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La mémoire
2e édition
© Dunod, 2016
5 rue Laromiguière, 75005 Paris
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-075061-0
Sommaire
Introduction 7
Chapitre 1
Quelques repères historiques des travaux sur la mémoire
I Deux traditions d’étude de la mémoire 11
1. La tradition pathologique : Théodule Ribot (1881) 11
2. La tradition expérimentale : Hermann Ebbinghaus (1885) 14
Chapitre 2
Les mémoires légendaires
I Les mnémotechniciens 29
1. L’histoire de la mnémotechnie :
quelques jalons historiques (voir les ouvrages de Lieury) 29
2. Les méthodes mnémotechniques basées sur l’imagerie mentale 32
3. Les méthodes mnémotechniques basées sur des stratégies verbales 34
Chapitre 3
Les mémoires pathologiques
I Exemples de quelques pathologies sévères
de la mémoire 52
1. Les syndromes amnésiques lésionnels 52
2. Les syndromes amnésiques démentiels :
le cas de la maladie d’Alzheimer 56
3. Les amnésies de type transitoire :
le cas des traumatisés crâniens 58
Chapitre 4
La structure et le fonctionnement de la mémoire
I La mémoire à court terme ou mémoire de travail 84
1. Les premiers travaux sur la mémoire à court terme 84
2. Le modèle de mémoire de travail (MT) de Baddeley 86
3. La MCT comme sous-système activé de la MLT 90
Bibliographie 118
Index 126
Introduction
de cette mémoire chez les êtres vivants est son pouvoir d’actualisa-
tion. L’actualisation dans le comportement des expériences stockées
peut devenir consciente à travers l’acte de souvenir ou inconsciente
à travers les automatismes et les habitudes. Ainsi, le souvenir n’est
que l’expression consciente de la mémoire ; il n’est pas la mémoire
elle-même. Il y a un abus de langage lorsqu’on définit la mémoire
par le souvenir. Pour employer une image, on peut considérer que
le souvenir conscient n’est que la partie visible de l’iceberg ; la partie
immergée représente toute cette mémoire inconsciente qui guide
notre comportement à chaque instant. La technique du psycho-
logue est d’appréhender la mémoire totale à travers le répertoire
comportemental des individus, c’est-à-d ire à travers les processus
d’actualisation que l’on considère comme la « fenêtre » à partir de
laquelle sa structure et son fonctionnement psychologiques peuvent
être étudiés.
Cet ouvrage débute par un premier chapitre historique sur la notion
de mémoire qui va nous permettre d’analyser le rôle des facteurs
pragmatiques, sociaux et idéologiques qui ont été impliqués dans
les recherches expérimentales sur la mémoire depuis plus d’un
siècle. Nous adopterons ensuite la démarche qui consiste à étudier
la mémoire dans ses manifestations extrêmes : si l’exceptionnel que
l’on voit surgir chez les experts permet d’analyser les facteurs impor-
tants nécessaires à la réalisation d’un bon souvenir, la maladie, en
tant qu’elle affecte d’abord les fonctions supérieures, découvre les
phénomènes psychologiques plus rudimentaires et plus automa-
tiques. Nous passerons ainsi dans le second chapitre à l’étude des
mémoires prodigieuses alors que le troisième chapitre sera consacré
à l’étude des mémoires pathologiques qui se trouvent être à la base
du cadre de la psychologie structuraliste de la mémoire. Nous abor-
derons dans le quatrième chapitre le problème de la structure et du
fonctionnement de la mémoire en analysant les faits qui conduisent
aujourd’hui à nous interroger sur la question de l’unicité ou de la
multiplicité des mémoires.
Chapitre 1
Quelques repères historiques
des travaux sur la mémoire
tromper sur le thème du livre : l’intérêt de Ribot est plus porté sur
l’étude de la mémoire normale que sur ses maladies.
