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Questions sur le « désir d’enfant »

Désir d’enfant, féminité et infertilité


Claude-Noële Pickmann

Partons d’un constat que chacun d’entre nous peut faire : depuis que la science
a démontré qu’elle était capable de faire procréer une femme jusque-là non fertile,
la stérilité est devenue de plus en plus intolérable, non seulement pour les femmes
qui y sont confrontées, mais aussi pour la société tout entière.
Or, simultanément, gynécologues et psychanalystes rencontrent de plus en
plus souvent des cas douloureux de jeunes femmes en âge de procréer et qui, le
décidant, se heurtent à une difficulté, voire à une impossibilité de mettre un enfant
au monde. Il ne s’agit pas seulement des difficultés que les femmes rencontrent
souvent quand elles cherchent, sur le fil du rasoir de la fameuse horloge biolo-
gique, à avoir un enfant. Le plus souvent, ce symptôme de stérilité nous est
apporté par des femmes autour de la trentaine, généralement 1, et parfois même
plus jeunes, comme cette patiente qui n’avait que 23 ans quand je l’ai rencontrée
pour la première fois. Elle était alors dans le processus des FIV depuis plus d’un
an déjà. Concrètement, cela signifiait que sa sexualité, à peine commencée, avait
été mise toute entière au service de la procréation sous le contrôle de la médecine.
Elle se plaignait de ne plus éprouver le moindre désir sexuel, ce qu’elle préférait
mettre au compte des nombreux effets secondaires que les stimulations ovariennes
trop fréquentes avaient provoqués.
Ces femmes nous disent vouloir un enfant, elles disent éprouver ce fameux
« désir d’enfant » qui les élève potentiellement au statut de mère. Mais elles ne
parviennent pas à être enceintes. Pour d’autres, à peine le sont-elles qu’elles
« perdent l’œuf ». Elles se plaignent alors de « faire des fausses couches » à répé-
tition et de ne pas « être capables » de mener à terme une grossesse. Rapidement,
cet « échec », qu’elles vérifient chaque mois, les conduit à remettre en cause leur
féminité comme si celle-ci était devenue tributaire de leur possible maternité.
Toutes sont dans une très grande impatience et complètement obnubilées par leur
cycle de fécondation.

Claude-Noële Pickmann, psychanalyste, membre d’Espace analytique, membre du groupe


Asphère (lieu de débats et de recherches : psychanalyse et féminin).
1. C’est l’âge moyen aujourd’hui où, dans nos sociétés occidentales, les femmes souhai-
tent devenir mères.
84 La psychanalyse, encore !

Cette clinique est aujourd’hui si fréquente que l’on peut penser que l’on a
affaire à un véritable symptôme lié aux nouveaux rapports des femmes à la sexua-
lité, à la procréation et à la place que l’enfant occupe dans leur économie libidi-
nale. À ce titre, il est juste de dire que ce symptôme est un indicateur du malaise
actuel de notre civilisation : il y a « malaise dans la procréation », comme le
dénonçait déjà le titre d’un livre des années 1990 2 et comme notre pratique nous
le rappelle quotidiennement.
Or, il est remarquable de constater la rapidité avec laquelle la médecine se
porte, aujourd’hui, au secours de ces femmes en détresse. Dans la plupart des cas,
à peine commencent-elles à s’inquiéter et à s’interroger sur ce qui leur arrive que
le gynécologue leur indique, comme une résolution possible de leur stérilité, voire
de leur impatience, la voie de la PMA.
Cependant, s’interroger sur ce qui nous arrive, quel que soit ce qui nous arrive,
n’est-ce pas une façon de prendre acte que c’est à nous que cela arrive ? C’est
donc une façon de prendre sur soi, même a minima, la cause de ce qui nous arrive.
C’est une façon de poser un « je », c’est-à-dire la place d’un sujet désirant, à un
moment où la raison de l’empêchement peut paraître purement fonctionnelle.
C’est en cela que la réponse par la PMA, aussi justifiée soit-elle dans certains cas,
produit souvent la raison de son échec. Elle referme illico la question posée en
répondant d’abord et uniquement par le symptôme organique.
Ce n’est que dans l’après-coup de l’échec des FIV ou des autres techniques
mises en place que les questions qui étaient là d’emblée peuvent se réouvrir et
devenir alors assez insistantes pour conduire une femme à rencontrer un analyste.
Entre temps, on leur a généralement fait des examens approfondis pour véri-
fier la cause organique motivant l’échec de la PMA. Les causes d’une infertilité
sont multiples, elles sont parfois très simples (un couple qui ne fait pas l’amour),
elles sont parfois plus complexes et plus difficiles à surmonter. Cependant, il se
trouve que, dans bien des cas, il n’y a pas de cause physiologique. On ne trouve
pas de lésion organique, ni de facteurs pouvant expliquer la difficulté à enfanter.
On en déduit que la cause vient d’ailleurs, qu’elle est peut-être d’ordre psycholo-
gique. Cela renvoie le problème de la cause – et la femme en détresse du même
coup – à l’idée que, derrière le désir conscient porté haut et fort d’avoir un enfant,
se cache, moins visible parce qu’inconscient, un désir exactement inverse, auquel
on n’avait jamais pensé jusque-là, un désir qui manifeste plutôt un refus d’enfan-
ter et qui aurait pris le pas sur le désir conscient d’avoir un enfant. L’idée de la
cause se trouve ainsi déplacée du registre somatique au registre psychique. L’ef-
fet premier de ce déplacement est de redonner toute la place au sujet, mais alors
au sujet tel que nous l’entendons en psychanalyse, c’est-à-dire le sujet de l’in-
conscient, le véritable sujet du désir.
Cette simple reconnaissance, qui revient, en donnant sa place au sujet de l’in-
conscient, à reconnaître que le corps humain ne peut pas se réduire à un corps
biologique et à un fonctionnement physiologique, suffit parfois à donner où à
redonner à une femme sa faculté de procréation. On rencontre ainsi, parfois, des
femmes pour lesquelles le simple fait de « vouloir parler » et de s’adresser à un
psychanalyste suffit pour qu’elles soient aussitôt enceintes. Ce fut le cas par

