Brussel, 2003,
p. 571 et s.
223 M. Ndende, « L'accident de l'Erika . - Procédures d'indemnisation des victimes et enjeux judiciaires autour d'une
catastrophe pétrolière », RD transp., 2007, Étude 2.
224 Stipulation qui fait la différence entre le régime précédent de la Convention de 1969 et le régime actuel vu que dans
le régime précédent l'action à l'encontre des préposés de l'armateur non propriétaire restait ouverte.
225 En outre les textes n'empêchent pas que les victimes se retournent contre la société de classification qui a commis
une faute dans le contrôle du navire ou contre le chantier naval ou l'assureur qui a accordé à un navire le certificat
d'assurance qui constitue une condition pour l'exploitation d'un pétrolier (l'assurance un pétrolier étant obligatoire)
ou à la limite contre l'État pour faute commise dans le contrôle du navire par exemple.
226 P. Bonassies, « Après l’Erika : les quatre niveaux de réparation des dommages résultant d’une pollution maritime
par hydrocarbures », préc., p. 140.

72
en responsabilité pourrait être intentée contre l'un des "acteurs protégés" par la Convention de
1969/1992, affréteur ou autre.
Or, il est désormais en droit français admis qu'en vertu des articles 1382 et 1384 du Code
civil la responsabilité du préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie
par le commettant ne peut être engagée à l'endroit des victimes qu'en cas de faute intentionnelle227.
Aussi, seul le dol et non la faute inexcusable peut-il mettre en jeu la responsabilité des préposés des
personnes citées ci-dessous dans la mesure où le droit français est applicable. Et la chose n'est,
comme le fait observer le professeur Pierre Bonassies228, pas en contradiction avec l'esprit de la
Convention 1969/1992 compte tenu que ce texte a pour intention de protéger le préposé, il crée pour
lui une vraie immunité. Au demeurant, cet objectif est déjà atteint par le droit français qui ne fait
que fortifier la protection du capitaine en exigeant sa faute intentionnelle pour son incrimination. En
d'autres termes, le droit français n'est pas en disharmonie avec les textes internationaux. En
revanche il satisfait à leurs impératifs d'une manière plus favorable pour les préposés et surtout le
capitaine, si bien que « la protection qu'ils assurent est devenue sans objet » (P. Bonassies et C.
Scapel, op.cit., n0 297, p. 201229).

227 Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, arrêt Costedoat : Juris-Data n° 2000-000650 et Cass. ass. plén., 14 déc. 200, arrêt
Cousin : Juris-Data n° 2001-012267.
228 P. Bonassies et C. Scapel, op.cit., n0 297, p. 201.
229 Or, ce principe semble être mis en cause par la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de
Cassation (Cass. crim., 28 mars 2006 : Juris-Data n° 2006-033184) et surtout par son arrêt Jean-Pierre Robert et
navire La Normande (Cass. Ch.crim. 13 mars 2007 – chalutier ''La Normande''-, DMF 2007, obs. P. Bonassies ;
DMF 2008, Hors série, obs P. Bonassies ; A. Vialard, « Les nouvelles frontières de la jurisprudence Costedoat »,
RCA 2007, étude 13) où la Chambre criminelle de la Cour de cassation refuse l’immunité reconnue aux préposés par
l’arrêt Costedoat à un capitaine « auteur d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal» .
Cet arrêt a occasionné les réserves de P. Bonassies : La décision nous paraît appeler les plus expresses réserves.
Tout d’abord, mais avec prudence car il s’agit d’un domaine – le droit pénal – qui ne nous est guère familier, nous
ne voyons pas ce qu’ajoute à la motivation de la décision l’utilisation du terme « qualifiée », appliqué à la faute de
l’article 121-3, alinéa 4 du Code pénal (...) Il est hautement souhaitable que l’Assemblée plénière confirme la
solution donnée par elle dans son arrêt Costedoat en l’étendant au capitaine ainsi que de A. Vialard : D'après la
nouvelle jurisprudence, le préposé « lambda » ne serait civilement responsable en cas de faute commise dans
l'exercice de ses fonctions que si cette faute est représentative d'une infraction pénale intentionnelle et condamnée
comme telle ; en revanche, le préposé « cadre d'entreprises », tel le capitaine du navire, tel le responsable hygiène
et sécurité, serait civilement responsable en cas de faute commise dans l'exercice de ses fonctions dès lors que cette
faute, même non intentionnelle, serait susceptible de recevoir le label de faute caractérisée au sens de l'article
121-3 du Code pénal et sanctionnée pénalement comme telle (...) Si, malgré tout, ce visa devait être considéré
comme un motif essentiel de la nouvelle jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation on pourrait
le prendre comme un coup de chapeau, sans doute involontaire, à l'antique splendeur de la fonction de capitaine.
Ce serait là une singulière revanche de l'histoire, puisque survivance de l'époque où le capitaine était seul maître à
bord après qui vous savez. Mais ce serait quasiment un anachronisme à l'heure où l'Europe s'attaque, au nom de la
liberté de circulation des travailleurs, à l'ultime monopole d'embarquement des capitaines français sur des navires
français , à l'heure où, comme nous le disions plus haut, un capitaine de navire n'a plus toujours le droit de tracer
sa route. Cette jurisprudence, alors, reconnaîtrait cette position isolée dans le groupe des préposés, à l'instant où
les raisons de cet isolement disparaîtraient. Bizarre loxodromie.

73
§ 2) La limitation de responsabilité du
propriétaire du navire transportant des
substances nocives et potentiellement
dangereuses (SNPD/HNS)230

Une convention qui n'est pas encore entrée en vigueur, mais qui contient un système de
responsabilité du propriétaire du navire tout à fait similaire à celui de la CLC, est la convention
internationale du 3 mai 1996 sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au
transport par mer des substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD), substances dont il
donne une liste limitative, mais qui inclut des substances très nombreuses, et notamment les
substances identifiées au Code IMDG.
Cette convention qui est plus connue sous l'acronyme HNS 1996 (International Convention
on Liability and Compensation for Damage in Connection with the carriage of Hazardous and
Noxious Substances by Sea) s’inscrit donc bien dans une certaine logique. Après l’adoption d’un
dispositif conventionnel sur la responsabilité et l’indemnisation des dommages liés au transport
maritime des hydrocarbures, la Communauté maritime internationale ne pouvait que s’intéresser
aux SNPD ignorées jusqu’alors en raison de leur spécificité. Le concept de responsabilité adoptée
par la Convention SNPD doit, à l'image de la CLC, sa cohérence à l’entremise du principe de
limitation de responsabilité autorisée par l’assurance et le principe de la responsabilité objective et
canalisée231.
La responsabilité est en effet rattachée au propriétaire du navire par une disposition très
proche de l'article 3 de la CLC232. Il s'agit d'une responsabilité de plein droit qui joue du seul fait
qu'un dommage de pollution est causée par une de ces substances.
La convention a d'ailleurs repris les mêmes dispositions sur la canalisation de responsabilité
que la CLC modifiée par le Protocole de 1992 et dès lors la responsabilité des personnes citées par
l'article 7§5 ne peut être engagée qu'en cas de faute inexcusable 233.
230 P. Bonassies, « Le projet de convention internationale sur la responsabilité pour dommages liés au transport par mer
des marchandises dangereuses ». IMTM. Annales 1991 p. 53 et s. ; Ph. Boisson, « La convention SNPD de 1996 et
l’indemnisation des dommages causés par le transport maritime de marchandises dangereuses », DMF 1996, p. 389.
231 K. Le Couviour, « La Convention SNPD quelques réflexions sur la dernière pièce du dispositif », DMF 1999, p.
587.
232 Art. 7§1 : « Except as provided in paragraphs 2 and 3, the owner at the time of an incident shall be liable for
damage caused by any hazardous and noxious substances in connection with their carriage by sea on board the
ship, provided that if an incident consists of a series of occurrences having the same origin the liability shall attach
to the owner at the time of the first of such occurrences »
233 Art. 7§5 : « Subject to paragraph 6, no claim for compensation for damage under this Convention or otherwise
may be made against: (a) the servants or agents of the owner or the members of the crew; (b) the pilot or any other
person who, without being a member of the crew, performs services for the ship; (c) any charterer (howsoever
described, including a bareboat charterer), manager or operator of the ship; (d) any person performing salvage
operations with the consent of the owner or on the instructions of a competent public authority; (e) any person

74
De même, la Convention prévoit une limitation de responsabilité dont le propriétaire est
dépourvu en cas de faute dolosive ou inexcusable, comme dans la CLC, amendée.
Toutefois, cette convention n'est pas encore entrée en vigueur. à défaut donc de régime de
responsabilité ad hoc, ou plutôt dans l'attente de l'entrée en application de la Convention SNPD, les
victimes d'un accident impliquant des marchandises dangereuses transportées par mer devront se
satisfaire des régimes traditionnels de limitation de responsabilité prévus par le droit maritime. Il
convient de soulever par la suite la question de savoir quel sera le régime de limitation qui va régir
la limitation de responsabilité de l'armateur.
C'est à l'aune de la législation en vigueur dans l'État où le navire est immatriculé que cette
question est aménagée. De fait, l'armateur pourra limiter sa responsabilité soir par l'intermédiaire de
la « Convention internationale pour l'unification de certaines règles concernant la limitation de
responsabilité des propriétaires des navires de mer du 25 aout 1924 », soit par l'intermédiaire de la
« Convention internationale sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires de mer
du 10 octobre 1957 », et le protocole du 21 décembre 1979, soit par l'intermédiaire de la
Convention internationale de Londres du 19 décembre 1976234.

§ 3) La limitation de responsabilité dans la


Convention de 2001 sur la pollution par les
soutes (Bunker Convention)235

Le 23 mars 2001, une nouvelle convention a été adoptée sous les auspices de l'OMI 236 dans
le domaine de la responsabilité pour pollution par hydrocarbures et plus précisément sur la
responsabilité pour dommages de pollution causés par les hydrocarbures de soute des navires. Cette
convention n'est pas encore entrée en application mais sa mise en chantier ne va pas tarder. Elle
entrera en effet en vigueur le 21 novembre 2008 (V. www.imo.org) après sa ratification par la Sierra
Leone.
Il s'agit de l'International Convention on Civil Liability for Bunker Oil Pollution Damage

taking preventive measures; and (f) the servants or agents of persons mentioned in (c), (d) and (e); unless the
damage resulted from their personal act or omission, committed with the intent to cause such damage, or recklessly
and with knowledge that such damage would probably result ».
234 K. Le Couviour, op.cit., préf. A. Vialard, PUF, 2007, n0 447, p. 183.
235 Ph. Boisson, « L’OMI adopte une nouvelle convention pour indemniser les dommages dus à la pollution par les
soutes », DMF 2001, p. 659.
236 Ph. Delebecque, « ARMATEUR. Responsabilité. Dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute.
Projet de convention OMI », RTD Com. 2001, p. 1049.

75
(BC), rédigée, elle aussi, sur le modèle de la CLC de 1969. Elle retient en effet le système d'une
responsabilité de plein droit du propriétaire du navire pour les dommages de pollution causés par les
soutes de son navire mais cette responsabilité, à l'opposé de ce qu'il vaut en CLC, n'est en rien
canalisée237.
S'agissant de la limitation de responsabilité pour les dommages dus à la pollution par les
soutes, il importe de mettre l'accent sur l’article 6 de la Convention qui accorde au propriétaire le
droit de limiter sa responsabilité mais « en vertu de tout régime national ou international
applicable, tel que la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de
238
créances maritimes ». La référence à la convention LLMC n’est tout de même pas limitative:
d’autres régimes internationaux de limitation sont possibles, comme celui de la convention de 1924
portant unification de certaines règles concernant la limitation de la responsabilité des propriétaires
de navires de mer ou encore celui de la convention de 1957 sur le même sujet. La faute inexcusable
n'intervient donc qu'en tant que cause de la déchéance de l'armateur de son droit de limitation et
uniquement dans la mesure où son droit tombe sous le coup de la convention de Londres de 1976.
Si l’on veut néanmoins permettre une indemnisation équitable des victimes, il est important
que les montants de limitation soient suffisamment élevés. C’est d'ailleurs la raison pour laquelle la
Conférence diplomatique a adopté une résolution demandant instamment à tous les États de ratifier
le Protocole de 1996 modifiant la convention LLMC239.

§ 4) La limitation de responsabilité pour


dommage nucléaire

Enfin une dernière discipline spécifique visant la responsabilité des exploitants des navires
nucléaires doit être mise en exergue.
Une convention a en effet été signée à Bruxelles le 25 mai 1962 relative à la responsabilité
des exploitants de navires nucléaires qui n'est par contre jamais entrée en vigueur mais dont les
dispositions ont inspiré le législateur français qui, par l'intermédiaire de la loi n0 65-965 du 12
novembre 1965 modifiée par une loi du 29 novembre et un décret du 5 janvier 1982 a adopté des

237 Par ailleurs la Convention retient l'assurance obligatoire de même que la possibilité d'une action directe contre
l'assureur.
238 Article 6 : « Nothing in this Convention shall affect the right of the shipowner and the person or persons providing
insurance or other financial security to limit liability under any applicable national or international regime, such as
the Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims, 19761, as amended. »
239 Ph. Boisson, op. cit., DMF 2001, p. 659.

76
principes proches de ceux de la Convention de 1962.
S'agissant du champ d'application de la convention, il convient de préciser que seuls sont
intéressés par la Convention, les bâtiments de mer à propulsion nucléaire ; le seul fait de transporter
des produits nucléaires ne fait pas tomber le navire sous l'empire de la Convention. Par ailleurs la
Convention ne distingue pas suivant l'affectation du navire ; aussi bien les navires de guerre que les
navires de commerce y sont soumis. Le régime institué présente des ressemblances avec les autres
régimes spécifiques de responsabilité, mais il présente à la fois des différences essentielles.
La Convention a en effet concentré la responsabilité sur l'exploitant et cette responsabilité
est en principe absolue, en ce sens que l'armateur ne peut pas se libérer en établissant que les
dommages sont tenus à la force majeure. En fait, ces principes sont contraires à la tradition
maritime et il ne faut pas dire que celle-ci est écartée parce que le risque nucléaire n'est pas un
risque maritime240. Il fallait donc prévoir une limitation de responsabilité. On s'est arrêtés à l'idée
que les exploitants peuvent limiter leur responsabilité par accident, indépendamment du nombre
des navires ou des réacteurs impliqués dans l'événement241.
Mais le plafond de limitation a été fixé à un niveau élevé. Il est dans la Convention de 1,5
milliard de francs-or a 65 milligrammes d'or (francs Poincaré), somme équivalent aujourd'hui à
environ 120 millions d'euros. La loi française de 1965 limite la responsabilité de l'exploitant à 500
millions de francs, soit environ 75 millions d'euros, mais prévoit que pour les navires français, la
réparation des dommages dépassant cette somme serait subsidiairement supportée par l'État. En
contrepartie de ce plafond élevé, aucun cas de déchéance du droit à limitation n'est établi par la
Convention ou la loi française, sauf bien sur le cas de faute volontaire de l'exploitant, eu égard aux
principes fondamentaux du droit français242.

240 R. Rodière et E. Du Pontavice, op.cit., n0 167, p.150.


241 I. Corbier, « Les créances non limitables », DMF 2002, p. 1038.
242 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n0 455, p. 306 ; M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 410, p. 232 ; A. Vialard, op.
cit., n0 168, p. 144 ; R. Rodière et E. Du Pontavice , op. cit., 12ème éd., 1997, n0 167, p. 150.

77
Section 3 : Le troisième paquet Erika et la
reforme de la faute inexcusable par la
directive relative à la responsabilité civile
et aux garanties financières des
propriétaires de navires243
Le 3ème Paquet de sécurité maritime fait suite à deux autres paquets de mesures adoptées
par l’Union Européenne à la suite de la catastrophe de l’Erika le 12 décembre 1999.
Le Paquet Erika I proposé par la Commission en mars 2000 et adopté par le Parlement
européen et le Conseil en décembre 2001 contient deux directives renforçant la législation existante
en matière de contrôle par l'État du port et de suivi des sociétés de classification et un règlement
accélérant le retrait progressif d’exploitation des pétroliers à simple coque. Ces mesures sont entrées
en application en juillet 2003.
Le Paquet Erika II proposé par la Commission en décembre 2000 a été mis en œuvre tout
aussi rapidement. Le règlement portant création d’une Agence Européenne de Sécurité Maritime
(EMSA) a été adopté par le Parlement et le Conseil en juin 2002 et est entré en vigueur aussitôt en
août 2002. La directive sur la mise en place d’un système de suivi et d’information du trafic
maritime adoptée également en 2002 est entrée en application en février 2005.
Ces deux paquets cherchent à corriger les lacunes les plus graves de la législation
communautaire en matière de sécurité maritime. Le 23 novembre 2006, la Commission a présenté
sept nouvelles propositions qui ont pour objectif de « compléter le dispositif européen de sécurité
maritime existant en renforçant l’efficacité des mesures existantes et en contribuant ainsi à la
compétitivité de la flotte européenne ».
« Le troisième paquet de sécurité maritime repose sur un ensemble cohérent de mesures
dont de nombreux éléments sont interdépendants. Ces propositions vont au-delà de la simple
réaction à un accident déterminé »244. Elles visent à réformer en profondeur les pratiques actuelles
du transport maritime et mettent en évidence le besoin d’une « politique européenne de la mer,
globale et cohérente, destinée à la création d’un espace européen de sécurité maritime » 245. « La
Commission entend, au travers du troisième paquet de sécurité maritime, proposer une politique
plus offensive, visant à rétablir de façon durable les conditions d’une concurrence saine pour les
opérateurs respectueux des règles internationales. Elle envisage parallèlement le renforcement du
243 Ch. Matera, Le paquet Erika III, Aix en Provence, 2006.
244 Ph. Boisson, « Trois mesures au cœur des débats sur le 3 e Paquet de sécurité maritime : indemnisation des
passagers, responsabilité de l’armateur et sociétés de classification », DMF 2007.
245 Résolution du Parlement européen en date du 27 avril 2004
(www.ec.europa.eu/transport/maritime/safety/2005_package_3).

78
droit maritime européen afin de prévenir de nouvelles catastrophes écologiques246».
Le troisième paquet “sécurité maritime” comporte 7 propositions articulées autour de deux
axes majeurs : 1) la prévention renforcée des accidents et des pollutions247 et 2) le traitement de la
suite des accidents.
En vue de cette deuxième ambition de l'Union Européenne, une nouvelle proposition de
directive vise à établir un cadre européen harmonisé pour la conduite des enquêtes après accidents
et à renforcer l’indépendance des organismes d’enquête modifiant les directives 1999/35/CE et
2002/59/CE (COM/2005/0590 final du 23/11/2005).
Parallèlement, les deux dernières propositions du paquet ont pour objectif d’améliorer la
qualité du cadre global de responsabilité et de réparation des dommages en cas d’accidents248. Il
s’agit d'une part d’incorporer en droit européen les dispositions de la Convention d’Athènes (2002)
afin de généraliser le régime protecteur - institué par cette Convention - à tous les passagers de
navires dans l’Union, y compris dans le trafic maritime intra européen et la navigation intérieure
(COM/2005/0592 final du 23/11/2005) . D'autre part, il est question de responsabiliser davantage
les propriétaires de navires afin d’assurer une meilleure prévention des dommages et de leur
imposer de souscrire une police d'assurance ou autre garantie financière pour dommages aux
tiers, couvrant également les frais de rapatriement de gens de mer en cas d’abandon
(COM/2005/0593 final du 23/11/2005).
Le but de cette dernière proposition de directive est donc d' inviter tous les États membres à
devenir parties contractantes à la Convention de Londres249 en vue de mettre en œuvre un minimum
de règles qui soient communes à tous les États membres en matière de responsabilité civile et
d’assurance des propriétaires de navires mais aussi toute personne responsable de l'exploitation d'un
navire : propriétaire immatriculé, gérant, affréteur coque nue, et de définir des règles qui permettent
à la fois de prévenir les accidents et de réparer les dommages (a), d'incorporer cette convention dans
le droit communautaire de sorte que la convention pourra être interprétée de manière uniforme à

246 G. Savary, « La Commission Transports du Parlement européen favorable à un durcissement du droit maritime de
l'Union européenne», www.gilles-savary.fr, 2007 ; communication de la Commission sur le troisième Paquet de
mesures législatives en faveur de la sécurité maritime dans l’Union européenne, en date du 23/11/2005
(www.ec.europa.eu/transport/maritime/safety/2005_package_3).
247 Par le truchement du renforcement des conditions d'octroi des pavillons européens, mesure que constitue le prélude
au développement futur d’un pavillon européen (COM/2005/0586 du 23/11/2005), de l'amélioration de la qualité du
travail des sociétés de classification par la mise en place d’un système de contrôle qualité indépendant et par
l’instauration de sanctions financières plus graduelles et proportionnées (COM/2005/0587 du 23/11/2005), du
contrôle des ports par les États notamment par le renforcement du régime du bannissement (COM/2005/0588 du
23/11/2005) et en définitive de la modification de la directive sur le suivi du trafic, dans l'intention d'améliorer le
cadre juridique concernant les lieux de refuge pour les navires en détresse (COM/2005/0589 du 23/11/2005).
248 C'est nous qui soulignons.
249 Proposition dont se félicite tant la doctrine que l'industrie maritime (V. la position des armateurs de France -
www.armateursdefrance.org – et celle de la Fédération Française des Sociétés des Assurances – www.ffsa.fr - ).

79
l’échelle de l’UE avec l’intervention de la CJCE (b), compléter250 le régime de la Convention de
Londres afin de mieux répondre aux intérêts des victimes d’accidents et des personnels de bord et
de contribuer à la lutte contre les navires sous-normes (système de garantie financière obligatoire
des propriétaires des navires de manière à couvrir leur responsabilité en cas de dommages aux tiers,
action directe de la victime contre le fournisseur de la garantie financière) (c)251.
Car les institutions communautaires (Commission et Parlement) ont estimé que la
Convention de Londres, telle que modernisée en 1996, présente aussi bien des avantages que des
inconvénients. Son avantage réside en ce qu'elle fixe des plafonds de responsabilité à des niveaux
suffisamment élevés pour que dans la plupart de cas de figure les victimes puissent être
convenablement dédommagées. C'est donc la raison pour la quelle, le Protocole de 1996 à la
Convention sur la limitation des créances maritimes devra être mise en œuvre à l’échelle de l’UE252.
En revanche « son inconvénient réside dans le fait que le principe de la limitation de
responsabilité est quasi absolu - le seuil au-delà duquel le propriétaire perd son droit à limiter sa
responsabilité étant quasi-infranchissable. Un seuil infranchissable, c'est un traitement de faveur
pour les armateurs au détriment des victimes lorsque les dommages subis sont supérieurs aux
plafonds. C'est aussi un traitement de faveur pour les mauvais armateurs au détriment des bons, à
partir du moment où un armateur qui ne fait pas attention à la qualité de ses navires doit avoir
nécessairement dépassé le seuil de la faute inexcusable, très difficile à prouver, pour être vraiment
responsabilisé253». Et c'est pour ça que la Commission demande un mandat pour lancer un processus
de révision de cette Convention à l’OMI, après consultations des partenaires concernés et une
analyse économique du secteur. L’idée est ici bien sûr d’augmenter sensiblement les niveaux de
limitation de la convention LLMC afin de garantir de meilleures indemnisations.
Il en émane que la proposition de directive comporte254 inévitablement certaines dispositions
qui affectent directement ou indirectement le contenu et la portée de la notion de faute inexcusable
de l'armateur en tant que cause d'exclusion du bénéfice de limitation de responsabilité 255. En effet la

250 C'est nous qui soulignons.


251 Des mesures fortes pour garantir la sécurité du transport maritime, Communiqué de presse,
(www.ec.europa.eu/transport/maritime/safety/2005_package_3). En effet, la la Commission cherche « à remettre en
cause, ce qu’elle appelle le « privilège de la responsabilité limitée » dont bénéficient les opérateurs.(...) La
Commission considère que ce privilège pour l’industrie maritime peut conduire à la déresponsabilisation des
opérateurs et que la justification d’un tel privilège doit être reconsidérée » (V. Ph. Boisson, préc.).
252 Et cette proposition a été bien accueillie par l’industrie maritime.
253 Ph. Boisson, préc.; Tel n'est bien sur pas le cas du droit français et de la jurisprudence française qui se prononce en
faveur d'une interprétation large de la faute inexcusable, acceptant par voie de conséquence facilement la déchéance
de l'armateur de la limitation de sa responsabilité.
254 Surtout que l'intention du Parlement européen est d'amender la proposition de la Commission sur cinq questions
dont la plupart sur la notion de faute exclusive de la limitation de responsabilité.
255 Osante Jose Manuel Martin, « Limitation of Liability in Spain and the Erika III Package », ADMO 2007, p. 273 et
s. ; Nesterowicz, (M-A) « Perspectives on Maritime Law : Security, Safety, Protection », ADMO 2007, p. 290.

80
Commission, soutenue dans une très grande mesure par le Parlement256, considérant que la faute
inexcusable permettant de faire sauter ces plafonds est très difficile à prouver, envisagent
l'élargissement de la notion de faute permettant de dépasser la limitation de responsabilité (§1)
ensuite le refus de l'application de la notion de la faute inexcusable aux navires battant pavillons
d'un État n'ayant pas ratifié la convention de Londrès (§2) et enfin la limitation du champ
d'application de la directive aux cas de responsabilité envers les tiers à l'opération de transport
(§3)257.
Nous allons examiner quels seront les effets de ces dispositions préconisées par les
institutions communautaires si la proposition de directive devient un texte engageant les États
membres ainsi que comment celles-ci ont été accueillies par le monde maritime258.

§ 1) Élargissement de la notion de faute


permettant de dépasser la limitation de
responsabilité

Le Parlement européen estime que « la définition dans la Convention LLMC de la faute de


nature à faire sauter le plafond de limitation de responsabilité (faute inexcusable) est interprétée de
manière contrastée par les juridictions des États Membres ». Certaines Cours continuent d'exiger,
pour admettre le déplafonnement de la limitation de responsabilité, que le plaignant apporte la
preuve que la personne responsable avait effectivement conscience des conséquences
dommageables de son comportement. Le responsable se voit alors accorder de fait un droit quasi-
absolu de limiter sa responsabilité. D'autres juges estiment que la gravité de l'acte ou de l'omission

256 Le Rapporteur est convaincu que « la proposition de la Commission va dans le sens d'une amélioration des
conditions de réparation des dommages pour les victimes d'incident ou d'accident maritime et d'un meilleur
traitement des marins. Il reste persuade cependant que les dommages les plus graves subis par les tiers ne seront
pas suffisamment couverts par les plafonds de responsabilité de la Convention LLMC et que les comportements les
plus graves et les plus négligents des responsables du transport maritimes ne sont pas suffisamment traites par la
Proposition, même si la plupart de ce acteurs sont des professionnels sérieux et soucieux de la prévention des
risques lies à leurs activités ».
257 Rapport du parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la
responsabilité civile et aux garanties financières des propriétaires de navires (www.europarl.europa.eu).
258 Avant d'aborder le contenu de ces dispositions, un bref rappel de la procédure de co-décision suivie jusqu'à
maintenant en vue de l'adoption de la directive relative à la responsabilité civile et aux garanties financières des
propriétaires de navires : la Commission a adopté le 23/11/2005 le texte la proposition de la directive. Cette
proposition a été transmise au Conseil et au Parlement européen. Ce dernier a, après avis du Comité des Régions et
du Comité économique et social européen, approuvé, le 29/03/2007, la proposition en première lecture avec 25
amendements dont 18 ont été admis par la Commission, 5 ont été admis partiellement ou sous réserves et 2 ont été
rejetés. La proposition modifiée de la Commission a été le 25/10/2007 ensuite retransmise au Parlement et au
Conseil des ministres qui est pour autant hostile à son adoption.

81
doit parfois conduire à présumer que leur auteur avait nécessairement conscience des conséquences
dommageables qui pouvaient en résulter (c'est le cas de la jurisprudence française).
Cette divergence d'interprétation doit être considérée « comme inadéquate au moment où les
principes de précaution et de "pollueur payeur" sont reconnus et mis en œuvre par le droit
communautaire et où la protection des citoyens contre les risques industriels est au cœur des
préoccupations de politique publique ». Cette situation n'est ni un encouragement à la vigilance et
au respect des normes internationales par les opérateurs du transport maritime, ni un traitement juste
des victimes tierces qui peuvent se voir lésées par une limitation de leur dédommagement alors
même que la personne responsable aurait agit dangereusement et sans se préoccuper des
conséquences dommageable de son action ("recklessness").
Il a été donc suggéré par le Parlement, le texte initial de la proposition de directive élaboré
par la Commission ne comportant pas de disposition analogue259, de faire prévaloir une
interprétation large de la notion de faute inexcusable260 afin de laisser au juge la possibilité de lever
le plafond de limitation de responsabilité lorsque les responsables auraient dû avoir conscience de la
probabilité d'un dommage s'ils avaient agi en bons professionnels.
« Le Parlement européen propose que l’Union européenne adopte une acception plus sévère
de la « faute inexcusable » que l’OMI, en épousant le concept des jurisprudences les plus récentes (
arrêt Heideberg - 31 mai 2005 - Cour d'Appel de Bordeaux) de « faute inexcusable objective », qui
vise à l’appréciation de la faute sur la base de son degré de gravité, plutôt que sur l'indémontrable
conscience des dommages graves qui pouvaient en résulter261».
Cette interprétation inscrite dans la directive permettrait alors de traiter les plus graves des
dommages de pollution subis par les tiers non parties à l'opération de transport ou aux dommages
environnementaux à la faune et la flore aquatique ou côtière (catastrophes chimiques). L'intégration
du texte en droit communautaire permettrait par ailleurs à la Cour de Justice de faire prévaloir cette
interprétation dans l'ensemble des États Membres.
Ce qui nous semble néanmoins peu cohérent dans le raisonnement du Parlement européen,
c'est que la proposition de la directive en cause fait expressément et directement référence à l'article
4 de la Convention de Londres. Or, la Convention de Londres est un texte de chef international,

259 Article 4§3 de la proposition de la Commission : « Les États membres déterminent le régime de responsabilité
civile des propriétaires de navires et s'assurent que le droit des propriétaires de navires de limiter leur
responsabilité est régi par toutes les dispositions de la convention de 1996 ».
260 Article 6§3 de la proposition de directive de la Commission, amendée (amendement n0 20) par le Parlement
Européen : « Pour l'application de l'article 4 de la convention de 1996, la conscience d'un dommage probable par
la personne responsable peut dans tous les cas être déduite de la nature et des circonstances mêmes de son fait ou
de son omission personnels commis témérairement ».
261 G. Savary, « Sécurité maritime : la responsabilité juridique face aux traditions maritimes », article paru sur le site
personnel du député européen de même que dans "L' Observateur de Bruxelles" – N°69. Il reste que l'arrêt de la CA
de Bordeaux a, comme P. Bonassies l'a fait remarquer, été censuré par la Cour de cassation.

82
adopté sous les auspices de l'OMI, et pas communautaire, dont l'objectif est d'unifier 262 un certain
domaine maritime de droit (celui de la limitation de responsabilité pour des créances maritimes) à
l'échelle mondiale263 et non pas communautaire. L'adoption d'un tel texte amènerait à perturber
l'ordre juridique international, compte tenu que l'intention du législateur international était, nous
l'avons déjà noté, de créer un droit de limitation incontournable. C'était pour ça qu'il a mis sur le
pied l'expression de l'article 4 comme cause de déchéance, pour assurer que l'armateur ne serait
privé du bénéfice de limitation que dans des hypothèses rares de comportements manifestement «
inexcusables »264.
Pour conclure, on constate que l'esprit et la lettre des deux textes (Convention de Londres et
Proposition de directive) sont essentiellement différents de façon à ce que l'adoption définitive de la
dernière par l'UE aura inévitablement pour corollaire la naissance des deux ordres juridiques (un
communautaire et un international) jouant en parallèle265 et rendant encore plus laborieux l'œuvre
des tribunaux qui seront appelés à appliquer et surtout à interpréter, pour la même institution, des
textes et des notions divergentes. Nous allons nous trouver devant la confusion la plus complète. En
outre, il est loisible qu'un isolationnisme juridique et commercial au détriment de l'Europe soit créé.
Il importe finalement de souligner que l'amendement proposé par le Parlement Européen au
sujet du contenu de la notion de faute inexcusable a soulevé les réserves de la Commission266 qui
énonce que « la description de la conduite supprimant le droit à la limitation (comportement à
partir duquel le propriétaire de navire perd son droit à limiter sa responsabilité) est incomplète et
doit donc être revisitée pour refléter de façon intégrale le dispositif de la directive, à savoir non
seulement l'article 6, paragraphe 3a (fondé sur la faute inexcusable), mais aussi l'article 6,
paragraphe 4 (fondé sur la négligence grave) ».

262 Massimiliano Rimaboschi, op. cit., p. 163 et s. et p. 211 et s.


263 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n0 10, p. 10 : « L'internationalisme du droit maritime découle de la nature des
choses (...) les réglementations maritimes ont tendu à s'harmoniser et à s'unifier dans une dialectique permanente
du national et de l'international ».
264 Ph. Boisson, préc. : « Il y a un risque de conflit entre droit européen et droit international qui peut devenir source
d’insécurité juridique et de distorsion de concurrence au détriment des armateurs français et européens ».
265 Définissant le champ d'application de la directive, l'article 3§1 prévoit que celle-ci s'applique : a) aux zones
maritimes sous juridiction des États membres, conformément au droit international; b) aux navires d'une jauge
brute égale ou supérieure à 300 tonneaux, à l'exception du régime de responsabilité prévu à l'article 6 qui
s'applique à tous les navires.
266 En effet, la Commission sur les 25 amendements adoptés en 1ère lecture par le Parlement européen, en retient 18
dans leur intégralité. Elle a également retenu, partiellement ou sous réserve de reformulation, 5 amendements parmi
lesquels celui qui porte sur la notion de faute inexcusable. Finalement, la Commission ne peut pas accepter 2 autres
amendements, et en particulier celui demandant la création d’un Fonds de solidarité destiné à couvrir les dommages
causés par un navire n'ayant souscrit aucune garantie financière.

83
§ 2) Refus de l'application de la notion de la
faute inexcusable aux navires battant pavillons
d'un État n'ayant pas ratifié la convention de
Londrès

La Commission dans le but d'induire les États membres à adhérer à la Convention de


Londres et de promouvoir une application plus large du droit international, propose de retirer le
bénéfice de la limitation de responsabilité, non pas en cas de faute inexcusable mais en cas de
négligence grave du propriétaire d'un navire battant pavillon d'un État qui n'a pas ratifié la
convention LLMC. Si l'objectif de cette disposition est plausible et crédible, ses conditions de mise
en place ont néanmoins été qualifiées par le député chargé du rapport sur la responsabilité civile des
propriétaires de navires, Gilles Savary, de contre-productives.
En effet le rapporteur souligne que « en mettant en œuvre la notion de négligence grave, et a
fortiori en la définissant ultérieurement, on introduit un nouveau concept qu'il sera très difficile de
distinguer de celui de faute inexcusable ("wilful misconduct"). Cette confusion dans l'application
des concepts de faute pourrait remettre en question les avancées jurisprudentielles déjà acquises
pour les affaires de responsabilité civile maritime traitée sur la base des Conventions de l'OMI
(CLC). On introduirait dès lors un élément de complexité dans le règlement des sinistres par les
juridictions concernées qui devront distinguer, parfois dans un même sinistre (collision), les notions
de négligence grave et de faute inexcusable alors même qu'une tendance se dessine dans certaines
juridictions pour assouplir le critère de la faute inexcusable, tendance qu'il est proposé d'appuyer
par un amendement à l'article 4267».
Par voie de conséquence, le rapporteur propose « de mettre en œuvre l'article 15, 2ème
phrase de la LLMC268 dans sa totalité en excluant tout simplement les personnes responsables de
dommages causés par un navire ne battant pas pavillon d'un État partie à la LLMC du bénéfice de

267 V. dans le même sens l'avis de la commission des affaires juridiques : « l'introduction de la négligence grave
comme critère à partir duquel la responsabilité du propriétaire d'un navire battant pavillon d'un État qui n'est pas
partie contractante à la convention de 1996 ne serait plus limité, doit être accueillie avec précaution. Bien que
l'intention de la Commission de remettre en cause le droit des propriétaires de navire à limiter leur responsabilité
soit louable, elle semble peu réaliste et surtout quelque peu contreproductive. Il est probable qu'un tel changement
soit porteur d'un plus grand nombre d'inconvénients que d'avantages et il ne devrait donc pas bénéficier d'un
accueil favorable ».
268 Article 15.1 de la CLC : « La présente Convention s’applique chaque fois qu’une personne mentionnée à l’article
premier cherche à limiter sa responsabilité devant le tribunal d’un État Partie, tente de faire libérer un navire ou
tout autre bien saisi ou de faire lever toute autre garantie fournie devant la juridiction dudit État. Néanmoins, tout
État Partie a le droit d’exclure totalement ou partiellement de l’application de la présente Convention toute
personne mentionnée à l’article premier qui n’a pas, au moment où les dispositions de la présente Convention sont
invoquées devant les tribunaux de cet État, sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l’un des
États Parties ou dont le navire à raison duquel elle invoque le droit de limiter sa responsabilité ou dont elle veut
obtenir la libération, ne bat pas, à la date ci-dessus prévue, le pavillon de l’un des États Parties ».

84
la limitation de responsabilité, laissant dès lors le soin au juge saisi d'appliquer ses règles de
responsabilité civile de droit commun. Sachant que cette exclusion ne vaudrait que pour les
dommages causés au tiers (non parties au transport), cela ne remettrait pas en cause les relations
juridiques et commerciales entre les participants à l'opération de transport269».
Toutefois, le Parlement européen dans sa position arrêtée en première lecture le 29 mars
2007 décide d'une part de maintenir la notion de négligence grave270 et il propose d'autre part, au
motif que « la notion de "négligence grave" est parfois interprétée de façon très différente dans les
États membres », d'insérer dans le texte de la directive une nouvelle disposition contenant une
définition de la « négligence grave » pour garantir son application dans la pratique. Ainsi, l'article 2
point 3bis271 de la proposition de directive du Parlement européen dispose que la négligence grave
doit être entendue « comme le comportement d'une personne qui fait preuve d'un manque de
diligence et d'attention inhabituel et à qui échappe ainsi ce qui aurait dû être en principe une
évidence pour quiconque dans cette situation ».
Cette proposition a été en outre saluée favorablement par la Commission qui accepte
l'amendement n010 du Parlement et elle se cantonne à demander une définition de la négligence
grave mieux cernée, tout en approuvant le concept et le rôle de cette nouvelle notion dans le régime
de limitation de responsabilité.
Cette nouvelle perspective communautaire de la notion de faute privative de la limitation de
responsabilité a été toutefois vivement critiquée aussi bien par la doctrine272 que par l’industrie

269 V. Le rapport d'information déposé auprès du Sénat par la Délégation de l'Assemblée Nationale sur le troisième
paquet de sécurité maritime, p. 100et s. (www.senat.fr).
270 Article 6§4 de la proposition de directive de la Commission, amendée par le Parlement Européen (qui reprend
l'article 4.3 de la proposition de la Commission) : « Conformément à l'article 15 de la convention de 1996, les États
membres s'assurent que l'article 4 de celle-ci concernant la suppression de la limitation de responsabilité n'est pas
d'application aux navires battant pavillon d'un État qui n'est pas partie contractante à la convention de 1996 . Dans
de tels cas, le régime de responsabilité civile mis en place par les États membres conformément à la présente
directive prévoit que le propriétaire de navire perd le droit de limiter sa responsabilité s'il est prouvé que le
dommage résulte de son fait ou de son omission personnels , commis avec l'intention de provoquer un tel dommage
ou commis par négligence grave ».
271 Amendement n0 10.
272 Ph. Delebecque, « Armateurs. Limitation de responsabilité. Protocole de 1996. Ratification », RTD Com. 2006, p.
944 : « (...) ce concept (de la diligence grave) est distinct de celui de faute personnelle inexcusable retenue par la
LLMC (...) la faute inexcusable ne s'assimile pas à la faute lourde : elle suppose en effet une témérité et une prise
délibérée de risques. C'est une faute qui se situe très haut dans la hiérarchie des fautes et qui se distingue ainsi de
la négligence, fût-elle grave (...) Le danger est que le principe même de la limitation de responsabilité soit remis en
cause à travers une notion très vague, à l'exemple de la négligence grave (...). Tant que la mer ne sera pas devenue
un milieu comme les autres, et dans la mesure où les investissements requis pour toute exploitation maritime ne
seront pas devenus secondaires, on ne voit pas ce qui pourrait remettre en cause ce principe de base. Sauf à vouloir
abattre le droit maritime et avec lui plus de vingt cinq siècles d'histoire. L' Union Européenne a mieux à faire que de
s'attaquer à un mécanisme essentiel du droit maritime : ne serait-il pas plus opportun d'agir pour la ratification des
conventions déjà adoptées, sur les produits dangereux (HNS), sur les soutes (Bunker Oil) ou encore sur l'enlèvement
des épaves ?) ». P. Bonassies embrasse ces objections (position exprimée lors d'une discussion au sujet du contenu
de la proposition de directive, dans le cadre de nos recherches).

