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Histoire & Mesure

La Révolution française et l’économie rurale


Donald M. G. Sutherland, Tim J. A. Le Goff

Résumé
Cet article vise à estimer l’impact des guerres de la Révolution et de l’Empire sur la production agricole française. Malgré
la rupture des séries statistiques sur lesquelles repose l’histoire quantitative de l’économie rurale d’Ancien Régime, il reste
d’autres sources utilisables pour cette période : enquêtes du début et de la fin de la période (Expilly, Lavoisier, Chaptal),
statistique annuelle des récoltes par département à partir de 1800, baux de fermes, notamment ceux des hôpitaux…
S’appuyant sur ces sources, les auteurs soutiennent que l’économie agricole subit une longue crise pendant une bonne
partie de la période. La viticulture semble avoir bien résisté, mais la production céréalière et animale décline sérieusement
avant d’entreprendre une récupération, à partir du Consulat. Les raisons de cette chute sont à chercher dans les
réquisitions révolutionnaires, le contrôle des prix, et les impôts élevés, qui avaient tous concouru à décourager
l’investissement.

Abstract
French Revolution and Rural Economy
This article attempts to estimate the impact of the wars of the Revolution and Empire on French agricultural production.
Many of the quantifiable sources used for the Old Regime rural economy disappeared in 1789, but others can be used:
statistical overviews from the start and end of the period (Expilly, Lavoisier, Chaptal), annual statistics of cereal production
in each departement from 1800 onwards, series of leases especially those from hospital archives... On the basis of these
sources, the authors argue that the agricultural economy suffered a long crisis over much of the period. The exception is
viticulture, which did rather well. More typically, cereal and livestock production declined considerably before recovering
under the Consulate. The reasons lie in the requisitions, price controls, and high taxes of the revolutionary period, which
discouraged the investment needed for real growth.

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Sutherland Donald M. G., Le Goff Tim J. A. La Révolution française et l’économie rurale. In: Histoire & Mesure, 1999
volume 14 - n°1-2. Varia. pp. 79-120.

doi : 10.3406/hism.1999.1503

http://www.persee.fr/doc/hism_0982-1783_1999_num_14_1_1503

Document généré le 04/11/2015


Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2, 79-120

Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland*

La Révolution française et l'économie rurale

Résumé. Cet article vise à estimer l'impact des guerres de la Révolution et de l'Empire sur
la production agricole française. Malgré la rupture des séries statistiques sur lesquelles repose
l'histoire quantitative de l'économie rurale d'Ancien Régime, il reste d'autres sources
utilisables pour cette période : enquêtes du début et de la fin de la période (Expilly, Lavoisier,
Chaptal), statistique annuelle des récoltes par département à partir de 1800, baux de fermes,
notamment ceux des hôpitaux... S'appuyant sur ces sources, les auteurs soutiennent que
l'économie agricole subit une longue crise pendant une bonne partie de la période. La
viticulture semble avoir bien résisté, mais la production céréalière et animale décline
sérieusement avant d'entreprendre une récupération, à partir du Consulat. Les raisons de cette
chute sont à chercher dans les réquisitions révolutionnaires, le contrôle des prix, et les impôts
élevés, qui avaient tous concouru à décourager l'investissement.

Abstract. French Revolution and Rural Economy. This article attempts to estimate the
impact of the wars of the Revolution and Empire on French agricultural production. Many of
the quantifiable sources used for the Old Regime rural economy disappeared in 1789, but
others can be used: statistical overviews from the start and end of the period (Expilly,
Lavoisier, Chaptal), annual statistics of cereal production in each departement from 1800
onwards, series of leases especially those from hospital archives... On the basis of these
sources, the authors argue that the agricultural economy suffered a long crisis over much of the
period. The exception is viticulture, which did rather well. More typically, cereal and livestock
production declined considerably before recovering under the Consulate. The reasons lie in the
requisitions, price controls, and high taxes of the revolutionary period, which discouraged the
investment needed for real growth.

* T.J.A. Le Goff, York University, Toronto, Canada. D.M.G. Sutherland, Université


de Maryland, College Park, Etats-Unis.
1. Une première version de ce texte fut présentée au Colloque de la Society for
French History tenu à Manchester en mars 1989. Nous remercions tous ceux qui ont
participé au colloque et qui nous ont offert leurs conseils, ainsi que MM. James Riley,
Lenard Berlanstein, Fernand Ouellet, Mme Brigitte Bedos-Rézak, le groupe de recherche
sur l'Ancien Régime (Washington, D.C.), l'I.R.E.D. (Université de Rouen) et les
participants du séminaire d'histoire économique de l'Université de Toronto. Enfin, nous
souhaitons exprimer notre reconnaissance à la Fondation Killam, à York University
(Toronto) et à l'University de Maryland (College Park) pour le support matériel qu'elles
ont bien voulu nous prêter.

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Le secteur agricole est généralement inscrit à l'actif du bilan de la


période 1789-1815. La Révolution n'avait-elle pas délivré le monde
paysan du prélèvement seigneurial et ecclésiastique ainsi que d'une
fiscalité alourdie par les privilèges ? Moins catégorique, cependant, est le
verdict de ceux qui se sont penchés de plus près sur les problèmes de la
campagne française pendant cette période, conscients qu'ils sont des
blocages potentiels créés par la confirmation du droit absolu de plusieurs
millions de petits propriétaires à leurs terres, et par le quasi-maintien des
droits communaux. Ils n'ignorent pas non plus que l'idéal d'équité
fiscale proclamé par la Révolution, n'allait se réaliser, même
approximativement, que bien plus tard au XIXe siècle.
Cependant même parmi les spécialistes, l'optimisme reste souvent,
bien que discrètement, de règle. On pense, par exemple, à la dernière
phrase des Paysans du Nord où Georges Lefebvre proclame sa
conviction que ses paysans « approuvèrent toujours la Révolution d'avoir
extirpé de leurs villages la domination de l'aristocratie » 2. Sur le même
ton, une récente synthèse, tout en élaborant un bilan soigneusement
équilibré de la période, crut néanmoins bon de préciser que « les bienfaits
[de la Révolution] avaient été réels, et ne doivent pas être passés sous
silence. Pour la majorité des paysans, l'abolition des droits seigneuriaux
constitua le grand tournant ; pour une minorité, ce fut l'accès à la
terre » 3.
La plupart de ces verdicts reposent sur le postulat que les
modifications institutionnelles de la Révolution avaient produit les bénéfices
économiques escomptés par leurs auteurs. Les changements
institutionnels, il est vrai, ne manquaient pas. Les conquêtes de l'été 1789 et leurs
suites, consacrées par la législation révolutionnaire de 1789-1794
marquèrent une véritable victoire paysanne. On avait aboli la dîme
ecclésiastique, puis la plupart des droits seigneuriaux. On avait mis à bas la
justice seigneuriale et le labyrinthe gothique de l'administration locale et
provinciale, derrière lesquels s'abritait si souvent la domination
économique des privilégiés. On avait érigé à leur place des institutions
publiques rationnelles. On n'allait exiger du contribuable que des
impositions déterminées selon les règles de l'équité. Les gestionnaires
des revenus publics seraient désormais redevables envers la Nation. La
nouvelle institution de la justice de paix, prenant le relais des anciennes
instances seigneuriales, remplaça un système judiciaire capricieux, voire
défaillant et corrompu, par un recours plus juste et plus accessible. Deux
siècles plus tard, ces transformations forcent encore l'admiration.

2. Lefebvre, G., 1924, p. 886.


3. Jones, P.M., 1988, p. 269.

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II demeure que deux facteurs rendent particulièrement délicate


l'appréciation des conséquences économiques de ces réformes. Le
premier, c'est l'extraordinaire diversité des conditions locales. Sous
l'Ancien Régime, l'intensité du fardeau seigneurial allait du symbolique
à l'insupportable, en passant par le vexatoire et l'absurde. Dans bien des
régions, et surtout sur les terres dont les seigneurs étaient en même temps
les propriétaires, leur abolition ne changea pas grand-chose. L'incidence
de la dîme ecclésiastique varia tout aussi considérablement. Mais, plus
que les distinctions locales, c'est l'altération de l'environnement
économique pendant les années révolutionnaires et impériales qui nous
empêche d'isoler les résultats de ces transformations institutionnelles.
N'eurent-elles pas lieu, en effet, au milieu de fluctuations des valeurs
locatives et vénales des terres, de bouleversements démographiques, de
variations de la demande de biens de consommation, des contraintes
politiques nouvelles et bien d'autres vicissitudes ? Certaines avances
institutionnelles ont pu être amplifiées, d'autres annulées, par le contexte
général de l'économie rurale.

1. Les incertitudes des témoignages, les carences des sources


Certains personnages, à l'époque, ne se laissèrent pas arrêter par ces
difficiles obstacles. Leurs conclusions furent presque toujours positives.
On citera, parmi de nombreux rapports préfectoraux, celui du préfet de
l'Aude en l'an X (1801-1802) qui constatait une amélioration du niveau
de vie de ses administrés depuis « la disparition de la dîme et des
redevances foncières » et le désendettement des paysans accompli par
« la longue circulation et... la dépréciation toujours croissante du
papier-monnaie ». Son collègue de l'Aube renchérissait : « L'habitant
des campagnes a sans doute fait de grands bénéfices pendant la
Révolution ; mais ils ont été employés à payer ses anciennes dettes et ses
acquisitions domaniales. Ce n'est qu'à présent que s'étant libéré, il
pourra appliquer ses économies à l'augmentation de ses bestiaux, à la
réparation de ses bâtimens, à des plantations sur ses propriétés » 4.
Dans ces commentaires, les préfets exprimaient ce qui était en passe
de devenir un thème officiel, dont les écrits de Jacques Peuchet,
fonctionnaire, homme politique et ramasseur infatigable de statistiques
sous chaque régime depuis Louis XVI, offrent un exemple
caractéristique 5. Dans la même lignée, se situe le célèbre rapport sur l'état

4. Brugière de Barante, C.-L, an x, p. 3 ; Bruslé de Valsuzenay, C.-L., an X,


p. 56.
5. Peuchet, J., 1805, pp. 278-280.

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économique de l'Empire, dressé en février 1813 par J.-P. Bachasson,


comte de Montalivet, Ministre de l'Intérieur de 1809 jusqu'en 1814,
source mise souvent à contribution par les historiens. Dans ce texte
Montalivet ne craint pas d'affirmer sans ambages la nouvelle prospérité
du « simple cultivateur », qui « aujourd'hui connaît les jouissances qui
lui furent jusqu'à présent étrangères ; il achète au plus haut prix les terres
qui sont à sa convenance ; ses vêtements sont meilleurs, sa nourriture est
plus abondante et plus substantielle ; il reconstruit ses maisons plus
commodes et plus solides ». Tout ceci, grâce « aux lois libérales qui
régissent ce grand Empire, à la suppression de la féodalité, des dîmes,
des mainmortes, des ordres monastiques ; suppression qui a constitué ou
affranchi ce grand nombre de propriétés particulières, aujourd'hui le
patrimoine libre d'une multitude de familles jadis prolétaires : il est dû à
l'égalité des partages, à la clarté et à la simplification des lois sur la
propriété et sur les hypothèques, à la promptitude avec laquelle sont
jugés les procès, dont le nombre décroît chaque jour. C'est à ces mêmes
causes et à l'influence de la vaccine que l'on doit attribuer
l'accroissement de la population. Et pourquoi ne dirions-nous pas que la
conscription elle-même, qui, chaque année, fait passer sous nos drapeaux l'élite
de notre jeunesse, a contribué à cet accroissement en multipliant le
nombre des mariages... ». Affirmations étayées en apparence par un
énorme appareil statistique, dont notamment un résumé, par « régions
agricoles », des rapports des préfets sur les récoltes céréalières de
1810-1812. Ce dernier document justifia, aux yeux de Montalivet, une
comparaison avec les récoltes moyennes d'avant 1789. Et d'en conclure,
puisque celles-là valait 520 lt/tête et celles-ci seulement 470 lt/tête, que
« nos produits en céréales se sont... accrus d'un dixième ». Hélas, ces
conclusions réjouissantes ne sont pas exemptes de tout reproche ; en y
regardant de plus près, on reconnaît la méthode des plébiscites
napoléoniens. C'est ainsi que le ministre justifia son optimisme en gonflant
systématiquement la récolte de chaque département par un «
multiplicateur » de 12,5 %, tout en dissimulant l'opération par le regroupement des
résultats en des agrégats régionaux... 6
Lorsque, en 1819, le célèbre chimiste Chaptal, prédécesseur de
Montalivet à l'Intérieur de 1801 à 1804, publia son traité De l'industrie
françoise, il ne manqua pas de préciser qu'il avait eu recours aux
rapports des préfets, à des études locales, et aux avis d'experts. Comme
Montalivet, il inséra dans son travail des tableaux statistiques, dont l'un
prétendait présenter la récolte moyenne des céréales par département.

6. Bachasson de Montalivet, J.-R, 1813. On trouvera les résumés des rapports


originels des préfets dans A.N., F10 252. Les rapports détaillés se trouvent en grande
partie dans A.N., F11 454-67 et dans la série M des archives départementales.

