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FINANCEMENT INTERVIEW FEMMES ET COMMERCE

Les business angels donnent Dr Benjamin Kwasi Addom : Sur la route de la formalisation
des ailes aux agripreneurs pourquoi les TIC sont essentielles en Afrique de l’Est
à la transformation agricole

N°188 | Mars - Mai 2018

spore.cta.int

Commerce agricole

TRANSFORMER
L'ÉCONOMIE INFORMELLE
Le développement agricole et agroalimentaire analysé et déchiffré
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui

www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE

ÉDITORIAL

N°188 Favoriser l’amélioration


TENDANCES
4 | Financement : les business angels
donnent des ailes aux agripreneurs de la productivité
PRODUCTION AGRICOLE
8 | L’agriculture caribéenne à l’épreuve
du changement climatique
et de la rentabilité
9 | Madagascar vise l’autosuffisance
en riz en 2020
Michael Hailu, directeur du CTA
Dans les pays ACP, l’impact du changement
ENVIRONNEMENT
10 | De nouvelles applis pour mieux climatique sur l’agriculture est dévastateur.
connaître son sol Confrontés à des sécheresses, des inondations,
11 | Quand le soleil fait tourner des ouragans et d’autres phénomènes climatiques
les pompes à eau
extrêmes, beaucoup d’agriculteurs se retrouvent
dans une situation critique. L’agriculture sur l’île
RECHERCHE
12 | Des “super-semences” caribéenne de la Dominique a été entièrement
pour les réfugiés en Ouganda ravagée après le passage de l’ouragan Maria en 2017
13 | Mobilisation contre (lire p. 8). En Afrique australe, des sécheresses récurrentes ont affaibli
le légionnaire d’automne
le rendement de certaines cultures de base, comme le maïs et le riz. Le
NUTRITION & SANTÉ Cap a récemment fait la Une des médias pour être la première ville au
14 | Au Sénégal, la radio dicte le menu monde à imposer des restrictions sévères à sa population afin d’éviter
15 | En Haïti, les bons d'achat profitent les pénuries d’eau potable. Les agriculteurs ont accepté de déverser
à l'économie
l’eau retenue dans les barrages privés et de restreindre son usage pour
l’agriculture.
ÉCONOMIE BLEUE
16 | Pacifique : l’aquaculture se développe À l’échelle mondiale, l’agriculture consomme 70 % de l’eau douce
17 | Un engrais à base d’algue accessible. Malgré des avancées, il faut déployer davantage d’efforts
pour gérer efficacement l’utilisation des ressources en eau. Par exemple
INTERVIEW en adoptant des innovations et des pratiques agricoles climato-
18 | Benjamin Addom : l’agriculture
de demain repose sur les données
intelligentes. De nombreux agriculteurs reçoivent aujourd’hui des
prévisions météorologiques et des informations sur le climat local via
leur téléphone portable, ce qui les aide à faire des choix éclairés pour

21 | Dossier savoir quand planter et récolter les cultures, ainsi qu’à prendre des
mesures préventives face aux aléas climatiques.
Économie informelle :
Améliorer la résilience des agriculteurs, en augmentant la productivité
un terreau fertile pour l’agriculture
et la rentabilité, est l’un des objectifs clés de la nouvelle stratégie du
CTA pour 2018-2020. Le projet phare du CTA en Afrique australe
33 | Économie offre aux agriculteurs un ensemble de solutions climato-intelligentes,
telles que des semences résistantes à la sécheresse, des assurances
climatiques indicielles et des services d’information rapide sur le climat.
34 | CHAÎNES DE VALEUR
La filière riz, prometteuse
L’association de connaissances traditionnelles et scientifiques afin de
pour les jeunes entrepreneurs favoriser l’adaptation aux changements climatiques fait aussi partie de
l’intervention du CTA (lire l’ouvrage récent Indigenous Knowledge Systems
36 | COMMERCE and Climate Change Management in Africa).
Caraïbes : harmoniser les mesures Le CTA est l’un des chefs de file du mouvement de transition vers une
sanitaires et phytosanitaires
agriculture de précision pour les petits producteurs des régions ACP.
38 | BUSINESS Dans son entretien avec Spore (p. 18), Ben Addom, en charge des TIC au
En Ouganda, le bon filon CTA, cite plusieurs exemples d’actions concrètes en la matière.
de la citrouille Dans ce numéro, nous mettons également à l’honneur les
développements innovants d’entrepreneurs d’Afrique et des Caraïbes.
39 | FINANCE Le soutien aux jeunes entrepreneurs, à la création d’emplois et au
Au Ghana, les agriculteurs
font moins peur aux banques développement d’entreprise restera un aspect essentiel de la stratégie du
CTA pour les trois prochaines années.
40 | PUBLICATIONS

PHOTO DE COUVERTURE : © TRADEMARK EAST AFRICA SPORE 188 | 3


TENDANCES

F I N A N C E R L ’A G R O - I N D U S T R I E

Les business angels


donnent des ailes
aux agripreneurs
Ces “investisseurs providentiels” comblent un manque en
fournissant du capital et un mentorat à des entreprises qui
peinent à obtenir des financements par les canaux traditionnels.

Yassir Islam

A
vec sept Africains sur dix liés, d’une Au Rwanda, la start-up agricole Kigali Swaziland. Après avoir travaillé dans
façon ou d’une autre, à l'agricul- Farms, spécialisée dans les champi- une entreprise sociale spécialisée dans
ture, il est deux ou trois fois plus gnons, offre aux exploitations agricoles la commercialisation des produits des
efficace d’investir dans ce secteur que dans familiales de nouveaux débouchés pour artisans locaux, elle a cherché à repro-
d’autres pour réduire la pauvreté. Hélas, un produit très nutritif. L’entreprise est duire le modèle dans le secteur de
les agriculteurs africains sont souvent devenue numéro 1 de la vente de substrat l’agriculture. En 2010, elle et son mari
mal intégrés dans les chaînes de valeur, ils de pleurote et de la production de cham- ont investi leurs économies dans le lan-
n’ont pas suffisamment accès à l’exper- pignons frais et s’engage à acheter la cement de la start-up Black Mamba, qui
tise technique ou aux marchés et peinent production des agriculteurs qui achètent produit des sauces chili et des chutneys
à trouver des capitaux. Parmi eux, de son substrat. Mais les débuts ont été à base de produits locaux. En 2014, ils
nombreux candidats agripreneurs, ainsi difficiles, explique Laurent Demuynck, ont obtenu d’une banque swazie un prêt
que des micro- et petites et moyennes l’agripreneur qui a lancé cette start-up qui les a aidés à couvrir leurs frais de
entreprises (MPME), se trouvent dans un en 2010. Les banques locales hésitent en fonctionnement. Ils n’avaient pas grand-
entre-deux : trop grands pour obtenir des effet à financer les exploitations agricoles chose de concret à offrir en garantie à la
microcrédits, trop petits pour accéder aux et leurs taux d’intérêt peuvent atteindre banque, mais la qualité de leur business
crédits ou aux capitaux des institutions 16 %. L’homme d’affaires a fini par rece- plan a convaincu l’établissement de leur
financières. Selon la Banque mondiale, 22  voir une subvention de 200 000 euros accorder un prêt à un taux de 4 % plus
des 40 millions de MPME africaines, tous de la DEG, un organisme qui finance une prime de risque, habituellement
secteurs confondus, n’auraient pas accès, et soutient les entreprises du secteur réservée aux clients solvables. “Les
ou pas suffisamment, aux services de privé dans les pays en développement entreprises plus grandes, plus normales,
financement. Il est par conséquent crucial pour promouvoir une croissance écono- bénéficient de conditions plus avanta-
d’investir dans ces entreprises, y compris mique durable. Ce financement a ouvert geuses, avec des primes de 1 %, voire
dans celles de taille intermédiaire, pour la voie à plusieurs autres subventions de – 2 %. Les petits comme nous paient
stimuler la productivité agricole et créer et investissements “sociaux”. “Sans ce plus”, regrette Claudia Castellanos. Elle
de l’emploi. capital de démarrage, je n’aurais jamais et son mari prévoient de rembourser
pu atteindre plus de 1 700 petits agricul- leur prêt d’ici avril 2018. “C’est affreuse-
Faire preuve de créativité teurs, créer des emplois ou continuer à ment cher, on a vraiment failli y passer.”
En Afrique, une nouvelle série de développer mon entreprise”, reconnaît En 2014, Black Mamba a également
dispositifs créatifs émerge pour remé- Laurent Demuynck. reçu une subvention de 25 000 euros
dier aux problèmes de financement des L’agripreneuse Claudia Castellanos a du fonds d’investissement marketing de
entreprises en phase de démarrage. rencontré des difficultés similaires au la Banque mondiale, ce qui lui a permis

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© BLACK MAMBA
21 des 30 agriculteurs qui fournissent Black Mamba en piments sont des femmes.

d’obtenir la certification FSSC 22000 candidats entrepreneurs ne disposent qui risquent de faire capoter les projets
(Food Safety System Certification) de son pas souvent des compétences requises des entreprises agroalimentaires en
site de production. Cette certification, pour constituer des dossiers de demande manque de capitaux.
basée sur les normes ISO et reconnue de subvention ou de prêt, ou suivre des Selon Sheena Raikundalia, en poste
par la Global Food Safety Initiative, qui procédures complexes de compte rendu. chez IntelleCap, une société qui crée
réunit de nombreux acteurs du secteur, des entreprises sociales et les aide à
lui a ouvert des marchés partout dans le Portrait d’un business angel développer leur activité pour attirer des
monde. Black Mamba a aussi pu acheter Les business angels, aussi appelés investisseurs, “les business angels afri-
des équipements, dont une chambre angels, sont des personnalités aisées qui cains sont généralement des hommes et
froide et un entrepôt frigorifique. À investissent dans des start-up dans l’es- femmes d’affaires qui ont réussi et qui
l’équilibre en 2016, l’entreprise est poir de tirer profit de leurs actions une souhaitent apporter leur aide en retour.
désormais promise à la rentabilité (voir fois les entreprises arrivées à maturité. Ils ne veulent plus faire ponctuellement
l’encadré). Ils s’associent parfois à des opérations de des dons de bienfaisance, mais investir
Les parcours de Kigali Farms et financement mixte, mais ils ont plutôt dans des entreprises appelées à gran-
Black Mamba résument les défis que l’habitude d’investir en leur nom propre. dir et à avoir un impact positif sur la
les start-up doivent relever pour atti- Comme les business angels investissent société”.
rer des investisseurs et convaincre les leurs propres deniers, ils proposent Idris Bello, qui se décrit comme
banques, sans lesquels il est impossible généralement des conditions de finan- un “afropreneur”, a cofondé The
de développer leur activité. Ces jeunes cement plus favorables et plus souples Wennovation Hub (lire sur le site de Spore,
entreprises doivent souvent faire preuve que la plupart des banques et autres ins- Canaliser les investissements vers l’agrobu-
de créativité dans l’utilisation de nou- titutions financières. De plus, ils peuvent siness : https://tinyurl.com/ycrwutj2).
veaux mécanismes de financement très bien se passer du processus onéreux Selon lui, les business angels existent de
pour composer avec ce que diverses de montage de dossiers et de rapports longue date en Afrique, mais ils avaient
institutions leur concèdent. De plus, les qu’exigent les organismes financiers et coutume d’investir dans des secteurs ›

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TENDANCES

Black Mamba : la start-up qui pimente


› moins risqués, comme l’immobilier, le
pétrole et l’extraction minière. Depuis l’agrobusiness swazi
quelques années, ils commencent à
envisager des investissements “d’im- Les sauces chili de la start-up Black Mamba ont beau être vendues en petites
pact” ou des investissements “sociaux” bouteilles, elles ont un sacré punch.
dans des entreprises du secteur de l’agri- Black Mamba a établi un partenariat commercial avec Guba, une ONG locale qui fait
culture durable, de l’énergie verte et des la liaison avec les agriculteurs du secteur. Ce qui prime pour Guba, c’est la sécurité
services de base à un prix abordable, alimentaire. Son objectif est donc de faire en sorte que les producteurs cultivent
comme l’éducation et la santé. des denrées alimentaires et qu’ils aient aussi une activité rémunératrice. Guba
achète directement les récoltes aux producteurs. Black Mamba vérifie la qualité des
“Les business angels africains produits avant d’en prendre livraison. Guba forme les agriculteurs à des techniques de
production respectueuses de normes de qualité strictes et garde en contrepartie une
sont souvent des hommes et des petite partie des récoltes pour financer ses activités.
Black Mamba a choisi de travailler avec des produits bio, ce qui implique des prix
femmes d’affaires qui ne veulent plus élevés dans toute la chaîne de valeur. Ceci bénéficie aussi aux agriculteurs : le
prix de leur production est fixé par un contrat annuel sur la base des prix du marché
pas faire des dons de bienfaisance,
augmentés d’une marge pour produits bio pouvant aller jusqu’à 30 %.
mais investir dans des entreprises Des agriculteurs sont formés à la permaculture, puis font profiter leur communauté de
ces techniques. Ils ont aussi pu investir dans des canalisations d’eau et des clôtures. On
appelées à grandir et à avoir un compte 21 femmes parmi les 30 agriculteurs du réseau de la start-up. “Nous voulons
travailler avec des femmes, car ce sont elles qui paient les frais de scolarité. Elles sont
impact positif sur la société.” aussi plus préoccupées par le bien-être de leur famille”, explique Claudia Castellanos,
cofondatrice de Black Mamba.
Idris Bello a lui-même investi à “Nous voulions être sûrs d’avoir un impact durable sur les communautés avec
plusieurs reprises dans l’agriculture, lesquelles nous travaillons avant d’étendre notre réseau à d’autres agriculteurs. Leur
notamment en 2016, dans Rashak, une faire gagner 1 dollar de plus par jour n’est pas le seul but recherché : nous voulons
raffinerie nigériane d’huile de palme. que Black Mamba soit rentable pour tout le monde”, poursuit Claudia Castellanos.
“En plus d’injecter les capitaux requis L’entreprise s’est fixé l’objectif de constituer un réseau de 80 agriculteurs d’ici 2022
pour acheter des équipements et des et a commencé à faire connaître son modèle dans d’autres pays d’Afrique où il serait
générateurs, nous transférons des tech- possible d’ouvrir les marchés à de petits agriculteurs qui cultivent des produits à haute
nologies et mettons notre expertise de valeur ajoutée. Pour cela, il faut des investisseurs.
gestion au service du développement de Claudia Castellanos a rencontré Bo Masole et Zee de Gersigny par l’intermédiaire de la
l’activité”, explique-t-il. Rashak travaille plateforme ACRE, une organisation spécialisée dans l’assistance technique et l’appui
avec un groupe de 25 petits agriculteurs aux entreprises rurales susceptibles de se développer. Elle compte sur l’aide des deux
à qui elle achète leur production pour femmes pour établir un business plan qui séduise des investisseurs. “Pour des business
éviter l’intervention d’intermédiaires. angels, Black Mamba illustre bien les investissements d’impact qu’il est possible de
Les agriculteurs ont créé une coopé- faire en Afrique”, conclut Zee de Gersigny.
rative et ont accès à divers dispositifs,
notamment de crédit. L’entreprise a le
mérite de créer de l’emploi et d’aider
les agriculteurs à stocker leur récolte. tout en ayant un impact social. C’est le Investir dans des entreprises
Comme les cultures sont saisonnières, meilleur moyen de les amener à changer de femmes
le stockage postrécolte donne aux agri- d’état d’esprit et à abandonner l’idée du Bo Masole et Zee de Gersigny ont créé
culteurs la possibilité d’échapper aux ‘soit l’un, soit l’autre’.” en 2016 la société Victus Global Capital
bas prix pratiqués à la fin des récoltes Des forums et des plateformes de finan- Ltd (VGC) qui investit dans des entre-
et de s’assurer un revenu toute l’année. cement voient le jour partout en Afrique. prises dirigées par des femmes ou dont
Pour Rashak, la prochaine étape sera de En 2012, Idris Bello a fondé avec plusieurs l’actionnariat est majoritairement fémi-
proposer d’autres avantages aux agricul- associés le Lagos Angels Network (LAN) nin afin de contourner les difficultés que
teurs et à leur famille, notamment dans avec le soutien technique du programme les Africaines rencontrent lorsqu’elles
le domaine de l’éducation et de la vulga- infoDev. Le réseau LAN a réussi à séduire essaient d’obtenir des capitaux.
risation agricole. une génération plus jeune de Lagotiens Bo Masole, qui a une longue expérience
désireux d’investir et d’aider des entrepre- dans le secteur de l’agroalimentaire et
Relever le défi de la visibilité neurs à lancer leur activité. Il compte plus de la production alimentaire, explique :
“Les investissements d’impact im- d’une quarantaine de membres et a donné “Nous pouvons fournir l’expertise
pliquent un défi de visibilité à plusieurs lieu à la création de l’Africa Business requise et nous avons aussi des débou-
égards”, estime Idris Bello. “Nous devons Angels Network, qui soutient les réseaux chés sur des marchés locaux et régionaux
montrer aux investisseurs potentiels, dw’investisseurs à leur création et cherche et des accords avec de nombreux distri-
preuves à l’appui, qu’un investissement à intéresser davantage d’investisseurs “aux buteurs.” Elle poursuit : “Les débouchés
peut générer un rendement financier possibilités offertes en Afrique”. commerciaux, le renforcement des

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capacités et le financement sont les trois angels. Comme le ratio risque-rentabilité Zuckerberg dans la start-up technolo-
piliers du développement des PME. Se des investissements dans des PME est gique nigériane Andela ont montré aux
contenter de financer les entreprises assez élevé, combiner financement, investisseurs locaux qu’investir dans des
ne suffit pas, car c’est oublier les deux expertise technique et apports garantis start-up était tout à fait sensé.
autres piliers. Il faut découvrir comment d’investisseurs institutionnels peut aussi En Afrique de l’Est, rappelle Sheena
travailler sur les deux autres piliers avant encourager des business angels réticents Raikundalia, “les business angels sont en
d’injecter des capitaux.” à s’aventurer dans les investissements grande partie des expatriés”. Le Somali
Pour engranger des résultats, admet sociaux. AgriFood Fund a ainsi recueilli plus de
Bo Masole, il faut “comprendre toute la 800 000 euros via la diaspora soma-
chaîne de valeur et, donc, aller voir aussi “En plus d’injecter les capitaux lienne (voir Spore, L’agriculture, un marché
ce qui se passe du côté des petits agricul- d’avenir pour la diaspora). Les locaux qui
teurs”. VGC analyse ainsi la situation des requis pour acheter des s’associent pour investir attirent aussi
petits exploitants qui approvisionnent les investisseurs étrangers, car ils
les entreprises agroalimentaires, notam- équipements et des générateurs, connaissent les coutumes locales et
ment leurs intrants, leurs coûts, la taille peuvent ouvrir des portes.
de leur exploitation et leurs moyens de
nous transférons des technologies De nouveaux réseaux de business
subsistance, pour mesurer les impacts et mettons notre expertise de angels apparaissent dans toute l’Afrique,
sociaux. mais leur modèle d’investissement ne
Zee de Gersigny a créé en Afrique de gestion au service du suffira pas pour combler le manque de
nombreux fonds qui avaient coutume capitaux et de crédits dont souffrent les
d’investir dans le secteur de la finance développement de l’activité.” MPME. Les business angels commencent
ou de l’immobilier (centres commer- toutefois à s’intéresser aux start-up et
ciaux, bureaux, etc.). “Avec Victus, Attirer les investisseurs providentiels aux entreprises de taille intermédiaire.
nous espérons créer en deux ans un Faire venir des business angels che- Ils leur permettent d’accéder aux formes
fonds d’investissement de 40 millions vronnés de pays plus développés traditionnelles ou mixtes de finance-
d’euros qui investira entre 20 000 euros encouragerait des business angels afri- ment une fois bien implantées. Surtout,
et 8 millions d’euros dans les entre- cains à suivre leur exemple et à se ils apportent la preuve que cette nou-
prises”, s’enorgueillit-elle. Le fonds sera lancer dans les investissements sociaux, velle forme de financement associée à
constitué à 80 % par des investisseurs estime Idriss Bello. Ainsi, la visite sur- trois ingrédients cruciaux – le mentorat,
institutionnels, surtout d’Afrique du Sud, prise du fondateur de Facebook, Mark la gestion et l’engagement social – ouvre
et à 20 % par des particuliers très fortu- Zuckerberg, à Lagos en 2016, et l’in- de nouvelles voies pour transformer
nés et leur famille, les fameux business vestissement de la Fondation Chan l’agriculture en Afrique.