85
maritime273. Par ailleurs, la proposition de directive, préconisée par la Commission et le Parlement
européen n'a pas le soutien du Conseil des ministres. Le Conseil a tenu le 07 Avril 2008 un débat
d'orientation public concernant la proposition de directive relative à la responsabilité civile et aux
garanties financières des propriétaires de navires. Au cours de ce débat, le Conseil tout en
réaffirmant que « il était fermement résolu à prendre les mesures nécessaires pour renforcer la
politique de sécurité maritime » (surtout la ratification et la mise en œuvre de la Convention de
1996 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes) et approuvant l'objectif
envisagé par la Commission de « contribuer à prévenir les dommages causés aux tiers par les
navires et de servir de manière efficace les intérêts des victimes d'accidents », précise que la
directive proposée ne représenterait pas le moyen le plus approprié d'atteindre cet objectif. Les
États membres ont déclaré que « une solution devrait être trouvée au niveau international (OMI), et
non sous la forme de la directive proposée par la Commission en ce qui concerne la responsabilité
civile, directive qui ne recueille pas le soutien d'une large majorité des États membres274».

§ 3) Limitation du champ d'application de la


directive aux cas de responsabilité envers les
tiers à l'opération de transport

Il est acquis qu'en vertu de la Convention de Londres, la limitation de responsabilité peut


être invoquée pour toute dette de responsabilité, qu'il s'agisse de responsabilité contractuelle ou
extracontractuelle275. Elle peut en d'autres termes être opposée tant au tiers propriétaire d'un navire

273 V. ainsi la position des armateurs de France : « Nous suggérons même que soient ratifié l’ensemble du corpus
juridique international élargissant le champ des dommages indemnisés mais contestons toute volonté de la
Commission de surenchère sur les dispositions internationales existantes Un déplafonnement de principe de la
responsabilité des armateurs même en cas de faute non intentionnelle, serait source d’insécurité juridique, de
difficultés d’assurance et donc de contentieux pour les armateurs. En effet, un armateur doit être assuré pour un
montant égal au double du plafond prévu pour LLMC 96 et les critères de déplafonnement sont mal définis (..) Le
régime de responsabilité civile doit rester régi par des conventions internationales dont la ratification et la mise en
œuvre relèvent des États (www.armateursdefrance.org) ».
274 Malgré ces désaccords, la présidence slovène s'est voulue optimiste : « je peux dire au nom de tous les États
membres que nous sommes favorables aux objectifs des deux directives, l'enjeu consiste donc à trouver l'équilibre
entre les mesures régionales et internationales », a déclaré à l'issue de la réunion M. Žerjav, le président du
Conseil de l'UE et ministre slovène des transports. Le commissaire européen aux Transports Jacques Barrot
semble quant à lui contrarié : « le Conseil semble ne pas encore avoir pris l'entière mesure des enjeux, et saisi la
nécessité de l'urgence à agir ». Il a ajouté que la Commission continuerait à travailler avec l'appui du Parlement
pour trouver des règles « de nature à assurer la qualité des pavillons des différents États membres et à garantir une
indemnisation non discriminatoire de toute victime d'accident maritime » (www.actu-environnement.com).
275 V. article 8 de la convention de Bruxelles du 25 aout 1924 : « Les dispositions de la présente convention ne
modifient ni les droits ni les obligations du transporteur tels qu’ils résultent de toute loi en vigueur en ce moment
relativement à la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer ».

86
abordé par le fait du navire en cause qu'à l'ayant droit de la marchandise endommagée, objet du
contrat de transport ou au voyageur lésé en raison d'un accident survenu à bord de navire 276. Dans
l'hypothèse de dettes de responsabilité contractuelle, la limitation de responsabilité de l'armateur
s'ajoute aux limitations contractuelles prévues par les textes régissant le contrat de transport
maritime de marchandises277 ou de passagers ou par les stipulations du contrat d'affrètement. Le
Parlement européen tend néanmoins à renverser ce principe de l'institution de la limitation de
responsabilité.
Ainsi il propose que « les dispositions communautaires complémentaires durcissant le
régime de limitation de la responsabilité ne s'appliquent qu'aux préjudices subis par les personnes
et les biens qui ne sont pas directement concernés par le voyage maritime ». Et il avance deux
arguments pour appuyer ce rétrécissement du champ d'application du texte : en premier lieu, « la
limitation de responsabilité telle qu'elle figure dans la LLMC doit être maintenue pour les parties
au contrat de transport ou les bénéficiaires directs du transport (chargeurs, propriétaires de la
marchandise...) dans le respect du principe attachés au risque de mer ». En second lieu, « ces
relations sont déjà couvertes par des règles internationales comme celles de la Haye-Visby, de
Hambourg, de la Convention d'Athènes..., et il serait inopportun de rajouter des dispositions qui
s'écartent trop des règles habituellement appliquées pour régler les mécanismes de responsabilité
entre les parties prenantes au transport maritime ».
C'est ainsi que l'article 2§3 de la proposition de directive dispose que la « responsabilité
civile", doit, aux fins de la convention de Londres, être entendue comme la responsabilité en vertu
de laquelle un tiers à l'opération de transport maritime à l'origine du dommage est titulaire d'une
créance soumise à limitation au titre de l'article 2 de ladite convention à l'exclusion des créances
couvertes par le règlement (CE) n°…/2007 du Parlement européen et du Conseil [sur la
responsabilité des transporteurs de passagers par mer et par voie navigable en cas d'accidents] ».
La limitation de responsabilité de l'armateur ne couvrira plus les créances de responsabilité

276 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n0 414, p. 270 ; M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 318, p. 232 ; A. Vialard, op.
cit., n0 156, p. 135 ; R. Rodière et E. Du Pontavice , op. cit., 12ème éd., 1997, n0 147, p. 122.
277 V. ainsi un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui a admis que « les deux limitations sont cumulatives mais
pas exclusives l’une de l’autre ; un armement ayant la double qualité de transporteur et d'affréteur peut
ultérieurement à sa condamnation comme transporteur se prévaloir de celle de l'affréteur » (Aix-en-Provence, 31
oct. 1988, navire ''King Lear'', DMF 1989, p. 708, obs. V. Guérin et P. Riotte). V. a contrario CA Paris, 31 octobre
1984, DMF, 1985, p. 668, obs. critiquant de P. Bonassies : l'arrêt de la CA d'appel de Rouen méconnait tant le
mécanisme fondamental de la limitation, que les dispositions des textes et apparaît empreinte d'une
méconnaissance grave des règles du droit positif.. V. finalement, CA Paris, 17 oct. 2007, navire ''Alemania'',
obs. Ol. Cachard, DMF 2008 ; V. également, R. Rodière et E. Du Pontavice , op. cit., 12ème éd., 1997, n0 155, p. 132
: « depuis la reforme de 1841, on n' hésitait plus à faire jouer l'article 216 pour les dettes d' origine contractuelle
comme pour les dettes d'origine délictuelle (...) Ce sont deux institutions tout à fait différente, encore que l'une et
l'autre concourent à alléger la charge financière des armateurs (...) La première opère (celle de la limitation de
l'armateur) en bloc pour les dettes nées d'un même événement alors que la deuxième opère individuellement pour
chaque accident matériel ou corporel ».

87
contractuelle, d'où le raccourcissement du champ d'application de la notion de faute inexcusable qui
se réduit uniquement aux hypothèses de déchéance de l'armateur de son droit de limiter sa
responsabilité extracontractuelle.
Il reste que le cocontractant du transporteur, victime de l'inexécution du contrat de transport,
pour faire sauter les plafonds de limitation instaurés par les textes réglementant le contrat de
transport aura à prouver la faute inexcusable du transporteur. Mais, il convient de s'interroger si la
notion de faute inexcusable du transporteur a la même portée que la faute inexcusable de l'armateur.
Encore, dans l'hypothèse où l'armateur du navire est à la fois transporteur, lié donc par des relations
contractuelles, existe-il des différences entre les deux notions ? La faute inexcusable du transporteur
se distingue essentiellement de la faute inexcusable de l'armateur et inversement ?
Nous allons essayer de répondre à cette question dans la deuxième partie de notre étude.

88
DEUXIEME PARTIE : LA
MISE EN PLACE DE LA
FAUTE INEXCUSABLE ET
SES CONSEQUENCES

Cette deuxième partie de notre étude sera entièrement consacrée à ce que le Professeur
Pierre Bonassies avait appelé « la limitation de responsabilité de l'armateur face à la faute
inexcusable ». Nous allons dès lors examiner en premier lieu comment la jurisprudence française
conçoit le concept de l'article 4 de la Convention de Londres, intitulé conduite supprimant la
limitation, c'est à dire la faute inexcusable de l'armateur. Ensuite nous allons analyser l'impact de
cette conception de la faute inexcusable sur le droit à limitation de l'armateur et finalement nous
allons s'interroger si cette conception est tenable sous l'éclairage notamment de la modestie des
montants de limitation et des dispositions du Code ISM (Chapitre 1).
En deuxième lieu nous allons étudier comment le rôle de la faute inexcusable dans
l'institution de la limitation de responsabilité se concrétise par l'entremise de la procédure de la
limitation et ensuite nous allons de scruter les effets que l'admission de la faute inexcusable a sur les
droits de l'armateur (Chapitre 2).

89
CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION
JURISPRUNDENTIELLE DE LA
FAUTE INEXCUSABLE DE
L'ARMATEUR ET SES
INCIDENCES SUR
L'INSTITUTION DE LA
LIMITATION DE
RESPONSABILITE
La Convention de 1976 était constamment présentée, pour le moins dans les ambitions des
ses rédacteurs comme un texte de transaction : les armateurs ont accepté une augmentation des
plafonds de limitation en contrepartie de la règle de l'article 4 de la cause de déchéance du droit à
limitation qui témoignait intention de créer un droit de limitation incassable1. Telle ne semble pas
être la volonté de la jurisprudence française qui, pour traduire la périphrase de l'article 4, adopte le
concept de la faute inexcusable et elle s'oriente, en opérant un rapprochement avec sa vieille
jurisprudence en droit du travail et sa jurisprudence récente en droit des transports, vers une
interprétation ouverte de celle-ci, d'où la rigueur à l'égard de l'armateur. Pour les tribunaux français,
la notion de faute inexcusable n’est en rien une barrière infranchissable, elle n’est en rien «
unbreakable ».
La sévérité, ici manifeste, de la jurisprudence paraît s’exprimer par l'entremise des éléments
qui composent la notion de la faute inexcusable. C'est donc pour ça qu'il convient de nous attacher à
l'analyse de ces éléments de la faute inexcusable (Section 1), avant de nous pencher sur les
interférences du concept français de la cause de déchéance du droit à limitation sur l'institution
traditionnelle de la limitation de responsabilité de l'armateur de même que sur la question de savoir
si ce concept est tenable (Section 2).

1 E. Somers, « Effects of ISM on the Limitation of Liability : the End or a New Beggining, International Maritime
Conference on International Safety Management Code (ISM) and Maritime Competition », D. eur. Transp. 1999, p.
38 : « Under the LLMC '76 Convention breaking limitation is much harder task in exchange for which shipowners
acepted much higher limits of liability (...) The degree of proof is substantially higher under the LLMC Convention.
Cases of intentional loss will be rare and claimants must show recklesness which is more than carelessness. This
makes extremely difficult to break limitation ».

90
Section 1 : Les éléments de la faute
inexcusable de l'armateur

La faute inexcusable de l'armateur se définit dans l'article 4 de la Convention de Londres sur


la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, repris en termes identiques par
l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967, comme tout fait ou toute omission personnels commis
témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.
Il résulte de cette définition textuelle que la notion de faute inexcusable se compose de trois
éléments. Trois sont les caractéristiques qui doivent se réunir pour déboucher sur la qualification du
comportement de l'armateur de faute inexcusable. Il faut tout d'abord un acte ou une omission
fautifs, à savoir la violation d'une obligation (appartenant à l'armateur) ou d'un devoir qui n'est pas
justifiée par une cause de non imputabilité et qui est à l'origine du dommage (§1). Ensuite le fait ou
l'omission qui se trouve à l'origine du dommage doit être attribuable personnellement à l'armateur
(§2) et enfin il faut que le dommage causé par le fait ou l'omission personnels de l'armateur soit
commis témérairement mais avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement2
(§3), élément qui permet au juge de mesurer la gravité de la carence de l'armateur et l'intensité de sa
faute3.

§ 1) Le caractère fautif du comportement de


l'armateur

Le premier élément que met en jeu la notion de faute inexcusable, c'est le caractère fautif du
comportement de l'armateur. La faute inexcusable est avant tout une faute. Et pour caractériser une
faute, il est tout d'abord nécessaire d'établir la violation d'une obligation juridique. « La faute est un
manquement à une obligation préexistante » ainsi que l'avait affirmé M. Planiol4. Cette définition
permet de faire un rapprochement entre la faute contractuelle et la faute délictuelle. Ce
2 C'est nous qui soulignons.
3 V. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 280 n o 428 et s. et « La faute inexcusable de l’armateur en droit français »,
préc., p. 75 et s. ; D. Christodoulou, « L'impact du Code ISM sur la règle de la limitation de responsabilité et en
particulier sur les conditions pour une indemnisation complète du dommage éprouvé », Quatrième conférence du
droit maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et
international.
4 V. A. Seriaux, Droit des obligations, PUF, 2e éd., 1998 : « le fait personnel, la faute n'est pas défini par la loi et il
appartient à l'interprète de le faire (...) Malgré les incertitudes qui planent sur la notion de faute, on peut la cerner
en distinguant entre deux éléments , l'un objectif et l'autre subjectif. L'élément objectif est le fait illicite alors que
l'élément subjectif est l'imputablité à son auteur, imputablité qui suppose la conscience et la liberté de ses actes ».

91
rapprochement est nécessaire pour mieux circonscrire la faute inexcusable de l'armateur, la
limitation de sa responsabilité, couvrant toutes dettes de responsabilité, aussi bien délictuelle que
contractuelle, lorsque l'armateur est engagé par des relations contractuelles de transport de
marchandises, de passagers ou d'affrètement de navire5.
La faute contractuelle réside dans l'inexécution d'une obligation née d'un contrat ou se
rattachant à un contrat. La faute délictuelle réside dans l'inexécution d'une obligation qui trouve sa
source en dehors du contrat : la loi, le règlement, l'usage, la coutume. Dès lors pour déterminer la
faute de l'armateur, il faut rechercher quelles sont ses obligations et ses devoirs auxquels il doit
obtempérer. Ceux-ci peuvent être inspirés par certains textes ou être exprimés par la société (ici, la
communauté maritime), pour les besoins de celle-ci ou résulter des principes généraux.
L'étude de la jurisprudence française témoigne que la faute de l'armateur s'entend presque
exclusivement d'un manquement à une obligation fondamentale de celui-ci : mettre le navire en
bon état de navigabilité6, à savoir faire circuler un navire apte à affronter les périls de mer,
convenablement armé par un capitaine et un équipage compétent et dont les agrès et les apparaux
sont en bon état de fonctionnement7. Cette obligation comme l'a remarqué professeur Martine
Rémond Gouilloud8 incombe au premier chef à l’armateur ; Le respect de cette obligation est la
base même de son métier (« paramount obligation », disent les juges américains)9. S’il n’y satisfait
pas, il ne pourra se prévaloir d’aucune exonération, ni limitation 10. Et parce qu'elle est fondamentale
cette obligation est imposée à l'armateur en personne, lequel doit lui-même veiller à son respect11.
L'innavigabilité du navire est dès lors la plus grave des fautes12 qu'un armateur puisse
commettre en laissant naviguer un bâtiment qui n'est plus apte à tenir la mer13. D'ailleurs selon la
Cour de cassation constitue une faute inexcusable de l'armateur, la réparation de fortune effectuée
5 Ph. Delebecque et F-J. Pansier, Droit des obligations, Litec, 3ème éd., 2006, n0 81 et s., p. 55.
6 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », Mélanges P.
Bonnassies, éd Moreux, 2001, p. 103 et s. ; P. Bonassies, « La faute inexcusable de l’armateur en droit français »,
préc., p. 75 et s. ; R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., 12ème éd.,1997, n 0 156, p. 133. V. aussi, K. Le Couviour,
op. cit., n0 1319, p. 492.
7 P. Bonassies et C. Scapel, op. cit., n0 373, p. 249 : la navigabilité du navire est une notion très large, qui inclut non
seulement le défaut du navire mais également l'insuffisance de la documentation qui est à bord ou l'incompétence de
l'équipage.
8 Cette obligation est au reste consacrée par les textes régissant le régime contractuel de responsabilité de l'armateur,
lorsque celui-ci intervient en tant que transporteur de marchandises ou de passagers ou en tant que fréteur soit au
voyage, soit à temps.
9 Dans le contrat d'affrètement l'obligation de navigabilité constitue l'obligation principale du fréteur ; dans celui de
transport elle ne représente qu'un moyen pour le transporteur d'assurer ce qui est la fin du contrat, à savoir
l'obligation de déplacer la marchandise. Toutefois dans un cas comme dans l'autre, c'est la diligence de l'armateur
qui est appréciée.
10 M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 318, p. 232
11 Il reste que législateur tout en plaçant au cœur de ses préoccupations n'a pas jugé utile d'en donner une définition.
12 « Laisser un navire prendre la mer avec des insuffisances graves est une faute inexcusable » (M. Ndende,
www.proces-erika.org.)
13 M.-B. Crescenzo-d'Auriac, Transport maritime, responsabilité du transporteur maritime de passagers et des
organisateurs de croisières, J-Cl Responsabilité civile et Assurances, 2006, Fasc. 465-30, n0 44.

92
sur un navire ayant subi d'importants dommages, réparation insuffisante pour assurer sa navigabilité
puisque des pompes fonctionnant à l'électricité devaient être employées sans cesse à bord pour
refouler l'eau ; la panne de courant entraîna inéluctablement le naufrage du navire14. Et on retrouve
ce manquement à l'obligation de mettre le navire en bon état de navigabilité dans plusieurs
décisions des juridictions françaises.
Utiliser une drague à sec suppose un système d'ancrage adapté ; commet une faute
inexcusable personnelle l'armateur qui effectue une telle opération en sachant l'inadaptation de son
engin et qui s'abstient de donner des consignes d'organisation de travail et de sécurité au capitaine15.
En revanche, des défaillances mécaniques du navire, des incidents isolés affectant un organe du
navire16, des dysfonctionnements et des fautes d’appareillage de l’équipage17 ou de fausses
manœuvres, s'avérant seule à l'origine de l'abordage ne suffisent pas à établir la faute inexcusable18,
d'autant plus qu'il est constaté que les navires étaient bien entretenus et en état de navigabilité.
Aussi bien, l'insuffisance de l'équipage et l'irrégularité dans sa composition formelle
peuvent concourir à la reconnaissance par les juges d'une faute inexcusable personnelle de
l'armateur19 ; de même le fait que l'armateur n'ait pas contrôlé une opération de maintenance
essentielle à la sécurité du navire (décrassement du filtre du générateur) et n'ait pas donné au bord
des instructions strictes sur l'utilisation des équipements électriques20. Il est néanmoins à noter que
ces deux derniers arrêts ont été cassés pour avoir méconnu le principe de contradiction le premier, la
14 Cass. com., 5 janv. 1999, navire "Irrintzina" : DMF 1999, p. 312, rapport J.-P. Rémery, obs. P. Latron : RGDA
1999, p. 469, obs. P. Latron.
15 CA Caen, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, « Notion de faute
inexcusable de l’armateur » ; RTD Com. 2002, p. 210, obs. Ph. Delebecque et Gaz. Pal., 2002, p. 20.
16 CA Aix-en-Provence, 5 nov. 1998, navire "Zulu Sea" : DMF 2002, p. 125, obs. P. Simon, B. Coste.
17 CA Aix-en-Provence, 8 juin 2000, navire "Moldavia " : DMF 2002, p. 132, obs. P. Simon, B. Coste.
18 Cass. Com., 2 nov. 2005 : navires ''Txarrena et Eros'' DMF 2006, p. 43, obs. M. Rémond-Gouilloud ; Rev. Scapel
2005, p. 164; DMF 2006 Hors série, obs. P. Bonassies
19 T. com. Bordeaux, navire "Heidberg", 27 sept. 1993, DMF 1993, p. 731, obs. A. Vialard, « L’affaire Heidberg :
Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes
», obs. T. Clemens-Jones « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? » et Hors série, DMF 1994, p. 23, obs.
P. Bonassies - CA Bordeaux, 31 mai 2005, navire "Heidberg", DMF 2005, p. 841, obs. A. Vialard, « Faute
inexcusable de l'armateur, la marée monte, inexorable » : « même parfaitement réglementaire, un équipage peut,
aux regards des impératifs de la sécurité maritime, être jugé insuffisant car, selon le régime de travail imposé et
selon le degré de cohésion d’un équipage plus ou moins disparate, ce qui est conforme aux impératifs de sécurité
maritime dans le cadre d’une navigation « pépère » devient insuffisant lorsque les conditions de navigation se
compliquent » et Hors série, DMF 2005, obs. P. Bonassies; V. aussi le jugement rendu le 3 septembre 1990 par le
Tribunal de grande instance de Cherbourg dans l’affaire du navire ''Kini-Karsten'' où les juges ont considéré que
l’effectif réglementaire fixé par la législation allemande n’avait pas été respecté compte tenu que des irrégularités
avaient été relevées à l’encontre de l’armateur quant à la composition de l’équipage (P. Bonassies « Problèmes et
avenir de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et le droit positif français en 1993) ; V. finalement, CA Caen,
cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies « Notion de faute
inexcusable de l’armateur » et RTD Com. 2002, p.210, obs. Ph. Delebecque. V. enfin CA Douai, 17 oct. 2002,
navire ''Vasya Korobko'' : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard où les juges du fond pour justifier le droit de
l'armateur à la limiter sa responsabilité mettent en évidence qu'aucune faute inexcusable dans la sélection ou la
formation des membres de son équipage ou de son capitaine ne peut être imputée à l'armateur.
20 CA Aix-en-Provence, 10 oct. 2001, navire "Multitank Arcadia" : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code
ISM et la limitation de responsabilité de l’armateur ».

93
Cour d'appel de Bordeaux (affaire ''Heidberg'') ayant statué par un moyen relevé d'office sans
inviter au préalable les parties à présenter leurs observations21, pour manque de base légale le
deuxième, les motifs de la Cour d'Aix (affaire ''Multitank Arcadia'') étant "insuffisants" pour
établir la faute inexcusable de l'armateur et du capitaine, ce qui justifie un complément
d'instruction22. Ces faits n'établissent en effet pas une action téméraire accomplie avec conscience
qu'un dommage en résulterait probablement.
En poursuivant ce raisonnement, la question s’est posée de savoir si l’armateur ne pourrait
pas être responsable personnellement des fautes commises par ses préposés dès lors que ces fautes
trop graves traduisent l’incapacité de l’équipage à faire naviguer le navire en toute sécurité d'où la
vigilance insuffisante du commettant dans le choix de son personnel ou dans ses instructions
qu'il leur a données23. Dans un arrêt du 20 mai 1997 (affaire ''Johanna Hendrika'')24, la Chambre
commerciale de la Cour de cassation a répondu par la négative en refusant d’assimiler la faute
inexcusable du capitaine à celle de l’armateur: ne donne pas de base légale à sa décision la Cour
d’appel de Rouen qui, pour refuser à l’armateur d’une drague le bénéfice de limitation de sa
responsabilité, retient une faute du capitaine de la drague à l’origine de l’abordage, sans dire en
quoi cette faute constituait la faute personnelle inexcusable de l’armateur lui-même. La faute de
l'armateur doit être prouvée. Faute de preuve, la présomption de faute de l'armateur allait à
l'encontre de la loi.
Dans la même logique, la Cour suprême dans l'affaire du navire ''Laura'' a refusé d'accepter
la faute inexcusable de l'armateur au motif que « l'origine de l'accident tenait à l'absence de
signalisation d'un ensablement du chenal et à des manœuvres inadaptées à la situation provoquée
par l'accélération du courant qui en est résulté » et que « l'expérience du pilote fluvial choisi par le
propriétaire lui permettait d'exercer son office et que ses notions d'allemand lui permettaient de
communiquer normalement avec le capitaine ». En d'autres termes, la Cour de cassation observe
que, s'agissant du pilote dont l'armateur répond et dont l'activité entre dans sa sphère de diligence,
toute faute inexcusable de l'armateur est exclue si son choix a porté sur une personne expérimentée
et apte à accomplir les services demandés25.
21 Cass.com., 30 oct. 2007, navire "Heidberg", RD Transp. Comm. 11, obs. M. Ndende.
22 Cass. com., 8 oct. 2003 : navire "Multitank Arcadia" : DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle
disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation par le juge de la faute inexcusable » ; Hors serie, DMF 2004,
obs. P. Bonassies, RTD Com.2004, p. 391, obs., Ph. Delebecque.
23 I.Corbier, Armateur, Rep. Com., Dalloz, 2002, n0 21.
24 Cass. com., 20mai 1997, navire "Johanna Hendrika", DMF 1997, p. 976 obs. P. Bonassies ; RGDA 1997, p.878,
obs. P. Latron et Petites affiches, 1997, n0 66.
25 Cass. com. 4 Oct. 2005, navire ''Laura'', DMF 2006, p. 118, rapport G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque. V.
aussi dans le même sens CA Douai, 17 oct. 2002, navire ''Vasya Korobko'' : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard, -
la faute du capitaine ayant contribué à la survenance de l'abordage n'est pas attribuée à l'armateur - et CA
Montpellier, 11 nov. 2003, navire ''L'Inglais'', DMF 2005, p. 708, obs. I. Corbier, « Faute inexcusable, notion a
facettes multiples ».

94
Néanmoins, c'est autrement que s'est prononcée la Cour d'appel de Montpellier qui dans son
arrêt ''Brescou'' a conclut à la déchéance du syndicat des pilotes (propriétaire du navire) de son
droit de limitation de sa responsabilité au motif que celui-ci en retenant à son poste le pilote dont les
défaillances, connues de lui, rendaient prévisibles le dommage et en lui confiant la manœuvre d’une
pilotine dépourvue des équipements de veille visuelle, a commis une double faute inexcusable, celle
de ne pas avoir apporté à son navire les soins diligents que l’on peut attendre d’un armateur
soigneux et celle d’avoir manqué de discernement dans le choix de son préposé26.
En mettant son navire en état de naviguer et en le dotant d’un équipage, l’armateur remplit
dès lors les deux obligations fondamentales de sa fonction. Pour autant, il n’est pas certain d’être
autorisé à limiter sa responsabilité. À l’armement du navire, obligation traditionnelle de l’armateur,
la jurisprudence tend à substituer une autre obligation fondamentale : la sécurité maritime qui se
traduit, d’une part, par la sécurité du navire lui-même et, d’autre part, par les instructions et
consignes données à l’équipage et au capitaine pour assurer ladite sécurité27.
S'agissant de l'obligation de sécurité, l'aspect le plus remarquable de la jurisprudence
récente est la place que tendent à y jouer les dispositions du code ISM, le Code international de la
sécurité de la navigation. En effet les articles 728 et 829, impose aux armateurs, entre autres
obligations, l'obligation d'établir des consignes (parfois qualifiées de plans) relatives notamment à la
sécurité du navire, expression qu'il faut certainement entendre comme concernant non seulement la
sécurité propre du navire, mais aussi la sécurité due par les navires aux tiers. Dans deux arrêts
récents, le manquement de l'armateur à cette obligation a été considéré comme entrainant faute
inexcusable. Il en a été ainsi dans un arrêt de la Cour d'appel de Caen (cour de renvoi) du 2 octobre
2001 (affaire Johanna Hendrika) où les juges du fond ont reproché à l'armateur, comme
constituant une faute inexcusable, le fait de ne pas avoir établi des consignes de sécurité, prévoyant
les mesures à prendre lorsque la drague, du fait de la marée reposait à sec sur le fond du port 30. Dans

26 CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire ''Brescou'' : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable, notion
à facettes multiples », et DMF 2006, Hors série, Le droit positif français, obs. P. Bonassies.
27 I. Corbier, Armateur, Rep. Com., Dalloz, 2002, n0 22 ; « The notion of faute inexcusable », article publié sur le site
personnel de l'auteur (www.isabellecorbier.com), « La notion de faute inexcusable et le principe de limitation de
responsabilité » : mélanges P. Bonassies, éd. Moreux, 2001, p. 103 et s. ; La faute inexcusable de l'armateur ou du
droit de l'armateur à limiter sa responsabilité : DMF 2002, p. 403 ; A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute
inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579.
28 Article 7-DEVELOPMENT OF PLANS FOR SHIPBOARD OPERATIONS : The Company should establish
procedures for the preparation of plans and instructions, including checklists as appropriate, for key shipboard
operations concerning the safety of the ship and the prevention of pollution. The various tasks involved should be
defined and assigned to qualified personnel.
29 Article 8 -EMERGENCY PREPAREDNESS : 8.1 The Company should establish procedures to identify, describe
and respond to potential emergency shipboard situations. 8.2 The Company should establish programmes for drills
and exercises to prepare for emergency actions. 8.3 The safety management system should provide for measures
ensuring that the Company's organization can respond at any time to hazards, accidents and emergency situations
involving its ships.
30 CA Caen, cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, «

95
l'affaire du ''Multitank Arcadia'', évoquée ci-dessus, l'armement, dit la Cour d'Aix en Provence,
aurait du donner instruction permanente au bord de faire démarrer les équipements électriques. Il ne
l'avait pas fait. Il y a avait faute inexcusable31. Cet arrêt de la Cour d'appel de Montpellier a été
néanmoins cassé pour manque de base légale32.
Une dernière difficulté tient à la question de savoir si la qualification de l'attitude reprochée
peut résulter d'événements postérieurs au dommage. La réponse négative s'impose, sauf à observer
qu'une succession de faits entraînera fréquemment une succession de dommages33. Le cas posé par
l'arrêt navires ''Txarrena et Eros'' est exemplaire34. Une erreur de manœuvre conduit à un abordage
malgré lequel l'un des navires poursuit sa route sans autre forme de procès. Le capitaine qui ne
s'arrête pas a-t-il commis une faute inexcusable ?
Pour la Cour d'appel de Pau, la fausse manœuvre, s'avérant seule à l'origine de l'abordage,
fait générateur du dommage, il n'y avait pas lieu de s'arrêter à la fuite du chalutier abordeur,
conduite assurément inexcusable, mais postérieure, sans rapport avec le fait générateur. Et cette
fausse manœuvre ne pouvait pas être imputée à une faute inexcusable propre à entraîner la
déchéance du bénéfice du fonds de limitation.
Mais ne s'agissant pas ici d'abordage, mais de limitation de responsabilité, l'appréciation de
la faute intéressait, non les circonstances de l'évènement dommageable, mais le comportement de
son auteur35. Si l'erreur de manœuvre en elle-même paraît difficilement recevoir cette qualification,
la fuite l'admettra relativement facilement si celle-ci cause un dommage particulier que la présence
du navire resté sur les lieux aurait permis d'éviter. Et tel est le point de vue de la Cour de cassation
qui a, censurant la décision de la Cour d'appel de Pau, statué que « en déclarant le fond de limitation
de responsabilité opposable sans s'expliquer sur l'attitude du capitaine du navire abordeur qui,
postérieurement à la collision, avait poursuivi sa route sans se préoccuper des avaries occasionnées,
la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ». Ainsi, pour la Cour de cassation,
l'attitude répréhensible caractérisant le chalutier devait nécessairement entrer en ligne de compte
dans l'appréciation de la faute privative de limitation, fût-elle survenue après l'évènement.
Le champ de la faute en cause, prolongé en aval au-delà du fait générateur, englobe toute la

Notion de faute inexcusable de l’armateur » et RTD Com. 2002, p. 210, obs. Ph. Delebecque.
31 CA Aix-en-Provence, 10 oct. 2001, navire "Multitank Arcadia" : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies, « Le code
ISM et la limitation de responsabilité de l'armateur » et RTD Com. 2004, p. 391, obs., Ph. Delebecque ; P.
Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », Liber Amicorum Roger Roland, Brussel, 2003, p.
75 et s.
32 Cass. com., 8 oct. 2003 : navire "Multitank Arcadia" , DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle
disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation par le juge de la faute inexcusable » .
33 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc., n0 49.
34 Cass. Com., 2 nov. 2005 : navires ''Txarrena et Eros'' DMF 2006, p. 43, obs. M. Rémond-Gouilloud ; Rev. Scapel
2005, p. 164; DMF 2006 Hors série, obs. P. Bonassies.
35 DMF 2006, p. 43, obs. M. Rémond-Gouilloud.

96
séquence des évènements. Pour le juge, il ne s'agit plus d'apprécier pourquoi le fait dommageable
s'est produit mais également comment il a été, ensuite, géré36. En conclusion, le comportement
fautif de l'armateur peut résulter non seulement de sa contribution à la survenance du dommage
mais aussi de sa contribution à l'aggravation du dommage initialement provoqué, pour peu qu'il
existe de lien causalité entre l'aggravation du dommage subi par la victime et de l'attitude de
l'armateur37.

§ 2) Le caractère personnel de la faute


inexcusable38

Le second élément de la faute inexcusable telle qu'elle est définie dans l'article 4 de la
Convention de 1976 tient au caractère personnel de la faute inexcusable39. On relèvera ici la
différence essentielle que présente la notion de la faute inexcusable de l'armateur avec la notion de
faute inexcusable en droit de transport aérien et en droit de transport maritime international40 où les
textes énoncent que fait échec à la limitation de responsabilité la faute inexcusable tant des préposes
que du transporteur lui même. À l’expression « acte ou omission du transporteur ou de ses préposés
», le législateur maritime substitue « le fait ou l’omission personnels », refusant ainsi expressément
que la faute du préposé soit couverte par l’armateur et souhaitant mettre un terme définitif à
l’analyse antérieure retenue par la jurisprudence ne distinguant plus la faute personnelle de
l’armateur et la responsabilité personnelle de celui-ci41.
Inversement, en droit maritime, la Convention de 1976 (de même que la loi du 3 janvier

36 Par ailleurs, « l'arrêt du 2 novembre 2005, rejoint, en renforçant le devoir de secours prescrit aux capitaines de
navires après abordage ici les exigences du bon sens et de la morale » (Obs. M. Rémond-Gouilloud, ibid. ). V. aussi
Y. Tassel, préc., n0 49 : « On ne peut donc qu'approuver la solution retenue par la Cour de cassation dans cette
affaire : exiger que la cour d'appel s'explique sur l'attitude du capitaine qui a poursuivi sa route sans se préoccuper
des avaries occasionnées par l'abordage avant d'accepter de considérer que la faute commise (la fuite) n'était pas
inexcusable ».
37 V. ainsi les observations du Professeur Pierre Bonassies qui, tout en approuvant la conception rigoureuse de la faute
inexcusable adoptée ici conception propre à assurer une meilleure sécurité de la navigation, comme une meilleure
protection de l’environnement, regrette que « la Cour de cassation n’ait pas été plus précise dans l’expression de sa
censure, non pas reprochant au juge, en termes trop généraux, de ne pas s’être expliqué sur l’attitude du capitaine
de l’Eros postérieurement à la collision, mais lui reprochant de ne pas s’être expliqué sur le rôle éventuellement
causal de l’attitude de ce capitaine, dans la réalisation du dommage subi par les victimes de l’abordage. En effet
le principe demeure dans ce droit que la responsabilité n’est engagée que si le demandeur fait la preuve du
dommage, de la faute, et du lien de causalité entre la faute et le dommage » (DMF 2006 Hors série).
38 Ph. Delebecque, « La faute inexcusable en droit maritime français », JPA 2005, p. 331.
39 P. Bonassies, « La responsabilité de l'armateur de croisière », préc., p. 92.
40 L'article 28 de la loi du 18 juin 1966 visant « l'acte ou l'omission personnels du transporteur ».
41 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002,
p. 403.

97
1967 -article 58-) ne voit une cause de déchéance que dans la faute inexcusable personnelle de la
personne responsable : les textes sont en effet formels, « seuls le fait ou l'omission personnels » de
l'armateur sont susceptibles de lui interdire l'accès à la limitation. Il est besoin que cette faute, soit
personnelle à l'armateur : la faute inexcusable du capitaine et d'autres membres de l'équipage ne
peut pas avoir cet effet42.
Cette notion de faute personnelle n'est pas étrangère au droit maritime et à l'institution de la
limitation de responsabilité. On se souvient en effet que sous l’empire de la Convention de 1957 le
propriétaire n’était pas en droit d’invoquer le principe de la limitation de responsabilité lorsqu’il
avait commis une faute personnelle (simple).
Le professeur Pierre Bonassies43 dans une première approche du texte de la Convention de
Londres avait quand même constaté que « les dispositions de la Convention de 1976 ne sont pas
précises au point d'imposer absolument une interprétation restrictive. Il n'est pas impossible
d'envisager qu'un tribunal ne déclare que même la faute inexcusable d'un préposé entraine
déchéance, pour l'armateur, de la limitation. Notamment une telle solution pourrait être défendue
en droit français, en raison de la tendance du droit commun à reconnaître à la faute des préposés
les mêmes conséquences, avec les aspects que le caractère de la faute considérée implique, qu'a la
faute du commettant »44.
Et la jurisprudence ultérieure45 au sujet de l'appréciation du caractère personnel de la faute
inexcusable de l'armateur ne l'a, à l'image de la jurisprudence (tant française qu’anglo-saxonne)
développée sous l'empire de la Convention de 195746, pas démenti, en dépit des sourcils doctrinaux

42 T. Clemens-Jones, « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? », DMF 1993, p. 731.


43 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
préc., p. 8 et s.
44 Pour un exemple topique de privatisation de l'armateur de sa limitation de responsabilité en raison des fautes
commises par son capitaine, au motif que ces fautes traduisent un manquement du propriétaire à une obligation
fondamentale, celle d'armer le navire avec un équipage compétent, v. CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire
''Brescou'' : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable, notion à facettes multiples », et DMF 2006,
Hors série, Le droit positif français, obs. P. Bonassies.
45 Ph. Delebecque, « La faute inexcusable en droit maritime français » préc., p. 333.
46 En interprétant très largement cette notion, la jurisprudence, tant française qu’anglo-saxonne, avait tendance à
qualifier toute faute commise par le capitaine de faute personnelle de l’armateur, ne distinguant plus la faute
personnelle de l’armateur et la responsabilité personnelle de celui-ci. Sont ainsi qualifiées de faute personnelle de
l’armateur les fautes commises par celui-ci dans l’armement du navire (Cour de District Nord de l’Illinois, 19 avril
1984, Amoco Cadiz, LLR 1984, vol. 2, p. 304 ; Clunet, 1985, p. 590 ; Com. 26 février 1991, pourvoi no 89-13.665),
les fautes commises par l’équipage (Cass. Com. 3 décembre 1974, DMF 1975, p. 211). Se voient privés du droit de
limiter leur responsabilité le propriétaire qui ne surveille pas le journal de bord et n’avertit pas le capitaine que,
malgré la présence d’un radar, ce dernier ne peut pas conduire à vive allure dans le brouillard (Affaire du Lady
Gwendolen, LLR 1965, vol. 1, p. 335) ou encore le propriétaire qui ne vérifie pas si le capitaine utilise bien des
cartes maritimes mises à jour (Affaire du Marion, LLR 1984, vol. 1, p. 1). (P. Bonassies, « La convention de 1976
sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes et le protocole de 1996 » : Annales Inst.
Méditerranéen Transp. Mar. 1996, p. 50).