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Des historiens comme A. Chabert 7 et J.-C. Toutain 8 n'ont pas craint


d'utiliser ces chiffres, tout comme ceux de Montalivet. Mais où Chaptal
avait-il trouvé ces renseignements ? Le chimiste laissa entendre qu'il
s'agissait de moyennes tirées des rapports des préfets s 'étendant sur
quatorze ans. En fait, il préleva tous ses chiffres dans les rapports des
préfets sur la récolte de 1812, en y ajoutant quelques estimations pour les
départements dont il sentait la fragilité des résultats. Dans ses
conclusions, toutefois, conscient peut-être des méthodes sommaires de
Montalivet, il préféra se cantonner dans le qualitatif, proclamant, après
quelques précautions de style, que « si l'on compare l'agriculture à ce
qu'elle était en 1789, on sera étonné des améliorations qu'elle a reçues :
des récoltes de toute espèce couvrent le sol ; des animaux nombreux et
robustes labourent et engraissent la terre. Une nourriture saine et
abondante, des habitations propres et commodes, des vêtemens simples,
mais décents, tel est le partage de l'habitant des campagnes ; la misère en
a été bannie, et l'aisance y est née de la libre disposition de tous les
produits » 9. De fait, Chaptal, comme tous ces témoins, ne sut se défaire
d'une certitude, voulant, a priori, que les résultats des changements
institutionnels de l'époque révolutionnaire et impériale fussent positifs.
Le verdict des chirurgiens fut ainsi formel : l'opération ayant réussi,
on décréta la guérison du patient. Le diagnostic implicite dans les écrits
de Chaptal, Montalivet et d'autres s'intégrait à un système de pensée
dont les origines remontent aux débuts de l'Assemblée Constituante,
voire aux derniers ministères de l'Ancien Régime. On peut donc relier
ces espoirs au « projet physiocratique ». Celui-ci consistait à stimuler la
production en favorisant l'investissement agricole, grâce à une
rationalisation de la fiscalité et une déréglementation du marché. Le postulat
fondamental d'une multitude de traités et plaidoyers - que des historiens
trop candides ont souvent pris comme témoignages innocents - fut le
suivant : la Révolution, en restructurant les prélèvements privés et
publics sur le produit rural, avait laissé aux familles paysannes et aux
propriétaires un surplus élargi, permettant ainsi à la fois des dépenses de
consommation plus considérables et un investissement agricole accru.
Conditionnés par cette vision, les fonctionnaires du Consulat et de
l'Empire s'habituèrent vite à déceler partout les signes d'une nouvelle
prospérité, et apprirent à les discerner dans le chaos même du passé
révolutionnaire. Car, dans leur scénario, les aléas de la conjoncture, et

7. Chabert, A., 1949.


8. TOUTAIN, J.-C, 1961, pp. 77-88 ; depuis, J.-C. Toutain a publié des estimations
légèrement révisées (Cf. Toutain, J.-C, 1987), mais cet article concerne principalement
les XIXe et XXe siècles.
9. Chaptal, J.-A., 1819, XIX, pp. 127 ff.

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surtout les désordres monétaires de la période, avaient éliminé


l'endettement et, par implication, allégé grandement, pendant de longues
années, le fardeau de l'impôt, permettant ainsi aux paysans et
propriétaires d'investir davantage dans l'appareil productif.

Il n'est pas facile de faire la part du vrai dans ces affirmations des
contemporains. D'ailleurs, il n'existe aucun traitement historique sérieux
de la conjoncture révolutionnaire 10. La rupture, vers 1789, de la
continuité des sources habituelles en est une des raisons. Les états des
récoltes, dressés avec régularité par l'administration royale durant la
seconde moitié du XVIIIe siècle cessent, ou deviennent aléatoires, et
difficilement vérifiables, pendant la décennie révolutionnaire. L'abolition
de la dîme nous ôte un précieux indicateur indirect du mouvement de la
production. Le chaos institutionnel, l'introduction de l'assignat,
condamné à une dévaluation rapide entre 1790 et 1797, brise les séries de
prix, tout en transformant, à l'apogée des années inflationnistes, la
comptabilité centrale du gouvernement en exercice de roman de science-
fiction. Ce n'est qu'au prix des plus vaillants efforts que les démographes
sont parvenus à reconstituer le mouvement de la population pendant ces
années en recourant à des échantillonnages de l'état civil. De rares
comptabilités privées, sources précieuses qui permettraient peut-être de
pallier aux carences, existent, mais se pose alors la question de leur
représentativité. Les impressions et les statistiques publiées de temps en
temps par les fonctionnaires du Consulat et de l'Empire ont pendant
longtemps constitué la seule documentation d'ensemble accessible aux
historiens, mais leurs auteurs avaient leurs illusions quant à l'avenir et
leurs réticences à l'égard des années précédentes. Nous sommes donc
obligés de procéder à la manière des médiévistes, qui, travaillant sur des
indications fragmentaires, reconstruisent patiemment, en partant d'un
faisceau de symptômes, les causes inconnues des phénomènes qu'ils
observent. Les résultats obtenus seront provisoires, mais un tel réexamen
reste sans aucun doute préférable à l'optimisme ambiant, dépourvu de
fondement solide.

10. L'article d'A. Soboul, 1976, est assez faible sur le mouvement de l'économie
avant 1797 et suit étroitement celui d'A. CHABERT, 1949. Pour la période suivante.
M. Agulhon, G. Désert et R. Specklin, 1976, n'apportent pas non plus beaucoup de
lumière sur l'économie rurale. Détails plus brefs encore dans R. SÉDILLOT, 1987 pp.
149-174 (pessimiste) et F. Hincker, 1988 (optimiste). Voir aussi le débat demeuré sans
conclusion dans La Révolution française et le monde rural, 1989, pp. 199-231 avec une
contribution de M. Morineau. La synthèse la plus récente se trouve dans un remarquable
essai de G. Postel-Vinay, 1989, pp. 1015-1045. Nous sommes d'accord avec la plupart
des conclusions de cet article tout en restant plus pessimistes quant à la croissance de la
production céréalière et animale.

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2. La production céréalière

Quelle était donc la performance, en terme de production, de


l'économie rurale ? Bien sûr, personne ne le sait, puisqu'on ne peut se
fier à aucun des états rudimentaires de récoltes dressés entre 1789 et
1799. Ceux des ans II et V sont particulièrement douteux. On avait craint,
avec raison, qu'ils n'annoncent des réquisitions. Mais il subsiste pour la
période du Consulat et de l'Empire les restes d'une assez large
documentation, celle que Montalivet avait manipulée et Chaptal, bâclée
pour leurs synthèses. Elle fait partie d'une masse de statistiques recueillie
à une époque où le Ministère de l'Intérieur voulait enfin renouer avec les
traditions de l'« arithmétique politique » et les tentatives de comptabilité
nationale, qui avaient commencé à poindre sous l'Ancien Régime.

C'est ainsi que, de 1800 à 1813, on demanda aux préfets de se


renseigner sur la plupart des productions agricoles. J.-Cl. Perrot et
S. Woolf n ont finement raconté l'histoire de cette grande aventure
scientifique. Parmi ces enquêtes, la plus régulière et la mieux établie fut
celle qui est menée, chaque année, sur les apparences et les résultats, des
récoltes céréalières. Initialement, les préfets étaient tenus, dans leur bilan
final de l'automne, d'indiquer le montant, ou la fraction, de la production
de céréales destinées à la consommation humaine qui dépassaient la
récolte d'une « année commune ». À partir de septembre 1802, on leur
enjoignit de fournir le total de la production de ces mêmes céréales. Les
préfets y ajoutaient souvent le détail des différentes céréales récoltées.
Les estimations étaient faites au niveau des communes et des cantons 12 ;
les réponses sont virtuellement complètes pour chaque département pour
la période 1810-1813 13. En 1813, l'administration centrale élargit sa
définition de la récolte afin d'y inclure tous les produits alimentaires,
notamment l'avoine, les châtaignes et les pommes de terre (ces deux
dernières productions étant converties en leur équivalent-céréale). Le
Ministère garda un exemplaire de l'intégralité des réponses, ce qui
permet la reconstruction d'un résultat global pour le produit céréalier {Cf.

11. Perrot, J.-C. & Woolf, S., 1984 ; voir surtout S. Woolf, 1984, pp. 81-194, qui
dépasse largement l'ancienne étude d'O. Festy, 1956, pp. 43-59.
12. À en juger d'après les documents restants, on n'avait pas demandé à tous les
départements des détails complets ou du moins les préfets n'ont pas tous suivi les
directions ministérielles avant 1810. À partir de 1812, les chiffres sont liés à la superficie
cultivée, une pratique qui continuera sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. En
1812, les préfets suivirent l'ancienne formule pour leurs estimations de la récolte à
remettre au Ministère de l'Intérieur et la nouvelle formule pour celles destinées au
Ministère du Commerce et de l'Industrie ; pourtant, les résultats sont semblables. En
1813, on a envoyé les deux types de résultats au Ministère de l'Intérieur.
13. A.N., F 252 ; on trouvera les matériaux préparatoires dans F10 254.

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tableau 1) 14. On peut aussi lier ce chiffre à ceux, publiés sous un format
virtuellement identique, de la Statistique générale de la France pour la
période postérieure à 1815 (Cf. tableau 3) 15.
Les années 1810-1813 nous fournissent ainsi la première statistique
de l'ensemble de la récolte céréalière depuis 1789, voire la première
statistique globale sérieuse jamais produite. Elle indique une production
annuelle moyenne de 107,1 millions d'hectolitres de céréales pour la
consommation humaine, pendant ces quatre années, à l'intérieur des
frontières de 1815 16.
Tableau 1. Production de céréales pour la consommation humaine 1810-1813

Années Hectolitres Quintaux


1810 98 845 554 65 238 066
1811 86 085 983 56 816 729
1812 119 942185 79 161 842
1813 125 549 337 82 862 562
Moyenne 107 056 871 70 657 535
Source. A.N., F10 252.

Quelle fut la représentativité de ces quatre années ? Nous avons créé,


à partir des réponses aux enquêtes annuelles, un indice très provisoire de
la production de froment, de seigle et de méteil dans dix-sept
départements. On peut le comparer à d'autres indicateurs, portant
malheureusement sur la géométrie très variable du territoire français à cette

14. Production totale selon les nouveaux critères dans la France des frontières de
1815 : 157 984 711 hl., mais ce chiffre ne comprend pas la production des départements
des Ardennes, de l'Ariège, de la Côte-d'Or, de la Haute-Marne, de la Meurthe-et-
Moselle, du Nord et des Pyrénées-Atlantiques, dont les données manquent, sans doute à
cause de la menace d'invasion par les Alliés à la fin de 1813. En revanche, il rend compte,
fait nouveau, des grains nécessaires aux animaux domestiques, et de la production de
bière et d'autres boissons alcoolisés. Il faut donc augmenter ce total afin de tenir compte
des départements qui n'avaient pas répondu, et ensuite le réduire pour en exclure les
nouvelles catégories d'aliments. Nous avons fait ce dernier calcul à partir des proportions
qui résultent des chiffres de consommation pour 1821-1825 et qui figurent dans les
Archives statistiques du Ministère des Travaux Publics, de l'Agriculture et du
Commerce, Paris, 1837, pp. 132-133. Les chiffres qui suivent indiquent le pourcentage de
chaque espèce de grains nécessaire à l'alimentation humaine et à la semence : froment,
99,6 ; méteil, 99,2 ; seigle, 98,3 ; sarrasin, 68,0 ; blé noir, 85,6 ; maïs et millet, 83,7 ;
orge, 10,9 ; légumes secs, 82,2 ; autres légumes, 28,4. Quant aux pommes de terre, nous
avons calculé la consommation humaine sur la base de la moitié de la récolte.
15. Cf. A. Chabert, 1949, pp. 50-54, qui nie (à tort) la possibilité de lier les
statistiques napoléoniennes à celles de la Restauration.
16. Chabert, A., 1949, p. 52, produit un chiffre pour la récolte de 1805, mais pour
tout l'Empire, à partir des estimations des préfets de la différence entre la production
d'une vague « année commune » et celle de l'année courante.

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époque : des statistiques des surplus et déficits des céréales destinées à la


consommation humaine, des chiffres d'exportation et d'importation, des
prix nationaux qui donnent au moins quelques notions des variations
annuelles de la production et des besoins (Cf. tableau 2) 17.

