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LES CINQ LIVRES

OU LA CLEF DU SECRET DES SECRETS


NICOLAS VALOIS

P
lusieurs versions de ces ouvrages non imprimés ont circulé. En l’occurrence, la version
présentée ici semble être celle correspondant au manuscrit C dont parle Chevreul, portant la
suscription ex libris Clavier. Il se compose de trois volumes reliés, dont deux renferment le
Traité de Vicot et le troisième, le Traité de Valois et le Traité de Grosparmy. Les Cinq Livres de
Valois font par ailleurs partie du manuscrit A qui contient la Clef du Secret des Secrets que l’on
lira ci-dessous.
Tous ces traités et leurs variantes semblent ne pas avoir été appréciés à leur juste mesure. Chevreul écrit :
« La cause n’en est-elle pas que la spéculation y domine trop sur la pratique, et que leurs adeptes s’accordent
à justifier l’obscurité de leurs écrits, en même temps qu’ils renvoient le lecteur à un certain nombre d’écrits
alchimiques. »
Le Livre Premier se recoupe, pour beaucoup, avec le traité de Nicolas Grosparmy.
Le Livre II cite la graisse de la Terre et les petits corbeaux, que l’on retrouve dans d’autres ouvrages : Huginus
à Barma ; Commentaire d’Hortulain à la Table d’Emeraude ; L’Œuvre Secret d’Hermès. C’est dans ce livre qu’on
trouve l’une des plus belles sentences du corpus alchimique : « La Patience est l’échelle des Philosophes, et
l’Humilité est la porte de leur Jardin », expression reprise par Fulcanelli, permettant de lier le sable à la terre
pour qui a quelque teinture de cabale.
Le chapitre II du Livre III donne à voir l’image type de l’athanor des Sages. Nous ne saurions d’ailleurs
mettre en garde l’étudiant contre le danger – l’inutilité – qu’il y aurait à ériger pareil fourneau dont la valeur
est toute allégorique.

L’ensemble des traités de Vicot, Valois et Grosparmy se trouve dans trois mss de la bibliothèque de
l’Arsenal :
2221. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal MS. 2516 (166 S.A.F)
259 (+ p A-F) + 227 (+ p A-H) + 207 (+p A-D) pages. Paper. 241x178mm. 17th Century.
1. Livre de N. Grosparmy et de N. Valois.
p C-F Table.
a) p1 ‘OEuvre ou traité premier de Nicolas Grosparmy de Normandie.’
b) p79 ‘Le très grand secret des secrets, autrement le Trésor des trésors de Nicolas Grosparmy.’
c) p129 ‘Les Cinq Livres de Nicolas Valois, compagnon du seigneur Grosparmy.’
[Bibliotheque de M. de Paulmy.]

2250. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal MS. 3018 (165 S.A.F.)


324 pages. Paper. 154x100mm. 18th Century.
Les Cinq Livres de Nicolas Valois, compagnon du seigneur Grosparmi [Grosparmy].

2251. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal MS. 3019 (166 bis. S.A.F.)


175 + A-H + 7 +106 pages. Paper. 207x153mm. 18th Century.
1. (175 + A-H pages) Les Cinq Livres de Nicolas Valois, compagnon du seigneur Grosparmi [Grosparmy], et de
Pierre Vicot, prestre, tiré sur l’original dans la bibliothèque d. R.
2. (7 pages) [Recipes.]
3. (106 pages) De la première matière ou teinture des métaux. – L’art compendieux de Raimond Lulle [Lully],
qu’il a nommé Vade mecum. – La révélation de la parole cachée par la sagesse des anciens, ou généalogie de la
mère du mercure des philosophes. [Treatise on the virtues of the philosopher’s stone.]
[Illustrated with coloured figures on parchment at page H.]
LIVRE PREMIER
THÉORIQUE Testament et dernière volonté, ces Paroles, par
lesquelles te sera enseigné plusieurs belles choses
Les premiers Éléments : B.
touchant la très digne Transmutation métallique,
Vapeurs d’iceux, qui se condensent en Eau c’est à dire Pierre des Philosophes, aujourd’hui tant
pondéreuse : E. vilipendée du vulgaire ignorant, et tant cachée par
Vapeur : C. les Sages, qu’à peine ceux qui sont au vrai chemin
Mercure coulant : D ou Eau. peuvent le croire, jusqu’à ce qu’ils aient vu par
expérience la vérité de la chose.
Chaos Calcaduc : E.
C’est pourquoi je t’ai fait enseigner les principes de
Mercure philosophique : F.
la Philosophie naturelle, afin de te rendre plus
Soufre sec : G. capable de cette sainte Science ; mais d’autant que je
Métaux : H. 1 te laisse dans un âge où la discrétion n’est pas encore
Les premiers Principes sont deux, à savoir D. et H., en toi, telle que je l’y aurais pu imprimer si le bon
desquels par sublimation philosophique est Dieu m’avait laissé vivre davantage, je ne parle
engendré F., c’est à dire que le Mercure qu’avec crainte et peine que j’ai, que ton cœur, ainsi
philosophique est disposition moyenne, ayant qu’aux Rois de Juda, ne dévie des qualités de son
puissance de convertir l’Eau en Vapeur. Or tout se Père, ainsi que prévoyait Salomon, père des
trouve aux Éléments premiers, car iceux Éléments se Sciences, que les richesses ne corrompent le cœur
réduisent en Vapeur, ou Eau pondéreuse, de bénin, que ta naissance et mon exemple avoient
laquelle on doit extraire Mercure au lieu d’Eau vive, commencé d’imprimer en ton cœur ; le plus souvent
et ledit Mercure descendu dudit Métal en Élément les enfants des Pères pervers sont enclins à bien ;
premier, est changé par transmutation de forme en mais aussi des Anges peuvent enfanter des Démons,
Soufre sec ; mais premièrement les Éléments tant les inclinations diffèrent de celles de leurs Pères.
premiers descendus en Vapeur d’iceux Éléments. Le Or pour éviter ce malheur, qui troublerait le repos
Calcaduc blanc ou rouge comme l’entier de mon âme, autant de fois que tu abuserais de ce
acheminement à la dernière fin de tout l’œuvre, divin secret, pour l’employer à choses impures et
entend qu’est considéré le ferment et dernière mauvaises, je veux que tu saches, comme le bon
injonction de Nature. Dieu me le donna, par mes prières et bonnes
EXPLICATION BRÈVE intentions, que j’avais d’en bien user. Et comme par
SELON LE SENS COMMUN ET VULGAIRE. Elle j’ai acquis tous les biens que je laisse entre tes
ieu est Éternel et tout puissant, qui a mains et de tes frères, lesquels périront dès lors que

D engendré son Fils, desquels procède les possesseurs d’iceux se corrompront en leurs
le Saint Esprit, un seul Dieu en mœurs ; car c’est un secret réservé du bon Dieu pour
Trinité, qui a fait le Ciel et la Terre, et ses Élus qui font ses divins commandements ;
tout ce qui y habite. Il a aussi fait le lesquels sont par lui choisis selon la pureté de leur
Soleil, la Lune et les Etoiles, lesquelles jettent leurs cœur.
influences dans le ventre du vent, comme dans le Car il sait pénétrer le secret de nos Consciences et
premier vaisseau de nature, c’est cette triple prévoit les débordements qu’apportent
semence qui se convertit en la substance de toutes ordinairement les autorités et richesses des hommes
les choses qui sont au Monde, c’est-à-dire à chaque mondains, aussi ne la donne-t-il qu’à ceux qui sont
règne séparément, sans qu’aucun puisse aller de l’un dignes d’un si grand Trésor ; c’est à savoir aux
à l’autre, mais multiplient en eux par leur propre humbles de cœur, patients et charitables. Ainsi ces
vertu leur semblable, sans rétrogradation d’iceux, Vertus te conduiront à ce haut secret, pourvu que tu
que par la réduction en leur première Matière saches les Principes métalliques et les opérations de
universelle, qui est le Limbe et le Chaos de la Nature ; car par icelle Nature tu seras illuminé,
Nature. pourvu que tu sois en grâce. Mais j’omettrai encore
Au nom de Dieu tout puissant, sachez, mon fils bien quelque chose à dire, qui sera la vérité de la
aimé, l’intention de Nature par les Enseignements ci Pratique, laquelle tu trouveras assez dans les anciens
après déclarés. Quand aux derniers jours de ma vie, auteurs, pourvu que tu saches découvrir leurs
mon Corps prêt d’abandonner mon Âme, ne faisait intentions, qui sont cachées sous une confusion de
plus qu’attendre l’heure du Seigneur et du dernier vaines paroles, et te faut comme en un Jeu de cartes
soupir, désir me prit de te laisser comme un mêlé, savoir ranger chaque chose selon sa valeur. Je
te conduirai à cette connaissance mieux qu’homme
1 Lire le Traité de Nicolas Grosparmy, le Trésor des du monde saurait faire, quant à la Théorie et
Trésors ou Clavis Majoris Sapientiae. connaissance des premiers Principes qui sont les

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clefs de la Maison de Nature, dans laquelle tu dois comme nous. Car véritablement ceci peut être dit un
travailler. Mais quant à la Pratique, ne t’arrête pas à labeur sans frais ; et les Sophistes méchants vident la
moi, que tu n’aies recouru aux auteurs, qui disent bourse auparavant que leurs divers vaisseaux
choses bonnes et mauvaises : mais voici le Secret. puissent être accommodés et leurs fours dressés.
Sache que tous parlent d’une même façon en deux Ainsi ayant revu diligemment les bons Livres,
façons, dont l’une est vraie et l’autre est fausse ; la comme Arnaud, Raymond Lulle et le Code de toute
vraie est telle qu’elle ne peut être entendue que des Vérité, nous fîmes une résolution, sur laquelle nous
Illuminés seulement, qui marchent droitement et sommes par la grâce de Dieu arrivés à notre fin,
selon nature, laquelle est pourtant couverte de après tant de travaux passés à ce grand Secret. Mais
comparaisons et exemples, sous noms et équivoques, un de nous, tellement porté aux particuliers
qui n’appartiennent point à la Science, mais sont sophistiques pour voir tous les jours nouvelles
significatives d’icelle, car en icelle n’est besoin que choses, qui lui éblouissaient les yeux, ne les voulut
d’une seule chose, et d’un seul moyen d’opérer, par quitter. Or j’avais bien 45 ans quand cela arriva en
une voie simple et naturelle, sans se perdre dans la l’an 1420, et au bout de 20 mois l0 nous vîmes ce
pluralité des choses contraires à notre unique levain. grand Roy assis en son Trône royal, faisant au
La fausse est cette confusion de régimes et drogues premier projection sur le blanc, puis sur le rouge.
méchantes, car encore que le tout soit significatif de Ce que tu feras comme moi si tu veux prendre peine
quelque chose qui appartienne à la Science ; et être tel qu’il faut être, et surtout craignant Dieu, et
toutefois il n’y faut point avoir d’égard quant à la ne faut point tant de dépense, de temps, ni de frais ;
qualité, parce que Nature est simple et qu’elle car contant le temps que j’étais en chemin, que je
n’opère que simplement. laisse par écrit, jusqu’à la perfection de l’Œuvre. Il
Commençons toutes choses par un premier Principe, ne faut que 18 mois, auquel temps ledit Œuvre fut
qui est dit général, et finissant par l’espèce que la accompli, encore qu’il fût failli une fois. C’est le
Nature désire produire, et non pas qu’elle usurpe de moins, et pour cela il faut être deux, afin que si l’un
l’un pour le mettre à l’autre, parce qu’elle est manque, l’autre supplée à son défaut, tant au travail
impuissante de toute nouvelle génération, sinon que qu’au conseil. Ce que tu dois bien remarquer pour
chaque chose après son temps retombe dans son t’assurer d’un fidèle Compagnon, doué des mêmes
premier Limbe. Voilà la première Clef de Nature ; Vertus que je t’ai recommandées, lequel ne
car si tu sais bien observer ce précepte, tu éviteras ce t’abandonne jamais, lui confiant tout comme à un
précipice d’erreurs, auquel chacun se plonge avant autre toi-même ; et sans être opiniâtre suis quelque
que d’arriver à la vraie connaissance. fois son conseil comme il fera le tien, n’épousant
aucune opinion particulière que par un mutuel
Il faut être homme très simple ; mais aussi il faut être
consentement des deux, et où le sens fera défaut en
constant après que l’on a ce rayon de lumière, car
votre connaissance, à qui recourir ?
autant que l’obstination d’une opinion erronée est
nuisible, la Persévérance dans la vraie est profitable, A, la Tourbe, ou au Codicille de Lulle et à son
dont je te donnerai cet Exemple suivant. Testament, auquel tout est enseigné depuis le
commencement jusqu’à la fin. Mais quelque fois
Quand premièrement je me laissai malheureusement
énigmatiquement, le grand Rosaire, la fleur des
séduire aux méchants et trompeurs Alchimistes qui
fleurs, l’Elucidation du Testament, l’Appertoire et
par leurs damnables pratiques détruisent et
autres, où la Science est complète, déguisant les
consomment les hommes de corps et de biens, nous
deux matières toutefois et les cachant aux peu
étions seulement Trois errants par le Monde avec
entendus. Mais je te les donnerai en vue, si Dieu t’en
toutes les incommodités possibles, qui assujettis à
fait la grâce. Tu trouveras aussi un petit Traité
toutes nouvelles opinions, avons eu toutes les peines
composé par l’un de nous, si tu veux prendre peine
qui se peuvent imaginer, tantôt sous la domination
de le chercher, dans lequel tu trouveras partie de ce
des Grands, et quelques fois esclaves des plus petits,
que j’omets, mais un peu obscurément, si tu n’as
pour essayer de parvenir à quelque nouvelle
cette vive lumière, et la connaissance des deux
connaissance. Mais après tant de Matières par nous
matières. Car en l’Œuvre, il n’entre rien autre chose,
éprouvées, et tant de sophistications qui ne nous
qui n’est qu’une même chose, mais en voici un
donnèrent enfin que le regret de notre temps et de
Exemple. Devant une ville assiégée, il n’y a qu’un
nos biens, jusqu’à nous voir par notre pauvreté le
seul homme, comme une Eau divisée en plusieurs
sujet de toute moquerie ; comme désespérés, nous
gouttes ne sont qu’une Eau, lesquelles rejointes ne
nous retirâmes de ces erreurs, épluchant
font qu’un Corps ; ainsi ces hommes sont bien
curieusement entre nous les signes plus
séparés, pour incommoder la ville ; mais quand la
démonstratifs des intentions des Philosophes. Nous
brèche est faite, tous dans un Corps donnent à
vîmes bientôt notre aveuglement et reconnaissant
l’assaut, chacun tendant au pillage. Ainsi est-il dans
nos erreurs passées, qui nous causèrent un nouveau
l’Ouvrage.
regret de tant de personnes que nous savions qui se
consument dans ces recherches vaines et ruineuses,

NICOLAS VALOIS –3– LES CINQ LIVRES


PREMIÈRE PRATIQUE Eaux et congèle tout, tu auras une pierre rouge
comme une Hyacinthe, de laquelle tu projetteras une
SELON LES PHILOSOPHES partie sur sept de Mercure ou Saturne purgé, et sera

I
l est une Pierre de grande vertu, et est Soleil rouge. Lulle et autres enseignent tout ce qui
dite Pierre et n’est pas Pierre, et est est requis au surplus ; mais comme j’ai dit sous
Minérale, Végétale, et Animale, qui Figures et Allégories, car saches que toutes les
est trouvée en tous lieux et en tous matières par eux déclarées, ne sont pas les matières
temps, et chez toutes personnes, en leur Essence, mais figuratives des effets que
laquelle il faut putréfier au fumier neuf jours, puis produisent ces deux et uniques matières en l’Œuvre
en distiller les Éléments ; de laquelle naîtra un des Philosophes.
sperme multiplicatif de toux Métaux, c’est à dire une
semence minérale qui se perpétuant de soi-même, DU PREMIER AGENT
atteindra la perfection d’une génération infinie. OU PRINCIPE
Prends 8 onces de ce que les Philosophes te a Pierre des Philosophes n’est rien
commandent, que tu broieras sur le marbre, puis
l’imbiberas avec 12 onces d’huile commune des
Philosophes, tant qu’elle soit comme pâte, laquelle tu
mettras sur le feu et la dissoudras. Et quand tu
verras l’écume rouge monter, ôte-la du feu, puis la
L que l’Or très parfait, c’est à dire
amené à tel degré de perfection qu’il
puisse parfaire tous les Corps
imparfaits. L’or est donc cette Pierre,
mais non le vulgaire, car il est mort, et le nôtre est
remets sur le feu, et tant réitère que tout soit fait vif. C’est celui là qu’il faut prendre, mais sache quel
épois comme Cire fondue. De laquelle il faut extraire est cet Or vif. Quand les fruits sont mûrs ils
ton Lait virginal par voie de philosophie ; puis apportent semence, par laquelle ils peuvent être
sépareras les Éléments et les conjoindras ensemble, multipliés jusqu’à l’infini ; ainsi l’Or est un fruit qui
projetant sur l’Argent vif, tu le remettras en autant n’a jamais acquis cette maturité dans les minières, et
de fine Lime ; puis continuant ton Magistère sera par conséquent est dit mort ; car sa semence est la
aussi fait Pierre rouge qui aura même Vertu sur le chose qui le peut faire vivre et végéter comme les
rouge que sur le blanc. deux autres règnes. Mais nous lui pouvons imaginer
Mais garde-toi de l’obscurité d’aucuns, lesquels cette semence, laquelle est déjà en lui
trompent plus qu’ils n’enseignent, principalement potentiellement, car il est créé pour multiplier, ainsi
aux préparations te commandant d’user de ce dont que ses deux autres frères, autrement, il pourrait être
Nature ne sait rien, et t’enseignent matières non dit l’impuissant de la Nature. Il a vraiment cette
requises à notre Œuvre ; mais ils parlent aux semence imaginée, que Nature a tâché par tous
entendus, et non aux ignorants ; car sous ces moyens de lui faire mettre à effet ; mais ses forces
énigmes tout est compris ; mais il faut rassembler le n’ont pas été assez grandes et demandent le secours
bon grain du mauvais, et ne te décourage si tu de l’Artiste. C’est pourquoi il est dit : Aide moi et je
entends parler de cette sorte. t’aiderai. Tiens donc pour très certain que l’Or est le
commencement de notre grand Œuvre. Mais non
SECONDE PRATIQUE pas en l’état qu’il est, parce qu’il est dur, solide et
très uni en toutes ses parties ; mais il le faut rompre,

P
renez deux parties de Saturne, s’il est
besoin, au Soleil ou à la Lune de puis après faire opérer Nature. Aussi est dit, qu’il
Jupiter, et trois parties de Mercure faut le réduire en sa première matière, qui n’est
pour faire amalgame, qui devient autre chose que Vif argent, duquel ledit Or a été
Pierre frangible, laquelle broieras premièrement créé et engendré ; mais d’autant que
plusieurs fois sur le marbre, et imbibée de vinaigre pour le réduire à cette première matière, il est
très aigre et Eau de sel commun bien préparé, nécessaire d’un aide et d’une chose liquide, ainsi que
imbibant et séchant souvent jusqu’à ce qu’il le Safran jette sa teinture. Car quelle chose peut
contienne en soi une très grande substance des rendre liquide un Corps qui de soi est dur et sec, si
Cieux. Alors imbibe derechef cette Eau d’Alun, ce n’est une matière liquide, comme on voit que la
jusqu’à ce qu’elle soit pâte molle, et la mets fange est faite d’Eau et de Terre. Il faut donc une
dissoudre, puis la congèle, et tu auras une poudre Eau tiède dans laquelle ledit Corps se convertira, et
qui convertira Jupiter en Lune. au lieu qu’il est épois, il se tiendra boueux et
Mais pour le Soleil, prends Vitriol de pierre et fangeux. Et cela se fait pour deux raisons, la
calciné rouge, et le dissous en l’urine des enfants, et première pour nettoyer ledit Corps, et le purger
distille tout, et le faits tant de fois jusqu’à ce que d’aucune impureté qui par nature sont demeurées
l’Eau soit bien rouge. Alors conjoints cette Eau avec en lui, et ne peut être nettoyé, qu’en lui étant sa
la susdite Eau, avant qu’il soit congelé et mets ces dureté, d’autant qu’en l’état où il est, ni même
deux Eaux sur le fumier par quelques jours, afin quand il est fondu, rien n’en peut être séparé, à
qu’il soit mieux incorporé. Et distille ensemble ces cause qu’il est si bien uni, qu’une partie suit toujours
l’autre. Mais lorsqu’il est ainsi amolli par la solution

