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L’emblème de la bataille pour le Paradis [terres des Indiens mapuches] est un homme
de 30 ans au regard fier, aux yeux noirs et profonds, le visage et la bouche encadrés
d’un flot de barbe. Il s’appelle Facundo Jones Huala. Il est derrière les barreaux [depuis
le 27 juin, après avoir été arrêté il y a un an puis relâché]. Pour l’Argentine et le Chili,
c’est un terroriste. Santiago demande son extradition, Buenos Aires refuse.
Depuis deux ans, avec une communauté réduite à quelques milliers d’individus, ce
jeune guerrier mène une lutte qui semblait impossible, archaïque, déconnectée des
dynamiques politiques et économiques qui régissent les équilibres dans les États
modernes. Mais la présence du groupe Benetton sur un territoire de 900 000 hectares
où paissent quelque 100 000 brebis fournissant 10 % de la précieuse laine avec
laquelle sont fabriqués les vêtements de la célèbre marque de prêt-à-porter de Trévise
[en Italie] a mis le feu aux poudres et provoqué un affrontement qui couvait depuis au
moins un siècle.
Ainsi renaissait de ses cendres une civilisation qui avait été expulsée manu militari,
reléguée dans quelques réserves que le gouvernement argentin avait destinées aux
descendants des Mapuches, dont le nom signifie “le peuple de la terre”.
L’occupation a ravivé des espoirs jamais éteints et ranimé des sentiments que l’on
croyait disparus. Des dizaines de familles, avec leurs anciens et leurs enfants, ont fini
par essaimer, comme une tache de léopard, dans d’autres parties du
domaine Benetton.
Carlo, le benjamin de la famille d’industriels textiles, prend alors l’affaire en main. C’est
lui qui s’occupe de cette branche de l’exploitation. Il se rend en Patagonie plusieurs
fois par an. Dans un premier temps, il tente de régler le litige par la conciliation. Il
trouve un médiateur en la personne de Ronald McDonald, un Écossais coriace arrivé
enfant en Patagonie. C’est un type dur, qui n’est pas du genre à prendre des gants. Il
connaît cette terre, sait faire face aux imprévus. Il gère l’immense propriété et
commente :
Benetton cherche alors des recours légaux et se tourne vers la justice argentine. Il
affirme, carte en main, que ces indigènes sont arrivés du Chili et que c’est donc au
Chili de s’en occuper. L’Argentine lui donne raison, car elle ne veut pas d’autres
problèmes. Mais elle joue la montre. Elle est en effet contrainte par un article de sa
Constitution nationale qui reconnaît aux Mapuches la propriété de cette terre qu’ils
occupaient traditionnellement. Elle envoie des détachements de police, traitant
l’affaire comme un problème d’ordre public. Mais elle se heurte à une
résistance inattendue.
Pour éteindre l’incendie, il ne reste plus qu’à frapper le mouvement à sa tête [estiment
les autorités argentines]. Privé de son leader, il ne tiendra pas longtemps. Fin juin
2017, le chef Huala, passé dans la clandestinité, est capturé et incarcéré à la prison
d’Esquel, à 1 800 kilomètres au sud de Buenos Aires, dans l’attente de son extradition
au Chili. Les militants accentuent la pression en multipliant les manifestations et le
mouvement prend de l’ampleur. Une vingtaine d’hommes, le visage dissimulé sous
des écharpes et des passe-montagnes, saccagent la maison de la province de Chubut
[à Buenos Aires], laissant derrière eux des paquets de tracts signés de la Résistance
ancestrale mapuche (RAM).
Depuis sa cellule, Facundo Jones Huala donne des interviews à la presse. “Nous en
avons assez de l’oppression, du vol de nos terres, déclare-t-il. Nous en avons assez de
nous faire massacrer et arrêter quand bon leur semble. Mon cri de résistance a fait
naître un nouvel espoir chez les gens qui ont commencé à récupérer ce qui a appartenu
à nos ancêtres.”
Et devant la prison, une pancarte bien en vue clame : “Le Paradis perdu ne peut
plus attendre.”
Daniele Mastrogiacomo
. .
Un gênant mystère
“Où est Santiago Maldonado ?” s’interroge encore et toujours, à l’instar de toute la
presse, le quotidien Página12. Le jeune artisan au look baba cool a disparu le 1er août
après une intervention musclée de la police dans le campement mapuche de plein air,
baptisé Pu Lof .
Ce jour-là, l’incursion des gendarmes sur le campement disperse les militants et des
témoins assurent qu’ils ont vu Santiago Maldonado se diriger vers la rivière avant
d’être supposément rattrapé par les forces de l’ordre et introduit de force
dans une camionnette.
Après être d’abord resté “silencieux, avant d’évoquer des hypothèses inconsistantes et
de soulever des doutes” à l’encontre des Mapuches eux-mêmes, souligne le journal
Perfil, le gouvernement prend finalement la mesure de l’opprobre qu’il allait s’attirer, et
fait diligenter une enquête plus poussée sur la gendarmerie. Le 12 septembre, le
quotidien Clarín rapporte la confession d’un gendarme admettant pour la première
fois depuis un mois et demi “qu’il avait agressé un manifestant en capuche” avec une
pierre. L’Argentine est suspendue au douloureux mystère de cette disparition qui fait
ressurgir les souvenirs du temps des dictatures (1976-1983).