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Enfance

L'imitation précoce: une revue historique


George Butterworth

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Butterworth George. L'imitation précoce: une revue historique. In: Enfance, n°1, 1996. pp. 8-11;

doi : https://doi.org/10.3406/enfan.1996.2976

https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1996_num_49_1_2976

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L'imitation précoce :
une revue historique

George Butterworth*

L'imitation peut être définie comme l'établissement d'une


correspondance entre son propre comportement et celui d'une autre personne. L'étude
scientifique de l'imitation chez les bébés a une histoire assez longue, mais
c'est seulement ces dernières années que ce thème a attiré un large intérêt,
coïncidant avec de nombreuses expériences importantes qui révèlent les
capacités imitatives de très jeunes bébés. Ce chapitre présentera une revue de
l'histoire récente de la recherche et replacera les phénomènes d'imitation précoce
dans leur contexte phylogénétique et ontogénétique.
Baldwin (1990) a réalisé l'une des premières descriptions scientifiques
de l'imitation chez les bébés. Pour Baldwin, la fonction de l'imitation était
avant tout la transmission de la culture. Il proposait que l'imitation
commençât modestement par les activités répétitives des bébés. Il considérait
que le mécanisme de base de l'imitation était la réaction circulaire, un cycle
répétitif d'activité dans lequel le fait de réaliser le but d'un acte provoquait
un nouveau cycle d'activité. Selon cette proposition, l'imitation commence
par l'imitation de soi, comme par exemple quand le bébé suce de façon
répétitive sa propre main, afin qu'il lui soit possible d'imiter les actions
d'une autre personne.
Piaget (1945) a partagé la perspective de Baldwin, selon laquelle
l'imitation devient peu à peu vraiment sociale, dans ce sens que le bébé reconnaît
une distinction entre lui-même et la personne qu'il imite. Il décrit une série
progressive de réussites développementales, qui culminent avec la
représentation de soi par laquelle le jeune enfant infère la correspondance entre soi et
l'autre. Par exemple, le bébé à 6 mois peut voir sa mère bouger sa main et
imiter le mouvement. L'argument de Piaget est que l'information visuelle
issue du fait que le bébé peut voir sa propre main lui permet de mettre ses
propres actions en correspondance. Imiter des mouvements faciaux est
considéré comme une réalisation beaucoup plus tardive, possible seulement aux
alentours de 8-9 mois. En effet, le bébé ne peut voir son propre visage, et
l'aptitude à apparier des mouvements faciaux est considérée comme requé-

* Department of Psychology, University of Sussex, Falmer Brighton bni 9QN.


