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GOUVERNANCE
De gauche à droite et de haut en bas : Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC Paris, Matthieu Courtecuisse, directeur général de
SIA Conseil, Xavier Moreno, président d’Astorg Partners, Pierre-Etienne Lorenceau, p-dg de Leaders League, Louis de Gaulle, fondateur
et associé du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés, Chiheb Mahjoub, p-dg de Kurt Salmon, Yves de Chaisemartin, p-dg d’Altran, Bill
George, professeur à Harvard et ex-p-dg de Medtronic et Francis Rousseau, président d’Eurogroup Consulting.
COMPLEXES CONCEPTS
ET RELATIONS contrainte.
2- l’autorité de l’exemplarité (donner/
Leadership, cet impalpable incarner un bel exemple), pas de la fonc-
tion ni du statut,
Le leadership est souvent défini par une 3- la noblesse d’une cause, d’idées et
longue check-list de qualités à avoir, d’objectifs solides et inspirés,
d’ingrédients magiques ou basiques. 4- le mouvement, car qui suivrait un
Pour certains, « le leadership c’est l’in- homme à quai, statique ?
telligence émotionnelle », pour d’autres 5- l’affection : la passion pour une cause,
« le charisme », etc... pour ceux qui la suivent, pour « les siens ».
trui. À l’inverse, pour certains, c’est légitime mais utilisé à bon escient, il ou garantir. L’autorité ne se présente
une chose parfaitement légitime, neutre, peut en être de même, ou pas. pas comme un pouvoir de comman-
et nécessaire qui permet le fonctionne- dement. Elle est l’antithèse de l’impe-
ment cohérent des sociétés. Les conflits, ou blessures, viennent rium ou de la potestas.
souvent du fait que lorsqu’il est légi-
Comment expliquer le grand écart time, le détenteur du pouvoir ne Pouvoir vs. Leadership
entre ces perceptions ? Pourquoi le s’embarrasse plus trop (voire plus du Les concepts de pouvoir et de lea-
concept est-il tantôt très négatif, tantôt tout) des sujets qui « subissent » son dership sont donc très distincts, voire
positif ou du moins neutre ? pouvoir. Et le glissement peut être diamétralement opposés.
rapide vers la non-écoute, le ressenti, Ainsi, trois différences sautent aux yeux :
La confusion vient du mélange entre la voire le conflit d’intérêt.
notion de pouvoir et celle d’abus de pou- 1- le pouvoir est une force qui va du
voir. Le premier, neutre, ouvre la porte, Autorité vs. légitimité haut (de la hiérarchie) vers le bas (top
potentiellement au second, excessif. Dans les entreprises, du statut et de down), du fort vers le faible.
la fonction dérive un certain niveau À l’inverse, le leadership est une force
Le pouvoir, aimé ou méprisé, existe. Il de pouvoir (la potestas). La légitimité qui va du bas (de la hiérarchie) vers le
permet la réalisation de grandes choses, vient d’en haut : les actionnaires don- haut : on est « fait » ou reconnu leader
positive ou non. Il peut être légitime ou nent au dirigeant le droit d’organiser par son groupe.
non. Il peut être utilisé sagement, ou de l’entreprise, qui nomme des hauts
façon abusive. managers, des managers, etc. La légi- 2- le pouvoir tend à « diviser pour mieux
timité est juridique et extrinsèque. régner », comme dit l’adage. Si diviser,
Ces différentes dimensions rendent la c’est organiser et répartir les taches, pour-
notion complexe. Et notre jugement À l’inverse, l’autorité (l’auctoritas) ne quoi pas ? Si diviser permet de limiter tout
sur le pouvoir est souvent obscurci par requiert aucune fonction officielle. contre-pouvoir alors s’ouvre la porte de
les émotions générées par le fait de subir Dans un groupe d’amis, un tel fera l’arbitraire, de l’abus de pouvoir, de la
le pouvoir ; ou par celles d’en jouir. autorité sur tel sujet, par son savoir violence au visage légitime.