98
froncés47. C'est ainsi que, dans l'affaire ''Moheli''48, la Cour de Cassation reproche aux juges du
fond de s’être abstenus, pour exonérer l'armateur de toute faute inexcusable, de « rechercher si, en
sa qualité de professionnel du nautisme, le capitaine (et non pas l'armateur) du Moheli devait
avoir conscience qu’un dommage résulterait probablement d’un tel comportement ». Ce motif
serait, comme Pierre Yves Nicolas le fait observer, « correct si le capitaine du Moheli était
également le gérant de la S.A.R.L. qui exploitait le navire (Nautiloc). Le gérant est en effet un
organe d’expression collective de la société de sorte que sa faute constitue la faute « personnelle »
exigée par les textes applicables. Mais, si tel était le cas, le lecteur eût aimé que la Cour de
cassation le précisât49. En revanche, si le capitaine du Moheli est simplement capitaine de navire,
sa faute ne peut pas faire échec à la limitation, sauf si elle révélait une faute personnelle de la
S.A.R.L. en question ». C'est donc pour ça que la Cour d'appel de Rouen appelée à statuer sur renvoi
après la cassation en modifiant le dispositif de la décision de la Cour de cassation, substitue au
terme du capitaine le terme de la société de gérance Nautile, énonçant que « le gérant de la société
Nautiloc (et non pas le capitaine), en sa qualité de professionnel du nautisme, ne pouvait pas ne
pas avoir conscience qu’un dommage résulterait probablement d’une telle série d’imprudences,
d’erreurs et de fautes 50».
Pareillement, dans l'affaire du ''Stella Prima''51, ce sont des fautes commises à l'occasion
d'arrimage du déchargement de la marchandise qui ont été considérées par la Cour de Montpellier
comme de fautes inexcusables de l'armateur et ce sans encourir la critique de la Cour de cassation52

47 V. en guise d'exemple, I. Corbier , «La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité»,
Mélanges P. Bonnassies, éd. Moreux, 2001, p 103 et s ; A. Vialard, « L'évolution de la faute inexcusable et la
limitation », DMF 2002, p. 579 ; M. Rémond Gouilloud, op.cit., n0 317, p. 177 : L'armateur étant une personne
morale, il faut déterminer les préposes ou les organes sociaux dont la faute peut être tenue pour sa faute
personnelle. Cette personne doit être le chef d'armement dont la mission consiste à veiller à la navigabilité des
bâtiments. Mais ce pourrait être aussi bien toute personne ou organe de direction détenteur d'une autorité suffisante
pour prendre des décisions intéressant la sécurité du navire et les conditions de travail des équipages. En revanche,
la faute d'un associé, ou d'un préposé non investi des pouvoirs utiles, ou auquel une délégation aurait été consentie
à la légère ne devrait pas être considérée comme faute personnelle de l'armateur : c'est alors la décision de
délégation qui devrait être tenue pour telle. V. enfin P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de
responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? », préc. : Déclarer l'armateur déchu de son droit a limitation
pour une faute inexcusable du capitaine est trop contraire à la tradition maritime pour être aisément admis. Et si
l'on exempte l'armateur des conséquences de la faute inexcusable du capitaine, comment adopter une solution
différente pour la faute inexcusable de ses préposés terrestres, alors que le texte ne distingue pas.
48 Cass. Com. 20 fevrier 2001, navire ''Moheli'', DMF 2002, p. 144, obs. P-Y. Nicolas et Hors série, DMF 2002, obs.
P. Bonassies ; RGDA 2001, p. 409, obs. P. Latron.
49 V. Hors serie, DMF 2002, obs.P. Bonassies.
50 CA Rouen, 9 nov. 2004, navire ''Moheli'' : DMF 2005, p. 727, obs. Y. Tassel.
51 Cass. com., 3 avril 2002, navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de
l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors Série, DMF 2002, obs. P. Bonassies ; pour
l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, V. CA Montpellier, 7 déc. 1999, : DMF 2000, p. 813, obs. A. Vialard, «
L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de responsabilité »
et Hors série, DMF 2000, obs. P. Bonassies.
52 Par ailleurs, dans la présente espèce, la question lui avait été posée nettement par le pourvoi, reprochant au juge
d'appel de ne pas avoir dit en quoi la faute relevée par lui « pouvait constituer la faute personnelle et intentionnelle
ou inexcusable de l'armateur lui-même». À cette question, la Cour refuse toute réponse. Assurément, comme le

99
alors que les opérations en cause étaient de la responsabilité du capitaine. Peu importerait donc de
savoir qui aurait commis la faute qualifiée d’inexcusable, l’armateur, le capitaine ou l’équipage. La
seule question serait désormais de savoir si le déchargement de la marchandise pouvait être effectué
en toute sécurité. Dès lors que les juges du fond répondent négativement, l’armateur devrait être
présumé responsable : c’est en effet à lui et à lui seul qu’incombe la responsabilité de la sécurité de
la marchandise.
On en induit que la faute inexcusable du droit maritime demeure ainsi une « notion non pas
personnalisée, comme l'entendait le législateur international mais désincarnée, très proche de la
faute du service public du droit administratif français. Ce type de faute apparaît, et fonde la
responsabilité de l'administration, quand son auteur ne peut être identifié, mais qu'il est patent que
le service dans son ensemble n'a pas correctement fonctionné53».
N'en déplaise à cette tendance sévère de la jurisprudence entérinée par la Cour de cassation à
plusieurs reprises, la Cour suprême avait au départ donné l'impression qu'elle modifierait son
analyse et qu'elle opterait pour une application ferme du caractère personnel de la faute inexcusable.
Et l'arrêt ''Johanna Hendrika'' du 20 mai 1997 en fournit l'illustration54.
En l'espèce, les juges du fond (Cour d'appel de Rouen) ont attribué (rendant par la suite
l'armateur responsable) l'abordage advenu à la faute du capitaine et ils ont qualifié cette faute
d'inexcusable au motif que celui-ci n'a pris « aucune précaution élémentaire de sécurité pour
effectuer sans risque la mise en place d’une drague dans un avant-port, alors qu'il devait avoir
conscience de la probabilité du dommage ». Ensuite ils ont curieusement imputé cette faute
inexcusable non au capitaine mais à l’armateur. La Cour d’appel de Rouen avait cru pouvoir
assimiler la fausse manœuvre et le défaut d’amarrage de la drague, actes commis par le capitaine, à
la faute inexcusable de l’armateur. Pour autant telle n’a pas été l’analyse de la Cour suprême : en
relevant qu’aucune précaution élémentaire de sécurité n’avait été prise ni pour effectuer la
manœuvre sans dommage, ni pour s’assurer du maintien de la drague, la Cour d’appel, estime la
Cour suprême, a simplement qualifié d’inexcusable la faute commise par le capitaine qui « devait,
en professionnel, avoir conscience de la probabilité du dommage ». La Cour d’appel n’a pas
démontré la faute inexcusable de l’armateur. Désormais, toute faute liée à la sécurité du navire ne
pouvait pas nécessairement être imputée à l’armateur. Armateur et capitaine ont des fonctions

relève Madame Isabelle Corbier dans ses observations sous le présent arrêt, « la volonté de la jurisprudence de
refuser systématiquement à l'armateur le droit de limiter sa responsabilité est manifeste ».
53 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 286, n0 432 ; V. aussi les observations du professeur Pierre Bonassies sous
l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence dans l'affaire du navire ''Multitank Arcadia'' (Hors série, DMF 2002,
obs. P. Bonassies), la Cour d'appel d'Aix en Provence faisant preuve de sévérité par rapport à la qualification de la
faute inexcusable, ignore les exigences des textes pour une faute personnelle de l'auteur du dommage.
54 Cass. Com., 20 mai 1997, navire "Johanna Hendrika", DMF 1997, p. 976 obs. P. Bonassies ; RGDA 1997, p. 878,
obs. P. Latron et Petites affiches, 1997, n0 66. V. aussi, Y. Tassel, « Le dommage, élément de la faute », préc.

100
différentes et par là même des obligations distinctes. La faute inexcusable personnelle de l’armateur
ne peut donc pas être assimilée à la faute inexcusable personnelle du capitaine55.
En effet, ainsi que le Professeur Pierre Bonassies l'a expliqué dans ses observations, « il est
rare que la responsabilité civile personnelle d’un capitaine soit mise en cause après un sinistre
maritime. La solidarité de l’entreprise joue ici à plein, l’armateur prenant en charge les
conséquences de la faute du capitaine - protégé qu’il est, au moins partiellement, par la limitation
de responsabilité. Mais les tiers ne sont pas tenus à semblable solidarité. Étant donné donc la
sévérité des juges du fond dans l'appréciation de la faute inexcusable, les capitaines risquent de
voir leur responsabilité de plus en plus souvent mise en cause. Car, bornée par le jeu de la
limitation dans la réparation qu’elle peut obtenir de l’armateur, la victime d’un sinistre maritime
sera tentée d’agir contre le capitaine, dont elle invoquera la faute inexcusable. Or, en pratique les
capitaines n’ont pas d’assurance personnelle les couvrant. Ils ne sont pas non plus expressément
pris en charge par la police d’assurance de leur armateur, ou par les règles du P. & I Club de
celui-ci. L'indemnisation des victimes n'est par conséquent pas certaine. Aussi, les juges du fond
dans l'intention d'assurer le dédommagement des préjudices subis, attribuent abstraitement la faute
inexcusable à l'armateur et, par là, le prive du bénéfice de limitation. Mais poser ainsi, et sans autre
explication, l’équation faute inexcusable du capitaine égale faute inexcusable de l’armateur, c’était
mésestimer le sens de l’adjectif "personnel" ». La cassation était donc inévitable.
Aussi bien, les magistrats de la cour de renvoi56, se pliant à la « leçon » de la Cour de
cassation, commencent par préciser que la faute inexcusable du capitaine ne peut constituer la faute
inexcusable de l'armateur lui-même 57. Certes, ils n’en ont pas moins refusé au dit armateur le
bénéfice de la limitation, et ce en raison de la faute inexcusable personnelle par lui commise. La
Cour d'appel de Caen a en effet reproché à l'armateur la structure même de la drague, dont le
système d’ancrage – simple pieu de creusage placé au milieu du bâtiment, était insuffisant, faute
d’ancre à l’arrière. Elle retient ensuite l’insuffisance de l’équipage, deux personnes seulement étant
à bord lors de l’accident. Elle retient enfin l’absence à bord de consignes d’organisation de travail et
55 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de l'avocat,
www.isabellecorbier.com de même qu' à la JPA 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I 2007, p. 52-69.
56 CA Caen, cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, «
Notion de faute inexcusable de l’armateur » et RTD Com. 2002, p.210, obs. Ph. Delebecque ; V. aussi Hors série
DMF 2001, obs. Pierre Bonassies et Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659.
57 V. dans le même sens un arrêt de la CA Douai où a été estimé qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à l’armateur
du navire, puisque le dommage trouvait son origine dans une faute de navigation de son capitaine (simple faute
d’imprudence, dit l’arrêt), alors qu’il ne pouvait être reproché à l’armateur aucune faute inexcusable dans la
sélection ou la formation des membres de son équipage ou de son capitaine ( CA Douai, 17 oct. 2002, navire
''Vasya Korobko'' : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard). Pareillement, la Cour d'appel de Montpellier dans deux
arrêts récents a procédé à la distinction entre la faute personnelle de l'armateur et celle du capitaine (CA Montpellier,
4 nov. 2004, navire ''Brescou'' et CA Montpellier, 11 nov. 2003, navire ''L'Inglais'' : DMF 2005, p. 713, obs. I.
Corbier, « La faute inexcusable, notion à facettes multiples », et DMF 2006, Hors série, Le droit positif français en
2005, obs. P. Bonassies).

101
de sécurité – ou en tout cas le fait que de telles consignes n’aient pas été produites au débat.
Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que les tribunaux se prononcent sur une telle
manière. L'arrêt qui a le plus retenu l'attention de la doctrine est, nous l'avons déjà noté, celle du
navire Kirsten-Skou58, jugée par la Cour d'appel de Rennes, le 30 mars 1988. Si cette décision est
rendue sous l'empire de la loi du 3 janvier 1967 dans sa rédaction d'origine, reprise de la
Convention de 1957, elle n'en demeure pas moins toujours d'actualité sous l'empire de la loi de
1984, elle même inspirée par la Convention de Londres de 1976. La Cour de Rennes a donc jugé
que les fautes commises par le capitaine dans l'exercice de ses fonctions ne peuvent pas être
imputées au propriétaire du navire personnellement, des lors qu'il n'est pas démontré qu'elles
relèvent une incompétence caractérisée qu'il ne pouvait pas ignorer. L'arrêt souligne en effet qu'en
l'absence d'une obligation péronnelle de l'armateur de surveiller le chargement des marchandises
mises à bord du navire, les fautes du capitaine – alors même qu'elles avaient justifiée une
condamnation de l'armateur en tant que transporteur – ne pouvaient pas être imputées à une faute
personnelle de cet armateur, propriétaire du navire. On relèvera donc la similitude entre le
raisonnement de la Cour d'appel de Rennes dans l'affaire du navire Kirsten-Skou et celui de la
Haute Juridiction dans l'affaire du navire Johanna Hendrika.
Quoi qu'il en soit il ne faut pas mésestimer que l'affaire de Johanna Hendrika et le
raisonnement de la Cour de cassation en l'occurrence ne constituent qu'une exception. Les tribunaux
français sans jamais le dire expressément – ce qui serait aller trop brutalement à l’encontre des
textes –, ignorent les exigences des textes et ils ne cherchent quasiment jamais dans leurs décisions
à identifier la personne, ou l'organe (direction générale service technique) responsable de la faute
inexcusable. Le responsable c'est l'armateur, c'est l'entreprise d'armement, envisagée dans sa
totalité. De ce fait, la faute personnelle de l'armateur a perdu sa signification59.
Il reste que le Professeur Yves Tassel, recherchant le moyen terme, l'équilibre entre les deux
conceptions du caractère personnel de la faute inexcusable que la jurisprudence française a
élaborées au fil du temps, conclu « quant au caractère personnel, le fait est qu’il ne parait pas
illégitime d’atteindre, au-delà des salariés, les membres même de la personne morale dès lors
58 CA Rouen, 30 mars 1988, navire ''Kirsten -Skou'', DMF 1989, p. 25, obs. Rémond Gouilloud et D. Lefort ; DMF
1990, Hors série, p.25 n0 21, obs. P. Bonassies : « on doit apprécier avec rigueur la faute personnelle de l’armateur,
cause de déchéance du droit à limitation. Mais cette rigueur doit avoir des limites, sauf à entrer dans un refus
d’application de ce qui est la loi ». La faute sera celle de la personne morale si elle est celle d'un membre de la
direction, d'un membre extérieur à la direction mais située sur un même plan hiérarchique ou d'une personne qui est
le manager du navire enregistré ou à qui l'entière gestion du navire a été déléguée. V. aussi P. Bonassies, « La
responsabilité de l'armateur de croisière », préc., p. 84 et s. : on doit rechercher la faute personnelle inexcusable de
la personne morale armateur à travers la faute inexcusable de ses dirigeants (...) On admettra qu'engagera la
responsabilité illimitée de l'armateur de croisières la faute inexcusable commise par le président de la société
d'armement, son directeur général, mais aussi tout directeur chargé d'une mission générale, tel le directeur
technique chargé du contrôle des navires ou le capitaine d'armement.
59 R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., no 155, p. 133.

102
qu’ils devaient être informés et avaient le pouvoir d’agir60».
Dans cette optique, il importe de mettre en évidence que cette controverse du caractère
personnel de la faute inexcusable sera facilitée par la mise en place du nouveau code I.S.M. « En
nommant un “monsieur sécurité” (délégué de sécurité) chargé dans chaque entreprise de suivre
cette question et d’en faire rapport aux dirigeants61, ceux-ci ne pourront plus se retrancher derrière
le fait que la faute commise par un membre de l’entreprise ne peut leur être imputée car ils auront
été informés par le préposé chargé de la sécurité et, dans le cas contraire, il leur sera dit qu’ils ont
commis personnellement la faute de ne pas surveiller correctement ce préposé62». La preuve du
caractère personnel de la faute inexcusable devient donc beaucoup plus aisée pour les victimes.
Parallèlement les tribunaux ne pourront plus faire fi des indications des textes pour l'identification
de la personne auteur de la faute inexcusable.

§ 3) La gravité de la faute inexcusable

La responsabilité de l'armateur peut être engagée par n'importe quelle faute de ce dernier
(par exemple en cas d'abordage où la faute est le fondement du régime de responsabilité). Il n'est
pas nécessaire d'exiger une faute d'une certaine gravite. D'ailleurs sa responsabilité peut être retenue
même en absence de preuve de faute personnelle, lorsque les personnes lésées se prévalent de
l'article 1384 alinéa 1 du Code civil (responsabilité du fait des choses). Dans cette dernière
hypothèse, la responsabilité de l'armateur est objective, aucune preuve de faute n'étant pas
revendiquée63.
Mais pour obtenir la mise en écart de la limitation de responsabilité, la faute de l'armateur
doit revêtir une certaine gravité ; la limitation de responsabilité en droit maritime ne cède que
devant la preuve soit de la faute intentionnelle, soit de la faute inexcusable 64. Dans cette optique,
l'intensité de la faute demandée pour la qualification d'un comportement de faute inexcusable

60 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », préc., p. 659. V. ainsi, TGI Cherbourg, 3 sept. 1990, décision non
publiée, DMF 1993, Hors série, obs. P. Bonassies : « la faute inexcusable doit être recherchée comme faute des
organes de direction de l’armement ».
61 Article 4 du Code ISM.
62 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc. ; V. aussi, P. Bonassies, « La responsabilité de l'armateur de
croisière », préc., p. 93.
63 V. les arrêts les plus remarquables Lamoricière du 19 juin 1951 et Champollion du 4 décembre 1981.
64 Curieusement, la Cour d'appel de Douai dans son arrêt ''Vasya Korobko'' statue que « en l’absence de faute
personnelle ou inexcusable de sa part, la société Marmansk (armateur) est fondée à se prévaloir du fonds de
limitation de responsabilité ». Comme le fait relever professeur Antoine Vialard « la conjonction « ou » peut laisser
croire que cet armateur aurait été privé de son droit à limitation sur la base d’une faute personnelle simple de sa
part » (CA Douai, 17 oct. 2002, navire ''Vasya Korobko'' : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard).

103
constitue le troisième élément de la faute inexcusable65. En effet seuls l'acte ou l'omission commis
témérairement et avec conscience qu'un tel (such damage) dommage66 en résulterait probablement
sont susceptibles de faire échec à la limitation de responsabilité. La faute légère ou simple amène à
la mise en jeu de la responsabilité de l'armateur mais elle n'a, contrairement au régime précédent,
aucun impact sur le bénéfice de limitation de responsabilité.
Deux circonstances de fait spécifiques constituent dès lors le troisième élément de la faute
inexcusable : d'une part la témérité et il y a de témérité si la conduite du défendeur pouvait être
évitée par l'adoption d'une autre conduite soit réglementaire soit raisonnable67 et si le risque pouvait
être couru, chose bien probable compte tenu de la théorie du risque maritime ; d'autre part la
conscience d’un dommage probable - et la conscience du dommage nécessaire à la qualification
de la faute inexcusable doit être celle du dommage survenu68-. Cet élément de l'intensité de la faute
inexcusable se trouve au cœur de la théorie de la faute inexcusable. La grande et réelle difficulté du
droit de la limitation de responsabilité de l'armateur réside dans l’appréciation de la gravité de
l'attitude de l'armateur69.
La question majeure que pose la faute inexcusable est de savoir si l'on doit en accepter une
conception objective ou une conception subjective de la conscience du dommage 70. Dans le premier
cas, le demandeur devra établir qu'une personne quelconque aurait eu conscience de la probabilité
du dommage, en ignorant tous les aspects personnels à l'auteur de la faute en comparaissant son
comportement avec le comportement qu'aurait dû avoir un bon professionnel71; dans le second cas,
il devra établir que le défendeur lui-même a eu effectivement conscience de la probabilité du
dommage, compte tenu des qualités spécifiques de l'auteur de la faute, de sa compétence limitée, de
ses difficultés personnelles. Le législateur international, suivi par le législateur national, dans
l'ambition de redonner au principe fondamental du droit maritime toute sa portée, adopte une
65 P. Bonassies, « La responsabilité de l'armateur de croisière », préc., p. 92.
66 On notera ici la différence avec la Convention de 1924 qui dans son article 4.5e prévoit que : « Ni le transporteur, ni
le navire n'auront le droit (...) soit témérairement et avec conscience qu'un dommage -il manque le terme tel- en
résulterait probablement ».
67 Étant donné que l’on n’est pas exempt de toute critique, c’est-à-dire de toute faute, au seul motif que l’on a agi en
conformité à la loi. Le droit exige plus que cela : la référence essentielle n’est pas la loi mais la nécessité d’éviter le
dommage (Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », préc., p. 659).
68 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc., no 50 et s ; P. Bonassies, « La faute inexcusable de
l'armateur en droit français », préc., p.75 et s. : (...) « et le dommage ici visé c'est le dommage même qui a donne lieu
à l'action en responsabilité, ainsi qu'il est dit expressément dans le texte de la convention comme visant la
conscience qu'un dommage quel qu'il soit, pourrait résulter du comportement critiqué ». E. du Pontavice a présenté
l'exemple suivant : « si le capitaine, irrité par l'aboiement du chien d'un passager, tire sur cet animal et tue son
maître, quelque odieux que soit le résultat de l'acte, la limitation ne sera pas supprimée car ce n'est pas le dommage
corporel que le capitaine a voulu » (E. du Pontavice, Le statut des navires : Litec, 1976, n° 257).
69 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659.
70 P. Bonassies, L'entrée du droit maritime dans le troisième millénaire, DMF 1999 : « Les juristes de droit maritime
attendront aussi avec intérêt la confirmation définitive de l’adhésion de la Cour de cassation à la notion objective
de la faute inexcusable, adhésion dont il est parfois douté...... ».
71 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 284, no 431.

104
définition étroite de la notion de la faute inexcusable comme cause de déchéance de la limitation de
responsabilité de l’armateu72.
Or, la jurisprudence française s'oriente traditionnellement de façon certaine vers la
conception objective. Et cette jurisprudence a eu une influence directe en matière maritime. En effet
dès les premières applications de la Convention de 1976, les juridictions du fond ont pareillement
opté pour une appréciation in abtracto de la faute inexcusable. Dans ce sens, la victime n’est pas
tenue de prouver que l’auteur de la faute a effectivement eu conscience de la probabilité du
dommage. Il lui suffit d’établir que cette conscience aurait dû exister chez l’auteur en raison
notamment de ses compétences professionnelles. C’est ainsi que des fautes sans gravité intrinsèque
sont qualifiées d'inexcusables par les tribunaux, au motif que leurs auteurs « devaient avoir
conscience » ou « ne pouvaient pas ne pas avoir conscience » du danger qu’ils faisaient courir aux
personnes ou aux biens.
D'ailleurs, « les tribunaux français lisent les dispositions de la convention comme visant la
conscience qu’un dommage, quel qu’il soit, résulterait du comportement critiqué. Ils ne retiennent
pas dans leur analyse de la témérité de l’armateur les faits précis de la cause »73.
Enfin les tribunaux substituent à la notion utilisée pas les textes, celle de probabilité du
dommage74, celle de possibilité du dommage. Cette substitution ainsi effectuée par les tribunaux
français était, comme le Professeur Pierre Bonassies le remarque, inévitable75. Aux yeux de l'auteur
éminent « il est logique ou en tout cas possible de limiter la faute inexcusable d'un acteur concret
de la navigation maritime, tel un capitaine de navire, aux dommages probables a chaque instant de
son action autant cela 'est guère faisable pour la faute inexcusable de l'armateur (...) En
interprétant comme ils font les textes de 1976, les tribunaux français ne font, en définitive que
corriger l'erreur de raisonnement ou d'expression, du législateur international ».
La première décision rendue en la matière en droit français n’est curieusement pas la
décision d’un tribunal de commerce, mais la décision d’un tribunal de grande instance, le Tribunal
de Cherbourg statuant dans l’affaire du ''Kini-Karsten''. En l'espèce le navire Kini-Karsten de
pavillon allemand, s’était échoué au petit matin du 1er janvier 1987 sur une plage du Cotentin.
L’enquête révéla que l’officier en second chargé du quart s’était endormi à la passerelle, alors qu’il
assurait seul la veille, chose certes répréhensible, mais aussi compréhensible après, sans doute, un
excellent réveillon. Considérant que l’effectif réglementaire fixé par la législation allemande n’avait
pas été respectée (cet effectif étant de trois officiers alors que deux seulement étaient à bord), le

72 D. Christodoulou, préc.
73 Hors série, Le droit positif en France en 2001, DMF 2002, obs. P. Bonassies.
74 D. Christodoulou, ibid.
75 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », préc., p. 75 et s.

105
Tribunal de Cherbourg a vu là une faute inexcusable de l’armateur du navire76.
Pour les juges, la faute inexcusable « doit être recherchée comme faute des organes de
direction de l’armement ; ces organes dirigeants, quand bien même ils n’auraient pas eu en
l’espèce pleinement conscience que leur négligence ou imprudence pouvait entraîner un
dommage, auraient dû l’avoir s’ils avaient agi en bons professionnels »77.
De même, statuant sur renvoi après cassation de l'arrêt de la Cour d’appel de Rouen,
(laquelle avait trop rapidement conclu de la faute inexcusable du capitaine par elle constatée à la
faute inexcusable de l’armateur de la drague) dans l’affaire de la drague ''Johanna Hendrika''78, la
Cour d’appel de Caen a finalement considéré que l’armateur avait bien commis une faute
personnelle inexcusable, distincte de celle commise par le capitaine. Comme l’a relevé le Professeur
Pierre Bonassies, les juges du fond se sont prononcés sur des faits précis tenant à l’innavigabilité de
la drague) mais aussi sur des présomptions et hypothèses79 sur la question de la composition de
l’équipage ou sur celle des consignes de sécurité. En effet dans cette affaire, l’armateur, outre qu'il a
été sanctionné pour avoir manqué à son obligation fondamentale de mettre le navire en état de
navigabilité, a été également sanctionné pour son comportement devant les juges du fond. En
refusant de communiquer les documents relatifs à la composition de l’équipage et au respect des
consignes de sécurité, demandés par les magistrats, l’armateur laisse à penser que sa conduite
n’était pas irréprochable. C'est donc une présomption de faute inexcusable à partir de la non-
production de pièces que la Cour d'appel de Caen a retenu en l'espèce.
C’est la même adhésion à la conception objective qu’exprime enfin l’arrêt ''Brescou'' de la
Cour d’appel de Montpellier du 4 novembre 200480. À la suite de l’abordage par une pilotine d’un
navire de plaisance, abordage ayant entraîné la mort d’un plaisancier, le Tribunal de grande instance
de Sète avait condamné civilement tant le patron de la pilotine que le syndicat des pilotes de Sète,
mais en leur accordant le bénéfice de la limitation de responsabilité. Infirmant la décision du
premier juge, la Cour d’appel conclut à la faute inexcusable du syndicat des pilotes (le pilote
n’apparaissant plus dans la procédure). Pour fonder sa décision, elle retient d’abord les
manquements aux règles de sécurité, la pilotine étant, entre autres, dépourvue d’essuie-glaces. Elle
observe ensuite que le comportement à la mer du patron auteur de l’accident conduisait à

76 TGI Cherbourg, 3 sept. 1990, décision non publiée, DMF 1993, Hors série, obs. P. Bonassies ; P. Bonassies, «
Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité » : préc., p. 95.
77 Souligné par nous.
78 CA Caen, cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, «
Notion de faute inexcusable de l’armateur » et RTD Com. 2002, p. 210, obs. Ph. Delebecque ; V. aussi Hors série
DMF 2001, obs. P. Bonassies.
79 C'est nous qui soulignons.
80 CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire ''Brescou'' : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable, notion
à facettes multiples », et DMF 2006, Hors série, Le droit positif français, obs. P. Bonassies.

106
s’interroger sur la pertinence du choix de cette personne comme patron du bâtiment. La Cour
conclut que, « en maintenant à son poste M. G., dont les défaillances connues de lui rendaient
prévisible le dommage, et en lui confiant la manœuvre d’une pilotine dépourvue des équipements de
veille visuelle, le Syndicat des pilotes de Sète a commis une double faute personnelle inexcusable,
celle de ne pas avoir apporté à son navire les soins diligents que l’on peut attendre d’un armateur
soigneux81 et d’avoir manqué de discernement dans le choix de son préposé. Les conditions
d’application de l’article 4 de la Convention de Londres étant réunies, il ne saurait limiter sa
responsabilité ».
Dans un arrêt du 5 janvier 1999 (navire ''Irrintzina'')82, c'est la Cour de cassation qui adhère
à une conception objective de la faute inexcusable. Alors qu’il se rendait sur son lieu de pêche, un
thonier avait sombré au large des côtes mauritaniennes à la suite d’importantes entrées d’eau. Pour
retenir la faute inexcusable de l’armateur, les juges du fond ont relevé que, quelques jours avant le
départ, le navire avait subi une réparation de fortune insuffisante pour assurer sa navigabilité, que
des pompes, alimentées à l’électricité, devaient être employées en permanence à bord pour refouler
l’eau qui y entrait et que l’armateur savait qu’une panne de courant entraînerait inéluctablement le
naufrage du navire. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation a approuvé l’analyse selon laquelle
l’armateur avait manqué à son obligation fondamentale en laissant partir le thonier qui n’était pas
apte à entreprendre le voyage maritime en toute sécurité, faute d’avoir les capacités nautiques
requises83.
En parfaite harmonie et en totale cohérence, avec la jurisprudence analysée ci-dessus, qu'il
s'agisse de la jurisprudence de la Cour de cassation elle-même ou de celle des cours d'appel est
l'arrêt de la Cour de cassation dans l'affaire du navire ''Stella Prima''84. La Cour d'appel de
Montpellier, a vu une faute à tout le moins « présentant l’apparence d’une faute inexcusable », dans
le fait pour un armateur d’avoir, en tant que transporteur, effectué le déchargement d’une grue sans
avoir procédé à la vérification de ses freins de giration. La Cour de cassation rejette le pourvoi
formé contre la décision d'appel. Très brièvement, la Cour observe qu'en l'état de ses constatations
et appréciations, « la Cour d'appel avait pu retenir que l'armateur avait fait preuve de carence et

81 C'est nous qui soulignons.


82 Cass. com., 5 janv. 1999, navire "Irrintzina" : DMF 1999, p. 312, rapport J.-P. Rémery, obs. P. Latron : RGDA
1999, p. 469, obs. P. Latron. Pour l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, daté du 29 mai 1996, v. CA Paris, 29 mai 1996,
navire "Irrintzina" : DMF 1999, p. 1107, obs. P-Y. Nicolas et DMF Hors série, obs. P.Bonassies.
83 V. en même sens Cass. com., 2 nov. 2005 : navires ''Txarrena et Eros'' DMF 2006, p. 43, obs. M. Rémond-
Gouilloud ; Rev. Scapel 2005, p. 164; DMF 2006 Hors série, obs. P. Bonassies.
84 Cass. com., 3 avril 2002, navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460 , obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de
l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors série, DMF 2002, obs. P. Bonassies ; pour
l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, V. CA Montpellier, 7 déc. 1999, : DMF 2000, p. 813, obs. A. Vialard, «
L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de responsabilité »
et Hors série, DMF 2000, obs. P. Bonassies.

107
de négligence présentant l'apparence85 d'une faute inexcusable ». L’expression « d’apparence de
faute inexcusable » suscite la perplexité. La faute qualifiée d’inexcusable doit être fondée sur des
faits précis, relevés souverainement par les juges du fond. Il n’y a donc aucune place ici pour la
théorie de l’apparence86. S’appuyer sur une simple apparence de faute, c’est bien avouer que
l’affaire n’a pas été étudiée à fond. Là où le texte réclame une action « téméraire commise avec
conscience qu’un dommage en résulterait probablement », là où l’on s’attend donc que les faits de
l’espèce soient auscultés d’une façon approfondie et minutieuse pour savoir si tous les paramètres
de la faute fatale au droit à limitation sont bien réunis, les magistrats se contentent de vérifier
l’ombre d’une pareille faute. Et ils en tirent des conséquences au fond du droit alors que les faits
n’ont pas été étudiés à fond87.
La Cour de cassation en faisant recours à la notion d'apparence de faute inexcusable rejoint
ainsi la jurisprudence développée en faveur d'une appréciation ouverte de la faute inexcusable.
Certes la portée de cet arrêt ne doit pas être surestimée ; il ne s’agit pas d’un arrêt de principe. La
solution adoptée ne concerne en effet que l’autorisation de constituer le fonds de limitation qui est
distincte du bénéfice de la limitation de responsabilité. En outre, la Haute Juridiction elle-même
confirme la portée limitée de sa décision en ne la faisant pas publier au Bulletin des arrêts de la
Cour de cassation88. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit encore d'un arrêt qui traduit la
rigueur des tribunaux français dans leur appréciation de la faute inexcusable et qui affirme la
volonté de la jurisprudence de renoncer au droit de l'armateur de limitation par l'entremise d'une
qualification abstraite de ce troisième élément de la notion de faute inexcusable.
D'ailleurs, la même rigueur se retrouve en matière de l'appréciation de la faute inexcusable
du capitaine. Les arrêts de la Cour de cassation dans les affaires de la drague ''Johanna Hendrika''
89
(où la Cour de cassation a jugé que « n’ayant pris aucune précaution élémentaire de sécurité
pour effectuer sans risque la mise en place d’une drague dans un avant-port, le capitaine, qui
devait, en professionnel, avoir conscience de la probabilité du dommage90, a agi témérairement,

85 C'est nous qui soulignons.


86 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité », DMF 2002, p.
626. V. également Hors série, Le droit maritime français en 2000, obs. P. Bonassies : « nous regretterons que le
juge se soit limité à la constatation d’une faute « présentant l’apparence d’une faute inexcusable » - ou plutôt, qu’il
prétende s’être limité à une telle constatation, car son analyse des faits est déjà très convaincante. Sans doute sa
timidité vient-elle de la « magie que peut exercer la notion de référé, longtemps associée à la notion d’urgence et
d’absence de contestation sérieuse ». Mais, précisément, on n’était pas en matière de référé. Statuant sur requête, le
juge avait pleine juridiction pour se prononcer sur les faits fondant sa décision. Et saisi d’un référé par lequel il lui
était demandé de rétracter sa requête, il était investi des mêmes pouvoirs.
87 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de
responsabilité », DMF 2000, p. 813.
88 I. Corbier, ibid.
89 Cass. com., 20mai 1997, navire "Johanna Hendrika", DMF 1997, p. 976 obs. P. Bonassies ; RGDA 1997, p. 878,
obs. P. Latron et Petites affiches, 1997, n0 66.
90 Souligné par nous.

108
se privant par là du droit d’invoquer la limitation de responsabilité ») et du voilier ''Moheli''91 (où
la Cour suprême a censuré la décision de la Cour d'appel de Rennes au motif que « pour se
prononcer sur le caractère inexcusable du comportement fautif du capitaine du navire, celle-ci
devait rechercher si, en sa qualité de professionnel, ce dernier devait avoir conscience92 qu’un
dommage résulterait probablement d’un tel comportement »)93 en font preuve.
La sévérité de la conception française de la faute inexcusable de l'armateur, telle qu'elle
découle de la jurisprudence depuis une quinzaine d'années est incontestable et entérinée à plusieurs
reprises. Or, il convient de s'interroger si cette appréhension stricte de la faute inexcusable de
l'armateur est définitive. On se souvient que la même question a été posée en matière de transport
aérien94 de même que de transport maritime de marchandises95 (et non pas de passagers), à savoir
lorsque la responsabilité du transporteur est mise en jeu en raison de dommages matériels et non pas
corporels. Et on se souvient que la Haute Juridiction (et plus précisément la Chambre commerciale)
s'est dirigée vers une appréciation subjective, concrète de la faute inexcusable. On se souvient enfin
que la question s'est posée de savoir si ces évolutions que connaît le droit des transports sont
transposables au droit de la limitation de responsabilité de l’armateur lui-même. Plus précisément
si elle ne fait pas présager un revirement de la jurisprudence en matière aussi de faute inexcusable
de l’armateur96.
C'est ainsi que le Professeur Philippe Delebecque dans ses observations sous l'arrêt Ethnos
de la Chambre commerciale de la Cour de cassation 97 observe que « on est tout naturellement
conduit à se demander si ce qui vaut pour le transporteur vaut également pour l’armateur qui, lui
aussi, est déchu de son droit à limitation de responsabilité en cas de faute inexcusable. Ici, la
91 Cass. Com., 20 fevrier 2001, navire ''Moheli'', DMF 2002, p. 144, obs. P-Y. Nicolas et Hors série, DMF 2002, obs.
P. Bonassies ; RGDA 2001, p. 409, obs. P. Latron. Cet arrêt peut au reste être conçu comme un arrêt témoignant de
la sévérité de la Cour de cassation s'agissant de la faute inexcusable non pas du capitaine mais de l'armateur, v. cf
supra.
92 Souligné par nous.
93 C’est ce type d’appréciation que la Cour d'appel de Rouen, cour de renvoi, retient puisqu’elle écarte la limitation de
responsabilité au motif que « le gérant de la société Nautiloc, en sa qualité de professionnel du nautisme, ne
pouvait pas ne pas avoir conscience qu’un dommage résulterait probablement d’une telle série d’imprudences,
d’erreurs et de fautes » (CA Rouen, 9 nov. 2004, navire ''Moheli'' : DMF 2005, p. 727, obs. Y. Tassel).
94 Cf supra p. 37.
95 Cf supra p. 45.
96 V. Ph. Delbecque, « La faute inexcusable en droit maritime français », Jurisprudence du Port d’Anvers, 2005, p.
336 ; DMF 2007, Hors-série n° 11, obs. P. Bonassies ; P. Bonassies, Rapport des synthèse, préc., p. 1085.
97 Cass. com., 14 mai 2002, navire ''Ethnos'' : DMF 2002, p. 620, rapp. G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque ; V.
dans le même sens les observations du professeur Pierre Bonassies, Rapport des synthèse, Actes de la 9ème journée
Ripert, DMF 2002, p. 1085 : il n’est pas sûr que la faute inexcusable de l’armateur doive s’apprécier à partir des
mêmes éléments que la faute inexcusable du transporteur. Peut-être peut-on exiger plus d’un armateur dont les
erreurs mettent en jeu la sécurité des tiers – ou celle de l’environnement – que d’un transporteur, dont les fautes
n’ont d’effet qu’à l’égard d’un co-contractant, un co-contractant engagé comme lui dans une aventure maritime
dont il ne peut ignorer les dangers spécifiques. Pour une position différente tendant vers une interprétation
uniforme de la faute inexcusable aux différents domaines du droit maritime, v. M. Rimaboschi, op. cit., p. 214 : «
aucune distinction ne doit être admise, une interprétation uniforme de la faute inexcusable doit être préconisée en
droit maritime. Toute interprétation contraire doit être rejetée ».

