Vous êtes sur la page 1sur 4

L'anthropologie de Foucault, normes sociales et normativité corporelle

Si la question du corps occupe une place centrale dans la philosophie de Foucault elle le doit entre autre
à l’influence de Canguilhem et à son «essai sur quelques problèmes concernant le normal et le
pathologique ».On peut voir dans cet essai les prémisses et l’embryon de ce que sera l’anthropologie
Foucaldienne ,même si elle s’en éloigne par bien des aspects ,elle en est le prolongement . Cet essai est
fondateur de la pensée foucaldienne parce qu’elle va développer et étendre l’idée qui y est présente du
début jusqu’à la fin et que résume la phrase de Canguilhem « l’homme , même physique ,ne se limite
pas à son organisme » ,toute la problématique foucaldienne de la disparition de l’homme y est contenue.
Si comme l’écrit Canguilhem « c’est au-delà du corps qu’il faut regarder pour apprécier ce qui est
normal ou pathologique pour ce corps même » c’est que le corps individué n’est pas la seule instance à
partir de laquelle l’homme doit se référer pour définir ce qui est normal ou pathologique .Le corps n’est
pas le lieu unique de l’instauration de ses normes, il ne peut seul se les prescrire ,« les normes n’ont pas
d’origine » écrit Canguilhem .On a constaté que les normes sociales et culturelles pouvaient
conditionner la normativité corporelle et sa plasticité , et ceci à travers l’étude des constantes
physiologiques de populations éloignées tant par la culture que par le milieu naturel où elles évoluent.
S’il est vain de vouloir séparer l’homme de son milieu et ainsi d‘opposer nature et culture cette
distinction artificielle n’en reste pas moins opératoire car elle a fécondé toute la recherche scientifique
moderne et particulièrement la médecine expérimentale. L’abandon de la théorie humorale comme
schème explicatif de la santé ou de ce que l’on imagine être son équilibre participe de cette volonté de
ne voir dans le corps qu’un assemblage d’organes indépendants dépourvu de toute sensibilité ,un corps
débarrassé des considérations vitalistes ou finalistes qui encombraient son étude objective ,Leriche
n’écrit-il pas qu’il faut déshumaniser la maladie pour la définir et que ce qu’il y a de moins important
dans la maladie c’est l’homme ? .Cette occultation de la nature spécifique du corps vivant au profit du
corps physique a favorisé indirectement sa connaissance ,en effet si c’est au mépris de la subjectivation
du corps que l’anatomie et la physiologie ont pu se constituer en tant que science , c’est au nom de la
reconquête de cette identité perdue que la pathologie et la clinique se sont développées. Comme le dit
Canguilhem la médecine n’est pas une science mais un art parce que son objet propre est de soigner et
on pas seulement de réparer. En effet que veut dire soigner sinon prendre soin de soi c’est à dire avoir le
souci de son corps. Or cette inquiétude muette augmente lorsque le corps ne répond pas à ce qu’on
attend de lui, lorsqu’il se dérègle au point de provoquer la douleur .Ce cri inaudible du corps est le signe
de son dysfonctionnement et le rôle de la médecine est alors de le taire pour recouvrer ce que Leriche
appelle « la vie dans le silence des organes »,c’est à dire la santé .Mais on ne doit pas confondre la vie
des organes avec le vécu du corps et c’est ce qui fait toute la différence entre réparation et soins,
physiologie et pathologie .

Si la physiologie s’occupe de fournir des normes de fonctionnement aux organes sans se préoccuper de
la manière dont le corps répond à leurs exigences la pathologie semble considérer la maladie comme la
déviance d’un corps qui se soustrait aux injonctions des normes prescrites par ses organes à seule fin de
les modifier ,autrement dit la maladie n’existe pas en soi mais pour soi, l’état pathologique n’est pas un
état indifférent aux normes ,il est la réponse du corps à une infraction des normes vitales et cette
réponse est elle-même normative c’est à dire productrice de nouvelles normes, ce qui fait dire à
Canguilhem qu’ « être malade c’est vivre d’une autre vie » .Cette thèse inaugurée par Leriche considère
la maladie comme un « ordre physiologique nouveau »et elle s’appuie sur une conception de la douleur
qui la fait réintégrer dans le concert silencieux des organes , « la douleur n’est pas dans le plan de la
nature » et ne définit en aucun cas la maladie, elle n’a pas de fonction organique supposée informer le
corps de troubles fonctionnels. Il n’y a pas nécessairement coïncidence entre la souffrance et la maladie.
Entre le normale et le pathologique il n’y a que la distance qui sépare le bien du mal, la vie de la mort
.Dans ses « leçons sur la chaleur animale » Bernard affirme que « la santé et la maladie ne sont pas deux
modes différant essentiellement » ,il y a bien continuité entre une physiologie que l’on peut qualifier de
normale et une pathologie qui en serait l’altération car elles sont des états informés par les mêmes
données physico-chimiques .La distinction entre physiologie et pathologie n’est pas absolue mais
seulement relative à la nature de l’observation. L’expérience clinique qualitative ne doit pas être
confondue avec l’examen physiologique quantitatif .La pathologie ne peut pas être une science parce
qu’il n’y a pas de science de la maladie comme il n’y a pas d’organe malade , seuls les hommes et
leurs corps sont malades et souffrent de l’inefficience d’organes qui ne remplissent plus leur fonction
.Un organe qui ne remplit plus sa fonction est-il d’ailleurs encore un organe ?

Vous aimerez peut-être aussi