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Revue des Deux Mondes

LE VIN, OBJET DE PASSION


Author(s): Joseph Henriot
Source: Revue des Deux Mondes, (JANVIER 2000), pp. 98-101
Published by: Revue des Deux Mondes
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44188857
Accessed: 06-11-2018 10:31 UTC

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LEVIN,
OBJET DE PASSION

Joseph Henriot

créateur pour l'entretenement de cette vie, et le premier


A'|I près célébré créateur le pain pour pour vient son l'entretenement excellence.. , le vin, second de esguisant cette aliment vie, donné et l'esprit, le premier par pris le
selon son légitime usage. » Ainsi commenc
la vigne et au vin dans le Théâtre d'agr
champs qu'Olivier de Serres, seigneur d
Henri IV. Un peu plus loin dans ce même c
que « Jules César, revenant victorieux d'
troisième consulat, festoya le peuple romain
vins précieux et singuliers apportés de loin -
Si nous revenons, sans transition appar
de cette fin de millénaire, comment expliq
jusqu'à une période récente, ne connaissaie
du vin, et encore moins celle de la vigne
ment d'une vraie passion pour les grands vin
guliers apportés de loin ?

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REVUE DES DEUX MONDES JANVIER 2000

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Levin,
objet de passion

Récemment, un Japonais a été élu meilleur sommelier du


monde, et les cartes des vins des meilleurs restaurants de Tokyo ou
d'Osaka sont bien souvent des modèles de raffinement. Les collec-
tionneurs de grands crus y sont nombreux. Les rues de la vieille ville
de Beaune et les routes du Médoc voient passer beaucoup de
Japonais avides d'en savoir plus sur les meilleurs domaines viticoles.

Les civilisations du vin sont gaies et conviviales

De tels constats sur une si longue période obligeront, je


l'espère, les plus mal intentionnés des adeptes de la loi Evin - ces
rabat-joie qui savent comment on fait le bonheur du peuple - à
admettre que le vin a toujours exercé et exerce sur les hommes
une fascination particulière, bien loin de celle, brutale ¡et triste, de
l'alcool. Récemment, Mme Hélène Carrère d'Encausse, invitée
d'honneur à la fête annuelle « la Paulée de Meursault », faisait
remarquer à son auditoire enthousiaste que les peuples buveurs
d'alcool sont le plus souvent des peuples tristes, alors que les civi-
lisations du vin sont gaies et conviviales. L'ambiance de la salle, ce
soir-là, prouvait qu'elle disait vrai.
Depuis des millénaires, des vignerons, des moines, des
grands seigneurs, des maîtres de chai, des ingénieurs, des agro-
nomes travaillent d'arrache-pied, et avec passion, pour améliorer
sans cesse le vin de chaque vendange.
Avec passion. Voilà le mot clé. Le vin - entendons bien, je ne
parle pas du pinard - est donc un objet de passion, comme la
musique ou la peinture, ou la danse. Plus d'ailleurs comme la
musique que comme la peinture, puisque l'amateur de bons vins
détruit ce qu'il déguste et y trouve le plaisir d'un instant, comme
celui de l'œuvre qu'on écoute ou qu'on joue.
La comparaison ne s'arrête d'ailleurs pas là : comme la
musique, la dégustation des grands vins nécessite un vrai travail
d'apprentissage ; et le plaisir augmente à mesure que l'amateur, c'est-
à-dire l'homme de culture, connaît mieux et maîtrise son art, amé-
liore son acuité et sa mémoire gustatives, et connaît les techniques,
l'histoire, les traditions et les limites des grandes régions viticoles.

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Levin,
objet de passion

La passion n'est pas l'apanage du seul connaisseur de grands


vins ; elle envahit l'existence des vignerons, des œnologues et des
maîtres de chai ; et il est frappant de voir que leur métier, parfois
contraignant, les rend heureux ; j'en connais plus d'un qui ne se
sent pas vraiment concerné par la loi des trente-cinq heures.
Bien sûr, là comme ailleurs, cet univers clos voit s'épanouir
un petit peuple de pédants professeurs Diafoirus, de médiocres
forts en thème, quelques disciples de sectes, des suiveurs de
mode et même de quelques fakirs, charlatans et bonimenteurs ;
mais, pour peu que l'on porte sur eux un regard critique d'ento-
mologiste, leurs postures ridicules deviennent, à petites doses,
amusantes.

Connaître l'histoire, les histoires et même les légende


vins décuple le plaisir de les goûter et de les boire, en nou
grant dans une chaîne culturelle où la gaieté et la joie de viv
de rigueur. Savoir que Louis XIV raffolait du vin de Volnay
Napoléon aimait tant le chambertin que ses troupes devaient pr
ter les armes en passant devant cette vigne, voilà qui nous
à accueillir plus courtoisement ces vins à notre table. Est-il p
de vraiment apprécier un clos-de-vougeot si l'on ne sait pa
depuis l'an 1000 ou à peu près les moines, les cisterciens en
ticulier, ont sans relâche amélioré leur connaissance des te
bourguignons ? Et c'est un vrai plaisir pour l'esprit d'imaginer
ces abbayes, qui devaient ressembler tantôt à des gîtes d'étap
tôt à des châteaux-hôtels pour les pèlerins en route vers S
Jacques-de-Compostelle. Nul doute que la réputation de
étape déterminait, au moins pour partie, la prospérité de l'ab
Clairvaux, Cîteaux, Cluny, têtes de liste dans les guides gast
miques, quel rêve ! et quelle aide déterminante à l'élévation
âmes ! La répétition des noces de Cana comme exercice spi
pourquoi pas de temps à autre ?
Toutes ces traditions culturelles, ces mythologies, ces a
dotes vraies ou nées dans l'imagination des vignerons, cet
vivre sont sans doute les causes principales de l'incapacité
du marketing moderne à s'épanouir et à réussir dans le cha
univers des grands vins. Les grosses armées du marketing n
ront jamais comprendre et admettre que les grands vins n
pas des « produits », mais des instruments de culture. Tant m

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Voici enfin un secteur à l'abri de la standardisation culturelle, et où


chacun peut se mouvoir à sa fantaisie. Quel luxe que la fantaisie !
Rappelons-nous avec délectation que le temps n'épargne pas
ce que l'on fait sans lui, et regardons avec admiration et complicité
la démarche de nos amis japonais : avec opiniâtreté, ils ont appris
à connaître les mille et une facettes des grands vins, et maintenant
ils aiment jouer avec virtuosité les partitions les plus élaborées et
les plus rares.

Joseph Henriot *

* Il a été, de 1965 à 1986, président-directeur général du Champagne Henriot et,


de 1975 à 1986, du Champagne Charles Heidsieck dont il a pris le contrôle en
1975. En 1982, il est membre du directoire de Louis Vuitton. En 1985, il cède
Charles Heidsieck au groupe Rémy Cointreau. En 1986, il est nommé président de
Veuve Clicquot, maison reprise par Louis Vuitton. C'est en 1994 que Joseph
Henriot a quitté la présidence de Veuve Clicquot pour se consacrer au développe-
ment de son groupe familial, qui reprend Bouchard Père & Fils (grands vins de
Bourgogne) en 1995 et William Fèvre (chablis) en 1998.

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