et/ou son charisme, et un autre sur
Si l’on se centre sur le pouvoir, et tel sujet. À l’inverse, le leadership, fondé sur l’adhé-
non sur ses abus, le concept peut sans Comme l’exprime justement Fran- sion, tend à « unifier pour mieux régner ».
doute être défini comme un état de çois Terré*, il existe une autorité du Il rassemble au lieu de diviser, et n’a pas
droit, ou de fait, qui donne la force héros, du saint, du génie, qui se passe peur de voir le groupe soudé, car cette
d’imposer son point de vue. de toute consécration officielle. réunion est symbole de l’adhésion de tous
Si le pouvoir est légitime et utilisé à un objectif, à des valeurs afférentes, à
de façon non abusive, le ressenti sera Cicéron oppose potestas et auctoritas. un projet que les forces combinées d’une
faible ou nul. Si le pouvoir est non Être auctor, c’est proposer, confirmer équipe permettent d’atteindre.
Comment allier leadership+pouvoir si « La créativité et l’agilité sont plus que jamais
les deux concepts sont diamétralement des fondamentaux du leader d’aujourd’hui. »
opposés ?
Chiheb Mahjoub, p-dg de Kurt Salmon
Faut-il y voir la nécessaire rencontre de
deux forces (ying/yang) dont l’équi-
libre subtil est l’objectif à atteindre ? « Le pouvoir, c’est différent : c’est une série
Peut-être. de leviers placés entre les mains d’un individu
qui peut être totalement dépourvu d’autorité ! »
Mais notre intime conviction est que
Matthieu Courtecuisse, p-dg de SIA Conseil
le leadership est une force plus noble,
pour ne pas dire plus nécessaire. Notre
conviction est qu’il est l’heure qu’elle
prenne dans nos vies une place majeure.
« Le rôle d’un bon dirigeant est de savoir positionner
Notre ardente aspiration est que le rôle le curseur explicite/implicite au bon endroit. »
du pouvoir doit voir sa place réduite, et Francis Rousseau, président d’Eurogroup Consulting
que la place du leadership augmente.
L’avènement du leadership, comme
mode de gouvernance, a été façonné
et rendu possible par les révolutions
« Gouverner prend en compte trois aspects
démocratiques du XVIIIe siècle en primordiaux du leadership : savoir prévoir,
Europe de l’Ouest, au XXe siècle en savoir choisir et enfin savoir décider. »
Europe de l’Est. Yves de Chaisemartin, p-dg d’Altran
En ce début du XXIe siècle, du Moyen-
Orient et d’Afrique (Côte d’Ivoire,
Afrique du Nord...) rejoignent ce
mouvement historique. « Le pouvoir peut résulter de bien d’autres choses que
de l’aptitude au leadership : pouvoir fondé sur la force,
Mais appelons de nos vœux que le
XXIe siècle ne soit pas seulement l’ère les armes, la menace, la terreur, les leviers juridiques. »
du leadership dans nos vies de citoyens. Xavier Moreno, président d’Astorg Partners
L’entreprise est un lieu où les personnes
passent cinq jours par semaine. Il est
temps que ce cadre devienne plus « Il est temps que l’entreprise devienne un endroit
encore un endroit d’épanouissement
et de respect mutuel, fondé sur le lea- d’épanouissement et de respect mutuel, fondé sur le
dership, plus que sur le pouvoir et la leadership, plus que sur le pouvoir et la subordination. »
subordination. Pierre-Étienne Lorenceau, p-dg de Leaders League
D.R.
Il faut réfléchir à ce qui est explicite
et ce qui est implicite. Personnelle-
ment, j’aime ce qui est implicite. Le d’un pouvoir brutal. Pour citer Max Décideurs. Quels sont les trois lea-
rôle d’un bon dirigeant est de savoir Weber, « le pouvoir relève de l’aptitude ders qui vous inspirent ? Pourquoi ?