109
jurisprudence ne fait preuve d’aucune magnanimité et retient assez facilement la faute inexcusable
du professionnel de l’armement. L’appréciation se fait toujours d’une manière objective, tandis que
le degré de diligence requise ne cesse de se rehausser devant les exigences de sécurité ». Et il
ajoute « les situations ne sont pas les mêmes et que la comparaison n’est pas, en l’occurrence, sans
raison. Lorsqu’un transporteur est en cause, les relations sont contractuelles, du moins se limitent-
elles à un rapport « marchandise-transporteur ». Lorsqu’un armateur est en cause, qu’il soit ou
non transporteur, le cercle des intéressés est sensiblement plus large, car la limitation de
responsabilité est principalement opposable aux tiers. Ce n'est pas seulement la marchandise qui
est exposé par telle ou telle décision de l'armateur, c'est aussi le navire et son environnement. Sans
doute faudrait-il nuancer cette distinction, mais on conçoit que les appréciations diffèrent quelque
peu selon que l’on a affaire à un armateur ou à un transporteur : l’activité du premier a un plus
large rayonnement que celle du second. « Par ailleurs, la limitation de responsabilité est un
véritable privilège accordé à l'armateur et puisqu'il s'agit d'un privilège le système doit faire l'objet
d'une interprétation stricte. Un privilège se mérite et si l'armateur n'a pas le comportement que l'on
peut attendre d'un bon professionnel, il s'expose à la déchéance prévue par la loi et les conventions
internationales 98». Il n’est99 donc pas illogique de traiter l’un plus sévèrement que l’autre, sans
pour autant dire qu’il faille faire preuve d’un peu plus de bienveillance à l’égard du transporteur
que vis-à-vis de l’armateur »100.
En outre, l'examen de la jurisprudence ne donne aucun exemple d'appréciation subjective de
la faute inexcusable de l'armateur. Il demeure qu'en matière de limitation de responsabilité de
l'armateur, la Cour de cassation, sans jamais s'être exprimée en faveur d'une appréciation restreinte
de la faute inexcusable, a rendu deux décisions (les deux dernières en la matière) qui « marquent
sinon un recul, à tout le moins une pause dans le développement de la jurisprudence stricte sur la
faute inexcusable 101».
Dans la première espèce, le navire Multitank Arcadia avait, au cours d'une manœuvre
d'accostage, heurté et endommagé les installations du Port autonome de Marseille et celles d'un
certain nombre d'entreprises. Assigné en réparation des préjudices, l'armateur avait immédiatement
invoqué la limitation de responsabilité prévue et organisée aujourd'hui par la Convention de
Londres du 19 novembre 1976. Pour priver l'armateur de son privilège - dûment justifié - , la Cour

98 Ph. Delbecque, « La faute inexcusable en droit maritime français », JPA 2005, p. 336
99 Souligné par nous.
100 Au reste, il ne faut pas méconnaitre les deux différences que la définition de la faute inexcusable par l'article 4 de la
Convention de Londres présente par rapport à celle découlant de l'article 4.5 de la Convention de Bruxelles portant
sur le caractère personnel de la faute d'une part et sur la probabilité du dommage d'autre part. En effet, l'article 4.5
de la Convention de Bruxelles ne prévoit pas le terme « un tel dommage ».
101 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., n0 434, p. 287.

110
d'appel d'Aix en Provence102 a retenu que les dommages causés par le navire provenaient de la
défaillance du propulseur d'étrave en raison de la perte de l'alimentation en énergie de ce
propulseur, elle-même provoquée par le dysfonctionnement de l'un des deux groupes électrogènes
en action au moment de la manœuvre d'accostage ; et la Cour de conclure à la faute inexcusable, «
l'armement se devant de veiller à ce que la manœuvre soit exécutée dans des conditions de sécurité
maximales en donnant instruction permanente au bord de faire démarrer les trois groupes
électrogènes ».
L'arrêt aixois a été censuré par la Cour de cassation pour défaut de base légale103 (et non pas
pour violation de la loi): les motifs avancés par la Cour d'appel ne permettaient pas d'établir que
l'armateur avait « agi témérairement et avec conscience qu'un dommage en résulterait
probablement ». À l'égard de cette décision de la Cour suprême, la doctrine s'est partagée. Ainsi le
Professeur Pierre Bonassies critiquant l'arrêt observe « il est difficile de suivre la Cour de cassation
dans son analyse (...) l’armateur a bien agi témérairement et avec conscience du dommage qui
pourrait résulter de son comportement. Les conclusions des experts sont en effet formelles.
Lorsqu’un propulseur d’étrave – comme c’était le cas en l’espèce - ne peut fonctionner qu’avec
l’assistance de deux groupes électrogènes, alors que le navire dispose de trois groupes, la
prudence la plus élémentaire exige que les trois groupes soient mis en marche avant
d’entreprendre une manœuvre ».
Inversement, le Professeur Philippe Delebecque semble approuver la décision de la Cour de
cassation : « sans doute faut-il rester prudent sur la portée de l'arrêt qui n'est de cassation que pour
défaut de base légale104. Sans doute aussi n'est-il pas vraiment plus rigoureux que les précédents.
Sans doute, enfin, les exigences de sécurité sont-elles essentielles. Il reste, cependant, que la faute
inexcusable doit être caractérisée et constitue dans la hiérarchie des fautes une faute d'une gravité
exceptionnelle. Il ne faut pas que toute faute de l'armateur soit ipso facto qualifiée d'inexcusable.
La transgression d'une mesure de sécurité est certainement une faute. Mais elle ne saurait
constituer une faute inexcusable si cette mesure n'est pas imposée par un texte. Ce n'est sans doute
pas au juge d'égrener les devoirs dont la violation caractérise la faute inexcusable105. Si les règles

102 CA Aix-en-Provence, 10 oct. 2001, navire "Multitank Arcadia" : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code
ISM et la limitation de responsabilité de l’armateur ».
103 Cass. com., 8 oct. 2003 : navire "Multitank Arcadia" , DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle
disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation par le juge de la faute inexcusable » ; Hors série, DMF 2004,
obs. P. Bonassies ; RTD Com.2004, p. 391, obs., Ph. Delebecque.
104 Le mangue de base légale est un chef de cassation mineur, qui ne résulte d’ailleurs d’aucun texte, mais d’une
jurisprudence immémoriale de la Cour de cassation. Ce chef sanctionne, non la méconnaissance par le juge du fond
de la règle de droit – ici, la méconnaissance des dispositions de l’article 4 de la Convention de 1976 –, mais
l’insuffisance par les juges de la constatation des faits, nécessaire pour statuer sur le droit (V. les observations de P.
Bonassies, ibid).
105 Cf infra p. 90.

111
de sécurité sont respectées, fussent-elles minimales, on ne voit pas comment on pourrait parler de
faute. À la rigueur pourrait-on admettre qu'il y a faute s'il est établi que l'armateur a conscience de
ce caractère minimal et de ce qu'il faudrait rehausser les exigences de sécurité. Mais de là à
conclure que cette faute est inexcusable, il y a un pas qu'il est difficile d'avancer, sauf à confier aux
professionnels eux-mêmes le soin de définir les règles de sécurité. C'est sans doute ce pas que la
Cour de cassation a refusé, elle aussi, de franchir106».
Dans la deuxième espèce, le navire Heidberg battant pavillon allemand avait violemment
heurté et endommagé un appontement pétrolier de la société Shell dans le port de Pauillac en
Gironde. D'après l'expertise l'événement préjudiciable tenait à des officiers et un personnel de veille
insuffisants et inefficaces, et surtout un manque de coordination de cohésions dans leurs
interventions. En effet alors que l'officier mécanicien épuisé par une journée de travail pour assurer
le chargement du navire, s'était retiré dans sa cabine, le capitaine était descendu de son côté vers les
machines pour veiller à des opérations de ballastage. Le pilote resté à la passerelle n'avait alors pu,
sans l'assistance d'un officier du bord, maintenir dans la bonne direction.
Dans la décision du 31 mai 2005107, les juges de la Cour d'appel ont tenté de caractériser la
faute inexcusable de l'armateur. En effet selon les juges bordelais, eu égard aux contraintes et aux
difficultés quotidiennes du cabotage et à la faiblesse numérique de l'effectif, il incombait aux
armateurs de faire en sorte qu'il existe entre le capitaine et les hommes de l'équipage la confiance et
la cohésions indispensables pour qu'il puisse être fait face aux événements imprévus, mais non
imprévisibles. Ils en ont conclu qu'en faisant naviguer le navire en l'absence d'une cohésion de son
équipage, l'armateur avait pris le risque que ne puisse être surmontées les difficultés rendant
nécessaires la confiance du commandant dans chacun de ses hommes pour accomplir sa mission.
Dans l'attente de la décision de la Cour de cassation, le Professeur Pierre Bonassies à l'occasion de
la présentation des exposées dédies au Professeur Antoine Vialard (à qui la limitation de
responsabilité face à la faute inexcusable était une question chère) avait observé que la future
décision de la Cour de cassation, ne pourrait aller que dans le sens que le professeur Antoine Vialard
prônait, c'est à dire dans l'approbation de l'analyse avancée par la Cour d'appel de Bordeaux. Et le
Professeur Philippe Delebecque avait souligné que « il serait intéressant de lire l'arrêt – attendu -
de la Cour de cassation pour connaître quel est le parti finalement retenu : entre la notion du

106 V. Ph. Delebecque, « La faute inexcusable en droit maritime francais », JPA 2005, p. 336
107 CA Bordeaux, 31 mai 2005, navire "Heidberg", DMF 2005, p. 841, obs. A. Vialard, « Faute inexcusable de
l'armateur, la marée monte, inexorable » et Hors série, DMF 2005, obs. P. Bonassies ; pour l'arrêt du Tribunal de
commerce de Bordeaux, v. T. com. Bordeaux, navire "Heidberg", 27 sept. 1993 : DMF 1993, p. 731, obs. A.
Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en
matière de créances maritimes » et obs. T. Clemens-Jones « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? » ;
Hors série, DMF 1994, p. 23, obs. P. Bonassies.

112
dommage probable et celle de dommages possible, il y a plus qu'une nuance 108».
Au demeurant la motivation des magistrats bordelais n'a pas été jugée recevable par la Cour
de cassation pour des raisons de procédure109. En effet, selon la Juridiction suprême, en statuant par
un moyen relevé d'office, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce
point, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et a ainsi visé l'article 16 du
Nouveau code de procédure civile. Ainsi l'arrêt censure la méconnaissance d'une règle élémentaire
de procédure et n'a pas donc la possibilité de se prononcer sur le fond du litige, faisant preuve d'un
manque de courage à se prononcer sur la question d'interprétation de la notion de faute inexcusable.
Que faut-il retenir de ces deux décisions de la Cour suprême qui établissent des limites
procédurales à l'application de la faute inexcusable ? Comme le Professeur Pierre Bonassies l'a
remarqué, la jurisprudence récente de la Cour de cassation relève la volonté de cette dernière de
mettre un frein au développement de la conception abstraite de la faute inexcusable mais
parallèlement elle relève le manque de courage de la Juridiction suprême d'adopter une position
définitive en ce qui concerne l'appréciation de ce troisième élément de la notion de faute
inexcusable110. On ne peut donc qu'attendre de ses décisions suivantes.

Section 2 : La limitation de
responsabilité : droit exceptionnel de
l'armateur ?

L'auscultation des éléments de la notion de faute inexcusable nous conduit catégoriquement


à confirmer la réserve des tribunaux à l'égard de l'institution de la limitation de responsabilité. La
circonspection de la jurisprudence à l'endroit de cette institution dérogatoire au droit commun de
responsabilité se manifeste en effet principalement par la conception abstraite de la faute
inexcusable (§ 1). Mais il convient de s'interroger si cette sévérité dont les tribunaux français font
preuve dans l'appréciation de la faute inexcusable est justifiée, d'autant plus que l'ambition du
législateur international était d'instaurer un droit à limitation presque incassable, en se prévalant

108 Ph. Delebecque, « La faute inexcusable en droit maritime français », JPA 2005, p. 337.
109 Cass. com., 30 oct. 2007, navire "Heidberg" , RD Transp., Comm. 11, obs. M. Ndende.
110 V. aussi,V. Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659, no 65 : « Un second élément
d’appréciation est la conscience du dommage que l’on fait courir aux tiers. On ne doit pas aller jusqu’à une
appréciation purement concrète de cette conscience parce que la faute inexcusable demeure une conduite non
intentionnelle et parce que l’on reste en présence d’une responsabilité civile. Mais la référence doit être celle du
professionnel ».

113
d'une conception restreinte de la faute inexcusable. La problématique ainsi dégagée ne peut être
épluchée qu'après avoir envisagé les dispositions du Code ISM et avoir analysé leur impact sur
l'évaluation de la responsabilité de l'armateur et par extension sur son droit de limitation (§ 2).

§ 1) Le concept jurisprudentiel de la faute


inexcusable facilite l'exclusion de l'armateur de
la limitation de responsabilité

A) Faute inexcusable et limitation de responsabilité pour des dommages matériels

L'intention des rédacteurs de la Convention de Londres et par extension celle des rédacteurs
de la loi française était incontestablement d'ouvrir plus largement l'accès à la limitation, en
substituant, comme faisant obstacle à la limitation, la faute inexcusable à la simple faute, un droit
«incontournable »111. D'après l'article 4 de la Convention, le critère de la conscience de la
probabilité du dommage est subjectif et il ne suffit pas qu’un acteur plus raisonnable que le
défendeur aurait eu conscience du risque pour conclure que le défendeur a commis une faute
inexcusable.
Aux antipodes de l'esprit de la Convention de Londres, la jurisprudence française loin
d'analyser le droit à limitation de responsabilité comme un droit inconditionnel, consacre - en
maintenant que le critère de la conscience de la probabilité du dommage est un critère objectif 112 -
un privilège113 auquel peut seul prétendre l'armateur se conduisant en professionnel de haute
conscience et compétence114. La faute inexcusable est, comme Mme Isabelle Corbier le fait

111 I. Corbier, « La faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » : DMF 2002,
p. 403 ; R. Grime, « The loss of the right to limit », Institute of Maritime Law, The University of Saouthampton,
Limitation of Shipowners Liability, The new law, , éd. Sweet & Maxwell, p 102 et s. : The formulation of intent and
recklenesse contained in art. 4 of the Convention would seem to produce a result extremely favourable to limitation.
There is good grounds for the view tha the rest is subjective and in its own terms requires proof a degree of
knowlwdge which is likely to be difficult to etablish.
112 Et en mésestimant le caractère personnel de la faute inexcusable.
113 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., n0 435, p. 288 et P. Bonassies, « La convention de 1976 sur la limitation de
responsabilité en matière de créances maritimes et le protocole de 1996 » : Annales Inst. Méditerranéen Transp. Mar.
1996, p. 50 : la limitation de responsabilité de l'armateur même si elle se justifie par le caractère d'intérêt général
de cette navigation, ne peut être conçue comme constituant pour les armateurs un droit incontrôlée. Au contraire,
elle reste un privilège, que chacun doit mériter en prenant toutes les mesures qu'imposent la réglementation
applicable en la matière ou la simple prudence d'un bon armateur.
114 T. com. Bordeaux, navire "Heidberg", 27 sept. 1993 : DMF 1993, p. 731, obs. A. Vialard, « L’affaire Heidberg :
Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

114
remarquer, devenue une simple variété de faute lourde, la jurisprudence s’appuyant sur l’idée que
l’armateur est tenu d’une véritable obligation de sécurité de résultat115. Tout manquement à cette
obligation doit être qualifié de faute inexcusable.
Si la jurisprudence ne semble pas avoir définitivement tranché la question du concept de la
faute inexcusable, les deux derniers arrêts de la Cour de cassation dans les affaires ''Multitank
Arcadia'' et ''Heidberg'' entraînant des réserves, on peut raisonnablement prétendre que la
conception française de la faute inexcusable a été considérablement rénovée au cours de la dernière
décennie. Il s'agit d'un assouplissement constant de son admission au risque de renverser la logique
de la limitation de la réparation tant et si bien que, de principe, la limitation de réparation
deviendrait exception116.
Le droit maritime est donc actuellement le théâtre d'une évolution de la notion de la faute
inexcusable. Cette mutation de la faute inexcusable en droit maritime n'est tout de même pas sans
rappeler celle qu'elle connait actuellement en droit des accidents du travail dont l'évolution est sous
- tendue par un objectif identique, à savoir casser la limitation forfaitaire de la loi du 9 avril 1989 et
assurer ainsi à la victime une réparation intégrale de son préjudice 117. « Pour la jurisprudence
aujourd’hui, le recours à une conception large de la faute inexcusable, notion dont la définition
varie selon les personnes qui l’invoquent, permet tantôt une meilleure indemnisation du salarié,
tantôt la réparation intégrale du préjudice subi en matière de transport »118.
Confirmant son entreprise d'élargissement de la faute inexcusable en droit maritime, la Cour
de cassation par son arrêt ''Stella Prima''119 a consacré la notion de l'apparence de faute
inexcusable. En se contentant d’une simple apparence de faute inexcusable, la jurisprudence ouvre
une lézarde dans la « clé de voûte » du droit maritime et place le droit à limitation de responsabilité
en lévitation, entre deux chaises, entre la déchéance définitive et le droit à limitation avéré. « Cette
position n’est certainement pas conforme à l’esprit, ni à la lettre de la convention de Londres. Le
droit à limitation existe ou n’existe pas ; il ne devrait pas suivre l’état de la marée judiciaire, dans

» et obs. T. Clemens-Jones « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? » .


115 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », Mélanges P.
Bonassies, éd Moreux, 2001, p. 103 et s.
116 I. Corbier, « The notion of faute inexcusable », article publié sur le site personnel de l'auteur
(www.isabellecorbier.com).
117 Cf supra, p. 24.
118 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de
l'avocat, www.isabellecorbier.com de même qu' à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p.
52-69.
119 Cass. com., 3 avril 2002, navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de
l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors série, DMF 2002, obs. P. Bonassies ; pour
l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, v. CA Montpellier, 7 déc. 1999, DMF 2000, p. 813, obs. A. Vialard, «
L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de responsabilité »
et Hors série, DMF 2000, obs. P. Bonassies : « nous regretterons que le juge se soit limité à la constatation d’une
faute « présentant l’apparence d’une faute inexcusable ».

115
ses flux et reflux ».
Néanmoins, à vouloir adopter une conception de plus en plus large, les juges du fond
risquent de faire perdre toute substance à la notion de faute inexcusable. Cette jurisprudence
s'inscrit dans le droit fil de l'évolution du droit consistant à déchoir plus systématiquement le
transporteur de soin droit à limitation, évolution que le renforcement de la sécurité maritime ne
dément pas, bien au contraire120. « La notion de faute inexcusable de l’armateur permet
actuellement aux juges du fond d’établir une distinction entre le « bon » et le « mauvais »
armateur. Seul l’armateur irréprochable – c’est-à-dire l’armateur à qui l’on ne peut rien reprocher
– est en droit de limiter le montant de sa responsabilité. à défaut, l’indemnisation des victimes ne
peut être qu’intégrale121 »
Cette solution pose d'ailleurs le problème de « l'interprétation franco-française » des
principes d'origine internationale et plus particulièrement des conventions internationales de droit
maritime122. Comme l'observait le Professeur Antoine Vialard l’interprétation judiciaire française du
concept de faute inexcusable constitue donc un océan d’originalité dans une jurisprudence
internationale massivement contraire123. Cela à provoqué « l'isolationnisme » de la jurisprudence
française dont certains auteurs se plaignent par rapport à l'interprétation de l'article 4 de la
Convention de Londres qui tendait, nous venons de le souligner, à rendre « incassable » la limite de
responsabilité124. Il y a en effet dans les pays anglo-saxons (ou dans la Belgique 125), une
interprétation plus restrictive de l'exception prévue à l'article 4 au principe général de limitation de
la responsabilité126 sauf aux États-Unis, qui n'ont pas ratifié la Convention de Londres et qui
appliquent comme cause de déchéance du droit à limitation du shipowner, la owners privity or

120 P. Bonassies, Rapport des synthèse, Actes de la 9ème journée Ripert, DMF 2002, p. 1085 : cette réserve des
tribunaux se manifeste surtout à propos de la notion de faute entraînant déchéance pour l’armateur du droit à
limitation. V. aussi Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc., no 51 : Rodière craignait que
l'érosion de la faute ne pousse les juges à voir partout la faute inexcusable, par exemple le seul fait pour un
armateur de laisser naviguer un navire dont il connaît un défaut quelconque (V. R. Rodière, Traité général de droit
maritime : Dalloz, 1976, Introduction et Armement, n° 613).
121 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de
l'avocat, www.isabellecorbier.com de même qu' à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p.
52-69.
122 M. Rimaboschi, op.cit., p. 213.
123 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de
responsabilité », DMF 2000, p. 813.
124 A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579.
125 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659.
126 P. Bonassies, ibid : Il existe quand même certains États maritimes où aucune décision significative n’est certes
intervenue, notamment en Italie ou en Grèce -ajoutons nous- (V. ainsi A. Kiantou Babouki, Droit Maritime,
Sakkoula, 5e éd., 2005, p. 388 ; E. Gologina-Oikonomou, « Limitation de la responsabilité en matière de créances
maritimes (l'article 4 de la Convention de Londres notamment en droit grec) », Quatrième conférence du droit
maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et
international, Sakkoulas, 2001, p. 101).

116
knowledge127 prévue dans la section 183 du 46 U.S.C128. On en infère que dans la comparaison entre
le droit américain et la jurisprudence française il existe un phénomène d'unification.
C'est un double défaut que présente ainsi la conception française de la faute inexcusable :
l’application d’une interprétation franco-française à un concept d’origine internationale, d’une part ;
et la violation manifeste de l’intention clairement affirmée du législateur international de rendre
pratiquement « incassable » la limitation de la responsabilité, d'autre part.
La seule « vraie justification » de cette jurisprudence est, ce faisant, de venir en aide à des
victimes : « déjà victimes de dommages causés par l’activité armatoriale, elles étaient, de surcroît,
exposées à des plafonds de réparation qu’elles jugeaient ridiculement bas129 ». La jurisprudence
française a certainement dû être influencée, par mansuétude à l’égard des victimes, par les plafonds
relativement bas de la limitation de responsabilité octroyée à des armateurs dont l’image n’est pas
toujours celle de l’impécuniosité130.
« Compte tenu du niveau plutôt faible de la limitation de responsabilité que la convention
de Londres met en place, il est de plus en plus fréquent, si ce n'est pas systématique que le
créancier auquel cette limitation est opposée cherche à en priver le débiteur en invoquant la faute
inexcusable »131. « On constate ici, plus encore que dans le transport maritime des marchandises, la
tentation quasi systématique des victimes de faire prononcer la déchéance du bénéfice de la
limitation invoquée par le transporteur ou l'armateur »132.
Les tribunaux s'érigent en effet en censeurs des dispositions légales limitatives de
responsabilité lorsque ces limitations ne permettent plus, de toute évidence, de répondre à l'attente
légitime des victimes. Et cela d'autant plus que la Cour de cassation laisse aux juges du fond une
grande liberté pour apprécier si les éléments constitutifs de la faute inexcusable existent bien.
Influencés par la gravite d'un accident et par les conséquences dommageables de celui-ci pour la

127 ''Privity extends to those faults in witch the owner actually participated, while konwledge includes those faults of
which the owner has personal cognizance''.
128 P. Bonassies ibid : « Mais les tribunaux américains, sur le fondement d’autres textes, témoignent de la même
rigueur que les tribunaux français ».
129 A. Vialard, ibid ; V. aussi P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », préc., p.75 et s. :
Cette sévérité s'explique aussi sans doute de la culture juridique dont les juridictions françaises sont imprégnées.
En droit français, la règle que chacun doit réparer le dommage causé par sa faute est fortement affirmé par l'article
1382 du Code civil, un texte que le Conseil Constitutionnel a lu comme posant un principe général de valeur
constitutionnelle.
130 I. Corbier, « La faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » : DMF 2002,
p. 403 ; P. Bonassies, préc., p. 1085 : Or, c’est certainement la modestie de la limitation qui conduit les tribunaux à
adopter une conception très ouverte de la notion de faute inexcusable ; A. Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros
temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes »,
DMF 1993, p. 731.
131 I. Corbier, « La faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » : DMF 2002,
p. 403.
132 A. Vialard, Droit maritime, PUF, Droit fondamental, 1997, p.133, n° 155.

117
victime, les juges du fond ont tendance à faire perdre sa place spécifique attribuée à cette faute133.
« Or pour rester objectif, force est de signaler que les tribunaux français n'ont jamais nié le
droit à limitation de l'armateur qui respecte ses obligations. Pour eux la limitation de
responsabilité demeure un élément fondamental du droit maritime134 ». En témoignent deux arrêts
de la Cour d'appel d'Aix en Provence135. Le premier est l'arrêt ''Zulu Sea''136. Dans la première
affaire en se fondant sur les conclusions de l’expert, les juges du fond ont constaté que l’abordage
était dû à une succession de divers incidents mécaniques (d'où la responsabilité de l'armateur). Puis,
relevant que le navire était en bon état d’entretien et que les fautes d’appareillage ne pouvaient pas
être considérées comme des fautes personnelles commises par l’armateur, les juges du fond ont
autorisé ce dernier à limiter sa responsabilité.
Et c'est le même raisonnement que l'on retrouve dans l'arrêt ''Moldavia''137. Dans cette
affaire le navire ''Moldavia'' avait dérapé de son mouillage sous l’effet du vent et avait endommagé
les installations piscicoles d’une ferme marine, située au large de Juan-les-Pins. L’équipage n’avait
pas pu éviter le choc car la commande d’inverseur s’était cassée. Les juges du fond ont également
considéré que cette défaillance mécanique ne constituait pas une faute inexcusable de l’armateur
dans la mesure où l’armateur rapportait la preuve de l’état de navigabilité du navire et où la preuve
contraire de l’innavigabilité du bâtiment n’était pas démontrée, une telle preuve ne pouvant pas être
rapportée par un incident isolé affectant un organe accessoire du navire. Les tribunaux français
savent marquer des limites à leur rigueur (et ses limites se trouvent dans la violation de l'obligation
de sécurité). Quand cela leur paraît fondé, ils n’hésitent pas à refuser de voir dans l’erreur commise,
voire la carence manifestée par un armateur, une faute inexcusable.
Tout cela va-t-il changer ? Le Professeur Pierre Bonassies opine que « appliquer avec
rigueur la notion de faute inexcusable ne saurait affecter un armateur conscient de ses
responsabilités138. Demain d’ailleurs, la conception objective qu’a le droit français de la faute

133 I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de
l'avocat, www.isabellecorbier.com de même qu'à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p.
52-69 : Il faut l’admettre : le principe de la limitation de responsabilité est remis en cause, voire battu en brèche.
134 P. Bonassies, op.cit., p.75 et s. ; Hors série, Le droit positif en France en 2001, DMF 2002, obs. P. Bonassies.
135 V. également dans le même sens un arrêt de la Cour d'appel de Douai qui a attribue le droit a limitation a l'armateur
ayant pris en considération que « le dommage trouve son origine dans une « banale » faute de navigation de son
capitaine (simple faute d’imprudence, dit l’arrêt), alors qu’il ne peut être reproché à l’armateur aucune faute
inexcusable dans la sélection ou la formation des membres de son équipage ou de son capitaine » ( CA Douai, 17
oct. 2002, navire ''Vasya Korobko'' : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard).
136 CA Aix-en-Provence, 5 nov. 1998, navire "Zulu Sea" : DMF 2002, p. 125, obs. P. Simon, B. Coste.
137 CA Aix-en-Provence, 8 juin 2000, navire"Moldavia " : DMF 2002, p. 132, obs. P. Simon, B. Coste.
138 V. aussi Y. Tassel, préc., no 52 pour une lecture prototype de la Convention de Londres : Si l'on admet que la
limitation repose sur le risque de mer, c'est-à-dire sur la considération que le milieu marin aggrave les
conséquences de l'erreur humaine, il devient légitime de la laisser s'appliquer encore en cas de faute simple, y
compris personnelle à l'armateur (...) Dès lors, on doit écarter l'idée que la réforme de 1976 tient aux excès de la
jurisprudence ou à la pression des armateurs et des assureurs. Corrélativement, il convient d'apprécier avec une
certaine rigueur la faute inexcusable pour laisser à la limitation un espace encore utile ; Y. Tassel, « Le dommage

118
inexcusable pourra s’appuyer sur les obligations imposées aux armateurs par le Code ISM139

(demain ou plutôt ce jour même, puisque le Code ISM est applicable à tout navire depuis ce 1er
juillet 2002 à zéro heure) (...) le maintien d’une conception exigeante de la faute inexcusable est
peut-être l’une des conditions de la survie de l’institution ». « D'ailleurs les arrêts de ''Zulu Sea''
et de ''Moldavia'' n'apportent pas la conviction que les conclusions présentées ci-dessus peuvent
être reformées, d'autant plus que la même Juridiction (la Cour d'appel d'Aix en Provence) a dans
son arrêt ''Multitank Arcadia''140 manifesté une extrême rigueur 141
». Il demeure que l'on serait
tenté de le penser à la lecture de la jurisprudence récente de la Cour de cassation.
En effet, il ne faut pas méconnaitre que l'analyse de la jurisprudence française, la plus
récente nous précise que l'exception à la limitation a été interprétée avec plus de rigueur
qu'auparavant. La Cour de cassation marquant une certaine réticence142 a refusé de confirmer le
concept de la faute inexcusable préconisée par les juridictions du fond dans les affaires des navires
''Mulitank Arcadia''143 et '' Heidberg''144. Certes, les motifs de ce refus ne s'appuient pas sur le
fond du litige et en définitive sur la substance de la notion de la faute inexcusable et ses rapports
avec l'institution de la limitation. À l'instar de la faute inexcusable du transporteur maritime dans
l'affaire du navire Ethnos, c'est sur la base des motifs procéduraux (défaut de base légale, violation
du principe de contradiction) que la Haute Juridiction a écarté les motivations des tribunaux de
fond. La question peut donc se poser valablement : ce serait là l’amorce d’une révolution dans
l’approche du problème, et la limitation de responsabilité deviendrait véritablement ce droit
incassable, appelé de leurs vœux par les rédacteurs des conventions internationales ?
Deux raisons peuvent principalement justifier la légitimité de cet élargissement, l'une tenant
à la cohérence des arrêts de la Cour de cassation145 et leur conformité avec le principe « la

élément de la faute », DMF 2001, p. 659 : On ne doit pas aller jusqu’à une appréciation purement concrète de cette
conscience parce que la faute inexcusable demeure une conduite non intentionnelle et parce que l’on reste en
présence d’une responsabilité civile.
139 Cf infra, p.123.
140 CA Aix-en-Provence, 10 oct. 2001, navire "Multitank Arcadia" : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code
ISM et la limitation de responsabilité de l’armateur ».
141 P. Bonassies, préc. p.75 et s.
142 Y. Tassel, op.cit., no 49.
143 Cass. com., 8 oct. 2003 : navire "Multitank Arcadia" : DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle
disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation par le juge de la faute inexcusable » ; Hors série, DMF 2004,
obs. P. Bonassies, RTD Com.2004, p. 391, obs., Ph. Delebecque.
144 Cass. com., 30 oct. 2007, navire "Heidberg", RD Transp. Comm.11, obs. M. Ndende. V. aussi l'arrêt de la Cour de
cassation dans l'affaire du navire ''Laura'' : « toute faute inexcusable de l'armateur est exclue si son choix a porté
sur une personne expérimentée et apte à accomplir les services demandés » (Cass. com. 4 Oct. 2005, navire
''Laura'' : DMF 2006, p.118, rapport G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque) ; et le professeur Philippe
Delebecque ajoute quant à faire un rapprochement, dans un sens ou dans un autre, avec la fameuse affaire du «
Heidberg », on se permettra, pour l'instant, de nourrir encore un certain doute . Cependant l'arrêt de la Cour d'appel
de Bordeaux a été censuré.
145 J.-P. Beurier, Droits maritimes, Ouvrage collectif : Coll. Dalloz Action, 2006-2007, M. Ndende, Limitation de
responsabilité de l'armateur, p. 407 : L'une de preuve de cette dérive de la faute inexcusable réside dans le fait que

119
limitation de responsabilité de l’armateur demeure la règle, le droit commun et la déchéance
l’exception »146, principe qui constitue en définitive un des aspects de la spécificité du droit
maritime. L'autre repose sur des considérations d'ordre économique, politique et sociale favorables
à l'abandon de l'interprétation in abstracto de la faute inexcusable de l'armateur puisant dans la
globalisation de l'économie et dans la mondialisation de la concurrence. En effet, la mondialisation
de l'économie et de la concurrence ne peut pas tolérer des différences législatives importantes au
regard de questions aussi importantes que celles touchant à la responsabilité. En d'autres termes,
ce serait la nature même des choses qui réclamaient l'unité de la discipline147.
« Cette réorientation ne manquerait pas de ressusciter le débat sur la légitimité de la
limitation, au regard des montants retenus dans les différents textes qui y font référence. S’agissant
de dommages causés à des biens, le plus souvent à des biens assurés, tout est en la matière question
d’arbitrage entre les intérêts opposés des armateurs ou transporteurs et ceux des chargeurs ou
propriétaires des biens endommagés. Une limitation incassable n’est acceptable que si les plafonds
retenus le sont eux-mêmes. Si tel n’est pas le cas, il se trouvera toujours des avocats pour plaider la
faute inexcusable, et des tribunaux pour se rendre à leurs arguments 148». « Une augmentation très
sensible devrait être apportée au montant de la limitation ». Certes, les montants de 1976 ont été
augmentés par le Protocole de 1996. Cette hausse des plafonds va modifier la rigueur à l'égard de la
faute inexcusable ? Le Professeur Pierre Bonassies ne le pense pas : « l’augmentation demeure
modeste – sauf pour ce qui est des créances des passagers. Si l’on tient compte, ici aussi, de
l’érosion monétaire depuis 1996, les montants prévus par la Convention de 1976 n’ont guère été
augmentés que de 50 à 100 % (multipliés par un facteur de 1,5 à 2). Et puis surtout, le Protocole de
1996 n’a été, à ce jour, ratifié que par un petit nombre d'États149 ».
Il faut donc attendre les arrêts des cours de renvoi de même que les décisions à venir de la
Cour de cassation150. Sur ce point, nous tiendrions à mettre en exergue l'opinion du Professeur

la jurisprudence a fini par construire une notion a facettes multiples ou a géométrie variable et qui retient tantôt à
la faute personnelle de l'armateur, et tantôt celle de ses navigants et autres préposés. Le retour de la jurisprudence
à un minimum d'harmonie et d'orthodoxie est assurément souhaitable.
146 I.Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de l'avocat,
www.isabellecorbier.com de même qu' à la JPA, 2005, p. 292-313 et au Diritto Marittimo, fasc. I, 2007, p. 52-69.
147 M. Rimaboschi, op.cit., p. 213.
148 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de
responsabilité », DMF 2000, p. 813.
149 P. Bonassies, préc.p.1085.
150 Il importe sur ce point de souligner qu'en vertu de la jurisprudence Maria Bel (Cass. Com., 28 mai 1991, navire
''Maria-Bel'', DMF 1992, p. 665, obs. Ph. Godin et Hors série, Le droit maritime français en 1992, DMF 1993, obs.
P. Bonassies), « le fonds de limitation, dans la procédure ouverte par une ordonnance du président du tribunal, est
régi par la loi en vigueur, non pas à la date où les dommages ont été causés, ou du dépôt de la requête formée par le
propriétaire du navire, mais à la date où l’ordonnance a été rendue ». Cette solution comme l'a fait relever le
Professeur Pierre Bonassies est favorable pour les victimes en cas de modification législative du montant du fonds. «
Si l'armateur tarde a constituer le fonds, le créancier bénéficiera du nouveau montant de la limitation. Il en serait
de même si l'ordonnance autorisant la constitution du fonds était reformé en appel. Le juge d'appel devrait calculer

120
Philippe Delebecque qui estime que la cour d'appel de renvoi va, dans sa décision qui sera rendue
dans l'année prochaine, retenir une conception de la faute inexcusable moins sévère, accordant ainsi
à l'armateur le droit à limiter sa responsabilité : « en effet, l'armateur était en l'espèce assez prudent
pour l'en priver »151.

B) Faute inexcusable et limitation de responsabilité pour des dommages corporels152

« Il ne s’impose pas comme une vérité d’évangile que les solutions retenues pour le
transport maritime de marchandises soient purement et simplement transposées en matière des
passagers »153. Situer la réflexion sur les deux terrains essentiels de la limitation de responsabilité,
selon qu’elle est située dans le domaine de la réparation de dommages simplement matériels ou, au
contraire, dans le domaine de la réparation de dommages aux personnes semble opportun. La
difficulté étant, au demeurant, que les textes sont exactement les mêmes dans l’un et l’autre
domaine, de telle sorte que cette dichotomie prospective paraît bien hardie, si l’on doit admettre que
les textes en question sont « intouchables ».
On sait, en effet, qu’un fort courant de contestation du système appliqué aux personnes
transportées par voie maritime existe actuellement: cela concerne non seulement le régime de la
responsabilité du transporteur à leur égard que le mécanisme même de la limitation de
responsabilité lorsque celle-ci se trouve engagée dans les conditions prescrites154. C'est l'existence
de ce mécanisme dérogatoire au principe de la réparation intégrale en droit privé qui n'est
aujourd'hui pas justifiée, tant il est loin de s'imposer par la seule force de l'évidence comme cela
semblait être le cas jusqu'alors.
S'agissant de la limitation de responsabilité de l'armateur pour des dommages corporels deux
thèses s’affrontent : pour les tenants de la première, la limitation de responsabilité opposée aux
passagers de navires est « médiévale et intolérable » ; pour les tenants de la seconde, cette limitation

le fonds sur la nouvelle base » (P. Bonassies et Ch. Scapel, op.cit., p. 267, no 409).
151 Cette position a été exprimée lors d'une discussion au sujet du contenu de la notion de faute inexcusable, dans
le cadre de nos recherches. Elle n'est pas publiée dans de texte.
152 Il convient ici de préciser que la Convention de Londres distingue entres les dommages corporels éprouvées par les
passagers embarqués à bord du du navire et les autres personnes tierces qui se trouvent à terre et avec qui l'armateur
n'a aucun lien contractuel. En effet la hausse des plafonds de limitation apportée par le Protocole de 1996 ne
concerne que les dommages corporels subis par les passagers.
153 A.Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation », DMF 2002, p. 579.
154 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007, p. 15.

