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Goody Jack. Mémoire et apprentissage dans les sociétés avec et sans écriture : la transmission du Bagre. In: L'Homme, 1977,
tome 17 n°1. pp. 29-52;
doi : https://doi.org/10.3406/hom.1977.367717
https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1977_num_17_1_367717
par
JACK GOODY
L'étude du mythe dans les sociétés sans écriture apparaît comme un sujet
fort mystérieux, n'ayant guère de rapport avec des problèmes intellectuels plus
larges, ni même avec ces questions plus fondamentales qui préoccupent parfois
nos pédagogues, psychologues ou sociologues. J'essaierai ici de prouver qu'il n'en
est rien, mais en adoptant une ligne quelque peu différente des tendances
anthropologiques dominantes dans les études de mythes ; je m'intéresserai au processus
de transmission et donc plus aux structures de remémoration utilisées par les
narrateurs qu'aux structures « profondes » dégagées par les observateurs. Il s'agit
là d'une approche qui est davantage en rapport avec la praxis mais qui, pour
autant, n'en produit pas moins des fruits théoriques ; l'argumentation est en
effet liée aux débats de Parry et Lord sur la transmission orale, aux analyses de
Kramer, Gardiner, Oppenheim et bien d'autres sur les premières cultures écrites
du Proche-Orient, et elle renvoie aux résultats d'études psychologiques qui ne
se confinent pas à l'intérieur d'une seule culture.
Je commencerai par commenter mon travail sur le mythe du Bagre recueilli chez
les LoDagaa, au nord du Ghana ; j'examinerai ensuite quelques-uns des aspects
du processus d'apprentissage dans les cultures orales et écrites ; enfin, je tenterai
de relier cet exposé à certaines théories concernant la mémoire et l'apprentissage.
* Dans cette tentative visant à considérer le Bagre dans un contexte intellectuel d'intérêt
plus général, je tiens à exprimer ma reconnaissance aux nombreuses personnes avec qui j'ai
collaboré et aux organismes qui ont soutenu cette recherche. Je remercie tout d'abord
K. Gandah avec lequel j'ai procédé à la collecte, à la traduction et à l'annotation des
différentes versions du Bagre, et cela pendant de longues années d'un travail difficile et patient.
J'exprime toute ma gratitude à l'École des Hautes Études en Sciences ociales et à la Fondation
Van Leer qui m'ont respectivement accueilli de mars à juin et de juin à septembre 1975.
Je tiens également à remercier Pierre Smith, chargé de recherche au Centre national de
la Recherche scientifique (Paris), pour les conversations que nous avons eues sur la
littérature orale en Afrique. Du côté de la psychologie, il me faut remercier les collègues de la
Fondation Van Leer, Michael Cole, Robbie Case, David Olsen et W. Rohwer, Jr.
La mémoire et le Bagre
Voici ce qui se passe au cours d'une séance : le récitant parle, les auditeurs
écoutent et une ou plusieurs personnes répondent en répétant après lui ses
propres paroles. Pourtant le récitant et les répondants ne reproduisent pas un
modèle original qu'ils auraient appris ; le chœur répète exactement ce que dit
le récitant et il est exclu que ses propos soient mis en question. Car c'est lui qui
détient l'autorité du « siège » qu'il occupe ; ses mots sont le Bagre. Il récite
rapidement et ne peut être interrompu à moins qu'il ne demande à quelqu'un de le
relayer. Il s'ensuit qu'à l'occasion d'une nouvelle récitation du Bagre, un autre
récitant pourra omettre quelque formule, quelque incident relaté par son
prédécesseur. Mais comme il n'explique pas que ce dernier avait peut-être tort,
l'auditoire se trouve désormais face à deux modèles différents (au moins) . Et, bien sûr,
de nouveaux modèles prolifèrent sans cesse.
Il ne s'agit pas là simplement d'une absence de sanctions contre toute
déformation de l'original : le concept même d'un modèle de référence est hors de
propos. Même si certains essayaient de reproduire en le corrigeant un discours
de cette longueur et de cette complexité, ils ne sauraient y parvenir faute de
pouvoir disposer côte à côte les différentes énonciations. Il en va différemment avec
les textes rédigés où l'écriture donne à l'œuvre une dimension spatiale extérieure.
Une comparaison détaillée de données verbales successives aussi longues et aussi
rapides dépasse tout à fait la capacité de mémoire à long terme des sociétés à
tradition orale. Comme il n'y a ni récitant ni contexte qui fassent autorité (des
« loges » existent dans beaucoup de villages), les versions se multiplient.
Pour renforcer ces conclusions, on peut s'appuyer sur un certain nombre de
faits :
a) la présence de variations dans le mythe, même dans les fragments les
plus stéréotypés ;
b) le débat sur les « bonnes » et les « mauvaises » versions, lorsque ce genre
d'évaluation est expressément obtenu, comme on le verra ;
c) le pourquoi et le comment de l'apprentissage mécanique.
