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LA POLITIQUE DE RÉGIONALISATION AVANCÉE AU MAROC :

ENJEUX ET ÉTAT DES LIEUX


Abdeljalil Lokrifa, Jean-Yves Moisseron

ESKA | « Maghreb - Machrek »

2014/3 N° 221 | pages 111 à 126


ISSN 1762-3162
ISBN 9782747224536
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Pour citer cet article :


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Abdeljalil Lokrifa, Jean-Yves Moisseron« La politique de régionalisation avancée au
Maroc : enjeux et état des lieux », Maghreb - Machrek 2014/3 (N° 221), p. 111-126.
DOI 10.3917/machr.221.0111
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LA POLITIQUE DE RÉGIONALISATION
AVANCÉE AU MAROC :
ENJEUX ET ÉTAT DES LIEUX

Abdeljalil LOKRIFA1, Jean-Yves MOISSERON2

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Les pays en développement comme les pays développés mettent en place


des politiques de régionalisation qui visent à modifier les rapports entre
l’État central et les collectivités territoriales. C’est le cas de la France qui
vient d’adopter le 18 juillet 2014, une loi réduisant le nombre de régions et
qui se prépare à modifier substantiellement leurs compétences. Il s’agit
pour la France d’une étape supplémentaire approfondissant la première
phase de la régionalisation mise en place après l’élection d’un Président so-
cialiste en 1982, sous le gouvernement Mauroy. C’est le cas aussi du Maroc
qui se prépare à la mise en place d’une régionalisation avancée visant à
modifier la taille et le nombre des régions de son territoire.
Deux points communs existent entre ces programmes. Tout d’abord, il
est souvent fait référence à la compétition internationale et aux efforts que
les régions doivent faire elles-mêmes pour jouer le jeu de la concurrence
afin d’attirer les investissements nationaux ou internationaux dans un
contexte où l’État central n’est plus perçu comme l’acteur principal du dé-
veloppement.
C’est ainsi par exemple que l’argument de la taille des régions a été sou-
vent évoqué dans les débats français. Une région devrait être de taille suf-

1. Abdeljalil Lokrifa est professeur de Géographie à la Faculté des Lettres et des


Sciences Humaines de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech,
2. Jean-Yves Moisseron est chercheur au CESSMA (IRD-Paris 7-INALCO).

© Editions ESKA Maghreb-Machrek, n° 221


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fisante pour être repérable ou lisible par des investisseurs internationaux.


Le projet de régionalisation avancée du Maroc justifie la baisse du nombre
de régions par le fait que : « la compétition économique internationale dans
laquelle s’est inscrit le Royaume exige ne pas disperser ses avantages com-
paratifs sur un grand nombre de régions » (CCR, 32). Un autre point com-
mun réside dans le fait que le Maroc comme la France ont une tradition
étatique fortement centralisée où la question de la délégation des pouvoirs
à des entités infra-nationales pose directement la question de l’indivisibilité
de l’État et celle de son autorité. Malgré leur histoire étatique très diffé-
rente, la France comme le Maroc se sont en effet construits sur des réalités
sociologiques très fragmentées avec la nécessité de construire une Nation
sur la base de populations diverses, d’où la nécessité d’un État fort s’ap-

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puyant sur une réaffirmation constante de l’unité de la Nation.

À cette réalité s’ajoute le fait pour le Maroc de s’être constitué à la fois


dans l’héritage d’une longue histoire, notamment monarchique mais aussi
dans l’affirmation de son indépendance vis-à-vis de ses deux anciennes
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puissances coloniales. Affirmer sa puissance, réunir sous une même auto-


rité des populations à la fois arabes et berbères, supposaient des formes
de centralisation et de contrôle des territoires s’exerçant par une forme po-
litique de gouvernance que l’on désigne sous le nom de Makhzen.

L’autre particularité du Maroc (mais qui se pose aussi en d’autres termes


pour les territoires outre-mer de la France) est la question du Sahara occi-
dental et les propositions d’autonomie faites pour le Maroc pour concilier
l’unité nationale et les aspirations des populations sahraouies. Ces propo-
sitions vont assez loin en terme d’autonomie et créent une dynamique de
régionalisation qui s’étend par contagion à l’ensemble des régions du
Maroc, même s’il est probable qu’une position asymétrique, différenciant
les provinces du Sud et le reste des régions marocaines sera finalement
adoptée (El Massoudi, 2008). C’est dans ce contexte, qu’il semble nécessaire
de replacer la dynamique actuelle de la régionalisation avancée qui est un
projet en cours de réalisation.

1RE PARTIE : LES ENJEUX DE LA RÉGIONALISATION


Les politiques de régionalisation sont très loin d’être un simple aména-
gement technique de répartition des pouvoirs entre l’État central et ses ad-
ministrations décentralisées. En cela, la régionalisation est bien plus
qu’une simple déconcentration. Toute délégation de pouvoirs ou d’organi-
sations conduisant à une plus grande autonomie des acteurs interroge di-
rectement l’équilibre socio-économique mais aussi l’identité d’une Nation.
C’est pourquoi toute politique de régionalisation suscite des inquiétudes
graves de la part des acteurs et peut conduire à des déstabilisations délé-
tères de l’ordre social. La régionalisation touche en fait aux équilibres po-
litiques fondamentaux, aux compromis de pouvoir lentement établis et
stabilisés dans le temps long par les institutions au sens le plus large, c’est-
à-dire entendues à la fois comme organisations médiatrices mais aussi
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comme l’ensemble des règles formelles ou informelles qui stabilisent les


conflits d’intérêt.

