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ÉDUCATION CULTURE:

RÉFLEXIONS SUR CERTAINS

DÉVELOPPEMENTS DANS LA

RÉGION COLOMBIENNE

DU PIRA-PARANA

STEPHEN HUGH-JONES*

in août 1996, la population de la région de la rivière Pini-Paranâ, un endroit

F reculé du sud du département colombien du Vaupés, s'est rassemblée pour


discuter de l'éducation dispensée dans la zone et proposer de nouveaux pro­
grammes moins préjudiciables à la culture traditionnelle et plus en phase avec
ses propres besoins. La réunion par l'ACAIPI, l'Asociaci6n des
Capitanes dei Rio une organisation indigène locale, et la
Fondation une ONG colombienne ayant affiliations
nationales, a réuni des représentants de toutes les communautés et villages, cer­
tains principaux (chamans) et un groupe Étaient,
en revanche, absents les habitants malocas (maisons communales) encore
existantes et presque toutes les femmes.
précisément, étaient le député local de l'Assemblée
départementale, lui-même la région, deux représentants
basées dans la capitale
de la division de l'ethnoéducation du ministère de
vU'-'!UU!U''''U!

l'Education, également originaire d'une autre partie du Vaupés.


La rencontre a défini les grandes lignes d'un plan quinquennal visant à
développer un programme d'études et de formation d'une équipe
d'enseignants locaux volontaires sous l'initiative 9u nouveau (Projet
d'ethnoéducation institutionnel) du ministère l'Education et sur la base
conclu entre l'ACAIPI et organismes extérieurs.

* Université de C .. rnhrirl",f' rlt<n"rtf'mf'n d' arlthr()pol~:>jüe sociale

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DOSSIER

Pour tous ceux qui connaissent bien cette région, il s'agit là d'un
événement sans précédent. Qu'une telle rencontre ait pu aboutir témoigne des
profonds changements qui sont intervenus dans la partie la plus traditionnelle
de la région du . Qu'elle ait des personnes aussi importantes
est également ré ur des radicaux de la politique indigène
de la Colombie, qui ont eu lieu au cours de ces trois dernières
décennies, en 1991 avec l'adoption d'une constitution.
Une description et une de cette réunion 1996 permettent
de déterminer comment ces changements globaux ont la population
d'une zone locale particulière.
Il est focalisation sur la langue et sur la culture ainsi que
sur les efforts à faire revivre ou à empêcher le des traditions est
à leur comme source politique le contexte
politiques La réunion de 1996 a particulièrement
mtéressante à cet La explicite la culture apparaît
comme un facteur relativement nouveau dans la zone du Pirâ. Mais,
important, la population a été à réfléchir sur le contenu de cette
culture traditionnelle, sur ces formes, sur la manière dont elle est
enseignée et transmise ainsi que sur l'importance ces traditions.
prise conscience s'e en partie, par le besoin de mettre sur
pied un nouveau frogramme s compatible avec les traditions et qui
tout en facilitant 'acquisition nouvelles formes de connaissance
d'un contexte culturel différent renforcerait son Mais est
également le produit d'un moment historique particulier d'un ensemble de
circonstances locales qui ont permis à la population comparer
lsellgnemem modernes et traditionnelles et d'examiner leur interaction.
"E'.,,,,,,uv',, mtén!ss,mts le joué par les
personnes présentes à la réunion et la façon dont leurs différents
sont agencés. réunion a rendue grâce à une
organisation communautaire marquant une rupture dans l'équilibre des
pouvoirs entre les anciens et hommes instruits, et entre les
locaux et ceux d'une communauté plus large. Si la rencontre a
tensions et contradictions résultant de cette rupture, son
également montré la capacité la population à les
Cette a un la
population locale, qui ne pas souvent
nombre de personnes dont la présence des
changements intervenus dans la politique indigène gouvernementale. Ces
changements et leur impact sur le mouvement indigène ont fait l'objet de
débats et d'analyses nationales dans une série d'articles Gros
(1991,1992,1994, 1996, 1997) et dans ceux de qui font explicitement
référence à la région du Vau' 1989, 1991, 1994, 1995). Plutôt de
prolonger ce débat, je ici à compléter ces analyses en aaootaltlt
une approche plus locale et anthropologique. Concernant l'histoire de cette
région, je souhaite montrer comment la population locale a adapté et modifié
les formes culturelles et existantes interpréter et répondre aux
pressions et comment la modification l'environnement a favorisé
un nouvel pour la culture et créé une conscience ethnique.

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ÉDUCATION ET CULTURE. RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

DU COMMERCE À LA CULTURE: ...,...,>..... .L,", D'HISTOIRE


Je commencerai par souligner les changements intervenus au Pira-Paranâ
depuis ma première en 1968 et expliquer pourquoi cette a été
amenée à jouer un rôle spécifique dans les politiques d'identité du

1968, le style de central qui parlent


des langues la famille substantiellement
modifié par les activités négociants et celles Les
exploitants du caoutchouc avaient employé les habitants du durant
deux booms du caoutchouc, le premier depuis 1890 jusqu'aux vingt, le
durant et la deuxième guerre mondiale. 1914, les
missionnaires catholiques avaient, pour leur part, ordonné à la population de
quitter leurs maisons communautaires familiales ou malocas pour aller vivre
dans des villages où pouvait être plus facilement contrôlée et instruite. La
politique d'éducation des missionnaires visait à éradiquer les parUCluarnes
linguistiques et culturelles qui empêchaient l'intégration de ces «sauvages»
indiens dans une nation «civilisée». Les étaient obligés d'aller dans
des (pensionnats), souvent contre la volonté leurs où on
leur interdisait de parler leur propre langue et où le programme d'études ne
aucune référence à leur culture locale. La mission colombienne
a pris la suite Montfortiens et a continué cette
politique jusqu'à la fin des années le Pira, la zone
la plus reculée du Vuapés abrite encore des populations Tukano vivant
les malocas traditionnelles et conservant une façon de vivre qui caractérisait
autrefois toute la région.
La plupart des Tukanos vivent dans le bassin du Vaupés. Le Pira-Parana,
un affluent de l'Apaporfs, est coupé du Vaupés et fait partie du système
Caqueta/Japurâ. Avant la création de terrains d'atterrissage, la zone du Pira
était une zone difficile et dangereuse mais son ne
s'explique pas simplement par son éloignement. Les difficultés et les
étaient autant psychologiques que physiques et le résultat d'actions politiques
et de décisions prises en toute conscience par la population elle-même. Des
conflits avec les exploitants caoutchouc et l'assassinat de nlwnt\T'pnv
balateros au début des années trente ont conféré aux habitants du Pira une
mauvaise réputation renforcée par le fait qu'ils avaient l'habitude de cacher
malocas le long de petits cours d'eau au lieu de les établir le long
principales
L'isolement était en lui-même un moyen politique permettant à la
population de ses propres leçons son expérience limitée de l'extérieur
et d'apprendre indirectement contacts avec ses plus acculturés. Les
groupes Tatuyo et Makuna de la source et de l'embouchure de la
rivière principale étaient parmi plus exposés aux contacts avec
.Iv...." ......, par voie de conséquence, le de tampons protégeant
amSI groupes de Tatuyo, Makuna, et les groupes Barâ et
Taiwano. Cette période d'isolement relatif a touché à sa fin lorsque la

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DOSSIER

catholique et missionnaires américains du Summer lnstitute of Linguistics


établirent bases dans la zone à la fin des années Alors que
('pr'HlI'np." personnes souhaitaient maintenir leurs distances, d'autres, à la

recherche de marchandises, d'instruction et de médicaments, ont commencé à


abandonner leurs malocas pour s'installer dans de petites maisons
rassemblées autour des installations du d'atterrissage, de l'école et du
médical.
Ce processus d'ajustement a été suivi par une nouvelle politique des
missionnaires catholiques visant à diminuer leur impact dans cette zone
encore traditionnelle. Cette politique, plus était le résultat de
l'adoption par les de la théologie de la libération et du soutien
apporté par le gouvernement au programme d'éducation bilingue du SIL,
soutien qui faisait ainsi une menace sur le contrôle exclusif de
l'éducation exercé jusque les Le a construit
d'atterrissage et des avant-postes près des malocas
appris les langues locales, développé l'orthographe, et établi des petites
écoles. Les catholiques ont, quant à eux, érigé une église de style indien et
une où ils ont sur pied un programme d'éducation primaire
intégrant en partie les locales. La mission s'est du
Pini en 1987, que les du SIL ont été CPl1p"p"'''''rH
réduites par la guérilla.
Les missionnaires ont eu un impact économique significatif. Après le
de l'industrie du caoutchouc, le travail sur terrains d'atterrissage et
les constructions ont fourni une nouvelle source pour Indiens
tandis que les magasins des missionnaires satisfaisaient demande croissante
de biens de consommation. Cette période a été suivie par le boom colombien
de la cocaïne. Zone bénéficiant plusieurs
faits pour les le Pirâ est devenu le lieu idéal pour la production de
cocaïne d'autant que l'utilisation traditionnelle de la coca par les Indiens
en faisait une réserve «naturelle» de matières premières. Lorsque le de la
cocaïne a chuté, l'attention s'est tournée vers les mines
dernière activité a principalement les Makuna vivant
principaux gisements d'or dans le sud.
L'arrivée missionnaires a coïncidé avec des duturos
(<<docteurs»), le terme indien pour désigner chercheurs scientifiques. Au
moins huit anthropologues et trois linguistes ont des recherches dans
la et six documentaires y ont été réalisés. Depuis cette les
contacts avec des professeurs, des éducateurs, des équipes des
et d'autres représentants de l'État et gouvernement local n'ont pas
cessé d'augmenter. Tous ces flux ont marqué un déplacement des relations
essentiellement commerciales que les Indiens entretenaient avec une
population non indienne qui, la plupart, dans la mais ne
faisait de brèves visites En même tous ces
étrangers a créé de nouvelles opportunités économiques et politiques.
Auparavant les Indiens n'étaient que des travailleurs, élèves ou patients;
aujourd'hui ils sont aussi employés, enseignants ou assistants médicaux.