positionner le curseur explicite/ à forcer l’obéissance, alors que l’autorité F. R. Pour segmenter ma réponse,
implicite au bon endroit. Les gens est l’aptitude à faire observer volontaire- je choisirais un représentant du
qui cherchent trop l’explicite tuent ment les choses ». Les grandes structures monde politique, un autre de l’éco-
l’intelligence. L’explicite, il faut le ont besoin de personnes qui représen- nomie et un troisième du monde
distiller graduellement, afin de libérer tent le pouvoir, sans forcément qu’elles artistique. John F. Kennedy repré-
la juste dose d’implicite. revêtent un masque sente parfaite-
de dureté ! Mais ne ment le leadership
Décideurs. Quelle différence faites- tombons pas dans « Au sein d’un même en politique. Il
vous entre un leader et un manager ? le manichéisme : le groupe, il est essentiel a exprimé des
F. R. Le leader offre une vision, une pouvoir peut être rêves qui sont
intuition. Il est capable de com- élégant et l’autorité d’avoir des leaders devenus réalité,
prendre un environnement et de idiote. Par ailleurs, et des hommes et est devenu un
voir comment évolue un secteur. Il la personne qui a de pouvoir. De conjuguer modèle positif
souhaite amener ses équipes vers un de l’autorité se doit pour le monde.
objectif, les faire adhérer à un pro- d’avoir une morale intelligemment Je citerais ensuite
jet. Le leader jouit de son pouvoir irréprochable, car leadership et pouvoir » Steve Jobs, un vrai
d’influence ; il ne réfléchit pas pour l’autorité rime avec leader, surtout
autant à son propre pouvoir. responsabilité. dans la période
Ce qui m’intéresse, c’est d’entre- la plus récente de sa vie. Il a une
prendre, de prendre des risques, Décideurs. Être un leader et être un vision personnelle de son entre-
de m’aventurer dans des territoires homme de pouvoir, est-ce distinct ? prise, de son secteur, du monde.
inconnus. C’est l’adrénaline qui F. R. Le pouvoir confère des droits C’est un opposant, et j’aime ceux
m’anime ; rendre possible ce qui différents de ceux octroyés par l’au- qui s’opposent. Il a toujours cru en
paraît impossible. torité et permet l’adhésion. Si le pou- son projet, même avec Bill Gates et
voir emporte la légitimité, l’autorité Microsoft en face !
Décideurs. Quel est l’usage de l’au- la conforte. Le leader aime le pouvoir Enfin, Pablo Picasso fut, à mon
torité et du pouvoir pour un leader ? mais déteste les structures de pouvoir. avis, un leader dans le monde artis-
F. R. L’autorité a un rapport avec le long Il use de l’autorité. Au sein d’un même tique. Non pas pour ce qu’il était
terme, alors que le rythme du pouvoir groupe, il est essentiel d’avoir des lea- en tant que personne, mais pour sa
est plus court, plus rapide. Avoir du ders et des hommes de pouvoir. De capacité de renouvellement et ses
leadership est une marque d’élégance : conjuguer intelligemment leadership prises de risques perpétuelles. Son
c’est parfois bien plus élégant que d’user et pouvoir. leadership a duré un siècle !
ENTRETIEN AVEC
Yves de Chaisemartin
p-dg d’Altran
ENTRETIEN AVEC
Chiheb Mahjoub
p-dg de Kurt Salmon
D.R.
durable, ne se décrète pas mais se
légitime par la capacité d’un individu
à construire une vision et une straté- dership. Le pouvoir sans leadership se plus qu’hier, le leader doit assumer un
gie. Le leadership d’un individu, c’est réduit alors à un rapport de force et rôle de modèle, intègre et exemplaire,
aussi sa capacité d’entraînement de ses risque bien d’être éphémère. pour préserver tout son pouvoir d’en-
proches, ses équipes, ou de ses conci- traînement de ses équipes et/ou de
toyens si on va au-delà de la sphère Décideurs. Quels sont les défauts son public ou de ses concitoyens.
de l’entreprise, dans l’exécution, la que peut avoir un leader ?
mise en œuvre de la stratégie, tout en C. M. Parfois la frontière entre la Décideurs. Comment un leader peut-il
gardant le cap et l’objectif quelles que recherche de l’action efficace et user de son autorité et de son pouvoir ?
