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I

nterminable révolution. Le 11 février, l’Iran


fête les 40 ans du soulèvement qui donna
naissance à la République islamique. Les
associations de quartier ont sorti les fanions.
On se chamaille à Karadj (Nord) : le prêcheur
de la ville estime que le président du Parle-
ment n’est pas assez « révolutionnaire » pour s’ex-
primer devant les fidèles, en ce jour pourtant placé
sous le sceau de l’« union nationale ». On fait
monter la sauce, mais la sauce a un goût amer.
L’Iran n’a pas le cœur à la fête.
Après le retrait des Etats-Unis de l’accord interna-
tional sur le nucléaire, en mai 2018, un vent de pani-
que a soufflé sur le pays. Il s’est mué, à l’automne, en
une franche dépression. Le retour des sanctions
américaines et la dépréciation du rial ont plongé
une part de la classe moyenne dans la pauvreté. Grè-
ves et manifestations, disparates, se multiplient.
Soyons clairs : la République islamique ne
s’écroule pas. John Bolton, le conseiller à la sécurité
nationale américain, avait prédit un peu vite,
en 2018, qu’elle « ne survivrait pas jusqu’à son qua-
rantième anniversaire ». Les sanctions américaines
renforcent l’appareil sécuritaire. Les bien nommés
gardiens de la révolution (la principale force armée
du pays) réaffirment leur puissance. Le président
Hassan Rohani lui-même devient féroce.
Ce modéré, qui aurait aimé balayer la gloriole
révolutionnaire sous le tapis et faire de l’Iran un pays
« fréquentable », tente de ne pas perdre la main. Son
gouvernement a pris part à une vague de répression
massive en 2018. Quelque 7 000 arrestations ont été
recensées par l’organisation Amnesty International.
La pression américaine accroît la dépendance de
l’Iran à ses parrains russe et chinois, qui l’utilisent
comme monnaie d’échange dans leurs propres négo-
ciations avec Washington. Cruelle ironie pour cette
révolution qui se proclamait « ni d’Est ni d’Ouest ».

« Longue maladie »
Au Moyen-Orient, cependant, l’Iran demeure la
principale puissance, de l’Irak au Liban. Téhéran se
tient debout dans les ruines de la Syrie, où le régime
de Bachar Al-Assad a survécu à sept ans de guerre.
Les forces américaines se préparent à quitter le pays.
Vu d’Iran, le retrait régional précipité par Donald
Trump est une aubaine. Même si Téhéran craint
qu’un désengagement trop rapide d’Afghanistan ne
déstabilise son voisin.
Téhéran a connu pire isolement, durant la guerre
contre l’Irak (1980-1988), puis durant les manifesta-
tions du « mouvement vert », en 2009. Et pourtant…
Le baril de pétrole à 100 dollars n’est plus qu’un doux
Anniversaire de la révolution en 2018, à Hamedan. HAMIDREZA AMIRI/EVERYDAY IRAN souvenir, et l’usure fait son œuvre. L’économie est
victime de ce que l’on nomme pudiquement, dans
les nécrologies, une « longue maladie ».
L’Iran peut sans doute tenir ainsi deux ans,
Le 11février, le pays célèbre jusqu’à la prochaine présidentielle américaine. Si
M. Trump est réélu, Téhéran n’aura d’autre choix
les 40ans de la révolution que de renégocier un accord nucléaire, ou bien
d’attiser les tensions régionales, voire de relancer
qui a donné naissance ses centrifugeuses.

1979-2019
A l’intérieur du pays, dans les milieux d’affaires
à la République islamique. comme dans les classes défavorisées, un débat sur
les capacités de la République islamique à survivre
Mais, face au retour des dans sa forme actuelle a pris corps. Les centres de
pouvoir, élus et non élus, se paralysent les uns les
sanctions américaines, autres. Le haut clergé prend ses distances avec la
politique. Les divisions intestines liées à la succes-
l’Iran n’a pas le cœur à la fête sion du Guide suprême, Ali Khamenei, âgé de
79 ans, n’arrangent rien.

L’IRAN EN
Les trentenaires questionnent de longue date leurs
parents : pourquoi ont-ils fait cette révolution ? Chez
ceux de 20 ans, un nihilisme inquiétant se répand. La
classe moyenne, urbaine et éduquée, demeure pour-
tant un rempart pour l’Etat. En décembre 2017, elle
s’est alignée sur le pouvoir en dénonçant des mani-
festations qui ont emporté quatre-vingts villes, et
dans lesquelles quelques slogans appelaient à la
chute de la République islamique.

QUARANTAINE
La classe moyenne voit s’effriter le « pacte
républicain » qu’elle avait noué avec M. Rohani : la
paix sociale contre un certain respect par l’Etat de
l’espace privé. Mais elle y tient encore. Elle a trop à
perdre d’un changement de régime. Les émeutes,
qui reviendront sans doute, sont nées dans des
régions marginalisées, parmi les déçus des promes-
ses révolutionnaires, qui ont perdu patience. p
louis imbert

Cahier du « Monde » No 23043 daté Dimanche 10 - Lundi 11 février 2019 - Ne peut être vendu séparément
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DIMANCHE 10 - LUNDI 11 FÉVRIER 2019

MOTS D’IRAN

« Mal voilée »

Ma famille, En Iran, la femme doit couvrir


son corps dans l’espace public, sauf
le visage et les mains. On dit qu’elle
ne respecte pas le hidjab (« voile »,

mon pays « couverture ») si ses cheveux


dépassent, si elle est très maquillée
ou si ses vêtements sont trop ajus-
tés. Une brigade, la gasht-é ershad
(« police des mœurs »), veille et
peut interpeller les contrevenantes.
téhéran - correspondance
Comme toutes les familles
iraniennes, les Salimi n’ont pas

