SAMEDI 14 AVRIL 2018

74E ANNÉE- NO 22785

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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

WEEK•END

MÉTROPOLITAINE, EN BELGIQUE
MAGAZINE IDÉES

UNIQUEMENT EN FRANCE
GRAND CHIC ET DÉCADENCE L’EUROPE SE FERME,

ET AU LUXEMBOURG
DANS LE DESIGN LES MORTS S’ACCUMULENT

Enquête sur les dettes cachées de la SNCF

▶ La gigantesque dette de ▶ Elle sera reprise en par- ▶ Il faut y ajouter quelque ▶ Au moins 1,2 milliard ▶ Aucun calcul officiel
la SNCF dépasse les 54 mil- tie et progressivement par 11,9 milliards d’euros de d’engagements hors bilan n’a été fait de ces dérives fi-
liards d’euros – dont l’Etat, « à mesure que les capitaux propres négatifs, s’y ajoute, ainsi qu’une nancières, qui pourraient
46,6 milliards pour SNCF réformes se font », a indi- qu’il faudra payer pour « dette grise », liée au coûter très cher d’ici une
Réseau – et a augmenté qué Emmanuel Macron, constituer les nouvelles péage des TGV, qui pour- vingtaine d’années
de 1,7 milliard en un an jeudi 12 avril, sur TF1 sociétés par actions rait atteindre 15 milliards PAGE 8 E T CAHIER ÉCO – PAGE 3

NOTRE-DAME- Syrie
DES-LANDES Hésitations
ARRÊT DES sur l’ampleur
EXPULSIONS, de la riposte
WEEK-END
À RISQUE ▶ Après avoir évoqué des
frappes imminentes à la
suite de l’attaque chimi-
que attribuée à Damas,
▶ La préfète de la région Donald Trump semble se
Pays de la Loire a raviser et cherche à rallier
confirmé, vendredi le plus de pays possible
13 avril, la fin officielle pour une intervention.
des expulsions sur la ZAD Moscou brandit la me-
nace de représailles
▶ La manifestation ▶ Le drapeau syrien flotte
prévue samedi à Nantes désormais sur la Ghouta,
inquiète les autorités, qui jadis une oasis agricole
n’excluent pas d’interdire aux portes de Damas et
le grand rassemblement aujourd’hui une banlieue
organisé le lendemain, dévastée, après s’être
en cas de violences A Notre-Dame-des-Landes, le 12 avril.
FRED TANNEAU/AFP soulevée dès 2011
PAGES 6 ET 1 7 PAGE S 2 - 3 E T 1 4 - 1 5

Politique
Macron entend Radio France Sibyle Veil promet Cinéma FRANÇOIS CHARLENT présente

les doutes de poursuivre les réformes Cannes : ON A 20 ANS

des Français,
mais ne cède rien
une sélection POUR CHANGER
PAGE 8 audacieuse LE MONDE
Livre Le cru 2018 du Festival est un film de HÉLÈNE MÉDIGUE

éclectique en genres, géné-

François Hollande rations et esthétiques. Sept
tire les leçons cinéastes sont novices
du pouvoir dans la compétition. Trois
et de la trahison films français ont été rete-
nus : Plaire, aimer et courir
PAGE 9
vite, de Christophe Honoré,
En guerre, de Stéphane
Justice Brizé, et Les Filles du soleil,
Le groupe d’Eva Husson
« terroriste » PAGE 1 6

de Tarnac était
« une fiction »
PAGE 1 1
ALEXIS SCIARD/ IP3
ÉD ITO R IAL
1
Prendre soin de la terre pour prendre soin des hommes
Religion présentée comme favorite à la salariés, mais bénéficiait du sou-

L’ancien curé,
succession de Mathieu Gallet,
Sibyle Veil a été nommée, jeudi
tien tacite de l’équipe des direc-
teurs en place. MACRON AU Musique originale de CHRISTIAN OLIVIER

une fois marié, 12 avril, à la présidence de Radio

France par le Conseil supérieur
Elle s’est engagée à poursuivre le
travail de réforme de son prédé-
COURS ACTUELLEMENT AU CINÉMA
plaide contre le de l’audiovisuel (CSA).
Jusque-là directrice déléguée,
cesseur, qui l’avait fait venir alors
qu’elle travaillait à l’Assistance pu-
PRÉPARATOIRE
célibat des prêtres chargée des opérations et des fi- blique-Hôpitaux de Paris. P A G E 21
Group

PAGE 1 2 nances, elle est peu connue des CAHIER ÉCO – PAGE 8
Algérie 220 DA, Allemagne 3,30 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,30 €, Belgique 4,60 €, Cameroun 2 200 F CFA, Canada 5,40 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 200 F CFA, Danemark 34 KRD, Espagne 3,10 €, Gabon 2 200 F CFA, Grande-Bretagne 2,60 £, Grèce 3,20 €, Guadeloupe-Martinique 3,10 €, Guyane 3,20 €, Hongrie 1 050 HUF,
Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 4,60 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA
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INTERNATIONAL
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SAMEDI 14 AVRIL 2018

L A GUERRE EN SYRIE

En Syrie, Russes
et Occidentaux
face aux risques
d’escalade
Etats-Unis, France et Royaume-Uni tentent
de s’organiser pour mener des frappes
punitives après l’attaque chimique sur Douma.
Mais Moscou brandit la menace de représailles

washington - correspondant se raviser, jeudi 12 avril : « Cela pourrait être

L
e 4 avril 2017, Donald Trump
était sans doute allé au plus fa-
cile. Avec le tir de 59 missiles de
croisière contre une base mili-
taire syrienne, au lendemain du
bombardement au gaz sarin de
la petite ville de Khan Cheikhoun contrô-
lée par la rébellion, qui avait fait 87 morts,
le président des Etats-Unis avait restauré
à moindre compte une « ligne rouge » à
ne pas franchir à propos de ces armes non
conventionnelles.
Le nouveau recours à des gaz imputé au ré-
gime, le 7 avril 2018, à Douma, dans la ban-
lieue rebelle de la Ghouta occidentale, près
de Damas, a forcé Washington à envisager
une réponse plus dissuasive. Le 9 avril, le
dernier ambassadeur américain en Syrie, Ro-
bert Ford, avait jugé « impossible de dissuader
[le président syrien Bachar Al-] Assad d’utili-
ser ces armes à moins qu’il ne paye un prix mi-
litaire. Et donc la seule façon d’établir la dis-
suasion est de le faire souffrir militairement »,
avait-il expliqué à la radio publique NPR.
« Une frappe unique ne suffira pas, car il ces-
sera d’utiliser des armes chimiques pendant
une semaine ou deux, ou un mois ou deux,
puis il recommencera. Le président doit être
prêt pour une campagne soutenue. Et il doit
l’expliquer au public américain, et il doit l’ex-
pliquer à nos alliés et aux autres pays de la ré-
gion là-bas », avait poursuivi l’ambassadeur.
Après avoir entretenu l’impression d’une
riposte imminente, Donald Trump a semblé
bientôt ou pas », a-t-il lancé dans un Tweet
matinal. « Nous aurons des décisions à pren-
dre quand nous le jugerons le plus utile et le
plus efficace », a pour sa part déclaré sur TF1
son homologue français, Emmanuel Ma-
cron, également en première ligne sur le su-
jet. Le président français a rassuré « avoir la
preuve que des armes chimiques ont été utili-
sées, au moins du chlore, et qu’elles ont été uti-
lisées par le régime ».
« RÉPONSE FORTE »
Décider de l’ampleur d’une riposte comme
de sa durée, définir les cibles et les répartir
entre les forces engagées prend cependant
du temps. Obtenir le soutien du plus grand
nombre possible de pays, notamment de la
région, aussi. L’arrivée en Syrie de deux
groupes d‘inspecteurs de l’Organisation
d’interdiction des armes chimiques (OIAC)
risque également de retarder les frappes oc-
cidentales. La porte-parole du président
américain, Sarah Sanders, l’a admis jeudi en
indiquant, au terme d’une réunion de Do-
nald Trump avec ses conseillers pour la sé-
curité dans l’après-midi, qu’« aucune déci-
sion finale n’a été prise ».
« Nous continuons à évaluer le renseigne-
ment et sommes engagés dans des conversa-
tions avec nos partenaires et alliés », a-t-elle
indiqué avant d’annoncer que Donald
Trump s’entretiendrait dans la soirée avec
Emmanuel Macron et la première ministre
britannique, Theresa May. Washington
comme Paris et Londres restent déterminés
« IL S’AGIT D’ÉVITER
QUE LE GAZAGE
DES POPULATIONS
CIVILES DEVIENNE
UN MODE NORMAL
DE RÉPRESSION
DES RÉBELLIONS »
BRUNO TERTRAIS
directeur adjoint
de la Fondation pour
la recherche stratégique
à apporter « une réponse forte » au bombar-
dement de Douma, tout en entretenant le
flou sur le moment et la nature de la riposte.
La reconquête de la totalité de la Ghouta
par les forces du régime aidées par les Rus-
ses ne change rien à la détermination des di-
rigeants de ces trois pays décidés à montrer
que l’emploi de l’arme chimique ne peut res-
ter impuni. « Il s’agit d’éviter que le gazage
des populations civiles devienne un mode
normal de répression des rébellions », souli-
gne Bruno Tertrais, directeur adjoint de la
Fondation pour la recherche stratégique.
D’autant que la guerre en Syrie n’est pas fi-
nie. Malgré les mises en garde russes, le ré-
gime, qui n’a cessé de rappeler sa volonté de
reconquérir l’intégralité de son territoire,
pourrait être tenté de recourir à nouveau à
de telles armes contre les derniers bas-
tions rebelles à Idlib, dans le nord-ouest, ou
à Deraa, au sud.
« Le contexte implique à la fois de ne pas
pousser à une escalade militaire avec la Rus-
sie mais aussi d’avoir une réaction suffisam-
ment forte pour ne pas paraître céder à l’inti-
midation », relève l’ancien ambassadeur
Michel Duclos dans une note de l’Institut
Montaigne, en allusion aux menaces de re-
présailles militaires, voire de guerre, profé-
rées par les officiels russes. « Ni frappe sym-
bolique ni opération de changement de ré-
gime », résume Bruno Tertrais. Le président
français a insisté sur le fait que « les déci-
sions que nous prendrions n’auront pas vo-
cation à toucher les alliés du régime ». en se
concentrant sur le programme chimique
supposé syrien.
Comme lors des plans élaborés pour l’opé-
ration finalement avortée de 2013, après des
bombardements chimiques dans la Ghouta,
les frappes françaises, comme l’a affirmé le
chef de l’Etat, viseront avant tout à frapper

La chute de Douma, une démonstration de force de Moscou

Les autorités russes assument la normalisation de la banlieue rebelle de Damas, pour consolider au plus vite le régime syrien

moscou - correspondante causé la mort, le 7 avril, de dizaines liaison avec les autorités syrien- l’état-major russe, Valeri Gueras- scène l’opposition syrienne imi- ainsi confirmé que la liaison était
de personnes, prend aujourd’hui nes, terminent l’opération huma- simov… le 13 mars. Trois semaines tant une attaque chimique. Des « active » entre les deux pays pour

L a Russie n’a pas laissé à son

protégé Bachar Al-Assad le
soin d’annoncer la reprise
de la Ghouta orientale, dernier
bastion de la rébellion syrienne
dans la banlieue de Damas. C’est
un général russe qui l’a procla-
mée, jeudi 12 avril au matin. « Un
drapeau syrien a été hissé sur un
bâtiment de la ville de Douma », a
déclaré Youri Evtouchenko de-
puis le « centre russe pour la ré-
conciliation en Syrie » qu’il dirige.
La veille, déjà, l’armée russe
avait annoncé le déploiement de
sa police militaire dans cet ul-
time réduit de résistance de la
Ghouta orientale « pour assurer
la sécurité et le maintien de l’or-
dre ». Et c’est à cette même armée
que les derniers combattants du
groupe Jaïch Al-Islam ont remis
leurs armes.
La reddition de Douma, au cœur
de graves tensions internationales
depuis qu’une attaque chimique
imputée au régime syrien y aurait
valeur de démonstration.
En dépit des menaces de frap-
pes « imminentes » du président
américain Donald Trump et de
ses alliés britanniques et fran-
çais, contre des lieux stratégi-
ques syriens, Moscou ne dévie
pas de sa route : consolider au
plus vite, et coûte que coûte, le
régime Assad que le président
Vladimir Poutine considère, de-
puis les révolutions arabes,
comme un rempart pour la pré-
servation de son propre pouvoir.
Sans l’appui de ses forces aé-
riennes et de ses conseillers mili-
taires sur le terrain, aucune re-
conquête du territoire syrien par
le seul dirigeant « légitime » aux
yeux de Moscou n’aurait été pos-
sible. « La situation en général
dans la Ghouta-Est est complète-
ment stabilisée, assurait, mer-
credi, le général Viktor Poznikhir,
chef adjoint du département des
opérations russes. Les forces ar-
mées de la fédération de Russie, en
nitaire de grande envergure dans
la banlieue de Damas. Cependant,
le succès de la Russie et de la Syrie
ne convient pas à tous. »
« Odieux casques blancs »
Le gradé a martelé que des mili-
taires et des médecins dépêchés
sur place le 9 avril, à Douma,
n’avaient trouvé « aucune trace »
d’un produit neurotoxique, ni
même « de victimes ». A suivi une
nouvelle diatribe contre les
« fausses preuves » de l’attaque
chimique du 7 avril, dont Moscou
ne cesse de nier l’existence.
« Agissant exclusivement dans
les rangs terroristes, les odieux
casques blancs [volontaires sy-
riens qui portent secours à la po-
pulation en zone rebelle] ont en-
core une fois simulé sous l’œil des
caméras une attaque chimique
contre des civils dans la ville de
Douma », a accusé le général Poz-
nikhir, reprenant fidèlement la li-
gne de défense fixée par le chef de
avant l’attaque chimique à
Douma, ce dernier avait en effet
curieusement décrit un scénario
en tous points similaires à ce qui
s’est produit. Une « mise en
scène » à venir, disait-il.
« A cette fin, déclarait le général
Guerassimov, des groupes d’en-
fants, de femmes, et de vieux ve-
nant d’autres quartiers ont été
amenés dans la Ghouta-Est pour
jouer le rôle de victimes dans une
attaque chimique (…). Là-bas sont
présents les casques blancs ainsi
que des équipes de tournage mu-
nies de moyen de diffusions par sa-
tellite. » Après cela, concluait-il,
« Washington prévoit de lancer
des frappes de missiles sur le quar-
tier gouvernemental de Damas ».
Ses propos s’appuyaient-ils sur
la fiction sortie au même mo-
ment baptisée Revolution Men ?
Dans ce film, Najdat Anzour, ci-
néaste devenu député en 2016,
puis porte-parole du Parlement
l’année suivante, mettait en
extraits du tournage ont ensuite
été diffusés par la chaîne publi-
que Rossia-1, comme s’il s’agissait
des casques blancs réalisant eux-
mêmes une vidéo.
En parallèle à ces dénégations et
tentatives d’inverser la preuve,
Moscou a menacé de représailles
les frappes occidentales. Ici aussi,
le ton avait été donné dès le
13 mars par le général Guerassi-
mov. « En cas de menace sur la vie
de nos militaires, les forces armées
de la Fédération de Russie pren-
dront des mesures de rétorsion
contre les missiles et les transpor-
teurs utilisés », avait-il souligné,
précisant que les militaires russes
étaient partout présents, « à Da-
mas et dans les institutions du mi-
nistère syrien de la défense ».
Le message, dupliqué depuis
par plusieurs officiels russes,
n’empêche cependant pas des
contacts entre le Pentagone et
Moscou. Jeudi matin, Dmitri Pes-
kov, le porte-parole du Kremlin, a
éviter des pertes russes lors
d’éventuelles frappes.
Sous pression d’une partie de
la communauté internationale,
le Kremlin affecte une placidité
forcée. Dans la soirée de mer-
credi, Vladimir Poutine s’est en-
tretenu par téléphone avec le
premier ministre israélien, Ben-
jamin Nétanyahou, à l’origine,
selon Moscou, du bombarde-
ment dans la nuit du 9 avril
d’une base militaire syrienne vi-
sée par des missiles téléguidés.
Le président russe a rappelé à
son interlocuteur « l’importance
cruciale de préserver la souverai-
neté de la Syrie » en le conviant à
« s’abstenir d’actions qui déstabili-
seraient davantage la situation
dans le pays ». Des propos répétés
mot à mot, jeudi, par Bachar Al-
Assad en marge d’une rencontre
avec Ali Akbar Velayati, conseiller
de l’ayatollah Ali Khamenei, son
autre puissant allié iranien. p
isabelle mandraud

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SAMEDI 14 AVRIL 2018
les lieux de production de gaz, mais aussi des
bases aériennes. Une des cibles les plus ci-
tées est celle de Doumayr, à une trentaine de
kilomètres de l’endroit d’où sont partis ces
derniers mois les avions ou les hélicoptères
qui ont massivement bombardé la Ghouta.
Depuis déjà plusieurs jours, le régime syrien
a transféré une bonne partie de son matériel
sur la base russe de Hmeimim.
RENFORCEMENT DES OBJECTIFS
L’administration américaine est tout aussi
consciente des risques de dérapage. « Cela li-
mite considérablement le nombre des op-
tions, car les Russes sont très souvent intégrés
aux troupes syriennes », explique un expert
du groupe de réflexion Rand, Ben Connable,
cité par l’Agence France Presse.
Les Russes ont en outre renforcé autour
des objectifs potentiels leur défense antiaé-
rienne avec des batteries de missiles sol-air
S 300 et S 400. Les détruire présente un ris-
que de pertes russes pour les Etats-Unis,
même si les mesures de déconfliction en vi-
gueur entre les deux pays permettent théo-
riquement d’éviter une bavure. « Sur le plan
stratégique, comment pouvons-nous empê-
cher que cela ne devienne incontrôlable ? »,
s’est demandé ouvertement jeudi le secré-
taire à la défense, James Mattis, au cours
d’une audition au Congrès.
Une opération d’ampleur, surtout si elle
dure, implique des alliés. Theresa May a ob-
tenu jeudi soir le feu vert de ses ministres
pour prendre des mesures non spécifiées, en
concertation avec les Etats-Unis et la France.
Les responsables politiques, comme l’opi-
nion publique, sont profondément divisés.
La chancelière allemande, Angela Merkel,
considère que le régime dispose encore
d’une partie de son arsenal chimique censé
avoir été détruit après août 2013, sous le par-
rainage de la Russie, mais son pays « ne parti-
cipera pas », pour autant, « aux opérations
militaires contre Damas ».
Il s’agit aussi d’impliquer des pays arabes.
En recevant l’émir du Qatar en début de se-
maine à Washington, James Mattis avait
souligné « vouloir s’occuper du problème
avec nos alliés et nos partenaires de l’OTAN
jusqu’au Qatar ». Mohammed Ben Salman,
le prince héritier saoudien en visite à Paris,
les 9 et 10 avril, avait affirmé la disponibilité
de son pays à participer à une telle coali-
tion. C’est un enjeu essentiel, notamment
pour les autorités françaises, qui ne souhai-
tent apparaître comme de simples supplé-
tifs des Etats-Unis. p
gilles paris et marc semo (à paris)
Misère ou exil, l’implacable dilemme
des habitants de la Ghouta orientale
La défaite des rebelles ne marque pas la fin des souffrances des civils de la banlieue est
de Damas, ravagée par cinq années de siège et huit mois d’offensive des forces prorégime
beyrouth - correspondance
L es habitants de la Ghouta
orientale, désormais entiè-
rement reprise par le ré-
gime et ses alliés russes, devaient-
ils rester dans les décombres de
l’ex-enclave rebelle, située aux
portes de la capitale syrienne, ou
bien partir ? Et dans quel camp de-
vaient-ils alors se réfugier ? Quel
avenir après la ruine ? Tous ont fait
face à ce dilemme.
Comme dans les faubourgs de
l’est d’Alep, fin 2016, ou dans le
quartier d’Al-Waer à Homs,
en 2017, le soulèvement et sa ré-
pression, puis la guerre, ont frag-
menté la société de la Ghouta
orientale : des centaines de mil-
liers d’habitants ont fui la zone au
fil des années. Ceux qui sont restés
jusqu’au bout, après avoir subi un
siège resserré puis l’ultime offen-
sive, impitoyable, des forces proré-
gime, mais aussi les restrictions, et
le racket imposé par les groupes
rebelles, sont éparpillés.
Jusqu’ici, une majorité, plus de
133 000 personnes, ont rallié les
territoires contrôlés par le régime
ou sont restés sur place. Côté gou-
vernemental, les déplacés sont
passés par des centres de transit,
au terme de longues marches de-
puis les ruines. Une fois sur place,
il leur faut se plier aux lourdes pro-
Des soldats russes cédures des services de sécurité :
et syriens l’identité est vérifiée, les hommes
assurent en âge de servir dans les rangs de
la sécurisation l’armée risquent la conscription.
du convoi Ceux qui n’ont nulle part où aller
des derniers ont trouvé refuge dans une di-
rebelles évacués zaine d’abris, ouverts à la hâte par
de la Douma,
en banlieue de
Damas, le 12 avril.
YOUSSEF KARWASHAN/AFP
Des enquêteurs internationaux sur place
De multiples points d’interrogation subsistent sur les circonstances exactes de l‘attaque
chimique menée contre l’ex-enclave rebelle, qui a fait au moins 34 morts, le 7 avril
beyrouth - correspondance
Q ue pourront encore trou-
ver, à Douma, les enquê-
teurs de l’Organisation
pour l’interdiction des
armes chimiques (OIAC) ? Leur
mission en Syrie doit débuter sa-
medi 14 avril, et la course contre la
montre est lancée, pour faire la lu-
mière sur l’attaque chimique, une
semaine plus tôt, contre l’ultime
bastion rebelle de la Ghouta orien-
tale, imputée par les Occidentaux
au régime syrien. « Les traces peu-
vent être effacées et chaque jour qui
passe nous éloigne d’une compré-
hension précise de ce qui s’est
passé », explique Olivier Lepick,
spécialiste des armes chimiques et
chercheur associé à la Fondation
pour la recherche scientifique.
De multiples points d’interroga-
tion subsistent sur les circonstan-
ces exactes, mais, sur la base de vi-
déos et de témoignages, le fil des
événements peut être en partie
retracé. Vendredi 6 avril, vingt-
quatre heures avant l’attaque,
Douma était soumise par les for-
ces prorégime à un nouveau dé-
luge de feu qui succédait à des
jours d’accalmie. Les troupes
loyalistes entendaient faire plier
les combattants du groupe re-
belle Jaych Al-Islam, qui refu-
saient de quitter la ville. Le lende-
main, c’est au milieu de salves
d’obus que des agents chimiques
auraient été utilisés par le régime.
De premiers témoins affirment
qu’une odeur de chlore, un agent
« Je refuse
de rester vivre
sous un régime
criminel, qui
a détruit le pays»
YOUSSOUF IBRAHIM
activiste de l’opposition
le gouvernement dans des écoles,
des bâtiments administratifs ou
sous la tente, dans les environs de
Damas et même dans la Ghouta
orientale. Partout, les lieux sont
surpeuplés. Il faut, pour en sortir,
avoir un proche à Damas ou dans
les environs, qui se porte garant.
D’après les humanitaires ou les
volontaires syriens venus leur prê-
ter main-forte, les abris concen-
trent toutes les souffrances de la
Ghouta. On y rencontre de jeunes
amputés, des femmes, des en-
fants, des hommes traumatisés
par des années de bombarde-
ments, de combats, de privations.
Dans le chaos des départs, cer-
taines familles ont été séparées.
« Des enfants sont parfois partis
pieds nus sur les routes, des per-
sonnes âgées sont tombées le long
du chemin », ajoute Ingy Sedky,
porte-parole du Comité interna-
tional de la Croix-Rouge à Damas.
« Dans les abris, les civils trouvent
au moins un peu de répit, de la
nourriture, des soins. Mais ils igno-
rent ce qui les attend. Tous disent
qu’ils veulent rentrer chez eux,
dans leur ville, dans leur maison »,
dans la Ghouta orientale.
chimique déjà utilisé par le ré-
gime dans la Ghouta depuis le dé-
but de l’année selon des méde-
cins et des activistes de l’opposi-
tion, s’est répandue dans le centre
de Douma. Des centaines de bles-
sés, souffrant notamment de
troubles respiratoires, ont afflué
vers des centres de soins, tandis
que les corps de victimes – hom-
mes, femmes, enfants – étaient
découverts dans un immeuble
d’habitation par des « casques
blancs » (des secouristes volontai-
res opérant dans les régions sous
contrôle de la rébellion) et des mi-
litants de l’opposition.
Plusieurs dizaines de personnes
ont péri dans l’attaque. Si les « cas-
ques blancs » avancent le chiffre
de 43 morts, le comptage des
corps sur les vidéos permet de
confirmer la présence de 34 cada-
vres sur le site de l’attaque.
Se basant sur l’examen de vi-
déos filmées par des militants
anti-Assad, le collectif d’investi-
gation Bellingcat, qui passe au
crible des sources ouvertes et uti-
lise des techniques de géolocali-
sation, a conclu que les victimes
retrouvées au rez-de-chaussée et
à l’étage du bâtiment ont été
tuées par une munition consti-
tuée « d’un cylindre de gaz rempli
par ce qui est très probablement
du gaz de chlore » lancé par un hé-
licoptère « parti de l’aéroport [mi-
litaire] de Doumair ». Celui-ci est
situé à une quarantaine de kilo-
mètres au nord-ouest de Damas.
Le cylindre, de couleur jaune, est
international | 3
Mais de tels retours seront-ils
possibles, et à quelle échéance ?
Damas et Moscou défendent le
récit d’une « normalisation » ra-
pide. Mais la Ghouta orientale est
un champ de ruines. Des pillages,
commis notamment par des
miliciens prorégime, ont achevé
de démembrer les habitations.
« Beaucoup de gens de Harasta
qui avaient fui à Damas [dès 2011]
parlent de rentrer, ceux dont les
maisons sont peu endommagées
le feront, quand l’eau et l’électri-
cité seront rétablies », rapporte
Danny Makki, journaliste origi-
naire de cette ville contrôlée par
les rebelles jusqu’en mars. Il est
encore sous le choc de la destruc-
tion et de la déprédation consta-
tées sur place, après des années
d’absence.
Adieux déchirants
Depuis le début de la reddition
des insurgés, environ 50 000 per-
sonnes ont, contre vents et ma-
rées, décidé de rester chez eux,
dans plusieurs localités, en accep-
tant un accord de « réconcilia-
tion » avec le régime. On ignore
combien sont restés à Douma.
Parmi eux, certains ont vécu des
adieux déchirants avec leurs pro-
ches, partis vers le nord rebelle de
la Syrie, en vertu d’évacuations
négociées par Moscou.
Au total, selon l’ONU, plus de
49 000 habitants de la Ghouta
avaient rejoint début avril ces zo-
nes rebelles en convois de bus, par
l’entremise russe. Depuis, plu-
sieurs autres milliers, combat-
tants ou civils, ont pris la route de
Seule une équipe
russe s’est
rendue à Douma
pour inspecter
l’immeuble
frappé
par l’attaque
visible sur l’une des vidéos tour-
nées à Douma.
Si l’hypothèse fondée par Bel-
lingcat était avérée, il s’agirait de
l’utilisation la plus meurtrière
de ce gaz généralement peu létal
et dont l’usage à répétition par le
régime dans les zones tenues
par l’insurrection a été attesté
par de multiples enquêtes de
l’OIAC et de l’ONU.
Prompte enquête
Plusieurs instances ont appelé à
une enquête indépendante, seul
moyen de déterminer les modali-
tés de l’attaque. L’Organisation
mondiale de la santé a fait part
de sa préoccupation, mercredi
11 avril, et réclamé que ses équipes
aient accès à Douma. L’autorité sa-
nitaire de l’ONU s’alarme des in-
formations transmises par ses
« partenaires » sur place.
D’après ces derniers, près de
500 personnes soignées ont pré-
senté « des signes et symptômes
cohérents avec une exposition à
des produits chimiques toxi-
l’exil, quittant Douma, l’ultime
poche où les insurgés ont rendu
les armes jeudi 12 avril. Les éva-
cuations s’y poursuivent.
Dans d’autres circonstances, de
tels mouvements ont été dénon-
cés par l’ONU comme des déplace-
ments forcés de population. Des
combattants et leurs familles,
comme d’autres civils, ont ainsi
rejoint la province d’Idlib ou la
région de Djarabulus. Certains
n’ont pas eu le choix : les activis-
tes et les médecins, notamment,
risquaient d’être arrêtés par les
forces gouvernementales.
Ces nouveaux déracinés sont
souvent livrés à l’incertitude. « Je
refuse de rester vivre sous un ré-
gime criminel, qui a détruit le pays.
Mais ici tout est nouveau, in-
connu… », confie Youssouf Ibra-
him, un activiste de l’opposition
désormais installé près de la pro-
vince rebelle d’Idlib. Dans cette ré-
gion à la merci des frappes du ré-
gime, le meilleur accueil n’est pas
forcément réservé aux évacués de
la Ghouta. Les factions armées les
plus radicales y dominent.
Un autre militant de l’ancienne
enclave rebelle, qui ne souhaite
pas donner son nom, s’y dit ainsi
déjà « surveillé ». Comme lui,
Youssouf Ibrahim songe poursui-
vre son exil de l’autre côté de la
frontière, en Turquie, avec femme
et enfant. Mais pour cela, il lui
faut de l’argent. Payer un passeur
coûte cher et il n’en a pas les
moyens. Sa seule et douloureuse
certitude est qu’il ne reviendra
pas dans sa ville natale. p
laure stephan
ques », tels qu’une « forte irrita-
tion des muqueuses, des problè-
mes respiratoires et des perturba-
tions du système nerveux central
des personnes exposées ». Toute-
fois, comme l’indique un porte-
parole joint par Le Monde, l’OMS
« ne peut pas confirmer l’utilisa-
tion d’agents toxiques ».
Peu après l’attaque de samedi,
face à la sévérité des symptômes,
des sources médicales locales
avaient alerté sur l’utilisation
d’un agent neurotoxique bien
plus puissant que le gaz de chlore,
comme du gaz sarin. Mais selon le
collectif de Bellingcat, les cylin-
dres de gaz identifiés ne sont pas
compatibles avec le sarin. L’OIAC
doit se réunir lundi 16 avril pour
discuter de l’attaque du 7 avril.
Plusieurs organisations de dé-
fense des droits de l’homme cher-
chent aussi à mener l’enquête à
distance, faute de pouvoir avoir
accès au territoire syrien.
A ce stade, seule une équipe
russe s’est rendue lundi à Douma
pour inspecter l’immeuble frappé
par l’attaque chimique. L’enquête
a été prompte : affirmant avoir
effectué des prélèvements, Mos-
cou a conclu, mercredi, qu’aucun
agent toxique n’avait été utilisé à
Douma et a de nouveau accusé les
casques blancs d’avoir « mis en
scène » l’attaque. Damas et Mos-
cou ont nié tout recours aux ar-
mes chimiques dans la Ghouta
orientale depuis le début de l’of-
fensive du régime. p
l. s.
4 | international 0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

Affaire Skripal : le Trois Français engagés

poison employé était
bien du Novitchok
dans l’EI tués en Afghanistan
Une dizaine de djihadistes français combattraient dans le pays
Londres réitère ses accusations contre
Moscou, qui demande l’accès aux analyses

londres - correspondant
la haye - correspondance
taille diplomatique entre Londres
et Moscou au sujet de leur avenir.
Youlia Skripal, 33 ans, est sortie le
L
a présence de Français
dans les rangs de l’organi-
sation Etat islamique (EI)
en Afghanistan apparaît
au grand jour. Les autorités afgha-
nes, interrogées par Le Monde, ont
OUZBÉKISTAN L’Agence France-Presse, à Ka- Nangarhar et de la Kunar et comp-
TADJIKISTAN boul, avait évoqué en décembre tent dans leurs rangs essentielle-
TURKMÉNISTAN l’existence d’une filière de l’EI pas- ment des combattants afghans
Jawzjan sant par le Tadjikistan, pays fronta- ou pakistanais. L’EI s’est étendu
Faryab Nangarhar lier permettant à des francopho- dans le nord, notamment avec le
Kaboul nes, certains venant de Syrie, de retour dans la région des mem-

L es experts de l’Organisation
pour l’interdiction des ar-
mes chimiques (OIAC) ont
confirmé, jeudi 12 avril, l’utilisa-
tion de Novitchok contre l’ex-
agent double Sergueï Skripal et sa
fille Youlia, à Salisbury, au nord-
ouest de l’Angleterre, le 4 mars.
L’organisation ne précise cepen-
dant pas la provenance de cet
agent neurotoxique.
Dès les conclusions de l’OIAC, la
porte-parole du ministère des af-
faires étrangères russe, Maria
Zakharova, déclarait que « la Rus-
sie ne croira pas sur parole les con-
clusions dans l’affaire Skripal, tant
que ses experts n’obtiendront pas
l’accès aux analyses mentionnées
dans l’expertise de l’OIAC ». Tandis
que le ministre britannique des af-
faires étrangères, Boris Johnson, a
réitéré les accusations de Londres
contre la Russie. « Il ne peut y avoir
aucun doute, a-t-il déclaré, aucune
explication alternative. » « Seule la
Russie a les moyens, les motifs et le
passif » pour conduire une telle at-
taque. « Le Kremlin doit donner des
réponses », a-t-il ajouté. Londres
demande à Moscou de dire com-
ment des substances développées
en Russie ont pu être utilisées en
Angleterre, et si des stocks ont
échappé à son contrôle.
A la demande du Royaume-Uni,
le conseil exécutif de l’OIAC se
réunira le 18 avril. La semaine der-
nière, le représentant britannique
y avait évoqué d’éventuelles pour-
suites contre les auteurs. Outre
les deux principales victimes, un
policier qui leur avait porté se-
cours avait dû être hospitalisé et
« plus de 130 personnes ont été af-
fectées par cette attaque », avait af-
firmé John Foggo.
Mais alors que l’OIAC confirme
l’analyse britannique de l’agent in-
nervant, l’affaire connaît un pro-
longement inattendu avec le « ré-
veil » des deux victimes et la ba-
9 avril de l’hôpital et se trouve, se-
lon les médias britanniques, dans
un « lieu sûr » à l’abri des journalis-
tes et de l’ambassade russe à Lon-
dres, qui a manifesté beaucoup de
prévenance à son égard. « Pour le
moment, je ne souhaite pas profiter
de leurs services, déclare-t-elle dans
un communiqué rendu public par
Scotland Yard. Mais si je change
d’avis, je sais comment les contac-
ter. » La fille de l’ex-agent double
précise que son père, âgé de
66 ans, est « toujours gravement
atteint » et qu’elle-même « souffre
toujours des effets de l’agent neuro-
toxique utilisé ».
« Provocation » britannique
Mais l’ambassade de Russie, qui
estime depuis le début que Lon-
dres accuse Moscou sans preuve et
assure que l’empoisonnement se-
rait une « provocation » britanni-
que, tente d’accréditer la thèse se-
lon laquelle Mme Skripal serait « re-
tenue en otage » par les Britanni-
ques. Sa déclaration « ne fait que
renforcer le soupçon que nous som-
mes en présence d’un isolement
forcé d’une citoyenne russe », es-
time l’ambassade dans un com-
muniqué qui enjoint aux autorités
britanniques de « fournir une
preuve tangible » que Mme Skripal
n’est pas privée de liberté.
Youlia Skripal se démarque éga-
lement de sa cousine Viktoria qui,
en Russie, s’était déclarée inquiète
à la télévision d’Etat pour elle et
pour son père, désireuse de venir
leur rendre visite en Angleterre et
navrée que Londres fasse obstacle
à sa demande de visa. La presse bri-
tannique laisse entendre que de
« nouvelles identités » pourraient
être proposées à Sergueï et Youlia
Skripal pour leur protection, ainsi
qu’une nouvelle vie aux Etats-
Unis, avec l’aide de la CIA. p
philippe bernard
et stéphanie maupas
indiqué que des frappes, menées
le 9 avril avec les forces américai-
nes dans le nord du pays aux con-
fins des provinces de Faryab et de
Jawzjan, avaient coûté la vie à « une
AN
AFGHANISTAN
Kandahar
Quetta
pénétrer sur le sol afghan par le
nord du pays. Elle affirmait qu’un
plombier marseillais, résidant à
Cavaillon, dans le sud-est de la
France, et âgé d’une trentaine
bres du Mouvement islamique
d’Ouzbékistan (MIO), l’ex-légion
d’Oussama Ben Laden. Long-
temps associé dans les zones tri-
bales pakistanaises avec le mou-
dizaine de membres de l’organisa- d’années, avait été arrêté au Tadji- vement des talibans pakistanais
PAKISTAN
tion Etat islamique, dont un citoyen kistan, en juillet 2017, et con- (TTP) et Al-Qaida, le MIO a dû, en
200 km
français ». Le ministère de la dé- damné à cinq ans de prison pour effet, fuir les zones tribales pakis-
fense afghan a ajouté qu’« un entrée illégale sur ce territoire. tanaises, après l’intervention de
homme et une femme de nationa- Il semble donc exister plusieurs l’armée d’Islamabad, vers le nord
lité française étaient également ces favorables aux insurgés. Par- itinéraires pour rejoindre l’EI afghan où vit une importante
morts récemment dans des affron- venues dans le district de Darzab, dans les provinces de Jawazjan et communauté ouzbèke.
tements dans le même secteur ». elles auraient rejoint d’autres dji- de Faryab, même si le nombre de
Ces déclarations officielles doi- hadistes étrangers regroupés Français sur place reste faible. Ces Trois attaques majeures
vent encore être étayées par les dans des camps. quelques Français vivraient cou- Le MIO accueillait déjà les djihadis-
services de renseignement occi- Selon une information trans- pés de la population, mais avec tes internationaux, dont des fran-
dentaux présents en Afghanis- mise au Monde par le chef de la d’autres étrangers dans des cophones, dans les zones tribales
tan. Selon une source diplomati- police de la province de Jawzjan, camps construits dans ces deux pakistanaises et avait salué,
que occidentale contactée à Ka- ils auraient voyagé avec de faux provinces. On y relève la présence en 2014, « les victoires » de l’EI en
boul, ce type d’élimination par la passeports pakistanais, mais son d’Ouzbeks, de Tadjiks et d’Arabes. Irak et en Syrie. Le MIO, assez
voie aérienne ne facilite pas la re- mari était connu localement sous Constatant ces renforts, les for- structuré, et ses commandants,
connaissance des corps, et il con- le nom de « Mitline », selon une ces américaines ont concentré dont Hikmatullah, avaient ensuite
vient d’être prudent. retranscription phonétique. Il leurs frappes dans ce secteur et ont rallié l’organisation, considérant
combattait dans un groupe dirigé tué, début avril, le chef de l’EI pour que les talibans afghans, à qui ils
Grand pas par un francophone se faisant ap- le nord de l’Afghanistan Qari Hik- faisaient jusqu’alors allégeance,
Néanmoins, l’identification de peler « Oussama ». D’après des matullah, lors d’un raid aérien. avaient manqué à leur parole en
Français engagés dans les rangs de éléments non confirmés, cet « La province de Jawzjan constitue cachant pendant deux ans, jus-
l’EI dans ce pays reculé a fait un homme et ses deux garçons pour- la principale voie d’accès pour les qu’en 2015, la mort de leur chef, le
grand pas depuis l’arrestation, fin raient figurer parmi les victimes renforts extérieurs et combattants mollah Omar. L’EI compte égale-
mars, par les forces spéciales amé- des bombardements du 9 avril et étrangers arrivant d’Asie centrale ment beaucoup d’ex-talibans en
ricaines, d’une ressortissante fran- des jours précédents ayant touché en Afghanistan », a déclaré, le rupture de banc.
çaise d’une trentaine d’années, des camps de l’EI. 9 avril, le commandement améri- Depuis la fin 2016, la situation
d’origine algérienne, dans le dis- Par ailleurs, les déclarations de cain en Afghanistan, ajoutant que s’est tellement détériorée dans
trict de Darzab, situé dans la pro- cette femme ont renforcé l’analyse « Hikmatullah était le responsable- cette zone nord que même les tali-
vince de Jawzjan. Interrogée, no- selon laquelle il n’existerait pas, clé de ces opérations ». bans afghans, le principal mouve-
tamment par des représentants comme cela était le cas en Syrie et Depuis 2015, les groupes de l’EI ment insurgé du pays, ne peut
des services secrets français à en Irak, de structures d’accueil se concentraient surtout dans plus mettre les pieds dans la pro-
Kaboul, elle a assuré être entrée en pour les nouveaux venus, à l’ex- l’est afghan, dans les provinces du vince de Jawzjan. Le Comité inter-
Afghanistan, avec son mari et ses ception de quelques personnes national de la Croix-Rouge (CICR) a
deux enfants, par Kandahar, au faisant office d’interprètes. Cette évacué, en octobre 2017, toutes ses
sud, après avoir séjourné trois région demeure difficile d’accès activités du nord après avoir subi
mois dans la ville pakistanaise de que ce soit par l’Iran, l’Asie centrale
L’Afghanistan en neuf mois trois attaques ma-
Quetta, capitale de la province du ou le Pakistan. Résultat, « à peine ne serait pas jeures faisant sept morts, alors
Baloutchistan. dix Français », selon une source is- qu’elle y travaillait depuis trente
Cette famille ne viendrait pas sue de la communauté du rensei-
une base de repli ans. En février 2017, six employés
du territoire irako-syrien, où l’EI a gnement, seraient actuellement pour les Français étaient tués dans une embuscade
été quasiment défaite ces der- sur zone. De plus, ils ne provien- à Jawzjan. Le porte-parole des tali-
niers mois. Elle serait venue direc- draient pas du théâtre irako-sy-
ayant combattu bans, Zabihullah Mujahid, avait
tement dans la zone afghano-pa- rien. L’Afghanistan ne serait donc auprès de l’EI promis que son groupe « ferait
kistanaise. Ces quatre personnes pas une base de repli pour les Fran- tout pour retrouver les auteurs » de
seraient ensuite remontées vers çais ayant combattu auprès de l’EI
à Rakka l’attaque. En vain. p
le nord en traversant des provin- à Rakka ou à Mossoul. ou à Mossoul jacques follorou

Le Hamas veut tirer parti de la mobilisation à Gaza

Une troisième étape de la « grande marche du retour » devait avoir lieu vendredi 13 avril

gaza - envoyé spécial d’organisation a dit aux manifes- riture, les drapeaux, etc. Mais per- Selon ce militant de 48 ans, qui a
tants de ne pas s’exposer au danger, sonne ne force les gens à manifes- passé près de quatre ans dans les

V oici venu le jour des dra-

peaux brûlés et des dra-
peaux brandis. Les pre-
miers seront israéliens, les se-
conds palestiniens. Tel est le
thème pour le vendredi 13 avril,
nouvelle étape de la « grande mar-
che du retour », le long de la bande
de Gaza. Une semaine plus tôt, les
pneus brûlés étaient à l’honneur.
Le vendredi 20, lui, sera dédié aux
prisonniers et aux « martyrs » pa-
lestiniens. Ainsi se décline la mo-
bilisation populaire hors norme,
par sa nature, qui embarrasse Is-
raël. Son armée, positionnée de
Jusqu’au 30 avril l’autre côté de la clôture, a ré-
pondu jusqu’à présent par un
C’EST LE TOUTES LES usage massif de tirs à balles réelles,
MOMENT DIMENSIONS faisant des centaines de blessés à
chaque rassemblement et une
DE VOIR UN SEUL PRIX trentaine de morts au total.
IMBATTABLE Les autorités israéliennes pré-
PLUS GRAND ! Voir conditions en magasin sentent cette mobilisation com-
me l’œuvre exclusive du Hamas.
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Canapés, armoires lits, dressings CeLio, Steiner et Leolux, Faouzi Barhoum, porte-parole du
mobilier contemporain : toutes nos adresses sur www.topper.fr mouvement islamiste, rejette
cette idée. « Le comité national
dit-il. Le Hamas n’encourage pas
au bain de sang. La vraie histoire
est que les Palestiniens tués sont
des civils désarmés. » Beaucoup es-
timent n’avoir rien à perdre, sinon
une vie misérable.
« Un énorme effort logistique »
La « grande marche » est un mou-
vement populaire complexe, dont
l’émergence doit beaucoup à des
militants non encartés. Mais les
factions palestiniennes ont pris la
vague et se la sont appropriée, Ha-
mas en tête. Ismaïl Haniyeh, le
chef du bureau politique, est venu
au milieu de la foule. Yahya
Sinouar, le chef du Hamas à Gaza
et son nouvel homme fort, est déjà
apparu à deux reprises.
Le mouvement islamiste a aussi
annoncé des aides dites « humani-
taires », qui seront versées aux
blessés et aux familles des morts.
« Plus le mouvement se poursuit,
et plus ce sont les factions qui le di-
rigent, explique l’analyste Omar
Shaban, du centre Pal Think. La so-
ciété civile ne peut mobiliser seule
des dizaines de milliers de person-
nes. Cela nécessite des ressources.
C’est un énorme effort logistique,
pour les services médicaux, la nour-
ter. La société gazaouie est très poli-
tisée. Le droit au retour des réfugiés
est un slogan idéaliste qui unifie. »
Omar Shaban souligne le « tour-
nant » que représente pour le Ha-
mas son soutien à un mouvement
populaire pacifique, lui qui a tou-
jours épousé la lutte armée. Il
s’agit, selon l’analyste, d’un « test
de crédibilité » pour juger la mue
du mouvement islamiste, qui ne
renonce pas pour autant à l’option
violente. « La question est : jus-
qu’où iront-ils ? La non-violence, ce
ne sont pas que des mots, elle doit
s’appliquer en matière de liberté
d’expression, de droits des fem-
mes… C’est une philosophie, une
manière de vivre. »
Ce positionnement du Hamas,
qui doit beaucoup à ses propres
faiblesses et à l’écrasante supério-
rité militaire israélienne, ravit
aussi d’autres factions. « Il est im-
portant pour nous d’amener le
Hamas sur ces idées, en faveur
d’activités pacifiques et populai-
res, souligne Wajeh Abou Zarifah,
du Parti du peuple palestinien
(communiste). Les gens du
Hamas présents aux rassemble-
ments n’étaient pas armés, ils par-
ticipaient comme civils. »
prisons israéliennes, le Hamas
n’est qu’une faction parmi
d’autres, impliquées dans l’orga-
nisation de la « grande marche du
retour ». Les Israéliens, en exagé-
rant son rôle, conduiraient une
« campagne pour discréditer les
manifestations ».
En janvier, une large réunion
d’environ 130 personnes, repré-
sentant les factions, les ONG et les
grands clans, s’est tenue à Gaza,
pour en fixer les modalités. L’ho-
rizon est le 15 mai, jour anniver-
saire de la « Nakba », soit l’exode
palestinien lors de la création
d’Israël, en 1948.
Un comité national a été créé,
composé de vingt-huit mem-
bres. Le Hamas avait un seul délé-
gué. « On a choisi cinq points le
long de la frontière et on a placé
les tentes loin de la clôture, à 700
mètres, souligne Yusri Darwich,
le chef du réseau des centres cul-
turels. On a essayé de convaincre
les gens de ne pas s’approcher plus
près des soldats, mais c’est une
terre palestinienne ! Les snipers
ont visé des gens à plus de 300 mè-
tres. Ils veulent tuer l’idée même
de marche pacifique. » p
piotr smolar

0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
A Bangui, une opération militaire ravive les tensions
Une action de la mission de l’ONU et de l’armée contre un gang s’est soldée par la mort de 18 personnes
bangassou (rca) - envoyé spécial
B
angui n’avait pas connu
une telle flambée de
violence depuis long-
temps. La capitale cen-
trafricaine, devenue une sorte
d’îlot dans un pays en proie à des
violences intercommunautaires
meurtrières, semblait ronronner
en se lamentant que le président
Faustin-Archange Touadéra ne
soit pas plus ferme contre les
groupes armés et contre la cor-
ruption, principaux maux de ce
pays divisé et sans Etat.
Le regain de tension de ces der-
niers jours à Bangui est dû, à l’ori-
gine, à une opération des soldats
de la Mission des Nations unies en
Centrafrique (Minusca) contre un
gang du quartier de PK5, dernière
enclave peuplée de musulmans
de la capitale depuis l’embrase-
ment de 2013. La cible de l’opéra-
tion militaire était le chef de
guerre appelé le « général Force ».
L’opération « Sukula » a dérapé
dès le premier jour, le 8 mars.
Alors que l’arrestation de « Force »
était censée rassurer la popula-
tion, qu’il terrorise, et les commer-
çants, qu’il rackette, les casques
bleus de l’ONU ont fait face à une
émeute organisée en son soutien.
Des jeunes de PK5 ont attaqué les
blindés de l’ONU tandis que
d’autres dressaient des barricades
et brûlaient le commissariat de
police encore en construction.
« Force » a réussi en quelques
heures à transformer ce qui aurait
dû n’être qu’un, certes, délicat
problème de maintien de l’ordre
en une question politique : à tra-
vers lui, c’est PK5 qui était atta-
qué, et à travers PK5, la commu-
nauté musulmane de Bangui. La
présence aux côtés des casques
bleus de soldats des forces ar-
mées centrafricaines, chrétiens et
accusés par la population musul-
mane de soutenir les milices
chrétiennes extrémistes « anti-
balaka », n’a fait qu’achever de po-
litiser le problème.
Cette première opération s’est
soldée par un bilan de deux
morts et une cinquantaine de
Les Centrafricains
réclament,
à Bangui,
une action plus
robuste de
la Minusca
contre les
groupes armés
C HI N E
Le président Xi assiste à
un exercice naval géant
Xi Jinping a souligné, lors d’un
vaste exercice naval en mer de
Chine méridionale, jeudi
12 avril, le besoin « pressant »
d’une marine forte. La venue
du président chinois dans
cette zone maritime disputée
est un symbole fort. Pékin re-
vendique de nombreuses îles
et récifs de la région, face aux
prétentions rivales de pays ri-
verains (Vietnam, Philippines,
Malaisie, Brunei). Les Chinois
ont mobilisé 48 navires,
76 avions et 10 000 membres
des forces navales. – (AFP.)
N OBEL
L’Académie suédoise
remercie sa secrétaire
perpétuelle
A la suite des révélations sur
ses liens étroits avec un in-
tellectuel accusé de viols,
l’Académie suédoise, qui dé-
cerne le Nobel de littérature,
a remercié sa secrétaire per-
pétuelle, Sara Danius, qui a
annoncé quitter l’institution,
international | 5
blessés côté PK5 et de onze bles-
sés côté casques bleus. Et « Force »
l’opération militaire française
« Sangaris », puis les forces de
« L’opération plus musclés ». Mais, assure-t-il,
« les casques bleus ne tirent pas sur LES DATES
s’est volatilisé, avant de réappa- l’ONU qui ont pris le relais, n’inter- militaire est des civils désarmés : ils ont répli-
raître triomphant. Sept arresta- viennent pas plus fortement con- qué face à de jeunes combattants
suspendue, et
2013
tions – et une huitième le lende- tre les milices. « C’est un fiasco to- lourdement armés, et les morts
main – et une modeste saisie de tal, qui ternit encore davantage la les prochaines sont essentiellement ces combat-
munitions et de drogue ont con- réputation de la Minusca, com- tants ». Un calme précaire est Mars Les rebelles de la Séléka,
solé la Minusca. mente un expert occidental à Ban-
semaines seront revenu à Bangui. La Minusca a an- majoritairement musulmans,
Bangui a connu la nuit suivante gui. D’un côté, cela a renforcé le consacrées noncé aux habitants de PK5, renversent le président Bozizé.
l’un de ces épisodes surréalistes “général Force” dans son quartier, selon M. Lacroix, que « l’opération Michel Djotodia, leur leadeur,
qui la caractérise. Quelques as- et de l’autre, cela a renforcé les plus
au dialogue » militaire est suspendue et les pro- prend la tête de l’Etat.
saillants anonymes – des musul- extrémistes des “anti-balaka”, qui JEAN-PIERRE LACROIX chaines semaines seront consa- Des groupes d’autodéfense
mans infiltrés voulant venger les veulent qu’on assimile tous les mu- chef des opérations de crées au dialogue ». chrétiens, les anti-Balaka,
morts de PK5 selon les uns, des sulmans aux gangs. » maintien de la paix de l’ONU La tentative d’utilisation de la se forment en réponse aux
« anti-balaka » profitant des évé- Hasard du calendrier, le chef du force se solde donc, pour la Mi- exactions imputées à la Séléka.
nements pour faire monter d’un département des opérations de nusca, par une défaite. Cela n’en- Décembre La France déclenche
cran la tension selon les autres – maintien de la paix de l’ONU à on veut qu’elle agisse de manière lève rien à la légitimité d’une ac- l’opération « Sangaris », pour ré-
se sont approchés des bases New York, Jean-Pierre Lacroix, en plus robuste et, quand elle essaye, tion qui était effectivement récla- pondre à une situation qualifiée
égyptienne et jordanienne de la tournée dans la région en compa- certains le lui reprochent, ou cela mée par les habitants. Cela souli- de « prégénocidaire ». M. Djoto-
Minusca et ont tiré des rafales gnie du commissaire à la paix et à donne lieu à des manipulations gne simplement le dilemme dia est poussé à la démission.
dans la nuit. Les casques bleus la sécurité de l’Union africaine, sur ses intentions ». auxquels sont confrontés les
ont riposté, bien sûr. Les gardes
présidentiels, postés non loin de
Smaïl Chergui, a atterri à Bangui
pendant les troubles. A l’issue
Jean-Pierre Lacroix rappelle que
« cela faisait pas mal de temps que
« soldats de la paix » de l’ONU :
quand on se cantonne à la négo- FÉVRIER 2016
là au domicile du président Toua- d’une visite de deux jours finale- les habitants de PK5 demandaient ciation face à des guerriers déter- Faustin-Archange Touadéra, un
déra, ignorant s’il existait ou non ment consacrée à tenter d’apaiser à être libérés de l’emprise de ces minés, on n’est guère efficace ; ex-premier ministre de M. Bozizé,
une menace, ont ajouté leurs tirs la capitale centrafricaine, il cons- gangs, et la Minusca a d’abord es- mais quand on se lance dans une est élu à la présidence. Au cours
au concert de rafales. Bilan : tate qu’« on demande à la Mi- sayé de les désarmer par le dialo- bataille, mieux vaut la gagner. p de l’année, la France retire les sol-
aucun mort, aucun blessé, mais nusca des choses contradictoires : gue avant d’envisager des moyens rémy ourdan dats de l’opération « Sangaris ».
un parfum d’angoisse flottant
sur la ville, jusqu’à des rumeurs
de coup d’Etat et de départ du
président.
Mort d’un casque bleu rwandais
L’épisode suivant est plus grave.
La Minusca est repartie à l’assaut
de PK5 mardi 10 avril. Ni le « géné-
ral Force » ni aucun autre de ses
hommes n’ont été arrêtés, mais
l’affrontement s’est cette fois
soldé par la mort de 18 personnes,
dont un casque bleu rwandais, et
une centaine de blessés. Un bon
millier de manifestants de PK5
sont venus le lendemain déposer
les cadavres de leurs dix-sept dé-
funts devant le quartier général
de la Minusca.
Ce second épisode a par ailleurs
eu pour effet d’agiter les provin-
ces contrôlées par des groupes ar-
més musulmans. Des journées
« villes mortes » ont été décrétées
à Bria, N’Délé et Kaga-Bandoro.
Des barricades ont été érigées.
Des forces de l’ONU ont été mises
en état d’alerte, et certains aéro-
ports assurant leur liaison avec
Bangui fermés. L’opération mili-
taire à PK5 « n’est pas une question
de religion, ce n’est pas contre une
communauté ou contre la popula-
tion, a tenté d’expliquer le prési-
Junya
dent Touadéra. Des bandits ont
pris la population en otage. C’est
une question de maintien de l’or-
dre et de sécurité. »
Les Centrafricains, en tous les
cas à Bangui, réclament dans leur
majorité une action plus robuste
Exposition
de la Minusca contre les groupes
armés. Beaucoup ont été déçus
30 mars ›
depuis 2013 que les soldats de
10 juin 2018
Freeing Ishigami
jeudi 12 avril. Fin 2017, le quo-
tidien Dagens Nyheter avait
publié les témoignages de
18 femmes affirmant avoir
subi des violences ou des
faits de harcèlement de la
part de Jean-Claude Arnault,
Français marié à une acadé-
Architecture
micienne. – (AFP.)
ÉTATS- U N I S
L’ex-chef du FBI
accuse Trump d’être
un menteur invétéré
Le président américain est un
menteur invétéré soumettant
son entourage à un code de
loyauté rappelant l’attitude
d’un chef « mafieux », estime
dans ses Mémoires l’ancien
patron du FBI, la police fédé-
rale des Etats-Unis, James
Comey. Des passages ont fuité
dans la presse jeudi 12 avril,
quelques jours avant sa sortie.
L’auteur décrit un locataire de 261, boulevard Raspail 75014 Paris — fondation.cartier.com
la Maison Blanche obsédé par
des détails scabreux le con-
cernant. A son avis, « ce prési- IMAGE: PHOTOGRAPHIE DE LA MAQUETTE RÉALISÉE POUR LE PROJET HOUSE & RESTAURANT. © JUNYA.ISHIGAMI+ASSOCIATES / GRAPHISME © AGNÈS DAHAN STUDIO
dent est immoral, détaché de
la vérité et des valeurs institu-
tionnelles ». – (AFP.)
6 | planète
Fin officielle des
expulsions à Notre-
Dame-des-Landes
Les autorités redoutent un regain
de violence lors des interpellations à venir
nantes - correspondant
L
a fin des expulsions des
occupants « illégaux » sur
la zone à défendre (ZAD)
de Notre-Dame-des-Lan-
des (Loire-Atlantique) est offi-
cielle. La préfète de la région Pays
de la Loire, Nicole Klein, l’a con-
firmé lors d’une conférence de
presse vendredi matin 13 avril.
Jointe par téléphone dans l’après-
midi, jeudi, elle avait annoncé au
Monde l’arrêt des opérations
commencées il y a quatre jours, le
9 avril, à 3 heures du matin.
Cette décision est la traduction
concrète de ce que le chef de l’Etat
a déclaré, lors de l’entretien qu’il a
accordé à TF1, jeudi, à 13 heures.
« L’opération est arrivée à un point
où tout ce qui était évacuable a été
évacué. Il y aura maintenant, dans
les prochains jours, un travail sous
l’autorité de la préfète qui consiste
à permettre aux projets agricoles
légaux, organisés, de se faire », a
expliqué Emmanuel Macron.
Sur le terrain, après les violents
affrontements qui ont opposé,
durant plus de deux jours, les gen-
darmes mobiles (2 500 pour l’en-
semble de l’intervention) et des
centaines de zadistes, habitants
de la zone épaulés par des sou-
tiens venus les rejoindre, et après
une journée de jeudi un peu plus
calme, l’heure est donc à la pour-
suite des travaux de déblaiement,
mais sans nouvelle expulsion.
Au total, 29 sites auraient été éva-
cués, la plupart étant, au moment
des assauts, vides de leurs occu-
pants. Tous seront détruits. Le pre-
mier ministre, Edouard Philippe,
avait fixé comme objectif qua-
rante sites à évacuer.
Pour autant, cette issue atten-
due par beaucoup sur le terrain,
tant les affrontements étaient de-
venus violents, ne signifie pas le
retrait des gendarmes de la zone.
« Ce n’est pas la fin de l’interven-
ÉTATS- U N I S
Procès climatique
Un procès opposant 21 en-
fants au gouvernement amé-
ricain, accusé de ne pas avoir
su protéger les ressources
naturelles de la planète en
consommant des énergies
fossiles, débutera le 29 octo-
bre, devant un tribunal fédé-
ral dans l’Oregon. La plainte
avait été déposée en 2015,
lorsque le président démo-
crate Barack Obama était au
pouvoir. – (AFP.)
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tion des forces de l’ordre sur place,
précise Nicole Klein. Il reste beau-
coup de gens ultraviolents, de l’ul-
tragauche qui veulent continuer à
en découdre. Les gendarmes vont
donc devoir sécuriser les opéra-
tions de déblaiement des routes,
puisque la RD 81 [la route départe-
mentale qui relie Vigneux-de-Bre-
tagne à Fay-de-Bretagne] est blo-
quée par des barricades, ainsi que
leur remise en état. »
En effet, vendredi matin, dès
6 h 30, une colonne de gendarmes
mobiles progressait sur la route
81 et la barricade, située au carre-
four stratégique de la Saulce, était
en feu. Les militaires se sont posi-
tionnés auprès de nombreux si-
tes, Fosses noires, Wardine, Lama,
La Grée… Selon les autorités, des
interventions – qui pourraient
être « dures » selon une source
proche du commandement – se-
raient en cours pour procéder à
des interpellations.
« Obstacles »
Si le dispositif pourrait être légè-
rement allégé dès la semaine pro-
chaine, confirme-t-on à l’état-ma-
jor de la gendarmerie, le qua-
drillage restera important sur
l’ensemble de la zone et les tra-
vaux de déblaiement seront pro-
tégés, ainsi que les deux routes
départementales, RD 281 et RD 81
qui traversent la ZAD.
La tension pourrait donc rester
vive. La colère des occupants n’a
pas baissé depuis la destruction
d’un lieu de vie symbolique, la
ferme des 100 noms, un site sur
lequel des projets agricoles exis-
taient – un troupeau d’ovins et
des ânes y vivaient notamment.
Certains de ses habitants s’étant
déclarés officiellement.
Jeudi, les flambées de violence
se sont faites plus rares, à l’excep-
tion notable d’un affrontement
qui s’est déroulé en milieu de
journée, au cours duquel plu-
VAN UAT U
Eruption volcanique
Les habitants de l’île d’Ambae,
dans l’archipel du Vanuatu
(Pacifique sud), vont être éva-
cués en raison de la reprise
d’activité du volcan Manaro
Voui. En septembre 2017,
les 11 000 résidents de l’île
avaient déjà été évacués à la
hâte. Le Vanuatu se situe sur
la « ceinture de feu » du Paci-
fique, marquée par de fré-
quents séismes et un volca-
nisme intense. – (AFP).
Opération de
déblaiement
dans la
« zone à
défendre »,
le 12 avril.
DAMIEN MEYER/AFP
sieurs gendarmes ont été blessés.
« Arrêté sur la RD 81 par des obsta-
cles sur la chaussée, un convoi de
plusieurs escadrons, en opération
de relève, a été pris à partie violem-
ment avec des jets d’explosifs arti-
sanaux, de blocs de pierre et d’aci-
des, entraînant des blessures aux
membres inférieurs et de nom-
breux traumatismes sonores, dix
gendarmes ayant été blessés dont
cinq hospitalisés », fait valoir
l’état-major de la gendarmerie.
Une version corrigée par les za-
distes : « Il ne s’agissait aucune-
ment d’une “embuscade” : cette
barricade était visible et survolée à
de nombreuses reprises par l’héli-
coptère et les drones de la gendar-
merie dans les heures précédentes.
Des personnes présentes ont appa-
remment craint une nouvelle atta-
que sur les lieux environnants. »
Pour beaucoup, la journée a été
plus calme : « Mercredi, ils ont
cassé ; jeudi, ils ont déblayé », re-
lève un manifestant cagoulé.
Quand un convoi de pelleteuses
passe sur la RD 281, il est copieu-
sement hué, ses chauffeurs trai-
tés de « collabos ». Pourtant, le fa-
ce-à-face a duré toute la journée,
ponctué par des tirs de grenades
lacrymogènes.
Le bilan de l’opération déclen-
chée lundi sur la zone est lourd.
Bruxelles propose plus de transparence
dans l’homologation des pesticides
L’initiative de la Commission européenne intervient après les polémiques sur le glyphosate
A près trois ans de contro-
verses sur la sûreté du
glyphosate, la Commis-
sion européenne veut redorer le
blason du système de sécurité sa-
nitaire de l’Union. Elle a présenté,
mercredi 11 avril, son plan de ré-
forme de l’Autorité européenne
de sécurité des aliments (EFSA),
régulièrement critiquée par les
organisations non gouverne-
mentales et les parlementaires
européens pour son manque de
transparence et sa proximité avec
les industriels qu’elle régule.
Les propositions de réforme
sont la réponse de Bruxelles à une
initiative citoyenne européenne
lancée début 2017 par un collectif
d’ONG, demandant l’interdiction
du glyphosate et une refonte des
procédures d’homologation des
pesticides en Europe : l’initiative
ayant rassemblé plus d’un mil-
lion de signatures, la Commission
était tenue d’y répondre.
Le point saillant de la réforme
proposée par Bruxelles garantit
une transparence accrue. Celle-ci
prévoit en effet la publication des
données générées par les études
« Il faut que
les destructions
cessent, et on
sera disponibles
pour présenter
nos projets »
UN REPRÉSENTANT DE LA ZAD
Les forces de l’ordre déploraient 45
blessés, jeudi soir, quand l’équipe
médicale de la ZAD annonçait, dès
le matin, « plus de 80 blessés, avec
quinze blessures au Flash-Ball
(dont une grave au visage), seize
blessures suite à des tirs tendus de
grenades lacrymogènes (dont cer-
taines à la tête) ».
Le degré de violence de ces der-
niers jours va-t-il compromettre le
retour à la discussion, entamée
avant l’intervention des gendar-
mes mobiles ? Un début de négo-
ciation sur l’avenir de la ZAD et des
terres agricoles s’était ouvert avec
la réception, le 20 mars, par la pré-
fète et le secrétaire d’Etat, Sébas-
tien Lecornu, d’une délégation du
mouvement d’occupation, avec la
présence de zadistes en son sein.
Nicole Klein, qui avait toujours
indiqué que la porte restait
industrielles fournies à l’appui
des demandes d’homologation.
Aujourd’hui, une société souhai-
tant mettre sur le marché un
nouveau produit phytosanitaire,
par exemple, doit fournir à l’EFSA
des tests réglementaires éva-
luant la toxicité de sa molécule.
Mais les données brutes de ces
études demeurent confidentiel-
les et ne peuvent pas être exami-
nées par des scientifiques indé-
pendants, des ONG, des sociétés
savantes, etc.
Hausse budgétaire
La proposition de la Commission
« donnera un meilleur accès aux in-
formations scientifiques soumises
à l’EFSA », explique-t-on à Bruxel-
les. « Plus de transparence est évi-
demment appréciable, mais le dia-
ble est dans les détails, commente
Martin Pigeon, chercheur à Corpo-
rate Europe Observatory (CEO),
l’une des ONG à l’origine de l’ini-
tiative citoyenne. Mais on ne sait
pas encore précisément comment
ces données pourront, ou ne pour-
ront pas, être utilisées à des fins de
réanalyse. On ignore notamment si
ouverte, devait préciser, ven-
dredi, qu’elle va « rouvrir les dis-
cussions avec toutes les personnes
qui le veulent sur la ZAD », afin de
relancer le processus de dialogue.
Elle a fait préparer par ses services
un formulaire simplifié de régula-
risation à destination des zadis-
tes. C’est aussi ce que M. Macron a
laissé entendre, jeudi : « Je sou-
haite que les agriculteurs qui sont
sur place, qui ont un projet pour ce
territoire puissent le développer,
mais ce n’est pas le désordre et ce
n’est pas l’occupation par des gens
qui ne cherchent qu’à créer le trou-
ble », a-t-il déclaré.
Rassemblement
La fin de la semaine va être déter-
minante. Samedi, une manifesta-
tion contre les expulsions sur la
ZAD est prévue à Nantes. Elle
s’annonce explosive dans une
ville qui reste marquée par les
heurts et les dégâts considéra-
bles causés le 22 février 2014, à
l’issue d’une manifestation con-
tre le projet d’aéroport.
Mme Klein confie que les autori-
tés réfléchissent à la possibilité
d’interdire le grand rassemble-
ment de protestation qui doit se
tenir dans le bocage de Notre-Da-
me-des-Landes dimanche. « On va
regarder de près comment se passe
les chercheurs qui voudront réana-
lyser les données seront soumis à
l’autorisation des industriels, qui en
demeurent les propriétaires. »
La réforme voulue par Bruxelles
inclut aussi la création d’un regis-
tre des études conduites par l’in-
dustrie. Ce registre devrait per-
mettre d’éviter que seuls les tests
fournissant des résultats favora-
bles ou rassurants soient in fine
soumis aux autorités : toutes les
études conduites devraient en ef-
fet être inscrites à ce registre. Un
modèle inspiré de la réglementa-
tion en vigueur pour les études
cliniques menées sur les nou-
veaux médicaments.
En outre, l’exécutif européen
souhaite que des études supplé-
mentaires puissent être condui-
tes par les autorités sanitaires en
cas de doutes. La proposition de
la Commission prévoit ainsi une
hausse considérable du budget
de l’EFSA. L’agence pourrait voir
son budget augmenter de
62,5 millions d’euros, soit une
hausse de 75 %.
« Ce texte va dans le sens du
combat que nous menons depuis
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
la manifestation samedi à Nantes
et on avisera », confie-t-elle.
Nul doute qu’après avoir signi-
fié la fin des expulsions les autori-
tés misent sur un appel au calme
des figures historiques de la lutte
contre l’aéroport. La plupart des
associations, locales et nationa-
les, qui étaient engagées dans ce
combat, ont pour l’heure appelé
à converger sur la zone. Mais cer-
tains pourraient être tentés de ne
pas se joindre à ce qui s’apparente
à « une manifestation de tous les
dangers », selon les termes de l’un
d’entre eux.
Alors que l’affrontement sem-
blait sans issue, mercredi, l’un des
animateurs de la ZAD confiait au
Monde être « prêt à reprendre le
dialogue ». « Il faut que les destruc-
tions cessent et, dès cet instant, on
sera disponibles pour se rendre à la
préfecture pour présenter nos dos-
siers, nos projets », expliquait-il
alors. Ce scénario de sortie de crise
sera-t-il possible ? L’inconnue ré-
side dans la réaction des autorités
à la probable reconstruction par
les zadistes, dès dimanche, de cer-
tains sites « totémiques », ainsi
qu’on les qualifie à la préfecture,
telle la ferme des 100 noms. p
yan gauchard
avec rémi barroux
et pierre bouvier
plus d’un an maintenant et devra
jeter les bases de nouvelles prati-
ques garantissant transparence et
indépendance du processus déci-
sionnel de l’Union », estime
l’eurodéputé Eric Andrieu
(groupe social-démocrate), prési-
dent de la commission spéciale
sur le système d’autorisation des
pesticides en Europe.
Pour Greenpeace, une autre des
ONG ayant porté l’initiative ci-
toyenne, le projet de réforme est
insuffisant. « La Commission n’a
répondu qu’à un petit nombre de
nos demandes, dit Franziska Ach-
terberg, chargée de mission à
Greenpeace. Par exemple, les
tests réglementaires demeurent
conduits par les industriels eux-
mêmes, dans des conditions évi-
dentes de conflit d’intérêts. Ce que
nous voulons est que ces tests
soient commandités par les pou-
voirs publics. »
Des réserves également formu-
lées par M. Andrieu, qui regrette
que « les firmes gardent la main-
mise sur les tests réalisés sur leurs
propres produits ». p
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8|
FRANCE
Macron entend les doutes, mais ne change rien
Le chef de l’Etat a voulu montrer son empathie avec les Français, invitant les riches à « aider le pays »
E
mmanuel Macron l’avait
martelé durant sa cam-
pagne : il voulait « libérer
et protéger » les Français.
Désormais, il veut aussi les
« unir ». Alors que les mouve-
ments de contestation sociale
s’amplifient, à la SNCF comme à
l’université ou dans les maisons
de retraite, le chef de l’Etat s’est
attelé, jeudi 12 avril, sur TF1, à apai-
ser les tensions provoquées par la
politique de son gouvernement
et à montrer qu’il n’était pas
sourd aux critiques.
« Les murs de la maison, pour
moi, c’est libérer, protéger et unir »,
a insisté Emmanuel Macron
face au présentateur Jean-Pierre
Pernaut, qui avait exceptionnelle-
ment délocalisé le plateau de son
journal télévisé à l’école primaire
de Berd’huis (Orne), un petit vil-
lage normand. Un triptyque iné-
dit que l’ancien ministre de l’éco-
nomie a complété d’un « je suis le
président de tous les Français » ré-
pété à plusieurs reprises, tenta-
tive de faire un sort aux accusa-
tions de n’être que le « président
des riches » ou « des villes ».
Méthodiquement, le chef de
l’Etat, qui fêtera le 7 mai le pre-
mier anniversaire de son élec-
tion, a tenté par les mots de ras-
surer les « gens qui ont peur ». Les
retraités ? « Je leur dis merci », a-
t-il formulé à plusieurs reprises,
moyen de montrer qu’il avait
bien conscience des efforts de-
mandés avec une hausse de la
CSG pour 60 % d’entre eux. « J’ai
fait appel à vous. J’ai besoin de
vous ! », s’est-il permis, assurant
qu’il n’avait « pas de souverain
mépris » pour les « anciens ». « Je
n’ai jamais pris un retraité pour
un portefeuille », a-t-il ajouté.
Même attention portée aux per-
sonnels de la SNCF. « Je ne partage
pas l’avis de ceux qui voudraient
opposer les cheminots aux usa-
gers. On ne doit pas opposer les
uns aux autres », a insisté le prési-
dent de la République. En creux,
on pouvait y lire une critique de
certains élus de la majorité ou
membres du gouvernement, qui
ont parfois accusé les salariés de
la SNCF d’être des « privilégiés »,
adeptes de la « gréviculture ».
Emmanuel Macron a aussi tenté
de répondre à ceux, comme le
président des Républicains, Lau-
rent Wauquiez, qui l’accusent
d’avoir « la haine de la province ».
« On n’abandonne pas du tout la
ruralité, c’est pas vrai », s’est-il
agacé. Face à la fronde d’une par-
tie des élus locaux, qui se plai-
gnent d’une baisse de leurs dota-
tions, le chef de l’Etat a répliqué
qu’il était « faux de dire que des
communes perdront de l’argent »,
rappelant que la DGF (dotation
globale de fonctionnement) avait
été gelée pour 2018, alors qu’elle
avait systématiquement baissé
ces huit dernières années.
Pas d’examen « en chocolat »
Interrogé sur son expression de
« premier de cordée », perçue par
certains comme un mépris pour
les classes populaires, l’ex-ban-
quier a assuré qu’au contraire il
serait exigeant avec les plus ri-
ches. « Ceux qui réussissent doi-
vent savoir où ils sont nés, où ils
ont appris, où ils vont à l’hôpital »,
a-t-il déclaré, les invitant à « aider
le pays ». « Les riches n’ont pas be-
soin d’un président, ils se dé-
brouillent très bien tout seuls », a
ajouté M. Macron, qui veut
convaincre que la baisse de la
taxation du capital ou la transfor-
mation de l’impôt de solidarité
sur la fortune en taxe sur le patri-
moine immobilier ne sont pas un
cadeau aux plus privilégiés, mais
un moyen de relancer l’économie.
Du baume dans les mots, donc,
mais pas dans les actes. Car, en
réalité, très peu d’annonces ou de
changements ressortent du dis-
cours du chef de l’Etat qui, sur l’es-
sentiel, ne dévie pas. Emmanuel
Macron a, certes, annoncé la sup-
pression du « forfait social » sur
l’intéressement pour les entrepri-
ses de moins de 250 salariés à
compter du 1er janvier 2019, une
mesure qui devrait coûter
440 millions d’euros par an à
l’Etat. Il a également confirmé un
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
Des habitants
de Berd’huis
(Orne) regardent
l’intervention
télévisée
d’Emmanuel
Macron,
délocalisée
dans leur
commune,
le 12 avril.
CHARLY TRIBALLEAU/AFP
plan de refonte à venir du sys- d’année, c’est mieux de les réviser gent en plus, je préfère l’investir », a
tème de santé. Quant à la réduc-
« Les murs parce qu’il n’y aura pas d’examen tranché Emmanuel Macron.
tion de la vitesse à 80 km/h sur les de la maison, en chocolat dans la République », a Ne rien lâcher sur le fond, mais
petites routes, qui doit entrer en prévenu M. Macron. Idem à tenter de mieux expliquer son ac-
vigueur le 1er juillet, « si dans
pour moi, c’est Notre-Dame-des-Landes (Loire- tion dans sa globalité, c’est en
deux ans ça ne marche pas, on libérer, protéger Atlantique), où l’évacuation par la somme le résumé de l’interven-
arrêtera », a-t-il concédé. force des zadistes va continuer tion présidentielle, un an ou pres-
Mais, sur les dossiers qui
et unir » car « nos concitoyens sont en droit que après son élection. Si le style
concentrent l’essentiel des mé- EMMANUEL MACRON d’attendre l’ordre ». Macron s’arrondit aux angles, il
contentements, aucune évolu- président reste inchangé au cœur. « Je de-
tion n’est à prévoir. « On ira au Quinquennat en deux temps mande [aux Français] de me faire
bout dans le respect de chacun, Quant aux retraités, alors que cer- confiance, j’ai prouvé que, quand
dans la considération et sans que publique et pourquoi pas à tains parlementaires de La Répu- je dis les choses, je les fais », a-t-il
nul oppose les Français entre eux », « ouvrir d’autres » petites lignes de blique en marche réclamaient le souligné, en demandant de la pa-
a répondu le président de la Répu- la SNCF, alors qu’il est accusé de rétablissement de la demi-part tience au pays. Une manière de
blique à propos de la SNCF. Qu’im- vouloir les fermer. pour les veuves, comme le député laisser entendre qu’après le
porte la mobilisation des syndi- Du côté des tensions dans les de la Vienne Sacha Houlié, le chef temps « des efforts » pourrait ve-
cats après dix jours de grève, facultés, le chef de l’Etat a estimé de l’Etat a écarté cette hypothèse : nir celui du réconfort et d’une
M. Macron « les appelle plutôt au que « très peu d’universités sont « Non, je pense que ce n’est pas la éventuelle redistribution. Un
calme en leur disant que (…) la occupées » et rejeté la contesta- bonne chose. » Même réponse quinquennat en deux temps, à
bonne réponse, ce n’est pas d’arrê- tion sur quelques « professionnels pour le surplus de recettes fisca- l’image de celui promis aux Fran-
ter de faire la réforme, c’est de la du désordre ». Aucune indulgence les lié à la croissance, que le dé- çais par François Hollande
faire ensemble ». Le chef de l’Etat donc à attendre de l’Etat pour les puté des Hautes-Alpes Joël Giraud en 2012 et qui n’était jamais
s’est simplement engagé à re- étudiants qui manifestent. « Ils voulait consacrer à l’amélioration véritablement advenu. p
prendre « pour partie, progressive- doivent comprendre que, s’ils du pouvoir d’achat plutôt qu’au bastien bonnefous
ment », la dette de l’entreprise veulent avoir les examens en fin désendettement. « Si on a de l’ar- et cédric pietralunga
Quelques pistes de réforme sans grande annonce
s’il a fait peu d’annonces, Emmanuel sayer de mieux organiser les choses », avec 1 300 établissements hors contrat recen-
Macron a néanmoins précisé plusieurs me- notamment la mise en place « de maisons sés sur le territoire, 300 s’affichent
sures et présenté les pistes pour d’autres. de santé pour que tout le monde n’aille pas comme confessionnels, dont une quaran-
aux urgences, parce que cela coûte plus cher taine seulement comme musulmans.
La SNCF restera publique « La SNCF res- à tout le monde ». Pendant sa campagne L’ancienne ministre de l’éducation Najat
tera publique, les cheminots resteront che- présidentielle, le candidat Macron avait Vallaud-Belkacem (PS) avait tenté en son
minots », a lancé le président à l’intention promis de limiter à 50 % la part de finance- temps de mieux les encadrer, mais s’était
des syndicats. « Ce sera dans la loi : 100 % de ment des hôpitaux à la tarification à l’acti- heurtée aux lobbys de droite.
capitaux d’Etat », a-t-il dit. De même, « tous vité. La réflexion engagée au ministère de
les cheminots qui sont aujourd’hui en em- la santé devrait aboutir fin 2019. Développer l’intéressement dans les
ploi, ils resteront dans le statut (…). On ne PME Aujourd’hui, les entreprises qui ont
leur demande pas d’efforts, mais juste d’ac- Un « financement étranger » à « organi- négocié un accord d’intéressement doi-
cepter que les nouveaux, on ne les prenne ser » pour le culte musulman M. Macron vent s’acquitter d’un forfait social : une co-
pas au statut », a ajouté M. Macron. Il a a indiqué vouloir que « le financement tisation à la charge de l’employeur dont le
aussi assuré que la dette de la SNCF « sera étranger [du culte musulman] soit organisé taux varie entre 20 % et 8 % selon la taille
pour partie, progressivement, reprise ». Le sous le contrôle de l’Etat et transparent. Je ne de l’entreprise. Le président a annoncé sa
chiffre qui circule le plus est 35 milliards veux plus de mosquées qui s’ouvrent avec suppression pure et simple pour les socié-
d’euros au minimum, pour que les ratios des financements cachés. Je ne veux plus de tés de moins de 250 personnes afin de
de l’entreprise soient compatibles avec un gens qui utilisent l’argent du pèlerinage [à mieux associer les salariés aux résultats.
statut juridique de société par actions. La Mecque] pour financer n’importe quoi ». « On a permis qu’il y ait plus de flexibilité, on
Mais le président n’a pas expliqué com- doit permettre aussi quand ça va mieux que
Pour l’hôpital, des mesures « cet été » ment le faire sans enfreindre la loi de 1905 tout le monde puisse en profiter », a résumé
M. Macron a promis qu’il ferait « à l’été » de séparation entre l’Etat et les cultes. le président. Aujourd’hui, seules 16 % des
des annonces pour mettre « plus de Le locataire de l’Elysée veut aussi entreprises de moins de 50 salariés ont un
moyens dans l’hôpital ». Selon lui, il ne faut « mieux contrôler les [écoles] hors contrat ; accord d’intéressement, de même que 22 %
« pas mettre de l’argent sur un système qui on renforce le contrôle, on est intraitable ». des entreprises entre 50 et 250 salariés. p
n’est plus adapté », mais au contraire « es- Mais il ne rappelle pas que, parmi les c. pi.
 france | 9
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

François Hollande, le récit d’une trahison

L’ex-chef de l’Etat consacre à Emmanuel Macron, dont il juge déloyale l’attitude, une large part de son ouvrage