121
est un mal nécessaire, faute de laquelle l’industrie du transport maritime de passagers et des
croisières maritimes s’effondrera, pour inassurabilité155.
De ce fait, les mécanismes mis en place tant par les différentes conventions spécifiques sur
le transport maritime des passagers (Convention de Bruxelles de 1961, Convention d’Athènes de
1974) que par la Convention « généraliste » de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de
responsabilité en matière de créances maritimes) donnent des résultats inacceptables dès lors qu’ils
sont appliqués dans des pays à très haut niveau de vie, où les indemnités accordées en application
de ces dispositions sont à cent lieues de celles qui sont accordées en toute autre circonstance,
lorsque la vie humaine ou l’intégrité physique ont été compromises156. Ceci explique le déclin actuel
des plafonds de limitation de responsabilité pour lésions corporelles, sous l'effet conjugué des
critiques doctrinales, d'une jurisprudence qui s'efforce de les contourner et d'intervention du
législateur, sensible à la nécessité d'une juste indemnisation des dommages corporels d'où son
hostilité à l'égard des plafonds de limitation157. On constate donc ici, plus encore que dans le
transport maritime de marchandise, la tentation quasi systématique des victimes de faire prononcer
la déchéance du bénéfice à limitation invoqué par le transporteur ou l’armateur.
Par voie de conséquence, deux solutions ont été développées dans la doctrine pour éviter
l’application de ces limitations dérisoires. Il a donc été proposé de maintenir l’interprétation
abstraite (analogue à celle qui a été retenue en matière des accidents de transport aérien lorsque la
Convention de Varsovie trouve application158 ou de l'indemnisation de maladies et d'accidents de
travail159) de la faute inexcusable du transporteur ou du propriétaire du navire160, en élargissant
autant que possible les effets dévastateurs quant au droit à limitation de son bénéficiaire.
« Mais si l’orientation prise par la Cour de cassation dans le domaine du transport de
marchandise devait être celle que nous proposons plus haut, un décalage curieux se produirait dans
l’interprétation prétorienne d’une notion reposant sur des textes strictement identiques dans leur
formulation. Car la faute inexcusable du transporteur de marchandises est exactement formulée
comme la faute inexcusable du transporteur de passagers ; a fortiori lorsque la cause de déchéance
est indistinctement posée pour tous les types de dommages matériels ou personnels, comme c’est le
cas dans la Convention de Londres de 1976. Comment admettre, en effet, que sur un fondement

155 A. Vialard, ibid.


156 Pour de plus amples développements sur la limitation de réparation de l'armateur dans l'hypothèse du transport
maritime de passagers v. F-X. Pierronnet, op. cit., p. 557, n0 866 et s.
157 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007, p. 15. Ainsi l'exemple de la
Convention de Montréal.
158 Cf supra, p. 43.
159 Cf supra, p. 24.
160 D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, J-Cl Transport, Fascicule 1278 n0 47.

122
strictement identique, soient construites des jurisprudences diamétralement opposées selon la
nature des intérêts en cause161? »
Si la chose est impossible, et si l’on convient qu’il faut améliorer le sort des victimes
corporelles de l’activité maritime, c’est alors qu’il convient de modifier la règle même du jeu, soit
en se prononçant pour une responsabilité en principe illimitée162 de l'armateur pour les dommages
corporels du transporteur maritime de personnes163, soit en maintenant le principe même de la
limitation, en revoyant les plafonds à la hausse, et en permettant d’en obtenir la déchéance sur la
preuve d’une faute moins caractérisée que la faute inexcusable164.
En guise de conclusion nous nous contentons de renvoyer aux remarques du Professeur
Pierre Bonassies165 : « L'observation Doyen Ripert (que le créancier maritime qui subit la limitation
pourra demain en bénéficier) n'a sa pleine valeur que pour les participants directs au commerce
maritime. Elle ne vaut pas pour les passagers non professionnels, et encore moins pour les terriens
victimes d'une pollution166. Mais à cette réserve répond sans doute raisonnablement, d'une part
l'augmentation très forte du montant de la limitation pour les dommages aux passagers167 et d'autre
part la mise en place en 1971 pour les victimes de pollution d'un mécanisme spécifique fortement
amélioré en 1992 et en 2000, celui du Fipol ». « À la vérité, en matière de pollution, le principe
même de la limitation de responsabilité n’a pu être maintenu qu’en raison de la mise en place d’un
second système de réparation, celui du FIPOL. C’est seulement parce que le FIPOL prend le relais
du propriétaire du navire que la limitation peut ici survivre168 ».
L’institution de la limitation de responsabilité de l'armateur est synonyme du droit maritime.

161 A. Vialard, ibid.


162 D. Le Prado, « Équité et effectivité du droit à réparation », intervention à la conférence « L’équité dans la réparation
du préjudice du 5 décembre 2006 », publié sur le site de la Cour de cassation (www.courdecassation.com),
colloques passés, 2006, Cycle Risques, assurances, responsabilités 2006-2007, p. 16 : « On doit s'interroger sur le
maintien de plafonds d'indemnisation en matière du préjudice corporel dans la mesure où leur fondement n'est pas
valable ».
163 Ce qui constitue la solution retenue en matière aérienne depuis la mise en place de la Convention de Montréal. V.
dans le même sens P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 806, n0 1254 qui rappelle également le rôle de la
Commission en la matière et la nécessité d'une intervention pour améliorer le régime d'indemnisation des victimes
des lésions corporelles. La tendance serait ainsi à l’alignement aussi complet que possible des droits des passagers
maritimes sur ceux des passagers aériens, dont on sait qu’ils ont été progressivement augmentés pour devenir
aujourd’hui droits à réparation pratiquement illimitée.
164 P. Bonassies, « Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité », préc., p. 103 et le droit positif français en
1993.
165 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 305, n0 454 et P. Bonassies, préc. p. 1085.
166 V. aussi Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à l'aube du XXIème siècle », préc. p. 929 : « Si la question de
la limitation de la réparation en matière de transport des marchandises par ne soulève pas ou peu d'objection, il
n'en vas pas de même en matière de déplacement des personnes pas mer où la vie humaine est en jeu ».
167 Notamment depuis la mise en application du Protocole de 1996 qui, entre autres, supprime le plafond absolu de 25
millions de DTS et double, quant aux passagers, le montant de limitation prévu par la Convention de 1976. Pour de
plus amples développements sur l'apport du Protocole de 1996, v. M. Ndende, « Le protocole du 2 mai 1996
modifiant la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances
maritimes, RD Transp. 2007 », étude 15.
168 P. Bonassies, Rapport des synthèse, préc., p. 1085.

123
Toutefois, elle apparaît dépassée par les développements de la technologie moderne, lesquels font
des navires des sources de danger non seulement pour les marchandises qu’ils transportent, mais
aussi pour les tiers, et surtout pour l’environnement. Ce pullulement des périls que la navigation
maritime implique ne doit tout de même conduire vers sa disparition169. Au contraire, la critique de
l'institution ne doit pas être stérile mais elle doit amener à reconnaître ses insuffisances et ses
faiblesses, et tenter de les pallier au mieux. Et une des ses faiblesses est incontestablement
l'interprétation de la faute privative de l'armateur de la limitation de responsabilité (non seulement
en France mais dans l'ensemble des pays adhérents à la Convention de Londres).
Le particularisme de la jurisprudence française réside dans l'interprétation sévère de la faute
inexcusable. Cela dit, il convient de s'interroger encore une fois si ce particularisme, vu sous
l'éclairage du Code ISM, est incohérent.

§ 2) La nouvelle dimension de l'obligation de


sécurité maritime favorise la privatisation de
l'armateur de la limitation de responsabilité

« La sécurité maritime n’est pas une obligation nouvelle. Le besoin de sécurité a toujours
existé ; l’assurance maritime en témoigne. La sécurité maritime vise d’abord la sauvegarde du
navire, de l’équipage et de la cargaison. Longtemps le risque majeur est venu de la mer qui faisait
de l’activité maritime une entreprise hasardeuse. La fortune de mer restait le risque maritime
principal : elle illustrait les dangers propres à l’exploitation d’un navire. Symbole du caractère
particulier de l’expédition maritime, la notion de fortune de mer a justifié longtemps le principe de
la limitation de responsabilité de l’armateur. La sécurité maritime vise ensuite la sûreté de la
navigation. La mer reste un milieu hostile ; les progrès techniques et scientifiques n’ont pas
supprimé tout risque de naufrage. Mais de nos jours, les risques majeurs proviennent surtout de la
nature de la marchandise transportée et des conditions d’exploitation 170».
La sécurité maritime a pris ces dernières années une dimension nouvelle : elle est devenue
l’enjeu majeur de notre époque. Qu’il s’agisse de protéger le navire contre la mer ou la mer contre
le navire, la réaction de l’opinion publique des pays industrialisés est la même : l’accident, la «

169 La faveur légale que l'histoire a justement accordé aux armateurs se heurte aujourd'hui à la faveur sociologique
dont est victime un pareil privilège, considéré comme excessif parce que son véritable fondement a été perdu de vue
( F-X. Pierronnet , op. cit., p. 356, n0 583 et s.).
170 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de l'avocat,
www.isabellecorbier.com de même qu' à la JPA, 2005, p. 292-313.

124
fortune de mer », n’a plus sa place, aux yeux du public, dans le transport maritime 171. L’armateur
doit avoir su prévoir et prévenir tous les risques, qu’ils visent les passagers, la marchandise ou le
navire.
Le Code ISM rend compte de cette évolution. Il a en effet pour but de garantir la sécurité en
mer et la prévention des lésions corporelles ou des pertes en vies humaines, empêcher les atteintes à
l’environnement, marin notamment. En effet, face à l'importance du facteur humain en matière de
sécurité maritime, il est apparu nécessaire d'élaborer non seulement des réglés techniques destinées
à renforcer la sécurité des navires et de la navigation mais également des règles prenant en compte
l'aspect humain, longtemps négligé par le législateur maritime. C'est dans ces conditions, mais
également dans le souvenir de la catastrophe liée au naufrage «Herald of free Entreprise » en 1987,
que le Code ISM (International Safety Management Code) a été adopté en novembre 1993 par
l'OMI172. Intégré dans la Convention SOLAS, il en constitue le chapitre IX. Rendu tout d'abord
obligatoire pour les navires à passagers dès le 1er juillet 1996, il concerne tous les navires d'un
tonnage supérieur à 500 Tjb depuis le 1er juillet 2002173.
Le Code ISM fixe trois objectifs principaux (offrir des pratiques d'exploitation et un
environnement de travail sans danger, établir des mesures de sécurité contre tous les risques
identifiés, améliorer constamment les compétences du personnel en matière de gestion de la
sécurité) et des moyens pour les réaliser, notamment à travers un système lourd de gestion de la
sécurité, à mettre en œuvre par la compagnie de transporte maritime. Principalement, la compagnie
doit s'assurer qu'un responsable direct ayant accès au plus haut niveau de la direction est désigné à
terre. En outre un système de gestion de la sécurité attesté par un certificat délivré par une société
de classification doit garantir que les règles et règlements, codes directives et normes applicables
recommandés par l'OMI et les différentes autorités du monde maritime sont pris en considération 174.
Le système doit être matérialisé par un recueil de procédures dont le nombre peut atteindre 3.000.
Quelle est l'incidence du Code ISM sur l'institution de la limitation de responsabilité de
l'armateur et comment ses dispositions seront interprétées par rapport aux éléments de la faute
inexcusable ? Le professeur Yves Tassel vient à délimiter la question d'une façon très claire 175 : «
L’incertitude la plus vive reste posée par l’incidence du code international de gestion de la sécurité

171 I. Corbier, ibid. : « la prévention des risques n’est pas encore ancrée dans la mentalité des acteurs du monde
maritime : les gens de mer vivent trop souvent avec l’idée de fatalité Mais l’opinion publique ne peut pas admettre
aujourd’hui que personne ne soit responsable ».
172 Adopté à Londres le 4 novembre 1993, le Code ISM est entré en vigueur en France le 1er juillet 1998 (JO n°291,16
déc. 1998, p. 18902).
173 F-X. Pierronnet , op.cit., p. 356, n0 583 et s.
174 Who will be responsible for carrying out the safety and pollution prevention aspects imposed of the ISM Code ?,
étude publiée sur le site personnel de l'auteur (www.isabellecorbier.com), 2002.
175 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659.

125
maritime (ISM Code). Mon opinion est qu’il pourrait être interprété dans deux directions
opposées : soit comme écran pour restreindre la possibilité de « casser » la limitation de
responsabilité, soit, au contraire, comme point d’appui pour élever encore plus haut le standard de
la sécurité 176».
En effet, le Code ISM est, sans avoir pour objectif d'affecter le régime de la limitation de
responsabilité de l'armateur, susceptible d'entraîner des conséquences juridiques remarquables en
matière de responsabilité de l'armateur177 du fait qu'il concrétise, notamment à travers les articles 7
et 8, les obligations dont l'entreprise d'armement est tenu178. Le comportement du propriétaire de
navire est apprécié au regard du Code ISM depuis son entrée en vigueur dès lors qu'un accident s'est
produit179. Le Code ISM devient la référence et la mesure conformément auxquelles l'attitude de
l'armateur sera évaluée (bon « responsable ISM de famille »)180.
Le propriétaire du navire sera donc systématiquement contraint d'apporter la preuve qu'il a
bien respecté le Code. La notion de présomption de comportement diligent n'existera plus. Une
alternative subsiste : respect ou non respect du Code ISM. Il appartiendra au propriétaire du navire
de prouver que chaque procédure a été respectée181. Or dans bien de cas cette preuve est impossible
à faire. Dès lors, le propriétaire du navire risquera d'être systématiquement condamné dans un
système qui ressemble fort à une responsabilité objective. L'évolution de la notion de sécurité tend à
se traduire par une notion de responsabilité de plus en plus absolue ou objective.
Aussi bien, l'institution de la limitation de réparation du propriétaire de navire risque bien de

176 V. dans le même sens, E. Somers, « Effects of ISM on the Limitation of Liability : the End or a New Beggining,
International Maritime Conference on International Safety Management Code (ISM) and Maritime Competition »,
D. eur. Transp. 1999, p. 41 : Examining the potential effects of the ISM Code on the liability systems in maritime
transport, it seems from the beginning that ISM can either work in favour or against the shipowner or carrier.
177 Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à l'aube du XXIème siècle », préc., p 944 : « Le code ISM est appelé à
renforcer les exigence de sécurité requises des armateurs, à rehausser la diligence que l'on peut attendre d'eux,
spécialement au regard de la navigabilité du navire et, par voie de conséquence, à les sensibiliser davantage aux
risques qu'ils prennent et encourent dans une expédition maritime ».
178 D. Christodoulou, préc.
179 Al. Sheppard – Mandaraka, « The ISM and its effect on shipowners and managers liabilities », Quatrième
conférence du droit maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime
grec et international, Sakkoulas, 200, p. 332: «Undoubtedly the Code will provide a yardstick of conduct against
which ths ship owner's or manager's performance in operation of ships cas be measured by the very reason tha the
Code requires extensive documentation of all incidents anf communications between the designated person and
senior management of the repsective companies » et p.336 : Any failings of the system of operations, selection of
crew, or management, which render the ship unseaworthy, will now be more apparent from the safety management
manuel if the proper documentnation required by the ISM Code is kept ».
180 M.-B. Crescenzo-d'Auriac, op. cit., Fasc. 465-30, n0 44 : « Le Code de gestion de la sécurité (ISM), désormais
applicable, a le mérite de définir très précisément les différentes consignes de sécurité que l'armateur doit observer
et donner à l'équipage et au capitaine : tout manquement de l'armateur à ses obligations en matière de sécurité du
navire tend à être considéré par les tribunaux comme une faute inexcusable de l'armateur ».
181 Al. Sheppard – Mandakara, ibid., p. 343 : In the light of the ISM Code, however, th person seeking limitation is
likely to be questionned wyh he did not make inquieries to ensure that all was in order. Were it to be shown tha he
made a decision tu run the risk or and shut his eyes to a means of knowledge staring him in the face by irtue of the
ISM Code, which, if used, would have produced a conscious realization tha the kind of losse claimed would
probably result, the test of article 4 would be met.

126
payer le prix fort de cette évolution182. La prise d’un risque par l’armateur est devenue inadmissible.
La preuve du caractère inexcusable de la faute est facilitée : parce que, informé de la question
sécuritaire, le dirigeant aurait dû prévoir l’existence du dommage. Ce code I.S.M. introduit
d’ailleurs un autre élément primordial dans la gestion de la sécurité : celui de la prise en compte de
l’élément humain car il oblige à sensibiliser le personnel aux risques de la mer, à l’entrainer pour les
combattre et à mettre en place des plans permettant de mieux appréhender les situations d’urgence.
Que la jurisprudence maritime soit tentée de qualifier automatiquement de faute inexcusable
tout manquement de l’armateur à la sécurité maritime ne saurait dès lors surprendre. Aujourd’hui, il
ne suffit plus que l’armateur ait satisfait aux obligations fondamentales de son métier en mettant son
navire en état de navigabilité et en le dotant d’un équipage suffisant et compétent. « À l'armement
du navire, obligation traditionnelle de l'armateur, la jurisprudence tend à substituer une autre
obligation fondamentale : la sécurité maritime qui se traduit, d'une part par la sécurité du navire
lui-même et, d'autre part, par les instructions et consignes données à l'équipage et au capitaine
pour assurer ladite sécurité. Seul l'armateur dont le comportement irréprochable favoriserait la
sécurité maritime serait donc en droit de limiter sa responsabilité 183». Il n’est pas certain que
l’armateur ait commis une faute ; mais pour les juges du fond, si la conduite de l’armateur n’était
pas irréprochable, c’est qu’elle portait atteinte à la sécurité du navire. « En ne rapportant pas la
preuve d'avoir respecté les obligations fondamentales de son métier, l'armateur laisse à penser qu'il
a conscience que sa conduite n'était pas irréprochable et qu'un dommage pouvait en résulter184 ».
Dès que la preuve de la carence de l'armateur aux obligations établies par le Code ISM est
rapportée, une présomption de faute inexcusable se produit.
Selon le Professeur Pierre Bonassies, cette évolution est inéluctable. « l’entrée en vigueur
générale du Code ne pourrait qu’inciter les juges, dans leur appréciation du comportement de
l’armateur, à se pencher plus encore sur les consignes de sécurité établies par celui-ci, comme elle
devrait inciter les armateurs à préciser les consignes à appliquer par leurs équipages dans toutes
les situations susceptibles de faire naître un danger pour les tiers185». Par ailleurs, la conception
182 M. A. Huybrechts, « The international Safety Management Code from Human Failure to Achievement,
International Maritime Conference on International Safety Management Code (ISM) and Maritime Competition »,
D. eur. Transp., 1999 : The institution of the designed person and the documentation required by the Code will
prevent the owner's defence of not being aware ; E. Somers, op.cit.,, : It seems tha exemptions from limitation of
liability damage caused through ship operations, might come under fire by not comlying with the requirements of
ISM.
183 I. Corbier, « La faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » : DMF 2002,
p. 403.
184 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité », Mélanges P.
Bonnassies, éd. Moreux, 2001, p 103 et s. ; V. également D. Christodoulou, op. cit.
185 P. Bonassies, « Notion de faute inexcusable de l’armateur » DMF 2001, p. 981 ; V. également, I. Corbier, « La faute
inexcusable, notion à facettes multiples », DMF 2005, p. 713 : « Que cette évolution trouve un écho sensible auprès
des juges n’est pas surprenant. En sanctionnant toute « conduite » jugée fautive de l’armateur, les juges fondent
leur décision sur un jugement de valeur ».

127
objective que le droit français a de la faute inexcusable pourra demain s'appuyer sur des obligations
imposées aux armateurs par le code ISM. En imposant aux armateurs l'obligation d'établir des
consignes pour les principales opérations à bord concernant la sécurité du navire, le Code les oblige
en effet à se protéger dans le futur. S'ils ne le font pas, il pourra leur être reproché d'avoir agi
témérairement à l'égard de situations dommageables, dont ils auraient dû avoir conscience186.
« La transposition de la définition de la faute inexcusable de l’employeur en matière
maritime paraît dès lors plausible : la conjonction chez l’armateur de la connaissance des facteurs
de risque – appréciée objectivement par rapport à ce que doit savoir un armateur conscient de ses
devoirs et obligations – et de l’absence de mesures pour l’empêcher pourrait devenir la définition
de la faute inexcusable personnelle de l’armateur187 ». Cette analyse est d'ailleurs partagée par la
doctrine allemande qui considère que « il ne fait aucun doute que le Code ISM (...) tout en précisant
les obligations de l'armateur, aura pour effet d'accroître le nombre de cas dans lesquels l'article 4
de la Convention de Londres supprime à ce dernier le droit de limiter sa responsabilité188».
Il y a donc un risque de faire sauter aisément tous les verrous de la limitation de réparation.
Il existe en outre d'ores et déjà des exemples jurisprudentiels189.
Par ailleurs, la déchéance de l'armateur de son droit à limitation sera plus facile pour une
raison supplémentaire. L'article 4 du Code ISM dispose en effet que « tout armateur doit désigner,
pour garantir la sécurité de l'exploitation de chaque navire, une ou plusieurs personnes à terre
ayant directement accès au plus haut niveau de la direction dont la responsabilité et les pouvoirs
consistent notamment à surveiller les aspects de l'exploitation de chaque navire liés à la sécurité et
à la prévention de la pollution ». D'où la question de savoir si la faute inexcusable de ce « délégué
à la sécurité » va-t-elle rejaillir sur l'armateur, lui interdisant de bénéficier de la limitation ? Le
Professeur Pierre Bonassies a répondu à cette question par l'affirmative 190. « Et la analyse que,
surtout s'il n'appartient pas aux échelons supérieurs de la hiérarchie191, la faute inexcusable
commise par le délégué à la sécurité n'affecterait pas la responsabilité de l'armateur ne peut se

186 Y. Tassel, op.cit., p. 355 et s.


187 I.Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de l'avocat,
www.isabellecorbier.com de même qu'à la JPA, 2005, p. 292-313.
188 J. Trappe, « La limitation de responsabilité en Allemagne », DMF 2002, p. 1018.
189 CA Caen, cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, «
Notion de faute inexcusable de l’armateur » et RTD Com. 2002, p.210, obs. Ph. Delebecque ; CA Aix-en-Provence,
10 oct. 2001, navire "Multitank Arcadia" : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code ISM et la limitation de
responsabilité de l’armateur », arrêt qui a pour autant été censuré provoquant ainsi la vive réaction du Professeur P.
Bonassies : Il est malheureux que la Cour de cassation n’ait pas pris conscience du bien fondé de cette contribution.
On ne peut que souhaiter que la Cour de Montpellier remette au premier rang les exigences de la sécurité maritime
; CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire ''Brescou'' : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable,
notion à facettes multiples ».
190 P. Bonassies, « La responsabilité de l'armateur de croisière », préc., p. 93; V. aussi Y. Tassel, « La spécificité du
droit maritime », préc.
191 V. ainsi D. Christodoulou, op. cit., p. 17-18.

128
tenir pour deux raisons : d'une part parce que les rédacteurs du Code ISM ont prévu la désignation
d'un délégué chargé d'une mission particulière pour accroître la sécurité de la navigation maritime.
On ne peut donc pas déduire de cette désignation même une protection pour l'armateur, - la
personne du délégué à la sécurité venant s'interposer entre l'armateur et la faute inexcusable
commise. D'autre part, parce que la thèse ici critiquée aboutit à un paradoxe difficilement
acceptable. En effet, la faute du délégué à la sécurité n'engagerait l'armateur que si ce délégué
avait été choisi parmi les dirigeants de la compagnie d'armement. Si en revanche, c'est un agent
subalterne qui a été choisi, l'armateur ne souffrirait pas de la faute de celui-ci. En quelque sorte,
l'armateur qui, jouant le jeu du Code, aurait désigné un cadre confirmé comme délégué à la
sécurité, serait pénalisé par rapport à l'armateur qui, prenant les choses à la légère, aurait confié
la mission de délégué au plus jeune de ses collaborateurs. Il faut donc l'affirmer : une faute
inexcusable du délégué à la sécurité doit engager l'armateur, et lui interdire d'invoquer la
limitation de responsabilité ». On en déduit que, la preuve de la faute inexcusable et notamment de
son caractère personnel sera beaucoup plus facile192. Il ne sera plus nécessaire de chercher à
identifier l'organe responsable qui a commis la faute inexcusable. Cet organe sera toujours « le
délégué de sécurité » dont la faute déteindra sur le droit de l'armateur à limiter sa responsabilité.
Dès lors la multiplication et la complexification des instruments de prévention des accidents
à bord de navires débouchent sur l'objectivation de la responsabilité de l'armateur. Non seulement la
mise en jeu de la responsabilité de l'armateur sera plus aisée car fondée sur une possible
méconnaissance ou inapplication des règles à vocation préventive mais aussi l'armateur se verra
plus souvent privé de son droit à limiter le montant de la réparation due en raison, précisément, de
cette inobservation des règles précitées susceptibles de constituer une faute inexcusable voire
intentionnelle, synonyme de la réparation intégrale193.
192 Cf supra p. 103.
193 V. cependant, D. Christodoulou, préc., p. 21 qui attire l'attention sur le fait qu'une telle interprétation des
dispositions du Code ISM implique un renversement de la charge de la preuve de la faute inexcusable.
Désormais et suivant cette conception du Code ISM la charge de la preuve de la faute inexcusable incombera à
l'armateur. Il lui appartiendra de démontrer qu'il a respecté les obligations découlant du Code ISM. S'il
n'apporte pas cette preuve, il sera d'emblée privé de son droit à limiter sa responsabilité. Une telle interprétation
est contraire à l'esprit et à la lettre non seulement de la Convention de Londres, mais aussi du Code ISM dont
l'objectif est de renforcer la sécurité maritime et la prévention des lésions corporelles ou des pertes en vies
humaines et d' empêcher les atteintes à l’environnement marin et non pas de réduire le champ d'application de
l'institution de la limitation de responsabilité. Conformément à l'esprit du législateur international la règle
demeure la limitation de responsabilité. V. dans le même sens A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute
inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579.: Présomption de faute inexcusable à partir de la non-
production de pièce, voilà un saut hardi de la procédure à la psychologie, bien plus audacieux encore que celui
qui consiste à parler d’apparence de faute inexcusable. V. également E. Somers, op. cit., p. 42 : Refraining from
doing the right thing may lead to a conclusion of willful misconduct (...) The simple absence of the requisite
documentation, required by the ISM code, will in itself not suffice to conclude that there is a case of willful
misconduct. It will however be a strong argument against the party in default leading to closer invstigation.
Cependant la Cour d'appel de Caen a dans l'affaire du navire ''Johanna Hendrika'' retenu la faute inexcusable
de l'armateur en se fondant entre autres sur son refus de communiquer les documents relatifs à la composition

129
Désormais le droit à limitation est exclusivement réservé à l'armateur irréprochable, d'où
l'importance des obligations fondamentales de l'armateur tenant à la sécurité du navire194. « Au
moment où chacun a conscience de l'impérieuse nécessité de mieux assurer la sécurité de la
navigation maritime, notamment en portant attention autant à la compétence des équipages qu'au
bon état des navires, il est bon que les tribunaux apportent leur pierre à l'édifice commun en
sanctionnant les armateurs qui lancent sur les mers des navires, soit affectés d'un élément évident
d'innavigabilité, soit armés par des équipages disparates et, trop souvent, d'une compétence limitée
à l'excès195 ». Toute faute (de l'armateur ou de son capitaine196) portant sur la sécurité du navire se
qualifie d'inexcusable197 si bien qu'a été avancée l'idée selon laquelle la faute inexcusable est
devenue une simple variante de la faute lourde198.
« Comment ne pas souscrire à cette volonté jurisprudentielle d’inciter à la prévention ?

de l’équipage et au respect des consignes de sécurité, demandés par les magistrats (CA Caen, cour de renvoi, 2
oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, « Notion de faute inexcusable de
l’armateur » et RTD Com. 2002, p. 210, obs. Ph. Delebecque ; V. aussi Hors série DMF 2001, obs. Pierre
Bonassies).
194 E. Somers, op.cit., p.42 : The reputable carrier or shipowner will find in the ISM an appreciated ally to eventually
refute presumed fault or neglect. Malafide carriers on the other hand and those that only observe their own
substandards with respect t osafety at sea, shall find it increasingly difficult to reverse the presumption of proof.
195 P. Bonassies et Ch.Scapel, op. cit., p. 288, n0 435.
196 En effet le Code ISM a renforcé non seulement les obligations de l'armateur mais également celles du capitaine
pour ce qui est de la sécurité de navigation. L’article 5 intitulé « responsabilités et autorité du capitaine » prévoit
que la compagnie devrait définir avec précision et établir par écrit les responsabilités du capitaine et il ajoute : « la
compagnie devrait veiller à ce que le système de gestion de la sécurité en vigueur à bord du navire mette
expressément l’accent sur l’autorité du capitaine. La compagnie devrait préciser, dans le système de gestion de la
sécurité, que l’autorité supérieure appartient au capitaine et qu’il a la responsabilité de prendre des décisions
concernant la sécurité et la prévention de la pollution ». Se pose en conséquence la question de savoir si le
manquement du capitaine à ces obligations peut affecter le droit à limitation de responsabilité de l'armateur. La
jurisprudence a répondu par la négative à cette question dans la mesure où la négligence du capitaine ne traduit
pas la carence de l'armateur à son obligation de veiller à ce que la sécurité maritime soit respectée de manière
absolue (V. CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire ''Brescou'' : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier). En revanche
toute faute inexcusable de l'armateur est exclue si son choix a porté sur une personne expérimentée et apte à
accomplir les services demandés (V. Cass. Com. 4 Oct. 2005, navire ''Laura'' : DMF 2006, p.118, rapport G. de
Monteynard, obs. Ph. Delebecque). Cela dit, tout dépend des circonstances. Il faut en effet examiner chaque fois
si l'armateur avait conscience que sa décision de confier à tel ou tel capitaine (et par extension à tout autre
salarié -ainsi le pilote-) la sécurité de son navire pourrait compromettre la sécurité de son navire. A priori, toute
faute liée à la sécurité maritime ne peut pas nécessairement être imputée à l’armateur, faute inexcusable
personnelle de l’armateur et faute inexcusable personnelle du capitaine sanctionneraient ainsi tout manquement
de l’un ou de l’autre à la sécurité maritime (V. I. Corbier, « La faute inexcusable, notion à facettes multiples »,
DMF 2005, p. 713 et la jurisprudence y citée : Cass. Com., 20mai 1997, drague"Johanna Hendrika", DMF 1997,
p. 976 obs. P. Bonassies et RGDA 1997, p. 878, obs. P. Latron ; Cass. com., 8 oct. 2003, navire "Multitank
Arcadia" , DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation
par le juge de la faute inexcusable », décision fortement critiquée par le Professeur Pierre Bonassies au motif qu'elle
mésestime les exigences du Code ISM pour un renforcement de la sécurité maritime mais favorablement saluée par
l'auteur Isabelle Corbier : « l'armateur et le capitaine ayant des fonctions différentes et par là même des obligations
distinctes la faute personnelle commise par le capitaine ne constitue pas la faute personnelle commise par
l’armateur lui-même » ; CA Douai, 17 oct. 2002, navire ''Vasya Korobko'' : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard ).
197 V. cependant Ph. Delebecque « La faute inescusable en droit maritime francais » JPA 2005, p. 336 : « Il ne faut pas
que toute faute de l'armateur soit ipso facto qualifiée d'inexcusable. La transgression d'une mesure de sécurité est
certainement une faute. Mais elle ne saurait constituer une faute inexcusable si cette mesure n'est pas imposée par
un texte. Ce n'est sans doute pas au juge d'égrener les devoirs dont la violation caractérise la faute inexcusable ».
198 A.Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579.

130
Éviter les risques – évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités –, les combattre à la source –
adapter le travail des hommes, le choix des équipements, des méthodes de travail, tenir compte de
l’évolution de la technique –, évaluer les risques pour progresser des activités de prévention
destinées à garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité sont des principes généraux de
prévention que tout armateur devrait être soucieux de mettre en œuvre. La sauvegarde de la vie
humaine en mer n’a pas de prix199».
Mais si tel est le cas, ne serait-il plus conforme à la tendance contemporaine de l'opinion
publique exprimée par le truchement de la sévérité de la jurisprudence de substituer à la notion de
faute inexcusable celle de la faute lourde ou en tout cas une faute moins caractérisée que la faute
inexcusable ? Au lieu de rapprocher la faute inexcusable de la faute lourde et de dégénérer le
contenu et la force juridique de la notion de faute inexcusable ne serait-il pas préférable que le
législateur international intervienne afin de restituer le bon ordre juridique au respect de l'objectif
majeur de la protection de la sécurité maritime ? D'ailleurs, des auteurs savants, le Professeur Pierre
Bonassies200 et le Professeur Antoine Vialard201 l'ont déjà proposé202. Tel ne semble pas être l'opinion
du Professeur Philippe Delebecque ainsi que du Professeur Yves Tassel qui considèrent qu'il faut
défendre le concept de la faute inexcusable et refuser toute assimilation avec celui de la faute
lourde203.

199 I. Corbier, op.cit. ; V. néanmoins, E. Somers, op. cit., p. 43 : « On the other hand must avoid that those
shipowners that comply best with the requirement to develop, implement, and maintain a written safety
management system nad have introduced precedures for reporting and analysing incidents, do not find
themselves in a position where this can be unfairly used against them. Indeed, the better these procedures and
system are, the more incidents will be reported and analysed. This can create un unfair presumption of having a
bad safety record. This can be the objective of the Code ISM since it would definitely encourage not to comply
with its provisions in a bonna fide manner and non compliant shipowners would be advantaged ».
200 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 304, n0 454 : « À un niveau plus élevé de la critique, on peut hésiter à
approuver le législateur d'avoir substitué la faute inexcusable à la faute simple, comme cas de déchéance du droit à
limitation. Certes la jurisprudence est devenue trop sévère pour les armateurs. Mais une voie moyenne n'était pas
impossible, et par exemple la référence à la faute lourde ».
201 A. Vialard, op.cit., p. 579.
202 V. a contrario, Ph. Delebecque,Ph: Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005,
no 5 numéro spécial en l'honneur de Antoine Vialard. : « Il faut défendre le concept de la faute inexcusable et
refuser toute assimilation avec celui de la faute lourde. Mieux la notion de faute inexcusable et personnelle, dont
parlent les textes mais sur la quelle la jurisprudence passe si souvent, doit-elle être reconnue » .
203 Ph. Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005, no 5 numéro spécial en
l'honneur de Antoine Vialard, no 15. V. en même sens , Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001,
no 65.

131
CHAPITRE 2 : LA FAUTE
INEXCUSBALE DANS LA
PROCEDURE DE LIMITATION

S’agissant de traiter des problèmes rencontrés dans l’application de la Convention de 1976,


les tribunaux se sont affrontés non seulement à des questions qui touchent aux règles matérielles,
dont la plus importante est celle de l'interprétation de la faute inexcusable mais également à des
questions portant sur les aspects du droit procédural de la limitation.
Après avoir décortiqué la portée de la faute inexcusable à l'égard de l'institution de la
limitation les problèmes de fond que l'application de la notion de faute inexcusable implique dans
l'application de la limitation de responsabilité, nous allons maintenant nous consacrer aux aspects
du droit procédural de la limitation. Plus précisément nous allons examiner comment la contestation
du droit à limitation par l'intermédiaire de la preuve de la faute inexcusable se concrétise (Section
1).
Une fois tous les écueils procéduraux dépassés, les magistrats vont qualifier le
comportement de l'armateur. S'ils aboutissent à la conclusion que celui-ci a perpétré une faute
inexcusable, ils vont lui priver le bénéfice de la limitation de responsabilité. La déchéance de
l'armateur de son droit à limitation n'est tout de même pas la seule incidence de la qualification de
sa faute d'inexcusable. Il convient donc de nous pencher sur les conséquences que la qualification
de l'attitude de l'armateur de faute inexcusable entraîne sur ses droits (Section 2).

Section 1 : Contestation du droit de


l'armateur de limiter sa responsabilité

En raison de la rigueur des tribunaux français dans l'appréciation de la faute inexcusable de


l'armateur, un créancier maritime peut être tenté de contester le droit de l'armateur à limiter sa
responsabilité. Plusieurs voies lui sont ouvertes à cet effet. Mais ces voies varient selon que
l'armateur fait valoir la limitation de sa responsabilité par la constitution d'un fonds ou sans
constitutions d'un fonds.
Généralement, l'armateur qui désire bénéficier de son droit à limiter sa réparation y procède

132
par voie de constitution d'un fonds de limitation204 régie par les dispositions du décret du 27 octobre
1967 (art. 59 à 87). Cette attitude trouve sa raison d'être dans les nombreux avantages offerts par
cette procédure. Ainsi l'armateur se libère-t-il de ses multiples créanciers, obligés d'agir contre le
fonds et non contre lui. Par ailleurs, avec la constitution du fonds les privilèges des créanciers
auxquels le fonds est réservé disparaissent (Convention de Londres, art. 12, L. n° 67-645, 7 juill.
1967, art. 64)205. Les créanciers viennent donc en concours dans la répartition du fonds. Enfin, il
libère son navire de la saisie éventuellement exercée sur lui. Cette procédure ne présente aucun
inconvénient si ce n'est la complexité, souvent reprochée, de sa mise en œuvre206. Parallèlement, la
constitution du fonds de limitation n'apporte pas une quelconque reconnaissance de la responsabilité
de l'armateur207.
Si, en droit international, la constitution d'un fonds de limitation n'est en rien une procédure
obligatoire conditionnant l'accès à la limitation208 - arrêt ''Stella Prima''-209, le décret du 27 octobre
1967 (article 59) a semblé lier le droit d'invoquer la limitation à la constitution effective du fonds
conforment à la possibilité laissée par la Convention (article 10) à chaque État de procéder à une
telle liaison. Toutefois, l'article 62 de la loi de 1967, texte dont l'autorité qui doit l'emporter sur celle
du décret, ne prévoit la constitution d'un fonds que si le montant des créances susceptibles d'être
invoquées contre le propriétaire de navire dépasse la limitation. Il suit de là que tant pour
l'événement soumis à la Convention de 1976 que pour l'événement soumis au seul droit français, la
constitution d'un fonds de limitation n'est pas une condition d'accès à la limitation. La constitution
du fonds est une mesure d'ordre processuel et non pas d'ordre substantiel210.
Nous allons donc étudier les modalités de la contestation du droit de l'armateur à limiter sa
204 La constitution du fonds consiste en l’affectation d’une somme, rendue indisponible. « C’est un dispositif
permettant à la fois de limiter la responsabilité du propriétaire et de protéger le droit des créanciers » (P. Catala, La
nature juridique des fonds de limitation, Mélanges Derrupé, 1991, GLN Joly-itec, p. 162 et s.)
205 A. Vialard, op. cit., n0 166 et s., p. 143 ; P. Bonassies et Ch.Scapel, op. cit., p. 384, n0 580.
206 I. Corbier, Armateur, Rep. Com., Dalloz, 2002, n0 39-41 ; M. Rémond Gouilloud, op. cit., n0 323, p. 180 ; A.
Vialard, op. cit., n0 164 et s., p. 141 et s. ; R.Rodière et E. Du Pontavice , op. cit., 12ème éd., n0 163, p. 144.
207 Article 63 de la loi du 3 janvier 1967 : « Le fait d'invoquer la limitation de responsabilité ou de constituer le fonds
limitation n'emporte pas la reconnaissance de sa responsabilité par le propriétaire ».
208 Convention de 1976 art. 10, intitulé « Limitation de responsabilité sans constitution d’un fonds de limitation » qui
prévoit en effet expressément qu’un armateur peut demander le bénéfice de la limitation sans constituer le fonds.
209 Cass. com., 3 avril 2002, navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de
l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors Série, Le droit maritime français en 2001,
DMF 2002, obs. P. Bonassies : « Le bénéfice de la limitation de responsabilité prévu par les articles 58 et suivants
de la loi du 3 janvier 1967 n’est pas subordonné à la constitution du fonds de limitation prévu à l’article 62 de cette
même loi ».
210 Quant au système britannique, sur les mêmes dispositions, la solution diffère sensiblement. Il existe en effet deux
façons d'invoquer la limitation : celle de la constitution du fonds et celle de l'exception dans le cadre de l'action en
responsabilité. Si le propriétaire choisit la seconde façon, la condamnation que le juge prononce tient compte du
montant de la limitation. Ainsi échappe-t-on à l'irritante question de la force de chose jugée (V. P. Griggs et
R. Williams, Limitation of Liability for Maritime Claims : LLP, 1998, p. 60). Aux États-Unis, la limitation de
responsabilité ne peut être invoquée que si la requête de constituer un fonds est déposée dans les six mois de la
demande que les créanciers dirigent contre le débiteur (Sweet and Maxwell, Limitation of Shipowners Liability :
The New Law, 1986, p. 237 et p. 272).

133
responsabilité par l'intermédiaire de l'invocation de la faute inexcusable (qui est d'ailleurs le moyen
le plus important dont dispose le créancier pour contester tant la constitution du fonds que le droit
de limitation de responsabilité) d'abord en cas de limitation de réparation avec constitution d'un
fonds (§ 1) et ensuite sans constitution d'un fonds (§ 2).

