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le jeune ministre
algérien des
Affaires étrangères,
Abdelaziz
Bouteflika, quitte
l’hôtel de Matignon.
ALGÉRIE
Bouteflika,
les archives
secrètes
Les archives du Sdece, ancêtre de la
DGSE, déclassifiées à notre demande.
Bien avant d’être un matie algérienne, à 26 ans seulement : un « Esprit subtil et plein d’entregent, c’est un
« personnage dénué de scrupules, doté d’une négociateur retors. » Il apparaît rapidement
président grabataire, intelligence aiguë et d’une très grande ambi- comme un grand manipulateur, épris de
tion, capable de risquer sa mise sur un seul pouvoir. L’homme de tous les complots. Et
Abdelaziz Bouteflika a coup ». Quel contraste avec l’homme qu’il d’abord du plus célèbre d’entre eux, qui
est devenu ! Et pourtant quel écho au temps renverse, le 19 juin 1965, le premier pré-
été le plus jeune ministre présent dans ces documents historiques : sident de l’Algérie indépendante, Ahmed
coups bas, manigances, huis clos inson- Ben Bella, dont le très jeune ministre est,
des Affaires étrangères dable au sommet de l’Etat, soupçons d’en- selon Paris, le véritable instigateur.
richissement personnel… comme si rien La France est aux premières loges : alors
du monde, surveillé de ou presque n’avait changé. que les hommes du colonel Boumediene
Les premières fiches concernant Abde- déposent le président Ben Bella au petit
très près par les services laziz Bouteflika surprennent par leur conci- matin, Louis Dauge, ministre délégué
sion. Alors que le Sdece, l’ancêtre de la à l’ambassade de France, est convoqué à
français. “L’Obs” a eu DGSE, connaît les moindres détails bio- 9 heures par Abdelaziz Bouteflika. Le
graphiques des grands leaders de la guerre diplomate rend compte de ses impressions
accès à leurs rapports d’indépendance, ils ignorent presque tout dans un télégramme chiffré quelques
Par C É L I N E LU S SAT O
de celui qui occupera la scène politique heures plus tard : « Il est clair que le ministre
algérienne durant les soixante années sui- des Affaires étrangères fait son affaire per-
vantes. « Ses antécédents ne sont pas exacte- sonnelle du coup d’Etat », écrit-il. Il n’est pas
A
bdelaziz Bouteflika – qui, à ment connus, si ce n’est qu’il a fait des études surpris : depuis plus d’un an, des rapports
82 ans, briguera de manière secondaires. » Quand il devient ministre, ils du renseignement extérieur français
insensée un cinquième man- n’ont même pas de photo de lui. Mais, très retracent, presque heure par heure, les
dat présidentiel en avril pro- vite, les agents se renseignent sur « ce jeune luttes intestines entre les clans au pouvoir.
chain – n’a pas toujours été homme frêle et fluet ». Né à Oujda dans une En mai 1964, un document du Sdece
ce vieillard grabataire manifestement famille modeste originaire de Tlemcen, annonce l’arrestation du directeur de
incapable de diriger son pays. Dans les celui qui a gagné le maquis dès cabinet de Bouteflika, Abdelatif
années 1960 et 1970, alors ministre des 1956 puis est devenu « comman- REPÈRES Rahal. Et estime que le ministre
Affaires étrangères de la jeune Algérie révo- dant dans l’ALN » (l’Armée de 1937 Naissance devrait « le suivre prochaine-
lutionnaire, il était l’un des personnages les Libération nationale) est identifié, à Oujda. ment ». Le 3 juin, un autre
plus en vue de la scène internationale. Les sous le nom de « Si Abdelkader », 1956 Rejoint l’Armée indique que le président Ben
plus espionnés aussi. Surtout par les ser- comme « un fidèle » du chef de Libération nationale. Bella vient de signifier à Boute-
vices de renseignement et les diplomates d’état-major, le colonel Boume- 1963 Ministre des flika qu’il doit « quitter son poste
français, dont « l’Obs » a étudié les notes, diene, futur président du pays. Affaires étrangères. de ministre ». Un renvoi qui
certaines déclassifiées à notre demande. Et puis les biographies s’étof- 1979 Ecarté du pouvoir. conduit le ministre des Affaires
C’est en Machiavel imbu de lui-même et fent : « Bouteflika se veut un 1999 Président. étrangères à passer à l’action
corrompu que ces archives dépeignent homme de gauche. Très désireux 2004, 2009, 2014 contre le chef de l’Etat. « Menacé
celui qui, en 1963, prend la tête de la diplo- d’apprendre, il lit beaucoup. » « Réélu » président. d’être écarté de ses fonctions
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grandement évolué. Alors que, pour lui,
Castro était autrefois l’exemple à suivre, il ne
qualifie plus le chef de l’Etat cubain que de
fou furieux. » Paris peut donc bien ajouter
quelques motards à son escorte.
Mais la relation privilégiée qui s’instaure
ne protégera pas le ministre des intrigues
algériennes. Son mentor, le président
Boumediene, « a lui-même donné des ordres
pour [qu’il soit] surveillé ». Un espionnage
qui « a surtout pour but de recueillir des élé- Saïd Bouteflika
ments sur les écarts de mœurs ». La réputa- aux obsèques
tion de séducteur du ministre est notoire. d’un général,
On lui prêtera même une idylle avec la en décembre 2017.
comédienne Jean Seberg. Pendant des
années, rien ne semble pouvoir l’atteindre.