NICOLAS VALOIS –4– LES CINQ LIVRES


de la chose qu’il désire, les évacuations se font Ciel l’engendre, dans l’Air, puisque ce n’est qu’Air,
d’elles-mêmes, et les impuretés se séparent des et dans la Terre pour y produire toutes choses.
choses pures. Secondement ils nomment leur Mer l’Œuvre entier,
Les Philosophes ont du tout celé cette réduction, et dès que le Corps est réduit en Eau, de laquelle il
n’en parlant que de façon voilée, comme dire, fut premièrement composé, cette Eau est dite Eau de
convertir les Éléments l’un dans l’autre ; ce que les Mer, parce que c’est vraiment une mer, dans laquelle
ignorants expliquent par un mauvais sens, plusieurs Sages Nautonniers ont fait naufrage,
entendant les séparer. Cette séparation donc, est n’ayant pas cet Astre pour guide, qui ne manquera
conversion d’iceux, qui est dite Sublimation, jamais à ceux qui l’ont une fois connu. C’est cette
Calcination et Dissolution, et tels noms ne leur sont Etoile qui conduisait les Sages à l’enfantement du
donnés que pour mettre les ignorants en chemin Fils de Dieu, et cette même qui nous fait voir la
d’erreur. naissance de ce jeune Roy.
Le Corps donc premier agent des Philosophes est Il y a encore une autre Eau de notre Mer qui est celle
l’Or, qu’il faut passer par les Ciments, et c’est pour le Eau dont parle Augurel en ces mots : L’Eau que
nettoyer des mélanges qui pourraient être enclos en j’entends est extérieurement d’une poudre à l’espèce
son Corps, puis le mettre en tables menues ou en proprement, qui est le grand Elixir, lequel en poudre
poudre subtile, qu’il faut disjoindre dans une Eau, et impalpable blanche ou rouge, fait des merveilles sur
redissoudre tant de fois que tout le Corps soit toutes sortes de Corps imparfaits et malades,
dissout, en sorte qu’il n’y ait et qu’il n’y paroisse rien laquelle n’est que la première Eau, mais sublimée
qu’Eau, et tout cela se fera dans plusieurs Eaux, qui sept fois et quelquefois dix. Ceux aussi qui la
ne sont toutefois qu’une même Eau. Puis le tout nomment Eau de Vie, Vin rouge, Vinaigre, et le
étant dissout, il faut en faire passer les Eaux, et tirer reste, disent vrai : car c’est une Eau vivifiante qui fait
l’Âme dudit Corps de dedans icelles Eaux, puis croître et végéter toutes choses. C’est un Vinaigre
après l’huile ou baume, qui seront après rejointes puissant et fort ; et pour le dire en un mot, c’est une
avec le Corps imparfait. Eau forte qui a puissance, sans aucune aide que
d’elle-même, de convertir touts les Corps en leur
Tout ce travail n’est qu’imiter la Nature, en ses
première matière : car c’est elle qui tue tout. Elle est
dépurations, distillations et congélations
dans les matrices des Mères pour y procréer des
philosophiques. Ainsi est-il dit, regarde comme
Enfants. Elle est aussi dans les Tombeaux pour les
Nature travaille, et l’imite au plus près qu’il te sera
consommer et rendre à leur premier néant. Et
possible. Car tu n’as besoin que d’amollir ce Corps
combien que quelques-uns uns aient défendu les
sur lequel tu travailles, puisque je te dis assurément
Eaux fortes, desquelles les affronteurs et charlatans
qu’il est ledit Corps, avec de l’Eau que je
se servent pour corrompre et briser les Corps des
t’enseignerai ; mais tiens ce secret caché et ne le
Métaux, ils entendent ces Eaux fortes, faites de
révèle à personne.
plusieurs compositions et choses contraires à la
DE L’ESPRIT EAU substance et à la qualité de notre seul et unique
sujet ; car notre Eau se tire d’une seule et unique
OU SECOND PRINCIPE chose, qui contient en elle toutes les choses du

P
lusieurs ont estimé que l’Eau, premier monde, et dans icelle s’il y avait quelque chose
Principe des Philosophes, était la d’étranger, elle ne pourrait jamais venir à son effet,
simple Eau élémentaire, ou de pluie, que ladite chose n’en fût séparée.
ou de mer, d’autres la rosée du Ciel ; C’est pourquoi il nous la faut préparer avant toutes
d’autres l’ont cherchée dans les choses, ainsi que le Corps, de peur que quelque
simples, herbes et animaux, et telles choses mélange et chose contraire ne s’oppose à la
hétérogènes, interprétant à tort le dire des conjonction des deux. C’est donc une Eau forte, car
Philosophes, et s’attachant à leurs paroles au lieu de si elle n’avait une grande et admirable force,
prendre leurs intentions. Comme quand ils ont parlé comment pourrait-elle rendre le Corps parfait en sa
d’Eau de Vie, de Vin rouge et blanc, de vinaigre, première matière. L’Esprit de sel commun dissout
huile de tartre et telles semblables choses, ainsi que bien l’Or, mais il ne se mêle pas avec lui
l’Eau de notre mer. Car il faut que tu saches qu’ils inséparablement. Mais notre Sel le dissout d’une
parlent en plusieurs façons, comme quand ils dissolution admirable, et telle qu’il n’y a aucune
disent : Prends l’eau de notre mer ; en un autre lieu différence entre l’Or et l’Eau, et est faite une même
disent : Mercure, ou notre Vif argent, parce que ce chose.
mot de Notre emporte un autre sens ; car s’ils
disaient Eau de mer, on pourrait être déçu en cet Or ce qui en est cause, je te le dirai. L’Or en son
endroit, mais l’Eau de notre mer, qui est la mer des premier commencement fut fait de Terre et d’Eau
Philosophes, est une autre chose. Ils entendent par qui sont entendus Soufre et Mercure, lesquels étant
leur mer, la généralité de ladite Eau, parce qu’elle est assemblés l’un avec l’autre par le mélange de
par tout, en tout lieu. Elle est dans le Ciel, puisque le l’ingénieuse Nature, furent par longueur de temps

NICOLAS VALOIS –5– LES CINQ LIVRES


cuits et endurcis dans la Montagne où les-dites l’Œuvre, et celle qui illumine tout homme. C’est
matières se rencontrèrent. Mais en icelle cuisson la l’oiseau d’Hermès, [épithète classique du Mercure]
Terre se sépara peu à peu, à mesure que la qui n’a repos ni jour ni nuit, ne tâchant qu’à se
disposition et la digestion s’avançait, après toutefois corporifier en tous les lieux de la Terre ; car tout son
qu’elles ont commencé la corporification et centre est plein de cet Esprit, qui est comme un
congélation dudit Corps, et c’est ce qui le rend point, auquel un nombre infini de rayons, partant de
d’autant plus parfait que les autres Métaux, qu’en la superficie, se vont rendre. Or je te dirai la manière
iceux le Soufre y est demeuré, et n’ont pas été de connaître ladite Eau. Mais si l’amour que je te
purgés comme l’Or ; à cause ou de la Matrice qui porte me fait ici commettre un péché, prie Dieu qu’il
n’avait pas un feu assez puissant, ou de l’impureté me pardonne, et garde de m’obliger à quelque peine,
du Soufre, qui n’a pu être disposé à cette séparation. par ton imprudence. Il faut premièrement que tu
Ainsi ce n’est qu’Eau épaissie dans les minières, par saches, que aucuns l’ont cherchée en plusieurs
certain degré de digestion et décoction ; et était la drogues, comme Antimoine, Sels, Aluns, Vitriols,
même Eau qu’il lui fallait donner à boire pour Attramants ; mais jamais ils n’y ont rien trouvé de ce
l’enfler et pourrir, comme un grain de froment. qu’ils cherchaient, et n’y trouveront. Car quiconque
Mais quoi que Nature l’ait digéré et cuit tant que sa ne sait ce qu’il cherche, ne sait ce qu’il doit trouver ;
chaleur a été grande, sachez pourtant qu’il n’est il faut premièrement connaître par l’augmentation
point encore tant parfait, qu’il n’ait en lui quelque que de croire y venir hasardeusement, et sans
imperfection et humidité, laquelle est de lui premier l’avoir bien éprouvé dans l’entendement,
inséparable, quelque peine qu’on y puisse apporter. c’est une folie.
S’il n’avait cette humidité, il ne serait pas fusible, Si pour exemple, comment parmi un nombre infini
laquelle humidité donne entrée à notre Eau et d’hommes tu trouveras quelqu’un à qui nous avons
convertit tout le Corps en Elle, comme le Levain affaire, si nous ne le connaissons tous bien, ou si
convertit toute la masse en sa substance, puis peu à nous ne sommes bien instruits de quelques
peu, ainsi que l’Eau a fait le Corps Eau, ladite Eau remarques particulières qu’il ait, soit dans ses habits,
soit faite Corps, par la vertu dudit Levain. Mais soit dans sa personne. Or, cette Eau est dans un
premier se fait un combat entre eux, en sorte que Corps, et dans tous les Corps qui sont au Monde, qui
l’un et l’autre se dévorent par une putréfaction âpre l’ont en leur intérieur. Et ce qui fait chercher la notre
et violente. dans l’Antimoine, Vitriols et autres, qui sont tels et
C’est cette Eau prisonnière, qui crie sans cesse. Aide- semblables noms, que les Philosophes lui ont donné,
moi et je t’aiderai. C’est à dire Élargis-moi de ma et donnent exprès. Tant pour décevoir les ignorants,
prison, et si une fois tu m’en peux faire sortir, je te que pour quelque autre raison, parce que rien n’est
rendrai Maître de la forteresse où je suis. L’Eau dit inutilement.
donc, qui est dans ce Corps enfermée est la même Et puis notre Magistère peut être comparé à toutes
nature d’Eau que celle que nous lui donnons à boire, les choses qui sont au Monde. L’un dit qu’il faut
qui est appelée Mercure Trismégiste, dont entend prendre du Sel de Pierre simple, l’autre du Sel
parler Parménide, quand il dit : Nature s’esjouit en Armoniac, Vitriol et ainsi de toutes sortes de
Nature, Nature surmonte Nature, et Nature contient drogues, et disent vrai. Car notre Matière est Sel de
Nature. Car cette Eau enfermée se réjouit avec son Pierre (notez bien), Sel Armoniac, et vrai Vitriol ;
Compagnon qui la vient délivrer de ses fers, se mêle Quelques-uns uns Antimoine, mais toutes ces choses
avec icelui, et enfin convertissant ladite prison en sont particulières, et non universelles. Et au
eux, rejetant ce qui leur est contraire, qui est la contraire, notre Sel Armoniac et végétable, est
préparation, sont convertis en Eau mercurielle et universel, lequel n’a repos, qu’il ne soit corporifié en
permanente. Nature surmonte Nature, parce que la une Terre vierge ; puis de Corps est fait Esprit, et
quantité d’Eau que nous lui donnons par les ainsi à l’infini, ou jusqu’à ce qu’il soit allé à la
réitérations d’icelle, force ledit Corps à se dissoudre, production de quelque chose, comme une espèce ou
et l’assujettissant à Elle, par l’entrée que l’Eau lui forme comprise dans quelque règne, et puis après de
donne, ladite prisonnière force ledit Corps à lui-même détruit son composé, pour retourner dans
dissolution, qui est une voie surnaturelle, de défaire son premier Limbe.
par l’Air l’œuvre de Nature, sans destruction du Car rien au Monde ne se perd, ni ne se fait rien ;
Corps. mais tout demeure en son entier. Tout change
Nature contient Nature, c’est à dire le Corps contient seulement de forme et de lieu, comme l’Eau élevée
l’Esprit, et l’Esprit contient le Corps, parce qu’après en vapeur, retourne après en Eau. Car toute chose
la dissolution se fait la congélation, comme qui finit par où elle a commencé, et retourne au lieu d’où
dirait : Aide-moi à dissoudre, et je t’aiderai à elle était issue. Mais voici la différence qu’il y a entre
congeler. C’est donc à bon droit que notre Eau ces méchantes drogues, et notre vrai Sel Armoniac.
divine est appelée la Clef, Lumière, Diane qui éclaire Elles sont toutes formées sous Terre et en de
dans l’épaisseur de la nuit. Car c’est l’entrée de tout certaines contrées, ou composées industrieusement

NICOLAS VALOIS –6– LES CINQ LIVRES


par les hommes, qui ont pourtant en eux quelque les autres sont propres et particulières pour la
substance forte, lesquelles peuvent bien corrompre dissolution de quelques Corps, mais la notre est
et disjoindre quelque métal. Ce qui a fait penser aux générale qui dissout tout ce qui est au Monde. Celles
ignorants que toutes ces Eaux peuvent être notre là sont en quelque part de la Terre ; mais celle-ci est
Argent vif, puisqu’elles ont la force de dissoudre, et en tout lieu ; même devant nos yeux, et n’y a rien qui
que notre Vif argent doit être un dissolvant. n’en soit rempli.
Cette erreur est véritablement fondée sur quelque Et combien qu’elle soit partout, elle a pourtant un
apparence légère ; mais n’a aucune raison, parce Corps qui nous la rend visible, lequel n’est qu’un
qu’ils ne considèrent tous les dires des Philosophes, vrai et pur Sel : car c’est une terre blanche et vierge,
qui est qu’il y a trois règnes, qui possèdent chacun laquelle n’a encore jamais produit, et si elle avait
en son particulier son royaume, sans usurper ni produit quelque chose, elle nous serait inutile. C’est
pouvoir jamais entreprendre l’un sur l’autre. Et ces un vrai Sel Armoniac ; mais voici la différence. Le
trois règnes subsistent chacun pour eux, sans se rien Sel Armoniac vulgaire dissout l’Or, mais non
emprunter, sinon l’Animal, duquel relèvent les deux parfaitement, mais le nôtre le fait, et l’Argent aussi,
autres ; mais non pas qu’aucun d’iceux aie ce et se mêle intimement avec eux, et inséparablement,
pouvoir, car ils sont obligés à l’Animal, et non pas d’autant que le vulgaire à son commencement, après
l’Animal à eux, ni eux seulement l’un à l’autre. Ainsi corporification, est une Terre impure, laquelle Terre
ceux qui ont travaillé sur les Animaux pour y croire n’est point de la nature des Métaux parfaits, comme
trouver quelque chose de métallique, ont été nous voyons que la Terre a ses propriétés
extrêmement aveuglés, aussi bien que ceux qui ont particulières, et produit chaque chose selon la
travaillé sur les Végétaux. L’Animal ne peut disposition des lieux et qualités de ladite Terre.
engendrer que l’Animal, car chaque chose produit Ainsi les terres qui se sont converties en une drogue
son semblable. Et combien que les Opérateurs étant terres impures et de méchantes qualités, ont
d’ordinaire par leurs calcinations, dissolutions, corrompu le Mercure qui est en eux, et rendu obligé
sublimations et le reste, croient convertir et changer à la Nature de leur Élément. Et ainsi ayant contracté
une espèce en l’autre, si est ce qu’ils sont une telle alliance entre eux, nous ne pouvons avec
grandement abusés, parce qu’on ne peut changer les notre Eau les séparer. De sorte qu’en vain nous
matières des choses ; cela appartient seulement au prétendons joindre icelles à celle qui est contenue
facteur qui est la Nature même ; et ainsi telles gens dans l’Or, parce que l’impureté de ces Terres
sont ordinairement du Diable. D’autres plus subtils grossières y répugne, car elles sont hétérogènes.
considérant ces choses, quittent ces deux règnes et Mais notre Matière ou Terre qui n’a point encore
vont au Minéral, demeurant dans la Maxime que pris de forme particulière, c’est à dire en laquelle elle
chaque chose engendre son semblable ; mais ils ne puisse demeurer, comme le Vitriol en la caverne
les suivent pas, parce qu’il y a autant de péril vitriolique ne peut jamais être autre chose que
quelque fois, à prendre le Minéral pour produire Vitriol et non le Nôtre. Car est une Terre universelle,
une semence animale, que le Végétal ou l’Animal. Or Père et Mère, qui est appelée Vierge d’autant qu’elle
la raison est que nulle matière métallique, quelle n’a encore rien produit.
qu’elle soit, n’a vraiment de semence en elle,
C’est cette Pucelle Beïa, laquelle n’a point encore été
d’autant qu’il n’y a métal si pur qui n’ait des
corrompue ni perdue sa liberté, pour se marier à des
impuretés, et nulle impureté ne peut porter semence,
Corps infirmes et mal nets, comme sont les captives,
parce que la semence est une Quintessence fort
lesquelles ne peuvent jamais sortir de leurs infectes
noble, qui ne peut sortir que du Corps très parfait.
prisons sans le secours des hommes. Ainsi
Or Nature n’a pu jamais conduire les Métaux à cette
conservant la liberté avec son intégrité, nous voyons
perfection, et c’est le labeur de l’Artiste. Pourquoi il
d’une façon philosophique cet Astre lumineux faire
convient chercher une chose qui ait le pouvoir
des tours à circulation infinie, jusqu’à ce qu’il soit
d’ouvrir le plus noble Corps, d’en séparer les choses
venu dans quelque règne ; auparavant de quoi, il
superflues et mettre en celle là, la semence d’icelui.
nous le faut surprendre sûrement et non pas
Cette chose est une Eau pleine de feu, laquelle pour
attendre qu’aucun desdits règnes soit. De quoi je
sa qualité humide ramollie les Corps ; et c’est
donnerai l’exemple suivant. L’Eau commune nous
pourquoi elle est appelée Eau forte engendrée du
sert à tous et est appliquée à toutes choses, parce que
Soleil et de la Lune, qui a en elle la puissance de
c’est un Corps, qui peut être rempli de toutes les
détruire et de vivifier.
choses que nous lui adjoignons ; elle est propre à
Or pour mieux m’exprimer, je te dirai ce que j’en ai recevoir les goûts, couleurs et substances qu’on lui
pu comprendre, depuis le temps que je vogue veut donner, pourvu qu’on la prenne en sa pureté
comme les autres, sur cette mer estrangère. Sache naturelle ; car si auparavant on y avait mêlé de
donc que notre Eau, qui est nommée Mercure cru et l’Absinthe, du Sel, ou même quelques poisons, alors
imparfait, est une Eau forte ressemblant aux autres elle prendrait la substance des choses qui lui seraient
Eaux fortes quant à son Corps, et ayant les mêmes mêlées. Et s’unissant inséparablement à icelles, elle
effets ; mais pourtant bien dissemblable, parce que