Le sommet africain des business angels offre l'opportunité aux entrepreneurs


d'avoir accès à des investisseurs providentiels en phase de démarrage.

© AFRICA BUSINESS ANGELS NETWORK

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PRODUCTION AGRICOLE

En 2017, l’ouragan Maria


a ravagé le secteur
agricole de la
Dominique.
© TOMÁS AYUSO/WWW.IRINNEWS.ORG

STRATÉGIES INTELLIGENTES

L’agriculture caribéenne
à l’épreuve du changement climatique
Après le passage destructeur de l’ouragan Maria, en septembre 2017, la Dominique
et Barbuda s’attellent à “reconstruire, mais en mieux” leurs secteurs agricoles
afin d’en renforcer la résilience.

Natalie Dookie

A
u lendemain de l’ouragan Maria, agricole”, explique Daniele Barelli, spé-
en septembre 2017, la Banque cialiste de la réduction des risques de
mondiale, l’Union européenne et 160 MILLIONS D'EUROS catastrophe dans les Caraïbes et point
les Nations unies ont évalué à 160 mil- Le montant des pertes agricoles en Dominique focal Urgence à la FAO. “La région doit
lions d’euros les pertes dans le secteur après le passage de l’ouragan Maria également procéder à un recensement
agricole en Dominique. agricole, le dernier datant de plus de 15
La FAO a d’abord mobilisé 565 000 ans dans la plupart des pays, et recueillir
euros à des fins d’intervention d’ur- pêche. Les agriculteurs seront également et gérer des données historiques sur la
gence et, en partenariat avec le ministère formés aux techniques de production récurrence des catastrophes naturelles
de l’Agriculture et de la Pêche de la agricole climato-intelligentes, à l’accès et sur la production agricole des cinq à
Dominique, plus de 4 000 foyers ont reçu aux marchés et à la nutrition. dix dernières années. Cette base de réfé-
des intrants agricoles tels que semences, De plus, la FAO a défini, en coordi- rence faciliterait l’évaluation de l’impact
plants, réservoirs d’eau, outils, engrais, nation avec le ministère dominicain des catastrophes naturelles et permet-
aliments pour animaux et matériel pour de l’Agriculture et de la Pêche, des trait de recommander des mesures de
abris d’animaux. Des projets d’urgence domaines prioritaires pour la réhabili- préparation, d’atténuation des risques et
ont également été mis sur pied pour tation à long terme du secteur agricole. de relèvement pour soutenir le secteur.”
réhabiliter le secteur de la pêche, touché “Le déblaiement des routes et des terres
à hauteur de 2,4 millions d’euros, en agricoles reste indispensable pour per- Reconstruire l’île de Barbuda
fournissant des filets de pêche, des sys- mettre à de nombreux agriculteurs Le secteur agricole d’Antigua-et-Bar-
tèmes de réfrigération et du matériel de du pays de reprendre leur production buda a aussi subi des dommages, estimés

8 | SPORE 188
à 400 000 euros. Avant la catastrophe, SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Barbuda avait adopté un “concept d’île
verte” qui privilégie les sources d’énergie
alternatives, comme le solaire et l’éo-
lien, les serres intelligentes, l’agriculture
Madagascar vise
biologique, la mécanisation, l’utilisation
efficace des ressources hydriques et la
valorisation des produits agricoles par la
l’autosuffisance
transformation et le conditionnement.
Un modèle de système hydroponique est
ainsi en cours d’installation dans la plus
en riz en 2020
grande école secondaire de l’île, la Sir
McChesney George Secondary School, Le pays a doublé sa production en quelques
avec le soutien de l’Institut interaméri- années grâce à l’adoption de nouvelles techniques
cain de coopération pour l’agriculture,
le Caribbean Agricultural Research and et de semences améliorées. L’île doit devenir le
Development Institute et d’autres parte- “grenier de l’océan Indien”.
naires. Ce système devrait être 10 à 18 fois
plus productif que les méthodes agricoles
conventionnelles et fournira au moins Mamy Andriatiana
30 % des produits alimentaires du pro-

L
gramme alimentaire de l’école. L’initiative
permettra aux élèves d’acquérir une es agriculteurs de Madagascar adoptent des variétés améliorées de riz
expérience pratique du fonctionnement mieux adaptées au réchauffement climatique. Avec l’utilisation, entre
du système et assurera à l’échelon natio- autres, d’une variété népalaise appelée “Tsipolatra” ou “Chromrong Dan”,
nal des formations à la construction et au la production de riz du pays est passée de 2,5 tonnes à 4,8 tonnes par hectare
fonctionnement de celui-ci. entre 2008 et 2014, d’après la Banque mondiale. Entre 2013 et 2017, les impor-
tations ont reculé de 400 000 tonnes à 300 000 tonnes. “À ce rythme, le pays
Soutenir le relèvement espère une autosuffisance en riz (5 millions de tonnes) à l’horizon 2020, en
Un autre projet de la FAO, mené réduisant de 10 à 20 % ses importations annuelles”, d’après l’ancien ministre de
sur l’île de la Grenade, en Jamaïque l’Agriculture Roland Ravatomanga.
et à Saint-Vincent-et-les  Grenadines, Par ailleurs, un projet d’irrigation et de gestion de l’eau, financé par la Banque
évalue actuellement la possibilité de mondiale, a fourni à 6 600 agriculteurs des services de drainage et d’irrigation
proposer une assurance contre les améliorés. De même, 2 500 hectares ont pu être cultivés avec des technologies
risques agricoles. “Nous avons aussi améliorées. Résultat : le rendement moyen des sites irrigués a plus que doublé,
fourni une assistance technique à jusqu’à 5,2 tonnes par hectare.
l’élaboration de propositions de pré- Sur les hauts plateaux de l’île, la culture du riz irrigué a fait passer les ren-
paration aux risques au Guyana et à dements de 2,5 tonnes à 4,5 tonnes par hectare au terme d’un projet de cinq
Saint-Christophe-et-Niévès en vue de ans financé par le gouvernement japonais. Le Projet d’amélioration de la pro-
l’accès au Fonds vert pour le climat, ductivité rizicole associe la riziculture intensive avec des fumures organiques
qui investit dans le développement à (mélange de bouse de bovins, de pailles de riz et de compost) à l'utilisation de
faibles émissions et résilient face au petits matériels agricoles (sarcleuse, batteuse) à la portée des petits paysans.
changement climatique”, explique Madagascar fait néanmoins partie des “vingt pays vulnérables” au change-
Lystra Fletcher-Paul, coordonnatrice ment climatique et doit composer avec la plus grande fréquence de cyclones
sous-régionale de la FAO pour les en Afrique. En 2017, après une
© MAMY ANDRIATIANA

Caraïbes. “Alors que la plupart des pays sécheresse à l’origine de pertes


des Caraïbes ne sont pas de grands émet- agricoles estimées à 166 mil-
teurs de gaz à effet de serre, l’impact des lions d’euros, le gouvernement
changements climatiques les a touchés a demandé le soutien de la
extrêmement durement.” Banque mondiale pour adapter
C’est pourquoi la FAO, la CARICOM et son irrigation. Première étape :
ses partenaires des Caraïbes élaborent développer de nouveaux
une stratégie régionale d’intervention standards pour les systèmes
d’urgence ainsi qu’un plan d’action pour d’irrigation, plus résistants
le secteur agricole axé sur les principaux aux cyclones, et rendre leur
défis de la coordination, des données et application obligatoire. Douze
des communications. Objectif : être prêts Sur les hautes terres de Madagascar, un suivi des barrages et canaux d’irrigation
avant le début de la prochaine saison des cultures et de nouvelles techniques devraient ont déjà été réhabilités ou mis
ouragans, en juin 2018. améliorer les rendements. à niveau dans six régions.

SPORE 188 | 9
ENVIRONNEMENT

© SOILCARES
TECHNOLOGIES

De nouvelles
applis pour mieux
connaître son sol
Au Kenya, des applis mobiles et
des appareils de détection portatifs
fournissent aux agriculteurs
des informations sur le sol de leur
exploitation. Un plus pour choisir
les bonnes cultures.

Un appareil manuel d’analyse du sol permet à plus de 2 900 agriculteurs


Justus Wanzala de déterminer avec précision les propriétés de leur sol et leurs besoins
en nutriments.

A
u Kenya, des agriculteurs utilisent une application cessé de diminuer. Grâce à l’introduction de ces deux nouvelles
mobile qui les aide à déterminer si leur sol est adapté à cultures, les rendements obtenus par Daniel Kobia ont presque
diverses cultures. Cette technologie, baptisée LandInfo doublé. “L’économie kényane est basée sur l’agriculture, mais
et lancée au Kenya en 2015 par le Réseau d'études sur la nous sommes confrontés à l'insécurité alimentaire. L'adoption
politique technologique en Afrique, minimise les pertes liées d'une telle innovation peut réduire la pauvreté et assurer une
à une connaissance insuffisante de la composition du sol en alimentation appropriée aux habitants”, s’enthousiasme-t-il.
renseignant sur les cultures à privilégier. Par ailleurs, l’appli, Par ailleurs, dans le cadre du projet Scanning for Success de
téléchargeable gratuitement sur smartphone, offre des infor- la fondation SoilCares, plus de 2 900 petits exploitants agricoles
mations actualisées sur les tendances climatiques, dont la du Kenya ont bénéficié d’une autre technologie qui leur fournit
température, les précipitations, la capacité de stockage de l’eau en 10 minutes des informations pratiques sur les sols. Cet appa-
et l’aridité du sol reil portatif se connecte à un smartphone via Bluetooth et
Le réseau LandInfo, qui collabore avec le dépar- génère un rapport sur l'état du sol et ses besoins en
tement américain à l’agriculture (USDA) et le CTA, 2 900 nutriments. Le scanner utilise des capteurs optiques
permet aux agriculteurs d’interpréter les données petits agriculteurs proche infrarouge et se connecte à la base de don-
dans le contexte des conditions locales et de les kényans ont reçu nées SoilCares Global Soil pour déterminer avec
utiliser pour sélectionner les cultures et gérer des appareils précision les propriétés du sol telles que le pH, les
l'utilisation des terres. “Cette appli innovante d’analyse des matières organiques et la teneur en NPK (azote,
donne aux agriculteurs les moyens de s’adapter au sols phosphore, potassium). Ce dispositif permet aux
changement climatique”, affirme Edith Mosop, agri- agriculteurs d'épandre le bon type et les bonnes quan-
cultrice et agente de vulgarisation agricole dans le comté tités d’engrais en fonction de la composition du sol, ce qui
de Nakuru, dans la vallée du Rift. améliore les rendements, réduit le coût des engrais et limite les
Grâce à l’appli, Patrick Ng'ang'a, un agriculteur du comté dommages environnementaux. Le projet propose également
de Meru, dans le centre du pays, a pu déterminer le meilleur une formation sur l'échantillonnage et la fertilité des sols, ainsi
moment pour planter et obtenir de bonnes récoltes pendant la que l'utilisation d'engrais. “Nous sommes convaincus que,
petite et la grande saison des pluies. “J’ai pu me baser sur des pour combler le déficit alimentaire, il faut d’abord remédier
prévisions météorologiques précises pour sélectionner chaque aux manques de connaissances”, explique Christy van Beek,
année les cultures idéales pour ces deux saisons.” directrice de la fondation SoilCares. “C'est pourquoi nous
Daniel Kobia, lui aussi agriculteur dans le comté de Meru, avons développé une série de supports d’information [sous
a bénéficié d’une formation à l’utilisation de l’application en forme de brochures] sur l'analyse et l’échantillonnage des sols,
2016. LandInfo lui a permis d’identifier le sorgho et le mil l’application d’engrais, la fertilité des sols et les connaissances
comme des cultures idéales pour son exploitation de 2 hec- de base en science des sols. Nous espérons que ces documents
tares. Ces deux céréales remplacent avantageusement la renforceront la capacité de nos partenaires et les aideront à
culture du maïs et des haricots, dont les rendements n’avaient partager l'information avec les agriculteurs.”

10 | SPORE 188
ÉNERGIE RENOUVELABLE Un serment
Quand le soleil fait sur les passeports
La politique du paradis
tourner les pompes à eau insulaire des Palaos
Au Mozambique et au Rwanda, dans les zones de LES PALAOS, dans l’océan Pacifique, ont
lancé une politique d’immigration unique
sécheresse et d’inondations, des systèmes d'irrigation en imposant aux visiteurs de faire le
alimentés par l’énergie solaire réduisent l'utilisation de serment de “préserver et protéger (…)
ce magnifique archipel”, pour les jeunes
combustibles fossiles. générations du pays. Cette politique
a été introduite en décembre 2017 et,
Rita Vaz da Silva et Aimable Twahirwa dans les deux semaines qui ont suivi, le
serment des Palaos avait déjà été signé

A
par 6 000 visiteurs et tamponné sur leur
u Mozambique et au Rwanda, des d'eau.” Près de deux ans après la fin de passeport.
pompes solaires permettant une ce projet, “plus de 10 000 habitants ont Depuis 1993, le niveau de la mer au
irrigation durable changent peu encore facilement accès à l’eau, même en large de l’archipel augmente chaque
à peu la vie de petits agriculteurs. Au période de sécheresse”. année de 9 mm. Le tourisme est accusé
Rwanda, cette technologie est utilisée Ce projet à faible intensité de car- d’avoir abîmé les plages et endommagé
dans les savanes et les zones maréca- bone permet de ne plus utiliser de les récifs coralliens du pays. Cette
geuses de l'est du pays, en proie à des combustibles fossiles pour pomper l’eau mesure récente s’inscrit dans le cadre
sécheresses récurrentes. Au Mozambique, et encourage une agriculture de conser- du programme du président Thomas
ces systèmes fournissent à neuf commu- vation climato-intelligente – plantation de Remengesau visant à stopper “notre
nautés, victimes de sécheresses graves et cultures résistantes à la sécheresse, créa- réchauffement planétaire apocalyptique”.
prolongées et de crues soudaines, de l’eau tion de pépinières horticoles et utilisation
propre à la consommation humaine mais de nouvelles techniques de transformation
aussi pour l’agriculture et l’irrigation. agricole. De nouvelles activités devraient
Plan°C est une initiative internatio- être lancées tout au long de l'année 2018.
nale qui vise à atténuer les changements Douze autres communautés, choisies par Biomasse
climatiques au Cap-Vert, à São Tomé et le gouvernement mozambicain, devraient
Príncipe et au Mozambique. Le projet bénéficier de cette initiative jusqu'en 2020. L’énergie des déchets
PACA (Plan d’action pour l’adaptation des Au Rwanda, une initiative pilote d’irri-
communautés), qui a été mis en œuvre gation solaire et durable, mise en œuvre AU KENYA, des unités de centrales
au Mozambique entre 2013 et 2016, a “mis depuis novembre 2017 par le Conseil électriques mobiles sont alimentées par
à l’abri des changements climatiques” les rwandais de l’agriculture et la FAO, couvre des coquilles de noix de macadamia,
communautés bénéficiaires, auparavant 1 300 hectares de zones marécageuses et des épis de maïs, des coques de café,
vulnérables, selon Inês Mourão, coor- bénéficie à plus de 580 agriculteurs. Une de la bagasse et des résidus de culture.
dinatrice générale du projet. “L'eau est partie de l'énergie excédentaire générée Avec 18 kg de coquilles de noix de
pompée d'une rivière ou d'un petit ruis- par les pompes est transférée au réseau macadamia ou 32 kg d’épis de maïs, les
seau voisin et alimente des citernes, des national et utilisée pour l’éclairage des unités de biomasse peuvent produire
abreuvoirs et des réservoirs de stockage maisons et des écoles de la région. jusqu’à 10 kW d’électricité et 40 kW
Gerard Munyeshuri Gatete, qui cultive d’énergie thermique par heure. Dans le
© INÊS MOURÃO/CAOS

des haricots dans le district de Nyagatare, comté de Muranga, une coopérative


irrigue son exploitation de 8 hectares de productrices de mangues profite de
avec une pompe solaire qui puise l'eau ces installations pour sécher ses fruits
à 60 mètres de profondeur pendant les en atténuant la détérioration due au
périodes de sécheresse ; 163 000 euros séchage au soleil : la vapeur surchauffée
ont été alloués à l’achat subventionné produite par la centrale transforme
de pompes pour les agriculteurs. Gerard 300 kg de mangues fraîches en 20 kg de
Gatete et sa famille ont payé 25 % du coût mangues séchées en 6 heures, contre
de cette technologie qui pompe environ 48 heures pour le séchage au soleil.
3,5 m³ d'eau par heure. Auparavant, “le Selon Village Industrial Power, la start-up
rendement était d’environ 1 tonne de hari- américaine qui a conçu ces unités, les
L’irrigation solaire a fourni un accès à l’eau cots par hectare, mais aujourd'hui nous agriculteurs pourraient ainsi multiplier par
à plus de 10 000 personnes au Mozambique. récoltons presque le double”. dix la valeur de leurs récoltes.

SPORE 188 | 11
RECHERCHE

variétés communes de haricots. “Ces


HARICOTS BIOFORTIFIÉS variétés de haricots ont été mises au
point de façon conventionnelle sur de

Des “super-semences” nombreuses années, en combinant des


sources de fer de la banque de gènes du
CIAT avec du matériel génétique adapté

pour les réfugiés localement”, explique le Dr Wolfgang


Pfeiffer, directeur général du dévelop-
pement de produits du programme

en Ouganda HarvestPlus, basé au siège du CIAT, en


Colombie. “Le processus permettant de
trouver les variétés les plus riches en fer,
puis de s’assurer qu’elles résistent aux
De nouvelles variétés de haricots, créées pour résister au conditions rigoureuses de notre envi-
changement climatique, renforcent la sécurité alimentaire ronnement, comme la sécheresse, est
relativement long.”
des petits agriculteurs et des réfugiés sud-soudanais Selon les estimations, l’Ouganda
en Ouganda. accueille 1,4 million de réfugiés, pour la
plupart originaires du Soudan du Sud.
Le pays fournit à ces réfugiés des terres
où ils peuvent vivre et cultiver, favori-
Sophie Reeve sant ainsi leur autosuffisance. En 2017,
la FAO a chargé un grand producteur

E
commercial de fournir aux camps de
n Ouganda, des variétés de haricots Seize variétés différentes ont d’abord réfugiés 21 tonnes de nouvelles varié-
à haut rendement et résistantes à été évaluées en fonction de leur ren- tés de semences avec un rendement
la sécheresse et aux maladies per- dement potentiel, de leur capacité jusqu’à trois fois supérieur à celui des
mettent à des petits agriculteurs et à plus à accumuler les micronutriments et variétés locales. “Au lieu d’acheter des
d’un million de réfugiés sud-soudanais des préférences des cultivateurs. Cinq suppléments coûteux, les communautés
d’accroître leur production et de nourrir variétés – trois à croissance buisson- peuvent désormais acquérir et cultiver
leur famille. nante et deux à croissance grimpante ces variétés de haricots afin d’améliorer
Les semences résistantes “NAROBEANS” – ont répondu à tous les critères. Elles la nutrition et de réduire l’anémie, en
ont été mises au point par l’Alliance ont ensuite été testées dans six régions sachant qu’elles obtiendront une récolte
panafricaine de recherche sur le agroécologiques d’Ouganda, avant d’être malgré la sécheresse”, explique Stanley
haricot, l’Organisation nationale de sélectionnées et distribuées. Nkalubo, chef d’équipe et semencier à
recherche agricole et d’autres parte- Une large partie de ces semences l’Institut national ougandais de recherche
naires internationaux, afin de lutter proviennent de la banque de gènes sur les ressources agronomiques.
contre la malnutrition et l’anémie dans du Centre international d’agriculture Les “super”-haricots sont prisés pour
le pays. tropicale (CIAT), qui héberge 37 000 leur cuisson rapide, leur goût supérieur
et leurs qualités de résilience climatique.
De plus, les cultivateurs ougandais enre-
gistrent un bénéfice de 0,28 à 0,6 €/kg
(1 200 à 2 500 UGX/kg) en les vendant
aux négociants. “Sur un demi-hectare,
on obtient presque 250 kg, contre 40,
50 ou 70 kg avec les variétés locales”, se
réjouit Charles Latiego, cultivateur dans
le district de Gulu. “De plus, les nou-
velles variétés sont très faciles à cuire et
permettent de ne pas gaspiller trop de
carburant.”
Des entreprises semencières comme
Pearl Seeds Limited commencent à pro-
© GEORGINA SMITH/CIAT

duire les variétés NAROBEANS. “En une


saison, nous vendons 250 à 300 tonnes
de haricots. Il y a tant de demande que
nous fonctionnons selon le principe du
premier arrivé, premier servi”, indique
En Ouganda, les consommateurs apprécient les NAROBEANS pour leur cuisson rapide, Richard Masagazi, directeur général de
leur goût supérieur et leurs qualités de résilience face au climat. Pearl Seeds Limited.

