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Revue Philosophique de Louvain

Nayla Farouki, La foi et la raison. Histoire d'un malentendu


Stanislas Deprez

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Deprez Stanislas. Nayla Farouki, La foi et la raison. Histoire d'un malentendu. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième
série, tome 96, n°2, 1998. pp. 338-344;

https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1998_num_96_2_7091_t1_0338_0000_2

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338 Comptes rendus

L'on ne peut toutefois pas demander à ce petit ouvrage davantage


qu'il ne prétend offrir: manuel pour commençants, il n'a pas la
prétention d'assurer un parcours parfaitement tracé ni de ménager des abris
définitifs. De nombreuses assertions seront même utilement critiquées.
Enfin, la promesse d'une métaphysique de la Trinité n'est pas réalisée:
l'A. assortit simplement une prétendue exigence radicale de paradoxe et
le concept chrétien de Trinité qui rend possible à la fois unité et
multiplicité. Il juxtapose, d'une manière que les hégéliens n'auront pas de
peine à dénoncer, deux concepts sans en chercher l'organisation
systématique et le lien essentiel.
Mais la «voie métaphysique» de l'affirmation de Dieu ne paraît pas
non plus établie sous un autre point de vue: on ne voit pas que la
métaphysique de la Trinité vienne accomplir les requêtes de la voie
cosmologique et de la voie anthropologique — on ne voit pas que chez l'A.
«Thomas» et «Blondel» soient effectivement pensés dans cette synthèse
supérieure qui seule mériterait le nom de «voie métaphysique». L'abbé
Thiry pose clairement les termes d'un problème: il n'en donne pas la
solution, laquelle en appelle d'abord à un éclaircissement fondamental du
rapport de l'être à l'esprit, et à une métaphysique par laquelle le non-moi et
le moi seraient conçus à partir d'un même principe. Il est possible qu'une
issue relève effectivement de la «métaphysique trinitaire», en tant que
l'être divin est amour commun du Père et du Fils dans l'Esprit. Il est
possible que l'unité systématique de l'être et de l'esprit procède du même
amour qui médiatise en Dieu l'unité et la pluralité, amour en lequel l'étant
se donne et l'âme consent — amour tout d'engendrement et d'obéissance.
Mais une telle démonstration suppose de bien plus profondes
considérations, vers lesquelles le présent ouvrage fait seulement signe.

Emmanuel Tourpe.