L
es mots ont un sens et
Les Leçons du pouvoir
(Stock, 22 euros, 400 pa-
ges), le livre de François
Hollande, paru mercredi 11 avril,
ne sont pas les mémoires d’un
ancien président de la Républi-
que décidé à laisser une trace
dans l’Histoire en revenant après
coup et en détail sur un parcours
politique définitivement clos.
Comme son titre l’indique, le but
de cet ouvrage est avant tout de
« tirer les leçons du pouvoir »,
après cinq années passées à l’Ely-
sée, cette « maison du silence »,
par un homme qui a « voulu être
un président normal pour mieux
assumer une tâche anormale ».
Un retour en arrière et à chaud
sur un quinquennat hors norme,
durant lequel la gauche est reve-
nue au plus haut du pouvoir pour
la seconde fois sous la Ve Répu-
blique, et qui s’est terminé pour
elle au plus bas, avec un président
qui décide de ne pas se représen-
ter et qui voit élu pour lui succé-
der un de ses anciens jeunes
conseillers. A la lecture du livre,
« La compétition
politique doit
se livrer au grand
jour. Convenons
que ce ne fut
pas le cas »
FRANÇOIS HOLLANDE
ancien président
on mesure souvent le vertige et le
baroque de ces cinq années
écoulées, en passant au fil des
400 pages des attentats de 2015
ou de la guerre française au Mali
en 2013, à l’affaire du « Closer-
gate » et aux révélations sur la vie
privée de François Hollande. De
la tragédie la plus grave à la farce
la plus grotesque.
Si l’ancien chef de l’Etat y fait
l’analyse de son mandat, nulle
trace en revanche de la moindre
autocritique. Au contraire, Fran-
çois Hollande vante son bilan
« qui avec le temps se défendra
tout seul », défend ses choix éco-
nomiques de « la politique de l’of-
fre » et du « sérieux budgétaire »,
et juge, au final, rempli son
contrat passé avec les Français
en 2012. « La courbe du chômage
finalement s’est inversée. La re-
prise est venue. Mais tard pour le
pays et, subsidiairement, pour
moi », écrit-il. Seules concessions
de sa part aux critiques qui l’ont
frappé durant cinq ans, notam-
ment à gauche, il avoue son « er-
reur » dans l’affaire « Leonarda »,
son « regret » d’avoir proposé la
déchéance de nationalité, et
« l’épreuve » de la loi travail. Mais
là encore, son mea culpa est hé-
miplégique : si la forme a à cha-
que fois péché par manque d’ex-
plication et de pédagogie suffi-
santes, sur le fond, ses décisions
étaient bonnes, estime l’ancien
président de la République.
En somme, si François Hol-
lande a échoué, les principaux
coupables selon lui sont à re-
chercher du côté des « fron-
deurs » socialistes qui n’ont cessé sont plus cruels, comme pour
de l’affaiblir aux yeux des Fran- Arnaud Montebourg – « Tantôt il
çais, du patronat et de la droite réussit et se pare de mérite. Tan-
qui ne pouvaient supporter le re- tôt il échoue et dénonce un cou-
tour de la gauche au pouvoir, et pable » – ou Jean-Yves Le Drian –
des médias moutonniers dans la « Il a rejoint le Quai d’Orsay au
mise en scène des « couacs », risque d’y être oublié. Comme
pour lesquels « l’anecdote a sup- ami je le lui avais déconseillé.
planté le sens, l’écume est regar- Mais je n’étais plus président et
dée comme la mer ». lui n’était déjà plus socialiste ».
Bien sûr, le portrait le plus at-
Un accident de l’Histoire tendu est celui d’Emmanuel
Non sans humour – à propos de Macron. Jamais le mot de « trahi-
la salle de sport de l’Elysée, « elle son » n’est accolé par l’ancien chef
ne fut guère encombrée de ma de l’Etat à son successeur – il n’ap-
présence », précise l’ancien prési- paraît dans le livre que pour quali-
dent –, ce livre est aussi l’occa- fier le cas Jérôme Cahuzac – pour-
sion de dresser une galerie de tant, il transpire derrière chaque
portraits politiques. De Vladimir terme employé à son égard tout
Poutine à Barack Obama, d’An- au long du livre. « J’ai pour prin-
gela Merkel à Alexis Tsipras, cipe de faire confiance et de croire
mais aussi de responsables fran- dans les démarches collectives. Je
çais. Certains mots sont flat- sais d’où je viens, à quelle histoire
teurs, comme pour Bernard j’appartiens et quelles valeurs je
Cazeneuve qui « parle tout bas, ce défends. D’autres croient que dans
qui lui donne de la hauteur », ou le ciel ne luit qu’une seule étoile, la
Christiane Taubira, « loyale jus- leur, que tout est affaire de chan-
que dans la démission ». D’autres ces et de circonstances, et qu’ils ne
UNE AUTRE BANQUE EST POSSIBLE
Si l’ancien
président fait
l’analyse de son
mandat, nulle
trace en revanche
de la moindre
autocritique
sont liés à rien ni personne. J’ai
toujours admis la compétition
politique, mais je pense qu’elle doit
se livrer au grand jour et s’assumer
franchement. Convenons que ce ne
fut pas le cas », tranche ainsi
François Hollande.
Pour l’ancien président, Emma-
nuel Macron « ne s’inscrit pas
dans l’histoire de la gauche, pas
davantage dans celle de la social-
démocratie, ni même dans une
recomposition qui pourrait préfi-
gurer une coalition progressiste ».
En somme, à ses yeux, le nou-
veau locataire de l’Elysée ne serait
rien d’autre qu’un accident de
l’Histoire et le « nouveau monde »
issu de l’élection de mai 2017, un
avatar de la classique droite libé-
rale. « L’ancien monde, c’est le
mien. Il a de l’avenir », assure l’an-
cien premier secrétaire du PS,
qui, à la fin du livre, dresse même
un vade-mecum pour un « nou-
veau socialisme » destiné, selon
lui, à mener la bataille en Europe
pour reconquérir le pouvoir
perdu par la social-démocratie.
Prudent, François Hollande
prend soin de n’afficher aucune
éventuelle ambition d’être de
nouveau candidat à la présiden-
tielle. Mais celui qui se présente
comme « un sortant, pas un per-
dant », précise également que
« quitter l’Elysée n’est pas renon-
cer ». Les années qui viennent
diront si ses « leçons du pouvoir »
sont au final son faire-part de
renaissance politique ou son
testament. p
bastien bonnefous

Collectivités: la baisse
des dotations en question
Le calcul des finances locales s’avère un
exercice compliqué pour les communes
Le PoUVOIr du
D’

noUs
Crédit Coopératif – Société coopérative anonyme de Banque Populaire à capital variable – RCS Nanterre 349 974 931 01213 – APE 6419 Z – N° ORIAS 07 005 463 – 12, boulevard Pesaro – CS 10002 – 92024 Nanterre cedex – Illustration : Artus –

un côté, un président 200 millions d’euros. Entre la

de la République, Em-
manuel Macron, qui a
affirmé, jeudi 12 avril, sur TF1, que
les dotations des communes rura-
les, en 2018, « ne baissent pas d’un
centime ». De l’autre, un président
de l’Association des maires de
France, François Baroin, qui assure
que « vingt-deux mille communes »
ont vu leur dotation baisser cette
année. Ni l’un ni l’autre n’ont tout
à fait tort. Ni tout à fait raison. Car,
en matière de finances locales, les
choses sont beaucoup plus com-
pliquées que sembleraient le lais-
ser croire ces propos.
De quoi parle-t-on ? En 2018, les
concours financiers de l’Etat aux
collectivités territoriales ont aug-
menté de 315 millions d’euros,
après six années de baisse conti-
nue. La part de dotation globale de
fonctionnement (DGF) attribuée
aux communes a, quant à elle, en-
registré une hausse de 80 millions
d’euros, sur un total de 11,8 mil-
liards d’euros. Cette DGF, cepen-
dant, se décompose en plusieurs
fractions : la dotation forfaitaire et
les dotations dites « de péréqua-
tion », dotation de solidarité ur-
baine (DSU) et dotation de solida-
rité rurale (DSR).
La dotation forfaitaire a baissé de
120 millions d’euros, sur un mon-
tant de 7,2 milliards d’euros. Cet
écrêtement a porté sur les com-
munes les plus riches, en fonction
de leur potentiel financier. Ce sont
effectivement de l’ordre de
22 000 communes qui ont ainsi vu
leur dotation forfaitaire baisser,
afin de financer la hausse des do-
tations de péréquation. Celles-ci
ont respectivement augmenté de
110 millions pour la DSU (+ 5,15 %)
et de 90 millions pour la DSR (+
6,2 %), soit une hausse totale de
baisse de la dotation forfaitaire
(–120 millions) et la hausse des do-
tations de péréquation (+ 200 mil-
lions), l’augmentation est bien de
80 millions. Au total, 53 % des
communes (près de 19 000) ont vu
leur dotation globale augmenter
et 47 % (moins de 17 000) ont subi
une baisse. Toutefois, ces baisses
– ou ces hausses – individuelles
prennent en compte plusieurs fac-
teurs : l’évolution démographique,
l’évolution des ressources et, donc,
du potentiel financier, celui-ci
pouvant aussi évoluer en fonction CONTRE
du rattachement à une intercom-
munalité.
L'EXCLUSIoN, NOUS
Incompréhension
La DGF n’est donc pas une dota-
tion figée, elle évolue chaque an-
Les POLlUTIoNs sOMmES
née. Cependant, les années précé-
et la spéculatIOn. UNE FORCe
dentes, la baisse générale camou-
en ACTIoN.
flait les baisses individuelles. Cette
année, alors qu’il y a une très lé-
gère hausse générale – une quasi-
stabilisation de fait –, les baisses
POUR UNE
individuelles nourrissent l’incom-
préhension. D’autant plus que
l’écrêtement de la dotation forfai-
ÉCONoMIE
taire, plafonné à 1 % des recettes de
fonctionnement des communes,
dépend aussi de leurs ressources.
plUs humaine.
Ainsi, dans une commune dont
la DGF ne représente que 8 % de
ses recettes de fonctionnement
(la moyenne nationale étant de
40 %), l’écrêtement représentera
12,5 % de sa DGF, mais seulement
1 % de son budget. C’est ainsi que
850 communes, au total, ont enre-
gistré cette année, tous facteurs
confondus, une baisse de plus de
25 % de leur DGF. Mais celle-ci
tient à des raisons multiples, que www.credit-cooperatif.coop
le propos politique prend rare-
ment le temps d’expliquer. p
patrick roger
10 | france
Le maire
qui aimait trop
le PMU
Jean-Marc Nicolle, édile du
Kremlin-Bicêtre, est mis en examen
pour de supposés pots-de-vin
C’
est peu de dire que
l’addiction au PMU
du maire passe mal.
Les appels à la dé-
mission de Jean-Marc Nicolle, ex-
membre du Mouvement républi-
cain et citoyen (MRC), édile du
Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) se
multiplient ces derniers jours.
L’opposition LR et MoDem, qui de-
mandait son départ, a été rejointe
ces derniers jours par les élus PS,
PCF-FdG, MRC et UDE de la ville.
Une trentaine d’habitants du
Kremlin-Bicêtre ont également
manifesté jeudi 12 avril à 18 h 30
devant l’hôtel de ville. Une réu-
nion du conseil municipal qui de-
vait se tenir à la même heure a été
annulée pour cause de malaise du
principal intéressé.
Il faut dire que Jean-Marc Ni-
colle, maire désormais sans éti-
quette, est soumis à une forte
pression, surtout depuis sa mise
en examen, le 30 mars. Il est soup-
çonné d’avoir dépensé près d’un
million d’euros entre 2010 et 2017,
au cours de quelque 45 000 paris,
notamment des tiercés, jouant
jusqu’à 3 000 euros certains jours.
Pour financer son addiction, il
aurait empoché des milliers
d’euros en attribuant frauduleu-
sement des marchés publics dans
sa ville. Une demi-douzaine d’en-
treprises franciliennes et provin-
ciales œuvrant dans les travaux
publics, la collecte des déchets et
l’entretien seraient impliquées.
Les éventuels pots-de-vin
auraient transité par l’intermé-
diaire d’une association œnologi-
que, baptisée Au Sergent du
Kremlin, qu’il a créée en 2001,
alors qu’il était premier adjoint, et
qu’il préside.
Après la loi immigration, la question des régularisations
Après deux mois de grève, 160 travailleurs sans papiers ont obtenu gain de cause, jeudi. Un exemple parmi d’autres
B akari, 39 ans, défroisse la
manche de son costume.
Un vêtement qu’il réserve
aux grandes occasions. Pour ce
rendez-vous matinal, jeudi matin
12 avril, au service des étrangers
de la préfecture de police de Paris,
il fallait ça. « Ce jour s’ajoutera aux
dates qui marquent ma vie : le dé-
part du pays, l’arrivée en France…
et là, mes premiers papiers », in-
siste le Malien, en attente de ce
moment depuis 2006. Douze ans.
Bakari fait partie d’un groupe
de trente-trois Africains venus re-
tirer leur « récépissé de demande
de carte de séjour ». Ce sésame va
enfin les extraire du groupe des
« sans-papiers » et leur offrir la
promesse « d’une vie enfin nor-
male », comme l’observe Omar,
presque à court de mots en con-
templant son morceau de papier
cartonné gris, échangeable dans
quatre mois contre une carte de
séjour d’une année.
Chaque fois qu’un membre du
groupe reçoit son récépissé, il l’ex-
hibe aux copains puis à Marilyne
Poulain, la responsable du collec-
tif Migrants de la CGT, qui les a ac-
compagnés dans l’organisation de
leur grève. Après plus de dix ans
en France pour certains, et autant
d’années de travail sous d’autres
identités, il leur a fallu cette mobi-
lisation pour que leur patron de-
mande leur régularisation.
L’affaire a démarré à la suite
d’un rapport de la chambre régio-
nale des comptes (CRC) d’Ile-de-
France, portant sur les exercices
2009-2015 de la ville, qui a noté
que « les règles de la commande
publique ne sont pas toujours res-
pectées ». Dans son rapport la
CRC-IDF fait remarquer qu’« un
examen, portant plus précisément
sur certains comptes, fait ressortir
plusieurs anomalies : des achats
hors marchés à un prestataire
pourtant déjà inclus pour le même
type d’achat dans un marché ».
« En parfaite harmonie »
En mai 2017, des perquisitions en
mairie et à son domicile ont per-
mis de récupérer des documents
qui, le 28 mars, entraînent son
placement en garde à vue – ainsi
que celui de sa secrétaire, suspec-
tée de l’avoir aidé dans ses éven-
tuels agissements frauduleux –,
dans les locaux du groupe écono-
mique et financier du SDPJ 94,
suivi d’une nuit de dépôt au tri-
bunal. Mis en examen, il est ac-
cusé de corruptions active et pas-
sive, de trafic d’influence, d’abus
de confiance, de blanchiment, de
faux et usage de faux, d’abus de
biens sociaux et de recel de biens
sociaux.
Comment M. Nicolle peut-il
avoir commis les faits pour les-
quels il est mis en examen alors
qu’il n’est maire que depuis deux
ans ? La réponse, selon Bastien
Faudot, porte-parole du MRC, tient
en deux mots : amitié et confiance
de la part de Jean-Luc Laurent, l’ex-
maire, actuel président du MRC, à
l’origine de la carrière politique de
son successeur. Jean-Marc Nicolle
qui l’a rejoint au PS dès 1987, l’a
« Autour de 10 %
des 300 000
sans-papiers »
vivant en France
pourraient être
régularisés,
suggère un élu
de la majorité
« Le 12 février, 160 travailleurs
sans papiers de six entreprises
d’Ile-de-France ont entamé ce
mouvement pour obtenir une ré-
gularisation que leur patron refu-
sait, rappelle la syndicaliste. Tous
ont obtenu un titre de séjour que
les ouvriers de Défi Technology
sont les 33 derniers à retirer. »
Si ces trente-trois-là travaillent
dans le bâtiment, les autres gré-
vistes sont dans la collecte de dé-
chets chez Sepur et STLG, la logis-
tique pour GLS à Roissy, la restau-
ration chez le traiteur Event-
Thaï, ou le courrier dans une
agence Chronopost de l’Essonne.
Des secteurs gourmands en
main-d’œuvre étrangère.
Ce mouvement, qui aura duré
un mois et demi, a bénéficié du
portage politique de la CGT puis-
que Philippe Martinez, son secré-
taire général, les a soutenus et a
suivi ensuite lorsqu’il a créé le
MRC avec Jean-Pierre Chevène-
ment. Ensemble, ils ont conquis la
ville contre la droite en 1995.
M. Nicolle s’était alors vu confier le
poste de premier adjoint, chargé
des finances. M. Laurent, qui refu-
sait de siéger à la commission d’ap-
pels d’offres, lui avait également
confié cette mission.
Quand le maire est élu député
en 2012 – il sera un des plus assi-
dus à l’Assemblée nationale –, il
laisse de plus en plus de marge de
manœuvre à son ami. « Il y avait
une grande complémentarité, ils
travaillaient en parfaite harmonie.
Jean-Luc ne vérifiait jamais ce que
faisait Jean-Marc », insiste M. Fau-
dot. Pas étonnant donc que le
16 janvier 2016, M. Laurent passe le
relais à celui qui le remplaçait si
bien, du moins le croyait-il.
L’avocat de M. Nicolle,
Me Mayer, reconnaît que son
client « a été victime » de son ad-
diction aux paris, même s’il s’en
serait libéré il y a deux ans. Mais il
appelé en même temps le gouver-
nement à retirer un article de son
projet de loi asile et immigration.
Partie intégrante de la loi Col-
lomb qui sera discutée à compter
de lundi 16 avril dans l’hémicycle
de l’Assemblée nationale, celui-ci
rend passible de cinq ans d’empri-
sonnement et de 75 000 euros
d’amende le fait d’utiliser les pa-
piers d’identité d’un tiers pour
travailler. Un risque qu’encour-
raient désormais Bakari et les 159
autres salariés, pourtant embau-
chés depuis des années sur des
postes de démolisseur, manuten-
tionnaire, éboueur, trieur de dé-
chets sur lesquels les travailleurs
français ne se précipitent pas.
« Nous aurons ce débat »
Conscients de cette situation et
alors que la loi Collomb risque de
fabriquer de nouveaux sans-pa-
piers en compliquant l’accès à
l’asile, selon les spécialistes du sec-
teur, quelques députés La Républi-
que en marche (LRM) avaient déjà
évoqué le terme encore tabou de
régularisation lors d’une réunion
publique du comité LRM du 11e ar-
rondissement de Paris, le 5 mars.
Devant une centaine de per-
sonnes, Pacôme Rupin, Pierre
Person et Aurélien Taché se sont
même laissés aller à esquisser un
horizon. « On s’intéressera sûre-
ment à la question de ces person-
réfute les sommes annoncées. Il
affirme qu’il s’agit d’un dossier « à
caractère purement privé » qui
« n’engage en aucun cas la gestion
publique et municipale de la collec-
tivité (…). Les procédures d’attribu-
tion des marchés ont toujours été
strictement respectées et n’ont ja-
mais fait l’objet de contestation ou
du moindre soupçon de fraude ».
Sortant de son silence, le maire re-
prend ces arguments dans une
lettre distribuée le 12 avril aux
Kremlinois. Il y écrit notamment
que « des contributions sous forme
de mécénat ont permis à ces entre-
prises de valoriser leur image (…).
Aucun élément n’a permis de faire
un lien entre les dons de ces entre-
prises et les marchés qui ont pu
leur être attribués ».
Mais la ville ne serait pas la seule
victime potentielle de cette af-
faire. Une perquisition dans les lo-
caux de la Formation républicaine
des élus (FRE), association satellite
du MRC, fin octobre 2017, dans le
cadre de l’enquête préliminaire
nes en France sans titre de sé-
jour », avait commencé Pierre
Person. « Il y a 300 000 personnes
sans droit, qui sont depuis des an-
nées en France et qui ne peuvent
pas travailler, qui travaillent au
noir, pour lesquelles on doit trou-
ver une solution. Si on veut inté-
grer, il y a des personnes qu’on ne
peut pas laisser dans ces situa-
tions », avait-il poursuivi, chaleu-
reusement applaudi par la salle.
Pacôme Rupin, vice-président
du groupe LRM à l’Assemblée,
avait alors embrayé, estimant
qu’« il y a une hypocrisie en France
au sujet des personnes sans pa-
piers qui travaillent sur notre terri-
toire, qui participent à notre éco-
nomie. Les retards sur les chantiers
du bâtiment seraient encore plus
importants sans ces personnes.
Ces débats actuels [sur la loi asile-
immigration] doivent nous don-
ner l’occasion de débattre de la ré-
gularisation par le travail ».
Gérard Collomb, qui aurait sans
doute préféré éluder le sujet, a été
contraint de s’exprimer sur ce
point, en commission des lois, le
4 avril. « Lorsque nous aurons exa-
miné l’ensemble des articles de
cette loi, nous pourrons débattre
de ce qu’il convient de faire au sujet
des personnes qui se trouvent sans
statut. Nous aurons ce débat, a-t-il
promis, mais ce n’est pas
aujourd’hui qu’il faut l’avoir. »
sur le maire, a déclenché une en-
quête interne au parti. Elle a mis
au jour la facturation, par M. Ni-
colle, de douze rapports d’environ
vingt pages chacun, pour
60 000 euros, entre 2013 et 2015.
Ce type de prestation a toujours
été bénévole, c’est une première.
L’enquête a aussi permis de cons-
tater que « 90 % de leur contenu
étaient intégralement plagiés. Le
contrat n’a donc pas été honoré et
les sommes ont été indûment ver-
sées », constate Bastien Faudot. « A
ces rémunérations (…) s’ajoute la
découverte de notes de frais de res-
tauration payées par Jean-Marc Ni-
colle avec le compte bancaire de la
fédération MRC du Val-de-Marne
pour un montant de 4 500 euros
sans qu’aucune justification n’ait
été fournie », ajoute M. Laurent.
Après avoir demandé des expli-
cations à plusieurs reprises sans
résultat, le MRC a convoqué M. Ni-
colle, par mail le 5 février. Ce der-
nier a démissionné le même jour
du parti, suivi par une large majo-
De leur côté, certains députés en
sont déjà au nombre de régulari-
sations possibles. « Autour de 10 %
des 300 000 sans-papiers » vivant
en France, suggère, en off, un élu
de la majorité, qui ajoute toute-
fois une nuance de taille dans une
question qui sous-tend la ré-
ponse : « Est-ce qu’on est obligés de
communiquer là-dessus ?, interro-
ge-t-il. Je ne sais pas, le risque, c’est
que l’on brouille le message, alors
que jusque-là on a réussi à mon-
trer que l’on tient un cap. »
Reste que la circulaire publiée le
12 décembre 2017 par le ministre
de l’intérieur qui demande aux
préfets de faire vérifier la situation
administrative des personnes qui
sont accueillies dans l’héberge-
ment d’urgence permet aussi de
régulariser à bas bruit des sans-pa-
piers. Dénoncée par les associa-
tions comme un moyen de faire
fuir des hébergements d’urgence
les plus fragiles, elle peut aussi
être utilisée pour permettre aux
préfets de régulariser en catimini
– en analysant toutes les situa-
tions, elle permet aussi bien d’ex-
pulser que d’octroyer des titres de
séjour. Cela sans qu’il faille un
autre cadrage du ministère de l’in-
térieur. Un levier pour tenir le cap
de la communication en instillant
une dose de pragmatisme. p
maryline baumard
et manon rescan
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
rité des élus du groupe MRC-PRG
ce qui a eu pour conséquence de
faire perdre au Mouvement répu-
blicain et citoyen la seule ville
qu’il gérait en Ile-de-France. Pour
Jean-François Banbuck, fidèle du
maire, ces démissions sont no-
tamment « le résultat d’une ré-
flexion de plusieurs mois qui nous
a permis de constater que le MRC,
aujourd’hui dans une impasse, n’a
plus d’avenir politique ».
Cette explication ne passe pas au
parti pour qui la démission de
M. Nicolle ne s’explique que par sa
« volonté à fuir ses responsabili-
tés. » La FRE et le MRC devraient
porter plainte prochainement.
« On fait état de faits qui ont eu lieu
entre 2013 et 2015. On avait tout loi-
sir de porter plainte et on le fait seu-
lement maintenant. Le timing
m’interpelle », rétorque Me Mayer.
Le laxisme dont ont fait preuve les
anciens amis de M. Nicolle – et fu-
turs plaignants – sera un des élé-
ments-clés de la défense. p
francis gouge
J UST I C E
Le plan de
remboursement
de la dette de Tapie
invalidé
La cour d’appel de Paris a
invalidé, jeudi 12 avril, le plan
de remboursement proposé
par Bernard Tapie pour
régler en six ans sa dette de
près de 300 millions d’euros
dans l’affaire du Crédit lyon-
nais. « Le plan ne prévoyant
aucune cession d’actif (…),
aucune rentrée de fonds
ne viendra à ce titre fournir
des liquidités pour exécuter
le plan », écrivent les juges
ajoutant que « la probabilité
d’exécution du plan n’appa-
raît pas sérieuse ». Les juges
n’ont, toutefois, pas exigé
la liquidation judiciaire
des sociétés de Bernard
Tapie. – (AFP.)
Coup de pouce
de la France à la Cour
européenne des droits
de l’homme
La France a officiellement
ratifié, jeudi 12 avril, le proto-
cole no 16 à la Convention
européenne des droits
de l’homme qui permet aux
hautes juridictions (Conseil
constitutionnel, Cour de cas-
sation et Conseil d’Etat) de
demander des avis à la Cour
européenne des droits de
l’homme. La France étant
le dixième Etat à ratifier
ce texte de 2013 renforçant
le « dialogue des juges »,
cela déclenche son entrée
en vigueur le 1er août.

0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
Tarnac ou la fin d’une « fiction »
Julien Coupat et Yildune Lévy ont été relaxés. Leur procès a été celui de l’antiterrorisme
C
hristophe Becker a été
condamné, jeudi 12 avril,
à quatre mois de prison
avec sursis et 500 euros
d’amende pour « recels de vols »
(de cartes d’identité), « tentative
de falsification d’un document ad-
ministratif » et « refus de se sou-
mettre à un prélèvement biologi-
que ». Voilà tout ce qui reste, dix
ans après son déclenchement, de
l’« affaire de Tarnac » : une peine
insignifiante infligée à un person-
nage secondaire pour des délits
mineurs.
Julien Coupat et Yildune Lévy,
eux, ont été relaxés, tant pour les
faits d’« association de malfai-
teurs » que de « dégradations en
réunion » qui leur étaient repro-
chés – le sabotage d’une ligne de
TGV à Dhuisy (Seine-et-Marne),
dans la nuit du 7 au 8 novem-
bre 2008. Ils ont été reconnus cou-
pables de « refus de se soumettre à
un prélèvement biologique »,
mais dispensés de peine. Les cinq
autres prévenus, qui comparais-
saient pour ce même délit ou pour
« association de malfaiteurs », ont
été relaxés également. Il y a dix
ans, tous avaient été mis en exa-
« Dix années
de procédure
ont été balayées
en trois semaines
d’audience »
MARIE DOSÉ
avocate de Yildune Lévy
men pour « association de malfai-
teurs en vue de préparer des actes
de terrorisme », et le procureur de
Paris, Jean-Claude Marin, les avait
rangés dans « une structure appe-
lée “cellule invisible” qui avait pour
objet la lutte armée ». Dans le juge-
ment longuement motivé qu’elle
a rendu jeudi, Corinne Goetz-
mann, présidente de la 14e cham-
bre du tribunal correctionnel de
Paris, a achevé de dégonfler l’af-
faire : « L’audience a permis de
comprendre que le “groupe de Tar-
nac” était une fiction. »
« Le château de cartes politique et
policier vient de s’écrouler, dix an-
nées de procédure ont été balayées
en trois semaines d’audience », a
réagi Me Marie Dosé, l’avocate de
Yildune Lévy. Pour les mois – res-
pectivement six et deux – passés
pour rien en détention provisoire,
Julien Coupat et Yildune Lévy sont
en droit de réclamer un dédom-
magement. Le parquet peut, lui,
faire appel et obtenir la tenue d’un
nouveau procès. « S’il veut conti-
nuer à être roué de coups, libre à
lui », a persiflé Me Jérémie Assous,
l’avocat de Julien Coupat.
La perspective est peu probable.
Car, si Corinne Goetzmann a fait
comprendre, non sans ironie, que
l’explication fournie par les préve-
nus quant à leur présence dans la
zone du sabotage – une escapade
romantique – ne l’avait guère con-
vaincue, elle ne l’a pas plus été par
le scénario présenté par le procu-
reur : « Si la conception qu’ont Ju-
lien Coupat et Yildune Lévy d’un
week-end en amoureux, consistant
à passer près de quinze heures dans
un véhicule à sillonner des routes
départementales et à dormir dans
ce même véhicule en bordure d’une
zone industrielle pendant une nuit
de novembre, peut laisser dubitatif,
la recherche des explications [de
leur trajet cette nuit-là] relève d’un
travail d’interprétation, nécessite
de formuler des hypothèses qui ne
seraient pas des preuves suscepti-
bles d’emporter la conviction du
tribunal. » Les fondations de l’ac-
cusation n’étaient pas assez soli-
des. Elles étaient même viciées, a
estimé la présidente.
Errances des policiers
« Ce que vous allez devoir juger, ce
ne sont pas que des faits, ce sont
aussi des méthodes », avait af-
firmé Me Assous fin mars à l’en-
tame de sa plaidoirie, qui s’ache-
vait ainsi : « La question à laquelle
vous devrez répondre est la sui-
vante : est-ce que vous validez ces
méthodes ? En refusant de les sanc-
tionner, vous les encouragerez. »
Le procès de Tarnac a bel et bien
été celui de l’antiterrorisme, et le
jugement rendu par Corinne
Goetzmann sonne presque
moins comme la relaxe des préve-
nus que comme la condamnation
des méthodes du juge d’instruc-
tion et des policiers, dont la prési-
dente a souligné les errances,
voire la « déloyauté » sur un point
précis : le témoignage anonyme
du témoin « T42 » très à charge
contre Julien Coupat, que ce
même témoin dédouanait dans
un second témoignage recueilli,
celui-là, sous sa véritable identité.
Crédibilité nulle, selon le tribunal.
Julien Coupat
a passé le procès
à ensevelir
sous son mépris
une institution
judiciaire qui
vient pourtant
de le sauver
Crédibilité à peine moins nulle
pour l’autre pièce majeure de l’ac-
cusation, le fameux « PV 104 ».
Achevant la fructueuse entreprise
de démolition entamée par Me As-
sous il y a près de dix ans et pour-
suivie tout au long du procès, Co-
rinne Goetzmann a dit tout le mal
qu’elle pensait de ce procès-verbal
de filature censé démontrer la
présence du couple Coupat-Lévy à
proximité du lieu du sabotage la
nuit des faits. Elle en a pointé les
« erreurs, insuffisances et impréci-
sions » qui « ne peuvent qu’amoin-
drir sa force probante ».
Selon la magistrate, ce PV souli-
gne surtout « ce que les enquê-
teurs n’ont ni vu, ni observé, ni
constaté » en dix-neuf heures de
filature, à savoir « l’achat des tubes
[ayant servi à hisser un crochet
sur la ligne de TGV sabotée], la
présence des tubes dans le véhicule
[du couple Coupat-Lévy], la pose
du crochet sur la caténaire, le jet
des tubes dans la Marne. Ainsi, ce
PV ne démontre pas que Julien
Coupat et Yildune Lévy seraient les
auteurs des dégradations ».
« C’est une humiliation pour les
services de l’antiterrorisme de
l’époque », peut triompher Me As-
sous. Dans son jugement, estime-
t-il, Corinne Goetzmann « a rap-
pelé que le droit français était régi
par un certain nombre de principes
que vous ne pouvez pas bafouer,
même si vous êtes un agent de la
sous-direction antiterroriste ». Le
message de la magistrate est clair :
si un juge ne peut pas avoir con-
fiance en les méthodes des juges
instructeurs ou des enquêteurs, il
ne peut pas condamner.
A l’annonce de sa relaxe,
Yildune Lévy a fermé les yeux et
soupiré de soulagement. Julien
Coupat, lui, n’avait pas souhaité
gratifier le tribunal de sa pré-
sence, pas plus que son compère
Mathieu Burnel. « C’est à l’image
de leur comportement tout le reste
de l’audience », a marmonné
Corinne Goetzmann en consta-
tant leur absence.
Cet ultime coup d’éclat vient ac-
centuer le paradoxe que constitue
l’épilogue de cette affaire : Julien
Coupat a passé tout le procès à en-
sevelir sous son mépris une insti-
tution judiciaire qui vient pour-
tant de le sauver. Trois semaines
d’audience quand une seule aurait
suffi, une écoute totale en dépit de
leurs provocations : admirable-
ment incarnée par Corinne Goetz-
mann, la justice a offert aux préve-
nus du procès de Tarnac ce qu’elle
fait de mieux. Au bout de dix ans
d’une procédure ayant bouleversé
leurs existences, on peut estimer
qu’elle le leur devait. p
henri seckel
france | 11
U N I VERS I T É
La Sorbonne évacuée
par la police
Les forces de l’ordre sont in-
tervenues, jeudi soir 12 avril,
dans l’université de la Sor-
bonne à Paris, afin de procé-
der à l’évacuation d’environ
200 étudiants. Ces derniers
avaient voté quelques heures
auparavant l’occupation du
bâtiment afin de protester
contre l’interdiction faite à
leurs camarades venus
d’autres universités franci-
liennes, d’assister à une as-
semblée générale interuni-
versités. Cette intervention,
dans ce lieu symbolique de la
contestation estudiantine,
s’est déroulée dans le calme.
Une partie des étudiants éva-
cués a alors convergé vers le
campus de Tolbiac, occupé
depuis trois semaines, où un
important dispositif policier
avait été déployé ; ils crai-
gnaient une seconde inter-
vention qui n’a pas eu lieu.
S AN T É
Mayotte et Guyane :
Voynet missionnée sur
la question des hôpitaux
extraterritoriaux
L’ex-ministre écologiste
Dominique Voynet, inspec-
trice générale des affaires so-
ciales, a été missionnée par
Matignon pour réfléchir à la
« coopération sanitaire » en
Guyane et à Mayotte, et à la
possibilité de statut extrater-
ritorial pour les hôpitaux de
ces territoires. Cette mission
copilotée avec le préfet
Marcel Renouf a pour but de
« redéfinir la coopération sani-
taire dans un contexte de
forte pression migratoire »
avec les Comores pour
Mayotte et les pays fronta-
liers de la Guyane. – (AFP.)
12 | france
Marié, l’ex-prêtre David Gréa veut prêcher à nouveau
Dans un livre à paraître le 18 avril, l’ancien homme d’Eglise plaide pour la fin du célibat obligatoire
U
ne alliance d’or jaune
brille à sa main gau-
che. David Gréa, prê-
tre lyonnais pendant
dix-sept ans, curé non confor-
miste de la paroisse Sainte-Blan-
dine-Lyon-Centre jusqu’à ce qu’il
choisisse, en 2017, la vie de couple,
fêtera dimanche 15 avril sa pre-
mière année de mariage avec
Magalie. Depuis un an, témoigne-
t-il, il vit « une grande joie » dont
fait partie leur bébé de six mois,
Léon, sa varicelle et ses dents qui
poussent. A 48 ans, ce fils d’une
famille ancrée dans le catholi-
cisme social lyonnais est aussi en
pleine reconversion – profession-
nelle s’entend. Pour un prêtre en
rupture de ban, cela n’a rien
d’aisé : « On perd tout : son statut,
sa sécurité, son réseau. » Il a opté
pour une formation de coach :
« D’une certaine manière, je conti-
nue ce que j’ai appris à faire. »
Bien d’autres prêtres avant lui se
sont mariés et ont quitté les or-
dres. Ce qui distingue son his-
toire, c’est qu’il aurait ardemment
voulu rester prêtre, bien que ma-
rié. Le 18 avril, il publiera un livre
(Une vie nouvelle : prêtre, marié,
heureux, Les Arènes, 300 p.,
18 euros) qui plaide pour la fin du
célibat obligatoire des prêtres. Il
refuse cependant d’être vu
comme un militant. « La mili-
tance, explique-t-il, ce serait me
mettre frontalement face à
l’Eglise, alors que moi, je me sens
de l’Eglise. Je pense que les choses
LE CONTEXTE
LE CÉLIBAT FAIT DÉBAT
Longtemps, l’Eglise catholique a
ordonné des hommes mariés. A
partir de la réforme grégorienne,
au XIe siècle, elle a peu à peu im-
posé à ses prêtres le célibat, ini-
tialement propre aux moines. Il
s’agit d’une règle de discipline et
non d’un dogme. En revanche,
l’Eglise catholique n’a jamais
autorisé le mariage de prêtres
célibataires. Pour pallier le man-
que de prêtres dans certaines ré-
gions, le pape François réfléchit à
autoriser l’ordination d’hommes
mariés, ce que l’Eglise appelle les
viri probati, littéralement des
hommes qui ont « fait leurs preu-
ves ». Dans l’Eglise, cette ré-
flexion fait grincer des dents.
Benoît XVI, pourtant réputé plus
« conservateur » que son succes-
seur, avait demandé à ses cardi-
naux s’il n’était pas temps de re-
poser la question du célibat des
prêtres. Mais les prélats lui
avaient recommandé de laisser
dormir cette question sensible.
Policière agressée à Champigny : onze personnes mis en examen
Une vidéo, prise au moment des faits et diffusée sur Internet, a permis d’identifier les suspects
O nze personnes âgées de
16 à 20 ans ont été mises
en examen, jeudi 12 avril,
dans le cadre de l’enquête sur le
passage à tabac d’une policière le
soir du Nouvel An, à Champigny-
sur-Marne (Val-de-Marne), en
marge d’une soirée privée qui
avait dégénéré. Une vidéo prise
au moment des faits avait été dif-
fusée sur Internet, choquant jus-
qu’au sommet de l’Etat. Sur les
images, on voyait une jeune gar-
dienne de la paix roulée en
boule, à terre, qui se faisait rouer
de coups par plusieurs hommes
qui l’encerclaient.
Dès le lendemain, le président de
la République, Emmanuel Ma-
cron, avait dénoncé un « lynchage
lâche et criminel » et avait promis
doivent évoluer, je le sens dans
mes tripes, dans mon histoire,
mais j’aime et j’honore cette Eglise.
Je prends tout ! Ce qui me plaît et ce
qui me plaît moins. »
Pour plaider sa cause, et par l’en-
tremise du cardinal Barbarin, ar-
chevêque de Lyon, David Gréa a
rencontré deux fois le pape Fran-
çois, en janvier 2017, après sa déci-
sion de se marier. La seconde fois,
sa femme, protestante, l’accompa-
gnait. Le pontife argentin, qui ré-
fléchit de son côté à la possibilité
d’ordonner des hommes mariés,
les a écoutés. Il a écarté d’éventuel-
les solutions bricolées, comme de
les placer sous la tutelle d’une
Eglise orientale, qui admet les prê-
tres mariés, et leur a dit que, plus
qu’une solution au cas d’espèce, il
fallait « chercher le chemin qui
mène à la solution ». En attendant,
il leur a recommandé de « demeu-
rer dans la patience de Dieu ». « Son
écoute incroyable m’a laissé penser
qu’il ne fait pas rien de mon témoi-
gnage », sourit aujourd’hui David
Gréa. « Si [Dieu] veut agir par moi,
que Sa volonté soit faite », avait-il
écrit à sa future femme.
Pop louange
Depuis son départ de Lyon, l’an-
cien prêtre avait évité les médias.
Le 19 février 2017, ses paroissiens
avaient appris son choix de vie par
une lettre lue à la messe par le vi-
caire général du diocèse. Le cardi-
nal Barbarin, à qui il s’était ouvert
de son intention de se marier, lui
avait demandé de prendre quel-
ques mois de réflexion – de discer-
nement, disent les catholiques –,
loin des journées si remplies de la
vie de prêtre. Il lui avait aussi inter-
dit de célébrer la messe doréna-
vant. David Gréa s’était marié dans
la foulée, jugeant avoir suffisam-
ment mûri sa décision avec Maga-
lie, rencontrée un an plus tôt. De-
puis, il a été déchu de son minis-
tère. Il n’est plus le père David et il
ne peut plus dire la messe. C’est ce
que l’Eglise appelle, d’une expres-
sion fleurant le cléricalisme, une
« réduction à l’état laïque ».
L’annonce du choix du père Da-
vid avait fait d’autant plus de
bruit qu’à Lyon il prenait la lu-
mière. Avec une équipe de laïcs, il
avait révolutionné la vie des pa-
roisses dont il a eu la charge, dans
le centre bourgeois d’abord, puis
à Sainte-Blandine, située dans le
quartier en mutation de Con-
fluence, à partir de 2011. A son ar-
rivée, il éprouve la course effré-
née d’obligations qu’affrontent
des prêtres de moins en moins
nombreux, mais dont les parois-
siens semblent tout attendre.
« J’enrage d’aller de réunion en réu-
nion et d’avoir l’impression que les
gens à la fois attendent beaucoup,
et se contentent de peu », raconte-
que les coupables seraient « retrou-
vés et punis ». Le premier ministre,
Edouard Philippe, avait de son
côté prôné « une grande sévérité ju-
diciaire et pénale » pour les auteurs
de cette agression filmée.
Au terme d’une enquête de plus
de trois mois menée par la sûreté
départementale du Val-de-Marne,
avec l’appui de l’Office central de
lutte contre la cybercriminalité,
six hommes – trois majeurs et
trois mineurs – sont poursuivis
pour « violence en réunion sur
personne dépositaire de l’autorité
publique ». Deux d’entre eux sont
aussi mis en cause pour « vol en
réunion » : le premier est soup-
çonné d’avoir dérobé la grenade de
désencerclement de la policière, le
second, sa paire de menottes.
David Gréa, son fils et sa femme, le 10 avril, à Paris. MARTYNA PAWLAK POUR « LE MONDE »
t-il. Comment rendre audible le
message chrétien au-delà des as-
semblées maigres et vieillissan-
tes des fidèles de toujours ?
L’épuisement guette.
Une rencontre va provoquer un
déclic, celle de Benjamin Pouzin,
fondateur, avec ses deux frères,
du groupe Glorious, qui compose
et chante des chansons à la gloire
de Dieu dans un style contempo-
rain, ce que l’on appelle de la pop
louange. Le musicien lui fait con-
naître les célébrations de l’Eglise
évangélique australienne Hill-
song, qui draine des foules à des
célébrations ferventes et musica-
les, avec une dimension festive et
spectaculaire marquée. Pour Da-
vid Gréa, pourtant « très monasti-
que dans [son] approche » de la li-
Deux autres majeurs et un mi-
neur ont été mis en examen pour
« non-assistance à personne en
danger », un dixième homme
pour « enregistrement d’images
de violence » et une femme pour
leur diffusion. Trois autres per-
sonnes, également placées en
garde à vue, ont été relâchées. Lors
d’une conférence de presse au tri-
bunal, la procureure Laure Bec-
cuau a par ailleurs précisé que l’en-
quête n’était « pas achevée » et que
« l’intégralité des mis en cause »
n’avaient pas été interpellés.
Les agresseurs présumés ont pu
être identifiés grâce au travail ef-
fectué à partir des vidéos postées
sur les réseaux sociaux. Leurs visa-
ges ont été isolés un à un et leurs
vêtements identifiés avant d’être
turgie, c’est une révélation. « Le
contraste avec nos assemblées aux
chants mous, aux liturgies répéti-
tives et aux visages sans joie et
vieillissants était saisissant »,
écrit-il dans son livre. Il en tire la
conviction que, pour annoncer
l’Evangile, il faut parler le langage
d’aujourd’hui. Les cultes des
évangéliques le laissent spirituel-
lement un peu « sec », mais il leur
reconnaît une force : « Ils parlent
le langage de ce temps aux gens de
ce temps. Pour des gens qui décou-
vrent la foi aujourd’hui, c’est exac-
tement ce qu’il faut. »
Avec le groupe et une poignée
de laïcs énergiques, il décide de ré-
volutionner cette placide com-
munauté qui ronronnait un peu,
avec ses « 100-150 paroissiens, as-
repérés sur les caméras de sur-
veillance de la ville. L’examen de
leur téléphonie a permis de confir-
mer leur présence.
Profils « inhabituels »
Certains vêtements portés au mo-
ment des faits ont été découverts
lors des perquisitions. Une gre-
nade de désencerclement a égale-
ment été retrouvée au domicile de
l’un d’eux, « probablement celle qui
a été dérobée lors de l’agression »,
selon le parquet de Créteil. Pen-
dant les gardes à vue, un suspect a
reconnu les violences commises
sur la policière de 25 ans. Deux
autres ont admis avoir frappé la
jeune femme, mais sans réaliser
qu’il s’agissait d’une fonctionnaire
de police, ont-ils argumenté.
sez âgés, certains super-investis ».
Peu de jeunes, encore moins de
nouveaux venus, de maigres as-
sistances aux offices de cette pa-
roisse d’un quartier en plein
bouleversement urbain. La pop
louange est placée au cœur des
célébrations. « On change la déco,
le son, le langage », résume-t-il.
Certains des anciens tentent
bien de « faire barrage », mais « on
n’arrête pas le vent de Dieu », dit-il
en souriant. Des messes de se-
maine, des soirées de louange
pensées pour les jeunes renouvel-
lent le public. Les gens affluent. A
la dernière messe de Noël qu’il a
célébrée, fin 2016, 2 700 person-
nes se pressaient dans la pati-
noire Lyon-Charlemagne, tandis
que 1 500 autres n’avaient pu en-
L’homme et la femme qui ont
enregistré et diffusé les images
ont reconnu les faits. Tout comme
les trois prévenus suspectés de
non-assistance à personne en dan-
ger. « Ils ont justifié leur inaction
par la peur de se faire frapper s’ils
intervenaient, explique le parquet
le Créteil. Deux jeunes femmes ont
pourtant aidé la policière. »
Les profils des suspects sont ju-
gés « plutôt inhabituels ». L’un des
auteurs de violences est un sportif
de haut niveau, un volleyeur élève
à l’école du Centre de ressources,
d’expertise et de performance
sportives à Châtenay-Malabry
(Hauts-de-Seine). « Tous sauf trois
sont inconnus des services de police
et de la justice », précise le parquet.
Un majeur et un mineur sont sous
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
« Je pense que
les choses
doivent évoluer,
je le sens dans
mes tripes, mais
j’aime et j’honore
cette Eglise »
DAVID GRÉA
ex-prêtre, aujourd’hui marié
trer, faute de place. Ce tourbillon
ne dissipe cependant pas le senti-
ment de solitude qui s’empare de
lui le soir. « J’étais heureux le jour
dans mon ministère et triste le soir
dans la solitude », écrira-t-il au
pape François. Il n’a jamais aimé
vivre seul. En outre, la tentation
d’une vie de couple le taraude,
notamment depuis une relation
amoureuse, en 2011.
Quatre ans de psychanalyse
« Lorsque l’on est au séminaire, ex-
plique David Gréa, on y vit le céli-
bat dans un temps propice à bien
le vivre. Ce qu’on veut avant tout,
c’est être prêtre. Le célibat, c’est
une question qui ne vient qu’en se-
cond. Et puis l’Eglise nous promet
qu’on aura un don pour nous
aider. » Des formateurs leur par-
lent de la difficulté à le vivre et
évoquent les divers moyens pour
l’affronter. « Si vous vivez mal le
célibat, il vaut mieux prendre
femme que bouteille, car avec une
femme vous avez un vis-à-vis, pas
avec la bouteille », leur dit même
l’un d’eux. Quatre ans de psycha-
nalyse l’aident progressivement à
y voir clair. La rencontre avec Ma-
galie fait le reste.
Depuis un an, il a suivi sa femme
en région parisienne. Il a décou-
vert la vie de couple. « Ce que je
vois, c’est que la vie de mari et de
père illumine l’Evangile. Je me dis
que, si je pouvais prêcher, j’aurais
plein de choses nouvelles à dire. Et
j’espère pouvoir le faire un jour. » Il
fréquente une église « comme un
paroissien lambda » et il a monté
une veillée de prière œcuméni-
que à la demande d’un ami pas-
teur. Le ministère lui manque-
t-il ? « J’ai célébré chaque messe de
ma vie avec bonheur, témoigne-
t-il. Je ne l’ai jamais fait par auto-
matisme, même lorsque j’en célé-
brais trois ou quatre dans le week-
end. J’étais avec une communauté
et mon ministère prenait sens dans
cette communauté. Et, du moment
que je ne suis plus dans cette com-
munauté, la raison d’être de célé-
brer, quelque part, disparaît. » Ce
qui ne veut pas dire définitive-
ment. D’ailleurs, le livre est signé
« Père David Gréa ». p
cécile chambraud
contrôle judiciaire : le premier
pour « vol avec arme », le second
pour « violence sur personne dépo-
sitaire de l’autorité publique ». Un
second majeur a déjà été con-
damné en 2014 pour des faits d’at-
teinte aux personnes. Originaires
du Val-de-Marne, du Val-d’Oise, de
Seine-et-Marne, de Seine-Saint-
Denis, des Hauts-de-Seine et de
l’Eure, aucune des onze personnes
interpellées ne connaissait les
autres avant cette soirée.
Le coéquipier de la policière, un
capitaine de 48 ans, avait lui aussi
été frappé au cours de cette inter-
vention. Son agression n’a pas été
filmée et l’enquête n’a pour l’ins-
tant pas permis de retrouver ses
agresseurs. p
louise couvelaire
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
Les grands
travaux du PSG
Le club, qui pourrait être sacré
champion de France dimanche,
s’est trouvé un nouvel entraîneur
L’
émir du Qatar, Tamin
Ben Hamad Al-Thani, a
tranché : l’Allemand
Thomas Tuchel, 44 ans,
va succéder sur le banc du Paris-
Saint-Germain à l’Espagnol Unai
Emery, dont le contrat expire le
30 juin. Le souverain et proprié-
taire du club de la capitale s’est
donc empressé de reprendre la
main après l’élimination du PSG
par le Real Madrid en huitièmes
de finale de Ligue des champions.
Cet énième fiasco sur la scène
européenne l’a ainsi poussé à lan-
cer une phase de grands travaux.
Cette « réorganisation » a été lo-
giquement lancée par le recrute-
ment d’un nouvel entraîneur,
censé enfin perforer le plafond de
verre qui circonscrit les visées
continentales de l’équipe depuis
son rachat, en 2011, par le fonds
Qatar Sports Investments (QSI).
Alors que le PSG pourrait rem-
porter le septième titre de cham-
pion de France de son histoire au
terme de son duel face à son dau-
phin monégasque, dimanche
15 avril, l’arrivée de Thomas Tu-
chel à Paris devrait être officiali-
sée en fin de saison. D’autant que
le PSG vise un quadruplé sur la
scène nationale et tentera, le
18 avril, sur la pelouse de Caen, de
se qualifier pour la finale de la
Coupe de France.
L’enrôlement par QSI de l’ex-
coach de Mayence (2009-2014) et
du Borussia Dortmund (2015-
2017) interpelle. Selon L’Equipe, le
nom de Thomas Tuchel aurait été
glissé à l’oreille du frère cadet de
l’émir par le consul du Qatar en
Allemagne. Avec son CV mo-
deste, son maigre palmarès (un
titre en Coupe d’Allemagne,
en 2017) et son profil d’ancien
joueur de deuxième division al-
La folle soirée européenne de l’Olympique de Marseille
Vainqueur du RB Leipzig (5-2) et poussé par plus de 61 000 supporteurs, l’OM s’est qualifié pour les demi-finales de la Ligue Europa
marseille - envoyé spécial
L’ effet de douche froide
n’aura duré que quelques
minutes, de rares instants
de léthargie au cours d’une folle
soirée marseillaise, qui a finale-
ment vu l’OM décrocher brillam-
ment sa qualification pour les de-
mi-finales de la Ligue Europa,
jeudi 12 avril au Stade-Vélodrome.
Le temps d’abord d’égaliser sous
la pluie, après une entame de
match catastrophique, ponctuée
par l’ouverture du score du RB
Leipzig dès la deuxième minute
de jeu. Avant d’inscrire en
deuxième période, après la réduc-
tion du score des Allemands, un
quatrième but, celui d’une quali-
fication acquise sur le score
fleuve de 5 à 2.
Une première période mémora-
ble, assortie de trois buts, avait
permis à l’Olympique de Marseille
de renverser le score défavorable
du match aller (1-0). Les joueurs
olympiens n’auront pas laissé
longtemps leurs supporteurs
dans le doute. Ils n’avaient pas l’in-
tention de laisser échapper la de-
mi-finale de Ligue Europa qui leur
tendait les bras, une première
dans cette compétition (mais la
sixième demie européenne de
leur histoire).
Dépassé dimanche 8 avril par
Lyon sur le podium de la Ligue 1,
alors que seules les trois premières
lemande, Tuchel est aux antipo-
des des « références » de la profes-
sion (Antonio Conte, Mauricio
Pochettino, André Villas-Boas)
un temps convoitées par les di-
gnitaires de Doha.
Les hiérarques de l’émirat
avaient d’ailleurs vainement
tenté d’attirer dans leurs filets
son compatriote Joachim Löw,
éternel sélectionneur de la Natio-
nalmannschaft, et qui remettra
cet été son titre mondial en jeu en
Russie. Loin de souffrir de la com-
paraison avec son illustre aîné,
Thomas Tuchel a réussi haut la
main son entretien d’embauche
dans la capitale qatarie.
Coach à poignee
Tamim Al-Thani et le président
du PSG, Nasser Al-Khelaïfi, sem-
blent avoir été sensibles à sa phi-
losophie de jeu spectaculaire et à
sa capacité à s’adapter au schéma
tactique de l’adversaire. Et peu
importe si l’intéressé n’a jamais
emmené ses joueurs au-delà
d’un quart de finale de Coupe
d’Europe.
Visage juvénile et allure décon-
tractée, Tuchel passe pour un
coach à poigne, enclin à appuyer
sur la corde sensible pour rasséré-
ner ses troupes. Son tempéra-
ment volcanique pose question.
Tout comme son inexpérience en
matière de gestion d’ego démesu-
rés. Parviendra-t-il à gagner l’es-
time et le respect de stars de la
trempe d’un Neymar, véritable
diva du vestiaire parisien ?
Tout proche de s’engager pour
deux saisons (avec une troisième
en option) au PSG, l’Allemand doit
y poser ses valises avec le staff qui
le seconde depuis une décennie.
Communicant hors pair, épris de
littérature, Tuchel sort d’une an-
places permettent de se qualifier
pour la lucrative Ligue des cham-
pions, l’OM devait bien cela à ses
nombreux supporteurs. Ils
étaient venus en masse, plus de
61 000, synonyme d’une affluence
record pour un match de Coupe
d’Europe, depuis un quart de fi-
nale disputé en 2004 face aux An-
glais de Newcastle. A l’époque,
Marseille avait atteint la finale de
la défunte Coupe de l’UEFA, battu
par les Espagnols de Valence.
Interrogé la veille de la rencon-
tre, Franck, un membre de la
Vieille Garde, collectif qui a fondé
le premier groupe ultra de l’OM
en 1984, avait justement prédit
que les supporteurs allaient « faire
vivre un enfer » aux Allemands : « Si
les joueurs répondent présent dans
le premier quart d’heure, montrent
une envie d’aller en “demie”, le
stade va être survolté. »
Coup d’éclat libérateur
Le spectacle a largement répondu
à ses attentes et à celles de ses col-
lègues. A l’image du coup d’éclat
libérateur réussi à l’heure de jeu
par le héros de la soirée, Dimitri
Payet. « On avait besoin du 12e
homme, ce résultat, on l’a fait en-
semble. Quand on a marqué le
deuxième but et que ça a com-
mencé à trembler, on s’est dit qu’il
y avait la place », a raconté l’inter-
national français. Son jeune coé-
quipier Maxime Lopez (20 ans),
Edinson
Cavani,
Javier Pastore
et Giovani
Lo Celso
célèbrent
leur victoire
en Coupe
de la ligue,
le 31 mars,
face à Monaco.
PIERRE LAHALLE/
PRESSE SPORTS
née sabbatique après son licen-
ciement – pour divergences d’opi-
nions – par le Borussia Dort-
mund, en mai 2017. Son éviction
était directement liée à son regret
de rejouer dès le lendemain de
l’attentat qui a ciblé le bus de son
équipe, le 11 avril 2017, à quelques
heures de son match à domicile
face à Monaco, en quarts de finale
aller de Ligue des champions.
En conférence de presse, Tuchel
s’en était vertement pris à ses diri-
geants et à l’Union des associa-
tions européennes de football
(UEFA). « Nous aurions aimé avoir
plus de temps pour digérer tout
cela. Nous nous sommes sentis
ignorés. On ne nous a pas de-
mandé notre avis, avait fulminé le
quadragénaire. Quelques minutes
après l’attaque, on nous a dit qu’on
devrait jouer, comme si on nous
avait envoyé une canette de bière
contre le bus. »
Soucieux de protéger son effec-
tif, Tuchel se démarque aussi en ce
qui concerne la gestion de ses inté-
rêts : il n’est lié à aucun agent in-
fluent. Une caractéristique qui dé-
100 % « minot », n’en revenait
pas : « Les supporteurs m’ont fait
rêver toute ma jeunesse et, même
ce soir, ils m’ont fait rêver. »
Leur entraîneur, Rudi Garcia, a
salué lui aussi l’apport du public
dans un Stade-Vélodrome en
ébullition : « On fait ce métier
pour ces moments-là, de commu-
nion collective. C’est une grande
soirée de Coupe d’Europe. La fierté,
c’est aussi de voir un Vélodrome en
feu toute la soirée. On se rend
compte combien ce stade et ce pu-
blic peuvent être spéciaux. »
Une fois la rencontre achevée
par un cinquième but anecdoti-
que, mais ô combien jouissif, ins-
crit par le Japonais Hiroki Sakai, le
speaker du Stade-Vélodrome
pouvait entonner à l’unisson avec
l’ensemble des spectateurs un
chant de la victoire. Trente minu-
tes après le coup de sifflet de l’ar-
bitre, les centaines de membres
des Fanatics continuaient de fêter
leurs protégés dans leur virage
nord. Et, dans les rues de Mar-
seille, même les camions de net-
toyage klaxonnaient pour célé-
brer cette qualification.
Parfois réticent à aligner son
équipe type lors des premiers
matchs, Rudi Garcia s’est pris au
jeu d’une compétition qui n’est
jamais aussi intéressante que
lorsqu’on se rapproche du but fi-
nal : « On sait qu’on pourra comp-
ter sur le public et qu’il sera notre
tonne dans la mesure où le Portu-
gais Jorge Mendes, numéro un de
la profession, et l’impresario israé-
lien Pini Zahavi (à l’origine de la ve-
nue de Neymar contre la somme
record de 222 millions d’euros) ré-
gissent les opérations du PSG sur
le marché des transferts.
Contrats surévalués
L’Allemand est ainsi représenté
au quotidien par son compatriote
Olaf Meinking, juriste spécialisé
dans les médias, le sport, l’indus-
trie du divertissement, et surtout
la musique. Ce dernier s’occupe
notamment de la carrière du rap-
peur thuringeois Clueso et de la
chanteuse Annett Louisan.
Selon L’Equipe, l’enrôlement de
Tuchel aurait d’ailleurs fragilisé le
directeur sportif du PSG, le Portu-
gais Antero Henrique, homme de
réseaux proche de Mendes et de
Zahavi, et farouchement opposé à
sa venue. Une information
qu’une source parisienne, contac-
tée par Le Monde, dément catégo-
riquement. Le recrutement du
cinquième entraîneur de l’ère QSI
douzième homme en demi-finale,
où il n’y a que de grosses équipes.
Mais on a un seul objectif : aller en
finale. »
Pied de nez à la rivalité crois-
sante qui oppose l’Olympique de
Marseille à l’Olympique lyonnais,
la finale de la Ligue Europa aura
lieu le 16 mai dans le stade qui ap-
partient à l’OL. Son président,
Jean-Michel Aulas, dont le club a
été éliminé en 8e de finale par le
CSKA Moscou, goûterait peu l’iro-
nie si Marseille venait à remporter
une deuxième Coupe d’Europe, au
printemps, sur ses terres.
« On va venir la gagner chez toi ! »
Le 18 mars, la victoire lyonnaise à
Marseille (3-2) avait été suivie
d’une algarade générale mêlant
joueurs, dirigeants et personnels
de sécurité. La perspective d’un dé-
placement dans le Rhône réjouit
déjà les fans provençaux, dont cer-
tains chambraient le président de
l’OL à la sortie du stade : « Jean-Mi-
chel Aulas ! Jean-Michel Aulas ! On
va venir la gagner chez toi ! »
A l’inverse de ses supporteurs,
Dimitri Payet se montre prudent :
« On ne va pas être prétentieux,
quand on voit le dernier carré, il y a
des équipes bâties pour gagner
même la Ligue des champions. »
Le coach du RB Leipzig, Ralph Ha-
senhüttl, croit, lui, dans les chan-
ces marseillaises. « Maintenant,
oui, Marseille peut remporter cette
sports | 13
La désignation de
Thomas Tuchel,
dont le CV est
modeste et le
palmarès assez
maigre, étonne
et successeur d’Antoine Kom-
bouaré (2009-2011), Carlo Ance-
lotti (2012-2013), Laurent Blanc
(2013-2016) et Unai Emery (2016-
2018) intervient alors que l’état-
major du club est chamboulé. Au
début d’avril, deux nominations
ont été annoncées par le club : cel-
les de Michel Besnard, ancien pa-
tron du groupe de sécurité de la
présidence de la République sous
Nicolas Sarkozy, au poste stratégi-
que de directeur de la sécurité du
PSG, et de Marc Armstrong, ex-ca-
dre de la NBA, comme directeur
du sponsoring.
En marge de ces grands travaux,
les dirigeants parisiens gardent un
œil sur l’enquête diligentée par
compétition. D’autres équipes
sont de très bon niveau. Mais Mar-
seille a démontré qu’il pouvait très
bien jouer, chez lui », a pronosti-
qué l’Autrichien.
S’il est entendu, Marseille
n’aurait pas même besoin de ter-
DE CAUSE
À EFFETS.
franceculture.fr/
@Franceculture
© Radio France/Ch. Abramowitz
En
partenariat
avec
l’Instance de contrôle financier
des clubs (ICFC) dans le cadre du
fair-play financier (FPF), ce méca-
nisme lancé par l’UEFA et en vertu
duquel les équipes européennes
ne peuvent dépenser plus qu’elles
ne gagnent sous peine de sanc-
tion. L’ICFC a ainsi fait estimer les
contrats de sponsoring du PSG par
un cabinet indépendant.
Il s’avère que ces contrats, passés
avec des entreprises qataries, ont
été surévalués de manière signifi-
cative par rapport aux prix du
marché. Selon nos informations,
l’accord scellé avec l’Autorité du
tourisme du Qatar (QTA) inter-
pelle les experts du FPF. En 2014, le
précédent partenariat avec QTA
(200 millions d’euros) avait été dé-
coté de moitié par l’UEFA et le PSG
avait été sanctionné. « C’est une ré-
cidive », confie au Monde une
source proche de l’enquête de
l’ICFC. Une information que le
club dément. Le PSG connaîtra sa
sanction éventuelle en juin. Tho-
mas Tuchel sera alors assis sur le
banc du PSG. p
rémi dupré
miner parmi les trois premiers du
championnat. Le vainqueur de la
Ligue Europa gagne son billet
pour la Ligue des champions. Une
victoire à plusieurs dizaines de
millions d’euros. p
anthony hernandez
Chaque dimanche
16H – 17H
Aurélie
Luneau
L’esprit
d’ouver-
ture.
14 | enquête 0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

beyrouth - correspondant

L
es révolutionnaires l’avaient
baptisé le « vendredi de la fierté ».
C’était le 25 mars 2011, la
deuxième journée de protesta-
tions en Syrie, les prémices d’un
bouleversement historique. A
Douma, une banlieue déshéritée de Damas, à
l’issue de la grande prière hebdomadaire,
quelques centaines de personnes s’étaient
massées sur la place de la mairie.
Les courageux criaient « horriya » (« li-
berté »), réclamaient la levée de l’état d’ur-
gence et martelaient des slogans en hom-
mage à Deraa, une ville du sud du pays, où,
une semaine plus tôt, un premier rassemble-
ment avait été brutalement réprimé. « On
voulait faire comme en Egypte, on rêvait d’oc-
cuper la place, d’y passer la nuit, de lancer une
grève générale », raconte Majd Al-Dik, l’un des
participants au sit-in, alors étudiant en droit.
Mais, à minuit, des gros bras équipés de ma-
traque investissent la place. Une vidéo postée
sur Internet les montre en train de bastonner
les frondeurs, qui disparaissent à toutes jam-
bes dans l’obscurité. Le vendredi suivant,
ceux-ci sont de retour, pas par centaines mais
par milliers. Ils chantent « Allah, Souria, hor-
riya wa bass » (« Dieu, la Syrie, la liberté et
c’est tout »), un pastiche insolent de la célèbre
rengaine prorégime « Allah, Souria, Bachar
wa bass » (« Dieu, la Syrie, Bachar et c’est
tout »). Les hommes de main du pouvoir sont
là aussi, équipés cette fois d’armes à feu.
Dix personnes tombent sous les rafales.
Mais la colère et la soif de changement sont
plus fortes que la peur. Aux funérailles des
premiers martyrs de Douma succède une
nouvelle manifestation, encore plus massive,
avec de nouveaux morts, puis de nouvelles
funérailles, et ainsi de suite. Un mouvement
se met en branle, qui gagne les localités voisi-
nes. La Ghouta orientale, cette oasis périur-
baine qui ceinture Damas par l’est et dont
Douma est la « capitale », s’abandonne aux
vertiges de la révolution.

La Ghouta, tombeau
« Je me suis senti tellement vivant durant ces
premières journées, se souvient Majd Al-Dik,
aujourd’hui réfugié en France et auteur d’un
récit poignant (A l’est de Damas, au bout du
monde, éd. Don Quichotte, 2016). J’ai éprouvé
un sentiment d’appartenance incroyable, j’ai
découvert le goût du partage et de l’action col-

de la révolution
lective. Mon train-train d’étudiant, mes petites
ambitions personnelles, ont volé en éclats. Su-
bitement, le “nous” s’est mis à exister. C’était
comme une seconde naissance. »

UN OCÉAN DE RUINES ET D’AMERTUME

Sept années ont passé. Sept années de guerre
entre les sans-culottes de la Ghouta et la no-
menklatura de Damas, entre les rebelles isla-
mistes qui rêvaient de renverser Bachar le ta-
ghout (« tyran ») et le régime baassiste, cram-
ponné à son sanctuaire. Deux mille cinq
cents jours dans le fracas des bombes, les râ-
les des blessés, les cris des enfants affamés et
les pleurs des survivants. Jusqu’au
11 avril 2018, quand Douma, quatre jours
après une attaque présumée à l’arme chimi-
que, a hissé le drapeau blanc et que la police
militaire russe s’est déployée dans la ville.
Ecrasés sous une vague de bombardements
encore plus intenses que tous ceux qui
avaient précédé depuis 2011, acculés par l’of-
fensive des troupes progouvernementales,
soumis à la pression d’une population à DANS LA MÉMOIRE
l’agonie après des années de siège, les grou-
pes armés ont évacué l’un après l’autre leur
COLLECTIVE ARABE,
citadelle, laissant derrière eux un océan de LA GHOUTA
ruines et d’amertume. Moins connu et sym-
bolique qu’Alep-Est, repris par les forces loya- ÉTAIT LE JARDIN
listes en décembre 2016, ce territoire est celui
où le potentiel et les impasses du mouve- DE DAMAS,
ment anti-Assad se sont exprimés avec le SON VERGER
plus de force. Ci-gît la Ghouta, tombeau de la
révolution syrienne. ET SON POUMON
Dans la mémoire collective arabe, le lieu
que les Nations unies ont qualifié d’« enfer
sur terre » a longtemps évoqué le contraire. Le
géographe du XIVe siècle Ibn Al-Wardi, cité
par le journaliste Aron Lund dans une étude
très pointue sur la Ghouta (« Into the Tun-
nels », The Century Foundation), parle du
« plus bel endroit du monde ». Les eaux de
pluie qui ruissellent des contreforts de l’Anti-
Liban, le massif montagneux qui marque
aujourd’hui la frontière entre le Liban et la Sy-
rie, y ont fait fleurir un paradis rural. Un lacis
de canaux, de petites fermes, de champs
L’oasis agricole aux portes de Damas, transformée en vaste banlieue par
l’exode rural, s’est soulevée aux premiers jours de la révolte anti-Assad
en 2011. La rébellion, dominée par le salafiste Zahran Allouche,
a un temps menacé la capitale syrienne. Mais les exactions des insurgés
et le siège cruel imposé par le régime ont provoqué sa chute
de blé et d’orangeraies. La Ghouta est le jardin puis 1963, laïc et gauchisant. La ville est un des formations sans idéologie très marquée.
de Damas, son verger et son poumon. bastion conservateur sunnite, traversé par C’est le cas de la Liwa Chouhada Douma (« bri-
Mais l’urbanisation anarchique de la se-
conde moitié du XXe siècle vient bouleverser
deux courants politiques semi-clandestins,
l’islamisme et le nassérisme (un nationa-
gade des martyrs de Douma »), fondée par un
entrepreneur en bâtiment prospère, Abou
ce paysage enchanteur. L’exode rural, la lisme arabe, mâtiné de socialisme). Si l’on Soubhi Taha, et de la Liwa Al-Baraa (« brigade
Nakba (l’expulsion de centaines de milliers ajoute l’effet désinhibant des révolutions tu- de l’innocence »), créée par un déserteur de
de Palestiniens après la création d’Israël, nisienne et égyptienne, colporté par les ima- l’armée régulière, le capitaine Abdel Nasser
en 1948) et la perte du plateau du Golan après ges d’Al-Jazira, on comprend que la Ghouta ait Shmeir.
la guerre de 1967 drainent des masses de pay- basculé immédiatement dans la révolte. D’autres groupes sont proches des Frères
sans et de réfugiés aux portes de Damas. La musulmans, le courant islamiste dominant
petite ville de Douma et les villages agricoles À CHAQUE FOIS, UN BAIN DE SANG dans la Ghouta, tel Ajnad Al-Cham (« soldats
qui l’environnent, comme Arbin, Zamalka et Celle-ci reste pacifique durant tout le prin- du Levant »), établi par Yasser Al-Qadri, un an-
Ayn Terma, se transforment en une banlieue temps et l’été 2011. A plusieurs reprises, des cien étudiant d’Al-Azhar, l’université islami-
tentaculaire et informelle. milliers de manifestants tentent de rejoin- que du Caire. Et puis il y a la Liwa al-Islam
Ce processus de paupérisation s’accélère dre la place des Abbassides, porte et verrou (« brigade de l’islam »), dirigée par Zahran Al-
dans les années 2000, du fait des mesures du centre de Damas, située à moins d’un ki- louche, un militant salafiste, fils d’un célèbre
d’austérité décidées par Bachar Al-Assad et de lomètre des premiers quartiers insurgés. prédicateur exilé en Arabie saoudite. Arrêté
la sécheresse qui décime alors les campagnes Mais ces efforts se terminent à chaque fois et incarcéré en 2009, l’homme a été amnistié
syriennes. La ceinture verte entourant Da- en bain de sang, les troupes déployées à l’en- en juin 2011 par Bachar Al-Assad, avec des di-
mas devient une « ceinture de misère », selon trée de la capitale ouvrant le feu sur les cortè- zaines d’autres islamistes appelés à jouer un
les mots du chercheur Chaaban Abboud. ges. En réaction, à partir du mois de septem- rôle-clé dans l’insurrection.
Le terrain est d’autant plus propice à une bre, des groupes armés font leur apparition Pendant toute l’année 2012, ces formations
explosion sociale que Douma, contrairement dans les rues de Douma. multiplient les coups contre les positions de
à la région de Deraa, n’a aucune sympathie Certains se revendiquent de l’Armée sy- l’armée dans la Ghouta. A la mi-juillet, elles
pour le Baas, le parti au pouvoir en Syrie de- rienne libre (ASL), un simple label utilisé par parviennent même à s’infiltrer dans Midane,