12 | SPORE 188
Génétique NOUVELLE TECHNOLOGIE

Vaincre la rouille
noire
Mobilisation contre
EN SÉQUENÇANT le génome de
l’agent pathogène responsable
le légionnaire d’automne
de la rouille noire, des chercheurs
australiens ont identifié des indices Alors que le papillon invasif continue d’infliger des dégâts
génétiques qui indiquent si ce considérables aux exploitations agricoles africaines, de
champignon peut ou non vaincre
les gènes résistant à la rouille des nouvelles stratégies visant à en limiter la propagation et à
cultures qu’il touche. La rouille noire en combattre les effets obtiennent des résultats.
est l’un des agents pathogènes
les plus néfastes pour les cultures

© CABI
de céréales, surtout pour le blé. Benson Rioba et Alex Miller
Cependant, l’identification du signe

L
génomique qui indique la résistance
au Sr50 – un gène résistant à la a technologie de répulsion-
rouille introduit dans des variétés attraction (“push-pull”) est déployée
de blé – rend possibles des tests en Afrique pour combattre le
ADN rapides sur des échantillons légionnaire d’automne, un espèce enva-
infectés. Ainsi l’on saura s’il faut hissante originaire d’Amérique du Sud
pulvériser des fongicides coûteux ou qui a gagné 43 pays. Quelque 35 millions
si la rouille noire sera vaincue par les d’hectares de champs de maïs sont infec-
gènes résistants. tés ou risquent de l’être.
Le légionnaire d’automne, dont les
larves dévorent les plants en quelques
jours, peut parcourir 100 km en une
nuit et pondre 1 000 œufs en 10 jours.
Riz sauvage Cependant, des techniques de lutte 140 000 agriculteurs africains ont adopté la
contre le papillon sont prometteuses : technologie “push-pull” pour protéger leurs
Comparer l’introduction de végétaux autour cultures contre le légionnaire d’automne.
des champs pour les attirer hors des
les génomes cultures, ainsi que l’intercalage de “La technologie push-pull s’avère être
plantes répulsives dans les cultures l’une des méthodes les plus fiables car
L’INTERNATIONAL RICE RESEARCH pour les éloigner ou les repousser. elle repose sur des techniques natu-
INSTITUTE (IRRI) a séquencé le Desmodium intortum, ou “herbe à élé- relles”, affirme le Dr Saliou Niassy, du
génome de sept variétés de riz phant”, est un répulsif efficace qui Centre international de physiologie
sauvage. Publiée dans Nature permet de piéger les œufs du légion- et d'écologie des insectes. En Afrique,
Genetics, cette étude présente des naire d’automne. 140 000 agriculteurs ont déjà adopté
ressources génétiques qui comparent Mary-Lucy Oronje, chercheuse cette technologie et 150 000 autres ont
le génome des variétés sauvages agricole au Centre for Agriculture été formés à utiliser correctement les
et de deux variétés cultivées et qui and Bioscience International (CABI), semences concernées.
livrent des informations sur les gènes reconnaît qu’il n’est toutefois pas facile Le CABI a lancé un nouveau projet de
utilisés par les plantes pour résister d’acheminer les semences des végé- lutte contre le légionnaire d’automne,
aux parasites, prospérer dans des taux répulsifs jusqu’aux agriculteurs. basé sur une triple approche de défense,
environnements hostiles et produire Par ailleurs, des variétés de semences détection et défaite. La technologie
d’abondantes quantités de grain. Le adaptées au climat sont nécessaires push-pull constitue le volet “défaite”
riz représentant 20 % des calories pour permettre aux plantes de survivre de cette stratégie et peut, selon Trevor
consommées par jour dans le monde, dans des environnements plus arides. Nicholls, PDG de CABI, “offrir une pro-
cette avancée permettra d’intensifier Néanmoins, les agriculteurs qui ont tection à long terme” et aider à reprendre
les efforts pour développer de introduit la technologie au Kenya, en le contrôle des cultures.
nouvelles variétés pouvant “améliorer Tanzanie et en Ouganda font état d’une
les cultures en les dotant des réduction de 86 % des dommages et Pour plus d’informations, découvrez
caractéristiques privilégiées par les d’une baisse de 82,7 % en moyenne du le guide technique : Fall Armyworm in Africa:
agriculteurs et les consommateurs”, nombre de larves de légionnaire d’au- A Guide for Integrated Pest Management
indique Ruaraidh Hamilton, de l’IRRI. tomne par plant. (en anglais) - https://tinyurl.com/y9jw9poy

SPORE 188 | 13
NUTRITION ET SANTÉ

COMMUNICATION

Au Sénégal, la radio promeut hygiène


et bonnes pratiques alimentaires
Des spots diffusés par des radios

© ITUNU KUKU
locales et des visites de terrain ont
convaincu les populations
sénégalaises de zones rurales
de changer certaines habitudes
alimentaires et d’hygiène.

Vincent Defait

Q
uand il est devenu difficile de nourrir ses sept
enfants et quatre petits-enfants, Thiane Dramé
a décidé, dans son village de la région de
Kaolack, au Sénégal, de cultiver ses propres fruits et
légumes. “Mon plus jeune petit-fils était tout le temps
malade”, explique-t-elle. “Dès que j’ai appris que la
patate douce à chair orange est une plante nutritive
qui prévient l’anémie chez les femmes enceintes,
améliore le lait maternel et permet aux enfants de Des agents de santé communautaires ont été formés dans le cadre du programme SPRING
grandir en bonne santé, je n’ai pas hésité [à en planter].” afin de véhiculer les messages liés à la nutrition.
Auparavant, Thiane Dramé a été formée à la culture de
légumes nutritifs afin de varier l’alimentation de sa En s’appuyant sur les autorités nationales et des
famille, grâce au programme SPRING (Renforcement ONG locales et régionales, le programme a promu
des partenariats, résultats et innovations en nutrition à de bonnes pratiques d’hygiène et de nutrition
l’échelle globale) de l’agence USAID. auprès de 430 000 femmes, via la radio et un contact
Entre 2015 et 2017, SPRING a permis, dans trois direct avec 7 500 foyers. Plus de 500 représentants
régions du Sénégal (Kaolack, Fatick et Kaffrine), d’organisations partenaires ont été formés à fournir
d’améliorer la nutrition infantile et maternelle, via la des conseils en nutrition. Comme Thiane Dramé, les
formation des femmes à de meilleures pratiques liées femmes sénégalaises ont ainsi appris à cultiver du
à la nutrition et l’hygiène, ainsi que la diffusion de maïs et du mil biofortifiés, des carottes, des haricots
messages à la radio. Six radios partenaires ont diffusé niébé et de la patate douce à chair orange.
14 280 spots et consacré 30 émissions à des théma- Un manque d’accès à une alimentation nutri-
tiques liées à la nutrition. Diffusés dans les langues
locales, ces programmes ont insisté sur des mesures
430 000 tive et abordable ainsi qu’une mauvaise hygiène
empêchent souvent le bon développement des
d’hygiène simples ou l’importance de l’allaitement femmes ont reçu enfants. Dans les zones rurales, à peine 7 % des
exclusif pour les enfants de moins de 6 mois, “très des conseils sur enfants âgés de 6 à 23 mois bénéficient d’un régime
problématique car beaucoup pensent qu’il faut aussi l’hygiène et la alimentaire minimum acceptable, d’après des sta-
donner de l’eau aux bébés”, explique le responsable nutrition tistiques nationales. Environ 20 % des enfants de
de SPRING Robert de Wolfe. L’eau n’étant pas toujours moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique.
potable, les nourrissons tombent souvent malades. Comme d’autres, avec les revenus générés par le
“Maintenant, je comprends que tout ce dont a surplus de légumes qu’elle produit et l’élevage de
besoin l’enfant jusqu’à 6 mois pour sa nutrition est poulets de son groupe de femmes, Thiane Dramé
contenu dans le lait maternel et que l’allaitement peut acheter de la viande, du poisson et des œufs,
maternel exclusif le préserve des petites maladies”, offrant à sa famille une alimentation plus variée.
explique une villageoise de la région de Kaffrine. “Mon petit-fils n’est plus autant malade, donc nous
“La prochaine fois que j’aurai un bébé, c’est ce que n’avons plus les mêmes dépenses de santé qu’aupa-
je vais pratiquer.” ravant”, se réjouit-elle.

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TICKETS ALIMENTAIRES Lait de souchet
Haïti : les bons d'achat Une boisson saine
et de qualité
profitent à l'économie UNE ALTERNATIVE NOURRISSANTE
au lait de vache gagne en popularité
en Afrique de l’Ouest. Des fermiers de
Destiné à renforcer la sécurité alimentaire des ménages Côte d’Ivoire et du Ghana produisent à
haïtiens les plus pauvres, un programme de protection domicile du lait de souchet, un produit
riche en nutriments qu’ils vendent au
sociale offre des bons d’achat de denrées nutritives prix fort. Le lait de souchet contient
produites localement. de l’acide oléique, une graisse mono-
insaturée présente aussi dans l’huile
d’olive et l’avocat. Il est extrait des
Alex Miller tubercules de la plante qui sont mis à
tremper dans l’eau et mixés. Le mélange

E
est filtré pour produire un lait à la
n Haïti, 18 000 ménages en situation la population haïtienne vivent avec moins saveur sucrée, riche en antioxydants,
de précarité financière reçoivent de 2 dollars par jour et l'argent “créé” à en fer, en magnésium et en potassium
depuis 2013 des bons pour l’achat partir du système constitue un stimulant et contenant moins de cholestérol que
de denrées alimentaires nutritives pro- économique essentiel et contribue ainsi le lait de laiterie. Au Nigeria, la poudre
duites localement. Ils se fournissent indirectement à dynamiser les échanges de lait de souchet est vendue 0,73 €
auprès d’environ 1 000 vendeurs présents sur les marchés locaux du pays. (320 nairas) les 100 g, contre 0,30 €
dans cinq des dix départements d’Haïti. Selon la Banque mondiale, 90 % de la (135 nairas) pour 100 ml de lait classique.
Le gouvernement haïtien gère, avec le population haïtienne est exposée au risque
soutien de l’USAID et de CARE, ce pro- de catastrophes naturelles et les ménages
gramme de protection sociale afin que les plus pauvres sont les plus impactés
les familles les plus démunies puissent par les flambées des prix alimentaires. Le
se procurer fruits, légumes et tubercules. système de coupons permet à ces familles
Des produits sains auxquels ces ménages de mieux résister à ces évènements en les
n’ont habituellement pas accès. aidant à faire face aux chocs économiques Géo-nutrition
En s’appuyant sur des commerçants provoqués par les catastrophes naturelles
locaux, ce programme soutient aussi ou de brusques augmentations de prix. Cartographier les
le secteur agricole haïtien, car les ven- Ce filet de sécurité géré par la commu-
deurs qui acceptent les bons alimentaires nauté a amélioré la sécurité alimentaire micronutriments
peuvent les échanger contre des espèces. des ménages en Haïti et réduit le risque
Cet argent est parfois utilisé pour déve- de malnutrition infantile, en rendant les UN PROGRAMME lancé en Éthiopie et
lopper leur entreprise. Les trois quarts de produits locaux plus accessibles mais au Malawi vise à cartographier les terres
aussi grâce à l’intervention d’agents de cultivées et à analyser les mouvements
© STEVE GOERTZ/USAID

terrain qui, lors de la remise des bons aux des micronutriments dans les sols et
ménages, fournissent des informations les systèmes alimentaires. Intitulée
et des conseils en matière de santé et “GeoNutrition”, cette initiative vise à
d’hygiène. lutter contre les carences en sélénium et
Une étude du CTA de 2017 intitulée “Le en zinc, endémiques dans ces deux pays
lien entre agriculture et nutrition en Haïti” et connues pour retarder la croissance,
souligne que, pour nourrir toute sa popu- freiner le développement cognitif et
lation, Haïti doit importer environ la moitié déprimer le système immunitaire.
des produits alimentaires. Avec ce système Les sols d’Afrique australe et de l’Est
de bons d’achat, le gouvernement haïtien étant plus anciens de plusieurs milliers
vise à soutenir les entreprises agroali- d’années que les sols européens, ils
mentaires locales afin de réduire cette ne possèdent souvent pas assez de
dépendance aux importations alimen- micronutriments pour assurer la bonne
taires. D’après Ryan Essman, porte-parole santé des cultures. Financé par la
de l’USAID, “aider Haïti à renforcer son Fondation Gates, ce programme testera
Un programme de “filet de sécurité” en Haïti système de protection sociale renforcera l’efficacité des matières organiques et
permet aux ménages les plus pauvres d’acheter aussi sa résilience et aidera le pays à mieux des engrais enrichis en micronutriments
des aliments comme des fruits et des légumes. résister aux catastrophes naturelles”. pour biofortifier les sols et les cultures.

SPORE 188 | 15
ÉCONOMIE BLEUE

© INDIGO SEAFOOD
Aux Palaos, Indigo Seafood a formé des habitants de l’archipel à des méthodes durables
d’élevage de produits de haute valeur ajoutée, comme les bénitiers géants.

PÊCHE DURABLE

De nouveaux horizons
pour l’aquaculture du Pacifique
Trois sociétés ont développé des pratiques de pêche durable respectueuses de
l’environnement et contribuant à l’économie locale. Leur modèle d’entreprise a fait
l’objet d’une reconnaissance internationale.

Stephanie Lynch et Bernadette Carreon

T
rois entreprises de pêche de dif- nourrir les poissons, Indigo Seafood 2011, l’entreprise collabore avec la Palau
férents pays du Pacifique ont fait a aussi développé des farines riches Aquaculture Cooperative Association
partie des huit lauréats présé- en protéines à partir de soja et autres (PACA) pour fournir à ses membres du
lectionnés pour la finale du concours céréales. naissain pour la culture des bénitiers
international Fish 2.0, qui récom- “Notre objectif est de développer une géants qui sont exportés en Asie, en
pense les entreprises du secteur entreprise aquacole durable ayant Europe et aux États-Unis. L’ouverture à
qui adoptent des approches un impact économique positif ces marchés rentables permet aux éle-

70
innovantes et durables pour sur les citoyens des Palaos, veurs des Palaos de gagner 4 816 euros
simplifier les chaînes d’ap- mais nous mettons aussi par an, d’après le président de la PACA,
provisionnement, tout en éleveurs de tout en œuvre pour pré- Bernice Ngikrelau.
augmentant les revenus des bénitiers géants server et protéger notre Indigo Seafood a aussi déployé ses deux
pêcheurs. fournissent Indigo sublime récif corallien”, premiers Aquapods™ polyédriques, des
Aux Palaos, Indigo Seafood, Seafood affirme James Sanderson, cages qui sont immergées au large des
qui emploie plus de 75 collabo- cofondateur d’Indigo Seafood. côtes. Installées en eaux profondes, à au
rateurs locaux et travaille avec 70 “Même si nous restons une moins 1,6 km des côtes, elles protègent
éleveurs de bénitiers géants, a formé des entreprise de petite taille, notre les poissons des oiseaux et des préda-
habitants de l’archipel à des méthodes activité a des retombées positives sur la teurs marins, ainsi que du mauvais temps
durables pour élever des produits de communauté depuis plusieurs années à la surface de l’océan. Indigo Seafood
haute valeur ajoutée. Pour accélérer les déjà. Grâce aux exportations de bénitiers emploie des collaborateurs locaux
taux de croissance et réduire la pression géants, les éleveurs locaux et leur famille pour suivre la santé et la croissance des
sur les espèces sauvages capturées pour ont gagné des milliers de dollars.” Depuis mérous, ainsi que l’entretien des cages.

16 | SPORE 188
Les poissons élevés en Aquapods™ sont BIOTECHNOLOGIE
destinés à être exportés vivants vers la
Chine, Hong Kong et Tokyo, mais aussi à
la consommation locale.
En novembre 2017, James Sanderson
Une plaie des mers
était finaliste du concours Fish 2.0
Innovation Forum, organisé à l’univer-
sité Stanford.
transformée
“Notre objectif est d’avoir un en engrais liquide
impact économique positif sur les
À Sainte-Lucie, la sargasse, une algue envahissante
citoyens des Palaos, tout en préjudiciable au tourisme et à la pêche, sert à la
protégeant notre sublime récif fabrication d’un engrais organique qui augmente les
corallien.” rendements agricoles. Une innovation couronnée
d’un succès commercial.
Réussite régionale
De son côté, Didds Fishing Company,
une entreprise sociale basée dans les Shervon Alfred
îles Salomon, permet aux communau-

A
tés insulaires de pêcher des espèces
abyssales au large afin de diminuer la lgas Total Plant Tonic est un engrais naturel fabriqué à partir d'algues
pression sur les pêcheries côtières, en du genre Sargassum par l’entreprise Algas Organics. Les hormones de
évitant les filets ou autres méthodes non croissance et les micronutriments de cette algue favorisent le déve-
durables. “Pêcher à environ 6 km du loppement de racines vigoureuses, ce qui stimule la croissance végétale et
récif permet aux poissons des récifs de augmente les rendements agricoles.
se reproduire et de prospérer”, explique Première entreprise locale de biotechnologie agricole des Caraïbes, Algas
Toata Molea, propriétaire de Didds Organics a mené pendant onze mois des recherches afin de déterminer com-
Fishing. L’entreprise fournit des bateaux, ment extraire les principaux nutriments et hormones de Sargassum, avant
du carburant et de la glace aux familles de mettre au point un engrais organique liquide. “Le réseau radiculaire des
de pêcheurs de la communauté de végétaux s’étend et les racines s’ancrent plus profondément dans le sol, le
Makwanu. Didds Fishing paye directe- végétal peut ainsi mieux absorber les éléments nutritifs et, par conséquent,
ment le poisson sur le compte en banque produire davantage de sucres grâce à la photosynthèse, ce qui améliore le
des pêcheurs, auquel ils peuvent accé- rendement des cultures ainsi que la santé des végétaux”, explique Johanan
der dans une boutique du village. Avec Dujon, fondateur d'Algas et l'un des 30 entrepreneurs de moins de 30 ans de
ces revenus supplémentaires, plusieurs l'Organisation des États des Caraïbes orientales.
familles ont pu envoyer leurs enfants à L’année de la création d’Algas Organics, en 2014, Sainte-Lucie a commencé à
l’école et acheter des denrées alimen- faire face à une forte efflorescence algale du genre Sargassum suite à une modifi-
taires et des vêtements. cation des courants océaniques et au réchauffement de la mer. L’amoncellement
Dernier lauréat du Pacifique au d'algues le long des côtes obstrue les moteurs des bateaux et gêne le trafic
concours Fish 2.0 2017, Shepherd Islands maritime. De plus, les algues mortes dégagent une forte odeur qui dissuade les
Organic Seafood, une entreprise basée touristes de se rendre à la plage. Mais les
© TRAVELMUSE/ALAMY STOCK PHOTO

à Vanuatu, élève des concombres de efforts de Johanan Dujon ont permis de


mer et des oursins biologiques. “Cette régler ce problème environnemental et
compétition a conforté ma vision de d’améliorer des rendements agricoles.
l’entreprise et ma défense des pratiques Pendant la haute saison, Algas
de pêche durable”, s’enthousiasme Obed Organics emploie jusqu'à 20 personnes
Matariki, le propriétaire de l’entreprise. pour le traitement et le ramassage des
Il a développé une base de clients lucra- algues. L'entreprise vend actuelle-
tive parmi les sociétés pharmaceutiques ment environ 5 000 litres d'engrais
et distributeurs de produits de la mer par an et vient de porter sa capacité
en Chine, auprès de qui il exporte ses de production à 300 000 litres par an.
concombres de mer et oursins. Il est Une entreprise de biotechnologie à L’engrais est déjà disponible chez six
ainsi parvenu à rediriger les pêcheurs Sainte-Lucie transforme une algue grands détaillants de Sainte-Lucie et
artisanaux et chasseurs de tortues vers envahissante du genre Sargassum en est également vendu dans l’île voisine
des activités plus durables. engrais efficace. de la Barbade.