Des définitions

Il est possible de définir la régionalisation non pas comme un fait établi


mais comme un processus évolutif : une dynamique de régionalisation est
un « processus de changement de fonctionnalité des institutions territo-
riales du niveau intermédiaire et de construction d’un nouvel espace d’ac-
tion publique ayant pour objet la promotion d’un territoire. » (Marcou,
2002).

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On peut donc considérer que la régionalisation est un processus qui vise
à créer des unités d’un rang inférieur à celui d’un État et au sein de celui-
ci et à déléguer des pouvoirs et des ressources à ces corps intermédiaires.
Ceci s’oppose au régionalisme qui est une « idéologie et des mouvements
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politiques qui demandent un plus grand contrôle sur les affaires d’un ter-
ritoire où ils opèrent, habituellement par l’installation d’un gouvernement
régional. C’est un processus essentiellement bottom-up, décentralisé (du
point de vue du pouvoir), et politique » (Keating & Loughlin, 1997, 5). Le
régionalisme vise en effet à conquérir un certain degré d’autonomie par
rapport au pouvoir central. « Les pressions régionalistes économiques, cul-
turelles et politiques qui émanent de la périphérie ne doivent pas être
confondues avec la réponse régionalisante du centre, dont le but est de
transformer les relations fonctionnelles de l’administration centrale et dé-
concentrée avec les administrés, plutôt que de développer une décentrali-
sation territoriale » (Massicard, 2008).

Malgré tout, la frontière entre régionalisation et régionalisme n’est pas


parfaitement étanche. Le régionalisme comme la régionalisation compor-
tent l’idée d’une remise en cause du centralisme et donc un transfert de
pouvoirs du centre vers des organes périphériques. Les formes de régiona-
lisation peuvent par ailleurs être très diverses. Dans nombre d’États, il y a
des situations intermédiaires où les régions disposent de pouvoir législatifs
plus ou moins limités. Dans d’autres, ce sont des compétences particulières
qui sont délégués sur les infrastructures, la culture, l’enseignement, les
langues, l’aménagement du territoire, le développement régional.

La situation semble d’autant plus brouillée que la régionalisation peut


être saisie à partir de perspectives différentes. La définition de la région
issue du Forum pour une nouvelle Gouvernance Mondiale est instructive à
cet égard : le régionalisme est une « construction politique menée par les
États et matérialisée par un accord, en vue d’organiser les relations entre
des pays et de favoriser la coopération de ces derniers dans divers do-
maines, par opposition à la régionalisation qui est une « une concentration
des flux économiques au sein d’une région géographique donnée ». La pre-
mière est une définition politique, la seconde une définition économique
insistant sur les flux commerciaux. Pour peu que l’on puisse étendre cette
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définition de nature économique aux régions infra-étatiques, on observe


qu’une région peut donc se définir non pas par les décisions politico-ad-
ministratives décidés par l’État, par le haut mais au contraire comme une
réalité économique de concentration des flux (économiques, migratoires)
construite par les acteurs et qui s’impose à eux-c’est à dire une construction
par le bas. La régionalisation peut donc est une réalité de facto, construite
par des acteurs, par exemple des entreprises qui construisent des réseaux
commerciaux ou une réalité de jure provenant d’une décision politique.

On le voit, les définitions précédentes entre régionalisation ou régiona-


lisme dans leur double acception à la fois politico-administrative et éco-
nomique ne permettent guère de fournir un cadre théorique clair. C’est

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qu’en réalité, la régionalisation d’un pays est toujours profondément ins-
crite dans son histoire propre, dans sa trajectoire historique de sa construc-
tion de la Nation. La notion de régionalisation est une catégorie descriptive
qui s’articule cependant avec les évolutions du monde contemporain
concernant notamment la Nation, l’État, la mondialisation.
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Rapport à la Nation

L’un des problèmes essentiels de la construction de l’état moderne est de


construire l’unité Nationale sur son territoire propre et de faire correspon-
dre les structures politiques, notamment au sein de ses frontières avec la
situation de la société. Faire correspondre Nation et État est souvent l’un
des moyens d’assurer un ordre social et de « faire peuple », de faire unité
entre des forces politiques centrifuges. Cela a été tout particulièrement vrai
pour la France qui est marquée par de très forts particularismes régionaux
qu’il a fallu réduire progressivement parallèlement avec la construction de
l’État. « Le fameux Hexagone, lui-même peut-être considéré comme un em-
pire colonial formé au cours des siècles : un complexe de territoires
conquis, annexés, intégrés dans un tout politique et administratif, dont
beaucoup possèdent une personnalité nationale ou régionale fortement dé-
veloppée, et certaines des traditions spécifiquement non-françaises ou anti-
françaises ». (Weber, 1976)

L’idée de la régionalisation a commencé à germer en France dès les an-


nées 50 avec la création des Comités d’Expansion économique régionaux
en 1954. Mais peu de temps après 1961, les programmes des « plans régio-
naux » ont été intégrés dans la planification nationale tandis qu’était créé
le statut des préfets de région, ainsi que la DATAR en 1963, et ce en lien
avec la politique re-centralisatrice du Général de Gaulle. Le référendum de
1969 ayant par la suite échoué, il n’y a ensuite pas de changement jusqu’en
1981.