La proposition fondamentale de Ribot est que la « mémoire est, par
essence, un fait biologique ; par accident un fait psychologique »
(Ribot, 1881, p. 1). En effet, la mémoire, telle qu’on l’entend cou-
ramment et que la psychologie ordinaire la décrit, loin d’être la
mémoire tout entière, n’en est qu’un cas particulier, le plus élevé, le
plus complexe ; elle est le dernier terme d’une longue évolution. Il
convient donc de distinguer la mémoire dans son sens large d’orga-
nique (la vraie mémoire) de la mémoire au sens strict de psycholo-
gique (qui implique une conscience épiphénomène). Ribot (1881,
p. 2) souligne que dans la définition courante du mot, « la mémoire,
de l’avis de tout le monde, comprend trois choses : la conservation
de certains états, leur reproduction, leur localisation dans le passé.
Ce n’est là cependant qu’une certaine sorte de mémoire, celle qu’on
peut appeler parfaite. Ces trois éléments sont de valeur inégale : les
deux premiers sont nécessaires, indispensables ; le troisième, celui
que dans le langage de l’école on appelle la “reconnaissance”, achève
la mémoire mais ne la constitue pas. Ce troisième élément, qui est
exclusivement psychologique, se montre donc surajouté aux deux
autres : c’est l’apport de la conscience dans le fait de la mémoire ;
rien de plus ».
La mémoire consciente n’est qu’un cas particulier de la mémoire
naturelle ; elle a été considérée comme la mémoire tout entière
par les philosophes parce qu’ils l’ont étudiée par une mauvaise
méthode : l’introspection. Or la mémoire psychique implique la
conscience qui n’est qu’un accompagnement du processus ner-
veux. Selon Ribot, « il n’y a pas de forme de l’activité mentale qui
témoigne plus hautement en faveur de la théorie de l’évolution »
(Ribot, 1881, p. 47) :
En somme, on voit qu’il est impossible de dire où la mémoire – soit
psychique, soit organique – finit. Dans ce que nous désignons sous ce
vocable de mémoire, il y a des séries ayant tous les degrés d’organisation,
depuis l’état naissant jusqu’à l’état parfait. Il y a un passage incessant de
l’instable au stable ; de l’état de conscience, acquisition mal assurée, à
l’état organique, acquisition fixe. Grâce à cette marche continuelle vers
Quelques repères historiques des travaux sur la mémoire 13
2. Behaviorisme et mémoire
La révolution behavioriste allait en fait avoir une incidence
importante sur les travaux développés sur le problème de la
mémoire consciente (souvenir). En effet, la récente évolution dans
les recherches expérimentales tous azimuts sur les phénomènes
mnésiques fut en partie stoppée par le développement, à partir
des années 1920, de la psychologie néo-a ssociationniste (beha-
vioriste) qui, pendant près de quarante ans, a écarté le concept
de mémoire au profit d’autres entités psychologiques, et freiné
du même coup l’éclosion des travaux sur ce thème. Le terme
« mémoire », parce qu’il était associé aux études introspectives,
a même été banni des notions psychologiques à la mode. La
mémoire est assimilée à l’habitude afin d’être étudiée à travers
l’apprentissage et le conditionnement classique ou opérant. Les
behavioristes ont ainsi systématiquement négligé les situations de
reconnaissance et de rappel libre mais ont tout de même étudié les
situations de rappel verbal sériel ou par couples pour des raisons
méthodologiques (elles présentent une analogie avec le paradigme
behavioriste) et théoriques (elles sont facilement interprétables
en termes S-R). Les situations d’apprentissage par couples per-
mettent une application aisée des principes de conditionnement
(association S-R , renforcement, généralisation, discrimination).