SPORE 188 | 17
INTERVIEW

DR BENJAMIN KWASI ADDOM

L’agriculture
d’aujourd’hui et
de demain repose
sur les données
Le Dr Benjamin Kwasi Addom est spécialiste de l’information agricole.
En tant que chef d'équipe ICT4Ag au CTA, il travaille sur l’utilisation des
nouvelles TIC pour appuyer les services de vulgarisation et de conseil.

Susanna Cartmell-Thorp

L’utilisation des TIC dans l’agriculture adéquats pour leurs marchandises et aux L’utilisation de ces technologies permet
(ICT4Ag) est une composante essentielle de consommateurs de connaître la prove- d’obtenir des données spécifiques loca-
la nouvelle stratégie du CTA. Pourquoi les TIC nance de leurs produits. Les TIC doivent lisées, qui sont essentielles pour prendre
sont-elles si étroitement liées à la transforma- aussi jouer un rôle pour faciliter la trans- des décisions rentables et fournir des
tion de l’agriculture dans les régions ACP ? formation agricole sur le plan politique. services axés sur les besoins. Ces données
Pour transformer efficacement l’agri- Le CTA collabore avec des décideurs peuvent servir à dresser un inventaire des
culture, les agriculteurs ont besoin dans plus de 79 pays ACP, et ces parte- avoirs des agriculteurs pour démontrer
d’outils et de technologies qui pourront naires doivent avoir accès à des données pourquoi les fournisseurs de services
les aider à remédier à des problèmes tels précises qui les aideront à proposer des devraient faire affaire avec eux.
que la faible productivité, le manque de politiques efficaces, stimulant les pro- Cependant, les images fournies par
liens avec le marché et les politiques cessus agricoles et l’affectation efficace les satellites et les drones ne montrent
dysfonctionnelles – tout cela forme un des ressources. que la surface du sol et ne permettent
élément clé de la stratégie du CTA. Une pas d’analyser le sous-sol. Il suffirait
telle transformation s’impose surtout Le secteur des ICT4Ag évolue très rapide- pourtant de combiner ces images avec
en Afrique, où les petits exploitants ment. Parmi les technologies sur lesquelles des sondes souterraines, des détecteurs
produisent environ 60 % des denrées vous travaillez actuellement, quelle est celle d’eau ou des capteurs d’humidité, entre
alimentaires destinées à la population. qui vous enthousiasme le plus ? autres, pour accroître la valeur des don-
Pour aider les agriculteurs à augmen- L’agriculture – d’aujourd’hui et de nées et offrir de meilleurs services aux
ter leur production, nous devons tirer demain – repose sur les données. Les agriculteurs. C’est ce que nous appelons
parti des outils capables de fournir des technologies de détection à distance, l’“agriculture de précision” et, au CTA,
informations personnalisées et d’indi- comme les véhicules aériens sans pilote, nous encourageons le recours à ce type
quer aux exploitants ce qu’il faut faire, ou “drones”, les images satellitaires et de méthodes chez les petits exploitants
comment et quand. Il s’agit d’un rôle que les autres véhicules terrestres équipés de agricoles en Afrique. Les technologies
les TIC peuvent remplir, en contribuant capteurs contribuent donc à recueillir des utilisées ne sont peut-être pas identiques
à fournir aux agriculteurs en temps utile données sur les agriculteurs, mais aussi à celles employées par les agriculteurs
des informations précises et adaptées à sur les fournisseurs d’intrants agricoles, des Pays-Bas ou des États-Unis, mais
la réalité locale. Les solutions fondées les négociants, les institutions finan- elles sont tout de même très précises
sur le contexte local permettent aux cières, etc. – c’est-à-dire sur des acteurs – assez pour permettre aux petits exploi-
producteurs de trouver des marchés situés tout au long de la chaîne de valeur. tants de prendre de meilleures décisions.

18 | SPORE 188
© CTA

base de données avec plus de 150 000


agriculteurs, qui ont tous répondu à plus
de 20 questions détaillées. Il s’agit d’un
ensemble de données considérable, qui
présente une certaine valeur même
sans les données personnelles des agri-
culteurs. Les établissements financiers
sont à la recherche de ce genre de don-
nées pour se faire une idée globale de
la répartition de la production de maïs
en Ouganda, entre autres. Ils peuvent
ne pas s’intéresser à des exploitations
particulières, mais plutôt à une région
ou un district. Ces entreprises peuvent
apprendre tout ce qu’elles veulent savoir,
notamment sur la façon dont les télé-
phones portables sont utilisés et quels
opérateurs de réseau mobile offrent
leurs services à différentes catégories de
producteurs, sans avoir les données per-
sonnelles des individus concernés.
Benjamin Addom explique le rôle clé des TIC dans la nouvelle stratégie du CTA. Il y a donc effectivement des inquié-
tudes, mais nous devons informer les
agriculteurs de l’utilisation qui est faite
Diverses approches d’ICT4Ag peuvent données dont nous facilitons la collecte. de leurs données, de sorte qu’ils soient
également être combinées pour accroître Les agriculteurs impliqués dans notre disposés à fournir ce qu’ils ont et que
la productivité et la rentabilité des agri- projet MUIIS, par exemple, craignaient nous puissions utiliser ces informations
culteurs et contribuer à améliorer leur que l’enregistrement des coordonnées pour leur proposer de meilleurs services.
résilience face aux changements cli- GPS de leurs exploitations et de la taille
matiques. En utilisant la combinaison de leurs champs entraîne une prise de Constatez-vous des différences en fonc-
adéquate d’images, de capteurs et de contrôle de leurs terres par le gouverne- tion de l’âge dans la façon dont les TIC sont
technologies mobiles, par exemple, nous ment. Nous recueillons des données sur adoptées et utilisées par les agriculteurs ou,
pouvons déterminer quelle partie d’un ces producteurs et sur leurs champs et ils au contraire, voyez-vous une tendance en-
champ nécessite l’application d’un type veulent tout naturellement savoir com- courageante qui indique que même les agri-
d’engrais particulier et indiquer aux pro- ment nous allons les utiliser. Je pense culteurs plus âgés sont disposés à tester ces
ducteurs comment l’appliquer de façon que le plus important est de sensibiliser nouvelles technologies ?
judicieuse, afin de réduire autant que les agriculteurs à l’intérêt de ces don- L’âge joue évidemment un rôle ! Mais
possible le gaspillage. L’association de nées. Les formations, le renforcement nous faisons de notre mieux pour réduire
différentes technologies d’ICT4Ag permet des capacités, l’éducation et la sensibi- l’écart. Nous utilisons des intermédiaires
également d’offrir des services financiers lisation à l’importance croissante de ces pour améliorer l’alphabétisation numé-
inclusifs. Dans le cadre de notre projet données sont des mesures nécessaires rique – des jeunes qui sont disposés à
MUIIS (services d'informations ICT4Ag pour avoir accès au crédit et à d’autres tester de nouvelles technologies et qui
axés vers le marché et appartenant aux services. Dans le projet MUIIS, nous souhaitent les utiliser. Lorsqu’ils auront
utilisateurs) mené en Ouganda, par travaillons d’ailleurs sur un slogan qui adopté ces technologies, ils pourront
exemple, les agriculteurs peuvent payer exprime l’idée suivante : “Plus vous don- convaincre des agriculteurs plus âgés
pour des services via leur téléphone por- nez [de données], plus nous pourrons d’y avoir recours à leur tour. Mais les
table. Le produit d’assurance indicielle vous offrir de bons services.” technologies deviennent de plus en
proposé à travers ce projet se fonde sur Nous devons aussi aller au-delà de plus faciles d’utilisation pour tous. Il y
la position GPS des champs des agricul- cet aspect et expliquer comment les a quelques années, les téléphones por-
teurs, qui reçoivent leurs indemnisations données sont exploitées. Un certain tables n’avaient même pas d’appareil
via leur téléphone portable. nombre de projets et de systèmes avec photo intégré, mais, aujourd’hui, même
lesquels nous collaborons vous diront une vieille femme vivant dans un village
Avec l’évolution rapide de ces technolo- que les données brutes ne sont géné- rural, comme ma mère, peut prendre une
gies, les agriculteurs peuvent s’inquiéter des ralement pas utilisées. La plupart du photo d’elle une fois qu’on lui a montré
informations collectées à leur sujet. Que fait temps, elles sont traitées et peuvent où il faut appuyer. Il existe donc bien une
le CTA pour s’assurer que ces données sont ensuite être anonymisées en supprimant barrière, mais nous devons déployer plus
exploitées de façon appropriée ? les informations relatives à l’identité, d’efforts pour améliorer l’alphabétisa-
Bien sûr, les agriculteurs ont des sans que cela diminue leur valeur pour tion numérique et il s’agit d’un aspect clé
craintes et le CTA se préoccupe éga- les utilisateurs finaux. Par exemple, en pour beaucoup d’activités du CTA. Dans
lement de l’utilisation de toutes ces Ouganda, nous avons créé une immense le cadre du projet MUIIS, des agriculteurs ›

SPORE 188 | 19
INTERVIEW

› sont initiés à la navigation sur smart- contact avec le CTA pour en savoir plus techniciens : ils n’ont pas nécessaire-
phone. Ils apprennent notamment à sur les ICT4Ag, aussi bien dans un pays ment les compétences en matière de
envoyer des messages et à prendre une particulier que dans l’ensemble des pays développement d’entreprise et ce sou-
photo d’une maladie ou d’un parasite ACP. Derrière cette base de données, tien leur est donc vraiment précieux.
trouvé dans leur champ. Je pense que nous pouvons donc rassembler des don- Une autre dimension unique de notre
ce travail ne permettra peut-être pas de nées pour fournir des informations de travail consiste à rassembler différents
supprimer complètement la barrière liée haut niveau sur l’utilisation des TIC dans partenaires pour généraliser l’utilisation
aux connaissances numériques, mais au l’agriculture. d’un outil particulier ou d’une applica-
moins de la réduire progressivement au La base de données a été lancée en tion. Un exemple est le projet MUIIS,
fil des années. décembre 2017 et nous avons l’inten- dans le cadre duquel nous avons réuni
tion de l’améliorer. Nous collaborerons des partenaires possédant l’expertise
Le CTA investit manifestement beau- également avec des développeurs d’ap- et les compétences nécessaires en
coup dans les ICT4Ag et un des résultats est plications pour présenter régulièrement matière d’assurance indicielle, de pré-
la récente création d’une base de données des applications intéressantes sur la page visions météorologiques, d’agronomie,
“Apps4Ag”. Comment cet outil aide-t-il les d’accueil du site web, les nouvelles fonc- de TIC, d’implication des utilisateurs et
différents acteurs du secteur ? tionnalités d’une application donnée et de formation. La création de ce genre
La base de données Apps4Ag poursuit une appli de la semaine/du mois, par de partenariats est une caractéristique
plusieurs objectifs. L’un d‘eux est de exemple. propre au CTA. C’est souvent diffi-
mettre en relation les jeunes entrepre- cile, mais nous parvenons à créer des
neurs qui développent des applications Le CTA n’est pas la seule organisation partenariats extrêmement diversifiés
intéressantes avec des investisseurs qui travaille dans le domaine des ICT4Ag. et cela aboutit à des projets qui fonc-
potentiels. Cette base de données vise Qu’est-ce qui distingue sa façon d’intervenir tionnent bien, comme le projet MUIIS
donc à mettre à disposition des infor- dans ce secteur et la valeur ajoutée de son en Ouganda. Nous venons de soumettre
mations sur les nouvelles applications travail ? une autre proposition pour un parte-
inventées, afin de permettre aux inves- Je peux mentionner trois éléments nariat similaire au Ghana et d’autres
tisseurs de les trouver rapidement. qui rendent le CTA unique. Le premier partenariats sont en cours en Afrique
Un autre objectif est de soutenir les est la promotion et la sensibilisation australe et orientale, sur les thèmes de
jeunes entrepreneurs dans le déve- chez les jeunes, le deuxième est la dif- la résistance aux changements clima-
loppement de nouvelles applications. fusion des solutions via la création de tiques et des services d’information
Bon nombre de ces jeunes sortent de partenariats et le troisième est l’établis- sur le bétail, respectivement. Tous ces
l’université avec leur diplôme d’infor- sement de liens entre l’analyse des big projets sont menés par le CTA en colla-
matique en poche et sont impatients data et les organisations d’agriculteurs. boration avec plusieurs partenaires qui
de développer une application, mais Le CTA soutient le développement coopèrent pour diffuser les nouvelles
ils ne mènent pas d’étude de marché des ICT4Ag par différents moyens et technologies.
pour voir ce qui est déjà disponible. notre approche consiste à sensibiliser Enfin, un certain nombre de nos
À la place, ils commencent tout de à l’intérêt des TIC. Les événements concurrents et partenaires se concentrent
suite à développer leur application et “Plug and Play”, par exemple, aident sur les big data, mais le CTA est le seul
se rendent parfois compte par la suite les entrepreneurs à s’organiser et leur qui cherche en priorité à mettre en
qu’une appli similaire existe déjà sur offrent des plateformes pour présenter relation les coopératives et les organi-
le marché. Grâce à la base de données leurs applications. Il y a également le sations d’agriculteurs avec ces données
Apps4Ag, ils pourront vérifier ce qui est programme Pitch AgriHack, qui aide les pour leur permettre d’en comprendre
disponible et identifier les lacunes pré- jeunes entrepreneurs à développer leur l’intérêt. Le CTA renforce la capacité des
sentes sur le marché, ce qui leur évitera start-up dans le domaine des ICT4Ag. organisations d’agriculteurs à devenir
d’investir du temps et des ressources Les applications des participants ont les propriétaires de leurs données, au
financières dans le développement de déjà été testées et mises à l’essai, mais lieu d’en céder le contrôle aux gouver-
quelque chose qui existe déjà. ont besoin d’un soutien commercial nements ou aux entreprises du secteur
Nous savons aussi que les partenaires et financier pour devenir rentables. privé. Nous formons ces organisations
internationaux du développement ont Le CTA offre à ces entrepreneurs des pour qu’elles s’impliquent dans le pro-
du mal à trouver les informations dont programmes de mentorat et des occa- cessus de profilage des données et gèrent
ils ont besoin sur les applications. Cette sions de présenter leur entreprise à leurs bases de données elles-mêmes,
base de données leur permet de voir des investisseurs en vue d’obtenir des ainsi que les problémes de protection et
quelles applications sont disponibles, financements supplémentaires pour d’accessibilité de ces données. En prenant
où et avec quelle technologie, et de développer leurs activités. Le CTA inves- pleine possession de leurs informations,
décider ainsi de la façon d’intégrer ces tit également dans ces entrepreneurs et les organisations d’agriculteurs peuvent
applications dans leurs projets. Des les aide avec des services de dévelop- s’adresser aux partenaires du secteur
acteurs du développement de premier pement d’entreprise et des fonds de privé qui fournissent des outils et des
plan, comme l’Alliance pour une révo- démarrage pour les préparer à vendre technologies permettant de transformer
lution verte en Afrique, la Fondation Bill leurs produits. La plupart de ces jeunes les données brutes en informations et
et Melinda Gates et d’autres, prennent entrepreneurs sont essentiellement des services pratiques.

20 | SPORE 188
Dossier

COMMERCE
AGRICOLE  :
TRANSFORMER
L’ÉCONOMIE
INFORMELLE
Dans les pays en développement, l’économie informelle fournit des revenus
et des emplois aux populations les plus vulnérables. Le secteur, peu à peu
formalisé, peut devenir un levier de croissance et de développement.
ANALYSE

ÉCONOMIE INFORMELLE

Un terreau fertile
pour l’agriculture
Dans les pays en développement, le secteur
alimentaire informel représente une large part du
commerce agricole. Pour en récolter les bénéfices,
les décideurs politiques et le secteur privé doivent
former les acteurs de ce pan de l’économie, leur
offrir un accès au financement et aux technologies
d’innovation. Et prendre en compte leurs difficultés.

Vincent Defait

P
armi les régions les plus touchées exploité, le commerce informel trans- PIB. Ainsi, le secteur soutient souvent les
par la malnutrition chronique frontalier a le potentiel de soutenir personnes plus vulnérables : les femmes,
figure l’Afrique saharienne, où les efforts africains de réduction de la les jeunes et les pauvres ruraux, résume
l’accès à la nourriture est hautement pauvreté.” Comment, donc, les pays un rapport de l’International Institute for
dépendant de marchés transfrontaliers. peuvent-ils tirer profit de l’économie Environment and Development (IIED).
Or, on estime que 75 % du commerce informelle pour créer plus d’emplois, Des caractéristiques similaires sont
intrarégional est informel et qu’une part soutenir la croissance et un développe- observées en Amérique latine et dans les
substantielle de ces échanges concerne ment durable ? Caraïbes, précise le rapport du FMI, où
des denrées alimentaires de base qui ont le secteur informel représente aussi une
un impact direct sur la sécurité alimen- Informelle, mais inclusive part substantielle des PIB nationaux (lire
taire. D’un côté, le commerce informel D’après la FAO, l’économie informelle l’encadré p. 26).
représente un “filet de sécurité” qui englobe “des biens et des services pro-
fournit “du travail et des revenus à une duits de façon légitime qui ne suivent Pourquoi une large part de l’éco-
population en âge de travailler nom- pas nécessairement les procédures for- nomie des pays en développement
breuse et croissante”, d’après un rapport melles telles que les réglementations reste-t-elle informelle ? Les raisons
du FMI. De l’autre, cette informalité est sur les standards, l’immatriculation des en sont multiples, détaille la BAD  :
un manque à gagner considérable pour entreprises ou des permis d’exploita- manque de facilitation des échanges,
les États, dont la fiscalité est fragilisée et tion”. Un commerce informel n’est donc infrastructures frontalières inadé-
le développement compromis. pas forcément illégal, mais ne rentre pas quates, accès limité aux financements
La Banque africaine de développe- non plus dans le cadre de la loi. et aux informations sur l’état du mar-
ment (BAD) estimait ainsi en 2012 que Dans certains pays d’Afrique sub- ché, corruption et insécurité, piètre
43 % de la population du continent tirait saharienne, le secteur informel génère formation aux affaires... Par ailleurs,
du commerce informel transfrontalier jusqu’à 90 % des opportunités d’emplois “c’est la nature inclusive de l’économie
une source de revenus : “Correctement et contribue à une part significative des alimentaire informelle qui explique

22 | SPORE 188
© ARNE HOEL/WORLD BANK
Environ 43 % de la population africaine tirent des revenus du commerce transfrontalier informel. 

sa résilience”, souligne Bill Vorley, de des richesses, mais à une vitesse insuffi- Mark East Africa, qui vise à encourager
l’IIED. Les consommateurs à faibles sante pour sortir les gens de la pauvreté”, et structurer le commerce en Afrique
revenus, qui disposent de peu de poursuit Ousmane Badiane. de l’Est, à la frontière entre le Kenya et
liquidités, peuvent y trouver des den- l’Ouganda, la ville de Busia attire des
rées de base, de la nourriture fraîche, Interactions avec l’économie formelle commerçants aux profils divers, comme
des produits animaux, des aliments Cependant, les zones rurales sont de Harriet Nafula, une agricultrice kényane
transformés ou préparés à des prix plus en plus connectées aux marchés qui possède un étal le long de la route
abordables. nationaux et internationaux. En consé- principale. Elle y vend de la papaye et de
À ceci près que “l’informalité veut dire quence, note le rapport de l’IIED, “les l’ananas qu’elle achète en gros et laisse
que l’on n’a pas accès aux meilleures pratiques traditionnelles informelles mûrir chez elle, et cultive du maïs et des
technologies de production, aux struc- des communautés rurales sont connec- bananes qu’elle vend sur sa ferme. Ses
tures de financement, aux instruments tées avec les règles et réglementations dix clients réguliers, situés à 100 km de
de renforcement des capacités d’inno- des marchés urbains et globaux”. C’est Busia, lui passent commande et la paient
vation. Tout cela ralentit la croissance”, le cas des filières de l’arachide, du par téléphone, avant qu’elle leur envoie
nuance Ousmane Badiane, directeur pour café ou du coton dont les petits pro- des cargaisons de fruits et de grains par
l’Afrique de l’International Food Policy ducteurs revendent, souvent via des minibus.
Research Institute (IFPRI). La majo- intermédiaires ou des coopératives, leur
rité des entreprises de transformation production à des entreprises de transfor- “De grands progrès réalisés”
agricole sont en effet petites, opèrent à mation dûment enregistrées. Reste un problème majeur, souligne
domicile et loin des centres d’innovation Informel ne signifie pas désorganisé le FMI : la productivité des entreprises
technologique. De même, aucune banque et c’est aux frontières que ces échanges informelles est nettement plus basse
n’octroie de prêt à un commerçant non sont les plus intenses (ire notre repor- que celle des entreprises formelles. “En
licencié et sans plan de développement tage au Kenya p. 30). Ainsi que le relève moyenne, sur la base de la produc-
défini. “L’informalité crée des emplois et une étude commanditée par Trade tion réelle par salarié, elle n’est que de ›

SPORE 188 | 23
ANALYSE

Dimensions de l'économie
Dimensions informelle informelle
de l’économie
Dans beaucoup de pays, le secteur informel est plus important
Dans beaucoup de pays, le secteur informel est plus important que le secteur formel
que le secteur formel en termes d’emplois et même de production.
en termes d'emplois et de production.