§ 1) Limitation de réparation avec constitution


d'un fonds

Deux sont les questions qui surgissent par l'application de la faute inexcusable lorsque
l'armateur opte pour limiter sa responsabilité par voie de constitution d'un fonds et qui méritent de
ce fait être tranchées : d'une part à quel stade de la procédure de la constitution du fonds et devant
quel juge le créancier peut faire valoir la notion de faute inexcusable (est-ce que le juge des
requêtes, juge compétent pour autoriser et constater la constitution du fonds, peut, aussi dans
certains cas se prononcer sur le fond ?) (A) et d'autre part à qui parmi les parties plaidantes incombe
la charge de preuve des éléments constitutifs de la faute inexcusable (B).

A) Contestation de la constitution du fonds par les créanciers

a) Contestation de la constitution du fonds devant le juge des


requêtes

En vertu des dispositions du décret du 27 octobre 1967, l'armateur (ou toute autre personne
qui en est en droit) qui entend invoquer son droit à limiter sa responsabilité par constitution d'un
fonds est tenu de présenter une requête auprès du président du tribunal de commerce soit du port
d'attache du navire lorsqu'il est question d'un navire français, soit du port où le navire a été saisi
lorsqu'il s'agit d'un navire étranger.
Aucun délai n'étant fixé pour le dépôt de cette requête 211, on peut affirmer que la constitution
du fonds est un moyen de liquider une dette de nature très particulière et non la condition
211 CA Rouen, 30 mars 1988, navire ''Kirsten -Skou'', DMF 1989, p. 25, obs. Rémond Gouilloud et D. Lefort ; DMF
1990, Hors série, p.25 n0 21, obs. P. Bonassies.

134
d'existence du particularisme de cette dette. Dès lors, le fonds peut être constitué tant que la dette
n'a pas été payée. En d'autres termes la requête peut être présentée même après une décision
définitive condamnant l'armateur à des dommages intérêts, dans la mesure où la décision n'a pas été
exécutée212. Dans l'hypothèse de refus d'autorisation de la constitution du fonds, le requérant
pourrait faire appel de sa décision.
Le président du tribunal de commerce n'ayant pas en principe à juger le droit du requérant à
limitation, il ne doit à ce stade de procédure que vérifier les modalités de constitution du fonds. De
ce fait, le président du tribunal de commerce compétent n'a pas à se prononcer sur la déchéance du
droit de limitation de responsabilité et par là sur la faute inexcusable éventuellement commise par
l'armateur213. Au contraire, dès que le juge constate que les modalités de la constitution du fonds ont
été bien respectées, il est obligé d'ordonner214 la mainlevée de toute saisie éventuellement exercée
sur le navire ou autre bien appartenant à la personne qui a constitué le fonds ou pour le compte
duquel le fonds a été constitué (Convention de 1976 art. 10, loi du 3 janvier art. 67). « L’esprit du
droit maritime comme d’ailleurs l’esprit de la Convention de 1976 conforté par ses travaux
préparatoires conduiraient à privilégier le droit du débiteur maritime à la limitation sur le droit
pour le créancier de prouver sa déchéance215. L’ordre des facteurs serait alors : droit de constituer
le fonds de limitation, puis, éventuellement, démonstration de la déchéance 216». En d'autres termes,
la solution préconisée ici par la Convention de Londres, suivie par la loi française est la suivante : la
constitution du fonds et le droit à limitation (et par extension la démonstration de la déchéance de
l'armateur de son droit de limitation) sont indépendants217.
Ces dispositions ont pour corollaire que les créanciers, privés de leur droit de saisir le navire
responsable d'un sinistre et réduits à un recouvrement partiel de leur créance, voient leurs droits
fortement affectés par la constitution du fond. Au demeurant, la lettre du droit maritime n’apporte
rien de décisif à la solution de la quadrature de ce cercle. En effet la loi de 1967 ne met en place
aucune procédure particulière au bénéfice des créanciers pour la contestation de cette constitution
du fonds. En conséquence, il faut, pour préciser leurs droits, faire appel au droit commun.
Le droit commun reconnaît certainement la possibilité de rétractation de l'ordonnance sur

212 T. com. Bayeux, 5 mai 1991, navire ''Virgule'', DMF 1992, p.264 et CA Rouen, navire ''Virgule'', 5 nov. 1992,
DMF 1993, p.566, obs. P. Bonassies.
213 I. Corbier, Armateur, Rep. Com., Dalloz, 2002, n0 47.
214 Qui est une décision de justice au sens de l'article 25 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la
compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la
convention du 9 octobre 1978 (CJCE, 14 oct. 2004, MAERSK OLIE & GAS c/ FIRMA M. de HAAN en W. de
BOER).
215 Souligné par nous.
216 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de
responsabilité », DMF 2000, p. 813.
217 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc.

135
requête. La Cour de cassation dans son arrêt ''Stella Prima'' a en effet jugé que « le Président du
tribunal de commerce qui a rendu l'ordonnance sur requête autorisant la constitution du fonds de
limitation tient de l'article 497 du nouveau Code de procédure civile la faculté de rétracter son
ordonnance »218. Le texte cité énonce que « le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son
ordonnance quand bien même le juge du fond serait saisi de l'affaire ». Le recours en rétractation
est bien un recours contre une décision du juge des requêtes, et se situe dans le prolongement de
cette procédure spécifique : c’est bien le juge des requêtes, mais statuant en la forme des référés
(puisque, alors, la procédure devient contradictoire), qui est amené à se rétracter ; ce n’est pas le
juge des référés qui ne peut pas se prononcer sur une contestation sérieuse (ici l'évaluation de
l'attitude de l'armateur). On en déduit que le juge du fonds, en tant que juge des requêtes peut dans
ce cas vérifier si l'armateur a commis une faute inexcusable privative du bénéfice de limitation.
La solution retenue en l'espèce par la Haute juridiction, approuvée par la doctrine219, n’est
pas vraiment nouvelle. Dans son arrêt Navipesa Dos220, la Cour de cassation avait déjà reconnu au
président du tribunal de commerce autorisant la constitution d’un fonds de limitation « compétence
pour statuer sur le point de savoir si les conditions auxquelles la loi subordonne la faculté pour le
propriétaire d’un navire de limiter sa responsabilité se trouvaient remplies ». « Sans doute, la
faute inexcusable a été substituée par la Convention de 1976 à la faute simple de la Convention de
1957, mais, si le juge du fonds était compétent pour apprécier l’existence d’une faute simple, on
voit mal pourquoi on lui refuserait compétence pour apprécier une éventuelle faute inexcusable.
Sans doute aussi, l’article 61 du décret du 27 octobre 1967 ne donne au juge qui répond à une
requête en constitution d’un fonds de limitation que la mission de vérifier le montant du fonds, de
se prononcer sur les modalités de constitution. Mais l’article 61 n’est qu’un texte de procédure,
qu’il faut lire à la lumière de l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967. Or ce dernier texte est
formel : le propriétaire d’un navire n’est pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé
que le dommage résulte de sa « faute inexcusable ». La loi doit l’emporter sur le décret 221». Le

218 Cass. Com., 3 avril 2002, navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de
l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors Série, Le droit maritime français en 2001,
DMF 2002, obs. P. Bonassies.
219 A. Vialard, op. cit., p. 813 : « Le mérite de la solution est son réalisme : ne pas entraîner l’irrémédiable, à la
différence de la situation créée par la mainlevée automatique des saisies liées à la constitution sans frein du fonds
de limitation » et Hors série, Le droit maritime français en 2000, obs. P. Bonassies : nous regretterons seulement que
le juge se soit limité à la constatation d’une faute « présentant l’apparence d’une faute inexcusable » plutôt, qu’il
prétende s’être limité à une telle constatation, car son analyse des faits est déjà très convaincante; en effet cet arrêt,
nous l'avons déjà mentionné vient confirmer la sévérité de la jurisprudence par rapport a la faute inexcusable de
l'armateur.
220 CA Rouen, 15 octobre 1973, navire ''Navipesa Dos'', DMF 1974, p. 29 obs. G. Chereau et J. Warrot et Cass.
Com., 3 déc. 1974, DMF 1975, p. 211, obs. P. Laureau et P.Bouloy ; Hors série, Le droit maritime français en 1995,
DMF 1996, n0 19, obs. P. Bonassies.
221 V. obs. P. Bonassies, citées ci-dessus. V. a contrario, A. Vialard, op. cit., p. 813 : « deux détails interdisent d’y voir
un précédent à la solution ici donnée par la Cour de Montpellier dans l’affaire ''Stella Prima'' : d’une part, la

136
juge saisi d’une requête en limitation est parfaitement fondé à vérifier si « les conditions auxquelles
la loi subordonne » le droit à limitation sont remplies. Et si, comme l’y autorise l’article 496 du
nouveau Code de procédure civile, un « intéressé » conteste la décision rendue par lui, il est loisible
à ce même juge de rétracter son ordonnance, en vérifiant, là aussi, si quelque « faute inexcusable »
n’interdit pas à l’armateur en cause le bénéfice de la limitation de responsabilité. « Dès lors, les
créanciers maritimes connaîtront la recette la plus pratique pour mettre en cause le droit à
limitation du créancier sans attendre les longueurs d’une procédure au fond. Plutôt que de choisir
la voie du référé et de soulever devant ce juge la cause de déchéance du droit à limitation que ce
juge n’a pas compétence de juger, le créancier sera bien inspiré de revenir devant le juge des
requêtes, pour lui demander de se rétracter sur l’ordonnance par laquelle il autorisait la
constitution du fonds de limitation222».
Nous en concluons que la solution retenue en l'espèce obtient la liaison entre l’existence du
droit à limitation et l’autorisation de constituer le fonds de limitation liaison qui a été rompue par
l'article 13 de la Convention de Londres223. D'ores et déjà, le créancier dont la dette est soumise à la
limitation de responsabilité de l'armateur peut contester aussi bien la constitution du fonds que le
droit de ce dernier à limitation par le biais d'une rétractation de l'ordonnance sur requête.
Cette faculté pose tout de même la question de savoir jusqu'à quel moment cette rétractation
est possible. Le Professeur Pierre Bonassies est d'avis que le moment ultime est celui de la
prescription de la créance224. Autrement dit, le droit de contester est perpétuel, sauf à considérer que
le créancier qui produit sans contester l'ordonnance ayant autorisé la constitution du fonds renonce à
toute contestation ultérieure. Cette opinion est fondée sur le caractère non contradictoire de
l'ordonnance et le principe, tant du droit français (NCPC, art. 496) que de la Convention européenne
des droits de l'homme (art. 6), que toute personne a droit à une procédure contradictoire.
Certes, cette solution crée le risque d'une multitude de contestations et le danger de réponses
contradictoires. « Mais, ce n'est pas la Cour de cassation qui en serait responsable mais
l'inorganisation française de la procédure de limitation de responsabilité, à la différence d'autres
droits, notamment celui des États-Unis225».
convention de Bruxelles du 10 octobre 1957, alors applicable à la limitation de responsabilité des propriétaires de
navires, retenait comme cause de déchéance du droit à limitation la faute simple de ce propriétaire ou armateur ;
d’autre part, cette faute simple avait été établie dans le cadre d’un arbitrage antérieur à la procédure de
constitution du fonds de limitation entamée par l’armateur, de telle sorte que le juge des requêtes n’avait pas à se
prononcer lui-même sur l’existence même de cette faute et s’était borné à constater que la déchéance était
encourue ».
222 A. Vialard, op. cit., p. 813 et I. Corbier, Armateur, Rep. Com., Dalloz, 2002, n0 51.
223 V. en même sens P. Delebecque, « La limitation de responsabilité de l’armateur : Quel est le juge compétent ? »,
DMF 2002, n0 10.
224 V Hors série, Le droit maritime français en 2002, DMF 2001, n0 7, obs. P. Bonassies.
225 V. P. Simon, « Qui est compétent pour statuer sur la limitation en cas de procédure multipartite ? » : DMF 2001,
p. 483.

137
Aussi bien les créanciers ont-ils la faculté de mettre en doute la constitution du fonds avant
l'ordonnance du président du Tribunal de commerce saisi. En effet ils disposent de deux
possibilités : d'une part ils peuvent intenter une action au fond contre l'armateur en demandant aux
magistrats qui vont examiner leur créance de déclarer, par avance, que l'armateur n'est pas en droit
de limiter sa responsabilité si bien que toute décision ultérieure autorisant la constitution du fonds
ne lui serait pas opposable ; d'autre part les créanciers peuvent intervenir dans cette procédure, par
voie d'action en référé, avant que le président du tribunal de commerce n'ait statué la constitution du
fonds.
Cette dernière intervention, bien que rare dans la pratique, revêtit pour les créanciers un
intérêt considérable compte tenu qu'elle est susceptible de bloquer le mécanisme de mainlevée de la
saisie qui ne peut intervenir qu'après la constatation de la constitution d'un fonds226. C'est en outre
pour ça que le Professeur Pierre Bonassies suggère dans une critique de la procédure de la limitation
de responsabilité d'imposer à tout armateur de notifier la requête pour la constitution d'un fonds à
tout créancier éventuel de responsabilité connu de lui. « Cette notification aura pour résultat
d'associer à la procédure de la limitation ceux à qui le fonds sera opposé et partant de priver de
tout effet nocif les dispositions de l'article 13 de la Convention de 1976227». Certes, « cette voie n’a
toutefois quelque chance d’aboutir que si la faute inexcusable de l’armateur est tellement évidente
que le juge des référés peut se prononcer quasiment sur le champ. Si quelque réflexion s’impose,
l’armateur trouvera une parade aisée, en constituant immédiatement le fonds228».

b) Contestation du droit à limitation devant le juge du fond

Il convient ensuite de se demander si le créancier est en mesure de contester le droit à


limitation devant le tribunal qu'il a saisi d'une action au principal. Il va de soi que cette possibilité
lui est ouverte mais dans un cadre particulier celui de la Convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale, devenue le Règlement communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000. Ce
dernier dispose dans son article 7229 (article 6 de la Convention de Bruxelles) que le tribunal

226 Tribunal de commerce, 20 juill. 1994, navire ''Soula H'' Revue Scapel 1994 p. 158 et Hors série, Le droit maritime
français en 1995, DMF1996, obs. P. Bonassies, p.27 : « Interdire cette possibilité aux créanciers aboutirait en fait à
n’ouvrir à l’encontre de l’ordonnance querellée aucune voie de recours, hypothèse qui n’est prévue par aucune
disposition particulière » et Hors serie, Le droit maritime français en 1995, DMF 1996, n0 19, obs. P. Bonassies.
227 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 304, n0 454.
228 Hors série, Le droit maritime français en 1995, DMF 1996, obs. P. Bonassies, p. 27.
229 Article 7 du Règlement 44/2001 : « Lorsqu’en vertu de la présente convention un tribunal d’un État contractant

138
compétent pour connaître des actions en responsabilité du fait d'exploitation d'un navire connaît
aussi des demandes relatives à la limitation de cette responsabilité.
Et la Cour d'appel de Rouen dans son arrêt ''Navire Darfur''230 a jugé que cet article «
n’institue pas un chef de compétence exclusive; en conséquence, si, par application de cet article,
la demande en limitation de responsabilité de l’armateur peut être portée devant la juridiction
compétente à Londres, il est également constant que le Tribunal de commerce du Havre est
compétent pour connaître de l’ensemble du litige, c’est-à-dire du principe même de la
responsabilité de l’armateur mais aussi du droit pour celui-ci de limiter ou non sa
responsabilité231». L'article 7 énonce seulement que tout juge appelé à se prononcer sur la
responsabilité de l’armateur, tout juge valablement saisi au principal peut se prononcer sur le droit
de l’armateur à limitation. Selon le Professeur Pierre Bonassies il ne résulte nullement de la lettre de
la disposition l'intention du législateur international d'instaurer une compétence exclusive du juge
auprès duquel le fonds a été constitué pour statuer sur la limitation, « sauf à faire dire à l’article 6
le contraire de ce qu’il dit232». Ce texte ne fonderait aucunement la compétence exclusive du for du
lieu de constitution du fonds pour connaître de la question de la limitation de responsabilité et rien
ne s’opposerait, comme dans l’affaire du Darfur, à ce que l’on saisisse le juge compétent au fond en
l’interrogeant éventuellement sur la limitation de responsabilité, bien qu’un autre juge ait été saisi
de la seule question de limitation de responsabilité.
D'ailleurs cette analyse a été implicitement affirmée par la CJCE dans sa décision233 du 14
octobre 2004 (MAERSK OLIE & GAS c/ FIRMA M. de HAAN en W. de BOER)234. En effet la CJCE

est compétent pour connaître des actions en responsabilité du fait de l’utilisation ou de l’exploitation d’un navire,
ce tribunal, ou tout autre que lui substitue la loi interne de cet État, connaît aussi des demandes relatives à la
limitation de cette responsabilité ». Ce texte a été introduit dans la Convention de 1968 en 1978, à l’occasion de
l’entrée de la Grande Bretagne dans la Communauté Économique et de l’entrée en vigueur de la Convention de 1976
sur la limitation de responsabilité, convention qui ne contient aucune disposition précise sur la compétence. En effet
l’article 11 de la convention stipule bien que « toute personne dont la responsabilité peut être mise en cause peut
constituer un fonds auprès du tribunal ou de toute autre autorité compétente de tout État partie dans lequel une
action est engagée pour des créances soumises à limitation ». Mais il ne dit pas quelle juridiction sera compétente
pour apprécier le droit à limitation.
230 CA Rouen, 26 juill. 2000, navire ''Darfur'', DMF 2001, p. 109, obs. P. Bonassies, Hors série, Le droit maritime
français en 2001, n0 6 au n0 45, obs P. Bonassies et Hors série, Le droit maritime français en 2002, n 0 7, obs. P.
Bonassies. V. aussi Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc.
231 Il importe sur ce point de mettre l'accent sur le fait que la CJCE n'a pas été saisie en l'espèce cependant que la
question qui trouvait au cœur du litige ait concerné l'interprétation d'une disposition d'ordre communautaire.
232 P. Bonassies observation citées ci dessus.
233 Encore que rendue sur le fondement de textes aujourd’hui dépassés – la Convention maritime de Bruxelles de 1957
sur la limitation de responsabilité et la Convention communautaire de Bruxelles de 1968 sur la compétence
judiciaire – la présente décision conserve son intérêt, les textes nouveaux (Convention de Londres de 1976 et
Règlement communautaire du 22 décembre 2000) n’ayant pas modifié les éléments du débat.
234 CJCE, 14 oct. 2004, MAERSK OLIE & GAS c/ FIRMA M. de HAAN en W. de BOER, DMF 2005, n 0 655-3, obs.
P. Bonassies : « La coordination des compétences entre le juge du fonds et le juge du fond lorsque ces juges
ressortissent d'États différents ». ; DMF HS n° 9, juin 2005, n° 64, obs. P. Bonassies ; Rev. cr. dr. int. priv. 2005,
p. 118, obs. E. Pataud ; M-A. NESTEROWICZ, « L'application des règles de la Convention internationale sur la
limitation de la responsabilité des propriétaires de navire de mer de 1957 et la convention de Bruxelles concernant la

139
par cette décision, énonce implicitement que l'article 7 n'implique aucune compétence exclusive.
Il reste que cette interprétation de l'article 7 du Règlement 44/2001 entraîne inexorablement
des conflits de juridictions. Surgit donc la question de savoir comment ces conflits seront résolus.
L'article 7 abandonne la question aux dispositions des articles 21 et 22 de la Convention de 1968 235.
Ces dernières imposent en effet à la juridiction nationale saisie en second lieu de surseoir à statuer,
puis de se dessaisir une fois la compétence de la juridiction nationale saisie en premier établie,
lorsque « des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties
devant des juridictions d'États contractants différents ». Les dispositions de l’article 22 sont moins
contraignantes, prévoyant seulement que la juridiction nationale saisie en second lieu « peut
surseoir à statuer », lorsque des demandes connexes sont formées devant des juridictions nationales
d'États différents236.
Par ailleurs, la CJCE dans sa décision237 du 14 octobre 2004 a jugé que : « Une demande
introduite devant la juridiction d’un État de la Communauté par un propriétaire de navire tendant
à la création d’un fonds de limitation, tout en désignant la victime potentielle du dommage, d’une
part, et une action en dommages et intérêts introduite devant la juridiction d’un autre État de la
Communauté par cette victime contre le propriétaire du navire, d’autre part, ne constituent pas des
demandes ayant le même objet et la même cause, formées entre les mêmes parties, au sens de
l’article 21 de la Convention de Bruxelles, ne créant pas ainsi une situation de litispendance,
n’étant toutefois pas interdit au juge saisi en second de surseoir à statuer pour connexité, sans
toutefois que ce dernier soit obligé de se dessaisi ou de surseoir à statuer238».
Il en résulte que la CJCE autorise un créancier à saisir d’une action en responsabilité contre
l'armateur impliqué dans un sinistre maritime devant la juridiction d’un autre État membre, sous la
réserve que cette juridiction soit compétente au regard des dispositions du Règlement
compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale de 1968 », ADMO 2005.
235 Dispositions qui ont en outre montré leur efficacité dans la présente affaire, le juge anglais, avec un sens très fort de
la coopération entre juridictions communautaires, ayant prononcé le sursis à statuer.
236 V. aussi Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc. no 87.
237 Qui mérite, selon le Professeur Pierre Bonassies, « une pleine approbation sur l’application qu’elle fait à la
procédure de limitation de responsabilité des dispositions des articles 21 et 22 de la Convention de 1968 et sur le
fait qu'elle met bien en lumière l’originalité de la procédure de limitation, laquelle tend seulement à conférer à
l’armateur susceptible d’être mis en cause après un incident maritime un privilège, le protégeant au cas où sa
responsabilité serait mise en cause, et ce sans que soit évoquée cette responsabilité ».
238 La Cour fonde sa décision sur le fait que les deux actions en cause – l’action de l’armateur en constitution d’un
fonds de limitation et l’action en responsabilité contre l’armateur – n’avaient ni le même objet, ni la même cause.
Elles n’avaient pas le même objet, l’une, tendant à ce que la responsabilité du défendeur soit engagée, l’autre, la
demande en limitation de responsabilité de l’armateur, ayant pour but d’obtenir, pour le cas où la responsabilité du
dit armateur serait engagée, que celle-ci soit limitée à un montant calculé en application de la Convention de 1957,
étant rappelé que, selon ce texte, « le fait d’invoquer la limitation de responsabilité n’emporte pas la
reconnaissance de cette responsabilité ». Elles n’avaient pas la même cause, étant fondées sur des règles juridiques
différentes, l’action en dommages et intérêts l’étant sur le droit de la responsabilité extra-contractuelle, alors que la
demande tendant à la constitution d’un fonds de limitation l’était sur la Convention de 1957 et la législation
néerlandaise qui la met en œuvre.

140
communautaire du 22 décembre 2000, alors même que cet armateur aurait constitué un fonds
devant telle juridiction d’un État européen. C’est seulement si le créancier intervient devant le
« juge du fonds », en arguant notamment de la « faute inexcusable » commise par l’armateur en
cause (possibilité qui est nous venons de le voir reconnue par le droit français), que fusionneront
problème de limitation et problème de responsabilité et que des questions de litispendance
soulèveront. Dans cette hypothèse l'article 21 du Règlement vient donner la réponse : « la
juridiction nationale saisie en second lieu sera tenue de surseoir à statuer, puis de se dessaisir une
fois la compétence de la juridiction nationale saisie en premier établie ».
C’est toutefois la thèse opposée239, favorable à cette compétence exclusive que défend
Patrick Simon qui ne manque pas non plus d’arguments 240. Pour lui, plusieurs motifs militent pour
restreindre à un seul juge la compétence en matière de limitation.
Le premier tient à un souci de cohérence. Si l’on considère qu’il peut y avoir deux juges
compétents pour apprécier la limitation de responsabilité, les risques de contradiction dans les
jugements à intervenir sont inévitables.
Encore opine-t-il que la limitation ne touche pas à la responsabilité car elle n’obéit pas au
même régime (V. cependant la critique développée sur ce point par le Professeur Pierre Bonassies –
Hors série, Le droit positif français en 2001, DMF 2002-241). Elle n’est qu’une procédure collective.
Lorsqu’on est en présence d’une situation multipartite, avec plusieurs actions en responsabilité
devant différents tribunaux, alors il est indispensable d’avoir la question de limitation décidée par la
même et unique juridiction (celle ayant autorisé la constitution du fonds de limitation) pour que la
solution soit opposable à tous. Si le critère est la compétence en matière de responsabilité, plusieurs
juges seront compétents. Il faut dès lors trouver quelque chose de plus qui ne peut être que la
compétence en matière de constitution du fonds de limitation242.
239 D'ailleurs, la décision en cause de la Cour d'appel de Rouen va à l'encontre de la tradition jurisprudentielle comme
celle ci est exprimée par les arrêts ''Navipesa Dos'' (CA Rouen, 15 octobre 1973, navire ''Navipesa Dos'', DMF
1974, p. 29 obs. G. Chereau et J. Warrot et Cass. Com., 3 déc. 1974, DMF 1975, p. 211, obs. P. Laureau et
P.Bouloy) ''Ismene'' (CA Paris, 29 mai 1987, navire ''Ismene'', DMF 1988, p. 171 obs. R. Archard) et ''Kirsten
Skou'' (CA Rouen, 30 mars 1988, navire ''Kirsten -Skou'', DMF 1989, p. 25, obs. Rémond Gouilloud et D. Lefort ;
DMF 1990, Hors série, p. 25 n0 21, obs. P. Bonassies). Par ailleurs, la jurisprudence anglaise s’est déjà prononcée en
ce sens : « le choix du tribunal compétent en matière de limitation demeure une prérogative de celui qui bénéficie
du droit de limiter ».
240 V. P. Simon, op. cit., p. 483.
241 « La limitation touche à la responsabilité. Quels que soient les termes ici utilisés – limitation de réparation ou
limitation de responsabilité –, le droit de l’armateur à la limitation impose une « plongée » du juge dans tous les
éléments du débat portant sur la responsabilité de l’armateur. Et chaque créancier, qui a le droit de porter son
action devant son « juge naturel », a le même droit de demander à ce juge de statuer sur le droit de l’armateur à
bénéficier de la limitation, élément fondamental à la défense de ses légitimes intérêts ».
242 Le Professeur Pierre Bonassies réplique que « De lege ferenda, il serait peut-être souhaitable que la procédure de
constitution du fonds de limitation soit organisée comme une véritable procédure collective (comme en droit
américain), avec compétence exclusive du juge du fonds. Mais ce n’est pas là le droit positif français. L’armateur
n’est pas obligé de constituer un fonds de limitation. S’il constitue le fonds, aucune compétence particulière n’est
dévolue au juge du fonds. Le tribunal valablement saisi par un créancier d’une action en responsabilité conserve

141
Enfin, il existe un dernier (mais pas moins important) argument que l’on peut avancer pour
justifier la critique de l’arrêt de la Cour de Rouen et il porte sur le sens même de l'article 6 de la
Convention de Bruxelles (devenu article 7 du Règlement). Il attire en effet l'attention sur le fait que
cet article, à l'aune des travaux préparatoires de la Convention de 1978 à l’origine de ce texte, ne
vise que l’hypothèse où l’auteur du dommage prend l’initiative d’agir contre un créancier pour faire
juger son droit de limiter et non le cas où c’est le créancier qui prend l’initiative. À l'inverse,
l'article 6 ne vise ni une action de la personne lésée contre le propriétaire du navire ni la procédure
collective de constitution et de répartition du fonds, mais uniquement l’action individuelle du
propriétaire du navire contre une personne prétendant être titulaire d’une créance. Autrement dit,
l’article 6 ne serait applicable que dans l’hypothèse où l’armateur prend les devants (par voie
d’action préventive243) pour faire constater que sa responsabilité ne peut être engagée que d’une
manière limitée, en constituant ou non un fonds de limitation ; il pourrait alors engager une action
devant l’une ou l’autre des juridictions compétentes dans le cadre d’une action en responsabilité.
Mais, en aucun cas, l’article 6 ne jouerait en ce qui concerne les actions ayant pour objet le bien
fondé de la créance contre l’armateur.
Et le professeur Philippe Delebecque vient à l'appui de cette opinion : « cette lecture de
l’article 7 nous paraît répondre parfaitement à la nature même de l’institution qu’est la limitation
de responsabilité. Cette institution s’explique par la tradition maritime et par la volonté de
protéger d’une manière particulière l’armateur dont la mission est essentielle dans les échanges
commerciaux internes et internationaux. Elle ne concerne en rien le droit à réparation de la victime
et constitue en somme un véritable privilège (...)244 Ainsi, l’article 7 ne saurait-il être invoqué par
les créanciers de l’armateur pour justifier que le juge du fond qu’ils ont pu saisir doit le rester pour
se prononcer sur la limitation de responsabilité : ce n’est pas cette situation que l’article 7 a
entendu régler (...) Réduire ainsi le champ d’application de l’article 7 ne débouche pas
nécessairement sur des impasses (...) D’où, dans l’affaire du Darfur, le droit pour l’armateur

toute sa compétence, qu’il s’agisse d’apprécier la responsabilité de l’armateur, ou de se prononcer sur l’existence
d’une faute inexcusable, privant celui-ci de son droit à limitation » -Hors série, Le droit positif français en 2001,
DMF 2002-.
243 Souligné par nous.
244 On notera sur ce point que le Professeur Pierre Bonassies semble approuver cette analyse. En effet dans ses
observations sous la décision de la Cour d'appel de Caen (CA Caen, 12 sept. 1991 : DMF 1993, p. 50, note Tinayre
et p. 68, obs. Bonassies) à propos de la détermination de la loi applicable à l'institution de la limitation de
responsabilité, il énonce critiquant l'arrêt (qui avait accepté d'une part que le droit à réparation, étant la conséquence
de la responsabilité, est déterminé par la loi qui régit la responsabilité et d'autre part que les modalités qui affectent
un droit sont indissociables de ce droit et ne sauraient être régies par une autre loi que celle qui le détermine) que «
la limitation de responsabilité n'est en rien une modalité qui affecterait le droit à réparation de la victime. C'est une
institution exceptionnelle qui affecte non le droit à réparation de la victime, mais l'obligation à contribution du
responsable. C'est un véritable privilège accordé par le législateur à l'armateur du navire, privilège dont il est
normal que le juge saisi vérifie si les conditions édictées par sa loi nationale sont remplies » (P. Bonassies et
Ch.Scapel, op. cit., p. 268, n0 410)

142
d’engager, par voie d’action préventive, une procédure devant le tribunal de son domicile, à
Londres, et d’où la compétence exclusive de ce tribunal pour connaître de la limitation de
responsabilité245».
Il reste que, le droit français246, comme le Professeur Pierre Bonassies le relève, ne reconnaît
pas les actions préventives. « Il y a cependant à la règle générale de rares exceptions, comme en
matière d’actions possessoires. On peut précisément se demander si l’on ne retrouve pas pareille
exception en matière de limitation. Car il est de fait que l’armateur qui craint de voir sa
responsabilité engagée peut « préventivement » demander au juge de déclarer qu’il a droit au
bénéfice de la limitation. Mais il ne peut présenter une telle demande qu’en constituant un fonds de
limitation. L’article 59 du décret du 27 octobre 1967 énonce en effet ici que « tout propriétaire de
navire qui entend bénéficier de la limitation de responsabilité présente requête aux fins d’ouverture
d’une procédure de limitation ». La question qui se pose dès lors est de savoir si l’article 6 bis de
la Convention de 1968 n’impose pas que, même en droit français, on reconnaisse à un armateur le
droit d’interroger « préventivement » le juge – sans avoir à constituer un fonds de limitation. la
primauté du droit communautaire sur les droits nationaux pourrait fonder une solution analogue, à
savoir autoriser un armateur « domicilié sur le territoire d’un Etat contractant » de la Convention
de 1968 à saisir un tribunal français compétent au fond, pour l’interroger sur son droit à limitation
– et ce sans avoir à constituer un fonds de limitation. Mais à, cette question, seule la Cour de
Justice pourrait répondre247». « Pour le moins, donc, il y a là une belle question à poser à la Cour
de Justice248».
Cette question du juge compétent est aussi obscure dans l'hypothèse où la constitution d'un
fonds et l'exercice d'une action au principal par les créanciers se déroulent exclusivement devant des
juridictions françaises, d'où la non application du Règlement communautaire 44-2001 du 22
décembre 2000. Dans de telles hypothèses en raison de la pauvreté du droit commun deux solutions
ont été avancées dans la doctrine en vue de déterminer le tribunal compétent devant lequel les
créanciers doivent assigner en justice l'armateur sur le fondement de sa faute inexcusable249.
La première solution consiste à concentrer les opérations de limitation (constitution d'un
fonds et action au principal) dans les mains d'un seul juge, le juge du fonds250. En droit les décisions

245 V. P. Delebecque, op. cit., n0 17-19.


246 À la différence des droits de certains des États de l’Union Européenne, tels le droit néerlandais ou le droit italien.
247 CA Rouen, 26 juill. 2000, navire ''Darfur'', DMF 2001, p. 109, obs. P. Bonassies, Hors série, Le droit maritime
français en 2001, n0 6 au n0 45, obs P. Bonassies et Hors série, Le droit maritime français en 2002, n 0 7, obs. P.
Bonassies.
248 V. P. Delebecque, op. cit., n0 16.
249 V. aussi Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc.
250 C'est la solution qui a été retenue par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt ''Ismene'' (CA Paris, 29 mai 1987,
navire ''Ismene'', DMF 1988, p. 171 obs. R. Archard) : « Lorsque, à la suite de la saisie du navire transporteur, la
procédure de constitution et de répartition du fonds de limitation de responsabilité prévu par la Convention de

143
de celui-ci, même lorsqu'il se prononce sur le droit de l'armateur à limiter sa responsabilité ont une
autorité relative. Le professeur Philippe Delebecque souligne que « une telle solution devrait se
maintenir. Elle s’autorise d’aucun texte, mais les arguments développés plus haut et tirés de la
nécessité de centraliser le contentieux sont de nature à la justifier (...) Mais lorsque le juge décide
de la constitution d’un fonds, il ne se lie pas définitivement, surtout s’il est, comme en droit
français, saisi par une simple requête. S’il conclut finalement à la faute inexcusable privative du
bénéfice de la limitation, le juge ne se déjuge pas : il ne fait qu’accompagner l’évolution de la
procédure251».
Ainsi si l'on suit cette solution, on pourrait admettre que dans l’hypothèse où l’armateur
prend le soin d’agir le premier et de solliciter la constitution d’un fonds, le juge saisi reste
compétent pour connaître de toutes les suites de la procédure de limitation de responsabilité.
Parallèlement, le créancier n'est pas autorisé à intenter son action principale devant son juge naturel.
Naturellement, l’armateur peut accepter cette compétence en se réservant le droit d’opposer la
limitation de responsabilité. Mais on conçoit qu’il puisse vouloir contester une pareille compétence
et invoquer l'exception d'incompétence. Ceci met en cause le bien fondé de l'action du demandeur et
de ce fait son allégation pour déchéance de l'armateur de son droit à limitation ne sera même pas
examiné par les magistrats.
Tel ne semble quand même pas être le point de vue du Professeur Pierre Bonassies 252 qui
Bruxelles de 1957 alors applicable a été engagée devant la juridiction compétent du lieu de la saisie du navire,
l'appréciation de la faute personnelle de l'armateur pouvant le priver du bénéfice du fonds de limitation est du
ressort exclusif de cette juridiction ». Cette solution a été fortement critiquée par le Professeur R. Archard au motif
que « il était procéduralement lourd, et même générateur de situations contradictoires, de laisser au juge des
référés se saisir à nouveau des conditions de fond, alors même que celles-ci auraient déjà amplement été examinées
par une autre juridiction statuant sur le fondement de la responsabilité ». Et ce même auteur ajoute « que cela est
encore plus vrai avec la Convention de Londres dont l'article 11 affirme la compétence du juge saisi au fond du
droit pour apprécier si les conditions légalement prévues pour bénéficier de la limitation de responsabilité en
matière de créances maritimes sont ou non remplies. Bien plus cette double compétence est affirmée en termes
impératifs dans le nouvel article 6 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 ». Et il fini par mentionner
que « la jurisprudence exprimée par l'arrêt commenté est critiquable du point de vue de la méthode et à présent
contredite par deux conventions de droit uniforme ».
Il convient en revanche de mentionner que la présente jurisprudence a été à l'époque approuvée par le Professeur
Pierre Bonassies : « que la compétence du juge qui statue au fond pour se prononcer sur l'éventuelle existence d'une
faute personnelle de l'armateur, et par la sur le droit de celui-ci à limitation soit hautement affirmée, nous paraît
tout a fait fondé. Une fois ainsi admise la compétence du juge de la constitution du fonds, reconnaître une
compétence concurrente au juge statuant sur le fond paraît susceptible de conduire à d'inextricables conflits de
chose jugée. Le seul moyen d'éviter de tels conflits est de décider que, une fois le fonds constituée et sous réserve du
cas des instances en cours, seul le juge du fonds de limitation a compétence pour apprécier la faute personnelle de
l'armateur » (Hors série, Le droit maritime français en 1988, obs. P. Bonassies, DMF 1989, p. 21 et 22).
251 V. aussi P. Delebecque, op. cit., n0 11 et 21.
252 En effet le professeur savant, après avoir un temps approuvé la solution contraire, comme celle-ci a été exprimée
dans l'arrêt ''Ismène'', présenté ci-dessus, il est revenu sur son opinion et il a rejoint les observations du Professeur
R. Archard : (...) contrairement à Raymond Achard, nous avions approuvé cette réponse. Pour nous, il était
souhaitable de concentrer les opérations concernant la limitation dans les mains d’un seul juge : le juge du fonds. À
la lumière de la présente décision, nous sommes moins assuré de la solution. Aucun texte, ni dans la Convention de
1976 ni dans la loi de 1967, ne confère une compétence exclusive au juge du fonds. En droit, les décisions de celui-
ci, même lorsqu’il statue sur le droit de l’armateur à bénéficier de la limitation, n’ont qu’une autorité relative de

144
met en exergue que cette solution présente l'inconvénient que le créancier, jusqu'ici extérieur à la
procédure concernant le fonds, sera forcé de saisir le juge du fonds pour faire constater que
l'armateur doit être privé de son droit, alors que ce juge a, dans un premier temps, affirmé ce droit.
Aussi, risque-t-on de mettre ce juge en contradiction avec lui-même. C'est pour ça qu'une deuxième
voie a été indiquée suivant laquelle il est préférable d’adopter, même en dehors des litiges soumis à
la Convention de 1968, la solution retenue par la Cour d'appel de Rouen dans l'affaire''Navire
Darfur'', en ne reconnaissant aucune compétence exclusive au juge du fonds, et en laissant au
créancier la faculté de saisir son juge naturel (le juge de l’action au principal, par exemple le
tribunal du port de déchargement pour les dommages causés à la marchandise, le tribunal dans le
ressort duquel le dommage a été subi pour le créancier de responsabilité extra-contractuelle).
En tout état de cause, ce qui est vrai, c’est que « le droit positif est ici à reconstruire ou plus
exactement à construire. Le législateur doit intervenir sur ces questions de compétence et il doit le
faire en tenant compte des intérêts bien compris de tous les acteurs de la vie maritime253».