Pourtant, à la mort de Boumediene, en
décembre 1978, les rouages se grippent.
L’armée ne soutient pas Bouteflika pour la
succession. L’héritier présumé est non
seulement écarté de la présidence, mais,
Saïd, le frère au pouvoir
en quelques mois, de toute fonction poli- En coulisses, la guerre des clans fait rage à Alger
tique. Il est « le seul grand vaincu » de la
transition. « Une instruction présidentielle es Algériens disent non. Ils en raison de sa proximité naturelle avec le
ordonne la liquidation de toute son équipe. »
Bouteflika se retire en Suisse. Coup fatal :
la Cour des Comptes algérienne l’accuse,
en 1983, d’avoir détourné de fortes sommes
d’argent provenant des reliquats budgé-
taires des ambassades. Il nie. Et tient à
défendre son honneur dans une lettre
L étaient des milliers le week-end
dernier dans la rue pour mani-
fester leur opposition à la candi-
dature d’Abdelaziz Bouteflika à
un cinquième mandat. Un homme inca-
pable de diriger l’Algérie depuis l’AVC qui
l’a frappé en 2013 mais que le clan au pou-
chef de l’Etat. C’est lui qui conserve la haute
main sur la clientèle politique et d’affaires.
Beaucoup dénoncent d’ailleurs la place
prise par cet « autre Bouteflika », qui, offi-
ciellement, n’est qu’un simple « conseiller
spécial » du président.
Dans ce huis clos, les généraux jouent
transmise à Paris. Mais les Français ne voir veut pourtant maintenir coûte que également des coudes. A leur tête, le très
doutent guère du bien-fondé des accusa- coûte. Rien ne devait empêcher le président puissant chef d’état-major Ahmed Gaïd
tions. « La corruption de Bouteflika était de grabataire, « élu » depuis vingt ans dès le Salah ne manque aucune occasion de s’en
notoriété publique », lit-on dans un télé- 1er tour avec plus de 80% des voix, de rem- prendre dans les médias aux rivaux de
gramme du 17 mai 1983 qui annonce sa piler, après une campagne fort peu démo- Bouteflika. Mais le plus intéressant se passe
première condamnation. « Toute la lumière cratique. En 2014 déjà, lors du précédent dans les coulisses. Depuis plusieurs mois,
n’a pas été faite sur ses agissements », sou- scrutin, Amnesty International dénonçait des têtes tombent, et non des moindres,
ligne-t-on dans la même correspondance, les « dérangeantes lacunes du pays en parmi les successeurs potentiels. L’une de
mais « des sanctions pénales devraient logi- matière de droits de l’homme ». Intimidation ces pièces maîtresses de l’échiquier poli-
quement suivre », affirme l’ambassadeur de journalistes, harcèlement d’opposants, tique brusquement écartées n’est autre que
Guy Georgy. Et lorsque, en août, un nouvel bourrage des urnes… Rien n’a changé. le général Abdelghani Hamel, directeur
arrêt de la Cour des Comptes algérienne Mais alors, qui se cache derrière celui qui général de la Sûreté nationale (DGSN).
tombe, le diplomate n’est pas davantage n’est plus qu’un prête-nom ? Ils sont une Eclaboussé au bon moment par une affaire
enclin à l’indulgence envers l’ex-ministre. poignée, répartis entre le clan familial, celui de trafic de cocaïne, ce très haut gradé a, du
Abdelaziz Bouteflika, qui « passait pour un des milieux d’affaires et, bien sûr, des mili- jour au lendemain, été démis de ses fonc-
grand prévaricateur », écrit-il, et « consti- taires, à user de leur influence au sommet tions en juin dernier. Avant lui, c’est l’an-
tuait un gibier de choix : non seulement pour de l’Etat et à tout mettre en œuvre pour la cien ministre de l’Energie, Chakib Khelil,
sa gestion des fonds publics, mais aussi conserver. Un petit cercle qui semble hési- lui aussi longtemps vu comme l’héritier
parce qu’il avait peuplé son ministère de ter sur la manière d’assurer sa survie. Ils possible de Bouteflika, qui avait été bruta-
“copains et de coquins” ». sont plus inquiets que jamais. Ce n’est que lement disqualifié. Cette fois par une reten-
L’ambassadeur ne se doutait probable- faute d’un consensus autour d’une person- tissante affaire de corruption.
ment pas qu’Abdelaziz Bouteflika assou- nalité qui puisse préserver leurs intérêts Ces hommes sont les premières victimes
virait un jour son rêve de pouvoir que le nom d’Abdelaziz Bouteflika a une d’une véritable guerre qui a été déclenchée
suprême. Et qu’en 1999, après une très nouvelle fois été proposé. dans les arcanes du pouvoir algérien. Les
longue traversée du désert, il accéderait à Personnage le plus en vue de ce réseau, combats ne font que commencer. Car cette
la présidence du pays. Vingt ans plus tard, le plus jeune frère du président, Saïd Bou- présidentielle est la première étape d’un
son clan l’y maintient encore. Jusqu’en teflika, devrait – pour un temps, en tout conflit acharné qui ne pourra se clore qu’au
2024, espère-t-il. Q cas – continuer de présider par procuration, terme de l’ère Bouteflika. C. L.
MOHAMED MESSARA/EPA/MAX PPP - INA - AFP - DOC « OBS » - BILLAL BENSALEM/NURPHOTO/AFP L’OBS/N°2834-28/02/2019 61