L'examen des variations entre les différentes versions du mythe du Bagre
(1951-52 et 1969-70) a été entrepris par ailleurs et je me contenterai ici d'en
résumer les résultats, qui ne peuvent être définitifs puisque d'autres versions
viennent d'être recueillies (1974-75). Le Bagre, tel qu'on le récite à Birifu, se
compose de deux parties, le Blanc et le Noir ; la première partie rappelle les « textes
rituels » des civilisations antiques du Proche-Orient ou d'ailleurs ; la seconde est
plus nettement narrative et spéculative. Si les participants donnent à la
récitation le même nom qu'à l'association religieuse à laquelle elle est liée, c'est-à-dire
le Bagre, et s'ils considèrent à la fois le rite et la récitation, l'action visuelle et
verbale, comme des éléments permanents de leur culture, le Bagre noir, cependant,
varie énormément en fonction de l'époque, du lieu et du narrateur. Ainsi, bien
que dans la plupart des contextes les acteurs parlent des versions du Bagre comme
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taire, lorsque nous écoutons une pièce à la radio ou lisons un livre ? Ce qui est
choisi pour être commenté dépendra en grande partie d'un schéma préétabli,
bien plus que ce qui est remémoré pour être reproduit. Dans ce dernier cas tout
au moins, nous pouvons affirmer avec une quasi-certitude que les structures de
remémoration n'ont, semble-t-il, rien de comparable à celles de l'analyse
structurale. Le support de la reproduction consiste principalement en incidents et
événements de grande ampleur, comme les cérémonies, les exposés de diverses activités
ou les récits consacrés ponctués de formules toutes faites qui, bien souvent,
permettent au récitant de marquer le pas tout en réfléchissant à ce qui va suivre.
En ce qui concerne le Bagre blanc, la succession des cérémonies, par laquelle le
rite et la récitation se renvoient l'un à l'autre, fournit le support. Si l'on compare
les différentes versions des passages concernant une cérémonie particulière à
l'intérieur d'une longue séquence, on trouve à la fois des constantes et des variables.
Il y a des variations dans la mesure où la cérémonie est beaucoup plus complexe
que sa « description », qui est moins une mnémonique qu'un résumé ; mais il y a
des constantes dans l'évocation des éléments narratifs types qui sont insérés dans
l'exposé des procédures. Ces éléments narratifs sont au nombre de trois. Tout
d'abord l'histoire de la chauve-souris qui se dispute avec sa compagne à propos de
sexe, s'en va chercher de la nourriture et trouve le fruit du karité qu'elle refuse
de partager. Mais elle le laisse tomber à terre où un fermier le découvre et comprend
que les cérémonies du Bagre doivent commencer car le fruit mûr est interdit aux
néophytes. Quant à la graine, elle est indispensable (verbalement du moins) pour
faire le « beurre » (en fait, du kaolin) dont on se sert pour oindre le corps des
nouveaux adeptes. Vient ensuite une histoire semblable à propos d'une pintade
mâle et sa femelle, qui annonce le début de la cérémonie de la Fleur de Haricot.
Enfin, une troisième histoire concerne un marchand ambulant qui vend le sel
indispensable à la cérémonie principale, la Danse du Bagre.
Pour retrouver l'ordre de la récitation ou repérer les omissions éventuelles,
les participants se réfèrent, à ces moments importants, à la cérémonie suivante
ou à des détails tels que la construction d'une maison. Si ceux-ci ont été évoqués,
alors la récitation est correcte, quelles que soient par ailleurs les omissions ou
les additions qui n'ont pas été remarquées. Il apparaît donc que le support de la
remémoration ne se situe ni au niveau superficiel auquel opère la mémoire du mot
à mot, ni au niveau des structures « profondes » que décèlent de nombreux
mythologues et critiques littéraires. Il semble au contraire que le rôle important soit
joué par la dimension narrative et par d'autres structures événementielles ; je
considère la narration comme un type spécial de structure événementielle, c'est-à-
dire une suite d'événements rapportés ou imaginés et reliés entre eux par des
acteurs communs. Il paraît évident qu'il est plus facile de raconter des histoires
que de faire le récit d'une série de cérémonies, parce que l'intrigue, la logique de
la narration, le fil conducteur fourni par la permanence des acteurs jouent en eux-
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mêmes le rôle d'un souffleur. Mais par ailleurs, il est plus facile de s'y retrouver
dans une série de cérémonies que dans une série de tabous ou de spéculations
philosophiques, car la première présente une structure chronologique à laquelle
on peut se raccrocher. La structure cérémonielle ne comporte pas une logique
véritablement astreignante, ce qui explique que les rites ne sont pas toujours
introduits en bon ordre dans le mythe, c'est-à-dire lorsqu'on parle des cérémonies
mais non au cours même des cérémonies (qui sont ainsi dissociées de tous les
repères climatiques, sociaux, etc., qui agissent au moment où la séquence est
jouée en même temps qu'énoncée).
