Compte rendu.

Jean-Louis Gabin, L’hindouisme

traditionnel et l’interprétation d’Alain Daniélou
Jérôme Petit

To cite this version:

Jérôme Petit. Compte rendu. Jean-Louis Gabin, L’hindouisme traditionnel et l’interprétation d’Alain
Daniélou. Revue des Deux Mondes, Cioran, Antechrist Ou Prophete?, 2011, pp.181-182. <hal-
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 NOTES
DE LECTURE

• RODRIGO FRESÁN
Le Fond du ciel
et Vies de saints
Jean-Philippe Rossignol

• JEAN-LOUIS GABIN
L’Hindouisme traditionnel
et l’interprétation
d’Alain Daniélou
Jérôme Petit

• CLAUDE DOURGUIN
Chemins et routes
Édith de la Héronnière

• IOURI BOUÏDA
Épître à madame ma main gauche
Aurélie Julia

• MICHEL FEUILLET
Botticelli et Savonarole.
L’humanisme à l’épreuve du feu
Jean-Yves Boriaud

• CÉCILE DESPRAIRIES
Sous l’œil de l’occupant. La
France vue par l’Allemagne.
1940-1944
Olivier Cariguel

• MAX BEERBOHM
Zuleika Dobson
Aurélie Julia

• MICHAËL PRAZAN
Einsatzgruppen
Marine Baron
 NOTES DE LECTURE

leurs démêlés avec le Si tu veux continuer à degré. Daniélou est un

présent et le futur, la savoir, à devenir toi- artiste doué, un musi-
bombe atomique et la même le livre et la cien, un danseur, un
guerre irakienne. doctrine… Moi je suis peintre, un écrivain
On reconnaît une déjà une partie, une qui reçoit légitimement
logique imparable partie indispensable, des prix littéraires ;
dans l’univers de de Dieu. Moi je suis la on ne devrait avoir
Fresàn en ce qu’il se pièce maîtresse de tout aucun reproche à lui
détache de la naïveté le mécanisme. Moi je faire, sauf qu’il s’est vu
habituelle accolée à la suis celui que j’ai été. » comme le « passeur »
littérature de science- d’une culture tradition-
fiction, soit qu’elle Q JEAN-PHILIPPE nelle quatre fois millé-
émane d’une post- ROSSIGNOL Q naire, dans l’approche
adolescence attardée de laquelle il faut une
ou bien d’une pensée certaine rigueur et un
fumeuse sur l’élabora- esprit neutre pour ne
tion d’un monde faux. pas être tenté de tirer la
Q Essai
Lecteur de Proust et L’hindouisme
couverture à soi. Si le
de J.G. Ballard, archi- traditionnel et nom d’Alain Daniélou
tecte qui se moque des l’interprétation a quasiment disparu
notions de genre et d’Alain Daniélou des notes de bas de
de canon esthétique, JEAN-LOUIS GABIN page des travaux
Rodrigo Fresán n’a Cerf, sérieux sur l’Inde (à
pas besoin de savoir coll. « L’histoire l’exception des mises
ce qu’il fera plus tard. à vif » en garde), aucune véri-
Et Sebastián Corio- 588 p., 45 € table lumière n’avait
lis dans Vies de saints été jetée sur son œuvre
de condenser admi- L’Histoire de l’Inde « hindoue ».
rablement le point où d’Alain Daniélou a reçu Peut-être fallait-il que
nous sommes : « Le le prix de l’Académie la critique vienne de
Ciel peut être l’ago- française, mais ce son propre camp.
nisante imagination même quai de Conti Disciple charmé par
de tout ce que nous ne lui aurait jamais le personnage, Jean-
n’avons pas ou l’exta- décerné le prix Émile Louis Gabin arrive en
tique apothéose de ce Senart de l’Académie Inde en 1993 pour
que nous possédons. des inscriptions et enseigner le français
L’idée que je me fais belles-lettres pour les à Pondichéry avec
du paradis réunit sans études indiennes. Il le projet de publier
la moindre résistance faut bien le dire, le l’œuvre posthume du
les deux possibilités et nom d’Alain Daniélou « professeur ». Il se met
les transforme en une n’a pas bonne presse à la tâche avec passion
seule option. Bienve- dans les couloirs de et publie des textes
nue dans mes cieux, l’Université – un fait inédits, notamment
mon vieil ami, et qui aurait pu d’ailleurs aux éditions Kailash,
qu’on n’en parle plus. le réjouir au dernier basées elles aussi à

181
 NOTES DE LECTURE

Pondichéry. Au fur et La préface du Mahant taine idée de la vérité.