E
n cette nuit glaciale de début jan-
vier, la maison de Maliheh Salimi
(les noms ont été modifiés à la
échappé à l’histoire depuis 1979.
demande des intéressés) est en
ébullition. Depuis l’aube, des
Petites épreuves et grandes 1983. Tandis que la République islamique
opère une purge des « éléments occiden-
La « plus grande épreuve que Dieu ait réser-
vée » à la famille Salimi frappe en 2009. La
chaises et des tables métalliques
ont été livrées par une entreprise de location.
tragédies ont façonné chaque taux » dans le système éducatif, Ramin
devient enseignant au lycée, où il donne des
nièce de Ramin et de Zeinab, la petite-fille de
Mme Salimi, Shaghayegh, veut changer de
Des ballons roses et blancs ont été gonflés ;
des dentelles ont été nouées en forme de pa-
nouvelle génération, miroir d’une cours de philosophie, de logique, de religion
et de langue arabe.
sexe. Cette opération a été autorisée en Iran à
la suite d’une fatwa de l’ayatollah Khomeyni,
pillon et épinglées sur les murs ; les grandes
casseroles pleines de riz que Maliheh avait
société en pleine métamorphose C’est à ce moment aussi qu’il décide de
changer son prénom pour « un autre plus
en 1981, mais dans une petite ville comme
Sari où tout le monde se connaît, comment
laissé reposer dans un mélange d’eau et de sel conventionnel », plus adapté à un futur reli- supporter cette « honte », ce « déshonneur » ?
fument sur des plaques de cuisson à gaz. gieux en turban. « Le mien faisait un peu trop Comment éviter une telle catastrophe ?
Cette femme de 57 ans se dit chanceuse : l’un quand, un jour, j’ai vu mes parents assis par beau gosse », dit-il en souriant. Sa demande Même Zeinab, la plus jeune et la plus avant-
des appartements de son immeuble, situé terre dans notre grenier, se rappelle Ramin, est aussitôt acceptée par le tribunal. Ramin gardiste de la fratrie, a du mal à encaisser la
dans le quartier modeste de Shahran (ouest aujourd’hui âgé de 54 ans. Mon père mettait devient alors Mohsen, prénom arabe signi- décision de Shaghayegh.
de Téhéran), était vacant ce mois-ci, et le pro- en marche un magnétocassette et l’arrêtait fiant « bienfaiteur ». Mohsen a des avis tran- « Je me suis toujours comporté comme un
priétaire a donné son accord pour qu’il soit quelques secondes plus tard. Ma mère, elle, chés sur les femmes. Il critique celles qui garçon, explique Shaghayegh, aujourd’hui
transformé en salle de fête furtive pour les écrivait les mots qu’ils entendaient : “Nous… les prient revêtues d’un manteau et d’un fou- nommé Siyavash. Je détestais qu’on m’appelle
fiançailles du fils cadet de Maliheh, Amir. gens… d’Iran…” C’était le communiqué de lard : « Sans hidjab, je considérais qu’elles “madame”. Dans la famille, tout le monde
Pour l’occasion, une partie de la famille a fait l’imam [Khomeyni]. Un opposant basé en étaient indécentes. » savait que quelque chose n’allait pas, mais en
le déplacement depuis Sari, ville du nord du France dictait les mots de l’imam à un autre S’égrènent les années. Ramin, désormais même temps personne n’acceptait que je fasse
pays. Les Salimi ressemblent aux protagonis- révolutionnaire en Iran. Ce dernier les enregis- Mohsen, épouse la fille d’une famille connue ces opérations. » Parmi ses cousins, celui et
tes du film Underground, d’Emir Kusturica : trait sur une cassette et la distribuait. Et ainsi dans les milieux révolutionnaires et politi- celle qui vivent au Canada et en Italie lui pro-
en quelques secondes, ils peuvent passer du de suite. De maison en maison, ses mots circu- ques, dont le père est un « disparu » de posent de venir expérimenter la vie à l’étran-
silence à une danse frénétique, accompagnée laient en quelques jours dans tout le pays. » guerre. « Tout cela était très attirant pour ger. « Peut-être que tu n’as pas besoin d’opéra-
de claquements des mains, de mouvements A Sari, pour informer les gens de l’organisa- moi », raconte-t-il. En 1988, la guerre avec tions », lui répètent-ils.
rapides des pieds, pendant que d’autres déro- tion d’une manifestation, Ramin prenait son l’Irak se termine : elle a fait entre 500 000 et Shaghayegh résiste, persiste, enchaîne les
bent dans la cuisine une casserole ou un pla- vélo, suivant le conseil de son père, et pédalait 700 000 morts dans les deux camps. séances de psychothérapie et les allers-retours
teau pour en faire des tambours. dans les rues. Il frappait aux portes et deman- En 1989, l’ayatollah Khomeyni meurt, Moh- nécessaires chez les médecins experts judi-
Des femmes sont arrivées en tchador noir dait à chaque habitant d’en informer quatre sen marche des dizaines de kilomètres pour ciaires. Elle se rend au tribunal et entre-
(l’habit des Iraniennes les plus traditionnel- autres : « Le lendemain matin, on se rendait au assister aux funérailles. « C’était le leader le prend les démarches administratives pour
les et religieuses), avant de se changer à lieu annoncé et, soudain, il y avait 500 person- plus charismatique qui soit. On l’adulait », pouvoir commencer les opérations chirur-
l’abri des regards et de réapparaître couver- nes ! Une heure plus tard, 2 000… Magnifique ! dit-il aujourd’hui. La décennie suivante, le gicales. « Ils ont beaucoup parlé avec des mé-
tes d’un tchador plus clair, puisqu’on est à Je me souviens encore du chemin que je prenais jeune homme poursuit ses études religieu- decins. Beaucoup pleuré aussi, mais ils ont
l’intérieur et que l’heure est à la fête. Dans la et des portes auxquelles je frappais. » ses, en même temps qu’il obtient une licence fini par accepter », dit, en faisant allusion à
pièce au sol en marbre et aux murs blancs, Il fallait renverser la dynastie des Pahlavi, en sciences politiques et un master en his- ses parents, ses tantes et ses oncles, Siya-
sous la lumière crue des néons, d’autres sont « à cause du climat répressif et du caractère toire, mais décide de ne pas devenir clerc : vash, aujourd’hui âgé de 30 ans et qui dirige
vêtues de larges robes aux manches longues dictatorial du système », explique Ramin, évo- LA « PLUS GRANDE « J’aimais bien ma vie telle qu’elle était. » un restaurant à Sari.
et d’un simple foulard sur leurs cheveux.
Certaines, plus jeunes, sont maquillées, en
quant, selon une idée répandue à l’époque,
« parmi chaque rassemblement de trois per-
ÉPREUVE QUE DIEU La société change. L’ombre de la guerre
s’éloigne, la vie reprend son cours. Zeinab, la
Siyavash mène à bien deux opérations
en 2015 – l’ablation de l’utérus et des ovaires,
robe ou jupe courte, la tête nue. Bref, dans la sonnes, la présence d’au moins un savaki », un AIT RÉSERVÉE » fille cadette de la famille, née en 1981, se puis l’ablation des seins – en partie prises en
famille Salimi, il y a de tout. L’imposante agent des services de renseignement du révèle une adolescente rebelle qui n’a pas charge par la sécurité sociale et par une caisse
Mme Salimi est la plus âgée : à 80 ans, elle est chah, la Savak, à la terrible réputation. La À LA FAMILLE SALIMI peur d’aller à contre-courant. A 14 ans, elle d’assurance-maladie. Il arrive encore aux
la mère de certains, la sœur des autres ou
leur tante. Ce soir-là, elle est avant tout la
sœur de Ramin, Maliheh, se rappelle la ren-
trée scolaire, après sa décision de se couvrir
FRAPPE EN 2009. décide de ne plus porter le foulard dans les
fêtes familiales, contre l’avis de ses grands
Salimi de l’appeler Shaghayegh, avant de se
reprendre aussitôt. Ils se montrent aussi
grand-mère du futur marié. les cheveux d’un foulard. Elle avait 15 ans : LA PETITE-FILLE frères. « Ramin et Ali n’arrêtaient pas de me inquiets quand des membres éloignés de leur
« La directrice de mon lycée a d’abord refusé de critiquer », se souvient-elle. Les deux garçons famille s’apprêtent à revoir Siyavash pour la
DES LIBERTÉS ACQUISES AU FIL DU TEMPS m’inscrire parce que, sur ma photo d’identité, DE MME SALIMI, se plaignent auprès de leurs parents : Zeinab première fois après ses opérations. En cette
A la regarder, et même à bien la connaître, il je portais un foulard. » Elle évoque aussi la vie fait l’objet de rumeurs concernant ses rela- soirée des fiançailles d’Amir, par exemple.
est impossible d’imaginer à quel point les gé- de « débauche » de la famille royale qu’elle et SHAGHAYEGH, tions avec les garçons. Dans une petite ville
nérations qui lui ont succédé diffèrent de la les siens détestaient, ainsi qu’un grand nom- VEUT CHANGER comme Sari, elle est perçue comme trop fri- RÉSEAUX SOCIAUX
sienne. Ces différences, qui peuvent paraître bre d’Iraniens, religieux ou qui tiennent à vole, pas assez respectable. Quelques regards se baladent sur le corps de
triviales ou anodines, sont en réalité des évo- une extrême pudeur en public. « A l’école, de DE SEXE En 1997, après des années que beaucoup Siyavash et se fixent sur le poil noir de sa
lutions, des libertés acquises au fil du temps, temps en temps, la directrice choisissait les considèrent « molles » politiquement, la can- barbe et de sa moustache, qui ont commencé
grâce à la persévérance de chacun contre la belles filles qui iraient “servir’’ Gholam Reza [le didature du réformateur Mohammad Kha- à pousser. « Elles sont très religieuses et stric-
rigidité de la société iranienne et, à plus petite frère du chah], qui venait passer ses vacances tami réveille des pans de la société qui voient tes, je ne peux pas m’empêcher de les regarder
échelle, contre celle de la famille. En tout cela, au bord de la mer Caspienne. C’était répu- en lui la possibilité d’une nouvelle ère, plus et de lire dans leurs yeux ce qu’elles pensent »,
les Salimi sont emblématiques des familles gnant ! », assène Maliheh. ouverte. Mohsen mène campagne pour le confie Ramin au sujet d’un groupe de fem-
de la classe moyenne et éduquée qui se sont Toute la famille se souvient du jour où le candidat auprès de ses élèves. Le professeur mes en tchador blanc, assises dans la salle de
métamorphosées, transformant ainsi la so- chah quitta le pays, en 1979, et plus encore de de religion douche les espoirs d’un journa- marbre blanc. Mais la situation ne semble
ciété depuis la révolution de 1979. celui où l’imam Khomeyni revint, après pres- liste de la télévision iranienne qui s’attendait guère atteindre Siyavash, qui arbore un
Dans leur ville natale de Sari et lorsque que quinze ans d’exil en France. « Les premiè- à un entretien conventionnel, truffé de rhéto- nœud papillon assorti à son pull violet et qui
Mme Salimi avait encore les jambes assez soli- res fêtes nationales que j’ai connues ! », s’ex- rique officielle. « Le pauvre s’est trouvé devant danse, comme un homme, à l’aise dans son
des pour arpenter les ruelles de son quartier, clame Ramin. La suite se raconte comme on un homme qui répétait les mots-clés de la cam- corps. « Je me sens mieux, confie-t-il. Je ne suis
les gens se levaient pour la saluer. Elle est une regarderait un film en avance rapide. La Répu- pagne de Khatami », se rappelle-t-il en riant pas au paradis, mais c’est beaucoup mieux
bienfaitrice qui inspire le respect des habi- blique islamique est instaurée la même an- comme un enfant. que l’enfer dans lequel je vivais. »
tants. Les anecdotes sont nombreuses au su- née. Mais en novembre 1980, l’Irak attaque La victoire écrasante de Khatami, dès le pre- Parfois, les changements s’imposent, pous-
jet d’hommes et de femmes qui l’ont parfois l’Iran. Ramin emboîte le pas à son frère aîné, mier tour, est une surprise. Des journaux sant les gens à aller de l’avant. Comme la
longuement cherchée après son déménage- Ali, et part au front. « Tous deux voulaient voient le jour, la parole se libère. Les femmes transformation de Siyavash. Année après an-
ment, il y a une dizaine d’années, pour lui absolument se battre, se souvient Mme Salimi. réclament plus de droits. La société civile née, les mentalités évoluent, sous l’influence
dire à quel point ils lui étaient reconnais- Même si je leur avais dit non, ils seraient quand prend racine. Ramin délaisse son second pré- aussi des réseaux sociaux qui ont ouvert une
sants d’avoir changé le cours de leur vie. même partis. Ils étaient comme amoureux de nom. Jadis strict, il lui arrive désormais de ser- fenêtre sur le reste du monde. « Je suis sûr qu’il
Parce que Mme Salimi est celle qui leur a offert leur pays et de la révolution. » rer la main de ses cousines, de temps en aurait été beaucoup plus facile de faire mon
une maison lorsqu’ils étaient enfants – par- temps. Au sein de la famille, les choses chan- changement de sexe aujourd’hui qu’il y a qua-
fois orphelins, nécessiteux toujours. Parce SUR LE FRONT gent aussi. Auparavant, on éludait les raisons tre ans », affirme Siyavash. Les Salimi ne sont
que c’est elle qui a versé la dot des filles afin Sous les bombes, dans le sud-ouest de l’Iran, à de l’absence du mari médecin d’une cousine guère un cas isolé. Selon Zeinab, « presque
qu’elles puissent se marier dignement. Parce la frontière avec l’Irak, Ramin prépare son par un vague « il est de garde, à l’hôpital ». Plus toutes les familles ont traversé à peu près les
que Mme Salimi a aussi, dans son centre de baccalauréat à l’aide de manuels scolaires maintenant. Le tabou du divorce se brise mêmes expériences, les mêmes évolutions. Et
formation à la couture, enseigné aux fem- qu’un ami lui a envoyés, et passe avec succès complètement lorsqu’une autre cousine, plus tant mieux si aujourd’hui les familles laissent
mes désœuvrées, divorcées ou veuves, les ses examens à Ahvaz. De retour à Sari, lors jeune, ose paraître dans une fête, une se- plus de libertés à leurs filles, et qu’elles accep-
compétences nécessaires pour devenir d’une permission de quelques jours, il sur- maine après sa séparation, la tête haute. tent que leurs enfants soient différents. Même
couturières et survivre. A Sari, si quelqu’un a prend ses deux petits frères en train de jouer Zeinab finit par se marier avec son copain. ma mère a changé. »
un problème, il sait vers qui se tourner. aux échecs. « J’ai cassé l’échiquier et l’ai balancé Voilà plus de sept ans qu’elle le voyait en ca- D’ailleurs, Samira, une petite-fille de
Mme Salimi trouve toujours des solutions. à la poubelle, raconte Ramin. Pourtant, j’ado- chette, mais Mme Salimi a refusé de reconnaî- Mme Salimi, poste sans gêne des photos de
Sa renommée remonte à la période d’avant rais ce jeu… » Les échecs venaient d’être prohi- tre l’existence du jeune homme tant que ses son copain sur son compte Instagram, que
la révolution. Dans les années 1970, son mari bés et le sont restés, jusqu’à ce qu’en 1988 parents ne sont pas venus officiellement lui consulte toute la famille. Cette Iranienne de
pourfendait la dictature du chah Mohammad l’ayatollah Khomeyni lève cette interdiction. demander la main de Zeinab, aujourd’hui 25 ans a fait son entrée à la fête, toute
Reza Pahlavi. La nuit, il fermait les volets de Après un an sur le front, Ramin s’inscrit médecin de 37 ans. « Vu ma position dans la maquillée, portant un haut qui laisse entre-
son commerce de photocopieuses et, avec ses dans une howzeh, une école religieuse, avec ville, je ne pouvais pas l’accepter en tant que pe- voir un peu de son ventre. Son père ? C’est
fils, Ali et Ramin, photocopiait les communi- l’ambition de devenir clerc, « parce que [leur] tit copain de ma fille, dit Mme Salimi. Ça ne se Ali. Le même Ali qui avait jadis menacé de
qués de l’ayatollah Rouhollah Khomeyni. Le famille était religieuse et que toutes les uni- faisait pas. » Choisir d’épouser son copain, mort sa sœur Zeinab, lorsqu’il avait trouvé
grand dignitaire, expulsé d’Iran en 1964, versités ont fermé à cette époque », à la suite cela ne se faisait pas non plus. Mais c’est dans son portefeuille la photo d’un garçon. p
vivait alors en exil en France. « J’avais 14 ans de la révolution culturelle, entre 1980 et arrivé. Le couple a aujourd’hui une fille, Asal. ghazal golshiri
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« EVERYDAY IRAN » DE HAUT EN BAS ET « Désolée pour notre