Mon troisième point (et le plus important pour mon propos) nous amène à
étudier le rôle de la mémoire, en particulier de la mémoire du mot à mot dans les
cultures en général. Il n'est guère aisé de bien comprendre les débats, les
observations et les expériences sur la mémoire et la remémoration dans les « autres
cultures ». Dans toutes les sociétés, les individus détiennent une grande quantité
d'informations dans leur patrimoine génétique, dans la mémoire à long terme et,
temporairement, dans la mémoire active. Dans la plupart des cultures sans
écriture, et dans de nombreux secteurs de la nôtre, l'accumulation d'éléments dans la
mémoire fait partie de la vie quotidienne. Ce n'est pas en écoutant une suite
d' « instructions » livrées telles quelles à la mémoire que l'on apprend, par
exemple, à tisser mais en regardant faire et en imitant. Une telle activité est
intentionnelle dans la mesure où elle se doit d'atteindre l'objectif fixé, mais
l'intention n'est pas de « mémoriser ». Contrairement à la répétition, la copie, la
récitation qui impliquent que l'on « confie » des éléments à la mémoire, on ne fait
pas appel ici à une technique spécifique de reproduction. Ainsi, par exemple,
un jeune enfant apprend des sons, des mots, la syntaxe pour pouvoir
communiquer et en communiquant avec les autres ; à ce niveau, les techniques de
reproduction entrent en jeu, mais uniquement dans le cadre de la communication.
Comme le capital mémoire concerne toutes les activités culturelles, à quoi
font donc allusion les anthropologues et les psychologues lorsqu'ils parlent de
sociétés ou d'individus montrant des capacités différentes de remémoration ou de
mémorisation, ayant une « bonne » ou une « mauvaise » mémoire P1 D'ordinaire
nous savons bien ce que cela signifie. Imaginez que nous marchions le long d'une
route et que nous trouvions une plante avec des baies noires. Je pourrais vous
demander : « Dites-moi, comment s'appelle cette plante ? Je ne m'en souviens
plus. » Et vous pourriez me répondre : « C'est de la belladonne. Vous avez une
i. Ces problèmes ont été récemment abordés par Cole & Scribner (1977) que je remercie
vivement pour leur contribution orale et écrite.
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mauvaise mémoire car vous en avez certainement déjà vu. » On peut attribuer
ces réactions différentes entre individus à des capacités ou bien à des pôles
d'intérêt différents. En effet, s'il s'avère que je suis un citadin et que vous êtes un rural,
un jardinier ou un botaniste, nous nous empresserons d'attribuer les différences
dans la remémoration non à des capacités mais à des expériences différentes.
Vous entendez ce mot vingt fois par an tandis que moi je l'ai entendu une seule
fois en dix ans. En outre, il faut tenir compte de la motivation : vous devez
éloigner vos enfants d'une plante dangereuse alors que les miens courent plus de
danger avec les voitures.
Mais ce n'est pas à ce type de mémoire que les anthropologues et les
psychologues se réfèrent d'ordinaire. Les anthropologues sont impressionnés par la
capacité de reproduire de longues enumerations de noms, comme celles que nous
trouvons dans les premiers livres de la Bible : « Les fils de Jacob furent au nombre
de douze. Les fils de Léa : le premier-né de Jacob, Ruben, puis Siméon, Lévi, Juda,
Issachar et Zabulon. Les fils de Rachel : Joseph et Benjamin. Les Fils de Bilha, la
servante de Rachel : Dan et Nephtali. Les fils de Zilpa, la servante de Léa : Gad et
Asher » (Gen. 35, 22-26) . Mais dans le cas de la Bible, la liste n'est pas simplement un
arbre généalogique : elle représente des rapports sociaux existants, c'est-à-dire
la disposition des « tribus » d'Israël ou les relations entre segments et entre
individus2. En d'autres termes, ces généalogies ne sont pas le fruit d'une instruction
précise et d'un apprentissage mécanique ; puisqu'elles sont étroitement liées à
un ordre social existant, il s'agit ici encore d'une acquisition directe dans le cadre
des processus courants de communication et non de la pratique délibérée des
capacités de mémorisation. Les psychologues, quant à eux, s'intéressent
généralement à des situations qui impliquent l'apprentissage délibéré de tâches
spéciales dans un contexte particulier et à la répétition de ce matériel devant
celui qui l'a enseigné.