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ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAiNS DÉVELOPPEMENTS

Ces nouvelles opportunités ont donné naissance à une nouvelle de


gens instruits et a entraîné une demande d'éducation. La réunion a
d'ailleurs été en grande partie organisée par ce nouveau groupe de jeunes
hornmlBs et, en dehors de l'importance accordée à la tradition culturelle, elle a
aussi été un symptôme et une expression de leur enthousiasme pour la
modernisation.
Le flux de ces étrangers s'intéressant aux Indiens a permis aux
populations locales de prendre davantage de leur culture et de leur
identité d' «Indien». Lors de ma première visite dans la la «culture»
était largement implicite et la plupart du temps acquise sans instruction
Cette culture implicite, commune à toute la population de la zone,
contrastait avec ses manifestations plus conscientes telles que les fêtes
cérémonielles et avec les plus concernant le territoire, la
'"u,.,w~, les noms, les chansons, les incantations et les mythes. Vus de
'exlténeur, les groupes se par droits exclusifs sur une
partie de cette culture rituelle; de l'intérieur, les groupes et les clans se
classaient selon un ordre hiérarchique. Sur un plus personnel, la
connaissance et la maîtrise de plusieurs aspects de cette cùlture
fondaient le statut individuel de dirigeant, chanteur, danseur ou
relations préférentielles des anthropologues avec ces experts ont
permis mettre en exergue la réputation des anciens et leurs questions ont
redonné de l'intérêt aux manifestations qui auparavant soit exprimées
inconsciemment ou tombées en désuétude. Toutefois, leurs cahiers de notes,
les collections ethnographiques et les films ont une suspicion à
leur en raison de la valeur commerciale réelle ou supposée assumée par
ces manifestations de la culture.
L'identité quant à elle, liée au contexte. Elle était essentiellement
exprimée en termes de parenté, de langage, de lieu et d'origine. La population
UA"J'"'''''''' ses parents immédiats, son appartenance à un clan particulier
localisé et la place de ce clan dans l'ordre hiérarchique; elle savait que ceux
parlaient le même langage d'un différent
voisins; et elle connaissait les noms et l'existence des populations plus
éloignées parlant Tukano qui toutes avaient leur place dans
un grand schéma vaguement structuré. Mais elle n'avait encore aucune idée
d'une identité générique en tant qu' «Indiens du Pirâ-ParanlD> et encore moins
en tant qu' «Indiens du Vaupés» ou «Indiens colombiens».
Sous l'autorité des missions, la «culture» en tant qu'ensemble des
coutumes indigènes, croyances, et style vie était considérée comme un
obstacle sur le chemin de la civilisation. Lorsque des anthropologues ont
accusé les catholiques de ruiner cette culture, la mission a, tout d'abord,
cherché à recruter ces scientifiques comme conseillers. Plus
HU.>~!\JlllJ.'Ul'''~ se sont appropriés l'anthropologie et ses notions «culture»,
en se présentant comme leurs véritables défenseurs. Ils ont attaqué les
anthropologues en les accusant vol et d'exploitation de ce qui appartient
aux Indiens. les Indiens, cette ambivalence à l'égard
anthropologues est alors devenue de plus en plus et manifeste dans le
L'influence de la a à ce titre ,", ..""uu,,,.

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DOSSIER

Sous l'ordre nouveau la de la libération, les ont


appréhendé la «culture» indigène et les conséquences de sa préservation ou de
sa perte d'une manière radicalement différente. Ils ont ainsi demandé aux
Indiens retourner dans leurs maIocas. De plus, que certaines de ses
caractéristiques demeuraient inacceptables, la culture indienne était désormais
considérée comme étant plus largement compatible avec le message
catholique, une vision par le SIL. Mais l'instruction dispensée par
les missionnaires ne pas seulement ce qui était enseigné
formellement à l'école. intégrait également un nouveau régime
alimentaire, habitudes physiques, de nouveaux vêtements, une
nouvelle technologie et un nouvel ordre social. Les habitants du Pira avaient
aussi déjà retenu des leçons de leurs contacts avec les exploitants du
caoutchouc et leurs voisins les plus acculturés. Pour eux il était que si
culture avait connotations positives, elle était aussi mamtestl~mlent
incompatible avec la civilisation ou la modernité. fût exprimé clairement
au cours de la réunion par la discussion portant sur la honte éprouvée par les
gens à aux danses et autres pratiques traditionnelles. Il en est de
même compte-rendu de la réunion qui signale «apprendre à s'organiser en
communauté» comme l'un des bénéfices de l'instruction l . Dans la zone du
le besoin de créer des communautés de village a largement d'une
initiative locale et non directement des missions.
La constitution de 1991, qui reconnaît la pluralité ethnique, culturelle et
linguistique de la nation colombienne, ainsi que les différentes de
l'éducation indigènes a également grandement contribué à la crolss~mœ
de conscience par les Indiens du Pirâ de leur culture et de leur identité.
la décentralisation des services éducatifs et la fin du monopole de
sur l'éducation, ces réformes la de la
ethnique et culturelle et visent à donner aux indigènes un plus grand
contrôle sur l'organisation, la présentation et le contenu de l'instruction qu'ils
recon'en1[L Pour les populations comme pour les autres, la notion de
«culture» désigne dorénavant explicitement une particularité ethnique
comportant des droits et des privilèges spécifiques; c'est aussi une ressource
qui peut perdue ou récupérée. De significative, le
compte-rendu la réunion consisIère «la connaissance droits et des
devoirs chacun reconnus par l'Etat» comme un avantage de l'éducation
occidentale, et distingue ses inconvénients «la perte de valeur de la
tradition culturelle»; ,<la non reconnaissance de l'identité indienne»; et «la
honte des Indiens à participer à leurs propres coutumes».
Si cette nouvelle conception la culture est plus explicite, elle est aussi
plus restrictive. La «culture» est plus en plus utilisée pour un
choix limité de ses traits les plus caractéristiques et exotiques comme les
parures plumes, danses traditionnelles et les mythes. Avec la langue,
ces éléments sont sensés tous les peuples et les
distinguer populations blanches. Dans la zone du Pirâ il est justement
notable que dans un contexte bien différent, exactement ces mêmes éléments
déterminent l'identité des individus et permettent de les situer dans les clans

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ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

et autres groupes plus larges constituant la base de l'organisation sociale


traditionnelle. Toutefois, au delà de ce système local, la population a
maintenant commencé à considérer ces rites comme les éléments d'une
nouvelle identité pan-indienne.
population du Pini a depuis longtemps conscience qu'à la suite
l'activité des missions dans la région centrale du elle détient
encore les coutumes ancestrales. Pourtant, récemment, un changement est
intervenu dans sa perception des avantages et des inconvénients relatifs liés à
ce statut «de région la plus traditionnelle». En 1968, elle souffrait de la
pénurie de biens de consommation et savait les autres Indiens du Vaupés
la considéraient comme une population pauvre et attardée. Aujourd'hui, cette
population s'affiche comme la gardienne d'une authentique culture et vend
des en plumes et des chamaniques aux voisins
culturellement plus qui lui envient l'attention dont elle est l'objet de
la part d'un nombre croissant de riches et de prestigieux étrangers. A leurs
yeux comme aux yeux des autres, ils sont de «véritables Indiens» ou de
«réelles persorme:s»