Le schéma théorique de Gibson (1940) illustre tout à fait l’appli-
cation des lois de conditionnement classique aux situations d’ap-
prentissage verbal pouvant être traitées en termes S-R , en mettant
Quelques repères historiques des travaux sur la mémoire 21
On ne peut pas dire, même à peu près, quel est le niveau normal de
la mémoire. Ce niveau est variable d’un individu à l’autre et, comme
le remarque Ribot, « il n’y a pas de commune mesure : l’amnésie
de l’un peut être l’hypermnésie de l’autre ». Bien plus, nul ne sait
quelle est la puissance naturelle de la mémoire en chacun. Nous
ne saurions plus du tout ce qu’on peut exiger de la mémoire et ce
qu’on est en droit d’attendre si des cas exceptionnels ne venaient
nous avertir des ressources latentes de cette faculté d’une puissance
insoupçonnée parce que généralement sous-employée. Le philo-
sophe français Georges Gusdorf (1912‑2000) a affirmé cependant
que l’étude des « mémoires extraordinaires » n’était d’aucune utilité
pour le problème de la mémoire en général. Cette condamnation
est-
elle définitive ? L’accumulation et l’analyse des données que
nous possédons aujourd’hui montrent au contraire que l’étude des
manifestations supra normales de la mémoire est susceptible d’aug-
menter notablement notre compréhension de la nature et du fonc-
tionnement de cette fonction psychologique. En effet, l’étonnante
capacité à se souvenir que possèdent certaines personnes apporte
de nombreux éléments à l’étude psychologique de la mémoire en
faisant apparaître les facteurs qui permettent une bonne rétention
de l’information.
Dans un article déjà ancien, un élève de Ribot du nom de Ludovic
Dugas (1857‑1942) classait les mémoires extraordinaires sous
deux formes : les mémoires brutes et les mémoires organisées. Les
mémoires extraordinaires brutes sont, selon Dugas, l’effet d’une
« qualité native des tissus cérébraux », sorte de capacité anor-
male d’emmagasinement. C’est sur cette capacité que certains
étudiants comptent lors des examens de fin d’année et qui leur
permet d’accumuler une quantité énorme de faits et de formules.
Les mémoires légendaires 29
I Les mnémotechniciens
1. L’histoire de la mnémotechnie :
quelques jalons historiques (voir les ouvrages de Lieury)
Si on consulte les écrits des auteurs de l’Antiquité (Cicéron, Quin-
tilien), ils nous apprennent que l’image visuelle est d’une aide
très efficace pour la mémorisation, bien que cette efficacité soit
plutôt limitée aux concepts concrets. La grande invention de cette
époque reste la méthode des lieux attribuée à Simonide de Céos
(556‑468) au v e siècle avant J.-C. D’après Cicéron (De oratore,
lib. II), cet homme fut invité à chanter, moyennant finances, les
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que l’âme « se souvient » des formes idéales. Or voici que de talen-
tueux mystiques (par exemple Giulio Camillo, Pic de la Mirandole)
inventaient une nouvelle technologie de la mémoire. Elle cessait
d’être un simple aspect de la rhétorique, une servante du discours,
pour devenir une alchimie ; l’art hermétique découvrait les replis
cachés de l’âme humaine. À partir du xv e siècle apparaissent les
premières tentatives de fabriquer des systèmes de mémoire capables
d’englober toute la connaissance. C’est dans le contexte encyclopé-
dique et hermético-cabalistique que se développent véritablement
les premières méthodes logiques, déjà entrevues par Métrodore de
Scepsis au ier siècle avant J.-C., et basées sur l’organisation logique
de la mémoire avec les catégories et les hiérarchies (Giulio Camillo,
Giordano Bruno, Pierre de la Ramée). Avec le développement de
32 La mémoire
logie de la mémoire.
(Luria, 1970, p. 34‑35.)
1. Rôle de l’imagerie
Si dès l’Antiquité on avait remarqué que l’image était le meil-
leur moyen pour fixer les souvenirs, il a fallu attendre la fin du
xix e siècle pour le démontrer expérimentalement avec les premières
recherches américaines réalisées par Kirkpatrick (1894) et Mary
Whiton Calkins (1898). La recherche fondamentale sur l’image ne
s’est pourtant véritablement développée qu’avec l’essor des moyens
visuels de communication (cinéma, bandes dessinées, télévision)
au cours des années 1960, principalement sous l’impulsion du
chercheur canadien Allan Paivio. De nombreux travaux entrepris
au cours de la décennie suivante ont permis, d’une part, de déter-
miner les conditions de cette supériorité et, d’autre part, d’élaborer
des modèles et des théories psychologiques permettant d’en rendre
compte.