NICOLAS VALOIS –7– LES CINQ LIVRES


nous serait inutile et vénéneuse, ainsi que l’Eau de d’aucun homme. Et pour montrer que le Sel
mer ne pouvant être employée aux nécessités de la commun, ou autre, qui ont été trouvés en certaines
vie humaine, à cause de sa ponticité. Car les régions dans les Abymes de leurs cavernes
Matelots sont contraints de se pourvoir d’Eau douce, vitrioliques, ne sont point notre Matière, qui est-ce
pour leur servir pendant le temps de leur voyage. qui a jamais vu ni entendu, que pas une de ces
Ainsi le Mercure qui est contenu en toutes sortes matières se soient converties, ni en grains, ni en
d’espèces, est bien notre Mercure universel. Mais tel fleurs, ni en fruits ; ainsi que fait tous les jours notre
qu’il nous est inutile en cet Œuvre, parce qu’il a Sel végétable, que je te montre si au clair, que quand
contracté une telle affinité avec la chose qui le je te dirais son propre nom, tu ne me croirais pas, si
contient, qu’il n’en peut être séparé, sans recevoir la tu ne le comprends pas par mes paroles ; et je ne sais
qualité et la substance de la chose avec laquelle il a comme j’ai la hardiesse de te parler si avant, tant je
fait telle alliance. Car ladite chose qui est son Soufre croirais mériter punition si l’amour naturel du Père
et son Corps, soit Animal ou Végétal, l’a si au Fils ne servait d’excuse à l’offense commise.
étroitement lié à toutes ses conditions et humeurs, C’est pourquoi je n’ose point suivre le reste de
qu’il ne peut pas produire autres espèces que par l’Œuvre, pour ce que je crains de faillir, parce que
leur Soufre, ou d’icelui en partie, comme deux j’en dis trop, et les autres trop peu. Et c’est en ce
germes n’empêcheront pas l’effet l’un de l’autre, point où tout le monde a erré, parce que c’est
mais ne produisent toujours que des monstres. l’entrée du Jardin que les Philosophes ont tant celée
Or donc, le meilleur advis que je te donnerai et couverte d’énigmes et trompeuses apparences.
maintenant mon cher Fils, est que si ton Compagnon C’est la Clef de tout l’Œuvre, et quoi que tu trouves
te dit : Notre Mercure universel est dans dans mes Livres et dans ceux de tous les autres,
l’Antimoine, l’Alun, ou le Vitriol, parce que ce sont choses difficiles à entendre ; saches néanmoins que
matières pures et nettes, qui contiennent un Esprit tu peux comprendre tout facilement en brèves
pénétrant et fort, tel que celui que nous recherchons, paroles, et que cette Eau est le commencement, le
lesquels sont même du règne Minéral ou Métallique, milieu, et la fin de tout le Magistère ; car nous
ou bien les Philosophes disent que notre matière est n’avons que faire d’autre chose que d’icelle, qui
un pur Sel, le Sel est partout, l’Esprit de Sel dissout dissout, congèle, et rend enfin le Corps à la
l’Or, donc notre Mercrure est le Sel commun. Tu lui perfection totale de la noble Pierre, qui est dite
répondras : Les Philosophes disent véritablement Minérale, Végétable, et Animale ; parce qu’elle a
que notre première Matière est un Sel. Mais leur pour fondement matériel le Corps le plus parfait de
parole reçoit plusieurs explications. Et combien Nature, qui est le Soleil flamboyant, père et première
qu’en l’Œuvre, il y a plusieurs Sels, j’entends cause de cette nouvelle création végétable ; parce
plusieurs régimes, je trouve pourtant que notre qu’elle a semblablement pour mère et première
premier sujet est un pur Sel, qui est universellement matière lunaire, ce Corps imparfait qui est matrice,
par toute la Terre. Mais voici la différence. J’ai déjà Eau végétable, parce que c’est la Fontaine
dit que toutes et telles drogues, ci-dessus déclarées, universelle de toutes les choses qui tendent à
sont Matières impures, formées en une certaine terre végétation.
particulière, et alliées avec un Esprit issu de la Et est dite Animale, parce que le Corps étant mort
Fontaine Vive, lesquelles sont dites Métalliques reprend vie en icelle Eau, se nourrit d’elle, comme
parce qu’ils sont dans le règne des Minéraux, mais du lait des blanches mamelles de sa première
que leurs Esprits ont été corrompus et gâtés par les nourrice. Lequel dans peu acquiert dans icelle une
contraires qualités de leur Soufre impur. Je dis forme et puissance admirable. Voilà quelle est cette
maintenant que le Sel commun est aussi peu la Eau mystique si industrieusement cachée jusqu’à
Pierre ; parce qu’il n’est point universel, et que c’est maintenant, que je te fais toucher au doigt, si tu es
un Corps formé par la Nature, ainsi que les autres tel que tu dois être, et qu’il plaise à Dieu te départir
Corps, lequel ne peut jamais changer de soi, ni se ses grâces, qu’il m’a concédées, non par aucun mien
convertir, ou pour mieux dire aller à la production mérite, mais par une bonne volonté qu’il a envers ses
d’aucune chose, comme fait notre Sel naturel et Enfants, qui sont humbles et charitables. Je te parle
végétable, qui procrée toutes choses : parce que c’est comme Père et non comme Philosophe, aussi ne le
l’Esprit de l’Univers, et d’icelui est tiré semence de suis-je point, et en te déclarant peu de chose en
Nature. apparence, crois que j’en dis beaucoup, voire plus
Pour bien dire qui il est, c’est un Feu enclos dans une que jamais homme n’a dit ; car ce que j’omets à dire,
Eau, qui se forme en Corps terrestre, d’une matière assez d’autres l’enseignent, et jamais nul ne t’avait
non obligée ni affectée à chose quelconque, mais révélé ce que je viens de te dire.
capable de se convertir en tout Corps à cause de sa Et puis il est raisonnable de laisser quelque chose à
pureté : lequel est un pur Sel blanc, Terre feuillée et ton labeur, car un peu de peine que tu auras, te feras
vierge, qui n’a encore rien produit. Ce sel s’engendre estimer, ce que, peut être, tu mépriserais à cause
lui-même et va à tel point qu’il lui plait, sans aide d’une si grande facilité. Considère seulement

NICOLAS VALOIS –8– LES CINQ LIVRES


l’intention des bons auteurs que je t’ai enseignés ; en car l’un peut plus éclaircir que l’autre une chose,
eux, ce que j’omets te sera révélé. Et afin que tu ne chacun ayant son style différend, et ses paroles plus
dises pas que je t’en nomme une grande quantité : ou moins intelligibles, selon les lieux où ils se
que c’est te mettre dans une grande confusion, sache veulent manifester plus ou moins clairement. A
que le moindre d’iceux t’enseigne tout l’Œuvre. Et Dieu, mon cher Enfant, prie pour mon Âme, et
tels y en a qui la répètent par plusieurs fois ; mais je conserve ce présent Traité autant fidèlement et
te dis ceux auxquels tu dois avoir plus de confiance, secrètement qu’il appartient, et qu’il ne tombe en de
et si tu les peux voir tous, tant mieux sera, pourvu méchantes mains.
que tu prennes garde à leurs ambages, et que tu LAUS DEO
saches discerner leurs intentions dans leurs paroles ;

NICOLAS VALOIS –9– LES CINQ LIVRES


LIVRE SECOND
on cher Enfant, quoi que je doutasse volonté et première ordonnance du Tout Puissant,

M trop de divulguer la Sainte Science et


Philosophie, pour laquelle crainte je
me serais arrêté aux deux Principes
précédens, si es ce que mu de bonne
volonté, et me confiant en ta prudence, je n’ai fait
afin que rien ne soit confondu, et que chaque chose
produise des fruits de sa Nature.
La chaleur de ladite semence est cachée en son
centre, et partant est invisible. Mais ladite humidité
est le Corps ou le Sperme d’icelle, lequel
difficulté de te donner encore ce petit Sommaire, par s’engrossissant dans l’Air, requiert une séparation et
lequel tu pourras être plus amplement éclairé sur les purgation physique, qui est la préparation des
principes, et spécialement de la première Eau extrêmes ; laquelle doit être considérée mûrement
mystique des Philosophes, qui est la Mère de tous les sur l’opération de Nature en cette manière. Ladite
Métaux, et de toutes les choses qui sont au Monde, semence appelée par Hermès, Mercure Trismégiste,
laquelle je te dis n’être autre chose qu’une Eau à cause de sa triple Vertu, passant de lieu en autre
ardente, dans laquelle tout Corps doit être rompu et dans les traces et veines de la Terre, purge et nettoyé
mis en pièces, pour après être conduit par les degrés les lieux d’icelle par une réitération infinie ; parce
de la digestion, jusqu’à une sublimation parfaite. que ces humidités s’entresuivent comme les vagues
Cette Eau est donc vraiment une Eau de Vie, laquelle de la mer, jusqu’à ce qu’elles soient à leur fin ou
il faut subtilement extraire d’une pure et vierge terme, qui est le foyer ou centre de la Terre.
Terre, puis la revivifier, tant qu’en elle ne reste ni
Car en ce lieu étant parvenue, l’Eau élémentaire, ou
terre, ni Eau étrangère ; mais soit claire comme pur
l’Eau de l’Air grossie, a quitté l’Air pur, qui est par
Argent, de laquelle il en faut avoir une bonne
ledit Feu centrique élevée jusqu’à la superficie en
quantité.
forme de vapeur, comme elle était descendue en
Or si par mes Chapitres précédens, je ne te l’ai humidité aqueuse, jusqu’à ce qu’elle ait fait
donnée à entendre assez clairement, n’accuses point rencontre d’une terre purifiée, par les évacuations
mon Livre, mais toi-même, car tu n’es point en précédentes, pour s’attacher et joindre à icelle, qui
grâce, t’ayant au vrai déclaré la vérité de la chose ; et selon la pureté ou impureté, produit l’Or, l’Argent et
afin de te donner toute occasion et moyen de venir à autres Métaux. Mais quand ladite Vapeur ne trouve
ce point qui ouvre les yeux et les cœurs des hommes, point cette Terre, ou qu’icelle Terre n’est pas
je te veux encore réitérer les mêmes mots, pourvu enfermée entre d’autres terres, comme sont les lieux
que tu sois secret et que l’avarice ni la convoitise ne où se font les minières, mais est de toutes parts
te fasse rechercher richesse ; car c’est l’Œuvre de poreuse, ladite Vapeur ne se peut cuire, mais s’élève
Dieu, et cette lumière tant celée des Anciens, c’est le toujours vers la circonférence, où elle produit par
Sceau des Sceaux, lequel ouvre et ferme le Livre de l’attraction du Soleil céleste, Herbes, Arbres et toutes
Vie, auquel sont écrits les noms des Élus, et de ceux autres choses, ou bien est congelée par l’Air en un
qui aiment Dieu et leur prochain. certain Corps blanc, quelque fois mêlé parmi la
Saches donc, Fils de Doctrine, et le plus cher de mes graisse de la Terre, quelque fois aussi visible aux
Enfants, que le Soleil, la Lune et les Étoiles jettent lieux où il y a de quoi adhérer, puis étant rencontré
perpétuellement leurs influences dans le centre de la par la pluie ou autre humidité, est redissoute et
Terre, pour auquel parvenir, il faut premièrement emportée en bas par une circulation qui n’a jamais
passer par les moyennes régions de l’Air, dans de fin.
lesquelles sont assemblées lesdites influences ; Ainsi rumine en ton Esprit quelle peut être cette
lesquelles mêlées et jointes l’une à l’autre, sont puis Matière, car si tu ne la connais pas de ce coup, ne
après distillées dans les pores de la Terre, jusqu’au t’informe davantage, car tu n’y viendras jamais. Or
centre d’icelle, se dépurant de sable en sable, jusqu’à ceux qui ont besoin de cette Vapeur, qui serait
la dernière goûte de leur humidité aérienne ; l’Air toujours imperceptible à notre vue, sans le Corps
est donc tout plein de ces influences, la Terre en est qu’elle emprunte de la plus pure partie de la Terre,
aussi toute fourmillante, et il n’y a rien dans le savent bien prendre leur temps, et n’attendent pas
Monde qui n’en soit rempli ; parce que c’est le centre que cet Oiseau ait repris son vol, mais d’une main
de toutes choses, et l’Âme universelle de tous les industrieuse et subtile, la séparent d’icelui Corps, et
Corps ; mais cette semence est grandement doublant voire triplant leur labeur, la nettoient tout
abondante en deux qualités, savoir chaleur et à fait de son aquosité et terrestriéité grossière et
humidité, desquelles on voit sortir toutes choses qui élémentaire ; car il ne faut pas qu’il y demeure rien
sont au Monde, par rapprochement toutefois du d’étrange, d’autant que cela mettrait empêchement à
premier Mâle qui est le ferment qui se joint à ladite l’Œuvre, l’humidité diminuant la force de l’Esprit, et
semence, lequel attire et convertit icelle à sa Nature ; la terrestréité épaississant le Corps au lieu de le
divisant ainsi les espèces et les ordonnant suivant la rendre diaphane : car notre principale intention n’est

NICOLAS VALOIS – 10 – LES CINQ LIVRES


autre que de prendre icelui Corps sur les termes que de l’enseigner, croyant faire assez d’assurer la
la Nature l’a laissé imparfait et de le parfaire par Science véritable, sans en montrer le chemin, au
l’Art ; c’est à dire que Nature avait dessein de rendre contraire l’ont cachée, car cette recherche n’est point
ledit Corps dans sa minière tout à fait purgé de subtile, mais simplement naturelle.
ladite Terre, puis cuire icelui jusqu’à parfaite Et celui qui premier l’a trouvée n’avait aucun Livre ;
maturité, qui serait la même chose que l’Elixir mais suivant Nature, regardant comment et avec
parfait, mais le retardement est venu de l’Air, qui quoi elle travaille ; car qui y veut parvenir, il faut
transperçant les parois du four de Nature, a refroidi être premièrement homme craignant Dieu ; puis
les matières, encore que Nature aie fait tous ses regarder comme toutes choses se produisent, et à
efforts pour passer outre. l’exemple des choses naturelles faire de bonnes et
Mais je dirai comme rassemblement des principes se fortes Résolutions. Car ne t’enquête des expériences
fait. Premièrement, il est à remarquer que lesdits humaines, parce que le travail est abusif, encore que
principes des Métaux sont seulement Soufre et le tout ne consiste qu’en expériences ; mais c’est
Mercure : c’est à savoir la chaleur et pureté de la après de bonnes et de fortes résolutions
Terre pour Soufre, et cette vapeur humide pour philosophiques : car par exemple que servirait de
Mercure, laquelle est celle même qui a nettoyé et mettre deux matières ensemble dans un four pour en
purifié ledit Soufre de ses reculantes terrestréité, le attendre les Couleurs, si ce ne sont les véritables
réduisant à force de distillations, en une matière matières de la Pierre. Et puis quand ce seraient les
grasse en divers et particuliers lieux de la Terre, véritables matières de la Pierre, que servirait tout
quelque fois enfermée dans un lieu où la chaleur cela, si elles n’étaient bien préparées : car sans la
provenant du centre est retenue par une certaine préparation elles ne se pourraient bien mêler
voûte naturelle qui la fait réverbérer sur icelle ensemble par un vrai mariage, ni ne se ferait
matière. Quelque fois aussi en un lieu vague et conjonction à cause des impuretés contenues aux
environné de pores, par où ladite chaleur se dilate ; dites matières. Ainsi il faut premier connaître les
et en ces lieux là, jamais ne se produit de Métal. matières à leurs substances, non aux opinions mal
Mais à celui qui est environné de chaleur, où cette fondées, mais avec un bon et ferme jugement.
graisse s’est amassée par longueur de temps et de Comme quand l’on dira que les Philosophes ont un
distillations naturelles, à l’arrivée de cette vapeur, Or qui est vif, et que l’Or vulgaire est mort, qui sera
ladite vapeur se joint à cette graisse qui se putréfient l’ignorant qui osera maintenir qu’il y ait au Monde
ensemble, parce que l’un résiste à l’autre ; mais la autre Or que l’Or vulgaire, lequel encore qu’il soit
vapeur surmontant tous les jours le Soufre digère dit mort est pourtant la plus pure chose de toute la
icelui, de manière qu’il se consume dans ledit Terre, et le dernier effet de la Nature, et par
Mercure, qui augmente à mesure que son ennemi conséquent la matière sur laquelle nous devons
diminue, et enfin l’Or ne serait que Mercure cuit par commencer notre Œuvre, et devons entendre cette
la vertu et ferment dudit Soufre, lequel ainsi séparé différence devant ou après la préparation, par
dudit Mercure, nous aurait laissé un Corps aussi laquelle, au lieu qu’il était enseveli dans un sépulcre,
lucide [dans le sens de transparent par opposition à il est ressuscité et mis au chemin de végétation :
diaphane] que le Soleil ; mais comme j’ai dit, l’Air est comme aussi ceux qui penseraient que l’Eau
intervenu qui a empêché la séparation totale, et par commune, ou Eau de mer, ou bien encore d’autres
conséquent la maturité ; c’est pourquoi l’Or ne porte eaux sans nombre, serait notre Esprit universel,
point de semence, car il ne pourrait être mûri après avoir déclaré tant de belles choses et rares
qu’après le Soufre bien digéré ou séparé. Aussi l’Or d’icelui, qui ne sont point en icelles Eaux, non plus
vulgaire n’est point diaphane à cause du Soufre qu’au Mercure vulgaire, sur lequel tant de personnes
terrestre qui remplit son Corps, et les autres Métaux se sont abusées.
le sont encore moins, chacun à son degré parce qu’ils Un Philosophe comme Raymond Lulle, dira qu’il
abondent davantage en mauvais Soufre. faut tant en préparation qu’en l’Œuvre, tant de
Il faut donc commencer notre Œuvre par la vaisseaux et de manières d’opérer, que c’est mettre
séparation d’icelui Soufre, lequel ne se peut jamais les disciples en confusion, s’ils ne savent séparer le
extraire, sans réduire le Corps en sa première bon du mauvais, afin de ne point semer l’ivraie avec
matière, c’est à dire, en l’état qu’il était dans la le bon grain. Comme aussi un autre dira, tant de
minière quand l’Air cru est venu le congeler, qui feux et de fourneaux, auxquels on ajoute foi, sans
n’est pas un labeur bien pesant à qui l’entend, et sait considérer que le four de Nature et son feu est
cette première matière ; car c’est elle qui fait tout. unique, qui n’est autre chose qu’une Montagne
Mais ceux qui n’y sont jamais arrivés, ou qui n’ont ronde, dans laquelle une chaleur continuelle
point cette lumière, croient cela impossible, se montant du centre vers la circonférence et passant à
fondant sur la merveille de la chose, ou sur travers des Terres minérales, va s’enfermer et
l’obscurité de ceux qui en ont écrit ; desquels la plus offusquer dans icelles Montagnes, où par laps de
part ont plutôt eu dessein de cacher la Science, que temps, elle cuit la matière par divers degrés

NICOLAS VALOIS – 11 – LES CINQ LIVRES


toutefois. Mais les degrés peuvent être imaginés par encore un peu mention à la fin de ce Sommaire.
un bon Esprit. Prends de tes deux Matières, tant que ce soit assez,
Car qui serait si ignorant qui ne jugerait pas, et la prépare comme il t’est enseigné, à l’exemple des
qu’après avoir mis deux matières ensemble, dont deux dépurations et distillations naturelles. Car ton
l’une est fixe et l’autre est volatile, lesquelles on veut Esprit dissoudra ton Corps, et ouvrant icelui, se
faire prendre comme un fromage, si on fait un feu mêleront ensemble les deux Esprits, savoir le libre et
trop fort le volatil s’élèvera, et le fixe demeurera le prisonnier, qui sont appelés par aucuns l’Aigle et
seul ; ainsi ne se fera point de conjonction. Car celui le Lion, puis l’Âme suivra l’Esprit abandonnant le
là serait bien ignorant, qui ne jugerait pas qu’il faut Corps, lequel de son côté retournera au limon
retenir doucement le fugitif par une chaleur terrestre et sulfureux, avec lequel il avait si
tempérée, jusqu’à ce qu’il soit pris avec le fixe ; car longtemps langui, puis après sera redonné audit
alors ils s’embrasseront, et l’un ne pourra plus Corps l’Esprit susdit sien, qui en attirera à soi
quitter l’autre ; et je t’assure que tu verras bien au plusieurs autres, qui partageront entre eux l’Âme
signe dont tu es averti par tant de bons auteurs, susdite qui s’augmentera par une chaleur lente et
quand il sera temps que les petits Corbeaux quittent étouffée, et avec ingénieux artifice administré.
leur Nid ; car sache que ton travail te sera un Car c’est ici le labeur qu’on dit être surnaturel, étant
Enseignement, pourvu que tu travailles sur matière le lien de la conjonction qui se fait comme j’ai dit par
due, car ton Esprit trouvera nouvelles choses, et ne une décoction admirable et surnaturelle. La Patience
fera plus d’estime de ceux qui par leurs écrits, est l’échelle des Philosophes, et l’Humilité est la
détournent plus qu’ils ne profitent. porte de leur Jardin. Car quiconque persévérera,
Je te donnerai encore un exemple pour le deviner. sans orgueil et sans envie, Dieu lui fera miséricorde.
Tu trouveras dans leurs Ecrits, que la Projection se Et d’un, par un, qui n’est qu’un, sont faits trois, les
fait un poids sur dix, l’autre sur quinze ; mais n’est- trois sont faits deux ; et les deux non sans un long
ce pas abuser, puisque dans toutes les pratiques qui combat, qui doit être terminé par la prudence de
se sont jamais faites, il y a eu toujours quelque l’ouvrier, sera fait un, clair, beau, transparent, lequel
différence, soit à la première composition des suppléra à tous les défauts de ses frères estropiés. Je
matières, soit à l’avancement ou retardement de ne t’en dirai pas davantage, car il suffit, et ce que je
l’Œuvre, ou soit à l’avoir plus ou moins ne dis point, assez d’autres le disent, combien que ce
concoctionné ; nul ne peut assurer le poids de la soit en paroles obscures. Mais travaille un peu et
projection, parce que tous ne sont enseignés d’un Dieu te fera la grâce, car il ne la refuser jamais à ses
même Maistre. Et par conséquent on travaille serviteurs, quand ils l’en requièrent avec un ferme
toujours différemment. Ainsi les Projections propos d’en bien user. Ainsi je suivrai en t’exhortant
diffèrent : mais qui sera l’ignorant qui ne jugerait tant qu’il m’est possible de te gouverner comme un
qu’il faut toujours projeter jusqu’à ce que la matière homme de bien, et de tenir celé ce que je te donne,
ne soit plus frangible, mais demeure ferme sous le comme la plus précieuse chose qui soit au monde.
Marteau ; c’est la raison et le jugement qui nous fait Dieu nous fasse à tous miséricorde, auquel soit
tout connaître, pourvu qu’icelle grande lumière ne honneur et gloire par tous les siècles des siècles.
nous défaille point. Crains Dieu, dit le Sage, et sois Au nom de la Sainte Trinité de Paradis, soit menée
constant, le reste est facile, et ayant ces choses, on l’Œuvre a fin, trois fois très grand, Père, Fils, et S.
peut aisément venir à l’Œuvre, de laquelle je ferai Esprit.