Mais ce que l’on a observé dans une histoire longue en France ou dans
d’autres pays développés, est valable aussi pour des pays ayant construit
leur identité nationale plus récemment. C’est notamment le cas de la Tur-
quie qui s’est construite dans le traumatisme du traité de Sèvres 1920 qui,
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rappelons-le, prévoyait la création d’un État arménien, un statut d’autono-


mie pour les Kurdes et l’annexion d’une portion du territoire anatolien par
la Grèce. Et tout ceci après la perte de larges parties du territoire Ottoman
dans les Balkans. Ce contexte explique la volonté du jeune pouvoir turc de
construire un état « indivisible » et donc l’uniformisation par la langue, la
destruction de tous les corps intermédiaires et la volonté de casser les ré-
gions « traditionnelles » marquées par des particularismes religieux ou au-
tres, et ce afin d’éviter un morcellement régional pouvant aboutir à la
fragmentation territoriale. Cela s’est par exemple traduit par des change-
ments de toponymes. « L’histoire de chaque département est écrite en fonc-
tion de l’historiographie nationaliste victorieuse (Massicard, 2008).

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Même si la Tunisie et le Maroc ont connu une trajectoire historique dif-
férente, ces deux pays se trouvent confrontés à des problèmes similaires :
comment décentraliser ou conserver des régions sans mettre en péril le
processus de construction nationale par le maintien de particularisme ré-
gionaux trop affirmés ? (Poncet, 1973). L’histoire de leur construction na-
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tionale est plus récente que la Turquie et en partie non achevée si un tel
achèvement peut-être possible. Elle est rendue plus compliquée encore par
le contexte de la décolonisation qui marque encore aujourd’hui l’histoire
propre de ces deux pays. Par ailleurs, elle se forme dans le contexte d’un
monde ouvert marqué par la mondialisation.

Rapport à la mondialisation

Il est frappant de constater que la mondialisation est concomitante de


politiques de décentralisation et de déconcentration. Cela a été le cas de
façon rapide pour les pays d’Europe centrale et Orientale qui ont rejoint
l’Union Européenne, notamment la Bulgarie et de la Roumanie (Boulineau
& Suciu, 2009). L’adhésion de ces pays à l’Europe présupposait la « reprise
de l’acquis communautaire », à savoir l’adoption des dispositions légales
en cours au sein de l’Union européenne et elle imposait notamment la créa-
tion d’agences de développement régional pour une mise en conformité
avec la Charte européenne de l’autonomie locale. L’Union européenne in-
siste sur la dimension locale pour améliorer les services publics et globa-
lement ce qui est désigné par la « bonne gouvernance ». L’Europe joue aussi
un rôle statistique dans les incitations à l’adoption de la NUTS (Nomen-
clature des unités territoriales statistiques au niveau 2 et 3), qui est néces-
saire pour la distribution des fonds structurels et la définition de politiques
de développement régional. Il y avait donc des instruments techniques ar-
ticulés avec des politiques de transferts financiers fortement incitatifs pour
construire une représentation régionale dans ces nouveaux adhérents à
l’Union.

Mais ce mouvement de régionalisation interne concerne aussi les pays


en développement (Olowu, 2001). La raison principale tient au fait qu’après
des années d’adoption de politiques libérales, l’État est moins directement
prégnant dans la définition des politiques économiques (politique moné-
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taire, budgétaire). C’est un acteur économique moins puissant bien que


tout à fait important notamment dans la définition des normes. Son action
se concentre sur les moyens de développer l’attractivité, construire des in-
frastructures, des compétences dans une compétition internationale glo-
bale. D’où la nécessité d’une forme de subsidiarité, de gestion à l’échelle
locale, de décentralisation.

Mais en même temps, la mondialisation exerce des effets de polarisation


dans les territoires : concentration de richesses dans certaines zones, pau-
vreté dans d’autres. D’où un problème d’inégalités territoriales qui mena-
cent la cohésion de l’ensemble. Le rôle des politiques régionales en Europe
comme ailleurs vise donc à compenser ces inégalités. Mais la définition de

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telles politiques suppose un plus haut degré d’information locale. Le projet
de régionalisation avancée au Maroc prévoit par exemple une adaptation
du système statistique national au niveau des régions.
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Rapport à l’État

Les enjeux de toute politique de régionalisation ne s’arrêtent pas au rap-


port à la Nation et au contexte de la globalisation. Cela concerne également
la gouvernance, c’est à dire l’ensemble des rapports des administrations à
l’État. « Pour interpréter cette réforme (de décentralisation), comme d’ail-
leurs celles qui l’ont précédée, il ne faut pas perdre de vue que la décentra-
lisation est d’abord un rapport entre l’État et les collectivités territoriales.
Elle est donc indissociable d’une certaine conception de l’État, et ses ca-
ractéristiques varient en fonction de cette conception » (Marcou, 2004).
Comme nous l’avons indiqué, la régionalisation met en rapport direct la
construction de la Nation et celle de l’État avec des rapports complexes
entre les deux processus : la commission Guichard qui a mis en place en
1975 en France une Commission de Développement des Responsabilités
locales déclarait notamment : « La France en effet a moins construit son
état que cet État n’a fait la France ». Toute décision qui vise à retirer des
Responsabilités locales de l’État une compétence déterminée, pour la
confier à une autorité locale élue, est ressentie comme un démembrement
de l’État, une atteinte à son autorité (Hayward, 1981, 113).