La taille moyenne de l’économie informelle dans les pays en développement ou sous-développés (en % de PIB)

Pays développés Pays de l’OCDE 12 %

Afrique 42 %
Pays en développement Amérique latine 40 %
Asie 35 %
0 20 40 60 80 100 %
Source
Source :: FAO
FAO (2017)
(2017) Formalization
Formalization of
of Informal
Informal Trade
Trade in
in Africa.
Africa. SOURCE : FAO (2017) FORMALIZATION OF INFORMAL TRADE IN AFRICA

Travailleurs indépendants du secteur informel (en % du nombre total d’emplois)

Afrique subsaharienne
54 %
Femmes
Hommes Asie
Total 29 %

Amérique latine et Caraïbes


12 %
0 20 40 60 80 100 %
Source
Source :: WIEGO
WIEGO (2014)
(2014) Statistics
Statistics on
on the
the Informal
Informal Economy:
Economy: Definitions,
Definitions, Regional
Regional Estimates
Estimates and
and Challenges.
Challenges.
SOURCE : WIEGO (2014) STATISTICS ON THE INFORMAL ECONOMY: DEFINITIONS, REGIONAL ESTIMATES AND CHALLENGES.

› 25 % de celle des petites entreprises du financement et aux formations, “le de l’emballage et de la création de
secteur formel et de 19 % de celle des goulet d’étranglement [de cette forma- marques, que ce soit pour le maïs blanc
entreprises moyennes, ce qui reflète lisation], c’est l’accès aux technologies en Afrique de l’Ouest, le manioc au
probablement des niveaux plus faibles d’innovation, aussi bien de transforma- Nigeria ou le mil au Sénégal.”
de capital physique et de qualification tion que d’emballage, de procédures de Du fait de l’émergence d’une forte
des travailleurs.” De plus, précise la FAO production, d’invention de nouveaux classe moyenne et de la construction
dans son rapport sur la formalisation de produits”. de nombreux centres commerciaux, le
l’économie, ceci prive les travailleurs de Ces obstacles sont souvent levés par secteur kényan de la vente de détail est
leurs droits, tels que la protection sociale le secteur privé, encouragé à investir ainsi devenu le deuxième secteur le plus
et la santé, la liberté d’organisation ou de dans les chaînes de valeur agricoles formalisé du continent. En Éthiopie, le
participer au dialogue social sur la tran- par des changements sociaux à l’ori- retour d’une communauté conséquente
sition vers une économie formelle. gine d’une forte demande pour des issue de la diaspora et la naissance d’une
“De grands progrès [de formalisation produits de qualité. “La formalisa- petite classe moyenne ont stimulé le
du secteur alimentaire] ont été réalisés”, tion s’accélère parce que les circuits marché local de la torréfaction du café
explique Ousmane Badiane. “Prenons de distribution changent”, soutient – la capitale compte désormais plus
l’exemple du mil au Sénégal : pendant Ousmane Badiane. “Il y a énormément de cent entreprises de transformation,
les années 1970, il fallait vivre près de supérettes dans les zones urbaines contre une poignée quelques décennies
des zones de production pour y avoir qui favorisent la transformation et la plus tôt. Dans un pays où l’on est habi-
accès. Aujourd’hui, je peux acheter à distribution des produits agricoles tra- tué à torréfier son café soi-même et où
Washington des produits prêts à cuire à ditionnels. Autre phénomène notable : les meilleurs grains sont exportés, cela
base de mil, produits au Sénégal. C’est l’accroissement de la classe moyenne représente un changement important.
aussi vrai pour le manioc du Nigeria. Une africaine qui, quand elle s’enrichit, est En Afrique du Sud, Mastercard et
bonne partie de l’agriculture africaine très demandeuse de produits tradi- l’entreprise locale d’innovation tech-
se formalise.” Selon le spécialiste, qui tionnels transformés et améliorés. Ceci nologique Spazapp offrent aux petits
évoque aussi les nécessaires accès au stimule le secteur de la transformation, magasins de denrées de base, auxquels

24 | SPORE 188
Économie informelle, pauvreté et emplois
Économie informelle,
Dans beaucoup des pays pauvreté
les plus pauvres et vulnérables, et
les gens emplois
vivent et travaillent dans le secteur informel.
Dans beaucoup des pays les plus pauvres et vulnérables, les gens vivent et travaillent dans l’économie informelle.

Bas Élevé

Majorité d’hommes

Employeurs

Travailleurs
informels réguliers
Risque Revenu
de pauvreté moyen Indépendants

Travailleurs informels occasionnels

Travailleurs à domicile

Majorité de femmes
À domicile – non payé
Élevé Bas

Source: IIED (2016) Informality and Inclusive Green Growth.

SOURCE : IIED (2016) INFORMALITY AND INCLUSIVE GREEN GROWTH.

s’approvisionnent 9 millions de foyers, Une initiative similaire, lancée au Kenya commerciaux en réduisant les taxes et
la possibilité de se connecter “aux par la start-up Twinga Foods en 2014, a en simplifiant la bureaucratie. Cet ins-
marchés formels et aux moyens de déjà fait ses preuves auprès de 2 600 ven- trument législatif n’a un impact sur le
paiement digitaux”. Une applica- deurs informels. L’application leur permet secteur informel qu’à la condition que
tion pour téléphone portable met en de s’approvisionner de façon rapide et ses acteurs en comprennent les méca-
contact 4 500 commerçants informels fiable, de se faire livrer les marchandises nismes. Ainsi, la FAO et l’ONG Catholic
directement avec les grandes marques dont ils tracent la provenance. Les produc- Relief Service ont organisé des séances
de biens de consommation courante, teurs évitent les intermédiaires, reçoivent d’information à la frontière entre le
telles que Unilever et Tiger Brands, leur des informations sur les marchés et sont Rwanda et la RDC, lors desquelles les
permettant de commander des pro- payés rapidement. En somme, beaucoup coopératives de femmes ont pu se ren-
duits à des prix compétitifs et d’utiliser d’incertitudes inhérentes au secteur infor- seigner sur la fiscalité douanière auprès
Masterpass (un service de paiement mel sont contournées. de douaniers et de représentants de
digital). l’État. Au Rwanda, il a été montré que
Une transition graduelle plus les gens sont éduqués et formés,
“L’informalité crée De façon générale, les autorités sont
aussi encouragées non pas à sanction-
plus ils se tournent vers le secteur for-
mel. Au contraire, les sanctions fiscales
des emplois et des ner l’informalité, mais à organiser une et législatives de l’informalité ont des
transition graduelle, comme dans la résultats contre-productifs.
richesses, mais à une recommandation 204 de l’Organisation Surtout, les autorités doivent restaurer
internationale du travail (OIT), la confiance du public envers les institu-
vitesse insuffisante pour publiée en 2015. Ainsi le COMESA tions. “La légalité seule ne suffira pas à
et la Communauté d’Afrique de l’Est convaincre les entreprises des bénéfices
sortir les gens de la (EAC) ont-ils tous les deux récemment de la formalisation. Les autorités doivent
introduit un Régime commercial sim- s’attaquer à une profonde méfiance des
pauvreté.” plifié visant à fluidifier les échanges politiques étatiques, en tant que force de ›

SPORE 188 | 25
ANALYSE

› harcèlement et d’exclusion des entre- leur capacité à obtenir des contrats leur informel, ceux-ci se sont vu offrir la
prises informelles”, affirme Bill Vorley. offrant une sécurité tarifaire, à respecter possibilité de se former à des pratiques
Les ethnies Mouride en Gambie et au des standards de qualité, et encourager formelles de production et de contrôle
Sénégal, Yoruba au Bénin et au Nigeria, l’investissement. de la qualité. “La formation et la certi-
Burji au Kenya et en Éthiopie, Lugbara au fication des commerçants du marché
Congo et en Ouganda ont toutes créé des
Dans certains pays informel au Kenya ont eu des bénéfices
réseaux commerciaux informels solides sur le long terme : en aidant le gouver-
et capables de fournir des crédits et des d’Afrique subsaharienne, nement à protéger la santé publique,
transferts de fonds rapides à bas prix. Ce en soutenant les moyens d’existence
que les autorités ont échoué à mettre en le secteur informel des producteurs et des commerçants
place. ainsi qu’en augmentant la disponibilité
génère jusqu’à 90 % des en lait pour les foyers vulnérables du
Créer un environnement favorable point de vue nutritionnel.” Quant aux
Pour les gouvernements, il s’agit opportunités d’emplois producteurs, ils ont vu leurs revenus
aussi de créer un environnement légal augmenter et leur pouvoir de négocia-
favorable au commerce. Par exemple, et contribue à une part tion se renforcer.
fournir des titres fonciers aux paysans Bill Vorley de l’IIED confirme : “La
peut faciliter l’accès aux financements significative des PIB. reconnaissance de l’économie alimen-
et avoir un impact économique positif. taire informelle et de ses acteurs est une
Comme en Éthiopie, où un programme Au Kenya, où le secteur informel des étape clé, tout comme les rencontres avec
gouvernemental de certification a produits laitiers génère 70 % des 40 000 les agriculteurs, les commerçants, les
amélioré la sécurité des droits fon- emplois dans le marketing et la transfor- transformateurs et les vendeurs sur leurs
ciers, l’investissement et la fourniture mation et où 86 % du lait est vendu sur marchés.” Pour que l’économie infor-
de terrains au marché de la location. des marchés informels, une étude menée melle devienne un véritable levier de
Par ailleurs, en soutenant les petits par l’IIED et l’ILRI a montré qu’une croissance et de développement, il faudra
agriculteurs pour qu’ils s’organisent approche “douce” a porté ses fruits, au donc partir des besoins et des contraintes
en coopératives, les autorités peuvent moins dans un premier temps : au lieu de ceux qui en sont, souvent à défaut de
renforcer leur pouvoir de négociation et de sanctionner les acteurs du secteur mieux, les acteurs quotidiens.

Aux Caraïbes, des “hucksters” organisés


Depuis la crise financière de 2007, le ralentissement des économies caribéennes a favorisé le développement du secteur informel, surtout
dans la première économie informelle de la région : l’agriculture. Avec un taux d’imposition de 43,2  % et une production importante de
matières premières agricoles et de produits alimentaires, qui représentent 30,7 % du total des exportations, la Dominique se caractérise par
un secteur informel très développé. C’est toutefois le seul marché des Caraïbes où les “hucksters”, des négociants indépendants, se sont
organisés pour former une association commerciale officielle.
Ces négociants sont les principaux exportateurs de produits agricoles de la CARICOM, le marché commun des Caraïbes.
Ils sont les premiers acheteurs de produits frais de la Barbade, et de fruits et de racines comestibles à Grenade et à
Saint-Vincent-et-les-Grenadines. En opérant dans le secteur informel, ils peuvent proposer des prix inférieurs aux prix de gros et
ils sont souvent en concurrence avec les offices nationaux de commercialisation. Pour continuer à faire des affaires, les hucksters
réalisent leurs achats selon des critères de qualité, de prix et de disponibilité.
Sur l’île de la Dominique, l’association professionnelle de hucksters aide ses membres à avoir plus facilement accès au marché,
à réaliser des économies d’échelle, à surmonter les problèmes de financement et d’approvisionnement ainsi que les obstacles
réglementaires et bureaucratiques. Les 120 membres de la Dominica Hucksters Association (DHA) Limited bénéficient de nombreux
services destinés à faciliter les exportations officielles et d’un soutien à la préparation des documents et des études de marché sur
les débouchés régionaux et internationaux. La banane, la banane plantain, la patate douce, la dachine, le tannia, l’ananas et le fruit
de la passion sont les principaux produits exportés par la DHA. Le développement des activités commerciales rendu possible par un
organisme officiel a aussi généré des revenus plus élevés et créé des emplois.
D’après Arnold Babwah, auteur d’une étude de marché sur les produits frais en 2016, contrairement à beaucoup de négociants de
l’économie informelle, les “membres de la DHA paient habituellement un prix raisonnable aux agriculteurs, souvent plus élevé que le prix de
gros, étant donné qu’ils souhaitent entretenir des relations durables avec eux pour préserver leur niveau d’activité”.

Natalie Dookie

26 | SPORE 188
INTERVIEW
Gerald Masila : “Avec l’informel,
il n’y a pas de traçabilité”
Sophie Reeve

D
irecteur exécutif et PDG de l’Eastern petits exploitants. Ensuite, ils doivent déployer
Africa Grain Council (EAGC), qui réunit des interventions, par exemple en fournissant
des producteurs et des des marchés centraux et adaptés, avec une

© EAGC
transformateurs, Gerald Makau Masila structure de commercialisation adéquate
propose des pistes pour formaliser le pour les produits alimentaires. Investir dans
commerce agricole. les infrastructures de marché de cette façon
aidera aussi à formaliser le marché en
Gerald Masila
Pourquoi le commerce informel est-il si fournissant un accès à des informations telles
explique
important en Afrique, en particulier dans le que les prix et les quantités de produits l'importance de
secteur agricole ? vendus. collecter des
Les principales raisons sont liées à la Il faut aussi renforcer les compétences, informations sur
structure de production. L’agriculture des formations à la sécurité alimentaire et l'économie
africaine repose principalement sur des aux normes de qualité afin que les informelle pour
petits exploitants qui produisent des producteurs et négociants comprennent formaliser le secteur.
quantités limitées, qu’ils essayent ensuite de quelles sont les exigences et y répondent. De
mettre sur le marché pour les vendre. Les cette manière, ils ne seraient plus exclus du
quantités étant minimes, les échanges commerce formel, même s’ils ne sont pas
finissent par être informels. En outre, pour organisés comme des entreprises
participer au commerce formel, il faut agroalimentaires formelles.
respecter des normes réglementaires, en
particulier pour les produits alimentaires. Les Comment les systèmes TIC innovants,
petits producteurs et les micro-entreprises comme le réseau Regional Agricultural Trade
actives dans l’agrobusiness ne satisfont pas Intelligence Network (RATIN) de l’Eastern
toujours à ces normes. Donc, ils contournent Africa Grain Council (EAGC), promeuvent-ils
le secteur formel. un commerce plus formel en Afrique ?
Avec l’informel, il n’y a pas de traçabilité.
Le commerce informel a-t-il des avantages ? Les systèmes TIC permettent de collecter
Grâce au commerce informel, une quantité des informations et des données sur
substantielle de denrées alimentaires passe différents produits, notamment agricoles, qui
des centres de production aux centres de sont échangés via des canaux informels. La
consommation, sans quoi nous serions collecte de ces informations contribue à un
confrontés à d’importantes pénuries début de formalisation du secteur. Des
alimentaires et les prix s’envoleraient. Il ne systèmes TIC comme RATIN, qui suit le prix
doit donc pas être totalement condamné, et la quantité des échanges transfrontaliers,
mais nous devrions pouvoir régler certaines communiquent ces données aux acteurs de
questions, afin d’entamer une transition du la chaîne de valeur, dont les agriculteurs, les
commerce informel vers le commerce formel. négociants et les transformateurs. Un
agriculteur peut ainsi décider de cultiver
Que peuvent faire les décideurs politiques davantage de soja, de haricots ou de riz, pour
pour formaliser davantage les activités répondre à la demande du marché.
agricoles sans mettre en place des Ces technologies peuvent aussi aider à
règlements d’exclusion ou autres obstacles fournir des services au sein de l’exploitation
au commerce ? agricole. Des solutions TIC permettent de
Les décideurs politiques doivent recenser les besoins en mécanisation. Les
comprendre la nature structurelle de la TIC facilitent aussi l’intégration, puisque le
production et du commerce, et réaliser que fournisseur et le producteur sont connectés
ceux-ci sont largement dominés par des de manière bien plus efficace. Les TIC vont
petites et micro-entreprises ainsi que des révolutionner l’agrobusiness.

SPORE 188 | 27
REPORTAGE

SÉNÉGAL

Faire tomber les barrières


à la formalisation
du commerce agricole
La demande pour des produits transformés et les efforts
du gouvernement sénégalais favorisent la formalisation
du secteur agroalimentaire. Cependant, des obstacles demeurent.

Manon Laplace

E
n 2002, afin d’accompagner les femmes
sur la voie formelle, Fatoumata Diop a créé
Oumou-Mountaga, un groupement d’intérêt
économique (GIE) dont le statut juridique permet à
plusieurs entrepreneurs de regrouper leurs activités
pour les améliorer et les développer. Elle forme ainsi
chaque année entre 400 et 500 femmes au séchage,
à la transformation, l’empaquetage et la vente de
céréales, de fruits et de légumes locaux. Oumy Diouf
est l’une d’elles. Avant de rejoindre le GIE en 2012, la
quadragénaire vendait des fruits et légumes au bord
de la route, parmi les “bana-bana” (“pour moi, pour
moi” en wolof), ces commerçants ambulants qui
exercent une activité informelle de subsistance et
représentent la majorité du secteur. Depuis qu’elle
exerce une activité formelle au sein d’une coopéra-
tive, Oumy Diouf bénéficie de revenus réguliers qui
lui permettent de payer son loyer et de prendre en
charge sa mère. Elle a aussi été formée à la transfor-
mation du mil et du maïs en couscous.