Nayla Farouki, La foi et la raison. Histoire d'un malentendu


(Essais). Un vol. 21 x 13.5 de 322 pp. Paris, Flammarion, 1996. Prix:
130 FF.
Le pari de ce livre est de montrer qu'il existe en Occident, à côté de
la raison grecque, une autre raison, monothéiste, que l'on appelle trop
facilement la foi en la reléguant du côté de l'irrationnel et du
dogmatique. Farouki prétend, contre cette vision simpliste, que tant les mythes
que le monothéisme et la science cherchent à expliquer le monde, et que
tous utilisent à cette fin des concepts. La seule différence entre ces
modes d'explication réside dans le type de concepts utilisés.
La seule réalité indéniable est le monde sensible, tangible. Ce qui
est construit par la pensée et le raisonnement, par contre, peut toujours
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être mis en doute ou réfuté. C'est pourquoi il existe une immense variété
de systèmes explicatifs, plus ou moins valorisés selon les lieux et les
époques. Habituellement, aujourd'hui, on a tendance à considérer que la
connaissance fonctionne par rupture et progrès par rapport aux
connaissances antérieures. L'auteur fait le pari qu'il serait intéressant de sortir
de cette vision évolutionniste de la connaissance, tributaire de nos
préjugés et de notre idéologie proscientifique. «Pour nous dégager de notre
espace habituel, écrit-elle, imaginons donc un démon nouveau qui
observe notre planète de loin, totalement indifférent à nos débats
idéologiques et au progrès que nous croyons constater dans notre connaissance
du monde» (pp. 31-32). Ce démon constate que pendant des milliers
d'années des gens ont expliqué le monde à partir de dieu(x) et que
d'autres, pendant quelques centaines d'années, ont utilisé des
explications mathématiques. Il voit aussi que les connaissances concrètes sur
des domaines ponctuels (photosynthèse, planètes) ont beaucoup
progressé, mais que les explications de fond avancées par la science restent
autant métaphysiques que les théories mythiques. Et il postule que sans
doute cela est dû à une unité profonde de l'esprit humain lorsqu'il
cherche à comprendre son monde.
Une attention soutenue nous amène effectivement à considérer que
toute explication utilise des concepts. Cependant tous les concepts ne
sont pas uniformes. Il y a tout d'abord les concepts empiriques («table»
ou «douleur»), qui correspondent immédiatement à des objets perçus ou
ressentis et qui sont imposés par le monde extérieur. Le concept
empirique est très pratique pour décrire le monde mais inapte à l'expliquer.
Une deuxième sorte de concepts sont les concepts purs, construits
indépendamment d'une expérience sensorielle directe. Ces concepts purs
sont antithétiques, transcendantaux ou formels. Les concepts purs
antithétiques sont formés par négation de concepts empiriques: par exemple
«immortel» à partir de «mortel». Plus complexes, les concepts
transcendantaux (par exemple «mammifère») sont élaborés en postulant une
certaine unité, cachée, entre des éléments empiriques. Enfin les concepts
formels sont des concepts transcendantaux tellement abstraits qu'ils
n'ont plus besoin du monde empirique pour justifier leur existence. A
l'inverse des concepts empiriques, les concepts transcendantaux ne
s'imposent jamais mais dépendent toujours d'un système hypothético-
déductif a priori, auquel on peut ou non adhérer pour des raisons de
choix personnel, social, politique ou religieux. En effet, tout homme
éprouve le besoin de comprendre, de dépasser la réalité empirique vers
une vérité «autre», «supérieure». L'être humain veut trouver quelque
chose de stable par-delà la contingence de l'empirie (besoin de
substance), quelque chose de nécessaire, d'harmonieux et d'unitaire. Pour
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cela, il recourt à l'analogie et à la causalité. Ces six motivations se


retrouvent aussi bien dans les mythes qu'en philosophie, théologie ou
sciences. Mieux elles sont satisfaites, plus le système explicatif est
solide; ainsi le système monothéiste dure depuis plus de trois mille ans.
L'hypothèse de Farouki est que les divers modes conceptuels sont
apparus à un moment donné de l'histoire, le mythe étant la manière
d'élaborer une connaissance en l'absence de concepts transcendantaux, qui ont
été découverts, petit à petit, dans le monde juif et en Grèce.
Classiquement, le mythe a été considéré comme une codification
symbolique, une transposition imagée, de faits concrets. Par exemple,
Zeus personnifie la foudre, mais bien sûr il n'existe pas vraiment. Cette
interprétation va à l' encontre de ce que prétendent les personnes qui
croient à leurs mythes: pour eux, c'est la nature qui imite les dieux et
non l'inverse. Il faut donc admettre, à moins d'adopter un préjugé
réductionniste, que le mythe est une explication qui se veut vérité
immédiate et cohérente. «Le mythe explique le monde; mais il
l'explique "autrement" car ses outils sont "autres"» (p. 88). Pour
Farouki, le mythe est un système explicatif fonctionnant sans concepts
transcendantaux. Ce qui a pour première conséquence que le mythe est
forcément narratif, il a besoin d'histoires et d'analogies pour expliquer.
Surtout, le mythe n'est pas — ne saurait être — réflexif, il ne sait pas
s'évaluer, de sorte qu'il se donne comme l'évidence même. D'ailleurs
une connaissance reflexive, une connaissance pour la connaissance,
n'intéressait aucunement les constructeurs de mythes, préoccupés par la
pratique du quotidien physique et social. C'est pour cette raison que
Farouki peut étendre à bon droit la mentalité mythique à nos
comportements contemporains quotidiens: dire à un insomniaque que s'il prend
un comprimé rose il dormira, c'est fournir une explication qui en reste
au monde empirique et qui néglige les mécanismes causaux que la
science met en scène. Autrement dit, c'est raconter une histoire
explicative, qui du reste n'est pas nécessairement fausse et qui comble la soif
de comprendre propre à l'homme. La pensée mythique utilise, comme
la pensée scientifique, l'analogie et la causalité. Cependant, elle permet
toutes les causalités, puisqu'elle fait appel à des intelligences
surnaturelles. Le mythe n'est donc pas l'absence de la causalité, mais au
contraire le recours à une causalité exacerbée. Tout a une cause, soit ici
et maintenant, soit dans un ailleurs intemporel, céleste ou chtonien,
formé par la négation (l'antithèse) de notre monde présent. Cet a-spatial
et a-temporel est une condition nécessaire de l'explication mythique,
puisqu'il constitue le point zéro, l'origine à partir de laquelle dériver le
monde sensible, qui y trouve ainsi sa pertinence ontologique (sa
substance) et son unité.
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L'histoire de la philosophie, c'est-à-dire sa légende, nous enseigne