Ce fut ce schéma que, à l'origine, je jugeai applicable à la transmission du
Bagre, modèle fondé sur l'apprentissage mot à mot, impliquant la remémoration
exacte d'une information délibérément transmise. Mais je pense maintenant
qu'un tel apprentissage n'a joué qu'un rôle négligeable dans le contexte du Bagre
et qu'il ne se pratique que très rarement dans la vie des LoDagaa. Je veux parler
surtout des exercices de mémoire conscients, et non d'opérations spécifiques
telles que le fait d'indiquer à quelqu'un le chemin pour se rendre à un village
précis. Les contextes de ce genre sont peu nombreux et ils le sont encore moins
si nous nous concentrons sur des activités essentiellement auditives comme la
récitation du Bagre. Trouver son chemin est une tâche en grande partie visuelle,
surtout en territoire déjà exploré (et l'une des fonctions des visites à la demeure
maternelle ou de la « randonnée » australienne est précisément de délimiter
une zone de territoire « déjà exploré »). C'est pourquoi indiquer un chemin c'est
aussi avant tout se remémorer et préciser des informations visuelles. Par contre,
la remémoration exacte d'informations auditives est, semble-t-il, assez rare,
car dans la plupart des cas où elle est nécessaire, il s'agit en fait de se remémorer
des faits où les indications auditives sont englobées dans une « situation totale » ;
il en est ainsi par exemple du témoin qui assiste à une série de prestations en
vue d'un mariage, ou bien d'un veuf ou d'une veuve qui doit estimer les débits
et les crédits des transactions faites avec le défunt. On trouve pourtant une
des rares exceptions dans l'État centralisé du Gonja (Ghana septentrional), où les
divisions du pays sont énoncées sous forme de liste à des fins rituelles ou autres ;
mais, même là, on dispose d'une base géographique pour se souvenir. Dans tous
ces cas, la remémoration exigée est extrêmement limitée par rapport à
l'apprentissage d'un long « mythe », et les indications auditives sont toujours renforcées
par des indications d'un autre type.
Je n'ai nullement l'intention de nier le fait que dans les cultures sans écriture
certaines formes orales stéréotypées sont mémorisées de manière exacte. Il
est évident que les chants, tout comme d'autres œuvres plus longues, sont confiés
à la mémoire précisément de cette façon. A certaines occasions, le joueur de
tambour kuntunkure du Gonja récite une série de strophes qui évoquent le passé
du royaume et auxquelles on se réfère parfois en cas de litige à propos de la chef-
ferie. Le maintien d'une rhétorique ancienne (le « Gonja profond ») leur confère
un caractère sibyllin qui rend la signification difficile à saisir et sujette à des
interprétations diverses. Il semble que les paroles, ici, offrent une certaine
résistance au temps, aidées en cela, sans nul doute, par leur forme rythmée et
l'accompagnement du tambour. Les strophes du système divinatoire yoruba, connu sous
le nom d'If a, sont également mémorisées ; cela fait partie de l'initiation au
métier de devin, bien qu'il y ait certainement des variations d'un individu à l'autre
(Bascom 1969). Au Rwanda, on affirme que certains poèmes de cour auraient été
composés dès le xvne siècle et transmis par les poètes dynastiques (umusizi) qui
étaient à la fois des auteurs et des interprètes. Constitués en corporation, ces poètes
apprenaient leur métier dans des « écoles » ; en guise de récompense, on leur
donnait de la bière, on leur octroyait des privilèges et on les encourageait à
conserver leurs poèmes mot pour mot (Coupez & Kamanzi 1970 : 159). On n'en
veut pour preuve que le caractère archaïque du langage utilisé.
On a donc des témoignages sur la répétition exacte de longs morceaux, bien
qu'en l'absence de « textes » (propos transcrits) recueillis à différentes époques,
leur crédibilité soit limitée. Sans doute est-il significatif que dans chacun des
trois cas évoqués ci-dessus il s'agit de « spécialistes de la récitation » qui jouaient
des rôles importants au sein de systèmes politiques centralisés ; on pourrait en
dire autant des récits historiques du « porte-parole » chez les Akan ou des textes
tambourinés des maisons royales des États mossi. Mais, en fin de compte, la
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d'une série est une chose complexe et délicate à apprendre, et le fait d'y parvenir
relève plutôt d'une aptitude assez spéciale » (Miller, Galanter & Pibram i960 :
128 ; cité par Norman 1969 : 102). Cette citation nous indique clairement la raison
pour laquelle ce type d'apprentissage n'existe guère dans les cultures à tradition
orale et dans la vie quotidienne en général. Elle a le tort, je pense, de sous-estimer
à la fois l'aptitude et les expériences de psychologie fondées sur elle, non parce
que ces dernières toucheraient au plus profond de l'esprit humain, mais parce
qu'elles visent un processus inhérent à nos systèmes d'éducation, à la tradition
écrite elle-même. Le mode « oral » offre cependant divers avantages dans la sphère
« littéraire » ou « mythologique » et ceux-ci sont illustrés dans le corpus si suggestif
recueilli par Parry en Yougoslavie et analysé par Lord.
Dans un de ses articles, Lord compare les mots de certains chants du recueil
de Parry à ceux consignés par Vuk Karadzié au début du xixe siècle. On
enregistra treize chants d'un même chanteur et tous, sauf un, étaient déjà présents
dans le recueil dressé un siècle auparavant.