NICOLAS VALOIS – 12 – LES CINQ LIVRES


TROISIÈME LIVRE
CHAPITRE I essentialité animés, sans laquelle iceux métaux
seraient de peu d’estime.
Nicolas Valois à ses enfants, Salut.
Les deux superficiels sont la Terre qui nous apparaît

M
on cher Fils, quand d’abord, volonté
en vie, et l’Eau qui jointe a été à icelle, laquelle ne se
me prit de te donner lumière, pas ne
voit que quand le métal est en fusibilité ; mais ladite
croyait l’Amour d’un Père si fort
essentialité est l’Âme ou Feu d’icelui métal, qui lui
envers son Enfant, que force me fût
donne moult de Vertu, pourvu qu’il soit dépouillé
de te déclarer plus outre ; mais
d’icelle Terre c’est à dire qu’elle soit purgée ; car
comme croyant ton naturel bénin et mu de bonne
sans le Corps l’Esprit ne peut agir, et sans l’Esprit, en
volonté, je veux déposer sur ta conscience les Secrets
vain le Corps désirera l’Âme. Avise donc ce que tu
occultes de mon cœur, pour être moult conservés
cherches, et tu trouveras que ce n’est que séparation
dans le tien, sans qu’aucun puisse iceux usurper au
de ces trois, afin de les disposer mieux qu’ils
péril de ta conscience, sur laquelle je te les laisse, afin
n’étaient auparavant, parce que Nature n’avait du
qu’après cette vie, aucune nuisance jà ne
temps suffisant pour les concoctionner ; mais par
m’advienne, et crois que plus grand Trésor à toi ne
notre Art nous les perfectionnons, et pour y
peut être donné, car nul autre ne peut être comparé
parvenir, nécessité nous est de tirer en première
à icelui.
instance le lien des deux autres, qui est l’Esprit
Je t’ai déjà donné les primordiaux Principes par mes moult condensé, lequel parti, nulle accordance ne
précédens Chapitres, et suivant mon propos, à chef peut demeurer en iceux ; mais l’Âme désirera de
viendras de ton entreprise, si le Créateur de toutes suivre l’Esprit, et ainsi dépouillé le Corps sera moult
choses le permet. Sinon je te commande sur peine blanchi comme tel par calcination convenable,
d’anathématisation, toi ou tel autre qui les voudra auquel par après sera baillé l’Esprit petit à petit, tant
ensuivre, de les mincer et mettre en cendres, afin qu’il soit fondant comme Cire, et icelui Esprit sera
que profanement n’en soit fait et échec n’en alors dit Menstrue végétable, parce qu’il revivifiera
advienne, car mes propos sont simples ; mais Vérité la Pierre, et aidera à icelle putréfier, afin qu’il soit
y est mise, tant que connaissance m’en a été donnée. fermenté de son âme.
Car par autre manière ne pouvons pas pratiquer
Car note que toutes les choses du Monde sont
icelle, en sorte que les Anciens ont eu autre manière
composées de cinq choses, dont la première est
d’ouvrer, toujours leur besogne n’est qu’une et ne va
flegmatique, qui est une humidité superflue ; la
qu’à une même fin, et tout enfant simple et de bonne
seconde est mercurielle, qui est substance d’icelle ; la
vie ne peut errer, comme dit est, ayant les susdits
troisième est oléagineuse, qui est l’Âme vivifiante ;
Principes, et sachant ce qu’il cherche, quoi qu’il
la quatrième terrestre, qui est le Corps ; et la
puisse prendre un chemin pour l’autre et errer
cinquième, la superfluité de la Terre, qui est
quelque fois, comme j’ai fait.
convertie aux individus, qui est clamée teste noire ;
Mais nul n’est au monde vivant, qu’au plus simple mais notre Composition n’est pas flegmatique, mais
besoin ne se fourvoyé, si par aucun Maître n’est chargée de cette Terre damnée, laquelle est la prison
introduit, et pour cela n’en doit retirer sa main ; car de notre Pierre. Et par ainsi icelle Terre maligne
cet Art qui passe tous les autres, est bien de plus séparée avec ingéniosité de l’autre Terre pure, sera
grand prix que patience ne doive accompagner tous notre dit Composé, la matière de la Pierre sans
ceux qui icelui cherchent ; et quand ce Traité ne te retardation et empêchement. Ainsi plus clairement
serait baillé qu’au prix de tous les biens que je te ne peux-tu être enseigné. Car d’autres régimes ne
laisse, pourvu que tu boutes taon soin, assez auras t’en faille, sinon de dissoudre ton Métal petit à petit,
de chance ; ayant, comme dit est, icelles vertus et ainsi que Nature opère et non hâtivement ; puis ce
sachant quelle chose tu cherches. Car la Pierre n’est Corps étant dissous, fait séparation d’icelui Corps
pas ce que tant d’imposteurs assurent, expliquant dans les Eaux, et le subtil étant bien séparé, lave la
plus subtilement le dire des autres, que la chose ne le fondrière, tant que blancheur y arrive ; puis boute
requiert. Et sans appeller tant de fatras, où tant de l’Esprit sur le Corps et pourris iceux, et lors
personnes se sont abusées, crois seulement que apparaîtront plusieurs couleurs. Car ces deux
l’homme engendre l’homme, et le métal le métal, car Matières appelèrent nouvelles formes et le Dragon
l’Or, combien qu’il soit dit mort, a pourtant en lui sa non encore séparé, et le Feu et l’Eau combattront ;
semence, par laquelle il peut être multiplié à l’infini, puis ténèbres viennent sur la Terre ; puis la lumière
et est ledit Or composé de trois choses, dont deux apparaîtra et sera fait un baume, que nécessité sera
sont superficielles, et une essentielle. Car l’Or et de multiplier à volonté.
l’Argent ne sont que terre rouge et blanche, par icelle
Car autant en un mot qu’en un mil, l’Or est notre
Corps, lequel il faut moult subtiliser et pourrir dans

NICOLAS VALOIS – 13 – LES CINQ LIVRES


l’Eau, et de cette putréfaction naîtra la Salamandre parfaire jusqu’au dernier degré de perfection ; et ne
persévérante au Feu. Et en mon Dieu, j’admire la faut seulement que le cuire, et ne se peut cuire sans
diversité des Labourants et la conduite d’iceux, car digestion et séparation, tant qu’enfin cet Or soit
ils condamnent sans voir, et nul n’est vivant, que s’il devenu Elixir, si la chaleur de la minière eût été
avait acquis ce pourrissement, soit par une manière, moult suffisante.
soit par une autre, pourvu qu’à icelle pût parvenir, Notre finale intention n’est donc autre que de
ne trouvât chose miraculeuse ; car il est dit maintes prendre cet Or, le nettoyer par l’Antimoine, ou
choses de ce pourrissement, dont Livres sont faits, Cément ; puis de l’ouvrir dans notre Eau et faire
qui semblent aux fols signifier autre chose ; sur quoi séparation du Corps, de l’Esprit et de l’Âme, qu’il
ils perdent leur temps et leurs biens. faut moult laver et blanchir le Corps, afin que l’Âme
Car note que le Feu et l’Azoth te suffisent ; c’est à soit mieux glorifiée en icelui, pour après cette
dire, la Matière préparée comme dit est, et le Feu conjonction extraire le Mercure des Philosophes et
administré par l’Engin et subtilité du fourneau, a leur première Matière, sur laquelle tu travailleras,
cette fin de mener cette matière à pourrissement. Car comme Nature désire ; savoir par seule décoction
étant une fois pourrie, il est impossible qu’il n’en dans un seul vaisseau, auquel tant de belles choses
arrive plus parfaite chose. Mais note que tout Agent apparaîtront à la vue, que tu en seras réjoui. Ainsi ne
requiert le Patient, qui sont jà déclarés en une seule cherche rien que mes Enseignements, qu’il faut
matière, par l’aide de la chose médiante. Et bien que suivre sans autres régimes que ceux qui te sont ci-
les uns parlent plus clairement que les autres, voire après déclarés : car en bon Engin assez comprend
si au vrai que tout est dit ; on ne croit pourtant vérité sur les choses qui apparaissent en icelle Œuvre sans
en icelles paroles, parce que les poids, le temps, ni se fourvoyer en sa besogne, non plus que tant
les matières (si comme besoin leur était), n’y sont d’autres qui n’ont jamais eu de Maistre. Mais
déjà littéralement déduits, ainsi significativement, et d’autant que le seul amour naturel du Père au Fils
les naïfs ennemis de Philosophie, qui ne recherchent m’a vaincu ce coup, et fait surpasser les bornes que
que recettes courtes et faciles de telle Philosophie Dieu ordonne, pour te dire ce que nul autre n’avait
n’ont cure ; mais éprouvent tout ce qu’ils trouvent osé penser ; ne t’étonne pas si je t’ai fait plusieurs
écrit, sans considérer que la Science est bien écrite ; Chapitres, et si en iceux brièveté est mise ; car je ne
mais non pas enseignée entièrement, et que par dis mot qui ne vaille être noté et mûrement pesé,
raisons et signifiances, comme dans Rasés, sans qu’en iceux tu doives croire tromperie, mais
Archélaus 1, et plusieurs autres, desquels les Vérité simple sans aucune malignité, comme un Père
pratiques sont autant différentes, qu’elles sont de peut dire à son Fils, qui tendrement l’aime. Car la
fois répétées ; n’ayant ressemblance n’y conformité difficulté de l’Art est au clair mise, et la facilité
de paroles, mais d’intention, qui n’est point que rurale renvoyée aux différentielles pratiques des
dissoudre, et congeler après les matières jà Chymiques opérations qui t’enseignent le reste,
préparées, ainsi que les Anciens veulent signifier, comme cémentations, distillations et autres
quand après avoir dit tant de régimes sophistiques, opérations communes, qui feraient nuisance à la
ils enseignent qu’encore qu’iceux régimes soient brièveté que je veux garder en mon Traité.
faux, ils sont néanmoins exemples de Vérité.
Et quand les autres croiraient que cette Science ne
CHAPITRE II
pourrait être entendue que mot après mot, toutes DU FOURNEAU.
uparavant que d’aucune chose traiter,

A
choses moult déduites, il s’ensuivrait que jamais nul
n’y arriverait par Livre, contre le dire de Cyrus en la nécessité est de dire du Fourneau,
Tourbe. Elle est si noble qu’elle se peut comprendre lequel doit ressembler Nature en son
en une heure, savoir la Science simplement et non Feu égal et proportionné digérant la
pas toutes les dépendances d’icelle ; car nul vivant matière, telle qu’à la minière tu
n’a encore eu toutes ces connaissances, qui l’auras aperçu, dont encore sont de tels plusieurs en
s’étendent sur toutes les choses du Monde, car le divers lieux de France, comme Paris, où tout
seul Élixir par différents accommodements est l’Œuvre a été achevé. Mais le mien sera fait en globe
médecine sur tout, ce que Hermès n’a pu rond et entier ayant diamétralement un pied ou
expérimenter pour avoir eu trop courte vie. Mais environ, ou comme la quantité de ta matière
quant à la simple Pierre, elle peut en peu de paroles apparaît, fait d’une bonne Terre résistante au Feu, et
être entendue par un homme de bonne foy. Comme faire ce globe de quatre doigts d’épaisseur. Au
qui dirait la Pierre est l’Or que la Nature a laissé milieu sera un petit cercle de fer rond attenant aux
dans la minière imparfait, lequel l’Artiste doit côtés des parois, dans lequel sera suspendu un
vaisseau de bon bois de chêne vieil, sec et nullement
1 « Archélaüs est plutôt un titre d’ouvrage qu’un nom poreux, tranché par le milieu rond en deux
d’auteur ; c’est le principe de la pierre, du grec αρχη hémisphères, dont à celui du haut sera pendu un fil
[arch] principe, et λαος [laos], pierre… » – Fulcanelli, de laiton, qui passera par la souveraine partie du
in Demeures Philosophales [I, p. 158] fourneau, pour lever ces hémisphères quand besoin

NICOLAS VALOIS – 14 – LES CINQ LIVRES


sera de voir le vaisseau de verre semblablement
suspendu au centre dudit vaisseau de bois ; puis
sera ledit premier globe au fourneau aussi suspendu
entre forte et épaisse muraille étoupée dessus et
dessous et de tous côtés, hormis à la souveraine
partie, en laquelle il y aura une fenêtre ronde de la
grandeur dudit vaisseau de bois pour le passer, et
aussi la matière, laquelle sera étoupée bien
justement, et aux deux côtés opposés deux autres
fenêtres, la première de quatre pouces, tant pour
voir les couleurs que pour passer la main
expérimentant la chaleur dudit fourneau ; l’autre
opposé sera de deux pouces seulement, pour donner
jour à icelles couleurs à paraître, laquelle sera bien
vitrée et toutes deux bien étoupées de deux
tampons, auxquels il y aura comme à celui d’en haut
de petites anses pour les tirer quand on voudra : au-
dessous dudit globe sera un étrier fort et épais, où il
y aura quatre fenêtres aux quatre coins, où seront
quatre ventailles ou layettes de fer ou de terre, dont
les queues passeront lesdites murailles pour ouvrir
et étouper icelles fenêtres quand on voudra. Au-
dessous d’icelui étrier, il en faut encore un plus épais
et plus fort, séparés l’un de l’autre de quatre pouces,
au milieu du quel sera une fenêtre quarrée droit sur
le Feu, par où passera la chaleur pour aller aux
quatre le dessus, puis après circuler autour du grand
globe qui par le moyen de cette chaleur s’échauffant, FIGURE I
causera une chaleur étouffée à la matière, laquelle (fourneau philosophique)
chaleur sera si lente que voudras, étoupant icelles
fenêtres, comme dit est, puis au-dessous d’iceux
deux étriers sera le foyer, tant grand que besoin sera, A. Capon du haut.
autour duquel seront les registres pour donner ou B. Capon du globe.
ôter l’Air, où au-dessous de ce foyer sera le C. Capon du fenestrage de quatre pouces.
Cendrier, le tout bien étoupé justement, sinon quand
D. Capon du fenestrage, où sera la verrière.
tu ôteras la cendre ou mettras du charbon, qui sera
de 24 heures en 24 heures. Et doit être tout le E. Vaisseau de bois, dans lequel est le matras.
charbon fait d’une même façon, et de menu bois. F. Globe contenant quatre pouces d’épaisseur.
Autre manière est audit fourneau ; c’est une Tour G. Fenestrage de dessus le foyer des deux Atres,
d’Athanor de mise au côté dudit fourneau, de comme ceux de C.
laquelle la chaleur sortant par le pied entrera dans K. Second étrier.
ledit fourneau au-dessous d’iceux étriers et ira
L. Foyer.
passer par la fenêtre, et au passage de l’Athanor tu
pourras mettre encore une layette. M. Porte du foyer.
N. Cendrier.
CHAPITRE III O. Porte du cendrier.
PRÉPARATION DE L’EAU

T
’ayant déjà enseigné la Matière qui Le Fourneau ci-dessus te suffira pour achever ton
contient l’Eau, dont tu as besoin, tu la ouvrage ; considère le bien pour en comprendre
sépareras de cette manière. Dissous l’Usage.
icelle en eau commune distillée, et
étant dissoute, purge icelle par la
filtration du papier gris, puis la cuis en vaisseau de mets le feu par degrés 10 ou 12 heures, et tu auras
terre, en l’écumant souvent ; avant qu’il se congèle d’une livre de matière 12 onces d’Esprit, lequel
broyé le sur le marbre, et mets dessus trois parties de faudra bien déflegmer et rectifier icelui, puis étouper
menus sablons, moult lavés et desséchés dans un le vaisseau finement que les Esprits ne sortent, et
fort vaisseau de verre de pierre, bien lutté, avec un ainsi continueras tant que tu aies desdits Esprits à
grand récipient lequel sera assis dans de l’Eau, pour suffisance.
par icelle humidité condenser l’Esprit au fonds, puis

NICOLAS VALOIS – 15 – LES CINQ LIVRES


CHAPITRE IV ton labeur sur ladite terre, mettant de l’Eau dessus,
comme jà a été dit, puis faisant digérer et retirant ton
PRÉPARATION DE L’ŒUVRE Eau, avec ce qu’elle pourra emporter de substance. Il

O
r mon Fils, d’autant que mon faut réitérer ce travail, et qu’il se tire de cette Terre
principal dessein n’a pas été de te ce qu’on en pourra tirer ; et quand rien ne pourra
déduire par le menu toutes les choses plus passer, il faut la recalciner. Ce qu’étant
nécessaires à l’œuvre, qui accompli, la fondrière sera alors nettoyée, puis
apporteraient confusion et seront toutes lesdites Eaux mises ensemble, et
rompement de cervelle, mais te déclarer simplement séparées de leur Terre pour recommencer ce labeur,
quelle est ladite Œuvre, de quelle manière elle se qui toujours durera tant qu’en icelle Terre sera
commence, par quelle voie elle se parfait. trouvé d’impureté. Et les labeurs ne sont autre chose
Je laisserai arrière toutes les autres choses assez que l’extraction de l’Âme et la calcination du Corps,
connues des vulgaires opérateurs, desquels tu lesquels étant ainsi accomplis ; aies du Mercure
pourras prendre leçon pour lesdites opérations, et animé douze fois le pesant de ladite Terre, et feras
non de ces miens Chapitres ; lesquels jamais ne digérer jusqu’à semblance de fixation, puis mettras
furent écrits, mais sont obscurcis sous allégories et encore une part, et ainsi jusqu’à douze parties, et
répétitions inutiles ; et parce que en iceux, confier on après mettras à une grande digestion. Mais garde
ne se doit, opère en cette manière. que le Volatil ne s’en aille et que ton Feu soit si
Quand tu auras bonne quantité de l’Eau susdite, naturel, qu’icelui se réjouisse.
mets la en deux vaisseaux bien étoupés, ce fait, La digestion étant accomplie en 30 jours, laisse
prendras Or ou Argent bien purgé par le Cément et refroidir tes vaisseaux et sépare tes matières, et en
en poudre impalpable, que laveras et dessécheras, tire ton Argent vif par la suite du Feu, que tu
puis mettras en une Cucurbite et verseras dessus de garderas en lieu tempéré, alors auras la Terre
ton Eau tant qu’elle surnage d’un doigt, puis étoupe imprégnée, de laquelle besoin sera de séparer
le vaisseau de l’Alambic sans bec, digère un jour l’humidité en claire Eau, que tu tiendras en lieu net ;
naturel, puis distille à chaleur lente les Esprits plus puis incère goûte à goûte l’huile ou l’Âme ci-devant
volatils. Ce fait remettras sur ton Métal autre Esprit gardée, tant que son Corps en soit rempli et sera en
comme devant est dit, et distilleras, et ainsi consistance de Cire fondue, avec laquelle tu mettras
réitéreras tant que ton métal retienne la moitié de la dixième partie de Vif argent que tu en as séparé,
son poids des Esprits plus fixes, en ayant chassé tout lequel servira de Menstrue à la Pierre.
le flegme dans le bain bouillant ; ce fait, sépare L’autre manière de procéder est telle. Prends et
d’avec les Cendres ledit Esprit joint au Métal, puis purge ton Corps comme dessus, puis verse dessus
recommenceras tout de nouveau à remettre sur ledit ton Eau, tant qu’elle surnage d’un doigt, digère 29
Métal d’autre Eau, comme devant est dit, jusqu’à ce heures, comme dessus, puis distille par le bain fort et
que ce Métal soit changé de la moitié de son poids réitère jusqu’à tant que le Corps n’en soit plus teint,
des Esprits plus fixes de ladite Eau, et tu tireras tous puis tire ton huile et la repasse tant de fois qu’il n’y
lesdits Esprits, et demeurera l’Eau simple et sans demeure plus de terre ; ce qui ne se peut que par le
acrimonie. moyen de nos Eaux ; alors ladite huile bien purifiée
Ce fait, prends toutes ces Eaux, que tu mettras goûte doit être lavée par plusieurs lavements, et gardée
à goûte sur ton Métal, que mettras inhumer tant que nettement. Ce fait, de l’autre partie de l’Eau déjà
ton Eau soit teinte, puis la tireras par la Cendre, et gardée, faut tirer l’Esprit de la Terre, comme dessus
mettras autre Eau comme dessus, et continueras tant est dit, et faire une Terre nouvelle, jetant la vieille
que ton Métal soit décoloré. Ce fait, mettras toutes qui ne peut plus servir ; puis laver icelle Terre tant
tes Eaux ensemble que tu feras digérer, puis tireras de fois qu’aucune impureté n’y demeure, puis que
l’Eau de dessus ton huile d’Or. Ce fait, par autre manière que devant cela ne se peut, rejetez
recommenceras tout ton labeur sur ladite huile, avec les Eaux dorées sur ledit Corps par petites digestions
tes Eaux, comme il a été pratiqué, tant que ladite et imbibitions, puis retirez les Eaux à bain doux : et
huile aura toute passé par icelles Eaux. ce, tant de fois réitérez que la Terre reboive son
Et si après icelles passées, comme dit est, au fond du Esprit ; et pour ce faire, il n’est pas nécessaire de
vaisseau demeure quelque impureté, comme la séparer ladite Âme d’icelle Eau.
première Terre, faut icelles Terres mettre ensemble, Mais note que la Terre ne reboira pas son humeur si
et ce jusqu’à ce que ladite huile ne fasse plus de en icelle il demeure quelque ordure, et étant
terre. Ce fait, tire toutes les Eaux de dessus ladite rejointes ensemble avec raison ; c’est la matière de la
huile, mets les dans un vaisseau de verre bien Pierre que tu remettras au fourneau, au
étoupé, alors prendras le Marc, ou terre qui est parti pourrissement comme sera ci-après déclaré car tu
de l’huile, et tireras d’elle sa substance, puis la verras une parfaite sublimation, qui séparant le pur
calcineras à Feu fort. de l’impur fera sortir le Mercure clair et
Ce fait, prends l’autre Eau gardée et recommence