que la philosophie est née en Grèce d'un coup avec Thaïes, Anaxi-
mandre et Anaximène, comme par une rupture magique d'avec les autres
civilisations. Mais il est beaucoup plus raisonnable de voir dans cette
histoire un récit élaboré par les philosophes de l'Athènes du Ve siècle,
qui eux possédaient une philosophie individuelle constituée.
L'originalité de la Grèce consiste à penser par et pour l'individu, ce qui implique
d'imaginer un fondateur unique. «Thaïes a peut-être existé. Peu importe.
D'autres, avec lui, pensaient sans doute la même chose. Peu importe.
L'essentiel pour un esprit du Ve siècle qui cherche ses origines lointaines
est de les trouver chez un "individu" et non dans un collectif diffus» (p.
143). Le véritable miracle grec, selon notre auteur, est d'avoir présenté
comme le fait d'un seul homme ce qui n'a pu être réalisé que
collectivement et sur plusieurs générations. D'ailleurs les premiers présocratiques
se posent la même question que la pensée mythique: qu'y a-t-il à
l'origine? Thaïes répond par le recours à l'eau, qui est un concept empirique-
antithétique: c'est comme de l'eau concrète mais existant avant, à
l' arrière-plan du monde. Avec Parménide et Heraclite, trois siècles plus
tard, la question devient celle de l'absolu et de son approche. En même
temps se pose le problème de la délimitation du vrai et du faux,
questionnement totalement étranger à la pensée mythique. A partir du
moment où l'absolu peut être soit atteint soit négligé, autrement dit où
la question de l'ontologie se double de celle de l'épistémologie, se
trouve inventé le principe du tiers-exclu: on est soit dans le vrai, soit
dans le faux, mais plus (à l'instar du mythe) dans l'entre-deux. Lorsque
Parménide définit l'être, il invente le premier concept transcendantal à
valeur ontologique. De la sorte, il suppose une entité conceptuelle
extérieure à l'homme qui la construit et à la nature sensible; il choisit une
voie d'approche de cette entité, rejetant comme fausse toute autre voie
basée sur le sensible: l'homme est actif dans le processus de
connaissance tandis que l'être connu est passif. Ainsi, tandis que le mythe était
anthropomorphique mais se présentait comme une révélation
extrahumaine, la philosophie refuse la personnification de ses entités mais est
anthropocentrique, posant l'homme au fondement de toute connaissance.
«La philosophie émerge du carcan mythique en se libérant d'un monde
où les dieux ont créé les hommes, pour le remplacer non par un monde
où les hommes créent des dieux, mais bien par un monde —
renversement épistémologique oblige — où l'on peut affirmer que ce sont les
hommes qui ont créé les dieux. Ainsi s'accomplit le renversement
ontologique» (p. 160). Platon pousse à sa limite la logique inventive des
concepts transcendantaux, par son monde des Idées : chaque chose a sa
forme idéale, transcendantale, parfaite. Le monde des Idées est aux
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concepts transcendantaux ce que le panthéon polythéiste est aux


