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Lévy Carlos. Philosophie et littérature à Rome. Quelques réflexions. In: Topoi, volume 4/2, 1994. pp. 643-650;
doi : 10.3406/topoi.1994.1551
http://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_1994_num_4_2_1551
Topoi 4 (1994)
p. 643-650
644 C. LÉVY
1. Sur cet épisode, cf. C. LÉVY, Cicero Academicus, Rome, 1992, p. 76-79.
2. Cicéron
Sur ce point
», ANRW,
cf. notamment
1, 3, 1973,
A. p.
Michel,
139-208.« Rhétorique et philosophie dans les traités de
PHILOSOPHIE ET LITTÉRATURE À ROME 645
demeurant assez mystérieuse, car elle peut être interprétée différemment selon
que l'on se réfère à la source à laquelle on puise pour se désaltérer ou de la
source nécessairement réduite qui se transforme en un fleuve gigantesque. Il est
inutile de refaire ici le procès que P. Boyancé instruisit contre la
Quellenforschung dans son célèbre article sur « les méthodes de l'histoire
littéraire » 3. On pouvait croire la cause entendue, mais l'erreur de P. Boyancé fut
de considérer comme une erreur historiquement et culturellement déterminée ce
qui devait nécessairement se répéter dans des écoles scientifiques très diverses.
Expression erronée et en un certain sens normale du besoin de clarté devant une
réalité essentiellement complexe, la Quellenforschung continue à se porter
aujourd'hui fort bien sous cette forme quelque peu humanisée que l'on appelle la
doxographie. Dans le domaine de l'éthique, cela a donné ce monument
extraordinaire, dans tous les sens du terme, que sont les Dossografi di etica de
M. Giusta 4, construits sur l'hypothèse que toute la littérature philosophique
latine dériverait d'une sorte de gigantesque manuel, écrit par le philosophe
stoïcien Arius Didyme et qu'auraient utilisé Cicéron - ce qui est à la limite de la
vraisemblance chronologique - mais aussi Sénèque et Apulée. Dans le domaine
de la physique, l'héritage de Diels est hautement assumé par ce que l'on peut
appeler l'école d'Utrecht, dont le représentant le plus marquant est J. Mansfeld.
Le caractère massif d'une érudition très rarement mise en défaut, l'utilité des
rapprochements faits avec des textes inconnus ou d'accès difficile ne doivent pas
dissimuler que nous sommes là devant une entreprise qui se veut d'une
scientificité parfaitement rigoureuse mais dont les fondements ne sont pas moins
criticables que ceux de la Quellenforschung. En effet, si l'on ne peut
qu'approuver l'ambition de reconstituer les circuits de l'information
philosophique, de mettre en évidence les schémas scolaires présents dans des
textes écrits à des moments très différents, on ne saurait pour autant oublier que
transformer ce souci légitime et utile en méthode unique c'est passer à côté de
l'essentiel, à savoir la singularité de chaque texte. La doxographie n'est jamais
une fin en soi pour le philosophe, elle peut certes structurer un moment de sa
pensée, mais elle demeure toujours un moyen au service de sa démonstration. A
cet égard, il est dangereux, me semble-t-il, d'invoquer l'argument d'une
spécificité de l'Antiquité, qui privilégierait de manière absolue les schémas
formels. Mais il y a plus grave encore, car dans la mise en évidence des schémas
communs demeure présente chez les professionnels de la doxographie
l'obsession de la source 5 et il ne s'agit pas d'une préoccupation sans effet car, de
Carlos LÉVY