0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
un quartier central de Damas, touchant ainsi
pour la première fois le cœur névralgique du
régime. Il lui faudra plusieurs jours de com-
bats pour faire refluer les rebelles, qui ne
INTERROMPRE SON
réussiront plus jamais pareille percée.
En représailles à ces attaques, l’armée enva-
hit Douma à intervalles réguliers, provo-
quant à chaque fois un carnage. A l’automne
2012, le massacre à l’arme blanche d’une tren-
taine d’habitants est la tuerie de trop. Les
combattants de la Ghouta liquident les posi-
tions du régime l’une après l’autre et se re-
trouvent fin 2012 maîtres d’un vaste terri-
toire, qui s’étend de l’autoroute de Homs, au
nord, aux abords de l’aéroport de Damas, au
sud. Plutôt que de tenter une énième contre-
offensive, le pouvoir décide d’encercler ses
ennemis. C’est chose faite en avril 2013, lors-
qu’une colonne de blindés investit la localité
d’Otaiba, ultime sas de sortie de la Ghouta, à
de janvier 2016 après trois
son extrémité orientale.
LES HABITANTS MEURENT DE FAIM
Commence alors un siège d’une cruauté méti-
culeuse. Un million de civils sont mis à la
diète, sans essence, ni électricité, ni eau. L’hi-
ver, quand plus rien ne pousse dans les
champs de l’est de la Ghouta, des habitants
meurent de faim. D’autres succombent au
manque de médicaments. L’aide humanitaire
ne parvient dans l’enclave qu’au compte-gout-
tes, quand y consent le régime, passé maître
dans l’art de jouer avec les nerfs des fonction-
naires de l’ONU. Avant que les convois pénè-
trent dans la zone, les militaires syriens con-
fisquent systématiquement le matériel chi-
rurgical. Bien sûr, comme dans tout blocus,
des brèches finissent par être aménagées. A
partir de 2014, des tunnels entrent en service
entre la Ghouta et deux quartiers périphéri-
ques de Damas dont l’armée s’est retirée, Bar-
zeh et Qaboun. Certains sont suffisamment
larges pour y faire passer une voiture. Du fioul,
des médicaments et surtout des armes et des
munitions transitent par ces galeries, sources
de juteux profits et donc de rivalités entre les
groupes armés qui en contrôlent l’accès. Beau-
coup d’habitants les empruntent pour échap-
per à l’asphyxie programmée de la Ghouta.
Il arrive aussi que des camions de marchan-
dises, affrétés par un entrepreneur proche du
pouvoir, Mohiyeddine Manfouche, franchis-
A Jobar,
dans la Ghouta
orientale,
le 5 avril.
STRINGER/AFP
sent le point de passage de Wafidine, au nord
de Douma. Ces livraisons remplissent aussi
bien les caisses du régime, auquel l’opportu-
niste Manfouche reverse une commission,
que les poches d’Abou Ali Khibbiyeh, un ex-
peintre en bâtiment, mi-rebelle mi-gangster,
dont le groupe armé, affilié à la Liwa Chou-
hada Douma, prélève une taxe sur chaque
convoi. Les seuls à ne pas profiter de ce mar-
ché noir sont les résidents de la Ghouta, qui
se ruinent pour acheter des produits à prix
prohibitifs, les arrivages étant trop rares
pour juguler l’inflation.
PROTOCOLE QUASI BUREAUCRATIQUE
Sous le siège, les bombardements conti-
nuent. Ils suivent un protocole fixe, quasi
bureaucratique. D’abord les raids aériens,
dès que le soleil se lève et que les pilotes peu-
vent ajuster leurs tirs, puis les missiles sol-
sol, et enfin l’artillerie durant la soirée et la
nuit. Seuls les barils explosifs, la hantise
d’Alep-Est, manquent à l’appel. Et pour
cause : la « Liwa Al-Islam » s’est emparée
dans une base militaire d’un véhicule antia-
érien, le 9K33 Osa, équipé de missiles à
courte portée. De quoi dissuader les hélicop-
tères, d’où ces engins de mort sont largués,
de survoler la Ghouta.
En juillet 2013, une trentaine de personnes,
qui faisaient la queue devant la boulangerie
du village de Mleïha, sont foudroyées par
une salve de missiles. Même acheter du pain
peut coûter la vie. La mort devient la compa-
gne quotidienne des gens de la Ghouta.
« Quand on entend siffler un missile, on se
fige, dans l’attente de l’explosion. Puis on re-
garde autour de soi, en se disant que ce n’était
pas notre tour aujourd’hui. Et la vie reprend
son cours, témoignait le journaliste Saïd Al-
Batal en janvier 2016, à la sortie d’une apnée
de trois ans dans l’enclave. Douma est un en-
droit où l’on peut interrompre son déjeuner
pour aider un voisin à transporter le corps de
son enfant décapité, puis revenir chez soi et fi-
nir son repas. »
Le 21 août 2013, cette routine macabre est
brisée par un bombardement d’un genre
inédit. Des obus remplis de sarin, un neuro-
toxique hautement létal, s’abattent en
« ICI, ON PEUT pleine nuit sur Zamalka et Ayn Terma. Le ré-
gime syrien a déjà eu recours à cette arme
chimique, notamment dans le quartier de
DÉJEUNER POUR Jobar, en périphérie de Damas, comme l’ont
prouvé des échantillons rapportés par une
AIDER UN VOISIN équipe de reporters du Monde au printemps
À TRANSPORTER de cette année-là. Mais c’est la première fois
que le régime utilise cette substance à dose
LE CORPS DE SON aussi forte. Les vidéos tournées par les se-
couristes montrent des rangées de corps
ENFANT DÉCAPITÉ, d’enfants, gazés dans leur sommeil. Le bilan
de ce massacre sans sang varie, selon les
PUIS REVENIR sources, entre quelques centaines et plus
CHEZ SOI FINIR d’un millier de morts.
Dans ce territoire maudit, un homme
SON REPAS » s’impose peu à peu : Zahran Allouche. Son
style rustique, dévot et autoritaire, en phase
SAÏD AL-BATAL
avec le conservatisme rural de la Ghouta, ses
journaliste, dans un récit
talents de meneur d’hommes et surtout le
flot de donations qui lui parviennent du
ans passés dans Douma
Golfe, grâce aux relais de son père dans les
milieux salafistes, incitent de nombreux
groupes armés à se fondre dans sa forma-
tion, rebaptisée Jaych Al-Islam (« Armée de
l’islam ») en septembre 2013.
A cette époque, Zahran Allouche fait figure
d’épouvantail au sein de l’opposition sy-
rienne. Il multiplie les harangues sectaires,
appelant par exemple à « nettoyer Damas de
ces ordures de chiites et d’alaouites », la
confession minoritaire dont est issu le clan
Assad. Il préconise l’établissement en Syrie
d’une théocratie régie par la charia, la loi isla-
mique – mais répugne, contrairement aux
SYRIE
Alep
Homs Douma
Barzeh
Damas Qaboun GHOUTA
Deraa Arbin ORIENTALE
Place Jobar Zamalka
des Abbassides
Ayn Terma
DAMAS Vieille
ville
Midane Mleïha
Qadam Vers l’aéroport
2 km
international
djihadistes, à toute action en dehors des fron-
tières nationales. A plusieurs reprises, il
exhibe en place publique des prisonniers
alaouites enfermés dans des cages. Ce sont
des boucliers humains capturés durant la ba-
taille d’Adra, en décembre 2013, l’une des pa-
ges les plus noires de l’insurrection : plu-
sieurs dizaines de membres de minorités re-
ligieuses (alaouites, druzes, ismaéliens, chré-
tiens…), employés de la zone industrielle de
cette ville située au nord de Douma, ont été
alors exécutés par des rebelles islamistes, af-
filiés notamment à Jaych Al-Islam. En riposte
aux frappes du régime, ses hommes tirent
aussi des obus de mortier sur Damas, causant
des dizaines de morts.
A toutes ces exactions, les démocrates
syriens ajoutent l’enlèvement de Razan
Zaitouneh, la faute originelle de Zahran Al-
louche à leurs yeux. La jeune femme au teint
diaphane, conscience morale et cheville
ouvrière de la révolution, s’était installée à
Douma, en compagnie de trois autres mili-
tants révolutionnaires pour échapper aux
rafles des moukhabarat, les services de sécu-
rité syriens. Le quatuor, qui documentait les
exactions commises par le régime mais
aussi par les milices anti-Assad, à commen-
cer par Jaych Al-Islam, n’a pas réapparu de-
puis le mois de décembre 2013. Zahran Al-
louche dément toute responsabilité dans
leur kidnapping, mais sans convaincre.
Dans les mois qui suivent, le chef de guerre
continue d’écarter les gêneurs. Ses combat-
tants s’attaquent aux commandants de
l’ASL, comme Abou Soubhi Taha et Abou Ali
Khibbiyeh, qui rechignent à lui faire allé-
geance. Les deux hommes, alliés au sein
d’une nouvelle formation, Jaych Al-Oumma
(« l’armée de l’Oumma »), sont neutralisés à
la fin de l’année 2014. Le premier est expédié
dans l’une des nombreuses geôles où
Zahran Allouche fait croupir ses opposants.
Le second semble avoir été exécuté après
que son rival l’a évincé du point de passage
de Wafidine, faisant main basse sur le lucra-
tif business qu’il génère.
A la même époque, Zahran Allouche s’atta-
que aux cellules de l’organisation Etat islami-
que (EI) qui commencent à éclore dans la
Ghouta. Autant par hostilité idéologique que
par peur de perdre son petit pouvoir, le féal
salafiste écrase dans le sang toutes les tentati-
ves d’infiltration du mouvement djihadiste.
Le fait que l’oasis soit encerclée, donc quasi-
hermétique, contrairement au nord de la
Syrie, beaucoup plus poreux, a facilité cette
opération d’éradication. « Ce qui a fait la diffé-
rence aussi, c’est que Jaych Al-Islam avait l’ar-
mature doctrinale pour convaincre ses parti-
sans de tuer les membres de Daech [l’acro-
nyme arabe de l’EI], explique l’universitaire
Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie. Dès les
années 2012-2013, sur ses pages Twitter et
Facebook, les membres de l’EI étaient présen-
tés comme des khawarij [« déviants »], de
même que ceux du Front Al-Nosra [la branche
syrienne d’Al-Qaida]. » Au printemps 2017, ce
groupe, qui compte quelques centaines
d’hommes dans la Ghouta, sera à son tour at-
taqué par Jaych Al-Islam.
DÉBUT DE GOUVERNANCE
Seules deux factions semblent suffisamment
fortes pour résister au bulldozer Allouche :
Ajnad Al-Cham, qui a l’appui des réseaux
« fréristes » et soufis damascènes ; et Faylaq
Al-Rahman (« la brigade du Tout-Miséricor-
dieux »), une formation pro-ASL créée par le
capitaine Abdel Nasser Shmeir avec les mil-
lions de dollars qu’il a reçus du Qatar en octo-
bre 2012, en échange de la libération de 48 pè-
lerins iraniens capturés par ses hommes. Du-
rant l’été 2014, ces trois piliers de la Ghouta
établissent des institutions communes : un
conseil judiciaire et un conseil militaire. Leur
fonctionnement est loin d’être parfait, mais
elles attestent la mise en place d’un début de
gouvernance, un effort inédit dans la nébu-
leuse rebelle syrienne.
La société civile s’organise aussi. Les com-
munes de la Ghouta se sont dotées de con-
seils municipaux élus à la régulière. A
Douma, la liste nassériste l’a même emporté
sur celle des salafistes patronnée par Jaych Al-
Islam. « Zahran était un dictateur, mais un pe-
tit dictateur, un dictateur en germe, ce qui
nous laissait une marge de manœuvre, un es-
pace pour respirer », confie Saïd Al-Batal, qui
travaille à un documentaire sur son expé-
rience dans la Ghouta. Un jour, durant une
enquête | 15
conférence de presse, il m’a suggéré de me cou-
per les cheveux [qu’il porte alors mi-longs]. Je
lui ai répondu que je le ferai le jour où il cou-
pera sa barbe. Ça l’a fait rire. »
De nombreuses associations voient aussi le
jour pour aider la population à garder la tête
hors de l’eau : Sources de vie, fondée par Majd
Al-Dik, le révolutionnaire exilé en France,
fournit une aide psychosociale à des centai-
nes d’enfants. « Notre principe était de pren-
dre le contre-pied des méthodes d’éduca-
tion du régime baassiste : ne pas taper les jeu-
nes, ne pas les surveiller, leur donner le goût de
la liberté », raconte-t-il. Même si les caïds de la
rébellion occupent le devant de la scène, en
coulisses des militants s’échinent à faire vi-
vre les idéaux de 2011.
Au printemps 2015, Zahran Allouche, de-
venu le protégé de l’Arabie saoudite, opère un
recentrage politique. Il se déclare favorable à
un « gouvernement technocratique » respec-
tueux de toutes les minorités, et explique ses
diatribes passées par la peur d’être débordé
par l’EI. A ce moment, le pouvoir syrien, en
déroute dans le Nord, donne l’impression de
vaciller. Zahran Allouche, qui est le mieux
placé pour s’emparer de Damas, cherche à
rassurer les parrains arabes et occidentaux de
l’opposition, anxieux à l’idée que la capitale
syrienne tombe sous la coupe d’extrémistes
religieux. Il s’engage même à participer aux
négociations de paix prévues à Genève début
2016.
COUPÉE EN DEUX
Hasard ou calcul, c’est alors que la carrière du
maître de Douma s’achève. Il périt le 25 dé-
cembre 2015, à 44 ans, dans un raid de l’avia-
tion syrienne contre l’une des bases secrètes
de son « armée ». La disparition de cette fi-
gure centrale, aussi controversée que charis-
matique, rompt le fragile équilibre qui avait
préservé la Ghouta de l’anarchie sévissant
dans la plupart des autres territoires rebelles.
Une mini-guerre civile éclate au printemps
2016 entre Jaych Al-Islam et Faylaq Al-Rah-
man, dans laquelle les islamistes d’Ajnad Al-
Cham se sont fondus.
C’est une guerre pour la suprématie poli-
tico-militaire et le contrôle des tunnels de
contrebande, sur fond de bras de fer entre
l’Arabie saoudite et le Qatar, les tuteurs de ces
deux groupes. Lorsque les armes se taisent
un mois plus tard, après des centaines de
morts, la Ghouta se trouve coupée en deux :
le nord-est pour Jaych Al-Islam et le sud-ouest
pour Faylaq Al-Rahman. Les structures de
coopération mises en place en 2014 ont im-
plosé. Le notable nassériste Akram Tomeh,
qui faisait office de gouverneur, est même
passé à tabac par des miliciens. « C’était inévi-
table : quand on enferme des gens dans une
cage, ils finissent toujours par s’entre-tuer »,
observe le politologue Thomas Pierret.
Les forces progouvernementales profitent
de la zizanie ambiante pour passer à l’offen-
sive. En six mois, avec le soutien aérien de la
Russie, elles reconquièrent près de la moitié
de la Ghouta, dont de nombreuses terres
agricoles vitales pour la population. La pres-
sion s’accentue en février 2017, lorsque les
loyalistes se redéploient dans Barzeh et Qa-
boun et détruisent les tunnels, la soupape de
décompression de la Ghouta.
L’impact de cette mesure est d’autant plus
fort que les convois de nourriture des Nations
unies n’ont jamais été aussi rares. Durant
l’année 2017, seulement treize convois par-
viennent à pénétrer dans l’enclave, où vivent
encore 400 000 personnes tenaillées par la
faim. Le prix d’un sachet de pain atteint
1 500 livres syriennes (5,50 euros), une petite
fortune comparé à son coût à Damas (94 li-
vres). Le taux de malnutrition sévère bondit à
11,9 % pour les enfants de moins de 5 ans, un
chiffre jamais vu depuis le début de la crise
syrienne. « Dans nos centres, on a rencontré
des enfants qui n’avaient jamais vu de banane
de leur vie », se souvient Majd Al-Dik.
Pendant toutes ces années, les bombarde-
ments n’ont jamais cessé, broyant tel un
marteau-pilon le tissu urbain, humain et
économique de la Ghouta. Selon l’organisa-
tion humanitaire Reach, en décembre 2017,
deux mois avant le lancement de l’offensive
finale, le taux d’habitations endommagées
ou détruites atteignait 93 % à Jobar, 71 % à
Ayn Terma et 59 % à Zamalka. La Ghouta
était déjà à genoux. Elle n’attendait plus que
le coup de grâce. p
benjamin barthe
 CULTURE
16 |
Cannes s’offre une affiche audacieuse
Le programme de l’édition 2018 du Festival est éclectique en genres, en générations et en esthétiques
CINÉMA
J
eudi 12 avril, 11 heures. La
foule habituelle des affamés
de cinéma se presse dans la
très belle salle de l’UGC
Normandie, sur les Champs-
Elysées, pour recevoir, telle la
manne au milieu du désert,
l’onction de la sélection officielle
du soixante-et-onzième Festival
de Cannes. Navire amiral du
cinéma d’auteur mondial, paque-
bot du glamour dans la croisière
du septième art, l’auguste embar-
cation vogue cette année sur une
mer démontée. Cannes, tel est
son privilège et son fardeau, doit
en effet prendre acte de tout ce
qui touche au cinéma, mais aussi
assumer ses propres décisions
dans certains dossiers sensibles.
La coupe 2018 est, en ce sens,
bien pleine : mœurs (affaire
Weinstein), parité (le ratio
féminin de la compétition),
élégance (bannissement des
selfies du tapis rouge) et inélé-
gance (éviction de Gilles Jacob,
figure tutélaire du Festival, du
conseil d’administration),
partenariat (Kering, qui y sponso-
rise la promotion des femmes
dans le cinéma, soupçonné d’éva-
sion fiscale), bouleversement du
calendrier des projections (aboli-
tion du privilège de la presse qui,
jusqu’alors, pouvait voir les films
en compétition avant leur présen-
tation officielle) et enfin torchon
qui brûle avec la plate-forme
Netflix, privant le Festival de
quelques œuvres attendues.
Trois Français sélectionnés
Nonobstant, les deux capitaines
– le président, Pierre Lescure, et le
délégué général, Thierry
Frémaux – sont plutôt sereins. Ils
savent que l’animal cinéphile est
ainsi fait que l’attente de leur
auditoire est, à ce moment précis
de l’événement, entièrement et
fébrilement subordonnée à la ré-
vélation du programme. Thierry
Frémaux distille la chose à feu
doux, révélant, dans l’attente des
traditionnelles surprises de der-
nière minute, les dix-huit films
sélectionnés à ce jour dans la
compétition. On y trouve trois
œuvres françaises : Plaire, aimer
et courir vite, de Christophe Ho-
noré, En guerre, de Stéphane
Brizé, et Les Filles du soleil, d’Eva
Husson.
Pas mal de tandems nationaux
leur tiennent compagnie. Les
urticants Spike Lee (BlacKKKlans-
man) et David Robert Mitchell
(Under the Silver Lake) pour les
Etats-Unis ; les singuliers Matteo
Garrone (Dogman) et Alice
Rohrwacher (Lazzaro Felice) pour
l’Italie ; les sophistiqués Ryusuke
1er au 30 juin 2018
Domaine d’O
Printemps
des Comédiens
Montpellier
Renseignements/réservations
04 67 63 66 67
Design : Werner Jeker
printempsdescomediens.com
Thierry Frémaux (à gauche) et Pierre Lescure lors de l’annonce du programme, à Paris, le 12 avril. BENOIT TESSIER/REUTERS
Hamaguchi (Netemo Sametemo)
et Hirokazu Kore-eda (Shoplifters)
pour le Japon ; les fertiles Asghar
Farhadi (Everybody Knows) et Jafar
Panahi (Three Faces) pour l’Iran.
Ce dernier, assigné à résidence
dans son pays, partage le sort de
son collègue russe Kirill Serebren-
nikov (Leto). Le Festival poursuit
ainsi son combat pour la liberté
d’expression en se faisant un de-
voir d’inviter les deux cinéastes.
La Libanaise Nadine Labaki (Ca-
pharnaüm), le Chinois Jia
Zhang-ke (Ash Is Purest White),
l’Egyptien A.B. Shawky (Yomed-
dine, seul premier long-métrage
de la compétition), le Coréen Lee
Chang-dong (Buh-Ning) qui
revient au cinéma après huit ans
d’absence, et le Polonais Pawel
Pawlikowski (Zimna Wojna), osca-
risé pour Ida, complètent le
tableau, avec Jean-Luc Godard en
son beau retour, pays de cinéma à
lui seul, dont on découvrira un es-
sai intitulé Le Livre d’image. A l’ins-
tar de cet inopiné retour franco-
suisse au sommet, cette compéti-
tion livre donc une image
surprenante de par son éclectisme
– en termes de genres, de généra-
tions et d’esthétiques –, politique-
Netflix retire un film d’Orson Welles de la Sélection
c’est un rituel lors de l’an-
nonce de la Sélection officielle du
Festival de Cannes. Thierry Fré-
maux, le délégué général, refuse
d’énumérer les titres non retenus,
et encore plus de donner les rai-
sons de leur absence. Jeudi 12 avril,
en égrenant les titres sélectionnés
pour la 71e édition, il a pourtant re-
gretté publiquement l’absence de
The Other Side of The Wind, le long-
métrage laissé inachevé par Orson
Welles, terminé par le réalisateur
Peter Bogdanovich et le produc-
teur Frank Marshall. « Ce film avait
sa place à Cannes, Orson Welles
avait été président du jury », a re-
marqué Thierry Frémaux.
Mais ce projet a été financé par
Netflix et, dans les heures qui ont
précédé la conférence de presse
cannoise, Ted Sarandos, le respon-
sable des contenus de la plate-
forme de streaming, avait an-
noncé à la publication profession-
nelle Variety que son entreprise ne
présenterait plus de films à Can-
nes, après l’exclusion de la compé-
tition des longs-métrages qui ne
sortiraient pas en salle.
Le délégué général du festival a
par ailleurs évoqué un autre film,
qui aurait pu prendre part à la
compétition si Netflix avait bien
voulu respecter la chronologie
française. Il peut s’agir de Roma,
ment très marquée a priori, et iné-
dite en termes de premières sélec-
tions – sept pour l’instant. On a
suffisamment reproché au Festi-
val sa timidité à ce dernier égard
pour ne pas lui donner acte de son
audace cette année.
Le reste de la sélection officielle
ne semble pas démentir ce senti-
ment, tout particulièrement dans
la section parallèle Un certain
regard, qui accueille six premiers
du Mexicain Alfonso Cuaron (le
premier qu’il ait tourné dans son
pays depuis Y tu mama tambien),
de Hold the Dark, de l’Américain
Jeremy Saulnier, ou de Norway, le
film du Britannique Paul Green-
grass, qui évoque le massacre
commis en 2011 sur l’île d’Utoya
et à Oslo par Anders Breivik.
« Dialogue fructueux »
Dans l’état des relations entre le
Festival et Netflix, les premières
mondiales de ces films auront lieu
ailleurs que sur la Croisette. Pour
Ted Sarandos, la règle qui veut
qu’un film sélectionné en compé-
tition soit exploité en salle « est
tout à fait contraire à l’esprit de
n’importe quel festival ». Cette dis-
position a été prise après la sélec-
tion, en 2017, d’Okja, du Coréen
Bong Joon-ho, et de The Meye-
rowitz Stories, de l’Américain Noah
Baumbach, qui, dans plusieurs
pays, sont sortis simultanément
en salle et en ligne. La réglementa-
tion nationale interdit cette possi-
bilité, et les deux longs-métrages
n’ont jamais été projetés sur un
grand écran français.
La direction du Festival de Can-
nes avait laissé ouverte la possibi-
lité de présenter des films diffu-
sés par Netflix hors compétition,
mais M. Sarandos a décliné la pro-
films, et au moins deux admira-
bles cinéastes dans les personnes
du jeune Chinois Bi Gan (Long
Day’s Journey into Night) et de l’Al-
lemand Ulrich Köhler (In My
Room). S’y confirme la promesse
d’une forte présence asiatique,
évidente en compétition, mais
notable aussi dans le « hors com-
pétition », où l’on retrouve le
magistral Chinois hors système
Wang Bing, avec un documen-
position : « Il n’y a pas de raison de
le faire. Cette règle visait implicite-
ment Netflix, et, quand Thierry l’a
annoncée, il nous a explicitement
désignés », explique-t-il.
Si le délégué général du Festival
de Cannes assure qu’un « dialogue
fructueux » se poursuit avec Net-
flix, le directeur des contenus de
la plate-forme rappelle qu’il a « ap-
pris la nouvelle réglementation
par la presse ». Pierre Lescure, le
président du Festival, espère que
le débat « ne pourra pas se solder
par un “on ne vient plus” ». Mais,
pour l’instant, l’impasse est to-
tale, alors que Netflix accroît sans
cesse ses investissements dans les
longs-métrages – comme The Iris-
hman, de Martin Scorsese, que
l’on devrait voir en 2019.
Thierry Frémaux a fait valoir que
d’autres acteurs américains du
secteur étaient présents à Cannes :
des studios comme Universal, qui
distribue BlacKKKlansman, de
Spike Lee (en compétition), et Un
homme de parole, le documen-
taire que Wim Wenders a consacré
au pape François ; Disney, qui dé-
voilera, hors compétition, Solo,
nouvelle déclinaison de l’univers
Star Wars ; et, parmi les étoiles
montantes du secteur qui feront le
voyage de Cannes, le producteur
et distributeur A24 (Moonlight),
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
Sept cinéastes
honorent
leur première
sélection,
un record pour
le festival jugé
timide à cet égard
taire au titre gogolien sur les
témoins de la Révolution cultu-
relle (Les Ames mortes).
Ce faisant, comme chaque
année, d’illustres cadavres
jonchent les bas-côtés. Le cas de
trois d’entre eux a été publique-
ment évoqué. Ma vie avec John F.
Donavan, de Xavier Dolan, qui
serait « reparti en montage » ; Les
Frères Sisters, de Jacques Audiard,
dont le producteur américain
aurait « d’autres visées stratégi-
ques » ; enfin The House That Jack
Built, de Lars von Trier, à propos
duquel « la réponse tombera dans
quelques jours », ce qui laisse
supposer la suspension du ban-
nissement cannois de cet
immense cinéaste, qui avait
confessé en 2011 au Festival « com-
prendre Hitler » et « admirer
Speer », l’architecte du régime nazi
(nul ne saurait être parfait).
Parité dans « tous les domaines »
En fin de parcours, une longue
séance de questions-réponses
aura in extremis fait remonter
quelques-uns des sujets inflam-
mables du moment, que Thierry
Frémaux, en agile pompier, s’est
appliqué avec talent à éteindre les
uns après les autres. Peu convain-
cant sur l’interdiction des selfies
sur le tapis rouge – « ce n’est pas
beau, ça retarde la montée des
marches, mais les artistes auront
quant à eux le droit d’en faire » –,
M. Frémaux l’a été davantage sur
la question, désormais récurrente,
de la présence des femmes à Can-
nes. S’interdisant la mise en place
de quotas dans la sélection, le dé-
légué général a toutefois souligné
la présence de trois, « et peut-être
quatre », réalisatrices en compéti-
tion, et de beaucoup plus dans les
autres sections, rappelant que le
Festival « veille à la recherche d’une
parité dans tous les domaines où
elle peut être appliquée ». p
jacques mandelbaum
qui présente Under the Silver Lake,
de David Robert Mitchell.
Evoquant les films américains
qui sortent à l’automne en vue de
la campagne pour les Oscars, le
délégué général a convenu que
Cannes « n’est peut-être pas le lieu
idéal » pour les montrer, « parce
qu’il y a danger ». Il répondait à
une question sur l’absence de The
Brothers Sisters, le western auquel
Jacques Audiard met la dernière
main, qui a été cofinancé par un
autre pilier du cinéma d’auteur
américain, Annapurna Pictures,
et n’a pas été soumis au comité de
sélection du festival. p
thomas sotinel
L’ÉCRITURE PREND VIE

0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
Des architectes
et des paysagistes
défendent la ZAD
Un collectif estime que Notre-
Dame-des-Landes a vu naître
de nouvelles façons de vivre
avec la nature et de l’habiter
L
a ZAD (zone à défendre),
laboratoire de l’architec-
ture de demain ? L’idée est
soutenue avec ferveur par
un collectif d’architectes, de paysa-
gistes, d’urbanistes, de penseurs et
de citoyens qui ont publié le 6 avril
une tribune sur le site de Media-
part intitulée « Comme à la ZAD de
Notre-Dame-des-Landes, défen-
dons d’autres manières d’habi-
ter », suivie d’une conférence de
presse le 11, au lendemain de l’of-
fensive des gendarmes et CRS sur
le site de Loire-Atlantique. Révol-
tés par la violence des affronte-
ments entre zadistes et forces de
l’ordre et par la destruction des for-
mes de vie et d’habitations qui
avaient émergé sur place, les si-
gnataires – parmi lesquels l’archi-
tecte Patrick Bouchain et le paysa-
giste Gilles Clément – défendent la
ZAD comme un laboratoire du fu-
tur. Un terrain d’expérimenta-
tions pour de nouvelles manières
d’habiter, de travailler, de cultiver
la terre, de bâtir, de vivre ensem-
ble, dans le contexte actuel d’épui-
sement des ressources…
Du point de vue de l’architec-
ture, cette voie vers la transition
écologique se traduit selon eux
par une grande variété de cons-
tructions et une remarquable in-
ventivité : « Ce sont des corps de
ferme rénovés lors de grands chan-
tiers collectifs, de nouveaux han-
gars agricoles aux charpentes im-
pressionnantes ; c’est aussi la force
« BambinO », opéra miniature
pour minispectateurs
Créé à l’initiative du Scottish Opera, le premier spectacle lyrique
pour bébés est présenté au Centquatre, à Paris
MUSIQUE
E liore a 16 mois. Très sage, la
petite fille ne quittera pas
les bras de sa mère durant
toute la représentation de Bam-
binO, l’opéra pour bébés de 6 à
18 mois qu’accueille le Centqua-
tre-Paris, du 13 au 20 avril, le Théâ-
tre du Châtelet (actuellement
fermé pour travaux). Ce n’est
qu’une fois son manteau enfilé
que la fillette découvrira un ra-
dieux sourire à gencives.
Ce 6 avril au matin, sous la Ca-
nopée des Halles, le conservatoire
W.-A.-Mozart et son directeur,
Pascal Gallois, sont sur le pont
pour une avant-première organi-
sée à l’initiative de la nouvelle di-
rection du Châtelet, Ruth Mac-
Kenzie et Thomas Lauriot dit Pré-
vost. Sur le plateau en demi-cer-
cle, la violoncelliste (Laura
Sergeant) et le percussionniste
(Stuart Semple) jouent également
de deux petits pianos d’enfant. Le
décor est bleu, avec ciel et nuages.
Sur les coussins au sol, Cosima,
14 mois, très à l’aise dans une robe
marron en velours côtelé, bat l’air
de ses bras, répondant par petits
cris au « chant » des oiseaux :
l’oiselle Uccellina (la soprano
Charlotte Hoather) et son gros
poussin, Pulcino (le baryton Ti-
mothy Connor) qu’elle élèvera
non sans mal, avant qu’il ne con-
quière le vol et la liberté.
poétique des nombreuses cabanes
dans les arbres, au milieu d’un lac,
au coin d’une friche, ou d’un
champ (…), écrivent-ils. Hors
norme, multiples, divers, poéti-
ques, adaptés, bidouillés, légers,
sobres, précaires, faits de maté-
riaux locaux ou de réemploi, en
terre, en bois, en paille ou en récup,
ces constructions répondent à leur
échelle aux enjeux écologiques et
énergétiques, à rebours du monde
que l’industrie du béton et de
l’acier est en train de construire
partout sur la planète. »
Des préoccupations qui sont, de
fait, au fondement d’un courant
de l’architecture contemporaine
sensible aux questions environ-
nementales et sociales. Commis-
saire du pavillon français de la
prochaine Biennale d’architec-
ture de Venise, l’agence Encore
Heureux en est une des têtes de
pont. Nicola Delon, un de ses fon-
dateurs, a signé la tribune. Mar-
« On est
à l’opposé
de la modernité
aseptisée (…)
où l’on vit replié
sur soi-même »
NICOLA DELON
architecte
Cet opéra miniature pour un
public en couche-culotte est né de
l’autre côté de la Manche, à la
suite d’une initiative menée de-
puis 2009 par le Scottish Opera
auprès des plus jeunes, dont
l’ouïe est le sens le plus nettement
développé dès avant la naissance.
En décembre 2016, le jeune com-
positeur Lliam Paterson et son
compère metteur en scène Phe-
lim McDermott (auteur d’un Cosi
fan tutte au Metropolitan Opera
de New York jusqu’au 19 avril) ont
rencontré une équipe de chan-
teurs et de musiciens. Deux actes
avec airs et duos : l’histoire de
BambinO est simple et sa jolie
musique s’ouvre en planant sur
des nappes harmoniques aux so-
norités claires.
Une « vieille » de 15 mois
Un alphabet d’onomatopées faci-
lement repérables précède les ré-
férences au patrimoine lyrique
italien – Monteverdi, Verdi…
Quelle secrète affinité avec le ré-
pertoire de ses origines encou-
rage donc Nino, adorable « bru-
nettino » de 11 mois en chemise à
carreaux rouges et bleus ? Toutes
quenottes dehors, le petit garçon
a entrepris de poursuivre à quatre
pattes la jolie chanteuse au grand
toupet et aux yeux bleus dont il
s’est entiché. Il sera d’ailleurs le
premier à attaquer à plat ventre la
mer de nuages des coussins.
culture | 17
« La drôle
de maison
d’Alex »,
habitation
construite
sur la ZAD
de Notre-
Dame-
des-Landes
(Loire-
Atlantique).
CYRILLE WEINER
qué par ses visites à la ZAD, il dé- cier, pourquoi pas, au titre de la pour inventer un avenir com- pu imaginer faire entrer les choses
fend la vitalité de ce lieu où, selon recherche et développement gra- mun. « Cette expérience a produit dans le droit, plaide-t-il. On aurait
lui, s’élaborent, « avec un souci de tuite qu’elle met à disposition de une intelligence incroyable – sur la pu travailler avec les zadistes, voir
justesse constant », des réponses tous, d’un statut de zone franche, manière de tisser ensemble les ac- ce que leur expérience donnerait à
concrètes aux cris d’alarme des à l’image de ces territoires qu’on tivités humaines, de créer du lien plus grande échelle… Pourquoi
scientifiques à une « morbidité défiscalise pour attirer des capi- entre les hommes, avec les ani- considère-t-on, par exemple, qu’on
angoissante » qui sourd dans la taux étrangers. maux, avec l’agriculture, avec le ne peut pas cultiver dans une zone
campagne française. Christophe Laurens, architecte, politique… C’est notre survie qui se humide ? Parce que l’agriculture se
paysagiste qui coordonne le joue dans ces expérimentations ! » fait avec des engins très lourds. Eux
« Ecole hors les murs » DSAA (diplôme supérieur d’arts Quelle urgence y avait-il à dé- ont réussi parce qu’ils travaillent
L’enjeu architectural des cons- appliqués) d’alternatives urbai- truire ? se demande Patrick Bou- de manière légère. Aujourd’hui, les
tructions de la ZAD ne se pose pas nes de Vitry-sur-Seine (Val-de- chain. L’architecte du Lieu unique gens n’ont plus de lien au territoire.
en termes de beau et de laid. Il Marne), signataire lui aussi de la de Nantes estime que le gouver- Les zadistes nous montrent que le
tient plutôt, comme le note le tribune, insiste sur la compétence nement a été courageux d’inter- b.a.-ba c’est d’avoir les pieds sur
quadragénaire, aux vertus de ce qui s’est développée dans cette rompre le projet d’aéroport et terre. L’écologie est de plain-pied
qu’il appelle « le retour au verna- « école hors les murs » dont la so- comprend d’autant moins la vio- dans la ZAD ». p
culaire » : « On est à l’opposé de la ciété peut aujourd’hui s’inspirer lence d’aujourd’hui. « On aurait isabelle regnier
modernité aseptisée des hôtels Ibis
ou des maisons qui s’alignent en
rang d’oignons dans les périphé-
ries, où l’on vit replié sur soi-même,
en proie à ce sentiment d’abandon
qui nourrit la tentation du vote ex-
trême. C’est là qu’est le danger. Pas
dans le travail qu’ont accompli ces
František Kupka, Plans par couleurs (Femme dans les triangles), détail, 1910-1911, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, achat, 1957 - © Adagp, Paris, 2018 © Centre Pompidou, MNAM / CCI, Dist. Rmn-Grand Palais / Photo Philippe Migeat
pionniers ! » L’architecte rêverait
de voir la ZAD rebaptisée « zone
d’agriculture durable », et bénéfi-
Rien ne viendra surprendre ou
décontenancer les enfants, dont
un tiers est accompagné par leurs
pères. Des auditeurs libres de
chanter, de parler, de jouer, de se
déplacer, de toucher les interprè-
tes ou les accessoires, dont l’atten-
tion soutenue passera du violon-
celle au xylophone, supportera
sans broncher les décibels du ba-
ryton, les aigus de la soprano. La
fin du spectacle sonnera la curée
Pionnier
des accessoires, le gros œuf doré
tant convoité et les oiseaux en pe-
de l’abstraction
luche qui cuicuitent.
L’imperturbable Eliore se con-
tentera d’observer ses compa-
gnons. Nino offrira son bouvreuil
pivoine à la mignonnette Shenay,
une « vieille » de 15 mois, tandis
que Cosima se débarrassera du
merle noir pour une mésange à
tête bleue momentanément dé-
Rétrospective
laissée. Depuis sa création au Man-
chester International Festival en Grand Palais
juillet 2017, BambinO a déjà connu
97 représentations avant Paris. 21 mars – 30 juillet 2018
Dopé par le succès, il traversera en-
suite l’Atlantique pour New York et
le Metropolitan Opera, où il se pro-
duira du 30 avril au 5 mai. p
marie-aude roux
BambinO, de Lliam Paterson.
Au Centquatre-Paris, 5, rue
Curial, Paris 19e. Du 13 au 20 avril.
Gratuit pour les bébés, 4 euros
pour l’accompagnant.
Théâtre-Châtelet.com et 104.fr
18 | télévision
Les vingtenaires de 68 se souviennent
Cinquante ans après Mai 68, étudiants, policiers, journalistes et autres témoins reviennent sur la révolte
TF1
DIMANCHE 15 - 13 H 30
DOCUMENTAIRE
A
l’heure où le cinquan-
tenaire des événe-
ments de Mai 68 est cé-
lébré par de nombreux
programmes télévisés, ce numéro
de « Grands reportages », Avoir
20 ans en 68, diffusé dans la foulée
du journal de 13 heures, pourrait
disparaître dans la masse. Mais il
prend un biais qui n’est pas ordi-
naire, laissant la parole aux an-
ciens contestataires, mais aussi à
la police, aux journalistes, à des
membres de la Croix-Rouge, à des
ouvriers et des témoins « anony-
mes ». Ils avaient tous, à l’époque,
plus ou moins 20 ans.
Les grandes lignes de Mai 68
sont rappelées, du 22 mars – les
événements démarrent à l’uni-
versité de Nanterre – jusqu’à la
Pentecôte, quand tout le monde
part se mettre au vert après ces
semaines de grève et de combats
de rue qui firent du Quartier la-
tin, à Paris, un « véritable champ
de désolation ». Ce seront, rap-
pelle Charles Diaz, historien de la
police, 2,5 millions de nouveaux
francs (une somme colossale) de
dégâts chiffrés par la Mairie
de Paris : 200 arbres détruits,
10 000 mètres carrés de pavés ar-
rachés, des vitrines brisées, des
voitures incendiées, etc.
Marine Le Pen, impair et manque
Bruce Toussaint analyse l’échec de la candidate du FN au second tour de l’élection présidentielle, en mai 2017
FRANCE 5
DIMANCHE 15 – 20 H 55
DOCUMENTAIRE
M arine Le Pen-Emma-
nuel Macron. Ce
3 mai 2017, l’affiche est,
à plus d’un titre, inédite. Au-delà
des programmes, le style des
duellistes promet une confronta-
tion électrique, sinon détonante.
Sur ce point, le débat qui oppose, à
trois jours du second tour de la
présidentielle, les deux préten-
dants à l’Elysée, ne va pas déce-
voir. Mieux, il va offrir aux seize
GRILLE N° 18 - 088
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 7
II
III
IV
V 3
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 18 - 087
HORIZONTALEMENT I. Clientéliste. II. Rumeur. Outil. III. Expédiait. SO.
IV. Vue. Ibis. Non. V. Erratum. Ping. VI. Ci. Lésasse. VII. Oasis. Nagent.
VIII. Enée. Rti (tri). Soi. IX. Ut. Niaise. Nô. X. Redéinition.
VERTICALEMENT 1. Crève-cœur. 2. Luxuriante. 3. Imper. Se. 4. EEE. Alié-
né. 5. Nudités. If. 6. Tribus. Rai. 7. Aimantin. 8. Lois. Saisi. 9. IUT. PSG.
Et. 10. St. Niées. 11. Tison. Nono. 12. Elongation.
Des manifestantes, à Paris, le 1er mai 1968. JACQUES MARIE/AFP
Les affrontements auront été
rudes, même si le préfet de police,
Maurice Grimaud, avait demandé
qu’on évite la violence. Pour lui,
« taper un manifestant au sol était
contraire à l’honneur de la police
et contre-productif », rappelle
l’historien. Gilles Schneider, alors
journaliste à Europe 1, qui diffu-
sait en direct depuis la Citroën DS
break de la station ses reportages,
décrit le préfet comme un
millions de téléspectateurs réu-
nis devant leur écran un nouveau
coup de théâtre, au terme d’une
campagne qui n’en a pas été avare.
En effet, lors des deux heures
d’affrontements, ils vont assister
en direct au naufrage de la candi-
date du Front national qui, par sa
stratégie agressive, ses outrances,
son impréparation conduisant à
des erreurs grossières – lui faisant
confondre les dossiers SFR et Als-
tom –, va saborder une campagne
jusqu’alors menée sans faux pas.
Après la débâcle de François
Fillon, Bruce Toussaint a choisi de
7 8 9 10 11 12
« homme très chaleureux, très à
l‘écoute, pour l’apaisement. »
Souvenir doux-amer
Pourtant, les CRS tapaient dur – ce
dont témoignent les nombreuses
archives filmées. La journaliste
Annette Lévy-Willard raconte que,
selon elle, les CRS « étaient com-
plètement beurrés… Ils attendaient
pendant des heures dans leurs cars
et on les arrosait, comme en 14-18 ».
se pencher sur le parcours de Ma-
rine Le Pen pour ce deuxième nu-
méro de « C’était écrit ». Plus préci-
sément, il s’attache à retracer les
dix derniers jours de campagne de
la présidente du FN et à en décryp-
ter « la mécanique cachée », par un
utile jeu de retours en arrière.
La statue du commandeur
De sa victoire en demi-teinte le
23 avril à sa défaite le 7 mai, de ses
multiples coups de barre à gauche
– avec, notamment, sa visite sur-
prise à l’usine Whirlpool d’Amiens
– puis à droite – symbolisé par son
HORIZONTALEMENT
I. Vous n’aurez donc jamais la preuve
d’avoir tout compris. II. A pris les me-
sures du vin et du sel. Votif au Cana-
da, festif chez nous. III. Participent à
notre économie. Colorés par des che-
nilles. IV. Article. Sur une plaque hel-
vète. Sur la portée. Fatigué et renver-
sé. V. Dans ses comtes, on retrouve
Charles X. Bouts de lacets. Note.
VI. Mettrais dans l’embarras. VII. Mise
au travail. Liaison « mal-t-à-propos ».
VIII. Prend l’eau avec le bâtiment.
Prophète biblique. Bavard emplumé.
IX. Sir David sur Le Pont de la rivière
Kwaï. Poussai à l’action. X. Fait le mé-
nage après une grande coupe.
VERTICALEMENT
1. Farouche et terrible, et pas seule-
ment pour le rugbyman. 2. Facilite-
ront la reprise à la bonne page.
3. Mouvementée pour un bâton de
chaise. Ouvris les articles. 4. En réduc-
tion. Pomme résineuse. Tout un
drame chez les Nippons. 5. Vous fait
mâcher. 6. Grand marché du cacao
au Nigeria. Stabilisées dans la montée.
7. Piqué en passant au rouge. Empire
allemand. 8. Sacriia. Pas plus d’un
quart de tour. 9. Belle et croquante. Dit
la vérité. Ouvre l’imposte. 10. Casse
la croûte. Doux dans un monde de
bruts. 11. Limon des plateaux. Pays
sous le voile. 12. Découlerait.
Un ancien CRS, 27 ans à l’époque,
détaille la maigre protection de sa
tenue et évoque les clavicules cas-
sées dans les rangs policiers. « Le
sang et les larmes étaient par-
tout », se souvient un jeune mem-
bre de la Croix-Rouge, 18 ans tout
juste lorsqu’il fut dépêché pour
soigner les blessés (3 000 recen-
sés en 31 jours d’affrontements).
Certains anciens de Mai 68 re-
tournent sur les lieux de leur re-
alliance avec Nicolas Dupont-
Aignan, le président de Debout la
France ! –, au risque de donner le
tournis à ses électeurs, les diffé-
rentes étapes de cette déroute sont
scandées et commentées par les
principaux protagonistes. A com-
mencer par celui dont l’ombre,
telle la statue du commandeur,
n’aura cessé de planer – sinon de
hanter – le parcours politique de la
candidate : Jean-Marie Le Pen.
A travers ce nœud filial qui dou-
ble le récit pour mieux l’éclairer,
Bruce Toussaint analyse, entre
autres, la tentative de dédiaboli-
SUDOKU
N°18-088
7 1
1 3
6 4
6 9
7 1 3
3 9 4 2 5
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De Berlin à Lagos,
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de projets innovants
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
pliement : dans cette salle de
classe de la Sorbonne qui servait
de dortoir, de cuisine et de QG, ou
dans la cour de l’établissement,
une véritable « foire » où tout le
monde parlait à tout le monde.
Ou presque : Annette Lévy-
Willard se souvient que les filles
s’étaient senties mises à l’écart
par les garçons, qui dominaient
les débats. D’où la création, dans le
sillage de Mai 68, du Mouvement
de libération des femmes (MLF).
Les anciens de Mai 68 interro-
gés dans ce documentaire gar-
dent un souvenir doux-amer de
cette période. « On ne savait pas
trop où cela nous menait, mais on
savait qu’il y aurait un avant et un
après », dit cette ancienne étu-
diante de la Sorbonne. Cepen-
dant, ajoute Annette Lévy-
Willard, « si l’on a beaucoup rigolé,
la gueule de bois a été lourde »…
Plus encore quand les étudiants,
lâchés par les ouvriers (qui
avaient obtenu gain de cause
pour leurs revendications syndi-
cales, essentiellement salariales)
dont ils espéraient le ralliement
idéologique, ont vu la grande ma-
nifestation du 30 mai en faveur
du général de Gaulle leur signifier
que le changement n’était pas
tout à fait pour maintenant. p
renaud machart
Avoir 20 ans en 68, de Philippe
Poiret (Fr., 2018, 60 min).
sation du parti qui a conduit à
l’exclusion de son fondateur et
par là même à un refroidissement
avec la base, mais aussi la relation
quasi fusionnelle entretenue avec
Florian Philippot. Relation qui
s’achèvera par une défaite, dont
tous ici – ou presque –, entre fiel,
rancœur et amertume, recon-
naissent leur responsabilité. p
christine rousseau
C’était écrit : les dix derniers
jours de Marine Le Pen, de
Bruce Toussaint et Yannick Adam
de Villiers (Fr., 2018, 90 min).
3 5 9 8 4 6
2 7 1 5 9 3
6 8 4 7 1 2
6 7 1 6 2 3 4 8
4 3 5 9 7 8
3 9 8 9 2 1 6 5
9 6 8 3 2 1
5 4 7 6 8 9
1 2 3 4 5 7
Très difficile
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
SAM E D I 14 AVR IL
TF1
21.00 The Voice,
la plus belle voix
Divertissement présenté par
Nikos Aliagas.
23.25 The Voice
Divertissement présenté par
Nikos Aliagas et Karine Ferri.
France 2
20.55 N’oubliez pas
les paroles
Jeu animé par Nagui.
23.35 On n’est pas couché
Talk-show animé par
Laurent Ruquier.
France 3
20.55 Les Mystères
de la basilique
Téléfilm de François Guérin.
Avec Isabel Otero, Marwan Berreni
(Fr., 2018, 95 min).
22.30 La Face
Téléfilm de Marc Rivière.
Avec Bruno Solo, Julia Faure,
Hippolyte Girardot
(Fr., 2015, 90 min).
Canal+
20.35 Top 25 Grd
Documentaire de Sylvain Fusée
(Fr. 2018, 85 min).
22.20 Groland le gros métrage
Téléfilm de Christian « Moustic »
Borde et Benoît Delépine.
Avec François Neycken,
Gérald Touillon
(Fr., 2015, 85 min).
France 5
20.55 Echappées belles
Escale en Crète
Jours de fête à Dunkerque
Magazines animés par
Tiga et Raphaël de Casabianca.
Arte
20.50 Monuments éternels
Documentaire de Pascal Cuissot
et Gary Glassman
(Fr., 2014, 85 min).
22.15 Odyssée Pluton
Documentaire de Terri Randall
(EU, 2015, 55 min).
M6
21.00 X-Files
Série. Avec David Duchovny,
Gillian Anderson, Mitch Pileggi
(EU, saison 11, épidodes 5, 6 et 8/10 ;
S1, ép. 21/24 ; S3, ép. 17/24 ;
S1, ép. 12/24 ; S3, ép. 3/24).
0123 est édité par la Société éditrice
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4 5 7
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1 2 3
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durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018 carnet | 19
Mireille Martinet, M. Jacques Blanc, Jacques et Michel Lefebvre Peña, Catherine Crouzet-Mennesson,
Marie-Catherine et Pierre Pacault, son ils ses enfants Marion Crouzet et Noël Jarrige, Remerciements
Monique et Jean-Marie Boyer, Et Catherine, Pierrette Crouzet-Daurat,
et leurs compagnes, Martine Rennes.
/H &DUQHW ses illes et gendres, Patricia, Sophie Sylvia Crouzet (1955-1974),
et Béatrice, et Dominique,
Colas et Maïdelin Martinet, Lise et Marwan Alchami, Jacqueline Pitié,
9RV JUDQGV pYpQHPHQWV Nancy et Edouard Tsoungui,
ses petites-illes
Et David,
Camille, Antoine, Antoine, Thomas
et Marie,
ses illes, son épouse
Lucie Martinet, Emmanuel, Rémi, Thomas, Constance Et sa famille,
Roberto Pacault et Camille Dupuy, ses petits-enfants, David et Hélène, Amandine et
et Fanny,
1DLVVDQFHV EDSWrPHV Elisa Boyer et Enguerran Dupré, Ernestine et Isadora, Jérémie, Nausicaa et Sylvain, Antoine, on été touchées par les différentes
ses arrière-petits-enfants,
ILDQoDLOOHV PDULDJHV Marion Boyer et Jonathan Jeremiasz, ses arrière-petites-illes, Ella, Nour, Zélie, Suzanne, Pierre, et nombreuses marques de sympathie,
DQQLYHUVDLUHV GH QDLVVDQFH ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès de ses petits-enfants, de soutien et d’amitié exprimées lors
du décès de
Emma Rosa, Thaïs, ont la tristesse de faire part du décès de
$YLV GH GpFqV UHPHUFLHPHQWV Mme Marcelle DENIS, Ses arrière-petits-enfants,
Adrien, Audrey, Marie et Maud, Jean-Marc PITIÉ,
PHVVHV FRQGROpDQFHV professeur émérite
Margaux,
KRPPDJHV de l’université de Dijon, Simonne LEFEBVRE PEÑA, Lilla Mérigaud,
Maxime, Clémentine, chevalier de la Légion d’honneur, survenu le 26 mars 2018.
DQQLYHUVDLUHV GH GpFqV Gary, Maurice,
sa sœur,
croix du combattant volontaire Annette Sauvageot,
VRXYHQLUV ses arrière-petits-enfants, de la Résistance, survenu le mardi 10 avril 2018, à Paris.
sa belle-sœur, Souvenir
&ROORTXHV FRQIpUHQFHV commandeur
dans l’ordre des Palmes académiques, épouse de son frère, Jacques Sauvageot
ont la douleur de faire part du décès, Elle rejoint ainsi son mari, Merci aux amis de
VpPLQDLUHV WDEOHVURQGHV médaille Comenius. (1923-1997),
le lundi 9 avril 2018, de
SRUWHVRXYHUWHV IRUXPV
Mariano PEÑA HERNANDO, Ses neveux et nièces, Pierre SABBAH,
MRXUQpHV G·pWXGHV FRQJUqV Jean BASTIÉ, Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité 1969-1998.
QRPLQDWLRQV de sa famille, au cimetière de la Fouillouse
né le 6 mars 1919, (Loire). ont la tristesse d’annoncer que
DVVHPEOpHV JpQpUDOHV qu’elle a tant aimé. Il nous manque.
professeur émérite à la Sorbonne,
président d’honneur Marcelle Denis a enseigné les sciences Jacqueline SAUVAGEOT,
6RXWHQDQFHV GH PpPRLUH WKqVHV L’inhumation aura lieu le lundi
de la Société de géographie de Paris, de l’éducation et l’histoire de la pédagogie, née le 2 mai 1928, Conférence
+'5 16 avril, à 15 h 45, au cimetière
oficier de la Légion d’honneur. en devenant, sur les conseils du philosophe professeur à l’Université de Corte,
GLVWLQFWLRQV IpOLFLWDWLRQV tchèque Jan Patocka, l’un des meilleurs intercommunal de Clamart (Hauts-de-
La cérémonie civile sera célébrée spécialistes de l’œuvre de Jan Amos Seine).
([SRVLWLRQV YHUQLVVDJHV Komenski (Comenius), penseur de la
s’est éteinte, chez elle, à Calvi,
VLJQDWXUHV OHFWXUHV en la salle de la Coupole du crématorium le 8 avril 2018.
didactique et de l’humanisme.
FRPPXQLFDWLRQV GLYHUVHV du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, Sa famille,
le samedi 14 avril, à 10 heures. 14, passage Bullourde, cath.crouzet@gmail.com
Ses amis,
75011 Paris. marion.crouzet@orange.fr
3RXU WRXWH LQIRUPDWLRQ &DUQHW  pierrette.crouzet@laposte.net
Francine Moussu et Mireille Jouasset,
     21320 Arconcey. ont la douleur de faire part du décès de alchamilise@gmail.com
ses sœurs, Conférence Publique
     Jean Moussu, organisée dans le cadre
FDUQHW#PSXEOLFLWHIU son beau-frère François MEUNIER, Anne Granval, des Rencontres du Droit Humain
et leurs enfants Jacqueline GLUCKSTEIN, avocat honoraire au Barreau de Paris, sa compagne, - Fédération Française -
Ainsi que les enfants née SZYNDLER,
de Sylvie Pomier Layrargues, survenu le 31 mars 2018, M. et Mme du Closel, « Droit Humain, droits humains »,
AU CARNET DU «MONDE» nous a quittés, samedi 21 avril 2018, à 14 heures,
sa sœur jumelle disparue en 2007, dans sa soixante-dix-septième année. Fabienne Servan-Schreiber
entourée de l’affection de tous les siens. et Henri Weber, 9, rue Pinel, Paris 13e.
Naissance ont la tristesse de faire part du décès de Marie-Christine
L’enterrement aura lieu le lundi 16 avril Il repose au cimetière de Dieulefit Intervenants :
2018. et François Chatellier,
Françoise et Bernard MEUNIER, (Drôme). Geneviève Garrigos,
Anne CAZALIS, Pierre et Virginie Servan-Schreiber, présidente Amnesty International France
Danielle et Gérard MOREAU, On se retrouvera à 16 heures, Guillaume Servan-Schreiber, (2008-2016),
survenu le 10 avril 2018, à l’entrée principale du cimetière parisien 176, rue de Rivoli, leurs enfants et petits-enfants, Michaël Foessel,
sont heureux d’annoncer la naissance de Bagneux.
de leur petite-ille, à l’âge de quatre-vingt-onze ans, 75001 Paris. philosophe.
à la maison de retraite protestante ont la tristesse de faire part du décès de
Lise, de La Muette. Paris. Riyad. Inscription obligatoire
Son épouse M. Jean-Claude accueil@apfdh.org
Et ses proches, SERVAN-SCHREIBER, Tél. : 01 44 08 62 62.
chez Elle sera inhumée au cimetière M. et Mme François Gouyette
Cécile et Pierre. et leurs enfants, journaliste, www.droithumain-france.org
du Montparnasse, Paris 14e, le 14 avril,
ont la tristesse de faire part du décès de homme politique,
à 14 h 45.
33, rue des Chaufourniers, ont la douleur de faire part du décès de commandeur de la Légion d’honneur, Communication diverse
75019 Paris. Henri PINAUD, médaille militaire,
Un service d’action de grâce sera M. Maurice GOUYETTE, commandeur
célébré en l’Eglise réformée sociologue,
de l’ordre national du Mérite,
Décès du Luxembourg, 58, rue Madame, le 11 avril 2018, à Paris, chercheur au laboratoire croix de guerre 1939 - 1945,
Paris 6e, le 28 avril, à 14 h 30. dans sa quatre-vingt-deuxième année. Georges Friedmann - CNRS,
Tours. Oran. médaille des évadés,
La cérémonie religieuse sera célébrée croix du combattant volontaire
« Le pessimisme est d’humeur, 1939 - 1945,
Jérôme et Anne, le lundi 16 avril, à 10 h 30, en l’église survenu le 7 avril 2018,
l’optimisme de volonté. » croix du combattant volontaire
Louis, Notre-Dame d’Auteuil, Paris 16e, suivie dans sa soixante-dix-neuvième année.
Christophe et Michiyo, Alain. de la Résistance,
de l’inhumation au cimetière parisien
ses ils, de Bagneux. médaille des internés résistants, SOS AMITIE
Laura, Juliette, Frédéric, MRP La Muette, Un hommage lui est rendu en la Legion of merit, Envie d’être utile ? Venez nous rejoindre
ses petits-enfants, 43, rue du Sergent Bauchat, 6, rue Rosa Bonheur, chapelle de l’hôpital Saint-Louis, dans un centre proche de chez vous !
Sa famille, 75012 Paris. 75015 Paris. Paris 10e, ce vendredi 13 avril, à 14 heures survenu le 11 avril 2018,
Ses amis, Aude Pomier Layrargues, et en l’église de Bussière-Poitevine le jour de ses cent ans. Les bénévoles de SOS Amitié écoutent
332, rue Lecourbe, par téléphone et par internet
ont le chagrin de faire part du décès de Frédéric, (Haute-Vienne), samedi 14 avril, ceux qui souffrent de solitude, mal-être
75015 Paris. Emmanuel La cérémonie religieuse sera célébrée
à 10 h 30, suivi de l’inhumation et pensées suicidaires.
Carole Jouasset, et son amie, Christèle, le lundi 14 avril, à 10 h 30, en la cathédrale
Gisèle ASSÉMAT, au cimetière de Bussière-Poitevine.
née PASTOR, 6, rue Guy de la Brosse, Laurence, Saint-Louis des Invalides, Paris 7e. Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 7
75005 Paris. ses enfants,
et recherchons des écoutants bénévoles.
survenu le 5 avril 2018, Agnès Taillandier Pinaud, Ni leurs ni couronnes. L’écoute peut sauver des vies
en son cher Mortier, Adrien et son épouse, Alice, 10, rue Martel,
Monique Defrançais, et enrichir la vôtre.
à l’âge de quatre-vingt-seize ans. Alexis, Alice et son amie, Marion, L’inhumation aura lieu dans l’intimité
sa mère, Jordan, Quentin, Benjamin, Ella, 75010 Paris.
Jacques Defrançais, familiale, à Montfrin (Gard), le mardi Horaires lexibles, formation assurée.
ses petits-enfants,
Geneviève Bas, son père, 17 avril. RDV sur www.sosamitieidf.asso.fr
Du Beausset (Var).
son épouse, Philippe et Laurent, ont la douleur de faire part du décès de
Catherine et Françoise, ses frères,
ses enfants, Michel GRIVEAU, Ses enfants, Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Maeva et Raphaël, Ses petits-enfants Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
ont la tristesse de faire part du décès de
ses petits-enfants, survenu à Paris, le 7 avril 2018, Et ses arrière-petits-enfants, Directeur de la rédaction Luc Bronner
à l’âge de soixante-dix-huit ans. Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
ont la grande tristesse de faire part du décès, Lucile DEFRANÇAIS, Direction adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,
le 26 mars 2018, à Paris, La cérémonie religieuse a été célébrée ont la tristesse de faire part du décès de Marie-Pierre Lannelongue, Virginie Malingre, Caroline Monnot, Cécile Prieur
Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon, Sylvie Kauffmann
à l’âge de quatre-vingt-douze ans, de survenu le 5 avril 2018, le jeudi 12 avril, à 10 h 30, en l’église Rédaction en chef numérique Philippe Lecœur, Michael Szadkowski
Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol
à l’âge de quarante-huit ans. Saint-Leu-Saint-Gilles, place de l’Église, Mme Arlette SANCHEZ,
M. Georges BAS, à Thiais (Val-de-Marne), suivie de née CHABANE,
Directeur délégué au développement du groupe Gilles van Kote
Directeur du développement numérique Julien Laroche-Joubert
professeur émérite La bénédiction d’adieu aura lieu l’inhumation à 11 h 30, au cimetière Rédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel Davidenkoff
à l’université de Paris-Sorbonne, au crématorium du cimetière du Père- communal de Thiais, 8, avenue du Général Chef d’édition Sabine Ledoux
oficier de Gaulle. survenu à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Directeur artistique Aris Papathéodorou
dans l’ordre des Palmes académiques, Lachaise, Paris 20 e, le lundi 16 avril, Photographie Nicolas Jimenez

traducteur. à 16 h 30. La famille souhaite remercier

Les obsèques ont été célébrées
dans l’intimité, le 30 mars, à Paris.
Infographie Delphine Papin
La cérémonie aura lieu le lundi Médiateur Franck Nouchi
chaleureusement les équipes de la clinique Secrétaire générale du groupe Marguerite Moleux
Cet avis tient lieu de faire-part Alleray-Labrouste et de l’hôpital 16 avril 2018, à 15 heures, au cimetière de Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
et de remerciements. Cognacq-Jay. Lagoubran, à Toulon. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

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LES OUBLIÉS e
DU MAROC

6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de recti�ication et de radiation des informations vous concernant en vous adressant à notre siège.
20 | styles 0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

GASTRONOMIE
los angeles

L’
été dernier, un OGNI, ob-
jet gastronomique non
identifié, a atterri sur la
planète Los Angeles. Cela
fait déjà une vingtaine d’années que
la tentaculaire ville californienne et
capitale du showbiz n’a cessé de dé-
ployer son offre culinaire. Des cafés
« green » aux cantines asiatiques
branchées, des marchés fermiers bio
aux bistrots ultrasourcés, les op-
tions pour bien manger à Los Ange-
les sont aujourd’hui pléthoriques.
Dans une région où tout pousse, L.A.
est devenu un éden pour se nourrir
bon et sain, à prix raisonnable, dans
une atmosphère détendue et quel
que soit le quartier, d’Hollywood à
Downtown L.A., en passant par Ve-
nice Beach. Même s’il existe quel-
ques rares spécimens, les adresses
huppées – le fine dining – ne sont pas
le fort de la ville des anges.
C’est peu de dire que Vespertine,
l’ambitieux restaurant ouvert par le
chef Jordan Kahn en juillet 2017, a
rué dans le décor. La promesse ? Une
expérience dinatoire en « quatre ac-
tes » et une vingtaine de plats (pour
la « modique » somme de 250 euros Dans sa tour de verre et d’acier de 510 mètres carrés, Jordan Kahn, le chef du Vespertine, a écrit son menu comme une « narration visuelle ». ANNE FISHBEIN, JEFF ELSTONE
par personne, sans compter bois-
sons, taxes et pourboires, soit une
addition finale d’à peu près le dou-

ble), défiant toute conception classi-
que que l’on peut se faire d’un repas.
Concrètement, Vespertine – qui si-
gnifie « vespéral », c’est-à-dire pre-
nant vie le soir, mais qui est aussi le
titre du cinquième album de Björk –
est un restaurant de vingt-deux
couverts au décor minimaliste,
510 mètres carrés répartis sur qua-
tre niveaux dans une tour ondu-
lante de verre et d’acier couleur
rouille, annexée d’une mare design
et d’un jardinet futuriste. « Le projet
a été construit en fonction de la
structure qui l’abrite. » Conçu par
Eric Owen Moss, Vespertine réside
en effet dans un bâtiment singulier,
dressé dans le quartier de Culver
City, où l’on trouve des studios de ci-
néma ainsi que les œuvres expéri-
mentales d’inspiration brutaliste de
cet architecte atypique et ultralocal.
l’expérimen(table)
pin. L’acte central se déroule dans le
clair-obscur austère de la salle à
manger au premier étage, pour goû-
ter à une succession de plats inédits,
dont une soupe glacée et moirée
Au Vespertine, à Los Angeles, on ne dîne pas, on participe aux petits pois, kiwi et épicéa ; un riz
au lait salé, œufs de truite et pétales
à un happening en quatre actes et vingt plats. Agencement de souci ; un échafaudage de coquil-
les Saint-Jacques, asperges et chips
des tables, bande-son funèbre, présentation conceptuelle... de riz ; une bouillie de quinoa au fro-
mage frais et poudre de cœur
un show où la cuisine n’est presque qu’un prétexte d’agneau ; ou une guimauve mauve
au clou de girofle, fleurs de jasmin et
lait de sarrasin…
Bien que savamment agencés, les
l’Etat de Géorgie, ce descendant de je n’avais aucune idée de la cuisine sons et bien sûr nourritures se com- contenus disparaissent parfois inté-
Cubains s’est épris de gastronomie que j’allais faire. » Il nous avouera plètent, se confondent et participent gralement dans les contenants, d’en-
dans son enfance, en plongeant n’avoir formalisé son menu que très à une expérience multisensorielle et veloppantes céramiques signées
dans les pages du French Laundry tard, une fois que tout le reste était conceptuelle unique et inoubliable. Ryota Aoki. On peinera ainsi à dis-
Cookbook (1999) du chef Thomas en place, soit moins de trois mois C’est évidemment ce à quoi aspire tinguer le crabe sous son drap de
Keller, chez qui il a ensuite fait ses avant l’ouverture. Jordan Kahn, qui parle plus facile- AU DESSERT, kale blanc, enfoui dans un globe

Algues frites et vin infusé au pin

Rodé à l’art du storytelling, Jordan
Kahn raconte l’origine de Vespertine
comme une mythologie person-
nelle : « Je suis tombé sur ce bâtiment,
alors en construction, par accident.
C’était il y a quatre ans. J’étais boule-
versé, comme la première fois que
l’on rencontre un séquoia géant. Pen-
dant un mois, toutes les nuits, je ve-
nais là, je sautais par-dessus la palis-
sade pour me recueillir à l’intérieur.
Puis j’ai remué ciel et terre pour con-
vaincre Eric Owen Moss d’y créer
mon restaurant. »
Trentenaire ténébreux d’allure go-
thico-avant-gardiste, crâne à moitié
rasé et longue mèche noire tom-
bante, Jordan Kahn n’était pas un in-
connu de la scène culinaire ange-
lena. Originaire de Savannah, dans
armes. Pâtissier de formation, Jor-
dan Kahn a aussi travaillé avec l’ul-
tra-moderniste Grant Achatz, du
restaurant Alinea, à Chicago, où les
desserts sont souvent « peints » à
même la table. Avant d’ouvrir, à Be-
verly Hills, Red Medicine, déclinant
des assiettes d’influence vietna-
mienne aux allures de terrariums
comestibles. Quelques années plus
tard, il lançait Destroyer, cantine
modeuse et abordable à Culver City,
où l’on peut déjeuner d’un bol de
porridge au poulet confit, herbes
et fraises rôties.
Depuis ce poste, et dans une dis-
crétion absolue, Jordan Kahn super-
visait l’avancée des travaux de son
futur grand-œuvre, juste de l’autre
côté de la rue. « Il m’a fallu près de
quatre ans pour donner naissance à
Vespertine et, pendant tout ce temps,
Dès son premier service, Vesper-
tine a enflammé la presse califor-
nienne, certains applaudissant le
« changement de paradigme » gé-
néré par ce « vaisseau extraterres-
tre », d’autres déplorant une « haute
cuisine dépressive », servie dans une
« citadelle apocalyptique » sur une
bande-son (signée du groupe This
Will Destroy You) frisant le chant fu-
nèbre. Pour l’incontournable criti-
que du L.A. Times Jonathan Gold, qui
l’a classé numéro un de sa célèbre
liste « 101 Best Restaurants » en 2017,
Vespertine est bien plus qu’un res-
taurant : « It’s not dinner, it’s Ge-
samtkunstwerk », une « œuvre d’art
totale », où architecture extérieure
et intérieure, agencement des ta-
bles, choix des céramiques, choré-
graphies du service, musique, lu-
mières, parfums d’ambiance, bois-
ment de ses inspirations artistiques
que de son style culinaire. « Le menu
est écrit comme une seule pièce, ex-
plique-t-il. Une narration visuelle. On
réfléchit à ce que chaque plat repré-
sente – sa tonalité dans la chronolo-
gie du dîner, son poids, sa sensibilité,
sa consistance… Puis on établit sa va-
leur, s’il est censé vous tirer vers le sol
ou vous envoyer dans les airs, s’il est
acide, puissant ou doux. C’est alors
qu’on applique des ingrédients, puis
des techniques. » Une approche à
contre-courant, à l’ère du produit roi
et de la provenance à tout prix.
Pour les clients, la soirée débute
dehors, s’enchaîne avec une brève
introduction du chef en cuisine, se
poursuit sur le toit du bâtiment avec
des snacks apéritifs accrochés à une
branche, algues frites, mousse de
pois chiches et oxalis, vin infusé au
ON PEINE presque fermé, ou le dessert final,
un granité de concombre au ram-
À DISTINGUER boutan, planqué dans la rainure
d’une assiette-pneu verticale. A
LE GRANITÉ croire que le but est moins de man-
DE CONCOMBRE ger que d’admirer ces créations
comme autant d’objets d’art.
AU RAMBOUTAN La soirée se clôt au jardin avec des
noix vertes et autres mignardises
PLANQUÉ DANS disparaissant dans la pénombre,
alors qu’on a déjà oublié la moitié
LA RAINURE D’UNE des plats qu’on a mangés. Surtout
ASSIETTE-PNEU ceux qu’on a à peine vus. Difficile de
savoir si tout est pensé ainsi par le
VERTICALE maître des lieux, qui aime brouiller
les pistes comme les sens. Mais une
chose est sûre, on se souviendra de
cette étrange soirée, sorte de happe-
ning gastro-conceptuel en plein L.A.
Quant à la cuisine, on l’aura compris,
c’est ici une affaire secondaire. p
camille labro

CUISINEZ-MOI | CHRONIQUE PAR ELVIRE VON BARDELEBEN

J’ai regardé « Top chef » avec l’ancien candidat Pierre Sang Boyer

T’ as vu leur regard quand monsieur

Robuchon passe derrière eux !
Et comme ils tremblent ! Je le
connais bien, il est intransigeant dans la
vraie vie. Et il ne va pas être gentil à la
télé… » Pierre Sang Boyer, 38 ans, n’a pas
beaucoup suivi « Top chef » cette saison,
mais il se plonge vite dedans. Forcément,
le visionnage de l’émission de M6 lui
rappelle des souvenirs : en 2011, le chef
franco-coréen avait été jusqu’en finale.
D’habitude, Pierre Sang Boyer est de
l’autre côté du comptoir, en cuisine, dans
son nouveau restaurant, le troisième qu’il
a ouvert rue Gambey, dans le quartier
d’Oberkampf, à Paris. Ce soir-là, même si
ses enseignes sont pleines, il accepte notre
proposition de manger au bar, en regar-
dant « Top chef » sur ordinateur.
Pour la première épreuve, les quatre can-
didats restants doivent préparer un plat de
patates jugé par Joël Robuchon. Pierre Sang
Boyer commente leur technique, désap-
prouve le choix de Clément, qui veut faire
une « pomme de terre suédoise » (« Mon-
sieur Robuchon, il veut une cuisine française
codifiée dans la lignée d’Escoffier et Carême,
il faut aller dans son sens ! »), se moque du
montage qui cherche à créer des tensions
là où il n’y en a pas (« Ils vont le montrer en
train de ramer, jusqu’au moment où paf, en
fait, c’est réussi »), et compatit avec les can-
didats à qui on demande d’expliquer leur
plat alors qu’ils sont hyperpressés.
« SO GOOOOOD LES RIS DE VEAU ! »
« Moi, mon astuce, c’était de toujours faire
deux fois plus de préparations que les
autres. Au cas où je raterais une sauce ou
une purée. J’avais toujours une solution,
mais je me mettais la misère niveau tra-
vail », se remémore-t-il. Même s’il en garde
quelques mauvais souvenirs, notamment
la fois où il a dû cuisiner avec des Kinder
Bueno et d’autres produits industriels
trouvés dans une supérette de l’aéroport
d’Orly, Pierre Sang Boyer estime que l’émis-
sion a été un vrai accélérateur de carrière,
« CAMILLE
EST LE MEILLEUR,
qui lui a permis de s’installer à son compte.
Pendant la pub, il part faire un tour dans
ses deux autres enseignes. On ne saurait
trop dire si c’est l’effet « Top chef »,
IL DEVRAIT sa gentillesse, ou sa cuisine délicieuse à
prix doux, mais les clients viennent à lui,
GAGNER », ESTIME le félicitent. « Amazing ! So goooood
les ris de veau ! Such an experience ! »,
PIERRE SANG BOYER. s’enflamme une Américaine.
AVANT DE CORRIGER : Tout cela est wonderful, mais il faut re-
tourner voir l’épreuve numéro deux, jugée
« ENFIN, par Yannick Alléno. Pierre Sang Boyer,
qui le connaît bien, lui envoie un SMS :
C’EST RAREMENT « Bonsoir chef, toujours la classe à la télé ! »
LES MEILLEURS Et ricane quand le trois-étoiles gobe l’œuf
qu’un candidat a patiemment cuit
QUI GAGNENT » et écalé. « Haha, ça c’est Alléno ! »
Les erreurs répétées du candidat Adrien
lui rappellent sa propre expérience,
« face aux caméras, lumières braquées sur
toi, tu sais que tous tes potes te regardent,
tu transpires, t’es tétanisé et, naturelle-
ment, tu fais n’importe quoi ». Vingt-
trois heures, le restaurant se vide, les
cuistots commencent à récurer la cuisine.
Un sous-chef apporte à Pierre Sang Boyer
un plat qu’il vient de créer, un gratin de
kimchi. Pas convaincu, il essaie d’être di-
plomate dans sa critique.
« Moi, je bossais avec un chef qui envoyait
des assiettes sur la tête quand il n’était pas
content. J’en rigole, mais bon… Je veux que
les gens avec qui je travaille soient investis,
motivés, qu’ils restent », explique Pierre
Sang Boyer, qui aide à se loger une partie
de ses 60 employés, dont certains ont du
mal avec les loyers parisiens.
Sur le petit écran, épreuve de la dernière
chance, sur le thème de la coquille Saint-
Jacques. Pierre Sang Boyer voit ses pronos-
tics se réaliser, le jeune Clément, qui man-
que de technique, se fait sortir. « Camille
est le meilleur, il devrait gagner », estime-
t-il. Avant de corriger : « Enfin, c’est rare-
ment les meilleurs qui gagnent. » Au fond,
peu importe : ne pas avoir majoré « Top
chef » en 2011 n’empêche pas Pierre Sang
Boyer d’être un chef au top en 2018. p
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
CULTURE | CHRONIQUE
p a r s yl vie ke r vie l
Le retour d’un
mauvais film
C
onte de fées moderne »
ou promotion « com-
plaisante » du sadoma-
sochisme ? L’arrêt est
passé quasi inaperçu et pourtant
il mérite qu’on s’y arrête. Le
15 mars, la cour administrative
d’appel de Paris a suspendu le
visa délivré au film Cinquante
nuances plus claires, nouvelle dé-
clinaison de la série de bluettes
érotiques Cinquante nuances de
Grey, demandant que le film soit
interdit aux moins de 12 ans.
Le film de James Foley, sorti le
7 février et encore à l’affiche en
France, a vu son visa révisé par la
commission de classification du
Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC). Le tribunal
avait été saisi par l’association
Promouvoir, proche des catholi-
ques traditionalistes, qui avait dé-
posé une requête en référé pour
obtenir une classification plus sé-
vère de ce film – les deux pre-
miers volets avaient été interdits
aux moins de 12 ans –, « en raison
de sa promotion du sadomaso-
chisme ». Le héros collectionne
menottes, fouets et autres instru-
ments qu’il utilise pour des jeux
sexuels avec sa partenaire.
Cette décision, en défaveur du
ministère – qui se fonde sur l’avis
de la commission pour délivrer
les visas d’exploitation –, inter-
vient après la mise en application
du décret du 8 février 2017 révi-
sant les critères de classification
des films. Ce texte avait été éla-
boré pour contrer les actions en
justice, dont celles entreprises par
l’association menée par l’infati-
gable André Bonnet, « l’homme
qui décide de la classification des
films en France » comme le quali-
fie ironiquement Vincent Mara-
val, producteur et distributeur
dont le film Love, réalisé par
Gaspar Noé, s’était vu interdit
en 2015 aux moins de 18 ans.
« Complaisance »
L’association avait attaqué le pre-
mier volet de Cinquante nuances
de Grey (2015) pour obtenir un re-
lèvement à 16 ans de l’âge d’inter-
diction qui avait été fixé à 12 ans,
mais avait été déboutée. Comme
elle l’avait été, en décembre 2016,
pour le film d’animation Sausage
Party, dont elle avait demandé, en
vain, une interdiction plus sévère
que celle autorisant le film aux
plus de 12 ans.
Les juges, qui avaient visionné
le film et notamment la scène fi-
nale où des produits alimentaires
s’entrepénètrent dans un chariot
de supermarché, avaient eu ce
commentaire savoureux : « Si, du-
rant trois minutes, des aliments et
autres produits de consomma-
tion, dont aucun ne figure au de-
meurant un mineur, simulent ex-
plicitement diverses pratiques
sexuelles, cette scène se déroule
dans un univers imaginaire, et ne
peut être interprétée comme inci-
tant le spectateur mineur à en re-
produire le contenu. »
Cinquante nuances plus claires,
que Le Monde avait présenté lors
de sa sortie comme « un soap
opera sous perfusion », « contient
plusieurs scènes représentant des
pratiques sexuelles à caractère sa-
domasochiste », a relevé la cour. Et
de préciser : « Si ces scènes sont si-
mulées et relativement brèves au
regard de la durée du film, elles
LES ASSOCIATIONS
DE PROFESSIONNELS
AVAIENT UN PEU VITE
SALUÉ LE DÉCRET
RÉVISANT
LES CRITÈRES
DE CLASSIFICATION
Tirage du Monde daté vendredi 13 avril : 211 342 exemplaires
0123 | 21
MACRON
AU COURS
PRÉPARATOIRE l’accueillait l’œcuménique journal télévisé
de la mi-journée de TF1 et son inusable pré-
sentateur, Jean-Pierre Pernaut. Le chef de
France », il ne saurait être question d’en
modifier les objectifs, le rythme et la mé-
thode d’application. Tant pis pour ceux qui
l’Etat n’ignore aucun des griefs qui lui sont
faits. Depuis son élection, l’étiquette de pré-
imaginaient que le président concéderait
tel aménagement ou renoncerait à telle dis-
sident des riches et des villes lui colle à la position pour calmer les inquiétudes ou les
peau. Depuis des mois, ses certitudes, voire exaspérations.
son contentement de soi, lui sont sans Tout juste a-t-il expliqué qu’il n’était pas
LA COUR cesse renvoyées à la figure, à droite ou à là pour « opposer les Français les uns aux
ADMINISTRATIVE gauche, comme la preuve de son ignorance autres », mais pour « faire avancer le pays »
des réalités ou de son indifférence aux peti- et lui permettre de s’adapter aux change-
D’APPEL A SUSPENDU tes gens. Depuis des semaines, les chemi- ments du monde. Qu’il s’agisse de la ré-
nots de la SNCF, les fonctionnaires ou les forme de la SNCF, de celle des universités et
LE VISA DÉLIVRÉ étudiants en colère lui reprochent des ré- de l’école, ou de tous les autres chantiers
À « CINQUANTE formes qu’ils jugent précipitées et injustes. engagés, y compris la limitation de vitesse
NUANCES
PLUS CLAIRES »
I l existe trois sortes de professeurs. Les
uns peinent à se faire entendre et dé-
sespèrent de leurs élèves, quand ils ne
sont pas chahutés ; François Hollande
avait connu ce genre de situation. Les
Une heure durant, le professeur Macron
s’est donc employé à répondre à tous ses
détracteurs. Il y a mis le ton, ni trop
« techno » ni trop « intello », contraire-
ment à son penchant naturel. Il y a mis la
à 80km/h sur les routes, il convient donc
de ne céder ni aux peurs « irrationnelles »,
ni aux craintes illégitimes, ni aux crispa-
tions excessives.
Enfin le chef de l’Etat a rappelé que la pé-
autres, bienveillants jusqu’à l’indolence, forme, plus familière et souriante qu’à l’ac- dagogie supposait l’autorité du maître, en
sont traitées avec complaisance et sont prêts à adapter leur enseignement coutumée. Il y a ajouté quelques mots des- l’occurrence celle de l’Etat, contre les « pro-
sont susceptibles d’être perçues aux difficultés de leur classe ; en son tinés à convaincre qu’il n’est pas seule- fessionnels du désordre », à l’œuvre – à ses
par un très jeune public comme temps, Jacques Chirac fut de ceux-là. Les ment là pour « protéger » et « libérer », mais yeux – à Notre-Dame-des-Landes ou dans
décrivant des pratiques banales troisièmes enfin, campés sur leur magis- également pour « unir ». Bref, qu’il est bien quelques universités. Nul doute qu’il a ré-
dans le cadre d’une relation amou- tère, mettent un point d’honneur à « faire le « président de tous les Français », attentif pondu, sur ce point, à une aspiration crois-
reuse. » La cour estime que « la mi- tout le programme », quoi qu’il en coûte et « à l’écoute ». sante des Français.
nistre de la culture a commis une d’efforts ou de découragement. Emma- Mais, sur le fond, la leçon était sans ambi- Après cet aimable cours préparatoire de
erreur d’appréciation, au regard nuel Macron, à l’évidence, se range dans guïté. Le programme a été fixé lors de l’élec- Berd’huis, le professeur Macron va mainte-
des exigences tenant à la protec- cette troisième catégorie. tion présidentielle et, même si l’« on n’y nant devoir délivrer son discours de la mé-
tion de l’enfance et de la jeunesse ». Il en a fait la démonstration, jeudi 12 avril, était plus habitué », il sera tenu et réalisé thode à une classe de lycéens plus aguerris.
L’Etat devra verser à l’association dans la salle de classe de l’école pimpante « jusqu’au bout ». Et, puisque ce programme Ce sera dimanche, sur BFM et Mediapart,
la somme de 1 000 euros. L’avo- de Berd’huis, au cœur de la Normandie, où est nécessaire pour rebâtir la « maison un exercice plus exigeant. p
cate du ministère de la culture
avait défendu « un film s’apparen-
tant à un conte de fées moderne ».
Pour cette nouvelle action en
justice contre Cinquante nuances
plus claires, l’avocate de Promou-
voir s’est appuyée sur le nouveau
GÉNIES
décret demandant que les critères UNE COLLECTION
de classification prennent désor-
mais en compte « la sensibilité et
le développement de la personna- des
MATHÉMATIQUES
lité propres à chaque âge ».
Une formulation censée, dans
l’esprit des rédacteurs du décret,
permettre d’en finir avec la subjec-
tivité qu’impliquait le texte précé-
dent, qui évoquait des scènes
« susceptibles de porter atteinte à
la sensibilité des adolescents ». Or, Grâce au calcul infinitésimal de Leibniz
la subjectivité n’est pas absente de nous construisons les infrastructures les plus spectaculaires
l’arrêt comme le fait remarquer
un spécialiste du droit du cinéma,
qui s’étonne que la cour ait pu esti-
mer que les scènes à caractère sa-
domasochiste « sont traitées avec
complaisance ».
C’est l’ex-ministre de la culture
Fleur Pellerin qui, en septem-
bre 2015, avait commandé à Jean-
François Mary, alors président de
la commission de classification
des œuvres du CNC, un rapport
après une succession d’annula-
tions des visas, à l’initiative de
Promouvoir. Il s’agissait d’établir
des critères de classification qui
soient mieux adaptés aux jeunes
grandis avec Internet et qui per-
mettent aux cinéastes d’évoquer
des sujets tels que le sexe et la vio-
lence sans risquer de se voir relé-
gués à des circuits de diffusion
condamnant leur existence tant
artistique qu’économique. « Il
faut redonner à la ministre et à la
commission de classification la
marge d’appréciation que l’appro-
priation par des juges avait singu-
lièrement réduite ces derniers
temps », avait déclaré M. Mary.
On le voit, le changement de for- Découvrez les esprits d’exception
mulation n’empêche en rien la
et les théories mathématiques
visuel non contractuel
RCS B 533 671 095
contestation en justice et la révi-
sion des visas. Les associations de
professionnels du cinéma avaient qui ont révolutionné le monde
peut-être un peu vite salué le
nouveau décret, notamment
l’ARP. La société civile des auteurs-
réalisateurs-producteurs s’était
félicitée qu’un texte vienne « pré-
server et sécuriser la liberté des
créateurs, la spécificité de la créa-
tion artistique et sa diffusion ».
« Plus que jamais, notre société a
besoin d’art et de liberté, et certai-
nement pas d’un retour à un ordre
soi-disant moral », avait-elle dé- LE VOLUME 4
9 99
© Edouard Caupeil/Pasco
claré dans un communiqué.
Le film d’Abdelatif Kechiche
€
Mektoub My Love, sorti en salle le Une collection présentée par
Etienne Ghys
,
20 mars, s’ouvre sur une scène de SEULEMENT
Membre de l’Académie des sciences
sexe, brève mais intense. La com-
et directeur de recherche au CNRS
mission de classification a estimé
que cela ne justifiait pas une inter-
diction aux moins de 12 ans. On at-
tend avec intérêt de voir si ce visa
sera contesté ou non en justice. p
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de l’étrangeté
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Michèle Lamy ou le goût

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14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

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 9

Des personnages! Comme souvent dans M Le magazine du Monde, il y a cette semaine de

sacrés personnages au sommaire. Pourtant, dans ce numéro consacré au design, il devrait être
essentiellement question d’objets. Mais la styliste Charlotte de La Grandière, collaboratrice de
longue date de M, l’entend autrement. Elle n’aime rien tant que raconter des histoires, et elle a
cette fois convoqué des personnages pour mettre en scène une vie de château à l’élégance dé-
catie. La splendeur passée n’est plus qu’un souvenir, les bonnes manières s’effacent au profit de
nouvelles habitudes, plus fantasques. Coudes sur la table et murs décrépits, pièces de design et
instruments ménagers…, l’ensemble est à mille lieues des habituelles séries de déco, belles et
glacées, où on a l’impression qu’il est interdit de s’asseoir sur le canapé ou de se saisir d’un verre.
Fantasque, c’est aussi un adjectif qui va bien au teint de l’étrange Michèle Lamy, épouse du
créateur Rick Owens. À 73 ans, elle a déjà été avocate pénaliste et strip-teaseuse, et s’impose
aujourd’hui comme une designer de premier plan, plus soucieuse de performance au sens artis-
tique du terme que de fonctionnalité. Fantasque, ce n’est pas exactement comme cela que l’on
peut qualifier la tonitruante Stormy Daniels, actrice et réalisatrice de porno, désormais star de
pole dance dont la parole sans fard menace la présidence Trump. Elle a eu une aventure d’un
soir en 2006 avec celui qui n’était alors qu’un homme d’affaires. Dix ans plus tard, en pleine
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

campagne électorale, on a acheté son silence contre un gros chèque. Mais elle a décidé de rompre
le silence et n’épargne aujourd’hui aucun détail sur les petites habitudes sexuelles de Mr Trump
à un public américain avide. Stormy Daniels est même devenue l’idole des opposants au prési-
dent et l’héroïne de certaines féministes qui saluent son aplomb et son indépendance.
Fantasque, ce n’est pas exactement le mot qui convient au politicien Renaud Muselier, pro-
bable candidat à la succession de l’imputrescible Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille.
Dans le portrait que les journalistes Philippe Ridet et Gilles Rof consacrent à « Muso », on
apprend entre autres que le roi – d’Albanie – est son cousin. (Non, non, il ne règne pas.) Et l’on
comprend que Muselier a plus de revanches à prendre que d’ambitions à assouvir.Au passage,
il y a évidemment de grandes déceptions et de petites trahisons. Ou l’inverse. Le tout ferait
presque un roman français du xixe siècle, dans lequel « Marseille et moi » serait un nouveau
« À nous deux, Paris ! ». Bien sûr, il ne faut pas faire de Renaud Muselier, baron de la droite
méridionale, un héros romanesque ! Mais le talent de nos deux journalistes en fait indénia-
blement un personnage. Marie-Pierre LanneLongue

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

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 11

14 avril 2018

La semaine Les chroniques

29 44 38
Gabriel Attal, Qui est vraiment ? Il est comme ça…
un bébé Macron Michel Crépu. Gérard Larcher.
qui fait déjà ses dents. 46 40
32 Le vice-président Le grand défilé
Hors champ hongrois, braconnier Philippe Martinez.
Chapelle ardente. de rennes suédois. 54
34 48 Il fallait oser
Kim Kataguiri, Face à la justice, Grève-cœur.
le visage juvénile de l’invulnérable héros 56
la droite dure au Brésil. de Bollywood. J’y étais
36 50 Tirage aux sœurs.
Face-à-face L’histoire se répète
Désirs d’engagement. Portées disparues.
42 52
En Corée du Sud, À Madrid, faux master,
le tombeur des puissants. vrai scandale.
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Damien Cuypers pour M le magazine du Monde

La photographie de couverture a été réalisée

par Alexis Armanet pour M Le magazine du Monde.
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38

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde


Le magazine
57
Michèle Lamy,
bon génie de Rick Owens.
Plus qu’une muse ou une
égérie, l’épouse du designer
et styliste est un alter ego
qui fait fructifier son travail.
Et développe désormais
son univers.
64
Le hêtre ou le néant.
Grâce à sa vaste forêt
et à un artisanat classé
à l’Unesco, la Bosnie a
redonné à son industrie
du bois son dynamisme
d’avant l’éclatement
57
de la Yougoslavie.
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
12
Le portfolio
72 84
Le dauphin de Marseille. Dans les pas
En 2020, le LR Renaud de Carlo Scarpa.
Muselier, qui dirige Le photographe américain
la région PACA, semble Daniel Shea est parti
en bonne position pour sur les traces de l’architecte
succéder à Jean-Claude vénitien mort en 1978,
Gaudin, le maire dont les bâtiments invitent
de la cité phocéenne. à la méditation.
78
Bombe à retardement.
En révélant avoir eu des
relations sexuelles avec
Donald Trump en 2006,
l’actrice porno Stormy
Daniels a reboosté
sa carrière. Et mis le
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Photos Marion Berrin pour M Le magazine du Monde
président des états-Unis
dans de beaux draps.
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Arôme antique. 135 Lubaina Himid.
130 Ceci n’est pas… Et aussi: danse, série,
Fétiche une pelle. musique, cinéma.
Chaire de littérature. 136 166
131 Dans le bureau de… Le DVD
Posts et postures Oki Sato. de Samuel Blumenfeld
#springtime. 138 “Mark Dixon, détective”,
132 Ligne de mire d’Otto Preminger.
Librement inspiré Madame est servie. 168
Fleurs de béton. 139 Les jeux
133 Rencontre 1 70
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142
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Président du directoire, directeur de la publication : Louis Dreyfus

Directeur du Monde, directeur délégué de la publication, membre du directoire : Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction : Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions : Françoise Tovo
Directeur de l’innovation éditoriale : Alexis Delcambre
Directeurs adjoints de la rédaction : Benoît Hopquin, Virginie Malingre, Cécile Prieur, Philippe Broussard
Secrétaire générale du groupe : Marguerite Moleux
Secrétaire générale de la rédaction : Christine Laget

directrice adjointe de la rédaction — Marie-Pierre Lannelongue

directeur de la création — Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone

directrice de la mode — Suzanne Koller
rédactrice en chef du magazine — Camille Seeuws
rédaction en chef adjointe — Agnès Gautheron, Pierre Jaxel-Truer

rédaction
Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Philippe Ridet, Laurent Telo, Vanessa Schneider, Zineb Dryef.
Style-mode — Chloé Aeberhardt (chef adjointe Style), Vicky Chahine (chef adjointe Mode),
Fiona Khalifa (coordinatrice Mode), avec Maud Gabrielson, Laëtitia Leporcq,
et Ray Tetauira (assistant direction Mode)
Culture — Clément Ghys (chef adjoint), Émilie Grangeray
Chroniqueurs — Marc Beaugé, Guillemette Faure, Jean-Michel Normand, Philippe Ridet, François Simon
Assistante — Christine Doreau
Rédaction numérique — Marlène Duretz, François Bostnavaron, Thomas Doustaly,
Pascale Krémer, Véronique Lorelle, Jean-Michel Normand, Catherine Rollot
Assistante — Marie-France Willaume

département visuel
Photo — Lucy Conticello et Laurence Lagrange (direction),
Hélène Bénard-Chizari, Federica Rossi. Avec Soizic Landais et Terence Bikoumou.
Graphisme — Audrey Ravelli (chef de studio),
Marielle Vandamme (adjointe). Avec Helena Kadji
Assistante — Françoise Dutech
Photogravure — Fadi Fayed, Philippe Laure.

édition
Anne Hazard (chef d’édition), avec Stéphanie Grin, Julien Guintard (adjoints)
et Paula Ravaux (adjointe numérique). Et Boris Bastide, Béatrice Boisserie, Nadir Chougar, Agnès Rastouil.
Thouria Adouani, Valérie Lépine-Henarejos, Maud Obels (édition numérique).
Avec Clémence Parente.
Révision — Ninon Rosell (chef de section) et Adélaïde Ducreux-Picon. Avec Claire Diot et Jean-Luc Favreau.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

Documentation : Sébastien Carganico
(chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet
Infographie : Le Monde
Directeur de la diffusion et de la production :
Hervé Bonnaud
Fabrication : Éric Carle (directeur industriel),
Jean-Marc Moreau (chef de fabrication), Alex Monnet
Directeur développement produits le monde
interactif : Édouard Andrieu
Directeur informatique groupe : José Bolufer
Responsable informatique éditoriale :
Emmanuel Griveau
Informatique éditoriale : Samy Chérifi, Christian
Clerc, Emmanuel De Matos, Igor Flamain,
Pascal Riguel
diffusion et promotion
Responsable des ventes France international :
Sabine Gude
Responsable commercial international : Saveria
Colosimo Morin
Directrice des abonnements : Pascale Latour
Abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr;
De France, 32-89 (0,30 €/min + prix appel) ;
De l’étranger (33) 1-76-26-32-89
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Marianne Bredard, Marlène Godet
et Élisabeth Tretiack
Directeur des produits dérivés : Hervé Lavergne
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Modification de service, réassorts pour marchands
de journaux : 0 805 05 01 47
m publicité
Présidente : Laurence Bonicalzi Bridier
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Tél. 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @
mpublicite.fr) et Valérie Lafont,
Tél. 01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr)
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80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13
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M Le magazine du Monde est édité par la
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Malesherbes.
Origine du papier : Italie. Taux de fibres
recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé chez
Maury certifié PEFC.
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Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037
Commission paritaire 0712C81975. Agrément
CPPAP : 2000 C 81975. Distribution Presstalis.
Routage France routage.
Dans ce numéro, un encart « Relance
abonnement » destiné à la vente au numéro
France métropolitaine ; un encart « Watch
Your Time » et un encart « lemode.fr
Sélection hebdo » destinés aux abonnés
France métropolitaine.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

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L’art et les manières.