LA RÉUNION ET SON ORDRE DU JOUR


réunion de 1996 est le fruit de rencontres entre la
Fondation Gaia et l'ACAIPI, ainsi que d'une de visites d'un
anthropologue de la Gaia dans presque toutes les communautés et malocas
afin de réaliser un sondage sur la perception locale de l'éducation. au
même titre que la population locale, est consciente des opportunités ouvertes
en matière d'éducation par les réformes gouvernementales et de la nécessité
qu'ont autorités locales d'élaborer des propositions viables à mettre en
œuvre sous l'égide des PEI Une demande des Capitanes (l'autorité politique
des communautés locales) a conduit à un accord pour une rencontre
entre l'ACAIPI et Gaia: l'ACAIPI se voit la nourriture et
l'organisation, tandis Gaia doit s'occuper des transports locaux et meUre
à disposition une de consultants.
Le lieu la une maloca dans le village Barasana de
Miguel. est en lui-même révélateur : San Miguel est le lieu de la première
mission catholique; et le choix de la maloca au lieu de l'établissement
scolaire explicitement l'importance des notions et
d'identité indienne. Chaque possède au moins une maloca,
matérialisant la tradition culturelle qui est utilisée COmme lieu de rencontre et
centre de Ces malocas de village sont significativement
à une de et de l'église, maintenant ainsi une
se~,anLllO>ll voulue entre la tradition et la vie moderne. Elles sont tenues par
anciens choisis pour leurs savoirs traditionnels.
La façade la maloca a spécialement repeinte pour la réunion et,
durant la réunion, a fait office de source incessante
représentations et de réflexion. L'avancement quotidien la réunion se
mesurait de la porte arrière à l'avant-scène, les pajés fournissaient «un toit

CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N° 23 101


DOSSIER

protégé» pour les délibérations, et plusieurs ont révélé un certain


l'atmosphère conviviale malocas, la population ayant
choisi de vivre dans des séparées. L'emplacement des
participants à la réunion au sein même la maloca a également
l'ordre traditionnel d'organisation de l'espace dans ces maisons: alors que
anciens occupaient le centre, les jeunes hommes ont été placés devant, les
femmes derrière et éléments au milieu. Les Capitanes
à des pupitres disposés en demi-cercle; l'organisation du occupait
tables juste derrière la porte de les quelques femmes présentes
étaient quant à assises bien à l'acte final la réunion a été
signé sous la boîte pendue au centre sous le toit, et contenant les de
plumes cérémonielles.
La plupart des discussions ont été conduites en Barasana et en Makuna,
deux langues qui dominent la zone. se sont tenues en Barâ,
en Taiwano et en Tatuyo. Les actes ont été en espagnol pour les
étrangers et le savoir des a été expliqué à une audience peu familière
des rites initiatiques et incantations Pour ceux
'O"'~HU-'" l'espagnol, les jeunes ont eu recours à des métaphores "'~",U'V_U
pour traduire les discours des bureaucrates dans des idiomes locaux,
expliquant avec succès la structure organisationnelle complexe et la
législation spécifique du système éducatif colombien à une génération plus
âgée vivant encore dans un monde fondé sur des prémisses radicalement
différentes.
Le comité organisationnel, élu au début comptait deux
- un jeune Makuna ayant une du monde
extérieur, et un Tukano originaire du centre du mais travaillant au
comme professeur, aussi un secrétaire un Taiwano traducteur
au SIL - et un : un professeur Si la maloca a symbolisé
la tradition, à l'inverse l'habileté de la présidence du Comité, la procédure
bureaucratique, J'ordre du jour écrit, les prudentes prises de notes et les
comptes-rendus ont sans aucun doute souligné la modernité la
manifestation.
L'ordre du jour la réunion, rédigé sur un large papier épinglé sur la
façade de la maloca donne une claire des centres d'intérêt de la
population et sujets en Il se lit comme suit: «Qu'est-ce que
l'éducation? Quel est son objectif? Quelle sorte d'éducation souhaitons-nous?
Que voulons-nous que nos enfants apprennent et pourquoi?
Qu'est-ce qu'apprendre? Comment la population apprend-elle ­
traditionnellement; en comparaison avec le monde des blancs?
Comment J'éducation a-t-elle été dispensée dans la région du Pin!?
plan du PEI).
Quels ont les et de cette éducation ? Quels
sont les problèmes <>n","""1'''''' sur le monde des blancs et
traditionnellement?
Quel rôle membres hommes et les
femmes vont-ils jouer dans l'éducation

102 CAHIERS DES ru.."'''''v


ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTArNS DÉVELOPPEMENTS

Comment renforcer notre culture? La professionnalisation comme


solution.
JJ"'''U'''>l'JH d'une proposition pour une éducation appropriée à la région
du Pirâ par rapport à la législation sur l'éducation indigène.
Discussion des propositions avec les représentants du gouvernement.»
Plutôt que de revenir sur l'ordre du jour je concentrer
mon attention sur les principaux des débats, à d'éducation», la
«culture», l' «identité» et la «communauté». Je commencerai par la «culture»
et «l'éducation» qui ont été comme deux éléments opposés et
j'essaierai de déterminer en quoi une «perte de culture» était une
préoccupation majeure. Je me pencherai ensuite sur la formation de l' ACAIPI
et les questions d' «identité» et «communauté» avant de en
considération les différentes catégories d'indigènes et de participants
extérieurs présents à la réunion.

ÉDUCATION ET CULTURE: UNE MÉSALLIANCE INDIGENE


La pression sur la terre et le conflit avec les étrangers qui ont donné leur
force aux mouvements indigènes dans les hautes terres colombiennes n'ont
en un significatif les plaines. campagne
contre l'exploitation des Indiens par les récoltants de caoutchouc dans le
Vaupés n'a pas été le fait de la population indigène mais plutôt le résultat
d'une entre journalistes et la mission catholique; c'est cette
dernière qui a également contribué à fonder le CRJVA, le Conseil régional du
Vaupés indien, l'organisation indigène la plus ancienne des basses terres (voir
aussi Jackson 1994 : 389). La création du resguardo du Vaupés
qui garantit aux Indiens leurs droits territoriaux résulte également d'une
inttiative extérieure pour laquelle le président de Gaia, travaillant alors pour
l'Etat, a joué un grand rôle. ces circonstances relativement favorables,
l'affirmation de l'identité indienne n'a pas de relation avec une menace
pesant sur la terre. Elle est plutôt liée à la menace de la perte de la culture, ce
qui explique la priorité donnée à l'éducation dans l'ordre du jour de la
réunion (voir aussi Gros 1994 : 146).
Autrefois, la population du Pini se préoccupait essentiellement de
commerce et non d'éducation: comment obtenir des biens manufacturés tout
en minimisant les contacts avec un extérieur craint pour sa brutalité et pour
maladies qu'il véhiculait? La capacité de contrôler directement la
population blanche était faible, mais là où c'était possible, la population
indienne préférait aller travailler dans les campements de caoutchouc ou dans
les missions plutôt que de étrangers parmi eux. La nature du travail
et le de protéger femmes vis-à-vis des impliquaient la
médiation des hommes pour pratiquement tous les contacts avec l'extérieur.
Les armes de chasse et outils en acier importés étaient essentiels pour
la production alimentaire, mais aux biens de consoinmation et leur
distribution à travers le troc jouaient et continuent de jouer, un rôle
important dans le système de prestige, donnant à certains chefs un contrôle

CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N


Q
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DOSSIER

sur des fédérations fluides et entre communautés autonomes


vivant en maloca. L'acquisition des biens des populations blanches était par
elle même une de contrôle. Posséder des armes, des
vêtements et autres biens appelés gaheuni le même terme que celui servant à
désigner les biens cérémoniels était un moyen de réparer l'évidente
'U"I-'U""''''' entre Blancs et Indiens. désir d'une égalité matérielle continue
important aujourd'hui et explique la demande de biens
consommation et leur étalage public, notamment par la jeune génération (voir
S. Hugh-Jones, 1988, 1992).
La population est depuis longtemps consciente évidents de
l'instruction - durant la réunion, ils étaient identifiés dans l'apprentissage de
la lecture, de l'écriture et la langue espagnole, l'utilisation de la monnaie et
la capacité de négocier avec les Blancs. Quelques de cette zone
avaient déjà envoyé leurs enfants les écoles des missions et lorsque les
missionnaires sont finalement arrivés sur place, beaucoup se sont montrés très
à l'encontre leur nouvelle politique qui appuyait la culture
lDdllge:ne. Ils un internat en bonne et due forme et l'enseignement
du vrai espagnol et non des constructions folkloriques et une instruction
bilingue rudimentaire. demandes ont été réitérées au cours de la réunion
et certaines préoccupations se sont manifestées concernant
l' «ethnoéducation» qui ne qu'un pâle substitut de la «vraie éducation».
La réunion de 1996 a coïncidé aussi avec une querelle sur l'or. Le Capitan
de San Miguel avait, en effet, favorablement accueilli une équipe de
prospecteurs allant ainsi à l'encontre d'une décision antérieure de l'ACAIPI
interdisant à étrangers d'exploiter dans le resguardo, et
l'ACAIPI, soutenue par Gaia, a alors demandé une commission
gouvernementale. Il a donc été qu'une de la réunion
consacrée aux discussions sur cette question. de cette proposition a
un changement dans les priorités entre conunerce et éducation ainsi
les anciennes sources de revenu fondées sur r extraction et
nouvelles sources de revenu et d'emploi à l'éducation et à
l'alphabétisation. Après la réunion, les avions pour transporter les
visiteurs ont amené sur place une délégation du ministère de
l'Environnement, Mines et de l'énergie. L'ACAIPI est restée attachée à sa
décision laquelle les concernent toutes les
communautés de la zone et demeurent une affaire collective et non celle
d'un seul Conformément à cette position, la délégation a finalement
ordonné aux prospecteurs quitter les lieux.
Si la réunion a mis en évidence un intérêt croissant pour l'instruction, elle
a également des préoccupations relativement nouvelles sur ses
conséquences les plus négatives. Ont ainsi été condamnés la des
avec leur culture et leur identité, leur moral et leur manque de
respect à l'égard des plus âgés, le déclin de la vie conununautaire et de ses
valeurs et la générale des connaissances et de l'expérience, tout
étant conune les d'un d'éducation n'ayant
donné population qu'un pouvoir dans sa définition, son