Les recherches de Paivio sur l’image ont débuté en 1956 par le
constat selon lequel l’apprentissage était meilleur lorsqu’il por-
tait sur des paires de mots nom-adjectif (c’est-à-d ire où le nom
précède l’adjectif) que lorsqu’il portait sur des paires de mots
adjectif-nom, pourtant plus compatibles avec les habitudes gram-
maticales de la langue anglaise. L’interprétation donnée fut
que dans de telles paires, le nom placé comme terme stimulus
Les mémoires légendaires 39
Si l’on considère les principales théories explicatives qui ont été avan-
cées depuis ces trente dernières années afin de rendre compte de
cette supériorité de l’image sur le mot, on s’aperçoit qu’elles ont
toutes en commun le fait que les dessins véhiculent des codes plus
élaborés et plus distinctifs que ne le font les représentations des mots
écrits correspondantes. La théorie la plus souvent citée dans la litté-
rature psychologique, celle du double codage, fut pleinement déve-
loppée par Paivio en 1971 afin de rendre compte de la supériorité de
l’image sur le mot. D’après l’hypothèse du double codage, les per-
formances dans les épreuves de rappel et de reconnaissance sont plus
élevées pour les dessins que pour les mots en raison de la pleine dis-
ponibilité de deux codes mnémoniques lors du codage du matériel
imagé et en raison de la supériorité intrinsèque du code imagé sur
le code verbal. En effet, le dessin d’un objet serait codé et stocké en
mémoire sous une double forme : une forme verbale correspondant
au mot qui désigne l’objet, et une forme imagée reflétant les caracté-
ristiques figuratives présentes dans le dessin. Au moment du rappel,
la réponse correspondant à un item donné pourrait être retrouvée
à partir de l’une ou l’autre de ces deux représentations mnésiques.
La supériorité du rappel des dessins sur celui des noms doit être
attribuée, d’une part à la plus grande probabilité d’un codage imagé
supplémentaire dans le premier cas que dans le second et, d’autre
part, au fait que le double codage des noms concrets ne serait pas
aussi efficace que le double codage des dessins. Cette théorie prédit
donc que des mots concrets sont mieux mémorisés que des mots
abstraits puisque les premiers sont à même d’évoquer des images plus
facilement que les seconds, et ont donc une probabilité plus élevée de
faire l’objet d’un double codage.
Il est possible d’établir des situations dans lesquelles on ne retrouve
plus la supériorité de l’image sur le mot. La procédure la plus connue
consiste à présenter successivement des mots et des dessins très rapi-
dement (dans un temps inférieur à 200 millisecondes). La présenta-
tion très rapide des dessins va empêcher leur verbalisation implicite
ou explicite ; celle des mots va empêcher la représentation imagée du
mot. On aura donc des performances équivalentes pour le rappel des
dessins et des mots.
Les mémoires légendaires 41
l’une des avancées majeures des années 1960. L’idée que l’organisa-
tion facilite l’apprentissage repose sur trois sortes de preuves :
–– face à des données pêle-mêle, les sujets tentent spontanément de
les organiser ;
–– le matériel organisé est plus facile à apprendre qu’un ensemble
désordonné d’éléments ;
–– les consignes d’organisation facilitent l’apprentissage.
Jenkins et Russell (1952) ont remarqué que lorsque des listes de mots
à apprendre contenaient des associations évidentes du type homme-
femme ou fourchette-couteau, et bien que ces mots ne soient pas
présentés successivement pendant l’étude, les sujets avaient ten-
dance à les rappeler par paires. L’année suivante, Bousfield (1953)
a clairement montré que si la mémorisation concernait des listes de
mots mélangés mais provenant de catégories conceptuelles usuelles
(fleurs, oiseaux, métiers, etc.), les sujets avaient tendance à reconsti-
tuer les catégories au rappel.
Deese (1959) a approfondi les résultats précédents en présentant trois
sortes de listes de quinze mots chacune. La première était composée
de mots que l’on pouvait associer de façon évidente au vocable en
tête de liste, par exemple papillon auquel on associe naturellement :
mite, insecte, aile, oiseau, mouche, jaune, filet, joli, fleur, punaise,
cocon, couleur, chenille, bleu, abeille. La seconde liste comportait
des mots dont l’association était moins évidente, les mots de la troi-
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sième liste n’entretenaient aucun rapport les uns avec les autres. Les
résultats ont montré que le taux de rappel augmentait avec le degré
d’organisation (7,35 ; 6,08 ; 5,5).