Ces mouvements semblent conformes à ce que l'on croit avoir été la


conjoncture sous le Consulat et l'Empire : des récoltes insuffisantes ou
médiocres en 1800-1803, suivies de plusieurs bonnes années,
interrompues cependant par les médiocres ou mauvaises années 1806, 1809, 1810
et 1811 (Cf. tableau 2). On considéra l'année 1812 comme bonne, et celle
de 1813 comme excellente. Cependant, les variations climatiques et le
poids relatif dans chaque département des céréales d'hiver et de
printemps occasionnèrent, et c'est normal, des variations régionales
assez considérables. Les données qui composent notre indice laissent
supposer une moyenne de production céréalière un peu plus élevée
pendant les années 1804-1809, que pendant les années 1810-1813, mais
elles ignorent ou sont trop fragmentaires pour les années 1800-1803. Si
nous avions pu inclure les premières années du Consulat dans notre
indice, le niveau moyen des années 1810-1813 aurait sans doute
comparable à la moyenne de la décennie 1800-1809 serait sans doute
comparable 18. La Statistique de la France laisse deviner un niveau

17. Indices de la production établis d'après les statistiques des A.D. Eure, 7M 3, 7M
4 ; A.D. Eure-et-Loir, 7M 5, 7M 6 ; A.D. Seine-Maritime, 6M 1223-7 ; A.D. Yvelines
(anciennement Seine-et-Oise), 13M 1 ; A.D. Oise, M (série non classée, 1810-1813) ;
Durand, R., 1927, pp. 38-41, pour les Côtes-du-Nord ; A.N., F10 252, F11 454, 456-7,
462-3, 465-7 pour les départements suivants : Aisne, Ardèche, Charente, Côtes-du-Nord,
Eure, Eure-et-Loir, Mayenne, Nièvre, Oise, Seine-Inférieure, Seine-et-Marne, Seine-et-
Oise, Deux-Sèvres, Somme, Vendée, Haute- Vienne et Yonne. Nous avons inclus l'orge
dans la consommation humaine dans les chiffres des départements suivants : Eure,
Eure-et-Loir et Seine-et-Marne. Dans le cas de plusieurs départements, pour les
premières années de notre série, nos chiffres proviennent des statistiques de la production
nette, à laquelle nous avons ajouté une estimation de la semence tirée des quantités
ensemencés en 1812, selon les rapports de 1813. L'excédent de la récolte pour tout le
territoire sous domination française se trouve dans A.N., AFIV 1058 : Ministère de
l'Intérieur. Le résultat des tableaux de la situation des récoltes en grain de la France dans
les huit années qui ont précédé 1810, [18 juin 1810] qui comprend l'excédent en grain
des années antérieures. Pour les chiffres des années 1810-1813 : A.N., F10 252, avec le
bilan de 1813 réduit comme dans le Tableau 1 ci-dessus. Une analyse serrée des
documents laisse croire que la gamme des céréales considérées comme propres à la
consommation humaine a été élargie au cours de cette période mais au moins notre source
reflète-t-elle le sens des variations d'une année à l'autre. Le bilan des exportations se
trouve dans C.-A. COSTAZ, 1843, II, p. 60 mais se trouvent des chiffres légèrement
différents dans A.N., AFIV 1058, Résumé des tableaux... Le prix du froment estimé de
E. Labrousse, R. Romano, F.-G. Dreyfus, 1970, pp. 9-10.
18. Sur les variations annuelles, voir aussi les remarques des préfets dans les sources
citées dans la note 17. Notre indice minimise l'apport à la production totale des grands
départements céréaliers tels l'Eure et l'Eure-et-Loir, dont la production était moins forte
que la moyenne dans les années antérieures à 1810. D'ailleurs, nous avons incorporé dans
cet indice une généreuse estimation des grains ensemencés, tirée de la récolte de 1813,

87
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

similaire pendant la période 1815-25. De ce fait, toute la période allant


de 1799 aux alentours de 1825 donne l'impression d'une longue phase de
stagnation avant le démarrage de la fin des années 1820 {Cf. tableaux 2
et 3). Bien qu'il n'existe pas de documentation d'ordre
macroéconomique pour la période 1791-1799, il est difficile de croire qu'une
période d'une telle instabilité ait permis de produire davantage de
manière régulière. Les récoltes depuis l'automne 1795 jusqu'en 1799
furent probablement suffisantes, mais celle de 1794 avait été
catastrophique et les résultats des années antérieures furent considérés comme
insuffisants 19.

Tableau 2. Quelques indications de la production céréalière 1800-1813

(1) (3) (4)


Production Excédents(2)de céréales Balance Prix du
de froment, destinées à la du commerce froment
Années méteil, seigle consommation céréalier dans en France
(17 départements humaine l'Empire (1813 = 100)
français) dans l'Empire (milliers de
(1813 = 100) (millions d'hl) quintaux métriques)
1800 82(1)* — 381,8 90
1801 74(2) - 20,2 100
1802 103(4) -11,9 - 956,6 112
1803 137(1) 1,2 - 137,4 104
1804 87(7) 9,3 307,5 83
1805 107(5) 6,3 922,3 87
1806 83(15) 2,0 107,7 86
1807 104(11) 7,8 257,9 84
1808 126(7) 22,6 554,9 73
1809 83(2) 18,8 503,0 66
1810 75(6) -2,9 887,4 87
1811 66(6) -13,9 -981,6 116
1812 88(17) 7,6 -1364 153
1813 100(17) ~ - 572,0 100
* Entre parenthèses : nombre de départements pour lesquels nous avons des
renseignements. Source : cf. note 17.

pour les départements n'ayant pas fourni le produit net de la récolte avant 1808. Il faut
ajouter qu'il y avait probablement une tendance croissante pendant cette période à
cultiver des céréales d'appoint et des pommes de terre aux dépens des céréales
« nobles ». Tous éléments qui aboutissent sans doute à une surestimation du volume des
récoltes antérieures par rapport à celles de 1810-1813.
19. Schnerb, R., 1934, pp. 27-49 ; Merley, J., 1974, pp. 288, 294-295 ; FoURAS-
tté, J., 1956, pp. 1-10.

88
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

II semble possible de conclure que le niveau des années 1810-13


représente une bonne moyenne pour la période révolutionnaire et
impériale. Un autre indicateur, provenant des baux ruraux, semble
confirmer cette hypothèse, comme nous le verrons bientôt.

Tableau 3. Indices des récoltes


pour certaines denrées 1813-1831 (1813 =100)

Froment, Céréales Pommes


méteilySeigle (tousgenres) déterre
1813 100 100 100
1814 - - -
1815 73 81 94
1816 79 84 112
1817 86 94 207
1818 94 85 127
1819 - - -
1820 85 97 177
1821 107 110 187
1822 94 96 180
1823 50 76 195
1824 110 112 203
1825 106 101 -
1826 108 106 -
1827 102 104 -
1828 107 109 -
1829 116 114 237
1830 96 111 239
1831 101 116 287

Source : Ministère de l'Agriculture. Direction de l'Agriculture. Bureau des Subsistances,


Récoltes des céréales et des pommes de terre de 1815 à 1876,
Paris, 1878 ;A.N., F10 252.

Peut-on comparer cette production moyenne de 70,7 millions de


quintaux aux niveaux des années 1780 ? Selon J.-C. Toutain, la France
avait atteint une production de l'ordre de 85 millions de quintaux de
céréales panifiables pendant la décennie 1781-1790 20 ce qui laisserait
une bien piètre impression pour les récoltes de la fin de l'Empire et
laisserait supposer un déclin absolu de la production céréalière pendant
une époque de croissance démographique, en dépit de la stabilité et de

20. Toutain, J.-C, 1961, pp. 77-88.

89
Histoire & Mesure, 1999, XIV-J/2

l'expansion économique que l'on attache à ce régime. À en croire une


estimation de l'« année commune des récoltes en grains de toutes
espèces d'après les recherches faites par l'abbé d'Expilly », le tableau
serait plus sombre encore, avec une récolte normale, aux environs de
1763, de 90,6 millions de quintaux 21. Dupont de Nemours, Tolosan et
Lavoisier avaient proposé, il est vrai, des chiffres moins élevés de la
production et des besoins de la fin de l'Ancien Régime, mais leurs
calculs sous-estiment la population, la situant autour de 25 millions, au
lieu des 28 millions couramment admis de nos jours. En tenant compte
de ce total de 28 millions, J.-C. Perrot propose une rectification qui nous
donnerait une fourchette de 73 à 77 millions de quintaux pour les années
1780, tout en nous rappelant que les contemporains de Lavoisier,
pourtant plus optimiste que Dupont et Tolosan, considéraient qu'il
tendait à pêcher par défaut dans ses supputations 22.

De toute façon, l'ensemble de ces estimations pour les années 1780


semblent dans l'ensemble converger : si on les accepte, il faut conclure
que la performance des dernières années impériales aurait été à peine
égale à celle suggérée par les comptes les plus optimistes des adeptes de
l'« arithmétique politique » des années 1780. Ou, si l'on préfère les
calculs plus généreux de Toutain pour la même période, la production
céréalière de l'Empire finissant serait en déclin par rapport aux niveaux
pré-révolutionnaires. Même si les années d'avant 1810 avaient connu
une production légèrement plus ample, la conclusion n'en serait guère
modifiée.

Il semble que cette stagnation de l'offre ne fut pas compensée par


une contraction des exportations. Les exportations de céréales et de
farine, qui avaient été assez régulières durant les dernières décennies de
l'Ancien Régime, et après 1815, notamment à destination de la péninsule
ibérique, à partir des ports du Ponant vers les Antilles, furent, il est vrai,
souvent interrompues entre 1792 et 1815. Mais l'exportation nette
(c'est-à-dire déduction faite des importations) ne fut jamais considérable,
représentant sans doute moins de 1 % de la production totale 23. La
population, quant à elle, augmenta plus rapidement sous le Consulat et

21. A.N., M 785, pièce 36 : État actuel de la population de la France en 1763.


Cadastre de France. Année commune des Récoltes en grains de toutes espèces d'après les
recherches faites par l'abbé d'Expilly.
22. Voir le résumé pratique de J.-Cl. Perrot dans l'introduction à sa réédition de
A.J. Lavoisier, 1988, pp. 129 et 182-185.
23. Exportations dans C.-A. Costaz, 1843, II, p. 60 ; pour la direction des flux avant
1789, voir Bibliothèque municipale de Rouen, MS Montbret 155, 849 ; A.N., F12
242-251.

90
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

l'Empire que pendant la Révolution 24. La hausse des prix des grains
trahit les tensions de l'offre, et ce malgré l'absence de milliers de jeunes
gens qui, au sein des armées de la Grande Nation, consommaient la
production des pays occupés. (Cf. tableau 4).

Tableau 4. Prix du froment, de la viande, du vin (base 1776-89 = 100)

Années Froment Bœuf Veau Mouton Porc Vin


1776-1789 100 100 100 100 100 100
1801-1805 148 117 113 125 148 162
1806-1810 120 122 115 126 135 171
1811-1815 163 125 123 137 152 218
1816-1820 171 138 136 150 179 277
1821-1825 157 130 130 147 170 238
Sources : Prix du froment : prix nationaux dans E. Labrousse, R. Romano & F-
G. Dreyfus, 1970, pp. 9-10 ; viande et vin : prix à Strasbourg selon A. Hanauer, 1878,
pp. 192-193, 337-338 (quelques vides comblés pour les années 1776-1789 par
interpolation à partir des prix à Mulhouse). Pour le vin, nous avons utilisé le prix du Châtenois
ordinaire nouveau.

La période ne connut qu'une seule véritable crise de subsistance,


celle de 1794-95, bien que les années 1801-03 et 1810-11 aient été très
maigres. Il semble que l'on s'en tira alors de la même façon que pendant
les mauvaises années de l'Ancien Régime, en consommant des céréales
qui, en temps normal, auraient servi à l'alimentation des animaux
domestiques. C'est ainsi qu'en 1811, le préfet de l'Oise expliqua que « si
la cherté du blé se soutient [les orges] entreront au moins pour l/6e...
dans les fabrications du pain de la classe indigente des campagnes et
contribueront d'autant à remplir le déficit en blé » 25. Selon certains,
l'extension de la culture de la pomme de terre pendant ces années aurait
compensé la stagnation des céréales ; c'est ainsi que G. Postel- Vinay
prétend que vers 1820, la pomme de terre « fournissait de 25 à 30 % de
l'équivalent calorique de la récolte de blé » 26. Constatation exacte, mais
pouvant prêter à confusion : l'équivalent calorique de la production de
pommes de terre, même à cette date tardive, n'atteignait qu'environ 7 %

24. Population totale dans les frontières de la France actuelle : 28,6 millions en
1790; 29,1 millions en 1800; 29,5 millions en 1805; 30,6 millions en 1816 selon
J. Dupâquier et al., 1988, Ш, pp. 67-70 et 123.
25. A.D. Oise, M (série non classée), Questions adressées à Mr. le préfet..., 2 octobre
1811.
26. Postel-Vinay, G., 1989, p. 1022.

91
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

du total de la récolte céréalière, et, en 1813, seulement 1 ou 2 % 27.


Comme l'a compris M. Morineau, les quelques progrès enregistrés dans
la production de la pomme de terre n'ont pu en réalité constituer qu'un
simple remplacement d'autres cultures de substitution, telles que l'orge
et l'avoine 28. On garde l'impression que ces résultats furent très
modestes.

3. De l'élevage à la viticulture

Cette performance apparemment peu reluisante de l'économie


céréalière fut-elle compensée par un transfert de ressources vers l'élevage ?
Le mouvement des prix (Cf. tableau 4) et les réquisitions répétées de
bétail par le gouvernement ne semblent pas avoir favorisé une telle
transformation, du moins pas avant le tournant du siècle. Une enquête
gouvernementale sur la population bovine 29, menée entre 1809 et 1813,
donne les chiffres suivants pour la France dans ses frontières d'après
1815 : 30

Tableau 5. Population bovine en 1813 (frontières de 1816)

Millions
Bœufs 1,72
Vaches 4,05
Tous bovins 7,88

Source: A.N., F10 510.