NICOLAS VALOIS – 16 – LES CINQ LIVRES


resplendissant, qui par une fixation philosophique, à icelle Œuvre veux entendre, faut délier le Corps de
te donnera une Pierre parfaite, et te suffise. son impureté, puis le parfaire selon Nature : et
Car si dire je voulais toutes les merveilles qui y sont, déligature ne se fait qu’en la préparation et
pas de confiance tu n’aurais à mes écrits, et croirais putréfaction.
mes paroles fourbes. Comme aussi la brièveté que je Et en tout l’Œuvre, il n’y a que deux dissolutions
garde tu pourrais négliger de les mettre à parfaites, savoir ladite putréfaction et la projection,
l’expériment (dont Dieu te gardée). Car quand en qui ne sont aidées que de même nature. Mes paroles
iceux serait décevance, moult saches bien, que sont claires, et pourtant douteras-tu de leur vérité
besoin est que tu crois enquérir, et quelle lumière le jusqu’à ce que connaissance t’en soit donnée dès la
travail garde aux hommes de bonne foy. Car deux première expérience que tu en tireras, pourvu que tu
choses font faillir maintes gens en la Théorie et les sois un peu théoriquant, ainsi qu’apprendre je t’ai
empêchent de rien entreprendre, savoir peu de foi et fait ; mais que la corruption du Monde ne t’aie ruiné.
de patience. Et en la Pratique, trop d’Eau ou de Feu. Après, cherche le maniement des vaisseaux, et
Car ces choses bien notées font beaucoup savoir, agencement des matières, car cela convient ; et en
qu’il faut premièrement croire, être baptisé de Feu et suivant ces présents Traités de mot à mot, moult de
d’Eau, et porter patiemment les afflictions de ce merveilles paraîtront devant tes yeux. Et par ces
Monde, si l’on veut avoir la Vie éternelle. Hé, mon mêmes erreurs te feras sage ; ayant, comme dit est, la
Enfant, la chose n’est pas si difficile que les connaissance de la Théorie, et sachant quelles sont
mécréants de la foi jugent, car en bref tu sauras la les Matières, et ce qu’en icelles il faut chercher ; car
Vérité, si patience est avec toi, pourvu que tu aies ces quoique sous brièveté j’ai introduit la Science
quatre choses en mémoire. Car sans la foi jamais tu complète, néanmoins la plus commune séquelle des
ne pourras croire telles merveilles ; sans la patience, hommes déjà ne seront plus savants, sans icelle foi,
mettre rien en imagination, ni sans les mesures du patience et ferme confiance en Dieu, duquel tous nos
Feu et de l’Eau, mener rien à fin. biens proviennent ; puis étant en icelle grâce,
Le peu d’humidité est bien retardation à la Pierre, enquérir lors pourras ce que c’est que la Pierre,
mais le trop est la ruine d’icelle, et ainsi du Feu. Car laquelle Lulle déclare assez en sa Théorie.
en ce, l’Esprit et l’Entendement avancent avec l’aide Cela étant connu, avise dans le même Lulle en son
du fourneau, car en vain tourne-t-on les chevilles de Œuvre pratique le moyen d’opérer ; ce que par toi as
la Harpe, qui ne sait quel ton prendre. Vrai est que aperçu. Gardes l’Eau et le Feu ; mais aucun ne te
l’on peut se remettre a penser à la chose que l’on donnera le fourneau si à clair que j’ai fait, car sans
cherche, soit siccité, frigidité, chaleur ou humidité, icelui à rien ne pourras venir. Et si je t’avertis, que
car temperation sert où excès est nuisible. Et quand des deux moyens d’opérer, dont l’un est faux et
besoin est d’aller d’un extrême à l’autre, comme il l’autre vrai, et le vrai caché sous le faux. Et aussi ai
arrive en l’Œuvre, ce ne peut être sans de grands répété une même chose plusieurs fois ; mais comme
changements qui n’arrivent pas tous à la fois, mais je t’ai dit en mes autres Chapitres, de l’homme qui
peu à peu ; ainsi les plus rudes impositions sont parmi une multitude est trouvé se connaissant
exercées sur les peuples, et les plus fiers Lions sont parfaitement, je te dirai que tu trouveras une perle
adoucis, le tout par modération ; car ce qui se fait parmi un tonneau de grains, où un aveugle n’en
par saut, court risque de brûlement. viendra pas à bout, en ce qu’en contient la main.
Deux choses sont en notre Matière, qui doivent être Ainsi si par mon Enseignement les yeux te sont
notées : la première est la dureté et compactibilité ouverts, ne doute pas d’icelle pratique étudiée : car
d’icelui Corps, lequel ne peut être amolli que par sa tu ne sauras assez démêler ce que l’Œuvre requiert,
même substance, laquelle lui est rendue ; la seconde si plus n’es savant de mes exhortements. Mais
est la conservation de son Espèce, où toutes telles garde-toi d’autre Livre enquérir sinon dudit Lulle,
paroles ne sont entendues qu’en la Putréfaction, où ou de quelque autre que tu sauras bien l’avoir fait,
les deux parties du Corps sont ramassées, et est une comme nos Compagnons, qui ont laissé à leurs
femelle, et l’autre d’autre sexe, tant que par son Enfants Livres écrits de ladite Science, dans lesquels
humidité, elle attire la siccité de l’autre à peut être prise leçon de grand prix. Mais ce qu’ils
putréfaction, qui est le grand Secret ; car là sont n’ont osé dire, je le mets ici sur ta conscience, dont je
contenus tous les mystères de la Pierre. m’assure que mésaventure n’adviendra. Ainsi je
Et en cette partie, pourras considérer le degré de mettrai fin à ce Chapitre pour dire l’Œuvre de la
chaleur par la chaleur d’un fumier, ou de quelque Maîtrise ; mais le S. Esprit soit en ma pensée. Âmen.
autre chose en putréfaction, mais comme une
chaleur lente et mortifiée. Et cela considère avec la
mesure de l’Eau, qui coutumièrement n’est que de
dix contre un ; moult grande mésaventure à tard
arrivera ; car si une fois mésaventure arrive, l’autre
se réparera, car ne te soucies autre chose enquérir, si

NICOLAS VALOIS – 17 – LES CINQ LIVRES


CHAPITRE V puisqu’en iceux est mis le plus grand Trésor de la
Terre.
DE L’ŒUVRE
C’est pourquoi sur tout aies les yeux fichés sur cette

T
out inquisiteur d’aucun Art doit être
noble matière, dans laquelle est ce que nous
Théoriquant, avant que de mettre la
cherchons ; mais il la faut dépouiller par un régime
main à la Pratique ; car qui moult
très lent et doux ; que son humidité radicale n’en
n’entend ce qu’il cherche, à tard peut
reçoive dommage, mais hâte est à fuir, et nécessité
à chef venir, comme tant de
est que les Saisons apportent feuilles, fleurs et fruits.
labourants ineptes, qui sont simples sophistiques,
Car les plus hauts sapins n’ont été élevés tout d’un
perdent leur temps et leur bien, sans rien trouver de
coup, mais petit à petit, goûte à goûte ; ainsi faut que
ce qu’ils cherchent ; mais au contraire celui qui
le Corps soit mené en sa nature par même manière
chemine en quelque lieu qu’il connaît, quoi qu’il
qu’il a été fait Corps ; savoir par dépurations, car
puisse s’égarer, il arrive pourtant tôt ou tard au lieu
l’Esprit sortira du Corps, et désirera de suivre l’Eau,
où il désire : et quand connaissance n’aurait de la
et l’Âme semblablement.
situation du lieu où il tend, autrement que vers le
Levant ou le Septentrion, toujours viendra-t-il à Ainsi demeurera la Terre seule, laquelle sera aussi
l’achèvement ; car à force de marcher vers ce climat, élevée par l’Eau, jusqu’à ce que rien ne monte ; et ce
trouvera en fin finale quelqu’un qui lui enseignera la qui restera au fond sera inutile, puis faudra retraire
Cité, si il en sait le nom. sa terre, c’est à dire la séparer de l’eau. Et
recommencer ce dernier labeur tant de fois qu’il n’y
Ainsi est-il de notre Œuvre ; car celui qui ne sait quel
demeure plus de fondrière, alors sera la Terre
chemin prendre, pourra consommer tout son temps
purgée, sur laquelle petit à petit tu rebouteras
sur le Plomb, sur l’Etain, ou quelque autre matière
l’Esprit, et quand iceux seront ainsi assemblés, mets
qu’il désirera, par quelque conformité de nom ou de
tout le feu dans un rond vaisseau, d’où il ne sortira
qualité qu’il trouvera écrite ; mais au contraire celui
que tu ne voies ta Matière sortie en Mercure clair,
qui s’étudiera sur le plus noble, pourra bien attendre
qui s’attachera au côté du vaisseau ; alors
une plus noble issue. Car quand on n’aurait autre
amalgameras ce Mercure avec l’Or des Philosophes,
avertissement, que chaque chose ne peut donner que
qui est l’Âme susdite que mettras dans un matras au
ce qu’elle a, n’est-ce pas suffisamment pour nous
fourneau que je t’ai enseigné.
faire chercher perfection dans la perfection, et non
dans l’imperfection ; encore que sans icelles choses Et là sera 40 ou 50 jours, avec un feu très doux que
imparfaites, la Pierre ne pourrait étendre sa Vertu : tu régleras, boutant souvent la main dans le
car c’est la Terre, où besoin est de jeter notre fourneau, ou jugeant de ton œil à la matière ; qu’elle
semence, pour la convertir en icelle semence. ne soit point trop vite menée. Car note qu’en icelle
matière est un feu enfermé, tant petit qu’en bref
Ainsi l’Or est donc la Matière, lequel doit être
temps il peut être suffoqué. Et icelui feu avons
ramené à sa première Matière, savoir en Soufre et
besoin de conserver ; car pourvu que mort ne lui
Mercure, par la séparation et purgation d’iceux ;
arrive, ayant pris à gré notre feu, il se réjouira en
c’est à dire de leur Terre impure, qui tient ce Corps
icelui, et de lui s’augmentera si fort qu’il dominera
enseveli comme dans un sépulcre, qui est la cause
l’humidité de la Matière ; alors force sera que
pourquoi l’Esprit ne peut agir, comme il fera après
putréfaction arrive de toute la Matière pêle-mêle, et
qu’il en sera dépouillé, non que besoin soit de
sera tournée en la couleur du Vert lézard, qui petit à
séparer toute icelle terre, mais la purifier et la
petit se tournera sur le basané, puis en noir, que tu
nettoyer, comme dit est ; car elle est le Corps, comme
regarderas souvent par les fenestrages en levant la
l’Eau est l’Esprit, et le Feu, l’Âme et la splendeur, qui
moitié du vaisseau de bois avec le fil d’archal. Ici est
rend illuminé ce Corps. Mais d’autant qu’en mes
la grande difficulté de l’Art, figurée par tant
petits Chapitres, tant de détours ne sont trouvés qu’à
d’allégories des Philosophes ; c’est aussi leur mer,
cause de Rasés et autres ; n’entre en doutance, que
leur forêt et en un mot tout l’Œuvre ; car par icelle
Vérité n’y soit, car obscurité ne sert qu’à desvoyer.
putréfaction, la Nature se convertit et change de
Et je te veux au clair mettre.
forme, et nul changement ni mutation ne se peut
Car si en iceux n’est trouvée chose suffisante selon faire d’aucune chose qui soit au Monde que par la
ton opinion, cherche la où je te l’ai enseignée, encore putréfaction. C’est l’Eau mystique des Philosophes,
que je t’aie tout dit ; mais quantité d’opinions qui est vile en toutes choses, et sans laquelle rien ne
confortent les résolutions. Et si tu crois que je n’aie s’engendre. Et si l’on te demandait le moyen de faire
dit choses suffisantes, pourtant n’ai-je dit choses la Pierre, comme aussi toute autre chose, tu le
inutiles : mais surtout garde silence, et si profit ne pourras enseigner par icelle parole : Putréfie. Car
t’advient d’icelui mon Traité mince le, comme dit sans icelle putréfaction rien ne se fait, et icelle seule
est ; car tel ne sait à profit mettre, ce qu’autres suffit.
recueillent bien, donc quelque fois arrivent
Ainsi ne cherche autre chose, mais qu’à icelle tu
inconscients, et contre opinions d’aucuns
puisses parvenir ; car pour garder brièveté, comme
investigateurs ruraux, mes dits veuillent être notés

NICOLAS VALOIS – 18 – LES CINQ LIVRES


dit est, autre long procédé ne te veux faire, ni de croît, et tant plus puissamment il agit sur notre Feu,
Dragons, ni de Lions, ni de Chiens, ni autres et en plus bref temps attire son nourrissement de
animaux, ni de séparations d’Éléments, ni toute lui ; et enfin se voit fait Feu pur. C’est pourquoi au
autre chose ; car qui croirait que pour convertir la commencement, il ne vainc pas si tôt car l’ennemi est
Terre en Feu, il faut premièrement conversion dix fois plus puissant, et à présent que sa force est
d’Éléments ; car premier, la Terre se fait Eau, puis augmentée de dix fois, ils sont égaux, et dès lors
l’Eau se fait Air, et l’Air est fait Feu, plus prochain qu’ils sentent le Feu commun icelle putréfaction
en voisineté de l’Air que la Terre ; mais ce procédé arrive. Ainsi ils augmentent en vertu projective, dont
est long et brouille plus qu’il n’enseigne. je ferai mention à la fin de ce Traité.
Notre Composé donc étant noirci, il faut qu’il vienne
à blanchissement, et blancheur n’y peut venir sans se
CHAPITRE VII
faire gris, mais le Feu continue son opération jusqu’à DE LA PROJECTION

E
blanchissement parfait ; car alors il se doit ncore que dans les Livres des
augmenter doucement, et non tout d’un coup, à Philosophes la Projection y soit, si est-
mesure que le Corps croît nourrissement lui doit être ce que pour ne rien oublier ; afin que
baillé. Et le lait de notre Pierre est le Feu ; car elle force ne te soit d’iceux requérir, je
n’est que Feu, laquelle requiert fort Feu, selon la dirai. Que tout assemblage de parties
force de la complexion, et icelle fut figurée par le contraires ne se peut faire sans quelque médiateur
Prophète Élie, qui dévorait les flammes de Feu qui aie de la pénétration aux volontés de l’un et de
toutes entières. l’autre pour les savoir unir. Or l’Elixir est si éloigné
Entre les prédites couleurs, en adviennent moult des Métaux imparfaits, qu’en iceux il ne voudrait se
d’autres, mais icelles ne dois rechercher, comme marier, sans l’obligation et engagement de la foi
folles fleurs qui de rien ne servent ; et par ces brèves promise. Et pour ce que cet Élixir est venu de l’Or,
paroles as toute la Science décrite, qu’aucune chose cet Or a ce pouvoir sur l’Elixir de lui faire promettre
demeure à dire ; mais le labeur sera à toi liaison et mariage avec soi sans crainte, lequel le
enseignement, quand plusieurs choses arriveront tenant fermement le force d’entrer en iceux autres
contre ta pensée, lesquelles souvenance auras Corps ; non toutefois sans regret qu’il en reçoit, ce
d’avoir leu dans les Livres, dont le nom de Dieu soit qu’il témoigne par la plainte qu’il en fait en sa
béni. Et ce qui me reste encore à recommander est projection.
foi, patience, et pureté, sans laquelle avec la Il faut donc mettre trois ou quatre parts d’Or affiné à
proportion et tes agencements retardement serait. fondre dans un creuset ; lequel étant fondu, mettras
Venons donc au reste de l’œuvre. une partie de ton Élixir dessus, et iceux remueras
avec un petit bâton tant qu’ils soient bien mêlés, puis
CHAPITRE VI les jetteras en lingot, et sera Médecine pour les
DE LA MULTIPLICATION Métaux. Et si ton Œuvre est au blanc, mets de
ermentation est extraction de la l’Argent au lieu d’Or. Mais pour la Médecine des

F substance ; mais nous n’avons pas


besoin d’en faire autrement mémoire
que ce que dit a été, et sera parlé
après. Mais la Multiplication est
nécessaire à savoir, qui n’est par qu’une pure
Corps humains, cette Matière requiert plus ample
déclaration, que tu trouveras assez dans Lulle.
Assez est dit de ces choses quant à présent, que de
voir tu ne doutes de travailler. Car si par ce m’en
petit Traité tu n’y peux venir, ne crois pas que tous
réitération de l’Œuvre ; c’est à savoir aux matériaux ceux de Lulle, ni des autres, te doivent suffire, non
et non point à la longueur du temps, car si le que je te les défende, mais je te les recommande ;
premier Œuvre a été accompli en neuf mois, le mais non qu’après expérience en auras fait ; parce
second le sera en trois, le troisième en trois semaines, que leurs paroles sont par moi déclarées brièvement,
et à la fin en bref temps. Car au premier longueur de et les miennes ne seront trouvées en aucun de leurs
temps est requise, d’autant que la Nature est morte, Livres, sinon de manière voilée et mêlées parmi des
pour le peu de vigueur qui est en elle ; laquelle choses fabuleuses. Prie Dieu qu’il t’inspire, car sans
vigueur néanmoins est l’entrée et le levain de la sa grâce rien ne peut être fait ; et observe moult mes
Pierre. Enseignements, afin que infortune n’arrive par ce
Car sans icelle en vain travaillerait notre Feu, car défaut, et qu’après le cours de cette vie, rien ne nous
rien de lui n’entrerait dans la matière ; mais icelle a empêche le Royaume céleste, où nous veuille
Vertu attractive de tirer son nourrissement du Feu conduire le Père, le Fils, et le Saint Esprit. Amen.
des Philosophes, et tant plus sa force et sa vertu

NICOLAS VALOIS – 19 – LES CINQ LIVRES


LIVRE QUATRIÈME
eci est mon dernier propos en forme tant seulement qu’à bien laver le Corps, tant par Eau