La démonstration la plus influente dans ce domaine a cependant
été apportée par Tulving (1962), qui a présenté à plusieurs reprises
une liste de mots à ses sujets qui devaient la rappeler. À chaque essai,
l’ordre des mots changeait ; néanmoins l’ordre dans lequel les sujets
rappelaient le matériel tendait à devenir de plus en plus stéréotypé,
comme si le sujet avait construit une structure d’organisation interne,
le degré d’organisation subjective augmentant d’un essai à l’autre.
La catégorisation est donc apparue à certains comme une possibilité
d’organisation et a donné lieu à de nombreux travaux.
44 La mémoire
3. Rôle de la prégnance
Nous regroupons sous le terme prégnance les travaux sur l’effet de
la saillance et sur l’effet de la distinctivité des informations. La sail-
lance d’un objet se définit directement par rapport à un contexte
donné alors que la distinctivité serait inhérente à l’objet lui-même.
Défini par ce qui est en évidence et en relief, par ce qui ressort du
contexte et s’impose à l’attention, l’effet de saillance des informa-
tions a été étudié par le biais de l’effet d’isolement.
La première véritable étude expérimentale connue sur le rôle de la
saillance est due à l’assistante du psychologue gestaltiste allemand
Wolfgang Köhler (1887‑1967), Hedwig von Restorff (1906‑1962).
L’étude de von Restorff (1933) s’inscrit dans le cadre de la psycho-
logie gestaltiste, qui a eu tendance à considérer l’apprentissage en
termes de principes d’organisation dérivés des travaux sur la percep-
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4. Rôle de l’élaboration
L’étude expérimentale de l’effet positif de l’élaboration sur le sou-
venir dérive des travaux sur les niveaux de traitement (Craik et Loc-
khart, 1972) et sur la production du matériel (Slamecka et Graf,
1978).
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but et des voix qui disent « Repose-toi », et aussi la question que je pose
aux spectateurs « Ont-ils marqué ? »… Je sens que moi, j’ai fait, j’ai dit
cela. Moi. Mais où ? Je ne sais dans quel monde. En rêve, peut-être.
la mémoire peut être isolée mais elle peut souvent être associée
à d’autres troubles affectant le fonctionnement cognitif. Il est
donc indispensable de réaliser d’abord une évaluation générale du
comportement intellectuel (surtout si le sujet est une personne âgée)
avant d’utiliser des épreuves spécifiques de mémoire.
proposée était séduisante à plus d’un titre. D’une part, elle avait
l’avantage de se situer dans un cadre théorique déjà existant : celui
de la théorie des niveaux de traitement de Craik et Lockhart (1972).
D’autre part, elle laissait espérer une possibilité de remédiation au
déficit mnésique en provoquant des traitements plus profonds sur le
matériel. Cependant, quelques années plus tard, Cermak et Reale
(1978), réalisant une étude en s’inspirant de la procédure standard
utilisée par Craik et Tulving (1975), n’ont pas réussi à valider leur
hypothèse. En effet, en demandant à leurs sujets amnésiques Kor-
sakoff et témoins d’effectuer différents types de codage (structural,
phonologique ou sémantique) sur les mots, les résultats ont montré
l’effet standard des niveaux de traitement dans les deux groupes de
sujets, avec un meilleur souvenir pour l’encodage le plus profond
bien que les niveaux de performances aient été moindres chez les
patients amnésiques. L’hypothèse aujourd’hui soutenue par ces deux
chercheurs est que les amnésiques ne s’engagent pas spontanément
dans un traitement de nature sémantique.
Plus récemment, d’autres chercheurs ont affirmé que les patients
amnésiques présentaient une difficulté d’encodage de l’information
contextuelle. Warrington et Weiskrantz (1982) ont par exemple sou-
ligné l’importance du déficit de stockage de l’information contex-
tuelle chez les patients amnésiques.