La difficulté dans l’analyse tient au caractère équivoque de toute poli-


tique de régionalisation. Elle peut en effet apparaître comme une déléga-
tion de pouvoir et une forme de retrait de l’État central laissant plus de
latitudes aux autorités locales. Mais cette régionalisation peut aussi s’ac-
compagner d’une réaffirmation de l’autorité centrale mais sous une forme
nouvelle. Dans le processus de la décentralisation, l’État peut devenir le ré-
gulateur des relations entre le centre et la périphérie. Le centre : la capitale,
les régions les plus dynamiques, les plus ouvertes sur le monde, les plus
riches peuvent être mandatées plus ou moins explicitement pour organiser
les relations et le contrôle des périphéries, les zones plus pauvres, les zones
rurales dans la régions dont elles deviennent le pôle principal.
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En fait, sous le couvert d’une politique de régionalisation, le centre peut


tenter de reprendre le contrôle sur des forces centrifuges afin de les incor-
porer de manière différente dans ses structures. Il faut, de ce point de vue,
distinguer : le régionalisme néo-proudhonien consistant en un « fédéra-
lisme politico-économique basé sur des négociations contractuelles entre
des régions autonomes » et une ingénierie sociale visant à « désarmer les
mouvements ethniques, politiques et économiques qui proclament une
identité et des intérêts divergents de ceux fixés par le Centre » (Hayward,
1981, 106) que l’on peut désigner sous le terme de régionalisme fonction-
nel. C’était notamment la thèse de Jean-François Gravier défendue dans le
classique Paris et le désert Français (1947) : la Nation doit être mobilisée
pour « coloniser » les déserts. Comment ? Précisément en s’appuyant sur

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les notables locaux, car : « certaines fonctions confèrent la faculté d’incar-
ner un groupe mieux que tout suffrage (cité dans Hayward, 1981, 107).
La décentralisation correspond donc à une modification du rôle écono-
mique et politique de l’État. Ce dernier n’est plus considéré comme l’acteur
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décisif du développement, comme un état « développeur » comme cela a


pu être le cas dans les période socialisante des années 70s, notamment
quand il s’agissait de construire des bases industrielles financées par le sec-
teur public. L’abandon de cette conception conduit à passer d’une planifi-
cation sectorielle à des politiques de développement régionale.

Autres éléments

La décentralisation concerne également d’autres enjeux que nous ne fe-


rons qu’évoquer. Elle est d’abord mise en œuvre par des forces politiques
qui ont souvent été mises à l’écart du pouvoir pendant longtemps. « Ayant
souffert pendant plus de deux décennies de son exclusion du centre de dé-
cision parisien, la gauche a pleinement ressenti (comme le firent ses pré-
décesseurs sous le Second empire) le besoin de se libérer de l’étreinte en
développant des régions plus authentiquement autonomes. Cela signifierait
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la destruction du vieux système bureaucratique-notable par les deux bouts :


d’une part en mettant fin au rôle d’exécutif régional du préfet, d’autre part
en remplaçant les vieux notables par des conseillers régionaux élus au suf-
frage universel, qui ne seraient pas liés au centre par un cumul de man-
dats » (Hayward, 1981, 117). On retrouve aujourd’hui ces éléments en
Tunisie, en Turquie comme au Maroc. Les partis islamistes ont souvent une
certaine réserve vis à vis de l’État et de son pouvoir. Longtemps écartés du
centre, ils sont plus favorables à un transfert de compétence en direction
d’échelons plus faibles. D’autant que les islamistes en Turquie ou au Maroc
ont fait leurs premières armes à des niveaux locaux de l’administration.
Tayyip Erdogan a par exemple été d’abord Maire d’Istanbul. Le PJD tout
en émettant des réserves soutient l’initiative de la régionalisation avancée

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en cours au Maroc.

Un autre élément qui prend tout son sens dans la période actuelle est lié
à la démocratie. Pour les pays développés, la régionalisation peut-être vue
comme une réponse à la crise de la démocratie représentative qui se traduit
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notamment pas un désintérêt croissant vis-à-vis de la chose publique et qui


se manifeste dans les taux d’abstention élevés aux élections. Pour les pays
arabes, dans le contexte du printemps arabe, la régionalisation est une
façon d’ancrer la démocratie dans ses dimensions locales et régionales et
de construire les bases d’une véritable démocratie participative.