Formaliser pour se développer


Mais pour Fatoumata Diop, comme pour les
© CHARLES O. CECIL/ALAMY STOCK PHOTO

pouvoirs publics, l’un des plus gros défis consiste à


convaincre des avantages à formaliser les activités
économiques. “Il y a un problème de confiance.
Pour beaucoup d’acteurs du commerce informel,
se formaliser c’est se fiscaliser”, explique Ismaïla
Dione, chef de division à la Direction des petites et
moyennes entreprises (DPME), rattachée au minis-
tère du Commerce. Or, poursuit le fonctionnaire, la

28 | SPORE 188
formalisation permet de développer ses activités, valeur ajoutée”, ainsi que “l’organisation des petits
de s’ouvrir à l’exportation (0,1 % des unités de pro- producteurs agricoles autour de gros opérateurs
duction informelles exportent, selon les données modernes et industriels à travers le développement
officielles), d’augmenter son chiffre d’affaires et, de mécanismes de contractualisation intégrant le
finalement, d’être en mesure de payer des taxes. financement de l’activité”. Quatre ans plus tard, il
“Les firmes formalisées tendent à produire à plus n’existe aucun bilan de l’impact du PSE sur le sec-
grande échelle, à générer davantage de profits et teur informel.
potentiellement à créer plus d’emplois“, com- En dépit des incitations mises en place, l’accès
mente Kwaw Andam, de l’Institut international de aux financements reste le principal obstacle pour
recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). les entreprises, selon la Banque mondiale. Les
Les autorités peinent aussi à connaître le sec- unités de transformation, dont beaucoup sont des
teur informel. Le dernier recensement des unités micro-entreprises familiales opérant dans les mai-
d’activités économiques (formelles et informelles), sons, peinent aussi à trouver un local adapté à leur
mené en 2016 par l’Agence nationale de la statis- activité. S’ajoute à cela la cherté de l’électricité, de
tique et de la démographie (ANSD), excluait le l’eau et du matériel d’emballage.
secteur agricole, trop opaque pour être quantifié.
Il en ressort néanmoins que 97 % des unités éco- Une classe moyenne demandeuse
La demande croissante de nomiques recensées opèrent dans l’économie de produits transformés
produits alimentaires faciles à informelle. D’après la DPME, des milliers de ces Pourtant, le marché national offre d’importantes
préparer stimule la formalisation unités informelles concernent la transformation perspectives de croissance. Alors que le pouvoir
agricole au Sénégal. agroalimentaire. d’achat d’une partie de la population urbaine
augmente, du fait, entre autres, de l’émergence
Les avantages du contrat d’achat d’une classe moyenne sénégalaise et du retour de
“Il y a un avantage énorme [à formaliser son la diaspora, la demande en produits alimentaires
activité] dont les producteurs ne se rendent pas transformés, mieux présentés, aux origines tra-
toujours compte : celui d’avoir un contrat d’achat”, çables, normés et plus faciles à préparer se fait de
explique Éric Binson, directeur général de la plus en plus forte. Les entreprises privées pourraient
SOCAS, qui transforme du concentré de tomates donc jouer un rôle important de formalisation de
industriel au Sénégal depuis les années 1970 et qui l’économie sénégalaise en mettant en place des
emploie une centaine de personnes. Inexistants unités de production officiellement enregistrées et
dans le secteur informel, les contrats avec une qui se conforment aux standards de transformation
entreprise formalisée assurent aux agriculteurs des et de régulation. Ce faisant, elles encourageraient
commandes régulières et les quantités et les prix les autres acteurs de la chaîne de valeur à faire de
sont fixés à l’avance. Faute de garantie d’écouler même.
ses produits, “dans l’informel, si le producteur ne “La classe moyenne sénégalaise émerge et sera de
trouve personne au moment de vendre, il a tout plus en plus demandeuse de produits locaux et de
perdu”, ajoute Éric Binson. qualité”, confirme Djiby Diagne, un entrepreneur
La formalisation facilite aussi l’accès aux aides qui espère en profiter. Il s’apprête ainsi, au prin-
logistiques et financières. “Si le producteur n’est temps 2018, à lancer une unité de transformation
pas identifié, il ne pourra pas bénéficier des com- de mangues en Casamance où, faute d’infrastruc-
mandes de l’État ou des avantages d’institutions tures de stockage ou d’acheminement, 70 % des
financières (prêts ou financements pour l’acqui- récoltes de mangues seraient perdues, selon lui.
sition de matériel). Pas de lisibilité, de registre Une structuration formelle de la filière devrait aider
administratif ou de business plan : pas de prêt”, à régler ce problème et les agriculteurs pourront
résume Ismaïla Dione. vendre leur production.
L’implication du secteur privé et l’établissement
Encore trop de freins de locaux et d’infrastructures de stockage enregis-
“La formalisation du secteur est une priorité trés ont ainsi contribué à résoudre les problèmes
pour l’État”, promet le représentant du ministère des pertes postrécolte et à pérenniser la culture de la
du Commerce. En 2014, le gouvernement a lancé tomate sénégalaise. “Sans industries de conserverie,
un Plan Sénégal émergent (PSE), qui vise à faciliter les tomates sénégalaises ne seraient pas cultivées à
l’émergence d’entreprises pour faire du pays “un cette échelle parce qu’elles se perdraient”, souligne
exportateur majeur de fruits et légumes à haute le directeur de la SOCAS.

SPORE 188 | 29
REPORTAGE

AFRIQUE DE L’EST

Sur la route de la formalisation


du commerce transfrontalier
Dans la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), des initiatives
encouragent les commerçants informels transfrontaliers, dont la majorité
sont des femmes, à emprunter les routes officielles et à formaliser
leur activité. Pour leur sécurité et augmenter leurs revenus.

Bob Koigi
© TRADEMARK EAST AFRICA

30 | SPORE 188
D
ans la ville de Busia, à la frontière entre le douanes étaient infects avec nous et nous faisaient
Kenya et l’Ouganda, des milliers de com- payer des sommes exorbitantes.”
merçants se bousculent au poste-frontière D’après un rapport de la Banque mondiale – Les
pour faire dédouaner leurs produits. Le commerce femmes et le commerce en Afrique : un potentiel à ne
transfrontalier fait vivre des millions de personnes pas négliger – jusqu’à 80 % des commerçants de
et alimente les caisses des gouvernements kényan la région des Grands Lacs (Burundi, République
et ougandais, grâce aux taxes et autres droits de démocratique du Congo, Kenya, Rwanda, Tanzanie
douane perçus. Mais si le Kenya est déjà parvenu et Ouganda) doivent payer des pots-de-vin. En
à officialiser plus de 35 points de franchissement 2007, une enquête de l’ONU Femmes avait déjà
transfrontalier, surtout révélé que 26 % des com-
avec l’Ouganda, le soutien merçantes informelles
aux commerçants infor- Le commerce transfrontalier avaient déjà été violées
mels ne s’améliore que par des représentants de
depuis peu. Cet effort va
informel représente environ la loi alors qu’elles se ren-
de pair avec une protec-
tion accrue des femmes,
60 % des transactions daient à la frontière avec
leurs produits. Toutefois,
Les femmes
représentent 80 %
premières victimes de ce
commerce informel à haut
commerciales au sein de l’EAC suite à l’entrée en vigueur
du Protocole instituant
des commerçants risque. et 80 % des commerçants l’union douanière et le
informels en marché commun de l’EAC
Afrique de l’Est. Faciliter les affaires informels sont des femmes. en 2010 – libre circula-
et le commerce tion des personnes, des
Selon Trade Mark East biens et des services –, les
Africa (TMEA) – une institution de promotion des commerçants qui vendent des produits pour un
échanges commerciaux dans la région – le com- montant inférieur à 1 700 € sont exemptés de droits
merce transfrontalier informel représente environ de douane. “Des milliers de commerçants infor-
60 % des transactions commerciales au sein de mels franchissent chaque jour le poste-frontière de
la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et 80 % Busia avec une petite quantité de produits destinés
des commerçants informels sont des femmes. “La à la vente. Cela vaut donc vraiment la peine de les
problématique du commerce informel en Afrique inciter à emprunter les routes commerciales offi-
de l’Est est indissociable de celle des femmes”, cielles”, explique Gloria Atuheirwe.
explique Gloria Atuheirwe, responsable du pro- Suite à d’importantes campagnes de communi-
gramme commercial de TMEA. “Il est donc très cation et l’activité des associations qui facilitent
important de comprendre d’où sont originaires ces l’accès des petits commerçants aux informations
commerçantes qui viennent vendre leurs produits, de marché et aux comptes d’épargne, les commer-
quelles sont les informations dont elles disposent çantes peuvent trouver plus facilement un crédit
pour leur activité et ce qu’elles doivent faire pour la et des garanties pour financer le développement
rationaliser et rendre leurs transactions plus faciles de leur activité. Il leur est aussi plus aisé d’offi-
et plus pratiques.” cialiser leur activité commerciale en obtenant
Craignant de devoir s’acquitter de sommes éle- des certificats d’origine prouvant que leurs pro-
vées aux frontières, des milliers de commerçants duits sont originaires de l’EAC et que leur valeur
et de commerçantes ont pris l’habitude d’emprun- est inférieure à 1 700 €. Depuis l’introduction du
ter des routes alternatives, non officielles, non numéro d’identification fiscale personnel, qui a
contrôlées et souvent dangereuses. “Je ne compte accéléré la procédure de dédouanement, au moins
plus le nombre de fois où tous mes produits ont 8 000 commerçants transfrontaliers informels
été confisqués par la police qui m’avait surprise le se rendant dans les quatre grandes villes fronta-
long d’une route officieuse”, raconte Edna Mudibo, lières d’Afrique de l’Est – Busia et Malaba (entre le
une commerçante kényane qui vend des céréales et Kenya et l’Ouganda) et Namanga et Taveta (entre le
du beurre de cacahouète depuis 2012. “J’y laissais Kenya et la Tanzanie) – ont abandonné les routes
aussi toutes mes économies car j’emmenais avec officieuses et passent par les postes-frontières
moi presque tout mon argent liquide. Je n’avais pas officiels.
d’endroit où conserver mon argent, pas de banque
non plus. Même après avoir payé de solides pots- Un soutien particulier aux femmes
de-vin pour ne pas être arrêtés, on n’osait toujours L’Association de commerçantes Busia Women
pas passer par les postes-frontières. Les agents des Cross-Border Traders Association compte 3 000 ›

SPORE 188 | 31
› membres qui peuvent se renseigner sur le prix des produits de autrefois.” Selon TMEA, le poste-frontière de Busia est ainsi
base à partir de leur téléphone portable, ont accès aux mar- devenu un modèle pour l’amélioration des relations entre les
chés des deux pays et sont en contact avec des fournisseurs de agents des douanes et les commerçantes.
services financiers et d’informations. L’association gère égale- Le numéro d’identification, qui ne coûte que 1,23 €, faci-
ment un plan d’épargne qui permet aux membres d’emprunter lite le dédouanement au poste-frontière en renseignant sur
de l’argent, ou qui peut être mis en garantie pour l’obtention l’identité et sur les produits des commerçantes. “Elles ne pra-
d’un crédit. tiquent pas une activité illégale, mais, comme elles vendent
des produits licites qu’elles acheminent via des routes offi-
cieuses, nous avons le devoir de faciliter leur enregistrement
“En moyenne, sept personnes dépendent afin de leur épargner des risques inutiles et leur permettre
de gagner décemment leur vie”, justifie Richard Wanzala du
des revenus d’un commerçant informel.” gouvernement du comté de Busia. “C’est la première phase de
l’officialisation, et aussi la plus essentielle.”
L’Initiative sous-régionale d’Afrique de l’Est de soutien à la
promotion des femmes (EASSI) a joué un rôle de premier plan Renforcer la protection
dans l’amélioration des relations entre les agents des douanes Trop d’agents des douanes continuent néanmoins à exi-
et les commerçantes. Des réunions de dialogue entre les deux ger des pots-de-vin. L’adoption d’une Charte officielle sur le
groupes ont eu lieu. “Les femmes ont le courage d’évoquer commerce transfrontalier laisse espérer un renforcement de
avec les agents des douanes leurs problèmes, comme le temps la redevabilité et de la transparence. Cette charte imposera
que prend le dédouanement à la frontière, qui leur fait rater l’identification des agents des douanes et interdira aux agents
leur bus pour le prochain marché, ou les pots-de-vin et le de sexe masculin de pratiquer des fouilles corporelles sur les
harcèlement dont elles sont encore victimes à la frontière”, commerçantes.
explique Annet Auma, assistante du projet de l’EASSI pour la La formalisation de l’économie prendra du temps. “Nos
frontière de Busia. “De leur côté, les agents des douanes leur études ont montré qu’en moyenne sept personnes dépendent
expliquent où faire la queue pour dédouaner plus rapidement des revenus d’un commerçant informel. Vous imaginez donc
leurs produits. Grâce à une meilleure compréhension des pro- ce que cela implique, au plan politique”, explique Gloria
cédures douanières, les femmes passent moins de temps aux Atuheirwe. “Nous attendons à présent avec espoir le moment
frontières, perçoivent des revenus plus élevés et entretiennent où les commerçants informels seront pleinement reconnus
à présent des relations cordiales avec ceux qu’elles craignaient pour leur rôle clé dans le commerce interrégional.”

Gagner du temps et de l’argent au poste-frontière


Entre 2005 et 2012, Agnes Opus a vendu et acheté du maïs et L’association, qui regroupe quelque 3 000 commerçantes du
du millet de manière informelle. Des journées bien remplies entre Kenya et d’Ouganda, a aidé Agnes Opus à s’enregistrer comme
l’Ouganda et le Kenya pour cette femme de 50 ans qui devait commerçante, à obtenir son numéro d’enregistrement officiel
affronter les agents des douanes et les policiers qui l’accusaient et à opérer désormais légalement. “Je peux à présent contrôler
d’évasion fiscale. en temps réel les prix sur le marché et vendre au moment où
Agnes Opus s’est lancée dans cette activité sur les conseils la demande est importante”, explique-t-elle. “J’ai aussi réussi
d’un autre commerçant. Elle a découvert comment franchir à épargner grâce à la coopérative et j’ai donc accès au crédit
officieusement la frontière au niveau de Busia, au risque de devoir en cas de besoin.” Après avoir encouragé des centaines de
payer des sommes astronomiques en cas d’arrestation. Rejoindre commerçantes informelles à rejoindre l’association, Agnes
la frontière kényane via ces routes informelles peut prendre Opus est devenue secrétaire générale de la section ougandaise
jusqu’à quatre jours, contre un jour seulement le long des axes de l’association et trésorière générale de l’Association des
commerciaux officiels. Il lui arrivait parfois de franchir la rivière commerçants d’Afrique de l’Est.
avec ses sacs de céréales sur un radeau improvisé ou de payer Elle se rend au Kenya deux fois par semaine. La demande est
les services de pêcheurs. La première fois qu’elle a été arrêtée par importante et elle gagne à chaque fois 57 € (7 000 Ksh). Avec ces
des policiers et des agents des douanes, ils lui ont confisqué ses revenus, elle a pu payer les frais de scolarité et d’université de ses
sacs de millet et tout son argent. quatre enfants. “En empruntant les routes officielles avec mes
En 2013, lorsque l’occasion s’est présentée de rejoindre produits, je gagne plus d’argent mais aussi du temps et j’ai même
l’Association des commerçantes transfrontalières de Busia, elle pu faire des économies puisque je ne dois plus payer de gens pour
n’a pas hésité une seconde et n’a jamais regretté son choix. m’aider à franchir illégalement la frontière.”

32 | SPORE 188
Économie

CHAÎNES DE VALEUR COMMERCE


Les opportunités Caraïbes : harmoniser
de la filière riz pour les mesures sanitaires
les jeunes entrepreneurs et phytosanitaires

34 36

BUSINESS FINANCE
En Ouganda, la citrouille Au Ghana, le secteur agricole
se transforme en revenus pour fait moins peur aux banques
les jeunes agriculteurs

38 39
CHAÎNES DE VALEUR

RIZ

Filière prometteuse
cherche jeunes
entrepreneurs
Une application mobile et des centres de services mécanisés aident les
riziculteurs ouest-africains à augmenter leurs rendements et leurs revenus.
Ces innovations créent des opportunités d’emplois pour les jeunes ruraux,
dans une filière de premier plan.

Vincent Defait

A
ider les riziculteurs ouest- de nouvelles habitudes alimentaires, au Sénégal, où a été testée l’applica-
africains à organiser la campagne 22 des 43 pays africains producteurs tion entre 2015 et 2017, ont pu rendre
agricole, d’une part, leur donner importaient entre 10 % et 90 % de leur compte de mauvaises utilisations des
accès aux machines nécessaires aux consommation nationale en 2016, pour engrais qui résultent souvent en des
travaux pré- et postrécolte, d’autre part. un coût global estimé à 4,46 milliards rendements en berne, des pollutions
Tels sont les objectifs de deux projets d’euros, d’après le rapport annuel d’Afri- environnementales ou une dégrada-
pilotes – l’appli RiceAdvice et les Centres caRice. La chaîne de valeur du riz recèle tion des sols. “Les tests montrent que
d’exploitation de machines agricoles pourtant un considérable potentiel de l’adoption des recommandations de
(CEMA) – qui ont été testés entre 2015 et création d’emplois, que les jeunes ruraux l’outil RiceAdvice permet d’augmen-
2017 en Afrique de l’Ouest par AfricaRice peinent à saisir, faute de formation, ter significativement les rendements
et la Fondation Syngenta pour une agri- d’accompagnement et de débouchés et donc les revenus des agriculteurs”,
culture durable. Le but : améliorer les concrets. Quant aux riziculteurs en acti- affirme Youssou Diagne, coordinateur
rendements du riz local, renforcer sa vité, ils pâtissent d’un accès réduit aux régional de la Fondation Syngenta, qui
compétitivité et augmenter les revenus semences améliorées, aux marchés, aux a copiloté les tests avec AfricaRice. En
des producteurs. nouvelles technologies ou encore aux moyenne, les agriculteurs utilisant
“L’emploi des jeunes constitue un sources de financement. l’application ont rapporté des gains de
enjeu majeur pour la région et le déve- rendement entre 0,6 et 1,8 tonne par
loppement du secteur agroalimentaire Un outil d’aide à la décision hectare et des gains de revenus entre
offre d’immenses opportunités d’em- L’application mobile RiceAdvice, 81 € et 162 € par hectare. Entre 2015 et
plois pour la jeunesse ouest-africaine, et développée par AfricaRice et la 2017, les agriculteurs des trois pays ont
ce dans un contexte d’augmentation très Fondation Syngenta, aide les agri- produit 9 323 tonnes supplémentaires,
forte de la demande urbaine en produits culteurs à la prise de décision : quel pour une valeur de 3,15 millions d'eu-
alimentaires”, explique Vincent Fautrel, rendement cibler, comment gérer les ros. Plus de 95 % des agriculteurs qui
coordinateur senior du programme sur éléments nutritifs, comment établir l’ont essayée affirment vouloir conti-
les chaînes de valeur au CTA. un calendrier des cultures et quelles nuer à utiliser l’application.
En Afrique, alors que la consommation bonnes pratiques agricoles adopter. En Pour les promoteurs du projet pilote,
en riz ne cesse d’augmenter sous l’effet effet, des visites de terrain des deux l’application peut faire émerger un
de la démographie, de l’urbanisation et organisations au Mali, au Nigeria et nouveau marché : celui du conseil aux

34 | SPORE 188
© RYAN VROEGINDEWEY/SYNGENTA FOUNDATION
En s’organisant collectivement, des riziculteurs du Mali et du Sénégal ont eu accès à des machines.

riziculteurs. La majorité des agricul- aux conditions générales convenues. Au Renforcer les compétences
teurs ne possèdent pas de smartphones cours des essais, la Fondation Syngenta entrepreneuriales des jeunes
et beaucoup sont illettrés. Autant d’op- a aidé les producteurs à obtenir un “Avec l’utilisation des TIC et des ser-
portunités que peuvent saisir les jeunes financement des banques en mettant en vices mécanisés, les jeunes peuvent se
ruraux, très touchés par le sous-emploi, place un fonds de garantie, à établir un lancer dans des activités innovantes
qui, une fois formés et équipés, pour- business plan et les a formés à l’utilisa- liées à la production, la transformation
ront commercialiser leurs services de tion des machines, leur entretien et leur et la commercialisation du riz, entre
conseil auprès des producteurs et/ou des gestion. autres activités”, souligne Mandiaye
coopératives. Au Sénégal, les premières expériences Diagne, spécialiste des chaînes de
ont permis de faire passer de 40 % à valeur à AfricaRice. “Cela nécessite un
Accès aux machines, 88 % la proportion d’agriculteurs prati- travail de sensibilisation, une bonne
un modèle original quant deux campagnes par an, grâce à formation, une mise à niveau et un
Les CEMA, testés au Mali et au Sénégal la disponibilité des services mécanisés accompagnement des groupes de jeunes
en 2015, fournissent une aide de nature qui permettent de récolter les parcelles ‘agripreneurs’ ou individuels en milieu
différente. Les agriculteurs, qui créent rapidement et de préparer les sols pour rural.”
collectivement une entreprise, trouvent une nouvelle campagne de riz ou de C’est l’objectif d’un nouveau projet
dans ces centres des machines impos- maraîchage. De même, les coûts liés à (PEJERIZ – Promotion de l’entreprena-
sibles à financer individuellement et la récolte ont été réduits de 12 % à 16 % riat des jeunes et de la création d’emplois
leur permettant de préparer le sol, selon les saisons, par rapport à la récolte dans la chaîne de valeur du riz en Afrique
d’effectuer les récoltes, de transformer manuelle. “Un aspect fondamental est de l’Ouest) mis en œuvre par le CTA,
le riz ou de stocker leur production : que la mise en place d’un CEMA per- AfricaRice et la Fondation Syngenta.
tracteurs, moissonneuses-batteuses, etc. met d’instaurer un climat de confiance Visant à renforcer les compétences
Les machines appartiennent à une orga- entre les producteurs et la banque. Les entrepreneuriales des jeunes, créer des
nisation de producteurs (OP), mais sont annuités de remboursement sont payées liens avec les marchés et promouvoir les
gérées par une entité privée autonome à l’échéance. C’est une priorité dans activités à valeur ajoutée dans la filière
créée au sein de l’OP et responsable du l’affectation des recettes générées par riz au Mali et au Sénégal, la première
fonctionnement, de la maintenance et les prestations de services mécanisés”, phase du projet devrait débuter en mars
de la gestion financière, conformément indique Youssou Diagne. 2018 et s’étaler sur deux ans.