On oublie parce que les événements qui se sont déroulés depuis per-
turbent le recouvrement de l’information (hypothèse de l’interfé-
rence rétroactive). Ce sont Warrington et Weiskrantz (1970) qui ont
avancé la première explication en termes de déficit de la récupéra-
tion. Ces deux auteurs ont suggéré qu’il était possible que les amné-
siques soient particulièrement sensibles aux effets d’interférence.
L’amélioration des performances de ces patients lorsque des indices
appropriés sont donnés s’explique par l’élimination, et donc par une
diminution de l’interférence de candidats potentiels. L’interpréta-
tion en termes d’interférence resta pendant plusieurs années très
influente mais fut finalement rejetée par Warrington et Weiskrantz
(1978) eux-mêmes, à la suite d’expériences qui tentaient d’explorer
72 La mémoire
qui généralement n’a aucune utilité pour les patients dans leur vie
de tous les jours. En effet, ces techniques ont pour objectif de
fournir aux patients des procédures qu’ils soient capables d’appli-
quer dans leur vie quotidienne. En fait, on a montré que même en
laboratoire les patients n’arrivaient pas spontanément à les mettre
en œuvre.
Deux raisons ont été invoquées pour expliquer l’échec de l’appli-
cation des procédés mnémotechniques à se généraliser dans les
situations de la vie de tous les jours. Tout d’abord, de nombreux
problèmes de la vie de tous les jours ne conduisent pas en eux-mêmes
à utiliser l’imagerie ou l’organisation et sont plus facilement résol-
vables à l’aide d’autres solutions. En fait, même les sujets normaux
utilisent rarement ces techniques dans la vie quotidienne. Un pro-
cédé tel que la technique des mots crochets peut être utile pour se
rappeler des choses comme une liste de courses que l’on a à faire
mais, comme certains le pensent, il est préférable d’écrire cette liste
sur un morceau de papier. Ensuite, l’utilisation des stratégies requiert
un traitement cognitif qui demande beaucoup d’efforts, ce qu’il
n’est peut-être pas raisonnable de demander à des patients aux capa-
cités déjà limitées. La présence d’un syndrome frontal ou d’un état
démentiel est en effet peu compatible avec la mise en place de telles
stratégies à moins que la procédure soit extrêmement simplifiée. En
dépit de ces limitations, des tentatives sont aujourd’hui poursuivies
afin de trouver des applications dans la vie de tous les jours, telle
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son âme et agit d’une manière ou d’une autre sur les manifestations de
son activité intellectuelle. Enfin ce qui prouve que les traces des percep-
tions reçues pendant la maladie, lorsque l’amnésie était très prononcée,
subsistent.
(Korsakoff, 1889, p. 512.)
qui ont formalisé la MCT en tant qu’entité théorique. Ils ont dépar-
tagé analytiquement un système de stockage temporaire, qu’ils ont
appelé après William James « mémoire primaire », d’une « mémoire
secondaire » (à long terme). Mais le modèle encore aujourd’hui le
plus connu est certainement celui d’Atkinson et Shiffrin (1968)
que nous avons présenté dans le premier chapitre. Ce modèle fut à
l’origine du développement de très nombreux travaux qui condui-
sirent les chercheurs à une critique de la structure théorique ainsi
proposée. Premièrement, le postulat selon lequel le traitement de
l’information par la MCT constitue la voie royale pour l’entrée dans
la MLT ne semblait pas justifié. Deuxièmement, il est devenu de plus
en plus évident que l’identification de la MCT avec un codage pho-
nologique et de la MLT avec un codage sémantique constituait une
simplification excessive. Les critiques avancées vis-à-vis de ce modèle
ont conduit quelques auteurs à proposer des alternatives.