Les chants de Parry peuvent se classer en trois catégories : a) ceux qui semblent
« indépendants » de la tradition plus ancienne ; b) ceux qui sont influencés par le
texte écrit ; c) ceux qui suivent le texte mot pour mot. Il est intéressant de noter
que les exemples choisis par Lord dans les catégories (b) et (c) sont chantés par
des chanteurs qui savent lire et écrire, et que certains d'entre eux ont légèrement
modifié les textes. Mais ces modifications ne sont pas intégrées au répertoire
général puisque les chanteurs de la génération suivante reviennent à 1' « original »
écrit ; les variations sont « individuelles » et non « sociales », elles se manifestent
dans l'exécution plutôt que dans la création et, en cela, elles ressemblent aux
variations que peut apporter un violoniste interprétant un concerto. Par contre,
l'exemple de texte « indépendant » émane d'un chanteur ne sachant ni lire ni
écrire qui donne une version de « Naheod Simeun » fort différente du chant
portant le même titre dans le recueil ancien. Elle compte 305 vers contre 197 pour
la version écrite ancienne, et elle raconte « une histoire entièrement différente
malgré certains points communs » (Lord 1967 : 1205). Les différences sont
effectivement très frappantes ; par exemple, dans un cas le héros est coupable d'inceste,
et dans l'autre non. Dans ce dernier cas le chanteur, comme ceux qui l'ont précédé,
a fait jouer les « tendances créatrices » des poètes oraux, tandis que les deux autres
ont été limités, à un degré plus ou moins élevé, par le texte écrit.
La différence ici se situe entre la remémoration exacte (ce que les
psychologues appellent souvent « mémoire ») et la reconstruction créatrice qui ne relève
pas de l'apprentissage mot à mot ou même de l'imitation, mais d'une
remémoration generative. Cette forme de remémoration échappe aux techniques
habituelles de test, mais elle n'en est pas moins à la base de beaucoup de créations
littéraires.
Posons le problème d'une autre façon. Si l'apprentissage mot à mot était
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forme visuelle avant que tout stockage soit possible, et l'écriture est justement l'un
des moyens de parvenir à ce résultat.
La memoria verborum est donc associée à l'existence de l'écriture, comme le
suggèrent ces auteurs. L'image de la tablette de cire est, semble-t-il, plus qu'une
analogie et ce n'est pas un hasard si l'on attribue la découverte de cet art
mnémotechnique aux Grecs, inventeurs d'un alphabet achevé. Mais que dire de la memoria
rerum, la mémoire des choses ? Cette technique n'a aucune raison similaire d'être
liée à l'écriture. Dans les cultures à tradition orale, est-il besoin de le dire, les gens
se souviennent des mots et des objets sans difficulté majeure, et dans bien des cas
ils apprennent à améliorer leurs qualités naturelles par le recours à des moyens
« artificiels ». Pourtant, le type d'élaboration attribuée au poète Simonides peut,
d'une manière plausible, être vu comme associé à l'écriture pour deux raisons
d'ordre général.
La première tient à l'importance accordée à l'ordre. Bien que le rangement
délibéré des objets dans l'espace ne soit pas l'apanage des sociétés qui possèdent
l'écriture, il est certainement favorisé par le recours accru aux dispositions
graphiques, comme c'est le cas, je l'ai montré ailleurs, pour les tableaux, les matrices,
les systèmes de colonnes et de rangées. Là encore, l'analogie avec la tablette et
l'alphabet n'est pas qu'une image. La mise en ordre inhérente aux listes écrites
entraîne, semble-t-il, un effet rétroactif qui se répercute sur la définition des
catégories en les rendant plus visibles, bien que cette considération puisse perdre sa
pertinence si les informations dont on essaie de se souvenir ne peuvent être
ordonnées sur aucune base « abstraite ».
La seconde raison tient à ce qui est visé et renvoie aux moyens par lesquels le
savoir écrit était transmis dans les écoles ; pendant les quatre millénaires, au moins,
qui ont précédé la découverte de l'imprimerie, cette transmission s'effectuait
essentiellement par le fait qu'un lettré recopiait l'œuvre d'un autre.
École et mémoire
étaient conservés dans l'atelier des scribes appelé « demeure de Vie » et c'est là
qu'on établissait les copies ou les extraits de textes courants (Textes des
Pyramides, des Tombeaux ou Livre des Morts). La tradition des scribes était
héréditaire, transmise de père en fils, mais dans le cadre des écoles de scribes. « La
bureaucratie du Moyen-Empire amena l'ouverture d'écoles publiques pour
produire en nombre croissant les secrétaires et employés devenus nécessaires [...]
Les élèves apprenaient d'abord les écritures hiéroglyphique et hiératique puis
en venaient aux exercices et aux extraits tirés de textes classiques [...] Étaient
incluses également la mémorisation et la copie de listes de noms des divinités,
des métiers et des lieux (onomastica) » (ibid. : 36) .