SPORE 188 | 35
COMMERCE

CARAÏBES

Harmoniser les mesures sanitaires


et phytosanitaires, un enjeu régional
L’accroissement du commerce de produits agricoles et de la pêche caribéens qui
répondent aux normes internationales et environnementales passe par un
renforcement des mesures sanitaires et phytosanitaires.

Natalie Dookie

L
es lacunes dans les mesures sani- niveau régional. Afin de permettre marché d’exportation – d’une valeur
taires et phytosanitaires (SPS) aux Caraïbes de tirer parti des possi- de 16 milliards d’euros – en amélio-
relatives à la santé agricole, à la bilités d’exportation en respectant les rant l’accès aux marchés régionaux et
sécurité des aliments et à la pêche ont mesures de l’UE, et d’intégrer davan- internationaux.
gravement amoindri la capacité des tage les 15 États du CARIFORUM
Caraïbes à augmenter ses revenus en (la Communauté des Caraïbes et la Guider les États
devises étrangères et à accéder à de République dominicaine) dans le mar- Les acteurs du FED se sont donc
nouveaux marchés d’exportation intra- ché SPS mondial, l’Inter-American employés à consolider la législation,
régionaux et internationaux. Pourtant, Institute for Cooperation on Agriculture la coordination et les mécanismes
le renforcement des mesures SPS per- (IICA) a lancé en 2013 un projet de quatre de réglementation des 15 États du
mette l’amélioration de la compétitivité ans dans le cadre du programme du CARIFORUM. Depuis la fin du projet,
des produits alimentaires, remédie aux 10e Fonds européen de développement en 2017, des législations régionales
problèmes d’approvisionnement et (FED). La Communauté des Caraïbes modèles relatives aux végétaux, à la
améliore la sécurité alimentaire au (CARICOM) doit en effet développer son santé animale, à la pêche et à la sécurité

© LUCY BROWN/ALAMY STOCK PHOTO

Les États disposent désormais d’un guide des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) pour la production et le marketing de leurs produits de la pêche.

36 | SPORE 188
© T PHOTOGRAPHY/SHUTTERSTOCK
des aliments ont franchi les dernières
étapes vers leur adoption officielle. Les
premiers progrès ont été accomplis en
vue d’harmoniser l’approche SPS pour
la circulation des denrées alimentaires
au sein de l’Organisation des États de la
Caraïbe orientale.
Des lignes directrices et des proto-
coles, dont le Guide to Food Safety Hazards
in Caribbean Fishery Products, sont désor-
mais disponibles pour aider les États en
matière de production et de commercia-
lisation des poissons et des produits de la
pêche. La législation visant à faciliter la
modernisation du commerce du miel à
Trinité-et-Tobago a aussi été mise à jour.
“Nous avons aussi élaboré des mécanismes
de coordination nationaux et régionaux
efficaces pour appuyer le régime SPS,
comme un cadre pour la coordination
régionale dans les domaines de la santé
agricole, de la sécurité des aliments et de
la pêche”, explique le Dr Robert Ahern,
de l’IICA. “La participation active des pays
des Caraïbes au processus de définition de
normes SPS internationales a ainsi pro-
gressé de 50 %.”
Par ailleurs, “nous sommes parvenus à
améliorer les compétences en matière de
santé agricole et de sécurité des aliments
dans l’ensemble de la région, ce qui a
contribué à consolider les systèmes et à
instaurer ainsi des conditions favorables La CAHFSA s’intéresse actuellement au commerce intrarégional de miel.
pour un meilleur accès aux marchés et la
production de denrées alimentaires plus faibles, voire inexistants, ce qui a amené pour être commercialisé à l’échelle régio-
sûres”, fait valoir Robert Ahern. le Conseil du commerce et du dévelop- nale et extrarégionale. Or la législation de
pement économique à décider que la Trinité-et-Tobago interdit le transport de
Dépasser les problèmes viande de volaille et de canard peut faire miel à moins de 1 km de ses côtes. “Nous
commerciaux régionaux l’objet d’échanges commerciaux entre les étudions des conditions harmonisées pour
La Caribbean Agricultural Health and États membres. Neuf usines de transfor- un permis contrôlant les importations de
Food Safety Agency (CAHFSA) a été mation de la viande de volaille réparties germoplasme animal et végétal dans l’en-
fondée en 2014 pour assurer une mise dans ces six pays ont été agréées pour les semble des Caraïbes, de façon à ce que
en œuvre plus efficace des mesures échanges entre les États membres. chaque pays applique la même procé-
SPS à travers un seul organisme. dure”, explique l’expert de la CAHFSA.
“Malheureusement, dans les différents
États membres, les normes SPS peuvent
“La participation active L’agence met également en place, via la
Banque de développement des Caraïbes,
être interprétées de manière sélective des pays des Caraïbes des “laboratoires de référence” dans la
et les États se traitent mutuellement région pour analyser des tissus animaux
de façon discriminatoire, en invoquant au processus de et végétaux, et a formulé des directives
souvent la protection contre la propaga- pour préparer des propositions d'accès
tion des maladies comme motif pour ne définition de normes aux marchés avec le moins d’obstacles
pas autoriser un produit sur leur marché possible aux échanges, tout en empê-
intérieur”, déplore Simeon Collins, PDG SPS internationales a chant la propagation de ravageurs et de
de la CAHFSA. L’agence a donc réalisé maladies dans de nouveaux pays. Simeon
des évaluations du risque-pays pour la ainsi progressé de 50 %.” Collins ajoute : “Nous mettons en place
Barbade, le Belize, le Guyana, la Jamaïque, quatre bases de données en ligne rela-
le Suriname et Trinité-et-Tobago afin La CAHFSA s’intéresse aussi au com- tives à la santé agricole et à la sécurité des
de déterminer les risques SPS liés aux merce intrarégional de miel des Caraïbes. aliments afin d’améliorer les échanges
échanges intrarégionaux de produits Pour l’heure, le miel provenant du Guyana d’informations entre les technocrates et
agricoles. Les risques identifiés étaient doit être expédié via Trinité-et-Tobago les décideurs dans les Caraïbes.”

SPORE 188 | 37
BUSINESS

VALORISATION

En Ouganda, la citrouille se transforme


en revenus pour les jeunes agriculteurs
L’entreprise Byeffe Foods coopère avec un réseau de plus de 5 000 jeunes producteurs
pour produire des aliments nutritifs à partir de citrouilles, vendus dans tout le pays.

Pius Sawa

F
atuma Namutosi avait 24 ans lors- Afin d'identifier les agriculteurs un partenariat avec des écoles primaires
qu'elle a créé Byeffe Foods (byeffe locaux susceptibles d’approvisionner du pays, à qui elle fournit de la farine
signifie “la nôtre”), en 2015, dans son entreprise, Fatuma Namutosi a tra- riche en zinc et en vitamine A.
l'ouest de l'Ouganda. Son objectif : vaillé avec le programme Feed the Future L’offre limitée de Byeffe en citrouilles
remédier aux taux élevés de malnutri- Uganda de l'USAID. Ainsi, Byeffe Foods a fraîches ne répondant pas à la demande,
tion dans le pays. L'entreprise produit pu former à la production de citrouilles Feed the Future a engagé 1 280 autres
désormais 20 tonnes de produits nutri- plus de 5 000 jeunes agriculteurs, à qui jeunes agriculteurs sous contrat. Ceux-ci
tifs à base de citrouille par an qui sont l’on a fourni des graines pour garantir la ont été séduits par les faibles coûts de
distribués dans des écoles, des hôpitaux qualité des produits cultivés. Après avoir production, les rendements élevés –
et des supermarchés de la région. noué des contacts lors de l'événement 1 hectare permet de produire entre 15 000
Après avoir identifié des cultures à la Feed the Future Youth Leadership for et 30 000 kg de citrouilles – et la promesse
fois nutritives et poussant facilement, Agriculture, en 2016, Byeffe Foods a créé faite par Byeffe de fournir des semences
Fatuma Namutosi a injecté un capital de et des services de vulgarisation.

20 tonnes
114 € (500 000 shillings ougandais) dans La production de 1 kg de farine sèche
la création de Byeffe Foods. Ses recherches nécessite 10 kg de citrouilles fraîches,
ont montré que la plupart des ménages de produits à base de citrouille sont que Byeffe achète à ses agriculteurs au
cultivent des citrouilles, qui contiennent produites chaque année par Byeffe Foods prix de 0,07 € (300 UGX) le kilo. Les
davantage d'antioxydants, de protéines et citrouilles sont ensuite séchées au soleil
de vitamines que la plupart des légumes. et transformées en farine conditionnée

5 000
Une fois bouillies, leurs feuilles peuvent en sacs de 500 g ou 1 kg – ce dernier est
aussi être consommées, fournissant des vendu 0,9 € (4 000 UGX).
quantités notables de fibres alimentaires, jeunes agriculteurs ont été formés Byeffe Foods produit des farines de
de protéines et de vitamines A et E. à la production de citrouilles citrouille sans gluten mélangées à du soja
et du millet, ainsi que des feuilles et des
graines de citrouille. En vendant ses pro-
duits aux écoles, aux supermarchés ou
à des clients directs, l’entreprise réalise
un chiffre d’affaires annuel de 515 000 €.
Fatuma Namutosi veut développer son
réseau d'agriculteurs afin de produire
50 tonnes de produits à base de citrouille
d'ici la fin de 2018. “Nous devons étendre
notre partenariat [avec les agriculteurs]
et faire construire notre propre usine
de production.” Une fois certifiée par le
Bureau ougandais des normes, l’entreprise
pourra pénétrer de nouveaux marchés
avec d'autres produits à base de citrouille
© HETEPRAKHEPR SEKER ULERIE

à haute valeur ajoutée, comme du vin, du


jus et de l’huile de pépins de citrouille.

L’entreprise Byeffe Foods fournit des produits


nutritifs à base de citrouille à des écoles, des
hôpitaux et des supermarchés dans tout l’Ouganda.

38 | SPORE 188
FINANCE

INVESTISSEMENT

Au Ghana, le secteur agricole


fait moins peur aux banques
Un projet de financement de l'agriculture ghanéenne – FinGAP – a changé la
façon dont les institutions financières et les prestataires de services de conseil
aux entreprises travaillent avec le monde agricole.

© USAID FINGAP
Helen Castell

L
ancé en 2013, le projet FinGAP
a facilité l'octroi de 123 millions
d'euros de financements et d'in-
vestissements à 2 700 agroentreprises
actives dans les chaînes de valeur du
maïs, du soja et du riz au Ghana, soit
le double de l’objectif initial. Quelles
leçons tirer de ce projet ?

Développer les capacités


FinGAP visait à développer un marché
de services de conseil aux entreprises,
renforcer les capacités de plus de 50 insti-
tutions financières en leur fournissant des
formations aux outils financiers, en les Avec des financements, des micro-, petites et moyennes entreprises peuvent acquérir des machines.
mettant en contact avec des partenaires
et clients potentiels et en changeant leur aidé Barclays Ghana à limiter le risque maïs par le biais d'un prêt de 533 000
façon d'aborder le secteur agricole. Ce encouru sur certains contrats en la met- euros (3 millions GHS) à un producteur
projet a démontré que l'agriculture est un tant en rapport avec Eximguaranty, un de volaille, qui a utilisé ces fonds pour
marché porteur, selon Amanda Grevey, organisme local de cautionnement pour acheter et prêter des intrants à ces cultiva-
directrice de la croissance économique les institutions financières qui prêtent teurs. Les taux de recouvrement parmi les
de la société Palladium, qui a mis en à des petites et moyennes entreprises petits cultivateurs ont dépassé les 98 %. La
œuvre le projet FinGAP. au Ghana. Certains clients de la banque banque a donc doublé cet instrument de
D’après Andrew Ahiaku, directeur de ont aussi été soutenus par le Ghana prêt en 2016. Barclays Ghana a aussi lancé
la section des prêts aux agroentreprises Agricultural Insurance Pool, un groupe des “prêts à tempérament aux entreprises”
chez Barclays Bank Ghana, FinGAP d'assureurs ghanéens qui proposent sans garantie, pour un montant maximum
a aidé la banque à mettre sur pied la surtout des assurances indicielles contre de 35 500 euros (200 000 GHS). Les petits
structure et la capacité adéquates pour la sécheresse pour le maïs et le soja. Des exploitants et revendeurs ont remboursé
soutenir le financement de l'agriculture. programmes tels que Ghana Planting for leur prêt dès la fin de la production.
Pour cela, les banques doivent élaborer Food and Jobs, qui offrent un marché
une stratégie formelle de prêts au secteur garanti pour les produits des agriculteurs, Encourager et soutenir les précurseurs
agricole, créer une équipe spécifique renforcent aussi la confiance des banques Plus des trois quarts des financements
dirigée pour “nouer un dialogue utile” vis-à-vis de ce secteur. facilités par FinGAP ont été au moins
avec la direction et former les membres partiellement portés par un système de
de cette équipe. Créer de nouveaux produits financement axé sur les résultats, qui a
FinGAP a présenté aux banques plus octroyé des financements aux banques
Gérer les risques de 33 outils, dont des prêts sans garantie. ayant atteint, dans les délais impartis,
Grâce à une stratégie rigoureuse de ges- Financer via la chaîne de valeur est un des objectifs de prêts prédéterminés.
tion du risque, Barclays Ghana n'a connu moyen d'éviter le besoin d'une garan- “Ce système a fait office de stimulant
que deux créances douteuses depuis le tie. En 2015, Barclays Ghana a financé fantastique”, s’enthousiasme Amanda
lancement de FinGAP. Le projet a aussi indirectement des petits cultivateurs de Grevey.

SPORE 188 | 39
PUBLICATIONS

INTERVIEW

La diaspora au secours
des entreprises
agricoles familiales
Lorsque Clarisse Émilie Ambena Ndono est rentrée au Cameroun pour
reprendre la palmeraie de ses parents, sa famille fut à la fois un atout
et un frein. Entretien avec le Dr Mathias Mondo, auteur de l'ouvrage
Les dirigeants de 2ème génération dans la filière agricole en Afrique.

Bénédicte Châtel

Ingénieur et enseignant, Mathias de diversification portent son ADN, en


© MEETAFRICA
Mondo est président de l’entreprise de quelque sorte, la production d'huile de
coaching Humanbet, à Paris, et chef de la palme étant l’activité traditionnelle de la
cellule Coopération et affaires juridiques famille.
de l'Agence de promotion des PME, au
Cameroun. Qu'entendez-vous par “son ADN” ?
Tout d’abord, elle a marqué de son
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à empreinte la gestion des ressources
Clarisse Émilie Ambena Ndono ? humaines en donnant la priorité au
Clarisse Émilie Ambena Ndono est un bien-être du personnel, qui a été salarié
exemple de réussite. Âgée aujourd'hui et a bénéficié d’une couverture sociale.
de 42 ans, quatrième d'une fratrie de six Elle a réduit sa dépendance à l'égard de
enfants dont quatre garçons, elle a vécu l'extérieur en créant ses propres pépi-
en France, au Togo et au Burkina Faso, nières. Elle fait participer les agriculteurs
entre autres. Elle s'intéresse à l'autono- locaux en tant que partenaires implicites
misation financière des populations dans à sa stratégie de pénétration du marché,
le secteur agricole, suivant le concept facilitant l'écoulement de leurs produits.
de triple bottom line, une transposition Cette sorte de centrale d'achat ainsi
de la notion de développement durable créée n’a qu’un seul gros client, la Société
en entreprise qui évalue leurs perfor- Le Dr Mathias Mondo s’intéresse à la diaspora camerounaise de palmeraies (Socapalm),
mances sociales, environnementales et dans le secteur agricole. qui achète la quasi-totalité de leur produc-
économiques. De retour au Cameroun, tion. Elle a entamé d’âpres négociations
elle a repris la palmeraie familiale et s’attaquer de suite aux aspects techniques pour augmenter le pouvoir d'achat des
en est devenue directrice générale. La en séparant l’exploitation agricole du agriculteurs locaux. Les autres produits de
famille a trouvé cela parfait mais, au patrimoine foncier familial. La palmeraie diversification sont directement écoulés
fil du temps, sa gestion a rencontré des est devenue “locataire” de la terre, ce qui sur les marchés de proximité.
détracteurs, créant des problèmes. a sécurisé les revenus de la famille.
Elle a ensuite diversifié la production, Vous évoquez “l'exigence de loyauté, de la
Qu’est-ce que son appartenance à la dias- même si les produits de la palmeraie séparation du pouvoir et de la responsabilité
pora a apporté à la gestion de l'entreprise restent son cœur de métier. Le taux de managériale”. De quoi s’agit-il ?
agricole familiale ? croissance escompté des autres produits En réalité, les membres de la famille
Son parcours international et son est en effet beaucoup plus important. la suspectent d'arriver avec de nouvelles
business model innovant lui ont permis de Surtout, tous les produits vivriers et technologies et de nouvelles méthodes