DE GAUCHE À DROITE : président ». A l’arrière-
En Iran, tout photographe professionnel est restreint Un père et sa fille dans plan, des slogans
dans son activité. Déplacements, contacts et prises le village de Masouleh. antiaméricains.
de vue sont surveillés. Les autorités contrôlent la diffu- ALI SHAHSAVAR/EVERYDAY IRAN KATE/EVERYDAY IRAN
sion des photos dans le pays, réduisant ainsi les récits Deux coursiers Un parking privé
à de la propagande ou à des images vérifiées. Les en pause, à Mashad. d’Ispahan. MAHBUBE
photographies de ce supplément sont datées de 2018. ALI RAFATI/EVERYDAY IRAN NAJARPUR/EVERYDAY IRAN
Elles ont été prises par des citoyens iraniens pour le Des enfants, Dans un restaurant
projet alternatif « Everyday Iran », publié sur Instagram. à Hamedan. FAEZEH de Tabriz. MEYSAM
Seul réseau social échappant à la censure, Instagram HASHEMI/EVERYDAY IRAN AKHBARDEH/EVERYDAY IRAN
est devenu un jeu national populaire. Ces photo- A Téhéran, sur A bord du train,
graphes amateurs documentent un territoire bâillonné, le vêtement d’une aux alentours de Yazd.
enrichissant la mémoire visuelle de leur pays. touriste américaine : ASIYEH ABBASIAN/EVERYDAY IRAN
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MOTS D’IRAN