Pour ce numéro sPécial design, la styliste Charlotte de
La Grandière s’est demandé si les bonnes manières de jadis
étaient compatibles avec le monde moderne. Ne pas mettre
ses coudes sur la table, ne pas souffler la fumée de sa ciga-
rette au visage de son voisin, ne pas écouter aux portes,
savoir disposer ses couverts à la fin du repas, offrir les fleurs
au bon moment. Tout un art de vivre, en somme. Avec une
pincée d’humour, elle a imaginé la vie légèrement dérangée
d’un couple d’aristocrates dans une demeure à la splendeur
passée, au château d’Ormesson dans le Val-de-Marne. Le
photographe Alexis Armanet a mis en image ces duettistes
un peu toqués dans ce qui s’apparente presque à un roman-
photo. Entre le néoréalisme italien et un clin d’œil au
Buñuel du Charme discret de la bourgeoisie.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

Photos Alexis Armanet pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

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Ils ont participé à ce numéro.
Journaliste — Photographe — Illustrateur
Styliste — Chroniqueur — Grand reporter
Marion Vignal est journaliste et curatrice
en art contemporain et en design,auteure
de Femmes designers. Un siècle de créa-
tions (Aubanel, 2009). Elle s’est intéres-
sée à Michèle Lamy, épouse du créateur
de mode Rick Owens,qui assure le déve-
loppement de ses collections design.
« Businesswoman, performeuse, chan-
teuse, fan de boxe, c’est un monde en soi.
À 74 ans, son énergie et sa liberté de pen-
ser portent le destin de Rick Owens,
l’homme et la marque. » (p. 57)
alexandre duyck, journaliste et auteur,
raconte la renaissance de l’industrie du
bois en Bosnie-Herzégovine et l’émer-
gence de grands designers. « Mes interlo-
cuteurs étaient ravis qu’un journaliste
français se rende en Bosnie pour parler
d’autre chose que de la guerre vingt ans
après ou des djihadistes. J’ai aimé ren-
contrer des créateurs, des artisans et des
industriels qui produisent des objets
remarquables dans des conditions bien
difficiles » (p. 64)
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
22
Marion Berrin, photographe, a rencontré
la compagne de Rick Owens. « Michèle
Lamy m’a accueillie à bras ouverts.
Elle porte un parfum incroyable,
qu’elle a créé elle-même et qui embaume
l’espace. Il n’a pas de nom… le comble
du chic ! » Après des études en littéra-
ture anglaise et en sciences politiques,
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Frédéric Stucin. Guillaume Jolly. Laurent Bagnis. Tjioe
elle intègre l’École du Louvre, à Paris.
Et collabore régulièrement à M, AD
Magazine, AnOther Magazine… (p. 57)
arMin SMailoVic,photographe, vit entre
Munich et Sarajevo. Il s’est rendu à
Konjic pour découvrir les nouveaux
acteurs du bois. Il a étudié à la Baye-
rische Staatslehranstalt für Photo-
graphie, et coréalisé deux pièces fon-
dées sur ses projets documentaires,
Srebrenica (2015) et Atlas der Angst
(2017). Il est membre fondateur du
festival Fotodoks pour la photographie
documentaire à Munich. (p. 64)
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Ils ont participé à ce numéro.
Journaliste — Photographe — Illustrateur
Styliste — Chroniqueur — Grand reporter
phiLippe ridet et GiLLeS rof, respective-
ment grand reporter à M et correspondant
du Monde à Marseille, dressent le portrait
de Renaud Muselier, président de la
région PACA. En dézinguant le maire de
la ville dont il fut l’adjoint turbulent,
Muselier a lancé la prochaine campagne
des municipales.«C’est le candidat le plus
crédible pour la droite. Il fait semblant de
ne pas s’intéresser au poste. Mais, maire
de Marseille, c’est son Graal, disent ses
amis et adversaires.» (p. 72)
Stéphanie Le BarS est journaliste au
Monde, installée aux États-Unis. Alors
que l’aventure d’un soir de 2006 entre
l’actrice de films X Stormy Daniels et le
président américain, Donald Trump, est
au cœur de l’actualité, elle s’est
demandé pourquoi elle n’irait pas assis-
ter à l’un des shows de cette jeune
femme qui fragilise la défense présiden-
tielle. Mission accomplie dans un gent-
lemen’s club de Nashville. (p. 78)
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
24
Yohanne LamouLère, photographe, vit à
Marseille, où elle a rencontré Renaud
Muselier, président de la région et
député européen. Diplômée de l’École
nationale de la photographie d’Arles,
lauréate de la commande publique
CNAP-ministère de la culture «Jeunes-
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Le Monde x2. Patrick Gherdoussi. Fred Stucin. Mark Peckmezian
Générations », elle a fait du déracine-
ment et de l’effacement des quartiers
sous la pression des paysages métropoli-
tains ses thèmes de prédilection. (p. 72)
danieL Shea, artisteinstallé à New York,
signe le portfolio de M sur l’architecte
Carlo Scarpa. Après avoir été en rési-
dence au Light Work, à Syracuse, et au
Columbia College Chicago, il publie
Blisner IL (Fourteen-Nineteen, 2014),
43-35 10th Street (Kodoji Press, 2018). Il
a exposé au Museum of Contemporary
Photography de Chicago et à la Vava
Gallery de Milan. Son travail a notam-
ment été publié dans The New York
Times Magazine. (p. 84)
 Enfin à la maison.

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 26

Le M
de la semaine.
«À Shanghaï, un M en construction.»
nathalie perakisvalat

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Nathalie Perakisvalat

Pour envoyer vos photographies de M : lemdelasemaine@lemonde.fr (sans oublier

de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m-le-mag, la galerie).
Pour nous écrire : mediateur@lemonde.fr ou M Le magazine du Monde,
courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

29

Le député des
Hauts-de-Seine
et porte-parole
de LRM, Gabriel
Attal, le 6 avril,
à l’Assemblée
nationale.

1 — Gabriel Attal, Attal, invité vedette de France Inter, que

un bébé Macron
qui fait déjà ses dents.
“Il faut sortIr ce pays de la grévIculture.”
Une punchline radiophonique qui venait
méchamment rompre la quiétude matinale
de ce lundi de Pâques déjà menacée par
la double grève des cheminots et des étu-
diants. Mais c’est bien en écoutant Gabriel
l’on s’est persuadé que l’invention du parti
La République en marche constituait un
événement considérable pour la compré-
hension de la fulgurance dans la méta-
morphose des coléoptères appliquée à la
condition humaine. Car, avant de devenir
un flamboyant papillon occupant la fonc-
tion jalousée de porte-parole du parti
macronien, butinant sans complexe les
plateaux médiatiques et pouvant provo-
quer un buzz monumental en une seule
phrase, Attal a expérimenté le stade
protozoaire et larvé d’apparatchik passe-
muraille d’un Parti socialiste aussi en
forme qu’une forêt calcinée.
« Si vous m’aviez dit, il y a deux ans, que
je deviendrai député de la République, je
ne l’aurais pas cru. » Les autres non plus !
S’il est prestement passé, à l’âge très
précoce de 28 ans, de l’un à l’autre à
la vitesse d’un TGV un jour sans grève, •••

14 avril 2018 — Photo Édouard Jacquinet pour M Le magazine du Monde

 30

Discret militant du Parti socialiste, Gabriel Attal est devenu,
à 29 ans, une figure remuante de la jeune garde macroniste.
••• Attal a conservé quelques constantes : sait mes discours et je l’ai mis d’emblée
un physique de jeune premier, une ambi- sur des sujets politiques. » Bref, « Gabriel a
tion assumée et une jeunesse très triangle un beau parcours et un bel avenir. »
d’or rive gauche, délimité par trois quais La provenance du second baiser est plus
de métro quasi mitoyens : scolarité à ardue à géolocaliser. Pour simplifier,
l’École alsacienne (station Vavin), études il émane de l’ensemble des hautes
à Sciences Po (station Saint-Germain- sphères de la Macronie. Il connaît très
des-Prés), premier stage à l’Assemblée bien « Benjamin Griveaux, dont [il était]
nationale (station du même nom). Avec l’adjoint puis le successeur chez Marisol
un détour par Rome et sa Villa Médicis Touraine, Stéphane Séjourné – aujourd’hui
pour une mission de quelques mois conseiller politique du président –,
auprès de son directeur et un autre par Cédric O – conseiller à l’Élysée et membre
la banlieue, Vanves (Hauts-de-Seine), où de la commission d’investiture de LRM au
il habite et dont il est devenu conseiller moment des élections législatives… », etc.
municipal puis député. Oups, on a failli Mais, attention, pas de piston. «Je considère
oublier : « J’ai travaillé au resto Ralph que j’étais légitime pour être candidat sur
Lauren de Saint-Germain-des-Prés ma circonscription. J’ai rempli mon dossier
pour payer mes études, c’était à comme les autres, j’avais des lettres de
deux minutes de Sciences Po. » motivation et de recommandation venant
Bien né, issu « d’un milieu aisé, mon père d’acteurs locaux et associatifs. »
était avocat et producteur », Attal a « tou- Mais Pour Parachever son Parcours
jours aimé s’engager. J’ai été délégué recoMMandé, il devait consentir à quelques
de classe, secrétaire national du comité sacrifices. D’abord avec ses convictions
de soutien d’Ingrid Betancourt, puis j’ai qui, selon Marisol Touraine, « sont authenti-
adhéré au PS au moment de la campagne quement de gauche ». Bon… À l’écouter,
de Ségolène Royal, en 2007 ». Ce très sur France Inter, rebondir sur la « grévicul-
honorable parcours militant ne peut ture » pour qualifier les étudiants
toutefois expliquer à lui seul une mue grévistes-bloqueurs de facs de « bobos
aussi spectaculaire. Encore fallait-il béné- égoïstes », on a spontanément pensé qu’il
ficier de la bonté de quelques bonnes fées avait plié et rangé son drapeau rouge au
habituées, en d’autres temps, à transfor- fond du tiroir au profit du très tendance
mer un crapaud en prince charmant. « ni de droite ni de gauche et en même
Pour Attal, deux baisers suffiront. Le temps ». On s’est même demandé si Alain
premier lui est collé par Marisol Touraine, Juppé, « droit dans ses bottes », aurait osé
députée puis ministre de François une telle saillie lors des grèves de 1995.
(“consultant”, c’est inscrit dans son pro-
gramme) qui n’existe pas. Son truc dans
le privé, c’est de la pipe. Sinon, c’est un
garçon sympathique ». Celui qui parle est
général de la gendarmerie nationale.
Bertrand Soubelet, un temps En marche !,
fut candidat sans étiquette face à lui aux
législatives.
Côté PS local, Attal a laissé le souvenir
lointain d’un élu « pas forcément très
engagé dans la fédération », selon Xavier
Iacovelli, premier fédéral des Hauts-de-
Seine. Ainsi qu’une impression plutôt miti-
gée à Thomas Puijalon, candidat investi
par le PS dans la même circonscription :
« On s’était vu pour savoir comment on
allait travailler. Je lui ai proposé un ticket
qu’il a refusé. Il voulait être tête de
liste. Il m’a dit que j’allais me ramasser et
que sa légitimité était supérieure car il
venait du cabinet de Marisol Touraine.
Finalement, il a renoncé à l’investiture,
pour des raisons personnelles. »
Devant tant de malveillance, Gabriel Attal
décide d’envoyer paître les brontosaures
d’un PS qu’il quittera une fois l’investiture
de LRM acquise, on est jamais trop pru-
dent. « Ils ont tous voulu me faire passer
pour un opportuniste et ont balancé des
grosses “fake news” sur moi. Concernant
l’activité de consultant, je m’étais lancé
dans un processus commercial avec des
partenaires, se justifie-t-il. Ça a été une
campagne difficile, ça m’a fait le cuir. » Il
l’emporte avec 60,94 % au second tour
pour devenir indispensable à la Macronie.
Il fut rapporteur de la réforme de l’accès à
l’université, le fameux Parcoursup. « Je me
bouge beaucoup pour la mise en œuvre
du texte. Je fais un ou deux déplacements
en province par semaine. Un vrai Tour de
France. » Il est « coordinateur » du groupe
LRM au sein de la commission des affaires
culturelles. «Je veux travailler à des mesures
en faveur des jeunes sans qualification,
sans formation, sans emploi. » Il trouve
encore le temps d’être porte-parole du
parti. « Il lui appartient d’inventer cette
marge d’autonomie qui lui permet de jouer
son rôle pleinement, s’inquiète Marisol
Touraine. Une mission difficile. » Futur
ministre ? « J’ai des choses à prouver au
Parlement » – oui, il n’a pas dit « non ». Lundi
9 avril, depuis son bureau de l’Assemblée
nationale, on entendait le fracas des che-
minots en colère qui défilaient sur l’espla-
Christophe Morin/IP3/MaxPPP

Hollande. En 2012, Attal devient le plus
jeune des conseillers ministériels du quin-
quennat. Il est aussi le meilleur copain de
la fille de la ministre à Sciences Po. « Je le
trouvais déjà malin, réactif avec un bon
sens de la formule qui peut lui jouer des
tours, analyse Marisol Touraine. Il supervi-
« Je ne sais pas. J’avais 6 ans. » Attal a
aussi dû renier un peu de lui-même. Car,
selon certains, pour les législatives,
« il s’est inventé un personnage durant la
campagne. En faisant disparaître sa vie
d’avant. On s’est demandé s’il avait été au
PS. Il a parlé d’un parcours professionnel
nade des Invalides. Et Gabriel Attal s’est
souvenu : « En 2006, j’avais 17 ans et j’avais
manifesté contre le projet de CPE (contrat
première embauche) du gouvernement
Villepin. On avait même organisé une AG
dans mon lycée. » Selon les syndicats et
la Préfecture, il avait gagné. Laurent Telo

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 32

hors champ

2— Chapelle ardente.
photo Ilan Godfrey

Plus qu’un lieu de culte, un symbole.

église Regina Mundi, soweto, 8 avRil 2018, 10 h 13.
Cette église catholique fut longtemps le refuge des militants anti-apartheid. En 1976,
lors de la révolte de Soweto, des étudiants noirs tentèrent d’échapper à la police en
poussant ses portes. En vain. Aujourd’hui encore, on peut voir les traces des impacts
de balles dans l’autel de marbre. Des années plus tard, Regina Mundi abritait la
Commission vérité et réconciliation, présidée par l’archevêque Desmond Tutu. C’est
donc logiquement dans ce haut lieu de la lutte contre l’apartheid que devaient se
dérouler ce samedi 14 avril les obsèques de Winnie Madikizela-Mandela. Mais, devant
l’affluence attendue à cette cérémonie digne d’un chef d’État, les autorités lui ont
préféré l’Orlando Stadium de Johannesburg et ses 40 000 places. L’ex-épouse
de Nelson Mandela est décédée le 2 avril, à 81 ans.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018


3 — Kim Kataguiri,
le visage juvénile de
la droite dure au Brésil.
enFant, Kim Kataguiri rêvait d’être éboueur.
À 22 ans, le jeune homme a finalement
décidé de devenir député. Sans camion
poubelle, mais sur un char de manifestants,
le militant de la droite dure fait campagne
en pointant les «déchets» que le Brésil doit
nettoyer : la corruption, l’État pléthorique,
la décadence morale… Sa cible préférée :
Luiz Inácio Lula da Silva, qu’il qualifie régu-
lièrement de «chef criminel», d’«escroc»,
ou encore de «protodictateur».
L’ancien président, adoré par plus d’un tiers
du pays et récemment condamné à douze
ans et un mois de prison pour des faits de
corruption, a finalement été mis derrière les
verrous, samedi 7 avril. Et Kim Kataguiri ne
cache pas sa joie. «Je n’ai rien de personnel
contre Lula, même si je le considère comme
un opportuniste», assure-t-il, dans un café
de l’avenue Paulista, à São Paulo. L’étudiant
en économie, qui ne jure que par l’école de
Chicago, hait tout ce que Lula représente :
une gauche qui, selon lui, joue les assis-
tantes sociales et entrave le dieu Marché.
Incarnation d’une jeunesse brésilienne
flirtant volontiers avec les thèses réaction-
naires, Kim Kataguiri a été projeté sur le
devant de la scène lors des manifestations
démarrées fin 2014 contre la corruption et
le Parti des travailleurs (PT, gauche). Il fait
partie des fondateurs du Movimento Brasil
Livre (Mouvement du Brésil libre, MBL).
Leur slogan initial, un brin hermétique,
«Mais Mises, menos Marx» («plus de Mises,
moins de Marx»), en référence à l’écono-
miste austro-américain Ludwig von Mises,
précurseur du courant libertarien, et à l’au-
teur du Capital, est vite supplanté par un
thème plus «marketing»: la lutte acharnée
contre la corruption. Jackpot. Plus d’un mil-
lion de Brésiliens descendent sur l’avenue
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
Paulista, réclamant, avec le MBL, l’impeach-
ment (mise en accusation) de la dauphine
de Lula, Dilma Rousseff, destituée en 2016.
Une fois la présidente de gauche écartée,
le MBL se fait plus discret. Les scandales
de corruption éclaboussent toujours
les parlementaires, les ministres et même le
chef de l’État, Michel Temer, mais le mou-
vement semble gêné de critiquer l’équipe
désormais libérale. «Le plus honnête de ce
gouvernement vendrait sa mère, plaisante
Kim Kataguiri, mais le ministère de l’écono-
mie fait un bon travail.»
Pour faire parler de lui, le MBL change
donc de marotte, se transformant en une
brigade des mœurs d’un autre siècle.
Fin 2017, on le retrouve aux côtés d’inté-
gristes religieux, protestant contre l’exposi-
tion «Queermuseu». Défendant la
tolérance envers les communautés LGBT,
l’événement est accusé de glorifier la pédo-
philie et la zoophilie par la petite troupe qui
diffuse abondamment ses vidéos de pères
de famille outrés sur les réseaux sociaux.
L’exposition est interrompue. «Le MBL a
découvert que la guerre culturelle était un
excellent instrument de mobilisation et que,
par le biais d’un discours punitif contre les
Kim Kataguiri, leader du Mouvement
du Brésil libre, manifestait le 3 avril en faveur
de l’emprisonnement de l’ancien président Lula.
34
féministes, les Noirs, les LGBT, il pouvait
attirer les défenseurs de l’ordre moral à
rejoindre sa cause libérale», analysait, en
septembre 2017 dans la Folha de S.Paulo,
Pablo Ortellado, professeur de gestion de
politiques publiques à l’université de São
Paulo et fin connaisseur du MBL.
L’assassinat en mars de marieLLe Franco,
conseillère municipale de Rio de Janeiro,
révèle une face plus obscure encore du
mouvement. Quand le pays, choqué, pleure
la mort de la militante de gauche, noire,
lesbienne, en guerre contre les violences
policières, le MBL est identifié comme l’un
des principaux vecteurs de «fake news»,
diffusant à des milliers de suiveurs sur
Facebook les propos d’une juge faisant de
Marielle Franco la «fiancée de bandits».
En ce mois d’avril, Kim Kataguiri et ses amis
ont renoué avec leurs anciennes amours :
la lutte contre la corruption, la haine du PT
et de Lula, en criant sur leur char posé sur
l’avenue Paulista : «Dieu veut que Lula aille
en prison!» Le jeune homme, candidat aux
élections législatives d’octobre, rêve main-
tenant d’une autre estrade, au Congrès.
«C’est une personne dangereuse », alerte
le sociologue Rudá Ricci. Claire Gatinois
Bloomberg/Getty
16 octobre 2017, Paris
Hugo Sauzay photographié par Karim Sadli

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 36

face-à-face

4— Enfin présidentes.
Les deux anciennes ministres de gauche ont annoncé coup sur coup prendre La tête d’une ong.
si céciLe dufLot tourne La page de La poLitique avec oxfam, ségoLène royaL, en créant
désir d’avenir pour La pLanète, veut ouvrir un “nouveau chapitre” de son “engagement”.
par Vanessa schneider

La miLitante. Née le 1er avril 1975 d’un père cheminot et d’une mère
professeure, Cécile Duflot fait des études d’urbanisme tout en
militant au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Elle
s’implique dans l’alphabétisation des détenus avec le Genepi.
La verte pressée. Elle adhère aux Verts en 2001 et gravit vite les
échelons. Duflot en devient la porte-parole en 2005 puis la plus
jeune secrétaire nationale l’année suivante. Sa politique d’ouver-
ture aboutit à la création d’Europe Écologie Les Verts. Avec
succès. EELV obtient 16,28 % des voix aux européennes de 2009.
La cheffe de cLan. Ses discussions avec le PS débouchent sur
un accord électoral et programmatique en vue de la présidentielle
de 2012. Élue députée de Paris, elle est fragilisée par le départ
L’énarque. Née le 22 septembre 1953, Ségolène Royal intègre
Sciences Po puis l’ENA. C’est là que cette fille de militaire
rencontre François Hollande, le père de ses quatre enfants.
Adhérente du PS depuis 1978, elle fait ses classes à l’Élysée
comme conseillère auprès du président Mitterrand.
La rose persistante. Élue députée en 1988, elle devient ministre de
l’environnement de Pierre Bérégovoy en 1992. De 1997 à 2002,
elle intègre le gouvernement de Lionel Jospin à l’enseignement
scolaire puis à la famille. Elle rempile à l’environnement en 2014.
La maL-aimée du cLan. Alors à la tête de la région Poitou-Charentes,
elle se lance dans la primaire du PS et devient candidate à la
présidentielle de 2007. Peu aidée par les siens, elle se fait battre
Vincent Isore/IP3. Alexander Klein/AFP

de personnalités de premier plan comme Nicolas Hulot, Daniel
Cohn-Bendit ou Noël Mamère qui lui reproche son « clanisme ».
La ministre dissidente. Au secrétariat national du parti, elle préfère
le poste de ministre du logement du gouvernement Ayrault. Elle
œuvre en faveur du logement social et n’hésite pas à exprimer
son désaccord sur Notre-Dame-des-Landes ou le nucléaire.
Manuel Valls nommé premier ministre, elle démissionne en 2014.
Battue aux législatives l’an passé, elle vient d’annoncer qu’elle
quitte la politique pour prendre la tête de l’ONG Oxfam France.
par Nicolas Sarkozy malgré un puissant mouvement d’adhésion
autour de sa structure Désirs d’avenir.
La ministre bis. La victoire d’Emmanuel Macron aurait pu l’envoyer
à la retraite. C’était sans compter la détermination de Ségolène
Royal qui s’est fait nommer ambassadrice pour les pôles Arc-
tique et Antarctique. Un poste qu’elle transforme en tribune
médiatique, n’hésitant pas à jouer la ministre de l’environnement
bis face à Nicolas Hulot. En lançant Désir d’avenir pour la pla-
nète, elle montre qu’elle n’a pas raccroché les gants.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 38

La réduction du nombre
de sénateurs? C’est non.
La limite des trois mandats?
C’est encore non. Alors que
les politiques ont rarement
été aussi décriés, il défend
son vieux monde et
ses avantages supposés.
partout », admirait Michel Charasse qui n’en
manquait pas), sinon de les mettre au service
du Sénat où ces qualités sont, paraît-il, appré-
ciées. À part peut-être maire de Rambouillet,
commune ruralo-chic des Yvelines? Il l’a été!
Ou vétérinaire, buvant le canon avec le paysan
dont il a aidé la vache à vêler ? Il l’a été ! Ou
ministre délégué aux relations du travail sous
la présidence Chirac? Il l’a été! Ou chasseur
en Barbour? Bien sûr! Ou pêcheur en bottes
Aigle? Évidemment – homards et bars à l’île
de Batz ! Ou franc-maçon avec tablier et
compas ? Comme tous les francs-maçons, il
nie être franc-maçon…
Tant pis pour le Livre des records. Alors
qu’Emmanuel Macron et la bande de jeunes
qui lui fait cortège trouvent que les institu-
tions sentent la naphtaline, Gérard Larcher,
fort de sa majorité et de ses 102 kg – selon un
papier de Libération de 2008 que rien ne
semble démentir –, a fait le choix de s’opposer
à la réforme, quitte à passer pour un dinosaure,
un fossile, un birbe. Le 1er avril, 2,85 millions
de téléspectateurs ont regardé le film Papy
fait de la résistance sur France 2. Ça l’encou-
rage. Résistance? En tout cas, il semble pour
l’instant aussi éloigné des propositions de
l’Élysée que Laurent Brun (CGT-Cheminots)
de celles de Guillaume Pepy (président de la
SNCF). La réduction du nombre de séna-
teurs? C’est non. La limite des trois mandats?
il est comme ça… C’est encore non. Un article spécifique sur la

Gérard Larcher.
Corse dans la Constitution? Ça va pas la tête !
Alors que les politiques ont rarement été aussi
5— décriés, il défend son vieux monde et ses avan-
tages supposés. « On n’offre pas le Parlement
en cadeau à l’opinion », s’énerve-t-il dans
p a r philippe ridet – i l l u s t r a t i o n damien Cuypers
Le Figaro du mois dernier. Démodé, lui ?
Vintage assurément. Mi-Mélenchon sans la
C’est dommage que le regretté alain Poher bons rails. Rendez-vous compte : élu au palais lutte des classes, mi-Wauquiez sans Patrick
(1909-1996) ait Porté au-delà du raisonnable le du Luxembourg à 37 ans, en 1986, un âge au- Buisson, Gérard Larcher défend la Ve Répu-
record de longévité à la présidence du Sénat. quel ses collègues chenus s’étonnaient qu’il blique. Cartouchière autour du ventre et fusil
Vingt-quatre ans sans descendre du plateau : ne portât plus de culottes courtes. Cette an- de chasse Gastinne Renette à la main. À ceux
on ne verra plus une performance de cet ordre. née-là, Mylène Farmer chantait Libertine. qui daubent son conservatisme hors d’âge et
Le Mike Powell de la Chambre haute a tué Jeune et sénateur, il y a comme un mot de trop. ses manières de hobereau rougeaud un après-
le match ! Sans quoi Gérard Larcher Pourtant, quand on cherche un peu, on ne voit midi de comices agricoles, il rétorque qu’il
(Les Républicains), 69 ans, qui a attaqué le pas ce qu’il aurait pu faire d’autre de cette ron- défend les territoires, ces villes moyennes que
2 octobre 2017 – au lendemain de mon anni- deur, de son coup de fourchette (dilection du le TGV ignore, ces villages sans bureau de
versaire (mais ça n’a rien à voir) – son troi- pigeon de Bresse et du lièvre à la royale, selon Poste. « La France d’à côté, dit-il. Ceux qui
sième mandat aurait fait un redoutable chal- un article de L’Express de 2007) et de cette ont le sentiment de ne pas être dans le coup. »
lengeur. Déjà sa précocité l’avait mis sur de bonhomie apparente ( « Il a des copains Ça fait du monde.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018


le grand défilé
Philippe
6—
Martinez.
Le secrétaire généraL de La cgt
tient tête au gouvernement.
dans son styLe caractéristique.
par marc beaugé
III
2016, polo de tous les pays.
un an plus tard, le néo-
secrétaire général de la cgt
est toujours en première ligne.
et même le port d’un polo,
pièce inventée dans les
années 1920 par rené Lacoste
et l’industriel andré gillier pour
faciliter la pratique du tennis,
ne saurait nuire à sa crédibilité
syndicale. en réalité, pour s’en
aller soutenir, à Bobigny, les
salariés d’air France jugés pour
l’affaire de la chemise déchirée
du drH de la compagnie, la
tenue est plutôt bien choisie.
IV
2017, tIssu socIal.
une contestation succède
à une autre. cette fois-ci,
Philippe martinez lutte contre
les ordonnances visant à réfor-
mer le code du travail. mais
aussi, de toute évidence, pour la
promotion du chèche à imprimé
batik. un combat qui, par-delà
les clivages politiques,
ne parviendra heureusement
guère à mobiliser.
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
40
I
1997, bouc émIssaIre.
c’était il y a plus de vingt ans
mais le combat avait déjà
commencé… né d’un père
ouvrier et d’une mère femme
de ménage, élevé en banlieue
parisienne, Philippe martinez,
36 ans, est salarié chez renault
et délégué syndical cgt.
À l’annonce de la fermeture
de l’usine belge de vilvorde,
le voilà en première ligne, bras
croisés, regard noir, barbe
hirsute, habillé d’une chemise
qui en dit long sur ses inten-
tions. Pour s’opposer au pouvoir
en col blanc, quoi de mieux
qu’une chemise bleue
à rayures équipée d’un modeste
« col bande » ? on ne voit pas.
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Frédéric Pitchal/Sygma/Getty Images. Nicolas Tavernier/REA. Jean-Luc Luyssen/REA. Nicolas Briquet/Sopa Images. Stéphane Le Tellec/Abaca
II
2015, code morse.
Les années passent, et le combat continue.
on peut même dire qu’il s’intensifie. numéro un
de la fédération des travailleurs de la métallurgie
à la cgt, Philippe martinez s’apprête à prendre la
tête de la centrale. et, malgré cette impressionnante
moustache, que les anglo-saxons qualifieraient
volontiers de walrus moustache, ou « moustache
du morse » (faites un tour sur google images si la
ressemblance ne vous saute pas aux yeux), comptez
sur lui pour continuer à montrer les dents. surtout
contre une réforme visant le travail dominical.
V
2018, à gorge déployée.
À 57 ans, Philippe martinez reste un homme de
combat et de principes. mobilisé contre la réforme
du statut des cheminots et une éventuelle privatisa-
tion de la sncF, le leadeur de la cgt défend aussi
l’idée que la cravate est l’objet symbolique du
pouvoir. ainsi, trois ans après s’être rendu à l’élysée
gorge nue, le revoilà vêtu d’une simple chemise,
d’une veste essoufflée et d’un pantalon cassant
de façon si généreuse et inélégante sur ses
chevilles que l’on est obligé d’y voir un symbole :
celui du contre-pouvoir, évidemment.
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7 — En Corée du Sud,
le tombeur des puissants.
Peu de journAlistes d’investigAtion Peuvent se tArguer
d’Avoir envoyé deux Présidents en Prison. Le Sud-Coréen
Choo Chin-woo l’a fait. Certes pas seul. Mais, si
l’ancienne dirigeante conservatrice Park Geun-hye,
en poste de 2013 à 2017, a écopé le 6 avril de vingt-
quatre ans de prison pour corruption, coercition et
abus de pouvoir, et si son prédécesseur, également
conservateur, Lee Myung-bak (dit « LMB »,
2008-2013), est détenu depuis le
23 mars pour corruption et blanchi-
ment, c’est en grande partie grâce
à lui. « Il ne renonce jamais. C’est
essentiel pour l’investigation et
ça ne s’apprend pas », observe
son ami, le populaire commentateur
politique Kim Ou-joon.
Né en 1973 dans une famille de
petits agriculteurs de Jeonju, ville
de la province du Jeolla du Nord
(sud-ouest) connue pour son quar-
tier ancien, son bibimbap (plat tra-
ditionnel) et son festival annuel de
musique autour du pansori (art tra-
ditionnel du récit chanté), Choo
Chin-woo est le plus jeune d’une
fratrie de quatre enfants. Diplômé
de l’université Sungkyunkwan,
vénérable institution dont l’origine
remonte à 1398 et qui a été achetée
en 1996 par le conglomérat Sam-
sung, il se lance dans le journalisme,
sa vocation. « La corruption gan-
grène depuis toujours la société
sud-coréenne, explique celui qui
travaille pour le magazine Sisa-in,
l’hebdomadaire politique numéro
un en Corée du Sud, où il n’en fait
qu’à sa tête. Depuis l’enfance, je
veux lutter contre les injustices. »
Il a du travail dans un pays où la
quasi-totalité des présidents et diri-
geants des puissantes églises évan-
géliques ou des chaebols
(conglomérats locaux) ont été mêlés à des affaires de
corruption. S’il apparaît proche du camp progressiste
incarné par Moon Jae-in, président depuis mai 2017, il
l’emprisonnement
n’a jamais hésité à critiquer ses représentants. « Il est
intransigeant avec la vérité, note l’animateur Kim Yong-
min, un de ses proches. Il prévient à l’avance celui qu’il
attaque. Et il reste toujours très humain. »
Ses combats l’ont amené à se faire baptiser cinq fois
par des pasteurs évangéliques. « Toujours pour obtenir
des informations », s’amuse M. Kim, lui-même fils de
pasteur. Mais ses cibles favorites restent les conserva-
teurs, « cette clique au pouvoir depuis la fin de la colo-
nisation japonaise en 1945, ces anciens collaborateurs
qui contrôlent toujours le pays ». Ce point rappelle ses
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
42
origines du Jeolla, province coréenne traditionnelle-
ment rebelle. Parmi ces puissants, il y a le dirigeant de
Samsung Lee Jae-yong, aujourd’hui condamné pour
corruption et qui pourrait voir son dossier alourdi par
de nouvelles révélations de M. Choo. Les politiciens
comme Park Geun-hye, qui « a permis le développe-
ment d’une énorme structure de corruption ». Et,
surtout, Lee Myung-bak. « Quand il a été arrêté, c’était
comme un rêve. Je n’y croyais pas. » Cela faisait dix ans
que le journaliste traquait, en Corée, à Singapour, aux
États-Unis et dans les paradis fiscaux, le plus souvent à
ses frais, les millions de dollars
détournés par l’ancien président,
« cas unique par sa cupidité ».
Choo Chin-woo a écrit deux livres
sur LMB, avec le sentiment de
prêcher dans le désert. La plupart
des médias sud-coréens restent
contrôlés par les chaebols et sont
de tendance conservatrice – donc
soumis aux administrations très
dirigistes de M. Lee et Mme Park.
Dès les premières flèches du jour-
naliste, LMB mobilise d’importants
moyens contre lui, la justice, le NIS
(service de renseignement), voire
la pègre. « J’ai reçu à la maison des
boîtes avec du sang ou des cou-
teaux. » Il n’a jamais été empri-
sonné, n’a jamais perdu ses procès.
Le journaliste d’investigation a
bénéficié de la notoriété acquise
par sa participation au podcast
de satire politique Naneun
Ggomsuda (« je suis un combinard
mesquin » ; Naggomsu en rac-
courci), diffusé en 2011-2012, dans
les derniers mois du mandat de
LMB et créé par Kim Ou-joon pour
diffuser des informations sur les
dessous de l’administration Lee.
Son succès a offert un répit à ses
contributeurs. « Nous sommes trop
gros, affirmait à l’époque Kim
Ou-Joon. Ils savent que nous
n’avons peur de rien et que nous
Tenace, avons de très bonnes sources d’information. »
intransigeant,
Choo Chin-woo Aujourd’hui, Choo Chin-woo est une stAr, sans cesse
a contribué à arrêté dans les rues pour des selfies et sollicité par la
de plusieurs télévision. Même s’il n’hésite pas à soigner son look
dirigeants de
son pays. branché, caractérisé par une longue mèche lui
couvrant une partie du visage, il avoue préférer un
certain anonymat. Ses succès, qui l’ont amené à
coopérer avec la justice pour préparer les procès de
Mme Park et M. Lee, n’empêchent pas ce Sisyphe de
vouloir continuer la lutte contre la corruption dans
son pays. Pour lui, il en va de l’avenir de la Corée. En
Yonhap/AFP
attendant, il a envoyé son fils étudier en France pour
qu’il « apprenne à dire non et ne soit pas soumis à
l’extrême hiérarchie coréenne ». Philippe Mesmer
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qui est vraiment ?
Michel Crépu.
8—
l’ex-directeur de la “revue des deux mondes”,
parution mise en cause dans le “penelopegate”
pour avoir rémunéré l’épouse du candidat fillon,
publie “un empêchement”, un essai consacré
à l’affaire qui l’a touché de près.
par Zineb Dryef
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
44
homme de revues
Critique littéraire (« Le Masque
et la Plume »), Michel Crépu fut
rédacteur en chef puis directeur
de la Revue des deux mondes de
2002 à 2014, plus vieille publica-
tion européenne encore en
activité. Cette année-là, Antoine
Gallimard lui confie la direction de
la Nouvelle revue française. « Ce
sont les revues qui ont sonné
l’alarme, ce sont elles qui ont porté
à bout de bras, pas toujours, le
souci de la dignité intellectuelle,
écrivait-il dans Le Monde en
février 2017. Elles qui ont su
pressentir ce qui venait. »
électeur déçu
Fin 2016, à la primaire de la droite,
Michel Crépu, «catholique modéré»,
a voté François Fillon, séduit par
le « sérieux » du candidat après
la présidence du « Bonaparte en
Rolex », a-t-il raconté dans L’Obs.
C’était quelques semaines à peine
avant les révélations du Canard
enchaîné sur la rémunération
touchée par Penelope Fillon pour
quelques notes de lecture dans la
Revue des deux mondes, du temps
où il la dirigeait. Il ne votera pas
pour lui lors de la présidentielle.
témoin à charge
Quand le « penelopegate » éclate,
Crépu découvre « l’existence de ce
poste » en lisant la presse. ll n’a
jamais rencontré Penelope.
Après avoir été interrogé par
la police, qui lui demande de
restituer son parcours, il dira à
Libération : « C’était passionnant.
[…] Lorsque je suis rentré de
Nanterre, je me sentais très bien.
Me voilà en train de faire l’éloge
de l’interrogatoire ! »
essayiste inspiré
Après avoir écrit sur Bossuet,
Sainte-Beuve et Chateaubriand,
le journaliste et critique littéraire
décide l’été dernier de s’atteler au
« Penelopegate ». Non à l’enquête
sur les emplois de Mme Fillon, mais
à la « métaphore de l’effondrement
de tout un décor politique auquel
Philippe Matsas/Opale/Leemage
on était habitué depuis de Gaulle :
la droite, la gauche, le libéralisme,
le socialisme ».
LE BEAU
COMME SOURCE
D’INSPIRATION

Le vice-président
9—
hongrois, braconnier
de rennes suédois.
Peu loquace, le PrésIdent du vIllage samI de grans, dans
la ProvInce du västerbotten, dans le nord de la suède,
assure que lui et son fils ne cherchent pas de noises
au vice-premier ministre hongrois, Zsolt Semjén. « Je
pense qu’il a agi de bonne foi et qu’il ne savait pas que
ce qu’il faisait était illégal », assure Tobias Jonsson.
Cependant, ils veulent comprendre comment un de
leurs rennes a pu se retrouver mêlé à un des nombreux
scandales de corruption qui ont émaillé la campagne
pour les législatives en Hongrie.
L’histoire est rocambolesque. Elle débute à la mi-mars,
avec la publication dans le quotidien hongrois Magyar
Nemzet d’un article sur les parties de chasse luxueuses
du vice-premier ministre et leader du Parti chrétien-
démocrate Zsolt Semjén dans le nord de la Suède.
Il y en aurait eu cinq, depuis 2012, chaque fois finan-
cées par l’homme d’affaire József Farkas, propriétaire
de plusieurs hôtels en Hongrie.
Des ONG du pays d’Europe centrale évoquent
des pots-de-vin, destinés à remercier Zsolt Semjén,
grand amateur de chasse, des largesses du gouverne-
ment hongrois, grâce auquel le businessman aurait
touché au moins 11 millions d’euros de subventions
européennes et de marchés publics depuis 2010.
Le vice-premier ministre se défend en assurant que
les voyages étaient privés – son frère vit en Suède,
il était venu lui rendre visite.
Mais, dans le royaume scandinave, l’affaire intrigue. Car
le pays n’a pas de rennes sauvages. Ils appartiennent
aux éleveurs sami et leur chasse est strictement inter-
dite. Par curiosité, Tobias Jonsson, éleveur, cherche sur
Internet des images des virées en Suède du cacique
hongrois. Il découvre un film montrant un renne
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
46
Zsolt Semjén
avec son trophée,
en 2014.
hélitreuillé par un hélicoptère
au-dessus d’une forêt aux
couleurs automnales. Puis,
une photo, datant de 2014, où
le vice-premier ministre, en
tenue de chasse kaki, pose à
côté d’un cervidé. Enfin, un
second cliché, pris deux ans
plus tard. Et là, stupeur :
Tobias Jonsson reconnaît,
sur l’oreille de l’animal, le signe
distinctif taillé au couteau
par son fils, Niklas. Chaque
éleveur coupe les oreilles de
ses bêtes d’une façon bien
particulière, pour être sûr
de pouvoir les identifier.
Pour Tobias Jonsson, il ne fait
aucun doute que le renne
abattu appartient bien au
troupeau de son fils.
Comment est-il arrivé là ?
Qui donc a organisé la
chasse ? Les images de l’hélicoptère noir ont permis
de remonter jusqu’à la compagnie qui a loué l’appareil
au Hongrois. Ses propriétaires assurent ne rien savoir.
« Ils disent qu’ils ont des milliers de réservations tous
les ans et ne peuvent pas tout contrôler », lâche,
sceptique, Tobias Jonsson.
Ce n’est pas la première fois que lui et son fils se font
voler des animaux. Mais jamais dans ces circonstances.
« C’est comme si j’étais un paysan et qu’on abattait ma
vache », constate, amer, Niklas Jonsson à la télé sué-
doise. Il a porté plainte. La police a ouvert une enquête
pour « vol », ce qui a fait bondir l’Organisation nationale
des Sami suédois. Elle exige un durcissement de la loi
afin que l’abattage non autorisé d’un renne soit assi-
milé au braconnage et puni en tant que tel. Tobias
Jonsson et son épouse ont contacté Magyar Nemzet
et obtenu plusieurs photos, qui ont été versées au dos-
sier. Mais l’éleveur ne se fait guère d’illusion sur les
conséquences que pourrait avoir l’affaire en Hongrie :
« J’ai l’impression qu’on n’y prend pas très au sérieux
les accusations de corruption », remarque-t-il.
IronIe de l’hIstoIre : en hongrIe, c’est justement la Suède
qui, depuis 2015 et l’accueil de 160 000 réfugiés, est
devenue le punching-ball favori du premier ministre
Victor Orbán (dont la formation d’extrême droite a, le
8 avril, remporté les élections) et des médias contrôlés
par son parti. Le royaume scandinave y est régulière-
Courtsey Magyar Nemzet
ment dépeint comme un pays à feu et à sang, au point
même que le ministre suédois de l’éducation, l’écolo
Gustav Fridolin, a pris la peine de se rendre à Budapest,
le 27 mars, pour soutenir la tête de file des Verts hon-
grois, Bernadett Szél, profitant de son déplacement
pour nuancer l’image de la Suède. Anne-Françoise Hivert

Face à la justice,
10 —
l’invulnérable héros
de Bollywood.
MalheureuseMent pour salMan Khan, la justice indienne
n’a pas été sensible à l’héroïsMe dont il fait régulièreMent
preuve sur grand écran. Jeudi 5 avril, le juge d’un
tribunal de Jodhpur a condamné la superstar de
Bollywood à une peine de cinq ans d’emprisonnement
pour avoir tué il y a vingt ans deux antilopes proté-
gées. Qu’une telle sentence soit prononcée à l’égard
de celui qui a éliminé dans ses films un nombre
incalculable d’ennemis sans jamais être inquiété par la
justice a déconcerté ses fans. À l’annonce de la nou-
L’acteur Salman velle, ils se sont précipités vers les grilles du centre
Khan, récemment
jugé pour avoir
pénitentiaire, et les chaînes de télévision ont reconsti-
tué deux antilopes tué la cellule de prison où l’acteur a passé deux nuits
protégées, a
toujours réussi avant d’être finalement libéré sous caution. Jamais
à échapper aux les télévisions indiennes ne se sont autant inquiétées
condamnations
définitives. des conditions de détention dans le pays. À sa sortie,
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
48
un jet privé l’attendait, et l’empereur de Bollywood
est apparu à son balcon à Bombay pour remercier
la foule qui chantait et priait pour sa libération.
L’affaire a fait grand bruit en Inde et même au-delà.
Le ministre pakistanais des affaires étrangères,
Khawaja Asif, a déclaré que Salman Khan avait été
condamné à cinq ans d’emprisonnement parce
qu’il appartenait en Inde à une minorité, celle des
musulmans. Son arrestation a également inquiété
Bollywood, qui sait combien son nom à l’affiche
est une garantie de recettes.
Salman Khan a le regard un peu morne de Droopy
et une carrure de lutteur. Dans ses films, il se bat de
préférence torse nu, tire sur ses ennemis au volant
d’un jet-ski, de dos, en l’air, sans jamais les rater, et fait
tourner les têtes des mécréants à 360 degrés d’un
simple geste de la main. Salman Khan, c’est d’abord
du muscle, de la testostérone et un homme au savoir
inné. « Toute ma vie a consisté en cela : je fais les choses
avant d’apprendre à les faire. À cet égard, je suis
unique », a-t-il un jour expliqué dans une interview.
En Inde, c’est surtout dans les salles de musculation
et dans les cabines de poids lourds que l’on trouve
des posters à son effigie. Salman Khan est le héros
de la classe moyenne et des villes moyennes, de ceux
qui rêvent de gloire et d’argent sans avoir à présenter
de diplômes. Ce qui fait beaucoup de monde.
Sur son profil Twitter aux 32 millions d’abonnés, la
star se présente comme un « acteur de film, un artiste,
un peintre et un humanitaire ». Fondateur de l’organisa-
tion caritative Being Human, il passe parfois quelques
heures avec les déshérités, de préférence dans des
bidonvilles, suivi de près par des photographes. Une
manière aussi de détourner l’attention de son casier
judiciaire. En 2002, il a été accusé d’avoir conduit
en état d’ébriété et roulé sur un groupe d’ouvriers dor-
mant dans la rue, tuant une personne et en blessant
quatre. Il a été acquitté en 2015 par la Haute Cour de
justice de Bombay, mais les proches des victimes ont
fait appel de la décision. L’ancienne Miss Monde et
actrice Aishwarya Rai, avec laquelle il était en couple
au tournant des années 2000, l’a accusé de l’avoir
frappée et harcelée. Mais, à chaque fois qu’il est
accusé de violence envers des femmes ou ses proches,
Salman Khan explique être victime de son cœur
tendre, de ses passions, de sa spontanéité, voire des
femmes carriéristes qui l’utilisent pour devenir
célèbres. C’est d’ailleurs parce qu’il noyait son chagrin
dans l’alcool qu'il aurait roulé sur ces sans-abri avec
son Land Cruiser. « Khan n’est que l’un de ces nom-
breux exemples d’hommes violents qui n’est jamais
tenu responsable pour sa violence », résume la journa-
liste Nishita Jha dans un article publié sur le site
The Wire et intitulé « La masculinité toxique de Salman
Khan ». Dans cette affaire, le pays en a presque oublié
les Bishnoïs. Les membres de cette communauté
du Rajasthan ont été les rares témoins ou plaignants
à ne pas s’être rétractés dans les affaires impliquant
Sujit Jaiswal/AFP
Salman Khan et à s’être battus jusqu’au bout pour
que la mort de deux antilopes ne reste pas un crime
impuni. Personne n’est venu les applaudir. Salman
Khan restera, quoi qu’il arrive, un héros. Julien Bouissou
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l’histoire se répète

11 — Portées disparues.
nombre d’œuVres d’art déposées dans les administrations
et les collectiVités françaises manquent à l’appel, sans que l’on
sache si elles ont été égarées ou subtilisées. dernières en date,
quatre pièces se sont Volatilisées de la chambre des députés.
par Roxana azimi

i iii iV

ii

Riccardo Milani/Hans Lucas. MarekUsz/Getty. Josse/Leemage. Pascal Guyot/AFP. Nicolas Messyasz/Sipa

i ii
2018, Volatilisation
d’œuVres à l’assemblée.
Le 4 avril, Le Canard
enchaîné a révélé
que quatre œuvres
accrochées dans les
bureaux de l’Assemblée
nationale se seraient
volatilisées, selon
le dernier inventaire
annuel, réalisé en
décembre 2017. Et non
des moindres : une
sculpture de Takis, deux
tableaux – l’un d’Hervé
Télémaque, l’autre de
Richard Texier – et une
gravure d’un artiste
non identifié.
iii
2017, pillage dans 2014, carton plein
les musées niçois. à l’élysée.
En 2017, les conclusions En 2014, un rapport
d’un récolement mené de la Cour des comptes
sur dix ans par la Ville épingle l’Élysée :
de Nice sont sidérantes : 32 œuvres et quelque
un millier d’œuvres des 625 objets auraient dis-
musées municipaux se paru du palais présiden-
seraient évanouis. Pire, tiel. Il est fréquent que,
un quart des collections à l’occasion d’un chan-
du Musée Masséna gement de bureau ou
manquent à l’appel. d’affectation, des
Fausse polémique selon conseillers embarquent
la mairie, qui estime que ou déplacent des objets.
certaines œuvres non Le ministère de l’intérieur
localisées ont pu être a aussi repéré, sur le site
déplacées par les d’enchères eBay, des
services des bâtiments services en porcelaine
communaux à l’occa- de la manufacture de
sion de travaux. Sèvres issus de l’Élysée.
iV V
2010, détournement de 2006, fuites colossales
biens publics en lozère. à l’ambassade
de france en guinée.
Accusée d’avoir subtilisé
meubles et tableaux de L’affaire n’a pas fait
son logement de fonc- grand bruit, malgré la
tion, l’ex-préfète de taille du larcin. En 2006,
Lozère Françoise cinq tapisseries monu-
Debaisieux a été mise en mentales de deux à six
examen, en 2010, pour mètres de large se sont
vol et « détournement volatilisées à l’ambas-
d’objets liés à sa fonc- sade de France à
tion » d’une valeur de Conakry, en Guinée.
14000 euros. Dans le lot Les représentations de
figuraient des fauteuils la France sont particu-
Louis XVI et des chaises lièrement exposées au
Napoléon III. La majorité problème : 123 plaintes
des objets a été resti- ont été déposées pour
tuée, mais l’intéressée a vol ou disparition
été condamnée, en 2012, d’œuvres d’art installées
à un an de prison ferme. dans les ambassades.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

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à Madrid,
12 —
faux master,
vrai scandale.
Le Compte à rebours a CommenCé pour
La présidente de La région de madrid, Cristina
Cifuentes. Cette figure de poids du Parti
populaire (PP, droite), censée incarner
la régénération de la formation conser-
vatrice et tourner la page des scandales
de corruption et des affaires des
dernières années, a jusqu’au 30 avril pour
Son diplôme
de complaisance
va sans doute coûter
son poste de prési-
dente de la Commu-
nauté de Madrid à
Cristina Cifuentes.
démissionner et nommer un successeur.
Passé ce délai, le parti libéral Ciudadanos
a annoncé le 9 avril qu’il soutiendra la
motion de censure présentée par les
socialistes. Et forcera non seulement son
départ, mais aussi l’alternance politique
dans la région. Son délit présumé : avoir
obtenu en 2012 un diplôme de master en
droit public sans suivre les cours ni passer
les examens, grâce à des notes falsifiées
et la complaisance de fonctionnaires
et professeurs de la Rey Juan Carlos, une
université proche du PP, rongée par
le clientélisme et le népotisme. Depuis
que le scandale a éclaté, le 21 mars,
les Espagnols assistent à l’agonie politique
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
de cette dirigeante de 53 ans à l’avenir
jusque-là prometteur. Ce jour-là, le site
d’information de gauche eldiario.es révèle
que deux notes de son master ont été
modifiées par une fonctionnaire amie de
la présidente régionale, en 2014, soit
deux ans après que celle-ci eut prétendu-
ment obtenu son diplôme. Ce n’est encore
qu’une polémique mineure. Mais l’arrogance
et l’assurance de Cristina Cifuentes la
transforment vite en un scandale majeur.
Au lieu de reconnaître les faits, de présen-
ter ses excuses, voire de se justifier en
rappelant qu’elle a été promue, pendant
ses études, déléguée du gouvernement
à Madrid (l’équivalent de préfet), elle nie.
Au lieu de renoncer à son diplôme, afin
d’essayer de mettre fin à la polémique,
elle résiste, accuse l’université et insiste sur
sa probité en fournissant des « preuves »
administratives. Des faux. C’est le début
de sa descente aux enfers.
Jour après jour, un flot de témoignages
compromettants et de documents truqués
alimentent l’affaire. Notes manipulées,
inscription hors délais, signatures contre-
faites, sans oublier les étudiants qui ne
l’ont jamais vue en cours et les profes-
seurs qui ne se souviennent pas d’elle…
À tout cela, Cristina Cifuentes trouve des
excuses. Elle reconnaît à demi-mot un
possible traitement de faveur car l’univer-
sité l’aurait dispensée d’assister aux cours,
et assure qu’elle a perdu ses devoirs et
son mémoire de fin d’études dans ses
déménagements. Surtout, elle rejette
la faute sur l’université, seule responsable
des facilités qu’elle lui aurait données,
52
préférant démolir la réputation de l’insti-
tution plutôt que la sienne. Elle évoque
aussi un obscur complot politique et une
chasse aux sorcières médiatique, et
promet de porter plainte contre des
journalistes. « Le master [...] est parfaite-
ment réel et parfaitement légal », tranche-
t-elle, avec un sourire parfait mais figé,
rouge à lèvre vermeil sur des dents
d’une blancheur éclatante, ses longs
cheveux blonds tirés en arrière.
En revanche, sa défense flanche. Une
association d’étudiants porte plainte. Et
l’université, dont la crédibilité est touchée,
ouvre une enquête interne. Le directeur
du master avoue qu’il a « reconstruit » son
attestation de soutenance de mémoire
pour qu’elle puisse le présenter aux
médias. Le recteur, Javier Ramos, recon-
naît qu’il n’y a aucune trace de l’original ni
même la preuve qu’elle l’a soutenu devant
un jury, comme elle l’assure. Et, puisque
deux des professeurs reconnaissent que
leur signature a été imitée, il saisit le
parquet pour possible falsification de
documents officiels. Quant à l’opposition
socialiste, le 4 avril, elle présente une
motion de censure. Et après avoir hésité,
par calcul électoral, Ciudadanos finit donc
par demander sa démission.
Les jours de Cristina Cifuentes à La tête de
La région semblent maintenant comptés.
Et le PP est sur les nerfs. La convention
nationale, préparée depuis janvier et
organisée à Séville du 6 au 8 avril, devait
permettre à Mariano Rajoy de remonter
le moral des troupes, sonnées par le défi
sécessionniste catalan et la montée en
flèche de leur rival Ciudadanos dans tous
les sondages. Ce sera pour plus tard.
Le scandale a accaparé les gros titres.
Quant à l’université Rey Juan Carlos de
Madrid, créée en 1996 par le PP régional,
discréditée, elle est apparue comme
un repaire de pistonnés au service des
politiques : la sœur de Cristina Cifuentes
y travaille comme professeure invitée,
la cousine d’Alberto Ruiz Gallardón, l’an-
cien président du PP de la région, la nièce
d’un ex-ministre conservateur, un maire,
un député régional, et cætera… y occu-
pent des postes variés. Le scandale du
master de Cifuentes est devenu un
nouveau symbole de la tendance qu’ont
certains dirigeants du PP à considérer
les institutions publiques comme
leur terrain de chasse. Sandrine Morel
Julio Munoz/EFE/Sipa
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La première fois que

“Le Monde” a écrit…
Jean-Pierre Pernaut. «Je sais que
le journal de 13 heures est regardé par
un grand nombre de personnes âgées et
par une clientèle rurale.» Ce n’est pas une
confidence d’emmanuel Macron, expliquant
pourquoi il a choisi Jean-Pierre Pernaut,
jeudi 12 avril, pour sa première intervention
publique depuis le début de la grève à la
SnCF. non, le stratège en communication qui
s’exprime ainsi n’est autre que le journaliste
de tF1 lui-même le… 16 juillet 1990. interrogé
par Le Monde à l’occasion d’une enquête
intitulée «L’art de la séduction», Pernaut
expliquait : « Je n’ai jamais pensé séduire,
je n’ai que des habitudes d’antenne.»
L’auteur de l’article ne s’y trompait pas :
«En réfléchissant bien, pourtant, ces
habitudes d’antenne s’apparentent à
un savant dosage rhétorique.» et de citer
le présentateur : «Je n’emploie donc jamais
le mot province, mais celui de région. Et Paris
n’est qu’une région de France. Proscrit,
également, le terme de France profonde.»
une telle clairvoyance explique sans doute
sa longévité. Jean-Pierre Pernaut est aux
manettes du «13 heures» de tF1 depuis
trente ans. il avait succédé à Yves Mourousi
et Marie-Laure augry, le 22 février 1988.
C’est d’ailleurs au détour d’un article relatant
l’éviction de Mourousi que son nom est
mentionné pour la première fois dans
il fallait oser les colonnes du Monde, le 19 février 1988.

Grève-cœur.
Mais il n’y dispensait pas encore de cours
13 — de communication.

par jean-michel normand

Elle est de retour, et elle n’est pas contente. La Grande grève à la française
(GGF) renvoie à une coutume bien de chez nous. Parfois dénommée «grévi-
culture», cette spécialité se caractérise par son ambivalence. Côté rue, la GGF
donne à voir un cérémonial survendu. Un miroir déformant qui suggère que la aux MotS PrèS.
France, crispée, serait le pré carré du syndicalisme. Or, compte tenu de la fai-
Lundi 9 avriL a débuté L’oPération de
blesse des organisations représentatives dans le secteur privé (encore merci au
déMantèLeMent de PLuSieurS SquatS de La Zad
patronat français…), notre taux de syndicalisation se situe en queue de peloton
de notre-daMe-deS-LandeS. queLLe en Sera
des pays de l’OCDE. De facto, ce ne sont pas les damnés de la terre mais les

Illustrations Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

L’iSSue ? À L’heure où L’on bouCLait CeS PageS,
salariés du secteur public des transports qui font vivre la grande geste de la GGF
L’évaCuation n’était PaS terMinée MaiS SeS
qui, en réalité, se cherche un nouveau souffle. Côté cour, c’est autre chose. Nous
voiSinS de diCo Livraient queLqueS indiCeS.
vivons dans un pays qui adore entendre des «on lâche rien» et des «de toute
façon, on ira jusqu’au bout ». On y tient, à ce réflexe de contestation, cette
eutroPhiSation. Processus d’enrichissement
capacité de fronde, ce contre-pouvoir de la rue dont s’offusquent les observa-
des eaux par apport excessif d’éléments
teurs étrangers tout en saluant un legs de l’esprit révolutionnaire. La démocratie,
nutritifs, entraînant une prolifération
qu’on sache, ne se limite pas aux élections. Et puis, la GGF brille par sa dimen-
végétale, un appauvrissement en oxygène
sion épique. Qui d’autres que les cheminots français seraient capables de dire
et le déséquilibre de l’écosystème.
banco à trois mois de «grève perlée», voire plus si affinités? Abattre ses cartes
évaCuation. Action d’évacuer un lieu.
de la sorte n’est sans doute pas la plus habile des tactiques mais, pile cinquante
Action de quitter en masse un lieu par
ans après Mai 68, cela ne manque pas de panache. La grève à l’allemande, par
nécessité ou par ordre.
exemple, offre moins de supplément d’âme. Conduite par des syndicats unifiés
évadé. Qui s’est échappé.
et puissants, elle est rare et intervient une fois l’échec des négociations avéré.
Accessoirement, elle permet souvent d’obtenir des résultats substantiels.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 “M” présente @legoutdem
l’instagram lifestyle de

Mode, voyage,
design, gastronomie…
Tout ce que “M” aime.
Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone/M Le magazine du Monde

#legoutdem Avec le soutien de

 56

j’y étais

Tirage aux sœurs.

par Guillemette Faure

dîner de gala de la Fondation des Femmes, Vanessa Benelli Mosell, pianiste brindille en robe boule à facettes et
au restaurant apicius, à paris, le 7 avril. Henri Demarquette, armé d’un stradivarius « prêté par Louis Vuitton,
« Non mais les acteurs, je crois qu’ils attendent d’être payés pour c’était la seule mention obligatoire de mon discours », précise Anne-
porter un ruban blanc… » Désolée pour Julie Gayet, marraine de la Cécile Mailfert.
soirée qui boit une coupe de champagne un peu plus loin, mais le Laurence Ferrari a été chargée d’animer la tombola. Les tickets sont
milieu du cinéma français s’en prend plein la tête ce samedi soir, sur à soixante euros. Et franchement, quand on pense aux bonnes
le perron du restaurant Apicius où on prend l’apéritif en attendant le manières qui recommandent d’offrir l’équivalent de son couvert
dîner de gala de la Fondation des femmes, qui finance des associations quand on est invité à un mariage, là, les invités ont la carte bancaire
œuvrant pour l’accès à la justice de femmes victimes de violences. assez timide. Sauf la journaliste qui, pour saluer sa propre animation,
« Quand je pense que la SPA a levé 45 millions ! », s’exclame une en prend un paquet.
femme sans que l’on comprenne ce qu’il faut en conclure. Marlène Schiappa espère qu’elle ne va pas gagner. Au dîner du
« Plus qu’un restaurant, c’est une maison d’amis », dit le site Internet Sidaction, elle a emporté un lot qu’elle n’a pas pu conserver pour des
d’Apicius. En fait, c’est un hôtel particulier avec un jardin en plein questions éthiques. « En même temps, réfléchit-elle à voix haute, si le
Paris. À l’intérieur, les tables portent les noms de femmes célèbres. lot, c’est un dîner avec George Clooney, il n’y a pas de raison de
L’artiste Orlan est là. Pourvu qu’il n’y ait pas de temps mort. Il se dit refuser… Il est où le conflit d’intérêts ? » Il n’y a pas de dîner avec
que, dans un dîner où elle s’ennuyait, elle se leva et fit le tour de la l’acteur américain en jeu, mais un déjeuner avec Julie Gayet, dont une
table avec la salière pour saler la tête des invités. La table Angela Davis invitée craint à voix basse qu’elle ne mange pas grand-chose.
est sur notre gauche. Laurence Ferrari est à la table Simone de Beau- À la droite de Marlène Schiappa, Emmanuelle Piet, passée de la
voir, à la gauche de Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de défense du droit à l’avortement en 1968 à médecin en PMI (protection
l’égalité entre les femmes et les homme qui, d’après Le Canard maternelle et infantile) en Seine-Saint-Denis, la femme la plus
enchaîné, parlait de la femme française en disant « hier Simone de passionnée et la plus truculente de la soirée, présidente du Collectif
Beauvoir, demain Brigitte Macron ». féministe contre le viol, qui n’a les moyens de répondre qu’à 15 % des
Très engagée au sein de la Fondation des femmes, l’actrice Anna appels qui tombent sur sa hotline. Les droits des femmes paraissent
Mouglalis raconte qu’elle a emmené sa fille de 11 ans voir La Belle et malgré tout avoir progressé, ceux des enfants lui semblent en revanche

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

la Bête. Rien à voir avec l’œuvre de Cocteau, selon elle. «Là, la bête est en pleine régression. Elle enrage à table sur les difficultés à fixer un âge
immonde, méchante… Belle, qui réussit à partir, revient en se disant minimum au consentement sexuel et à définir le viol. «Une grosse verge
qu’avec de l’amour la bête va changer…» Elle lève les yeux au ciel. À dans un vagin d’une petite fille de 8 ans, elle est où la question du consen-
sa fille qui avait adoré le film, elle a dit qu’il fallait qu’elles discutent. tement?» Elle demande ça sans baisser la voix entre la volaille rôtie et
«Merci de ne rien partager sur Facebook et Twitter», demande Anne- le soufflé au chocolat. Tout comme elle raconte son quotidien de
Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes, «on souhaite médecin et les questions qu’elles posent pour détecter la maltraitance:
garder la soirée privée». Trop tard. Et quelle drôle d’idée d’avoir invité «À quoi on joue dans ton école?», «Votre mari il est gentil?»
des journalistes, fait installer un photocall à l’entrée et inscrit un hashtag On s’interrompt pour la tombola. Un sac Vuitton s’envole. C’est le tour
sur le menu d’un événement que l’on souhaite «garder privé». d’un collier Christofle. Numéro 55. « Maman ! » C’est la fille de
La soirée s’ouvre par un concert de violoncelle et piano donné par Laurence Ferrari qui emporte le bijou.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

Michèle Lamy
dans les
ateliers de
production à
la Carpenters
Workshop
Gallery,
en mars, à
Mitry-Mory.

Michèle Lamy, bon génie de Rick Owens.

On la présente uniquement comme l’épouse, la muse ou l’égérie du styliste américain.
Mais la Française Michèle Lamy, 73 ans, est bien plus que ça. Elle joue un rôle crucial
dans le succès du créateur, devenu une référence du luxe transgressif en mode comme
en design. Inspiratrice autant que businesswoman avisée, celle qui assure la réalisation
des objets dessinés par son mari développe désormais son monde personnel à travers
“Lamyland”, un concept au carrefour du prêt-à-porter et de l’art. En prenant soin
de brouiller les genres et de cultiver le goût de l’étrangeté. Marion Vignal
par — Marion Berrin
photos
 59
C e samedi après-midi
de février, dans le
corner shop de
s e l f r i d g e s , les
clients du grand
magasin londo-
nien jettent des
regards halluci-
nés sur une petite créature étrange. Michèle
Lamy, épouse du styliste américain Rick
Owens, arbore un visage gravé de rides et de
maquillage noir. Son pull kaki élimé, dont elle
n’a enfilé que les manches, lui tombe négli-
gemment entre les jambes. Son corps est cou-
vert de chaînes, de bagues et de gros bracelets
en pagaille qui « musicalisent » sa silhouette.
Elle porte, en bandoulière, un immense cabas
en cuir d’autruche telle une nomade du désert
qui transporterait toute sa vie avec elle.
Michèle Lamy n’a pas un look, mais une
dégaine et toujours l’impression, où qu’elle se
trouve, « d’être sur scène ».
Personne ne personnifie mieux qu’elle la
mode conceptuelle et scandaleuse de Rick
Owens, qui ne rate pas une occasion d’afficher
son goût pour les extrêmes et de briser les
tabous du sexe, de la mort et des instincts pri-
mitifs. Depuis son premier défilé à New York
en 2002, il propose une mode transgenre pro-
vocatrice, n’hésitant pas à faire défiler ses man-
nequins hommes le sexe au vent ou à mettre
en scène son couple dans une vidéo à caractère
sadomasochiste.Aujourd’hui, c’est son épouse
qui incarne la force et l’insolence de leur uni-
vers commun.À Londres, où elle a commencé
Ci-contre, Ci-dessus,
avec Selfridges des collections capsule de
Michèle Lamy le Stag Stool mode dans le cadre de son «Lamyland» consa-
assise sur en marbre
le fauteuil blanc et cré à l’univers de la boxe, dans les foires d’art
Curial dans
son apparte-
le Single Prong
Aluminium,
internationales de Miami à Dubaï, de jour
ment parisien, sur lequel comme de nuit, c’est elle qui fait sensation,
place du Palais- Michèle Lamy
Bourbon, est allongée. bien au-delà du rôle de muse de son mari.
en mars. Quand elle rit, Michèle Lamy jette ses longs
cheveux noirs de Gitane en arrière, et dévoile
une impressionnante dentition en or. Elle pos-
sède la grâce d’une jeune fille de 20 ans et les
Maquillage et coiffure : Celine Martin/Carol Hayes Management
rides profondes d’une vieille Berbère aux yeux
verts cernés de khôl. Les gens qui ne la
connaissent pas la prennent pour une sorcière
ou une déesse de magie noire. « Michèle pos-
sède une férocité primitive et une incroyable
intensité réunies dans une petite enveloppe,
explique Rick Owens. Elle peut vous mettre
littéralement à terre. En même temps, je n’ai
jamais rencontré quelqu’un d’aussi plein de
lumière.» Entre le styliste californien de 56 ans
et la Jurassienne de 73 ans, avocate pénaliste
de formation, s’est écrit une histoire d’amour
et de business qui les a transportés des quar-
tiers est de Los Angeles à la place du Palais-
Bourbon, à Paris, où ils vivent et, depuis 2004,
14 avril 2018 — Photos Marion Berrin pour M Le magazine du Monde
travaillent. Ce couple singulier a fait émerger
un univers à la fois viscéralement marginal et
parfaitement maîtrisé. Avec un chiffre d’af-
faires de 125 millions d’euros, une autonomie
financière totale, des boutiques de New York à
Séoul, une flopée de fans clonant leur sil-
houette sombre et futuriste, le label Rick
Owens fait partie des grands succès critiques et
commerciaux de la dernière décennie en mode
et, fait rare, en design aussi. Domaine que
Michèle Lamy développe personnellement
depuis près de dix ans et dirige avec passion et
fermeté, suivant pas à pas la création des
meubles, de la conception à la réalisation.
Vendues par la Carpenters Workshop Gallery,
leadeuse du marché contemporain, qui expo-
sera leur nouvelle production à New York en
septembre, les pièces de design Rick Owens
sont plébiscitées par les collectionneurs et les
décorateurs internationaux qui raffolent de leur
fusion entre brutalisme et classicisme. Pour
Michèle Montagne, qui fut la première atta-
chée de presse du couple à son arrivée à Paris,
leurs meubles, comme leurs méridiennes en
bois pétrifié ou leurs assises en os, sont «repro-
portionnés avec une imagination dispropor-
tionnée ». De la même façon que leur mode,
faite de drapés asymétriques et de sarouels aux
ourlets irréguliers, se veut «d’une grande élé-
gance et, en même temps, complètement déca-
dente». Comme leurs silhouettes, leurs pièces
de mobilier possèdent un caractère indéfini,
« elles sont dans un entre-deux post-Brancusi
entre l’art et le design, la sculpture et l’architec-
ture », analyse Helen Molesworth, conserva-
trice en chef du MOCA, à Los Angeles, qui a
monté en 2016 une exposition consacrée au
mobilier Rick Owens. De fait, leur univers
«ovniesque», qui décrit un monde de confu-
sions des genres et d’incertitudes, n’a jamais
autant résonné qu’aujourd’hui.
En additionnant la mode et le design, la Fran-
çaise et l’Américain ont créé un langage fait
«de raffinement, de luxe, de brutalité et d’une
certaine vision dystopique de la société »,
observe le commissaire d’exposition et mar-
chand d’art Oscar Humphries. Leur alchimie
créative reste secrète. Personne ne sait exacte-
ment où l’un commence et où l’autre finit. Une
chose est sûre: l’histoire de Rick Owens n’exis-
terait pas sans Michèle Lamy. « Elle est l’élé-
ment indispensable, affirme Michèle Montagne.
Ce tandem est une hydre à deux têtes. Ils étaient
deux pour faire un.» L’artiste Youssef Nabil, un
ami proche de Michèle Lamy, qui l’a photogra-
phiée lovée dans les bras bodybuildés de son
mari en 2013,confie que «c’est l’amour avec un
grand A qui a fait de ce duo un couple hors du
commun, qui ne connaît pas d’âge ni de sexua-
lité définie. Quand je (Suite page 62) •••
 Chez elle
comme dans
l’entrepôt de
la Carpenters
Workshop
Gallery,
Michèle Lamy
porte des
vêtements
créés par
Rick Owens
(en photo
ci-contre).
61

14 avril 2018 — Photos Marion Berrin pour M Le magazine du Monde

••• (Suite page 59) pense à ce que Michèle est
pour Rick, je pense à ce que Gala était pour
Dalí. Michèle est l’âme de l’univers de Rick.
Elle en est le mystère, l’androgynie, l’humain et
représente la maman pour la famille. » En
l’occurrence, l’entreprise Owenscorp, que
Michèle Lamy considère comme leur bébé et
qui compte une équipe de fidèles et le même
partenaire italien, le groupe de manufactures
Eo Bocci, depuis 2001, devenu leur associé.
De l’avis général, Rick Owens, conscient de
tout ce que Michèle Lamy lui a apporté
depuis leur rencontre à Los Angeles, exprime
aujourd’hui le besoin de mettre son épouse
et inspiratrice dans la lumière. Il a ainsi
décliné notre demande d’entretien pour ne
concéder que des réponses par e-mail à nos
questions. Une façon de lui laisser le champ
libre et de mettre en valeur son monde, son
« Lamyland », en pleine émergence. Le mot
vient de lui : « Dès que je faisais quelque chose
de différent de Rick Owens, Rick disait “c’est
Lamyland” », raconte Michèle Lamy. Le
nom vient d’être déposé à la suite du succès
de l’événement Boxing chez Selfridges, mais
« Lamyland » a toujours eu vocation à recou-
vrir des formes diverses. L’installation d’une
barge à Londres pendant la foire d’art Frieze
en 2014, expérience réitérée à Venise pen-
dant la Biennale d’art contemporain en 2015,
comme les performances de Michèle et de sa
fille, l’artiste Scarlett Rouge (qu’elle a eue
jour à Paris, Michèle Lamy répondait tou-
jours : «Seulement si j’habite place du Palais-
Bourbon ! », comme elle aurait pu dire sur la
tour Eiffel. Débarqué à Paris en 2003 à la suite
du contrat de Rick avec la marque de four-
rures Revillon qui l’embauche comme direc-
teur artistique, le couple vit d’abord dans une
suite au dernier étage de l’hôtel Montalem-
bert, à Saint-Germain-des-Prés. Anne-Marie
Dubois-Dumée, une de leurs amies de Los
Angeles alors mariée avec Jacques Séguéla,
leur apprend qu’un hôtel particulier est à
vendre sur la place proche de l’Assemblée
nationale. Le lieu n’est autre que l’ancien
siège du Parti socialiste, époque Mitterrand.
Côté rue, des appartements nobles avec par-
quet, moulures et dorures. Côté cour a été
greffé un bâtiment en béton brut des
années 1950 qui donne sur le jardin du minis-
tère de la défense. Le lieu est à l’abandon, il y
a tout à inventer. Michèle Lamy la joue «com-
plètement gangster » : «J’ai dit, on s’installe et décrite comme très intelligente, épanouie dans
on fait les travaux. Je n’avais pas un carnet de
chèque, on avait neuf mois pour réunir les
fonds et finaliser l’achat. » Le squat démarre.
Déjà hybride entre passé et présent, le lieu
devient un chantier permanent où se mêlent
l’amour, le travail, les nourritures terrestres et sentiments, c’est une businesswoman avec un
spirituelles de toutes sortes. Quinze ans plus
tard, tout y paraît encore inachevé. Les objets
d’art et de design cohabitent avec une bâche
en plastique, des piles de cartons, des murs
à Michèle », observe Oscar Humphries. Pour
Mathieu Paris, qui fut leur premier galeriste
parisien, le couple «a mixé la rigueur esthétique
d’un Pierre Jeanneret, le brutalisme d’un
Le Corbusier, le luxe pauvre d’un Jean-Michel
Frank avec les rampes de skate de la banlieue de
Los Angeles et le gigantisme américain». Rick
Owens, guidé par son œil d’architecte et sa
culture livresque, jette les premiers croquis sur
le papier, puis Michèle Lamy donne vie à ces
objets, dénichant les meilleurs marbriers ou
ébénistes, se passionnant pour le travail de tous
les artisans impliqués dans l’aventure. «L’ins-
piration est un tout petit pourcentage d’une créa-
tion réussie, explique l’Américain. Tout est dans
les nuances subtiles de la réalisation, sa réponse
créative à ma vague idée initiale est ce qui donne
l’âme du mobilier.»
Rick Owens est tout entier dévoué à son
métier, ses matières, ses coupes. On le dit cool,
timide et réservé, quand Michèle Lamy est
l’échange et le collectif,surtout quand c’est elle
qui dirige. Alice Lemoine, qui fut styliste plu-
sieurs années au studio Rick Owens à sa sortie
de l’École supérieure des arts et techniques de
la mode, pointe que «Michèle n’est pas dans les
but, une ambition, mais les affaires ne la satis-
font pas complètement, elle est très créative et a
besoin de s’exprimer. La fourrure a longtemps
été son univers de création à l’époque de

avec son deuxième mari, avant sa rencontre
avec Rick Owens), avec le musicien Nico
Vascellari et leur groupe de noise Lavascar.
« “Lamyland”, c’est cette planète qui se
déplace, glisse, vibre, désoriente, scintille et où
toutes les règles sont siennes, nous écrit Rick
Owens. C’est un monde qui m’est parfois
étranger, mais que je m’autorise à visiter et où
j’ai toujours envie de retourner. »
Depuis toujours, Michèle Lamy est celle qui,
dans le couple, détermine le cap. « Qu’est-ce
qu’on va dire dans cet article ? », nous ques-
tionne-t-elle comme inquiète de ne pas maîtri-
ser l’histoire, elle qui passe son temps à en
écrire de nouvelles. « Ma vie ressemble aux
Mille et Une Nuits. Je raconte une histoire qui
passe à une autre. C’est un récit évolutif, fait de
métamorphoses permanentes, alors que Rick suit
un alphabet comme une suite logique A, B, C,
D… Sa poésie s’exprime différemment de la
mienne. Moi, je suis un Singe Verseau, je trouve
toujours une branche où me rattraper.»
Si Rick Owens vit entre l’usine en Italie qui
produit toutes ses collections, leur QG du
Palais-Bourbon et la salle de gym, elle évolue
au rythme de ses fantasmes. « Et quand elle
décide de les concrétiser, elle passe à l’acte. Elle
rêvait d’habiter place du Palais-Bourbon, à
Paris, une place d’apparat et de pouvoir, à
l’abri des regards. Elle l’a fait », confie avec
admiration son ami Mathieu Paris, directeur
de la galerie White Cube, à Londres. À
Los Angeles, où elle a passé vingt-neuf ans,
quand on lui demandait si elle rentrerait un
L
nus et des grandes gerbes de lys. Revillon, puis est venu le design. » Une façon
pour elle de reprendre les commandes après
toutes ces années à Los Angeles où elle avait
es premiers meubles imaginés fini par devenir une égérie de la nuit.
par le duo naissent là. le lieu Quand la Française débarque sur la côte Ouest
impose des grands formats, en 1974 par goût du risque et du voyage, elle a
des tables immenses, des déjà derrière elle «50000 maris»,mais un seul
banquettes qui n’en finissent mariage avec un avocat nommé Lamy,
pas. Le lit conjugal est la un diplôme du barreau de Lyon et quelques
réplique de celui que le couple s’était déjà fait années de commis d’office dans des affaires
fabriquer par un ami à Los Angeles: un grand pénales, « toujours des histoires de sexe ».
matelas sur une estrade recouverte de feutre Michèle Lamy est alors une jolie rousse sans
avec une tête arrondie à l’arrière haute comme tabou qui s’est délecté des cours de Gilles
une cloison. Pas un meuble, mais une micro- Deleuze et de Félix Guattari à la fac et se sou-
architecture, un espace dans l’espace. Enthou- vient des barricades de Mai 68 comme d’une
siaste, leur entourage les pousse à développer fête incroyable: «On s’aimait comme des fous
des collections de design. La première est lan- en pensant qu’on allait changer le monde. »
cée par la galerie Jousse Entreprise en 2007. Le Dans ces années 1970 de libération sexuelle,
public découvre la série Stag, des chaises aux elle est aussi celle qui troque sa robe d’avocate
lignes austères au dos desquelles a été fixée une pour le costume de strip-teaseuse.Elle s’impro-
corne d’élan. «Le côté fantastique de leurs créa- vise performeuse dans des spectacles forains,
tions tranchait complètement avec la période embarquée par la bande des Gazolines (groupe
minimaliste», se souvient l’architecte d’inté- de militantes féministes glamour et provoc) et
rieur Joseph Dirand, qui fit partie des premiers par ses deux grandes amies d’un autre genre,
à acheter leurs pièces pour ses chantiers inter- l’artiste transsexuelle de cabaret Marie France
nationaux. Le fauteuil Curial en bois massif et Hélène Hazera,figure du mouvement gay et
avec sa forme de trône contemporain évoque lesbien qui venait alors de se faire opérer pour
des temps mythologiques anciens et un certain devenir un homme. Nomade dans l’âme,
classicisme. Dans la foulée, les pièces en os Michèle Lamy a hérité de la fibre entrepreneu-
impressionnent les connaisseurs par leur aspect riale de ses ancêtres jurassiens. Elle rêve de
à la fois primitif et sophistiqué. «Dans l’histoire vivre à New York et de construire un business
de la mode, mis à part Pierre Cardin, aucun là-bas.Son frère,qui a repris l’usine familiale de
couturier n’avait réussi à affirmer une écriture galalithe – un plastique à base de lait, utilisé
en design. Rick est le seul à y être parvenu, grâce pour les lunettes et les bijoux fantaisie, dont
63

leur grand-père fut l’inventeur –, l’en dissuade.
«Il m’a dit, tu n’as pas assez d’argent pour cette
ville, va plutôt à Los Angeles, c’est New York sur
la Côte d’Azur. » Michèle Lamy lui fait
confiance. Elle y ouvre une première boutique
de mode, de lunettes et d’accessoires qu’elle
nomme Too Soon To Know. Pour créer ses col-
lections de mode, elle devient propriétaire
d’une usine de textile et invente un tissu tech-
robes sculptures qu’elle doit ranger dans
un stock extérieur tant elles sont imposantes.
Une façon, glisse-t-elle aussi dans un sourire,
de rendre son mari « un peu jaloux » et de
montrer qu’elle n’était pas seulement son
ambassadrice.
«Aujourd’hui, les choses se font naturellement,
mais il a fallu engager des projets et des ren-
contres pour que les gens approchent Michèle
public : « What are we fighting for ? » (« Pour
quoi nous battons-nous?»). Une interrogation
qui, dans la tête de Michèle Lamy, résonne
avec le mouvement #metoo.Avec elle, le vête-
ment se fait arme politique, étendard de liberté
et du droit à la différence. Débauche de bijoux,
myriade de tatouages… À l’instar de Rick
Owens avec la musculation, Michèle Lamy
sculpte son apparence comme une création.

P
nique à partir d’une maille Lacoste.
arce qu’elle aime la fête, la
bonne cuisine et « créer des
lieux, des situations propices
à des rencontres différentes»,
elle ouvre en 1992 son pre-
mier restaurant, Le Café
desArtistes,qu’elle transforme en un repaire de
branchés et de célébrités locales. Sa deuxième
adresse, Les Deux Cafés, dans la partie malfa-
mée d’Hollywood Boulevard, devient lui aussi
un lieu incontournable à partir de 1994.Artistes,
chanteurs, acteurs, hommes d’affaires s’y
retrouvent dans une atmosphère de bar clan-
destin. «C’était un endroit incroyable posé au
milieu d’un parking entre deux rues, toute la
nuit des limousines venant de Beverly Hills s’ar-
rêtaient pour y déposer des clients. Madonna y
dansait sur les tables, des vigiles armés gar-
daient la porte car le quartier était dangereux et
plein de drogués. Nous y avions une table tous
les soirs pour nos amis et nos clients », se rap-
pelle Anne-Marie Dubois-Dumée. Cette der-
nière vivait alors à Los Angeles avec Tommy
Perse, fondateur de la boutique d’avant-garde
de mode Maxfield, qui a fait découvrir, notam-
ment, Yohji Yamamoto et Rick Owens à
Hollywood. « Michèle n’avait peur de rien,
ajoute-t-elle. Elle vivait avec des travestis, elle
était très libre.» Lamy n’a jamais caché son goût
pour l’ambivalence des genres. Avec Rick
Owens, la rencontre se fait d’abord dans le tra-
vail. La Française embauche le tout jeune créa-
teur comme patronnier pour ses propres collec-
tions de mode. Ce sont la danse et la musique
– le son de l’électro californienne – qui réunis-
sent le couple. Rapidement, Michèle Lamy,
dont la dégaine faite de superpositions et de
beaux tissus élimés est à peu de chose près la
même qu’aujourd’hui, devient une inspiratrice
pour le jeune styliste dont elle est convaincue
du talent. Rick Owens possède son studio de
mode à l’arrière du restaurant. Michèle Lamy
exhibe à sa clientèle chacune de ses nouvelles
créations.Tout est déjà dans tout. La suite s’est
écrite à Paris, où Rick Owens voulait absolu-
ment défiler car c’était la ville où Rei Kawakubo,
créatrice de Comme des Garçons,présentait ses
collections et où elle était comprise. Le couple
partage la même adoration pour l’icône japo-
naise. Elle est « la plus grande artiste et une
excellente businesswoman, ce qui est un art »,
insiste Michèle Lamy.Pendant deux ans,celle-
ci n’a porté que des tenues Comme des
Garçons, après être tombée amoureuse de ses
différemment»,reconnaît Janet,son attachée de Une manière pour ce couple de performeurs
presse à Londres.Passionné d’art et de mode et de vivre leur œuvre et leur vie comme un
partageant avec Michèle Lamy le goût des den- absolu. Et de repousser les limites du temps en
titions en or,le rappeurA$ap Rocky a lui-même se métamorphosant sans cesse. Michèle Lamy
demandé à la rencontrer dans la boutique de ne connaît qu’une religion, celle de l’instant
New York. Ils sont désormais
très amis, comme avec Kanye
West, qui l’a aussi sollicitée.
Idem pour Catherine David,
directrice adjointe du Musée “L’inspiration est un
petit pourcentage
national d’art moderne, qui l’a
convaincue de rejoindre les
Amis du Centre Pompidou.
Une manière pour l’institution
de rester connectée à travers d’une création
réussie. Tout est
elle aux scènes émergentes
internationales.
On murmure que Michèle
Lamy pourrait prochaine-
ment retravailler l’identité du dans les nuances
de la réalisation,
restaurant d’un grand musée
parisien, en tant que direc-
trice artistique. Suite logique
pour celle qui réunit tous les
jours, place du Palais-Bour- sa réponse créative
à ma vague idée
bon, son équipe et ses invités
de passage autour d’une cui-
sine de saison réalisée par de
jeunes chefs africains à domi-
cile. Michèle Lamy n’aime initiale est ce
qui donne l’âme
rien tant qu’ouvrir des clubs
éphémères, organiser des
longs déjeuners comme des
voyages entre deux rives. Son
plus grand regret reste son
projet avorté d’un restaurant
du mobilier.”
Rick Owens
en Israël qui aurait réuni
Arabes et Juifs. Elle était en
contact avec le Centre Pérès
pour la paix peu avant la mort de l’ancien pré- présent. Elle dit ne jamais regarder en arrière
sident et premier ministre. « Je voulais créer et passer son temps à faire ce qu’elle n’a jamais
quelque chose en dehors du système, que les gens accompli avant. À l’arrière du van qui la trans-
se rencontrent, ne serait-ce que pour apprendre porte des ateliers de la Carpenters Workshop
à sourire, à être bien dans leur corps.» Gallery, à Mitry-Mory en Seine-et-Marne,
Madame rêve de créer un parti politique qui jusqu’à la place du Palais-Bourbon, elle lâche
n’en soit pas un. « Pour agir dans la société, de sa voix grave de fumeuse quelques mots du
dit-elle, il faut œuvrer à l’échelle de son quar- King Kong Blues, son poème préféré de Langs-
tier, en bas de chez soi, en créant des tribus avec ton Hughes,figure du Harlem des années 1920:
des affiliations.» À Los Angeles, son restaurant « Il n’y a pas d’endroit pour être heureux, le
Les Deux Cafés a accueilli l’actuel maire de la bonheur on l’a en soi. » Une philosophie loin
ville, Eric Garcetti, le soir où il est entré pour la des ambiances sombres véhiculées par l’uni-
première fois au conseil municipal en 2001, vers mode de Rick Owens, dans ses défilés
succédant à Jackie Goldberg, une lesbienne comme dans ses boutiques pulsées de techno
engagée qui fascinait Michèle Lamy. En pro- hardcore. C’est peut-être elle, pourtant, qui a
pulsant la boxe, qu’elle pratique depuis vingt- fait le succès de ce couple fidèle à son identité
cinq ans, dans l’univers commercial de trouble, à son aversion des clichés et au goût
Selfridges, elle lançait aussi cette question au pour la beauté brute, envers et contre tout.