2. Marie-Madeleine Chatel, Malaise dans la procréation, Albin Michel, 1993.


Désir d’enfant, féminité et infertilité 85

exemple, dans le mois qui suivit notre rencontre, pour une femme pour laquelle
aucune cause physiologique n’avait été diagnostiquée, de même que pour une
autre qui souffrait depuis toujours d’une aménorrhée qui avait été régulée par la
prise de la pilule. Ce résultat, qui peut paraître spectaculaire du point de vue théra-
peutique, fait que, évidemment, je ne les ai plus revues ni l’une ni l’autre. Pour
elles, la cure était terminée, miraculeusement si l’on peut dire, sans même qu’elles
aient eu le temps de se confronter un tant soi peu à leur « je n’en veux rien
savoir ». Échec, donc, du point de vue analytique.
Cependant, elles nous enseignent tout de même. Elles démontrent que, chez
l’humain, un processus physiologique peut être perturbé par autre chose qu’une
cause organique. Et cela, même quand la médecine a décelé une cause organique
au dysfonctionnement.
C’est que, pour l’être humain, parce qu’il parle, parce qu’il est un être fait de
langage, les fonctions organiques ne se réduisent pas à leur fonctionnement
physiologique. Elles sont, en quelque sorte, dénaturées par le langage au point que
la nature même de la fonction s’en trouve modifiée. Ainsi, comme nous le
démontre l’anorexique, l’oralité ne peut pas se réduire à une fonction alimentaire.
De même, la sexualité humaine, ouverte à la dimension de ce que Freud désigne
en terme d’« aberration sexuelle », d’errance sexuelle, donc, n’a pas pour visée la
procréation, mais la satisfaction pulsionnelle qui, elle, ne sert à rien du point de
vue de la reproduction.
Pour l’être parlant, autre chose que le besoin est mis en jeu dans la fonction
organique, qui relève de la satisfaction pulsionnelle et du fantasme, parce que le
corps est originairement érogènéisé par les signifiants du désir de l’Autre. Et c’est
pourquoi, comme l’hystérique l’a enseigné à Freud à l’orée de la découverte de l’in-
conscient, n’importe quelle partie du corps peut venir à s’enflammer, à fonctionner
comme un organe sexuel, de même qu’un organe peut être détourné de sa fonction
première et frappé de ce que Freud appelle alors « des troubles névrotiques ». Il
suffit, pour cela, qu’il prenne une signification de jouissance pour le sujet.
Sans doute, ces femmes que je viens d’évoquer, pour lesquelles le symptôme
ne demande qu’à se déplacer, se font-elles, à leur insu, théoriciennes d’un autre
savoir, qui fait appel au corps certes, mais pas au corps organique étudié par la
médecine, plutôt à un corps énigmatique, découpé par les signifiants du désir de
l’Autre, présentifiant la présence d’un sujet en souffrance, c’est-à-dire d’un sujet
en prise avec la vérité dont il pâtit.