Au début des années 1970, le modèle modal était de plus en plus
attaqué dans ses fondements. Les diverses critiques que nous avons
présentées (parmi d’autres) ont sérieusement ébranlé les modèles à
plusieurs mémoires. Cette approche structurale a progressivement
été supplantée par une approche fonctionnelle qui mettait plutôt
l’accent sur les traitements effectués durant les activités mnésiques :
c’est la perspective adoptée par Craik et Lockhart (1972). Pour ces
auteurs, la durée de la trace mnésique est une conséquence directe
des opérations d’encodage : un encodage plus profond et plus éla-
boré conduit à des traces mnésiques plus durables qu’un encodage
superficiel. Le stockage de l’information à LT provient d’un traite-
ment en profondeur à l’intérieur de la MLT, et non pas du transfert
d’une mémoire à l’autre. Un autre type de critique a été plus forte-
ment axé sur le concept de MCT. Alan Baddeley a même développé
un nouveau modèle spécifiquement centré sur la notion de MCT,
qu’il a nommé « mémoire de travail » (MT).
mais aussi dans les études visant à modéliser les activités cognitives
complexes (Newell et Simon, 1972). C’est en 1971 qu’Atkinson
et Shiffrin ont conféré à la MCT le statut de mémoire de travail
(MT). Cependant, Baddeley et Hitch (1974) ont remarqué que cette
conception ne reposait pas sur des données expérimentales solides.
Ils ont réalisé une série d’expériences dans le but de répondre aux
questions suivantes :
–– Les tâches d’apprentissage, de raisonnement et de compréhension
mettent-elles en jeu un même système de MT ?
–– Quelle relation ce système entretient-il avec la MCT ?
Baddeley et Hitch (1974) ont étudié deux manifestations de la limi-
tation de la MCT : l’empan mnésique et l’effet de récence.
Ils ont étudié le rappel libre en employant des techniques de pré-
charge et de charge concurrente. Ces techniques consistent à pré-
senter aux sujets avant la liste de mots (précharge) ou, à plusieurs
reprises, pendant la liste (charge concurrente) un certain nombre
d’items (chiffres, lettres) à maintenir en mémoire et à reproduire
par écrit après le rappel de la liste de mots. Les résultats obtenus
indiquent que l’effet de récence n’est pas affecté par la charge
mnésique, et donc que l’empan et l’effet de récence ne dépendent
pas d’un même système de stockage. Baddeley et Hitch ont aussi
montré que lorsque la MCT était saturée (par des techniques de
précharge ou de charge concurrente) les sujets parvenaient parfai-
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pour tester cette hypothèse est de faire étudier à des sujets une liste
d’items et de tester deux fois le même matériel en utilisant d’abord
une première tâche de mémoire (tâche 1) suivie par une seconde
tâche (tâche 2). Chaque combinaison item-sujet est alors enregistrée
dans une table de contingence selon l’échec ou le succès à la tâche 1
et à la tâche 2. Une mesure d’association est habituellement calculée
sur les données afin d’obtenir une valeur de relation entre les tâches.
Tulving a toujours soutenu l’idée selon laquelle l’indépendance sto-
chastique entre les mesures explicites et implicites fournissait un
bon argument pour démontrer l’existence de systèmes mnésiques
indépendants. Cependant de nombreux chercheurs ont vivement
critiqué l’indépendance stochastique en tant que preuve de l’exis-
tence effective de systèmes mnésiques indépendants. Premièrement,
102 La mémoire
très grand oiseau »). Les sujets répondent oui ou non à chacune des
phrases, et on ne prend en compte que les items ayant induit une
réponse positive. La mémoire des sujets fut testée de deux façons
différentes. La moitié des sujets avaient subi une épreuve classique de
reconnaissance où l’on s’attendait à une meilleure performance après
un encodage sémantique qu’après encodage phonémique. L’autre
moitié des sujets avaient été confrontés à une épreuve de reconnais-
sance de rimes. On leur disait que, parmi les items présentés au test,
certains mots rimaient avec les items précédemment étudiés, et les
sujets devaient discriminer entre les mots qui rimaient et ceux qui
ne rimaient pas avec les items cibles. À ce test de reconnaissance de
rimes, l’effet standard des niveaux de traitement était inversé. La
performance était meilleure si l’encodage avait été phonémique que
114 La mémoire
Généralités
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Weil-Bar ais A., éd. (2011). L’Homme cognitif, Paris, PUF.