104 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N°23


ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS St:R CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

organisation et son exécution. Le compte-rendu de la réunion les


effets pervers de l'éducation la manière suivante : «elle dévalue la culture
traditionnelle de la population; elle ne reconnaît l'identité indienne; elle
favorise les intérêts personnels pour les des populations
blanches. La population a honte de pratiquer ses coutumes; le désordre
s'installe dans les fiestas traditionnelles. Les jeunes ont tendance à quitter
vv•.'uu~.~'uw pour besoins»3.
La réunion a suscité un examen de conscience et une réflexion
remarquable concernant le processus d'apprentissage traditionnel et son
opposition avec l'éducation et les problèmes issus de l'introduction d'une
école conventionnelle. Au même titre que l'opposition spatiale entre l'école et
la maloca à laquelle il a été fait référence, «l'éducation» et la «culture»
considérées comme opposées. «Apprendre» considéré comme un
processus oral, informel, pratique, moral, où les parents comme
jouaient un rôle majeur. En revanche, l' «éducation» était perçue comme un
orocessus d'alphabétisation, formel, abstrait et pragmatique, marginalisant le
du pajé et favorisant avec l'introduction des écoles l'abandon de la
responsabilité parentale. Le nouveau programme d'études proposé consacre
une section entière à «l'orientation sexuelle)) avec un renouveau du pouvoir
des parents et de la communauté sur les de moralité. Il met
l'accent sur le fait que si parents et souhaitent revivre
la culture traditionnelle et lui redonner sa ils doivent également
pratiquer ce qu'ils prêchent. Une des conditions pour être candidat aux cours
de professionnalisation qui vont être offerts stipulait comme indiens les
candidats devaient connaître la culture et ses valeurs, se montrer actifs et
part aux fiestas traditionnelles4 •
L'accent sur les fiestas est congruent avec l'importance accordée aux
aspects plus ritualisés et plus conscients de la culture en définissant également
l'identité et les positions sociales. L'accent mis sur les fiestas s'explique par
l'importance aux principaux aspects rituels et conscients de la
culture définissant l'identité et la position de chacun. Il révèle aussi
une certaine tension latente causée par l'affaiblissement de l'autorité
pajés et par la création de nouvelles formes de attachées à
l'acquisition d'une certaine connaissance du Pour les
participants, les rites effectués par pajés autour de la naissance, des
premières menstruations et de l'initiation des hommes constituaient les
principaux moyens de transmission du savoir traditionnel, tout en
le rôle des pajés dans la détermination de la place des individus dans la vie
adulte. Mais des voix se sont également élevées pour dénoncer le que le
processus maintenant rompu et la culture avait perdue en
du des pajés de transmettre savoir. Quant aux pajés et autres
personnes âgées, ils ont accusé les jeunes d'un manque d'intérêt et de volonté
d'obéir aux strictes jeûne et d'abstinence conditions
incontournables selon eux, pour tout apprentissage correct. Il est révélateur
les critiques concernant les pajés ont été majoritairement le fait
noIJmn(~s qui avaient reçu un début d'instruction lorsque la catholique

CAHIERS DES AMÉRIQUES LA TINES N° 23 105


DOSSIER

avait commencé à travailler dans la région mais dont l'éducation fût


interrompue 10rsqu'eHe avait dû se Ces hommes, les successeurs
potentiels des pajés et sont pris entre et
entre deux de prestige.

EN QUOI LA «PERTE DE CULTURE» EST-ELLE IMPORTANTE?


Ce nouvel pour la «culture» a plusieurs origines. Diverses
comparaisons avec ses voisins ont permis à la population locale réaliser
qu'elle encore chose que autres et qu'ils
cherchaient maintenant recouvrer. Des comparaisons récentes entre les
et les personnes ou entre le village et la ont, par ailleurs,
rendu la menace de la de la culture bien réelle. L'afflux d'étrangers
mt(~res;sés par une région connue pour ses traditions a ""'UV!.,'',",
potentiel du maintien de l,a culture. c'est aux militants
anthropologues, à ceux de l'Eglise et aux mouvements indigènes que la
population a une la «culture». Comme l'observe Jackson
(1994 : 399), la même façon que les Indiens se sont considérés
comme un peuple distinct et différent de ses voisins, ils sont maintenant
conscients de leur culture.
Jackson (1994) a raison d'affirmer que, dans la réalité, la culture se
produit socialement, se détermine historiquement et est à une
adaptation constante, à des modifications et à des improvisations par
hommes. Elle n'est pas un «objet» statique ou un ensemble d'éléments qui
peut être possédé, conservé ou Néanmoins, il est important de se
demander d'où vient cette autre perception de la culture et comment elle s'est
adaptée aux idées Il existe une certaine affinité entre les anciennes
notions dépassées la culture en tant tradition illustrée par
des rites et des mythes, que le mouvement indigène a repris des militants
anthropologues, et la vision indigène d'un ordre intemporel sur
l'héritage ancestral un passé mythique, constitué des parures
cérémonielles tangibles et des droits à des biens moins comme les
histoires sacrées et les chants démontrés au cours d'exhibitions rituelles.
propriété culturelle peut être entre des individus et
peut décliner ou être oubliée comme interdite ou par des
étrangers. En conclusion, si on a donné à la culture, en tant que réalité qui
être conservée ou perdue, un nouveau sens et une autre importance dans
contexte relations dans le Pirâ, elle avait un précédent
clair l'ordre traditionnel et donc d'un ensemble d'idées déjà
existant.
Le capital symbolique qui définit la position sociale et l'identité
individus et des groupes reste principalement entre les mains des plus anciens
dont la position et l'autorité dépendent de maîtrise du savoir rituel et
cours la réunion, les anciens se sont du manque de
et du de la connaissance et des coutumes non d'une «perte
culture». Ceux qui ont davantage parlé de de la culture» et de la

e
106 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N 23
ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

nécessité de lui donner une nouvelle force et valeur sont des jeunes hommes
instruits, notamment des enseignants qui ont chargés de préparer les
propositions pour un nouveau programme Les se
montrent davantage par la menace pesant sur leur et sur
leur statut ainsi que sur la progressive de leur contrôle sur les jeunes
obtenu par leurs connaissances et pouvoirs rituels. Leurs griefs à propos de la
de de manioc, des gens boivent égoïstement dans leurs
maisons et des malocas où les gens ne se rassemblent plus pour fumer,
mastiquer la coca tout en discutant révèlent leurs regrets face à l'érosion d'un
certain de vie autour de la et qui définit «véritables
gens».
Parce que la «culture» a mis en exergue les avantages d'une nouvelle
générique la génération la plus dont l'instruction et
l'alphabétisation s'effectuent au détriment de l'apprentissage traditionnel
maintenant pression sur les personnes afin qu'elles leur enseignent ce
qui leur manque et qu'ils le partagent tous ensemble. Mais si ceci est en
parfaite avec le nouveau contexte dans se trouvent enserrés
les jeunes, un tel de savoir peut être source de conflit avec les pajés et
les autres personnes la dépend leur maîtrise du savoir
culturel qu'il secret ou partie l'identité
cette préoccupation concernant la perte de cette culture plus
ésotérique et plus liée à l'identité du groupe, les participants ont également
fait entendre des d'une toute autre sorte. Parce que les n'ont
pas accordé d'attention aux connaissances et aux aptitudes de la
population locale, plus jeunes ont perdu la maîtrise pratique
l'environnement dont dépend l'économie locale. Ils ne savent plus utiliser la
grande variété des ressources alimentaires et dépendent donc de plus en plus
d'aliments et d'équipements provenant de l'extérieur: à peu, ils ont ainsi
leur capacité à se débrouiller seuls. ce problème s'est
avérée essentielle en faisant conscience aux du danger par
la disparition des aspects pratiques et implicites la «culture», aspects
importants qui sont éclipsés la focalisation sur une culture rituelle et
explicite, que les politiques encouragent. La professionnalisation
proposée suite à la réunion vise donc à réaffirmer et la valeur d'un
savoir local en constituant un nouvel enseignement sur la base de ce est
connu. En même temps, la reconnaissance des de savoir
uuAFo"'''.... '' supprime que seuls ceux qui ont reçu une éducation
formelle peuvent devenir professeurs. Cette disposition qui a
l'approbation autorités éducatives locales est une partielle à
méfiance qui existe à des indigènes amenés autres
parties du Vaupés en raison du manque de gens du Pirâ avec une formation
suffisante.
mis lors la sur la de
revitaliser la culture traditionnel1e ne doit pas être pris comme une eXI)re~;si(m
de la résistance à un processus de modernisation mais comme une
partie d'un processus dans lequel le mouvement a joué un

CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N° 23 107


DOSSIER

rôle actif et souvent enthousiaste (voir aussi Gros La population de la


du exprime le de combiner ce considère comme ce
y a de mieux dans les deux mondes et de recueillir les bénéfices d'une
grande dans la société nationale sans pour autant sa
culture et son même si cela revêt une signification différente selon
l'âge et l'expérience des participants.
Dans le compte-rendu de la réunion, l'ethnoéducation est considérée
comme un processus qui permettre à la population du Pira revaloriser
et de renforcer sa culture ainsi que d'acquérir à l'extérieur des formes de
connaissance qui lui permettront de se développer dans le monde
d'aujourd'hui 5 • Moins formellement, les parlent leur désir
«combiner les deux une qui une changement dans la
façon dont les étrangers sont perçus. Dans la cosmologie traditionnelle, la
population Pira se situait au centre d'un concentrique et
hiérarchiquement ordonné, reléguant les Blancs à une position moins
favorable sur le bord extrême où ils auraient été envoyés dans temps
ancestraux. Les pajés utilisaient alors leur pouvoir pour maintenir les Blancs
TpT1mp,mp,nt à leur et les de s'approcher centre où
vivaient les personnes». Les étrangers étaient ainsi exclus des
relations bilatérales et égales réservées aux mariages et autres échanges entre
groupes Toutefois, en tant que détenteurs pouvoir
technologique, Blancs à la supérieurs et inférieurs; sur un
plan pratique, la résistance chamanique combinée à une nécessaire mais
limitée conciliation afin d'assurer l'approvisionnement en marchandises
aussi S. 1988; 1994).
L'image de «deux côtés» implique une reformulation ce """.'"u.'"
cosmologique. Auparavant les Blancs avaient un statut ambigu au delà de la
des interactions humaines normales et c'étaient eux qui refusaient de
rester à leur Aujourd'hui ce sont Indiens qui les placent activement
au centre de scène comme des égaux avec qui un dialogue ouvert est
apr1are:nte inéluctabilité des formes de contact a
remplacée par une de conscience laquelle la population
dorénavant un rôle dans la détermination de son destin et dans le
maintien de sa culture et son identité.

L'ACAIPI : PROBLÈMES D'IDENTITÉ ET DE COMMUNAUTÉ


Dans le Vaupés, 3 354 ha. du resguardo sont habités par des
groupes parlant différentes Tukano. En théorie, un resguardo unique
établit un contexte pour une collective ici d'Indiens
vaupesinos, liés entre eux par des droits territoriaux communs. selon un
modèle issu hautes il engendre la nécessité de mettre sur
pied une structure administrative, un communautaire ou cabildo, pour
gérer le resguardo. Cependant, dans la réalité, plusieurs facteurs ont rendu
difficile l'affirmation de cette identité collective et la création d'un corps
administratif unique.

108 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N°23


ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

raomonnf:llelnerlt, les
même culture et formaient un e'lcti>,,",," "'''-''''''U1
"H','-'<~"U" à l'intérieur la communauté; était
rapport à l'existence de sous-systèmes régionaux et des
AVl,'U,""v" sur la langue, le clan ou la maison communale S.
Avec la nouvelle constitution et le développement du
'''''''15''''''-', les et linguistiques ont
Lors de la ceci fut particulièrement
l',vvv,,un,,, pour une ethnoéducation qui décrit la région du Vaupés
et 20
IJv,,~.o;;;uç la plus
culturelle et biologique de la forêt et du pays» que comme
une zone où la «culture et le savoir traditionnel sont le mieux conservés» et
qui souhaite une valeur à culturelle de chaque
ethnique»6.
La ri'f,prpn('p à la diversité biologique montre la volonté
préoccupations des étrangers concernant l'environnement.
l'affirmation laquelle les groupes correspondent au
'""i">"F,", une culture, une nation» est avec la rhf:tOllqlle
le Vaupés, l'idée la diversité et
",,,~,,,,,,,,,, correspond à des similaires et celle selon
et des privilèges doivent être "tB,,'''''~
""""''!'''''' vont à l'encontre des de formation d'une
régionale De manière tout à fait significative, Jackson cite un
leader du CRIVA pour «la population voulait en finir avec l'idée de
groupes isolés ... au d'une unité, afin tous groupes puissent se
retrouver comme (1994 : 395-6).
Le CRIVAl est représenter tous les Indiens du Vaupés et leurs
organisations Il semble donc être le désigné pour
administrer le et sa population. en le CRIVA est
politiquement par d'innombrables problèmes: concurrence
entre dirigeants corruption; divisions entre tradition et modernité,
entre les jeunes et vieux; tensions autour de la notion d'ethnie et
frontière (voir Jackson 1994). La population du Pira a la
dernière à au sein du CRIVA. Selon l'ACAIPI, le CRIVA est
éloigné et n'a jamais représenté ses intérêts ni une culture à laquelle elle
s'identifie. De l'organisation sait les et le gouvernement
préfèrent traiter avec les plutôt qu'avec
bureaucrates Alors que pour le lui seul doit«UIJ'lHL"'U''-''

l'aide en provenance du et des l'ACAIPI sait que, sous


l'autorité du ne verra sans doute bénéfices de sa
position bien et qu'il serait plus de négocier
directement. La réunion à laquelle nous avons assisté est une affirmation de
cette nouvelle indépendance.
Dans le passé, la cornmummté sans limites
partageant une terre "nr'pct.." a cependant

CAHiERS DES AMÉRIQUES LA TINES N° 23 109


DOSSIER

favorisé la d'une nouvelle identité


intérêts communs et capable de conclure des affaires avec les
étrangers. Les tensions inhérentes au CRlVA se retrouvent, à moindre échelle,
au sein de l'ACAlPI. Certaines d'entre elles ont durant la réunion.
L'apparition villages au détriment la a altéré un modèle
d'organisation malocas rassemblant différentes
langues temporairement sous d'un homme
influent. Les sont des communautés par une
population même langue sous la élu. Durant
la réunion, ont représenté leur et non leur groupe
d'appartenance Mais les Barasana et représentants des
villages les ont eu tendance à dominer ceux communautés
Tatuyo, et et des groupements d'intérêts se sont encore
manifestés, concernant notamment le choix du lieu où se déroulerait le cours
de formation et les langues qui seraient utilisées. La solution adoptée - faire
circuler la formation dans différents villages et toutes les langues ­
s'est avérée politiquement astucieuse mais difficile à mettre en pratique. La
réunion fut, en elle-même, un test de la nouvelle identité et de la
nouvelle capacité organisationnelle collective de aux
décisions concernant les et le refus dans
les mines d'or, elles montrent une volonté de donner de la
communauté la plus vaste sur les intérêts particuliers.
La mouvement allant d'une identité fondée sur les
AUvUU'V régionale plus a le
contenu de et questions politiques qui en ont découlé. Les
politiques traditionnelles concernaient souvent le statut des clans au
sein d'un les de mariage
échanges que le de vivre dans un lieu
qui toutes l'héritage culturel marquant
continuent à importantes aujourd'hui. Toutefois, de
aucune n'a été soulevée la réunion. L'accent a plutôt
préoccupations communes concernant la culture et sur la
distinction entre la population du Pirâ et les autres Indiens du Vaupés, sur la
défense d'une identité attachée à une partie du resguardo et sa
participation aux
Avec l'intégration national, la '1uo;;,;:,u,-m
est aussi devenue celle et de la communauté. Dans
l'idéologie une nouvelle démocratie les
populations de «culture», et de
«communauté» sont Il existe, par ailleurs un
commun selon lequel les des basses terres se caractérisent par des
biens communs, le et un fort sens de la communauté (voir
Jackson 1994 . 396). la création de resguardos supposerait le
maintien de certaines d'organisation communautaire. En la
«communauté» peut imposée, comme cela est arrivé dans
central, ou créée par la population locale aux dépens des anciennes