ENFANCE, n° 1/1996, p. 8 à 11
L'IMITATION PRÉCOCE : UNE REVUE HISTORIQUE

rant un modèle mental de l'apparence du visage. Selon ces théories


traditionnelles, l'imitation des expressions faciales se développe tardivement parce que
le bébé doit d'abord établir, par inference, la correspondance entre les
mouvements visibles et invisibles.
Cependant il y a eu des observations sur l'origine de l'imitation faciale.
Par exemple, McDougall (1926) a décrit l'imitation de la protrusion de la
langue chez son neveu à 3 mois. Mais des observations anecdotiques de ce
type sont restées de peu de poids parce qu'il est toujours possible d'opposer
que le bébé a peut-être été entraîné (peut-être par inadvertance) à produire
une réponse avec la langue en récompensant le comportement spontané (non
imitatif). On pourrait alors croire qu'il s'agit bien d'imitation alors qu'il
s'agit simplement d'un apprentissage de réponse d'un type particulier à une
émission particulière, ce qui ne nécessite pas d'imitation faciale du tout.
Établir définitivement si les jeunes bébés peuvent être capables d'imiter
des expressions faciales requiert des expériences contrôlées particulièrement
soigneuses, et cela constitue la contribution des recherches de ces vingt
dernières années. Maratos (1973) a étudié l'imitation des mouvements des doigts
(mouvement visible) et de la protrusion de la langue (mouvement invisible)
chez des nouveau-nés. Elle rapporte que les bébés peuvent imiter à la fois les
mouvements visibles des doigts et les mouvements invisibles de protrusion de
la langue. Meltzoff et Moore (1977) ont réalisé des études soigneusement
contrôlées de l'imitation de la protrusion de la langue, de l'ouverture de la
bouche et de la protrusion des lèvres chez des nouveau-nés. Les bébés imitent
systématiquement ces stimuli, et on ne peut guère expliquer cette capacité
comme une réponse apprise aux émissions de l'expérimentateur. Depuis la
publication de ces données, il y a eu de nombreuses replications, et
l'imitation de la protrusion de la langue est un phénomène particulièrement bien
établi (Vinter, 1986 ; Reissland, 1988 ; Kugiumutzakis, 1993). Il y a aussi des
indications concernant l'imitation innée d'expressions émotionnelles (Field
et al, 1982), et l'imitation de voyelles (Kugiumutzakis, 1993).
Ce fond de recherche contemporaine soulève des questions
fondamentales pour le développement précoce. Qu'il y ait une capacité générale, innée,
pour l'imitation chez les humains commence à recevoir une réponse
affirmative. Mais, dans ce cas, quels sont les mécanismes et les raisons d'une telle
capacité? Comment le nouveau-né peut-il imiter à la fois des mouvements
visibles et invisibles et pourquoi le bébé imite-t-il ?
Une tentative antérieure d'explication du mécanisme de l'imitation a
suggéré que peut-être la réponse imitative était déclenchée automatiquement
par certains aspects déterminants du stimulus, conformément à la description
des éthologistes concernant le cas des stimuli déclencheurs de signaux (sign
releasing stimuli). Par exemple, Hayes et Watson (1981) ont objecté que tout
objet en mouvement (et pas spécialement la langue) pourrait être suffisant
pour susciter la protrusion de la langue chez le nouveau-né. Des déclencheurs
généraux de ce type sont plus susceptibles de se produire quand un stimulus
minimal est suffisant pour susciter une conduite complexe chez le jeune. Mel-
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tzoff a étudié cette possibilité et montré que la protrusion de la langue chez le


nouveau-né est plus susceptible de se manifester lorsque le stimulus-objet est
une vraie langue que lorsqu'il s'agit d'un objet en mouvement mais inanimé.
D'autres aspects du comportement ont maintenant été étudiés
soigneusement. Par exemple, le bébé met souvent un certain temps pour répondre au
stimulus et semble « chercher » les mouvements de sa langue, ce qui suggère
que la réponse demande un effort et n'est pas déclenchée automatiquement
(Mel tzoff, 1994). Ainsi l'explication plutôt mécaniciste selon laquelle
l'imitation faciale chez le nouveau-né serait une réponse déclenchée par un signal ne
reçoit pas aujourd'hui beaucoup de preuves.
Un second type d'explication met l'accent sur les capacités perceptives
du bébé: comment l'on choisit d'expliquer la perception, et comment les
bébés perçoivent l'équivalence de différents types d'informations obtenues via
différents canaux perceptifs. Meltzoff (1981) a rétorqué que ce problème est
logiquement équivalent à une information imitative transmodale. Il a montré
que des bébés d'un mois exploreront un leurre soit dur, soit doux. Ils n'ont
pas vu le leurre avant qu'il ne soit placé dans la bouche, et cependant il se
pourrait qu'il préfère ensuite regarder un leurre de forme et texture similaires
placé dans son champ visuel. En d'autres termes, le bébé retient de
l'information concernant la forme ou la texture du leurre juste avant l'exploration
orale. Meltzoff dit que l'imitation des mouvements faciaux implique un
processus similaire intéressant une entrée visuelle pour les propriétés propriocep-
tives d'une sortie motrice.
Un nouveau pas dans ce type d'explication est apporté par Vinter (1986)
qui a montré que les nouveau-nés imitent la protrusion de la langue
seulement s'ils voient le modèle en mouvement. Ainsi donc, l'information
concernant la dynamique du mouvement semble nécessaire à l'imitation. Kugiu-
mutzakis (1986) a montré que des nouveau-nés non seulement imitent les
mouvements de la langue et de la bouche, mais aussi imitent la voyelle «a».
Le bébé montre une attention très soutenue aux éléments de la dynamique
visuelle et auditive. Les démonstrations de Kugiumutzakis montrent aussi
qu'il est nécessaire de prendre en compte des aspects interpersonnels subtils
dans la situation expérimentale et ceci peut expliquer pourquoi certains
investigateurs n'ont pas réussi à répliquer l'imitation néo-natale (Abravanel,
1981 ; Abravanel et Sigafoos, 1984).
Il y a donc preuve que les mécanismes sous-tendant l'imitation faciale
néo-natale peuvent impliquer l'appariement des patterns dynamiques
perceptibles à l'entrée avec la sortie proprioceptive.
Cet appariement intervient si la « translation » se fait de la vision ou
l'audition à l'action de la bouche ou de la langue. La distinction ancienne entre
les mouvements visibles et invisibles s'est montrée trompeuse puisque les
patterns dynamiques de l'entrée sensorielle sur laquelle est basée l'imitation ne
sont pas spécifiques de la modalité visuelle. Une extension de cet argument
est que l'imitation est l'expression d'une prédisposition à reconnaître les
actions, les motifs et les émotions des autres comme similaires aux nôtres
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(Trevarthen, 1993). Cet argument implique que l'imitation inclut la