2E PARTIE : UNE RÉGIONALISATION TIMIDE AU MAROC


Les différents enjeux liés à la régionalisation permettent de donner sens
à la politique de régionalisation avancée conduite actuellement au Maroc.
Le projet de régionalisation avancée est lancé depuis 2010 à la suite du dis-
cours Royal du 20 Août. Mais ce processus tarde à se mettre en place, pré-
cisément en raison de la complexité des questions sociétales que cela
implique, tant au niveau local, qu’international. Le projet est actuellement
soumis aux partis politiques qui doivent en discuter (janvier 2015).

L’ambition de doter le Royaume Chérifien d’une structure régionale est


déjà ancienne. Dans le temps long de son histoire, le Makhzen a défini des
frontières administratives pour des raisons de contrôle politique ainsi que
pour des raisons économiques liées à l’impôt. L’époque coloniale a com-
plexifié la structure régionale du fait de la présence de deux mandataires
coloniaux. Le Maroc a été divisé en deux protectorats exercés par l’Espagne
et la France. L’Espagne disposant d’un territoire au nord et dans le sud tan-
dis que la France disposait de la partie centrale du Maroc.

Le découpage administratif sous la colonisation consistait en six régions


de grande taille. Après l’indépendance, les décrets de 1959 ont établi des
divisions administratives fines au niveau des provinces et des préfectures
qui n’ont été réunies qu’à partir de 1971 en sept grandes régions adminis-
tratives, les anciennes préfectures et provinces devenant le deuxième éche-
lon régional.
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Il faut attendre 1997 pour voir la création de 16 régions alors même que
s’opère une timide régionalisation approfondissant les lois de 1992 qui
avaient déjà donné aux régions le statut de collectivité territoriale.

À l’heure actuelle, l’organisation territoriale au Maroc comporte au pre-


mier niveau 16 régions, au second, 75 préfectures ou provinces (13 préfec-
tures et 62 provinces), et au troisième niveau : 1503 communes dont
221 urbaines et 1282 rurales. Les régions sont administrées par un haut
fonctionnaire, le Wali (Gouverneur de région) qui dispose d’un pouvoir im-
portant. Les provinces et préfectures sont dirigées par un gouverneur. Les
niveaux inférieurs sont constitués par des cercles qui sont administrés par
des chefs de cercle et enfin, le dernier niveau est représenté par les caïdats

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en milieu rural et les pachaliks au niveau urbain dirigés respectivement
par un caïd et un pacha. Il existe donc un maillage de l’administration où
le Makhzen est représenté à toutes les échelles territoriales avec une délé-
gation de pouvoir descendant et pyramidale. Cette organisation reflète
l’emprise du Makhzen sur l’ensemble du territoire avec tout un corps de
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fonctionnaires nommés par le centre.

Si jusqu’à présent les provinces étaient considérées principalement


comme les organes décentralisés de l’État central, l’idée que les régions
puissent avoir des compétences, être le lieu de débats et d’arrangement ins-
titutionnel au niveau local, commence à émerger dans les années 90s. La
loi de 1997 stipule déjà que : « Ce nouvel espace de débat, de concertation
et de formation à la chose publique doit indubitablement permettre encore
davantage l’ancrage de la démocratie au niveau local grâce à une plus large
prise en charge par les citoyens eux-mêmes de leurs affaires ». L’article 1
de cette loi dote la région d’une personnalité morale et d’une autonomie fi-
nancière. La région est « librement gérée par un conseil démocratiquement
élu ». Cependant, il s’agit d’un système indirect car « le conseil régional est
composé de représentants élus des collectivités locales, des chambres pro-
fessionnelles et des salariés », ce qui n’instaure par encore un conseil élu
par l’ensemble des électeurs de la région. Le pouvoir des régions reste ce-
pendant étroitement encadré par le gouverneur de la région qui représente
l’État. Non seulement le gouverneur assiste à l’ensemble des délibérations
(il est placé à la droite du Président de région) mais il « exécute les délibé-
ration du Conseil régional (art. 54), il : 1) procède aux actes de location, de
vente, d’acquisition, conclut les marchés de travaux, de fournitures et de
prestations de services ; 2) exécute le budget et établit le compte adminis-
tratif ; 3) prend des arrêtés à l’effet d’établir les taxes, redevances et droits
divers conformément à la législation en vigueur en la matière (art. 55).
Enfin, il représente la Région en justice (art. 56). C’est dire l’étendue des
pouvoirs qui lui sont conférés et qui de fait soumettent le Conseil régional
sous la tutelle de l’État d’autant que le projet de budget est préparé par le
gouverneur.

« Le gouverneur peut ordonner l’exécution des délibérations si le prési-


dent refuse de donner son contreseing dans un « délai de cinq jours à
compter de leur réception ». Il est clair que cette disposition vise essentiel-
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La politique de régionalisation avancée au Maroc : enjeux et état des lieux 121

lement, au nom de la sauvegarde de l’unité nationale, à « dépersonnaliser »


la région en étiolant tout mécanisme en mesure de favoriser l’émergence
d’un « pouvoir régional » viable et à même d’imprimer une vision spéci-
fique de la gestion des affaires régionales. » « Le pouvoir central demeure
le véritable détenteur des outils de diagnostic des besoins et des problèmes
régionaux et le principal aiguilleur des investissements notamment pri-
vés. » (Fakihi, 2006).