« Inchallah farda »
Le blues Signifiant « Si Dieu le veut, demain ! »,
l’expression est souvent prononcée avec
un sourire quand on sait qu’un problème

des Iraniens sera effectivement résolu le lendemain,


mais aussi quand il n’y a plus aucun espoir
de le voir se régler. C’est l’art de cultiver
l’espoir dans un pays bureaucratique,

de l’étranger
où les rapports humains priment pour
trouver les solutions. Dans ce contexte,
il est conseillé de persévérer avant
de se résigner à jeter l’éponge.

Le président Rohani a voulu

C’
est l’histoire d’un échec. attirer la diaspora pour ouvrir M. Madani incarne désormais la déception trop investi, et il se sent une obligation
Elle pourrait commen- d’une partie de la diaspora. « Je n’en suis pas morale vis-à-vis de ses employés.
cer un matin de septem- l’économie iranienne. Mais ceux fier, mais je serai satisfait si mon exemple peut Pour beaucoup, cet échec était prévisible.
bre 2017, à l’aube, aux éviter à d’autres de se mettre en danger. » Même l’ultraconservateur Mahmoud Ah-
douanes de l’aéroport qui ont tenté l’aventure se sont Il n’était pourtant pas le premier à se heur- madinejad (au pouvoir de 2005 à 2013) avait
international Imam- ter aux services iraniens. Dès octobre 2015, promis en son temps de rapatrier les capi-
Khomeyni, à Téhéran. Kaveh Madani, un heurtés à la méfiance de l’Etat peu après la signature de l’accord sur le nu- taux de la diaspora, sans succès. « Je n’y ai ja-
scientifique de 36 ans à la bouille ronde et cléaire, l’homme d’affaires irano-américain mais cru », tranche Shabnam Tolouei, avec
aux allures d’adolescent, retourne vivre et aux sanctions américaines Siamak Namazi avait été arrêté lors d’une lassitude et une pointe d’ironie. Cette actrice
dans son pays, l’Iran, après douze ans aux visite à Téhéran – il a été condamné, en 2016, à établie à Paris, en décembre 2004, y distin-
Etats-Unis et à Londres. La République dix ans de prison pour espionnage, tout gue une frontière au sein même de la com-
islamique s’est mis en tête d’en faire un vice- comme son père revenu en Iran pour plaider munauté iranienne : « Il y a eux et nous…
ministre de l’environnement. sa libération. « Siamak était un homme d’affai- Ceux qui vont et viennent en Iran, qui jouent
M. Madani n’est pas particulièrement reli- res apolitique. Son arrestation a eu un effet avec les autorités, et ceux qui disent la vérité
gieux, il n’a pas de famille haut placée : c’est rant plusieurs heures par des agents de ren- glaçant sur de nombreux investisseurs. A elle sur le pays. » De confession bahaie, une
un ovni dans le « système ». Mais ce spécia- seignement. Il accepte de leur ouvrir son télé- seule, elle a coûté des centaines de millions de minorité religieuse persécutée, Mme Tolouei
liste reconnu de la gestion des ressources en phone et son ordinateur : « J’ai essayé de res- dollars au système », estime Ali Vaez, analyste dénonce depuis quinze ans la corruption,
eau propose des solutions à un problème pecter leurs préoccupations », explique-t-il. En à l’International Crisis Group. l’absurdité du régime qui ne manquerait pas
crucial : les déserts d’Iran s’étendent. Si rien réalité, le voilà pris dans un engrenage qui a Au moins quatorze binationaux et citoyens de l’arrêter si elle débarquait à l’aéroport
ne change, le pays ne sera plus qu’une lande failli le broyer, à peine sept mois plus tard. étrangers demeurent emprisonnés en Iran. Imam-Khomeyni. « Pourtant, précise-t-elle,
ensablée d’ici à trente ans. Avec son épouse, M. Madani s’établit dans A travers eux, l’appareil sécuritaire fait pres- j’y pense tous les jours. »
un quartier chic du nord de Téhéran, sur les sion sur leurs pays de résidence. Il affaiblit au Selon un sondage publié fin 2018 par PAAIA,
FUITE MASSIVE DES CERVEAUX pentes des monts Elbourz, où l’air est pur. Il passage le président Rohani et sa politique une association de défense des intérêts des
Depuis la signature de l’accord sur le nu- devient un personnage médiatique : ses d’ouverture à l’Occident. « C’est toujours la Irano-Américains, plus de 40 % des membres
cléaire iranien, en juillet 2015, le président façons simples, sa manière de gommer dans « LA CHINE ET L’INDE même question : à qui appartient ce pays ?, de cette communauté n’ont jamais mis les
Hassan Rohani courtise la diaspora ira-
nienne : environ 1,5 million de personnes dis-
un sourire ses tics et grimaces d’élocution,
charment. Les services de renseignement
ONT BÂTI UNE PART interroge M. Vaez. Les vétérans de la guerre
contre l’Irak [1980-1988], qui ont résisté aux
pieds en Iran depuis leur départ, ou leur nais-
sance à l’étranger. Un quart d’entre eux disent
persées entre Dubaï, la Turquie, les Etats-Unis le convoquent encore régulièrement. Puis, DE LEUR SUCCÈS sanctions internationales, peuvent-ils tolérer revenir au moins une fois tous les deux ou
et l’Europe – principalement en Allemagne et en février 2018, ils ne jouent plus : Kaveh ceux qui, à leurs yeux, reviennent pour exploi- trois ans, un chiffre en baisse en 2018. Parmi
en Suède. Nombre de ces familles sont parties Madani est arrêté. EN S’EFFORÇANT ter ses ressources ? » ces derniers s’impose l’impression d’une
durant la révolution de 1979 et la guerre Iran-
Irak (1980-1988). Elles peuvent aider l’écono-
Il subit la répression qui s’abat sur le pays, et
qui vise notamment les militants écologistes,
DE RAMENER LEURS En novembre 2018, le Conseil suprême de la
sécurité nationale, qui fixe les grandes orien-
occasion gâchée. « Ce sont les Etats-Unis qui
ont tout fait foirer… On a perdu vingt ans avec
mie iranienne à s’ouvrir et à décoller. Téhéran après la vague de manifestations qui s’est ÉLITES, MAIS L’IRAN tations stratégiques, a adopté une directive vi- Trump ! », s’emporte Homayoon Arfazadeh,
cherche aussi à inverser une fuite massive des étendue à plus de 80 villes, en janvier, en par- sant à protéger ces Iraniens de retour au pays. 53 ans. Cet avocat aux barreaux de Genève et
cerveaux : chaque année, quelque 125 000 jeu- ticulier dans des zones victimes de la séche- N’A PAS DE PLAN Mais elle intervient trop tard. Entre-temps, les de New York a dû abandonner l’antenne de
nes diplômés des universités s’expatrient. resse. Bilan officiel : 25 morts et des milliers Etats-Unis se sont retirés de l’accord sur le nu- son étude, Python Avocats, dont il avait
L’accord nucléaire a soulevé une vague d’arrestations. Libéré au bout de 72 heures, SÉRIEUX POUR CELA » cléaire, en mai 2018, et ont rétabli leurs sanc- coordonné l’ouverture à Téhéran, en 2016,
d’optimisme. A New York, Hamid Biglari, M. Madani ne démissionne pas. « Si je m’étais KAVEH MADANI tions contre le pays. L’économie iranienne, pour accompagner l’implantation de com-
59 ans, docteur en astrophysique et ancien dégonflé, ils se seraient convaincus que j’avais ex-vice-ministre de malade de longue date, est en état de siège. pagnies occidentales.
dirigeant sur les marchés financiers du fait quelque chose de mal », raisonne-t-il. l’environnement iranien « L’arrivée des capitaux étrangers et le retour
géant bancaire Citigroup, a mis son carnet Le ministre a de la chance. Il voyageait à « SILICON VALLEY » de la diaspora, c’était la meilleure façon de
d’adresses à la disposition de M. Rohani, et l’étranger, à la fin du mois de mars 2018, lors- « La bulle s’est dégonflée. Après avoir créé un faire évoluer les choses en Iran, soupire-t-il,
conseille discrètement la Banque centrale que des photographies « compromettan- modèle de développement inédit en Iran, les mais il n’y a plus de logique à Washington.
iranienne. Le gestionnaire de capital Rouz- tes », probablement saisies dans son télé- capitaux étrangers se sont taris. Et les entrepre- Qu’est-ce qu’ils espèrent, avec les sanctions ?
beh Pirouz, qui a quitté Londres pour Téhé- phone portable, sont publiées sur les ré- neurs repartent », soupire Mehdi Nayebi, Ils croient que les malades du cancer et les
ran, rassemble des fonds pour alimenter seaux sociaux. Ces images (une fête en Asie, 36 ans, qui a quitté Paris, en 2015, pour fonder enseignants vont prendre les armes ? Qu’ils
l’embryonnaire Bourse de Téhéran. de l’alcool et des femmes non voilées) datent une start-up à Téhéran, AloPeyk, un service vont se révolter parce qu’ils crèvent de faim,
M. Madani est le premier à rejoindre le gou- d’avant sa prise de fonctions, dit-il. Mais les populaire de livraison à domicile. sans médicaments ? » M. Arfazadeh conseille
vernement. « Je suis revenu avec l’espoir, cercles conservateurs réclament un procès. La naissance d’une petite « Silicon Val- encore des entreprises occidentales déso-
qu’après moi d’autres pourraient gagner la Il ne reviendra plus. ley » à Téhéran était l’unique succès de la rientées par les sanctions américaines,
confiance du “système”. L’Etat aurait pu com- « La Chine et l’Inde ont bâti une part de leur diaspora, depuis 2015. Des Iraniens revenus notamment pour l’exportation de médica-
prendre que nous ne sommes pas nécessaire- succès en s’efforçant de ramener leurs élites au au pays y ont fondé, en bonne intelligence ments et de produits agricoles. Il est rentré
ment des espions… Beaucoup attendaient pays, mais l’Iran n’a pas de plan sérieux pour avec les autorités, des copies d’Uber et quatre fois au pays en 2018. Il connaît les
pour se décider », dit-il. A l’aéroport Imam- cela », déplore-t-il, depuis l’université Yale, aux d’Amazon pour le marché local. M. Nayebi règles du jeu : il patiente. p
Khomeyni, premier choc : il est interrogé du- Etats-Unis, où il enseigne depuis janvier 2019. est l’un des rares à n’être pas reparti. Il a louis imbert