reconnaissance d'importantes similitudes entre soi et les autres et il transforme le
débat concernant la nature de l'information interpersonnelle véhiculée par la
mobilité du visage et le moyen caractéristique de l'espèce que constitue
l'expression émotionnelle.
Ceci conduit à la troisième question que l'on pose rarement. Quelle est la
raison qu'a le nouveau-né pour imiter? Kugiumutzakis (1993) suggère que le
motif ultime est un besoin de communiquer. Quelques-uns des phénomènes
imitatifs spécifiques des nouveau-nés, tels que les mouvements de la bouche
et de la langue, peuvent être considérés comme les composantes
fondamentales des systèmes vocaux, gestuels et émotionnels caractéristiques de la
communication humaine.
Avec le développement au cours de la première année la capacité
d'imitation passe par d'autres changements. Les bébés peuvent maintenant
reproduire une réponse en n'ayant vu que le résultat final. Ils peuvent imiter après
un délai significatif après l'observation du stimulus et l'imitation peut même
concerner des propriétés symboliques. Par exemple, Vinter (1986) a montré
qu'une protrusion statique de la langue est suffisante pour susciter l'imitation
à 12 mois. Piaget (1945) lui-même a observé que l'imitation à 12 mois peut
prendre un aspect symbolique. Il a décrit sa fille Jacqueline essayant de
découvrir comment l'ouverture d'une boîte d'allumettes fonctionne en
sortant et rentrant systématiquement sa langue de sa bouche. Il y a aussi
consensus sur le fait que l'imitation différée émerge après l'aptitude à imiter
immédiatement. Meltzoff (1993) a montré que l'imitation 24 heures après
avoir vu le modèle est possible chez les bébés de 8 mois. Cette date est signi-
ficativement plus précoce que ce que l'on pensait possible et suggère que le
bébé se représente très tôt le modèle en mémoire.
Tout ceci est cohérent avec la thèse selon laquelle il y a deux
changements développementaux fondamentaux dans l'imitation faciale.
D'abord, l'imitation peut procéder de la reproduction de la dynamique
de mimique faciale à la reproduction de l'état final. Deuxièmement, le
développement pourrait évoluer d'une imitation immédiate basée sur la
perception de l'expression faciale (caractérisée comme participation) (Baldwin,
1890) à l'imitation basée sur une représentation qui permet à l'enfant de
différer une réponse dans le temps.
Finalement, la question de la signification évolutionniste de l'imitation
doit être posée. La mimesis intervient sous des formes variées, avec des
fonctions qui varient du camouflage et de la coloration des insectes pour se
protéger à l'imitation vocale des oiseaux, ou la reproduction de séquences
complexes d'actions chez les dauphins et les primates supérieurs. Comment
l'imitation innée des bébés humains s'intègre-t-elle dans une perspective plus
générale et naturalistique sur le phénomène ?

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