110 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N°23


ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

d'organisation. Dans l'ordre traditionnel, la maloca une rèSldelnce


communautaire. Au delà, la communauté n'était pas attachée de façon
permanente à un lieu, mais avait des expressions temporaires dans rites
effectués une où les autres invités (voir S.
Hugh-Jones 1993).
Dans le Pirâ, presque la moitié de la population vit encore dans des
malocas, habitants ont des villages parce qu'ils représentent la
modernité et le progrès, qu'ils permettent d'accéder à l'éducation, de
bénéficier d'autres et, enfin, parce qu'ils sont devenus nécessaires
U~F,~V'Y' avec les étrangers. Le conflit entre le village et la maloca a
réunion et de nombreux participants ont que l'apparition des
avait une rupture partielle dans un système rituel qui est la
colonne vertébrale de l'organisation communautaire traditionnelle et avait
donc conduit à un déclin de la communauté au sens moral du terme.
Le entre les nouvelles et les anciennes formes de communauté se
reflète dans la position ambiguë du représentant du village ou Capitan ,
institution qui est l'adaptation ancienne de chefferie. La
sép,aration traditionnelle entre rituelle du et l'autorité '"''''''''~'"~''''
du de la a été et étendue lorsque des missionnaires et
des négociants ont nommé de puissants individus comme Capitanes et comme
intermédiaires. Ces hommes ont souvent choisis pour être
traditionnels: à travers leur travail dans missions et dans la collecte du
caoutchouc, ils ont des d'espagnol et acquis
COlrnalSS:illces du extérieur. En ce sens, bien position se
sur une base différente, ils sont les homologues plus de la nouvelle élite
composée de jeunes hommes 'HC"""",,",.
La division du travail entre Capitanes, avec les étrangers, et les
pajés, s'attachant davantage aux affaires rituelles internes, va de pair avec la
division entre la maloca lieu rituel et le sécularisé.
Capitanes parlent au nom de la culture traditionnelle mais leur titre, leur
village et leur organisation, l'ACAIPI, n'ont pas de légitimité traditionnelle.
Les changements dans la nature des contacts avec l'extérieur, le nouvel accent
mis sur la traditionnelle et l'importance de l'éducation et de
l'alphabétisation font maintenant peser des conflictuelles sur leur
position. part, les Capitanes ont maintenir alliances avec
les jeunes ayant suivi une instruction d'autre part, ceux qui n'ont pas
une de la ont besoin du soutien
des pajés. Le de l'ACAIPI est lui-même instruit d'un Capitan
Makuna et pajé, et en dehors professeur Tukano présent dans la réunion,
autres membres du comité d'organisation tous les d'hommes
puissants de cette sorte.

PROFESSEUR: UN STATUT AMBIGU


Les Professeurs d'école se trouvent dans une position fort contradictoire à
l'égard de leur culture. Leur statut dépend d'un savoir et d'aptitudes
étrangers. ils sont constamment contraints d'approfondir leurs connaissances

CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N° 23 111


DOSSIER

afin mener à mission et jouer leur important rôle dans


l'organisation la et dans les négociations avec les étrangers
pour qui formation est exceptionnellement adaptée. Mais ils sont aussi
souvent très proches des mouvements indigènes. Ils peuvent aussi
mettre à profit pour analyser d'un point de vue radical la
situation de leur peuple. Mais qu'un nouveau savoir est habituellement
acquis aux dépens de de certaines réalités plus proches, ils
sont contraints de avec leur propre culture et
contribuent par à la perte future de la
Comme Gros l'observe, «c'est à ceux qui dans un certain sens ont le plus
perdu de cette culture, qui savent le moins, dont l'identité est la plus floue et
parfois la plus le mouvement s'adresse et demande
construire le de la culturelle, des valeurs
traditionnelles, droit à et à (1994 : 147).
Il existe un conflit buts de et le type
d'expérience et en œuvre. Les
participants à la tout à conscients, ce qui explique
qu'ils aient souhaité connaissent à la fois leur propre
culture et vivent en ce savent. Cette situation place les
professeurs amenés d'autres du Vaupés dans une position
particulièrement difficile. la population locale, ces professeurs sont de
facto les représentants de la société blanche: ils appartiennent à d'autres
groupes, parlent d'autres langues et en outre, en espagnoL Us
menacent tout spécialement les et ne sont pas bien placés
pour enseigner ou défendre la culture locale connaissent relativement
peu. Cette contradiction évidente a été avec précaution mais tout le
monde est tombé d'accord sur le le remplacement des professeurs
étrangers devait être une priorité majeure.

LES
De nombreux pajés ont
en vivant dans des malacas
contacts avec de nombreuses personnes, cette ,...,"u"", p'ynl1l111IP
pourquoi les pajés les plus connus la
majorité participé à la conférence.
statut fixe mais dépend de la réoutaltion
pajés doivent faire attention à la
leur savoir. Participer ouvertement à une
COIISlQlere comme prétentieux et comme un
afin de mettre en valeur sa position
d'un pajé local ayant reçu une reconnaissance dans le cadre du
d'ethnomédecine de l'hôpital régional pour cette
pajés ont cherché à donner leur opinion ainsi conseils pour
protéger la population du mal et assurer le parrainage et le succès de la
rencontre. Ceux qui ont assisté à la conférence ont très Toutefois,

112 CAHIERS DES ",",,,,...,,mc LATINES N°23


ÉDUCATION ET CULTURE. RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

ils ont fait l'objet de grandes Leur présence a été


hautement remarquée et a servi à appuyer la valeur la culture traditionnelle
et à la légitimer. Le respect montré la population locale à leur égard a
également permis d'améliorer entre les hommes les plus
âgés et les jeunes gens plus Il a aussi permis de masquer les
contradictions potentielles qui ont à surgir lorsque l'on tente
d'intégrer la culture indigène au scolaire. Venant de personnalités
non indiennes, ce respect a contrebalancer le fait qu'en cherchant à
maintenir la culture, ils doivent souvent traiter avec ceux qui en sont le moins
représentatifs.
Tous les pajés ne soultlell1dralell1t nécessairement les objectifs de la
réunion. Il existe une entre leur conception de la culture
traditionnelle et celle souhaitent la faire revivre. n a été
comme enseignants ou comme
Aussi séduisante
doivent partager leur
discrilmÎllat()ire pourrait entrer en
ce appartiennent à gro,upc;s
secret(~s qui ne doivent pas être connues
intégrante de l'autorité du pajé.
scandale l'idée selon laquelle les Am"..",,,",,,,
<>ntl, ..".v\lr\lt11l'c illustrés par des photos replresentaltlt
rites secrets pourraient être dans le cadre de l'enseignement comme
une illustration du passé. La question du paiement des pajés a "'1'>'''''',.,,''',:1<
soulevée. Les pajés sont pour leurs services rral[1mOflll1eI:S,
doivent maintenant exercer en tant que professeurs, ne
également être ? La conférence a décidé qu'ils ne devraient pas
recevoir de revanche leurs besoins seraient pris en
l'effort qu'ils consacrent à tâche.

PRÉSENCES ABSENTES
fenunc;s à à cette conférence
."'.'""""" avec l'extérieur sont traditionnellement
VIF,.tUU''''''vu et le style de la ont très "'''''',-".u,-,'.''
montré cette comme étant une
pressions exercées pour qu'elles se conforment à leurs
expliquent relativement peu de femmes aient suivi une instruction
secondaire ou eu une expérience significative du
Même celles ont une telle instruction ou PY'''''n,p"",," p:arvlennerlt
utiliser leur savoir dans le cadre d'une
déménagement maloca vers un village et
rituelles de la au cours de la conférence plus
politiques sont également révélateurs. les
femmes façon relativement limitée aux aspects ouvertement
la culture. Mais leur vitale contribution économique était

CAHIERS DES LATINES N° 23 113


DOSSIER

rituellement (voir C. 1979) et elle est "Vlwlall.lll\,l1


reconnue par le prestige attribué à femme qui assume la direction
associée de chaque communauté de maloca. Encore aujourd'hui, les femmes
jouent un rôle économique essentiel et de tout à fait
significative que, lors la discussion sur la production alimentaire,
femmes ont été à assister à la réunion. Mais comme les plus anciens
l'ont observer, les femmes aujourd'hui d'un prestige moins
important au sein d'un village.
Tous ceux qui ont assisté à la réunion ont sacrifié l'autonomie de leur vie
au sein de la maloca pour de nouveaux matériels et sociaux au sein
du monde plus étendu du village. Durant la le coût
de ce choix a souvent considéré comme une non pas simplement
de chose dans la l'identité indienne mais
ensemble de valeurs intrinsèques aux dynamiques internes d'un
ordre social auquel tous encore souscrivent à un degré variable. ordre
comme le système qui lui est était et est encore fondé sur
le régime productif et à la maloca. Les habitants des malocas
encore existantes ont fait un choix politique qui a été confirmé en demeurant
à de la Participer au cours de proitesslonmllls:atlc,n
contradictoire avec ce choix.