Manoto TV, au service des nostalgiques de la monarchie


Basée à Londres, la chaîne diffuse avec succès émissions et documentaires à la gloire de la dynastie Pahlavi

téhéran - correspondance Un élément important différen- vre son programme nucléaire, tions de Manoto sont plus claires comme les victimes d’un « lavage tations, début 2018. « Son objectif
cie Manoto de ses rivales. La provoquant l’isolement du pays et avec la diffusion de De Téhéran de cerveau » opéré par des grou- est de dépeindre, de manière par-

L orsque l’Iranienne Mahsa,


doctorante en gestion des
ressources en eau, en Alle-
magne, est retournée dans son
pays en 2011 pour ses vacances
chaîne, à ses débuts, diffusait peu
de contenus à message politique,
préférant des émissions divertis-
santes comme la très populaire
« Googoosh Music Academy », une
les sanctions internationales. A
cette époque, sous la présidence
de l’ultraconservateur Mahmoud
Ahmadinejad (2005-2013), l’Iran
était pourtant soumis à un sévère
au Caire, qui évoquait la révolu-
tion iranienne tout en mettant en
avant l’épouse du roi, Farah Diba,
qui vit entre Los Angeles et Paris.
Lors d’une de ses interventions
pes politiques à l’étranger – sous-
entendu des communistes –, sans
jamais reconnaître les effets de la
répression, de la censure ou des
inégalités économiques dans
tiale, une image sombre de l’Iran
actuel et de renforcer le méconten-
tement populaire », assure Mahsa,
la doctorante qui, par ailleurs, n’a
guère d’affinités avec les conser-
d’été, elle s’est étonnée du nom- sorte de « Star Academy » présen- embargo économique de la part filmées, elle décrivait les oppo- l’Iran de l’époque. vateurs iraniens.
bre de gens qui regardaient chez tée par la diva de l’ère prérévolu- de la communauté internationale sants au régime de son mari Dotée d’une collection impres- La chaîne maintient le secret
eux, avec intérêt et régularité, la tionnaire Faegheh Atashin, plus à cause de son programme atomi- sionnante d’images d’archives, sur les origines de ses finance-
chaîne satellitaire Manoto, diffu- connue sous le nom de Googoosh. que. « J’ai vu dans ce film que les datant d’avant la révolution de ments – les Iraniens soupçon-
sée depuis Londres. Et cela alors que les solos de chan- gens de Corée du Nord cherchaient 1979, Manoto multiplie les émis- nent les Etats-Unis, l’Arabie saou-
Lancée en 2010 par le groupe teuse demeurent interdits en Iran. de quoi manger par terre et dans les « SON OBJECTIF sions à la gloire de la dynastie dite et Israël, rivaux de Téhéran.
Marjan Media, Manoto (« toi et
moi » en persan) a fait son appari- Les pieds dans le plat
poubelles », commentait, la même
année, un vendeur de légumes à
EST DE DÉPEINDRE, Pahlavi, vantant sa croissance
économique considérable, les vil-
En octobre 2018, le Guardian a
révélé qu’une autre chaîne d’op-
tion dans un paysage médiatique Tandis que les médias iraniens se Téhéran, qui redoutait qu’un sort AVEC PARTIALITÉ, les modernes, les cabarets, les position basée à Londres, Iran
déjà bien rempli par des chaînes heurtent à de nombreuses lignes similaire s’abatte sur les Iraniens. femmes en minijupe et le passe- International, était financée,
telles que BBC Persian (établie à rouges, Manoto met les pieds dans Un autre documentaire produit UNE IMAGE SOMBRE port iranien capable d’ouvrir les grâce à une entité offshore, par
Londres) et Voice of America Farsi
(diffusée depuis Washington).
le plat. En 2011, la chaîne diffusait
par exemple un documentaire
par la chaîne dressait un portrait
élogieux du roi Reza Pahlavi
DE L’IRAN ACTUEL » portes de l’étranger.
Nombre d’analystes estiment
un homme d’affaires saoudien
proche de la famille royale à
Bien que la loi iranienne interdise dépeignant la souffrance des (1878-1944), père de Mohammad MAHSA que Manoto est à l’origine des slo- Riyad. Manoto n’a pas donné
les paraboles, leur utilisation est Nord-Coréens en raison de l’entê- Reza (1919-1980), sans évoquer son doctorante exilée gans prodynastie prononcés lors suite aux questions du Monde. p
de plus en plus répandue tement de Pyongyang à poursui- autoritarisme. En 2012, les inten- en Allemagne de la dernière vague de manifes- ghazal golshiri
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 FÉVRIER 2019 l’iran en quarantaine | 5