soient les difficultés rencontrées. l’hyperactivité non productive est C. M. C’est dans cet exercice que la
bien fine. Si l’action du leader se valeur d’intégrité du leader prend
Décideurs. Quelles sont les qualités nourrit de son travail d’écoute, le toute sa dimension. Pour éviter une
nécessaires pour devenir un bon leader leader doit absolument se préserver perception négative de manipula-
C. M. Les qualités se jugent dans le d’un phénomène de cour qui peut tion, le leader doit mettre l’entièreté
temps. L’authenticité est à mon sens insidieusement le faire glisser vers de son talent au service d’une cause
une condition sine qua non. Dans un de l’égocentrisme collective et si
monde toujours plus complexe, la voire du cynisme. nécessaire influen-
capacité d’innovation, d’observation de « Le leadership peut cer positivement
l’environnement et d’écoute sont éga- Décideurs. Quelles être source de pouvoir le débat en ayant
lement des « must have ». Sans oublier sont les valeurs et peut constituer un recours à des relais
évidemment, la nécessaire efficacité qui
induit une implication totale et de la
fondamentales du
leader ?
instrument de pouvoir » d’opinion internes
ou externes. La
clarté de la part du « bon leader ». C. M. Lorsque l’on méthode du « cas-
voit avec quelle vitesse des géants cading » est essentielle. Le leader doit
Décideurs. En quoi la notion de pou- mondiaux de l’économie numérique permettre à ces relais de s’approprier
voir est-elle complémentaire ou anti- se sont développés et à quelle vitesse les messages et à les porter auprès
nomique de celle du leadership ? des géants de l’industrie ont disparu, d’autres publics.
C. M. Un bon leader n’est pas forcé- on se dit que la créativité et l’agilité
ment un homme de pouvoir et inver- sont plus que jamais des fondamen- Décideurs. Quels sont les trois leaders
sement, un homme de pouvoir peut taux du leader d’aujourd’hui. Il doit qui vous inspirent le plus ? Pourquoi ?
être un piètre leader. Bien souvent, comprendre et anticiper les ten- C. M. Trois noms me viennent à l’esprit :
les deux notions sont confondues dances et les besoins de demain. Pour De Gaulle, Steve Jobs et Alexandre le
dans l’esprit des gens par la dimen- inscrire son action dans la durée, le Grand. De Gaulle pour le courage et la
sion charismatique. Pour moi, le lea- leader doit toujours rechercher l’ef- détermination. Steve Jobs pour sa créa-
dership peut être source de pouvoir ficacité et la performance, ce qui en tivité, son agilité et son authenticité.
et peut constituer un instrument de termes de valeurs, se traduit souvent Alexandre le Grand pour l’ambition,
pouvoir. L’accès au pouvoir ne peut par le courage et la capacité à prendre l’implication personnelle et sa capacité
en aucun cas justifier ou autoprocla- des décisions parfois douloureuses. Je de transformation qu’il a su imprimer
mer la réalité et l’existence d’un lea- suis convaincu qu’aujourd’hui encore à son environnement.
ENTRETIEN AVEC
Xavier Moreno
président d’Astorg Partners
D.R.
2- l’autorité de l’exemplarité (donner/
incarner un bel exemple), pas de la etc.). L’autorité n’est pas conférée néces- Décideurs. Être un leader et être un
fonction ni du statut, sairement par « en haut » mais par « en homme de pouvoir, est-ce distinct ?