Le bilan de la régionalisation est donc jusqu’à présent très limité. Le


Maroc reste jusqu’à présent un État très centralisé. Les Conseils régionaux
ont un pouvoir très limités et sont sous la tutelle du gouverneur qui dispose
de l’autorité de tutelle et qui est ordonnateur. Les régions ne disposent pas

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des moyens de mener un politique autonome, compte tenu de la modicité
de leur budget. Le système d’élection n’est pas ajusté aux régions si bien
que pour les élus, la dimension régionale est moins importante que leur
ancrage municipal.
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On peut donc considérer que malgré certaines avancées, la régionalisa-


tion au Maroc consistait essentiellement à une déconcentration des pou-
voirs centraux au niveau inférieur mais où l’autorité de l’État prime en la
personne du Gouverneur. C’est pour rompre avec ce modèle que le nouveau
projet de « régionalisation avancée » a été lancé à partir de 2010. Reste à
savoir s’il est susceptible de créer des conditions nouvelles ou le Président
élu du conseil régional incarnerait la nouvelle figure du pouvoir régional.

3E PARTIE : LE PROJET DE RÉGIONALISATION AVANCÉE


La Commission Consultative de la Régionalisation (CCR) chargé de pro-
poser un nouveau projet de régionalisation dit « régionalisation avancée »
a été mise en place en 2010. Elle concrétise la volonté Royale d’avancer sur
ce champ de réforme qui s’est manifesté dans plusieurs discours notam-
ment celui du 3 janvier 2010. La CCR a produit un rapport en 2011 et c’est
à ce rapport que nous allons essentiellement nous référer pour indiquer ce
qui devrait changer si ce plan est effectivement adopté. Nous y emprunte-
rons l’essentiel des citations qui suivent.

Tout d’abord, le projet de régionalisation est clairement affirmé comme


un processus top-down qui s’inscrit et se réclame d’une volonté royale « de
doter le Maroc d’une régionalisation avancée, d’essence démocratique et
vouée au développement intégré et durable sur les plans économique, so-
cial, culturel et environnemental ». Le rapport du CCR insiste tout d’abord
sur le fait que la régionalisation n’est en rien une atteinte à l’unité de la Na-
tion et à l’autorité de l’État. C’est une façon de répondre à deux des enjeux
que nous avons évoqués précédemment et qui se posent toujours quand
des réformes de ce type sont mises en place, d’où le besoin de réaffirmer
sans cesse l’indivisibilité de l’État et l’unité de la Nation : « en s’engageant
sur la voie de la régionalisation avancée, l’État marocain pérennise, sous
l’égide de Sa Majesté Le Roi, représentant suprême de la nation, la pléni-
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tude de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et de son unité poli-


tique, législative et judiciaire. L’État continuera d’exercer l’ensemble des
fonctions régaliennes, communément assurées par les États unitaires. »
(CCR, p.5). La régionalisation est par ailleurs considérée comme « d’es-
sence démocratique » et placée dans la continuation des réformes de 1997
et tente d’articuler démocratie et développement. « La régionalisation avan-
cée apportera une contribution déterminante au développement écono-
mique et social du pays, à travers la valorisation des potentialités et des
ressources propres à chaque région, la mobilisation des différents acteurs
locaux, la participation à l’élaboration et à la mise en œuvre des grands
projets structurants et le renforcement de l’attractivité des régions » (CCR,
5).

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Mais d’autres objectifs sont également poursuivis de manière indirecte.
Il s’agit notamment de « libérer davantage l’esprit d’initiative » des citoyens
mais aussi des élus ; de « réduire » les pesanteurs bureaucratiques ; de
« promouvoir l’intersectorialité et la territorialisation des politiques pu-
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bliques » afin « d’améliorer l’efficacité de l’action publique » ; et enfin de


« favoriser un environnement démocratique, largement participatif, pro-
pice à la bonne gouvernance ».
On reconnaît aisément dans tous ces objectifs, les mots d’ordre d’un État
qui s’inscrit dans les réformes de la « bonne gouvernance » afin d’ouvrir le
plus d’espace aux marchés en concentrant l’action de l’État non pas sur des
interventions directes mais sur les conditions de la concurrence. Il s’agit
notamment de favoriser les relations contractuelles entre les régions et
l’État plutôt que l’exercice direct de sa tutelle. Les activités de contrôle se
concentrent sur des procédures a posteriori plutôt qu’un contrôle a priori.
Pour mettre en place des contrats, la région doit jouer un rôle beaucoup
plus important dans la définition des politiques publiques : notamment par
« l’émergence de la collectivité régionale en tant que partenaire privilégié
de l’État en la matière et par la reconnaissance de sa prééminence pour
coordonner et intégrer les visions, les plans et les programmes des autres
collectivités territoriales impactant la région » (CCR, 6).
L’autonomisation des régions suppose naturellement des moyens finan-
ciers accrus. Un fonds de solidarité nationale abondé par l’ensemble des
régions permettra de procéder à des péréquations. Par ailleurs un fonds de
mise à niveau sociale sera dévolu pendant 12 ans au rattrapage des régions
accusant un déficit dans les infrastructures ou les services sociaux de base.
Ce fonds visera notamment la généralisation à l’accès à l’eau potable et à
l’électricité ainsi qu’à l’éradication des bidonvilles. Par ailleurs, ce fonds vi-
sera à aligner l’état des infrastructures de chaque région au niveau national.
L’évaluation financière s’élève de 10 à 20 milliards d’euros environ.
L’un des points importants est la possibilité pour les régions de lever di-
rectement des taxes « adaptées aux spécificités de chaque région », « sans
alourdir significativement la pression fiscale nationale » (CCR, 18), notam-
ment dans les aéroports et les gares ferroviaires. Par ailleurs, les Conseils
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La politique de régionalisation avancée au Maroc : enjeux et état des lieux 123