LA VIE DES FEMMES,


ENTRE FOI ET LOIS
Port du voile, tutelle masculine, éducation, politiques natalistes…
Les Iraniennes au gré des avancées et reculs sociétaux

1972 1979 - Mise en place d’un système

L
es films iraniens traitant
Mise en place de la tutelle des droits des femmes politique religieux
masculine rencontrent un franc suc-
Abrogation de la loi de 1967 qui
Obtenir un passeport, voyager cès dans les salles du pays, réinstaure la ségrégation des sexes.
ou travailler est soumis témoignant de l’intérêt croissant Les femmes laïques et religieuses qui
à l’approbation d’un homme du public pour ce sujet. La Permis- avaient participé au mouvement contre
(époux, père ou frère). sion (sorti en 2018 en France) évo- le pouvoir du chah, au nom
que l’histoire vraie de la capitaine de la justice sociale et de la démocratie,
de l’équipe nationale féminine de sont marginalisées. Le droit de vote
futsal (football en salle), Niloufar demeure l’un des rares acquis.
Ardalan. En 2015, la jeune Ira-
1967 nienne avait été empêchée par
1980-1988
Loi de la protection de la famille son mari de se rendre en Malaisie
Guerre Iran-Irak, les femmes
La polygamie est réglementée, pour un match décisif. C’est que,
entrent dans la vie active pour
avec l’obligation d’obtenir l’accord en Iran, les femmes ont besoin de pallier le manque d’hommes.
de la première épouse ; le divorce l’accord de leur tuteur (père, frère
n’est plus la prérogative des hommes ion ou époux) pour franchir les fron-
et est désormais soumis ss tières. L’incident a suscité la polé-
198
1-1 1989
re

à un jugement. i mique dans les médias et sur les 9


ép

Politique nataliste

89
v
la
tr

réseaux sociaux.

:
ah

Ap
Gratuité des moyens contraceptifs

A.
ne

Kh
pour limiter les naissances.

art
za
atio

am
Paradoxe
Re

ir d
e
Selon la loi islamique, les pères
: M.
talis

nei
1962

e
se voient octroyer la garde des 1997
979

1979
Programme de modernisation
cciden

enfants âgés de 7 ans et plus ; le


1941-1

« révolution blanche » Avec l’élection du réformateur Khatami, des groupes


témoignage d’une femme ne
politiques pour la défense des droits des femmes

- Chut
Octroi du droit de vote et d’éligibilité vaut que la moitié de celui d’un
pour les femmes. Le clergé émergent. Les changements restent mineurs du fait
entre o

homme. L’avènement de la Répu-

1989-19
le qualifie d’« incompatible » du pouvoir du Conseil des gardiens.
blique islamique a pourtant ras-

e du cha
avec l’islam.
suré les familles traditionnelles :
Pahlavi,

97 : H. R
désormais, leurs filles allaient 2005
pouvoir conquérir les universités
Pahlavi

h et ins Avec l’élection du conservateur Ahmadinejad,


1936 et les administrations. Selon un les réformes obtenues sur le relâchement
a f sa n d

apparent paradoxe, elles pou- du code vestimentaire lors du précédent


Interdiction
é gi m e

1979-1
C h ah

vaient enfin sortir de l’ornière où gouvernement sont abrogées. Un système de


du port du voile
jani

les avait reléguées le père du der-


taura

quotas est imposé à l’université dans


dans les lieux publics
Re z a

989:
: le r

nier roi d’Iran, Reza Chah, en certaines filières : le nombre d’étudiantes


interdisant le port du voile et du chutent de 52 % à 43 %.
t
R . Kh
41 :

io n
97 9

tchador dans les espaces publics.


9

Le système d’éducation nationale


1 99

Sous son règne et celui de son fils,


om
5-1

d’u
5-1

ne fait aucune distinction entre traditionalistes et religieuses ne 2007 - Projet de loi


192

7-2
eyn

ne

garçons et filles. Les religieux


192

sur la protection de la famille


005

sortaient plus de leur foyer.


i

thé

sont écartés du pouvoir ;


La guerre qui opposa l’Iran à Octroi de nouveaux privilèges aux hommes,
: M. K

ils continuent à exercer


ocra

l’Irak (1980-1988) a eu pour effet limitant les droits


une autorité morale.
hata

de pousser les femmes à travailler des femmes en


jar

Les femmes de familles


tie

dans les hôpitaux, les usines, les cas de divorce.


Qad

mi

religieuses sont
1989

empêchées de sortir. fermes… Les Iraniennes ont ainsi


Chah

gagné en confiance. Selon les


Qajar

à aujo

chiffres officiels de 2018, les étu-


25 : A.

diants sont à 60 % des femmes.


urd’hu
ie

Elles occupent d’importantes 2009 - Le « mouvement vert »


dynast

2005-20

1905-1911
1909-19

fonctions, telles qu’ambassadrice, dénonce la réélection jugée


i : Ali Kh

Révolution constitutionnelle vice-présidente, chef de société frauduleuse d’Ahmadinejad.


persane pétrolière ou d’aviation. Le taux
13
a
ute de l

L’instauration d’un Parlement


amenei

: M. Ahm

de chômage chez les femmes 2014


r
h Qadja

met fin à la monarchie absolue. reste cependant deux fois plus Interdiction des formes
Des écoles pour femmes élevé que chez les hommes. de contraception permanente
sont créées, mais le droit
adineja
h

L’affaire de la championne de
. Ali Cha

pour relancer la natalité.


1925 : C

de la famille reste soumis à la futsal a été réglée en catimini par


charia (loi islamique). les autorités, qui lui ont accordé Fin 2017 - Manifestations
Guides
d
-1909 : M

un droit de sortie, en dépit de suprêmes contre la vie chère


l’avis de son mari – ce qui prouve et la corruption des élites.
l’importance et le poids de l’opi-
Souverains
1 9 07

nion publique en Iran. La loi sur le


et présidents droit de sortie des femmes n’a
1896-1907 : M. Ad-Din Chah Qadjar à partir de 1979 2013 à aujourd’hui : H. Rohani
pas été modifiée pour autant. p

Société Economie
Taux d’alphabétisation, Part des femmes employées Part des femmes sur le marché du travail, en % Taux de chômage,
en % possédant un diplôme, en % en 2018, en %
79,7
71,1 70,3
59,8
1976 1980 50,5 19,8
35 5,2 10,2
22,3 24,1
2016 2016 16,6

40 ans
84 46,9
Iran Arabie saoudite Tunisie France Femmes Hommes

Part des femmes ayant un niveau Evolution du nombre entre Politique


universitaire, pour 1 000 femmes d’écrivaines
de 18 ans et plus
28 239
chape de plomb Part des femmes au Parlement, en % Nombre de femmes dans
et progressions Iran Arabie Tunisie France
les conseils municipaux

saoudite 4 029
38,8
24,8 172,7 31,3
19,9* 1 375
11 5,9 6,7 5
1,4 0
1976 2016 1978 2017 1980 2016 Avant 2013 1997 2014 1981 2017 1998 2017
2013
Sources : Institut de statistiques iranien ; Banque mondiale ; Azadeh Kian-Thiébaut, « Le féminisme Infographie : Audrey Delaporte
islamique en Iran », Critique internationale (n°46), 2010, Presses de Sciences Po * En Arabie saoudite, les femmes sont nommées par le roi selon un quota imposé et Audrey Lagadec
6 | l’iran en quarantaine 0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 FÉVRIER 2019