«CONSULTANTS OUI,

POLITICIENS PEUT - LE

de tous les présents lors de cette


loin de mes préoccupations premières. Je me restreindrai donc ici à quelques

replrèse:nte 90% de la population du


vote revêt un poids dans les politiques des
Toutefois les politiciens ne sont actifs que depuis peu dans la zone du Pini. Le
Delegado représente la zone du Pira et des traces de la campagne
électorale sont encore visibles sur les t-shirts à son bénéficie d'un
évident, la entre le mouvement et les
hommes politiques du parti traditionnel se reflète néanmoins dans plaintes
qui lui ont été adressées ainsi qu'aux deux représentants de l'instruction
locale, concernant la et le clientélisme des et des
fonctionnaires locaux de l'éducation et de la phénomènes qui
affectent en définitive de service le Pira.
Dans la nouvelle politique indigène de la Colombie, la démocratie
participative, l'autonomie locale, la déçentralisation et l'auto-développement
participent du selon «l'Etat aidera ceux qui s'entraident» (voir
Gros 1997). qu'elle soit souvent bien reçue par la base, la politique
indigéniste est imposée par le haut. L'ethnoéducation en est un exemple. Le
Ministre et les autorités locales sont sollicités pour développer
programmes d'etlmoéducation pleinement en phase avec la culture locale et
les conditions comme il est stipulé dans la législation récente.

114 CAHIERS DES AMÉRIQUES LA TiNES N°23


ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

, Mais comme ce que représente l'ethnoéducation n'est toujours clair, ni la


façon dont elle doit être dispensée, et comme elle est présentée sous une
forme que la population locale ne comprend pas ou ne veut pas toujours
saisir, les initiatives venant de la base et vraiment sont souvent
difficiles à trouver. ont faite représentants
autorités locales au COpfS la réunion. Pour eux, comme pour le
représentant du ministère de l'Education, la réunion a été appréhendée
comme une aubaine. Elle a permis à la population locale de leur dire ce
qu'elle souhaitait; elle a favorisé une discussion profonde sur ce que devait
être précisément un programme d'ethnoéducation et comment il devait
fonctionner. Et cela a généré une proposition concrète pour un Projet
institutionnel (PEI) ensuite servir d'exemple.
Les ONG récemment commencé à travailler le Pira; mais
elles sont la région du depuis plus Elles y ont
pris la succession des missionnaires comme agent de développement,
rompant avec les conversions religieuses au profit d'une conservation de la
et de l'environnement indigènes. Le rôle des Indiens comme gardiens
la forêt tropicale est manifeste dans la politique "lam,ll'"
de ces régions amazoniennes en resguardos indigènes,
des réserves de la biodiversité (Republica de 1988).
étrangère étant de plus en plus liée aux droits de l'homme et à
l'environnemçnt, la communauté internationale exerce à cet égard une
pression sur l'Etat. La Fondation Gaia et la population locale sont conscientes
que le statut culturel du Pira est lié au fait que cette se trouve
encore relativement par les ou par la de
la affectent parties la zone. à la culture et à
la les documents de la conférence et la présence
d'un biologiste représentants de ont cette prise de
'-'V"J'-"""','-' tout
était également représentée par un avocat et par anthropologues
colombiens dont son Directeur. Deux britanniques (dont moi)
ont exercé le rôle consultants avec une
chacun nous une
En raison du contrôle maintenant exercé par
mdlgélle du Vaupés sur recherches scientifiques et de
l'intervention de et des ONG dans affaires de la région, les
anthropologues ont des responsabilités à des nouveaux et leur
travail a été radicalement modifié. Ce changement est intégré dans le terme
d' «asesorîa» (<<consultant»). Le Pirâ a suffisamment vu d'anthropologues.
notamment pour les dans une org;anllsatlOn
{"PW"fIl. est (la ","p,l'hp-rl'
pas.
Une session nocturne a spécialement consacrée à la discussion sur la
nature et la valeur de l'anthropologie, la des anthropologues,
l'utilisation de leurs données et les raisons pour lesquelles ils ne les restituent
que rarement aux Indiens. Les anthropologues se trouvent dans une position

CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N° 23 115


DOSSIER

ambiguë. En tant la culture et témoins d'une


traditionnelle au cours plus participants à
étaient encore des sont à même de formuler des
d'appuyer la et d'aider à préserver la connaissance
culturelle qui tend à au fur et à mesure que l'ancienne gen.era tlon
1

meurt. Mais, en tant que chercheurs, leurs intérêts et leurs priorités sont
différents de ceux de la locale; une partie de celle-ci en
effet, qu'ils rapatrient la qu'ils ont objectivée et qu'ils ont
son contexte sous forme livres, d'enregistrements, de photographies et
films.
La UHF; ...."'" posture. Dans la nouvelle
Colombie est formellement reconnue comme un
linguistique. Les .u~.,.,_ .._v ont un statut local et jouent un
rôle clé dans indigène. Les ont
'''''''''''',iVU avec le mouvement
est la condition du
linguistique, la
par le langage dans la aertnll:lOn
COl1telre au langage et à la linguistique une
spéciale dans la du Vaupés. La population locale est parUClmerenlem

sensible à la structure et aux sonorités des différentes HH'","",,'

travaillé avec le et chercheurs indépendants,

linguistes et leur travail.

Le langage et la linguistique sont également chargés d'un sens politique.


Pour la indigène, la domination des langues par les
groupes importants menace l'identité des groupes petits. Pour
différents groupes de missionnaires, les autorités locales, et les ONG,
leurs d'éducation bilingue font la globale
l'éducation, La conférence a soutenu
VU""''''lVU " .....,..,.w : l'utilisation des langues locales doit les enfants à
et à apprendre l'espagnol, permettre aux locales de
à de façon générale et la culture et
avec une population très faible
linguistiques, chacun accordant une importance l'V'''''''!'''­
sa et avec seulement deux proltesseUlrs
tous groupe, la mise en œuvre de
outre, bien que de

et écrire dans leur propre langue, les

"'VI"I''''''~ par le SIL et le prestige de

y recourent rarement.

CONCLUSION
La réunion dont nous venons de faire état apparaît à maints égards comme
un Elle s'est caractérisée par un niveau de coopération
nouveau entre la population et a montré la capacité des

116 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N°23


ÉDUCATION ET CULTURE. RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

gens à effectivement avec un puissant groupe d'étrangers; elle


marque une nouvelle dans la prise de conscience de la population
concernant sa et sa capacité à détenniner son avenir. Mais
une nouvelle étape d'un processus beaucoup plus

Turner (1993:12) a souligné l'importance des


traditionnelles pour comprendre la manière dont
"lLIUUvW_"

la population indigène a ses modèles d'organisation pour affronter


les nouvelles relations avec l'extérieur et utiliser les idées du ,,"',.vu«,
cosmologique existant pour les organiser à leur La
l'organisation sociale Tukano et la nature de leur contact avec les 6tr'~nn"3r~
montrent inter-ethniques dans la région du n'ont
en connu le conflit violent qui a caractérisé les entre
Kayapo et la société brésilienne. Dans le Vaupés, la violence sociale est
faible. Même par le passé, la guerre a joué un rôle très mineur. La résistance
aux Blancs a été sporadique et courte, en raison des
traditionnelles, du coût élevé que cela représentait, de son inefficacité et de
l'arrivée des missionnaires qui ont permis de limiter les excès
Uvla;:l"~" des négociants. Après une brève phase mouvements à f'<>f'<>f'fi>rp.
dans la deuxième moitié du siècle dernier
1994), l'accent a davantage été mis sur la conciliation que sur la "_,,,,,,w,,,"'.
Dans la zone du Pini, où les missionnaires sont arrivés relativement
la résistance active a persisté et s'est caractérisée par une forme
au sein de laquelle les pajés ont tenté'de maintenir les Blancs au bord
univers organisé de façon concentrique. Sur un plan pratique, cette , . . ."""""',,,,'"'
culturelle s'est accompagnée d'une conciliation matérielle nec:es:sallre
d'assurer l'approvisionnement en produits de
intermédiaires étant de puissantes personnalités, cette conciliation a conduit à
la transformation de t'ancien modèle de chefferie et son institutionnalisation
dans la position du Capitan.
Initialement, les missionnaires étaient davantage en termes
économiques comme source de marchandises. L'instruction
comme une garantie de relations commerciales plus
nouvelle source d'emploi plutôt que comme une source
La «culture» était essentiellement une préoccupation
culturel de l'éducation des missionnaires et du
thème principal de « La Guerre des Dieux ».
influencé les relations politiques entre
travaillant dans le Vaupés et a permis de mettre la à
l'ordre du jour du nouveau mouvement Son ton 1"""""111" reflète le
fait que, à de la entièrement
prisonnière des la réalité de
sa situation. Par pas en position de
revendiquer
La N'-Y,T';"''''U''''
S'il a été un