Les exercices de mot à mot encouragés par les écoles dans la transmission du
savoir et pour lesquels les techniques artificielles de mémorisation étaient bien
adaptées sont l'équivalent verbal du travail routinier essentiel des « apprentis »
scribes depuis les temps les plus reculés : la copie. Sur les plus anciennes tablettes
comportant des exercices scolaires, un jeune maître, « Grand Frère », écrivait un
texte d'un côté et l'élève le recopiait de l'autre côté. Puis le maître corrigeait les
travaux des élèves, comme les maîtres l'ont toujours fait sur les « cahiers
d'écriture », en punissant les mauvais et en récompensant les bons, c'est-à-dire ceux qui
avaient copié correctement.
Nous avons là l'institutionnalisation de l'équivalent écrit de la mémoire du
mot à mot ; il s'agit de la copie exacte (idée que traduit bien le sens de « littéral »
ou « à la lettre »), où la lettre elle-même semble soumise à une précision absolue,
procédé qui a dans les écoles sa contrepartie orale, non seulement dans les
exercices spécifiques de mémoire mais aussi dans les questions du professeur et les
réponses des élèves à qui on demande de restituer ce qu'ils savent qu'il sait déjà.
Le fait d'enlever les enfants à leur famille et de les placer sous le contrôle
d'autorités différentes peut être interprété comme un processus de mise hors
contexte et de formalisation ; inévitablement, les écoles mettent l'accent sur ces
procédés « artificiels », « non oraux », et « hors contexte » que sont la répétition, la
copie, la mémoire du mot à mot. En prenant conscience de cette tendance, nous
saisissons mieux le contraste avec les sociétés à tradition orale, où l'accent est
mis moins sur la répétition que sur la re-création, en tout cas dans le domaine de
l'activité cognitive dont il est ici question. Ceci nous permet de mieux comprendre
le problème de la variation dans le mythe ainsi que ce qui a été présenté comme
l'invention de procédés mnémotechniques à l'époque classique (ce n'était certes
pas une invention puisqu'on trouve ce type de procédés dans les cultures à
tradition orale, mais ils connurent alors un développement très particulier). Mais,
pour ne pas nous complaire en lamentations sur le manque de créativité dans les
écoles (tout au moins dans l'activité d'écriture distincte d'autres activités
graphiques où l'enfant a plus de liberté), nous devons également comprendre que,
surtout avant l'ère de l'imprimerie, il était essentiel de copier correctement, car
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le texte en résultant allait devenir, pour l'individu, son propre manuel qui, dans
le cas des mathématiques par exemple, lui serait bien souvent aussi utile dans la
vie qu'à l'école.
A l'instar des universités médiévales, l'école offrait le moyen de se constituer
une bibliothèque ; la reproduction des manuscrits était nécessairement manuelle
et donc individuelle, tandis que l'imprimerie est multiple et dispense les individus
de ce recours à la copie (Febvre & Martin 1958). La suppression de la créativité,
de la liberté d'expression était donc nécessaire à la transmission de la culture ;
et non seulement à sa transmission, mais aussi à son développement cumulatif.
La différence essentielle entre une culture orale et une culture écrite tient aux
modes de transmission : la première laisse une marge étonnamment grande à la
créativité, mais une créativité de type cyclique, tandis que la seconde exige la
répétition exacte comme condition d'un changement positif.
Pour évoquer les différences entre cultures orales et écrites en ce qui concerne
les tâches assignées à la mémoire (ou, plus précisément, les effets des
bouleversements dans les moyens de communication), nous devons nous situer entre ces
deux courants : l'un affirmant que tous les hommes ont les mêmes possibilités,
l'autre établissant, implicitement ou explicitement, une distinction majeure entre
« eux » et « nous ». Une explication (même partielle) fondée sur ces
bouleversements peut fournir la médiation. Car l'écriture, comme le langage, est un outil
culturel qui permet à son détenteur d'accomplir certaines tâches d'une manière
révolutionnaire ; non seulement, cela va de soi, dans la mesure où le stockage
visuel extériorisé se substitue au stockage auditif intériorisé, mais aussi au niveau
de l'organisation interne de la connaissance et de la mémoire.
Des chercheurs soviétiques, comme Vygotsky, ont souligné que la mémoire
ne joue un rôle élémentaire et direct que dans des cas relativement rares, qu'en
règle générale le processus de remémoration se fonde sur un système de supports
intermédiaires (ou codes) et a donc un caractère indirect. Ainsi la remémoration
est un processus complexe, une forme d'activité mnésique déterminée par des
mobiles, par la tâche à exécuter et par des méthodes appropriées ou codes « qui
augmentent le volume du matériel évocable, augmentent la durée de la
mémorisation et parfois [...] détruisent l'action inhibitrice de facteurs inopportuns et
interférents [...] action qui est à la base de l'oubli » (Luria 1973 : 286). Ce processus
dépend de la manière dont les stimuli perçus s'organisent en structures successives
ou simultanées et c'est ici qu'intervient l'écriture.