3- la noblesse d’une cause, d’idées et soi » : on fait, ou non, autorité. L’au- P.-É. L. Un leader peut utiliser les pou-
d’objectifs solides et inspirés, torité entraîne l’adhésion. L’adhésion voirs que son poste (top management
4- le mouvement, car qui suivrait un entraîne la décision, collective - et non ou pas) lui donne légitimement. Uti-
homme à quai, statique ? unilatérale et top down. liser ces pouvoirs ne veut pas dire en
5- l’affection : la passion pour une abuser. Mais, au fond de lui-même,
cause, pour ceux qui la suivent, pour Décideurs. En quoi le leadership est-il chaque décideur doit choisir : l’essen-
« les siens ». distinct du pouvoir ? tiel de ma relation aux autres doit-elle
P.-É. L. Le leadership est fondé sur l’ad- se construire sur l’adhésion, sur le lea-
Décideurs. Quelle différence faites- hésion. Le pouvoir sur la légitimité (sauf dership ? Ou est-ce que je veux aller
vous entre un leader et un manager ? abus). Le leadership, à l’essentiel, ne pas
P.-É. L. La différence est fondamen- comme mode de m’embarrasser de
tale : un leader aime sortir des sentiers gouvernance, a trois consensus et m’ap-
battus, cherche la rupture (disruption), grandes distinctions « Aucun grand leader puyer tout simple-
et veut établir de nouveaux équilibres. par rapport au pou- ne peut émerger sans ment sur le pouvoir
Le manager aime gérer les équilibres voir : il unit pour s’entourer de brillants qu’on m’a donné ?
existants, déjà si difficiles à maintenir mieux régler quand
dans un monde qui change. Cette dif- le pouvoir tend à managers » Décideurs. Quels
férence est relative : aucun grand lea- diviser pour mieux sont les trois lea-
der ne peut émerger sans s’entourer de régner. ders qui vous inspi-
brillants managers, et sans avoir aussi, Ensuite, le leadership entraîne un mou- rent ? Pourquoi ?
en lui, conscience de l’importance du vement bottom up fondé sur l’écoute des P.-É. L. Gandhi, parce qu’il prouve que
management. Mais le souci des équi- moins gradés, voire des non-gradés. À chacun peut changer le monde, sans
libres existants ne doit pas l’empêcher l’inverse, le pouvoir est top down : il des- violence : par la force de son exemple,
de chercher une vision nouvelle, une cend du haut de la hiérarchie vers le bas. de son sacrifice, et briser les chaînes
rupture, la voie propre pour son entre- Si le pouvoir n’écoute plus, il peut rester (anglaises) d’un empire (indien). Steve
prise et ses clients. légitime, mais perd son autorité, et peut Jobs, parce qu’il a changé le monde par
devenir étouffant, absurde, mal ressenti. ces innovations de rupture : le micro-
Décideurs. Quel est l’usage de l’auto- Enfin, le leadership cherche l’adhésion. ordinateur, puis Pixar, puis l’iPod
rité et du pouvoir pour un leader ? Le pouvoir vise l’exécution (des ordres). jusqu’à l’iPad. Einstein, enfin, qui
P.-É. L. Le pouvoir et l’autorité sont L’usage des deux modes de gouvernance n’avait aucune « troupe » mais a rap-
deux choses distinctes. Le pouvoir ne se est à la fois antinomique, mais paradoxa- pelé à tous, appris à tous, l’humilité
négocie pas : il décide, tranche, impose. lement complémentaire. Néanmoins, à avoir devant les certitudes : tout est
La position du pouvoir peut être légi- plus on utilise le mode leadership, plus relatif.
time, en droit, ou non (abus de pou- on rend les siens créatifs, fiers, autonomes.
voir). L’autorité est fondée sur une foule Au contraire, en utilisant le pouvoir, on * Groupe scolaire bilingue Montessori
de faits explicites ou implicites (solidité gagne en rapidité ce qu’on perd en adhé- (primaire et collège), à Paris, 9e arron-
des arguments, expérience, charisme, sion. Jusqu’au dérapage ? dissement.
D.R.
les énergies. Un leader doit avoir une
appréhension politique et/ou écono- Décideurs. Être un leader et être un Décideurs. Quels sont les trois lea-
mique. Porté par ses convictions, il est homme de pouvoir, est-ce distinct ? ders qui vous inspirent et pourquoi ?