À comparer ces données à la situation d'avant 1789, il paraît que le


total cité par Expilly et Lavoisier, situé entre 7,1 et 7,9 millions de

27. En 1813, la récolte de pommes de terre était quelque peu inférieure à 23 millions
d'hectolitres tandis que celle de céréales dépassait les 163 millions. D'un point de vue
calorique, les pommes de terre ne représentaient que 1 % ou 2 % de la récolte entière de
céréales. Voir A.N., F10 252 et Ministère de l'Agriculture. Bureau des Subsistances,
Récoltes des céréales et des pommes de terre de 1815 à 1876, Paris, 1878. On trouvera
les équivalents en calories dans C. Chatfield, 1949, pp. 8-11.
28. Morineau, M., 1970, pp. 1767-85.
29. A.N., F10 510 : Ministère de l'Intérieur. Recensement des bêtes à cornes.
Circulaire du 11 mars 1809. Voir aussi A.N., F20 103 et F20 403. Une autre version de ce
document, apparemment rédigé plus tôt, est reproduite par M. Baudot, 1970, I,
pp. 51-68 ; mêmes données avec des variantes dans J.-P. Bachasson DE Montalivet,
1813, pp. 41-42, tableau 22 ; et (sans chiffres pour les veaux) dans J.-A. Chaptal, 1819,
p. 197. Voir aussi M. Block, 1850.
30. Lavoisier, A.-!., (éd. J.-C. Perrot), 1988, pp. 185- 90.

92
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

bovins, toutes espèces confondues, n'indique aucun changement par


rapport à notre chiffre de 7,9 millions pour les années 1809-1813.
Lavoisier fournit aussi des statistiques pour les seuls bœufs et vaches :
3,09 millions de bœufs avant 1789, par rapport à un chiffre de 1,7
millions en 1813 et 4 millions de vaches à comparer aux 4,05 millions en
1813. Montalivet, il est vrai, vante les progrès accomplis dans
l'intervalle... mais n'y parvient qu'en comparant les exportations de tout
l'Empire à celle de la seule France d'avant 1789 31. Excluant ce
témoignage douteux, nous voici face à un tableau assez terne. Lavoisier
et Expilly ont-ils pu surestimer les chiffres de la période antérieure à
1789 ? Une enquête de l'an III (1794-1795) nous fournit un début de
réponse : il y aurait eu alors un total de 8,7 millions de « bêtes à cornes »,
soit 0,9 million de plus qu'en 1809-1813. Pourtant les propriétaires de
bestiaux avaient grand avantage alors à minimiser la taille de leurs
troupeaux pour échapper aux réquisitions. Ces comparaisons donnent
quelque fondement à l'idée, généralement admise, que la Révolution et
ses réquisitions avaient eu des effets néfastes sur l'élevage32.

Des impressions semblables ressortent des quelques statistiques


disponibles sur l'élevage ovin pendant ces années. Regardons d'abord la
situation en fin de période : une enquête préparée pour Montalivet et
fondée sur les données de 1809-1811 fixa le troupeau national à
25,5 millions 33, mais une version ultérieure de ces résultats par
département, utilisée sous forme d'agrégats régionaux par Montalivet dans son
rapport imprimé, donne un total de 27,3 millions d'ovins pour les
départements français. Remarquons que les données de Montalivet sont
supérieures à celles des inspecteurs dans tous les cas sauf un ; il est vrai
que Montalivet a pu bénéficier de renseignements complémentaires qui
nous manquent 34. Chaptal reproduit des chiffres provenant de la même
enquête, qui représentent en réalité la production lainière : une tonte
nationale de 35,2 millions de kg ; Toutain, se fondant apparemment sur
un lapsus situé plus bas dans le texte de Chaptal, estima la population

31. Bachasson de Montalivet, J.-R, 1813, p. 12.


32. A.N., F10 500. On peut aussi comparer les résultats de l'enquête de 1813 avec
les statistiques que douze départements envoyèrent à Paris pour la même enquête de l'an
III. Sept des douze départements en question avaient plus de bovins en 1794-1795 qu'ils
n'en avaient en 1813. Pour les douze départements pris ensemble, il y avaient une perte
de 14,4 % de la population bovine entre les deux dates ; voir M. Baudot, 1970.
33. A.N., F 534 : Travail demandé par Son Excellence concernant les tournées
d'inspection pour les dépôts de mérinos et la statistique des bêtes à laine [1812].
34. A.N., F20 103 : Bêtes à Laine. Recensement des Bêtes à laine et de la récolte de
laines. Bachasson de Montalivet, J.-P, 1813, pp. 32-35 ; ces chiffres sont acceptés par
J.-C. Toutain. Au contraire des chiffres de la récolte des céréales, l'augmentation
enregistrée dans ces deux documents par rapport aux résultats dans F20 534 cité plus haut
varie d'une région à une autre ; ces informations peuvent donc être authentiques.

93
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

ovine à ce chiffre. De toute façon, Montalivet avait augmenté


abusivement ses statistiques de la production lainière, qui faillirent dépasser
d'un tiers celles de Chaptal 35. Comble de l'imprécision, Toutain cite le
chiffre, fourni par Herbin, d'une population ovine de 30,3 millions en
1803 sans se rendre compte qu'il faisait référence, non seulement à la
France, mais aussi à toutes les territoires annexés 36. Cette confusion
s'est trouvée fatalement perpétuée dans des ouvrages de vulgarisation 37.
Plus tard, après un certain progrès de l'élevage, les statistiques officielles
de 1830 et 1836 indiquent seulement une population de 29 millions et
32 millions d'ovins respectivement. Tout ceci rend plausible une
estimation de 25,5 millions à 27,3 millions d'ovins pour la fin de l'Empire 38.

Si cette estimation de 26 à 27 millions d'ovins pour la fin de


l'Empire n'est pas trop exagérée, et si celle de Lavoisier de 20 millions
pour 1789 est correcte, il y aurait eu progrès. Mais Toutain a
probablement raison de croire qu'on avait sous-estimé le parc national d'avant
1789 (l'abbé Expilly n'avait pas craint de parler de 32 millions en 1778).
Une enquête de 1794, citée par Peuchet et menée à un moment où les
paysans avaient tout intérêt à cacher leurs bêtes, indiquait déjà un total de
24,3 millions de bêtes 39, soit à peu près le niveau de 1809-1811. Ce
chiffre de 24,3 millions pourrait provenir d'une version de l'enquête de
l'an III, qui dénombra 22,5 millions de « moutons et brebis » 40. Tout
comme chez les bovins, il a pu y avoir autant, sinon davantage d'ovins
en 1794-1795 (et sans doute en 1789 aussi) qu'à la fin de l'Empire.
La viticulture nous fournit un tableau plus réjouissant. Sa production
aurait probablement augmenté quelque peu durant la période 1786-1815.
L'abolition momentanée des aides et l'augmentation du nombre des
hommes sous les drapeaux auraient accru la demande de vins ordinaires,
destinés soit à la consommation courante, soit à la distillation. Cette
augmentation aurait compensé la perte, du moins en volume, des parts de
marchés d'exportation réservées aux vins fins ; et la réimposition des
droits sur les boissons en 1804 n'avait pas, semble-t-il, diminué la soif
nouvelle du consommateur français. Les moyennes du volume de la

35. Bachasson de Montalivet, J.-R, 1813 et J.-A. Chaptal, 1819, 1, pp. 179 et
222.
36. Herbin, P.E., an XII/1803, p. 289.
37. Par exemple, R. Haurez-Peuch, 1987, pp. 40-49 ; G. Lemarchand, 1983,
p. 238 ; voir aussi G. Postel-Vinay, 1989, p. 1028, qui est trop optimiste.
38. Chaptal, J.-A., 1819, 1, p. 179 ; Toutain, J.-C, 1961, pp. 169-170.
39. Peuchet, J., 1805, p. 42.
40. A.N., F10 500. Les tableaux complets fournis par les douze départements (voir
O. FESTY, 1941-1946) en réponse au questionnaire de l'an III montrent une grande
stabilité entre 1794-1795 et les résultats de l'enquête de 1809-1811 (pour moutons et
brebis).

94
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

production disponibles (pour 1786-1788, 1805-1808, 1810, 1812 et


1823-1841) font un bond assez spectaculaire pendant la génération
révolutionnaire, passant de 27,2 millions ď hi/an à la veille de la
Révolution à 36,8 millions d'hl/an en 1805-1812, ce dernier niveau étant
assez comparable à celui retrouvé en 1823-1841. Mais des réserves
s'imposent ici. Les années 1786-1788 marquent la fin d'une longue crise
viticole et furent « à peine moyennes ». La capacité normale du vignoble
français d'avant 1789 fut sans doute plus considérable. En deuxième lieu,
la production viticole est notoirement volatile. Une mesure sans doute
plus stable du véritable état de ce secteur est la surface totale en culture,
qui n'augmenta que modérément entre 1788 et 1808, passant de
1,58 millions à 1,68 millions d'ha (soit une hausse de 6 %), pour monter
par la suite à 1,74 millions d'ha en 1824. Cette relative lenteur fut sans
doute le résultat de grands investissements accomplis par les générations
d'avant 1789. Des temps plus favorables, une demande accrue, peut-être
l'introduction de la chaptalisation, ont pu finalement les rentabiliser41.

4. Le témoignage des baux

À en croire les indicateurs macro-économiques, seul le secteur


viticole aurait montré quelques signes de dynamisme dans une économie
rurale stagnante à la fin de l'Empire. Un examen des sources
microéconomiques, plus disparates, tend aux mêmes conclusions. Prenons par
exemple les comptes et baux de métayage, que l'on retrouve de temps en
temps au fil des recherches ; source évidemment moins signifiante que
les données globales de production, mais ayant le mérite d'une grande
précision.
Voyez par exemple le domaine d'Hauterive, dans la Mayenne, dont
les dimensions restèrent inchangées des années 1730 jusqu'au début de
ce siècle, et dont le taux de prélèvement resta stable pendant toute la
Révolution et Empire. À l'exception d'un intervalle allant de 1794 à
1797, lorsque son propriétaire Berset d'Hauterive fut incarcéré comme
suspect pendant la Terreur et la Chouannerie, nous pouvons reconstituer
directement les aléas de sa production. Notons, en premier lieu, que
Berset n'hésita pas à prendre pour lui-même toute la ci-devant dîme
ecclésiastique, ce qui confirme une position que nous avons défendue

41. Lachiver, M., 1988, pp. 368-393. Sur la consommation grandissante des
spiritueux, voir, inter alia, M. MARION, 1919, II, pp. 95-98. Sur la croissance de
l'investissement dans le vignoble après 1760, voir E. Labrousse, 1944.

95
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

ailleurs 42. Mais, après l'intégration de cette aubaine dans ses comptes, sa
part de la récolte en grains oscillait entre d'étroites limites. En effet, sa
récolte de 2 600 boisseaux (mesure de Laval) en 1792 représente un
record qui ne fut même pas dépassé dans les conditions plus stables de
l'Empire, où les récoltes fluctuaient entre 1 500 et 2 300 boisseaux. Ce ne
fut qu'après 1830 que le plafond de 2 300 boisseaux fut crevé, pour
atteindre des récoltes de 3 000 boisseaux 43.

Passons en Île-de-France. La métairie de Villeroy, possédée par


l'hôpital de Sens, avait gardé les mêmes dimensions depuis le début du
XVIIe siècle jusqu'aux années 1850, voire au-delà. Entre 1777 et 1796,
l'hôpital y gagna 23,4 hl de froment et 32,8 de seigle, plus 6 paires de
pigeons ; le nouveau bail de 1796 fut amputé de 3 hl de seigle et des
pigeons, mais on y ajouta 176 lt en espèces ; ici encore, c'est le
propriétaire qui garda la dîme. En 1820, la stabilisation du franc ayant
fait ses preuves, ses administrateurs ajustèrent le bail à 30 hl,
abandonnant les espèces 44. Bref, rien ne changea.

En Poitou, le tenancier de la métairie de Varennes (arrondissement


de Châtellerault) versa, à la veille de la Révolution, environ 100
boisseaux de seigle plus quelques éléments accessoires (bois à brûler,
poulets, capons, œufs) au curé, pour sa dîme, et au propriétaire, M. de
Marans, comme loyer. Lors du bail suivant, signé en 1798, Marans prit
non seulement la dîme du curé, mais doubla les charges du métayer, qui
dut payer désormais 200 boisseaux de seigle comme redevance fixe en
nature, plus quelques contributions accessoires. Le métayer, il est vrai,
n'avait plus à livrer la part du curé jusqu'au presbytère ; mais il est
évident que le propriétaire fit preuve ici de quelque âpreté au gain. Peine
perdue ! Lors du bail suivant, signé en 1806 par un nouveau métayer,
Marans dut rabaisser ses exigences, revenant au niveau de 1789, avec
une redevance fixe de 100 boisseaux. Seul gain de Marans : il ne
partageait plus le surplus avec son curé 45.