DE HAUT EN BAS ET DE GAUCHE À DROITE :


Des écoliers dans la cour de leur école,
à Shadegan, dans la province du Khouzistan.
SADEGH BOAZAR/EVERYDAY IRAN
Un étudiant à l’entrée d’une école religieuse, à Gorgan.
ALI DEHGHAN/EVERYDAY IRAN
Sur une route de campagne. SHAHIN AAKJAER/EVERYDAY IRAN
Un homme travaille à la restauration d’un tapis,
à Tabriz. AYSU/EVERYDAY IRAN
Dans un stade de Téhéran, lors d’un match de football.
MOHAMMAD AHANGARI/EVERYDAY IRAN
La tour Milad, à Téhéran. KHOSRO PARKHIDEH/EVERYDAY IRANX
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 FÉVRIER 2019 l’iran en quarantaine | 7

MOTS D’IRAN

A Qom, « Sigheh »
Ce mariage temporaire (de quelques

la discrète heures jusqu’à des décennies, selon


le souhait des futurs « époux »)
camoufle aussi la pratique des
unions libres. A la fin de la cérémo-

émancipation
qom (iran) - envoyé spécial
nie, qui se tient dans les bureaux
d’enregistrement des mariages, un

U
n vent froid souffle dans les livret comportant noms et photos
rues de Qom. La capitale du
clergé d’Iran s’est vidée : les des « mariés » leur est délivré. Il leur

du haut clergé
séminaristes ont rejoint permettra, par exemple, de louer
des millions de pèlerins, en une chambre d’hôtel.
Irak voisin. Ils marchent
vers Kerbala, l’un des plus hauts lieux saints
de l’islam chiite, pour la fête religieuse de
l’Arbaïn. C’est la fin du mois d’octobre 2018.
Dans la ville déserte, un employé du minis-
tère de la culture et de la guidance islamique,
accroché à nos pas, soupire.
L’employé s’ennuie. Le tour de Qom, seule
Les plus hauts clercs du chiisme résident
ville où l’Etat impose aux journalistes étran-
gers une telle surveillance, il l’a déjà fait cent
dans cette ville sainte. En Iran, ils représentent
fois. Ni surprise ni imprévu : les rendez-vous
ont été validés à l’avance, chacun de nos
la source de la légitimité du pouvoir.
interlocuteurs pèse ses mots. L’Etat veille de
près sur Qom, où résident les plus hauts
Mais ils cherchent à s’en écarter
clercs du chiisme : une centaine de marja
capables d’interpréter les écritures saintes et
reconnus, par leurs pairs et par les fidèles,
comme « source d’imitation », intercesseurs
entre Dieu et les hommes. accablent l’Iran de sanctions. « Vous savez, les dépréciation massive de la monnaie a fait trentaine d’institutions qu’il gère à Qom,
En République islamique, ils représentent la jeunes clercs sont plus révolutionnaires que basculer une partie importante de la classe pour le compte de son beau-père, Ali Al-Sis-
source de la légitimité du pouvoir. L’autorité leurs aînés… », explique Rasoul Jafarian, dans moyenne dans la pauvreté, presque du jour tani, le plus suivi des marja, du monde chiite.
publique s’efforce de financer les écoles reli- le département d’histoire qu’il dirige, au sein au lendemain. La colère monte ; les dénon- L’ayatollah Sistani réside en Irak, dans la
gieuses, de les organiser, de les contrôler, et de d’une importante bibliothèque de recherche. ciations publiques de profiteurs du « sys- ville sainte de Nadjaf. C’est lui qui reçoit et re-
censurer les voix dissidentes lorsqu’elles s’élè- Cette controverse est vieille comme la tème » se multiplient sur les réseaux distribue les plus importantes donations de
vent. Pour le haut clergé, Qom est tout à la fois République islamique. Elle a pris un tour sociaux. Elles n’épargnent pas le clergé. En POUR LA NOUVELLE fidèles chiites – le khoms, 20 % de leur revenu
un écrin et un étouffoir. Mais, à la mi-2018, ce
bel édifice s’est mis à tanguer. Durant l’été,
plus urgent depuis la répression, en 2009, du
« mouvement vert », qui protestait contre la
octobre 2018, Mohammad Naghi Lotfi, prê-
cheur du vendredi dans la principale mos-
ANNÉE IRANIENNE, « superflu », qu’ils versent au marja de leur
choix. M. Shahrestani le représente en Iran,
lors d’un meeting en ville, un polémiste ultra- réélection du président ultraconservateur quée d’Ilam, dans l’ouest du pays, a dû LE GOUVERNEMENT et agit en fin politique. Cet homme rondelet
conservateur, Hassan Rahimpour Azghadi, a Mahmoud Ahmadinejad (au pouvoir de démissionner après dix-huit ans de service : à la robe en perpétuel désordre, aux yeux
accusé le haut clergé de s’assoupir sur ses 2005 à 2013). « La plupart des clercs étaient il avait été photographié sortant d’une ENTEND PRIVER abîmés par le manque de sommeil et le dia-
rentes. « Le sécularisme s’enracine dans les
séminaires », tonnait-il.
restés silencieux, note Mehdi Khalaji, ancien
étudiant en religion à Qom, aujourd’hui ana-
luxueuse voiture de sport.
« Avant [la Révolution], nous étions les
LE CONSEIL SUPRÊME bète, a consacré sa vie à préserver l’indépen-
dance du clergé, tout en conservant une
lyste dans un think tank à Washington. Les faiseurs de rois. Aujourd’hui, nous sommes DES SÉMINAIRES place prééminente dans le « système ».
CRITIQUE « INDÉCENTE » plus indépendants auraient pu soutenir les devenus les rois, et nous sommes perdants », Ses instituts emploient des clercs progres-
Le meeting se déroulait à l’école Feizieh, foyer manifestants, mais ils ne voulaient pas affai- déplorait récemment un clerc iranien de DE QOM D’UN TIERS sistes et des proches des services de rensei-
de la révolution de 1979, où le fondateur de la blir le gouvernement, car ils ne voyaient pas passage à Paris. De tels examens de cons- gnement, tout comme des indifférents à la
République islamique, l’ayatollah Rouhollah d’alternative si celui-ci venait à chuter. Cela cience sont rares en Iran. Les figures religieu- DE SON ALLOCATION chose politique. Il s’efforce de structurer les
Khomeyni, a lui-même enseigné. Dans ces leur a coûté cher. » Une partie de l’opinion ses ouvertement contestatrices sont peu institutions dont il est chargé, dans une ville
murs, la saillie de M. Azghadi faisait mauvais publique ne le leur a pas pardonné. Depuis, nombreuses et vieillissantes. Le grand aya- qui rechigne à la bureaucratie et qui peine à
genre. « J’entends que 700 à 800 traités les marja tendent à prendre leurs distances tollah Youssef Saanei, 82 ans, l’un des fonda- faire ses comptes. Il fait construire des com-
religieux nous parviennent de Qom. Mais avec l’Etat et la politique, discrètement. teurs de la République islamique, devenu cri- plexes résidentiels pour les clercs, mais
avons-nous besoin de 700 marja ?, interro- Alors que la République islamique fête ses tique de ses dérives autoritaires, est malade aussi pour les classes modestes. Sa fortune à
geait-il. J’ai présenté 100 problèmes, dont 40 ans, ces tiraillements au sein du clergé et las : il a cessé de ferrailler. l’étranger le protège : c’est un gage de longé-
80 % comptent parmi les plus urgents de notre sont accentués par de basses préoccupations vité pour le clergé chiite.
société, or la majorité de ces clercs n’y fournis- pécuniaires. Pour la nouvelle année ira- FRONTIÈRE ÉTANCHE « Je suis transparent : je respecte l’Etat mais
sent aucune réponse ! » nienne, qui s’ouvre en mars, le gouvernement Mais des clercs plus modérés se font enten- je ne recule pas, dit-il lorsqu’on l’interroge
La très conservatrice Société des ensei- du modéré Hassan Rohani entend priver le dre. Ils sont nombreux à revendiquer leur sur sa position d’équilibriste. Il y a eu diffé-
gnants des séminaires de Qom a jugé cette Conseil suprême des séminaires de Qom d’un indépendance financière. Une façon de reje- rents marja dans l’histoire : certains, comme
critique indécente. Mais cela n’a pas empê- tiers de son allocation, en l’abaissant à ter les ingérences du pouvoir dans leurs l’ayatollah Khomeyni, estiment que l’Etat isla-
ché l’une des principales organisations étu- 63,4 millions d’euros. « Les séminaires sont au affaires. « Le clergé chiite est indépendant de mique est souverain. Ceux-là souhaitent mê-
diantes d’oser se ranger derrière le polémiste. plus bas financièrement », s’est lamenté, le l’Etat : sa légitimité et son indépendance ler le religieux et la politique. Les chiites qui ne
Ces jeunes gens aimeraient que leurs profes- 17 janvier, l’ayatollah Ali-Reza Arafi qui super- financière lui viennent du peuple », assène partagent pas cette idée préfèrent suivre un
seurs se prononcent, par exemple, sur un vise l’enseignement religieux dans le pays. ainsi Javad Shahrestani, l’un des religieux les marja qui ne s’occupe que de religion. Disons
éventuel retrait du pays de l’accord interna- En fait, c’est l’Iran tout entier qui est au plus plus influents du pays. Avec obstination, que ces deux positions se complètent. » On ne
tional sur le nucléaire, à la suite des Etats- bas. Les sanctions américaines ont déstabi- M. Shahrestani maintient une frontière étan- peut être plus diplomate. p
Unis, qui l’ont dénoncé en mai 2018 et qui lisé une économie malade de longue date : la che entre le gouvernement de Téhéran et la louis imbert