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

 Ci-dessus, une
coupe de noyer
tenue par deux
employés d’une
scierie des alen-
tours de la ville
de Konjic (page
de droite), l’épi-
centre de la
renaissance de
l’industrie du
bois en Bosnie-
Herzégovine.
65

Le hêtre ou le néant.
Une forêt abondante aux essences variées. Un artisanat unique classé à l’Unesco.
Et des entrepreneurs audacieux qui ont su vendre le savoir-faire local aux designers
les plus cotés. Vingt-trois ans après la fin du conflit en ex-Yougoslavie, la Bosnie
a relancé son industrie traditionnelle du bois et veut l’exporter dans le monde entier.
Ce dynamisme détonne dans un pays ravagé par le chômage et la corruption.
par AlexAndre duyck ( a v e c MArie GodfrAin) — photos ArMin SMAilovic

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde


C onnaissez-vous Konjic? Norma-
lement non, vous ne connais-
sez pas, personne ne connaît
Konjic. À moins de l’avoir tra-
versée pour vous rendre en
voiture de Sarajevo à la côte
croate. Ou d’avoir navigué en
rafting sur la Neretva tout en
taquinant la truite, abondante
en ses eaux. Monica Förster non plus n’en avait jamais entendu
parler. Il y a quatre ans, cette figure du design suédois, dont les
œuvres sont exposées au MoMA à New York ou au Victoria and
Albert Museum à Londres, débarque dans cette ville d’environ
10 000 habitants. Située à une heure au sud-ouest de Sarajevo, elle
porte encore les stigmates des années de guerre en Bosnie-Herzé-
govine (1992-1995) sur presque toutes ses façades anciennes.
C’est Orhan Niksic qui l’a invitée à lui rendre visite. Le PDG de l’en-
treprise d’ameublement Zanat, installée depuis quatre générations à
Konjic, lui propose de dessiner des meubles pour lui. À l’époque,
Monica Förster ignore tout de cette ville, du design bosnien et de cette
technique de sculpture sur bois qui, lui assure-t-il, n’est utilisée qu’ici.
«Mon studio est très souvent sollicité, donc je ne savais pas trop quoi en
penser quand ils m’ont appelée, et puis je me suis dit que j’avais moi-
même grandi dans un endroit reculé, en Laponie, se souvient-elle. Je
sais ce que cela représente comme difficultés. En plus, j’ai vu qu’ils
avaient un savoir-faire complètement fou. Alors, j’ai accepté.» La voici
qui débarque dans ce joli coin perdu des Balkans, le dernier endroit où
poussent les figuiers quand on vient du Sud. La ville est entourée de
montagnes enneigées et d’arbres de haute futaie, comme une bonne
partie du pays puisque 53 % de la surface de la Bosnie-Herzégovine
est recouverte de forêts (31 % en France métropolitaine). De vastes
étendues sauvages qui regorgent de chênes, frênes, pins, sapins, noyers,
d’érables et surtout de hêtres, réputés parmi les meilleurs au monde.
La Bosnie compte aussi l’une des dernières forêts primaires d’Europe,
près de la frontière avec le Monténégro. On y trouve le plus grand
épicéa commun connu, qui culmine à soixante-trois mètres.
Avant de venir, la designer s’est renseignée sur deux points essentiels.
1. Le profil de cet Orhan Niksic : études aux États-Unis, à Stanford ;
économiste passé par la Banque mondiale,frère diplômé en architecture
avec qui il s’est associé pour reprendre l’entreprise familiale fondée par
l’arrière-arrière-grand-père. Rassurant. 2. La technique de sculpture sur
bois pratiquée dans toute la région de Konjic.Ancestrale, entièrement à
la main à l’aide de simples ciseaux à bois, marteaux, couteaux, fermoirs,
gouges, burins, que l’on apprend de génération en génération, «un des
artisanats figurant sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’hu-
manité de l’Unesco!», précise Monica Förster. Intrigant. Pour Zanat, la
Suédoise va vite dessiner des chaises,des étagères,des tables,des tabou-
rets, des bols, des coupes à fruits… Quatre ans après, elle en est convain-
cue : « Cette entreprise travaille sur le long terme avec l’ambition de
devenir l’une des plus grandes marques de design dans le monde.»
Photos Armin Smailovic pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
66
Sur l’un des murs de Zanat est accrochée une grande photo du premier
artisan de la dynastie, l’arrière-arrière-grand-père d’Orhan Niksic, puis
une autre de son grand-père, photographié en 1934 à Belgrade. L’in-
dustrie du bois existe depuis le milieu du xixe siècle en Bosnie. Elle
compte aujourd’hui près de 130000 salariés et représente le troisième
secteur industriel de l’économie, le seul en forte croissance dans un
pays qui compte 26 % de chômeurs. Pendant des décennies, les arti-
sans se sont contentés de tailler le bois, de fabriquer des planches et
des meubles traditionnels, de belle facture, solides, mais qui ne se
vendaient qu’en Yougoslavie. Puis la guerre est survenue et le pays a
disparu. Le conflit terminé, les petites entreprises travaillant le bois
ont dû redémarrer avec des infrastructures détruites et une économie
à genoux. Il a fallu rechercher de nouveaux marchés pour les meubles
réalisés sur place, qui ne trouvaient plus preneur dans une ex-
Yougoslavie désormais éclatée et ruinée.
Jasna Mujkic avait 20 ans pendant la guerre et se rappelle que, même
durant ces années d’horreur, la création artistique n’a pas cessé. « Le
besoin de créer a permis de tenir, de survivre en envisageant, chaque jour,
un lendemain.» Au début des années 2000, elle fait partie des premières
promotions d’étudiants en design diplômés de l’Académie des beaux-
arts de Sarajevo. Elle est aussi la première créatrice à rejoindre Zanat,
maison centenaire qui ne possède alors aucun designer et cherche à se
renouveler. «Pour vendre les meubles à l’étranger, il fallait ajouter du
moderne tout en gardant la façon de faire artisanale, sans tomber dans
le kitsch, raconte-t-elle. C’était ça le plus grand danger, le kitsch. » Des
années plus tard, sa table basse Ombra (conçue pour Zanat) sera récom-
pensée au prestigieux salon du meuble international de Cologne.
Zanat et sa petite armée de designers bosniens, scandinaves ou
anglais n’est pas la seule maison de fabrication de meubles tradition-
nels à s’attaquer à un marché dominé par les Scandinaves ou les
Italiens. Dès 2007, Artisan, créée dans le nord du pays par la famille
Costovic, qui travaille le bois depuis un demi-siècle, s’est lancée dans
le design et l’ameublement contemporain. Sarajevo est aussi le siège
de Gazzda, fondée par Salih Teskeredzic, le designer le plus influent
du pays, qui a collaboré avec Zanat avant de créer sa propre marque,
là encore du made in Bosnia. Ces trois entreprises croulent sous les
commandes et voient leurs points de vente à l’étranger ouvrir les uns
après les autres : Zanat n’en avait aucun en France en 2016, elle en
compte une vingtaine aujourd’hui. On découvre les canapés, les éta-
gères, les tables et les très élégantes chaises de Gazzda dans de belles
boutiques de Lisbonne, Rome, Genève, New York ou Melbourne. Et
Artisan est distribuée par Ligne Roset à Paris.
Il n’y a pas si longtemps, quand il présentait son entreprise à l’étran-
ger, Orhan Niksic s’entendait répondre : « Quoi ? Du design en Bos-
nie ? Vous plaisantez ! » Près de vingt-trois ans après la fin des com-
bats, Orhan Niksic et Salih Teskeredzic, pourtant primé dix fois par
le prestigieux German Design Council, avaient droit à la même ques-
tion : « Mais comment faites-vous pour créer de si beaux meubles sous
les bombes ? » Comme si la paix n’avait pas été signée en 1995. Le
temps a passé, mais les préjugés ont longtemps perduré. « Nous •••
 Il n’y a pas si longtemps, quand il
présentait son entreprise à l’étranger,
Orhan Niksic s’entendait répondre:
“Quoi? Du design en Bosnie?
Vous plaisantez!”

Un bûcheron
dans la forêt
du massif
montagneux
de Prenj,
environnant
la commune
de Konjic.
 68

Une chaise
designée par la
Suédoise Monica
Förster, pour
le compte de
la société Zanat,
pionnière du
renouveau
bosnien.

••• souffrons encore d’une piètre réputation, même si les choses s’ar-
rangent, reconnaît Salih Teskeredzic dans ses locaux flambant neufs
en plein Sarajevo. Nous avons pourtant été au cœur de grands cou-
rants artistiques, comme le rococo, le baroque ou les Arts déco. Puis,
avec les communistes, on a appris à faire du rationnel, du logique, du
étaient conçus dans du bois d’érable de Bosnie. «Mon odeur préférée,
c’est celle du pin, mais le pin ne vaut rien pour le travail du bois. Le
meilleur, c’est le noyer!», assène Besim Niksic, le patriarche, 82 ans, assis
derrière une table en train de sculpter une petite pièce de bois.
À l’entrée de l’atelier, des cartons attendent de s’envoler pour la Corée,

D
pratique, de l’épuré et du moderne, du non-bourgeois. Nous y étions le Koweït, le Japon,Taïwan, Paris, les États-Unis, Helsinki… Des par-
obligés, on a grandi là-dedans. » ticuliers, des hôtels, des restaurants, une banque suédoise passent
commande de meubles. Ça sent divinement bon le bois et le vernis.
Des hommes s’affairent en silence. Nous sommes dans un lieu à l’an-
cienne, presque dépourvu de machines modernes, où les artisans tra-
ans ces conditions, les Bosniens n’ont pas vaillent à la main. Des jeunes, à peine sortis de l’apprentissage, et des
d’autre choix pour s’imposer que d’y aller plus anciens, comme Salko, qui a commencé en 1976. « J’ai toujours
au culot. Orhan Niksic n’en a pas manqué eu ça en moi, et je n’ai pas du tout envie de m’arrêter. » Armé d’un
lorsqu’il a arraché un rendez-vous de couteau à bois, il crée de petites marques régulières sur une planche
trente minutes avec la star anglaise Ilse d’érable, des alvéoles guère profondes qui vont bientôt recouvrir toute
Crawford, fondatrice de Studioilse, à la surface. Il faut une semaine entière pour qu’un homme fabrique une
Londres. Au final, ils sont restés trois table. Les prix demeurent très raisonnables pour de tels objets : autour
heures ensemble, durant lesquelles la de 2 600 euros (hors taxe) pour les grandes tables rectangulaires de
Britannique dessinait déjà des croquis. « Ce fut une révélation de cuisine en érable, de 600 pour les bancs en érable à 1800 pour ceux en
découvrir les incroyables ressources en bois de la Bosnie et les oppor- noyer dessinés par les Britanniques de Studioilse.
tunités liées à leur façon de sculpter, confie-t-elle. En faisant parler C’est Adem, le frère d’Orhan, diplômé en architecture, qui règne sur
la matière brute de façons si différentes et d’une manière qui peut les lieux. C’est lui qui a convaincu son frère de quitter Israël et les
désormais toucher un public en dehors du pays. » Territoires palestiniens, où il travaillait pour la Banque mondiale, de
À Konjic, le showroom de Zanat tourne résolument le dos au kitsch. On rentrer en Bosnie et de s’associer avec lui. La guerre était terminée
dirait une boutique hype de Londres, Copenhague ou Stockholm. depuis un bail, fini les meubles traditionnels d’antan et les souvenirs
Tables basses et de cuisine, chaises, canapés, plateaux, bancs… Difficile pour les casques bleus, il devait bien y avoir moyen de se développer.
de trouver plus épuré, sobre. Quatre essences de bois seulement : Après tout, comme le dit leur père, « le bois coule dans nos veines ».
érable, noyer, chêne et frêne. On dit que les violons de Stradivarius Selon Adem, il faut au minimum trois mois pour apprendre les •••

Photos Armin Smailovic pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018


La gravure sur
bois de la région
de Konjic a été
inscrite dans la
liste du patri-
moine immatériel
de l’humanité par
l’Unesco en 2017.
••• bases de la sculpture sur bois. « Le bon artisan doit être doué de
ses mains et en dessin, se montrer patient et faire preuve de sensibilité
artistique. Quand les grands designers internationaux viennent ici,
c’est un honneur pour nous, ça nous met beaucoup de pression aussi. »
Imaginait-il un tel succès? « J’y croyais, mais je ne savais pas que ça
irait si vite. » Un grand designer français, dont ils ne veulent pas
dévoiler l’identité, devrait bientôt les rejoindre. Ils vont aussi dévelop-
per un programme de formation d’apprentis avec l’université de
P
Ljubljana, en Slovénie, et travailler davantage encore avec les étu-
diants de l’Académie des beaux-arts de Sarajevo.
our toutes ces entreprises d’ameublement et
de design, le défi est de parvenir à se dévelop-
dans un pays situé hors de l’Union euro-
per
péenne et miné par une corruption générali-
sée qui fait dire à un homme d’affaires
français : «À la différence du reste de la popu-
lation, les dirigeants et fonctionnaires de ce
pays veulent-ils vraiment entrer dans l’Union
européenne, vu les avantages personnels qu’ils y perdraient?» Ruinée
par la guerre, marquée par les tensions qui perdurent entre minorités
serbes, musulmanes et croates, la Bosnie-Herzégovine souffre aussi
d’une fuite de ses jeunes diplômés et du retard de son industrie,
vieillissante et polluante (charbon, métallurgie, sidérurgie, production
de pièces détachées de voiture ou de munitions, le premier employeur
de Konjic). D’où le fol espoir placé dans l’exploitation accrue des
Photos Armin Smailovic pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
70
ressources en bois. Les forêts de Bosnie recouvrent plus de la moitié
du territoire, mais jusqu’à quand? Orhan Niksic n’est pas inquiet : «La
quasi-totalité est gérée et protégée par l’État et ce travail est bien fait. »
Salih Teskeredzic assure que toutes les pièces de bois utilisées chez
Gazzda proviennent de forêts inscrites dans le développement durable :
«Nous nous assurons que chaque cadeau qui nous est fait par la nature
est remplacé par une nouvelle vie. » Mais quelles garanties apportent
les 1600 autres industriels qui travaillent le bois dans le pays? Depuis
deux ans, une loi pour réguler l’exploitation des forêts est censée être
en préparation, mais personne n’en a vu la couleur. Les exportations
des seuls panneaux de contreplaqués ont explosé de 500 % depuis
2013. Pour l’heure, Ikea, qui consomme 1 % des réserves mondiales de
bois chaque année, épargne relativement les arbres de Bosnie, mais son
appétit grandit. « De plus en plus d’entreprises bosniennes travaillent
comme sous-traitants pour Ikea. Les patrons deviennent sûrement riches,
mais ils sont soumis à de telles pressions sur les prix et les cadences que
leurs employés n’en profitent pas», assure un industriel. L’exemple sué-
dois ne fait pas forcément rêver. « La consommation et la production
de masse tuent la créativité, se désole Orhan Niksic. Il faut aussi retrou-
ver le sens du toucher, que nous délaissons trop. C’est dommage, il est
essentiel. Il ramène à un peu plus de douceur.» Ilse Crawford abonde :
«Nous avons vite compris qu’en travaillant avec Zanat nous pourrions
créer des produits beaux, qui répondent aussi à notre besoin de toucher.
Nous pensons que plus l’époque est au numérique, plus il faut rechercher
passionnément des émotions physiques. » Au fond, c’est peut-être cela
qui l’a le plus séduite, qu’un ancien économiste chargé de la Palestine
pour la Banque mondiale rêve d’un monde aussi doux que les plateaux
des tables qu’il fabrique.
Renaud Muselier dans son
bureau du conseil régional,
à Marseille, le 28 mars.
73

Le dauphin
de Marseille.
Presque trente ans que Renaud Muselier
barbote dans le marigot politique
marseillais. Et qu’il doit composer avec
l’inamovible maire LR de la ville, Jean-
Claude Gaudin, dont il fut l’adjoint mais
jamais l’ami. élu à la tête de la région PACA
l’année dernière, il semble idéalement
placé pour succéder, en 2020, au vieil
édile, qu’il ne s’est pas privé d’étriller
publiquement. à 58 ans, le jovial “Muso”
savoure son retour sur le devant de la scène
et laisse les autres parler de ses ambitions.
par PhiliPPe Ridet et Gilles Rof — photos Yohanne lamoulèRe

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde


C ette fois, il a enfin la gueule de
Avant, il était trop jeune,
l’emploi.
trop chien fou, trop dilettante,
trop ceci ou trop cela. Ou pas
assez. Pas assez sérieux, pas assez
réfléchi, pas assez crédible.
Député RPR pour la première
fois à 34 ans, médecin, proprié-
taire de deux cliniques de renommée internationale spécialisées dans
la prise en charge des pathologies neurologiques, Renaud Muselier
était une promesse jamais vraiment concrétisée. « Je me suis trop
camouflé », regrette-t-il aujourd’hui dans son bureau au dernier étage
du conseil régional. La politique aime les souffrances cachées et les
profils cabossés. Lui semblait fait pour la vie facile, le soleil, les
copains et les filles. Ayant fait sienne la devise paternelle – « Mieux
vaut être le dernier des reçus que le premier des recalés » –, Muselier
passait pour un branleur. Pourtant, il avait de quoi être pris au sérieux:
petit-fils du vice-amiral Émile Muselier (1882-1965) qui a créé les
Forces navales françaises libres en 1940, secrétaire général à 32 ans
de la fédération RPR des Bouches-du-Rhône, ancien premier adjoint
au maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, ancien secrétaire d’État
aux affaires étrangères, ancien président de l’Institut du monde arabe,
aujourd’hui président de la région PACA et député européen. Mais,
quoi qu’il fît, il restait « Muso », le diminutif qui l’a suivi des petites
classes du lycée Périer à la fac de médecine, des tatamis de karaté
(ceinture noire, 2e dan) aux terrains de rugby (trois-quarts, deux fois
champion de France universitaire), des pistes de ski (chamois d’or)
aux boîtes de nuit. On prenait au sérieux ses copains de la génération
des « bébés Chirac » – les Copé, Baroin, Pécresse qui, comme lui,
refusèrent de rallier Édouard Balladur en 1995. Et Muselier ? Le
brave gars qui tutoie tout le monde. Le rigolo qui parle avec ses
mains. Un Marseillais, quoi !
Il a désormais la gueule de l’emploi, mais duquel ? À 58 ans, Renaud
Muselier laisse planer le doute sur ses ambitions. Et s’amuse de la
curiosité des journalistes sans la décourager. L’âge lui a apporté ce léger
embonpoint qui rassure, ces rides qui traduisent l’expérience. Le gol-
den boy de la politique a pris de la bouteille. Un peu comme si, dans
la trilogie de Pagnol, l’impatient Marius devenait l’avisé César. « Je ne
suis plus un mort de faim », dit-il. Patron d’une collectivité de 5 mil-
lions d’administrés disposant de 2,5 milliards d’euros de budget, le
voilà cador de la droite du Sud-Est avec Christian Estrosi, le maire de
Nice, qui l’a précédé dans cette pièce aux murs recouverts de boiseries
claires avant de lui en laisser les clés en 2016. « Mon truc fonctionne
bien, se félicite-t-il. Ici, on ne vient pas me chercher la merde. »
Alors, qu’est-ce qui lui a pris, sur le plateau de la chaîne Public Sénat
ce matin de janvier de sortir son bazooka et d’allumer Jean-Claude
Gaudin qui, à 78 ans, venait de confirmer son retrait de la vie politique
à l’échéance prévue de son quatrième mandat de maire de Marseille,
en 2020 ? Jamais, publiquement du moins, il n’avait usé d’une telle
violence à l’égard de l’ancien vice-président du Sénat. Ce jour-là,
Muselier dénonce un « mauvais maire », ayant fait « deux mandats
de trop », « deux mandats pour rien », dont l’un, cingle-t-il, a été
« politico-mafieux ». « La fin est dramatique, l’état de la ville est
catastrophique. » Cette intervention, jure-t-il, n’était pas préparée.
« C’est parti comme ça. » Malgré ses dénégations, tout le monde a
Photos Yohanne Lamoulère pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
74
compris qu’il partait à l’assaut de la mairie, le seul
poste dont, finalement, il ait vraiment rêvé. Cela fait
trente ans que Renaud Muselier est de tous les com-
bats dans la ville. Pourquoi devrait-il manquer celui-
ci? Déjà, à la gare TGV de Marseille-Saint-Charles,
on voit revenir les envoyés spéciaux parisiens, la
mine gourmande. Les municipales, c’est demain, et
l’histoire de Muselier le revanchard fait saliver.
Xavier Giocanti, homme d’affaires et compagnon à
la ville de Christine Lagarde, la directrice générale
du FMI, connaît Renaud Muselier depuis toujours.
« C’est mon petit frère », dit-il. Leurs pères étaient
déjà associés lors de la construction de la clinique
Saint-Martin. Il se souvient d’«un jeune homme tur-
bulent et un vrai chef de bande ». Pour lui, l’objectif
de son cadet ne fait aucun doute : « Ici, l’ambition
politique s’est toujours portée sur la mairie, comme
si les Marseillais se heurtaient à un plafond de verre
culturel au niveau national. La fonction municipale
est sacrée. C’est le Graal. » C’est le même terme
qu’utilise son adversaire socialiste Patrick Mennucci,
dans son bureau du groupe PS, derrière l’hôtel de
ville. «Pour notre génération, le Graal, c’est la mai-
rie. On a grandi dans ce mythe. Pourtant,
aujourd’hui, ce n’est pas grand-chose: la gestion du
cimetière municipal Saint-Pierre, du Stade-Vélo-
drome et des merdes de chiens. » Jean-Philippe
Ansaldi, directeur de cabinet et ami de longue date
de Muselier, dément, lui, qu’il y songe : « Il a bien
plus de pouvoir à la Région. » Pourtant, quand
Ansaldi commence à parler de stratégie électorale, il
glisse sans même s’en apercevoir du conditionnel au
futur, de l’hypothèse d’école à l’objectif: «Il faudra
incarner la rupture avec Gaudin. »
C’est en fac de médecine à Marseille, au début des
années 1980, que Renaud Muselier a attrapé le virus
de la politique. Avant, c’était plutôt les belles
bagnoles et la plage. « Un jour, un mec de l’UNEF
m’a dit : “Tu fermes ta gueule parce que tu n’es pas
élu.’’ Du coup, j’ai créé une corpo et on a tout gagné.»
En 1983, au début des années Mitterrand, la réforme
d’Alain Savary met le campus en ébullition. Muse-
lier est au premier rang des opposants. Cocktails
Molotov, bagarres, saccages : «Je comprends très bien
les manifs violentes », dit-il. Mais la réforme passe.
Deuxième leçon : « J’ai compris que la politique
était plus forte que la rue. »
Maurice Toga, le doyen de la fac, repère ce chef
de bande et l’embarque avec lui, en 1985, à la
fédé marseillaise du RPR, où traînent encore les
relents des luttes fratricides entre les anciens du
Service d’action civique (SAC), police parallèle
du gaullisme, créée en 1960 et dissoute en 1982
après la tuerie d’Auriol. Maurice Muselier, son
père, instruit par le destin de son propre •••
“Pour notre génération, le Graal, c’est la mairie
[de Marseille]. Pourtant, ce n’est pas grand-
chose: la gestion du cimetière Saint-Pierre,
du Stade-Vélodrome et des merdes de chien.”
Patrick Mennucci, adversaire PS de Renaud Muselier

Une croix de Lorraine du bureau

de Renaud Muselier (ci-contre).
En juillet 1940, son aïeul, le vice-
amiral Émile Muselier, a proposé
d’afficher ce symbole de résistance
sur les bâtiments des forces
françaises ralliées à de Gaulle.
 76

••• géniteur – d’abord proche, puis impitoyablement évincé des

responsabilités par le général de Gaulle en raison de profonds
désaccords stratégiques –, le met en garde : « Ne fais jamais de
politique. » Maurice Toga le rassure : « Je protégerai ton fils. »
Mais le décès de Maurice Muselier, en 1989, puis celui de Mau-
rice Toga privent le jeune Renaud de ses deux mentors. Le pre-
mier l’avait orienté vers la médecine, l’autre vers la politique. « Je
suis un fils de vieux, déplore Renaud Muselier. Le dernier enfant
du troisième mariage de mon père – le caganis, comme on dit en
Provence. Mon père n’est jamais venu me voir dans une compéti-

Q
tion. Quand j’ai commencé mes études de médecine, il m’a dit : “Je
ne te verrai jamais passer ta thèse.” »

uelques années lui suffisent pour

construire un fief. «Contrairement à ce
qu’on imagine, Renaud est un type
organisé et méthodique, souligne
Ansaldi. C’est d’ailleurs pour ça qu’il
s’est fait remarquer au RPR. En 1986,
on est partis à cinq pour l’université
d’été du parti à Égletons, en Corrèze.
On roulait en Citroën CX… On nous prenait pour des ministres ! On
a logé dans le même hôtel que Chirac. Renaud, ça lui a tellement plu
qu’il a lancé : “Il faut la faire chez nous l’année prochaine.” En 1987,
l’université d’été a eu lieu à Arles. Un vrai succès. À la mort de Toga,
Renaud était déjà incontournable.» Les instances parisiennes du parti
essaient de placer un énarque pour gérer la succession, Muselier et ses
amis l’écartent. Chirac et Juppé, qui se méfient de ce Méridional
hâbleur, finissent par lui confier les destinées de la fédération des
Bouches-du-Rhône, en 1991. L’année suivante, il est élu conseiller
général face à un adversaire lepéniste. Dans L’Express, un article daté
de mars 1993 le présente comme «la nouvelle vague du Vieux-Port ».
Il pose bras croisés et sourire canaille, l’hôtel de ville en arrière-plan.
Une élue socialiste cingle «un jeune loup qui veut jouer les Clinton ».
Ça ne nous rajeunit pas.
Chez Renaud Muselier, l’engagement est un héritage. Émile, son
grand-père amiral, a près de 60 ans quand il rejoint le Général à
Londres. Maurice a connu le camp de concentration de Dachau ; sa
mère, Sylviane, était membre d’un réseau de Résistance. « Mon
grand-père, raconte-t-il en abandonnant pour une fois son sourire,
était un homme très aimant mais très dur. Il paraît que j’ai le même
regard. J’ai senti très tôt que je devais être à la hauteur de cette famille.
Cela a créé une pression très importante, mais c’est difficile de pousser
à l’ombre des grands arbres. » Autre caractéristique de la tribu
Muselier : le melting-pot et les familles nombreuses et recomposées.
La mère d’Émile était juive. Émile était en outre le cousin de l’écri-
vain français d’origine portugaise André Suarès. Marié trois fois, il eut
cinq enfants, le premier, Maurice, en 1907 ; la dernière, Lorraine,
naquit trois mois après sa mort en 1965.
Du côté maternel, une des grands-mères de Renaud Muselier est amé-
ricaine. Issue d’une famille sudiste ayant préféré l’exil à la défaite après
la guerre de Sécession, elle épouse en premières noces le comte
Apponyi, un noble hongrois, avec qui elle aura trois enfants, dont une
fille, Géraldine. Mort du comte, nouveau mariage avec un colonel
français cette fois, de nouveau trois enfants, dont Sylviane, future
Mme Maurice Muselier.À la fin des années 1930, un certain Ahmet Muh-
tar Bej Zogolli, plus connu sous le nom de Zog Ier, roi d’Albanie, cherche
femme dans le gotha européen et tombe sous le charme de Géraldine
Apponyi. Il l’épouse, faisant ainsi de Sylviane la demi-sœur de la reine.
Renaud Muselier en est encore incrédule. «Vous vous rendez compte,
mon cousin Leka II [héritier du trône d’Albanie] est
musulman!» C’est bon, vous pouvez refermer Point
de vue et rouvrir M Le magazine du Monde.
À Marseille, au début des années 1990, on a beau
être sympathique et riche, porter le nom d’un héros
et être le rejeton d’une saga familiale entremêlant
Autant en emporte le vent et Le Sceptre d’Ottokar,
cela n’offre aucun passe-droit. L’homme fort de la
droite, c’est Jean-Claude Gaudin, député UDF
de 1978 à 1989, président du conseil régional
depuis 1986. Toute ambition doit composer avec la
sienne.Ayant échoué à deux reprises à ravir la mairie
à l’inamovible socialiste Gaston Defferre, il compte
bien retenter sa chance. « En 1995, décrypte Jean-
Philippe Ansaldi, Renaud n’était pas en capacité de
prendre la mairie. Mais il a fait peur à Gaudin en
lui faisant croire qu’il pouvait y aller seul. Du
coup, il a bien négocié leur accord. Gaudin n’a
jamais aimé Renaud, mais il le craint. » « Nous
avons eu besoin l’un de l’autre, souligne Muselier.
Il y a eu du cynisme des deux côtés. » Alors que
chiraquiens et balladuriens se sont entre-tués lors de
la présidentielle, l’alliance Gaudin-Muselier fait
merveille et remporte la mise. Les deux hommes
deviennent la tête de gondole de la réconciliation.
Ce mariage arrangé, sans amour, apporte la preuve
d’une résilience possible. « On a raconté une belle
histoire, s’amuse encore Muselier. Le médecin et le

Photos Yohanne Lamoulère pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

prof d’histoire, l’homme d’âge mûr et le minot, le rond et le mince,
l’espiègle et le matois. » Parfois, il arrive à l’un des acteurs de ce duo de
croire à la sincérité de l’autre : « Un jour, glisse Jean-Claude Gaudin
à Renaud Muselier, je te laisserai ma place. »
« Vous voyez cette photo sur le mur ? Non, pas celle-là. Oui, là, en bas
à droite. C’est là que mes ennuis ont commencé. » Le président du
conseil régional montre la «une» du Point au lendemain des munici-
pales de mars 2008, illustrée d’une photo montrant Renaud Muselier
au premier plan et Jean-Claude Gaudin un peu plus en retrait. Titre :
«Histoire d’un miracle». Le journaliste raconte que, sans la victoire du
premier dans son arrondissement, face à Jean-Noël Guérini, candidat et
homme fort du PS dans le département, le second n’aurait jamais gardé
la mairie. De ce jour, tout a changé. De larvée et civile, la rivalité devient
ouverte et violente. Il faut humilier Muso.
Pour prix de sa participation à la victoire, le cadet a demandé à son aîné
la présidence de la communauté urbaine. Son élection ne fait aucun
doute.Tout le monde raconte à Marseille que Muselier, tellement cer-
tain de sa victoire, avait choisi la couleur des murs de son bureau, la
marque de son téléphone et la qualité des sièges de sa voiture de fonc-
tion. Sur le papier, il a dix-sept voix d’avance. Le jour du scrutin, il fait
venir son épouse, ses enfants, sa mère. «Ce devait être le couronnement
de l’empereur », se souvient Patrick Mennucci. Mais, au moment du
dépouillement, tout s’effondre: il manque une voix à Renaud Muselier
pour être élu. Qui l’a trahi?
Plus de vingt ans après, il tient toujours les comptes : «Un tiers de ceux
qui n’ont pas voté pour moi l’ont fait parce qu’ils ne m’aiment pas, un
tiers parce que Gaudin le leur a demandé, un tiers parce que Guérini les a
achetés.» L’explication est vive entre Gaudin et Muselier. «Je sais que
c’est vous!», lui lance ce dernier, doigt accusateur. Il menace le directeur
de cabinet du maire: «Si j’en ai la preuve, je t’enverrai à la Timone
[le grand hôpital de Marseille] !» Jean-Claude Gaudin, qui ne nous a
accordé que cette unique déclaration,ne dément ni ne confirme: «Quand
il perd, Renaud dit toujours que ses amis ne l’ont pas assez aidé.»
La suite n’est qu’une longue dégringolade, malgré la réussite
d’Euromediterrannée, l’établissement public chargé de l’immense
chantier de rénovation du quartier de la Joliette, dont Muselier est
président de 1995 à 2008. En 2012, il perd son mandat de député face
à la ministre socialiste Marie-Arlette Carlotti. C’est à cette époque
également qu’a lieu l’inauguration, à plus de 9000 kilomètres de là, sur
l’île Maurice, du complexe immobilier Belle Rivière Estate, composé
d’un hôtel et d’une trentaine de villas de luxe réalisés par la société
Sorep, groupe gérant des cliniques à Marseille, détenu par Renaud
Muselier et François-Michel Giocanti, le frère de Xavier… L’opération
aurait rapporté 80 millions d’euros aux investisseurs. Renaud Muselier
s’est-il servi de sa fonction de secrétaire d’État aux affaires étrangères
pour favoriser ses intérêts auprès des autorités locales? A-t-il vanté aux
futurs acheteurs l’opacité fiscale de l’île, inversement proportionnelle
à la clarté de ses eaux ? Est-ce pour cela qu’il a obtenu la nationalité
mauricienne, qu’il avait demandée afin de développer ses activités sur
l’île? Muselier s’est défendu de ces soupçons.
Depuis, l’affaire est retombée. Les deux hommes ont aussi acheté
une station de ski dans l’Utah, avec moins de succès. Mais sa déci-
sion est alors prise : fini la politique ! « J’ai pris le toboggan et je l’ai
descendu jusqu’au bout. » Il divorce, lâche ses responsabilités au
sein du RPR. « J’ai arraché la seringue. J’étais cassé. Ma chance,
c’est que je n’ai pas besoin de la politique pour vivre. » Muselier
retrouve le moral auprès de ses malades dans un état bien plus
critique que le sien. En 2014, le RPR, qui cherche une tête de liste
face à Jean-Marie Le Pen aux européennes, se tourne à nouveau
vers lui. À moins que ce ne soit le contraire. « Comment voulez-vous
qu’un drogué comme moi refuse un tel shoot ? », rigole-t-il. Muselier
est élu. La vie politique peut continuer.
Gaudin n’a jamais
aimé Muselier,
mais il le craint.
“Lui et moi avons eu
besoin l’un de l’autre.
Il y a eu du cynisme
des deux côtés.”
Cinq kilomètres séparent le château d’If, dans la
rade, de la mairie, quai du Port. Est-ce pour cela qu’il
est si tentant d’imaginer Muso en Edmond Dantès,
le héros d’Alexandre Dumas, revenant pour régler
ses comptes ? Avec les Guérini, c’est fait. En 2011,
Renaud Muselier publie Le Système Guérini
(JC Lattès), un réquisitoire dans lequel il accuse
Jean-Noël, l’homme politique, et son frère
Alexandre, chef d’entreprise, de « détournement de
fonds publics ». L’accusation est si lourde que son
auteur doit être protégé par la police. Ce dossier est
toujours, aujourd’hui, en cours d’instruction.
Reste Jean-Claude Gaudin, ce maire qui a joué avec
les nerfs des uns et des autres en promettant de
céder sa place et qui, aujourd’hui, voudrait adouber
son successeur. Muselier a cru autrefois à ses bali-
vernes. Mais il ne digère pas que l’élu ait fait la
même offre à son alter ego en politique, le séna-
teur LR Bruno Gilles. Cardiaque, ce dernier n’aurait
pas supporté la pression d’une telle perspective. Il a
dû subir une transplantation. « Ça, je ne le pardon-
nerai jamais ! », tranche Muselier.
Devenir maire pour venger son ami et terrasser ses
ennemis, comme dans une bande dessinée dont il
serait le super-héros ? Il y a encore du chemin.
En 2015, la liste Estrosi-Muselier n’a remporté la
région que grâce au sacrifice de Christophe Casta-
ner, le candidat du Parti socialiste s’étant retiré pour
faire barrage au Front national. En mai 2017, la
vague Macron a rebattu les cartes. Un mois plus
tard, Jean-Luc Mélenchon débarquait à son tour sur
la Canebière pour se faire élire député. Déjà
poreuses, les vieilles frontières s’estompent. La
situation est fluide, Renaud Muselier surnage, cher-
chant à couvrir le plus d’espace possible. « Il est
comme ces acrobates qui font tourner des assiettes
dans les cirques chinois », analyse Xavier Giocanti.
Mais, pour le moment, il est revenu dans le jeu.
« Quand j’ai un objectif, on ne peut pas m’arrêter. Je
suis dans une position stratégique vis-à-vis de tout le
monde. Je me régale ! » C’est vrai qu’il a l’air joyeux,
comme toujours finalement.
 78

Du 29 au 31 mars,
Stormy Daniels
se produisait
au Déjà Vu, à
Nashville, dans
le Tennessee.
Page de droite,
le chauffeur
de salle, coiffé,
pour l’occasion,
d’une perruque
à la Trump.

Bombe à
retardement.L’affaire est apparemment moins grave que les accusations de
collusion avec la Russie, mais elle pourrait coûter cher à Donald Trump.
Depuis que Stephanie Clifford, alias Stormy Daniels, a révélé avoir,
en 2006, passé la nuit avec le président américain et touché un joli
chèque en échange de son silence, la strip-teaseuse et actrice porno
fait la joie des anti-Trump. Et le plein dans ses tournées d’effeuillage.
par Stéphanie Le BarS — photos KyLe Dean reinforD

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

D
ans une autre vie, stephanie
Clifford était l’une de
ces danseuses anonymes,
prêtes à s’exposer en nu
intégral pour un butin de
billets lancés en cascade
sur la scène d’un gentle-
men’s club provincial. Dans cette autre vie, la
jeune femme aux très longs cheveux blonds
n’avait besoin de personne pour veiller sur
son corps, abondamment dévoilé dans une
myriade de films pour adultes. Aujourd’hui,
Stormy Daniels, son nom d’artiste, ne se
déplace plus qu’entourée de deux vigiles à
oreillette. Inaccessible. Des voitures de
police stationnent devant les clubs où elle se
produit. Et même les plus puritains des
Américains connaissent son visage et ses
formes généreuses.
Haïe ou admirée, l’actrice porno, plusieurs fois
distinguée par les récompenses de l’industrie
du X,est devenue la femme fatale du moment.
Celle qui gâche les nuits et la vie conjugale de
Donald Trump ; celle que l’avocat du prési-
dent américain a voulu faire taire à coups de
chèque et d’accord de confidentialité ; celle
qui, malgré plusieurs semaines de déballage
public sur leurs frasques d’un soir, a quasi-
ment réduit au silence le plus célèbre des
auteurs de Tweet rageurs. Une performance!
Ce soir-là, au Déjà Vu de Nashville, la presta-
tion de Stormy Daniels, annoncée à 23 heures,
se fait désirer. La boîte tenue par Michael
Durham, pilier des nuits chaudes de la ville du
Tennessee depuis près de trente ans, s’est
remplie comme jamais. « Hier déjà, on a eu
deux fois plus de clients qu’à l’accoutumée. Ce
soir, vendredi, on va atteindre mille entrées »,
assure l’imposant patron, bonnet de marin
vissé sur la tête, tatoué comme un pirate, du
cou au bout des doigts. Il faut reconnaître qu’il
a bien fait les choses : l’affiche annonçant la
présence de Stormy Daniels dans la ville est
percutante et le jeu de mots sans équivoque:
« The porn star that trumps them all! », (« la
star du porno qui les bat tous »), assure le slo-
gan, dont le point d’exclamation vient mourir
sur les seins XXL de la strip-teaseuse.
Depuis plusieurs semaines, c’est en effet
l’image d’une combattante que Stephanie
Clifford, 39 ans, défend. La divulgation, en
janvier, dans le Wall Street Journal, d’un
accord de confidentialité assorti d’un chèque
de 130000 dollars versés par Michael Cohen,
l’avocat de M. Trump, quelques jours avant
l’élection de 2016, a mis en pleine lumière
cette habituée des scènes plus modestes.
L’actrice assure qu’il s’agissait d’acheter son
silence sur la nuit passée avec le milliardaire
dix ans plus tôt. L’avocat n’a pas donné
d’explication. Le président des États-Unis,
lui, a démenti le 5 avril avoir eu connaissance
de ce versement. Il avait auparavant nié par un
simple communiqué avoir eu une relation
avec Stormy Daniels.
Quoi qu’il en soit, depuis une interview sur
CBS, le 25 mars, nul n’ignore plus le franc-
parler de la maîtresse d’un soir du locataire de
la Maison Blanche. Comme elle l’a narré
devant 22 millions de personnes, son aventure
avec celui qui était à l’époque la vedette du
programme de télé-réalité «The Apprentice»,
n’avait rien d’un coup de foudre. Elle n’avait
« pas du tout envie de coucher avec lui », mais
elle n’a « pas refusé » non plus. M. Trump lui
aurait fait miroiter une place dans son émis-
sion alors en vogue. Une sorte de donnant-
donnant entre adultes consentants et « sans
préservatif », a précisé Stormy Daniels. Pour
l’opinion américaine, le scandale n’est donc
pas que la jeune femme de 27 ans à l’époque
ait couché avec un Trump de 60 ans, jeune
marié et tout juste père de son dernier fils, âgé
de quelques mois. Mais qu’on lui ait donné de
l’argent pour qu’elle se taise. Sa contre-
attaque, menée par un avocat carnassier, afin
de dénoncer l’accord et faire fructifier son •••

••• histoire, n’est pas pour déplaire à certains
Américains, ulcérés par les mensonges et la
goujaterie de leur président.
Dans la salle du Déjà Vu, des clients d’un soir,
venus apporter leur soutien à l’audacieuse star
du moment, côtoient des habitués un peu
blasés, des touristes en goguette rapidement
éméchés et des couples heureux de fêter, là,
l’anniversaire de monsieur. Certains ont
découvert en arrivant que le spectacle Make
America horny [chaude] again de Stormy
Daniels faisait halte pour trois jours dans la
capitale de la musique country: ils se réjouis-
sent de l’aubaine.
Alanguis sur des fauteuils ou perchés sur de
hauts tabourets, tous lorgnent une scène de
quelques mètres carrés, violemment éclairée
aux néons roses et violets. Seul accessoire :
une barre métallique, autour de laquelle se
succèdent lascivement une vingtaine de
jeunes femmes dénudées. En dix minutes,
chacune effectue un strip-tease, ramasse
promptement les billets d’un dollar lancés
plus ou moins adroitement sur la scène par les
spectateurs et les empile dans un seau en plas-
tique prévu à cet effet. « Une loi interdit
depuis 2005 tout contact physique entre une
danseuse entièrement nue et un client », pré-
cise Michael Durham, qui tient à la bonne
réputation de sa boîte, sise rue de l’Église. La
règle en revanche ne dit rien des couch
dances, ces séances à quinze dollars au cours
desquelles les mêmes performeuses, en
string cette fois, se frottent en cadence à des
I
clients calés au fond d’une banquette.
n d i f f é r e n t e à c e s i n t e r ac t i o n s ,
Grace Carter attend avec impatience
l’arrivée de Stormy Daniels. Installée
au plus près de la scène avec trois
copines, l’étudiante, qui n’avait jamais
mis les pieds dans un tel endroit,
aimerait pouvoir lui dire son admiration. « Je
ne sais pas si c’est quelqu’un de bien, si elle fait
ça pour l’argent ou pour s’élever contre une
injustice, mais le fait qu’elle s’en prenne à
Trump, qu’elle se défende, c’est courageux. Elle
s’expose au danger, alors qu’elle a une petite
fille», estime la jeune féministe. «Voir en vrai
quelqu’un qui s’oppose à l’homme le plus puis-
sant au monde, c’est historique », s’enthou-
siasme aussi Donovan, un jeune homme de
24 ans qui a traîné sa petite amie à cette soirée
particulière. À sa manière, Stormy Daniels a
fourni une explication sur CBS. « J’en ai eu
marre de passer pour une menteuse. Je n’ai
aucune raison de mentir. Maintenant, je parle
ouvertement, avec, à la clé, des risques et sûre-
ment beaucoup d’emmerdes. » « Cette histoire
n’en est qu’à ses débuts. Stormy, c’est la Monica
Lewinsky de Trump », prédit avec gourman-
dise Grace, dans une allusion à la stagiaire de
la Maison Blanche qui avait failli coûter sa
présidence à Bill Clinton.
Photos Kyle Dean Reinford pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
80
Sur la scène, habillée en soubrette, une
danseuse passe le chiffon sur le sol et la barre
de danse avant l’arrivée de la star. Coiffé d’une
perruque à la Trump, le chauffeur de salle
s’égosille au son de I Will Survive et lance un
compte à rebours. John, un Californien en
voyage d’affaires, s’inquiète de savoir « si
Stormy sera huée ou applaudie ». Un couple
s’écharpe gentiment pour déterminer si
l’actrice est, ou non, « un héros américain ».
À minuit dix, enfin, un garde du corps fend la
foule, tenant par la main sa protégée, toute de
La scène
du Déjà Vu, strass vêtue. Une cape, un bustier, un soutien-
le 30 mars.
gorge, un short aux couleurs de l’Amérique :
Stormy Daniels apparaît en costume revisité de
Wonder Woman. Et la voilà sur scène pour dix
minutes d’effeuillage et de postures explicites.
Sur le bas du ventre, son long tatouage prend la
lumière. Les billets volent, la vedette tout sou-
rire quémande des encouragements pour
«enlever le haut».La quasi-quadragénaire vire-
“Cette histoire
volte autour de la barre métallique, avant d’en
venir à des poses horizontales plus sugges-
tives, témoignant d’une indiscutable expé-
n’en est qu’à rience professionnelle. Le public apprécie,
presque poliment. John est rassuré: personne
ses débuts.
ne hue la performance.
Timothy Lee, lui, est extatique. Cet avocat,
venu exprès pour Stormy Daniels, est
Stormy, c’est convaincu que la femme nue qui se trémousse
sur la scène « va mener à la destitution de
la Monica
Trump ». Il a acheté pour dix dollars un brace-
let orange,qui lui donne le droit à un selfie avec
l’artiste après le show.Après plusieurs minutes
Lewinsky
d’attente, c’est chose faite. En minijupe rouge
vaporeuse, elle enlace les privilégiés, en grande
de Trump.”
majorité des hommes, qui ont patienté pour
ces quelques secondes d’intimité. « Je lui ai
dit que son avocat était un génie, qu’il fallait
Grace Carter, venue soutenir Stormy Daniels continuer », assure M. Lee. Stormy Daniels a
souri, sans dire un mot. « Elle est maligne et
prudente », en conclut le juriste.
Dans son bureau sommaire, à l’abri des déci-
bels, Michael Durham jure aussi que « le nom
de Trump n’a jamais été évoqué » lorsqu’il a
fait affaire avec la danseuse pour ses trois jours
de show. « Elle est intelligente. Et elle est res-
Étudiante tée aussi accessible et simple qu’en 2004,
et féministe,
Grace Carter lorsque j’ai travaillé avec elle pour la pre-
est entrée
pour la pre-
mière fois. » On ne saura rien du contrat qui
mière fois les lie ; seulement que le prix d’entrée du
dans un club
de strip-tease Déjà Vu est passé de vingt à trente dollars
pour Stormy
Daniels.
pour l’occasion. Toute cette histoire a sans
conteste relancé la carrière finissante de cette
hardeuse, qui consacrait le plus clair de son
temps à sa retraite texane, à sa fille de 7 ans et
à ses concours d’équitation. Son come-back
confirme un sens aigu du business, qu’elle a,
selon les commentaires de ses partenaires de
travail interviewés dans la presse américaine,
toujours manifesté. Elle-même raconte avoir
découvert à 17 ans les avantages de ce milieu.
« Le premier soir, j’ai gagné en deux chansons
plus qu’en une semaine de travail comme
standardiste dans un centre équestre », •••

••• a-t-elle confié au New York Times, dans le
portrait récent que le journal lui a consacré.
Sans complexes, ses manières semblent tout
droit sorties de The Art of the Deal, le best-
seller du président américain, écrit lorsqu’il
était magnat de l’immobilier. Stormy Daniels
assume l’« effet Trump ». « Certains me trai-
tent d’opportuniste. Oui ! J’ai plus d’offres de
boulot. Mais montrez-moi une personne qui
refuserait d’être mieux payée aujourd’hui
pour le même job qu’elle a toujours fait »,
a-t-elle affirmé sur CBS. John, le Californien,
abonde: « Elle profite des opportunités, on ne
Stormy Daniels
peut pas la blâmer pour ça. »
M me Clifford s’est toujours montrée
soucieuse de contrôler sa carrière. « Avec un
instinct naturel pour l’autopromotion, elle est
passée du circuit des strip-teaseuses débu-
tantes à celui d’actrice puis de réalisatrice à
succès ; le tout avant ses 30 ans », note le
quotidien new-yorkais. « Elle était le boss et
tout le monde le savait », y témoigne aussi
Nina Hartley, l’une des plus anciennes
actrices et réalisatrices de films pornogra-
phiques aux États-Unis. Décrivant les
contacts qu’elle aurait eus avec Donald
Trump durant les mois qui ont suivi leur
unique soirée, Stephanie Clifford est très
claire : « Je voyais cela comme un marché
pour un boulot. »
Mais le phénomène Stormy Daniels dépasse la
simple affaire de business. Certains veulent y
voir le symbole d’un combat anti-Trump mené
avec les propres armes du président: l’argent,
les menaces, les arrangements, les Tweet assas-
sins et le franc-parler. À l’appui de cette thèse,
la personnalité de Mme Clifford. « Elle a tou-
jours été libre avec son corps, maintenant elle se
sent libre de parler », juge Donavan. Son
compte Twitter, 658000 abonnés, regorge de
Photos Kyle Dean Reinford pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
82
réponses cinglantes apportées à ses détracteurs.
Son avocat, Michael Avenatti, laisse entendre
qu’ils ont en leur possession des messages télé-
phoniques compromettants pour le chef de
l’État.Contrairement aux nombreuses femmes
qui ont dénoncé les manières de Donald
Trump et qui, pour certaines, le poursuivent en
justice, l’actrice ne s’est jamais posée en vic-
time. Quand elle s’est retrouvée dans la
chambre ce soir de juillet 2006, elle s’est dit:
«Tu t’es mise toi-même dans cette situation et, si
Depuis ses
de mauvaises choses arrivent, tu le mérites »,
révélations, a-t-elle confié à CBS. Du coup, elle a refusé
est escortée d’être récupérée par le mouvement #metoo,
par un garde
du corps
par respect pour les «vraies victimes».
(ci-dessus, Stormy Daniels s’est adjoint les services d’un
à son arrivée
au Déjà Vu, avocat californien habitué des grosses affaires,
le 30 mars). dont la ténacité n’a d’égale que sa disponibi-
lité à apparaître sur les plateaux de télévision.
Son acharnement pourrait même faire
dérailler la défense de l’avocat de M. Trump,
qui assure avoir payé sur ses propres deniers
les 130000 dollars et menacé de demander des
sommes astronomiques en cas de rupture de
contrat. En assurant n’être au courant de rien,
le président a, de fait, libéré Stormy Daniels
de ses supposées obligations. Il a au passage
mis son propre avocat en difficulté: le chèque
de 130 000 dollars pourrait être considéré
comme une dépense de campagne, un don
d’un montant illégal. Lundi 9 avril, le FBI a
procédé à une perquisition – en partie liée à ce
dossier – dans les bureaux new-yorkais de
Michael Cohen et des documents concernant
ce fameux versement ont été saisis. La bataille
juridique risque de se poursuivre durant des
mois. Une aubaine pour les anti-Trump, ravis
d’alimenter la chronique des frasques du pré-
sident américain et de lui dénier le droit à l’ou-
bli d’une nuit décidément très onéreuse.
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 Ci-dessus, socle flottant réalisé
par Carlo Scarpa en 1969 mettant
en valeur La Partisane, une statue
d’Augusto Murer (1961), sur la rive
des Jardins de la Biennale de Venise.

Ci-contre, détail
d’une façade vénitienne.
85

Dans les pas de Carlo Scarpa.

Malgré des réalisations et des rénovations

essaimées dans toute l’Italie, le Vénitien
Carlo Scarpa, mort en 1978, reste un architecte
méconnu. Dont le photographe Daniel Shea
est un fervent admirateur. De Venise à Trévise,
de Trévise à Vérone, le New-Yorkais donne
à voir une œuvre subtile et des bâtiments
parfois marqués par le temps, “comme
si Scarpa leur avait rêvé un destin de ruines”.
photos Daniel Shea — texte Clément GhyS

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

 86

B eaucoup de voyageurs d’ItalIe le connaIssent a saisi les alentours. «C’est fascinant de voir comment, des décennies après
leur construction, ses bâtiments continuent à surprendre. » L’œuvre de
sans l’avoIr IdentIfIé”, écrivait, le 27 juin 1975
dans Le Monde, le critique d’art André Scarpa étant moins célèbre que celle d’autres architectes, certains de
Chastel au sujet de Carlo Scarpa. L’archi- ces lieux ont à peine été rénovés et portent les marques du temps. Les
tecte italien, né en 1906, était encore vivant peintures se fanent, l’eau d’un canal abîme la pierre ou le lierre ronge le
– il mourra trois ans plus tard –, et son œuvre béton. Cet aspect décati a séduit Daniel Shea : « Les bâtiments sont
déjà méconnue. Et ce malgré ses construc- vieux, bien sûr, mais, avec les années, ils ont pris une autre dimension.
tions essaimées dans toute la Péninsule, Comme si Scarpa n’avait pas seulement fait des dessins et qu’il leur avait
surtout à Venise, sa ville natale. L’ancrage lagunaire n’a rien d’anodin et rêvé un destin de ruines.»
permet de comprendre, ou de découvrir, son travail. Dans une ville où La Vénétie traversée par le photographe n’a de touristique que le nom.
tout est figé par la beauté, Carlo Scarpa a dessiné des lieux qui s’imbri- Les millions de visiteurs annuels de Venise ne s’aventurent que très
quent dans le passé, le respectant au point de le réinventer.Au cours de rarement dans ses environs. Daniel Shea note que, « dans cette Italie
sa carrière, entamée dans les années 1930, il a ainsi cumulé des travaux souvent oubliée, les clichés de la douceur de vivre, du plaisir de man-
de rénovation, brodant sa patte sur un tissu préexistant. Dans les arcades ger ou de se reposer sont encore plus vrais qu’ailleurs ». Il dit avoir été
de la place Saint-Marc, il a conçu la boutique, toute en marbre et jeux frappé par la « méditation que permettent les bâtiments de Scarpa »,
Courtesy Ennio Brion, Tomba Brion San Vito d’Altivole (TV)

de lumière, du fabricant de machines à écrire Olivetti. À la Fondation qui lui a rappelé la campagne japonaise. Le Japon, justement, c’est là
Querini-Stampalia, dans un délirant palais du Cinquecento, il a dessiné que l’architecte est mort, alors qu’il était en voyage à Sendai et qu’il y
un jardin minimaliste. Aux Giardini, qui accueillent la Biennale, il a était accueilli comme un maître, son obsession des détails et ses lignes
inventé le pavillon du Venezuela, un bloc de béton et de baies vitrées. délicates ayant trouvé un écho direct avec l’esthétique nippone. Daniel
Autant de lieux que, courant mars, le photographe Daniel Shea a Shea: « Il y a quelque chose de magnifiquement triste dans le fait qu’il
arpenté, lui qui affirme que Scarpa est « [son] artiste préféré». «Je vou- soit mort au Japon. » D’où le vague à l’âme qui se dégage de ses pho-
lais comprendre son travail et surtout la manière dont ses bâtiments tographies, cousin de celle des bâtiments de Scarpa. Une mélancolie
s’intègrent à leur environnement.» Du bercail vénitien, le New-Yorkais italienne et zen, à propos de laquelle André Chastel écrivait qu’elle était
de 32 ans est ensuite allé à Vérone ou à Trévise, sur les traces de Scarpa. « d’une virtuosité à la fois intrépide et contrôlée », la jugeant, « pour
Il y a photographié des détails, blocs de marbre, portes ou fenêtres, puis les petits cartésiens secs que nous sommes, déconcertante ».

Photos Daniel Shea pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 En haut, détail de Tomba Brion, un complexe
funéraire conçu par Carlo Scarpa pour
Giuseppe Brion, fondateur de la société
d’électronique Brionvega, à San Vito
d’Altivole, près de Trévise. Considéré comme
un des chefs-d’œuvre de l’architecte italienne,
il a été construit entre 1970 et 1978, et réunit
des bâtiments, des massifs, des jardins
et des bassins. Carlo Scarpa a souhaité
y être enterré à sa mort, en 1978.

Ci-dessus, paysage.

Page de gauche, Filetta, près de Trévise.

 De haut en bas et de gauche à droite,
détail du tombeau de Giuseppe Brion
à San Vito d’Altivole.

Paysage.

Bassin de poissons rouges du jardin de la Fondation

Querini-Stampalia, palais vénitien du xvi e siècle
partiellement rénové par Carlo Stampa en 1959.

Détail de l’intérieur de Banco BPM (ex-Banca

popolare di Verona), conçue par l’architecte.
 89

De haut en bas et de gauche à droite,

détails de l’aile moderne du Musée Canova,
à Possagno, réalisée par Carlo Scarpa en 1957.
L’architecte a voulu qu’il s’intègre au reste
Courtesy Palazzo Scarpa, Sede Banco BPM, Verona. Courtesy Fondazione Querini Stampalia, Venezia.

du bâtiment du xvii e siècle.

Courtesy Gipsoteca e Museo Antonio Canova, Possagno (TV). Courtesy Ennio Brion, Tomba Brion,

Paysage.

Les Trois Grâces, sculpture d’Antonio Canova.

San Vito d’Altivole (TV).

14 avril 2018 — Photos Daniel Shea pour M Le magazine du Monde

Photos Daniel Shea pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
 91

Page de gauche, paysage.

Ci-dessus et ci-contre,
Villa Ottolenghi, à Bardolino, près de Vérone, sur le
lac de Garde, rénovée par Carlo Scarpa (1974-1978).
Courtesy Marie-Thérèse Cartigny, Villa Ottolenghi, Bardolino (VR).

Détail du complexe funéraire Tomba Brion.

Courtesy Ennio Brion, Tomba Brion, San Vito d’Altivole (TV)
 Ci-dessus, détail.

Page de droite, portes du Museo

Civico di Castelvecchio, près de Vérone.
Ce musée a fait l’objet d’une restauration
par Carlo Scarpa entre 1959 et 1973.

Photos Daniel Shea pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

Courtesy Museo di Castelvecchio, Verona
93
 95

Page de gauche et ci-dessus, détails de Banco

BPM (ex-Banca popolare di Verona).

En bas, détail du toit d’un des bâtiments

de la Tomba Brion.
Courtesy Palazzo Scarpa, Sede Banco BPM, Verona

14 avril 2018 — Photos Daniel Shea pour M Le magazine du Monde

 Ph Bernard Touillon
info et demande de catalogue
info@ethimo.fr
+33 1 42 94 03 10

ethimo.com
Paris 62, Boulevard Malesherbes / Cannes 98, Boulevard Sadi Carnot – Le Cannet
design Mattia Albicini —
Collection Agave
Showroom
Paris / Cannes
Milan / Rome / Turin / Viterbo
97

Les bonnes manières.

Poser ses coudes sur la table, jouer avec la nourriture,
écouter aux portes… Ici, on se moque des conventions.
Heureusement, les objets, eux, tiennent leur rang.
p h o to s Alexis ArmAnet — co n ce p t i o n e t ré a l i s a t i o n ChArlotte de lA GrAndière — stylisme mode lAëtitiA leporCq

TaboureT,
STooL 60, aSSiSe
en LinoLéum noir,
piéTemenT cinTré
en L en bouLeau,
deSign aLvar
aaLTo, édiTion
arTeK, the
ConrAn shop.

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

Fauteuil, PaiPaï,
structure
d’assise et
dossier en acier
mécanosoudé,
revêtement tissu
en velours,
design studio
lucidiPevere,
CINNA.
radio K7 Portable
gPo brooKlyn
de style rétro,
Par gPo retro,
THE CONRAN SHOP.
guéridon, aglaé,
Finition laqué
brillant, design
Joris Poggioli,
YOUTH éDITIONS.
bouteilles, Wash,
en céramique
réalisées à
la main,
RUE HéROLD.

Pull en
cachemire,
MANSUR GAvRIEL.
Pantalon en
coton, JOSEPH.
En haut, assiEttE siliconE collEction
En porcElainE collEction stonE, gardEn warE,
avEc lisEré doré dEsign oKi sato – dEsign BrucE
collEction nEndo, ZENS. mclEan, 1882LTD.
Kintsugi, dEsign BEurriEr En métal vErrE à
sarKis, argEnté BourgognE,
BERNARDAUD. collEction caton, Et vErrE à
FourchEttE onyx normandiE, vin, trianon,
En argEnt massiF PUIFORCAT. cristal,
collEction plat, canova, En SAINT-LOUIS.
cannEs préciEux, céramiquE, dEsign caraFE, Boot, En
coutEau En constancE vErrE souFFlé
métal argEnté guissEt pour VANESSA MITRANI.
collEction moustachE, grand plat, pisu,
normandiE, 107 RIVOLI. En céramiquE
PUIFORCAT. couvErts à LOUISE ROE
prEssE-papiErs En sErvicE, dry, COPENHAGEN.
cristal, utilisé édition spécialE assiEttE En
commE portE- Finition cuivrE, FaïEncE avEc
coutEau, dEsign dEsign achillE motiF pEint à
studio Brynjar castiglioni, la main, BocagE,
& vEroniKa pour ALESSI. FAÏENCERIE
atEliEr nappEron En lin GEORGES.
swarowsKi, THE
avEc BrodEriE couvErts manchE
CONRAN SHOP.
jours main Et En résinE EBony,
vErrE à vin,
nappE En lin, CUTIPOL. nappE En
oxymorE, En
NOËL PARIS. lin, NOËL PARIS.
cristal, SAINT-
LOUIS. vErrE à
Eau, nEogothic, pagE dE gauchE, chEmisE En
dEsign maxim assiEttE En popElinE dE
vElcovsKy, LASVIT. FaïEncE avEc coton, CHARVET.
contEnant avEc motiFs BaguE stonE
couvErclE En géométriquEs En or, GOOSENS.
Page de gauche,
bougeoir en
cristal brooklyn
réalisé à la main,
REFLECTIONS
COPENHAGEN.
bougeoir en
métal argenté,
design JasPer
morrison,
CAPPELLINI.
bougeoir en
cristal nashville
réalisé à la main,
REFLECTIONS
COPENHAGEN.
bougeoir en
céramique et
métal moor,
design Jason
miller Pour roll
& hill, TRIODE.
bougeoir en
cristal
oxymore - adiante,
PUIFORCAT.

veste en laine
mélangée, POLO
RALPH LAUREN.
Pull en cachemire
et laine, éDITIONS
M.R.

Page de droite,
desserte
diligence érable
naturel,
taurillon h, osier
naturel et
laiton, HERMèS.
tablier asali
en lin, SHOPU.
balai en crin et
manche en bois
laqué, ANDRéE
JARDIN.
Page de
gauche,
tabouret Pal,
assise en
cannage et
structure en
chêne naturel,
design sami
Kallio,
NORTHERN.
Plumeau en
bois de hêtre
et Plumes
d’autruche,
ANDRéE JARDIN.

Peignoir en
coton, DEREk
ROsE au bON
mARcHé RIvE
gAucHE. Polo
en cachemire
et laine,
éDITIONs m.R.
Pantalon en
velours
côtelé, HERmès.
derbys en cuir,
JOHN LObb.

Page de droite,
guéridon aglaé
finition laqué
brillant,
design Joris
Poggioli, YOuTH
éDITIONs.
bouteilles,
Wash, en
céramique
réalisées à
la main, RuE
HéROLD. boîte
tangram en
bois laqué
Peint, HERmès.
Page de gauche, bauhaus, acieR
tasse et finition doRé,
soucouPe, Ruban, CUTIPOL. naPPe en
en PoRcelaine lin, NOËL PaRIS.
émaillée décoRée
à l’oR fin, design
couteau aVec
seRge nicole
manche en bois
PoRcelaine,
d’oliVieR, INEKO.
EMPREINTES.
hachoiR en fonte
cuillèRe à café,
d’acieR étamée,
bali, acieR
La BOvIDa.
finition doRé,
assiette, bas, en
CUTIPOL.
céRamique design
Piet boon, SERax.
manteau en laine, cuillèRe à café,
Max MaRa. dRy, édition
chemise en sPéciale finition
PoPeline de cuiVRe, design
coton, ChaRvET. achille
lunettes en castiglioni,
acétate, aLaïa. aLESSI.
bague stone en
oR, gOOSSENS.
Pull en
cachemiRe,
Page de dRoite, UNIqLO ×
de haut en bas, ThOMaS MaIER.
assiette en tee-shiRt en
PoRcelaine, coton, MaJESTIC
magma, NON SaNS fILaTURES.
RaISON. VeRRe à Pantalon en
Vin floRes, design laine, DE fURSaC.
Roos Van de
Velde, SERax.
seRViette en lin,
ThE CONRaN ShOP.
assiette, tout
simPle, en
céRamique, JaRS.

assiette en
PoRcelaine,
louVRe,
BERNaRDaUD.
VeRRe à Vin,
suRface, design
seRgio heRman,
SERax. couVeRts,
Assiette creuse, collection
MAgMA, en norMAndie, en
porcelAine et MétAl Argenté,
grAnde Assiette PUIFORCAT.
bicolore, NON Assiette en
SANS RAISON. fAïence Avec
couverts, goA, Motif peint à lA
Acier finition MAin, bocAge,
doré et MAnche FAÏENCERIE
résine, CUTIPOL. GEORGES. nAppe
verre à vin, en lin, NOËL PARIS.
oxyMore, en pAnier, fibrA,
cristAl SAINT- tressé à lA MAin,
LOUIS. verre à fibres
eAu, neogothic, nAturelles,
design MAxiM design sebAstiAn
velcovsky, LASVIT. herkner pour
contenAnt, AMes, THE CONRAN
collection stone, SHOP.
Avec couvercle
en silicone pull en
design oki sAto – cAcheMire,
nendo, ZENS. ALExANdRA
beurrier, GOLOVANOFF.
Page de Pied en laiton,
gauche, design
fauteuil, aPParatus,
Promenade, GALERIE TRIODE.
structure en cendrier,
noyer balthus’s
canaletto, ashtray, en
revêtement en céramique avec
Paille de imPression
vienne, design transfert, Page de droite,
PhiliPPe nigro, design miroir, kika,
WIENER GTV katerina jebb, laque
DESIGN. WE DO NOT brillante,
table basse, WORK ALONE. laiton et
salute, Pied en marbre
marbre et estremoz,
Plateau cuivré, Pull en design joris
design cachemire, Poggioli, YOUTH
sebastian ALExANDRA éDITIONS.
herkner, GOLOVANOff. chaise, cm 131,
LA CHANCE. Pantalon en hêtre résiné
couPelle, laine, mARTIN teinté finition
royal GRANT. brillante,
améthyste, en chaussettes en moulé et
cristal SAINT- coton, fALKE. Pressé,
LOUIS. lamPe, derbys en cuir, Piétement en
lantern floor, CHURCH’S. acier, design
abat-jour en bague stone en Pierre Paulin,
Porcelaine et or, GOOSSENS. LIGNE ROSET.
chaise, NO1, bOis
massif et placage
eN hêtre, desigN
NeNdO, FRITZ
HANSEN cHEZ
SILVERA.
table à repasser
avec repOse liNge,
BRABANTIA.
table de chevet,
crOquet,
structure
eN acier laqué
et plateaux
eN marbre de
marquiNia, desigN
dmitry samygiN,
ROcHE BOBOIS.
lampe, aperture,
laitON, verre
et bOis, desigN
studiO allied
maker, TRIODE.

peigNOir eN cOtON,
cHARVET.
Page de gauche, herkner Pour herkner Pour
assiette, ames, THE CONRAN ames, THE CONRAN
collection SHOP. assiette, SHOP. carafe à
garden ware, en collection Jenny, vin, novy Bor,
faïence avec en Porcelaine verre soufflé et
motifs avec dessins Bouchon
géométriques, aBstraits, design argenté, design
design Bruce deBorah m allen, v8 designers, LA
mclean, 1882 LTD. 1882 LTD. CHANCE. écrin à
assiette Blanche gâteaux, argent
en céramique gourmand,
Page de droite, Plateau en
Bicolore, design
marie samson, de haut en Bas, Porcelaine et
EMPREINTES. couteau, ito, cloche en métal
fourchette, corian et acier, argenté, design
amici, en acier, design samuel Patrick Jouin,
design Big-game, guichard, PUIFORCAT. Bols
ALESSI. casserole, EMPREINTES. de décoration,
miruku, faBriquée funghi,
à la main, acier veste en laine emPilaBles,
inoxydaBle et mélangée, POLO design nendo,
Poignée en chêne, RALPH LAUREN. ZENS. corBeille à
SHOPU. verre à Pull en cachemire fruits–égouttoir,
eau, flores, et laine, ac04, édition
design roos van éDITIONS M.R. sPéciale finition
de velde, SERAX. cuivre, design
assiette creuse achille
en Porcelaine chaise, cm 131, castiglioni,
Bicolore, NON hêtre résiné ALESSI. vase, high
SANS RAISON. teinté finition container, avec
fourchette, goa, Brillante, moulé couvercle,
acier finition et Pressé, design seBastien
doré et manche Piétement en herkner, PULPO.
résine, CUTIPOL. acier, design
fourchette, dry, Pierre Paulin,
édition sPéciale LIGNE ROSET.
finition cuivre, grand Plat Blanc
design achille en céramique,
castiglioni, JARS. Panier,
ALESSI. Pot, Barro, fiBra tressé
en céramique, à la main, fiBres
réalisé à la main, naturelles,
design seBastian design seBastian
Chaise, Bohème,
struCture en
frêne massif
teinté, dossier
et assise en
Cannage
naturel, design
massimo
ZaniBoni &
Paola BonaZZi,
ROCHE BOBOIS.
taBle, leBeau
wood, Plateau
verre
transParent et
Piétement en
frêne massif
teinté, CASSINA.
Centre de
taBle, King,
en marBre de
Carrare,
design Cristian
mohaded,
ROCHE BOBOIS.
assiette en
PorCelaine et
dessin CourBes,
design louise
Bourgeois,
YVON LAMBERT.
Couverts
finition laiton,
design
maarteen Baas,
VALERIE
OBJECTS. verre
à eau, traCe,
VANESSA
MITRANI. ChoPe,
oxymore, en
Cristal, SAINT-
LOUIS. flûte à
ChamPagne,
flores, design
roos van de
velde, SERAX.
naPPeron et
serviette en lin
aveC Broderie
jours main,
NOËL PARIS.
Page de gauche,
chaise,
Montecatini
d.235.1, en
aluMiniuM, design
gio Ponti,
MOLTENI&C.
Banquette,
allaPerto
Mountain,
structure en
teck décaPé,
assise en fiBre
etwick tressée,
design Matteo
thun et antonio
rodriguez,
ETHIMO.

Page de droite,
taBouret, Picto
en Métal et
silicone, design
studio nendo,
ZENS.

elle : Peignoir et
nuisette en soie,
CarINE gILSON.
lui : Pull en
cacheMire, uNIqLO
× THOMaS MaIEr.
Page de
gauche,
en haut, Pull
en cachemire
mansur
gavriel.

en bas, veste
en laine,
véronique
leroy. cravate
en soie,
charvet.
collants en
nylon,
wolford.
escarPins
en cuir,
gianvito rossi.

chariot,
camilo, finition
marbre et
laiton,
structure
en métal,
design Joa
herrenknecht,
Bolia.
collection
argent
gourmand,
écrin à
gâteaux avec
Plateau en
Porcelaine et
cloche en
métal argenté,
macaron box
en métal
argenté,
design Patrick
Jouin, broc à
eau, collection
normandie,
Plateau,
collection art
déco 1927,
métal argenté,
Puiforcat.
Tapis, Jardin &
palmier, laine
coupée eT fond
en coTon eT JuTe,
design india
mahdavi,
MANUFACTURE
COGOLIN.
chaise, cm 131,
hêTre résiné
TeinTé finiTion
brillanTe, moulé
eT pressé,
piéTemenT en
acier, design
pierre paulin,
LIGNE ROSET.

peignoir en
coTon, dEREk
ROSE au bON
MARChé
RIvE GAUChE.
Page de marbre,
gauche, graniTo eT
carafe, double méTal, Pièce
jeu, design unique, design
sacha marion
Walckhoff, mailaender,
VERREUM. dESIGN & FILS.
Table basse, vase, bloom, en
anTivol, en verre soufflé,
Pierre de lave, VANESSA
design sTudio MItRANI. vase
cTrlzak, en PlâTre
GALLERY eT Tissu, Pièce
BENSIMON. unique, design
maTeo garcia
Pour RUE
Pull en héROLd. vases
cachemire eT en céramique,
laine, édItIONS sable
M.R. vesTe volcanique eT
en laine or 24 caraTs,
mélangée, pOLO AtLAS CRAFtS.
RALph LAUREN. vase, arroka,
PanTalon en marbre de
en velours carrare,
côTelé, hERMèS. design
guillaume
Page de droiTe, delvigne,
Table, lebeau VERSANt
Wood, PlaTeau EdItION.
en verre
TransParenT eT manTeau
PiéTemenT en en laine,
frêne massif MARtIN GRANt.
TeinTé, CASSINA. PanTalon
vase, samPle en velours
vase, en forme côTelé, hERMèS.
de sac, derbys en cuir,
assemblage de JM WEStON.
Page de gauche,
chaise, colonne,
en noyer massif
et jonctions en
chêne teinté,
POOL. Panier,
fibra, tressé à la
main, fibres
naturelles,
design sebastian
herkner Pour
ames, THE CONRAN
SHOP. carafe à
vin, novy bor,
verre soufflé et
bouchon
argenté, design
v8 designers,
LA CHANCE. écrin
à gâteaux,
argent
gourmand,
Plateau en
Porcelaine et
cloche en métal
argenté, design
Patrick jouin,
PUIFORCAT.

Page de droite,
canaPé, sake,
structure en
acier finition
verni étain,
coussins en cuir,
B&B ITALIA.

elle : Pull en
cachemire,
mANSUR gAvRIEL.
Pantalon en
coton, JOSEPH.
chaussettes en
coton, FALkE.
derbys en cuir,
CHURCH’S.
lui : Pull en laine
et cachemire,
édITIONS m.R.
Pantalon
en velours
côtelé, HERmèS.
chaussettes en
coton, FALkE.
derbys en cuir,
JOHN LOBB.

mannequins : marie-soPhie Wilson @suPreme et ingo sliWinski@tiad. directeur de casting : maxime valentini. assistante réalisation : anna girardi.
assistante styliste : livia rossi. coiffure : leslie thibaud @airPort agency. Production : White dot Paris. remerciements à muse Pour les bouquets de fleurs.
 Arôme antique.
vase grec, colonnes ionique et dorique, colisée…
pour créer meubles et objets, les designers empruntent
à l’antiquité ses formes architecturales. une façon
de puiser à nouveau dans un héritage immémorial.
par Marie Godfrain
 129
1 ce passé. La découverte du Parthénon a
2
T
asses reproDuisant Des
bustes grecs, verres
et bougies imitant Des
colonnes Doriques,
piétements de table en
forme d’arches… Depuis
quelques semaines, les références à
l’Antiquité envahissent les magasins de
mobilier et de décoration. « Voilà un an et
demi que nous sentons émerger cette
relecture de l’antique. Plus ou moins litté-
rale, plus ou moins détournée, plus ou
moins géométrique… Elle inspire beaucoup
les designers contemporains », remarque
Luc Moulin, le fondateur de Fleux, qui
écume les salons professionnels pour
dénicher les nouveautés de sa boutique
Danese. DOIY. Piermario Ruggeri. Simona Pesarini. Fornasetti
parisienne, vitrine des tendances. Portés
par la porosité grandissante entre design
et architecture, les créateurs n’hésitent
pas à changer l’échelle des bâtiments
antiques pour les transformer en acces-
soires d’intérieur. Ainsi, l’Espagnol Jaime
Hayón a réduit le Colisée à une corbeille
à fruits et orné une carafe d’un visage de
clown inspiré de l’empereur Auguste pour
sa collection New Roman (Paola C). Et
le collectif barcelonais DOIY vient de livrer
la collection Hestia (divinité grecque du
foyer) : plat à tarte posé sur un pied avec
une spartiate, plateau en forme d’arène…
3
L’Italien Fornasetti (3)
investit le créneau du
néo-antique depuis les
années 1950. Aujourd’hui,
Danese réédite en céra-
mique les vases Bambu
(page de gauche) d’Enzo
Mari ; Jaime Hayón imagine
une corbeille à fruits
Colisée (2) et Kartell, un
tabouret inspiré d’un palais
mussolinien, lui-même
conçu comme un hommage
à l’architecture de l’Empire
romain (1, coll. EUR).
Ces créations associant art, design, his-
toire et architecture rappellent le travail
de l’Italien Fornasetti, qui occupe le cré-
neau néo-antique depuis les années 1950.
La veine ne se tarit pas : jusqu’au 9 sep-
tembre, la marque milanaise investit
le Palais Altemps, le musée d’art ancien
de Rome, avec des tables décorées
de pièces de monnaie romaine et des
buffets peints de dessins de ruines
antiques sélectionnés parmi les dernières
collections. « L’histoire est un sujet majeur
pour les Italiens, qui doivent gérer un héri-
tage énorme, analyse le designer Fabio
Novembre, originaire des Pouilles. Nous
savons que, pour regarder loin, nous
devons nous installer sur les épaules des
géants du passé. »
Le retour au classicisme antique
est en effet une façon d’inscrire son pay-
sage domestique dans des codes connus
de tous, une valeur sûre qui garantit une
forme de perfection. Figure de la scène
design milanaise, Ron Gilad y a succombé
en 1999, quand il a imaginé Piédestal.
« Mon idée était de dessiner un objet
spontanément. J’ai fermé les yeux
et m’est venu ce vase grec posé sur une
colonne dorique. Sa forme intemporelle lui
a permis d’être édité pour la première fois
l’an dernier par Danese… » « À une époque
de plus en plus incertaine, on revient aisé-
ment vers des codes éprouvés, confirme
la théoricienne du design Alexandra Midal.
Même s’il s’agit du millième
clin d’œil à cette période… »
Dans leur volonté De renouveler le voca­
bulaire De l’objet, les modernistes du
xxe siècle n’avaient pas fait table rase de
été une révélation pour Le Corbusier, qui
en parlait comme de l’une des construc-
tions les plus fortes de l’histoire. « Mais ce
sont les postmodernes qui se sont le plus
approprié l’Antiquité, rappelle Alexandra
Midal. À la fin des années 1960, dans leur
volonté de lutter contre le fonctionnalisme,
les designers – surtout italiens – faisaient
référence au passé avec humour, sans
triomphalisme, dans des projets à la
frontière de l’art et du design. » Et de
citer deux meubles de cette époque qui
reprennent la forme de la colonne
ionique : les vases Bambu d’Enzo Mari,
taillés dans des tubes en PVC (aujourd’hui
édités en céramique, dans une version
moins radicale), et l’ensemble de salon
Capitello, dessiné par Studio 65 et édité
sans discontinuer par Gufram depuis 1971.
« Ils ont imaginé une colonne tronquée ins-
pirée de l’Acropole dont le chapiteau serait
tombé par terre pour former un fauteuil »,
explique Axel Iberti, chargé de la produc-
tion chez Gufram. L’éditeur italien vient de
développer une version d’extérieur pour
recréer chez soi une ambiance de site
archéologique. Autre source d’inspiration
étrangement actuelle : le Palais de la civili-
sation italienne du quartier romain EUR,
construit sous Mussolini en hommage
au Colisée. En janvier, au salon IMM de
Cologne, le designer Fabio Novembre
a monopolisé le stand de l’éditeur italien
Kartell avec une installation consacrée à
son tabouret EUR. Le rythme « parfait »
des arches du Palais a également guidé
Giulio Iacchetti pour ses étagères bapti-
sées EUR (Magis). Quand les designers
s’inspirent d’un palais qui, lui-même,
s’inspire du Colisée : plus qu’une tendance,
le néo-antique est la mise en abîme
de canons intemporels.
Danese : www.danesemilano.com
DOIY : doiydesign.com
Fleux : www.fleux.com
Fornasetti : www.fornasetti.com
Gufram : www.gufram.it/it
Kartell : www.kartell.com/fr
Magis : www.magisdesign.com/fr
Paola C : www.paolac.com
14 avril 2018 — M Le magazine du Monde
 130

fétiche

Chaire de littérature.
Les designers ont beau s’évertuer à innover, aucun n’a réussi à détrôner l’efficace
bibliothèque Billy de Gillis Lundgren pour Ikea. Ce printemps, c’est l’architecte
japonais Sou Fujimoto qui s’attaque à cette typologie. Avec ses étagères en bois
blanc au quadrillage régulier, la nouvelle bibliothèque d’Alias n’a rien d’original
à première vue… Et puis, quand on s’y attarde, des courbes étranges perturbent
le regard : une chaise est cachée de profil dans les rayonnages. « Chez Alias, nous
aimons travailler avec des architectes comme Mario Botta ou Michele De Lucchi,
car ils composent des meubles comme des microbâtiments », explique Andrea
Sanguineti, directeur de la marque. Sou Fujimoto s’est inscrit dans les pas
de ses glorieux confrères. Plus qu’un meuble, il a créé un espace de lecture.
Au-delà de son dessin éminemment poétique, la Bookchair est aussi une
prouesse technique, car elle n’utilise que du bois et quelques renforts métalliques
pour que l’ensemble conserve sa rigidité quand la chaise est sortie. M.Go.
Bookchair, de Sou Fujimoto, aliaS, 6 900 €. aliaS.deSign/Fr

Photo Audrey Corregan & Erik Haberfeld pour M Le magazine du Monde. Stylisme Laëtitia Leporcq — 14 avril 2018
 esprit des lieux

Que je t’aime.
par Laëtitia LePorcq

posts et postures

#springtime.
Les accros des réseaux sociaux ne cessent de
mettre en scène Leur vie à coups de hashtags
et de seLfies, Lançant La tendance (ou pas).
cette semaine, Le retour des beaux jours.
Le 12 avril 1965, Johnny Hallyday
et Sylvie Vartan se disaient « oui », par carine Bizet — illustration aLine zaLko
à Loconville, dans l’Oise.

instagram, c’est un peu La miss

La Veste.
En laine vierge, à coutures
contrastantes, Boss, 499 €.
www.hugoboss.fr
Le PantaLon.
En coton et lin, De Fursac,
235 €. www.defursac.fr
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Les dragées.
Ballotin en kraft, Rêves
et dragées, 1 € env.
reves-et-dragees.fr
Gamma-Keystone/Getty Images
météo des réseaux sociaux. Il neige ? Et
hop ! une rafale de photos de flocons
hashtaguée #snow, au cas où vous n’au-
riez pas de fenêtre. En ce moment, le
printemps arrive – enfin! –, revoilà donc
le #springtime (« le moment du
printemps» en VF). Il donne non seule-
ment une idée du temps qu’il fait, mais
aussi du comportement des humains lors
de ce changement de saison. En mode
#springtime, l’humain redécouvre donc
la nature et les fleurs, son fil Instagram
ressemble à un catalogue de jardinage,
avec des clichés de parterres, filtrés au
cordeau. Si vous n’êtes pas au Japon pour
profiter de la floraison des cerisiers (Pru-
nus serrulata pour les scientifiques), eh
bien, le #springtime vous offre un remake
virtuel. On se demande où sont ces
amoureux du jardinage dans la vraie vie.
En général, chez eux, en train d’occire à
petit feu des cactus non arrosés depuis
décembre 2017. Le #springtime est aussi
synonyme de «vie en rose». Vêtements,
maquillage, coussins, vaisselle, voire che-
veux et boissons, tout est repeint en rose
dragée déjà sucé. On dirait qu’une mala-
die de type mildiou a attaqué l’environ-
nement quotidien et l’emprisonne dans
un nuage pastel écœurant. Un mystère beau… Le bonheur est dans le pré qui
demeure : ces humains ont-ils une refleurit. Pas d’humeur? Il faudra se for-
réserve de rose bonbon au fond de leurs cer, ajouter un antidépresseur à ses
placards tels des écureuils prévoyants ou antihistaminiques. Tout un programme

rachètent-ils chaque année une provision médicamenteux qui devrait, au passage,

neuve dans les boutiques, toujours prêts
à satisfaire leur addiction? En tout cas, en
ces heures de #springtime, prière d’être
heureux. Il faut sourire, car il fait beau ;
multiplier les selfies toutes dents dehors,
car il fait beau ; sauter en l’air, car il fait
rendre supportables ces déluges de bons
sentiments et autre joie de vivre pour
publicité de chewing-gum ou d’eau à
bulles. Car, oui, le #springtime met le QI
de l’être humain à ras des pâquerettes
nouvellement fleuries.
 VU SUR LE NET

Affaires délicates.
Quand elle a créé Shopu,
sa boutique en ligne, la
Franco-Japonaise Nathalie
Agematsu avait en tête
le Mingei, ce mouvement
artisanal nippon prônant
l’épure, la délicatesse,
et défendant l’idée selon
laquelle la beauté peut se
LIBREMENT INSPIRÉ les bateaux. «J’ai décidé de
loger dans l’imperfection.