On peut utiliser les baux en nature pour estimer les progrès de la


production, de manière indirecte et avec une marge d'erreur plus
considérable. Comme Га fait remarquer J.-P. Chaline, la hausse des baux
suit d'assez près celle des prix pendant cette période, mais réagit moins

42. Le Goff, T.J.A. & Sutherland, D.M.G., 1983, pp. 65-87 ; 1984, pp. 123-146 ;
cf. l'opinion contraire de RM. Jones, 1988, pp. 98-100.
43. A.D. Mayenne, 179J 27, 62, 64-65 : Chartier d'Hauterive.
44. Lallier, F., 1858, surtout pp. 42-43.
45. Massé, P., 1956, pp. 125-31. Après 1812, les baux exigeaient une proportion fixe
de la récolte, d'où la difficulté d'estimer exactement ce que le propriétaire recevait du
fermier après cette date.

96
Tim J.A. Le Goff & Donald M. G. Sutherland

vite à leur retombée, à cause de leur durée, normalement de 6 à 9 ans 46.


J.-J. Clère a analysé la comptabilité de l'hôpital de Langres (Haute-
Marne) où l'habitude était d'exiger des loyers en nature. Sur trois des
fermes dont les chiffres remontent jusqu'en 1789 et se prolongent
pendant toute la période, les loyers, en 1809, avaient subi une hausse de
15 % à 18 % : avance imputable sans doute à l'abolition de la dîme,
peut-être aussi à celle du champart, assez répandu dans cette région avant
1789 47. Nous avons calculé un indice (Cf. tableau 6) pour un ensemble
plus considérable de 41 baux, accordés par le même hôpital. Les
éléments pour les années 1790-1792 sont malheureusement trop minces,
mais, plus abondants à partir de 1793, ils permettent de constater les
limites de l'expansion accomplie après l'intégration de la dîme et du
champart dans les baux. Pendant la période 1793-1820, les valeurs
locatives n'ont oscillé que de quelques unités en pourcentage, s' orientant
plutôt à la baisse après 1803.

Tableau 6. Baux en nature, Hôpital de Langres, Haute-Marne


(base 1816 = 100)

Année Indice Année Indice Année Indice


1790 79 1800 111 1810 106
1791 88 1801 112 1811 104
1792 92 1802 113 1812 104
1793 99 1803 114 1813 106
1794 99 1804 112 1814 105
1795 98 1805 111 1815 101
1796 102 1806 110 1816 100
1797 106 1807 108 1817 100
1798 110 1808 107 1818 98
1799 112 1809 106 1819 98

Source : J.-J. Clère, 1988, pp. 340-343


(tous les baux en nature, sauf les terrages et la ferme de Beauchemin).

L'hôpital de Blois exigea, également, des paiements en nature


depuis le début du dix-huitième siècle jusqu'au règne de Louis-Philippe.
En prenant le cas de trois fermes typiques, nous constatons une baisse de

46. Chaline, J.-R, 1968, pp. 185-202. Voir aussi les remarques méthodologiques de
С Gindin, 1982, pp. 1-34.
47. Clère, J.-J., 1988, pp. 340-343 : baux à Hortes, Beauchemin et Langres. Nous
avons réduit les chiffres à un indice commun (base 1790 = 100), en interpolant des
estimations des années 1799-1804 pour Beauchemin par régression loglinéaire.

97
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

8,8 % du loyer en froment, pour la période allant de 1790 à l'an XIII


[1804-1805], puis une hausse de 22,7 % entre l'an XIII et 1816. Au cours
de la période révolutionnaire, la hausse des baux fut assez modeste, de
l'ordre de 16 %, ce qui, en tenant compte de l'abolition de la dîme et des
droits féodaux, traduit sans doute une chute de la production, mais dans
des proportions difficiles à établir. Néanmoins, il ne faut pas s'apitoyer
outre mesure sur le sort des propriétaires blésois : la hausse de leurs
loyers, une fois ceux-ci convertis en argent, se révèle parmi les plus
élevées que nous ayons rencontrées : elle est de 65,5 % de 1790 jusqu'en
1816, de près de 50 % pour la seule période impériale48. Le décalage
pour le volume de la production et la valeur locative résulte sans doute
de la puissante demande en provenance des pays de la Loire, qui resta
soutenue pendant tout l'Empire en raison du blocus anglais puis, après la
paix de 1814-1815, de la révolution des transports fluviaux dans cette
région.

Année Indice Année Indice Année Indice Année Indice Année Indice
1790 100 1796 100 1802 115 1808 123 1814 124
1791 100 1797 100 1803 115 1809 123 1815 124
1792 100 1798 112 1804 115 1810 123 1816 127
1793 100 1799 114 1805 115 1811 123 1817 117
1794 100 1800 114 1806 115 1812 123
1795 100 1801 115 1807 115 1813 124

Dans la plupart des cas, des baux sont stipulés en argent. En 1893.
D. Zolla avait déjà étudié, plusieurs dizaines de baux en provenance
d'institutions hospitalières, et couvrant qui allait du XVIIe jusqu'au
XIXe siècle 49. À partir de son travail et de quelques autres monographies

48. AD, Loir-et-Cher, Hôpital de Blois, baux des métairies du Mairie, du Portail et
de Champoteau, В 142, 143, 160. Prix de 1790 à Blois en série P (non-classée), Tarif du
prix des grains et autres denrées, de l'an XIII à 1816 dans E. Labrousse, R. Romano &
EG. Dreyfus, 1970, p. 124.
49. Zolla, D., 1893, pp. 299-326, 439, 61, 686-705 ; 1894, pp. 194-216, 417-32, et
surtout, 1888, pp. 49-78. Voir aussi P.-C. Dubost, 1870a, pp. 329-351, 1870b, pp. 17-
37 ; F. Lallier, 1858. Notons que les revenus fonciers de l'hôpital du Mans n'ont
augmenté que de 16,5 % entre 1790 et 1816. Ce chiffre assez modeste s'explique en
partie par la vente de quatre fermes, onze bordages et quatre pièces de terre détachées
sous le régime de la loi du 23 messidor an nqui exigeait la vente des terres des institutions
hospitalières. Les administrateurs des hôpitaux firent opposition à cette loi un peu
partout. (A.D. Sarthe, Hôpital du Mans, HG 1159/1, « État des dotations de l'hospice
civil du Mans... », 20 juillet 1816). Nos chiffres diffèrent, et de loin, de ceux fournis par
l'hôpital. Selon les baux conservés dans les archives de l'hôpital, le loyer de trente et une
métairies avaient augmenté de 47,1 % entre 1790 et 1816 (/Wi/.,dossiers individuels des
fermes). La différence provient, sans doute, de la méthode adoptée par les administrateurs

98
Tim J.A. Le Goff & Donald M. G. Sutherland

de la même époque, nous avons établi les indices suivants pour les baux
en 1789 et en 1815 {Cf. tableau 7) 50 :

Tableau 7. La rente foncière en argent entre 1789 et 1815 : baux hospitaliers


(base 1789-90=100)

1789 1815
Indice Nouvel
Zolla indice
Hospice de Rouen (10 fermes près de Rouen) 100 136 140
Hospice du Mans :
- Arrt du Mans (19 fermes) 100 126 126
- Arrt. de La Flèche (4 fermes) 100 130 139
- Arrt. de St-Calais (3 fermes) 100 117 116
- Arrt. de Mamers (4 fermes) 100 136 131
- Arrt. de Mamers, Le Mans etc. (groupe
supplémentaire, 28 fermes) 100 124 132
- Dépt de la Mayenne (5 fermes) 100 92 95
Hospice de Sens (4 fermes) 100 159 165
Hospice de Bourg (Ain, 26 fermes) 100 100 100

Source : Cf. notes 48 et 49.

Quel fut donc le sens de l'évolution ? Selon D. Zolla, qui s'appuyait


sur les archives hospitalières de Rouen et du Mans, ainsi que sur
quelques autres monographies concernant Beauvais, Sens et la Seine-et-
Marne, une bonne moitié de la hausse datait de la décennie
révolutionnaire, 1789-1799, plus précisément de 1790-1792 51. Une telle
progression fut le résultat de la loi du 11 mars/ 10 avril 1791, qui prévoyait que
le propriétaire aurait le droit de prélever l'équivalent de la dîme pendant
la durée du bail en vigueur. En effet, Zolla n'eut pas de peine à démontrer
une correspondance assez étroite, dans la Sarthe, entre le degré de hausse
des baux et la proportion du loyer représentée par la dîme avant la

qui calculaient les paiements en nature et qui ne comptabilisaient que les paiements
vraiment reçus, et non pas ce qu'ils auraient dû recevoir selon les baux. En fait, l'hôpital
ne recevait qu'une partie de ses loyers, signe de difficulté pour les fermiers. En 1788, on
ne payait que 60 % des loyers des métairies ; en 1789, 55 % (Ibid., HG 113-14, Sommaire
des comptes).
50. Nos indices proviennent des pourcentages calculés par D. Zolla qui a
additionné les revenus des groupes de fermes. Nous présentons entre parenthèses un total que
nous avons recalculé, quand cela a été possible, à partir des indices de chaque ferme.
51. Voir surtout D. Zolla, 1888, pp. 50-1.

99
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

Révolution 52. Au fur et à mesure du renouvellement des baux, ces


redevances, comme, plus tard, les droits seigneuriaux abolis, furent
absorbées par les baux. Cependant, comme la plupart des baux étaient
stipulés en nature (ou, au plus fort de l'inflation, en équivalent-argent
d'une quantité fixe de produits), pour une période allant jusqu'à neuf ans,
il pouvait y avoir un décalage entre le loyer et la véritable valeur locative
de l'exploitation. Quant à l'évolution ultérieure, il apparaît que la hausse
initiale fut suivie d'un palier, voire d'un déclin pendant le Consulat et le
début de l'Empire, avant de remonter plus vigoureusement pendant les
dernières années de l'Empire (Cf. tableau 8).
Tableau 8. Évolution en détail des loyers en argent (baux hospitaliers)
(indice : 1789 = 100)

Localités Périodes
1789 1795-99 1799-1804 1804-1815
1er baux 2d baux
Région de Rouen 100 (10)* 125 (1)* 112(8)* 110 (5)* 140 (10)*
Arrt. du Mans 100 (19) 112 (130) 124 (11) - 126 (19)
Arrt. de La Flèche 100(4) - 116 (3) 139 (4)
Arrt. de Saint-Calais 100(3) 120 (10) 114 (2) 116 (3)
Arrt. de Mamers 100(4) 99(2) 110 (4) 131 (4)
Ens. des données Zolla 100 (40) 112(17) 117 (28) 110 (5) 131 (40)
Hospice de Bourg (Ain) 100 (26) 150 (26) 100 (26) 100 (26) 100 (26)
Prix du froment (France)** 100 107 125 101 137

* Nombre de baux entre parenthèses.


** Base : 1787-1791 = 100 pour les prix.
Source : cf. notes 48 et 49.
Cette compilation laisse supposer, dans la plupart des cas, une
hausse initiale allant de 12 % à 25 % entre 1789 et 1799, suivie d'une
longue période de quasi-stabilité, entrecoupée de rechutes épisodiques,
puis enfin une hausse finale, permettant sur l'ensemble de la période une
montée de l'ordre de 26 % à 40 %. Mais Zolla ne manqua pas de rappeler
que cette hausse résultait surtout de l'abolition de la dîme et des droits
seigneuriaux, de la hausse des prix, de la chute (présumée) des impôts,
et non de la croissance de la production.
Si Zolla avait pu démontrer la relation étroite entre le niveau de la
dîme et la hausse des baux vers 1790-1792, il demeure que le rapport
entre loyers et prix est moins facile à établir. Nous avons comparé la

52. Zolla, D., 1887, pp. 444-476.

100
Tim J.A. Le Goff & Donald M. G. Sutherland

moyenne nationale des prix céréaliers pendant les années 1787-1791,


avec celle des années de référence choisies par Zolla, puis avec la hausse
des baux (Cf. Tableau 8). Il en ressort que malgré le cadeau offert aux
propriétaires par l'abolition de la dîme et des droits seigneuriaux, les
baux n'ont jamais grimpé plus vite que la hausse des prix pendant cette
période, n'enregistrant que des avances temporaires en 1795-1799 et au
début de l'Empire. C'est là une conclusion plus pessimiste que celle de
Zolla lui-même, car elle indiquerait une baisse de la rente réelle et,
indirectement, de la production. En effet, une analyse des données
annuelles présentées par J.-P. Chaline laisse supposer que Zolla avait
raison de croire à une hausse effective, mais restreinte, du loyer réel
dans certaines régions favorisées 53. Un examen plus poussé des taux
de croissance de la valeur des baux et des prix céréaliers confirme

53. Chaline, J.-P., 1968. À rencontre de la plupart des baux pendant cette période,
ceux-ci ne préconisaient pas un retour aux paiements en nature pendant les années
d'instabilité monétaire. Ces données représentent un exemple extrême de la hausse des
loyers. Les fermes de l'hôpital de Rouen étaient situées dans une des régions les plus
riches de France, là où se produisaient les hausses les plus fortes retrouvées dans le
sondage très large mené par Zolla. Pendant la période 1790-1815, cette hausse dépassa
celle du prix des grains de 3 % à 22 %. Acceptons l'estimation tout à fait vraisemblable
de Zolla selon laquelle la dîme représentait l'équivalent de 10 % du prix du bail et
retranchons ce chiffre de la hausse constatée ; la hausse réelle, même dans cette région
riche, se réduit à un taux oscillant entre -7% et + 12%. En employant une régression
loglinéaire pour aligner la courbe des baux de l'hospice de Rouen sur celle du prix des
grains à l'échelle nationale, nous obtenons les valeurs du trend pour les prix et les baux
en 1790 et 1814 reproduites ci-dessous. Prix du froment tirés de E. Labrousse,
R. Romano et F.G. Dreyfus, 1970, pp. 9-10 avec estimations pour la période 1793-1796
de E. Labrousse, 1984, p. 105, que nous avons convertis en hectolitres. La variation des
prix par régions, que nous avons calculée, n'affecte que très peu les résultats pendant
cette période.