souvent un précurseur capable de bous- L. de G. Le leader gagne en pouvoir L. de G. En premier lieu, je citerai
culer les habitudes et d’avoir le courage au fur et à mesure que son leadership le Général de Gaulle. Guidé par une
de ses décisions. D’ailleurs, le leadership grandit. Le pouvoir est la consé- mission et une vision supérieure de
est souvent associé aux notions d’anti- quence du leadership. Mais ce der- son pays, il a dépassé les partis et
conformisme ou d’innovation. nier induit du pouvoir : il n’existe pas incarné la France. Dans le contexte
sans lui. Pourtant, les deux notions international de l’époque, il a osé et
Décideurs. Quelle différence faites- sont distinctes. Aujourd’hui, il existe réussi à s’imposer dans la négociation
vous entre un leader et un manager ? beaucoup plus de dirigeants charis- avec Roosevelt pour défendre ses
L. de G. Le manager évolue dans une matiques que de leaders, car il est convictions et la place de la France.
dimension beaucoup plus opération- possible de transmettre le pouvoir, Sa personne a toujours été un outil au
nelle qui requiert de grandes qualités pas le leadership. service de sa mission.
d’organisation et de délégation. Un Si on prend l’exemple des entre- Je pense ensuite à Nelson Mandela,
leader peut être aussi un manager, prises de service, comme les cabi- en sa qualité d’homme politique et
mais cela n’est pas indispensable. Le nets d’avocats, la d’avocat. Il a sacri-
leader est un visionnaire qui suscite notion de pouvoir « Dans le monde fié sa vie, dépassé
l’adhésion et souvent l’enthousiasme.
Cependant, il ne vaut que par sa
des dirigeants est
très relative car
politique, l’autorité est ses intérêts immé-
diats en faveur des
vision et le projet qu’il porte. l’intuitu personae morale, alors que dans idéaux auxquels il
entre un avocat et le monde des affaires, a cru et auxquels
Décideurs. Quel est l’usage de l’au- son client est fort. elle repose sur une il a fait adhérer le
torité et du pouvoir pour un leader ? En effet, le pouvoir peuple sud-afri-
L. de G. L’autorité est avant tout réside dans l’antici- assise technique » cain, et au-delà le
morale, elle vient de la légitimité de pation, l’impulsion monde entier.
la vision de celui ou celle qui l’exerce du sens, la canalisation des énergies Enfin, mon troisième choix se
et de son acceptation par les tiers. et la capacité de prendre des déci- porte sur Emmanuel Faber, direc-
Autorité et légitimité sont liées mais sions. La force réside dans la capacité teur général délégué du groupe
varient selon l’environnement : dans à créer des richesses économiques et Danone. Il a réorienté la marque
le monde politique, l’autorité est humaines, à partager les fruits du vers un développement durable en
morale, alors que dans le monde des succès. Certes, il y a des outils pour remettant l’économie capitaliste au
affaires, elle repose plutôt sur une maintenir, renforcer le pouvoir service des hommes (programmes
assise technique. La légitimité du malgré les carences de leadership de micro-usines financées par le
pouvoir vient de là. Le pouvoir est ou de management. Cependant, microcrédit, accompagnement des
nécessaire mais doit être exercé uni- s’ils peuvent pallier un temps ces éleveurs dans les pays africains,
quement dans les limites nécessaires insuffisances et en amortir les consé- etc.). Il a réussi à combiner les res-
à la finalité, c’est-à-dire au projet. quences, ils ne pourront jamais rem- sorts du capitalisme rentable avec
Toute disproportion entre le pouvoir placer sur le long terme le leadership un bénéfice pour la population. Et
et sa finalité constitue un abus. et la vision qui l’accompagne. cela à grande échelle.
ENTRETIEN AVEC
Bill George
professeur à Harvard
et ex-p-dg de Medtronic*
B. G. En termes de leadership, la
crise peut être perçue comme un
test. Seuls les dirigeants qui sauront
rester concentrés sur leurs valeurs
tout en repérant les évolutions du
marché pourront être considé-
rés comme de vrais leaders. Face
aux difficultés économiques, de
nombreux leaders seront tentés de
remettre en cause leur objectif et
leur savoir-faire. En période de crise,
la sélection est plus marquée. Mon
livre tente de donner des conseils
aux leaders afin d’éviter ces pièges.