à mesure de son travail Mishra au livre de Force est de constater
d’édition et d’érudition, Gabin est aussi brève que l’Hindouisme tra-
Gabin découvre l’am- que remarquable : ditionnel apparaît par-
pleur des dégâts et le c’est un cri distingué fois comme un second
disciple se laisse aller à contre les confusions volume – moins amu-
une remise en cause du de Daniélou, un cri sant – du Chemin du
maître. Il faut dire que qui ne cache pas sa labyrinthe, le livre
le décalage n’est pas joie de voir Jean-Louis de souvenirs d’Alain
mince entre la réalité Gabin prêt à démonter Daniélou, tant Jean-
religieuse et politique un à un les fils de cette Louis Gabin use de la
de l’hindouisme tradi- trame fantasmatique. première personne et
tionnel et la perception En exergue à son livre, rappelle des souve-
entretenue par Alain Jean-Louis Gabin a nirs personnels dont
Daniélou, qui tord lit- placé l’emblème et la le lecteur qui souhaite
téralement son sujet devise des maharajahs effectivement démêler
d’étude pour le faire de Bénarès : « Il n’existe le vrai du faux aurait
entrer dans le cadre de aucun droit supérieur bien pu se passer. Le
ses fantasmes. Gabin à celui de la vérité ». zèle qu’il met à abattre
suit alors son intuition Pourquoi cet exergue l’arbre de son admira-
et décide en 2003 de est-il gênant ? Pourquoi tion déborde parfois le
se rendre à Bénarès aurait-on préféré ouvrir cadre de la critique. Par
– ce qui était assuré- le livre sur la préface, exemple, il est heureux
ment la chose à faire. simple et claire, du que l’ésotérisme teinté
Il y apprend l’hindi et Mahant Mishra ? Peut- d’extrême droite à la
le sanskrit, discute avec être parce que l’on se mode de René Guénon
les pandits et rencontre dit que la vérité n’a pas soit combattu, mais
le Mahant Veer Bha- besoin d’étendard pour pouvait-on aller jusqu’à
dra Mishra, ingénieur conquérir le lecteur ; y voir « une sympa-
hydraulique et grand peut-être craint-on que thie cryptée pour le
prêtre d’un temple l’auteur agisse déci- nazisme » ? Daniélou
shivaïte, qui consacra dément sous le sceau est avant tout un fron-
doublement sa vie au de la passion (une deur mondain qui aime
Gange, mêlant dévo- passion à rebours) ? s’opposer à l’idéologie
tion et savoir scien- Si nous nous réjouis- dominante, comme le
tifique. Mahant Mis- sions à l’ouverture du montre d’ailleurs fort
hra est le gardien de livre que la critique bien ce livre, prenant
la pensée de Svâmî soit venue du propre fait et cause pour un
Karpâtrî, un moine camp de Daniélou, on hindouisme tradition-
militant, défenseur de regretterait presque en nel mis à mal par la
l’hindouisme tradition- le refermant qu’elle ne marche du monde
nel, qui désigna im- fût pas venue de l’es- contemporain, dans
prudemment Daniélou prit froid et scientifique un mélange d’adhésion
pour promouvoir sa de l’Université, a priori farouche et de fan-
pensée en Occident. attachée à une cer- tasmes magico-sexuels.

182
 NOTES DE LECTURE

La tâche de Jean-Louis dans Grand Nord, dans en route sur le champ.

Gabin était donc ardue, les « vieilles contrées Claude Dourguin a
pénétrer le « chemin d’embruns » en bor- une manière unique
du labyrinthe » dessiné dure d’océan, dans les d’être dans le paysage,
par Daniélou n’était plaines germaniques, d’exprimer ces impres-
pas sans risque, et c’est les hauts massifs alpins sions, venues des sens
à sa forme de courage ou à travers les collines et de l’esprit, qui
que l’on pourrait ici de la péninsule ita- prennent à la gorge,
rendre hommage. lienne. Voies sacrées, dépassant toute notion
chemins antiques, de beauté. On recon-
Q JÉROME PETIT Q
sentes à peine prati- naît ici le marcheur, le
cables, grands chemins vrai voyageur, « celui
de terre, il ne s’agit pas qui part pour partir ».
de rester en surface, ce D’abord dans cet éloge
Q Essai
que fait généralement des « départs graves »
Chemins et routes le promeneur, mais au petit matin, ce
CLAUDE DOURGUIN d’accomplir une fusion « lever discret dans les
éd. Isolato du corps et du regard maisons tenues encore
113 p., 20 € avec la nature particu- par le sommeil », cet
lière de chaque tracé, appel que l’on ne peut
Il fallait une connais- de se laisser saisir par différer, cet élan, ce
sance intime de ces le paysage pour en besoin de tout quit-
sillons ouverts par célébrer la lumière, les ter, de se déraciner,
l’homme depuis la essences, les repères de s’en aller vers l’in-
nuit des temps dans naturels, les perspec- connu, le déroutement
les géographies, tives, les ombres et étant induit par la
lui permettant d’al- les rugosités. Mais qui route même. Répondre
ler, de passer, de dit fusion dit amour. à cet appel aura été la
rejoindre, d’atteindre, Ce livre est un grand matière même d’une
de s’échapper, de livre d’amour pour le vie et d’une œuvre
vagabonder, de rêver, voyage : on dirait que toutes entières consa-
pour entreprendre tous les voyages d’une crées au voyage, dans
cet essai qui relève vie s’y sont précipités une rare unicité. Ici on
autant de l’inventaire en un seul cristal aux est loin des itinéraires
que de la ballade. Par mille facettes, où le balisés et sécurisés. Ce
la magie des mots, verbe « aller » reprend sont des allers simples,
Claude Dourguin, en ses lettres de noblesse, sans bagages et sans
praticienne invétérée, décliné sous tous ses peurs, mais munis
pénètre la substance modes dans une écri- de cartes longue-
même du chemin et ture aussi exacte que ment scrutées avant
de la route, de tous les poétique, fusionnant le départ – des cartes
chemins empruntés, si bien avec la terre, dont la principale
hiver comme été, que la roche, les ciels que fonction est de mettre
ce soit dans le nord sa lecture est une sorte à feu l’imagination.
de l’Europe et jusque d’invitation à se mettre Quant aux compa-