C d’Epilogue auquel l’Œuvre est


répétée et moult bien enseignée, à qui
suivre la voudra de mes Enfants,
quoique avec peu d’obscurité, en
quelque lieu Vérité y est pourtant mise, et plus
que par Feu. L’opération de l’autre est de faire l’Or
de l’Azoth vif ; la facture et la génération duquel
ensuit Nature en la procréation des Métaux, et pour
icelle bien composer, moult convient savoir la
fabrique des fours, à ce qu’ils n’excèdent point tant
grande lumière ne peut être donnée. en augmentation qu’en diminution selon les degrés
Quand il est question qu’aucun s’adonne à un nécessaires, desquels nous parlerons tantôt ; car les
besoin, où il croie passer sa vie, icelui trop ne saurait Feux sont à noter, aussi bien que la façon et qualité
bien entendre ; pourquoi en icelui apprentissage du vaisseau de l’Œuvre.
n’est jamais le temps inutilement employé, ni le Laquelle Œuvre consiste en quatre parties, savoir en
retard déjà à l’ouvrier n’est nuisible ; car en quelque solution, congélation, albification et rubification ;
petit Art que ce soit, moult doit-on s’éprouver avant lesquelles quatre parties je déclarerai selon
nulle besogne exposer. Ainsi qu’en notre Science, l’intention des Philosophes, et non par des ignares
Théorie doit avant marcher, puis doit Pratique ruraux, qui prennent les syllabes pour l’intention.
suivre. Car il est deux solutions en l’Œuvre, dont l’une est
Car icelle notre Philosophie, qui onc par nulle autre mystique et l’autre philosophique. Il est aussi deux
Science ne se mesura, mérite bien que celui qui la Conjonctions ou Mariages, l’un ordinaire et l’autre
recherche, à icelle tout à fait s’adonne, sans temps ni philosophal. Le simple n’est qu’assemblement des
occasion perdre, ni en ses opinions varier jusqu’à parties, mais le philosophique est la conjonction qui
l’expérimentation dernière ; toutefois qu’elle soit se fait sur le Feu, savoir en la dissolution naturelle
fondée sur raison, et non pas cuider que cet Art nous du Corps, et en la congélation de l’Esprit ; car ce
vient sans le quérir, vu que la moindre Science Corps et cet Esprit se rencontrent l’un l’autre et se
consomme les jeunes ans des Étudiants sans joignent ensemble, savoir l’Eau épaissie jusqu’à un
beaucoup savoir ni acquérir profit par leurs études, certain point, et le Corps amolli en même degré.
non plus que les flatteurs de Cour, qui auprès des Car la partie générative met sa vertu dans le subtil
Grands meurent ruinés. Ces avares marchands et qui est l’Air, et par ainsi sont joints, et est la solution,
artisans, aussi tous légistes et autres officiers, congélation, division, composition et putréfaction
consomment leurs ans et leurs Corps, premier qu’à des Philosophes cachée jusqu’à aujourd’hui, et laisse
grand avoir puissent parvenir, tant sont les choses la diversité des mots, toutes ces choses ne sont
du monde peu profitables ; mais en icelui noble Art qu’une même opération, après laquelle vient
de Philosophie gît le Trésor des Rois, la faveur des l’imbibition de la moitié du poids de la matière par
Peuples, et la gloire des Cieux ; car moyennant l’Eau d’icelle jusqu’au blanchissement, après lequel
icelui, à l’homme n’est rien impossible. autre imbibition est faite, et puis vient le compost à
Ainsi, mon Enfant, à l’enquérir tout autre chose rubification, et sont les quatre parties déjà déclarées.
délaisse, non que je veuille qu’à mes Enseignements Mais avant toute chose, faut que le Corps, comme
seuls tu obtempères ; mais à ceux de tous les bons dit est, soit dissout, afin que la chaleur entre en sa
auteurs qui nous ont précédés, et desquels je ne suis profondité, pour après le redissoudre et le congeler,
qu’imitateur, comme Lulle, déjà par moi tant comme dit est, avec la chose qui s’en est approchée.
recommandé ; car icelui bien entendu ne doute pas Car ainsi que les vers sont produits d’une seule
d’entrer en labeur ; mais encore que par ci-devant je matière, le bled seul engendre autre bled, dont le
t’aie baillé l’Œuvre entier en laquelle peu de choses Soleil et l’humidité de l’Eau causent la germination,
est obscurcie. Si est-ce que le regret que j’ai de n’oser qui produisent son semblable, est à la fin icelui bled
parler plus à découvert, me fait encore donner ce converti en la chair et sang de l’Homme. Ainsi notre
petit Abrégé, auquel sera plusieurs fois répété le Feu, qui en ce ressemble le Soleil, est la vie et la mort
Magistère, que tu noteras avec bon Engin, comme de notre Pierre, par un certain entre-deux en sa
chose de grand prix ; car encore qu’il semble différer spiritualité ; et pour bien dire en un mot, quelle est
de parole, néanmoins l’intention n’est qu’une, quoi icelle notre Pierre, icelui bled en est l’exemple. Car
que l’un puisse dire ce que l’autre omet. Et que si la icelle n’est qu’une semence métallique tirée de
différence y est trouvée, ce n’est que la différence semblable Corps, et semée en Terre métali[qu]e,
des opérations, selon la différence des Magistères. pour engendrer une chose de sa Nature par
Car il est plusieurs Magistères, dont les uns sont rapprochement de Nature métalli[qu]e.
simplement appelés Minières, desquels je ne parle Or pour à icelle Œuvre venir, maintes choses sont
point ; les autres sont dits Pierres, dont il est deux requises, premièrement le temps. Quoiqu’en tout
sortes : c’est à savoir que l’opération de l’une ne gît

NICOLAS VALOIS – 20 – LES CINQ LIVRES


temps icelle se puisse faire ; mais le Printemps qu’icelui prenne nouvelle forme dans son Menstrue
surtout avance l’Œuvre, d’autant que la froideur de minéral [dans la fontaine de jouvence, c’est-à-dire
l’Hiver, venant à frapper le fourneau, le Feu s’en l’eau permanente], et d’icelui prenne substance ;
ressent et perd une partie de sa force ; de manière comme on voit au ventre de la femme, l’enfant
qu’à tel temps moult sera nécessaire le talent de prendre nourriture des menstrues d’icelle, jusqu’à
l’ouvrier, pour aider le Feu contre cette froidure. l’âge d’être engendré sur Terre.
Secondement, faut que le lieu soit libre et secret, et Ainsi la première Matière des Métaux est icelle
apte à tout faire sans nulle contrainte. Tiercement, vapeur de la Terre, et icelle chaleur, desquelles est
faut que la personne soit douce, égale, paisible, engendrée notre Matière par la conjonction des
constante et adroite, et ne contrarie nullement à son deux ; car la Terre ou l’Eau seule sont inutiles, mais
Compagnon, par quelque motif de présomption, par leur mélange proportionné sont engendrées
sinon pour donner conseil suivant raison et Nature. toutes choses. Et afin que pas tu ne doutes de mes
Pour les Matières, déjà par moi ont été assez paroles, regarde les Minières qui encore aujourd’hui
déclarées, en sorte que meilleure explication n’en sont ; auxquelles quoique l’Air y entre, montent
puisse être faite, qu’en déclarant que toute chose toujours icelles vapeurs chaudes en telle abondance,
engendre son semblable : que Nature s’approche de que les Labourants, qui là travaillent, à peine
Nature et se joint à icelle ; et que Nature contient Soufrent leur chemise, par la chaleur qui en ces lieux
Nature ; car toute chose étrangère est rejetée de habite par icelles vapeurs ; voire, et si tant montent
l’ouvrage. icelles, que souvent advient qu’iceux seraient
Mais pour les commencements entendre, sache que suffoqués, si plus longue demeure ils y voulaient
toute teinture seiche est inutile en sa siccité ; mais faire. Car aussitôt on les voit sortir, que leur
par l’Eau toute couleur est apportée sur le drap. Or chandelle se veut éteindre ; et quand ils sont
nous avons vu dans la procréation des Métaux, trois retournés en la minière, trouvent icelles vapeurs
principales matières, dont la première est une attachées aux murs d’icelle, et au moindre
vapeur humide, clamée Mercure ; et la seconde est la attouchement se condensent en gouttelettes
chaleur de la Terre, qui est le Soufre ; desquelles huileuses.
deux matières est engendrée la première matière des C’est là le premier Menstrue des Philosophes,
Métaux. Et d’autant que besoin est de réduire iceux duquel nous aurions bien besoin. Mais le Feu est le
Métaux en icelle première Matière, moult convient régime de tout, lequel est divisé en trois, dont le
iceux subtilier, comme dit est, pour d’icelle extraire premier procède du Soleil, lequel coopère
icelle première et seconde Matière ; car quand insensiblement à toute génération, comme premier
mesure notre Pierre se pourrait construire Agent de Nature, lequel est dans toute sorte de
d’Animaux et Végétaux, comme aucuns veulent, il semence et est clamé Feu naturel. Le second est celui
faudrait tirer d’eux Argent vif et Soufre, par longue qui, partant du centre à la circonférence de la Terre,
dissolution, vu que Nature en nul règne ne parfait porte icelles vapeurs fumeuses, et est dit innaturel ;
point une chose sans l’égale mixtion de ces deux auquel est comparé celui de l’Art, par
parties. l’administration duquel est augmenté le naturel ; le
Il est aussi entre les hommes trois sortes de troisième est dit contre Nature, qui est engendré du
complexions, dont les uns sont tout à fait grossiers et premier, savoir des vapeurs des Métaux, et pourrit
ruraux, qui n’ont aucun bon engin ; autres sont très le composé, comme nous avons entendu du Premier
subtils et croient tout savoir, et à rien ne viennent, Menstrue, qui corrompt tant la matière hors la forme
lesquels inventent choses hors de la Nature, et aucun spécifique, qu’elle est menée à génération ; et par
Livre ne veulent entendre ; mais les troisièmes sont ainsi le naturel, et contre Nature, ne sont qu’une
plus parfaits, et entre ces extrémités tiennent le même chose ; sinon que le contre Nature, par plus
milieu, et participent en médiocrité des uns et des grande débilitation, marche plus lentement en
autres ; car comme le fort vin, à cause de sa chaleur, détruisant la matière.
nuit à la santé humaine, de même, l’Eau tue par sa Et au contraire le naturel comme plus vigoureux en
crudité ; mais le mélange proportionné des deux est générant icelle, lequel se nourrit de l’autre, qui est
moult convenable. son extrinsèque, et toutefois ne parait rien sur icelle
Donc en la Pierre des Philosophes la première matière ledit extrinsèque sans l’intrinsèque, qui est
matière d’icelle n’est pas la première matière de ledit Feu naturel ; ainsi l’un réveille l’autre, qui
toutes choses, ni aussi les Métaux, mais environ dissout parfaitement le Corps, moyennant le
iceux est trouvée notre première Ma[ti]ère ; car il fourneau, dont les degrés sont en première instance,
faut que le Corps soit rétrogradé, non jusqu’aux chaleur de fièvre ou de fumier ; le second de Bain ; le
quatre Éléments, mais aux principes métalliques troisième de Cendre, et le quatrième de Charbon ou
[c’est-à-dire aux Corps élémentés, qualifiés de flamme : car en iceux sont les digestions
représentés par la lettre D dans Grosparmy]. Et successives, dont la première est la solution du
quand icelui Corps est avili de forme, il faut Corps, laquelle se fait en la conjonction du mâle et

NICOLAS VALOIS – 21 – LES CINQ LIVRES


de la femelle, d’où vient putréfaction en une Eau Mais ayant, comme dit est, plusieurs Mercures, iceux
homogénée par ce Feu débile ; la seconde est régimes causent leur diversité ; et pour ce qu’en ce
séparation des Eaux, où les Éléments se tirent du lieu, je veux déclarer le Menstrue plus voisin de la
Chaos, comme les Philosophes disent ; et la troisième matière d’icelle Pierre, sache qu’encore que l’Esprit
vient comme une Eau qui est appelée l’Eau de rosée ; ne se puisse joindre au Corps, comme dit est,
et en la quatrième sont tous les Éléments fixés. De qu’après qu’icelui Corps sera fait de nature d’Esprit
laquelle procession rend témoignage Nicolas par notre premier Menstrue, auquel est le Feu contre
Flamel ; mais surtout garde que l’extrinsèque ne nature, autre Menstrue est requis, lequel est racine
détruise l’intrinsèque, ou lui manque de garantie ; de notre Pierre et en icelle se convertit, ainsi comme
c’est à dire, garde le Feu et l’Air ensemble, qui Matrice aux Animaux, où ils trouvent création et
veulent bien être conservés à nourrir par icelle nourriture, et de ce dernier Mercure sont faites
digestion, sans que l’humidité ou frigidité d’icelle multiplications, mettant une partie de l’Elixir sur mil
Pierre leur fasse dommage. Garde encore l’Air et d’icelui Argent vif et avec lui fixé dans le fourneau à
l’Eau de la combustion du Feu, en conservant aussi Feu lent, puis l’augmentant par trois jours naturels
le Froid et le Sec ; car tous ces quatre cherchent leur qui est l’Œuvre de trois jours ; laquelle se peut
conservation en nourriture par les proportions et réitérer jusqu’à une multiplication infinie. Ainsi l’Art
degrés de la chaleur du fourneau ; car le Feu et se peut dire en brèves paroles, non pourtant comme
l’Azoth suffisent ; mais l’Azoth, qui est la les autres Sciences, mais par intelligences
composition qui contient en soi les-dits quatre philosophiques ; car icelui ne peut-on autrement
Éléments, est Argent vif et non vulgaire, mais celui expliquer, quand bien on le croirait, sans similitude,
qui est tiré des Corps, et non de la minière, dissout tant il est noble et admirable. Aussi ne doit-il être
par l’Argent vif, d’autant qu’il est plus cuit que celui révélé qu’avec figures et exemples : comme qui
vulgaire ; car ce Corps est fait Eau mercuriale, de dirait, prends du Sol, broyé le avec Eau, le
laquelle vient Azoth [il s’agit de la lettre F de pourrissant en d’autres Eaux et par divers
Grosparmy], comme Esprit animé. broiements le froisse fort avec Sels, et le brûle
Et note que la première composition est faite de trois plusieurs fois pour acquérir pureté. Item, prends une
choses savoir Eau métalli[qu]e ou Mercure sublimé part du Corps, et sept ou neuf, voire jusqu’à dix
du Levain blanc ou rouge, et du Second Soufre, d’Esprit, que tu mettras au vaisseau dans le
desquels dans Lulle cherche les poids ; car comme fourneau, où ils seront quarante ou cinquante jours
Mercure prend couleur, il la communique aux devenant moult blancs et rouges, dont l’expérience
autres. Il se tire aussi de la Pierre trois humeurs, en se fera voir sur la lamine de fer rouge. Car si elle
les dissolvant et coagulant l’une après l’autre ; savoir court sans fumée, alors prends trois parts de Levain
celle de l’Eau, celle de l’Air, et la radicale ; mais rouge et deux part d’Eau et d’Air, et feras amalgame
icelle radicale n’est que Feu, lequel ne veut pas tirer que digéreras par degrés, dont sortira un cristal
sa Cendre sinon par un feu doux de nature, et non rouge et transparent, duquel prends une part et met
comme l’humeur radicale du verre qui ne cède qu’à en creuset, et incérant goûte à goûte de son huile,
la force du Feu ; et c’est ici la différence qu’il y a tant qu’elle soit fondue et qu’elle coule sans fumée.
entre l’Art vitraire et notre Art. Car alors tu auras perfection, tant au blanc qu’au
rouge, mettant, comme dit est, un poids de cet Élixir
La Pierre est aussi faite d’une seule chose, laquelle
sur pareil poids que devant d’Eau rouge ou blanche,
contient deux, trois et quatre ; car les quatre
suivant l’Elixir selon la manière déjà déclarée, dont
Éléments y sont, les trois Principes, et les deux
assez soit dit, et te suffise si recommencer tu ne veux
Matières, savoir le Soufre et le Mercure, non
en cette manière. Extraits par l’Esprit cru l’Esprit
vulgaires en leur Nature, mais les Corps réduits en
digeste du Corps dissout, afin que tu aies une
icelle matière ; car étant simplement parfaits, ils
Cendre fixe que tu dissoudras en plus outre, puis
nous sont inutiles sans une ingénieuse mondification
trouveras en icelle huile gommeuse de pierre
et séparation des choses imparfaites, dissolvant petit
incombustible, qui est appelée Âme, qui est
à petit au fumier philosophique la lie du Feu, de
vivifiante les Natures unies, car tu disjoindras les
l’Air et de l’Eau, en sorte que la Pierre demeure sans
Natures en Esprit, et les rassembleras en Huiles.
ordure, et ce sera la séparation qui est dite. Sépare la
Terre du Feu, et le subtil de l’Epais avec Industrie, Et en ces mots est tout l’Œuvre, outre ce que déjà par
car après l’exaltation de cette Pierre, la convient moi a été sermonné. Pour le fourneau, tu en as assez
nourrir avec un Jus qui est sorti d’icelle en la de connaissance, quoique d’autres encore sont
première opération, qui est dite Eau de la Pierre. En maintenant dont je ne veux parler, mais par toi
sorte qu’un vaisseau, une matière, et un régime seront requis, si besoin en a, et que persévéremment
suffisent. tu daignes mes avertissements retenir ; car pas à moi
ne tiendra qu’à chef ne vienne de cette Œuvre, mais
Si est-ce que tant au commencement qu’à la fin
te conduis à icelle autant qu’il m’est possible ;
plusieurs régimes, plusieurs vaisseaux, Matières et
pourvu que l’avarice, ou la paresse, ne te
Feux sont requis, même jusqu’à sept Triturations.
commandent.

NICOLAS VALOIS – 22 – LES CINQ LIVRES


Car pour ne laisser rien à dire dont tu eusses affaire, Que Mercure on ne connaît plus
je t’augmenterai encore mon fourneau, si en l’état Et a sans ailes dévoré
qu’il est il ne te suffit, changeant quelque chose Queue du Dragon envenimé ;
d’icelui en icelle manière. Savoir, qu’au lieu de le Puis Mars en quête par raison,
construire, comme dit a été, tu le fasses seulement Fait mettre Mercure en prison
semblable au B. C. D. F. L. M. N. et O. Car tu ôteras Par les chevaux légers du Camp,
A. G. H. I. et K. Et au lieu de A. feras un fenestrage Et le donne en garde à Vulcain.
semblable à celui de I. Et encore de G. et d’H., si Alors les couleurs paraissant,
besoin est, mais sur le tout, qu’il soit justement Vont l’une après l’autre naissant,
étoupé, afin que rien n’en puisse sortir ni entrer que Plomb étant, puis Mars comme foudre,
par la volonté, sur lesquels sera fixement posé un Rend les os du Mercure en poudre.
vaisseau pareil à F. Et ce qui gît avec lui, afin que la Puis la Lune d’un habit gris
chaleur vaporeuse du premier fourneau entre dans Argenté des Eaux qu’elle a pris,
Avec larmes et tout en deuil,
ladite F., tant que besoin sera, il pourra servir aux
Pleure son mary le Soleil.
plus douces digestions, mais il faut que F. soit
Et priant pour sa délivrance,
renforcé par dehors, à cause de l’Air qui battra
Les importune à toute outrance.
contre.
Néanmoins Vulcain le Geôlier
LOUÉ SOIT DIEU Continue son Feu journalier.
AMEN Jusqu’à tant que Vénus la belle
Arrive pourtant entour d’elle,
Manteau rouge doublé de vert
DEUS IN NOMINE TUO SALVUM Dont tout son beau Corps est couvert,
Tenant entre ses mains pendantes
ME FAC Des Fleurs moult odoriférantes.
Si tu veux savoir la manière Après du Ciel, ou Air issant,
De faire Pierre et Minière, Sort un Animal très puissant.
Dans Lulle te convient voir ; Avec plusieurs petits encore,
C’est lui qui me l’a fait savoir, Lesquels soudain Vulcain dévore.
Et appris la droite facture Aussi fait la belle Vénus,
Du même Or qu’engendre Nature. Qui pour lui irait jus.
Mais pour la Pierre, il convient Et si cria d’une voix haute,
Avoir la liqueur qui en vient. Femmes m’ont engendré sans faute.
C’est à savoir une semence, Et ma Semence en toutes parts,
De force et de vertu immense, Au deçà, au-delà, espars ;
Dont l’Or et sa Femme produits Mais leur Âme en moi s’unissant,
A perfection soient conduits. De leur Sang je m’irai paissant.
Mais premier tu le dissoudras, Puis lui et ses petits ensemble,
Et en pierre le mettras. Qu’on dit qui à l’Or fort ressemble,
Ainsi que Nature et Science En une chambre s’enferma,
L’enseignent aux gens de conscience. Et la porte sur lui ferma :
En ses principes réduisant Mangeant bien davantage encor,
Ce noble métal et pesant ; Qu’il n’avait fait jusqu’à or.
Ainsi qu’on fait par sections, Si bien ainsi qu’il avait fait,
Des Corps humains dissections. Cette première huile en effet,
Pour voir sur secrètes parties, Incombustible et délectable,
Dessus qualités départies. Qu’aucuns ont nommée Or potable
Car une Semence en ce lieu Puis vint un Vieillard transparent,
Est commencement et milieu, De cet Animal s’emparant,
Et fin de cet Œuvre admirable. Duquel finit ici la chose,
C’est aussi, comme en a écrit, Que tout au long ici j’expose
Un Sel, une Eau et un Esprit, Par ce propos suivant enfin,
Lesquels étant unis ensemble, Auquel maintenant je mets fin
Ne font qu’un baume, ce me semble, Pour te dire que si tu es Sage,
Et puis à ce baume parfait, Ici feras apprentissage
Mercure est baillé en effet. Du plus grand Secret que jamais
Puis vient d’eux une huile saillir, Enseigna le Sage Hermès.
Incombustible sans faillir.
Qui est occasion de plus, DIEU SOIT BÉNI AMEN