D.R.
vant la bataille à la lunette depuis une
position reculée est révolu, mais l’idée adviendra de son entreprise et de lui décrète pas. Même un propriétaire
du patron-VRP appartient elle aussi personnellement. Le maintien de la d’entreprise doit la conquérir. Être
à une conception trop étroite. Com- juste distance entre l’entreprise et lui actionnaire majoritaire n’est pas suf-
biner ces deux visages, c’est l’essence est salutaire, mais difficile à trouver. fisant. Le pouvoir, c’est différent :
du leadership aujourd’hui. Même les moins affectifs des leaders c’est une série de leviers placés entre
engagent dans leur action une part les mains d’un individu qui peut être
Décideurs. Quelles sont les qualités importante de leur personnalité. totalement dépourvu d’autorité ! Le
nécessaires pour devenir un bon mieux est de bâtir et de consolider son
leader ? Décideurs. Quelles sont les valeurs autorité au jour le jour, de l’attester
M. C. Tout dépend du code génétique fondamentales du leadership ? afin d’avoir à recourir le moins pos-
de l’entreprise où s’enracine le lea- M. C. Tout leader se reconnaît à la sible aux leviers du pouvoir, qui sont
dership. L’histoire montre que certains qualité de son entourage. Une fois généralement le dernier argument.
leaders reconnus dans une entreprise cela posé, la valeur fondamentale, L’autorité, c’est la compétence et
échouent à transposer ce leadership c’est la confiance. On ne peut pas à l’implication, le pouvoir c’est la force
dans une autre. Cela rend modeste. la fois remettre une part importante et le statut. Pour le dire en français,
Pour autant, la capacité d’adaptation à du sort de l’entre- le leadership, c’est
un environnement stable n’est pas une prise entre les mains du soft power !
réponse satisfaisante : ce serait faire de collaborateurs ou « L’autorité,
l’éloge d’un certain conformisme, d’associés triés sur le c’est la compétence Décideurs. En quoi
voire d’une compréhension pure- volet et ne pas faire et l’implication, la notion de pou-
ment politique du leadership. Dans confiance, ou s’en- voir est-elle com-
nos missions, qui sont souvent orien- tourer de gens inféo- le pouvoir, c’est plémentaire ou an-
tées vers l’opérationnel, nous voyons dés. Le reste découle la force et le statut » tinomique de celle
que le leader a comme qualité essen- de cette valeur clé : du leadership ?
tielle de faire converger son ambition clarté des objectifs, M. C. Toute struc-
personnelle avec celle de l’entreprise. transparence ou, pour parler comme ture humaine suppose un pouvoir qui
L’ambition n’est pas un mot très Jack Welch (ancien patron de Gene- permette de réguler, trancher, décider.
aimé en France. C’est pourtant une ral Electric de 1981 à 2001, NDLR), Le leadership, c’est autre chose. C’est
valeur positive si elle est une volonté « franchise ». Les valeurs morales uni- une valeur morale que la collectivité
d’apprendre, de grandir, et non une verselles – respect, responsabilité – ont reconnaît chez l’un des siens. Un
volonté statutaire. Pour être un bon évidemment leur intérêt, mais elles actionnaire majoritaire ou un manda-
leader, il faut savoir se méfier des sont évidentes, alors que la confiance taire social dispose du pouvoir, mais il
galons et de la reconnaissance acquise. est un véritable enjeu au quotidien, un lui faut en plus asseoir son autorité.
moteur d’une très grande puissance. L’exercice du pouvoir pour le pouvoir
Décideurs. Quels sont les défauts que est presque à coup sûr un facteur de
peut avoir un leader ? Décideurs. Comment un leader peut-il blocage. En particulier sur les colla-
M. C. Le leader profondément impli- user de son autorité et de son pouvoir ? borateurs jeunes et bien formés, les
qué dans sa tâche peut manquer de M. C. L’autorité est l’essence du lea- symboles du pouvoir opèrent un effet
discernement dans l’analyse de ce qu’il dership. Elle se conquiert mais ne se très limité, voire contre-productif.
*Président du groupe Grameen, fondateur de la Banque Grameen spécialisée dans le microcrédit et Prix Nobel de la Paix en 2006.