Fleurs de béton.
LA CONTEMPLATION DES PLOTS LE LONG DES CANAUX
FRANCILIENS A DONNÉ NAISSANCE À CE VASE
EN BÉTON IMAGINÉ PAR FRÉDÉRICK GAUTIER.
PAR MARIE GODFRAIN
La rivière qui traverse Los
Angeles, les villas modernistes
de Tel-Aviv… Frédérick Gautier
est un céramiste itinérant qui
s’inspire des paysages urbains
dans lesquels il s’installe pour
imaginer des objets du quoti-
dien. «Je pars sans a priori et
j’observe l’espace. Lors d’une
résidence à Pantin, les bittes
d’amarrage du canal de l’Ourcq
et du canal Saint-Martin ont
attiré mon attention.» Certaines
sont fixées au quai; d’autres,
flottantes, parsèment la surface
de l’eau pour que s’y attachent
façonner à la main une centaine
Ainsi, y propose-t-elle des
de vases inspirés de cet objet,
objets courants au galbe,
comme pour en épuiser la
à la couleur ou à la texture
forme», explique le créateur, en
singuliers, comme une
résidence sur le toit du siège
théière en terre cuite noire
du PCF conçu par Oscar Nie-
ventrue, une boîte à thé
meyer. Le fabricant Serax a
en Inox martelé par des
retenu quatre modèles, qu’il
artisans de la préfecture
édite en série. En écho
de Niigata ou un élégant
aux bittes d’amarrage flot-
set de marmites en fonte
tantes, le vase à arroser joue
(photo). Autant d’objets
avec le niveau de l’eau qu’il
qui invitent à se réappro-
contient: en le remplissant
prier les rituels du
complètement, on peut
quotidien, chers aux
faire flotter des fleurs dans
Japonais. M. Go.
la plate-forme supérieure.
www.shopu.fr/
Vase à arroser, de Frédérick Gautier, Serax,
entre 70,95 et 82,80 €. www.serax.com

Serax. Jerome Brezillon/Tendance Floue. Shopu. Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone/M Le magazine

Pages : 383 — Poids : 2,1 kg LECTURE DE SALON

L’art de meubler.
Dimensions : 25 × 32 cm
Palette graphique :

Basée à Paris, Londres et New York, la Carpenters

Workshop Gallery collabore avec les designers les plus
célèbres (Campana, Marc Newson…). Dans le texte-
manifeste qui ouvre cette monographie, ses fondateurs,
Julien Lombrail et Loïc Le Gaillard, expliquent qu’ils
se focalisent sur « ce moment rare où l’art rencontre
le design ». Parmi les pièces sélectionnées pour illustrer
ses douze années d’existence, le banc spaghetti de
Pablo Reinoso et les délicates sculptures lumineuses
en pissenlit de Studio Drift. M.Go.
Carpenters Workshop Gallery. Contemporary Design Icons,
de Natalie Kovacs, Lidewij Edelkoordt et Deyan Sudjic, Éditions Rizzoli, 54,90 €.
133

variations

Verres de contact.
À une époque où règnent les produits standardisés, les designers tentent de retrouver la
saveur de l’objet unique en insufflant à leurs créations une impression de fait main. Ces verres
à la surface délicatement texturée sont pourtant tous fabriqués industriellement, dans
des moules, et produits en série. Dessiné il y a cinquante ans par le Finlandais Tapio Wirkkala,
Ultima Thule est l’un des modèles de ce genre les plus anciens. Le Tela, de Silo Studio, semble
imprimé sur un grillage fin. Quant au Blossom, de Jean-François d’Or, et au Circle Glass,
de la toute jeune Milena Kling, ils affichent tous deux un effet artisanal plutôt surprenant. M.Go.
De haut en bas et De gauche à Droite,
Verre tela, De silo stuDio, Wrong for hay, 15 €. blou. WWW.blou-paris.fr
Verre ultima thule, De tapio Wirkkala, iittala, 45,90 € les 2, bhV marais. WWW.bhV.fr
Verre circle glass, De milena kling, lasVit, 180 € les 4. WWW.maison.lasVit.com
Verre blossom, De Jean-françois D’or, la rochère, 6,50 €. WWW.larochere.com

14 avril 2018 — Photo Audrey Corregan & Erik Haberfeld pour M Le magazine du Monde. Stylisme Laëtitia Leporcq

MA VIE EN IMAGES
Mathias Kiss.
Aux frontières de l’art, du design et de l’artisanat,
le Français fait grimper les tapis au mur, détourne la feuille
d’or des traditions et froisse les miroirs. Un travail riche
d’un savoir-faire acquis chez Les Compagnons du devoir,
qu’il présente du 30 avril au 30 mai dans son studio.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE GODFRAIN
4 exactement à cette frontière que je me
5 rendez-vous : www.mathiaskiss.com
7 Snake, une corniche qui zigzague
6 du 5 mai au 16 septembre.
2
1 - «Je pose avec mon père et
ma sœur en costume traditionnel
avant l’une de nos nombreuses fêtes
hongroises… Les origines de mon
père, qui a fui son pays en 1956,
au moment de l’insurrection
de Budapest, m’ont fait grandir
hors du cadre. Je sens cet héritage
très fortement ancré en moi.»
2 - «J’ai réalisé cette installation
il y a deux ans pour l’exposition
“Double Je” au Palais de Tokyo,
qui traitait de la schizophrénie entre
l’artiste et l’artisan d’art. C’est
situe. Je jouis de la liberté de l’artiste
et du savoir-faire de l’artisan.»
3 - «Sur cette photo, je dois avoir
16 ou 17 ans. Je suis compagnon
du devoir depuis deux ans et
j’applique des feuilles d’or au
Conseil constitutionnel. Tout était
démesuré: la taille des portes, des
rosaces… Je n’en voyais pas le bout
et je m’imaginais mourir là-bas,
oublié et enfermé dans une salle.»
4 - «On voit ici mon fils, mes amis
et des stagiaires. Toute une bande
que j’ai formée et avec laquelle
je fabrique ce que je dessine dans
mon atelier. À l’heure de l’indivi-
dualisme débridé, travailler
ensemble est sans de prix;
cette fraternité me réconforte.»
5 - «“I have a dream”, ma dernière
installation, est une fenêtre ouverte
sur la nature, le soleil, rarement
représenté en sculpture. C’est aussi
une œuvre introspective, que
j’ai imaginée pour que les yeux se
perdent dans l’horizon et que l’on
se retrouve connecté avec soi-même.
Une invitation à faire une pause.»
6 - «J’ai démarré la boxe thaïe en
même temps que le compagnonnage,
quand j’étais à l’internat. J’étais
très bagarreur et ce sport m’a aidé
à contenir ma colère. Après les
chantiers, je passais ma vie sur les
rings au point que j’ai rejoins
les pros. Là, je suis à Bangkok
après mon dernier combat. J’ai fait
le deuil de cette vie de moine
lorsque je suis devenu artiste…»
7 - «Le miroir froissé m’a permis
d’accéder à la reconnaissance. C’est
un travail sur l’absence d’angle
droit, une contestation pour
m’affranchir du diktat technique
et esthétique dans lequel j’étais
Mathias Kiss x3. David Zagdoun x3. Emmanuel Bossuet
enfermé durant mon compagnon-
nage, mais sur lequel je me suis
appuyé, et que j’ai détourné pour
produire mes œuvres.»
Exposition « Maquettes, prototypes
et épreuves d’artistes », du 30 avril
au 30 mai, dans son studio. Sur
Mathias Kiss présentera aussi Golden
et évoque la notion du cadre et
du hors-cadre, lors d’une exposition
collective à L’Ar[T]senal de Dreux,
 135

ceci n’est pas...

une pelle.
Abandonnée à l’ombre d’un olivier, cette
pelle semble attendre le jardinier qui viendra
travailler la terre. Pas sûr que celui-ci puisse
en faire grand-chose : l’objet est en réalité
une lampe de Matteo Ugolini. Le designer
vit dans sa région d’origine, les Marches,
au centre de l’Italie, source d’inspiration pour
les luminaires qu’il dessine pour l’éditeur
Karman (dont il est le directeur artistique).
Après les lampes de chevet évoquant l’église
du village de Sassocorvaro, il a puisé dans ses
souvenirs d’enfance à la ferme afin d’élaborer
la collection Tobia, qui comprend une fourche,
un râteau et une pelle, donc, développés dans
un technopolymère blanc tapissé sur l’arrière
d’un ruban de LED. Ce matériau synthétique
les rend résistants aux intempéries et aussi
rustiques que de vrais outils de jardin. M.Go.
Lampe Tobia, de maTTeo UgoLini, Karman, 750 €.
www.KarmaniTaLia.iT
Karman J

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

 136

3
5

Photo Yasuyuki Takagi pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 dans le bureau de…
Oki Sato.
À la tête du studio NeNdo, oki sato iNveNte uN mobilier
aux détails déroutaNts. au saloN du meuble de milaN,
le desigNer exposera dix créatioNs imagiNées avec
des fabricaNts japoNais. il Nous a ouvert soN bureau
épuré du quartier d’akasaka, au cœur de tokyo.
propos recueillis par
1 - la vue
« Shakkei est un terme japonais qui tra-
duit la notion de prise en compte de
l’arrière-plan pour composer l’espace.
Pour aménager nos locaux, installés
dans un immeuble dessiné par Kenzo
Tange en 1977, nous nous sommes ins-
crits dans la perspective des jardins du
palais d’Akasaka, comme ici, dans mon
bureau, mais aussi dans le café du
deuxième étage, dont chaque siège est
tourné vers les arbres. Chaque fois que
c’est possible, j’utilise ce précepte pour
mes projets d’architecture intérieure.»
2 - la tasse À café
« Je bois quatre ou cinq tasses de café
chaque jour. Multiplier les descentes
dans les bars du quartier me faisait
perdre tellement de temps que j’ai
décidé d’en implanter un au sein de
notre immeuble.Ainsi est né le Connel
Café, pour lequel nous avons aussi
dessiné les tasses et le logo – le N de
Nendo tourné à l’horizontale, de façon
7 à former un C. En venant à mon bureau,
je suis passé y chercher un gobelet,
un rituel indispensable pour
6 poursuivre ma journée.»
3 - le chieN
« Ma chienne Kinako (“farine de soja
grillé”) est un mélange de carlin et de
chihuahua. Elle est l’une de celles qui
connaît le mieux le travail et la philoso-
phie de Nendo, puisqu’elle passe le
plus clair de son temps près de moi, à
écouter nos conversations.»
4 - le fauteuil iNcisa
« Lorsque je me suis lancé dans une
carrière de designer, en 2002, j’ai visité
l’usine De Padova en Italie pour discu-
ter d’un projet de table. La PDG a
alors demandé son avis à un vieux
monsieur. J’ignorais qu’il s’agissait de
Marie Godfrain
Vico Magistretti, un maître du design.
Grâce à sa réaction favorable, ma table
a intégré leur collection. Le fauteuil
Incisa, qu’il a dessiné en 1992, est là
pour me rappeler ce que je lui dois :
il m’a donné l’opportunité d’entrer
dans cette industrie.»
5 - les maquettes
«Beaucoup de gens pensent que le tra-
vail de Nendo dépend essentiellement
des nouvelles technologies. Même si
nous avons de nombreuses impri-
mantes 3D à notre disposition, nous
fabriquons la plupart des maquettes à
la main, dans notre atelier.»
6 - la table et le baNc
«J’aime collaborer avec des entreprises
qui possèdent un savoir-faire particulier
comme le spécialiste du verre Glas
Italia. Pour leur série Brushstroke, j’ai
apposé à la brosse plusieurs couches de
peinture foncée sur la longueur d’une
table et d’un banc en verre transparent.
La trace laissée par les coups de brosse
se marie parfaitement avec la géomé-
trie de nos locaux, où les lignes droites,
soulignées par des encadrements de
fenêtres et de cloisons vitrées en alumi-
nium foncé, jouent un rôle central.»
7 - le blaNc
«Les gens sont souvent surpris par mon
bureau monacal. Je veux à tout prix
conserver un environnement nu car
développer de nouvelles idées est pour
moi une entreprise solitaire et silen-
cieuse. Ce bureau blanc s’inscrit dans
une routine que j’affectionne. Chaque
jour, j’emprunte le même itinéraire, je
bois le même café et je porte les mêmes
vêtements, des chaussettes au tee-shirt.
Cette routine m’offre une sérénité
indispensable, qui contrebalance mes
projets en perpétuelle évolution.»
 138

ligne de mire

Madame est servie.

par jean-michel tixier

Illustration Jean-Michel Tixier/Talkie Walkie pour M Le magazine du Monde

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 rencontre entretenez-vous Des liens aveC

“Les frontières s’effacent

le DesiGn en Dehors Du salon ?
Nos magasins sont meublés
de fauteuils de Finn Juhl et de

entre design, art, canapés Ercol. Nous avons aussi

collaboré avec la marque danoise

mode et architecture.”
Depuis sept ans, la marque De prêt-à-porter suéDoise Cos
invite Des artistes à réaliser Des installations penDant le
salon Du meuble De milan. Cette année, elle présente une
œuvre De phillip K. smith iii. Karin Gustafsson, DireCtriCe De
la Création, revient sur Cette Collaboration.
propos recueillis par Marie Godfrain
pourquoi avez-vous Choisi
phillip K. smith iii pour votre première
installation en plein air à milan ?
Nous suivons depuis longtemps
cet artiste californien, dont les
installations interagissent avec
leur environnement. Open Sky est
composée de miroirs qui
En haut, l’installation refléteront le ciel dans la cour
Open Sky, du Californien
Phillip K. Smith III (ci-contre d’un palazzo du xvie siècle. Pour
avec Karin Gustafsson). prolonger l’événement, Phillip
Dans les boutiques COS,
le mobilier de designers K. Smith a imaginé une série
est de rigueur (ci-dessus,
à Los Angeles, le Poet Sofa d’expositions sur le thème du
du Danois Finn Juhl). reflet, visible dans des magasins
COS du monde entier pendant le
salon (en France, au 18, rue de
Charonne, à Paris).
HAY, avec laquelle nous parta-
geons quelques points communs :
des pièces de qualité, des lignes
modernes et un prix correct.
Nous avons développé des
éditions spéciales de leurs
accessoires de décoration,
dont les tonalités répondent à
celles de nos collections.
le DesiGn influenCe-t-il aussi vos
ColleCtions De vêtements ?
Aujourd’hui, les frontières entre
design, art, mode et architecture
s’effacent, mais cette influence
n’est pas littérale. Les architectes
et les designers nous intéressent
dans la mesure où ils produisent
des pièces classiques et intempo-
relles qu’ils réinventent avec des
détails, comme nous. À l’image
des designers d’objets, l’équipe
créative de COS travaille toute
l’année sur de nouveaux textiles,
de nouvelles couleurs, sur la fonc-
tionnalité et le quotidien. Propo-
ser ces installations à Milan est
une façon de partager nos inspi-
rations, notre cuisine interne.
Open Sky, Palazzo Isimbardi,
Corso Monforte 35, Milan. De 10 h à 20 h
les 17, 20, 21 et 22 avril ; de 10 h à 17 h
les 18 et 19 avril.

réédition

Perle rare.
paavo tynell (1890-1973) est l’homme qui a illuminé la finlande. au moment du
boom de l’électrification, au début du xxe siècle, il assure quasiment tout l’éclairage
Courtesy of COS. Pablo Enriquez. Courtesy of COS. Gubi

public du pays grâce à des systèmes modernes commercialisés sous la marque taito
oy. parallèlement à ce commerce, il développe une branche de luminaires d’intérieur
qui remporte beaucoup de succès – on lui confie notamment l’éclairage du bureau
du secrétaire général des nations unies, à new York. inspiré par la nature, il utilise
volontiers le laiton, qui se prête aux formes organiques. en 1941, il dessine la lampe
de table 5321, en forme de coquillage art déco : l’ampoule pointe timidement,
comme une perle dans une huître. treize ans plus tard, il se sépare de taito oy, et le
nouveau propriétaire décide de stopper la production de ce modèle. Devenue
une star des ventes aux enchères de design scandinave, la lampe est aujourd’hui au
catalogue de l’éditeur danois Gubi, rompu à l’exercice de la réédition. M.Go.
Lampe de table 5321, de Paavo Tynell, chez Gubi, 509 €. www.gubi.com
 140

objet trouvé

La boîte
musicale.
Les designers stefania
di PetriLLo et godefroy
de Virieu ont déniché
Pour “M” des objets
du quotidien à La beauté
cachée. cette seMaine,
queLques notes de Mozart.

Inventé en Suisse en 1796, « le carillon sans

timbre ni marteau » permet de reproduire
une mélodie grâce au mouvement méca-
nique d’un cylindre en laiton sur des lames
d’acier. Le dispositif est caché dans des
blocs de bois fruitier, d’où le terme de
boîte à musique. Cette sphère en bois de
chêne huilé est fabriquée artisanalement
par une famille de tourneurs dans la
Forêt-Noire, en Allemagne. Elle dissimule
un mécanisme reproduisant l’air roman-
tique Voi che sapete, de Mozart.
Une imposante clef de remontage trône
sur la sphère pour activer la musique.
Une façon originale de faire sa déclaration
d’amour ou d’endormir les enfants.

nom : Mozartkugel (balle de Mozart)

année de création : 2006
Matériaux : bois, mécanisme musical,
clef en Inox
fabricant : Siebensachen (Allemagne)
Prix : environ 80 €
coordonnées : siebensachen.com/collec-
tions/shop/products/mozartkugel-spieluhr
www.virieudipetrillo.com

têtes chercheuses

Les équilibristes.
Les designers Léa Padovani et sébastien Kieffer se sont rencontrés lors d’un stage
au studio de noé duchaufour-Lawrance. « Noé nous a incités à ne pas nous spécialiser.
D’un logo à un aménagement d’espace, nous avons pu travailler sur toutes les
échelles », explique Léa Padovani. à la fin de leur stage en 2010, les deux trentenaires
s’associent pour créer l’agence PooL, dont le travail se caractérise par l’assemblage
de formes simples, à l’image du canapé grid (Petite friture – photo) ou du fauteuil
Valsusa (gallery s. bensimon). « Nous aimons les objets qui ont un fort impact visuel,
Petite Friture. Yannick Labrousse

surtout si leurs éléments s’effleurent et semblent tenir par magie. » ils mettent
cette approche graphique et contemporaine au service d’entreprises du patrimoine
français, comme le fabricant de luminaires cVL ou le ferronnier françois Pouenat,
dont ils assurent la direction artistique, depuis le logo jusqu’au dessin d’objets.
une vision globale du design que ne renierait pas leur ancien maître de stage. M.Go.
http://poolhouse.eu

Photo Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 1 - à l’infini
« Martin Szekely ne se laisse jamais
enfermer dans une forme finie,
comme en témoigne cette table dont
le plateau est constitué de modules
de trois couleurs anodisées différentes
et de formes rectangulaires et
carrées, assemblés les uns aux autres.
Ces compositions forment un plan
horizontal qui fait penser à un jeu
de construction pour adultes. »
Table Map-Tex #3, en aluminium anodisé, 2013.

2 - sans faux pli

«Éliminant tout ce qui n’est pas néces-
saire à la construction d’un meuble, il
2 va à l’essentiel pour arriver à une forme
pure comme un trait de crayon. Cette
1 armoire sans charnières est faite d’un
seul panneau d’Alucobond, un compo-
site formé de deux feuilles d’aluminium
emprisonnant un noyau en plastique,
ce qui permet de le rainurer et de
le plier comme une boîte en carton
pour obtenir le volume du meuble.»
Armoire en aluminium et polypropylène, 1999.

3 - tout d’un bloc

« Au lieu de dessiner un bout de
canapé en partant d’un matériau
solide, Martin Szekely a fait mouler du
cristal de roche en fusion et l’a placé
plusieurs mois dans un four de refroi-
3 dissement pour lui laisser le temps de
se solidifier. Ce mode de fabrication
inattendu a permis de donner un effet
4 de mouvement à ce bloc de 100 kilos,
comme un grand verre d’eau glacée. »
Canapé Bing One, en cristal, 2005.

visite guidée

Jeu de
4 - équilibre des forces
« Cette bibliothèque a été construite
sur un système autoportant de
tablettes placées en décalage et

formes.
assemblées par des vis. Pour s’amu-
ser, le designer, qu’on dit austère,
s’est assis au sommet, prouvant ainsi
la solidité. En laissant visible la tranche
des tablettes, il a tiré un profit
le musée des arts décoratifs et
décoratif des lignes graphiques que
du design de bordeaux consacre
dessine leur structure en multiplis. »
une monographie au designer
Bibliothèque en bambou et laiton, 2015.
français martin szekely. la
commissaire constance rubini
5 - la matière noire
détaille cinq projets illustrant
«Le noir est une couleur, comme le
la démarche de cet adepte
prouve ce petit rangement pour lequel
des expérimentations.
Martin Szekely joue avec les effets
par Marie Godfrain du matériau. À l’extérieur, la fibre
Fabrice Gousset x4. Camille Vivier

de carbone trempée dans de la résine

5
« Construction », de Martin Szekely, au Musée des arts décoratifs et
du design de Bordeaux, 39, rue Bouffard. Du 26 avril au 16 septembre.
www.madd-bordeaux.fr
prend la lumière pour devenir plus
claire tandis qu’au fond elle arbore
un noir profond. L’alternance de pleins
et de vides est permise grâce à des
colles ultrasophistiquées qui permet-
tent d’assembler ces parois très fines.»
Étagère Tower 1, en fibre de carbone et résine, 2013.
143

éléments de langage

La sustentation électromagnétique.
Ce phénomène, généré en superposant des aimants à
la polarité inverse, rend possible la magie de la lévitation.
par Marie Godfrain — illustration JesÚs Prudencio

dans le deuxième volet de la trilogie “retour vers
le futur”,le héros, Marty McFly, est projeté vers
l’ultramoderne année 2015. Il se déplace sur un
skateboard sans roues qui semble flotter au-dessus
du bitume. Un objet de rêve qui, à l’instar des
baskets dont les lacets se nouent seuls, a marqué
toute une génération. Et notamment l’entre-
preneur suédois Simon Morris, qui recrée cette
magie grâce à la sustentation électromagnétique.
Ce principe physique est plutôt simple : une base
couverte d’électro-aimants produit un fort champ
magnétique. Si l’objet placé au-dessus est équipé
d’un aimant de polarité inverse, les deux champs
s’annulent et l’objet lévite.
Cette absence de frottement a été mise à profit
pour créer des trains d’un nouveau genre, dont
le fameux Maglev japonais, qui a battu
– en 2015 ! –le record du monde de vitesse pour
ce type de véhicules (603 km/h). Lancé par Elon
Musk, le projet Hyperloop va plus loin : grâce à
une nouvelle déclinaison de cette technologie, il
ambitionne de projeter une capsule dans un tube
à 1 100 km/h, vitesse plus élevée que celle d’un
avion commercial. À une échelle plus modeste,
la société de Simon Morris, baptisée Flyte (une
contraction de l’anglais « fly », voler, et de « light »,
léger), a débuté en commercialisant un socle
habillé de bois capable de faire léviter n’importe
quel objet équipé d’un aimant, pour peu qu’il
soit léger. Flyte associe désormais la sustentation
magnétique à l’induction, qui permet de trans-
mettre de l’électricité sans fil à courte distance,
avec sa lampe ampoule à LED. Un simple tapote-
ment sur sa base, recouverte de hêtre, de chêne
ou de frêne, suffit à allumer la lumière. Dans une
veine plus high-tech, le géant coréen LG a lui
aussi combiné ces deux technologies pour don-
ner naissance à une enceinte Bluetooth qui s’élève
au-dessus d’un socle quand elle est allumée
et retrouve sa position initiale lorsqu’on l’éteint.
De gauche à droite, lampe ampoule, Flyte, 299 €. flyte.se
Enceinte Bluetooth PJ9, LG, environ 250 €. www.lg.com

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

Ci-dessus, Top eT jupe à franges en minimaillage, Paco Rabanne. Coiffe en organza de soie, neith nyeR.
Collier eT BoTTes en Toile de polyuréThanne, chanel.

page de droiTe, Top en Tulle, emanuel ungaRo. Bandeau Brodé de sequins, esteban coRtazaR.
CuloTTe en denTelle, maison lejaby. CollanTs en nylon, Falke. BouCle d’oreille en pVC, chanel.
145

un peu de tenues

effets de
transparence.

quand nylon, pvc et vinyle s’allient au tulle,

aux plumes et à l’organza, un ange passe…
photos LETTY SCHMITERLOW — stylisme OndInE azOuLaY

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

 146

Cape et bottes en toile de polyuréthanne, Chanel. top et pantalon en tulle brodé de Cristaux, Y/ProjeCt.
Gants en tulle, GeorGes Morand. Collier en fausses perles, off-White.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

Ci-dessus, Robe en Coton et plumes d’autRuChe, Moncler GaMMe rouGe. CapuChe et bottes en toile de polyuRéthanne,
chanel. Gants en tulle, GeorGes Morand. CollieR en fausses peRles, off-White.

paGe de dRoite, soutien-GoRGe et Culotte en satin, forte_forte. Coiffe en oRGanza de soie et Coussin en plume et vinyle,
neith nyer. Gants en tulle, GeorGes Morand. bottes en nylon, MM6.
149

Mannequin : Helena Severin @ viva — aSSiSTanTS pHoTograpHeS : andrew MooreS eT MaTTHieu MaMouSSe —
aSSiSTanTS STyliSTeS : HiSaTo TaSaka eT Marie SoareS — caSTing : Ben griMeS — coiffure : Marion anée @open TalenT pariS —
Maquillage : Hélène vaSnier @arTliST

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde

 circuit court

Tel-Aviv.
Un impressionnant héritage d’édifices de style baUhaUs et de nombreUx
bâtiments contemporains aUx lignes minimalistes font de la deUxième
ville d’israël Un temple de l’architectUre en béton apparent.
par Vicky chahine — photos loulou d’aki

1 - le brUtalisme dU tel aviv mUseUm of art

Conçue par Preston Scott Cohen et baptisée
du nom de ses mécènes, Herta et Paul Amir,
l’extension du Musée des arts, inaugurée
en 2011, est l’un des gestes architecturaux qui
ont le plus marqué le paysage de Tel-Aviv ces
dernières années. Nichée à côté du bâtiment
d’origine, une réalisation de style brutaliste qui
date de 1971, la structure, en forme de triangle,
facettée de plus de 350 panneaux en béton et
haute d’une dizaine de mètres seulement,
s’étend sur pas moins de 18500 mètres carrés.
«La superficie surprend toujours le visiteur la pre-
mière fois, remarque l’architecte américain.
Deux niveaux sont au-dessus du sol et trois au-des-
sous. Plus qu’un espace d’exposition, il s’agissait
d’imaginer un centre d’art vivant qui favorise l’ex-
périence sociale.» D’où l’idée d’un atrium d’une
profondeur de trente mètres, autour duquel
s’enroulent les différentes galeries. Un puits
de lumière qui illumine jusqu’au niveau le
plus bas, où se situent la cafétéria, des exposi-
tions temporaires et des galeries consacrées à
l’art européen du xvie au xixe siècle.
27, Shaul Hamelech Boulevard. www.tamuseum.com
 151

2 - le minimalisme au Poli House

Ouvert en octobre, ce nouvel établissement
de la chaîne Brown Hotels est installé à deux
pas du plus grand marché de la ville, le Shouk
HaCarmel. À l’extérieur, les lignes minima-
listes de l’immeuble Bauhaus, restauré pour
l’occasion ; côté architecture intérieure, la
modernité extravagante et les couleurs
pimpantes chères au designer d’origine
égyptienne Karim Rashid. Sur le toit, un bar
avec vue et une piscine à débordement où les
locaux viennent trinquer au coucher du soleil.
Chambre double à partir de 210 €. 1 Nahalat Benyamin
Street. www.thepolihouse.com

3 - le cube de la Gordon Gallery

6 HaPelech Street est la troisième antenne de
cette emblématique galerie d’art contempo-
rain israélienne, fondée en 1966. Pour cette
nouvelle adresse située à la frontière entre les
quartiers Florentine et Jaffa, où d’anciennes
usines ont été transformées en studios
d’artistes, les architectes de Gottesman-
2 Szmelcman ont imaginé un cube minimaliste
en aluminium. Un espace modulable baigné
de lumière naturelle, qui permet d’exposer
3
aussi bien des sculptures que du street art. La
nuit, une petite fenêtre permet aux passants
de jeter un œil à l’intérieur.
6 HaPelech Street. www.gordongallery.co.il

4 - la blancHeur du meier on rotHscHild

Sur Rothschild Boulevard, où se côtoient les
4 plus belles réalisations Bauhaus, ainsi qu’une
banque signée par l’architecte I. M. Pei,
l’Américain Richard Meier a conçu un
building blanc hébergeant des bureaux, dont
le rez-de-chaussée est ouvert au public. On y
trouve le café moderne Coffee House
Thirty-Six et un marché gastronomique où
l’on peut déjeuner d’un curry sud-africain
chez Bunny Chow ou d’une escalope de
poulet avec frites maison chez Chipsea King.
36 Rotschild Boulevard.

5 - le sur-mesure du eaGer tourist

Créée par un Américain installé à Tel-Aviv,
5 cette agence conçoit des circuits sur mesure
destinés aux touristes désireux de découvrir
la ville à travers les yeux des locaux. Un tour
y aller des galeries qui montent en compagnie d’un
La compagnie low cost
Transavia assure jusqu’à
commissaire d’exposition, une balade à la
quatorze vols directs par découverte des fresques et des graffitis com-
semaine entre Paris-Orly mentée par un street artiste… Mais aussi une
et Tel-Aviv-Jaffa. À partir
de 155 € l’aller-retour.
promenade avec un architecte autour des
Loulou d’Aki/Agence Vu pour M Le magazine du Monde

www.transavia.com. édifices emblématiques de la ville, contem-

Voyageurs du monde pro- porains ou Bauhaus, dont les magnifiques
pose des séjours culturels
en Israël, modulables à la
Habima Square et Habima Theatre (photo).
demande. À partir de 1 550 € Entre 100 € et 210 € la visite pour cinq personnes
maximum. www.eagertourist.com
par personne pour un
week-end comprenant les
vols, les transferts privés,
trois nuits au Market House
à Jaffa et une balade d’une
journée dans le quartier
du Bauhaus. Également
compris : le prêt d’un
minirouteur Wi-Fi
et d’une application avec
de bonnes adresses.
www.voyageursdumonde.fr

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde


une affaire
D’une pierre
deux coups.
connu pour son design minimaliste, philippe
starck aime aussi tout optimiser en cuisine.
ainsi ce plat de pâtes est issu d’une combinaison
d’ingrédients aussi simples qu’inattendus.
par camille labro —
c’est une histoire triste,
celle d’un couple très
humble. Il est marin, elle reste
à la maison et s’occupe un peu du
jardin pour améliorer l’ordinaire.
Ils habitent une cabane sur une
plage de galets à Ischia, une île
du sud-ouest de l’Italie. C’est
l’hiver, et cela fait plusieurs
semaines que le temps est très
mauvais. Ils ne peuvent pas sortir
le bateau ni partir pêcher, et
ils commencent à avoir faim.
La femme dit à son mari : « Il faut
vraiment que tu trouves quelque
chose à manger. » Il descend sur
la plage, marche en regardant ses
pieds, honteux de ne pouvoir
nourrir sa famille. Par terre, des
cailloux, avec des algues collées
dessus. Il se dit que ce sera mieux
que rien. Il les rapporte à la
maison, et demande à sa femme
de faire bouillir de l’eau, de réunir
les dernières pâtes qu’il leur reste
et de préparer des spaghettis aux
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
de goût
photos julie balagué
cailloux. Sa femme prend
de l’eau, du sel, ajoute quelques
vieux spaghettis et y jette les
galets. Comme elle constate que
cela ne fait pas grand-chose, elle
va au jardin, trouve une pomme
de terre, l’ajoute à cuire dans l’eau
des pâtes. Elle y met un peu d’ail
et de persil – à moins que cela ne
soit une mauvaise herbe. Elle
trouve un vieux croûton de pain
dur, qu’elle casse en morceaux
par-dessus, et sert les spaghettis.
Ce plat, c’est une sorte de drame
qui prouve que l’on peut toujours
produire quelque chose avec un
peu d’imagination et de dignité.
Je suis admiratif de ceux qui
n’ont presque rien et qui essaient
malgré tout de faire bon, bien et
joli. Lorsque je travaille, je pars
toujours du minimum, j’essaie
d’aller au centre du sujet, jamais
autour. De voir comment on peut
le cristalliser, en synthétiser l’âme.
Réduire son volume pour
152
l e s s pag h e t t i s
aux cailloux
de philippe
starck
ingrédients
spaghettis
Huile d’olive extra-vierge
Piment frais
gousse d’ail
Pommes de terre
Branches de persil
Pain sec broyé
galets de plage
recouverts d’algues
augmenter sa masse. Quand on
ne peut plus l’augmenter, c’est i
que le projet mérite d’exister. Cuire les spaghettis
dans une casserole
C’est ainsi que je conçois les d’eau bouillante salée
intérieurs, le mobilier, les lampes avec des galets trouvés
ou les ustensiles de cuisine. sur la plage et
recouverts d’algues.
aux sauces et aux mélanges,
je préfère les choses extrême- ii
égoutter les spaghettis
ment basiques, plus simples que
et les mélanger avec
simples. À l’époque où j’avais l’huile d’olive extra-
encore le temps de cuisiner, je vierge. Ajouter le piment
pouvais préparer un repas pour frais haché, un peu d’ail
dégermé et émincé.
trente personnes avec ce qui
traînait dans le réfrigérateur ou iii
avec des légumes frais achetés incorporer quelques
morceaux de pommes
au marché. Souvent, nous man- de terre cuites à l’eau
gions juste les légumes crus, avec et pelées, puis du persil
du vin. Cette recette de pâtes, je finement haché, avec les
tiges. enfin, saupoudrer
l’ai testée moi-même il y a une de pain sec broyé.
quarantaine d’années. J’avais
entendu parler des « spaghettis (Merci au Caffè stern,
Paris 2e).
aux cailloux », j’ai adoré l’image.
Je voulais savoir ce que cela fai-
sait, de cuire des pâtes avec des
galets provenant de la plage. Il se
trouve que c’est très intéressant,
cela donne un goût minéral élé-
gant. Surtout si l’on cuit à l’eau de
mer, qui sale naturellement. C’est
un plat qui va envers et contre
tout ce qui est de l’ordre du « bon
goût ». Car on ne mange jamais
de pain et de pommes de terre
avec des pâtes. Mais c’est préci-
sément ce qui est beau ici :
on est acculé à faire des choses
qu’il ne faut pas faire, et,
au final, c’est très bon.
 dessous de table

Fine gâchette.

L
par françois simon

orsqu’on pousse la porte de la Canonnière, à paris, l’on retrouve tout le long du repas : des seiches en cocotte et
Giovanna est là. Cette mamma souriante vient de l’île taboulé d’hiver débordant d’amour, une épaule de cerf,
de Pantelleria, entre la Tunisie et la Sicile. Elle en rap- vin rouge et champignons, une échine de cochon aux lentilles,
porte sa production de câpres, de citrons confits, des cœurs de canard poêlés
de tomates séchées. Et sa bonne humeur studieuse. à la sauge et câpres de
Elle opère juste derrière le long bar en bois costaud accueillant Pantelleria, un risotto aux
seize couverts. Ç’en est troublant, du reste, ces cuisines ouvertes noix et champignons (15 €).
opérant sous votre nez, obéissant au modern chic, la transpa- Pour terminer, comme si l’on
rence, l’exhibitionnisme du langage décomplexé. Parfois, on ne voulait apposer un point
voudrait pas voir certains gestes prosaïques (une boîte qui ferme ferme et conciliant : une
mal, une casserole qui verse trop, la hâte…). D’autres fois, on reste bonne mousse au chocolat
ébahi par l’envoûtante précision des mouvements : ce trait d’huile à aller tout droit au plumard.
d’olive, cette pincée de sel, la tête penchée, l’amour de cuisiner. C’est une vraie cuisine de
Sachez-le, ce sentiment bienheureux, votre estomac le perçoit. mamma avec sa bien-
Lui aussi est content. Il entre comme dans une embrassade dans veillance, ses contours et ses
ces saint-jacques apaisées de curry, coco, câpres, origan et hanches. On l’imagine,
oignon. L’appétit a besoin de cette dimension intime, de cette clientèle de quartier sous le
temporalité calme. Il veut cette même indulgence que charme, amadouée, laissant
la vie entrer. Le coup de
cœur du mois.

Au bar à vins
La Canonnière,
Giovanna,
originaire de l’île
de Pantelleria,
prépare des plats
généreux
comme cette
poêlée de cœurs
de canard à la
sauge, câpres et
poivrons rôtis et
ces saint-jacques
snackées, curry
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Getty Images x3

de riz noir,
betterave et
fenouil.

place de choix dommage à emporter p a s s a g e à l’a c t e

L’idéal, c’est au comptoir
et plutôt du côté
porte à gauche, car, là, on
est près de Giovanna.
Difficile de chicaner,
car c’est bien. Ah si,
la porte ferme mal.
Quelques bouteilles La Canonnière,
de la cave. 57, rue de la Fontaine-au-Roi,
Paris 11e. Tél. : 09-83-22-05-09.
Décibels
80 dB, clientèle enjouée.
Mercure
Grâce à la cuisine et ses humeurs
embuées, un joli 21 °C.
Addition
30 €.
Minimum syndical
Seiches en cocotte et taboulé
d’hiver, 16 €, un verre de vin, 6 €.
Verdict
Oui.

Photos Terence Bikoumou pour M Le magazine du Monde


€ 22,40
union libre
Côtes à côtes.
Château Le Bouïs, « Zoé »,
CorBières rouge, 2014
Avec des petites côtes
d’agneau saignantes, ce vin
juteux au millésime prêt à boire
est particulièrement salivant.
Aucune lourdeur, juste une
tension droite et gourmande.
Une belle alliance, et une révé-
lation.
14,50 €. Tél.: 04 68 75 25 25.
Pages réalisées par Chloé Aeberhardt, Maud Gabrielson et Laëtitia Leporcq (stylisme).
Et aussi Carine Bizet, Vicky Chahine, David Chokron, Stefania Di Petrillo, Laure Gasparotto, Marie Godfrain,
Camille Labro, François Simon, Jean-Michel Tixier et Godefroy de Virieu.
Illustrations Satoshi Hashimoto et Broll & Prascida/Karine Garnier pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
154
frais de bouche
Pain bénit.
Cette semaine, “m” vous propose
un déjeuner à moins de 25 euros.
rien que l’odeur du pain chaud est un repas en
soi. Le trio (alice Quillet, anselme Blayney et
anna trattles) repéré au Bal Café, dans le
18e arrondissement de paris, refait des siennes
dans un local flambant neuf du nouvel îlot
Bréguet, près de la Bastille. Le coffee shop fait
aussi boutique et surtout boulangerie : focac-
cia, brioches, scones, gâteaux, cookies, et ce
pain à tomber, plébiscité par de nombreuses
tables dans le coin (maison Bréguet, Le petit
Keller). proche des comptoirs, dans une
ambiance de restaurant universitaire, on peut
prendre un déjeuner tout en moelleux, et en
compagnie, avec, bien sûr, quelques sandwichs
du jour, style gorgonzola, chutney d’oignons,
feuilles d’épinards et lamelles de poires
fondantes. ou cette sauvagerie addictive :
sandwich de seigle avec saumon fumé et
crème. également des salades avec leur
marelle habituelle : pois chiches, oignons
rouges, poire, poireau sauce verte… Café du
tonnerre (Belleville Brûlerie), atmosphère
agréablement désinvolte. Fr.S.
Sandwich de seigle au saumon, 6,90 € + salade du jour, 11 €
+ carrot cake glaçage citron, 4,50 € = 22,40 €.
Ten Belles Bread, 17-19 bis, rue Bréguet, Paris 11e.
De 8 h 30 à 19 h en semaine, de 9 h à 17 h 30 le week-end.
Château d’aiguiLhe, CastiLLon-
Côtes-de-Bordeaux, 2015
Porte-drapeau d’une appellation
à (re)découvrir, ce vin est géné-
reux et bien dressé. Son assem-
blage, dominé par la rondeur du
merlot et équilibré par un peu
de cabernet franc, témoigne
d’une personnalité hors norme
et réconfortante. L.G.
24 €. Tél.: 05 57 24 71 33.
AVANT,
VOUS FAISIEZ
LA GRASSE MAT.

NOUVELLE FORMULE CHAQUE

AVEC BEAUCOUP TROP DE CHOSES DIMANCHE
INTÉRESSANTES À LIRE DEDANS
 Lubaina Himid
début avril, lors de
l’installation à
Sérignan de Naming
the Money (2004).
157

Femme, noire et militante,

longtemps, l’artiste britannique

Lubaina
Himid
a cumulé les “handicaps”.
Lauréate du prestigieux prix
Turner, elle obtient enfin,
à 63 ans, la reconnaissance.
Ses œuvres colorées
et faussement naïves, qui
traitent de l’histoire de
l’esclavage et du colonialisme,
sont exposées à Sérignan,
dans l’Hérault.Par Roxana Azimi — Photos Camille Sonally

14 avril 2018 — M Le magazine du Monde


RecevOiR Le PRix TuRneR, La PLuS PReSTiGieuSe RécOMPenSe de L’aRT
bRiTannique, en décembre, n’a pas changé Lubaina Himid. L’artiste de
63 ans, exposée depuis le 7 avril au Musée régional d’art contempo-
rain à Sérignan, dans l’Hérault, a beau être passée, grâce au prix, de
l’ombre à la lumière, elle demeure très placide. C’est que, pendant
près de trente ans, c’est-à-dire assez longtemps pour se décourager,
elle a cumulé les handicaps pour un monde de l’art assez rétro-
grade : femme, noire et militante. Pour corser le tout, elle vit à deux
heures du cœur de Londres, c’est-à-dire nulle part. « Aujourd’hui,
avec les mêmes données, je coche toutes les bonnes cases », ironise-
t-elle. Ses peintures colorées et faussement naïves suscitent actuel-
lement un engouement, et sa façon d’interpeller l’histoire de l’escla-
vage ou de la colonisation, avec des fresques ou des objets du
quotidien transformés, trouve un écho aux questionnements du
moment. Mais il serait faux de réduire son art, et surtout son succès
actuel, à un quelconque esprit politiquement correct.
Née à Zanzibar d’un père comorien et d’une mère britannique,
Lubaina Himid arrive en Angleterre à l’âge de 4 mois. S’exprimerait-
elle au nom d’une quelconque africanité ? « Je ne vis pas dans le
fantasme de l’Afrique, réplique-t-elle. Je suis britannique. Mon but, ce
n’est pas d’être encore plus exotique, de représenter “l’autre”, mais
d’être simplement banale. » Depuis ses tout premiers pas dans l’art
en 1981 jusqu’aux expositions de ses pairs qu’elle a organisées, elle a
un objectif en tête : permettre aux artistes noirs d’avoir voix au cha-
pitre. À l’époque, sa communauté est absente des médias comme
des films « sauf dans les dix premières minutes avant qu’ils ne soient
tués», raille-t-elle. Pour son mémoire universitaire sur les jeunes plas-
ticiens noirs, elle se plonge pendant un an dans la lecture du Guar-
dian. Et dans ce quotidien pourtant progressiste, elle ne trouve
qu’une seule occurrence sur un homme noir, « quelqu’un de pas
recommandable », se souvient-elle.
Pour traiter des angles morts de la société, elle a choisi un médium :
la peinture. Pas n’importe laquelle, la plus chamarrée et figurative,
avec des tableaux truffés de détails. Une esthétique séduisante
longtemps à contre-courant, car dans les années 1980, la peinture
est jugée ringarde et bourgeoise. Les Young British Artists montants
biberonnent à l’art conceptuel et au scandale. Qu’importe ! Pour
Lubaina Himid, la peinture « permet d’engager une conversation ».
« Ce n’est pas ésotérique, c’est clair, ça n’essaie pas de jouer au plus
malin avec les gens, poursuit-elle. L’art ne fait sens que s’il a un
public. » Pour toucher les spectateurs, elle détourne aussi les objets
du quotidien, notamment les services en porcelaine ébréchés ou les
moules à jelly, emblèmes so british qu’elle recouvre de vues de
bateaux négriers et autres symboles de l’esclavage. Histoire de
« montrer qu’il y a d’autres récits que ceux qu’on ne voit qu’en sur-
face ». Elle martèle : « Je voulais m’adresser à des gens qui étaient
comme moi. » Autrement dit, aux femmes noires, ignorées par les
machos du British Black Arts Movement, ce groupe d’artistes antira-
cistes, très politisés, formé en 1982 et dont Lubaina Himid a pourtant
fait partie, comme par le reste d’une société britannique qui se tar-
gue de multiculturalisme. «Les femmes noires n’étaient pas un sujet,
regrette-t-elle. Les gens ne les voyaient que comme des prostituées
ou des domestiques, alors que ce sont elles qui tenaient tout l’édifice
quand les hommes se retrouvaient en prison. » Cet agenda collectif
passe avant sa propre carrière. « Quel aurait été l’intérêt d’être la
seule artiste femme noire ? »
Même si Lubaina Himid se définit davantage comme artiste que
comme militante, le monde de l’art ne la regarde que par le prisme
du politique. Ses sujets n’attirent pas la presse. Elle fera bien
quelques apparitions dans des expositions collectives en Allemagne
ou aux États-Unis, mais sa carrière reste globalement circonscrite
au réseau des petits centres d’art britanniques. « J’étais habituée à
ce que les grands commissaires d’exposition me disent : “il faut
qu’on déjeune bientôt ensemble”, sans jamais sortir leur agenda de
Photos Camille Sonally pour M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
158
leur poche », raconte-t-elle. À 50 ans, elle est convaincue que la
messe est dite. Sans pour autant baisser les bras. Elle continuera de
financer ses œuvres avec ses émoluments d’enseignante, dans un
anonymat relatif. En 2004, elle réalise à ses propres frais Naming
the Money, grande installation dont une partie est exposée à Séri-
gnan. L’œuvre se compose de cent silhouettes grandeur nature,
découpées dans du bois, et donnant chair à toute une noria d’es-
claves, domestiques et amuseurs publics. « Je voulais faire une
pièce qui serait remplie de Noirs, explique-t-elle. Produire une
œuvre qui suscite une action et pas de l’admiration passive, faire en
sorte que les générations futures veuillent changer les choses,
même de manière ténue. »
Sa reconnaissance, entamée depuis cinq ans, est un cas d’école.
En 2013, Lubaina Himid est contactée par une jeune galerie, Holly-
bush Gardens, qui, comme beaucoup d’autres nouvelles enseignes
d’aujourd’hui, traque les recoins de l’histoire de l’art. La mode est aux
marges et au revival de personnalités injustement dédaignées. Les
cultural et gender studies sont aussi en vogue. Tout ce qui, jusque-là,
entravait la carrière de Lubaina Himid se mue soudainement en
atout. La voilà propulsée à la Biennale de Gwangju, en Corée du Sud,
en 2014. Les collectionneurs la découvrent. En 2017, c’est la consé-
cration : de janvier à octobre, elle enchaîne quatre expositions à
Spike Island, à Bristol, au Modern Art Oxford et au Nottingham
Contemporary, des centres d’art dirigés par une jeune garde de
commissaires. Le terrain est mûr pour le prix Turner.
Ce prix, qui récompense habituellement les jeunes artistes montants
britanniques, elle ne s’y attendait vraiment pas. D’autres sélection-
nés, comme Rosalind Nashashibi, sa cadette de vingt ans, sem-
blaient bien mieux placés pour décrocher la timbale. Si elle ne boude
pas son plaisir, Lubaina Himid ne se fait guère d’illusions. « Quand j’ai
remporté le prix, on ne s’est pas dit : “Quelle grande artiste !”, mais
“Quelle grande artiste noire !”. Comme un fait étrange, à souligner,
rappelle-t-elle. Les galeries sont encore majoritairement tenues par
des Blancs et les Noirs sont les vigiles. Il y a encore tant à faire ! »
« Gifts to Kings », de Lubaina Himid, Musée régional d’art contemporain
Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, 146, av. de la Plage, Sérignan (34).
Jusqu’au 16 septembre mrac.laregion.fr
Ci-dessus, Negative Positives,
The Guardian Series,
(2007-2016), qui explore la
place de la diaspora africaine
dans la société britannique.
Page de droite, en haut,
Freedom and Change (1984).
En bas, Jelly Mould Pavilion.
“Quand j’ai remporté
le prix Turner, on ne
s’est pas dit: ‘Quelle
grande artiste!’,
mais ‘Quelle grande
artiste noire!’. Comme
un fait étrange,
à souligner…”
 160

Jupe
Le sens du détail.

militante. Par Rosita Boisseau

La longue jupe rouge que porte le danseur et

chorégraphe libanais Alexandre Paulikevitch
est emblématique de son art et de son
engagement, lui qui a appris la danse en
observant les femmes de son entourage
avant de prendre des cours auprès de Leila
Haddad, à Paris. Composée de différents
pans qui se soulèvent comme autant de
voiles, attachée par une large ceinture dorée,
elle est l’outil de ses revendications dans le
spectacle en solo Tajwal. La danse orientale
lui permet « d’exprimer sa féminité dans
une région du monde où la danse fait de plus

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Caroline Tabet

en plus tache et où la danseuse est considérée
comme une prostituée », nous confiait-il
en 2014. Paulikevitch défend son identité dans
une société patriarcale. « Quand je monte sur
scène en jupe, c’est de la politique, que j’aie
les cheveux longs et que je me maquille,
c’est de la politique, qu’on le veuille ou non. »
Tajwal, d’Alexandre Paulikevitch, Institut du monde arabe, Paris. Le 18 avril. www.imarabe.org

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

 38, RUE SAINT-MAUR - PARIS 11ème

GUSTAV KLIMT UNE IMMERSION DANS L’ART ET LA MUSIQUE

© 2018 CULTURESPACES. PHOTO D.R.

UNE RÉALISATION GIANFRANCO IANNUZZI - RENATO GATTO - MASSIMILIANO SICCARDI

13 AVRIL - 11 NOVEMBRE
 “Roseanne”, une série
Vu des États-Unis.
qui “trumpe” énormément.
Une sitcom pleine de rires enregistrés et de claqUements de
portes orchestrés va-t-elle réUssir là où les meilleUres volontés ont
échoUé : réconcilier les Américains, dont les discordes indépassables
enveniment les repas de famille depuis l’élection de Donald Trump?
C’est en tout cas l’ambition de Roseanne, série télévisée relancée à
grand bruit le 27 mars sur la chaîne ABC, après vingt ans d’interrup-
tion. Portée par son actrice principale, l’humoriste et productrice
Roseanne Barr, connue pour sa gouaille, son culot, quelques polé-
miques et plusieurs récompenses, la sitcom dépeint la vie quotidienne
de la famille Conner, archétype de la classe ouvrière blanche, bataillant
pour boucler les fins de mois et élever sa tribu. A priori, rien de révo-
lutionnaire dans un scénario calibré pour aborder tous les sujets de
société du moment. Sauf que, audace inédite à la télévision, l’héroïne
est une électrice assumée de Donald Trump; un rôle sur mesure pour
Roseanne Barr, soutien de la première heure du président américain.
Pour coller à la réalité clivée de l’Amérique d’aujourd’hui, les scéna-
ristes l’ont affublée d’une sœur démocrate, féministe, prompte à trai-
ter le reste de sa famille de « deplorable », le mot qu’Hillary Clinton
Disparue des écrans en 1997, cette série
culte a fait son retour à la télévision
(avec John Goodman et Roseanne Barr).
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
Par Stéphanie Le Bars
avait choisi pour qualifier les électeurs de Trump. Un casting qui ne
doit rien au hasard ou à l’inspiration créatrice d’un auteur.
Les responsables d’ABC, ont confirmé que la résurrection de cette
série culte, disparue en 1997 des écrans après neuf ans de diffusion,
entendait répondre à un vide dans leur programmation. Au lende-
main de l’élection de Donald Trump, «on s’est dit: on a beaucoup de
choses à apprendre de notre pays, ici, sur la côte [Ouest, réputée
pour ses vues libérales]», a expliqué Ben Sherwood, le président de
Disney et d’ABC au New York Times.
La politique “diversité” de la
chaîne ABC, centrée sur les
minorités, avait fait l’impasse sur
les “petits Blancs”, ces électeurs
de Trump économiquement et
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. 2017 American Broadcasting Companies, Inc. All rights reserved.
culturellement à mille lieues des
préoccupations hollywoodiennes.
Il fallait rectifier le tir.
ABC semble avoir fait mouche : plus de 18 millions de personnes ont
regardé les premiers épisodes. Le président américain, ravi de l’au-
baine, a pris la peine d’appeler Roseanne Barr pour la féliciter.
Mais, depuis, libéraux et conservateurs s’empoignent pour tenter
d’expliquer en quoi la série est, ou non, une nécessité politique pour
ramener mesure et humour dans une société divisée comme jamais.
Roseanne Barr elle-même a une idée sur la question. Pour la sexagé-
naire, la série relève de la «résolution de conflits». «J’espère qu’elle va
ouvrir des débats polis entre les gens, plutôt que provoquer des jets
de boue.» Certains téléspectateurs partagent son point de vue. «Le
show comporte la dose d’honnêteté que les efforts de la gauche pour
ostraciser toute opinion différente ont découragée. On a enfin l’autre
côté de l’histoire. Roseanne Barr tente de lancer le débat et, vu l’au-
dience, il semble que ce soit un débat dont les Américains ont
besoin», écrit l’un d’entre eux au New York Times.
D’autres regrettent que la série fasse l’impasse sur les aspects les plus
intolérants du trumpisme et donne une plate-forme « au sexisme, au
racisme et à la xénophobie » de l’actuel président. « La famille de
fiction et sa créatrice ne font que normaliser un peu plus Trump et
son idéologie », déplore l’écrivaine Roxane Gay, dans le quotidien.
Les critiques se sont aussi emparés des errements de Roseanne
Mme Barr, adepte d’informations trouvées sur les réseaux conspira-
tionnistes. Quand une sitcom et son actrice fétiche disent, à leur
manière, les maux de l’Amérique.
 163
Jeune pousse. L.A. Salami, poète en accords.
Un an à peine après son premier album,
Dancing with Bad Grammar, sorti dans la
foulée de deux EP (dont un de 9 titres),
le prolifique L.A. Salami reste porté par
l’incandescence de son « blues postmo-
derne », dans un second opus, The City of
Bootmakers. Et encore, ce Londonien au
look de hobo stylé dit avoir déjà sous le
coude de quoi enregistrer six albums.
D’où vient cette créativité sous pression ?
À 7 ans, L.A. (initiales de son prénom
d’origine nigériane, Lookman Adekunle,
et non de Los Angeles) écrit son premier
scénario. Mais ce passionné de cinéma,
de Godard, Bergman et d’Antonioni, s’est
surtout laissé emporter, à l’adolescence,
Diane Sagnier
par l’urgence de l’expression poétique.
Si aucune musique n’a d’abord accom­
pagné des textes lus devant les petits
comités de cercles littéraires, elles ne
résonnaient pas moins dans la tête du
jeune homme, bouleversé par sa décou­
verte de Bob Dylan et la façon dont
les mélodies donnent encore plus de
puissance aux mots du Prix Nobel
de littérature. « Dylan m’a fait écouter la
musique de façon complètement diffé-
rente, reconnaissait récemment le tout
juste trentenaire. J’ai compris beaucoup
de choses sur moi à travers lui. »
Fils d’une mère célibataire, élevé dans
le Kent par une famille d’accueil dès l’âge
de 2 ans, l’apprenti poète n’a cessé de
faire des allers et retours entre le domicile
maternel, au sud de Londres, et son
foyer d’adoption, sur la côte anglaise.
Il en a gardé des habitudes nomades,
lui qui se berce des idéaux bohèmes
d’écrivains comme Allen Ginsberg,
John Fante ou Charles Bukowski.
Il devra pourtant attendre ses 21 ans
pour enfin jouer de sa première guitare.
« Personne n’avait jusque-là eu les moyens
de m’en offrir une. » Les chansons
accumulées en lui sortent alors au bout
Par Stéphane Davet
de quelques mois de pratique. La six­
cordes acoustique donnée par un copain
l’entraîne vers les territoires du folk, du
blues et un art du récit marqué par le flot
verbal dylanesque. Dans The City of
Bootmakers, enregistré à Berlin, on
retrouve parfois ce flux poétique porté
par une guitare sèche, un banjo et un
orgue acide surgi des sixties (Brick Lane).
L.A. Salami est aussi un chroniqueur de
son époque, doué d’un sens aigu de l’ob­
servation. Sa voix chaude peut s’électriser
en phase avec une instrumentation s’em­
ballant du côté de l’indie­rock (Generation
L[ost]), voire de la rage punk, quand il
dépeint les travers d’une Grande­Bretagne
oubliant ses idéaux sociaux (England Is
Unwell) ou les origines de ses tourments
(Terrorism! [The ISIS Crisis]). Un engage­
ment qui, marié à un humour excentrique,
une verve mélodique et une fragilité d’ar­
tisan, donne de la moelle à sa profusion.
The City of Bootmakers, de L.A. Salami
(Sunday Best/Pias). En tournée,
dont le 2 mai au Point Éphémère, à Paris.
 164

Making of. Jeu d’enfants. Par Valentin Pérez

Dans Allons
enfants, le
réalisateur
Stéphane
Demoustier
a dû faire
preuve
d’imagination
pour diriger
ses jumeaux
de 3 ans
et demi.
Un bUdget trente fois plUs mince et deUx amateUrs en tête
d’affiche : pour Allons enfants, son deuxième film, Stéphane
Demoustier a fait tout le contraire de son premier, Terre battue,
sorti en 2014. « Au départ, il y a deux désirs forts, retrace le
cinéaste. D’une part, l’envie de filmer mes jumeaux, Cléo et Paul, de
saisir leur innocence. D’autre part, celle de capter l’atmosphère de
Paris après les attentats de 2015, cette nervosité collective. » L’idée
initiale tient en une phrase : un frère et une sœur se promènent
dans le parc de La Villette avec leur nounou et se perdent l’un
après l’autre, errant seuls plusieurs heures.
« Tu vas les perturber », met en garde la mère de ses enfants, la
scénariste Cécile Ducrocq, peu emballée. « Impossible de faire
aboutir une fiction de cinéma avec des enfants âgés de trois ans et
demi », répètent producteurs, distributeurs et chaînes de télévi-
sion, qui refusent de donner des fonds. Le réalisateur finit par ras-
sembler 100 000 euros (l’équivalent du budget d’un court-
métrage bien doté), grâce à une aide du CNC dont bénéficie sa
société de production, Année Zéro, et à ses deniers personnels. Le
casting se révèle plus aisé – les acteurs Vimala Pons et Anders
Danielsen Lie et la chorégraphe Elsa Wolliaston
acceptent rapidement d’en être – mais il faut
s’armer de patience face à la DDASS, honorer les
entretiens et détailler le projet afin que le feu vert
soit donné pour Cléo et Paul.
À l’été 2016, le tournage peut commencer.
« L’équipe technique était minimale : un directeur
de la photo, un ingénieur du son, une assistante et
moi, et ce autant par nécessité financière que
parce qu’il ne fallait pas que cela intimide les
enfants, explique Stéphane Demoustier. Nous
tournions des sessions d’une à deux heures, une le
matin et une l’après-midi, et de façon chronolo-
gique. En fonction de l’avancée, j’inventais le scé-
nario.» Il faut savoir être souple, anticiper les éven-
tuelles interdictions d’accès du plan Vigipirate ;
intégrer Pokémon GO, ce jeu-phénomène auquel
les promeneurs s’adonnent à l’arrière-plan…
Difficulté majeure, Cléo et Paul, encadrés par leur
mère qui s’est finalement laissé convaincre, ne
font pas la différence entre réel et fiction. « Avec
eux, refaire une scène est impensable, ils ne sont
que sur la vérité du moment. Je devais donc sans
cesse créer des situations et faire en sorte qu’ils y
croient. » Le réalisateur sort du tournage aussi
épuisé que grisé, sept kilos en moins mais des
centaines de minutes en boîte, dont cinquante-
neuf seront conservées au montage. Un distribu-
teur et une sélection à la Berlinale en février 2018
sont venus depuis aider ce film familial. « Au fond,
Cléo et Paul ont tourné une histoire sans s’en
rendre compte et je leur ai volé ces instants-là, dit
leur père. Mais je suis heureux que l’expérience
leur ait plu et de savoir que je pourrais, quand ils
auront grandi, leur léguer cette œuvre. »
Allons enfants de stéphane demoustier,
(59 min.), avec cléo et paul demoustier, Vimala pons
et anders danielsen lie. en salle le 18 avril.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Année Zéro

Déchiffrage. Penélope Cruz.

59 — Nombre de rôles tenus au cinéma par l’actrice espagnole, dont Escobar, de Fernando León de
Aranoa, en salle mercredi, et Everybody Knows d’Asghar Farhadi, en ouverture du Festival de Cannes
et en salle le 9 mai. 18 — Âge auquel elle tient son premier rôle, dans Jambon, jambon, de Bigas Luna
en 1992, qui connaît un succès mondial. 5 — Nombre de films tournés avec Pedro Almodovar, cinéaste
qui, dit-elle, lui a donné envie de faire du cinéma quand elle était adolescente. 2009 — Année où elle
obtient l’Oscar du second rôle féminin pour Vicky Cristina Barcelona, de Woody Allen.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

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Figurine de Kappa © Mizuki productions - Figure d’ombre - Peinture du fantôme d’Oiwa, signée Ikkyo - Peinture de fantôme, signée Iguchi Kashu (1890 -1930) - « Rival » An upong Chantorn © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain

Le DVD de Samuel Blumenfeld. “Mark Dixon, détective”.
“Je ne m’en SOuVienS PluS” avait
coutume de dire Otto Premin-
ger au sujet de Mark Dixon,
détective (1950). Cette formule,
le réalisateur viennois émigré
aux États-Unis la répétait sans
cesse quand la conversation
portait sur son dernier véritable film noir, venu
clore une exceptionnelle décennie 1940 avec
Laura (1944), Crime passionnel (1945) et Le Mys-
térieux Docteur Korvo (1949). Une époque qui l’a
propulsé parmi les maîtres du genre.
Dans Mark Dixon, détective, une vieille dame est
concierge d’un immeuble à New York. Une nuit,
elle est témoin du départ d’un de ses locataires,
le visage masqué, mais qu’un sparadrap sur la
joue suffit à identifier. Le locataire en question,
est un vétéran de la seconde guerre mondiale lié
à la Mafia, et détenteur de plusieurs informations
permettant de confondre un meurtrier. Un flic,
connu pour sa violence et ses pulsions incontrô-
lées, l’a en réalité tué par accident après un inter-
rogatoire trop musclé. Et le policier a endossé le
costume, mis le chapeau puis collé le fameux
Avec Gene
Tierney (à
gauche) et Dana
Andrews, deux
acteurs fétiches
d’Otto Preminger.
M Le magazine du Monde — 14 avril 2018
166
sparadrap pour se faire passer pour le locataire.
La concierge, lucide mais endormie, est victime
de l’illusion : une métaphore du spectateur.
Otto Preminger, héritier
de l’expressionnisme
allemand, cherchait
à placer le public dans
un état second. “Mark
Dixon, détective”,
emprisonné dans la nuit
noire de Manhattan,
où l’architecture rend
claustrophobe, a tout
d’un cauchemar éveillé.
Preminger avait passé les années 1940 à se démar-
quer de Laura, film emblématique qui l’avait pro-
jeté au firmament hollywoodien. Pour ce film, il
reprend néanmoins la même distribution : Dana
Andrews, dans le rôle du flic esclave de sa force, et
Gene Tierney, dans celui de la femme de l’homme
qu’il a tué et dont il va tomber amoureux. Le réali-
sateur s’est aussi entouré de la même équipe
technique : son directeur de la photo Joseph
LaShelle, son monteur, Louis Loeffler, et son direc-
teur artistique, Lyle Wheeler.
Laura se concentrait sur des personnages soli-
taires qui, contre toute attente, le resteront. Mark
Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. C.W. Maupin/20th Century Fox
Dixon détective met en scène une dynamique
inverse, avec des personnages parvenant, à leur
plus grande surprise, à vaincre leur solitude.
Si Otto Preminger a voulu « oublier » ce film à la fin
de sa vie, il y aura pourtant mis tout son génie.
D’un film noir, à l’intrigue convenue, il réalise une
tragédie sur l’ambivalence absolue de la nature
humaine, ancrée dans une zone grise. Une com-
plexité qui rend la vision de ce film inépuisable.
Mark Dixon, détective (1 h 35), d’Otto Preminger, est
édité, dans un coffret DVD et Blu-ray, par Wild Side.
Pages coordonnées par Clément Ghys,
avec émilie Grangeray
S
i au début était le verbe, aujourd’hui il y a surtout le nombre.
Une montagne de nombres, de statistiques et de pourcentages. Ils ra-
content la montée des océans et les déchets qui n’en sont plus, la soli-
tude qui s’accroît et le silence qui décroît, les robots qui se multiplient et les
classes ouvrières qui s’étiolent. Ici et là, Kant et Baudrillard, Nietzsche et
Montaigne apportent leur grain de sel, et derrière le brouillard des nombres
se dévoile notre monde.
SVEN ORTOLI

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 168

Mots croisés g r i l l e n o 343 Sudoku n o 343 - difficile

PhiliPPe duPuis yan georget

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Compléter toute
I la grille avec des
chiffres allant de 1
à 9. Chacun ne doit
II être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
III par colonne et par
carré de neuf cases.

IV

VI

Solution de la grille
VII précédente

VIII

IX

X
Bridge n o 343
Fédération Française de bridge

XI

XII

XIII

XIV

XV

Horizontalement I Courroies de transmissions. Courroies de transmission. II Empereur

romain devenu extravagant chez nous. Saisi vivement. III Renouvellerait sa demande. Son
respect évite de mauvaises rencontres. IV Du jaune dans les jachères. Moscou et ses satellites.
Aurait porté Clovis sur les fonts. En reste. V Bouffon de la comédie vénitienne. Berceau de
Moïse. Cochonne sauvage. VI Canapés au dossier enveloppant. Pour se loger en sol mineur.
VII Négation. Lancé au hasard. Font travailler leurs neurones. VIII Pour de beaux sols en terre
cuite.Article. IX Paisibles conductrices. Homologuai après vérification. X Descendant de Jacob.
Fait le pied de grue. XI Fausse les victoires. Assure un bon maintien. Grande voie. XII Note.
Te fais entendre comme un Tyrolien. Truc en plumes. XIII À la proue du navire. Personnel.
Grand-père. XIV De Pokhara et de Katmandou. Haute en forêt. XV Leurs mains sont bala-
deuses, leurs comptes et leurs écrits douteux.
Verticalement 1 Pas bien à sa place ici. 2 Grandeur et noblesse. Fausser le jeu. 3 Fixent
solidement. Cultivent le riz et le pavot en Asie. Pointe au sommet. 4 Peuple du Nigeria. Char-
gées de senteurs marines. Protège la couche. 5 N’est parfois qu’un bout de ficelle. Prise en
mesure.Vague en tribune. 6 Renforcera. Mît des limites. 7 Grand barrage dans l’État de Bolívar.
Contestes. Tête de poulet. Harcelée par un taon. 8 Ouvre l’espace aux Européens. Crêpes du
Vietnam. Couvert d’un tapis vert. 9 Colora comme un arc. Pris en religion. 10 Station du
Morbihan. Terre de construction. Tiennent sur le fil. 11 En armes. Dessus de lits. Premier roi
des Hébreux. 12 La cinquième chez les Grecs. Trois. Le feu aux organes. 13 Pianiste français.
Philosophe américaine venue d’Allemagne. Le vieux cherche toujours à plaire. 14 Lente usure.
Préparer le chanvre. 15 Vous entraînent du côté de l’étoile polaire.

Solution de la grille no 342

Horizontalement I Bouliers. Doigts. II Outillé. Ferrure. III Urinai. Ma. Vêler. IV Talentueuse. DST. V Olé.
Gélinotte.VI Ni.Bistrés.Anis.VII Séoul.Ion.NS.VIII PNB.Acadien.Été.IX Léna.Eus.Pneu.X Épinglent.Alors.
XI Sage. MST.Agitée. XII. Sierras. Rire. XIII Il.Véronèse. Ise. XIV Olten. Ria. Gager. XV Nécromanciennes.
Verticalement 1 Boutons-pression. 2 Ouralien. Paille. 3 Utile. Obligé. Tc. 4 Line. Bu. Énerver. 5 Ilang-ilang.
Reno. 6 Élites. Calmar. 7 Ré. Ultra. Essora. 8 Meir. Dent. Nin. 9 Faune. IUT. Réac. 10 Dé. Sosies. Aïs. 11 Orvet.
On.Agrégé. 12 Ire.Tan. Plié.An. 13 Gulden. Enot (note). IGN. 14 Très. Intéressée. 15 Sertisseuse. Ers.