concepts empiriques de la pensée mythique. Aristote, pour sa part, tente
de revenir aux concepts empiriques, en faisant des concepts
transcendantaux des dérivés du monde sensible.
Le concept empirique est une définition regroupant divers individus;
par exemple «arbre» définit l'ensemble des arbres existants. De sorte que
le concept empirique n'est ni vrai ni faux, il est fréquent, rare ou
inexistant. La seule question qui se pose à son propos est celle de son existence.
Le concept transcendantal, lui, est concerné par la question du vrai et du
faux. Ainsi, «racine carrée de 2» n'est pas la synthèse d'une multitude de
racines carrées de 2, il est plutôt une loi générale dont les exemples
multiples sont les représentations: «le concept transcendantal est le fruit
d'une loi, non d'une liste exhaustive. Il n'est pas un universel (comme
"homme" ou "animal"), ni un particulier (comme "cet homme-ci" ou
"cet animal-là"), il s'agit d'un singulier (comme "humanité" ou
"animalité"). Le besoin d'unité est ainsi satisfait, et de la manière la plus
économique. La construction d'un concept transcendantal conduit toujours à
une unification plus grande» (p. 173). Cette unification est
nécessairement arbitraire puisque le concept transcendantal ne décrit pas le monde
mais l'organise du dehors, a priori. De sorte qu'il vit et meurt avec les
hommes qui y croient, au contraire du concept empirique.
Un concept unique dans l'histoire de la pensée a joué un rôle
prédominant: le concept de Dieu, le seul concept transcendantal qui
possède la transcendance. A l'inverse du mythe, et comme la pensée
grecque, le monothéisme départage le vrai du faux: seul Dieu est
créateur et absolument vrai. Cependant, à l'inverse de la philosophie grecque
cette fois-ci, le monothéisme est théocentriste, trouve sa clé de voûte en
Dieu. La question de l'existence de Dieu ne se pose pas pour le
monothéisme, elle est une évidence conceptuelle. Dieu est le concept
transcendantal par excellence, le seul existant véritablement, autrement dit le
seul à avoir une portée ontologique, concept à partir duquel on peut
imaginer — sur un mode nécessairement relatif — une multitude de
concepts transcendantaux. «L'originalité des traditions abrahamiques
réside dans le fait qu'elles n'ont nul besoin de la diversité des concepts
transcendantaux et de la complexité qui en découle, puisqu'un seul
principe ontologique transcendant permet la fondation de la totalité du
système» (p. 191). C'est-à-dire que pour une tradition qui possède le
concept de Dieu, les concepts d'être, d'arche, de nature etc., n'ont
aucune utilité; autant garder le discours mythique pour parler des choses
particulières (plus aisément accessible à tous). Dieu est ainsi la Raison
absolue, celle qui fonde à elle seule un système et nous permet de nous
passer de toutes les autres.
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Le discours monothéiste est immédiatement transposable en