B) La charge de la preuve de la faute inexcusable

La Convention de 1957 avait, nous l'avons déjà remarqué, conservé la règle du droit
classique : la simple faute de l'armateur entraîne, pour lui, déchéance du droit à limitation. Mais ce
qui importe par rapport à la charge de la preuve de la faute privative du bénéfice de la limitation est
que sous le régime de la Convention de 1957 il n'est pas exigé que la faute de l'armateur soit une
faute établie (article 1).
En abandonnant ainsi aux droits nationaux (lex fori) la réglementation du problème de la
charge de la preuve, la Convention de 1957 permettait le maintien de la jurisprudence qui existe
dans certains droits (comme le droit anglais ou le droit américain), et selon laquelle, dans certains
cas au moins, c'est à l'armateur de prouver qu'il n'a commis aucune faute personnelle s'il prétend
bénéficier de la limitation254.
À l'inverse, la Convention de 1976 adopte, réalisant un renversement de la charge de la preuve,
chose jugée. En fait, imposer à un créancier de saisir le juge du fonds pour faire constater que l’armateur ne peut
bénéficier de la limitation, risque de mettre ce juge en conflit avec lui-même. Il est donc, en définitive, préférable
d’adopter, même en dehors des litiges soumis à la Convention de 1968, la solution de la présente espèce, en ne
reconnaissant aucune compétence exclusive au juge du fonds, et en laissant le créancier la faculté de saisir son
« juge naturel ».
253 V. P. Delebecque, op. cit., n0 25.
254 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? »,
préc. p.147 ; P. Bonassies, « Vingt ans de conventions internationales maritimes », préc. p. 51 et s. ; D.
Christodoulou, op. cit., p. 14.

145
une règle différente. L'armateur peut invoquer le droit à limitation sauf s’il est prouvé « que le
dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer
un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait
probablement ». Il résulte de cette dispositions que la philosophie du nouveau régime consiste en ce
que le droit à limitation soit automatiquement accordé à l'armateur à moins que la victime
n'établisse que l'armateur se prévalant de la limitation est auteur d'une faute inexcusable. La
solution est très importante pour le droit des pays de common law qui traditionnellement
revendiquent que cette preuve soit aménagée par la personne à l'égard de laquelle le droit de
limitation est invoqué255. D'ores et déjà il ne suffit pas que la victime excipe la faute inexcusable de
l'armateur, il faut aussi la prouver. Dans le cas contraire, l'indemnisation qui lui est redevable sera
limitée256.
Il reste que pour les pays, comme les États – Unis, n'ayant pas ratifié la Convention de
Londres, les demandeurs devant les tribunaux américains n'ont qu'à prouver le lien de causalité
entre le dommage subi et la faute du shipowner constituée par une négligence ou une condition
d'innavigabilité du navire. La preuve de la fault or privity du shipowner ne doit pas être rapportée
par eux, comme cela est le cas dans la plupart des pays de civil law. En droit américain l'armateur
doit alors prouver l'absence de cette cause de déchéance s'il veut bénéficier de la limitation. Il s'agit
en réalité de rapporter une preuve négative257.
Enfin, il importe de mettre l'accent sur l'impact que le Code ISM peut avoir sur cette
question de la charge de la preuve de la faute inexcusable. En effet nous avons déjà relevé les
réserves qui ont été exprimées par certains auteurs par rapport à une interprétation sévère des
dispositions du Code ISM258. Plus précisément, sous l'empire du Code ISM, l'armateur pour se
dispenser de toute responsabilité, il est tenu d'apporter la preuve qu'il a bien respecté les obligations
découlant du Code ISM. S'il ne parvient pas à apporter cette preuve, sa responsabilité sera mise en
jeu, une obligation de sécurité de résultat ayant été mise à sa charge259.
Mais cette responsabilité sera une responsabilité limitée. Le manquement de l'armateur à ses
obligations (ou le défaut de preuve qu'il les a observées) n'égale automatiquement pas à une faute
inexcusable. Il faut, pour que l'armateur soit déchu de la limitation, que le demandeur démontre que
ce manquement doit être qualifié d'inexcusable. Toute autre interprétation produit un renversement

255 P. Griggs and Williams, op.cit., p. 31 ; Sweet and Maxwell, Limitation of Shipowners Liability : The New Law,
1986, p. 110.
256 E. Gologina-Oikonomou, préc., p. 119.
257 Massimiliano Rimaboschi, op.cit., p. 216 ; Xia Chen, Limitation of Liability for Maritime Clains : A study of U.S
A Law, Chinese Law and International Conventions, thesis, Kluwer Law International, 1999, p. 72.
258 Cf supra, note 503.
259 I.Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur » publié sur le site personnel de l'avocat,
www.isabellecorbier.com de même qu'à la JPA, 2005, p. 292-313.

146
de la charge de la preuve et elle est de ce fait contraire à l'esprit et à la lettre de la Convention de
Londres qui veut que la preuve de la faute inexcusable soit aménagée par le demandeur.
Toutefois tel ne semble pas être le point de vue de la Cour d'appel de Caen qui dans son arrêt
pour l'affaire ''Johanna Hendrika'''260, pour conclure à la faute inexcusable, s'est référée entre
autres à des présomptions et hypothèses, par exemple sur la question de la composition de
l’équipage, ou sur celle des consignes de sécurité. Ce que reproche en effet la Cour d'appel de Caen
à l’armateur, ce n’est pas l’inexistence à bord de consignes de sécurité ou l'irrégularité de la
composition de l'équipage, mais le fait que l’armateur n’avait pas communiqué au juge, malgré la
demande de celui-ci, les éventuelles consignes d’organisation de travail et de sécurité par lui
établies, consignes présentant un caractère essentiel de même que les documents concernant
l’équipage (la liste d’équipage avec l’indication de la qualification de chacun des membres ). Et le
juge, statuant comme si de telles consignes ou des documents n’existaient pas, voit dans la chose un
élément de la faute inexcusable personnelle de l’armateur, sans pour autant que l'absence de ces
documents soit établie.

§ 2) Limitation de réparation sans constitution


d'un fonds

Nous l'avons remarqué plus haut, la procédure de limitation peut être activée en l'absence de
toute constitution d'un fonds même si cette option est rarement choisie par les armateurs en raison
de leur dangerosité. La situation paraît ainsi éclaircie par rapport à la convention de 1957 qui, elle
n'imposait pas expressément à l'armateur l'obligation de constituer un fonds pour invoquer son droit,
ne prévoyait pas de disposition inverses261. En effet son article 2 disposait que « le montant global
correspondant aux limites de responsabilité pourra être constitué en un fonds de limitation ». De
nos jours donc, et au sens du droit international de 1976, le droit à limiter sa responsabilité peut être
invoqué sans être lié à l'existence obligatoire du fonds262, la seule condition réelle étant l'invocation
en justice de ce droit.

260 CA Caen, 2 oct. 2001, drague "Johanna Hendrika", DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, « Notion de faute
inexcusable de l’armateur » ; RTD Com. 2002, p. 210, obs. Ph. Delebecque et Gaz. Pal., 2002, p. 20.
261 La constitution d'un fonds de limitation y était simplement prévue comme une faculté offerte à l'armateur, quand
l'ensemble des créances susceptibles d'être invoquées à son encontre dépassait les limites de la responsabilité. Et l'on
retrouvait la même règle dans l'article 62 de la loi de 1967. V. ainsi CA Rennes, 15 mars 1983, navire ''Hervier''
DMF 1983 p. 739, note Ph. Godin.
262 Cass. com., 3 avril 2002, navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de
l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors Série, DMF 2002, obs. P. Bonassies

147
Néanmoins, la Convention ouvre aussitôt la porte à une solution différente, en énonçant que
tout État partie peut stipuler dans sa législation la règle contraire, en imposant pour les situations où
la Convention s’applique la constitution d’un fonds263. La question se pose donc de savoir si la loi
française exige, comme condition d’accès à la limitation, la constitution d’un fonds, tant pour les
litiges soumis à ses seules dispositions que pour les litiges soumis aux dispositions de la Convention
de 1976 – car les solutions ne sont pas ici nécessairement les mêmes.
S’agissant donc des situations soumises au seul droit français, la solution est discutée. En
doctrine, l’opinion majoritaire est que la constitution d’un fonds est effectivement une condition de
l’octroi à un armateur du bénéfice de la limitation. Telle est l’opinion du Professeur Antoine
Vialard264 et de Martine Rèmond-Gouilloud265, faisant de manière plus précise référence soit aux
dispositions de l’article 62 de la loi du 3 janvier 1967 – texte énonçant que « lorsque l’ensemble des
créances résultant d’un même événement dépasse les limites de la responsabilité... le montant
global des réparations dues est constitué... en un fonds de limitation unique » –, soit à celles de
l’article 59 du décret du 27 octobre 1967, texte énonçant que « tout propriétaire de navire... qui
entend bénéficier de la limitation de responsabilité... présente requête aux fins d’ouverture dune
procédure de liquidation »
Par contre, l’opinion opposée a été défendue par le Professeur Philippe Godin266, et le
Professeur Pierre Bonassies267 observant en premier lieu que l'article 62 de la loi de 1967, texte dont
l'autorité qui doit l'emporter sur celle du décret, ne prévoit la constitution d'un fonds que si le
montant des créances susceptibles d'être invoquées contre le propriétaire de navire dépasse la
limitation, en deuxième lieu que l’article 62 de la loi de 1967 ne vise expressément que le cas où il
existe plusieurs créanciers et enfin que l’article 63 de la même loi, lorsqu’il précise les
conséquences attachées au comportement d’un armateur qui demande à bénéficier de la limitation,
vise aussi bien « le fait d’invoquer la limitation » que le fait de « constituer le fonds »268.
La jurisprudence s'est pareillement divisée. Ainsi, le Conseil d’État dans un arrêt du 22 avr.
1988 a considéré que, à défaut d’avoir constitué le fonds de limitation, le propriétaire d’un navire ne
pouvait pas se prévaloir de la limitation de responsabilité devant la juridiction ayant à statuer sur sa
responsabilité269. Mais c’est la solution opposée qui a été adoptée par la Cour de Paris dans un arrêt

263 V. à l'opposé du droit français, le droit grec qui n'a pas fait usage de cette faculté de stipuler dans sa législation la
règle contraire ( A. Kiantou Babouki, Droit Maritime, Sakkoula, 5e éd., 2005, p. 451).
264 A. Vialard, La responsabilité des propriétaires de navires de mer, 1969, no 383 ; A. Vialard, op. cit., n0 11, p. 140.
265 M. Rèmond-Gouilloud, op. cit., no 322, p. 180.
266 Ph. Godin, note sous CA Paris, 15 mars 1983, DMF 1983, p.739.
267 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 302, n0 452 et s. et note sous CA Caen, 5 novembre 1992, navire ''Virgule''
DMF 1993, p. 566.
268 V. en même sens, Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc., no 84.
269 Conseil d’ État 22 avril 1988, Entreprise Dodin c. Etat, DMF 1989, p. 22, conclusions Guillaume et obs. R.
Rezenthel, et Hors Série, Le droit maritime français, DMF 1990, p. 26, obs. P. Bonassies.

148
du 15 mars 1983270. Pour elle, « le fonds n’est pour le propriétaire qu’un procédé de liquidation
collective de sa dette ainsi limitée, ayant pour corollaire de soustraire ses autres biens aux
poursuites des créanciers d’indemnités, mais sans influence sur la limitation elle-même ». Et cette
dernière solution a été confirmée par un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation
dans l'affaire du navire ''Moheli'' où a été juge que « le bénéfice de la limitation de responsabilité
prévu par l’article 58 et suivants de la loi du 3 janvier 1967 n’est pas subordonné à la constitution
du fonds de limitation prévu à l’article 62 de cette même loi271 ».
Quoi qu'il en soit, le débat ici entrepris, malgré son extrême intérêt, demeure-t-il largement
théorique272. En pratique, un armateur n'invoquera son droit à limiter sa responsabilité sans
constituer de fonds que lorsqu'il est en présence d'un créancier unique. Le plus souvent « il
soulèvera l'exception subsidiaire de limitation devant le juge saisi au principal. Le juge saisi au
principal accompagnera alors sa décision de condamnation d'une décision de limitation273 ».
Toutefois, invoquer la limitation sans constituer de fonds de limitation peut se relever une «
stratégie dangereuse274 », la décision reconnaissant le droit à limitation n'ayant que l'autorité
relative de la chose jugée. Un autre juge, saisi par un autre créancier, peut juger autrement, et
l'armateur, qui a indemnisé le premier créancier à hauteur du fonds, peut alors être condamnée à
indemniser intégralement le second. Dès qu'un second créancier est susceptible de se manifester, il
est donc sûr que l'armateur a hautement intérêt de constituer le fond de limitation. C'est la raison
pour laquelle l'armateur préféra dans une très large mesure procéder par voie de constitution d'un
fonds pour exercer son droit à limiter sa réparation.
Aussi bien le Professeur Pierre Bonassies dans une appréciation critique de l'institution de la
limitation de responsabilité et de la procédure de limitation telle qu'elle s'articule par les
dispositions de la Convention de Londres et de la loi du 3 janvier 1967 met-t-il en avant la nécessite
d'imposer à l'armateur qui envisage de bénéficier de la limitation l'obligation de constituer un fonds
soit dans un certain délai après l'accident qui apparaît susceptible de mettre en jeu la responsabilité
de l'armateur soit dès la mise en cause effective de cette responsabilité275.
270 CA Paris, 15 mars 1983, DMF 1983, p.739, obs. Ph. Godin.
271 Cass. Com. 20 fevrier 2001, navire ''Moheli'', DMF 2002, p. 144, obs. P-Y. Nicolas et Hors série, DMF 2002, obs.
P. Bonassies ; RGDA 2001, p. 409, obs. P. Latron.
272 Aussi bien, il est admis que le droit de constituer un fonds de limitation n’est pas limité dans le temps. Par
conséquent s’étant vu refuser toute limitation par la décision le condamnant à indemniser totalement son créancier,
l’armateur en cause conserve le droit de « bloquer » l’action en paiement de celui-ci, en déposant une requête aux
fins de constituer le fonds de limitation.
273 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 302, n0 452.
274 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 303, n0 453.
275 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 304, n0 454 ; V. aussi la note sous CA Caen, 5 novembre 1992, navire
''Virgule'' DMF 1993, p. 566 : « Pour conclure, allant au-delà de l’analyse théorique ici développée, on peut se
demander si, de lege ferenda, il ne serait pas souhaitable que, pour des raisons pratiques, le législateur ne rendît
pas obligatoire la constitution d’un fonds de limitation, – modalité qui ne serait nullement contraire aux exigences
du droit international puisqu’elle est expressément prévue, comme une option ouverte aux États signataires, par la

149
Section 2 : Les conséquences de
l'admission de la faute inexcusable de
l'armateur sur ses droits

L'admission de la faute inexcusable induit la déchéance de l'armateur du bénéfice de la


limitation. Mais cette déchéance n'est pas la seule incidence de l'admission par les tribunaux de la
faute inexcusable. Les sanctions qui l'accompagnent sont beaucoup plus considérables et
particulièrement graves pour l'armateur et concernent d'une part la protection de son patrimoine des

saisies conservatoires qui empêchent l'exploitation normale des navires (§ 1) et d'autre part la perte
pour lui du bénéfice de l'assurance (§ 2).

§ 1) Sur son droit de protéger son patrimoine


vis-à-vis des saisies conservatoire

Des effets très forts sont, nous l'avons déjà noté, attachés à la constitution du fonds, une fois
la décision du président du tribunal de commerce compétent, en tant que juge des requêtes, rendue.
Outre qu'aucun droit ne peut être exercé par les créanciers auxquels le fonds est réservé sur un autre
bien du propriétaire276, le juge des requêtes peut, aux termes de l'article 13 de la Convention de
1976, ordonner la mainlevée de toute saisie éventuellement exercée contre tout navire ou autre bien
qui a été saisi dans le ressort d’un État Partie, appartenant à la personne qui a constitué le fonds, ou
pour le compte duquel le fonds a été constitué (par exemple par un assureur) – mainlevée
facultative - .
Toutefois lorsque le fonds a été constitué surtout dans a) le port où l’événement s’est produit
ou, si celui-ci s’est produit en dehors d’un port, au port d’escale suivant; b) le port de débarquement
pour les créances pour mort ou lésions corporelles; c) au port de déchargement pour les créances
pour dommages à la cargaison; ou d) dans l'État où la saisie a lieu, « cette mainlevée est toujours
ordonnée » - mainlevée obligatoire - . Et l'article 67 de la loi du 3 janvier 1967 énonce une règle

Convention de 1976. Car, en définitive, la constitution d’un fonds est de l’intérêt de chacun. Elle protège l'armateur
contre une éventuelle augmentation, puisque c’est au jour de la constitution du fonds que le montant en sera fixé.
Elle le protège aussi contre la survenance imprévue de nouveaux créanciers. La constitution d’un fonds est
parallèlement de l’intérêt des créanciers, qu’elle protège contre la déconfiture possible de leur débiteur, le montant
du fonds leur étant « exclusivement affecté » (alinéa 2 de l’article 62 de la loi de 1967) ».
276 Convention de 1976, art. 13, al. 1 ; loi de 1967, art. 62.

150
analogue, encore qu'en termes moins impératifs277. En vertu des disposition citées ci-dessus, la faute
inexcusable de l'armateur n'apparaît pas susceptible, au moins à ce stade de la procédure, d'affecter
le droit de l'armateur à constituer un fonds et par extension son droit de protéger son navire vis-à-vis
des saisies conservatoires.
L'interprétation de ces dispositions et, plus concrètement, la question « de l’automatisme »
de la mainlevée en cas de constitution du fonds de limitation, constitue une question épineuse au
sujet de laquelle de longs et vifs débats ont été développées. À l'origine de ces débats se situe l'arrêt
de la Cour de cassation dans l'affaire du navire''Heidberg''278.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 1993 est d’une extrême importance.
Au niveau des faits, le 11 mars 1991, la société Shell, dont un appontement sis à Pauillac avait été
gravement endommagé par le navire Heidberg, avait obtenu l’autorisation de saisir
conservatoirement ledit navire. Le 8 avril 1991, le président du Tribunal de commerce de Bordeaux
autorisait les armateurs à constituer un fonds de limitation, dont la constitution régulière était
constatée par une ordonnance du 16 avril 1991. Le même jour, les armateurs assignaient la société
Shell en mainlevée de la saisie conservatoire du navire. Le juge des référés ayant sursis à statuer,
lesdits armateurs faisaient appel de sa décision devant le Premier président de la Cour d’appel de
Bordeaux279. Par ordonnance du 10 mai 1991, celui-ci rejetait cet appel, observant que le juge des
référés ne pouvait que surseoir à statuer, dans l’absence des éléments d’appréciation qui lui faisaient
défaut sur l’origine du dommage280. L’ordonnance du Premier président a été cassée par l’arrêt du
23 novembre 1993, « brisant ainsi les rêves de ceux qui soutiennent la thèse adoptée par la Cour
d’appel de Bordeaux »281.
Pour censurer la décision à elle déférée, la Cour, à côté de l’article 380 NCPC, vise l’article
13 de la Convention du 19 novembre 1976. Pour la Cour suprême, l’ordonnance attaquée, en
statuant comme elle l’avait fait, “alors qu’après la constitution d’un fonds de limitation, mainlevée
de la saisie conservatoire du navire doit être ordonnée”, avait violé ledit article 13.
Il en résulte que les juridictions françaises à l'occasion de l'affaire Heidberg ont vu
s’affronter deux thèses par rapport à la question de l'interprétation de l'article 13 de la Convention
277 En effet l'article 67 de la loi du 3 janvier 1967 dispose que, une fois le fonds constitué, même à l'étranger, « le
propriétaire peut obtenir la mainlevée de la saisie de son navire ».
278 Cass. com., navire "Heidberg", 23 nov. 1993, DMF 1994, p.36 ; V. également T. com. Bordeaux, navire
"Heidberg", 27 sept. 1993, DMF 1993, p. 731, obs. A. Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention
de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes », obs. T. Clemens-Jones «
Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? » et Hors série, Le droit maritime français, DMF 1994, p. 23, obs.
P. Bonassies ; V. aussi, D. Dubosc, « Saisie de navire et limitation », DMF 2002 n°632 -12-2002.
279 Article 380 du Nouveau Code de procédure civile.
280 Ces deux arrêts maintenant la saisie en dépit de la constitution d’un fonds de limitation, étaient d'après le
Professeur Antoine Vialard justifiés, même s’il admet que les dispositions de la Convention sont plutôt défavorables
à sa thèse.
281 T. Clemens-Jones, « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? » , DMF 1994, p.36.

151
de Londres.
Selon la première thèse, la constitution d’un fonds de limitation ne pourrait avoir d’effet
libératoire en présence d’une contestation sérieuse sur l’existence même du droit à limitation, à
raison de la très grande probabilité d’une faute inexcusable282, cause de déchéance prévue par
l’article 4 de la convention. En effet, si la déchéance du droit à limitation est raisonnablement
envisageable, on ne peut faire produire à la constitution du fonds de limitation un effet qui priverait
le créancier des garanties que la saisie lui procure et qui auraient disparu au jour du prononcé de la
déchéance. Cette position a été jugée correcte par les juges bordelais. Pour eux, malgré la lettre du
texte qui ne paraît pourtant pas laisser aucune échappatoire, l’automatisme de la mainlevée n’est pas
acquis dès lors qu’il y a un doute sérieux sur le droit même à limitation de l’exploitant du navire. La
constitution d’un fonds de limitation ne peut pas être indépendante du droit à limitation lui-même ;
la constitution d’un fonds de limitation ne peut pas avoir d’effet que si le droit à limitation existe ou
n’est pas contesté sérieusement.
En revanche, selon la deuxième thèse, celle des armateurs du navire responsable de
l’accident, l’article 13 de la convention imposait la mainlevée automatique de toute saisie pratiquée
sur les biens du débiteur, dès lors qu’un fonds de limitation avait été régulièrement constitué. C'est
cette thèse, bien que fortement critiquée par la doctrine majoritaire283, qui a été approuvée par la
Cour de Cassation284 et qui a évidemment les faveurs du milieu maritime qui craint que la liberté
d'appréciation des juges quant à la mainlevée de la saisie conservatoire mette à mal la limitation de
responsabilité des armateurs285 du fait que le jugement sur la responsabilité n'intervient sur le fond
qu'après de très nombreux mois, car il s'agit d'une affaire complexe et qui ne peut être réglée en
référé.
Plusieurs sont les arguments qui militent pour cette deuxième thèse. Il est tout d'abord

282 Souligné par nous.


283 V. A. Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de
responsabilité en matière de créances maritimes », DMF 1994, p. 36 ; R.Rodière et E. Du Pontavice , op. cit., 12ème
éd., n0 160-9 et s., p.141 et s. ; P. Bonassies : « Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité », préc. p. 104 e
284 La solution retenue par la Cour de cassation a été corroborée par la Cour d’appel de Rouen dans son arrêt pour le
navire ''Jerba'',(CA Rouen, 5 sept. 2002, DMF 2003 p. 55, obs. Cl. Humann et Hors série, Le droit maritime
français en 2002, DMF 2003, obs. P. Bonassies) : En l'espèce le juge des référés a refusé de prononcer mainlevée de
la saisie. Pour lui, dès lors qu'un État dont le pavillon portait le navire n’avait pas ratifié la Convention de 1976,
l’armateur ne pouvait invoquer les dispositions de l’article 13. Réformant la décision du juge des référés, la Cour de
Rouen, à l’opposé, a considéré que la Convention de 1976 pouvait s’appliquer même au navire battant pavillon d’un
État non contractant. Pour la Cour, l’article 15 de la Convention prévoit que son texte s’appliquera « chaque fois
qu’une personne mentionnée à l’article 1 (propriétaire de navire ou autre) cherche à limiter sa responsabilité
devant le tribunal d’un État partie ». Certes, l’article 15 ajoute que tout État partie a le droit d’exclure de
l’application de la convention toute personne n’ayant pas domicile ou résidence dans un État partie, ou dont le
navire ne bat pas le pavillon de l’un des États parties. Mais la France, en ratifiant la convention, n’a pas usé du droit
à elle reconnu par l’article 15. L’armateur pouvait donc bénéficier de la « protection » de la convention et par là de
la mainlevée automatique de la saisie.
285 Cl. Humann, op.cit., p.55.

152
incontestable que l’application faite par la Cour de cassation de l’article 13 de la Convention de
1976 est fidèle à la lettre du texte. En revanche la raison des juges bordelais « paraît avec un défaut
criard : elle contrevient à la lettre lumineuse d’une convention internationale286». Aussi bien,
rejoint-elle la solution déjà adoptée par un juge britannique dans une décision du 13 mars 1990287.
Enfin il pourrait être soutenu, par utilisation du raisonnement a contrario, que le fait que les
rédacteurs de la Convention de 1976 n’aient pas repris les dispositions de la Convention de 1969
montre qu’ils souhaitaient adopter une solution différente. En effet, la Convention de 1969 sur la
responsabilité civile pour dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, tout comme la
Convention de 1976, prévoit que, lorsque le fonds de limitation a été constitué, le tribunal
compétent ordonne la libération du navire qui a été saisi. Mais il précise, dans son article 6, que la
règle ne joue qu’au bénéfice du propriétaire qui a constitué un fonds et est en droit de limiter sa
responsabilité ce qui garantit aux victimes du navire un examen minimum de la responsabilité de
l'armateur.
Il demeure que, et nous revenons ainsi à la deuxième thèse qui a été défendue par la
doctrine, la décision des juges du fond n’était pas, quant à elle, contraire à l’esprit de la Convention
de 1976. « Le droit à limitation, et donc le droit de constituer un fonds de limitation avec toutes les
conséquences attachées à cette constitution, n’est pas ouvert à tout armateur, mais seulement à
l’armateur qui n’a pas commis de faute inexcusable. L’accès à la limitation n’est donc pas un droit
originaire dont l’armateur fautif serait, dans un second temps, déchu. C’est au départ, que le droit
fait le tri entre les bons armateurs, qui ont accès à la limitation, et les mauvais armateurs, auxquels
cet accès est refusé288». « Un esprit cartésien doit accepter cette entorse apparente aux règles les
mieux établies d’interprétation de la règle de droit : le droit de constituer un fonds de limitation
n’est rien sans le droit de limitation correspondant Cessante ratione legis, cessat lex (la loi n'a lieu
d'être appliquée, quand elle n'a plus raison d'être289) ». Il faut donc revenir à l'esprit de la

286 A. Vialard, « L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité
en matière de créances maritimes », DMF 1994, p.36.
287 Navire Bow-Belle 1990 Lloyd’s Law Reports, 1, 532. V. également P. Bonassies : « Problèmes et avenir de la
limitation de responsabilité », DMF 1993, p. 104 et s. : « c'est la solution la plus littérale qui a été adoptée par un
juge britannique, le juge Sheen, du Queen’s Bench. En effet ce magistrat a posé la règle qu’une fois le fonds
constitué par un armateur, un tribunal est dans l’obligation d’ordonner mainlevée de toute saisie éventuellement
effectuée sur l’un des navires dudit armateur ».
288 P. Bonassies, op. cit., p. 104 et s. V. aussi R. Rodière et E. Du Pontavice, Droit Maritime, 1997, n0 160-9 et s.,
p.141 et s. : Il faut encore que le temps soit donne au demandeur d'apporter cette preuve : c'est une question de «
fair play » ou de « due process of law ».
289 A. Vialard, op. cit. ; « Autrement dit, c'est au propriétaire qui désire limiter sa responsabilité de s'en prévaloir mais
il ne peut pas le faire que lorsqu'une discussion contradictoire a établi qu'il n'a commis aucune faute susceptible de
mettre en échec la limitation de responsabilité, ou bien lorsque la victime, par son inaction prolongée a renoncé à
apporter la preuve requise ou a échoué dans sa tentative » (R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., n0 160-7 et s.,
p.140 et s.). V. en même sens P. Delebecque, « La limitation de responsabilité de l’armateur : Quel est le juge
compétent ? », DMF 2002, n0 25 : « cette solution n’est pas très satisfaisante et ne saurait servir d’argument dans
un sens ou dans un autre. Ce qui est vrai, c’est que le droit positif est ici à reconstruire ou plus exactement à

153
Convention de 1976 et faire fi de la lettre de l'article 13. Sinon, on risque que, si une déchéance est
finalement prononcée, alors que par l'effet automatique de la constitution du fonds toutes les
mesures conservatoires prises par le créancier ont été levées, le créancier auquel la limitation sera
ainsi déclarée inopposable n'aura plus aucune des garanties qu'il avait eu la précaution d'établir290.
Par ailleurs on saurait prétendre qu'il n'y a pas de contradiction entre le texte de la
Convention de 1976 et celui de la Convention de 1969. « On peut, plus simplement, penser à un
oubli des rédacteurs. S’inspirant principalement dans leur texte des dispositions de la Convention
de 1957, lesdits rédacteurs ont oublié l’amélioration considérable apportée en 1969 au système de
1957, quant à l’effet de la constitution du fonds sur la saisie du navire. Aussi bien est-ce le même
Comité juridique de l’OMI qui, après avoir rédigé la Convention de 1976, a rédigé le projet de
Convention HNS. Or ce projet, prévoit lui aussi que mainlevée de la saisie ne sera donnée que si
l’armateur est en droit de limiter sa responsabilité291».
Enfin un dernier argument a été avancé à l'appui de cette position selon le quel « la
reconnaissance au juge de la liberté d'apprécier le bien fondé de la mainlevée de la saisie
conservatoire ne laisse pas l'armateur sans défense ». En effet rien n'empêche ce dernier, de
proposer « des garanties plus importantes afin de désintéresser ses créanciers et de mettre ainsi fin
à ladite saisie292».
Le débat est donc délicat et consiste à savoir « si la procédure de constitution d’un fonds de
limitation se suffisait à elle-même, indépendamment du droit à limitation, ou si, n’étant qu’un effet
technique du droit à limitation, il ne fallait pas rationnellement donner à ce droit la précellence, en
subordonnant les effets de la constitution d’un fonds à l’existence du droit à limitation 293». La règle
de l’article 13 de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 revêt un certain caractère
d’automaticité. Cependant, l’article 4 spécifie que « une personne responsable n’est pas en droit de
limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son action
personnelle commis avec l’intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement et
avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ». « Les juges oscillent par
conséquent entre le respect de la garantie que confère à l’armateur la certitude qu’en cas de
sinistre maritime, il échappera, en constituant un fonds de limitation, à la saisie de son navire, et le
souci d’une protection suffisante des victimes. Et leur choix n’est pas rendu plus facile par le

construire. Le législateur doit intervenir sur ces questions de compétence et il doit le faire en tenant compte des
intérêts bien compris de tous les acteurs de la vie maritime».
290 A. Vialard, op. cit., n° 165, p.142 ; V. ainsi A. Kiantou Babouki, Droit Maritime, Sakkoula, 5e éd., 2005, p. 480.
291 Ibid. ; V. aussi P. Bonassies, Rapport des synthèse, préc. p.1085.
292 V. Cl. Humann, op. cit., p. 55.
293 A. Vialard, op. cit., p. 36.

154
chiffre, manifestement insuffisant, du montant de la limitation294». « Il y a en filigrane un conflit
avec une autre convention : la convention de 1952 sur la saisie conservatoire qui impose, pour que
mainlevée soit donnée d’une saisie pratiquée sur un navire, qu’une garantie suffisante soit
proposée par le débiteur. Or le montant d’un fonds de limitation peut ne pas être jugé suffisant si le
juge auquel la mainlevée est demandée a le sentiment puissant que le débiteur ne pourra par la
suite invoquer son droit à limitation et sera tenu d’une responsabilité intégrale295».
Il n'est donc pas à douter que la doctrine déplore l'automaticité de la mainlevée de la saisie
conservatoire d'un navire du seul fait de la constitution d'un fonds de limitation, sans considération
ni de son montant, ni du droit pour l'armateur de limiter sa responsabilité. C'est peut être pour ça
que la Cour de cassation est venue, dans un arrêt du 5 janvier 1999 sur l'affaire du navire''Gure
Maiden''296, marquer (ou pour le moins rappeler) les limites de la règle posée par la Haute
juridiction dans l'affaire Heidberg297.
Dans cette espèce, c'est la même lecture littérale de la disposition de l'article 13, que
maintient la Cour de cassation298. Le fonds de limitation ayant été constitué à Londres, lieu
d'arbitrage, alors que le premier port d'escale après l'incendie ayant entraîné la perte de la
marchandise a été Singapour et le lieu de la saisie étant un port français, les conditions pour que la
mainlevée soit de droit ne sont pas réunies. En effet pour que la mainlevée soit obligatoire, il faut
que le fonds ait été constitué dans a) au port où l’événement s’est produit ou, si celui-ci s’est produit
en dehors d’un port, au port d’escale suivant; b) au port de débarquement pour les créances pour
mort ou lésions corporelles; c) au port de déchargement pour les créances pour dommages à la
cargaison; ou d) dans l'État où la saisie a lieu. Lorsque le fonds est constitué ailleurs, l'article 13 se
borne à dire que la saisie « peut faire l'objet d'une mainlevée ». Il semble qu'il est ainsi renvoyé au
pouvoir d'appréciation du juge compétent. Restait, donc, la faculté pour le juge de la saisie
d'ordonner la mainlevée en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation. Or, le juge ne l'a pas jugé
nécessaire. La Cour de cassation s'est ainsi réfugiée derrière ce pouvoir souverain d'appréciation
pour rejeter l'accès ab initio de l'armateur à la limitation.

294 Hors série, Le droit maritime français, DMF 1994, p. 23, obs. P. Bonassies.
295 A. Vialard, op. cit., p.36 ; V. aussi, Cl. Humann, op. cit., p.55 : « une telle solution serait mieux compatible avec la
Convention de 1952 sur la saisie conservatoire qui subordonne la mainlevée de la saisie conservatoire à l'existence
d'une garantie suffisante proposée par le débiteur. Or la procédure de constitution du fonds peut être régulière sans
que son montant soit suffisant. Tel est par exemple le cas, si le juge auquel la mainlevée est demandée du fait de la
constitution d'un fonds de limitation a le sentiment que le débiteur ne pourra pas, par la suite, se prévaloir de son
droit à limitation et sera tenu d'une responsabilité intégrale ».
296 Cass. com., 5janvier 1999, navire ''Gure Maiden'', DMF 1999 p.130, rapport J-P. Rémery, observations A.
Vialard ; Rev. cr. dr. Int. Priv. 1999, rapport J-P. Rémery V. aussi, D. Dubosc, « Saisie de navire et limitation »,
DMF 2002, n°632, 12-2002.
297 Par ailleurs la règle de la mainlevée obligatoire ne concerne que les créanciers dont la créance est soumise à la
limitation.
298 V. aussi Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire », préc., no 94.

155
§ 2) Sur ses bénéfices des garanties
d'assurance

Nous venons de voir que la faute inexcusable de l'armateur n'a pas pour effet d'empêcher ce
dernier d'obtenir la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur son navire. Certes, lorsque
l'affaire est jugée au fond et les magistrats concluent que la faute commise par l'armateur se
trouvant à l'origine du dommage doit être qualifiée d'inexcusable, celui-ci se voit privé du bénéfice
de la limitation de responsabilité et ainsi il devra faire face à l'obligation de réparer de manière
illimitée le préjudice par ses créanciers. La perte financière que l'armateur subi est considérable et
de ce fait il importe de savoir quelle est la protection d'assurance qui lui est offerte299.
L'article 531 du Code de commerce énonçait que tous pertes et dommages provenant du fait
de l'assuré n'étaient pas à la charge de l'assureur, règle que l'on toujours lue comme interdisant la
garantie de la faute personnelle de l'assuré (armateur). La loi du 7 juillet 1967, déjà, avait assoupli
la règle première en interdisant seulement dans son article 17 (art. L 172-13 du Code des
assurances) l'assurance des fautes intentionnelles ou lourdes de l'assuré. En pratique, il s’est révélé
que l’interdiction d’assurer les fautes lourdes de l’assuré n’était pas souhaitable, elle n’était plus
même souhaitée par les assureurs eux-mêmes. Il était fait remarqué que si l’ordre public s’oppose à
l’assurance de la faute intentionnelle, il ne s’oppose pas, en principe, à celle de la faute lourde. Si
grave que puisse être celle-ci, elle laisse une certaine place au « hasard », la volonté de nuire qui
caractérise le dol ne se trouvant pas ici. La faute lourde est donc « assurable » dans ses
conséquences dommageables, l’aléa subsistant même réduit. Une réforme législative est ainsi
intervenue.
Prenant en considération l'émergence dans les textes maritimes de la notion de faute
inexcusable, la loi n° 84-1172 du 22 décembre 1984 a modifié la loi de 1967 appliquant
l'interdiction légale aux seules fautes intentionnelles ou inexcusables de l'assuré300. La police type
d'assurance sur corps est plus précise que le texte législatif. Elle exclut les dommages « résultant de
faute intentionnelle ou inexcusable de l'assuré ou de son personnel de direction à savoir : directeur,
chefs d'agence, capitaines d'armements, chefs des services techniques ». Cette énumération permet
299 Il importe de mentionner que l'assureur peut faire valoir le bénéfice de limitation et procéder à la constitution d'un
fonds de limitation (article 1er de la Convention de Londres de 1976, alin. 5). Les polices d'assurance (corps et
responsabilité civile) prévoient au reste que dans le cas où l'assuré n'invoquerait pas la limitation de responsabilité
dont bénéficie l'armateur, alors qu'il en serait en droit de s'en prévaloir, le montant de remboursement incombant aux
assureurs ne dépassera pas celui qui eut été à leur charge si la dite limitation avait été invoquée. La loi du 3 juillet
1967 sur l’assurance maritime, dans son article 59 dispose par ailleurs que, « en cas de constitution d’un fonds de
limitation, les créanciers dont le droit est sujet à limitation n’ont pas d’action contre l’assureur ». Cela revient à
dire que si un fonds de limitation a été crée, l’assureur pourra bénéficier de la limitation de responsabilité. Cet article
se retrouve dans le code des assurances sous l’article L 173-24.
300 R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., n° 605, p. 557 ; P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 1284, p. 822.

156
d'éviter la discussion sur ce qu'il faut entendre par faute personnelle ayant pour contrecoup la
privatisation de l'armateur de son droit à limitation. Contrairement, la police type d'assurance
responsabilité exclut tout recours fondé sur une faute intentionnelle ou lourde de l'assuré, ou une
faute intentionnelle du capitaine, l'imprimé n'ayant pas pris en compte des reformes inscrites dans la
loi du 22 décembre 1984.
Aussi les conséquences des fautes intentionnelles301 et inexcusables302 de l'assuré ne peuvent-
elles en aucun cas être garanties, mais les assureurs demeurent libres d'exclure dans leurs polices
d'autres fautes (principe d'inassurabilité de la faute inexcusable). L’article L 172-13 du Code des
assurances exclut en effet de la garantie de l’assureur les fautes intentionnelles et inexcusables de
l’assuré303. Cette disposition est d’ordre public, les parties ne peuvent y déroger. Cependant, la
disposition légale ne fait pas obstacle à une exclusion contractuelle supplémentaire, dès lors qu’elle
est formelle et limitée. Ainsi, il est parfaitement possible, en assurance maritime (et fluviale), de
stipuler au contrat d’assurance une exclusion pour faute lourde de l’assuré. Celle-ci viendra alors
s’ajouter à l’exclusion de la faute intentionnelle et de la faute inexcusable. Ainsi certains imprimés
contiennent-ils l'exclusion de la faute lourde (pour une faute lourde exclue par une police
d'assurance maritime sur corps de bateau fluvial, voir Cass. com., 16 oct. 2001 : DMF 2002, p. 228,
obs. C. Hübner et P. Bonassies, Le droit positif français en 2002 : DMF 2003, p. 81, n° 100 ; il
convient de rappeler que l’assurance fluviale est, depuis 1992, soumise à la partie du Code des

Assurances relative à l’assurance maritime, donc le Titre VII du Livre Ier du Code des Assurances.
Les règles de l’assurance terrestre ne peuvent trouver application au contrat d’assurance fluviale,
celle-ci étant rattachée au droit maritime).
Par ailleurs l'article L. 172-14 ajoute que « les risques demeurent couverts dans les mêmes
conditions en cas de faute du capitaine ou de l'équipage ». Cette solution est nouvelle compte tenu
que le Code de commerce dans son article 353 prévoyait que l'assureur n'était pas tenu de «
301 Cass. com., 6 juill. 1999, navire "Korhogo" : RGDA 2000, p. 217 ; DMF 2000, p. 519, rapp. Rémery, obs. P.
Latron.
302 Cass. com., 5 janv. 1999, navire "Irrintzina" : DMF 1999, p. 312, rapport J.-P. Rémery, obs. P. Latron : RGDA
1999, p. 469, obs. P. Latron : « l’assuré qui fait appareiller son navire malgré des entrées d’eau anormales commet
une faute inexcusable, exclusive de la garantie d’assurance, dès lors que ces dernières devaient être étalées par des
pompes électriques dont le fonctionnement pouvait être affecté par une panne de courant » ; CA de Paris, 17 mai
2005, navire ''Number One'', obs. I. Corbier, DMF 2005, p. 1001 : En l'espèce la faute inexcusable au sens de la
police et de l’article L. 172-13 du code des assurances consiste dans le fait que « l'armateur a laissé son navire
appareiller, alors qu’il n’était pas en état de prendre la mer », comme l’ont conclu deux expertises en des termes
quasi identiques (trous de corrosion, étanchéité des panneaux de cale non assurée...), et dans le fait que « il n'a
averti non plus la société de classification de ces difficultés ni les assureurs de cette aggravation du risque ».
303 Rappelons enfin que, contrairement à l’armateur, l’employeur est autorisé à s’assurer contre sa propre faute
inexcusable ou celle de ceux qu’il s’est substitués dans la direction de l’entreprise (article L. 452-4 du Code de la
sécurité sociale). L’article L. 452-4 du Code de la sécurité sociale offre à l’employeur une alternative : préférer
prendre une assurance plutôt que de prendre les mesures de prévention qui s’imposent. Telle n’est pas la solution
retenue en matière d’assurance maritime sur corps. Si l’armateur a failli aux obligations essentielles de son métier, il
ne pourra pas bénéficier de la garantie d’assurance. L’arrêt commenté l’illustre : « l’assurance ne paiera pas ».