L’Iran, quarante ans d’une obsession américaine


Depuis la prise d’otages, à Téhéran, en 1979, l’Iran demeure une menace et un repoussoir pour les Etats-Unis

washington - correspondant ans appartient désormais à l’his- scandés pendant des décennies à des Etats-Unis) pour la région du vis-à-vis de l’histoire et de la civili- ceptionalism (St Martin’s Press,
toire. En revanche, nulle ambas- Téhéran. A la veille de la conclu- monde englobant le Moyen- sation de ce pays. Dans la culture 2016, non traduit), il estime que

E n 1979, les Américains sont


encore hantés par les ima-
ges de la noria d’hélicoptè-
res évacuant dans la précipitation
le personnel de leur ambassade de
sade américaine n’a rouvert dans
la République islamique d’Iran, vi-
sée sans interruption par des sanc-
tions des Etats-Unis. Celles-ci n’ont
pas été totalement levées durant la
sion de l’accord sur le nucléaire de
2015, les Etats-Unis comptaient
ainsi parmi les pays où l’image de
l’Iran était la plus négative, avec
76 % d’avis défavorables – bien au-
Orient, à propos des trois princi-
pales menaces visant le pays,
James Mattis, l’ex-secrétaire à la
défense de Donald Trump, répon-
dait : « L’Iran, l’Iran, l’Iran. »
populaire américaine, en revan-
che, l’image de l’Iran demeure liée
aux actualités de 1979. Celles-ci
continuent d’inspirer, comme le
jeu vidéo Battlefield 3, mis en vente
l’ouverture amorcée par Barack
Obama n’a pas eu le temps de pro-
duire des effets notables sur les
mentalités, même s’il note des
nuances entre les deux grands
Saïgon en avril 1975, épilogue de la parenthèse de l’accord sur le nu- dessus de la moyenne de 58 % me- en 2011. En 2012, le film à succès partis américains.
débâcle vietnamienne. Neuf mois cléaire iranien, conclu en 2015. Pa- surée dans un échantillon de qua- Espionnage et emprisonnement Argo, de Ben Affleck, racontait l’ex- Les études du Pew Research Cen-
après le début de la révolution isla- renthèse marquée par un assou- rante pays représentatifs de toutes Le divorce est aussi entretenu par filtration de six diplomates améri- ter les confirment. En novem-
mique iranienne, Washington plissement auquel Donald Trump les régions du globe par le Pew une chronique judiciaire singu- cains réfugiés chez l’ambassadeur bre 2018, seuls 29 % des sympathi-
perd encore un allié régional et, le a mis un terme en 2018. Research Center. lière. En janvier, le journaliste ira- canadien, au moment de la fa- sants démocrates considéraient
4 novembre 1979, une autre de ses Cette rupture diplomatique, offi- Après le choc initial de 1979, de no-américain Jason Rezaian a pu- meuse prise d’otages. Un an plus que « limiter le pouvoir et l’in-
ambassades est prise d’assaut, à cielle depuis avril 1980, s’est instal- lourds événements ont obéré les blié un livre sur ses 544 jours de tard, la troisième saison de la série fluence de l’Iran » devait être « une
Téhéran. Pendant 444 jours, 52 res- lée dans les esprits. Elle est entrete- rapports américano-iraniens, de captivité en Iran, où il était corres- Homeland se terminait par la mort des priorités de la diplomatie amé-
sortissants américains seront re- nue par les « Mort à l’Amérique ! » l’attentat contre les marines à Bey- pondant pour le Washington Post. du protagoniste, exécuté par le ré- ricaine », contre 52 % chez les répu-
tenus en otage. L’impuissance du routh (241 morts en 1983) aux Arrêté en juillet 2014, il avait été gime iranien. Une constante que la blicains. De même, les 29-35 ans
président des Etats-Unis, Jimmy ravages des bombes antiperson- accusé d’espionnage et empri- chronique sociale et intimiste du n’étaient que 29 % à retenir un tel
Carter, précipitera sa défaite à
l’élection présidentielle de 1980.
À PROPOS DES TROIS nel visant les soldats américains
déployés en Irak après l’invasion
sonné, avant d’être relâché en jan-
vier 2016 avec trois de ses compa-
film Une séparation, de l’Iranien
Asghar Farhadi, primé aux Oscars
objectif, contre 52 % des plus de
65 ans. Mais la défiance reste pré-
Quarante ans plus tard, les Etats- PRINCIPALES MENACES de 2003. En 2015, le nombre de triotes. Des Américains avaient en 2012, n’a guère pu ébranler. gnante. Dans un sondage réalisé
Unis et le Vietnam n’ont cessé 500 morts imputables aux explo- subi un sort similaire en 2011, cinq « Ces sentiments sont profondé- en septembre 2018, les Améri-
d’approfondir leurs relations bila- VISANT LES ÉTATS- sifs iraniens utilisés par des mili- autres sont encore détenus. ment ancrés », confirme Shadi Ha- cains, toutes tendances confon-
térales depuis la normalisation de ces évoluant dans l’orbite de Téhé- A la Maison Blanche, les prési- mid qui étudie les relations entre- dues, plaçaient l’Iran parmi les
1995. En une génération, trois pré- UNIS, JAMES MATTIS ran a été avancé – une estimation dents successifs se sont efforcés tenues par les Etats-Unis avec le pays leur inspirant les sentiments
sidents américains se sont rendus RÉPONDAIT : « L’IRAN, basse, selon le Pentagone. Inter- d’établir une distinction entre le monde islamique à la Brookings les plus « glaciaux », avec la Russie
sur place. L’atroce bilan humain rogé en tant que patron du Cent- régime et la population iranienne, Institution, à Washington. Auteur et la Corée du Nord. p
d’un bourbier de près de quinze L’IRAN, L’IRAN » Com (commandement central exprimant toujours leur respect d’un essai remarqué, Islamic Ex- gilles paris

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