NICOLAS VALOIS – 23 – LES CINQ LIVRES


LIVRE CINQUIÈME
PREMIER CHAPITRE passives, de sorte qu’il en naît choses admirables à
voir et entendre, et d’autres qui sont réputées à
DE THÉORIE miracle, comme faire naître roses, et raisins en Mars,

M
on très cher et naturel Fils, quoi que ou en un instant plusieurs reptiles et animaux sur la
par ci-devant, l’Amour paternel m’ait Terre. Item pluies et tonnerres, ce qui a fait dire que
induit à te déclarer moult choses les ruraux ont cru que cette Magie fût de la part de
grandement hautes et merveilleuses, Satan, changeant le mot de Magie en Sorcellerie et
lesquels jà homme m’avait tant enchantement. Tels savants Philosophes ont été
clairement dit, mais chaque obscurcissant icelles par Hermès, Joseph, Amanadus, Ptolémée, Apollonius
similitudes figuratives, afin de dévoyer les indignes [Apollonius de Tyane que cite Fulcanelli comme jeu
qui ce noble Art recherchent, et enseigner les Enfants de mot] et plusieurs autres, lesquels il serait long de
de Science, lequel je te commande garder sous raconter ; mais surtout Salomon Roy fils de David,
silence, et icelui à nul homme révéler sous peine de lequel était si moult savant et subtil personnage,
damnation, comme il nous a été enchargé par ceux qu’il arguait et disputait depuis le plus haut cèdre
de qui icelui tenons. Car toutes choses seraient du Liban, jusqu’à la plus petite feuille d’hysope [cf.
avilies sur la Terre ; mais icelui garde en ton cœur, Atalanta fugiens XLII].
autrement ne t’enseignerais pas ; lequel toute Tels ont été aussi ceux qui, en l’enfantement du Fils
signifiance et déclaration te donnera : car quoique de Dieu, vinrent lui porter présents mystérieux et
par ci-devant aie vérité certaine d’icelui Art, convenant à sa grandeur et à la capacité de leur
pourtant en lui sont plusieurs visages, desquels cette doctrine. Depuis, iceux ont été maints labourants en
présente Théorie te gardera, pourvu que tu sois vrai icelui Art, comme Arnaud, Bacon, et plusieurs
imitateur de doctrine et pieux. autres ; entre lesquels de bonne mémoire fut le bon
Car quand par tes mains propres aurais vu tout Lulle, tant recommandé, principalement son
l’Œuvre mené à fin, jà n’en serais pour cela plus Testament et son Codicille. Car encore que je t’aie
savant, si ta conscience était souillée, parce que donné la Science tant bien écrite, pourtant ne
dévoiement arrivera à tout homme qui icelle croira t’ébahis pas si en iceux écrits, sont aucuns points
usurper et déjà n’arrivera à l’effet de ses pratiques, obscurs aux ignorants. Car quiconque donnerait
quelque bon engin ait-il, et quelque droite voie pût-il icelle en telle manière que tout le monde pût icelle
tenir. Car assez ont été d’icelles par leurs vices pratiquer, mériterait plus d’Enfer et de damnation
déboutés, en sorte qu’ils en eussent expérience. Et qu’il n’y a de brins d’herbes sur la Terre.
pour ce ont les Juifs et Arabes icelle perdue, comme Et quand par un Juif, Flamel eut explication de ses
indignes, lesquels pourtant l’avoient entre eux par Tableaux, pourtant fut-il longtemps, premier qu’à
tradition, comme Cabale traditionnelle ; laquelle fut icelle venir ; car tout ouvrier, tant bien endoctriné
par le Tout Puissant donnée à Moïse sur la soit-il, doit moult contribuer de son labeur avec
Montagne de Sinaï, et icelle ainsi gardée de Père en patience, constante et ferme Foy en Dieu. Ainsi ne
Fils, sans écriture, jusqu’à Esdras ; et puis d’Esdras à t’en préoccupe pas, d’icelles obscurités ; mais qu’on
David Roy, par certains chiffres et caractères, parmi lui boute ta cure, et en iceux mes Écrits, réservant
les sacrées histoires des Hébreux, pour par icelle, toutefois par dessus tous, ceux de Lulle, tant par moi
être fait et construit ce moult et merveilleux édifice recommandé, pour ce qu’il m’est impossible de tout
du Temple de Dieu. Mais icelui Roy David se dire, quoi que tout par moi ait été dit ; mais non
corrompant en ses mœurs par l’impureté, fut, non successivement, mais suivant raison et connaissance.
seulement destitué d’icelui Art, mais encore privé de
Car comme dit est, le Labeur à toi sera
voir la construction de ce bel édifice.
enseignement, pourvu que tu ailles par le droit
Ce que je te dis, comme il m’a été enseigné, par une sentier, considérant tout premier, quelle chose tu
certaine copie d’icelle Cabale traditionnelle judaïque, cherches, pour quelle fin, et par quels moyens. Et je
laquelle était dite Magie, qui est la Science ne m’ébahis pas, si peu sont aujourd’hui qui à cet
philosophique, de laquelle Hermès, Pythagore, Art arrivent, vu la l’empressement, incrédulité, et
Numa Pompilius, et plusieurs autres, ont fait école à impatience des Labourants, qui voudraient qu’icelle
la jeunesse, non point pour icelle Science seulement, à eux vint sans s’enquérir, et icelle se fît sans main
ou Art de la Pierre savoir, mais pour toutes les mettre. Car tels y a, qui ne se voudraient pas donner
connaissances de Nature, accord et connaissance le temps, ni la peine de mettre en pratique, voire
d’icelle, et aussi pour découvrir les choses occultes et l’eussent-ils plus au clair que je ne te la donne.
cachées aux hommes, en joignant les choses
Hélas ! Un pauvre Étudiant est si tenu à un Livre,
supérieures aux inférieures, par vrai mariage.
qui lui donnera seulement un mot de ce précieux
Et appliquant par nature les choses actives aux

NICOLAS VALOIS – 24 – LES CINQ LIVRES


Art, et toi ignorant, tu crois y parvenir sans peine et tu veux opérer. Car pour faire un Arbre, il convient
par labeur d’autrui. Celui la serait bien maudit, qui opérer naturellement de Natures vives, savoir qui
après la consommation de son temps et de sa aient vigueur et vertu croissante comme l’Arbre ;
jeunesse, la mettrait aux mains d’un tel fainéant et lequel a en soi une âme attirant de la Terre un
paresseux ; car nulle affaire mondaine n’est à icelui nourrissement et multiplication d’Arbres, qui n’est
comparer. Pour quoi délaisse toute autre chose, et y point que Terre subtile, mêlée avec Eau, laquelle
vaque toi-même, ou bien plus à icelle ne vise. Donc, garde en son occulte quelque peu de Soufre, lequel
mon cher Enfant, de pareille et bonne affection que Feu fait monter icelle Terre et Eau pour suivre son
devant, à toi veux icelui petit Traité laisser, par Compagnon, qui est jà dans le bois, par une certaine
lequel tu seras endoctriné par voie de théorie des Vertu attractive et affinité, et dès qu’icelle Terre
plus principaux points, qui auraient pu être omis ou aqueuse entre en icelui bois par le petit bout de ses
obscurcis aux autres mes précédons Traités. racines, commence icelle à prendre ladite nature de
bois et se faire bois : car le plus gros de la Terre
CHAPITRE II portée ainsi par l’Eau demeure au tronc ou branche
pour l’augmentation d’icelui, le plus subtil va en

L
a connaissance de ce noble Art à nous
est venue par Livres, tant Théoriques feuille.
que Pratiques : ainsi comme le Traité Et lorsque l’Eau n’a plus force de monter, porte une
de la Cabale judaïque, que le Seigneur vapeur subtile qui se fait fleur ; puis s’épaississant se
donna à Moïse, pour être chèrement fait fruit, au centre duquel se forment de petits
gardé entre les Enfants de Dieu, auxquels est donnée grains dans lesquels l’Âme est imaginée par la vertu
la connaissance parfaite de toute la Nature, tant du Feu, comme dans le tout de l’Arbre. Laquelle par
inférieure que supérieure ; par laquelle, comme die la Vertu du Soleil se mûrissant vient en acte et Vertu
est, sont les Enfants endoctrinés à conjoindre les d’Âme. Et ainsi, l’espèce est continuée par sa
choses selon leur propre genre et espèce, pour semence, et par cette similitude ; l’Or a une semence
produire des choses de leur Nature, et merveilleuses imaginée, par laquelle il peut être multiplié, et fait
à entendre. Médecine sur les Corps imparfaits.
Donc plusieurs, comme dit est, par icelles Mais l’Or vulgaire est comme mort, et n’a aucune
connaissances, ont fait des miracles, comme les semence en lui : car il est comme l’herbe arrachée
Magiciens de Pharaon contre les miracles de Moïse, avant saison. Mais qui pourrait replanter icelle herbe
lesquels, selon l’opinion d’aucuns, tiennent icelle et la faire mûrir, elle apporterait semence. Car
science dès le temps du déluge : mais icelle multiplication d’herbes, ne gît qu’en herbes, et si
connaissance naturelle se divise en plusieurs parties, icelle herbe n’a point de semence pour n’avoir pas
desquelles la première est la connaissance astrale et eu assez de nourrissement dans la Terre, cherchons-
conjonction des Éléments supérieurs et inférieurs, nous icelle semence en herbe plus crue et plus verte,
comme la génération des pluies et tonnerres : aussi comme ceux qui vont aux Métaux imparfaits,
des reptiles et mouches par la puissante Vertu lesquels sont plus crus et verts, que n’est pas l’Or et
naturelle, mais d’icelle n’entendons parler, mais de l’Argent ; ou bien ceux qui plus subtils que Nature
la seconde, qui est de notre intention, laquelle a même, vont aux quatre Éléments primordiaux,
mêmes principes et mêmes objets ; quoi qu’en partie desquels Nature pourrait aussitôt faire un cheval
elle soit restreinte et obligée à quelques Corps qu’un Métal ; ou bien croient prendre la première
naturels, au lieu que la première est libre et non Matière de toutes choses, ne jugeant pas que Nature
affectée à autre intention qu’à celle de l’ouvrier. est impuissante d’aucune nouvelle création, laquelle
La troisième, sont les Vertus occultes des Animaux à Dieu seul appartient.
et Végetaux, que les ruraux et mondains Médecins Car il lui a plu créer toutes les choses du Monde de
croient moult entendre, laquelle dérive et dépend de la première Matière, et donner à Nature puissance
la seconde. Et par elle peut être sue et conçue de tout sur la seconde, savoir sur la semence ; quoiqu’il
Artiste, icelle seconde est la Pierre en toutes ses apparaisse sortir de Terre aucune chose sans
circonstances, laquelle quoiqu’elle soit en tous lieux, semence, car aucunes fois, aucun lieu, ou matière, a
n’est pourtant très parfaitement qu’en l’Or seul. Car pouvoir de donner forme nouvelle sans semence ;
en icelui est enclose toute la puissance de Nature, comme les vers au bois ; car alors l’espèce peut
qui est dite Soufre, ou Feu. Car c’est une Vertu naître de la matière, et non point de l’espèce. Mais ce
astrale qui après plusieurs circulations dans la Terre, n’est pas de la seule première Matière universelle ;
c’est condensée et épaissie par double Vertu avec mais d’un Soufre contenu en icelle Matière qui a
l’humidité de l’Air, qui à mesure lui est adjoint. pouvoir et vertu de produire telle espèce.
Ainsi l’Or est la Médecine universelle et la fontaine
Car tout Soufre est mâle et levain, qui convertit la
de Vie.
première Matière. Mais nous lui donnons la seconde.
Et pour icelle Médecine avoir, il faut considérer Car Nature m’a donné mon Corps, mais sans ma
premièrement ce que tu cherches, et par quelle voie semence, impossible est à Nature de faire un

NICOLAS VALOIS – 25 – LES CINQ LIVRES


semblable à moi. Car toutes choses s’engendrent de tire la Terre, en laquelle est semé l’Or des
Mâle et de Femelle. Et combien que pour dissoudre Philosophes. C’est à dire icelle spiritualité jà
et ouvrir premièrement le Corps de l’Or, il soit déclarée, sans qu’en icelui Or soit mêlé rien
besoin d’une humidité qui est comme femelle, d’étranger.
portant l’Or en soi hermaphroditement mâle et C’est pourquoi je t’ai tant recommandé Théorie,
femelle, comme les Végétaux ; car iceux n’ont jà laquelle imbue raison au cœur de l’homme, pour
besoin d’autres femelles que d’une Terre propre où cause et crainte des ignorants rustiques. Car ce n’est
ils sont plantés ; ainsi l’Or seul suffit. Parce qu’en pas que mélange ne puisse être fait d’aucuns
icelui rien n’entre que ce qui est en lui-même, quoi Métaux ; mais sache pour certain, qu’aucun Corps
que j’aie dit que la Pierre peut être faite de toutes ne se mêle parfaitement, lesquels ne sont que Terres
choses. C’est bien différemment, car il faut différentielles et impures. Mais les Esprits sont
premièrement, ce que nous appelons Pierre. pénétrant ensemble. Et te suffise.
Or la Pierre n’est proprement que la Quintessence Mais j’ai dit que toutes choses sont engendrées de
très pure d’une chacune chose, laquelle est dégagée deux, et quoi qu’en l’Or soient contenues les deux,
et extraite de sa Terre impure, qui la tenait comme autre Esprit fait l’entrée et ouvre la porte du
gênée en son intérieur ; laquelle Quintessence n’est souverain Ciel, qui peut être trouvé en tout Corps
point qu’une vertu et substance invisible aux yeux élementé et s’appelle repupu, Oiseau méridional,
corporels, laquelle ne peut de soi se contenir sans plus reluisant que fin Or, et pourtant fait son nid
Corps, ainsi que l’Âme de l’homme. C’est pourquoi dans les retraites, comme dans l’Or il est contenu. Et
cette Quintessence tant noble, a besoin d’un Corps ainsi il est précieux 3 ; lequel est appelé Oiseau de
moult subtil et approchant de la noblesse de sa Paradis, parce qu’il réside aux plus hautes régions et
substance subtile, laquelle Quintessence ainsi fait son nid en la Terre basse.
corporifiée est un médicament merveilleux à toutes
Cette chose est donc noble et vile, c’est à savoir vile
maladies, selon le plus ou le moins. Mais l’Or a icelle
en sa corruption et noble en sa génération. Car
Quintessence plus parfaitement en lui que les autres
jamais corruption ne vient, que plus noble
Corps, tant à cause de sa longue et parfaite digestion
génération ne suive. Et ainsi Nature améliore tous
dans les entrailles de la Terre, dont son Corps est
jours les choses jusqu’à un certain terme, et puis les
formé, lequel Corps, quoi que les ruraux le clament
laisse. Mais l’Artiste doit icelle ressembler, et s’il la
Or, n’est pourtant que Terre.
croie imiter, qu’il l’imite hardiment : mais s’il la croie
Car, comme dit est, icelle Quintessence ou Or des parfaire, qu’il avise avec quoi elle parfait les choses,
Philosophes, est invisible aux yeux corporels, et n’est et il trouvera que c’est toujours avec choses
point aperçue autre chose que Terre en l’Or, non semblables.
plus qu’au Corps de l’homme, où l’Âme n’est
Comme par similitude, qui voudrait pour avoir
manifeste que par ses effets et facultés. Toutes
fruits bons amender Nature, il conviendrait enter
choses sont composées de trois choses, savoir de
fruit de telle Nature et non d’autre espèce, ni sur une
Terre qui fait le Corps, d’Eau qui fait l’Esprit, et de
autre Nature, comme pommier sur pommier. Vrai
Feu qui fait l’Âme. L’Or est de cette composition, car
est qu’en Nature peut naître Monstres, par terrible
quoi que la Terre soit très pure, ce n’est pourtant que
commixtion des raisonnables, avec les brutes,
Terre resplendissante par la Vertu de l’Eau et du
comme aux Végétaux pommier sur Poirier, mais
Feu. Car comme dit a été, étant d’icelui Or cette
toujours pourtant selon Nature, savoir d’Animal à
splendeur, cette Terre sera de peu d’estime.
Animal, de Végétal à Végétal, et ce encore de plus
L’Or donc, ayant été composé de ces trois choses, a approchante Nature, comme Poiriers sur Poiriers et
en lui encore icelles trois choses, et peut, après une non sur Chênes, ou autres arbres de nature
digestion plus accomplie, convertir autre pâte à sa contraire. Mais les Métaux sont très nobles ou très
substance, selon le plus ou le moins de cette imparfaits, et ne crois pas amender le meilleur par le
digestion ; car il a en lui semence, comme toutes les pire, mais le subtiliant et pénétrant de plus en plus
autres choses. par l’aide et moyen de la simple Matière, qui est
Ainsi comme par similitude de la Pomme, qui n’est Nature, de peur que l’alliance d’une chose
pas pommier ni moins encore similitude d’icelui, et estrangère ne se mêle avec notre Matière pour
qui croirait planter la Pomme pour faire venir un l’infecter, au lieu de la purifier. Car, comme dit est,
pommier, errerait. Car la Pomme est un Corps fait chaque chose demeure en son règne sans passer en
de Terre et d’Eau et coagulée par le Soufre du l’autre, chacun se multipliant selon son espèce.
pommier, n’ayant en elle vertu de produire son
semblable ; mais qui ouvrirait cette Pomme
trouverait en elle le sperme, au centre duquel est la
semence capable de produire un pommier. L’Or est
donc sans tromperie la Matière dont se tire la
Matière des Philosophes, car c’est la Terre d’où se

NICOLAS VALOIS – 26 – LES CINQ LIVRES


CHAPITRE III le Caché manifeste, et perfectionnant manifestement
ce qui a perfection occulte, hors du bourbier de la

L
a Nature est moult simple, et n’opère
Terre, sur les végétables, par une réparation et
point diversement, mais avec mêmes
rétablissement d’humeur vivifiante perdue et
Vaisseaux et Matières en ses
consommée, par la débilitation et courte durée
opérations. Car le haut est comme le
d’iceux Végétables. Et sur les Animaux par une
bas, et au contraire. C’est à dire qu’ils
Vertu séparative du pur d’avec l’impur, lequel
sont faits d’une seule et unique Matière, et par
impur cause corruption en nos Corps, et diminue
même régime, gardant toutefois l’ordre et
l’humidité radicale et chaleur naturelle d’iceux.
l’observance des régimes différents. Car le Soufre
Ainsi ramenant la santé, rétablissant la jeunesse, et
animal jà n’aura puissance de congeler le Mercure
mieux disposant le Corps proportionnellement en
végétal, ni le Végétal l’Animal, ni l’un ni l’autre
ses Éléments.
coaguler, ni être coagulé par le Soufre ou par le
Mercure minéral. De sorte que l’extérieur qui parait débilité par la
débilitation intérieure reprend sa première verdeur,
Ainsi se trompent ceux qui croient extraire leur
tant en iceux Végétaux qu’Animaux ; et est par icelle
première matière du Végétal, se fondant sur ce que
Médecine dépouillé des incommodités accidentelles,
notre Pierre est dite végétable, ou de l’Animal étant
qui lui étaient venues à cause des humeurs
dite animale. Car l’Animal demeure au règne
superflues et corrompantes, ou siccité astrale, d’une
animal, le Végétal au végétal, et le Minéral au
nature débile et languissante.
minéral, quoique substance animale soit faite
végétale, par conversion d’une Nature en l’autre, C’est pourquoi les Sages Médecins défendent l’Or de
selon la digestion du convertible. Mais déjà le Métal chimie aux médicaments, parce qu’il n’est pas
ne sera fait Végétal ni Animal, ni l’Animal et le dépouillé de son Feu contre nature, et n’a pas acquis
Végétal, fait Minéral. Car le Métal demeure en sa icelles perfections par iceux pourrissements qui
Nature métallique ; en sorte qu’il puisse aller à l’un séparent parfaitement ces choses.
et à l’autre, mais c’est par Médecine du parfait Elixir CHAPITRE IV
ou Pierre parfaite. Ainsi quand nous disons que