Bibliographie 119
A distinctivité, 45-47
acquisition, 69
activation, 47, 91, 104 E
administrateur central, 88-89, 91 Ebbinghaus (H.), 14, 21
Alzheimer, 56-57 échelles, 60
amnésie, 13, 25, 52, 58, 100 économie au réapprentissage, 15-16
amnésie antérograde, 53, 58-60, 76 effet de production, 49, 51, 95
amnésie rétrograde, 53, 59 effet de récence, 23-24, 26, 87
amnésiques, 16 effet de saillance, 30, 45, 49
amorçage, 82, 95, 98, 106 effets de niveaux de traitement, 49,
apprentissage, 11, 19-22, 65, 76-77, 70, 95, 100, 113
80-81 élaboration, 49
association, 21, 113 émotion, 106
Atkinson (R.C.), 26, 70, 86-87 empan, 24, 36, 64, 87
autorépétition, 27
F
B faux souvenirs, 109, 116
Baddeley (A.), 25, 86-87, 90, 110 fonctionnement de la mémoire, 52,
BEC 96, 61 104
behaviorisme, 11, 17, 22
Binet (A.), 16, 35, 37 G
bloc à croquis visuo-spatial, 88-89 Grober et Buschke, 67
boucle articulatoire, 88-89
H
C H.M., 55, 77
calculateurs, 35
California, 67-68 I
catégorie, 48 image, 32
catégorisation, 42 imagerie, 29, 38, 74-75
codage, 25, 27, 34 inconscient, 15-16, 93, 97
codée, 26 interférence, 42, 48, 66, 71
cognitivisme, 11, 22
concordance, 112 J
conditionnement, 11, 17, 20, 77 Jacoby (L.L.), 51, 108, 114-116
conscience, 12, 14, 20, 82, 84, 97, joueurs d’échecs, 35-36, 93
99
contexte, 49, 72, 110 K
Cowan (N.), 90-91 Kolers (P.A.), 112-113
Craik (F.I.M.), 49-50, 70, 86, 113 Korsakoff (S.), 53-54, 77
D L
démence, 56 loi de « Ribot », 13
dissociations, 99, 114 loi de l’effet, 19
Index 127
M P
maladie de Huntington, 57, 68 Paivio (A.), 38, 41
maladie de Parkinson, 57 pathologies de la mémoire, 52
Mandler (G.), 45, 107, 109 prégnance, 45, 49
Mattis (S.), 61 profondeur de traitement, 49
MCT, 55, 70, 84, 92
mémoire à court terme (MCT), 23 R
mémoire à long terme (MLT), 23 rappel, 14, 16, 23, 50-51, 66-68,
mémoire auditive, 36 79, 107
mémoire de travail, 84, 92, 97 réapprentissage, 15-16
mémoire déclarative, 81, 98-100 reconnaissance, 12, 14, 16, 50-51,
mémoire épisodique, 81, 97-98, 67, 78, 107, 111, 115
100, 103 récupération, 24, 71, 100, 110
mémoire explicite, 93, 98, 100-101, rééducation, 72, 76
114 répétition, 16, 38, 73
mémoire implicite, 82, 93, 98, 100- Rey, 65-66
101, 103, 106, 114 Ribot (T.), 11, 28
mémoire inconsciente, 60, 80 Rœdiger (H.L.), 109-110, 114
mémoire organique, 12-13
mémoire perceptive, 82, 88, 97
S
Schacter (D.L.), 79, 82, 93, 95, 116
mémoire primaire, 23, 84, 86
sentiment de savoir, 111
mémoire procédurale, 82, 97-100
Shiffrin (R.M.), 26, 70, 86
mémoire psychique, 12-13
Simonide, 29-30, 32
mémoire secondaire, 23-24, 84, 86
souvenir, 14, 20, 37, 51
mémoire sémantique, 81, 97, 100,
spécificité de l’encodage, 110, 114
103, 105
Squire (L.R.), 71, 81, 96, 98
mémoire sensorielle, 27, 91
stockage, 24, 70-71, 87, 89-90,
mémoire visuelle, 36, 89
100, 110
mémoires extraordinaires, 28
stratégie, 74-75, 92
mémoires pathologiques, 52
structure de la mémoire, 14, 26, 52,
méthode des crochets, 33, 74-75
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