Durée des périodes


20 ans 25 ans 30 ans 25 ans 30 ans 35 ans
1785- 1785- 1785- 1790- 1790- 1790-
1814 1819 1824 1814 1819 1824
Prix (grains) : 128 132 114 118 126 126
Baux :
- Rouen I 131 137 149 130 138 155
- Rouen II 139 141 146 140 142 148
Différence (%) :
- Grain-Rouen I 3 5 35 12 12 49
- Grain-Rouen II 11 9 25 22 16 42

101
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

l'existence d'une montée initiale, pendant la période 1790-1799, qui


dépasse la hausse du prix des grains. Mais il confirme également la
stagnation du revenu du propriétaire à mi-chemin (1795-1804 ou
1795-1809) et, enfin, le boom de la fin de l'Empire et des débuts de la
Restauration, lorsque la montée accélérée des prix accentua la hausse des
loyers 54.
Il est vrai que nous raisonnons ici à partir des baux d'institutions
hospitalières, qui ont pu avoir une gestion plus conservatrice que les
autres propriétaires : encore faut-il tenir compte du fait que la loi
prescrivait leur mise aux enchères publiques, ce qui devait les inciter à
suivre la tendance courante du marché. Un recours aux baux privés est
malheureusement moins facile. La continuité des séries hospitalières y
manque souvent, et le risque d'y rencontrer des changements de surface
ou de ressources mises à la disposition du locataire est plus grand. Nous
avons rassemblé une série de onze baux qui fournissent à la fois une

54. Taux de croissance annuels (en %) du prix des grains et du montant des baux.

Période Prix (froment) Baux


France Rouen
(Chabert) (Chaline)
I II
1) Périodes de dix ans
1785-1794 2,6 — 1,4 1,3
1790-1799 0,6 — 2,2 1,9
1795-1804 1,1 — -0,9 -0,9
1800-1809 3,3 2,2 0,7 1,2
1805-1814 2,8 3,2 3,2 2,9
1810-1819 0,0 1,0 1,9 1,0
2) Périodes de quinze ans
1785-1799 1,4 — 1,8 1,6
1790-1804 1,2 — 0,6 0,9
1795-1809 1,2 — -0,1 0,7
1800-1814 0,2 2,8 2,1 2,2
1805-1819 2,5 2,2 2,8 2,2
1810-1824 3,0 3,2 1,8
3) Périodes de trente ans
1785-1814 1,1 1,1 1,4
1790-1819 1,0 1,4 1,4

102
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

illustration des problèmes du genre et une esquisse possible des


tendances dans le secteur « privé » (Cf. tableau 9).

C'est ainsi que le fermier du duc de Charost, dans le riche pays de


Caux, accepte en 1780 un loyer de 1 200 lt, puis, selon un bail de l'an IV,
ne donne au propriétaire que quelques produits en nature et un appoint de
travail entre 1795 et 1804, avant de payer 1 580 francs jusqu'en 1813, et
2 500 francs jusqu'en 1825. Hausse du loyer, certes, mais justifiée au
moins en partie par l'agrandissement de l'exploitation sans lequel les
revenus du duc auraient sans doute « collé » plus étroitement aux
moyennes établies par D. Zolla pour la région 55. Les prés de M. le duc
avaient connu une fortune différente. En 1784, il les loua 1 400 livres, en
1806: 1060 francs, en 1817: 2 100 francs. Longue dépression du
revenu et hausse à la fin ? Certes, mais la remontée fut due au moins en
partie à des améliorations 56.

Les autres baux du tableau 9 proviennent de six fermes du Pays de


Caux, deux grandes exploitations picardes et une petite parcelle du
Cotentin. On y remarque quelques hausses abruptes presque
certainement le produit d'améliorations, d'agrandissements ou d'arrangements
entre propriétaires et fermiers quant au paiement de l'impôt. Toujours
est-il que la hausse entre 1789 et l'Empire reste cependant du même
ordre de grandeur que celle qui est constatée par Zolla, et décrit la même
courbe : augmentation au début de la Révolution, chute après le
Directoire, remontée sous l'Empire 57.

55. A.D. Seine-Maritime, 7J 37, 77. Cette ferme, située dans la commune de Clères,
avait une superficie de 48 hectares environ. Plus tard, le prix du bail fut réduit à
2 000 francs seulement jusqu'en 1845, mais (signe de la révolution agricole), le locataire
était obligé alors de partager les frais d'assurances et de marnage.
56. Il augmenta de cinq hectares la superficie des prés, et aussi de cinq hectares celle
des bois. Puis, il mit le prix du bail à 2 200 francs en 1825 et, enfin, après 1834, à
1 800 francs.
57. Lemarchand, G., 1989, p. 541 citant A.E. Lechevalier, 1911, pp. 117-163,
273-302 et A.D. Seine-Maritime 3P4/215. Nous avons utilisé les baux d'Angerville-
l'Orcher (1-2), Écultot (3), ferme Dupillon à Bacqueville (4), Anneville (5) et Bertreville
(6). Nous avons laissé de côté les baux hospitaliers contenus dans ce tableau, comme
d'autres dont les montants semblent avoir été mal reproduits. Nous avons utilisé
également P. Brunet, 1960, pp. 509-510 et A. Descoqs, 1923, pp. 387-389. Sur la crise
presque ininterrompue dans le Calvados entre le Premier et le Second Empire (1810-
1855), voir aussi G. désert, 1977, pp. 30-40.

103
Histoire & Mesure, 1999, XTV-1/2

Tableau 9. Indices des baux de plusieurs domaines privés


(indice 1790=100)

Domaines
Pays de Caux/Seine-Inférieure Avranchin Île-de-France/Picardie
12 3 4 5 6 7 8 9 10 11
1774 65
1777 91 69
1778
1779 100 100
1780 100 100
1784 100 100
1785 100
1786 100 100 100
1789 100
1790 100
1791 180 112
1792 109
1793
1794 119
1795 150
1796 156
1797 83
1798
1799 81
1800
1801 83 120
1802 96
1803
1804 131 190
1805
1806 76
1807 127 253
1812 119 208
1813
1817 150 110
1818 110

Source : Cf. note 57.

104
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

5. La question des impôts

Mais la rente des propriétaires, ainsi que la dîme et les droits


seigneuriaux avant 1790, ne constituaient pas la totalité des prélèvements
que subissait la production rurale. N'oublions pas les impôts ! À cet
égard, il faut souligner que la ponction globale sur le produit de la terre
ne pouvait dépasser un certain plafond. Les prélèvements étaient
interdépendants : le déclin relatif de l'un permettait une hausse de l'autre.
C'est avec un raisonnement de ce type que la Constituante décerna au
propriétaire les fruits de l'abolition de la dîme, et c'est la même logique
qui fit dire à Léon Say, au XIXe siècle : « quand une terre est favorisée
par l'impôt c'est comme si sa fertilité s'était accrue », justifiant ainsi un
loyer plus élevé sur une terre exonérée par le fisc 58.
Une telle interdépendance des prélèvements était déjà une idée
ancrée dans la mentalité commune des propriétaires, des fermiers et des
économistes de l'époque. On peut la mettre en évidence en estimant le
poids global et par tête de l'impôt direct réellement prélevé dans les
frontières de la France d'après 181559 (Cf. tableau 10). Puisque l'impôt
foncier représentait toujours approximativement les trois-quarts de
l'impôt direct total 60, suivre les variations de l'impôt direct, c'est tracer
l'évolution de l'impôt foncier. Nous donnons le total des impositions

58. Cité par D. Zolla, 1888. Voir aussi P.-C. Dubost, 1870b, pp. 18-21.
59. Contribution foncière, contribution mobilière, patente et, dès 1798-1799, impôt
sur les portes et fenêtres. Les sources utilisées sont les suivantes : A.N., С 393 (503) ;
A.D. IX 505, 583, 585-586 ; AF III 120 (559), 130 (608). B.N., Lf15816, État des recettes
et dépenses faites au trésor public..., Paris, 1790-91 ; Lf158 19-20, Compte rendu à la
Convention par les commissaires de la trésorerie nationale de leur administration depuis
le 1er juillet 1791, [s.d.], [s.l.] et par les commissaires de la trésorerie nationale..., [s.d.],
[s.L] ; Lf158 32-35, Administration des finances..., Paris, an VIII- 1808 (B.N., Lf158 32),
Compte de l'administration des finances, Paris, 1809-1814, Compte rendu par le ministre
secrétaire d'État des finances, Paris, 1817-1824 et Compte général de l'administration
des finances, Paris, 1825-1859 ; 4° Lf156 26, Comptes rendus par les ministères, Paris,
1814-1843 ; Lf190 3, Département des contributions publiques. Compte rendu par le
ministre au 1er février 1793, Paris, 1793 ; Bruguière, A., 1969 ; Archives
parlementaires, 2e sér., XV, pp. 564-568 ; Ramel de Nogaret, D.V., an IX ; Hennet, A.-J.-V,
1816 ; Braesch, F., 1936 ; L. Salefranque, 1897, pp. 55-61. Nous avons estimé les
centimes additionnels des départements et les frais de collecte à 20 % (ce qui est plutôt
en-dessous de la vérité pour la période 1791-1795 et à 10 % pour la période antérieure
à 1789. Nous avons ensuite converti les valeurs originelles (données entre parenthèses)
en utilisant la table de P. Caron, 1909, LII-LV. Nous avons calculé les chiffres par tête
d'après L. Henry et Y. Blayo, 1975, p. 95. On trouvera d'autres estimations,
mensuelles, des impôts au début de la Révolution dans S. Harris, 1930, pp. 47-53 et dans
F. Braesch, 1934. S. Harris et F. Braesch traitent du total des impôts mais leurs
données ne sont pas incompatibles avec les nôtres.
60. Selon un technicien du fisc de l'époque, les impôts fonciers sous l'Ancien
Régime auraient constitué 80 % des impôts directs (Hennet, A.-J.-V, 1816). Cette
proportion tomba aux trois-quarts environ après 1790 et demeura plus ou moins stable
jusqu'à la fin de la Restauration. En 1830, la proportion était de 70,6 % ; elle continua à

105
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

directes perçues et une estimation du montant payé par tête. Chacune de


ces deux variables est accompagnée de deux indices fondés, l'un sur une
estimation d'un impôt direct total de 220 millions de lt à la fin de
l'Ancien Régime, et l'autre sur le montant total des impositions directes
qu'on attendait du citoyen français de 1791 selon la nouvelle forme
d'imposition {Cf. tableau 10).

On repère sans difficulté la tendance. Malgré l'attente d'un revenu


fiscal accru grâce à l'abolition de la dîme, le produit effectif de l'impôt
direct resta bien en dessous du niveau de l'Ancien Régime, jusque vers
1797. Ensuite, il démarra pour dépasser d'un tiers du niveau de 1789.
Mais il fallut les énormes besoins de l'Empire finissant pour faire monter
l'impôt direct au niveau qu'avaient espéré les législateurs de 1791 61. Le
fardeau de l'impôt foncier, à ce moment et aux débuts de la Restauration,
se révéla pénible pour les paysans, compte tenu de la chute des prix
agricoles après 1820, et l'on dut alors l'alléger.

C'est sans doute ici que l'on trouve l'explication la plus probable du
mouvement des loyers pendant cette période. Dans les années de hausse
des prix agricoles, les paysans supportaient tant bien que mal les
augmentations de loyer, mais les refusaient lorsque les prix s'orientaient
à la baisse. La lenteur que mirent les révolutionnaires à imposer la
nouvelle fiscalité votée en 1790 donna un répit au monde rural : les
propriétaires en profitèrent pour incorporer dans le loyer la dîme, puis les
droits seigneuriaux. Avec un peu de retard, la nouvelle rigueur dans la
collecte des impôts, dès 1797, explique en partie la baisse ou la
stagnation de la rente foncière après le tournant du siècle. De la même
manière, la montée de l'impôt après 1809, conjuguée avec la chute des
prix agricoles dans les années 1820, explique le gel des loyers après

baisser par la suite tout au long du XIXe siècle ; voir aussi L. Salefranque, 1897,
pp. 56-57.
61. D. Zolla croyait que les impôts directs avaient décliné pendant toute la période
révolutionnaire parce que le principal de la contribution foncière était en chute constante
à partir de 1791 et jusqu'au dix-neuvième siècle (voir D. Zolla, 1896, pp. 139-213).
Mais ses calculs ne tiennent pas compte des centimes additionnels des départements et
des communes, lesquels variaient d'une année à l'autre et pouvaient être très lourds par
moments. Par exemple, sur les domaines de l'hôpital du Mans, les centimes additionnels
représentaient au moins un cinquième de l'impôt foncier de l'an VII (AD, Sarthe, Hôpital
du Mans, HG 1466, « Extrait des matrices des rôles de la contribution foncière de l'an
1 ... », s.d.). En revanche, les centimes additionnels dus par la ferme de Bonneuil, qui
appartenait à l'hôpital de Gonesse, ne représentaient que 13 % de l'impôt total. Le niveau
de l'impôt était très élevé, presque 35 % du revenu net dans les deux cas (Archives
hospitalières de Gonesse, P 21). D. Zolla ignorait aussi l'effet de l'inflation monétaire et
des arriérés sur la collecte des impôts, tous facteurs de grande importance pendant la
Révolution. Enfin, il n'a pas calculé les sommes réellement collectés par l'État, ce que
nous avons fait.