régionaux pourront avoir accès au marché obligataire. Les régions de-


vraient ainsi gagner en autonomie financière et disposer de davantage de
moyens.
Les ressources viendront également des ressources affectées aux régions
par l’État. Elles recevront une part plus importante des produits de l’impôt
sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu. Le produit des droits d’enregis-
trement et de la taxe spéciale annuelle sur les véhicules automobiles sera
partagé à part égale par les régions et l’État. Par ailleurs, au niveau central,
afin d’avoir une meilleure visibilité sur les efforts déployés par l’État en di-
rection des régions, la loi de finance devra être ventilée par région. Pour
mettre en œuvre ces nouvelles compétences, chaque région créera une

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Agence Régionale d’exécution des projets (AREP) destinée à l’appuyer sur
le plan technique.
Le but est de passer d’une mode de gestion par allocations à un mode
de gestion par projets avec la mise en place d’indicateurs de suivi. Le but
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étant d’optimiser les moyens en accord avec les stratégies globales de l’État.
L’engagement de l’administration est cherché via une meilleure implication
des fonctionnaires, des formations adaptées et un intéressement adéquat.
Enfin, le principe de transparence et de publicité des comptes rendus, des
comptes financiers doit être appliqué dans le nouveau projet. Les contrat-
programmes entre l’État et les régions viendront définir les conditions de
la déconcentration des politiques publiques qui devront se décliner au plan
territorial. Ce qui est notable dans ce projet réside dans l’adoption du vo-
cabulaire et des mots-d’ordre de la « bonne gouvernance » et ce à un niveau
encore très élevé de généralité. Il paraît assez clair que ces dispositions de-
vront être complétées par des textes réglementaires plus précis qui auront
tendance à se diversifier selon les régions.
La délimitation des régions a fait l’objet d’une tentative de choix objec-
tivé : « fonctionnalité économique ; pôles de développement intégré ; rela-
tions et interactions dynamiques, actuelles et prévisibles entre les
populations concernées » (CCR, 7). Il est précisé en particulier que la poli-
tique de régionalisation s’inscrit dans la continuité des politiques inté-
rieures et qu’il « ne résulte pas d’un quelconque accommodement avec des
particularismes ethniques, culturels ou confessionnels plus ou moins exa-
cerbés » (CCR, 7).
Dans les propositions en discussion, il est prévu que les membres du
Conseil Régional ayant une voix délibérative seront élus au suffrage uni-
versel direct. D’autres membres, notamment les députés de la région et les
présidents de chambres professionnelles n’auront qu’une voix consultative.
Ce point fait l’objet de contestation car il ne serait pas conforme à la Consti-
tution tandis que l’élection de l’ensemble du Conseil régional au suffrage
universel direct paraît être la condition de la légitimité du Président du
Conseil afin de lui permettre d’équilibrer le pouvoir avec le Gouverneur.
La proposition va cependant dans le sens de l’autonomisation du Conseil
Régional puisque son Président sera en charge de l’application des délibé-
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124 Abdeljalil LOKRIFA, Jean-Yves MOISSERON

rations du Conseil. Rappelons que dans le dispositif actuel, c’est le gouver-


neur qui assure cette tâche. Le Président du Conseil Régional devient logi-
quement l’ordonnateur ce qui n’est pas non plus le cas dans le dispositif
actuel.

Le projet de régionalisation insiste à la fois sur les questions de genre


qui doivent être prises en charge par les régions, notamment par la mise
en place de « commissions genre », et sur la démocratie participative afin
que les citoyens puissent s’impliquer dans la définition des plans de déve-
loppement. Des instances de concertations avec les associations ou les or-
ganisations professionnelles sont ainsi prévues dans chaque région pour
développer des partenariats publics-privés. En matière de développement

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économique, les régions sont amenées à jouer un rôle important, non seu-
lement en élaborant le plan de développement régional sur le territoire qui
les concerne mais aussi en contribuant au plan de développement national.
La région devra adopter une vision et un plan de développement dans les
domaines économique, social, culturel et environnemental et aussi établir
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un schéma régional d’aménagement du territoire. Malgré tout, ces plans


devront tout d’abord recevoir l’aval de l’État pour être mis en œuvre (CCR,
14) ce qui est perçu comme une limitation abusive de la part de certains
opposants. Pour mener à bien ses nouvelles fonctions, la région disposera
normalement d’une prééminence sur les autres collectivités territoriales de
rang inférieur. Les domaines de compétences des régions s’étendent à la
promotion des investissements et de l’emploi, ainsi que dans les domaines
de l’eau, de l’énergie, de l’environnement, de l’éducation, de la formation,
de la culture et de la santé. Les régions ont des responsabilités dans les tra-
vaux d’infrastructure et d’équipement pour renforcer l’attractivité écono-
mique de la région ; en matière d’habitat social ; et enfin de mise à niveau
économique et sociale du monde rural et de soutien aux populations en si-
tuation précaire.