La fonction de l'écriture est de donner une information auditive sur un support
visuel et donc spatial. Le canal de la communication passe ainsi de l'état auditif
à l'état visuel. On entend la parole et on voit l'écriture ; on parle avec la bouche
et on écoute avec les oreilles ; on écrit avec la main et on lit avec les yeux. Ainsi,
au canal bouche-oreille se superpose le canal main-œil. Un bon nombre
d'implications culturelles découlent de ce processus. Il permet l'étude de la grammaire,
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des structures du langage, puisqu'il est désormais possible d'organiser des stimuli
auditifs en structure simultanée plutôt que successive ; ainsi, une phrase peut
présenter à la fois un caractère synchronique et diachronique. Il en est de même
pour l'argumentation, ceci conduisant au développement de la « logique » (Goody
& Watt 1963).
Dans quelle mesure ce changement de réseaux agit-il sur la remémoration et
sur la mémoire ? Bien entendu, il y a toujours un rapport étroit entre le mot ou
la phrase parlés et écrits, entre la parole et le texte (Olsen 1976). Avant d'écrire
on utilise un langage silencieux, pour reprendre à d'autres fins l'expression de
E. T. Hall ; on formule sa pensée puis on la traduit en mouvements
musculaires de la main. Il est également courant lorsqu'on lit de replacer les mots dans
le canal auditif, mais ici encore, silencieusement, bien que pour quelques individus
le mouvement musculaire soit indispensable. La répétition est un phénomène
largement auditif : il est sans doute plus facile de retenir des mots en se les
répétant plutôt qu'en les relisant autant de fois, ne fût-ce que parce qu'on peut
éliminer les interférences (en fermant les yeux, par exemple). En quoi l'écriture
peut-elle alors changer les méthodes de stockage des informations et de
remémoration ? Si l'on admet, comme l'affirme Luria et comme le confirme le bon sens,
que les codes du langage participent à l'organisation des traces de la mémoire,
il faut se demander si l'écriture n'a pas un effet similaire sur l'organisation de
l'activité mnésique.
Malgré les avantages manifestes du stockage visuel, l'écriture passe pour
une grande part dans le réseau auditif à des fins de conservation. Elle influe ainsi
sur le stockage et la remémoration de trois manières. Premièrement, en permettant
une mise en ordre plus complète du monde l'écriture joue, pour la connaissance
et la mémoire, le même rôle que Bruner et Luria assignent au langage, mais à un
degré supérieur. C'est là que les tableaux, les listes et les formules entrent en jeu.
Deuxièmement, sans pour autant substituer un stockage visuel au stockage
auditif, elle ajoute néanmoins un élément visuel, spatial et même moteur à la
remémoration des faits linguistiques. Troisièmement, l'écriture facilite les
procédés de répétition, car, grâce à elle, on peut se référer à un stimulus constant, le
texte, qui permet aussi bien de vérifier que de répéter.
Le premier point a fait l'objet de précédents articles. L'écriture ne permet pas
seulement l'enregistrement mais aussi la réorganisation de l'information. On peut
agir sur les représentations et s'écarter de la base sensible pour établir une
classification. Les travaux de psychologie cités par Bruner (1966 : 28) montrent que
jusqu'à l'âge de huit ou neuf ans les enfants préfèrent des bases sensibles : « une
imagerie non schématisée est la caractéristique principale des premières
opérations intellectuelles » et c'est un préliminaire à des « opérations plus proprement
' logiques ' ». Selon Brown, lorsqu'un enfant emploie des termes abstraits comme
animal, « généralement, il ne possède pas la notion de la catégorie entière mais
MÉMOIRE ET APPRENTISSAGE 47
il n'applique ce terme qu'à une sous-classe fort limitée de l'ensemble » (1958 : 277).
C'est l'écriture qui accroît la visibilité et précise la définition des classes,
renforçant ainsi le rôle que jouent les hiérarchies dans la vie sociale et dans les
processus mentaux. Elle augmente également la sensibilité aux phénomènes liminaux
comme ceux décrits par Mary Douglas et d'autres chercheurs. Cela pourrait aussi
signifier qu'un individu sera plus enclin à reclasser le matériel selon des critères
formels, « hors contexte ». La plus grande visibilité des classes « formelles » est
sans doute ce que révèle l'expérience de Luria sur les outils agricoles (Scribner
& Cole 1973) où la classification hiérarchique de l'homme qui travaille dans une
ferme coUectivisée fait contraste avec l'« association par contiguïté » de la pensée
traditionnelle.