106
Tim J.A. Le Goff & Donald M. G. Sutherland

Tableau 10. Estimation du montant des impôts directs perçus 1789-1829


(frontières de 1816)

Années impôts perçus impôt impôt/tête impôt impôt/tête


(millions It/fr)
Indices 1789=100 Indices 1791=100**
1 2 3 4 5
avant 1789 220,0 (200,0)* 100 100
1791** 400** 100 100
1791-1792 180,4 (225,0) 82 82 45 45
1792-1793 106,1 (181,3) 48 48 27 27
1793-1794 81,0 (192,3) 37 37 20 20
1794-1795 35,0 (394,4) 16 16 9 9
1798-1799 340,9 155 150 85 83
1799-1800 352,8 160 154 88 85
1800-1801 298 135 130 74 72
1801-1802 275 125 119 69 66
1802-1803 303,3 138 132 76 73
1803-1804 312,4 142 135 78 75
1804-1805 312,4 142 135 78 74
1807 306,7 139 131 77 73
1808 300,6 137 128 75 71
1809 312,8 142 133 78 73
1810 306,2 139 130 77 72
1811 308,9 140 131 77 72
1812 315,4 143 133 79 74
1814 426,1 194 180 107 99
1815 313 142 131 78 73
1816 413,2 188 172 103 95
1817 440,4 200 183 110 101
1818 396,1 180 163 99 90
1819 373,7 170 153 93 84
1820 326,2 148 133 82 73
1821 359,2 163 145 90 80
1822 345,3 157 138 86 76
1823 344,1 156 137 86 76
1824 348,8 159 138 87 76
1825 346,7 158 136 87 75
1826 338,8 154 132 85 73
1827 324,4 147 126 81 69
1828 324,9 148 126 81 69
1829 325,2 148 124 81 69
* montants nominaux entre parenthèses.
** Base 1791 = total impôt direct (centimes additionnels inclus) exigé
(mais non perçu) en 1791. Source : Cf. note 59.

107
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

1813 62. À long terme, entre 1790 et la décennie 1820, le retard de la


hausse des impôts, surtout de l'impôt foncier, explique la modicité de la
hausse du loyer, malgré la disparition de la dîme et les droits
seigneuriaux.

C'est ainsi que, dans le long mouvement séculier et ascendant de la


production agricole depuis 1750 jusqu'en 1850, la période
révolutionnaire et impériale occupe une sorte de palier. Pause malthusienne
imposée par une population en croissance se heurtant à un plafond
structurel ? Toute l'histoire de l'expansion ultérieure du XIXe siècle, qui
se déroula largement à l'intérieur des anciennes structures agricoles,
semble réfuter cette idée 63. La véritable explication se situe
probablement ailleurs : dans les structures sociales paysannes et dans les choix
faits par les décideurs de l'époque. En effet, l'option physiocratique des
législateurs, misant sur l'augmentation de la production par le
renforcement de la propriété et par la réforme fiscale, se heurta à deux obstacles :
les dures réalités structurelles de la campagne française, mais aussi les
choix politiques des législateurs, motivés par la guerre et son
financement.

6. Structures sociales, choix politiques

En premier lieu, il y eut les structures, tellement permanentes, de la


société rurale, qui canalisèrent les réformes de telle sorte que seules
certaines classes de producteurs purent bénéficier de la réforme fiscale et
de l'abolition du prélèvement décimal et seigneurial. À ce jeu, le succès
dépendait du statut de chaque famille : le paysan propriétaire en
bénéficiait, le locataire, non.

La mentalité des locataires et des propriétaires à l'égard de


l'investissement a dû compter aussi, ainsi que leur attitude face à la conjoncture
instable, heurtée, des années 1789-1820. Personne n'a jamais étudié
sérieusement leur réponse aux défis de la période. Mais, même pour les
« gagnants », il est difficile de croire que l'époque, dans son ensemble,

62. C'est ainsi qu'après une récolte relativement bonne et à la suite de la chute des
prix de 1810, le préfet de l'Eure fit remarquer au Ministre de l'Intérieur qu'« en Beauce
les fermiers sont aux abois pour payer impôt et fermage vu la baisse soutenue des
grains ». A.D. Eure 7M 4, Série de questions adressées à MM. les Préfets.... [brouillon du
4 octobre 1810].
63. Voir, inter alia, H. Clout, 1983, surtout pp. 60-63 et l'analyse, remarquable, de
ce mouvement par G. Grantham, 1989, pp. 43-72, tous deux accompagnés de notes
bibliographiques particulièrement abondantes.

108
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

fut propice à l'investissement productif. L'abondance des terres sur le


marché, surtout avec la chute des valeurs foncières après 1793 M, a dû
inciter aux cumuls spéculatifs de terres plutôt qu'à l'amélioration de
l'appareil productif. On peut aussi se poser la question, bien cruelle il est
vrai, de savoir si les progrès réels accomplis vers l'égalité devant le fisc,
à l'intérieur de chaque commune 65, n'avait pas diminué la capacité des
paysans les mieux lotis à investir, en assurant une redistribution de leurs
revenus au bénéfice des plus démunis.
En s 'interrogeant sur la propension des possédants à investir, on peut
être dubitatif sur les fameux effets de l'inflation monétaire
révolutionnaire, qui aurait quasiment annulé les dettes des paysans envers les
rentiers et propriétaires 66. L'observation suivante, de la plume du
régisseur d'un domaine de Haute-Normandie, est troublante, selon
laquelle ses locataires auraient été parfaitement incapables de racheter
leurs obligations avec le papier-monnaie parce que les contrôles des prix
et les réquisitions avaient réduit pratiquement à zéro leur surplus
disponible 67. Une monographie, entreprise à partir de minutes notariales
de la même région avait amené son auteur à la conclusion que créditeurs
et débiteurs du monde rural étaient bien conscients des précautions à
prendre face à l'inflation 68. En effet, certains propriétaires avisés surent
très bien exiger leurs loyers en nature au bon moment, passant même
outre aux prescriptions de la loi du 21 juillet 1795, qui leur en
accordaient la moitié en nature. Beaucoup réussissaient à prendre le tout
en argent ou en nature, selon le besoin, et sans égard pour la loi 69.
Enfin, si l'inflation a pu favoriser certains débiteurs pendant le bref
intermède de 1792-1795, la peur qu'en ont pris les créditeurs les a bien
desservis par la suite, car ceux-ci, échaudés, firent monter, dans les
années suivantes, le taux d'intérêt des prêts en espèce. En avril 1793, la
Convention avait aboli le taux légal de l'usure au moment où elle
s'apprêtait à imposer le Maximum des prix - comme le fit observer plus
tard, ironiquement, un révolutionnaire désabusé. L'inflation fit le reste.

64. ZOLLA, D., 1888, pp. 629-632.


65. Schnerb, R., 1933, pp. 212-213, 221-235.
66. Point de vue conventionnel exprimé, parmi d'autres, par M. Marion, 1921,
p. 47 et RM. Jones, 1988, pp. 261-262.
67. A.D. Seine-Maritime 7J 77, Réponse faite par le régisseur de la terre de Clères
aux observations du conseil de Madame de Charost [s.d.].
68. Dubuc, A., 1957, pp. 429-435.
69. Au lieu de verser le loyer habituel, les fermiers de Beaumesnil, de la Jouannière
et de la Hermeraie payaient en assignats les impôts dus par la comtesse de Charost, leur
propriétaire, ainsi que les réquisitions qui lui avaient été imposées. Ils s'acquittaient aussi
de leurs arriérés, en produits de la terre ou en travail. Selon les exigences de la comtesse,
ils payaient soit en argent, soit en nature - tout cela malgré les clauses précises en sens
contraire dans les baux. Les baux et les comptes se trouvent aux A.D. Eure E 2640.

109
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

On atteignit des records de l'ordre de 30 % à 34 %, et même davantage,


en 1798-1799, et les taux publiquement reconnus eux-mêmes restèrent
bien au-dessus du 5 % de l'Ancien Régime finissant, et ceci jusqu'à la fin
de la décennie 1820. Quant aux taux non officiels pratiqués à l'égard des
emprunteurs ruraux, surtout des petits paysans, ils furent plus élevés
encore, même après le retour à une prétendue réglementation du crédit en
1807. Pour cette génération de cultivateurs, emprunter, afin d'accroître la
productivité de leur exploitation, n'était pas une option envisageable.
Cependant, nombreux furent ceux qui durent s'endetter, pour acheter des
terres, pour pallier momentanément des besoins pressants. Le mal était
très répandu. Plus d'un tiers des propriétaires étaient « obérés et grevés
de dettes onéreuses » sur de vastes régions du Centre et du Midi, au
Sud-Est du bassin Parisien, dans le Calvados, la Moselle, et les
Bouches-du-Rhône, selon les réponses à une enquête auprès des maires
de canton en 1814-1818 70. Le coût élevé du crédit dut transformer la
route triomphale du petit capitalisme paysan - la célèbre voie paysanne
chère à un certain marxisme 71 — en un chemin bien ardu, peut-être une
impasse.

C'est dans ce contexte qu'il faut considérer les effets du relèvement


général des salaires, apparent dès 1794, sinon plus tôt. Stimulés par le
manque de main ď œuvre occasionnée par la conscription, le prix réel et
nominal du travail agricole se mirent à augmenter pour rester plus élevés
qu'avant 1789 {Cf. tableau 11) 72. Bénéfice certain pour l'ouvrier ; dans
la mesure où les bienfaits, attribués à la Révolution par Montalivet et ses
émules, sont fondés sur la réalité observée, c'est sans doute la misère
amoindrie des travailleurs agricoles qui les avaient impressionnés. Mais
le coût accru du travail ne dut pas faciliter la gestion de l'exploitation,
surtout si elle reposait sur une utilisation intensive de la main-d'œuvre
agricole.

70. Archives parlementaires, 2e ser., IX, discours de Goupil-Préfeln du 3 septembre


1807 ; Loutchitch, L.-J., 1930, pp. 45-54 ; Leuhxot, P., 1930, pp. 231-351 ; Denis, Y.,
1964, pp. 347-363 ; MARION, M., 1927, pp. 120-129 ; ClÈre, J.-J., 1988, pp. 348-354.
Même sous la Monarchie de Juillet, le taux d'intérêt en Bourgogne rurale variait de 8 %
à 12 % et plus, selon P. LÉVÊQUE, 1983, p. 355.
71. Voir surtout F. Gauthier, 1977.
72. Calculé d'après le « salaire horaire moyen du manœuvre de province » dans
J. Fourastié et С Fontaine, [s.d.], pp. XXII-XXIII ; voir aussi F. Simiand, 1932, III,
tableau I : France moins Paris. Salaires masculins ; Chabert, A., 1949, pp. 86-89,
171-190, 239-264 ; G. Postel-Vinay, 1989, pp. 1025 et 1031, cite la thèse inédite de
Y. CREBOUW, 1986 ; Schnerb, R., 1934, pp. 42-47 ; Personnaz, A., 1995. Pour les prix
du froment, voir note 53 ci-dessus.

110
Tim J.A. Le Goff & Donald M. G. Sutherland

Tableau 11. Salaire nominal du journalier de province, 1790-1819

Années Prix du blé Salaire


1790-1794 100 100
1800-1804 121 140
1805-1809 98 158
1810-1814 132 171
1815-1819 139 167

Source : Cf. note 72.

Nous voilà donc revenus aux résultats des décisions prises par les
législateurs. Car ce que les rentiers, les journaliers, les propriétaires et les
usuriers laissèrent au producteur fut pris, tôt ou tard, par l'État. La
Constituante ayant fixé l'impôt direct à un niveau proprement
astronomique en 1791, son fardeau ne fut atténué que par l'inflation, les
conquêtes, et la résistance des contribuables. Même au plus fort de
l'inflation monétaire, les autorités réussirent à faire rentrer des sommes
importantes 73. C'est ainsi que, en 1793, les producteurs furent obligés
d'utiliser les bons de réquisition qu'on leur avaient délivrés au taux fixe
du maximum, en échange de leurs produits dont les prix s'envolaient
avec l'inflation révolutionnaire, pour payer l'arriéré de leurs impositions
ainsi que les deux tiers des impôts de l'année courante : pas de gain
inflationniste pour ces producteurs 74. La fixation des prix à un niveau
artificiellement bas par les lois du maximum en 1793 et 1794, et la
manipulation du marché des espèces dans les campagnes 75 gonflèrent le
montant de l'impôt payé par les ruraux au-delà même de ce que
laisseraient entendre les estimations du tableau 9, établies d'après les
taux officiels de conversion. À partir de 1797, l'impôt direct
effectivement perçu s'approchait, voire dépassait son niveau d'Ancien Régime,
pour ne baisser que dans la décennie 1820. Ce qui ne dut guère
encourager l'investissement productif.
Mais c'est l'économie dirigée de 1793-1797 et ses séquelles, la
dépression de 1797-1798 en particulier, qui paraissent les plus néfastes.
C'est une erreur commune de croire que l'effort dirigiste des
révolutionnaires se limita au fameux Maximum de l'an II, comme c'en est encore

73. Ramel de Nogaret, D.V., an IX, pp. 30-31 et 35 estime le rendement moyen
annuel du revenu des impôts perçus à 300 millions de francs argent, même à cette
époque, mais ce chiffre comprend des impôts indirects et d'autres recettes.
74. Bloch, C, 1915, pp. 447-449.
75. Sur la manipulation des assignats par les receveurs eux-mêmes, voir R. SCH-
NERB, 1933, p. 260.