M
notre Pierre est végétale, nous le disons à raison ais j’ai dit que rien n’est
quelle dépend de la Nature universelle et végétale, primordialement engendré d’une
laquelle cause en elle nouvelle végétation et nouvelle matière seule, parce qu’une matière
vie. Elle est de plus appelée végétale, d’autant n’a point de mouvement, ni ne peut
qu’elle pénètre dans les Végétaux, et répare la agir sur soi-même, et partant convient
Nature aux végétables, comme il appert dans Lulle en avoir deux de diverses natures, qui soient comme
en la vertu de ses médecines. Et ce que nous la Mâle et Femelle, quoi, comme dit est, qu’aucunes
disons animale, est parce qu’elle est composée de choses soient, qui sont hermaphrodites et portent en
Corps, d’Âme et d’Esprit, et est antidote et médecine eux mâle et femelle, comme Métaux et Végétaux ;
aux Animaux comme aux Végétaux. mais pourtant en iceux convient avoir une matière
qui fasse acte de femelle, et est dit menstrue, pour ce
Car elle prolonge la vie des hommes, et rétablit leur
que la matière se corrompt en icelui, et d’icelle
jeunesse, quoiqu’elle ne soit primordialement que
corruption naît autre Menstrue plus prochain et
minérale ; mais par degrés successifs, parvient à
voisin à la matière métallique, que celui descendu
icelle animation, ainsi comme au pourrissement,
du genre très général, dans lequel et duquel naît
dont l’un même à icelle végétation, et l’autre à icelle
l’Enfant des Philosophes, par la semence du premier
animation. C’est pourquoi il est dit que l’Œuvre se
Mâle, lequel, comme dit est, attire et convertit toute
fait en deux nuits et en trois jours. Les jours étant
la vertu d’icelui menstrue en sa substance première.
similitude des trois règnes, et les nuits d’iceux
pourrissements qui sont les dissolutions tant Mais pour bien entendre l’ordre de la Nature des
recommandées, car quoi qu’ils soient plusieurs Métaux par leur génération, je dirai par répétition,
dissolutions, il n’en est pourtant que de deux sortes, que toutes les choses du Monde sont composées de
dont l’une est rurale et violente, l’autre douce et quatre, qui sont chaud, froid, sec, et humide,
philosophique, sous laquelle elles sont ensemble descendues primordialement de chaleur et de froid,
comprises. qui sont selon Parménides les deux principes de
Nature, mais par moyennes conversions de l’un à
Ces trois Pierres sont aussi figurées en l’Œuvre, par
l’autre ; lesquels sont Feu, Eau, Air et Terre. Le Feu
les trois Soufres d’iceux trois règnes. Car par la
est chaud et sec ; l’Air est humide et chaud ; l’eau est
Pierre minérale, ou degré minéral, vient la couleur
froide et humide et la Terre seiche et froide.
de Soufre métallique ; par le degré végétal, vient la
Coagulation et odeur du Soufre végétal ; et par le C’est pourquoi le Feu peut être fait Air, pour leur
degré animal acquérant icelle perfection, par iceux convenance et à cause de la chaleur qui est Moyen
degrés, sur iceux règnes comme sur les Métaux pour entre eux. L’Air fait Eau par humidité,
iceux dépouiller de leur impureté et ordure, rendant semblablement Moyen entre l’Air et l’Eau. Et l’Eau

NICOLAS VALOIS – 27 – LES CINQ LIVRES


Terre par froideur, qui est Moyen entre Terre et Eau, empêchement ; car icelui Feu accomplit l’intention
qui sont participants d’icelle froideur. Le Feu donc, de Nature, lequel Feu est considéré en cette manière,
en cette manière, fait alliance avec l’Air par la perte savoir en celle-ci, par laquelle il est enclos comme en
de chaleur, et l’Air à l’Eau par l’humidité, et l’Eau à toutes sortes de semences, et est engendré du Soleil,
la Terre par frigidité. Ainsi celui Feu descendant de comme j’ai fait plus ample déclaration ; mais autre
l’un à l’autre est porté, comme dit est, jusqu’au est le Feu souterrain, lequel procédant du Centre ou
centre de la Terre, qui est comme un point auquel choses qui là le meuvent, excite et provoque icelui
tout aboutit. Feu matériel à étendre et multiplier ses Vertus plus
Et icelui centre, ainsi de toutes parts agité, regorge puissamment.
ses flâmes vers la superficie de la Terre, mais en Mais le Feu de putréfaction est le tiers Feu qui se
forme vaporeuse, au lieu qu’en descendant c’était en peut considérer par la similitude de plusieurs herbes
forme d’Eau, et ce par d’autres lieux, pour amassées, qui par la vertu de l’Air s’échauffant
n’empêcher la circulation naturelle. Et icelle vapeur ensemblement, se meuvent l’un l’autre, et si
nettoyé et échauffe les lieux par où elle passe, provoque l’humidité d’icelles à agir l’un contre
jusqu’à ce qu’elle arrive en un lieu moult purifié par l’autre par le moyen de la chaleur imaginée par
les autres précédentes vapeurs, et auxquelles s’unit l’Air, et par tel échauffement et chaleur pénétrante,
la Terre moult subtile, chaude et humide, ainsi jusqu’à pouvoir faire cuire des Œufs, se corrompent
comme graisse, car alors icelle vapeur se joint à icelle avec l’aide de l’humidité, et putréfiant
graisse, et ensemblement se corrompent. De manière ensemblement icelles herbes. Car chaque chose porte
que des deux naît une onctuosité glaireuse, laquelle son Feu en elle même, et en son Centre. Et est ce Feu,
sortant du genre très général, entre dans le règne le Feu de Nature, contenu en chaque chose.
Minéral, laquelle aucuns nomment Calcaduc [cf. Ainsi doit avoir notre Composition son Feu, qui sera
supra, lettre E] ou Lézard vert, et puis descend et élevé petit à petit, et sans destruction par l’industrie
parvient en Mercure métallique coulant, qui contient de l’ouvrier. Lequel Feu prenant noise à icelui dit
en soi son propre Soufre d’Or, d’Argent ou d’autres Menstrue, mèneront la Matière à corruption ; car
métaux, selon la pureté ou impureté de la Terre de icelui Menstrue provoqué par l’Artiste, piquera
ce lieu, et lequel enfin par une parfaite décoction se doucement celui de la Matière, et entre eux se fera
convertit en ce Métal de sa destination. Mais si un long combat dont l’issue sera glorieuse, si celui
jamais icelle vapeur et graisse ne se fussent de la Matière surmonte celui du Menstrue. Ce qui
rencontrées, jamais ne se fût fait Métal ; chacun à arrivera infailliblement s’il n’est point trop vivement
part n’étant suffisant pour l’engendrement d’icelui mené, et que l’Artiste mette sa cure en la garde du
Métal, quoi que tous deux primordialement soient Seigneur.
descendus d’un, par conversion d’icelle substance
onctueuse métallique dans icelles Terres métalliques, CHAPITRE V
qui déjà épaississent cette vapeur, et la firent graisse.

T
ous ceux qui ont écrit de la noble
Ainsi se fait Métal, quand principalement telle Pierre, ont plutôt embrouillé les
rencontre se fait en lieu propre et convenable à Étudiants, qu’enseigné la vraie
icelles digestions. Ainsi comme dans une montagne opération d’icelle, et pourtant
à voûte, à guise de four, pour ce que icelles vapeurs plusieurs ont été, qui sont parvenus à
qui toujours montent se trouvent là enfermées et celle Science par Livres. Car aussi les Sages ont jugé
n’en puissent sortir, que parce que aussi les Eaux et qu’il devait suffire d’entendre et savoir sans autre
pluies qui roulent et découlent environ icelles intelligence, qu’il était une Pierre de grande Vertu,
Montagnes, sans faire retardation ni demeurance sur parce que tout homme de bon sens, doit sur les
icelles ; car aux lieux aplanis comme campagnes, onc simples dits des Philosophes, imaginer choses moult
ne fut trouvée Minière, parce que les pluies faisant là grandes, non seulement par leurs effets, mais par
demeurance, entrent enfin en icelles Terres, en raisons naturelles. Ainsi comme quand tu n’aurais
laissant la superficie d’icelle destituée, qu’en qualité connaissance aucune, sinon qu’il est une Vertu
médiocre pour les simples Végétations seulement, séparatrice des choses pures d’avec les impures et
mais toujours le Soleil, père et première cause des convertissables des impures aux pures. Laquelle a
choses, restaure par ses rayons icelle Vertu débilitée. plus particulièrement puissance sur les Métaux, ne
Car iceux rayons et vapeurs ont alliance et attraction serait-elle point suffisante, pour te faire comprendre
entre eux, et par ces rayons icelles vapeurs, comme que l’origine d’icelle doit être d’iceux Métaux.
dit est, sont restaurées pour produire herbes, arbres, Car si tu connais la Nature des choses, tu sauras que
bled et autres choses semblables, parce que tout ce chaque Soufre n’a pouvoir de coaguler que son
qui est d’icelles relève, et rien ne naît au Monde Mercure, étant chose impossible et hors de Nature
autrement. Ainsi, à l’abri des vents et de la pluie, les de joindre le Lion à l’Homme, ni l’Homme au Métal.
Métaux sont engendrés, d’autant que le Feu y agit Et quand quelqu’un dirait que la plus noble Vertu
plus puissamment et naturellement qu’il ne ferait qui soit en Nature, doit procéder de l’Homme,
pas en lieu découvert, où l’Air et les Eaux mettent

NICOLAS VALOIS – 28 – LES CINQ LIVRES


puisque l’Homme est le plus noble Corps qui soit en comme toutes les autres de la Nature ; car le bas est
Nature. Je répondrais : Nul Corps n’est parfait tant comme le haut, et ce qui s’engendre sur la Terre et
que l’Esprit ; mais quoi que perfection soit aux dans l’Air, n’est point diverses générations ; celle du
Corps, d’iceux Corps ne cherchons que cette Vertu bois et du froment, ou de l’Homme ; comme celle
séparative ; et quand d’iceux nous voudrions des Mouches, des Tonnerres et des Métaux, sont
extraire icelles, jamais elle n’apparaîtrait à nos yeux selon le plus ou le moins de spiritualité ou de
que par le moyen de son Corps, tant petit soit-il, corporalité, et par le centre et intérieur de l’un, on
lequel sera toujours ferment, pour attirer petit à petit peut connaître le centre et intérieur de l’autre.
toutes choses à sa Nature. Et combien que le parfait Et si tu me disais pour voir le centre et intérieur du
Élixir n’ait que la Vertu séparative, toujours doit-t-il bois, moult conviendrait le corrompre de sa
être pénétrant et est besoin, qu’il ait aussi Vertu première forme, en sorte que déjà ne pourrait plus
fixative : autrement le Vif argent ne serait fait Or en être bois, je te répondrais : Je t’ai déjà dit qu’il est de
sa projection, laquelle Vertu fixative ne provient que deux sortes de dissolutions, l’une violente, et l’autre
du Soufre terrestre d’Or, qui fixe et multiplie icelui naturelle ; c’est à dire, l’une corrompante, et l’autre
Vif argent en notre Magistère, se mettant et conservant l’espèce. Mais pourtant se peut, de l’une
demeurant au plus profond des Natures imparfaites, et de l’autre, tirer quelque fruit. Car si l’une conserve
pour à icelles donner perfection comme Levain ; l’espèce, l’autre ne laisse de séparer les superfluités
c’est à savoir jusqu’au terme que Nature l’avait terrestres du Composé, en sorte qu’il ne reste que les
accompli, amenant icelle Vertu multiplicative selon choses qui portent les Vertus, desquelles les Sages
les degrés de digestion de notre Magistère. Philosophes anciens ont fait des choses
Cela moult bien considéré, et sachant que le plus merveilleuses.
parfait de tous les Métaux est Or ou Argent ; dans Mais si tu doutes perdre la forme spécifique du bois
quelque autre matière croirais-tu chercher cette dans les flâmes dévorantes du Feu, faits ta
noble et puissante Vertu que dans l’Or ? Et quand tu séparation dans l’Eau ; et si l’Eau n’est assez forte
ne saurais pas même que ce noble Métal contient en pour corrompre, adjoutes y le Feu. Et si lors tu n’as
son secret les deux Vertus ensemble, la fixe et la ôté à la matière icelle forme spécifique du bois, au
volatile, desquelles il fut primordialement engendré, moins tu lui en auras donné une autre beaucoup
et lesquelles par leurs diverses propriétés et plus noble que la première, qui sera celle de
contraires qualités se corrompent l’une l’autre, pour l’Animal ; comme il arrive à notre Magistère.
d’icelle corruption faire sortir une nouvelle
Saches donc qu’au commencement une rosée
génération plus pure et plus excellente que la
perpétuelle coule du Ciel en Terre, qui engendre aux
première.
entrailles d’icelle les Métaux et les Minéraux, et en la
Puisque le premier Or, comme dit est, fut superficie et hors d’icelle, les Végétaux et Animaux
primordialement créé et composé d’icelles deux de toutes espèces, dont le plus excellent de tous est
Vertus contraires, et partant comme fait de deux l’Homme. Ce qu’il faut savoir et connaître pour
choses, est sujet à la mort. Ce qui n’est pas ainsi de entendre combien de choses sont en la Nature, et
celui qui est issu d’une seule chose ; car aussi est-il dont elles sont primordialement issues ; afin de
dit Phénix, ayant pouvoir de se ressusciter et découvrir après où consiste la puissance universelle
prendre seconde naissance dans ses Cendres, et pour des choses, dans laquelle est caché tout le secret de
le moins de purifier icelui Métal de ses superfluités, l’Art.
autant que peut l’Artiste, par voie toutefois de
Ces choses ainsi bien connues, d’un Esprit subtil
Nature.
pourra être fait choses miraculeuses en Nature,
Laquelle voie déjà déclarée, n’est que putréfaction et comme j’ai dit de la Cabale judaïque. Car jadis par
dépuration, de laquelle putréfaction naît toute icelle Science complètement entendue, étaient faits
génération ; selon chaque espèce et individu, et pour plusieurs miracles comme de commander même à la
venir à icelle putréfaction, il faut considérer de ne Nature et aux Éléments. Ce que les misérables Juifs
pas ajouter au Métal autre Métal ni poudre ont cru attribuer aux miracles de J.-C. être faits par
étrangère, mais chose moult approchante et voisine la vertu et adresse d’icelle Science, par quoi comme
de sa Nature. indignes ont perdu icelle, et d’iceux transportée aux
Car celui qui est bon et naturel Philosophe, d’un vif Chrétiens qui aujourd’hui l’ont, et sera employée à
Esprit, doit imaginairement pénétrer le secret des l’honneur et gloire d’icelui Seigneur ; ainsi comme il
choses plus occultes. Ce que tu connaîtras par est requis, que tout Homme qui à icelle s’adonne, à
similitude des choses semblables ; car Nature n’est tout ce qu’il ne plaît à Dieu, en vain à icelle mettra-t-
pas diverse en ce qu’elle fait, mais sont toutes choses il sa cure.
de même composition de Terre, d’Eau, d’Air et de Cherche donc tout premier à te conformer à sa
Feu, où sont Soufre, Sel, et Mercure. Car quoique Volonté, puis tu trouveras gloire. Car je t’ai laissé
l’Or soit très resserré en ses parties, et semble par écrit chose suffisante, si tu es Homme de bien.
indivisible, pourtant est-il construit d’icelles choses,
Or il te faut premier purger ton Or, puis le dissoudre

NICOLAS VALOIS – 29 – LES CINQ LIVRES


et réduire en poudre moult impalpable ; puis convient considérer par la température de l’Air,
d’icelui extraire un Esprit volatil blanc comme neige, depuis Ariès, jusqu’à Cancer : depuis Cancer,
et un autre rouge comme sang, lesquels jusqu’à Libra : et depuis Libra, jusqu’au Capricorne.
engendreront ensemble un tiers, dans une chaleur Mais note que les sept Fleuves qui sont en l’Œuvre,
humidement continue. sont les sept imbibitions desquelles Nicolas Flamel
Mais notre Magistère consiste principalement en fait moult mention. Lesquelles sept imbibitions sont
quatre opérations. Savoir, solution, ablution, réitérées par deux fois. Et te suffise de mes dits : car
conjonction et fixation : lesquelles quatre ne sont que comme dit est, si le plus au clair je m’expliquais,
dissoudre et congeler ; en la solution les parties sont aussi bien y viendrait le Sage que le Fol, et le Fol que
divisées, et devient toute la matière noire ; en le Sage, et mériterais damnation de hasarder une
l’ablution, assemblement se fait d’icelles parties, et chose qui ne pourrait jamais être réparée, quand une
viennent au blanchissement. fois elle serait sue. C’est pourquoi onc ne fut écrite,
ni sera plus au clair. Mais si pas ne peux
En la Conjonction, nouvelle noirceur apparaît ; et en
comprendre ce que je dis avec amour paternel, et de
la fixation, sont tous les Éléments fixés. Lesquelles
Vérité, travaille ainsi hardiment, comme ont fait tous
quatre parties sont divisées en douze degrés, dont le
ceux qui l’ont sue ; car déjà Homme n’a parlé plus
premier est calcination du Corps que les Anciens
clairement, quelque enseignement qu’il en ait donné,
figurent par un Dragon endormi dans le Feu, et
que simplement et superficiellement et non
gardé par un Vieillard, qui est la vertu du Soufre
successivement pour fuir tout inconvénient.
retenue dans l’Âme que Démogorgone de la Terre
réveille par notre Mars, clamé par aucuns Aimant, Car aussi sont toutes opérations assez au long dans
qui est la première matière simple, ou Air. Car alors Lulle écrites. Lequel je te commande tant de suivre ;
la Terre fait séparation d’icelles matières, qui sont en sorte que je te laisse Livre où peu de chose est
Soleil et Lune. Au second degré qui est solution, une obscurcie. Mais je viens de te déclarer choses que les
bête féroce dévore notre Soleil en la présence de plus grands Rois de la Terre devraient estimer plus
notre Aimant. Lequel met sur sept belles fleurs, mais que leurs propres Empires.
le Feu se résout par sueurs et prend meilleure Et garde le soigneusement, que personne n’y mette
naissance. Le troisième degré qui est la séparation, l’œil, et que quand mort t’adviendra, si plutôt tu ne
icelui Mercure fait séparation des parties féminines, l’as fait, brûle devant toi mon Livre, suivant lequel,
qui sont celles du Corps, celles de l’Esprit, c’est à si en mes précédons écrits tu n’as ajouté foi, prends
dire des deux Aimants. ceux de Lulle et sépare de grain de l’ivraie, tant que
Le quatrième qui est conjonction, l’Eau étant mise à contradiction n’y soit plus trouvée.
part, le Vieillard susdit conjoint l’Homme à la Mais pour le fourneau et le Feu, je t’en laisse de trois
Femme, où par douces rosées maintes couleurs sortes, savoir l’un de la Lampe, l’autre du fumier, et
paraissent. Le cinquième degré est Putréfaction, ou l’autre de charbons. Et en icelui fourneau, sont
noirceur. Le sixième, Congélation, le septième, encore autant différens savoir du bain, ou Eau, ou de
libation, l’Enfant est par trois fois nourri de lait l’Air simplement échauffé et tempéré par un globe
convenable. Le huitième, Sublimation, l’Or et de bois justement fermant, auquel je mets plus de
l’Argent sont exaltés ; mais au degré de confiance qu’en l’autre. En sorte que tout n’est
fermentation, qui est le neuvième, est la semence qu’un, pourvu que tu saches donner mesure au Feu,
jetée en Terre, et le Soleil et la Lune que Saturne et non par précipitation, qui a perdu plusieurs
avait occis, ressuscitent et vont à moult grande artisans. Ainsi je te prie et t’exhorte, autant qu’en
splendeur, qui est le dixième degré. moi possible est, d’observer mes commandements,
L’onzième et douzième assez par moi ont été prônés afin que Dieu en soit béni et honoré, auquel soit
et prêchés, qui sont multiplication et projection. honneur et gloire aux siècles des siècles.
Reste à dire les degrés de chaleur, lesquels te AMEN

FIN

NICOLAS VALOIS – 30 – LES CINQ LIVRES

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