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

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2018 marque les 50 ans de la lampe Cobra, dessinée en 1968 par
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est reconnue d’utilité publique et partenaire complé- Un design intemporel que la MARTI-
mentaire de l’Éducation Nationale. L’année dernière, NELLI LUCE a décidé de célébrer
plus de 4 400 jeunes ont bénéficié de 22 600 cours tout au long de cette année, tout d’abord
grâce à une équipe de près de 500 enseignants béné- avec une nouvelle couleur rouge laque
voles qualifiés, dans une quarantaine d’hôpitaux en qui entre au catalogue à côté des ver-
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Dans le cadre de sa politique de valorisation des arts du feu, la le FLORE
VILLE DE LIMOGES s’est portée candidate, en juin dernier,
au réseau international des Villes créatives de l’Unesco. De- Le sac Flore est un essentiel de la collection Printemps-Été 2018
puis le 31 octobre 2017, elle a offi- et devient un intemporel de la maison TARA JARMON. Imaginé
ciellement décroché ce label mon- et dessiné dans les ateliers au cœur de Paris, le Flore se réinven-
dial. La reconnaissance apportée tera chaque saison par un
par cette désignation distingue jeu de couleurs, d’impri-
non seulement l’excellence de més et de matières, twisté
l’écosystème local qui s’est crée par un fermoir bijou.
autour des arts du feu à Limoges, Doté d’une bandoulière
mais également la pertinence et ajustable, il se porte sur
l’ambition du programme de valo- l’épaule ou croisé. À l’Été
risation proposé par la Ville. Ce 2018 le Flore se décline
nouveau label marque le point de en trois coloris : noir, rose
départ d’une politique de valorisa- pâle et en duo émeraude
tion des arts du feu. Plus d’infor- & marine.
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 170

Le dessin de
Mathieu Lehanneur.
Le designer est fasciné par ce dessin du premier escaLier mécanique
datant du XiXe siècLe. ce croquis est à La fois un modèLe et un guide pour
ce créateur parisien, qui a notamment scuLpté, dans des bLocs de marbre,
des formes imitant Les mouvements de L’eau pour sa série “ocean memories”.
propos recueillis par Marie Godfrain

Je nourris une fascination de longue développer ce premier escalier mécanique. à voir

date pour les escaliers mécaniques,
que je trouve éminemment poétiques et
paradoxalement très fonctionnels. J’aime
cette synthèse entre la mécanique de
pointe et le surréalisme. C’est quand même
incroyable que quelqu’un ait eu un jour
l’idée de partir d’un escalier, l’un des objets
les plus statiques qui soient, et de le mettre
en mouvement. Il faut avoir l’esprit au
mieux audacieux, au pire dérangé… Une
machine à monter, c’est un concept encore
plus dingue que la voiture volante !
L’escalier roulant a révolutionné l’architec-
ture, dans le monde du commerce en
particulier, qui en fait un usage immodéré.
J’ai découvert que le tout premier modèle
a été conçu en 1896 pour le parc d’attrac-
tions de Coney Island, c’était un accessoire
de fête foraine, on s’asseyait à califourchon
sur la rampe. C’est ce schéma qui a
permis de déposer le brevet pour, ensuite,
Depuis que je l’ai découvert, j’ai encadré “ocean
son fac-similé chez moi tant j’admire sa memories”,
carpenters
force plastique. J’aime son ambiguïté Workshop
gaLLery, 54, rue
– un Topor avant l’heure. de La verrerie,
Beaucoup de choses ont été testées à paris 4 e .
Jusqu’au 23 Juin.
Coney Island avant d’intégrer le quotidien
de la ville du xxe siècle. L’architecte Rem
Koolhaas a d’ailleurs consacré un livre aux
objets festifs, dans lequel il explique com-
ment la société de divertissement a irrigué
l’urbanisme. Ce croquis m’a sauvé lorsque
j’ai passé le concours de l’École nationale
supérieure de création industrielle (Ensci).
Quand le jury m’a demandé le nom de mon
designer préféré, j’y ai tout de suite pensé
et je m’en suis sorti en citant « l’inventeur de
l’escalier roulant de Coney Island ». J’adore-
rais en dessiner un en version colimaçon,
pour associer à mon tour mécanique,
beauté sculpturale et mise en
mouvement.
Mathieu Lehanneur

M Le magazine du Monde — 14 avril 2018

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SNCF : une santé financière
plus précaire qu’annoncé
▶ Emmanuel Macron a
déclaré, jeudi, qu’une partie
de la dette de 54 milliards
d’euros de la compagnie
serait reprise par l’Etat
EPR de Flamanville : l’Autorité de
sûreté nucléaire sévère sur EDF
L’ASN met en avant un défaut de surveillance de l’électricien P A GE 5
A l’EPR de Flamanville, en novembre 2016. BENOIT TESSIER/REUTERS
ENTREPRISES | CHRONIQUE PAR DOMINIQUE MÉDA
De la démocratie au travail
L e rapport « Entreprise et
intérêt général », remis le
9 mars par Nicole Notat et
Jean-Dominique Senard, pro-
pose notamment de renforcer la
codétermination – la participa-
tion des salariés aux instances
dirigeantes de l’entreprise. Au
niveau proposé, elle ne permet-
tra certes pas aux salariés fran-
çais de donner de la voix autant
que leurs homologues suédois
ou allemands. Mais cette propo-
sition rend audible dans le débat
public l’idée que l’entreprise est
une entité politique.
Dans le livre qu’elle vient de
faire paraître (Firms as Political
Entities. Saving Democracy
through Economic Bicameralism,
Cambridge University Press, 2017,
non traduit), la sociologue et poli-
tiste belge Isabelle Ferreras fait de
cette idée le cœur de sa réflexion
et en déduit que le gouverne-
ment d’entreprise devrait en
toute logique résulter de l’élec-
tion par deux « chambres » –
l’une représentant les apporteurs
en capital, l’autre les apporteurs
en travail –, ce gouvernement de-
vant recueillir la majorité dans
chacune d’elles.
Cahier du « Monde » No 22785 daté Samedi 14 avril 2018 - Ne peut être vendu séparément
▶ Entre les engagements
hors bilan et des prévisions
de recettes sur les péages
trop optimistes, l’endette-
ment serait bien supérieur
Cette proposition s’inscrit dans
un courant d’idées représenté par
le politiste américain Robert Dahl,
qui, en 1985, en pleine période de
dérégulation et de théorie de la
valeur pour l’actionnaire, justi-
fiait de manière philosophique,
dans A Preface to Economic Demo-
cracy (University of California
Press), la démocratisation de l’en-
treprise et de l’économie.
Fables néoclassiques
Repartant des mêmes prémisses
que Jean Jaurès dans son discours
de 1893 – « Au moment même où le
salarié est souverain dans l’ordre
politique, il est dans l’ordre écono-
mique réduit à une sorte de ser-
vage » –, Dahl rappelait, un siècle
plus tard, qu’alors même que la
démocratie est la règle dans l’Etat,
l’autoritarisme prévaut dans l’éco-
nomie, la plupart des salariés se
trouvant sous l’autorité de mana-
geurs qu’ils n’ont pas élus et de
règles sur la conception desquel-
les ils n’ont pas été consultés.
S’appuyant sur le parallèle
citoyen-salarié, Dahl ne voyait
qu’un unique moyen pour sortir
de la contradiction entre notre
idéal démocratique et la réalité de
COUP D’ÉTAT À LA TÊTE
DU GÉANT DE WOLFSBURG
▶ Le député Charles de Cour-
son estime à 43 milliards
la dette à reprendre pour
passer en société anonyme
PAGE 3
COMMERCE
TRUMP TENTÉ
DE REVENIR DANS
LE PARTENARIAT
TRANSPACIFIQUE
Un an après son désengage-
ment de l’accord de libre-
échange transpacifique,
le président américain
souhaiterait le rejoindre,
sous condition
PAGE 5
MÉDIAS
SIBYLE VEIL,
PRÉSIDENTE
DE RADIO FRANCE
Jusqu’ici directrice déléguée
de la « maison ronde »
chargée des opérations
et des finances, elle succède
à Mathieu Gallet
PAGE 8
la soumission quotidienne au tra-
vail : que les salariés participent à
la confection des règles.
La thèse d’Isabelle Ferreras se
nourrit également des travaux
Isabelle Ferreras boucle enfin
son raisonnement par l’analyse
du rapport des salariés avec leur
travail. Depuis son premier livre,
issu d’une observation longue du
de juristes français, notamment travail de caissières, la chercheuse
ceux de Jean-Philippe Robé, qui soutient que le travail est princi-
rappelle depuis des années qu’il palement une expression de soi,
existe une différence fonda- et que les salariés revendiquent
mentale entre « entreprise » et d’être traités au travail comme
« société » et que les actionnaires dans tout espace public, de ma-
ne sont pas les propriétaires de nière égale et avec une égale pré-
l’entreprise, mais seulement de tention à participer à la détermi-
leurs actions. nation des règles. De privé, l’es-
Dès lors, l’idée que l’entreprise pace de travail est devenu public ;
ne serait destinée qu’à faire du les attentes de justice et de parti-
profit ou que les dirigeants cipation y sont immenses.
auraient pour seul objectif d’ac- La résistance à ces idées est
croître la valeur pour l’action- intense. Lorsqu’il indique que le
naire, dont ils seraient les manda- rapport Notat-Senard « marque
taires, est non seulement inepte, une étape importante dans le com-
mais surtout complètement bat mené par différents courants
fausse. Elle est, selon Robé, le de pensée contre le capitalisme », le
résultat des fables élaborées par candidat à la présidence du Medef
les économistes néoclassiques
– notamment Milton Friedman,
Jean-Charles Simon en donne une
parfaite illustration. p
qui avait popularisé ces idées
dans un fameux article du New Dominique Méda est
York Times en 1970 (« The Social professeure de sociologie
Responsibility of Business is to et directrice de l’Institut
Increase its Profits ») –, évidem- de recherche interdisciplinaire
ment reprises avec joie par une en sciences sociales (Irisso)
partie du monde économique. de l’université Paris-Dauphine-PSL
PERTES & PROFITS |
VOLKSWAGEN
Matthias Müller n’aura fait
qu’un intérim de deux ans et
demi à la tête du groupe Volk-
swagen (VW), le temps de le
sortir du « dieselgate », le scan-
dale des moteurs diesel tru-
qués, qui lui a déjà coûté
25 milliards d’euros, et de le
propulser à nouveau en tête
de la course à la première
place des constructeurs auto-
mobiles, avec des résultats his-
toriques en 2017. Le conseil de
surveillance a annoncé, jeudi
12 avril, que l’empire aux
douze marques et aux 231 mil-
liards de chiffre d’affaires sera
dirigé par Herbert Diess, pa-
tron de la marque VW.
M. Diess, un Munichois de
59 ans d’abord intéressé par
BMW, n’a pas la réputation
d’un tendre et il n’y est pas allé
par quatre chemins pour con-
vaincre les membres du con-
seil de se débarrasser de M.
Müller. Notamment le minis-
tre-président du land de Basse-
Saxe, berceau du groupe, qui
détient 20 % de VW. Je suis le
mieux armé pour conduire la
réorganisation du groupe et
accélérer son virage vers les
nouvelles mobilités (véhicules
électriques et autonomes), leur
a-t-il dit en substance, tout en
assurant que « le diesel a un
avenir ». Il a, de fait, doublé la
rentabilité de la marque VW,
qui a vendu 6,2 millions de vé-
hicules en 2017.
Le groupe est engagé dans
une transformation sans pré-
cédent depuis Ferdinand
Piëch, petit-fils de Ferdinand
Porsche, concepteur de la Coc-
cinelle (1938), qui avait déve-
loppé le conglomérat en accu-
mulant les marques (Audi,
Porsche, Skoda, Seat, Man, Sca-
nia, Bentley…). M. Diess devra
poursuivre la réorganisation
des activités, regrouper les
marques en trois pôles, point
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de son prédécesseur : « Vo-
lume » (VW, Skoda, Seat), « Pre-
mium » et « Super Premium ».
Elles seront respectivement
pilotées par M. Diess et les pa-
trons d’Audi, Rupert Stadler, et
de Porsche, Oliver Blume.
« Anti-social »
A Wolfsburg, on se demande
si les méthodes expéditives de
l’ère Piëch puis de son succes-
seur Martin Winterkorn ne
sont pas de retour. En 2016,
lors des négociations sur le
plan d’économies de VW, le
patron de son puissant comité
d’entreprise (CE), Bernd Oster-
loh, accusait M. Diess d’« agir
de manière profondément an-
ti-sociale » et de « manquer à
sa parole ». Mais c’est sans
doute lui qui, ces derniers
jours, a pesé pour convaincre
M. Diess de nommer son bras
droit, Gunnar Kilian, à la direc-
tion des ressources humaines,
un poste stratégique dans une
multinationale employant
aux 642 000 salariés.
Etrange situation ! Ancien
homme influent du syndicat
IG Metall et nouveau DRH du
groupe, M. Kilian va devoir né-
gocier avec M. Osterloh, son
ancien patron au sein du CE,
un plan de suppression de
30 000 emplois et de 3,7 mil-
liards d’économies. Le pre-
mier sera du côté des diri-
geants, le second du côté des
salariés. Ce n’est là qu’une des
nombreuses surprises – cer-
tains parlent de « dérives » – de
la cogestion à l’allemande.
Mais l’un des prédécesseurs
de M. Kilian, Peter Hartz,
n’avait-il pas été le grand maî-
tre d’œuvre des réformes so-
ciales du chancelier allemand
Gerhard Schröder au début
des années 2000 ? p
jean-michel bezat
2 | plein cadre
Quand les acteurs publics
monétisent leur image
O
n arrive même à vendre du
thé Ville de Paris aux Anglais
qui prennent l’Eurostar à la
gare du Nord… », s’amuse
Gildas Robert. Une petite
victoire pour le responsable
du département marketing et communica-
tion des marques à la Mairie de Paris. Celle
d’avoir mené à bien depuis 2013 au sein de
l’Hôtel de Ville une activité plus commer-
ciale que d’utilité publique : monétiser
l’image de la capitale en créant des licences
de marques et des produits.
Rien à voir avec les miniatures de la tour
Eiffel et autres babioles vendues dans les
boutiques touristiques. Parmi les 239 pro-
duits développés depuis avril 2013 et com-
mercialisés dans 1 500 points de vente, y
compris à l’étranger et dans la boutique
« Paris Rendez-vous » de l’Hôtel de Ville, on
retrouve des livres, de l’épicerie fine avec les
Comptoirs Richard, de la papeterie et des arts
de la table. Le tout commercialisé sous
quatre marques déposées : Ville de Paris,
Vélib’, P’tit Vélib’ et Raconte-moi Paris.
Chacune ayant son propre logo et sa charte
graphique, elles sont volontairement posi-
tionnées sur un créneau haut de gamme
pour symboliser l’art de vivre à la française.
Parmi les best sellers : le mug Vélib’, des cho-
colats et une boîte en métal laqué remplie de
friandises estampillées Ville de Paris. Aussi
bien vendus aux touristes étrangers qu’aux
Parisiens eux-mêmes, d’après M. Robert.
INSPIRÉ D’EXEMPLES ÉTRANGERS
Les marques Vélib’et Ville de Paris ont rap-
porté 8,6 millions d’euros de ventes hors taxes
entre 2013 et 2017, dont 3,6 millions d’euros
sur la seule année 2017. Vélib’ totalise, à elle
seule, 481 063 produits écoulés, pour 3,3 mil-
lions d’euros depuis fin 2013. « Les ventes de la
marque Vélib’, qui symbolise surtout l’am-
biance du vélo à Paris, ont même augmenté de
13 % en 2017 alors qu’on parle partout du service
qui ne fonctionne pas », constate M. Robert.
A l’Hôtel de Ville, on ne cache pas s’être ins-
piré d’exemples étrangers, comme le pro-
gramme de licences de la ville de New York
avec ses marques NYPD, NYC… ou encore la
société de transport de Londres, avec son logo
Underground entouré d’un cercle rouge.
En 2015, la défense italienne, qui possède des
boutiques à ses marques, comme Aeronau-
Des thés estampillés Ville de Paris, des mugs Vélib’…
la Mairie de la capitale a créé une flopée de produits dérivés
pour arrondir ses fins de mois. L’initiative fait des émules.
Les Champs-Elysées ou la Côte d’Azur se lancent
dans ce business
tica Militare ou Marina Militare, a réalisé
63 millions d’euros de vente de produits sous
licence, l’armée américaine, 92,5 millions
d’euros, et le Victoria and Albert Museum,
92 millions, constate M. Robert.
L’exemple de Paris devrait faire des émules
auprès des collectivités locales françaises,
pour des raisons pécuniaires, bien sûr, mais
aussi pour éviter d’être dépossédé de son ap-
pellation par des entreprises privées, comme
ce fut le cas pour Laguiole. Le village avey-
ronnais a dû s’engager dans une procédure
judiciaire qui a duré plusieurs années pour « UNE VINGTAINE
pouvoir récupérer l’usage de son nom. Il
avait été déposé en 1993 par un habitant du
D’ENTREPRISES
Val-de-Marne, qu’il apposait sur de la coutel- FABRIQUENT
lerie importée, du linge de maison, des vête-
ments, des briquets, des barbecues… La Forge LES PRODUITS POUR
de Laguiole, qui avait relancé la fabrication
du célèbre couteau en 1987, ne pouvait, elle,
LE COMPTE DE
plus vendre de produits sans être poursuivie LA MAIRIE DE PARIS,
pour contrefaçon. Ce n’est qu’en 2017 que la
justice européenne a définitivement annulé UNIQUEMENT
la marque « Laguiole » de l’entrepreneur du
Val-de-Marne pour la vente de couteaux, DES SOCIÉTÉS
mais pas pour d’autres produits. FRANÇAISES »
Depuis la loi du 17 mars 2014 relative à la
consommation, dite loi Hamon, les collecti- GILDAS ROBERT
vités qui le demandent peuvent être alertées département marketing
par l’Institut national de la propriété indus- des marques
trielle (INPI) dès lors qu’une demande d’en- à la Mairie de Paris
registrement de marque contenant leur
nom est déposée afin de s’opposer à un tel
enregistrement portant atteinte à leur nom,
à leur image, à leur renommée.
D’autres acteurs publics se sont fait les
mêmes réflexions. Comme le Comité des
Champs-Elysées, qui gère l’image de la célè-
bre avenue, mécontent de voir une grande
marque de chocolats en exploiter le nom
« sans se préoccuper des intérêts et du déve-
loppement de l’avenue », s’agace Edouard
Lefebvre, secrétaire général du comité.
Après huit ans de travail « pour analyser ce
que représentent les marques, construire leurs
attributs, évaluer leur capacité économi-
que… », cette association, montée en 1916, a
créé deux marques : « Avenue des Champs-
Elysées » et « Illuminations Champs-Ely-
sées ». Une vingtaine de produits devraient,
au second semestre, trôner dans les rayons
des commerces du quartier des Champs-Ely-
sées ainsi que dans une centaine de points de
vente à travers le monde.
« UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE »
Le département des Vosges étudie également
cette possibilité. En région PACA, le Comité ré-
gional du tourisme (CRT) de la Côte d’Azur a
prévu de dévoiler, le 24 avril à Paris, sa pre-
mière collection de produits « Côte d’Azur
France », produits en France, et « By Côte
d’Azur », fabriqués à l’étranger. Cent quarante-
deux articles seront créés par treize entrepri-
ses, dont neuf localement : de l’huile d’olive de
l’Huilerie St Michel – une entreprise familiale
depuis 1896 située à Menton –, des espadrilles
de l’entreprise niçoise 1789 Cala, du parfum
du grassois Fragonard, des confiseries de l’en-
treprise historique des Alpes-Maritimes Flo-
rian… jusqu’à un scooter électrique du cons-
tructeur français Eccity installé à Grasse.
« Ce sera un peu comme dans l’automobile
avec des séries spéciales », résume David
Lisnard, président du CRT Côte d’Azur France
et maire de Cannes, à l’origine de la démar-
che. « Nous avons lancé l’idée d’une marque
commune en 2015, et puis tout s’est accéléré
après les attentats de Nice, avec des moyens
financiers supplémentaires obtenus notam-
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
ment auprès du département, et une prise de
conscience collective des acteurs de la région
qu’il fallait rebondir, explique-t-il. Les ren-
trées financières serviront à la promotion du
tourisme azuréen. » Les produits en vente
d’ici à la fin de l’année aux Galeries Lafayette
pourront l’être dans des boutiques éphémè-
res et itinérantes, comme le fait l’armée de
l’air lors des meetings de la Patrouille de
France, ou la SNCF, qui, après un site de com-
merce en ligne ouvert en novembre 2017, a
installé un magasin éphémère dans Paris,
pour vendre divers objets et des rééditions
d’affiches et de photos emblématiques du
patrimoine de la compagnie ferroviaire.
Les collectivités restent peu disertes sur les
montants générés par cette nouvelle activité.
« Nous recevons une redevance trimestrielle en
fonction des ventes avec un minimum garanti,
de manière à ce que les partenaires industriels
s’investissent dans le projet. Si les recettes sont
bonnes, nous pourrons faire davantage d’évé-
nements sur les Champs-Elysées, comme la
course de drones », explique M. Lefebvre, tout
en égrenant les projets : une séance de ci-
néma en plein air, une course de chevaux,
une exposition de peinture…
« C’est un nouveau modèle économique et
un outil de valorisation des marques munici-
pales, qui permet aussi d’assurer le rayonne-
ment de la ville », estime Gildas Robert.
D’autant que « l’administration ne dépense
rien, poursuit-il. Elle commercialise la licence
et le licencié assume l’ensemble des risques fi-
nanciers. Le montant des redevances collec-
tées revient dans un pot commun qui vient
abonder le budget municipal. Les élus déci-
dent au Conseil de Paris de ce qu’ils en font
[crèche…] ».
A Paris, on y voit aussi un moyen de soute-
nir l’activité économique en France.
« Aujourd’hui une vingtaine d’entreprises fa-
briquent les produits pour le compte de la
Mairie de Paris, uniquement des sociétés fran-
çaises. Et nous faisons travailler des reven-
deurs, des designers, des livreurs… On a remis
de l’argent dans l’économie », renchérit M. Ro-
bert. Lui est déjà passé à l’étape suivante : la
commercialisation de gammes de produits
auprès des professionnels. Depuis 2015, la
Mairie possède un catalogue à destination
des cafetiers ainsi qu’une offre de plateaux-
repas pour les entreprises. p
cécile prudhomme
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018 économie & entreprise | 3

Tout ce que la SNCF ne dit pas sur sa dette

Capitaux propres négatifs, « dette grise », l’endettement pourrait être beaucoup plus élevé que prévu

L
a dette « sera pour partie 54 milliards d’euros, l’essentiel dette de Réseau, poursuit cet ex-
progressivement reprise, à étant assumé par SNCF Réseau. Or
Sur la LGV Nîmes- pert. Aujourd’hui, aucune banque Répartition déséquilibrée
mesure que ces réformes cette dette – soit 46,6 milliards Montpellier, ne prête à une entreprise d’infras- LA DETTE DE LA SNCF AU 31 DÉCEMBRE 2017, EN MILLIARDS D’EUROS
se font, a déclaré Emma- d’euros liés à la construction et à tructures si sa dette représente
nuel Macron, sur TF1, jeudi l’entretien des voies ferrées – n’est
quatre TGV plus de sept fois sa marge opéra- SNCF MOBILITÉS SNCF RÉSEAU
12 avril. A partir du moment où [la pas soutenable. Elle a encore passent par jour tionnelle. Ce ratio est de 24,5 Opérateur des trains Gestionnaire des rails
SNCF] deviendra une société (…) à coûté 1,2 milliard d’euros de frais aujourd’hui à SNCF Réseau. Un mi-
capitaux publics, elle ne peut pas financiers en 2017. Et elle a aug-
alors que le plan nimum serait de reprendre 33 mil-
porter 50 milliards d’euros de det- menté de 1,7 milliard d’euros en de financement liards d’euros. » Dette 7,9 Dette 46,6
tes. Donc l’Etat va, dès le début, en un an. Elle est par ailleurs incom-
reprendre une partie ». patible avec la future transforma-
s’est fait sur Prévisions optimistes
Ce début d’ouverture n’a pas de tion du groupe ferroviaire en so- trente par jour Pour la SNCF, officiellement, il n’y
quoi arrêter le mouvement des ciétés par actions, votée par l’As- a pas de problème supplémen-
soit 3,6 années
cheminots, qui verraient plutôt semblée nationale, le 10 avril. taire. « Pour une reprise en société de marge opérationnelle soit 24,5 années
dans cette légère concession D’où la mise au point du prési- a pointé un fait passé un peu ina- anonyme, ce qui compte ce sont les de marge opérationnelle
(ainsi que dans la reprise de quel- dent ce jeudi. perçu, pourtant dans les comptes capitaux des comptes sociaux. Or
ques-unes de leurs revendications Et si ce trou était encore plus consolidés du groupe : l’existence ceux-ci s’élèvent aujourd’hui
CAPITAUX PROPRES CHIFFRE D’AFFAIRES
dans le projet de loi) une confir- profond que redouté ? Lors de la de capitaux propres négatifs de à plus de 8 milliards d’euros », ré-
mation que la pression doit être discussion sur le projet de loi ré- 11,9 milliards d’euros. pond-on à la direction du gestion- SNCF Mobilités + 5,3 SNCF Mobilités 31,8
accentuée alors que le cinquième formant le système ferroviaire, La raison : ces dernières années, naire d’infrastructure. La discus- SNCF Réseau – 11,9 SNCF Réseau 6,5
jour de la grève en pointillé a dé- qui s’est achevée jeudi, le député les pertes et les dépréciations sion semble donc être close. Et le
SOURCE : COMPTES SNCF
marré vendredi 13 avril. « Le rap- (Union des démocrates et indé- d’actifs de SNCF Réseau ont gri- montant qui circule depuis quel-
port de force a permis d’entrouvrir pendants) de la Marne, Charles de gnoté le capital social initial ques semaines – autour de 35 mil-
la porte des négociations », estime Courson, a souligné la nécessité (9,8 milliards d’euros) du gestion- liards d’euros d’endettement à re-
Didier Aubert, secrétaire général que l’Etat reprenne « de 36 mil- naire d’infrastructure de plus de prendre – paraît faire consensus. péages liées aux quatre dernières cettes réelles bien au-dessous des
de la CFDT-Cheminots. liards à 43 milliards d’euros de 20 milliards d’euros. Or, des capi- Sauf qu’on oublie aussi peut-être LGV construites en France. Ces prévisions. Sur d’autres lignes, le
C’est connu, la dette de la SNCF dette » avant que SNCF Réseau ne taux propres négatifs sont in- d’autres dettes moins considéra- exagérations évitaient à l’époque veto mis par l’Autorité de régula-
est considérable. Elle dépasse les devienne société anonyme. L’élu compatibles avec la constitution bles mais fort bien cachées. A com- – il y a une dizaine d’années – tion des activités ferroviaires et
d’une société par actions, fût-elle mencer par 1,2 milliard d’euros (au qu’Etat et collectivités locales routières sur certains tarifs de
100 % publique. Cela signifie-t-il bas mot) d’engagements dits hors n’augmentent leurs concours fi- péage a réduit les gains attendus.
Macron veut rouvrir des petites lignes que l’Etat devra remettre le capital bilan, c’est-à-dire n’apparaissant nanciers. Avec des recettes éle- Aucun calcul officiel n’a été fait
à un niveau positif en plus d’une pas dans les comptes officiels de vées, SNCF Réseau était en mesure de ces dérives, d’autant plus pré-
Le rapport Spinetta proposait leur fermeture, le président ima- inévitable reprise de dette ? l’entreprise. Le plus gros est lié au de rembourser des emprunts et occupantes que la dette ainsi
gine les relancer. « Les petites lignes ? L’Etat va aussi les financer », Du côté des syndicats, on estime fait que SNCF Réseau a dû (un peu donc de s’endetter davantage. créée ne peut être remboursée. A
a déclaré, jeudi 12 avril sur TF1, Emmanuel Macron, donnant nécessaire une recapitalisation de contraint et forcé) garantir des Le contournement Nîmes- long terme, elles pourraient coû-
l’exemple de l’Allemagne où la réforme avait, selon lui, redyna- l’ordre de 15 milliards d’euros. « En emprunts de Vinci pour la cons- Montpellier est un exemple par- ter cher. En interne, un chiffre cir-
misé le train de proximité. « Peut-être qu’il faut en ouvrir d’autres théorie, une remise au pot serait truction de la ligne à grande vi- lant de cet exercice de « gon- cule : sur la seule ligne TGV Paris-
pour recréer de la mobilité. (…) Il faut pouvoir, sur notre territoire, nécessaire, répond une source in- tesse (LGV) Tours-Bordeaux. flette ». Sur cette dernière LGV Bordeaux, les cumuls de ce déficit
avoir la meilleure solution pour se déplacer. Les petites lignes ser- terne de la SNCF. Mais le désendet- Et il y a encore plus retors. C’est mise en service en France (c’était caché pourraient être compris
vent à cela. (…) Parce qu’on aura un service public ferroviaire ré- tement promis de SNCF Réseau ce que les experts appellent la en novembre 2017), seulement dans une fourchette allant de
nové, parce que nous prenons des engagements d’investissement, fera mécaniquement revenir les « dette grise ». C’est en fait un en- quatre TGV par jour passent quo- 10 milliards à 15 milliards d’euros
on pourra maintenir toutes celles qui font sens et peut-être en capitaux dans le vert. » dettement à venir dissimulé dans tidiennement, alors que le plan de à un horizon d’une vingtaine
créer d’autres. » M. Macron a rappelé que l’Etat s’apprêtait à in- « Donc le problème n’est pas là. les trajectoires financières exagé- financement s’est fait sur trente d’années. p
vestir dans le rail 10 millions d’euros par jour pendant dix ans. Le vrai sujet, c’est de réduire la rément optimistes du niveau des trains par jour. Résultat : des re- éric béziat

British Airways s’invite au capital

de la compagnie low cost Norwegian « mOnTaiGnE eSt l’iNveNtEur dU rUgBy,
L’opération-éclair pourrait préfigurer une vague de concentration iL A écRit leS eSsAis »
Jonathan, 17 ans, Terminale S

L a nouvelle a sonné comme

un coup de tonnerre dans
un ciel bleu azur. IAG, la
maison mère de British Airways
et Iberia, a annoncé, jeudi 12 avril,
une prise de participation de
4,61 % dans le capital de Norwe-
gian. Un mouvement qui a tout
d’une première étape. Le groupe
britannique a laissé entendre
qu’il pourrait prendre langue avec
les propriétaires de cette compa-
gnie long-courrier à bas coûts.
Avec cette offre de dialogue, IAG
n’écarte donc pas la possibilité
d’une proposition de rachat de la
low cost norvégienne. Pour
l’heure, la holding de tête de Bri-
tish Airways tente de calmer le
jeu. « IAG confirme qu’aucune dis-
cussion en ce sens n’est en cours à
cette date, qu’elle n’a pris aucune
décision en vue de faire une offre à
ce stade et qu’il n’est en rien certain
qu’une telle décision soit prise », a
tenu à préciser un porte-parole.
A l’examen, l’opération éclair
menée par IAG n’est pas une sur-
prise. Les compagnies classiques
comme British Airways, Lufthansa
ou Air France n’ont pas envie de
rééditer l’erreur commise, il y a
plus de vingt-cinq ans, quand les
compagnies moyen-courrier à bas
coûts avaient pris leur envol. A
l’époque, elles n’avaient eu que
mépris pour Ryanair, easyJet et
consorts. Un quart de siècle plus
tard, ces dernières ont capté plus
de 45 % du marché moyen-cour-
rier en Europe.
Cette fois, pas question de se
laisser déborder sur le secteur du
long-courrier low cost, un seg-
ment en plein boom depuis deux
ans. « Il représente déjà 7 % du tra-
fic mondial », observe Marc Ro-
chet, président du pôle aérien du
groupe Dubreuil (Air Caraïbes,
French Bee). Son potentiel est
énorme, principalement sur la
clientèle loisir, qui représente
« 80 % du trafic mondial » et dont
« les low cost long-courrier pour-
raient s’adjuger 40 % », précise
M. Rochet. « La marge de crois-
sance est donc colossale. »
Norwegian a décidé en 2012 de
se lancer dans le long-courrier à
bas coûts. Mais elle a accéléré le
mouvement depuis deux ans, no-
tamment à grand renfort de com-
mandes d’avions. La compagnie
norvégienne opère déjà une flotte
de 152 appareils neufs et elle en
compte 200 autres en comman-
des, principalement des Boeing
787 Dreamliner et Airbus A321LR.
Le dernier-né d’Airbus s’annonce
d’ailleurs déjà comme l’arme fa-
tale de ces nouvelles compagnies
low cost : les coûts d’un moyen-
courrier, avec les capacités d’un
long-courrier. Pour se faire une
place au soleil, Norwegian casse
les prix. Le tarif d’appel pour un
Paris-New York aller-retour dé-
marre à 350 euros. Les compa-
gnies régulières doivent s’aligner,
et rogner sur leurs marges.
Toutefois, la stratégie de Norwe-
gian exige des investissements
très lourds, en commandes d’avi-
ons comme en embauches. Un ris-
que potentiel pour les finances du
groupe familial HBK Invest, qui,
avec 26,8 % des parts, est le pre-
mier actionnaire de la compagnie.
En 2017, elle a annoncé une perte
de 30,9 millions d’euros, après un
trou de 118 millions d’euros un an
plus tôt. D’ailleurs, elle a dû procé-
der à une augmentation de capital
« Les grandes
manœuvres
commencent »
LAURENT MAGNIN
président du groupe XL
en mars pour financer son déve-
loppement à vitesse rapide. Selon
Marc Laubel, analyste financier
chez AlphaValue, la prise de parti-
cipation suivie d’une éventuelle
acquisition de Norwegian est le si-
gne qu’IAG « veut se développer ra-
pidement sur le secteur du low cost
long-courrier ».
« Accélération monumentale »
En rachetant la compagnie norvé-
gienne, IAG « acquerrait avions et
parts rapidement sur ce segment »
très porteur, ajoute l’analyste
d’AlphaValue. Car « il n’y aura pas
de la place pour tout le monde »,
explique Marc Rochet, qui prévoit
« trois ou quatre gros opérateurs
low cost long-courrier basés en
Europe ». Surtout, la holding bri-
tannique « a les capacités d’inves-
tir, contrairement à Air France »
déplore-t-il. Norwegian serait
valorisée moins de 3 milliards
d’euros : juste « une année de résul-
tat de IAG ».
L’initiative d’IAG va affecter tout
le secteur aérien. « Elle va donner
une accélération monumentale à ÉDITION 2018
la concentration dans le ciel euro-
péen. Les grandes manœuvres
commencent », analyse Laurent
Magnin, président du groupe XL
(XL Airways, La Compagnie). La
France ne sera pas épargnée : « le
LE MONDE VOUS DONNE TOUTES LES CLÉS
mouvement de concentration va
toucher tout le monde dans les POUR DÉCROCHER LA MENTION
douze mois à venir », ajoute M. Ma- Les sujets détaillés + Les articles du Monde +
gnin. Les petites compagnies fran- Un cahier de 16 pages pour tester ses connaissances
çaises, telles Aigle Azur, Air Caraï-
Philosophie - Français - Mathématiques - Histoire - Géographie - Anglais
bes, Corsair ou XL Airways, de-
vraient se lancer dans une course à
En coédition avec
« la taille critique », dit-il. Mais En partenariat avec
comment « engager la fameuse
concentration dans le ciel français
avec des acteurs qui n’ont pas les
mêmes performances commercia-
les et économiques ? », s’interroge CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
M. Rochet. p
guy dutheil
4 | économie & entreprise
CON J ON CT U R E
L’excédent commercial
de la Chine avec les
Etats-Unis a bondi
Au cœur de frictions entre Pé-
kin et Washington, l’excédent
commercial de la Chine avec
les Etats-Unis a bondi de
19,4 % sur un an au premier
L
trimestre, à 58,2 milliards de
dollars (47,2 milliards d’euros),
ont indiqué vendredi 13 avril
les douanes chinoises. Sur les
trois premiers mois de 2018,
les exportations du géant
asiatique vers les Etats-Unis,
deuxième partenaire com-
mercial du pays après l’Union
européenne, se sont accrues
de 14,8 %, tandis que les im-
portations chinoises de pro-
duits américains ne progres-
saient que de 8,9 %. – (AFP.)
L’emploi à domicile
a terminé l’année 2017
en hausse
L’emploi à domicile a pro-
gressé de 0,3 % au quatrième
trimestre 2017, a annoncé
l’organisme collecteur des
cotisations de Sécurité sociale
(Acoss) vendredi 13 avril.
Cette hausse est due au dyna-
misme du secteur de la garde
d’enfant. – (AFP.)
F I N AN C E
Un nouveau directeur
général au London Stock
Exchange
Vendredi 13 avril, l’opérateur
boursier London Stock Ex-
change (LSE) a annoncé la no-
mination de David Schwim-
mer, qui a passé l’essentiel de
sa carrière chez Goldman
Sachs, au poste de directeur
général. Il prendra ses fonc-
tions en août. Le LSE cherchait
un nouveau patron depuis le
départ fin novembre 2017 de
Xavier Rolet. – (AFP.)
L’HISTOIRE
AMÉRIQUES
De l’Alaska à la Terre de Feu, de la préhistoire à aujourd’hui, de Toronto à
Ushuaia, l’épopée de ce continent est fascinante et bouleversante. Marquées
par le faste des civilisations précolombiennes, la colonisation européenne,
l’esclavage, la discrimination raciale, les Amériques c’est aussi, le tango, le
cinéma, le jazz ou les chefs-d’œuvre de la littérature sud-américaine : un
insatiable esprit de liberté et de conquête.
Une invitation inédite à explorer, avec les meilleurs spécialistes, les
lointains et nouveaux méandres de l’éternel « rêve » américain.
La défense embauche à tour de bras
Les carnets de commandes des industriels sont en hausse, et les effectifs sont vieillissants
a filière aéronautique
s’étoffe, comme en témoi-
gnent les 190 000 em-
plois recensés à fin 2017
(12 000 recrutements l’an dernier,
autant de prévus en 2018), selon
les chiffres publiés, jeudi 12 avril,
par le Groupement des industries
françaises aéronautiques et spa-
tiales (Gifas). Mais pas seulement.
Depuis trois ans, les industriels
de l’armement ont ouvert les van-
nes des recrutements. Et la com-
pétition est rude, dans un univers
marqué par une pénurie crois-
sante d’ingénieurs, de techniciens
ou de compagnons. « La guerre
des talents s’exacerbe cette an-
née », reconnaît Corinne Michiels,
responsable du recrutement chez
le missilier MBDA en France.
En 2018, le groupe d’électroni-
que Thales (65 000 salariés) vise
plus de 5 000 recrutements, dont
2 000 en France. Le constructeur
de bateaux Naval Group
(13 400 employés) table sur
1 000 embauches. « En France,
nous prévoyons de 460 à 480 re-
crutements, sur un effectif de 4 700
à fin 2017. C’est considérable pour
nous », témoigne Philippe Ba-
rillot, DRH France de MBDA.
Quant au spécialiste de l’arme-
ment terrestre Nexter (3 450 col-
laborateurs), désireux, en début
d’année, d’intégrer 400 CDI, il
vise déjà plus haut. « Notre cible
est désormais de 580 CDI cette an-
née, contre 340 recrutements
en 2017 et 182 en 2016. Nous renou-
velons un tiers de nos effectifs »,
explique Jean-Christophe Benetti,
DRH de Nexter.
HORSSÉRIE
DES
L’HISTOIRE DES AMÉRIQUES
Un hors-série
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Plusieurs phénomènes expli- la défense reste une industrie pas
quent cet appel d’air. Faute d’avoir comme les autres. « [Au-delà du
embauché durant une décennie fait qu’il est déconseillé aux em-
de crise, l’industrie de la défense ployés du secteur de raconter leur
doit remplacer des effectifs vieillis- vie sur Facebook], nous n’avons
sants. En parallèle, les Dassault, pas le droit de publier nos recher-
MBDA ou Naval Group doivent ré- ches pour des raisons de confiden-
pondre à l’augmentation de leurs tialité. Certains de mes camarades
carnets de commandes, que ce soit ne le supportent pas », relate un
pour le marché intérieur ou jeune hackeur éthique employé
l’export. Comme toute l’industrie, chez Thales.
enfin, ces groupes cherchent à atti- Ensuite, tout le monde n’a pas
rer de nouvelles compétences. envie de travailler pour des « mar-
chands de canons ». « Nous pen-
Ce « n’est plus un sujet tabou » sons que Google ne devrait pas être
Analystes de données, experts en dans le business de la guerre »,
robotique, cybersécurité… ou fem- plaide une pétition signée, début
mes ingénieures en général, cer- avril, par plus de 3 000 des 70 000
tains CV s’arrachent. « Un jeune in- employés du géant californien,
génieur sortant d’école avec une ex- pour dénoncer des accords passés
pertise en cybersécurité demande avec le Pentagone. Les études l’as-
facilement de 40 000 à 45 000 surent : les fameux « millennials »,
euros par an », relate M. Benetti. nés entre 1980 et 2000, veulent
Mais le salaire ne fait pas tout. La « donner du sens » à leur travail et
passion de la technologie non placent l’éthique comme une prio-
plus. Hervé Guillou, le patron de rité pour leur carrière. Est-ce com-
Naval Group, a beau répéter que sa patible avec un CDI chez un fabri-
société est « un rêve d’ingénieurs », cant d’engins létaux ?
Des recrutements « make » in India
Conséquence de la commande de 36 Rafale passée par l’Inde
en 2016, « nous comptons doubler au minimum nos effectifs en Inde
d’ici deux à trois ans en bénéficiant de la qualité des ingénieurs in-
diens », relate Pascale Sourisse, directrice générale chargée de l’in-
ternational chez Thales. Le groupe, dont les systèmes représen-
tent 25 % de la valeur de l’avion de chasse, fait déjà travailler,
directement ou à travers ses sous-traitants, 1 500 salariés dans un
pays où les diplômés sont souvent moins chers qu’en France.
« Nous serons encore plus compétitifs pour exporter à partir d’Inde.
Mais il ne s’agit pas de délocalisation, nous captons de nouveaux
marchés. En outre, les contrats que nous gagnerons auront des re-
tombées positives sur l’emploi en France », insiste la dirigeante.
Le préfet donne son agrément à
la construction du futur siège de Total
Le gratte-ciel The Link, à la Défense, faisait l’objet d’une passe
d’armes entre l’Etat et les élus locaux sur les aménagements urbains
L’ horizon se dégage pour le
futur siège du groupe To-
tal à la Défense. Le préfet
de région, Michel Cadot, a finale-
ment signé mercredi 11 avril l’agré-
ment de The Link, une double tour
à l’architecture innovante que doit
construire Groupama Immobilier
sur la commune de Puteaux
(Hauts-de-Seine) pour accueillir le
nouveau siège du groupe pétrolier
sur 120 000 m2 en 2022. Haut de
244 mètres, The Link doit devenir
le plus haut gratte-ciel de France.
Mais après la décision du préfet,
début janvier, d’« ajourner »
l’agrément de la tour, le dossier
avait pris un tour politique, le pré-
sident (LR) du département,
Patrick Devedjian, devenu entre-
temps également président de
l’établissement public Paris la Dé-
fense, accusant l’Etat de mettre en
péril l’attractivité du quartier
d’affaires. Motif de l’ajourne-
ment : la nécessité de garantir
« un développement urbain équili-
bré » autour de la Défense, en pro-
grammant davantage de loge-
ments sur la commune de Pu-
teaux, comme à Nanterre ou
Courbevoie. Un sujet sensible, au
moment où le quartier d’affaires
bénéficie d’un dynamisme éco-
nomique retrouvé. « C’est absurde
de considérer les constructions de
logements à l’échelle d’une seule
commune, il faut regarder tout le
bassin », plaide M. Devedjian.
« Je n’ai jamais eu l’intention de
faire de chantage à l’agrément, as-
sure aujourd’hui le préfet Cadot,
mais la discussion avec la maire de
Puteaux sur les logements ne pro-
gressait pas, pas plus que le réamé-
- 188 pages - 12 € nagement de la gare de métro, to-
talement saturée. » Le préfet a
donc voulu envoyer un « signal » :
« L’Etat ne peut pas laisser cons-
truire des centaines de milliers de
« La guerre
des talents
s’exacerbe
cette année »
CORINNE MICHIELS
responsable du recrutement
chez MBDA
« Les difficultés de recrutement
ponctuelles que nous pouvons ren-
contrer ici ou là n’ont rien à voir
avec la nature de nos missions, ré-
torque David Tournadre, directeur
général ressources humaines de
Thales, nous recevons 400 000 CV
par an. Beaucoup de salariés trou-
vent qu’il y a plus de sens et d’inté-
rêt à sécuriser le trafic aérien, à ré-
volutionner la gestion des drones
ou à contribuer à défendre une na-
tion, qu’à optimiser des données
pour pousser de la publicité. »
Alors que le groupe réalise envi-
ron la moitié de son chiffre d’af-
faires en dehors de la défense,
« certains salariés [leur] ont fait sa-
voir qu’ils souhaitaient évoluer
uniquement dans les activités civi-
les. Mais cela reste rare. La sélec-
tion s’opère avant : le Rafale figure
en évidence sur toutes [leurs] pla-
quettes de recrutement. »
Pour MBDA, dont l’activité est
tournée à 100 % vers la défense, la
question ne se pose plus. « Pen-
dant longtemps, nous avons mis
en avant le fait que nous évoluions
dans une industrie de pointe.
Mais, à partir de 2015, nous avons
décidé de construire une marque
La tour, de
244 mètres, doit
devenir le plus
haut gratte-ciel
de France
mètres carrés de bureaux sans s’as-
surer que les salariés pourront se
loger à proximité et que les infras-
tructures de transport sont adap-
tées. » La procédure de l’agrément,
spécifique à l’Ile-de-France, pré-
voit que le préfet autorise ou non
les grosses opérations d’immobi-
lier tertiaire avant même le dépôt
du permis de construire. « Cela
permet de dialoguer en amont
avec les porteurs du projet, d’attirer
leur attention sur les points sensi-
bles. C’est aussi une manière de sé-
curiser la procédure », explique
M. Cadot.
Sensibilité du contexte politique
Problème : ni Groupama ni Total
ne sont responsables de la politi-
que du logement à Puteaux ou
des aménagements du métro…
« Il est vrai que l’attractivité de la
Défense repose aussi sur un envi-
ronnement favorable, mais c’était
surprenant de voir ce débat public
surgir à l’occasion de l’agrément »,
observe Eric Donnet, le directeur
général de Groupama Immobi-
lier. D’autant qu’une partie des
droits à construire payés par l’in-
vestisseur à l’établissement pu-
blic contribueront à financer la
rénovation de la station de métro
Esplanade de la Défense. « La ré-
flexion se construit aussi avec les
gros opérateurs privés, qui sont
des interlocuteurs des maires et
sont demandeurs de logements et
de transports », justifie M. Cadot.
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018
employeur centrée sur l’idée que
nous sommes le bras industriel de
la défense nationale, explique
Philippe Barillot. Antoine Bouvier,
notre PDG, voulait que nous
soyons clairs sur les valeurs que
cela implique. Certains ne souhai-
tent pas nous rejoindre, et c’est un
choix légitime. Et, pour ceux qui
viennent chez nous, c’est une
forme d’engagement. Nos armes
sont utilisées sur des théâtres
d’opérations et nos armées comp-
tent sur nous. »
Son message passe plutôt bien.
« Les attentats de 2015 ont modifié
le rapport aux armées et à l’arme-
ment », souligne un responsable
d’école d’ingénieurs. « La défense
n’est plus un sujet tabou pour les
jeunes. Au contraire, ils s’y intéres-
sent beaucoup », abonde Eric Bar-
rault, qui vient de quitter son
poste de délégué pour l’éducation
à la défense auprès du ministère
de l’éducation nationale.
« Depuis 2015, il y a un net regain
d’intérêt pour les questions de dé-
fense de la part des étudiants de
l’“X” », assure un jeune polytech-
nicien. Pour preuve, le succès de la
réserve nationale formée de vo-
lontaires, qui s’engagent à donner
au moins trente-sept jours par an
« au service de la protection des
Français ». En 2017, 37 % des
71 492 réservistes de la garde na-
tionale avaient moins de 30 ans.
Un vivier potentiel pour les in-
dustriels, mais aussi pour la direc-
tion générale de l’armement, avec
une réserve précieuse… dans la
cybersécurité. p
isabelle chaperon
Surtout, défend le préfet, le délai
imposé à la délivrance de l’agré-
ment « ne remettait pas en cause
le calendrier du projet The Link,
dont le dépôt de permis de cons-
truire n’est pas prévu avant l’été ».
C’était sous-estimer la sensibi-
lité du contexte politique : l’Etat a
rétrocédé le 1er janvier la compé-
tence d’aménagement de la Dé-
fense aux collectivités à travers
un établissement public local uni-
que, un brin susceptible sur ses
prérogatives. Un préfet qui blo-
que la construction d’une tour
dans un quartier d’affaires, qui
plus est au motif de construire du
logement et au détriment du pre-
mier groupe français, l’histoire
était trop belle pour ne pas explo-
ser à la figure de M. Cadot. « C’était
la troisième fois en trois mois que
le préfet refusait ou ajournait un
agrément à la Défense, si je n’avais
rien dit il y aurait eu d’autres cas.
Désormais, il y réfléchira à deux
fois », se félicite M. Devedjian.
L’initiative a néanmoins porté
ses fruits, assure le préfet de ré-
gion : « La maire de Puteaux a lancé
une étude urbaine qui doit être ter-
minée fin avril ; quelques projets de
logements ont avancé sur la com-
mune, et le dossier de la station de
métro est relancé par la RATP. »
L’épisode devait servir d’avertis-
sement à tous les acteurs du terri-
toire, alors que l’immobilier ter-
tiaire est en forte croissance. Les
mises en chantier de bureaux ont
atteint 2,4 millions de mètres car-
rés dans la région en 2017, le dou-
ble de 2015. Mais après la polémi-
que de The Link, le préfet doit
aussi rassurer les milieux écono-
miques. « Nous traitons 250 dos-
siers d’agrément par an contre 150
en 2015, et ils sont approuvés sans
discussion à 85 % », précise-t-il. p
grégoire allix
 économie & entreprise | 5
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

Sous pression, Trump envisage de rejoindre San Francisco se rebelle contre

les trottinettes électriques
le traité de libre-échange transpacifique
Un an après son désengagement du TPP, le président américain pourrait y revenir

new york - correspondant
sait à encercler Pékin. M. Trump
s’est, depuis, lancé dans une atta-
Cette stratégie commerciale
exaspère les fermiers américains
soit individuellement, soit peut-
être en groupe, si c’est l’intérêt de
N oires, orange et vert fluo. En moins d’un mois, les trotti-
nettes électriques ont envahi les rues et les trottoirs de
San Francisco (Californie), notamment dans le Finan-
cial District et dans le quartier de SoMa, où sont implantées de
nombreuses sociétés technologiques. Depuis mi-mars, Bird,
Spin et LimeBike, trois start-up américaines, ont déployé plu-

L’ annonce n’est pas officiel-

le, mais c’est tout comme,
Donald Trump ayant évo-
qué le sujet avec des élus à la Mai-
son Blanche. Un an après avoir dé-
sengagé les Etats-Unis du Parte-
nariat transpacifique (TPP), le pré-
sident américain a expliqué, jeudi
12 avril, avoir demandé à ses colla-
borateurs, le représentant au
commerce, Robert Lighthizer, et
son nouveau conseiller économi-
que, Larry Kudlow, d’examiner s’il
était possible de rejoindre le TPP.
« A nos conditions, bien sûr »,
aurait-il précisé. Cet accord de li-
bre-échange, négocié sous Barack
Obama, n’avait pas pu être ratifié
par le Congrès, faute de majorité.
La candidate démocrate, Hillary
Clinton, s’était déclarée contre.
Donald Trump, qui avait accusé ce
traité d’être « poussé par des inté-
rêts particuliers qui veulent violer
[leur] pays », avait fait de sa sup-
pression un de ses premiers actes
politiques, le 23 janvier 2017.
Isolement
Promesse de campagne qui se
heurte aujourd’hui à la stratégie
de Donald Trump. Vis-à-vis de la
Chine, d’abord. Le texte, signé en
février 2016, rassemblait douze
pays du pourtour pacifique (Etats-
Unis, Canada, Mexique, Chili, Pé-
rou, Australie, Nouvelle-Zélande,
Japon, Singapour, Brunei, Malai-
sie, Vietnam). Il incarnait le pivot
asiatique de Barack Obama et vi-
que tous azimuts contre la Chine,
accusée de violer la propriété in-
tellectuelle américaine. Mais il est
seul dans son offensive, même si
ses griefs sont largement parta-
gés chez les Occidentaux.
Face à cet isolement, revenir
dans le TPP constitue un retour à
la stratégie de l’encerclement de
son prédécesseur. Cité par le
Washington Post, le sénateur du
Nebraska Ben Sasse a résumé la
position des républicains parti-
sans du libre-échange : « La
meilleure manière de repousser les
tricheries de la Chine serait de
prendre la direction des onze
autres pays du Pacifique qui
croient à l’Etat de droit et au libre-
échange », a-t-il jugé. Car le TPP
contenait de nombreuses clauses
favorables aux Etats-Unis et résol-
vait même une partie des griefs
de l’administration Trump contre
l’Accord de libre-échange nord-
américain (Alena) avec le Canada
et le Mexique, en cours de renégo-
ciation. Il introduisait un début
d’exigences sociales pour le Mexi-
que et réduisait les obstacles à
l’industrie automobile.
Les Mexicains et les Canadiens
se défendent farouchement face à
M. Trump. Le Canada a attaqué les
pratiques commerciales américai-
nes devant l’Organisation mon-
diale du commerce (OMC) en jan-
vier et, surtout, rejoint le TPP, que
l’on croyait moribond, mais que le
Japon a fait renaître.
du Midwest, qui ont fait l’élection
de Donald Trump. Or ceux-ci sont
de grands exportateurs, vers le
Canada et le Mexique, mais aussi
la Chine. Ils sont furieux de la po-
litique commerciale de Trump, à
six mois des élections de mi-man-
dat, d’autant que leur revenu, au
plus bas depuis dix ans, devrait
baisser de 6,8 % en 2018, selon le
ministère de l’agriculture. D’une
manière générale, l’offensive sa-
bre au clair de Donald Trump, me-
née à la fois contre la Chine et tous
ses alliés, suscite un tollé dans les
milieux d’affaires et une grande
partie des élus.
« Il devrait rester mort »
Mais un retour dans le TPP provo-
querait la colère des cols-bleus,
comme le montre la déclaration,
sur Twitter, du patron du syndicat
AFL-CIO, Richard Trumka, immé-
diatement après l’annonce de
jeudi : « Le TPP a été tué parce qu’il
trahissait les travailleurs améri-
cains, et il devrait rester mort. » Et
les ouvriers des Etats désindus-
trialisés de la Rust Belt (« ceinture
de rouille ») ont, eux aussi, plébis-
cité Donald Trump en 2016.
Faut-il voir dans la réunion de
jeudi à la Maison Blanche un
changement d’axe politique ma-
jeur ? Nul ne le sait. Donald
Trump avait déjà, par le passé,
lancé quelques perches sur le
TPP : « Nous pourrions envisager
de négocier [avec les pays du TPP]
tous », avait-il dit au Forum éco-
nomique de Davos en janvier. La
moitié des sénateurs républi-
cains lui avaient envoyé une let-
tre cet hiver lui demandant de re-
joindre le TPP.
En réalité, entre les négociations
multilatérales dans le cadre de
l’OMC et des négociations bilaté-
rales, M. Trump préférerait la se-
conde option. Mais il ne peut
s’imposer seul face à la Chine. Il
cherche à former une coalition de
volontaires, comme celle consti-
tuée par George W. Bush pour la
guerre en Afghanistan, puis en
Irak. Le problème, c’est que
M. Trump n’a cessé de maltraiter
ses alliés potentiels…
Les négociations d’accords ré-
gionaux sont des plus compli-
quées. La rumeur avait couru
qu’une annonce de préaccord se-
rait faite sur l’Alena lors de la vi-
site de M. Trump au Pérou la se-
maine prochaine. Mais il n’y aura
pas de voyage, guerre en Syrie
oblige, et visiblement pas d’ac-
cord immédiat. Si la renégocia-
tion de l’Alena était enfin scellée,
elle servirait de référence aux
souhaits des Etats-Unis dans un
TPP renouvelé, croit savoir le Wall
Street Journal. Le sénateur répu-
blicain de l’Arizona Jeff Flake, très
critique de Trump, a trouvé le
mot de la fin (provisoire) : « Si cela
tient jusqu’à cet après-midi, c’est
un bon changement. » p
arnaud leparmentier
sieurs centaines d’exemplaires en libre-service, suscitant la co-
lère d’une partie de la population et des élus locaux. Les trotti-
nettes, qui peuvent atteindre une vitesse de 25 km/h, se louent
par l’intermédiaire d’une application mobile. La location coûte
1 dollar (0,81 euro), puis 15 cents (0,12 euro) par minute. Cette
grille tarifaire doit encourager les courtes distances : à partir de
sept minutes, il est en effet meilleur marché d’opter pour un vélo
électrique en libre-service. Une fois le trajet terminé, il suffit de
laisser la trottinette sur n’importe quel trottoir.
C’est ce qui pose problème. Sur les réseaux sociaux, les messa-
ges se multiplient pour dénoncer des
trottinettes mal garées devant les sor-
LES START-UP « PRÉFÈRENT ties d’immeuble ou de garage, au mi-
lieu du trottoir ou sur des places de par-
DEMANDER PARDON king… Des engins ont même été retrou-
PLUTÔT QUE DE DEMANDER vés dans un lac. Autre problème : de
nombreux utilisateurs circulent sur les
L’AUTORISATION », trottoirs, zigzaguant entre les piétons,
ce qui est interdit. Pour lancer leur ser-
DÉPLORE AARON PESKIN, vice à San Francisco, les trois start-up se
sont par ailleurs engouffrées dans une
CONSEILLER MUNICIPAL brèche du code des transports. « C’est
une vieille tactique de certaines entrepri-
ses high-tech arrogantes, déplore le conseiller municipal Aaron
Peskin. Elles préfèrent demander pardon plutôt que de demander
l’autorisation. » Cette stratégie avait notamment été employée à
leurs débuts par Uber et par son grand rival Lyft. Avec succès.
Cette fois-ci, les autorités semblent déterminées à agir vite.
« Nous ne tolérerons pas des modèles économiques qui entravent
le droit de passage piéton ou qui présentent un risque pour la sécu-
rité », a prévenu début avril la SFMTA, l’organisme chargé des
transports, dans un courrier adressé à Bird, Spin et LimeBike.
Mardi 17 avril, le conseil municipal doit par ailleurs adopter un
cadre réglementaire, imposant aux plates-formes d’obtenir une
autorisation. Après des années d’une politique bienveillante en-
vers les groupes high-tech, San Francisco, capitale autoprocla-
mée de l’innovation, durcit le ton. A l’image aussi de l’interdic-
tion, en décembre 2017, des robots livreurs de repas. p
jérôme marin
(san francisco, correspondance)

EPR de Flamanville : l’ASN dénonce

un « défaut de surveillance » d’EDF
Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, entendu jeudi présentent
par des parlementaires, s’est montré très sévère avec l’électricien

L e président de l’Autorité de
sûreté nucléaire (ASN),
Pierre-Franck Chevet, est
revenu en des termes sévères,
jeudi 12 avril au Sénat, sur les nou-
veaux défauts de soudure de l’EPR
de Flamanville (Manche), rendus
publics mardi. Des anomalies
qu’il a jugées « sérieuses » devant
l’Office parlementaire d’évalua-
tion des choix scientifiques et
technologiques, auquel il présen-
tait le rapport annuel sur l’état de
la sûreté nucléaire et de la radio-
protection en France.
Il avait déjà usé du même quali-
ficatif, en février, au sujet de pre-
miers « écarts » détectés dans la
réalisation de certaines soudures
des tuyauteries reliant les généra-
teurs de vapeur (au nombre de
quatre sur l’EPR) vers la turbine.
Trente-huit soudures étaient mi-
ses en cause. Mais, avait alors as-
suré EDF, il s’agissait d’écarts
par rapport à un référentiel de
« haute qualité », plus exigeant
que les normes standard appli-
quées aux équipements sous
pression nucléaires, si bien que,
selon l’électricien, ces circuits res-
taient « aptes à assurer leur mis-
sion en toute sûreté ».
Le problème est en réalité plus
étendu que ne le laissait alors en-
tendre EDF. A la fin du mois de
mars, l’entreprise a en effet dé-
couvert, à l’occasion de la « visite
complète initiale », préalable à la
mise en service du réacteur de
troisième génération, de nou-
veaux « écarts de qualité ». Et cette
fois, non pas par rapport à des exi-
gences de sûreté renforcées, mais
par rapport à la réglementation
normale pour ce type d’équipe-
ments. Ces défauts portent sur
l’ensemble du circuit secondaire
principal du réacteur. Il ne s’agit
donc plus seulement des sections
Ces défauts
portent
sur l’ensemble
du circuit
secondaire
principal
du réacteur
évacuant la vapeur des généra-
teurs vers la turbine, mais aussi
des parties ramenant l’eau con-
densée vers les générateurs de va-
peur. Soit 350 mètres de tuyaute-
ries. De ce fait, c’est la totalité des
150 soudures de ce circuit fermé
qui est potentiellement concer-
née, y compris celles dont EDF
avait affirmé, dans un premier
temps, qu’elles restaient malgré
tout bonnes pour le service.
« Situation anormale »
L’ASN, qui a réalisé mardi une ins-
pection du chantier de l’EPR nor-
mand, se montre particulière-
ment critique. « L’inspection a mis
en évidence que l’organisation et
les conditions de travail lors des
contrôles de fin de fabrication ont
globalement nui à la qualité des
contrôles, écrit-elle dans une note
d’information. Par ailleurs, une
surveillance inadaptée de ces pres-
tations par EDF et Framatome [ex-
Areva NP] n’a pas permis d’identi-
fier et de remédier aux difficultés
rencontrées par les intervenants. »
Devant les parlementaires,
Pierre-Franck Chevet a enfoncé
le clou, déclarant qu’il y avait
clairement « un défaut de sur-
veillance » par EDF et Frama-
tome. « Pour certaines soudures,
on ne comprend pas comment les
anomalies n’ont pas été détectées
FORUM
avant », a-t-il ajouté. Et d’expli-
quer que les vérifications de-
vront être étendues à « d’autres
circuits sur l’EPR », au-delà du cir-
cuit secondaire principal.
Interrogé par Le Monde, Thierry
Charles, directeur général adjoint
de l’Institut de radioprotection et
de sûreté nucléaire (IRSN), parle
lui aussi d’une « situation anor-
male » et d’une « alerte sérieuse »,
dans la mesure où se conjuguent
trois défaillances : des soudures
mal réalisées, des contrôles de fa-
brication déficients et une sur-
5 & 6 JUIN 2018
veillance par EDF « trop tardive ».
L’ASN attend désormais les ré-
sultats des « contrôles addition-
nels » annoncés par l’électricien
sur les 150 soudures potentielle-
ment suspectes, « afin d’identifier
RÉALISEZ VOTRE
PROJET D’EXPATRIATION
précisément celles qui présentent
des écarts de qualité ». Ces conclu-
sions sont attendues pour la fin
de mai. L’exploitant devra alors
détailler les mesures correctives
qu’il mettra en œuvre, celles-ci
pouvant aller, précise l’IRSN, • Des réponses d’experts à toutes vos problématiques
d’une simple reprise des soudu- d’expatriation : travailler ou entreprendre à l’étranger,
res, dans l’hypothèse la plus favo- organiser sa vie au quotidien, gérer son patrimoine
rable, au remplacement du cir- • Des conférences animées par des journalistes de
cuit, dans le pire des cas. Courrier international
D’où la prudence d’EDF, qui ex-
plique que ce n’est qu’à l’issue des • Rencontres et témoignages d’anciens expatriés
vérifications et de l’instruction
conduite par l’ASN que l’entre-
prise sera « en mesure de préciser
si le projet nécessite un ajustement
de son planning et de son coût ».
Jusqu’à présent, le chargement de
INFOS & INSCRIPTIONS : LEFORUMEXPAT.COM
l’EPR en combustible nucléaire
était programmé pour la fin du
quatrième trimestre 2018, en vue
d’une mise en exploitation dans
le courant de 2019. Quant au coût
LES DOCKS
de ce prototype, il a triplé depuis CITÉ DE LA MODE ET DU DESIGN VENEZ CONSTRUIRE
les premiers devis, passant de 34, QUAI D’AUSTERLITZ - PARIS VOTRE PROJET D’EXPATRIATION
3,3 milliards d’euros annoncés
en 2005 à 10,5 milliards d’euros. p
pierre le hir
6 | argent 0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

Epargnants lésés, unissez-vous !

Les victimes de mauvais placements constituent de plus en plus souvent des associations pour protéger leurs intérêts

T
rop rémunérateurs pour être vrais ! De
nombreux placements affichent des
rendements séduisants sur le papier
mais qui ne tiennent pas leurs pro-
messes par la suite. Conséquence : les épar-
gnants font les frais de ces dérapages et perdent
parfois des sommes importantes. Dernière af-
faire en date : la débâcle du groupe hôtelier Ma-
ranatha, placé en redressement judiciaire de-
puis septembre 2017. Cette affaire laisse près de
6 000 investisseurs sur le carreau, dont une ma-
jorité de particuliers détenteurs de produits fi-
nanciers désormais « illiquides », qui ne rappor-
tent plus rien. « A l’automne 2017, nous avons
décidé de constituer une association afin de dé-
fendre ensemble nos intérêts. Car quand on est
plusieurs, on est plus forts. Un avocat nous repré-
sente et nous tenons régulièrement informés nos
adhérents de l’évolution du dossier », explique
Francis Barrero, retraité et président de l’Asso-
ciation de défense des investisseurs Maranatha
(Adefima), qui rassemble 2 180 adhérents.
Le 7 mars dernier, l’association de consomma-
teurs UFC-Que choisir a engagé une action de
groupe contre les frais cachés des fonds à for-
mule de Natixis Asset Management. Montant es-
timé du préjudice : 35 millions d’euros. Cette
class action à la française, rendue possible grâce
à la loi Hamon sur la consommation, votée
en 2014, permet une action collective en justice
pour le compte de plusieurs plaignants. Pour-
tant, cette procédure est encore assez rare. Seuls
quelques dossiers sont portés en justice et uni-
quement par le biais d’associations agréées.
Si les victimes de placements ratés ont sou-
vent le réflexe de créer spontanément leur pro-
pre structure pour défendre leur cause, certai-
nes d’entre elles continuent par la suite le com-
bat pour d’autres. Avec le temps, une association
acquiert une expertise utile pour faire avancer
d’autres dossiers du même genre. C’est le cas de
la Fédération nationale des propriétaires de rési-
dences de tourisme (FNAPRT). « Au départ, ce
sont les défaillances du gestionnaire de la rési-
dence de tourisme dont j’étais propriétaire qui
ont déclenché mon engagement. Face à un ex-
ploitant unique qui rabote du jour au lendemain
les rendements, il fallait adopter une stratégie
collective offensive », raconte Thien An Hoang,
présidente de la FNAPRT.
« Fonction de contre-pouvoir »
Depuis, au gré des problèmes à répétition géné-
rés par ces résidences, les associations de ce type
se sont multipliées. « Notre fédération regroupe
130 associations et 13 000 propriétaires, avec un
service juridique d’aide aux adhérents. Nous som-
mes consultés par les pouvoirs publics lors de la
préparation de textes de loi sur l’immobilier défis-
calisant et avons milité pour la suppression du
Censi-Bouvard pour les résidences de tourisme,
qui a créé des gros problèmes à beaucoup de par-
ticuliers », souligne Mme Hoang. Créée par Co-
lette Neuville en 1991, l’Association de défense
des actionnaires minoritaires (ADAM) a mené
une dizaine de procès contre de grands groupes
cotés pour défendre « les petits porteurs ». De-
puis, « nous avons décidé d’exercer une fonction
de contre-pouvoir en siégeant au sein des orga-
nes de gouvernance et des conseils d’administra-
tion des sociétés », commente Mme Neuville.
« Cette grande proximité du pouvoir depuis de si
longues années n’est-elle pas néfaste pour l’indé-
pendance ou n’obère-t-elle pas le sens critique ? »,
s’interroge une responsable d’association.
La multiplicité des associations de plaignants
pour un même litige n’est parfois pas efficace.
« Dans l’affaire Aristophil [société qui vendait des
parts de manuscrits], on dénombre pas moins
d’une dizaine d’associations dont certaines n’ont
aucune expérience juridique et politique, et ne dis-
posent pas de moyens pour mener des actions effi-
caces. La création n’est pas la solution, il faut par-
fois rallier une structure existante qui peut accepter
de défendre un dossier », affirme Guy Grandgirard,
président de l’Association de défense des consom-
mateurs de Lorraine (2 600 adhérents et 90 béné-
voles), qui s’occupe d’arnaques sur Internet liées
aux achats de diamants et de cryptomonnaies.
Lorsque l’on s’adresse à une association, « il faut
se renseigner sur sa réputation, son indépendance
et ses victoires juridiques », ajoute M. Grandgirard.
Quant aux avocats spécialisés dans la défense des
épargnants lésés, ils restent assez sceptiques sur
l’intérêt de créer systématiquement des collectifs
ad hoc. « Vouloir mutualiser les coûts de procédure
LES ACTIONS
COLLECTIVES
À LA FRANÇAISE ONT
ÉTÉ RENDUES POSSIBLES
GRÂCE À LA LOI HAMON
SUR LA CONSOMMATION,
VOTÉE EN 2014
est un faux sujet. Il faut souvent débourser plus que
les modestes frais d’adhésion à une association
pour se doter d’une défense de qualité. Au sein d’un
cabinet, nous parvenons à réceptionner et centrali-
ser les cas et à fédérer des actions sans passer par la
case association », affirme Charles Constantin-
Vallet, avocat chargé de la défense des épargnants
dans le dossier Helvet Immo. Même son de clo-
che pour Nicolas Lecoq-Vallon, avocat au cabinet
Lecoq-Vallon & Feron-Poloni et spécialisé dans ce
même domaine. « A moins de mener quelques ra-
res actions de groupe avec le soutien d’une poignée
d’associations agréées par la loi Hamon de 2014,
les épargnants floués peuvent engager une procé-
dure judiciaire en solo. Cela n’empêche pas la dé-
fense de mener un traitement individuel et collectif
d’un même dossier », explique-t-il. p
laurence boccara

MARCHÉ DE L’ART CLIGNOTANT

L’Afrique, nouveau terrain de chasse des collectionneurs I MMOBI LI ER
Emprunter à long terme
Pour acquérir son premier bien, on peut envisager

E n 2017, les artistes venus

d’Afrique étaient partout
en France : à la Fondation
Louis Vuitton, sur la foire Art Paris
Art Fair, aux Galeries Lafayette et à
la Villette. Si l’actualité est moins
intense cette année dans l’Hexa-
gone, une brèche s’est résolument
ouverte sur le marché de l’art.
Piasa organise le 18 avril à Paris sa
cinquième vente consacrée aux
artistes africains.
Longtemps, le marché de l’art
africain s’est circonscrit à une poi-
gnée d’acheteurs, comme les col-
lectionneurs Jean Pigozzi ou Hans
Bogatzke, et à un ou deux mar-
chands, comme André Magnin.
Mais, depuis quelques années, les
lignes bougent. Des foires ont vu
le jour, comme 1:54 à Londres
en 2013 et AKAA à Paris en 2016.
De nouvelles galeries naissent en
Afrique, telles que Addis Fine Art,
en Ethiopie, et 1957, au Ghana.
Les maisons de ventes aux en-
chères se sont aussi mises au par-
fum. Bonham’s a donné le ton
en 2009 en organisant sa pre-
mière vente autour du continent
africain. « Ce n’était pas un marché
facile, reconnaît son initiateur, Gi-
les Peppiatt. On peinait à avoir des
acheteurs internationaux, car ces
œuvres n’étaient pas beaucoup ex-
posées. » Autres temps, autres
mœurs. En deux ans, Piasa a dou-
blé son chiffre d’affaires annuel
dans cette spécialité, pour attein-
dre 1,6 million d’euros en 2017.
« On avait commencé avec une
vingtaine d’acheteurs en 2016, on
en a près de 60 aujourd’hui », se fé-
Œuvre sans titre
de John Goba.
FRANCOIS MALLET/ PIASA
licite Christophe Person, spécia-
liste chez Piasa. Sotheby’s a aussi
pris le train en marche en organi-
sant en 2017 sa première vente ré-
servée à l’art contemporain du
continent. Et, dès cette première
opération, elle a enregistré 16 re-
cords, dont celui de 224 750 livres
sterling (260 000 euros) pour le
Nigérian Yinka Shonibare.
Evolution de 70 % en sept ans
Le rapport Global Africa Art Mar-
ket Report publié en décem-
bre 2017 précisait que la maison de
vente Arthouse Contemporary, au
Nigeria, a vu les prix des œuvres
contemporaines mises en vente
évoluer de 70 % en sept ans. L’ar-
tiste El Anatsui est le premier ar-
tiste noir du continent à connaître
la consécration sur le marché avec
ses tentures métalliques, sem-
blables de loin à de l’or. « Dans
les années 2005, ses œuvres va-
laient entre 70 000 et 120 000 dol-
lars, remarque Eric Dereumaux,
cofondateur de la galerie RX,
qui représente l’artiste en
France. Aujourd’hui une œuvre
de 200 × 300 cm, qui est un petit
format, vaut 900 000 dollars
[730 000 euros]. » Pour couronner
le tout, El Anatsui a reçu en 2015 le
Lion d’or de la Biennale de Venise
et, en 2017, le Praemium Imperiale,
l’équivalent du Nobel pour l’art.
Certains artistes modernes ont
connu des envolées similaires.
Voici dix ans, les œuvres du Nigé-
rian Ben Enwonwu se négociaient
autour de 50 000 livres sterling.
En mars, un tableau de 1974 repré-
sentant une princesse nigérienne
s’est vendu pour 1,2 million de li-
vres sterling chez Bonham’s. « Le
potentiel est énorme, affirme Han-
nah O’Leary, spécialiste chez So-
theby’s. Il se crée des fortunes cha-
que année en Afrique. Je suis
convaincue que l’art africain
connaîtra les mêmes progressions
que l’art du Moyen-Orient. »
Gare toutefois aux effets de
loupe. Dans la vente du 18 avril
de Piasa, beaucoup de créateurs
sont proposés autour de
10 000 euros. Une sculpture de
QUESTION À UN EXPERT
John Goba, un artiste important
de Sierra Leone, est présentée en-
tre 7 000 et 10 000 euros. Un
banc composé d’armes décondi-
tionnées de la guerre du Mozam-
bique, réalisé par le sculpteur
Gonçalo Mabunda, est estimé en-
tre 12 000 et 18 000 euros. Nous
sommes encore loin des prix des
artistes occidentaux.
Si les envolées ne sont pas verti-
gineuses, c’est que la collection-
nite ne s’est que modérément dé-
veloppée en Afrique. Certes, quel-
ques collectionneurs africains
sont montés en puissance, à l’ins-
tar de Sindika Dokolo en Angola,
Jochen Zeitz en Afrique du Sud, ou
la famille Lazraq au Maroc. Mais
Giles Peppiatt relève seulement
une douzaine d’acheteurs afri-
cains désireux d’acheter au-delà
de 200 000 livres sterling. Ce qui
fait peu à l’échelle du continent. p
roxana azimi
Art contemporain africain,
le 18 avril, Piasa, 118, rue du
Faubourg-Saint-Honoré, Paris 8e
d’emprunter à long terme. Le courtier Cafpi a calculé
que, à montant d’échéance de remboursement identi-
que – 1 000 euros hors assurances par mois –, la capa-
cité supplémentaire d’emprunt sur un prêt de 25 ans
par rapport à un emprunt de 20 ans est de
36 175 euros. Et elle grimpe à 72 369 euros lorsqu’on
s’engage sur 35 ans ! Revers de la médaille, dans ce der-
nier cas, les intérêts du prêt s’envolent à 145 377 euros,
contre 34 746 euros pour un crédit sur 20 ans.
Impôts à la source : quelle fiscalité
pour les particuliers employeurs ?
andré loup, avocat chez CMS Francis Lefebvre avocats
Les particuliers employant un salarié à domicile ou faisant garder
leurs enfants ont droit à un crédit d’impôt. Comment ce mécanisme
s’appliquera-t-il avec le prélèvement à la source de l’impôt sur
le revenu en 2019 ? Pour les rémunérations de services à domicile
et de garde d’enfant supportées en 2018, un acompte de crédit d’im-
pôt sera versé au particulier employeur au premier trimestre 2019.
Cet acompte sera de 30 % du crédit d’impôt de l’année précédente, le
solde du crédit d’impôt étant disponible en août 2019. Les modalités
du prélèvement à opérer en 2019 sur les rémunérations de l’employé
pourront, quant à elles, prendre deux formes. L’employeur pourra re-
tenir l’impôt sur le revenu sur la rémunération versée au salarié, puis
le reverser à l’administration fiscale. Il pourra aussi confier cette tâche
à Pajemploi, service de l’Urssaf pour les gardes d’enfant, ou au chèque
emploi service universel (CESU) pour les autres emplois à domicile.
L’organisme versera alors son salaire à l’employé après retenue de
l’impôt. En 2019, l’employeur devra par ailleurs supporter un prélève-
ment à la source sur la rémunération de son activité. Ce prélèvement
se fera sur la base d’un taux d’impôt sur le revenu ne prenant pas en
compte l’impact du crédit d’impôt. Le particulier devra donc avancer
à l’Etat le montant du crédit d’impôt qui sera régularisé à l’été 2020. p

questions politiques votre rendez-vous politique du dimanche

dimanche 15 avril de 12 h à 13 h
par Ali Baddou, Françoise Fressoz,
Jeff Wittenberg et Carine Bécard

réagissez sur twitter

#questionspol franceinter.fr
en direct sur France Inter et sur franceinfo (TV canal 27)
TV canal 27
0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018 idées | 7

Libre-échange : le CETA ne vous veut pas du bien

A l’occasion de la venue fensif de notre imaginaire collectif.
en France du premier Loin de là ! Justin Trudeau déclarait il y a
ministre canadien, Justin un an au Parlement européen que le
CETA est « un accord moderne », qui va
Trudeau, la directrice « améliorer la vie des Canadiens et des
de l’ONG Foodwatch Européens ». Or, c’est faux.
Nombre d’analyses – y compris celles
France, Karine Jacquemart, produites par la commission d’évalua-
souligne les failles tion de l’impact du CETA, présidée par
l’économiste Katheline Schubert et
de cet accord commercial dont les membres sont nommés par
entre l’Europe et le Canada M. Macron – montrent que le CETA va
ébranler notre démocratie et fait peser
des risques considérables sur les droits
des consommateurs et des citoyens,
Par KARINE JACQUEMART sur l’agriculture, l’alimentation et sur la
protection de notre environnement.
Nous ne sommes pas opposés aux ac-
ils instaurent des mécanismes qui fa-
çonneront les réglementations publi-
ques après la signature de l’accord. Fo-
rum de coopération réglementaire, co-
mité mixte, comités spécialisés, tous
ces nouveaux dispositifs vont interfé-
rer dans les décisions législatives et ré-
glementaires, sans contrôle démocra-
tique adéquat de nos élus. Le Canada
n’a pas tardé à actionner un de ces
outils pour remettre en question le
projet d’interdire le glyphosate en
France, herbicide le plus vendu au
monde, en mettant ce point à l’agenda
de la première réunion du comité
CETA consacrée aux mesures sanitai-
res et phytosanitaires en mars, comme
l’a révélé un document qui a fuité.
rable » non contraignant. En somme,
EN MATIÈRE quand les grands producteurs d’OGM
DE COMMERCE, ne peuvent entrer en Europe par la
porte, le CETA et autres accords de libre-
LE CANADA échange leur permettront de passer par
la fenêtre… La même fenêtre reste
N’EST PAS LE PAYS ouverte à de nombreux produits qui ne
INOFFENSIF DE sont pas, ou plus, homologués par l’UE
mais sont toujours sur les marchés de
NOTRE IMAGINAIRE ses partenaires. Le rapport Schubert sur
l’impact du CETA s’inquiète par exem-
COLLECTIF ple des grandes différences de condi-
tions d’élevage entre l’UE et le Canada.
Emmanuel Macron s’était engagé à te-
répété en 2003 lorsque le Canada a dé- nir compte des conclusions de la com-
noncé devant l’OMC la réglementation mission Schubert. Force est de consta-
européenne sur les OGM, jugée trop ter aujourd’hui le fossé entre ses décla-
restrictive. Là encore, l’OMC n’a pas dé- rations et les faits. Malgré les débats sur

J ustin Trudeau arrive en France di-

manche 15 avril pour trois jours. Il y
a fort à parier que les photographes
se régaleront en immortalisant la
rencontre du premier ministre cana-
dien et d’Emmanuel Macron, ces deux
quadragénaires qui incarnent une nou-
velle génération de leadeurs politiques.
« Nouvelle génération », c’est aussi le
terme accolé à l’accord de libre-échange
CETA qui lie l’Europe et le Canada. Le
CETA est le premier d’une série d’ac-
cords qui ne se contentent plus de ré-
duire les barrières tarifaires (les droits
de douane), mais visent à supprimer
tous les « obstacles au commerce », ce
qui inclut les différences de réglemen-
tation qui nous protègent sur le plan sa-
nitaire, social et environnemental.
Les sourires confiants et les poignées
de main des deux hommes qui ne man-
queront pas pendant cette visite ne doi-
vent pas faire oublier les risques du
CETA et le fait qu’en matière de com-
merce, le Canada n’est pas le pays inof-
cords de commerce. Mais la pilule du
CETA est trop grosse à avaler. Les tacti-
ques employées par cet accord d’un
nouveau genre montrent bien que les
intérêts des puissants acteurs économi-
ques priment sur l’intérêt général.
Pour mieux « harmoniser les normes »,
la première tactique utilisée est la dis-
suasion : si l’Union européenne – ou un
Etat membre – décide demain d’inter-
dire un pesticide ou un nouvel OGM, ou
de rendre obligatoire un nouvel étique-
tage, elle pourra être attaquée par le Ca-
nada s’il considère que cette contrainte
est contraire à l’accord. Le CETA donne
aussi le droit exclusif aux investisseurs
étrangers d’attaquer, devant un tribunal
d’arbitrage spécial, l’UE ou les Etats
membres qui prendraient des décisions,
par exemple de santé publique, perçues
comme une entrave au commerce.
La deuxième tactique consiste à con-
tourner l’opinion publique et le pro-
cessus démocratique. Les accords
comme le CETA sont dits « vivants » :
PRINCIPE DE PRÉCAUTION
Au nom de quoi protégerait-on la santé
des citoyens européens des risques de
substances comme le glyphosate ? La
réponse est évidente : au nom du prin-
cipe de précaution, ancré dans les trai-
tés européens et la Constitution fran-
çaise. C’est grâce à lui que l’Europe a, par
exemple, interdit les importations de
bœuf aux hormones. Mais le Canada ne
reconnaît pas ce principe et exige des
preuves scientifiques pour interdire la
commercialisation d’un produit. Le
principe de précaution dérange. A tel
point que, dans les années 1990, le Ca-
nada (avec les Etats-Unis et d’autres
pays) avait attaqué l’UE devant l’Organe
de règlement des différends (ORD), tri-
bunal de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC).
En 1998, l’OMC avait condamné l’UE,
contrainte d’accepter un compromis et
d’augmenter le quota d’importation de
bœuf sans hormones. Le scénario s’est
fendu le principe de précaution euro-
péen et l’Union européenne a dû s’en-
gager à rediscuter avec le Canada de la
question des OGM. C’est cette pro-
messe qui se matérialise aujourd’hui
dans l’article 25.2 du CETA intitulé « Dia-
logue sur les questions de l’accès au
marché de la biotechnologie ».
A-t-on tiré les leçons du passé en ins-
crivant noir sur blanc dans le CETA, dans
le traité européen avec le Marché com-
mun du Sud (Mercosur) et les autres ac-
cords en cours de négociation que les
décisions protectrices de l’UE ou de ses
Etats membres sur la base du principe
de précaution ne pourraient pas être at-
taquées par nos partenaires commer-
ciaux ou leurs investisseurs ? Non !
Dans le CETA comme dans la série
d’autres accords en négociation avec les
pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Pa-
raguay…), le Japon, le Vietnam, l’Indoné-
sie, etc., le principe de précaution est à
peine mentionné, la plupart du temps
dans un chapitre « développement du-
le CETA, cet accord est mis en œuvre de
façon « provisoire » avant même son
adoption finale ; l’UE continue comme
si de rien n’était à négocier d’autres ac-
cords tout aussi dangereux. Ces accords
sont le contraire de « l’Europe qui pro-
tège » promise par le président français.
Dans un contexte de repli sur soi et de
défiance vis-à-vis de l’Europe, il est dan-
gereux de rester sourds à celles et ceux
qui réclament des accords de libre-
échange plus justes, plus de transpa-
rence et plus de démocratie. Emmanuel
Macron et Justin Trudeau doivent de
toute urgence remettre le CETA au
menu de leurs discussions pour que les
droits des citoyens et la protection de
notre planète soient enfin au centre des
politiques commerciales. p
¶
Karine Jacquemart est
directrice de l’association de
consommateurs Foodwatch France

Une menace pour la diversité Le droit d’auteur ne s’oppose pas

des contenus numériques
La France ne doit pas soutenir le
« filtrage généralisé sur Internet » détourner une chanson, un film, des ima-
ges aux fins d’information ou même de
qu’autoriserait la directive parodie. Reprendre un extrait court sera
européenne sur le droit d’auteur, sujet à la même sanction : la suppression
du contenu avant mise en ligne. C’est la
affirment cinq responsables clé de voûte de notre société, le partage
d’entreprises de ce secteur d’informations et l’accès à l’information,
qui est en péril.
RISQUE JURIDIQUE ET ÉCONOMIQUE
Par COLLECTIF
à la liberté d’expression
Jean-Noël Tronc, président de la Sacem,
soutient la directive européenne
de protection des droits des artistes
sur les plates-formes numériques
Par JEAN-NOËL TRONC
concurrence déloyale pour ceux
qui jouent le jeu, comme Spotify
ou Deezer, face à ceux qui renfor-
pression s’en trouvera menacée.
Or, à l’heure du numérique, le
droit d’auteur va dépendre de plus
en plus des plates-formes et ré-
seaux sociaux dominants, qui
captent une part croissante des re-
venus publicitaires.
A quelques semaines du vote dé-
finitif de la directive par le Parle-
ment européen, 25 000 artistes

E n tant que représentants de la

société civile, des internautes et des
entreprises de services du numéri-
que, nous demandons au gouvernement
français de préserver l’Internet ouvert tel
que nous le connaissons, en empêchant
l’instauration d’un filtrage généralisé.
A Bruxelles, un projet de nouvelle direc-
tive tendant à réformer la protection du
droit d’auteur est discuté. En son sein, une
disposition, l’article 13, a pour but d’impo-
ser à tout intermédiaire d’Internet, dès
lors que celui-ci héberge des contenus
d’utilisateurs, de détecter et de bloquer
systématiquement toute mise en ligne
d’un contenu susceptible de faire l’objet
d’une protection par le droit d’auteur.
Au-delà des considérations techniques
et de la contradiction évidente avec les
principes énoncés par la directive sur le
commerce électronique qui ont permis le
développement d’un Internet libre et
ouvert, une telle disposition ne pourrait
avoir que des conséquences sociales et
économiques désastreuses. Le développe-
ment d’Internet, la créativité, la diver-
sité des contenus que l’on peut y trouver
et qui font sa richesse s’en trouveraient
gravement menacés.
Il existe un risque important de voir des
contenus totalement légitimes censurés à
titre préventif par des opérateurs privés
utilisant des filtres automatisés par
crainte de voir leur responsabilité juridi-
que engagée. Or une technologie n’a
aucune notion de ce qui est autorisé ou
non, elle ne connaît ni la satire, ni la paro-
die, ni la création artistique. Aucun garde-
fou n’est prévu pour prévenir le surblo-
cage des contenus légitimes et nous
pensons que ces mesures ne pourront
aboutir qu’à la disparition sur Internet du
contenu généré par les utilisateurs ou par
des millions de militants. Impossible de
En outre, il serait faux de penser que ce
risque juridique et économique considé-
rable ne pèsera que sur les plus grandes
plates-formes. Il constituera une barrière
à l’entrée de ce marché pour les PME, les
entreprises de taille intermédiaire (ETI) et
les start-up qui ne seront pas en mesure
d’investir massivement en amont pour
prévenir la mise en ligne de contenus
par leurs utilisateurs. Quelles start-up
seront en mesure d’investir des centai-
nes de milliers d’euros dans de telles ba-
ses de données incluant tous les conte-
nus susceptibles d’être protégés par le
droit d’auteur – et cela sans participation
des ayants droit ?
La France rappelle souvent à Bruxelles
qu’elle est la patrie de Beaumarchais,
l’inventeur du droit d’auteur. Bien avant
Beaumarchais, la France est aussi le pays
des droits de l’homme et des Lumières.
En 1789, nos constituants rappelaient que
« tout citoyen peut donc parler, écrire, impri-
mer librement ». En janvier 2018, le
président de la République a rappelé son
attachement à un Internet libre, neutre et
ouvert. Il est du devoir du gouvernement
français de préserver cet espace de liberté
et de créativité, contre la mise en place du
filtrage généralisé. Le président Macron en
a fait la promesse. p
¶ de leurs œuvres. On ne parle plus
Godefroy de Bentzmann
est président de Syntec Numérique ;
Jean-David Chamboredon est
coprésident de France Digitale ;
Bertrand Diard est président
de TECH IN France ;
Henri Isaac est président
de Renaissance numérique ;
Giuseppe de Martino est président
de l’Association des services Internet
communautaires (ASIC)
C haque semaine, une nou-
velle affaire vient nourrir
la chronique d’un Internet
menaçant pour la démocratie.
« Fake news », manipulation
d’élections, suicide d’adolescents
exposés sur les réseaux sociaux,
propagande djihadiste, propaga-
tion de la haine, vol massif de
données personnelles, etc.
Adapter Internet à la démocra-
tie, et non l’inverse, par une régu-
lation efficace, c’est le chantier
que nous avions ouvert lorsque
j’étais conseiller du premier mi-
nistre pour la société de l’informa-
tion, entre 1997 et 2002. Cela reste,
plus que jamais, la grande ques-
tion. Elle est au cœur de la propo-
sition de directive de la Commis-
sion européenne sur le droit
d’auteur dans le marché unique
numérique, qui prévoit notam-
ment une plus grande protection
des créateurs sur Internet.
Une évolution de la régulation
européenne, qui date de 2000 et
se trouve dépassée aujourd’hui,
apparaît d’autant plus nécessaire
que les créateurs sont confrontés
aux pratiques de plates-formes
numériques dont les chiffres d’af-
faires impressionnants reposent
essentiellement sur l’utilisation
des sites associatifs militants des
débuts d’Internet, mais des pre-
mières capitalisations boursières
mondiales.
Certains acteurs d’Internet nient
pourtant toute responsabilité, et
renâclent à assurer aux créateurs
une rémunération correcte, voire
toute rémunération. En outre,
l’absence d’un cadre juridique
clair et renforcé crée de fait une
cent d’autant leurs marges, voire
leur position dominante. Pour-
tant, les adversaires du projet de la
Commission, qui est soutenu par
une majorité de députés euro-
péens et de nombreux Etats dont
la France, tentent d’opposer, dans
un discours manichéen, la liberté
d’expression et le droit des
auteurs à une juste rémunération.
LES INTÉRÊTS DES GAFA
Contrairement à ce qu’ils préten-
dent, l’objectif de la Commission
européenne n’est pas d’imposer
un filtrage généralisé sur Internet,
contre lequel les auteurs seraient
les premiers à se battre, mais de
permettre de mieux identifier les
œuvres diffusées sur les plates-
formes numériques parce que
c’est la condition technique pour
la rémunération des auteurs. Le
discours caricatural du parti pi-
rate, violemment opposé à ce pro-
jet, sert de fait les intérêts écono-
miques des GAFA, pour qui moins
de régulation égale plus de marge.
En réalité, ce qui est proposé
n’aura aucun effet négatif sur la li-
berté d’expression. C’est même
l’inverse : notre liberté vient pour
une part de nos artistes. C’est ce
qu’expliquait Jean-Michel Jarre
venu, au Parlement européen, dé-
fendre la proposition de la Com-
mission européenne, en rappe-
lant que « les créateurs sont
passionnément pour la liberté d’ex-
pression. La liberté d’expression,
c’est l’air que nous respirons pour
pouvoir créer et nous sommes tou-
jours en première ligne pour la dé-
fendre ».
Si les artistes ne peuvent vivre
de leur création, la liberté d’ex-
européens, inquiets pour leur ave-
nir, ont signé un appel à soutenir
ce texte. Cette directive, si elle est
votée en l’état, permettra de con-
solider les accords passés entre
des sociétés d’auteurs comme la
Sacem et des plates-formes
comme YouTube ou récemment
Facebook. Ces accords demeurent
pour l’instant fragiles au regard de
la puissance économique, mais
aussi politique, de ces géants du
numérique.
Dirigeant l’un des acteurs-clés
de la gestion collective des droits
d’auteur au plan mondial, j’en
porte témoignage : la Société des
auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique (Sacem) a été en pre-
mière ligne, dès l’essor de l’Inter-
net grand public, pour promou-
voir un marché unique
numérique européen facilitant la
vie des internautes tout en proté-
geant le droit à une juste rémuné-
ration. Par exemple, en 2007, la
Sacem a été la première à signer
un accord qui a permis à Deezer
de se lancer comme offre légale.
Encourager la diffusion des
œuvres tout en garantissant une
juste rémunération des créateurs
sur Internet, telle est notre mis-
sion. Le projet de directive sur le
droit d’auteur est le cadre juridi-
que indispensable à un rapport de
force moins déséquilibré pour les
créateurs. Sur Internet, seule la rè-
gle peut garantir la liberté. p
¶
Jean-Noël Tronc est PDG
de la Société des auteurs,
compositeurs et éditeurs
de musique (Sacem)
8 | MÉDIAS&PIXELS 0123
SAMEDI 14 AVRIL 2018

Sibyle Veil, le choix de la continuité à Radio France

Seule candidate en interne, la quadragénaire sera la troisième femme à présider le groupe audiovisuel public