111
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

une de penser que l'abolition des contrôles vers la fin de 1794 rétablit le
libre-échange. En fait, le marché céréalier resta étroitement réglementé
jusqu'à la fin de 1797. La Terreur finie, la Convention accorda aux
autorités locales des pouvoirs contraignants plus forts que pendant
l'an II, y compris l'arrestation des contrevenants, la prise en otage des
maires ruraux, et l'établissement de garnisons dans les communes
réfractaires à la loi. De toute façon, la fixation des prix, combinée avec
l'obligation d'accepter en paiement un papier-monnaie dont la valeur
s'effondrait chaque jour, agissait comme un impôt clandestin sur les
surplus agricoles. On toucha même à l'outil de travail par les réquisitions
de bétail, de chevaux et de charrettes. Certes, le Maximum avait facilité
les opérations des fournisseurs militaires, ainsi que l'approvisionnement
des villes. Mais ce sont les campagnes qui en payèrent le prix : il faudra
du temps pour remplacer les animaux réquisitionnés, ou pour compenser
le départ des journaliers à l'armée 76.
Puis, à partir de 1797, les autorités ayant enfin décidé d'exiger la
totalité de l'impôt et des arriérés, en imposant, au besoin, des garnisons
chez le paysan, ceux-ci furent obligés d'inonder le marché de leurs
produits. Les prix, déjà déprimés par une récolte abondante, chutèrent.
Comme le dit justement R. Schnerb « les ruraux troquèrent le maximum
et les réquisitions contre la mévente et un plus grand besoin d'argent » 77.
Dans les deux cas, ce furent précisément ceux qui, dans le scénario
physiocratique, auraient dû constituer le fer de lance de l'expansion, qui
finirent par financer, non l'essor agricole, mais plutôt la dilatation,
éphémère, des frontières nationales.
À cause de ces difficultés, ainsi que des pertes occasionnées par la
guerre civile dans l'Ouest, les éleveurs eurent bien du mal à profiter du
court intermède, au début de l'Empire, durant lequel le déclin des prix
céréaliers et la hausse du salaire semblaient leur promettre des débouchés
plus larges. En 1805, les hauts prix, selon un observateur bien informé,
étaient le fait d'un manque de bétail, fruit des désastres de la décennie
précédente : « la Révolution et ses événements les ont rendus beaucoup
plus rares... La Vendée et le [sic] Cholet, depuis les guerres civiles,
produisent moitié moins d'élèves qu'avant la Révolution... Les marais de
Rochefort ont... conservé leur belle espèce [mais] ils fournissent
beaucoup moins qu'avant la Révolution. L'espèce est prête à manquer
partout ». On tua plus jeune à cause du manque de fourrage, ce qui
diminua d'autant le poids de viande. « La Révolution, la guerre, les
besoins extraordinaires, les sécheresses de l'an 10 et 11 [1802-1803] ont

76. Cf. RM. Jones, 1988, pp. 256-257.


77. Schnerb, R., 1934, p. 48 ; Marion, M., 1927, pp. 88-93.

112
Tim J.A. Le Goff & Donald M.G. Sutherland

encore ajouté [au mal] en faisant périr beaucoup de bestiaux de toute


espèce ». Résultat : un manque généralisé de bétail pour l'alimentation et
pour le travail. Malgré la spécialisation de sa région dans l'élevage des
bêtes de boucherie et des bœufs de somme, le préfet de la Loire
Inférieure fut obligé d'interdire l'abattage, et l'on dut remplacer les
bœufs, utilisés pour les travaux du bassin de Nantes, par des chevaux
hors d'âge 78.
C'est aussi, du côté de la demande, que la Révolution avait remodelé
les structures, empêchant le modèle physiocratique de jouer à plein. La
désurbanisation de la France pendant la Révolution et le Consulat et la
crise de l'industrie rurale ont dû ralentir la convalescence des
campagnes. Paris perdit 100 000 habitants entre 1790 et 1806, Bordeaux
20 000, Toulouse 2 000 etc. 79. La demande parisienne pour les articles
de consommation courante avait fortement diminué dès les dernières
années du Directoire et au début du Consulat. Il dut en être de même dans
les autres villes. Ce déclin fut suivi d'une brève remontée, au début de
l'Empire, puis d'une rechute 80.
Ces changements dans le secteur urbain et industriel durent
également se faire sentir au niveau de l'investissement. Si l'on admet que,
dans l'économie de l'Ancien Régime, les revenus prouvés par les
activités secondaires, comme la proto-industrie, l'artisanat occasionnel et
le travail saisonnier aux champs, contribua et aux achats de bétail et
d'équipement agraire, il faut reconnaître que la conjoncture
révolutionnaire et impériale tarit quelque peu ces sources de capitaux. Plutôt que de
nous laisser impressionner par la hausse apparente du salaire rural
pendant cette période, il convient de prendre en compte le contexte
d'incertitude permanente. Notons, de plus, que tout le travail rural n'était
pas salarié : on rétribuait souvent l'industrie rurale à la pièce,
assujettissant ainsi ce type de revenus aux multiples crises industrielles qui
jalonnent la période.

78. A.N., F10 510 : Vrai point de vue sur l'État des Bestiaux en France [1805]. Il est
intéressant de noter que la plupart des observations citées dans A. Chabert, 1949, pp. 91
et suiv. décrivant l'abondance de la viande dans le régime des paysans viennent de
voyageurs anglais visitant la France après la paix d'Amiens, donc lorsque la crise
fourragère, à laquelle nous venons de faire allusion, les obliger à abattre leurs bestiaux.
Nous restons quelque peu sceptiques à l'égard des affirmations d'A. CHABERT (1949,
pp. 220) et de G. Postel-Vinay, 1989, p. 1028, concernant l'abondance du bétail
pendant la Révolution et l'Empire. Sur la nécessité d'avoir recours aux importations de
bestiaux de l'étranger pour approvisionner Paris, voir L. Bergeron, 1963, [1964],
pp. 197-232 et A.N., F10 510 : rapport au Ministre de l'Intérieur, 10 septembre 1810.
79. Dupâquier, J. & al., 1988, pp. 77-80.
80. Marion, M., 1927, p. 201, n° 3 ; Husson, A., 1856, pp. 149, 154 et 195 ;
Benoiston de Châteauneuf, L.-F., 1820, pp. 106-109 ; Bergeron, L., 1963 ; Lachi-
ver, M., 1984, pp. 344-354.

113
Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

L'expansion fulgurante des cotons sous l'Empire ne fut pas la seule


cause du déclin de l'industrie lainière et de la soierie. La carte de la
production lainière de 1810 traduisait un recul de la situation, déjà
affaiblie, même par rapport aux années 1780. Le déclin de la population
ovine en fut une des causes et fut provoqué par les réquisitions, par le
défrichement des communaux, par les obstacles mis à la transhumance
par les communautés alpines. À Saint-Quentin et aux alentours, il y avait
eu, avant la Révolution, entre 12 000 et 14 000 métiers ; en 1802, pas
plus de 3 000 ; les fileuses, en nombre réduit, gagnaient alors la moitié de
ce qu'elles avaient avant la Révolution ; les exportations aux États-Unis
et au-delà du Rhin s'étaient réduites à zéro. À Troyes et aux alentours, la
production de la chapellerie et des fabriques de bas fut amputée d'un
quart ; celle de la teinturerie d'un tiers. Ici, même le coton avait souffert.
En 1784, la ville se targuait de posséder 2 000 métiers; en 1802,
seulement 800, dont la moitié inutilisée. La soierie rurale s'était
effondrée. Aux environs du Puy, les dentellières et les rubanières virent
la rémunération de leurs façons diminuer de plus de 50 % pendant les
années 1790 ; la dentellerie était devenue « une ressource quasiment
nulle ». Comme c'était par l'exportation de ces articles que la région,
déficitaire en céréales, paya ses importations de blé, tout le monde
souffrait de son déclin, et le pays alentour avait acquis une triste
réputation de repaire d'insoumis, de bandits et de malfaiteurs 81. Peu de
régions textiles étaient tombées si bas, mais chaque diminution du
cheptel, chaque réduction de la production textile, minimisait les
ressources secondaires si essentielles au revenu familial et
compromet ait d'autant les possibilités de récupération.

Le cumul, surtout pendant la décennie révolutionnaire de 1789-


1799, de tous ces déboires, finit par ruiner l'espoir d'une transformation
physiocratique. La conscription fit renchérir le prix de la main ď œuvre,
des animaux domestiques et des céréales ; la guerre restreignit les
marchés d'exportation ; l'inflation mina les structures du marché. Dans
cette perspective, les gains positifs de la période consulaire et impériale
apparaissent surtout comme une convalescence. Il s'ensuit que la
réallocation des surplus provenant de l'abolition de la dîme et des droits
seigneuriaux, et de la redistribution ou de la diminution du fardeau fiscal
servit surtout à absorber le choc de la crise. La désurbanisation, la
dislocation des structures traditionnelles du marché et toutes les autres

81. Bonnaire, F., an IX, p. 64 ; Dauchy, L., an IX, p. 60 ; Bruslé de Valsuzenay,


C.-L., an X, pp. 60-72 ; Merley, J., 1974, p. 298 ; Chassagne, S., 1978, pp. 143-167 ;
Engrand, C, 1979, pp. 71-77.

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Tim J.A. Le Goff & Donald M. G. Sutherland

ruptures ont dû empêcher, en grande partie, l'utilisation des nouveaux


surplus pour investir dans l'achat de bétail, dans l'adoption de nouvelles
cultures et l'introduction de nouvelles rotations.
Tout cela n'implique nullement que la Révolution ne fut qu'une
simple parenthèse dans la dialectique séculaire entre démographie,
structure sociale, propriété et production ; au contraire. La population
augmenta d'environ 2 millions d'âmes entre le début de la Révolution et
la fin de l'Empire, surtout dans les campagnes, ce qui ne manqua pas de
remodeler la structure pyramidale de la propriété terrienne. Dans la région
chartraine, par exemple, le nombre de propriétaires augmenta de 30 %
entre 1790 et 1820, mais les propriétaires paysans, majoritaires ici,
finirent par détenir des héritages de moins de 5 ha 82. Il en fut de même
dans la Seine-et-Oise 83. Le renforcement de la situation des petits
propriétaires a pu avoir des retombées sociales positives ; mais il a dû
sûrement affaiblir la demande des produits agricoles et réduire le nombre
de producteurs détenteurs de capitaux productifs. L'expérience du Pas-
de-Calais pendant le XIXe siècle donne lieu à croire que de tels
micropropriétaires ne contribuaient que fort peu à la croissance par la voie de
l'économie céréalière. Leurs héritiers durent attendre l'avènement des
chemins de fer, pour s'assurer un rôle productif important par la culture
maraîchère 84. La Révolution avait non seulement retardé la croissance
mais aussi institué les transformations structurelles pénalisantes.
La Révolution fut, du point de vue sans doute de la majorité de ses
contemporains, une période longue et difficile à vivre. Noircir
démesurément le tableau n'est cependant pas le but de notre démarche. Nous
voudrions surtout insister sur le fait que des conséquences involontaires
et inattendues, mais souvent néfastes, pour l'économie agraire, avaient
résulté des décisions politiques des autorités révolutionnaires, décisions
qui n'ont pourtant pas manqué de soulever l'enthousiasme d'une longue
suite d'historiens commentant la Révolution d'un point de vue surtout
urbain. La Terreur, le financement de la guerre, les perturbations civiles,
avaient, dans notre optique, imposé un nouveau fardeau à la majorité
négligée des Français, ces campagnards si souvent méprisés par les
sans-culottes. C'est surtout à partir de 1793 que leur sort empira. Si la
convalescence fut longue et difficile, c'est que la crise révolutionnaire,
grave, se prolongea fort longtemps. Ce n'est ni une coïncidence ni un fait
sans importance que les niveaux de production agricole des années
1810-1813 soient éminemment comparables à ceux de la fin de l'Ancien

82. Vovelle, M., 1980, pp. 222-226.


83. Tulippe, O., 1934, pp. 315-321.
84. HUBSCHER, R., 1980, pp. 741-746.

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Histoire & Mesure, 1999, XIV-1/2

Régime. On ne doit surtout pas combler le vide statistique entre les deux
dates par une ligne horizontale en tirets. Un tracé concave, en forme de
soucoupe, conviendrait mieux pour commémorer, sobrement, la perte
d'une génération de croissance et de développement économique.

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