40 | SPORE 188
Sociologie
Développement durable “Écologiser”
l'agriculture urbaine
Une “entrepreneure sociale” avant tout
L’ouvrage du sociologue
Le Dr Mathias Mondo a fondé Humanbet, une société Sidy Tounkara part du
de conseil qui a fait de ce sujet son cœur de métier. Pour constat que l'agriculture
son ouvrage, il s’est intéressé à l’histoire de Clarisse Émilie n'est plus synonyme de
Ambena Ndono, une Camerounaise de la diaspora, titulaire campagne tant elle est
d'un master en entreprenariat, devenue directrice générale de présente en ville, no-
l'entreprise agricole familiale Ndono & Co dont les plantations tamment au travers du
de palmiers à huile s’étendent sur 180 hectares. micro-jardinage. L'auteur
L'auteur a choisi cette étude de cas pour plusieurs raisons. s'attache à enquêter sur les maraîchers
D'une part, “le poids des entreprises familiales est primordial à Dakar, décrivant leur organisation, leur
dans la sécurisation de l'économie agricole” en Afrique et ces fonctionnement, mettant en exergue les
entreprises familiales sont en déclin. Ensuite, Clarisse a une nombreux défis que cela soulève, dont la
“démarche d'activiste de l'entrepreneuriat agricole féminin” au sein d’une filière – l'huile gestion des déchets de cette agriculture en
de palme – accusée d’être néfaste pour l’environnement. Enfin, en raison du mode de zone urbaine. Il préconise de travailler avec
gestion qu'elle adopte et pour les objectifs qu'elle poursuit : la répartition équitable de la les scientifiques pour “écologiser” l'agricul-
valeur ajoutée, entre les membres de sa famille et les agriculteurs avoisinants. ture par la bonne utilisation des déchets. 
Se qualifiant d'“entrepreneur social”, Clarisse Ndono s'appuie sur “la force du
lien social au cœur de la cellule familiale” pour assurer la croissance de l'entreprise. La multifonctionnalité de l'agriculture
Parallèlement, ses convictions personnelles la conduisent à mettre en place une “péri-urbaine” au Sénégal
protection sociale pour ses salariés et à structurer les petits agriculteurs avoisinants, Par S. Tounkara
prenant en charge les négociations pour la commercialisation des produits et Éditions L'Harmattan, 2017, 318 p.
introduisant des normes de production. ISBN : 978-23-4313-660-8
33 €
www.editions-harmattan.fr
Les dirigeants de 2ème génération dans la filière agricole en Afrique.
La démarche stratégique de Clarisse Émilie Ambena Ndono
Par M. Mondo
Humanbet Éditions, 2018 (avril 2018), 65 p. Étude de cas
ISBN : 978 232 2104 406
Prix : 14,99 €
Togolaises au travail
http://mathiasmondo.wixsite.com/humanbet-edition “Que les femmes bé-
néficient pleinement
de la transformation du
secteur agricole et la
croissance agricole in-
clusive.” Tel est l'objectif
pour les torpiller. Elle va donc deman- héritière de son père, c'est à son frère poursuivi par la FAO et
der à chaque membre de la fratrie, et à aîné que la palmeraie a été confiée. la Commission de la CEDEAO, qui visent
elle-même, une loyauté parfaite à l'égard Face à ses résultats mitigés, elle vient à relever le “défi Faim Zéro”. S’intéressant
de leur père, un patriarche de 70 ans. C'est arracher son pouvoir en démontrant sa au cas du Togo, les auteurs confrontent
une gentille dévotion, toutefois un peu performance, ce qui lui vaudra d'être les politiques énoncées et leur concrétisa-
manipulatrice, car elle sait qu’être loyal attaquée. Mais parce qu'elle est une tion, relèvent les disparités tenaces entre
envers le père, étant donné l’influence du femme, on se rend compte qu'elle n'est hommes et femmes dans à peu près tous
patriarche en Afrique, conduira les autres pas attaquée comme s'il s'agissait d'un les segments agricoles (production, ser-
à la suivre plus facilement. homme. vices, emploi, marchés). En ligne de mire : la
Mais elle a un problème aujourd'hui : sécurité alimentaire nationale.
son père est “jaloux”. Il ne veut pas, en Vis-à-vis des autres agriculteurs, elle par-
fait, que sa fille prenne tout le pouvoir vient bien à asseoir son autorité ? Profil national genre des secteurs de
au niveau de la plantation. Il veut encore Là, pour asseoir son pouvoir, elle s'ap- l'agriculture et du développement rural - Togo
être présent. Elle négocie donc avec lui ! puie sur son charisme naturel tout en Par le Bureau régional Afrique de la FAO
mobilisant l'autorité de son père qu’elle Publié par FAO et Commission de la CEDEAO,
Pensez-vous que le fait d'être une femme utilise comme un paravent pour péné- Lomé, 2018, 120 p.
rend plus difficile l'acceptation de son pouvoir ? trer le marché. Son père est un homme ISBN : 978-92-5-130165-4
Son succès reste suspect. Avant craint. J'ignore ce qui se passera lorsqu'il Pour télécharger le PDF :
qu'elle ne devienne la patronne ne sera plus là. https://tinyurl.com/y7vbgzbp

SPORE 188 | 41
PUBLICATIONS

RURALITÉ

Le changement
climatique au cœur
de défis locaux
Un fardeau injuste. Comment les petits
En Afrique, les conséquences du réchauffement paysans africains s’adaptent au changement

climatique sont une réalité vécue au quotidien. Parmi climatique pour améliorer leur sécurité
alimentaire
les plus faibles émetteurs de gaz à effet de serre, le Par IRIN Association

continent doit composer avec ce “fardeau injuste”. IRIN Association, 2017, 179 p.
Pour télécharger le PDF :
https://tinyurl.com/y9lozqmv
Bénédicte Châtel

I
l se passe rarement une journée sans côtoient des référents divers”. Les sujets
que ne soient évoqués les change- liés aux changements climatiques n'y
ments climatiques. Et pour cause : les échappent pas. Pour preuve, le cas du
conséquences des mutations induites, Grand Lac au Tchad, où l'aménage-
notamment sur l'agriculture et le monde ment de ses rives est convoité tant pour
rural, sont considérables et diversifiées. le développement agricole que pour la
En témoigne la série de reportages du conservation écologique. De même,
réseau d'information IRIN (Integrated l'épuisement des sols, la destruction
Regional Information Networks), avec des biotopes, la disparition d'espèces
l'aide de la fondation Open Society. végétales mettent à mal la survie de la
Ces enquêtes réalisées dans quatre ferme d'élevage de Samiondji au Bénin
pays – Kenya, Nigeria, Sénégal et et attisent les confits avec les agropas-
Zimbabwe – mettent en exergue des teurs locaux. Développement et environnement en Afrique
problèmes – ce “fardeau injuste” – tels Les changements climatiques Sous la direction de G. Ferréol
que la désertification, la salinisation induisent souvent des phénomènes EME Éditions, 2018, 255 p.
des sols ou le manque de soutien tech- migratoires, mais pas nécessairement ISBN : 978-28-0663-627-0
nique accordé aux petits agriculteurs. hors d’Afrique. L'Atlas intitulé L'Afrique 26,50 €
Autant de défis qui donnent lieu à des rurale en mouvement, fruit du travail www.eme-editions.be
“initiatives et des solutions adoptées conjoint du Centre de coopération
par les agriculteurs et les gouverne- internationale en recherche agrono-
ments”. Avec une nouveauté : “Alors mique pour le développement (CIRAD),
que le rapport entre les fonds alloués à de la FAO et du Centre sud-africain
l’atténuation et ceux destinés à l’adap- pour l'innovation dans la gouvernance
tation était traditionnellement de 3:1 (GovInn), indique, d'une part, que
environ, ces dix dernières années ont l'Afrique subsaharienne sera la seule
été marquées par une hausse du finan- région au monde en 2050 où la popu-
cement de l’adaptation”, soulignent les lation rurale continuera de croître et,
auteurs. d'autre part, que 75 % des Africains
Pour l'ambassadeur de France au migrent au sein même du continent.
Tchad, Philippe Lacoste, qui préface Ceci se traduira par des zones rurales
l'ouvrage collectif Développement et plus denses et une “énorme pression
environnement en Afrique, fruit du col- sur le secteur agricole”. Richement doté Rural Africa in motion: Dynamics and drivers
loque international tenu à N'Djamena en cartes et études de cas, l'atlas entend of migration South of the Sahara
en février 2018, “les politiques de déve- figurer parmi les nouveaux outils analy- Par S. Mercandalli et B. Losch (éds)
loppement constituent des espaces tiques permettant de mieux comprendre FAO et CIRAD, 2017, 58 p.
de négociation où se confrontent les causes, “parfois interconnectées“, Pour télécharger le PDF :
des objectifs contradictoires, où se des migrations et ainsi contribuer à https://tinyurl.com/ybky5rz5  
déploient des jeux d'acteurs, où se apporter des solutions. À paraître en français en mars 2018

42 | SPORE 188
Innovations
L’agripreneuriat digital, une histoire de patience
“L'ampleur du rôle des TIC dans le d'une entreprise. À l'aide de tableaux, le Guide détaille les éléments
développement économique, y compris caractéristiques des deux approches, citant des exemples comme
dans le secteur agricole”, n'est plus à SlashRoots en Jamaïque qui a utilisé cet outil BMC. Il en est ainsi pour
démontrer, souligne Michael Hailu, di- chaque étape du processus de constitution de l'entreprise e-agricole,
recteur du CTA, en introduction du Guide son enregistrement, la protection de la propriété intellectuelle sur ses
de l'agripreneuriat digital. Toutefois, les concepts et ses produits, etc.
“jeunes innovateurs” n'ont pas toujours Se voulant avant tout pragmatique, le Guide met en garde sur
les compétences et les connaissances neuf difficultés que rencontrent le plus fréquemment les start-up
nécessaires pour lancer avec succès une agricoles, offrant chaque fois des conseils : le fondateur unique, le
entreprise e-agricole au sens large, englo- choix de la mauvaise plateforme, ne pas écouter ses clients cibles,
bant les cultures, la pêche, l'élevage et la etc. “L’entreprise e-agricole prend du temps avant de générer des
sylviculture. bénéfices, mais soyez patient et persévérez en dépit des obsta-
D'où l'idée de ce guide, véritable “feuille de route” qui accom- cles”, conseillent les auteurs.
pagne les jeunes entrepreneurs, de la simple idée d’une entreprise
à sa concrétisation. Pour chaque étape, les auteurs du Guide aident
l'entrepreneur en herbe à se poser les bonnes questions, lui offrent
un grand nombre d'exemples de cas concrets d'entreprises impli- Guide de l'agripreneuriat digital : la voie du succès
quées dans le monde agricole dans les pays ACP, lui proposent des pour les jeunes entrepreneurs des pays ACP
conseils, des suggestions, le mettent en garde contre les écueils. Par CTA
Par exemple, nombre de jeunes entrepreneurs ne prennent pas le CTA Éditions, 2017, 72 p.
temps d'élaborer un business plan avant de démarrer. Erreur numéro ISBN : 978-92-9081-621-8
1, soulignent les auteurs, qui proposent soit une approche tradition-
nelle d'élaboration d'un business plan, soit des approches nouvelles
comme celles qu'offre Lean Startup avec son Business Model Canvas Pour télécharger le PDF :
(BMC), un outil pour dresser un état des lieux du modèle économique https://tinyurl.com/yctp7nvo

Économie
Entre riches et pauvres, le fossé se creuse
“Le secteur agroalimentaire est une comme le Maroc, le Kenya, l'Indonésie et le Vietnam sont insuf-
source d'emploi considérable pour des fisants pour sortir les femmes et les hommes de la pauvreté”.
millions de personnes parmi les moins Garantir un niveau de vie décent impliquerait d’augmenter le
bien payées dans les pays en déve- salaire minimum de 57 à 177 dollars (de 46 à 143 €) par mois au
loppement”, affirme Oxfam dans son Nigeria, estime par exemple la confédération syndicale nigériane.
rapport Partager la richesse avec celles En outre, le salaire minimum concerne en général uniquement le
et ceux qui la créent, fruit d'une enquête secteur formel. Or, au Bénin, au Soudan, en Tanzanie et en Zambie,
auprès de 70 000 personnes et de l'ana- jusqu'à 90 % de la main-d'œuvre occupe des emplois informels.
lyse de 152 actions gouvernementales Rien d’irrémédiable : au Malawi il existe un syndicat pour l'écono-
axées sur la réduction des inégalités. mie informelle et le Sénégal reconnaît aux salariés du secteur le
L’ONG constate que la situation se dé- droit de se syndiquer.
grade. “Moins de 6 % de la valeur d'une
tablette de chocolat atteint les producteurs et productrices de cacao”,
contre 18 % dans les années 1980. Les femmes sont en première ligne
puisqu'elles “représentent 43 % de la main-d'œuvre agricole dans les Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent
pays en développement et ce taux dépasse les 50 % dans de nom- Par Oxfam
breux pays d'Afrique subsaharienne”. Oxfam International, 2018, 96 p.
L'instauration de salaires minimums par les États est l’une des ISBN : 978-17-8748-137-4
réponses mais sa portée est limitée. De nombreux pays n'ont pas Pour télécharger le PDF :
ce type de disposition et “les salaires minimums dans des pays https://tinyurl.com/yau8rmh5

SPORE 188 | 43
OPINION

Comment aider les start-up


à attirer les investissements ?
TELLY VALERIE ONU

Débloquer l’accès
au financement pour
les jeunes entrepreneurs
Telly Valerie Onu
Fondatrice de la fondation InnovatetheNext,
Saint Kitts and Nevis.

Les jeunes qui se lancent dans l’agri- voudront avoir accès à l’historique de leurs Les start-up doivent aussi être perçues
business ou créent une société dans le transactions financières. Les programmes comme une nouvelle catégorie d’actifs
secteur de l’agroalimentaire ne pos- doivent dès lors aider les start-up à déve- qui génère des rendements dans lesquels
sèdent pas toujours les compétences lopper leurs modèles d’entreprise, qui il est intéressant d’investir.
entrepreneuriales nécessaires et ne seront testés afin de garantir l’existence
bénéficient pas d’un soutien approprié. de débouchés. De plus en plus de pro- Promouvoir un environnement propice
De plus, les jeunes agripreneurs dans les grammes sont axés sur la préparation Les responsables politiques ont aussi un
pays ACP font face à un difficile accès aux investisseurs (investment readiness) et à rôle à jouer dans la création d’un environ-
au financement. Prêter à des start-up l’accès au financement (finance readiness). nement propice à la réussite des start-up.
implique des coûts importants du fait de Ils aident les start-up à comprendre com- Celles-ci peuvent créer des emplois et
leur cote de risque élevée, surtout dans le ment les investisseurs pensent, comment diffuser du progrès technologique, sans
secteur agricole. Quel que soit leur pro- les organismes et établissements finan- compter leur impact direct sur le PIB
jet d’activité, les entrepreneurs doivent ciers fonctionnent et comment mieux national. Certaines politiques de facilita-
pouvoir valider leur modèle d’entreprise structurer leur proposition de valeur. tion doivent être encouragées : simplifier
et atténuer les risques commerciaux la procédure d’enregistrement des entre-
pour pouvoir obtenir un financement. Des lacunes dans le domaine prises, subventionner des taux tarifaires
La région ACP compte de très nom- de l’éducation financière pour les start-up souhaitant acquérir des
breuses start-up dans le secteur de Dans les écosystèmes des pays ACP, les biens et du matériel, et affecter des fonds
l’agribusiness et un nombre croissant possibilités de soutien à la préparation publics au développement des compé-
de start-up de l’AgTech (technologies aux investisseurs demeurent extrême- tences commerciales et entrepreneuriales
agricoles), qui, grâce au soutien offert ment limitées, contrairement à l’Europe des jeunes. Cela permettrait aussi l’émer-
par un programme d’incubation ou ou l’Amérique du Nord. On peut aussi gence d’opportunités alternatives de
d’accélération, ont pu développer leurs supposer que, dans les pays ACP, il n’y a financement qui facilitent l’accès des
projets d’entreprise. Toutefois, ces pas assez d’investisseurs privés ou business start-up à des fonds.
start-up doivent apprendre comment angels qui comprennent suffisamment le Pour les bailleurs de fonds internatio-
monétiser, valider et tester leur modèle secteur de l’agriculture – surtout celui de naux, le développement des capacités est
d’entreprise. Une des principales raisons l’AgTech – pour y investir. On commence un processus qui nécessite énormément
d’échec est l’absence de modèles d’en- toutefois à observer une augmentation de ressources et un transfert de connais-
treprise solides et éprouvés. du nombre d’investisseurs étrangers sances. Un projet de trois ans se contente
soucieux de diversifier leurs portefeuilles parfois d’aller à l’essentiel et ne permet pas
Préparer les start-up aux investisseurs et d’accroître le potentiel de rendement de développer vraiment les capacités dans
La culture et l’éducation financières sont dans l’écosystème. S’il s’agit d’une réelle tout l’écosystème. Les bailleurs de fonds
la clé d’un modèle d’entreprise pérenne. chance pour les start-up, il nous appar- internationaux pourraient mieux coor-
Souvent occupées à essayer de développer tient – en tant qu’acteurs du secteur du donner leurs actions avec d’autres parties
et d’étendre leurs activités, les start-up soutien financier – de veiller à préparer prenantes et acteurs de ces écosystèmes
négligent de mettre en place des systèmes nos entrepreneurs afin qu’ils soient en afin de débloquer des fonds et des méca-
financiers et de tenir soigneusement leur position de présenter un projet finançable nismes de soutien financier qui peuvent
comptabilité. Or, les investisseurs ou les auprès des investisseurs et de négo- contribuer à des programmes à plus long
institutions financières traditionnelles cier les conditions de l’investissement. terme d’aide aux start-up.

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GERALD OTIM Sondage
Investissements : Quel est l'aspect
le plus important
nos conseils pour l'amélioration
aux start-up
Gerald Otim
Cofondateur d’Ensibuuko, de l'accès des
Ouganda.
jeunes leaders de
Les start-up africaines sont les moins “Oui, bien sûr, appelez-moi et on en dis- l'agricusiness au
bien financées au monde : 80 % des cutera.” Ils apprendront ainsi à mieux
financements vont au Kenya, au Nigeria connaître votre entreprise. financement ?
et à l’Afrique du Sud, et la plupart sont Les start-up essayent trop souvent de se
destinés aux start-up FinTech (technolo- justifier en voulant montrer qu’elles sont
gie financière). Ensibuuko, une entreprise une vraie entreprise. Il est important de
ougandaise qui offre des services finan-
ciers mobiles, a reçu un soutien financier et
reconnaître que vos interlocuteurs sont
avant tout des experts et que leur avis
50%
d’incubation en remportant le programme peut vous aider. Apprenez à les connaître La formation et le mentorat pour
Pitch AgriHack en 2013. Nous sommes et, quand vous êtes confrontés à un pro- améliorer la gestion financière des jeunes
impliqués dans un projet du CTA – blème, demandez-leur conseil. Parfois, ils agripreneurs
Market-led User-owned ICT4AG-enabled reviendront vers vous pour demander si
Information Service project – et la start-up
ougandaise la mieux financée. Au cours de
leur conseil a été bénéfique et s’ils peuvent
encore vous aider.
34%
nos recherches de financement et d’inves- Un meilleur réseau et des opportunités de
tisseurs, nous avons tiré les enseignements Ne recevoir que des conseils consolider des relations pour les jeunes
suivants. Il nous est arrivé de recevoir des conseils agripreneurs
alors que nous demandions des finan-
Persévérance
Il faut du temps et des efforts. Nous avons
cements. Mais cela nous a aidés à nous
améliorer. Parfois, après avoir demandé
16%
participé à tant d’événements, d’ateliers et des conseils, nous avons reçu des fonds. Un soutien accru aux jeunes agripreneurs
à plusieurs programmes d’accélérateurs… Nous avons connu une expérience de la part d'investisseurs locaux, des
Nous avons fait de notre mieux pour nous unique avec l’un de nos investisseurs capitaux de risque et des banques
faire remarquer. Ces dernières années, actuels. C’était l’un de nos mentors et il se
nous avons rencontré un grand nombre de rendait régulièrement en Ouganda. Il pre-
personnes, lors de quantité d’événements, nait le temps de nous rendre visite et nous
dans l’espoir de décrocher des investisse- discutions de différents problèmes. Il s’est
ments potentiels. impliqué dans nos activités et s’est investi
émotionnellement en nous connaissant
Les gens investissent dans les gens mieux. Puis, quand nous avons été le trou-
Nouer des relations est crucial. Quand ver avec un bon modèle d’entreprise pour
vous rencontrez un investisseur poten- lui dire que nous avions besoin de finan-
tiel, restez en contact. Les rencontres lors cements pour progresser, il a répondu :
d’événements sont ponctuelles, c’est à “Ok, je vais parler à des investisseurs
vous d’investir dans le suivi. Les investis- au Canada.” Après tout ce temps et les
seurs s’intéressent aux personnes qu’ils investissements consentis, il est toujours Autres débats
apprécient, donc, si vous devenez proches impliqué et nous l’informons de nos avan-
d’eux, ils voudront en savoir plus sur votre cées. Nous savons que nous pouvons lui Visitez les pages Opinion sur
entreprise et pourraient vous recomman- demander conseil et même une nouvelle le site de Spore pour lire l'avis
der à d’autres investisseurs. aide financière. d'un 3ème spécialiste sur le
sujet. Un nouveau débat est
Beaucoup d’échecs avant de réussir Pour en savoir plus sur les services de mis en ligne tous les mois.
Essuyer des refus répétitifs peut être financement en ligne d’Ensibuuko, visitez
frustrant, ne vous laissez pas abattre. Il www.ensibuuko.com ou découvrez les oppor-
http://spore.cta.int/fr/debates.html
est important d’apprendre de vos échecs tunités d’entreprenariat accessibles au travers
et de demander un retour afin de pouvoir du programme Pitch AgriHack du CTA sur
vous améliorer. Les gens vous répondront : http://pitch-agrihack.info/

SPORE 188 | 45
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