CAHIERS DES ,","''''''j'V LATINES N° 23 117


DOSSIER

l'approfondissement il a aussi sous-


estimé la capacité affaires, à
produire des aux nouveaux et à les
interpréter dans une nouvelle. La montée du mouvement indigène, la
nouvelle constitution et la du système ont modifié l'équilibre
pouvoirs dans le entre la population les Tukano les
plus acculturés, les les négociants et les anthropologue,s et ont
fait des politiciens, des ONG et des représentants directs de l'Etat les
nouveaux acteurs de la Indirectement, ces ont donné
naissance à une nouvelle forme d'organisation fondée sur les anciennes
prérogatives du Capitan, maintenant réunies au sein de l'ACAIPL Plus
directement, ces changements ont permis à la population de remettre en
question la dépendance attachée à l'ancien d'éducation et
d'exiger une plus dans son future. Si
(1991 : a que {{La Dieux» est
maintenant en train de la «Guerre des aussi une
guerre où les étrangers dansent plus en plus sur une indigène.
Le développement d'une nouvelle conscience de culture et d'un
nouveau et plus large sens l'identité ethnique a été un crucial dans
ce processus. Cet intérêt pour la culture et pour l'identité a eu
principales. D'une part, les d'école et autres
eX(IOSfjr, à travers l'instruction, de nouvelles idées et un 'v,.,,,,,,,.. ,,,,,,,.,
mouvement indigène et de ses D'autre part,
l'éducation, d'abord sur d'autres Tukano et tard dans le
même, a fait prendre la population que la vUl.tU''',
reconnue comme telle, peut être maintenue ou perdue. La
que les plus leur éducation pour
Ulam""", nouvelle les relations avec l'extérieur et spécialement la U"',)"'U.Uli""'''''
"'''''''''''',u''' qu'elle crée, complétant le point de vue des plus anciens.
Les hommes plus âgés ont eu tendance à la culture
traditionnelle comme une dans des temps ancestraux et se situant
au dessus du contrôle des : c'est-à-dire une doit se
maintenir sous une forme tant que les procédures
correctement exécutées. Pendant les Indiens se sont
dehors des mythes et l'apprentissage
.m,,,,ri·,,,nt mécanisme de la culture. La a en
PYF'rtTl';> le entre les d'apprentissage et l'école
ainsi que le la transmission
eg,uelnelrn tout simplement de active de toute la fJVf"""'''vu,
cours professionnalisation cette intervention et vise le
conflit entre les anciennes et les nouvelles formes d'apprentissage en
combinant le meilleur des deux.
des «deux bords», parler de cette combinaison, est
une reformulation de l'ancien cosmologique et présente une
nM'f'p"t1fm transformée des relations avec étrangers. Au lieu des vaines
maintien des Blancs la sphère des

118 CAHIERS DES AMÉRIQUES LATINES N"23


ÉDUCATION ET CULTURE: RÉFLEXIONS SUR CERTAINS DÉVELOPPEMENTS

humaines normales et au lieu de leur attribuer un statut ambigu, à la


supérieur et inférieur, ils se trouvent maintenant ramenés au centre.
Désormais égaux, il devient possible de dialoguer avec eux. Ce
donne aujourd'hui à la population un rôle actif dans la détermination de son
destin et dans le maintien de sa culture et de son '''',",''l'',",.
Dans le contexte du Pira, où la traditionnelles
perception importance et
ont eu des positions radicalement V'''WH'''''~~
-'M~''''~ d'un renforcement de la culture
traditionnelle et de l'affirmation identité collective indigène ne doit pas
être simplement comme un renouveau instrumental, ni comme une
réinvention ni encore comme un de résistance à la modernisation. La
«culture» a effecti vement une nouvelle importance dans les
négociations externes des et bénéfices à l'identité et à la
différence. différents la culture et
l'identité, notamment en relation avec intérêts différents dont beaucoup
sont liés à des processus internes plus locaux.
Ces perceptions et motivations ont donné lîeu durant la
conférence à des tensions et à des contradictions concernant la répartition du
pouvoir et de l'influence entre les et les plus jeunes. Le principal
débat de la a porté sur de compatibilité de la société
nationale avec formes et et les
moyens de les au mieux. cours de professionnalisation a été, à
ce titre, perçu comme une expérience permettant de et de résoudre
ces problèmes. Il existe toujours une divergence entre la forme explicite que
peut revêtir aujourd'hui la culture et l'identité et les du passé plus
implicites. peut être illustré par les divergences entre d'une part
l'ACAIPI, les membres du comité, les professeurs et autres jeunes
hommes, c'est-à-dire le cœur de la la population
la réunion malocas

La formation et le nouveau programme proposés impliquent un processus


de «ré-indianisation» des professeurs et des élèves. Cependant, il est
manifeste qu' ne seront jamais «Indiens» d'autrefois. Rétablir
complètement fOlmes culturelles et que les malocas représentaient
comporte un risque croissant de marginalisation sociale. La persistance
d'anciens comporte le comme «non
ce est plus
important, maintenant pour le gérer à sa façon. La
décision de ne autoriser les prospections dans les d'or était
courageuse alors les problèmes dépendance économique et
technologique mais la a permis de un pas
important pour mettre un terme à la dépendance culturelle à
l'ancien système d'éducation.
Jackson et auteurs sur le mouvement indigène
colombien ont l'accent sur la m"'n,p,rp dont la population a mis

CAHIERS DES rtlVlC""'<U.C':> LATINES N° 23 119


DOSSIER

et un nouveau sens de
l'identité ethnique dans avec la société colombienne. Il
s'agit peut-être d'une réaction aux tendances introspectives et a-historiques de
l'ethnographie la plus de ne pas se référer à l'histoire. Cet
article se présente comme une de cas illustrant l'importance de la
combinaison d'un intérêt centré sur ces préoccupations instrumentales plus
externes et l'exploration positionnement par rapport aux
sociales et culturelles et aux processus internes.
«deux bords», extérieur et le traditionnel et le moderne, est
séduisante pour la population indigène comme pour les analystes, mais
jusqu'à ce jour, entre ces deux bords est resté relativement
inexploré.

NOTES
référence Doc. (Document) 1.
2. Certains de ces sont dans la constitution de 1991. La loi 20 de
19}4 rompt avec concordat entre le Vatican et l'État accordant à
l'Eglise le contrôle exclusif de l'éducation sur «territoire des missions».
maintenant une éducation sous contrat avec Le décret 1142 de 1978 met en
tout d'abord une d'éducation bilingue et biculturelle. L'art. 55 de la loi 60 de1993,
la Loi générale sur et les art. 56 et 57 de la loi 115 de 1994 détaillent les
principales réformes post-c()nSllltultlOllmelles.
3 Doc. 1:4.
4 Doc. 1:6.
5 Proposition d'ethnoéducation pour les communautés indigènes de la Rivière Pin'i-Paranâ
Département du Septembre 1996. Doc. 2.
6 Doc. 2: 2,6.
7 CRIVA, Conseil du Vaupés.
8 Guerre des Dieux, télévision Granada, Séries des mondes en voie de disparition. Directeur:
Brian Moser; consultants en anthropologie: C. Hugh-Jones, S. Hugh-Jones et P.

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RÉSUMÉ ABSTRACT
Fin août J996, la population de la région de la A/the end ofAugust 1996, the peoples ofthe
rivière Pira-Paranâ (département colombien du river Pira-Parana (in the Colombian Vaupes
Vaupés) s'est rassemblée pour discuter de l'édu­ Department) met to discuss the education pro­
cation dispensée dans la zone. Cette réunion a vided in the The broughlloge­
rassemblé un exceptionnellement ther an local popu­
de la population qui ne coopère pas sou­ lation, who do nol cooperate in Ihis way,
vent de la sorte, ainsi qu'un certaln nombre de and also a namber ofoutsiders whose presence
personnes dont la présence résulte was the direct result of changes in the
llldirectement des changements intervenus dans Governmenl's policy towards Indians. These
la politique gouvemementale, Ces chan­ changes and the!r impact on the lndian nwve­
gements et leur sur le mouvement indi­ ment have been the subject and ana­
gène ont fait et d'analyses natio­
nales. s'attache à compléter ces lysis al nalionallevel. This article aims to com­
analyses en une plus locale et plement these discussions by a nwre
anthropologique. l'histoire de cette local, respect 10
l'auteur la pop<ulaltlon the history region, author shows how
a adapté et les the local population have adopled and modified
et sociales eXÎslllntes pour intelpréter et répondre social and cullural fomlS to interpret
aux pressions externes, et comment la modifi­ and respond to eXlemal and how a
cation de l'environnement a favorisé un nouvel changed environnment produced a new
intérêt pour la culture et créé une nouvelle in/eres! in culture and given rise 10 a new elhnie
conscience consciousness.

CAHIERS DES O",'V,)!"" LATINES N° 23 121

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