Afin d'envisager le rôle que joue l'écriture en ajoutant à la parole un élément
spatial et en lui donnant un cadre également spatial (tout comme les autres
formes graphiques peuvent fournir différentes sortes de supports spatiaux), il
nous faut faire référence aux remarques de Bruner sur « le caractère unique du
support spatial » pour le développement de la connaissance (1966 : 15). Un espace
perceptible bien délimité — ce qui relève intrinsèquement de la vision — permet
au cerveau d'analyser simultanément des informations qui se présentent en séries,
successivement. La représentation, soutient-il — suivant en cela Lashley — , doit
manifester un caractère sériel ou « atemporel » {ibid.: 18). Pour qu'un
comportement se perfectionne, il doit se libérer progressivement des régulations
immédiates ou sérielles imposées par les stimuli extérieurs. On parvient à cette
libération en apprenant non plus à répondre mais à situer, ce qui permet au
comportement de s'organiser de façon plus souple.
Un prolongement de ce mécanisme s'accomplit par l'écriture, et plus le
système d'écriture est efficace, plus ce prolongement prend de l'importance. L'écriture
amène, entre autres, une spatialisation du langage et lui confère une dimension
atemporelle, ce qui permet de soumettre un discours, une phrase, une chronologie,
une liste à une manipulation plus importante et plus dégagée du contexte originel.
Cette matrice d'ordre passe provisoirement d'une représentation intériorisée à
une représentation externe, ce qui a l'avantage de lui donner un caractère plus
concret mais entraîne le risque de réifier l'irréel, de formaliser l'ambigu, et de
prendre ses propres créations trop au pied de la lettre.
Quant au troisième point, j'ai suggéré que les formes de répétition nécessaires
au souvenir du mot à mot sont sans doute favorisées par l'existence de l'écriture,
ceci pour trois raisons : tout d'abord, parce qu'il y a un premier texte fixé par
écrit qu'on peut copier et auquel on peut se référer pour corriger (se corriger si
nécessaire). Ensuite, parce que ces formes sont indispensables à l'apprentissage
des différents types d'écriture dont les unités minimales (graphèmes),
contrairement à celles de la parole (phonèmes), peuvent facilement s'apprendre à un âge
plus avancé. Enfin, parce que la reproduction littérale est essentielle à la trans-
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3. En relisant cet essai et en revenant aux passages que Ruth Finnegan consacre à ces
questions dans Oral Literature in Africa, je constate qu'elle a anticipé sur bien des points
exposés ici ; elle souligne la souplesse de la composition orale, alors que l'existence de l'écriture
permet de donner naissance au « concept d'une version correcte qui peut être copiée ou apprise
de façon exacte » (1970 : 106-107). Or> même lorsqu'on met fortement l'accent sur l'exactitude,
comme dans le cas des poèmes de l'If a, les variations sont considérables (Bascom 1969).
50 JACK GOODY
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Paris, Gallimard (« Bibliothèque des Histoires »).]
Résumé
Jack Goody, Mémoire et apprentissage dans les sociétés avec et sans écriture :
la transmission du Bagre. — Dans un exposé antérieur sur la transmission
d'un long mythe africain appelé Bagre, on avait insisté sur l'existence d'une
remémoration exacte et mot à mot. Or d'autres versions de ce mythe,
rassemblées sur une période de vingt années, mettent en évidence des variations
considérables notamment dans la partie la plus spéculative et la plus
narrative du récit ; celle qui relate la série des rituels associés demeure, elle, assez
stable. Cette variabilité du contenu dans une forme orale stéréotypée soulève
plusieurs problèmes concernant d'une part la transmission des mythes et
d'autre part le rapport entre les structures de la remémoration et les «
structures profondes » de l'analyse anthropologique.
On soutient ici que la remémoration mot à mot, la mémorisation exacte,
souvent considérée comme caractéristique des sociétés sans écriture, est en
fait relativement rare et se rencontre bien plus fréquemment lorsque, avec
l'avènement de l'écriture, un facteur spatial s'ajoute au langage. On traite
dans cet article des conséquences d'une telle conception pour l'étude de la
littérature orale, la psychologie comparative et l'enseignement.
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Abstract
Jack Goody, Memory and Learning in Oral and Literate Culture : The
Reproduction of the Bagre. — In an earlier account of the way in which a long
African myth, known as the Bagre, was transmitted, emphasis was placed
upon exact verbatim recall. Further versions, collected over a period of
twenty years, bring out the considerable variation, especially in that part
of the utterance which is more speculative and more narrative in character;
the part that recounts the series of related rituals remains fairly constant.
This variability of content in a standardised oral form raises questions
about the reproduction of myths and the relationship between structures of
recall and "deep structures" of anthropological analysis.
It is argued that verbatim recall, exact memorisation, though often viewed
as characteristic of oral cultures, is in fact relatively rare, being found much
more frequently when, with the advent of writing systems, a spatial factor
is added to language. The paper discusses some of the implications of this
view for the study of oral literature, for cross-cultural psychology and for
education.