Le nombre de régions prévues dans le nouveau projet se monte à 12 ré-


gions plutôt que les 16 régions actuelles. La proposition de régionalisation
avancée contient une véritable réflexion géographique et politique condui-
sant à une stratégie de définition différente selon deux grands types de ré-
gion : le domaine « atlantique, méditerranéen et intermédiaire » et le
domaine « ultra atlasique », de part et d’autre d’une ligne Sud-Ouest/Nord-
Est. La première, la plus riche et la plus peuplée (87% de la population)
est soumise à un principe fonctionnel de polarisation urbaine pour la dé-
limitation des frontières des régions. L’idée est donc d’organiser les régions
à partir d’un pôle urbain ou deux et donc de prendre en considération le
développement du Maroc et son urbanisation. Dans les régions de l’est et
de l’intérieur, le principe dominant est celui de l’homogénéité en tenant
compte de « l’importance reconnue de ces contrées sur les plans historique,
environnemental, culturel, et géostratégique (zone frontière) ». (CCR, 33).
Les limites des régions de cette zone ont été proposées par ailleurs en consi-
dérant à la fois l’accessibilité et la proximité. Le premier concerne la dis-
tance kilométrique tandis que le second « renvoie à une distance
relationnelle, la région devant être un lieu d’identification et un cadre d’im-
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La politique de régionalisation avancée au Maroc : enjeux et état des lieux 125

plication des acteurs locaux où les citoyens partagent un minimum de re-


pères communs et perçoivent, globalement, un tel espace régional comme
pertinent » (CCR, 33). Il existe donc deux types de régions, les unes, les
plus développées étant « polarisées » tandis que les autres, les plus pauvres,
ne le sont pas.

La politique de régionalisation s’appuie donc sur une opposition struc-


turelle entre deux types de région où des critères différenciés sont pris en
compte selon la nature des région : polarité urbaine dans un cas, homogé-
néité pour les autes.

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CONCLUSION
Le Maroc semble donc engagé dans un processus de régionalisation
avancée qui devrait substantiellement changer les modes de gouvernance
entre l’État et les régions s’il est conduit jusqu’à son terme. Beaucoup d’in-
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terrogations demeurent cependant. Le premier porte sur la durée du pro-


cessus puisque le projet de régionalisation avancée a été annoncé, il y a
presque quatre ans. Les annonces de séances de concertation avec les partis
politiques ont souvent été reportées. Le texte qui a finalement été soumis
en 2014 aux différents partis politiques a fait l’objet de réserves y compris
de la part du PJD et de rejet de la part de quatre partis d’opposition (Istiqlal,
PAM, USFP et UC). Ceux-ci ont rédigé un mémorandum indiquant leurs
point de désaccords qui portent essentiellement sur le caractère inachevé
ou décevant du projet qui d’après eux, ne va pas assez loin et qui surtout
maintient des prérogatives excessives au Gouverneur. Les arguments avan-
cés relèvent des contradictions entre les dispositions de la nouvelle Consti-
tution de 2011 et la proposition de loi organique. Par exemple, l’article 146
de la Constitution prévoit une loi organique unique pour l’ensemble de la
gouvernance des collectivités territoriales. Le projet de loi proposé devrait
donc concerner non seulement les régions mais aussi les municipalités, les
provinces et les préfectures. Il est également reproché au projet de ne pas
tenir compte des spécificités culturelles et du patrimoine immatériel des
régions ou de procéder de manière trop graduel dans le transfert des pou-
voirs de l’État aux régions.

Ces réserves s’expriment alors même que l’agenda politique sera parti-
culièrement chargé au Maroc avec une année 2015 qui sera marquée par
plusieurs scrutins importants. Au mois de juin, se tiendront les élections
régionales et communales, d’où l’importance des dispositions légales sur
les régions. Les élections des Chambres professionnelles se tiendront en
juillet, les élections aux Conseils préfectoraux et provinciaux en aout.
Enfin, en septembre la Chambre des Conseillers sera réorganisée confor-
mément à la nouvelle Constitution.

La conjonction d’une année fortement marquée par des échéances élec-


torales et le projet de régionalisation avancée peut donc exacerber les dé-
bats sur la régionalisation et induire des considérations politiciennes ou
purement stratégiques avancées moins pour examiner en toute sérénité un
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projet de loi organique que pour tenir des positions dans l’arène politique
au niveau national ou local. La question des découpages, mais aussi le
degré d’autonomie locale seront des points d’achoppements dans les op-
positions à venir, ce qui risque finalement de retarder un processus déjà
très lent à se mettre en place. Il est probable enfin que le projet actuel soit
amendé en fonction de différents arbitrages avec les forces politiques qui
s’y opposent mais qui ont finalement tout intérêt à ouvrir un espace poli-
tique nouveau où elles pourront renforcer leur ancrage local.

RÉFÉRENCES
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