philosophie si on tient compte du point de départ théocentriste de sa logique.
Par contre, si on le considère d'un point de vue anthropocentriste (qui
n'est pas le sien) alors il apparaît comme arbitraire et chaotique. L'erreur
du monothéisme serait de chercher à justifier son point de départ, ce qui
entraîne nécessairement sa relativisation et sa perte de prééminence.
L'anthropocentrisme radical et le théocentrisme sont deux logiques
contradictoires, qu'il est vain de vouloir concilier. La seule solution
consiste, contre le principe du tiers-exclu, à leur accorder la même
validité pour utiliser tantôt l'une tantôt l'autre. Hormis cette affirmation de
l'existence de Dieu, les monothéistes — s'ils sont conséquents —
n'affirment aucun absolu, ni dogme ni conception de la nature, de la
société ou de l'homme. Le monothéisme, donc, n'est aucunement contre
la connaissance; à l'unique condition toutefois que celle-ci ne remette
pas en cause la prééminence du concept de Dieu. La seule chose niée,
c'est l'absurde, le désordre, le non-sens. Ce qui, bien sûr, ne dit pas
quelle nécessité régit la nature: à charge pour l'homme de la rechercher.
Une dernière catégorie de concepts transcendantaux concerne les
concepts formels (par exemple le cercle ou les nombres). À la différence
des autres concepts transcendantaux, les concepts formels, une fois
élaborés, donnent une telle impression de nécessité qu'il est impossible de
les mettre en doute, de sorte qu'ils ont pu jouer dans l'Antiquité le rôle
de modèle idéaux à partir desquels penser par analogie la réalité
sensible. Plus tard, avec Alhazen et puis Galilée, les mathématiques sont
utilisées de manière causale et non plus analogique. Cette nouvelle
application des concepts formels mathématiques a permis de formuler
des lois de la nature et d'inventer la physique mathématique. Farouki fait
pourtant remarquer que cela n'est pas dû, comme on le prétend trop
souvent, au fait que la nature est mathématique en son fond, mais bien au
fait que les concepts de la physique sont pour la plupart transcendantaux
et se prêtent donc aisément à la mathématisation. La physique, loin
d'être un modèle général pour la constitution des sciences, est bien
plutôt une exception. En fait, les sciences progressent bien davantage par
l'accroissement des capacités d'observation du monde empirique que
par l'invention de nouveaux concepts transcendantaux. Ainsi, «il est
possible de définir comme scientifique toute démarche, d' intellection,
d'observation ou d'expérimentation, dont la finalité est de faire surgir
des entités empiriques naturelles jusque-là inconnues» (p. 283).
Un autre malentendu fréquent à propos de la science concerne la
causalité. On affirme habituellement que le discours scientifique est
concerné par des causalités universelles. Farouki accepte cette position
sauf en ce qui concerne la délimitation des champs d'application scien-
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tifiques, qui eux sont particuliers: par exemple Newton s'est limité à une
seule caractéristique qu'il a postulée identique dans la lune et dans une
pomme. En fait, chaque discipline scientifique donnée se définit a priori
champ causal d'étude. De plus, la méthode analytique ne fonctionne
efficacement que si l'on réussit à isoler le champ causal étudié du reste
du monde; ce qui évidemment est beaucoup plus difficile, voire
impossible, dans le cas des sciences humaines. Mais au fond l'important n'est
pas dans la recherche d'une science universelle et unifiée. L'important
en science est de favoriser la découverte et la créativité. La raison, pour
l'auteur, est en effet avant tout une faculté affective, un principe de
choix personnel. «Il appartient à chaque personne d'utiliser ses
capacités critiques. Aussi, toute connaissance choisie et adoptée dépend d'une
intention. Bonne pour les uns, mauvaise pour les autres, vraie pour les
uns, fausse pour les autres, la connaissance, sous toutes ses formes, n'est
pas dans le monde. Elle est dans l'esprit des hommes. A ce titre, nous en
sommes tous responsables» (p. 314).
N. Farouki nous livre ici un essai pertinent, dans un style clair et
alerte, accessible au non-spécialiste. Ce qui ne signifie pas qu'elle
n'enseigne que des choses connues. Au contraire, elle nous donne une
vision renouvelée des rapports entre le monothéisme et les sciences.
Bien sûr, le spécialiste pourra trouver à y redire, en particulier — nous
semble-t-il — , dans son analyse des mythes. Le plus grand mérite de
l'ouvrage n'en reste pas moins acquis: apporter une conception neuve de
la raison. La croyance et la foi ne sont plus définies comme des étapes
irrationnelles plus ou moins propédeutiques de la science, mais comme
des démarches conceptuelles pouvant remplacer l'entreprise scientifique,
qui s'en trouve de ce fait relativisée. Cette prise de conscience par
distanciation de l'idéologie scientifique permet aussi une meilleure
appréhension des enjeux sociaux de la science et invite à une plus grande
responsabilité des hommes vis-à-vis de la connaissance.

Stanislas Deprez.

Paul Ricoeur, L'idéologie et l'utopie (La couleur des idées). Un


vol. 20,5 x 14 de 418 pp. Paris, Editions du Seuil, 1997. Prix: 150 FF.
Lectures on Ideology and Utopia est un livre reprenant le cycle de
conférences prononcées par Ricœur à l'université de Chicago en 1975.
Le voici enfin traduit en français, vingt-deux ans plus tard. Ce retard
s'explique peut-être par le fait que le Ricœur «continental» est
davantage connu comme théoricien de l'herméneutique, éthicien et philosophe
du langage que comme penseur politique (les seules exceptions étant la
publication d'Histoire et vérité et bien entendu la participation à la revue

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