157
prévarications et fautes du capitaine et de l'équipage connues sous le nom de baraterie de patron »,
et l'on considérait que l'expression n'incluait que les fautes intentionnelles mais aussi les fautes
simples du capitaine304. Les stipulations du Code de commerce n'étaient quand mémé pas d'ordre
public, la possibilité d'une convention contraire étant donc ouverte aux parties contractantes. Ce
n'est que depuis la loi de 1967 que l'état des choses a été aménagé. Aux termes de son article 40,
seule la faute intentionnelle du capitaine n'était pas couverte de la garantie. Mais même ces
dispositions remarquablement favorables à l'armateur assuré ont été abrogées par la loi du 22
décembre 1984. Extrêmement favorables aux assurés, les dispositions de la loi de 1984 prévoient
qu'aucune faute du capitaine même intentionnelle n'est pas exclue de la garantie. Et ces dispositions
ont été reprises par la police de 2002.
Il s'ensuit que l'armateur lorsqu'il commet une faute inexcusable personnelle se retrouve seul
face à ses créanciers et redevable d'un montant très important que les assureurs refusent d'endosser.
Priver l’armateur de la couverture de sa compagnie d’assurance dans le cas où il aurait commis une
faute inexcusable a pour résultat de le mettre face à ses responsabilités. Celui-ci n'a plus qu'à
assumer personnellement les suites délétères de ses fautes.
Il reste que la sévérité ici établie à l'égard de l'armateur, outre qu'elle responsabilise ce
dernier, elle a pour effet de faire obstacle à l'indemnisation des victimes. La rigueur du régime de
responsabilité de l'armateur, tel qu'il se concrétise par le biais de la jurisprudence française,
envisage de rendre ce dernier conscient des périls que son métier implique et de l'induire à mettre en
place les mesures les plus appropriées dans l'intention de satisfaire à l'objectif majeur du milieu
maritime qui est celui de la sécurité maritime (tel est en outre le but du Code ISM). L'armateur qui a
conscience de ces risques (sans agir témérairement), il les maîtrisera sans difficultés et il parviendra
en définitive à les endiguer.
C'est donc plutôt l'armateur négligent, voire indifférent des suites nuisibles que l'exploitation
irrégulière et versatile d'un navire peut susciter, qui commettrait une faute inexcusable. Mais un tel
armateur qui n'observe pas ses obligations les plus élémentaires n'est pas dans la plupart des cas
enclin à fuir ses responsabilités, par exemple en organisant leur insolvabilité (à titre d'exemple par
le truchement de la technique des single ships companies) ? Dans de telles hypothèses l'assurance
n'est pas un (sinon le seul) moyen pour préserver le droit des victimes à réparation des préjudices
subis ? La perte de l'assurance n'apparaît pas ici comme une sanction pour l'auteur du dommage
mais plutôt comme une sanction pour la personne lésée par son activité dommageable, d'autant plus
que la jurisprudence est très ouverte à admettre la faute inexcusable de l'armateur (chose qui nous
amène à dire qu'en définitive la conception jurisprudentielle de la faute inexcusable a des suites

304 A. Vialard, op.cit., n° 109bis, p. 93 ; R. Rodière et E. Du Pontavice, op. cit., n° 605-1, p. 559.

158
considérables non seulement sur les droits de l'armateur, auteur de la faute inexcusable mais aussi
sur les droits des victimes de la faute inexcusable - la limitation de responsabilité est en effet une
condition d'assurabilité sans la quelle il n'y a pas de commerce maritime305 -).
Cependant la fonction et la raison même de l'existence de l'assurance est de garantir
l'indemnisation facile et rapide des personnes dont les intérêts ont été atteints pour la cause de
l'attitude de l'assuré et non pas de protéger ce dernier de ses clients306. En définitive, il revient à
l’assureur de contrôler la solvabilité de son assuré et s'il estime que ce dernier n'est pas honnête de
ne pas contracter avec lui.
C'est pour cela que l'assurance est, en matière de responsabilité pour des dommages de
pollution par hydrocarbures, obligatoire si bien que le certificat d'assurance délivré par l'assureur
qui doit se trouver à bord du navire apparaît comme condition de l'exploitation du navire. Aussi,
l'assureur qui accepte d'assurer un navire dont il n'a pas contrôlé le bon état commet une faute
engageant sa responsabilité. En effet l'article VII.8 de la Convention 1969/1992 énonce que les
victimes de pollution pourront agir directement contre l'assureur, ce dernier pouvant tout de même
invoquer le bénéfice de limitation de responsabilité alors même que les juges retiendraient la faute
inexcusable de l'armateur. La solution ici présentée est très importante compte tenu que le droit des
pays de common law ne reconnaît pas d'action directe contre l'assureur, la règle pay to be paid
(règle selon laquelle l'assuré doit d'abord régler l'indemnité de responsabilité avant de demander
l'exécution de la garantie prévue) protégeant les assureurs.

305 A. Vialard , op. cit., n° 148, p. 126.


306 A. Vialard , op. cit., n° 147, p. 124 : « L'inassurabilité de la faute inexcusable ne nous paraît pas comme une
fatalité inéluctable, spécialement dans le domaine des assurances de responsabilité. On comprend que l'assuré,
dans l'assurance des dommages a ses propres biens, ne puisse réclamer à l'assureur la réparation de dommages
qu'il s'est volontairement ou témérairement infligé. Mais il ne nous paraît logique, ni juste en cas de dommages
causés à des tiers par de pareilles fautes de l'assuré, de priver les victimes du recours en indemnisation dont elles
disposent par voie d'action directe contre l'assureur lorsque le dommage est le fruit d'une faute simple de
l'armateur. C'est à l'instant où elles ont le plus besoin de secours et de garantie qu'on les en prive. D'ailleurs l'aléa
qui compte est celui qui existe au moment de la souscription de l'assurance bien plus que celui qui existe au moment
où le sinistre se produit. L'assurance devenant de plus un plus un mécanisme de protection des victimes, il serait
plus juste d'ouvrir l'action directe contre l'assureur à la victime de la faute inexcusable, en autorisant le recours de
celui-ci contre son assuré si lourdement fautif. D'autant plus que la jurisprudence retient une conception extensive
de la faute inexcusable ».

159
CONCLUSION
L' institution de limitation de responsabilité est, nous l'avons déjà montré, justifiée. Certes,
cette justification de la limitation de responsabilité du propriétaire de navire a varié à travers les
âges. Elle a d’abord été la fortune de mer puis la solidarité des gens de mer et aujourd'hui les
risques de mer et l’intérêt général de la navigation maritime.
Or, la limitation de responsabilité a plusieurs contreparties probables. En effet la limitation
de responsabilité est au pire criminogène ( la faute intentionnelle est rare mais elle n’est pas sans
exister, ainsi qu’il ressort du naufrage volontaire du Chalutier Korhogo1) et au mieux, démobilisante
de la prévention du dommage2. C'est pour cela d'ailleurs que le Tribunal de commerce de Bordeaux
dans l'affaire Heidberg a voulu mettre en exergue « que la limitation de responsabilité consacre un
privilège auquel peut seul prétendre l’armateur qui prend en permanence, c’est-à-dire en toutes
circonstances, les dispositions imposées par les lois et usages de la mer et les mesures permettant à
ses navires de naviguer en assurant à tous moments leur sécurité et celle des tiers, personnes ou
biens matériels3». « En d'autres termes l'armateur doit mériter le bénéfice en prenant toutes le
mesures qu'imposent la réglementation applicable ou la simple prudence d'un simple armateur4».
Et c'est vers cette direction que s'oriente le Code ISM qui, en établissant des mesures de sécurité
contre tous les risques identifiés, vient progresser la réglementation et partant contrecarrer ce
caractère criminogène du principe de limitation.
De ces contreparties de la limitation de responsabilité il faut déduire un principe majeur : on
doit en toutes circonstances trouver un équilibre satisfaisant entre des intérêts divergents, ceux des
acteurs et ceux des victimes. Les systèmes juridiques qui ont cet équilibre pour objet varient dans
leur contenu mais un trait les caractérise tous : le développement vers davantage d’indemnisation
des victimes qui est profondément inscrit dans les mœurs5. Ainsi, une problématique fondamentale
apparaît : situer la frontière entre la limitation de responsabilité des acteurs économiques dont on a
vu qu’elle s’impose définitivement et l’indemnisation totale des victimes que l’évolution des

1 Cass. com., 6 juill. 1999, navire "Korhogo" : RGDA 2000, p. 217 ; DMF 2000, p. 519, rapp. Rémery, obs. P.
Latron.
2 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659, no 6 et s.
3 T. com. Bordeaux, navire "Heidberg", 27 sept. 1993 : DMF 1993, p. 731, obs. A. Vialard, « L’affaire Heidberg :
Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes
» et obs. T. Clemens-Jones « Heidberg : malfaiteur ou victime d’une injustice ? » ; Hors série, DMF 1994, p. 23,
obs. P. Bonassies.
4 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 435, p. 288.
5 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc. ; I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité
de l'armateur », préc. : « Dans la société actuelle où tout dommage tend à appeler indemnisation, l’opinion publique
recherche donc des responsables susceptibles de réparer et d’indemniser ».

160
mentalités impose tout autant.
Si l'on accepte que cette frontière est la faute, la limitation de responsabilité ne s’appliquera
plus si la preuve est faite que le dommage a pour origine une faute du défendeur (tel était le cas sous
le régime précédent de la Convention de 1957). Cependant, une telle opinion constituerait un
paradoxe en droit maritime parce que le caractère spécifique de l’activité maritime implique un
impératif de protection de ceux qui prennent le risque d’agir en mer. Le droit maritime se présente
en effet essentiellement comme « le produit spontané et relativement monolithique des milieux
professionnels attachés à la mer6». C'est un droit fortement corporatiste, car conçu par et pour les
professionnels de la mer7 qui a pour vocation de régir des rapports au sein d'un monde clos composé
d'individus, et d'intérêts se réclamant tous d'une même communauté : celle des gens de mer (il y a
2500 ans, Platon, dans le Dialogue de Critias déclarait : « Il y a trois sortes d'Hommes : les Vivants,
les Morts et Ceux qui vont sur la Mer »).
C’est en pensant de la sorte que l’on a accepté l’idée que la limitation de responsabilité en
droit maritime ne cède que devant la preuve soit de la faute intentionnelle, soit d'une faute commise
témérairement mais avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement8. Cette phrase
« ... témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement ... » est
maintenant considérée dans de nombreuses juridictions comme ayant une signification subjective. Il
ne suffit pas qu’un acteur plus raisonnable que le défendeur aurait eu conscience du risque pour
conclure que le défendeur a commis une faute privative du bénéfice de limitation. La nouvelle
condition, sera vraisemblablement très difficile à établir, eu égard aussi au renversement de la
charge de preuve réalisé par la Convention de Londres. La reforme de 1976 a entendu réduire les
cas dont il résulterait l'impossibilité de bénéficier de la limitation que la Convention de 19769.
Tel n'a pas été le cas de la jurisprudence française qui a préconisé une conception abstraite
de la faute inexcusable, réduisant de ce fait le champ d'application de la limitation. Comme le fait
remarquer le Professeur Paul Chauveau « La règle fondamentale du droit de la responsabilité ne
doit tout de même pas se résumer dans la réparation intégrale de tout dommage au profit de celui
qui en est victime10. En bonne justice, cette obligation doit être soumise à certains conditions et
6 A. Vialard, op. cit., n° 5.
7 M. Morin « Le droit maritime : Diversité ou fragmentation ? », ADMO 1997, tome XV. p. 283.
8 V. Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, p. 659, no 65 : « Cette frontière peut être celle de la
faute simple. Mon opinion est que cette frontière n’est pas conforme à l’esprit du droit maritime. Je pense que la
ligne de démarcation doit demeurer la faute inexcusable. Cette frontière n’est cependant pas d’une clarté
aveuglante ». V. contra, P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 454, p. 304 : « on peut hésiter à approuver le
législateur d'avoir substitué la faute inexcusable à la faute simple, comme cause de déchéance du droit à
limitation ».
9 R. Grime, op. cit., p 102.
10 V. aussi, P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », préc., p. 82-83 : c'est la culture
juridique dont les juridictions françaises sont imprégnées et P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de
responsabilité de l'armateur. Évolution ou mutation ? », préc. p. 152-153.

161
limites. Or guidée par des préoccupations sociales, la jurisprudence française veut par tous les
moyens assurer l'indemnisation totale de la victime. Elle cède à sa réparationniste tendance et elle
utilise à cet effet des moyens devenus classiques grâce auxquels elle procède à la destruction
progressive du droit maritime par voie d'intégration dans le droit terrestre11».
Ce constat amène le Professeur Antoine Vialard à reconnaître que « la jurisprudence
française, dans son approche de la déchéance du droit à limitation pour l’armateur s’est trouvée
parasitée de deux façons différentes : d’une part, au plan théorique, la doctrine lui a proposé et elle
a adopté le concept de « faute inexcusable », né à propos des accidents de travail, pour traduire la
périphrase beaucoup plus complexe des conventions internationales ; d’autre part, sur un plan plus
pratique, elle a, certainement influencée par mansuétude à l’égard des victimes, transposé
l'interprétation abstraite de la notion de faute inexcusable, retenue en droit d'accidents de travail,
en matière de limitation de responsabilité de l'armateur12» (de même que du transporteur aérien ou
maritime).
C'est donc un double défaut que relève le professeur savant : l’application d’une
interprétation franco-française à un concept d’origine internationale, d’une part, (avec le risque,
désormais avéré, d’un isolationnisme juridique) ; et la violation manifeste de l’intention clairement
affirmée du législateur international de rendre pratiquement « incassable » la limitation de la
responsabilité. Pour autant, il ne faut pas mésestimer le facteur international du droit maritime,
facteur « par lequel on montre que le droit maritime est par essence celui des relations
internationales et qu’il se doit, dans un souci de sécurité, de proposer des solutions aussi
universelles que possible, tranchant par le fait même sur le nationalisme, le chauvinisme inhérent
des systèmes juridiques territoriaux13».
En ce sens, M. Vialard approche par ailleurs une certaine vérité : « le droit maritime est à la
fois autonome et particulariste. Autonome, il doit l’être à chaque fois que la notion qu’il utilise
puise ses racines dans l’histoire spécifique du droit maritime ou chaque fois que la notion ou la
technique puise sa source dans une convention internationale ou dans la pratique internationale.
Mais pour le surplus, on ne peut faire l’économie des techniques juridiques traditionnelles : le droit
maritime cesse d’être autonome lorsqu’il fait appel aux grandes techniques classiques du droit civil
ou, à plus forte raison, lorsqu’il fait appel à des institutions de droit terrestre pour les adapter au
monde maritime14». Le droit maritime emprunte au droit commun des concepts essentiels. Il ne peut
vivre sans les apports du droit civil. Une conséquence importante s’en suit : chaque fois qu'une
11 P. Chauveau « Quelques réflexions sur la limitation de la responsabilité de l'armateur », ADMO 1975, p. 13 ; V.
aussi, D. Christodoulou, préc.
12 A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation », DMF 2002, p. 579.
13 A. Vialard, op. cit., n° 22, p. 35.
14 Ibid., n° 12, p. 24

162
situation ayant un rapport à la mer ne donne pas lieu à l'existence d'une règle particulière, la
solution doit être recherchée dans le droit civil. Mais à l'inverse, chaque fois qu'une règle
particulière existe, la règle du droit commun doit être écartée. C'est l'aveu même de l'existence de
règles dérogatoires à celles du droit commun15.
Or, la périphrase de l'article 4 constitue un concept conçu en droit aérien international par
les rédacteurs du Protocole de la Haye (proposé par le major Beaumont et le doyen Chauveau, et
devenu après l'article 25 de la Convention de Varsovie). Aussi bien le principe de limitation de
responsabilité d'armateur est une institution qui manifeste le particularisme du droit maritime vis-à-
vis du droit terrestre. « Cette institution s’explique par la tradition maritime et par la volonté de
protéger d’une manière particulière l’armateur dont la mission est essentielle dans les échanges
commerciaux internes et internationaux. Elle ne concerne en rien le droit à réparation de la victime
et constitue en somme un véritable privilège16». On en infère donc que les règles et les méthodes
d'interprétation du droit commun ne sont pas susceptibles de trouver application en la matière.
Il est cependant indubitable qu'à l'égard de l'institution de la limitation de responsabilité on
éprouve « le sentiment d’insatisfaction17». Ainsi que le Professeur Pierre Bonassies le constate «
au-delà du respect du principe de la limitation, une certaine réserve à l’égard de l’institution
s'aperçoit ». Réserve du législateur pour ce qui est des créances des salariés et des créances de
relèvement des épaves ; réserve des tribunaux qui se développe à propos de la procédure de
limitation où les juges manifestement choqués par la brutalité des dispositions de l'article 13 de la
Convention de 1976, qui impose la libération du navire saisi, alors que la question de la faute
inexcusable n'a pas été examinée refusent de s'y conformer 18. Mais cette réserve des tribunaux se
manifeste surtout par leur sévérité à propos de la notion de faute entraînant déchéance pour
l’armateur du droit à limitation, c'est à dire a propos de l'application de la notion de faute
inexcusable qui est de nos jours devenue une voie de contournement du plafond de limitation, la
jurisprudence se contentant de l'élément objectif sans prendre en considération l'élément subjectif.
Il convient alors de s'interroger d’où vient ce sentiment d'insatisfaction, manifesté en partie
par la conception abstraite, contraire à l'esprit des textes, de la faute inexcusable. Le Professeur
Yves Tassel relève qu'il est opportun pour bien repérer les raisons de la réticence du droit français à
l'égard de cette institution de « ne pas insister davantage sur les motivations avancées car il est
légitime de penser qu’on ne doit pas juger la valeur d’une règle de droit sur sa motivation abstraite
mais qu’il convient de l’apprécier sur les conséquences qu’elle engendre : le droit est avant tout

15 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc.


16 P. Delebecque, « La limitation de responsabilité de l’armateur : Quel est le juge compétent ? », DMF 2002, n0 17.
17 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc.
18 P. Bonassies, Rapport de synthèse, préc. p. 1085

163
utile ».
Ce sentiment résulte, en partie, « d’une méconnaissance des questions maritimes ». « Les
privilèges sont fondés et rien ne les remet en cause, ni l’évolution du transport maritime, ni les
progrès techniques réalisés ». Mais « l'obéissance à la règle de droit exige, pour le bien de l'être
humain, qu'il s'y soumette avec consentement, lequel suppose une adhésion qu'il ne peut accorder
sans compréhension. Comprendre pour accepter apparaît être le premier pas vers la vertu
d'obéissance, sauf à considérer que le propre du vertueux est de se plier même à la règle qu’il ne
comprend pas ou à laquelle il n’adhère pas19».
Mais au delà de ces observations spéculatives, les hésitations de la jurisprudence française
face à la limitation de responsabilité de l'armateur s'explique amplement « par le caractère
dérisoire (à tout le moins, très insuffisant) du plafond de responsabilité qu’un armateur peut
invoquer20. Il y a désormais un décalage trop criant entre la valeur du navire, fondement historique
de l’idée même de limitation, et le montant du fonds de limitation que l’armateur est en droit de
constituer. Ce décalage conduit le créancier à tout mettre en œuvre pour faire « sauter » la limite
qu’on lui oppose, et le juge à prêter une oreille bienveillante à cette revendication. Les auteurs de
la Convention ont voulu une limitation de responsabilité « incassable ». Mais en retenant, dès
l’origine, un plafond trop éloigné de la valeur du patrimoine de mer et en ne prévoyant aucun
mécanisme d’ajustement de ce plafond à l’érosion monétaire21, ils n’ont pas anticipé sur les
réactions des victimes qui, le plus souvent, s’estiment spoliées de leur droit à réparation lorsqu’on
leur oppose un fonds de limitation trop éloigné de la réalité du dommage causé et subi. La faveur
légale que l’histoire a justement accordé aux armateurs se heurte aujourd’hui à la défaveur
sociologique dont est victime un pareil privilège, considéré comme excessif parce que son véritable
fondement a été perdu de vue22».
Et nous en arrivons à la troisième raison de ce sentiment d’insatisfaction qui s’attache à
l’idée que la répartition des risques ainsi définies porte atteinte aux droits des tiers, c'est-à-dire de
ceux qui n’ont pas d’intérêt dans l’aventure maritime. De fait, les catastrophes écologiques
actuelles, tout autant que leur concentration dans certains lieux, exaspèrent ceux qui se voient
opposer les limitations de responsabilité. En effet « ce pilier du droit maritime, [l'institution de

19 Y. Tassel, ibid.
20 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », préc., p. 82-83.
21 P. Bonassies « Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité », préc. p. 103 : « Cette érosion, certes, ne
remet pas en cause le principe même de limitation de responsabilité. Elle impose de se demander s’il ne faudrait
pas mettre en mouvement le processus prévu par l’article 21 de la Convention de 1976 (...) c’est certainement la
modestie de la limitation qui conduit les tribunaux à adopter une conception très ouverte de la notion de faute
inexcusable ».
22 A. Vialard, « L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à limitation de
responsabilité », DMF 2000, p. 813 et « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation » : DMF 2002,
p. 579. La chose vaut quel que soit le type de dommage.

164
limitation] se trouve de plus en plus ébranlé par le risque écologique majeur, chose qui relève du
reste l'incapacité du droit maritime à le prendre en compte23».
Faut-il aller jusqu'à supprimer le principe même de la limitation de responsabilité ? Personne
ne peut le penser et personne ne le dit, au moins pour ce qui est des préjudices matériel 24. En
revanche, quant aux préjudices corporels, l'idée a été avancée de modifier la règle du jeu en se
prononçant pour une responsabilité en principe illimitée de l'armateur (et surtout du transporteur
maritime25) pour les dommages corporels. Les mécanismes permettant d’arriver à cette fin ne sont
alors pas ceux de la responsabilité civile. Ainsi, l’indemnisation totale des dommages ne serait pas
une mesure salutaire. En outre, l'industrie maritime (les armateurs, les pouvoirs publics et les
assureurs maritimes) sont constamment (bien évidemment) défavorables à une telle idée.
De même peut-on se demander si le concept de la faute inexcusable doit être maintenu ou
s'il doit être remplacé par une autre notion. Un tel aménagement pourrait rendre la sévérité de la
jurisprudence française mieux fondée, étant donné l'inconséquence de la jurisprudence française a
l'égard de la formule de l'article 4 de la Convention de Londres. La doctrine semble ici partagée : le
Professeur Pierre Bonassies raisonne qu'une voie moyenne ne serait pas impossible, par exemple la
référence à la faute lourde26 pendant que le Professeur Philippe Delebecque considère qu'il faut
défendre le concept de la faute inexcusable et refuser toute assimilation avec celui de la faute
lourde27, notion prédominant en droit terrestre. Enfin sous la plume du Professeur Antoine Vialard
on distingue la proposition de maintenir l’interprétation abstraite de la faute inexcusable mais
seulement pour la limitation de responsabilité pour lésions corporelles et de préconiser une
conception moins sévère de la faute inexcusable en cas des préjudices matériels. Néanmoins il est
impossible d'admettre que, sur le fondement de la même disposition, celle de l'article 4 de la
Convention de Londres, « soient construites des jurisprudences diamétralement opposées selon la
nature des intérêts en cause28». En revanche, l'idée d'une restriction du champ d'application de la
faute inexcusable uniquement aux préjudices matériels et de l'adoption, par le truchement d'une
intervention du législateur, d'une faute moins caractérisée que la faute inexcusable pour obtenir la
déchéance de la limitation de responsabilité pour préjudices corporels semble plus exacte.
La difficulté est tout de même réelle et il est essentiel de trouver des remèdes, sans que

23 K. Le Couviour, op.cit., n° 354, p. 150. V. aussi P. Bonassies, ibid. Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à
l'aube du XXIème siècle » préc. p. 939 : « l'avenir des fonds spéciaux de limitation est fortement menacée ».
24 P. Bonassies, Rapport de synthèse, préc. ; Ph. Delebecque, ibid.
25 A. Vialard, « L'évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579 ; V. aussi P.
Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 1254, p. 806.
26 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 454, p. 304.
27 Ph. Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations », DMF 2005, no 5 numéro spécial en l'honneur
de Antoine Vialard, no 15. V. en même sens , Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute », DMF 2001, no 65.
28 A. Vialard, ibid.

165
ceux-ci constituent de palliatifs.
Cette difficulté peut donc dans un premier lieu être résolue par une remise en ordre des
conditions de navigation, c'est-à-dire par une politique de prévention plutôt que par une politique de
compensation totale des dommages survenus. La prévention consiste à faire en sorte que des navires
fragiles ne naviguent plus .« La prévention pourrait ainsi apparaître comme un signal avertisseur
nécessaire aux individus pour leur permettre d’adapter leur conduite29».
On ne peut cependant ignorer « que la politique de prévention est difficile à mettre en œuvre
car elle suppose une attitude commune dans une société dont les intérêts demeurent éparpillés 30».
Et on ne peut d'autant plus ignorer que « la prévention des risques n’est pas encore ancrée dans la
mentalité des acteurs du monde maritime : les gens de mer vivent trop souvent avec l’idée de
fatalité31». Le Code ISM est un premier pas vers le renforcement de la sécurité maritime mais il ne
suffit pas. C'est donc pour cela que les tribunaux doivent, au respect de l'impérieuse nécessité de
mieux assurer la sécurité de la navigation maritime, apporter leur pierre à l'édifice commun en
sanctionnant les armateurs qui lancent sur les mers des navires en mauvais état32. Dans cette optique
la sévérité de la jurisprudence française33 par rapport à l'application de la faute inexcusable apparaît
justifiée. « La conception exigeante de la faute inexcusable est peut-être l’une des conditions de la
survie de l’institution34».
Il reste que cette idée de prévention peut aussi être « l’expression d’un besoin excessif de
sécurité et d’un désir de l’individu d’escamoter tous les conflits de l’existence en n’assumant pas
ses responsabilités35». C'est pourquoi qu'il ne faut pas perdre de vue que le risque est inhérent à
l’activité maritime. En mer le risque est toujours présent. Il est même le fondement de l'institution
de la limitation36. Le succès d’une entreprise d’armement reste lié aux capacités personnelles

29 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l'armateur », préc


30 Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime », préc.
31 I. Corbier, ibid.
32 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 435, p. 288.
33 CA Bordeaux, 31 mai 2005, navire "Heidberg", DMF 2005, p. 841, obs. A. Vialard, « Faute inexcusable de
l'armateur, la marée monte, inexorable » et Hors série, DMF 2005, obs. P. Bonassies ; Cass. com., 3 avril 2002,
navire ''Stella Prima'', DMF 2002, p. 460, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de
l’armateur à limiter sa responsabilité » et Hors Série, DMF 2002, obs. P. Bonassies ; CA Aix-en-Provence, 10 oct.
2001, navire "Multitank Arcadia" : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code ISM et la limitation de
responsabilité de l’armateur » ; Cass. com., 20mai 1997, drague "Johanna Hendrika", DMF 1997, p. 976 obs. P.
Bonassies ; RGDA 1997, p.878, obs. P. Latron et Petites affiches, 1997, n0 66.
34 P. Bonassies, Rapport de synthèse, préc.
35 I. Corbier, ibid.
36 I. Corbier, « La faute inexcusable de l'armateur ou du droit de l'armateur à limiter sa responsabilité » préc., p. 403 : «
A n’en pas douter, la sécurité est devenue pour les armateurs un enjeu à la fois politique et économique. Quelles
que soient les précautions prises, les risques maritimes ne sont jamais nuls : d’où, d’ailleurs, l’assurance maritime.
Et la prévention a toujours un coût, qui conduit plus d’un armateur à choisir de ne pas y faire face et de courir le
risque. L’image de marque de l’armateur a ainsi changé : jadis populaire, admiré, envié, il fait figure aujourd’hui
de suspect a priori, toujours tenté d’échapper aux conséquences de ses choix. L’armateur aurait donc tort de sous-
estimer cette évolution de la jurisprudence ; à moins qu’il ne prenne le risque de délibérément ignorer celle-ci »

166
d’appréciation des risques et de décisions de celui qui la dirige qui ne peut quand même pas
prévenir tous les risques que un voyage sur la mer peut éventuellement apporter. « Plus que toute
autre, l’entreprise maritime reste une aventure. L’armateur se distingue dès lors par le goût du
risque37».
Un autre remède consiste évidemment à relever les plafonds de limitation aussi bien la
banale que celle propre au droit de la pollution38. Certes, les montants de 1976 ont été augmentés
par le Protocole de 1996. Mais l’augmentation demeure modeste, sauf pour ce qui est des créances
des passagers (surtout par la suppression du plafond absolu de 25 millions DTS) d'autant plus si
l’on tient compte de l’érosion monétaire depuis 199639. « Car l'augmentation est parfois plus
apparente que réelle, et le deviendra chaque jour un plus avec le travail lent de l'érosion monétaire
».
Le Professeur Yves Tassel approfondissant l'analyse soulève enfin une nouvelle question. «
La compensation totale des dommages, si l’on doit l’admettre, n’exige-t-elle pas que l’on en vienne
à considérer que, au-delà des industries qui tirent profit du transport maritime (l’industrie de
l’armement maritime et les industries qui produisent les marchandises transportées), un quatrième
intérêt s’est fait jour : celui des sociétés qui utilisent ces marchandises. On ne peut pas aujourd’hui
ignorer que nos sociétés produisent des choses qui sont nocives et potentiellement dangereuses. La
question qui se pose est de savoir qui doit en supporter le fardeau. De deux choses l’une. Ou bien
l’on admet que le droit maritime doit demeurer fondé sur une répartition particulière des risques
exceptionnels qu’il fait encore courir et l’on doit s’orienter vers l’idée que la société elle-même
doit prendre en charge une partie de ces risques ; sous cette perspective, les règles traditionnelles
du droit maritime, interprétées de façon à ne pas en faire des privilèges insupportables,
perdureront. Ou bien l’on considère que l’expédition maritime doit être considérée comme une
entreprise comme les autres et l’on revient sur ces règles spécifiques et traditionnelles. Mais, avant
d’en arriver là, mesurons bien les conséquences économiques de ce nouvel ordre juridique dont le
premier effet sera la disparition des entreprises qui ne pourront supporter une telle réorientation.
Tant que les entreprises d’assurances perdureront, le mal sera limité. Mais qu’elles viennent à être
mises en péril, le remède aura été pire que le mal. Une conclusion s’impose : une nouvelle
répartition juridique du risque maritime ne peut se faire sans peser le poids économique du projet
esquissé ». Voilà donc une question qui mérite au moins notre méditation40.

37 I. Corbier, ibid.
38 P. Bonassies, ibid. V. aussi du même auteur « La faute inexcusable de l'armateur en droit français », préc., p.75 et s.
39 Par ailleurs le Protocole ne s’applique « qu’aux créances nées d’évènements postérieurs à l’entrée en vigueur, pour
chaque État ».
40 Nous nous bornerons ici à remarquer que le Professeur Pierre Bonassies avait relevé a propos de la limitation en
matière de pollution, que « le principe même de la limitation de responsabilité n’a pu être maintenu qu’en raison de

167
INDEX ALPHABÉTIQUE DES
NAVIRES
Amoco Cadiz, 63 Laura, 93, 117

Atlantic Island, 43 Magda, 48

Brescou, 105 Marina Ace, 49

Darfur, 136 Marion, 64

Düsseldorf Express, 48 Mercandia-Transporter II

Erika, 70 Moheli, 97

Ethnos, 49 Moldavia, 116

Girolata, 46 Navipesa Dos, 134, 162

Gure Maiden, 153 Prestige, 59

Heidberg, 110, 149 Soula H, 136

Ismène, 142 Stella Prima, 98, 131

Jerba, 150 Teleghma, 46

Johanna Hendrika, 93, 144 Txarenna et Eros, 95

Kini – Karsten, 104 Vasya Korobko, 92, 128

Kirsten – Skou, 100 Woermann Banniere, 50

Lady Gwendolen, 63, 97 Zulu Seal, 92, 116

la mise en place d’un second système de réparation, celui du FIPOL. C’est seulement parce que le FIPOL prend le
relais du propriétaire du navire que la limitation peut ici survivre. Mais le système du FIPOL marque bien les
limites du système traditionnel de limitation ». (P. Bonassies, Rapport des synthèses).

168
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L’apparence de faute inexcusable comme cause de déchéance « provisoire » du droit à
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Sisyphe et l’uniformisation internationale du droit maritime, DMF 1999
L’affaire Heidberg : Gros temps sur la Convention de Londres 1976 sur la limitation de
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www.uncitral.org

TABLE DES MATIERES

183
Table des matières
REMERCIEMENTS............................................................................................................................4
SOMMAIRE.........................................................................................................................................6
TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES ..................................................................8
INTRODUCTION..............................................................................................................................10
La notion d' armateur ....................................................................................................................18
PREMIERE PARTIE : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE ..........................................20
CHAPITRE 1 : L'APPARITION DE LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES APLLICATIONS..21
Section 1 : La naissance de la faute inexcusable en droit des accidents du travail (loi du 9 avril
1898) et son application aux accidents de circulation (loi du 5 juillet 1985)...........................21
§ 1) Faute inexcusable et droit des accidents du travail .....................................................22
§ 2) Faute inexcusable et accidents de circulation..............................................................25
Section 2 : La faute inexcusable en matière des transports, condamnation d'un comportement
jugé fautif .................................................................................................................................27
§ 1) En droit des transports aériens ....................................................................................31
A) Les textes....................................................................................................................31
B) Interprétation de la faute inexcusable du transporteur aérien ....................................35
a) En droit de transport aérien des marchandises .......................................................35
b) En droit de transport aérien des passagers .............................................................41
§ 2) En droit des transports maritimes ................................................................................42
A) Transport maritime de marchandises .........................................................................43
B) Transport maritime de passagers et de leurs bagages ................................................50
C) Faute inexcusable et manutention maritime...............................................................54
CHAPITRE 2 : LA FAUTE INEXCUSABLE, FONDEMENT ACTUEL DE LA DECHEANCE
DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE DE L'ARMATEUR ..........................................58
Section 1 : En droit commun de responsabilité de l'armateur ................................................59
§ 1) Le régime précédent de la Convention Bruxelles du 10 octobre 1957........................59
§ 2) Le passage de la faute simple à la faute inexcusable et au droit à limitation
''incontournable'', la Convention de Londrès de 1976..........................................................64
Section 2 : Dans les régimes spéciaux de responsabilité (Hydrocarbures, Marchandises
dangereuses, Pollution par les soutes, Nucléaire )....................................................................67
§ 1) La limitation de responsabilité du propriétaire de navire pétrolier (CLC)..................68
§ 2) La limitation de responsabilité du propriétaire du navire transportant des substances
nocives et potentiellement dangereuses (SNPD/HNS)........................................................72
§ 3) La limitation de responsabilité dans la Convention de 2001 sur la pollution par les
soutes (Bunker Convention).................................................................................................73
§ 4) La limitation de responsabilité pour dommage nucléaire ..........................................74
Section 3 : Le troisième paquet Erika et la reforme de la faute inexcusable par la directive
relative à la responsabilité civile et aux garanties financières des propriétaires de navires ....76
§ 1) Élargissement de la notion de faute permettant de dépasser la limitation de
responsabilité .......................................................................................................................79
§ 2) Refus de l'application de la notion de la faute inexcusable aux navires battant
pavillons d'un État n'ayant pas ratifié la convention de Londrès.........................................82
§ 3) Limitation du champ d'application de la directive aux cas de responsabilité envers les
tiers à l'opération de transport .............................................................................................84
DEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES
CONSEQUENCES ............................................................................................................................88
CHAPITRE 1 : LA CONCEPTION JURISPRUNDENTIELLE DE LA FAUTE
INEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES INCIDENCES SUR L'INSTITUTION DE LA

184
LIMITATION DE RESPONSABILITE .......................................................................................88
Section 1 : Les éléments de la faute inexcusable de l'armateur ...............................................89
§ 1) Le caractère fautif du comportement de l'armateur ....................................................90
§ 2) Le caractère personnel de la faute inexcusable ...........................................................96
§ 3) La gravité de la faute inexcusable .............................................................................101
Section 2 : La limitation de responsabilité : droit exceptionnel de l'armateur ? ....................111
§ 1) Le concept jurisprudentiel de la faute inexcusable facilite l'exclusion de l'armateur de
la limitation de responsabilité.............................................................................................112
A) Faute inexcusable et limitation de responsabilité pour des dommages matériels ..112
B) Faute inexcusable et limitation de responsabilité pour des dommages corporels . 119
§ 2) La nouvelle dimension de l'obligation de sécurité maritime favorise la privatisation de
l'armateur de la limitation de responsabilité.......................................................................122
CHAPITRE 2 : LA FAUTE INEXCUSBALE DANS LA PROCEDURE DE LIMITATION . .128
Section 1 : Contestation du droit de l'armateur de limiter sa responsabilité ..........................129
§ 1) Limitation de réparation avec constitution d'un fonds...............................................130
A) Contestation de la constitution du fonds par les créanciers .....................................131
a) Contestation de la constitutions du fonds devant le juge des requêtes ...............131
b) Contestation du droit à limitation devant le juge du fond ..................................135
B) La charge de la preuve de la faute inexcusable .......................................................141
§ 2) Limitation de réparation sans constitution d'un fonds .............................................143
Section 2 : Les conséquences de l'admission de la faute inexcusable de l'armateur sur ses
droits .......................................................................................................................................146
§ 1) Sur son droit de protéger son patrimoine vis-à-vis des saisies conservatoire ...........146
§ 2) Sur ses bénéfices des garanties d'assurance ..............................................................152
CONCLUSION................................................................................................................................158
INDEX ALPHABÉTIQUE DES NAVIRES ...................................................................................161
BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................162
I) TRAITES ET OUVRAGES GÉNÉRAUX..............................................................................162
II) MONOGRAPHIES ET THÈSES ..........................................................................................164
III) ARTICLES ET CHRONIQUES............................................................................................166
IV) SITES INTERNET ...............................................................................................................174
TABLE DES MATIERES ...............................................................................................................175

185

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