A
40 ans, Sibyle Veil de-
vient la troisième
femme à diriger Radio
France, après Jacque-
line Baudrier (1922-2009) et Mi-
chèle Cotta dans les années 1970
et début des années 1980. Sa vic-
toire était pressentie. Elle s’est im-
posée face à cinq hommes pour
succéder à Mathieu Gallet, desti-
tué en raison de sa condamna-
tion pour favoritisme. Cette énar-
que, de la même promotion que
le président de la République, Em-
manuel Macron, a été désignée,
jeudi 12 avril, par le Conseil supé-
rieur de l’audiovisuel (CSA), qui a
fait le choix de la continuité.
Seule candidate en interne, la di-
rectrice déléguée de Radio France,
chargée des opérations et des fi-
nances, bénéficiait du soutien ta-
cite de l’équipe en place, en parti-
culier de Laurent Guimier, le di-
recteur délégué aux antennes et
aux contenus, dont le profil de
journaliste compense les lacunes
éditoriales de Mme Veil.
Mercredi 11 avril, devant le CSA,
Mme Veil a dit vouloir poursuivre
le travail mené par M. Gallet, qui
l’avait fait venir il y a trois ans,
alors qu’elle travaillait à l’Assis-
tance publique-Hôpitaux de Pa-
ris. Une expérience qui lui a ap-
pris à conduire « des change-
ments au sein d’organisations de
service public ». « Il faut préparer
Radio France pour qu’elle soit le
fer de lance de la mutation de
l’audiovisuel public », a-t-elle dé-
claré lors de son audition, citant
comme priorités la « révolution
des usages » ou « le décloisonne-
ment » de certains métiers.
Mme Veil a fait valoir une con-
ception très ambitieuse, voire ex-
pansionniste de Radio France.
Elle s’est placée en bonne élève
des « synergies » que le gouverne-
ment exige depuis des mois. Au
risque de froisser France Télévi-
sions. Elle a souhaité que l’offre
commune Franceinfo, dont les
audiences en télévision restent
faibles, « concurrence le leadeur
BFM-TV ». Elle a aussi proposé que
« l’agence » interne à Franceinfo
devienne la référence pour l’en-
semble de l’audiovisuel public
dans la vérification de l’informa-
tion. De même, elle veut que le
service investigation de Radio
France coordonne « des enquêtes
à l’échelle de toutes les rédactions
du service public, qui comptent
4 000 journalistes ». « Il faut pen-
ser à cette échelle », a-t-elle ajouté.
Stratégie de « média global »
En matière de culture, France
Culture pourrait devenir la mar-
que « ombrelle » de l’offre com-
mune avec France Télévisions ou
Arte. La radio Mouv’ deviendrait
l’« offre jeunesse de référence de
l’audiovisuel public ». Autant de
façons d’avancer ses pions dans
des domaines de coopération
stratégiques, où les discussions
sont engagées depuis plusieurs
mois avec France Télévisions.
L’attitude de Mme Veil rappelle
celle de M. Gallet, qui avait parfois
agacé la présidente de France
Télévisions, Delphine Ernotte.
La nouvelle présidente a prévu
de consacrer les « douze premiers
mois » de son mandat à faire des
réformes internes pour « position-
ner au mieux Radio France » et
« pousser son avantage, notam-
ment dans le numérique », avant la
phase de « mise en œuvre de la ré-
forme de l’audiovisuel public ».
Dans ce domaine, une loi est atten-
due au début de 2019, qui pourrait
créer une « superprésidence », pla-
cée au-dessus de France Télévi-
sions et de Radio France. La straté-
gie de Sibyle Veil peut donner l’im-
pression qu’elle se place pour
prendre ce poste. Va-t-elle être « la
présidente de la future holding ? »,
s’est d’ailleurs interrogé sur Twit-
ter le syndicaliste (SNJ) de France
Télévisions, Serge Cimino, jeudi.
Sa stratégie de « média global »
– chaque antenne est un émetteur
de son, mais aussi de vidéo, en
hertzien et en numérique – a été
critiquée, jeudi, par un autre can-
didat, Jérôme Batout, directeur gé-
néral de l’agence Publicis Media :
« L’erreur serait de relativiser la por-
tée du changement à venir ou de
l’embrouiller en parlant trop de mé-
dia global, qui, en englobant tous
les médias, n’en est souvent
aucun. » Une inquiétude partagée
par certains en interne. Mercredi,
Mme Veil a assuré avoir le « souci
d’indépendance chevillé au corps »
et rappelé avoir commencé sa car-
rière « comme magistrate au Con-
seil d’Etat ». Des membres de la
majorité craignaient que sa nomi-
nation alimente le soupçon d’une
trop grande proximité avec l’exé-
cutif. Car Mme Veil est issue de la
promotion « Senghor » de l’Ecole
nationale d’administration (2002-
2004), comme M. Macron. Et,
comme son mari, Sébastien Veil
– petit-fils de Simone Veil, morte
en 2017 –, qui a participé à la cam-
pagne du futur président.
Ses partisans rétorquent que
Mme Veil fut conseillère du prési-
dent Nicolas Sarkozy sur les ques-
tions de travail, de logement et des
solidarités, entre 2008 et 2010, et
qu’elle a été nommée à Radio
France en 2015, bien avant l’élec-
tion de M. Macron. Parmi ses amis,
Marie Drucker et son compagnon,
Mathias Vicherat, directeur géné-
ral adjoint de la SNCF, également
issu de la promo « Senghor » et
témoin de mariage des Veil.
« Elle a montré
qu’elle n’avait
ni morgue
ni arrogance
et respectait
le dialogue »
JEAN-PAUL QUENNESSON
élu SUD
Nommée, Sibyle Veil passe de
l’ombre à la lumière. En interne,
elle est moins connue des salariés
que des représentants syndicaux,
qui l’ont côtoyée comme prési-
dente du comité d’hygiène, de sé-
curité et des conditions de travail.
Un poste stratégique, qui lui a
fourni « une formation accélérée
sur l’entreprise, car on y est au
cœur de la salle des machines »,
note une source syndicale.
Mme Veil supervisait aussi le lourd
chantier de rénovation de la Mai-
son de la radio, toujours en cours.
Certains trouvent à Sibyle Veil
un côté « techno froide » ou « cari-
cature d’énarque, au premier
abord ». Mais ce syndicaliste
nuance : « Certes ce n’est pas une
communicante, elle est toujours à
distance, mais c’est une qualité. »
« Elle a montré qu’elle n’avait ni
morgue ni arrogance et respectait
le dialogue, juge Jean-Paul Quen-
nesson, élu SUD et figure de la
grève de 2015. Mais faire plus et
mieux avec moins, c’est impossible.
Elle sera attendue sur les moyens. »
« On craint qu’elle applique la
doctrine du président Macron en
matière de réduction de la masse
salariale, car elle adhère totale-
ment à cette vision », pense une
source syndicale. En conclusion
de son audition, Mme Veil a, elle,
affirmé que son objectif était qu’à
la fin de son mandat, Radio
France soit « plus haut », faisant
un large geste de la main. p
françois bougon
et alexandre piquard

VOUS ÊTES NOTRE PLUS

Fabrice Fries, nouveau BELLE RÉCOMPENSE
patron de l’AFP
Le magistrat à la Cour des comptes était seul
en lice pour remplacer Emmanuel Hoog
Chaque jour 284 738 exemplaires diffusés (1)

A près vingt-quatre heures

de confusion, Fabrice
Fries, magistrat à la Cour
des comptes et ancien président
de Publicis Consultants, a finale-
ment été élu, jeudi 12 avril, PDG de
l’Agence France-Presse (AFP) par
son conseil d’administration. Ce
diplômé de l’Ecole normale supé-
rieure de la rue d’Ulm et de l’Ecole
nationale d’administration (pro-
motion Denis-Diderot 1984-1986)
s’est fixé l’objectif de « casser l’ef-
fet-ciseau qui depuis quelques an-
nées asphyxie l’agence », c’est-à-
dire la baisse des recettes com-
Jeudi matin, M. Hoog était inter-
venu en conférence de rédaction,
expliquant avoir pris sa décision
« au nom de l’intérêt général »
après s’être rendu compte qu’il
n’aurait pas le soutien de l’Etat. Il a
également jugé que ce dernier
manquait d’une doctrine « affir-
mée » sur le rôle de l’AFP, troisième
agence de presse.
Inquiétudes des salariés
M. Hoog s’était notamment vu re-
Plus forte progression
procher par certains administra-
teurs d’avoir annoncé tardive-
de la diffusion en presse quotidienne
ment une perte de 4,8 millions

+26 505 exemplaires

merciales couplée à la hausse des
charges d’exploitation.
L’homme de 58 ans, numéro
deux de la branche presse profes-
sionnelle de Vivendi Universal
entre 1998 et 2002, était seul en
lice depuis le retrait surprise du
PDG sortant, Emmanuel Hoog,
55 ans, en poste depuis 2010.
M. Fries a obtenu, lors d’un troi-
sième tour de scrutin, la majorité
qualifiée, soit 13 des 18 membres
du conseil d’administration (CA).
Les deux premiers tours s’étaient
déroulés la veille, le CA ayant dé-
cidé de suspendre ses travaux
pour une journée.
Un peu plus tôt, le personnel de
l’AFP avait voté, lors d’une assem-
blée générale, pour un débrayage à
partir de 13 heures et jusqu’à la fin
du conseil. Une motion avait éga-
lement été adoptée : elle appelait le
CA à déclarer « infructueux » le pro-
cessus d’élection du PDG et à dési-
gner deux candidats. Lors de l’As-
semblée générale, les représen-
tants du personnel ont déploré la
séquence de la veille, qui a vu M.
Hoog retirer au dernier moment
sa candidature.
d’euros, ce que l’intéressé avait
justifié en évoquant une provi- (2)
sion due à une décision de justice
intervenue en décembre 2017 au
moment de boucler le budget. A la
suite d’un contentieux avec les
syndicats, l’AFP a été condamnée
en première instance à s’aligner #DemainLaPresse Les Etoiles 2018 récompensent les meilleures
sur les augmentations salariales progressions de diffusion et d’audience en presse réalisées en 2017
du Syndicat de la presse quoti-
dienne nationale, ce qu’elle ne fai-
sait plus depuis 2012.
Lors de l’assemblée générale, des
salariés ont exprimé leurs inquié-
tudes à l’égard du projet de
M. Fries, et notamment sa propo-
sition d’« ouvrir le dossier de la ca-
pitalisation de l’agence » quand le
plan de transformation qu’il pro-
pose aura commencé à porter ses
fruits, ce qui réveille les craintes
d’une privatisation à terme de
l’Agence. Dans un message adressé
aux représentants du personnel,
M. Fries a assuré que cette proposi- (1) Source ACPM OJD – PV 2017 - indicateur Difusion France payée
tion « n’est pas pour [lui] une prio- (2) #DemainLaPresse Les Etoiles 2018, catégorie Presse Grand Public Quotidienne – Plus forte progression en valeur absolue 2017 vs 2016
rité ». Il s’est également engagé « à
la transparence totale de la rému-
nération du président », un « sujet
sensible » à l’AFP, selon lui. p
françois bougon
 ENTRETIEN HISTOIRE P O RT RA I T

5 Pourquoi les ex-présidents

prennent la plume
6 Le jury populaire, symbole
de la démocratie judiciaire
7 L’hirondelle rustique
sous la menace

Mourir
« Le Radeau de Lampedusa » (2016), de Jason deCaires
Taylor, œuvre immergée au large de Lanzarote, dans
l’archipel des Canaries. JASON DECAIRES TAYLOR/DACS/ARTIMAGE 2018

aux frontières
Des milliers de morts chaque année : telle est la conséquence du durcissement de la politique migratoire
européenne depuis deux décennies. Avant l’examen à l’Assemblée du projet de loi sur l’immigration
et le droit d’asile, enquête auprès des chercheurs qui dénoncent le silence autour de cette hécatombe.
Et tribune de la juriste Mireille Delmas-Marty, qui plaide pour faire de l’hospitalité un principe juridique
PA G E S 2 - 3 E T PA G E 4

Samedi 14 avril 2018 · Ca h i e r d u « M o n d e » N o 2 278 5 · Ne peut être vendu séparément


EN TÊTE
Pourquoi
migrer
tue
Plus l’Europe se ferme, plus le nombre de décès
aux frontières augmente : au moins 40 000 depuis
le début des années 1990, peut-être deux ou cinq
fois plus. Jamais dans l’histoire une migration
n’a causé autant de morts, affirment les chercheurs
À LIRE
« La Mort aux frontières de l’Europe.
Retrouver, identifier, commémorer »,
coordonné par Carolina Kobelinsky
et Stefan Le Courant, sous la direction
scientifique de Michel Agier
(Le Passager clandestin, 2016).
La quarantaine de chercheurs réunis
au sein de Babels, programme de
recherche de l’Ecole des hautes
études en sciences sociales, expose
la violence des frontières en revenant
sur l’identification des corps,
la commémoration des défunts
et les récits des survivants.
« Atlas des migrations en Europe.
Approches critiques des politiques
migratoires »,
sous la direction d’Olivier Clochard
(Armand Colin, 2016).
Migreurop, un réseau d’associations,
de militants et de chercheurs
fondé en 2002, analyse les politiques
migratoires européennes
à travers des textes signés par
des universitaires, mais aussi
des cartes et des infographies
d’une très grande richesse.
« Migrants morts, des fantômes
en Méditerranée »,
Rhizome n° 64, juin 2017.
Evelyne Ritaine, chercheuse en
science politique et sociologie
comparatives à Sciences Po Bordeaux,
revient sur l’invisibilité des migrants
disparus en mer, qui sont, selon elle,
« dans les limbes du politique ».
« Liberté de circuler, un privilège »,
Plein droit n° 116, mars 2018.
La revue du Groupe d’information
et de soutien des immigrés consacre
ce numéro à la liberté de circulation.
« Ces dernières années, on a assisté
au rétablissement de contrôles à
plusieurs frontières intra-européennes.
Si bien que les routes migratoires
vers l’Europe sont devenues les plus
dangereuses du monde et que
les morts aux frontières se comptent
par milliers chaque année. »
AN N E CHEM IN
E
n ce jour de juin 2017, des centaines
de fragiles embarcations de papier
flottent sur les eaux du canal de
l’Ourcq, à Paris. Organisé par des
associations et des artistes, ce
« grand lâcher » de bateaux en origami rend
hommage aux milliers de migrants disparus
ces dernières années en Méditerranée. A
3 000 kilomètres de là, au large des côtes tur-
ques, un cimetière flottant évoque le souvenir
des Syriens morts en mer en tentant de rejoin-
dre l’Europe. Sur les pierres tombales amar-
rées près du rivage figurent les noms de
200 migrants engloutis par les flots – l’une
d’elles est consacrée à Alan Kurdi, ce petit gar-
çon de 3 ans dont le corps a été retrouvé sur
une plage turque un matin de 2015.
En offrant une sépulture symbolique aux
milliers de réfugiés morts aux portes de
l’Europe, les associations tentent de les
extraire du silence et de l’oubli. « Structurelles,
les morts aux frontières passent souvent ina-
perçues, souligne Antoine Pécoud, professeur
de sociologie à l’université Paris-XIII, dans un
travail réalisé en 2017 pour la Fondation pour
les sciences sociales. Les migrants meurent en
général dans des endroits peu accessibles ou
dans des lieux périphériques, voire fermés.
Beaucoup d’entre eux voyagent clandestine-
ment et meurent tout aussi clandestinement.
Même lorsque ces décès font l’objet d’une publi-
cité médiatique, ils suscitent souvent une indif-
férence mêlée de résignation. »
Les migrants morts aux portes de l’Europe
sont pourtant très nombreux. Si les estima-
tions varient, les ordres de grandeur donnent
le vertige. United for Intercultural Action, un
réseau de plus de 500 associations européen-
nes, a répertorié 17 000 décès entre 1993 et
2012. L’association Fortress Europ a comptabi-
lisé plus de 27 000 morts de 1988 à 2016. Le
consortium de journalistes The Migrants’
Files évoque le chiffre de 35 000 victimes entre
2000 et 2016. Selon Olivier Clochard,
codirecteur du laboratoire Migrinter (CNRS-
université de Poitiers), près de 40 000 migrants
sont morts aux frontières de l’Europe depuis
le début des années 1990.
Les organisations recensent les cadavres
retrouvés sur les côtes, écoutent les témoigna-
ges des rescapés et rassemblent les articles de
presse sur les naufrages, mais elles savent que
de nombreux décès échappent à leur vigi-
« Cette hécatombe sans précédent
devrait être au cœur de nos débats
sur les politiques migratoires »
OLIVIER CLOCHARD
CODIRECTEUR DU LABORATOIRE MIGRINTER
(CNRS-UNIVERSITÉ DE POITIERS)
lance : beaucoup de migrants sombrent en
Méditerranée sans laisser de traces. Pour les
prendre en compte, il faudrait, selon les inter-
locuteurs, multiplier les statistiques par deux,
voire par cinq. « Il est toujours délicat de trou-
ver un coefficient multiplicateur mais il est évi-
dent que ces chiffres sous-estiment le nombre
de décès, constate Olivier Clochard. La Médi-
terranée est devenue le plus grand cimetière de
migrants du monde. »
Les chercheurs ont beau fouiller dans leur
mémoire, aucun ne trouve, dans l’histoire, la
trace d’une migration ayant entraîné une telle
hécatombe. Le sociologue Antoine Pécoud évo-
que les 1,8 million d’esclaves décédés lors du
terrible « passage du milieu » – « mais c’est une
tout autre histoire ». Le géographe Olivier Clo-
chard songe aux juifs qui partirent en bateau,
au lendemain de la seconde guerre mondiale,
vers le tout nouvel Etat d’Israël – « mais il n’y a
pas eu autant de morts ». L’anthropologue et
chercheuse au CNRS Carolina Kobelinsky
pense aux boat people vietnamiens des années
1970 – « mais ils ont gagné l’Europe en sachant
qu’ils seraient pris en charge dès leur arrivée ».
VOYAGES PÉRILLEUX
Le précédent qui vient spontanément à
l’esprit est la traversée de l’Atlantique effec-
tuée par les millions d’Européens qui s’embar-
quèrent, au XIXe et au XXe siècle, vers le
Nouveau Monde. « Mais il y avait beaucoup
moins de décès. Et ces décès n’étaient pas liés à
la fermeture des frontières américaines mais
aux dangers ordinaires des voyages de l’épo-
que, qu’il s’agisse des maladies ou des naufra-
ges, poursuit Carolina Kobelinsky. Ce qui est
nouveau, en ce début de XXIe siècle, c’est le
régime même des frontières : toute une trame
de lois et de règlements pousse aujourd’hui les
réfugiés dans des voyages périlleux qui se
transforment en tragédies. »
·
2
LE MONDE S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8
Ce n’était pas le cas il y a encore dix ou quinze
ans. « En 2003, lorsque j’enquêtais dans les cen-
tres d’accueil de demandeurs d’asile pour ma
thèse, 95 % des migrants que je rencontrais
étaient arrivés en France par avion, le plus
souvent avec un passeport d’emprunt et un visa,
poursuit Carolina Kobelinsky. Aujourd’hui,
leurs petits frères ne peuvent plus le faire : les
voies légales vers l’Europe sont devenues telle-
ment inaccessibles qu’ils doivent risquer leur vie
sur des routes très dangereuses, traverser le
désert et la mer, et perdre un, deux ou trois ans de
leur vie dans des voyages périlleux que leurs
aînés faisaient plus facilement. »
Depuis les années 1990, l’Europe verrouille en
effet peu à peu son territoire. En 1995, la mise
en œuvre de l’espace Schengen marque une
première rupture : les citoyens des Etats signa-
taires sont dispensés de contrôle aux frontières
intérieures, mais la contrepartie de cette libre
circulation est l’instauration d’une surveillance
accrue aux frontières extérieures de l’Union
européenne (UE). A cette logique de sécurisa-
tion s’ajoutent des politiques migratoires de
plus en plus restrictives : avec les attentats du
11 septembre 2001 aux Etats-Unis, puis ceux de
Madrid en 2004, de Londres en 2005 ou de
Paris en 2015, les pays de l’espace Schengen fer-
ment leurs portes aux migrants du Sud.
Aujourd’hui, les Africains qui s’inscrivent dans
un projet de regroupement familial, de rappro-
chement de conjoint ou d’études peuvent par-
fois – non sans difficultés – gagner la France en
toute légalité. Mais tous les autres savent bien
qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir un visa de
tourisme de trois mois – encore moins un visa
de long séjour qui leur permettrait de s’installer
durablement dans l’Hexagone. Pour braver le
« mur de papier » érigé depuis les années 1990
par les Etats européens, les migrants doivent
donc traverser, au péril de leur vie, le désert
libyen, puis la mer Méditerranée.
 ·
3
LE MONDE S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8

« Franchir le Rubicon » (2016), de Jason

deCaires Taylor. Le sculpteur britannique
a immergé ses œuvres par 14 mètres
de fond au large de Lanzarote, dans
l’archipel des Canaries, créant le Musée
Atlantique, ouvert aux plongeurs.
JASON DECAIRES TAYLOR/DACS/ARTIMAGE 2018

Le site Missing Migrants de l’Organisation
internationale pour les migrations (OIM) tient,
jour après jour, la chronique des tragédies qui
rythment leurs voyages : sur la carte interactive
élaborée par l’OIM, de petits pavillons bleus
indiquent, au large du Maroc, de l’Algérie, de la
Tunisie et, surtout, de la Libye, la date des nau-
frages, le nombre de morts, la part des hom-
mes, des femmes et des enfants, ainsi que leur
nationalité. La plupart des rubriques restent
cependant étrangement vides : nul ne connaît
avec précision le nombre exact des migrants
disparus en Méditerranée, encore moins leurs
nom, sexe ou nationalité.
Cette ignorance est liée à la clandestinité des
traversées, mais aussi à l’indifférence de
l’Union : aucune ligne budgétaire euro-
péenne n’est consacrée aux morts de la
migration. « Les Etats de l’UE documentent
méticuleusement l’état de leur propre popula-
tion ainsi que l’entrée sur leur territoire de
citoyens étrangers, mais ils accordent très peu
d’attention, dans leur pratique statistique, aux
personnes mortes en tentant de traverser leurs
frontières », regrette le sociologue Antoine
Pécoud. Une politique qui contraste avec
celle des Etats-Unis : depuis 1998, l’agence
fédérale chargée de surveiller la frontière
avec le Mexique tient un registre statistique
précis du nombre de décès.
Pour l’écrivain italien Erri De Luca, cette négli-
gence européenne n’est pas tout à fait le fruit
du hasard. « Li lasciamo annegare, per negare »
(« nous les laissons se noyer, pour nier »), résu-
mait-il en 2010. Une analyse partagée par
Antoine Pécoud, qui s’appuie sur le travail de
Michel Foucault consacré, en 1978, au rôle-clé
des statistiques dans la « gouvernementalité »
des Etats modernes. « En omettant de recenser
ces morts, affirme-t-il, les Etats les condamnent
à l’invisibilité. Faute de statistiques, ils ne sont
rien d’autre que des décès fortuits, connus des
seuls habitants des rivages concernés ou de
quelques rares spécialistes. »
Pour sortir les morts de la migration de cet
oubli qu’elles jugent très politique, plusieurs
associations ont décidé, il y a une vingtaine
d’années, de comptabiliser les décès. En 1993,
United for Intercultural Action a été la pre-
mière à établir une liste de « requérants
d’asile, de réfugiés et de migrants » morts aux
frontières de l’Europe. Des chercheurs ont
pris le relais : en 2004, Olivier Clochard et Phi-
lippe Rekacewicz ont publié, dans Le Monde
diplomatique, une carte qu’ils mettent depuis
régulièrement à jour avec Nicolas Lambert
– tous trois sont cartographes au sein de
Migreurop. En 2013, un réseau de journalistes
européens a, de son côté, lancé le projet The
Migrants’ Files.
Leur ambition ? Eriger une sépulture de
papier aux migrants qui ont disparu en Médi-
terranée. Redonner leur dignité à ces hommes
et à ces femmes qui ont tenté de vivre avec
nous. Rendre hommage à ces morts sans
nom, sans âge et sans nationalité. Mais aussi
transformer le fait divers en phénomène
social : ces « citoyens calculants », selon le mot
du sociologue britannique Nikolas Rose,
veulent politiser la question des morts aux
frontières. « Cette hécatombe sans précédent
devrait être au cœur de nos débats sur les politi-
ques migratoires, estime le géographe Olivier
Clochard. Elle est pourtant reléguée au
domaine de l’anecdote. » « Compter permet de
déchiffrer les effets d’une politique », renchérit
Carolina Kobelinsky.
Aux yeux de ces « statactivistes », ces morts
aux frontières ne sont en rien liés à la fatalité,
au destin ou à l’inconséquence des migrants :
ils sont le fruit des politiques menées par la
« forteresse Europe ». « Il y a une corrélation
très forte entre les politiques migratoires
restrictives et la mort des migrants, poursuit
Olivier Clochard. Ce lien est direct quand, par
exemple, des policiers bulgares renvoient dans
la montagne des migrants qui meurent de
froid, comme je l’ai constaté en avril 2016 à la
frontière turque. Mais les politiques migratoi-
res provoquent aussi des morts à distance : en
multipliant les contrôles maritimes, l’Europe
oblige les migrants à prendre des routes tou-
jours plus longues et toujours plus dangereu-
ses, où les décès se multiplient. »
Lorsqu’ils tentent de franchir sur de fragiles
canots les quelques centaines de kilomètres
qui séparent les côtes libyennes de l’Italie, les
migrants croisent en effet la route de Frontex,
l’agence qui coordonne depuis 2004 la gestion
des frontières de l’Europe. En une dizaine d’an-
nées, l’équipement de cette agence s’est consi-
dérablement renforcé : pour intercepter ces
embarcations remplies de migrants qui, sou-
vent, ne savent pas nager, elle utilise des héli-
coptères, des capteurs thermiques, des radars
et des avions patrouilleurs. Devenue, en 2016,
l’Agence européenne de garde-côtes et garde-
frontières, elle dispose en outre d’un « pool de
réaction rapide » constitué de 1 500 agents pla-
cés en réserve par les Etats européens.
Parce qu’elle contraint les migrants à
emprunter des routes maritimes périlleuses,
cette surveillance de la mer provoque de nom-
breux drames, comme le démontrent les tra-
vaux de Charles Heller. Ce chercheur a créé
une plate-forme de cartographie des naufra-
ges, baptisée Watch the Med, et a mis sur pied,
avec l’université Goldsmiths de Londres, un
projet qui les documente avec précision. Ce
travail a permis de reconstituer l’histoire du
Left-to-die Boat : ce bateau qui a sombré
en 2011, au large des côtes libyennes, tuant
63 migrants, avait croisé un navire militaire,
deux bateaux de pêche, un avion et un héli-
coptère qui ne lui avaient pas porté secours.
En menant ce minutieux travail d’enquête
sur les morts de la Méditerranée, les cher-
cheurs tentent de faire émerger « la responsa-
bilité des Etats ». Ils montrent ainsi qu’en 2014
le remplacement de l’opération humanitaire
européenne « Mare Nostrum » par l’opération
« Triton » de Frontex a provoqué plus de
1 500 décès. « En analysant des naufrages qui
ont suivi ce changement de politique ainsi que
les statistiques de mortalité, ils démontrent que
le danger de la traversée a beaucoup augmenté
après cette décision politique de l’Europe, note
Antoine Pécoud. Entre janvier et avril, les
conditions météorologiques et le nombre de
migrants étaient sensiblement identiques
(26 644 en 2014, 26 228 en 2015), mais le chiffre
des morts est passé de 60 à 1 687 : la mortalité a
été multipliée par 27. »
CAUSALITÉ N’EST PAS INTENTIONNALITÉ
Plus on contrôle, plus le nombre de morts
augmente, résume le géographe Olivier
Clochard, qui en veut pour preuve l’évolution
des courbes de mortalité aux frontières. Au
début des années 1990, quelques dizaines de
migrants mouraient, tous les ans, en tentant
d’accéder à un pays de l’UE. Avec le durcisse-
ment des politiques migratoires, à la fin des
années 1990, le chiffre est passé à plusieurs
centaines par an. Aujourd’hui, les décès se
comptent tous les ans par milliers. « Il y a une
corrélation évidente entre le renforcement des
politiques migratoires et le nombre de morts
aux frontières », affirme Olivier Clochard.
En comptant les morts, les associations
tentent de rendre l’Europe comptable de ces
tragédies. « Causalité ne veut pas dire inten-
tionnalité, précise cependant l’anthropologue
Carolina Kobelinsky. L’Union européenne n’a
pas adopté un plan machiavélique qui consiste
à programmer la mort des migrants. En revan-
che, elle a mis en place des politiques dissuasi-
ves qui ont un prix : les morts aux frontières. En
verrouillant administrativement les frontières
et en mettant en place des patrouilles équipées
de radars et de capteurs en Méditerranée,
l’Union européenne oblige les migrants à
emprunter des routes dangereuses qui provo-
quent des milliers de décès tous les ans. »
L’Europe n’en a pas toujours conscience mais,
en fermant ses portes aux migrants venus du
Sud, elle rompt avec une longue histoire :
jusqu’à la fin du XXe siècle, les citoyens fran-
chissaient les frontières sans grande difficulté.
« Le concept même de visa est récent, rappelle le
sociologue Antoine Pécoud. En Europe, jusqu’à
la seconde guerre mondiale, les gens n’avaient
pas besoin de papiers pour se déplacer. Après la
Libération, les immigrés venus du Maghreb
n’attendaient pas l’obtention d’un visa en bonne
et due forme pour venir travailler en France : les
préfectures les régularisaient sans problème
après leur arrivée. A l’époque, l’Etat ne se formali-
sait pas de ne pas avoir été consulté en amont ! »
Pour beaucoup de chercheurs, la politique de
fermeté adoptée à la fin des années 1990 est
quelque peu paradoxale : lorsqu’il ne s’agit
pas des migrants, le monde occidental célèbre
volontiers les vertus du mouvement. « La
mobilité est la nouvelle valeur du monde
contemporain, constate Antoine Pécoud. Le
problème, c’est qu’elle n’est pas également
distribuée : l’Europe a décrété que son territoire
était interdit aux migrations et le reste du
monde est prié de s’adapter. Résultat : l’élite du

Hantés par les morts anonymes Nord se déplace efficacement, rapidement et

Si la mort des migrants passe souvent
inaperçue dans le débat public, elle imprègne
longtemps la mémoire de ceux qui y ont été
confrontés. « Aux îles Canaries, où j’ai travaillé,
les gardiens du cimetière qui avaient enterré
les morts de la migration des années 1990 se
souvenaient très bien de ces drames, explique
l’anthropologue Carolina Kobelinsky. Les
habitants de Lampedusa ont, eux aussi, gardé
une mémoire très concrète du naufrage de 2013,
qui a fait plus de 300 morts : comme le montre
le sociologue Guido Nicolosi dans Lampedusa.
Les Damnés de la mer [L’Aube, 2017], ils
racontent le souvenir des allées et venues
et des odeurs, le fait que le poissonnier ait
prêté son camion frigorifique pour le transport
des cadavres, la mobilisation des fossoyeurs
et des médecins de la ville. »
Ces morts anonymes hantent la mémoire
des habitants à la manière de fantômes. Après
le naufrage de Lampedusa, en octobre 2013, les
366 cercueils ne portaient que quelques brèves
indications : « Mort numéro 31, sexe masculin, noir,
probablement 30 ans » ; « Mort numéro 54, sexe
féminin, noire, probablement 20 ans » ; « Mort nu-
méro 11, sexe masculin, noir, probablement 3 ans ».
IMPÉRATIF ÉTHIQUE
« C’est à cet anonymat que ne se résignent pas
les acteurs de terrain, observe Evelyne Ritaine,
chercheuse à Sciences Po Bordeaux, dans un
article publié en juin 2017 par la revue Rhizome.
Ce sont eux qui font pression pour que les corps
soient documentés et que les gouvernements
mettent au point des procédures médico-légales
d’identification à la disposition des familles. »
Pour ne pas oublier ces morts sans nom et
sans histoire, certains observateurs deviennent
des « veilleurs de mémoire », selon le mot
d’Evelyne Ritaine. « Pour eux, il y a un impératif
éthique : que ces morts ne soient pas oubliés
dans le tragique de l’événement du naufrage,
mais aussi dans l’humanité de leur existence,
souligne-t-elle. La publication de récits de vies
et de photographies de défunts, les commé-
morations locales, comme le Jardin de la
mémoire, à Lampedusa, sont autant d’actes
de remémoration, de luttes contre l’oubli, de
refus de l’inéluctable. Les créateurs, eux,
travaillent à la transfiguration des traces. Les
barques et les objets des migrants disparus
sont réinvestis dans des créations qui parlent
à la place des disparus. » h
A . CH.
sûrement sur toute la planète, mais les mi-
grants du Sud sont assignés à résidence dans
leur pays. La mobilité est indolore pour les éli-
tes, mortelle pour les déshérités. »
Pour le sociologue allemand Zygmunt
Bauman (1929-2017), ce régime différentiel de
mobilité est le fruit de la mondialisation. Les
deux figures contemporaines qui symbolisent,
selon lui, ces nouvelles inégalités de déplace-
ment sont le vagabond et le touriste, expli-
quait-il dans Le Coût humain de la mondialisa-
tion (Fayard, 1999) : le touriste savoure les joies
de la « mondialité », le vagabond doit se conten-
ter de la « localité ». « Pour les “vagabonds” relé-
gués aux portes de l’Europe, conclut le collectif
Babels dans La Mort aux frontières de l’Europe
(Le Passager clandestin, 2017), prétendre pren-
dre part au “monde des riches” se fait au péril de
la vie. » Rien qu’en 2016 ce rêve a coûté la vie à
plus de 5 000 femmes, hommes et enfants. h

EN ÉVIDENCE
POUR UNE
GOUVERNANCE
MONDIALE
DU DROIT
DES MIGRATIONS
principe
TRIBUNE
d’hospitalité
PA R M I R E I L L E
DELMAS-MARTY
F
ace au désastre humanitaire qui accompa-
gne les migrations humaines, l’hospitalité
n’est pas affaire de morale ni de philan-
thropie. C’est une évidence et une urgence.
L’évidence a été perçue dès le XVIIIe siècle
par Kant, qui déduit un « principe d’hospitalité
universelle » de la forme sphérique de la Terre : elle
« oblige les êtres humains à se supporter parce que la
dispersion à l’infini est impossible, et qu’originaire-
ment l’un n’a pas plus de droit que l’autre à une
contrée ». A l’époque où Kant écrivait son Projet de
paix perpétuelle (1795-1796), la population mondiale
était d’environ un milliard d’humains – elle a
dépassé sept milliards à présent.
Un siècle et demi plus tard, Pierre Teilhard de Char-
din (1881-1955), autre grand visionnaire, évoquera à
son tour la surface fermée de la Terre : « La masse
humaine, après une période d’expansion qui couvre
tous les temps historiques, entre présentement (…)
dans une phase de compression que nous pouvons
essayer de régulariser, mais dont rien ne permet de
prévoir qu’elle doive désormais se renverser à
jamais. » Il ajoute que le « serrage de la masse
humaine » conduit à une « montée simultanée du
social, de la machine et de la pensée dont la triple
marée nous soulève ».
UN DÉFI PLANÉTAIRE
Aujourd’hui, cette triple marée pourrait nous
submerger. Depuis 1950, la population a pro-
gressé d’environ un milliard tous les quinze ans,
et cette accélération vertigineuse s’accompagne
d’une urbanisation galopante : la population
urbaine devrait doubler d’ici à 2050 pour attein-
dre 6,5 milliards d’habitants. Or, 95 % de cette
croissance se situera dans des pays en développe-
ment. La mobilité humaine a déjà augmenté plus
vite que la population, qu’il s’agisse des déplace-
ments voulus ou forcés. S’ajoute l’accroissement
du nombre de mineurs, de plus en plus jeunes,
qui arrivent en pays étranger sans accompagna-
teur. Beaucoup se retrouvent à la rue, notamment
en France, malgré la hausse de 85 % des place-
ments dans des structures d’accueil depuis 2017
(Le Monde du 9 mars).
Dans un rapport sur l’accueil des mineurs non
accompagnés remis au premier ministre en février,
l’Assemblée des départements recommande de
prendre l’initiative d’une coopération renforcée
entre les Etats membres de l’Union européenne, et
propose d’associer le Conseil de l’Europe. La partici-
pation de celui-ci serait en effet judicieuse, car
l’Union européenne, devenue lieu d’immigration,
n’a pas su prendre la mesure d’un défi désormais pla-
nétaire. Ni l’Union ni ses Etats membres n’ont ratifié
la convention de 1990 sur les droits de tous les tra-
vailleurs migrants et de leur famille, préférant créer
l’agence Frontex pour garder les frontières et adopter
la « directive retour » autorisant une rétention de six
mois (jusqu’à dix-huit dans certains cas). En guise de
réponse à la « crise » des migrations, on entend sur-
tout dire que la montée en puissance des courants
populistes, aux Etats-Unis comme en Europe, et tout
récemment en Italie, devrait conforter le choix
sécuritaire, qui domine d’ailleurs le projet de loi fran-
çais « pour une immigration maîtrisée et un droit
d’asile effectif » en débat au Parlement.
Comment ne pas voir dans ces surenchères répres-
sives un terrible contresens historique ? Comme l’a
noté le Conseil d’Etat dans son avis du 15 février,
l’urgent n’est pas de continuer à empiler des lois
(seize lois majeures depuis 1980, et en moyenne une
tous les deux ans depuis le code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile, en vigueur
depuis 2005), mais d’en évaluer les effets. Certaines
des mesures issues de la loi de 2016 n’ont pas encore
une année d’exécution ! L’urgent est aussi de simpli-
fier un régime juridique devenu incompréhensible
(neuf catégories et quelques sous-catégories de
mesures d’éloignement, quatre types de titre de
séjour et dix-sept mentions différentes sur les titres
délivrés…). Avant de parler d’efficacité, il faut, selon
l’avis du Conseil, « des objectifs précis et mesurables »
dont on connaisse « le coût et la praticabilité », afin
de se concentrer sur la refonte des outils de
politique publique.
L’urgent, enfin, est de mettre en place une gouver-
nance mondiale robuste. Comment croire que l’on va
« maîtriser » l’immigration en allongeant les durées
de la retenue pour vérification du droit de circulation
et de séjour (de 16 à 24 heures) et de la rétention admi-
nistrative (de 45 à 90 jours) ? En revanche, l’exposé des
motifs du projet de loi sur l’immigration et le droit
d’asile ne fait aucune mention des efforts de régula-
tion mondiale. Notamment, dans le prolongement
LE MONDE
du rapport du secrétaire général de l’ONU de décem-
bre 2017, « Making Migrations Work for All », d’un
pacte mondial pour une migration « sûre, ordonnée et
régulière », en cours de négociation en vue de son
adoption dans le cadre d’une conférence intergouver-
nementale, prévue en décembre au Maroc.
Ce silence est d’autant plus regrettable que le projet
de ce pacte s’inspire en partie du nouveau modèle de
gouvernance mondiale imaginé pour le climat. La
France, qui avait relevé le pari de la conférence de
Paris en 2015, malgré les attentats terroristes commis
peu avant, pourrait jouer un rôle moteur dans ces
négociations. Le point de départ est le même constat
d’interdépendance : de même qu’aucun Etat ne peut
lutter seul contre le dérèglement du climat, aucun ne
peut « à lui seul » gérer des « déplacements massifs de
réfugiés et de migrants » (Déclaration de New York,
Assemblée générale de l’ONU, 13 septembre 2016).
Plus précisément : les conséquences des migrations
« politiques, économiques, sociales, développementa-
les ou humanitaires » atteignent non seulement les
personnes concernées et leurs pays d’origine, mais
les pays voisins et ceux de transit, ainsi que les pays
d’accueil – y compris cette étrange catégorie des
« pays tiers sûrs », abandonnée dans l’avant-projet
français du 30 janvier, mais utilisée par l’Union euro-
péenne pour permettre à ses membres d’éloigner des
demandeurs d’asile sans examiner leur situation.
DEVOIR DE SOLIDARITÉ
Comme pour le climat, le devoir de solidarité résul-
tant de cette interdépendance appelle des objectifs
communs, une stratégie multi-acteurs et des res-
ponsabilités différenciées. Vingt-deux objectifs sont
énumérés dans le futur pacte, marquant, comme
l’avis du Conseil d’Etat, la nécessité d’une collecte
des données pour éclairer les choix et mieux
prendre en compte les effets tout en agissant aussi
sur les causes. En ce qui concerne les acteurs, le pacte
reconnaît la place centrale des Etats et du dialogue
inter-étatique. Mais il insiste sur les partenariats
avec les migrants et les diasporas, et plus largement
avec la société civile dans sa diversité : les ONG et
syndicats déjà globalisés, ainsi que les citoyens
mobilisés au niveau local, spontanément solidaires
malgré les risques de poursuites pénales. Ajoutons
deux autres acteurs majeurs que sont les collectivi-
tés territoriales infra-étatiques (Etats fédérés et gran-
des villes) et les scientifiques : comme les climatolo-
gues, démographes et anthropologues deviennent
·
4
S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8
lanceurs d’alerte et veilleurs. Et au-delà des « vou-
loirs » civiques et du croisement entre « savoirs »
scientifiques et expériences vécues, les entreprises
transnationales, titulaires de « pouvoirs » écono-
miques globaux, commencent à s’engager pour rele-
ver un défi qui les intéresse directement. Pourquoi
ne pas étendre la responsabilité sociale des entrepri-
ses à la régulation des migrations ?
Facilitée par l’Organisation internationale pour les
migrations, la synergie entre tous ces acteurs finira
peut-être par faire bouger les Etats. Il resterait à
transposer le principe des « responsabilités commu-
nes mais différenciées ». Apparue dans la convention
climat de 1992, la formule renvoyait d’abord à la
« dette écologique » dont les générations présentes
ont hérité des générations antérieures et limitait
l’engagement aux pays industrialisés. Le principe
est désormais appliqué à tous. Les responsabilités
sont « communes » parce que les objectifs sont com-
muns, mais « différenciées » selon le contexte : éco-
nomique (coût économique « acceptable »), social
(lutte contre les exclusions) ou géographique (vul-
nérabilité de certains pays), voire technologique
(dangerosité de certaines sources d’énergie). Pour
les migrations, la Déclaration de New York pose le
principe d’une coopération internationale entre
tous les pays concernés et d’une « responsabilité
partagée ». Il faudrait préciser des critères de diffé-
renciation, quantitatifs – comme la population, le
PIB, le nombre moyen de demandes, le taux de
chômage – ou qualitatifs – comme le caractère régu-
lier et/ou massif des migrations.
La force et la faiblesse de ce nouveau modèle de
gouvernance mondiale sont qu’il repose essentiel-
lement sur la bonne volonté des acteurs. C’est
pourquoi, pour être efficace, il doit être pleinement
reconnu en termes de légitimité. La célébration des
70 ans de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, en décembre, pourrait offrir l’occasion
de consacrer l’hospitalité comme principe juridi-
que régulateur des mobilités humaines. A l’image
du principe de développement durable qui a per-
mis de pondérer innovation et conservation, le
principe d’hospitalité permettrait de pondérer
exclusion et intégration, et d’équilibrer ainsi les
droits et devoirs respectifs des habitants humains
de la Maison commune. h
M I R E I LLE DE LM AS -M ART Y
Juriste, professeure émérite au Collège de France.

À QUOI SERVENT
LES MÉMOIRES
TROIS DES ANCIENS
QUESTIONS À
CHRISTIAN
PRÉSIDENTS ?
1.
DELPORTE,
HISTORIEN
François Hollande a fait paraître « Les Leçons du pouvoir »
[Stock, 288 pages, 22 euros] mercredi 11 avril, livre dans
lequel il donne sa version de son quinquennat. Il n’est pas
le premier président de la Ve République à prendre la
plume. A quel objectif cet exercice répond-il en général ?
On pense tout de suite au général de Gaulle, à ses Mémoires
[Mémoires de guerre en 1954, puis Mémoires d’espoir en 1959,
Plon], mais d’autres présidents ont écrit avant lui, notamment
sous la IIIe République. D’abord, Raymond Poincaré [1860-1934],
qui fut président pendant la première guerre mondiale : il
raconte la période de 1912 à 1918, cela représente dix tomes,
publiés entre 1926 et 1934, intitulés Au service de la France. Neuf
années de souvenirs [Plon]. Le deuxième exemple, c’est Albert
Lebrun [1871-1950, président de 1932 à 1940], qui a publié en 1945
Témoignage [Plon], où il raconte les circonstances dans lesquelles
a eu lieu la défaite ; c’est un plaidoyer pro domo. Car, dans ce type
d’écrits présidentiels, il y a deux tendances – qui, parfois, coexis-
tent : soit on écrit pour l’Histoire, dans le but de se donner une
stature ; soit on écrit pour s’expliquer, voire pour se justifier.
Car, au fond, la question est toujours celle-là : pour qui
écrit-on ? A l’époque de Poincaré ou De Gaulle, on écrivait pour
l’opinion, pour les Français. Ce qui me frappe, c’est qu’on écrit
aujourd’hui de plus en plus pour les journalistes. Souvenez-
vous, à l’époque des Mémoires de Jacques Chirac [Chaque pas
té
doit être un but puis Le Temps présidentiel, Nil, 2009 et 2001],
les journalistes n’ont relevé que les piques contre son succes-
seur, Nicolas Sarkozy. Or, quand on ouvre l’ouvrage de François
Hollande, on pense immédiatement au livre Un président ne
devrait pas dire ça [Stock, 2016], des deux journalistes [au
Monde] Fabrice Lhomme et Gérard Davet. François Hollande
en a gros sur le cœur d’avoir été tant critiqué après la parution
de ce livre. Il donne sa vérité.
2.
Les historiens peuvent-ils se servir de ces livres
de présidents comme sources ?
L’historien prend toujours les Mémoires avec des pincettes.
Pour connaître un président de la République et la vérité de son
action, il faut aller aux sources, dépouiller les archives. Ce qui
est intéressant, en revanche, c’est qu’on y découvre le regard
que le président a sur lui-même. Avec des Mémoires, on est
dans la reconstruction, c’est donc l’histoire des représentations
qu’il faut convoquer.
Au-delà du seul cas des présidents de la République, j’ai
l’impression que les hommes politiques s’épanchent de plus en
plus. Et ils font part de leur expérience au pouvoir de plus en
plus tôt après que cette dernière a pris fin. Pensons aussi aux
conseillers en communication qui racontent tout. Autrefois, on
attendait dix ou vingt ans avant de dire les choses – et,
d’ailleurs, on en disait peu. Là, c’est un phénomène général,
assez caractéristique de notre période. Qui présente un risque,
évidemment : celui de l’oubli rapide.
3.
Dans « Come back ! » (Flammarion, 2014), vous vous êtes
intéressé à l’art de revenir en politique. Est-ce qu’un livre
a déjà été un élément pour organiser un come-back ?
Le cas de Giscard est intéressant : quand il commence à publier
Le Pouvoir et la Vie [Compagnie], en février 1988, il précise que ce
ne sont pas des Mémoires mais un « essai » sur l’exercice du pou-
voir. Pour une raison simple : il a envie de revenir. Le livre n’est
pas un bilan, c’est un outil de visibilité pour s’inviter dans la
campagne présidentielle et faire figure de recours pour la droite,
en cas de réélection de Mitterrand. L’aspect Mémoires, on ne le
trouve pas avant le troisième tome, en 2006, quand il a compris
que c’était fini. Par ailleurs, il prend tout de même garde à laisser
passer sept ans entre sa défaite et la parution du livre.
En ce qui concerne François Hollande, il ne semble pas préparer
un come-back (au sens d’un retour immédiat), mais il laisse la
C HRI ST I AN DELPO RT E porte ouverte et prend date comme éventuel recours de la gau-
Professeur à l’université che. Je m’appuie sur cinq indices : la date de parution (quatre ans
Versailles-Saint-Quentin- avant la prochaine présidentielle) ; la forme du livre, qui ne tire
en-Yvelines, historien, pas vers les Mémoires mais vers la volonté de dire ce qu’est la
spécialiste d’histoire gauche ; le ton, très politique, moins plongé dans le passé que
culturelle et politique. dans le présent ; l’hyper-exposition médiatique : on sait tout du
Il vient de publier livre avant sa parution en librairie – ce qui compte, ce n’est fina-
Philippe Henriot. lement pas le livre, mais Hollande lui-même, sa parole, sa pré-
La résistible ascension sence ; enfin, la conjoncture plus générale de crise et de fragmen-
d’un provocateur tation de la gauche, sans doute durable aux yeux de Hollande. h
(Flammarion, 416 p., 25 €). PROPOS R ECU EILLIS PAR JU LIE CLAR IN I
DANS
L’AC TU
L I T T É R AT U R E
UN PRIX POUR
LES PLUMES VERTES
Cela a commencé il y a quelques
années, par petites touches.
Thriller, polar, roman à thèse ou
d’anticipation, plusieurs genres de
fiction se sont progressivement
emparés de l’écologie. Parmi les
mutations environnementales qui
se profilent à l’horizon, l’une s’est
révélée une telle source d’inspira-
tion qu’elle a même reçu un nom :
c’est la « cli-fi », pour climate fiction.
Jusqu’à présent, cette veine
littéraire en plein essor restait pour
l’essentiel l’apanage des auteurs
anglo-saxons. Mais les choses sont
en train de changer. En témoigne le
Prix du roman d’écologie, attribué
pour la première fois le 10 avril
par l’association du même nom,
qui distingue « un roman franco-
phone paru en 2017 de grande
qualité littéraire où les questions
écologiques sont substantiellement
présentes ».
La lauréate est Emmanuelle
Pagano pour le roman Saufs
riverains (POL), deuxième volume
de sa Trilogie des rives sur la rela-
tion de l’homme et de l’eau qui
décrit l’ennoyage, en 1969, de la
vallée du Salagou, dans l’Hérault,
où le grand-père de l’auteure
possédait deux petites vignes
désormais submergées.
Fondée en partenariat avec la revue
Esprit, le master « lettres et création
littéraire » du Havre, l’Ecole natio-
nale supérieure de paysage et le
think tank transpartisan La Fabrique
écologique, l’Association du Prix
du roman d’écologie explique, sur
son site Internet, les raisons de cette
initiative. Aujourd’hui, les questions
écologiques « résonnent dans le
débat public, modifient la vie
quotidienne, transforment les rôles
de chacun », mais « la politique,
l’information et la science ne s’adres-
sent qu’à une partie de la nature
humaine et ignorent largement
d’autres ressorts, la sensibilité, l’émo-
tion, l’empathie spontanée ». Là
intervient la littérature, qui permet,
« sans doute encore plus que d’autres
formes d’expression artistiques,
d’associer la quête intime, les rêves
et l’invention du monde ».
« Le lancement de ce prix a associé
des personnes de générations diffé-
rentes et d’horizons très divers :
des écrivains passionnés d’écologie,
des libraires, des étudiants en
littérature et en paysagisme, des
participants au débat public »,
précise Lucile Schmid, présidente
de l’association.
Sélectionnés mi-janvier, les six
finalistes déploient des univers
bien distincts. Emmanuelle Pagano
met en mots la mémoire de ce
qui disparaît, Joël Baqué suit avec
humour un retraité devenu, malgré
lui, une icône planétaire pour être
tombé amoureux d’un manchot
empereur empaillé (La Fonte des
glaces, POL), Pierre Ducrozet choisit
le ressort du suspense pour appro-
cher le transhumanisme (L’Invention
des corps, Actes Sud), Thomas
Flahaut nous jette avec gravité sur
les routes d’Alsace après un
accident nucléaire à Fessenheim
(Ostwald, L’Olivier), Errol Henrot
allie cause animale et drame social
dans un abattoir (Les Liens du sang,
Le Dilettante), tandis que l’auteur
de littérature jeunesse Stéphane
Servant entraîne les adolescents,
entre poésie et fantastique, dans un
monde post-apocalyptique (Sirius,
Rouergue). Et l’on dira que l’éco-
fiction, c’est répétitif ?h
CATHER IN E VIN CEN T
·
5
LE MONDE S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8
R APPORT
D’ÉTONNEMENT
PAR FRÉDÉRIC JOIGNOT
Toute paranoïa
devient justifiée
U
n homme tient le poignet d’une femme au
visage marqué d’ecchymoses. La photo illustre
la page consacrée aux « conjoints trompeurs »
du site d’un logiciel d’espionnage en vente libre,
Hellospy. L’image suggère un cliché ignoble : grâce à ce
mouchard pour smartphone, l’homme a découvert
l’infidélité de sa compagne et l’a frappée. Spyphone,
Truth Spy, Mobistealth… Comme Hellospy (moyennant
un abonnement annuel de 119 dollars, soit 96 euros),
de nombreux logiciels téléchargeables sont capables,
selon leurs concepteurs, de « géolocaliser un téléphone »,
« lire les SMS à distance », « capter les contacts », « voir
l’historique des appels », « suivre une navigation Internet »,
« trouver toutes les photos »… Faut-il les croire ? Le
journaliste Joseph Cox, du site américain Motherboard,
spécialisé dans les hautes technologies, les teste
régulièrement. Il les dit « extrêmement puissants »
– certains enclenchent à distance le micro d’un portable,
ou en activent l’appareil photo.
Suréquipés en high-tech, nous baignons quotidienne-
ment dans le numérique : notre vie privée en ligne est de
plus en plus susceptible d’être épiée, et toute paranoïa
devient justifiée. Si les logiciels espions attirent conjoints
jaloux, patrons méfiants et limiers industriels, la police
est encore mieux équipée pour nous surveiller : elle
est en mesure de siphonner toutes les données d’un
portable, comme l’a révélé le 27 mars l’ONG Privacy Inter-
national dans son rapport « Digital stop and search ».
LOGICIELS ESPIONS AU SERVICE DE LA POLICE
L’association a exercé son droit à l’information auprès
de 47 équipes de la police britannique, les interrogeant
sur leurs méthodes d’enquêtes. Vingt-six d’entre elles
ont reconnu utiliser, sans mandat, des technologies
d’extraction de données des portables. Pour ce faire,
elles se servent du matériel sophistiqué de sociétés
privées, comme Cellebrite (israélienne) ou MSAB
(suédoise) : des appareils de la taille d’un attaché-case
ou d’une tablette capables d’aspirer en quelques minutes
le contenu d’un téléphone.
Privacy International cite des cas où les enquêteurs,
pour trouver un seul courriel, téléchargent et archivent
toutes les données d’un smartphone, qu’il appartienne
à un suspect, un témoin ou une victime. L’ONG
s’inquiète que la police agisse de façon « potentiellement
illégale, sans garantie claire envers les citoyens, et sans
supervision indépendante pour identifier l’usage abusif
d’informations personnelles sensibles ». « Si la police fouille
votre domicile ou confisque vos possessions, elle vous
remettra un inventaire des objets concernés, observe
le rapport. Mais si elle extrait des données de votre
téléphone, non seulement vous ne saurez pas à quelles
informations elle a eu accès, mais il est possible que vous
ne soyez même pas averti qu’elle a procédé à cette
extraction. » Privacy International appelle à « un examen
indépendant immédiat » de cette « pratique intrusive ».
Doit-on craindre que les services de police français,
qui devraient bientôt disposer d’une unité spécialisée
dans les logiciels espions, le Service technique national
de captation judiciaire (STNCJ), suivent cette pente
dangereuse ? Il faudrait procéder à la même enquête
que Privacy International pour vérifier, sachant que la
gendarmerie dispose de mallettes d’extraction rapide
développées par Cellebrite.
Depuis les révélations d’Edward Snowden, nous savons
que cette surveillance qui menace nos vies privées
s’exerce notamment à travers les données captées par les
géants du Web. Nous ne mesurons pas toujours ce que
révèlent ces données, montre une enquête publiée le
30 mars dans le quotidien britannique The Guardian
par le développeur irlandais Dylan Curran. En consultant,
sur la page Google.com/takeout, les données stockées
par l’entreprise, Dylan Curran a trouvé 5,5 gigaoctets le
concernant, la plupart collectées à son insu : toutes les
vidéos YouTube qu’il a visionnées, ses déplacements,
les sites Internet visités, les e-mails reçus et envoyés,
sans oublier ses centres d’intérêt regroupés dans un
« profil commercial ». Plus inquiétant encore : tous les
fichiers qu’il a supprimés (CV, budget mensuel, clé privée
PGP) ont été conservés.
Dylan Curran a mené la même enquête sur sa page
Facebook – sur facebook.com/help/131112897028467.
L’entreprise possède 600 Mo sur lui : tous les fichiers
qu’il a envoyés et reçus, ses messages audio, ses contacts,
ses lieux de connexion, toutes les applications dont il
s’est servi à travers sa page, dont le site de drague Tinder.
Grâce aux liens que donne l’article du Guardian, chacun
peut mener la même enquête sur ses propres données. h

EN MÉMOIRE
Les jurés
mis
au ban
JEAN - BAPTISTE JACQU IN
L
e jury populaire des cours d’assises
est-il la survivance d’un idéal révolu-
tionnaire trahi, ou bien le garant
d’une justice démocratique à son
acmé ? Le débat sur sa nature et son
fonctionnement ressurgit au moment où le
gouvernement souhaite expérimenter, grâce
au projet de loi de programmation de la justice
présenté en conseil des ministres le 18 avril, un
tribunal criminel départemental sans juré. Ce
tribunal, composé de magistrats profession-
nels, jugerait les crimes passibles de peines de
quinze à vingt ans d’emprisonnement (viols,
coups mortels, vols à main armée). Pratique-
ment six crimes sur dix quitteraient ainsi la
cour d’assises et son jury.
Son histoire commence à la Révolution fran-
çaise. Deux grandes lois, d’août 1790 et de
septembre 1791, balayent la justice de l’Ancien
Régime. La nouvelle organisation judiciaire
met en œuvre le principe selon lequel la seule
légitimité qui vaille est celle du peuple.
En matière criminelle, un jury de douze
citoyens tirés au sort est instauré pour statuer
sur la culpabilité tandis que le juge voit son
intervention cantonnée au débat sur la peine.
Un jury est également créé pour porter l’accu-
sation, aujourd’hui dévolue au procureur. La
méfiance envers les juges est alors telle qu’il a
même été envisagé d’imposer un jury en
matière civile. « L’esprit initial était de chasser les
juges de la justice », explique Anne Rousselet-
Pimont, professeure d’histoire du droit à l’uni-
versité Paris-I Panthéon-Sorbonne. Les juges
sont élus pour six ans au suffrage direct.
DEUX SIÈCLES D’ATTAQUES
Le jury populaire pour juger les crimes est
finalement la seule innovation à survivre à
Napoléon. « C’est la part résiduelle du rêve ré-
volutionnaire », analyse l’historienne. Devenu
totémique bien que réduit à une peau de cha-
grin, ou peut-être même parce que réduit à
une peau de chagrin, il est aujourd’hui paré de
nombreuses vertus après avoir essuyé deux
siècles d’attaques et de réformes.
Ce symbole de la démocratie judiciaire, flan-
qué, dès 1808, d’un professionnel en garde-
chiourme, le président des assises, a souvent
été critiqué au XIXe siècle pour son laxisme. La
presse dénonce des « acquittements scanda-
leux ». Les théoriciens défendent néanmoins
l’institution, tel Alexis de Tocqueville, selon qui
le jury « sert à donner à l’esprit de tous les
citoyens une partie des habitudes du juge ; et ces
habitudes sont précisément celles qui préparent
le mieux le peuple à être libre » (De la démocratie
en Amérique, 1835). Les praticiens sont moins
enthousiastes. Denis Salas, président de l’Asso-
ciation française pour l’histoire de la justice, a
exhumé, pour un colloque sur « Le citoyen
En réservant les procès d’assises aux crimes
« les plus graves », le projet de réforme
de la justice restreint encore le rôle des jurys
populaires. Retour sur l’évolution
d’une institution née avec la Révolution
juge » à la Cour de cassation, en février 2017, une
lettre écrite en 1828 à la chancellerie par un
président de cour d’assises : « Les jurés connais-
sent la loi, et, au lieu de la suivre, ils la jugent.
Comme ils trouvent ses dispositions trop sévè-
res pour le cas à juger, ils composent avec elle et
préfèrent ce qu’ils croient être le bien à ce qu’ils
savent être juste et légal. »
Intrus, le jury est aussi un ovni : il juxtapose
une procédure accusatoire, inspirée du mo-
dèle britannique, où l’instruction à charge et
à décharge se fait à l’audience, à une procé-
dure inquisitoire, où le juge d’instruction li-
vre à la cour les conclusions de son enquête
avec l’accusé sur un plateau.
Pourtant, la greffe a bel et bien pris. Même si,
au fil du temps, « le jury va subir un double mou-
vement pour améliorer sa représentativité et
restreindre son champ d’intervention », précise
Vanessa Perrocheau, enseignante-chercheuse
à l’université de Saint-Etienne. Les femmes
font leur entrée dans les jurys d’assises à la
Libération, en même temps que dans les
bureaux de vote. Quant au mode de sélection
Ce symbole
de la démocratie
judiciaire a souvent été
critiqué au XIXe siècle
pour son laxisme
des jurés, il se démocratise très progressive-
ment. Ce n’est que depuis 1980 qu’ils sont tirés
au sort sur les listes électorales. Au XIXe siècle,
les préfets les choisissaient parmi les notables,
puis des commissions contrôlées par les pro-
cureurs généraux ont été créées pour piocher
dans des listes proposées par les maires.
Dans le même temps, les juges profession-
nels regagnent du terrain perdu. Le processus
de correctionnalisation, qui requalifie un
crime passible des assises en délit jugé au tri-
bunal correctionnel, a débuté dès le XIXe siè-
cle. Depuis 1986, les crimes commis en ma-
tière de terrorisme et de trafic de stupéfiants
en bande organisée sont confiés à une cour
d’assises composée exclusivement de juges
professionnels.
Surtout, la toute-puissance du jury popu-
laire, vox populi vox dei, a vécu. La réforme de
1941 consacre « la mort du jury criminel »,
selon Jean-Pierre Royer (Histoire de la justice
en France, PUF, 2010). Depuis cette date, le
président et ses deux juges assesseurs partici-
pent au délibéré et votent avec les jurés. Pour
achever de faire tomber le jury populaire de
son piédestal, le mythe de son infaillibilité
est abandonné avec la loi de juin 2000. Le
verdict peut désormais être contesté devant
une cour d’assises d’appel. Dernières étapes
de la banalisation, sa décision sur la culpa-
bilité doit être motivée depuis la loi de 2011,
et celle sur la peine devra désormais l’être,
depuis la décision du 2 mars 2018 du Conseil
constitutionnel. Sous l’influence du droit
européen, le jury populaire a profession-
nalisé sa procédure afin de répondre aux
principes du « procès équitable » et de la
« procédure intelligible ».
« Le jury remplit aujourd’hui parfaitement
sa fonction et a atteint une maturité démo-
cratique », affirme Sandrine Zientara-Logeay,
magistrate, directrice de la mission de
recherche Droit et justice. Une légitimité
acquise au prix d’une restriction du champ
des assises (2 744 affaires jugées aux assises
en 2016 contre 321 981 jugées en correction-
nelle) et de l’allongement de la durée du pro-
cès, pour donner toute sa place à l’oralité des
débats. La principale critique encore enten-
due à l’égard du jury est l’inégalité dont il
ferait preuve, selon les régions, dans la sévé-
rité des peines.
« JUSTICE DE LUXE »
Paradoxe, c’est au moment où le jury n’est plus
véritablement contesté que le gouvernement
songe à le marginaliser encore un peu plus. Il
est vrai que la proposition de créer un tribunal
criminel ne résulte pas d’une défiance à son
encontre. Elle répond à une préoccupation
gestionnaire destinée à réduire les coûts de
cette « justice de luxe » que seraient les assises
et à honorer l’obligation européenne d’un
« délai raisonnable » de jugement.
Cette évolution n’est pas propre à la France. La
revue trimestrielle de l’Ecole nationale de la
magistrature, Les Cahiers de la justice, a publié,
fin 2017, un numéro consacré à « la cour d’assi-
ses au XXIe siècle », dans lequel sont notam-
ment détaillées les réformes menées ces der-
nières années en Belgique et en Suisse. Les
assises y sont reléguées à la portion congrue.
A lire le récent ouvrage de Christiane Besnier,
La Vérité côté cour. Une ethnologue aux assises
(La Découverte, 2017), véritable ode à cette
institution, ce serait peut-être davantage l’ora-
lité des débats aux assises que la présence de
citoyens jurés qui donnerait à l’œuvre de jus-
tice sa qualité et son humanité. « L’audience a
mis en évidence la capacité à exorciser le mal
par la recherche du sens de l’acte auquel l’ac-
cusé participe. On y perçoit la vérité au travail
de la convergence des récits. Nous ne sommes
plus face à la violence brute et sidérante, mais
devant un acte dont chacun perçoit la signifi-
cation humaine. La responsabilité de l’auteur
aura été cernée. La peine aura un sens. » Pour le
criminel, la victime et la société. h
·
6
LE MONDE S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8
RÉSONANCES
PA R E M M A N U E L L E L O Y E R ,
HISTORIENNE
LES MURS
GARDENT
LA PAROLE
L
es beaux jours reviennent (ou devraient
revenir). Se balader dans une ville le nez au
vent est un des grands plaisirs de l’existence.
Monuments, flux et reflux, scènes de rue, attroupe-
ments, incidents de la circulation – on s’arrête et on
regarde : nous restons des badauds autant que des
flâneurs, deux figures de la culture urbaine qui sub-
sistent en nous au temps de l’hypertourisme parisien,
du Vélib’ et de la mobilité casquée. Cette façon de déplier
le livre de la rêverie historique, d’identifier les signes
qui disent l’hier dans l’aujourd’hui, est infiniment
distrayante et permet souvent de résister aux embarras
et aux désagréments de la ville actuelle.
Justement, depuis quelque temps, une colossale affiche
couvre une des façades sud du Louvre en travaux et
offusque le regard : « Augmenter la réalité, révolutionner
les idées. La 5G arrive. » On se croirait dans George Orwell !
De même, en face, empaquetant l’aile ouest de l’Institut,
une citation de Ralph Lauren (qui ne fait pourtant pas par-
tie des quarante Immortels) : « La vie est mon inspiration.
Une invitation à profiter de chaque instant. » L’emphase et
le faux hédonisme niais sont bien d’aujourd’hui… et aussi
une certaine privatisation rampante de l’espace public.
LES TROIS LOGIQUES DE L’INSCRIPTION URBAINE
Car, depuis le XVIIIe siècle, les murs de la ville participent
à la construction matérielle d’un espace public par
le jeu des inscriptions urbaines. Elles obéissent toujours
à trois logiques : une politique d’information officielle
par affichage ; une écriture informelle, parfois subversive
(graffitis, imprimés éphémères) ; un vecteur technique
d’augmentation de la renommée (de la réclame à la
publicité tous azimuts). Sous l’Ancien Régime, les décrets
royaux côtoient les avis de recrutement, les publicités
des libraires, les affiches privées (perte d’un objet, vente
d’un bien), les encadrés faisant la promotion de telle
ou telle représentation théâtrale.
A partir de 1789, l’inscription urbaine s’affiche massive-
ment et joue un rôle politique majeur durant le moment
jacobin : « discours muraux », avis pour la levée des
conscrits, communiqués d’opérations militaires, annonce
de commémorations… Louis-Sébastien Mercier nous
décrit dans son Tableau de Paris (1781) la figure typique de
l’« afficheur », avec sa petite échelle, sa colle et sa brosse :
« Il affiche d’un visage égal le sacré, le profane, le juridique,
l’arrêt de mort, les chiens perdus (…). Quand ils ont
mis la lettre du côté de la rue, et qu’elle est bien droite, ils
la contemplent d’un air de satisfaction et s’en vont. »
Le temps a passé. L’information institutionnelle emprunte
d’autres voies, postale puis numérique. Reste la publicité
qui, autant que l’image, a envahi les villes. Restent aussi
les indomptables graffitis urbains. Avant d’être en partie
patrimonialisés sous le terme de « street art », ils jaillissent
dans leur fraîcheur comme un état de la société, mais
aussi un état de la langue. Puisqu’on célèbre le cinquante-
naire de 1968, rendons hommage à ce grand moment
d’inscriptions urbaines que fut le mois de mai.
On aura beau dire qu’elles ne reflètent qu’imparfaitement
un mouvement polymorphe, divers, qui ne se résume
pas aux étudiants, elles signent, comme une légende,
la vérité anonyme de l’événement. Comme si, tout à coup,
une langue collective, sortie des tréfonds de la ville, s’était
invitée sur les murs parisiens récemment blanchis par
André Malraux : des phrases sombres et somptueuses
– « La société est une fleur carnivore », « L’ennui pleure » ;
une langue politique inédite, enragée et autocritique –
« Quand le dernier sociologue aura été pendu avec
les tripes du dernier technocrate, aurons-nous encore
des problèmes ? », « On achète ton bonheur, vole ! » ; un
rapport ludique au politique – « Soyez salés, pas sucrés ! »,
« Le régime gaulliste est un régime amaigrissant ».
L’humour ne côtoie pas souvent la révolution car les
révolutionnaires n’ont pas le temps de rire : une
révolution les attend. Mais le temps, justement, il ne faut
pas le perdre à le gagner. Alors autant en profiter ici
et maintenant : « Vivre sans temps mort », « Suppression
du droit de vote avant la retraite », « Non aux bidonvilles,
non aux villes bidon ! », « Millionnaires de tous les pays,
unissez-vous ! Le vent tourne ! » et l’inoxydable « Godard,
le plus con des Suisses prochinois »… h
E M M AN U E LLE LOY E R
Professeure d’histoire contemporaine
à Sciences Po Paris.

E N FA C E
Hirundo
rustica Autoportrait
avant disparition
Parce que l’agriculture
intensive empoisonne
les insectes dont elle
se nourrit, l’hirondelle
rustique se raréfie en France.
Le prélude à un « printemps
silencieux », sans chants
d’oiseaux ?
CATHER IN E VIN CEN T
V
ous souvenez-vous de cette
comptine ? « Qu’est-ce qu’elle a
donc fait / La p’tite hirondelle ? /
Elle nous a volé / Trois p’tits sacs
de blé »… Si ça continue, elle va fi-
nir par me manquer. Non pas que j’y étais pré-
sentée à mon avantage ! Ce qu’elle disait de
moi n’est même pas exact – j’y reviendrai.
Mais enfin, c’est de moi qu’il s’agissait. Les en-
fants la chantent-ils encore aujourd’hui, cette
comptine ? Et si oui, savent-ils seulement à
quoi je ressemble ?
Les savants m’appellent Hirundo rustica :
hirondelle rustique – manière de dire que
j’affectionne les granges, comme l’exprime
plus clairement mon nom anglo-saxon, barn
swallow. Les autres disent tout simplement
« hirondelle » car, des 75 espèces cousines que
j’ai dans le monde, je suis, et de très loin, celle
dont la famille est la plus nombreuse. Quant à
moi, je ne me nomme pas. J’essaie de me
nourrir et de me reproduire du mieux possi-
ble – ce qui, par les temps qui courent, n’est pas
une mince affaire. Et, l’hiver venant, je vole.
THÉORIE FUMEUSE
Destination : l’Afrique. Forte de mes ailes et de
ma vingtaine de grammes, je trace plusieurs
milliers de kilomètres en deux mois, traver-
sant – quand je ne défaille pas en route – la
Méditerranée d’une seule traite. Un voyage si
incroyable que les hommes, pendant long-
temps, n’y ont pas cru. Des siècles durant, les
plus cultivés d’entre eux ont pensé que nous
passions la période hivernale sous l’eau, ou
enfouies dans la vase ! Tout cela parce que nous
nous réunissons en dortoir dans des roselières
la veille du départ, pour décoller discrètement
avant le lever du soleil… Il fallut attendre
Buffon et son Histoire naturelle des oiseaux
pour que cette théorie fumeuse soit rempla-
cée, en 1770, par l’hypothèse migratoire.
Pourquoi aller si loin, me direz-vous ? Pour le
soleil, bien sûr. Mais aussi parce que nous nous
nourrissons exclusivement d’insectes volants
(c’est pourquoi la comptine d’autrefois est
mensongère : les sacs de blé ne nous intéres-
sent pas du tout). Or, l’hiver, ces derniers se
font rares dans les régions tempérées alors que
l’Afrique tropicale en regorge – d’où la nécessité
de ce périlleux périple. Cela dit, quand nous
nous regroupons sur les fils électriques
comme autant de notes sur une portée musi-
cale pour préparer notre départ, l’automne est
de plus en plus avancé. Réchauffement clima-
tique oblige… De même nos retours sont-ils de
plus en plus précoces. Ce qui rend le dicton
plus juste que jamais : une hirondelle, décidé-
ment, ne fait pas le printemps.
Fait rarissime au siècle dernier, certaines d’en-
tre nous passent désormais leur hiver tout en-
tier dans le Midi, voire le long de la côte atlanti-
que ! Habitants de l’Hexagone, rencontrerez-
vous bientôt des hirondelles à Noël ? Si c’est le
cas, vous me reconnaîtrez facilement : je suis
la plus grande et la plus effilée des cinq espèces
présentes en métropole. On me repère à ma
queue fourchue aux longues rectrices exter-
nes, au plumage bleu noir métallisé de mon
dos, blanchâtre teinté de roux de mon ventre,
à mon front et ma gorge rouge brique (ma
cousine l’hirondelle de fenêtre, de taille plus
réduite, a la gorge blanche). Mais ne rêvez pas
trop : l’été comme l’hiver, vous risquez surtout
de me voir de moins en moins.
La nouvelle, en effet, ne vous a sans doute pas
échappé. Elle date du 20 mars, elle a fait la
« une » du Monde, et c’est le Muséum national
d’histoire naturelle et le Centre national de la
recherche scientifique (CNRS) qui l’affirment :
les oiseaux disparaissent des campagnes fran-
çaises à une « vitesse vertigineuse », et ce phé-
nomène de « disparition massive » est désor-
mais « proche de la catastrophe écologique ».
En France, nous serions entre
900 000 et 1 800 000 couples
nicheurs. Notre population a chuté
de 41 % en dix ans
En moyenne, les populations d’oiseaux se
sont réduites d’un tiers en quinze ans. Et bien
sûr, je fais partie du lot. D’après le dernier
Atlas des oiseaux nicheurs de France métro-
politaine, coordonné par Nidal Issa et Yves
Muller (Delachaux & Niestlé, 2015), nous
serions désormais entre 900 000 et
1 800 000 couples nicheurs. Notre population
a chuté de 41 % sur les dix dernières années. La
situation est un peu moins grave à l’échelle
LE MONDE
européenne mais, là encore, il n’y a pas lieu de
se réjouir : – 32 % depuis 1980.
Les causes de cette hécatombe ? Les cher-
cheurs du Muséum et du CNRS sont formels :
mon déclin, comme celui de tous les oiseaux
avec lesquels je partage régions de plaine et
zones humides, provient pour l’essentiel de
l’intensification des pratiques agricoles. Il est
d’ailleurs particulièrement marqué depuis
2008-2009, « une période qui correspond, entre
autres, à la fin des jachères imposées par la poli-
tique agricole commune [européenne], à la
flambée des cours du blé, à la reprise du sur-
amendement au nitrate permettant d’avoir du
blé surprotéiné et à la généralisation des néo-
nicotinoïdes » : des insecticides neurotoxiques
très persistants qui font des ravages dans les
populations d’insectes. Or, je vous l’ai dit, les
hirundinidés sont exclusivement insectivores.
TRISTE FABLE
J’ai une copine en Amérique du Nord, avec qui
je bavarde volontiers quand nos chemins de
migration se croisent. La dernière fois, je lui ai
raconté nos problèmes démographiques.
« Mais ma pauvre amie, c’est le Printemps
silencieux que tu me racontes là ! », m’a-t-elle
répondu. Le printemps silencieux ? Elle m’a
expliqué qu’il s’agit d’un livre culte pour les
défenseurs de la nature, publié en 1962 par
l’Américaine Rachel Carson, dont la traduc-
tion française a été rééditée à l’occasion de son
cinquantenaire (Wildproject, 2012).
« Ce fut un printemps sans voix. A l’aube, qui
résonnait naguère du chœur des grives, des
colombes, des geais, des roitelets et de cent
autres chanteurs, plus un son ne se faisait
désormais entendre ; le silence régnait sur les
champs, les bois et les marais »… Mon amie
d’outre-Atlantique connaissait par cœur la
triste fable par laquelle commence cet ouvrage
capital, qui signa pour nombre d’observateurs
la naissance du mouvement écologiste. Elle
me précisa qu’il dénonçait les méfaits d’une
utilisation excessive de pesticides organo-
chlorés sur la faune des pays industrialisés, et
qu’il contribua grandement à ce que l’usage
·
7
S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8
OLIVIER DANGLA
agricole du DDT soit interdit dans les années
1970 par de nombreux pays. Rachel Carson y
cite même un naturaliste du Wisconsin qui
parle de nous, les hirondelles ! « Nous en avions
beaucoup plus il y a quatre ou cinq ans, le ciel en
était plein ; à peine, maintenant, en voit-on
quelques-unes… Cela peut provenir des pulvéri-
sations qui ont soit chassé, soit empoisonné les
insectes », rapporte-t-il. La description rappelle
furieusement celle que font aujourd’hui ceux
à qui notre présence importe.
Entendons-nous bien : je ne voudrais pas
passer pour une Cassandre ! Car en ce qui
concerne mon espèce, tout ne va pas si mal.
D’abord parce que nous sommes partout : en
Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique.
Ensuite, parce que nous sommes nombreu-
ses. En France, nous figurons au top 20 des
oiseaux les plus répandus, ce qui, en termes
de concurrence vitale, nous laisse de la
marge. En 2016, lorsque la dernière Liste
rouge nationale des oiseaux nicheurs a été
publiée, j’ai découvert avec tristesse que plu-
sieurs espèces communes y étaient entrées :
la linotte mélodieuse, le chardonneret élé-
gant, le bouvreuil pivoine et le bruant jaune
– pour ne citer que ceux qui font partie de
mes connaissances – portent désormais
l’appellation « vulnérables à l’extinction ».
Mais pas nous ! Pas encore.
Il faut dire qu’être « rustique » quand les
temps sont durs, cela aide ! Le qualificatif
n’est pas usurpé : si notre reproduction nous
rend dépendantes de l’homme et de ses
constructions, nous nous contentons de trois
fois rien. Ecurie, étable, grange, garage ou
lavoir, tout est bon pour construire le nid,
pourvu que celui-ci soit accessible en tout
temps. D’où mon message : si vous, humains,
cessiez un peu de démolir à tout-va nos sites
de nidification favoris au prétexte de moder-
niser votre habitat, cela arrangerait bien nos
affaires. Faute de quoi notre survie finira par
être en jeu. J’en viendrais alors à regretter la
punition de la chanson : « Nous l’attraperons/
La p’tite hirondelle/Et nous lui donn’rons/
Trois p’tits coups de bâton. » h

E N I M AG E S
Fabrique
d’une icône
Luiz Inacio Lula da Silva, porté par des sympathisants, devant le siège du syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo, au Brésil, samedi 7 avril. FRANCISCO PRONER/REUTERS
M AR ION DU PON T
Des sympathisants
de Lula, l’ancien
L
e regard de la multitude converge, désignant
sans équivoque ce qu’il y a à voir : un
président du Brésil, homme qui semble avoir émergé du sein de
tentent de l’empêcher la foule, porté par ses innombrables bras, et
comme sur le point d’être englouti par elle.
de se rendre à la police. Les corps forment autour de lui des cercles concentri-
ques ; les mains tendues esquissent, dans la partie
Pourquoi les journaux inférieure de l’image, une composition pyramidale
locaux ont-ils délaissé parfaitement classique ; le rouge du Parti des tra-
vailleurs, réparti en un bel équilibre chromatique, fait
cette photo spectaculaire, circuler le regard du spectateur. L’image, à la hauteur
de l’événement – jugé coupable de corruption, le très
publiée par le « New York populaire ex-président du Brésil Luiz Inacio Lula da
Times » et virale sur Silva se rend à la police, le 7 avril, tandis que des sym-
pathisants tentent de l’en empêcher –, présente
les réseaux sociaux ? toutes les qualités picturales et esthétiques des icônes
du photojournalisme.
Pourtant, la photographie n’a pas été publiée en
« une » de la presse brésilienne ; elle s’est même faite
discrète dans ses pages intérieures. C’est par les
réseaux sociaux qu’elle a commencé son chemin vers
la gloire, postée le jour même par son auteur, le jeune
photographe Francisco Proner, sur Instagram. De
nombreux comptes la reprennent, pour la plupart
ralliés à la cause de l’ancien président, comme le très
actif @MídiaNinja, accompagné de hashtags tels que
#eusouLula (« je suis Lula »). Mais elle est aussi choisie
par le New York Times pour son édition papier du
dimanche 8 avril, et par divers titres de la presse inter-
LE MONDE
nationale. La presse brésilienne lui a préféré des ima-
ges montrant l’homme politique de plus près, prises
par leurs photographes présents dans la foule ; un
choix justifié par des questions économiques (un
document produit par un journaliste de la maison
coûtera moins cher), mais pas seulement, si l’on consi-
dère qu’une image forte est une image qui vend. La dis-
parité du traitement visuel pose ainsi la question de la
sélection éditoriale, trop souvent occultée au profit de
critères esthétiques dans l’analyse de ces icônes qui en
viennent à incarner un événement à elles seules.
DIVISION ET CONVERGENCE
C’est que le moment est précisément celui d’une
bataille de l’image. Hautement symbolique, il a été
orchestré par les autorités et par Lula lui-même, qui a
négocié avec la police les conditions de son arresta-
tion : elle a eu lieu à Sao Bernardo do Campo, devant le
siège du syndicat des métallurgistes – où sa carrière
politique avait commencé dans les années 1970, sous
la dictature militaire –, juste après une messe en
mémoire de son épouse décédée un an auparavant.
Cette mise en scène a favorisé la présence de nom-
breux sympathisants et celle des journalistes, la
charge symbolique s’en trouvant augmentée, cette
fois dans un sens positif à son égard. L’ancien
président est tout à fait conscient du poids qu’aura
l’image de cet instant dans les esprits, et, dans un dis-
cours prononcé avant son arrestation, il déclare
d’ailleurs : « [L’]obsession [des élites] est d’avoir une
photo de Lula prisonnier. »
·
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S A M E D I 1 4 AV R I L 2 0 1 8
Politicien corrompu ou homme du peuple victime
des puissants ? Les rédactions ont pu délaisser cette
photographie dans le souci de ne pas s’aliéner une
partie de leur lectorat et de conserver une apparence
d’objectivité. Le sens à accorder à l’événement divise
l’opinion publique et le pays tout entier, quand la
photographie de Francisco Proner illustre une
convergence. Celle-ci est d’ailleurs prise depuis un
étage du siège du syndicat des métallurgistes ; le
point de vue en plongée et le cadrage centré sur la
foule se prêtent particulièrement à une lecture privi-
légiant l’engouement populaire.
En dépit de cela, la force de l’image et la raison de son
succès auprès du public et à l’étranger réside peut-être
dans sa capacité à offrir d’autres niveaux de lecture.
Nicolas Mariot, politiste et directeur de recherches au
CNRS, auteur de Bains de foule. Les voyages présiden-
tiels en province, 1888-2002 (Belin, 2006), suggère
ainsi : « On peut bien sûr lire cette image comme une
évocation du triomphe antique – la foule colorée,
presque carnavalesque, faisant curieusement du
départ vers la prison un moment enthousiaste. Mais
cette image convoque aussi une gestuelle et une icono-
graphie bien moins réjouissante : celle d’un enterre-
ment en grande pompe, comme ceux réservés aux mar-
tyrs dans le monde musulman par exemple. Une
lecture ironique aurait pu se dessiner. » Quoi qu’il en
soit, de nouveaux canaux de diffusion permettent
ainsi de consacrer une vision de l’événement que la
frilosité de la presse a empêchée de retenir, avant que
l’histoire ne se charge de trancher. h