« Un enfant si je veux quand je veux »

Ce célèbre slogan est celui par lequel les femmes de la génération des années
1960 et 1970 ont revendiqué le droit de décider librement de leur maternité. Il faut
rappeler qu’il s’agissait surtout, pour les féministes de l’époque, de défendre
l’idée qu’une femme serait libre de refuser d’être mère, et qu’elle n’en serait pas
moins femme pour autant. Il ne s’agissait pas alors de revendiquer un droit à l’en-
fant, mais que la maternité, grâce à la contraception et à l’avortement, cesse d’être
le paradigme d’un destin féminin accablant au profit d’un choix librement
consenti et s’exprimant par un désir ressenti, celui, par exemple, de rendre père un
homme aimé.
86 La psychanalyse, encore !

Il est frappant, au vu des revendications d’aujourd’hui, de constater à quel


point l’enthousiasme de ces femmes pionnières s’est retourné, en deux généra-
tions, en l’exigence inverse, celle d’avoir un enfant « à tout prix », au point qu’un
individu, quel que soit son sexe et sa sexualité, peut se sentir frustré si la loi de la
nature ou celle qui régit la société dans laquelle il vit ne lui accorde pas le droit
d’être parent. Il faut remarquer que le terme de « projet parental », par lequel on
cherche à projeter et à cadrer l’expression du désir d’enfant, légitimise cette
revendication d’un droit à l’enfant. Cela a pour conséquence que l’enfant est alors
un objet exigible en droit. D’où la nécessité de le protéger de ce statut par la recon-
naissance de ses propres droits, par quoi il est bien socialement reconnu, mais en
tant que sujet de droit.
Le vœu de « l’enfant si je veux, quand je veux » est doublement battu en
brèche lorsqu’une femme est d’abord confrontée à son impossibilité d’enfanter,
puis à l’impossibilité de la technique médicale de lui rendre ses facultés procréa-
trices malgré son idéal de réussite à « tout prix ».
Et c’est pourquoi la stérilité, lorsqu’elle s’impose à une femme, est souvent
vécue de nos jours, non plus sur le mode du destin, mais comme une blessure
narcissique grave, comme un échec personnel, une cassure indélébile dans le
continuum attendu de son épanouissement de femme, qui la remet en cause jusque
dans sa féminité. Est-on encore femme si l’on ne peut devenir mère ? Le vouloir
être mère peut ainsi devenir le signe le plus patent de ce que c’est qu’être une
femme.
Il faut souligner combien, pour les jeunes femmes d’aujourd’hui, « condition-
nées » au désir d’enfant du fait de la contraception, la maternité est devenue quasi-
ment indispensable à la panoplie de la femme libérée accomplie. Et il faut bien
dire que cette thèse est soutenue, sinon accréditée par le social en général, mais
aussi par la plupart des personnes qui prennent en charge la demande de ces
femmes, y compris certains psychanalystes, d’ailleurs.
C’est sur ce rabattement de la femme sur la mère que je voudrais m’arrêter un
moment, car il pose beaucoup de problèmes.

Désir d’enfant et féminité

Il y a un discours courant contemporain, on peut dire le discours de la doxa,


qui dit qu’une femme qui ne désire pas d’enfant scotomiserait de ce fait une moitié
de sa féminité. Appelons cette thèse « la version post-émancipation de l’école des
femmes ». Car, il faut bien remarquer que l’équivalence femme = mère n’est pas
nouvelle. L’histoire ne montre-t-elle pas, universellement, que l’on a toujours
cherché à domestiquer les femmes par la maternité ?
Et c’est pourquoi on peut se demander si cette valorisation à laquelle on assiste
tous azimuts de ce terme de « désir d’enfant » ne camoufle pas, sous couvert de
droit, le « dressage social » des femmes et de leurs jouissances, dressage qui a
cours dans toute société, quel que soit son degré de démocratie 3.

3. Rappelons que Freud, chaque fois qu’il avançait une élaboration quant à la sexualité
féminine, s’interrogeait sur la part revenant à ce dressage des femmes et de leurs jouis-
sances par le social.
Désir d’enfant, féminité et infertilité 87

C’est donc là qu’un psychanalyste, lorsqu’il est convoqué, peut ouvrir une
brèche dans le circuit de la demande, en laissant simplement ouverte comme ques-
tion cette équivalence mère/femme. Car cette équivalence semble tellement aller
de soi pour beaucoup de femmes qu’elle oblitère souvent toute possibilité d’arti-
culation entre maternité et féminité. Soutenir cette question comme étant une
question, chaque fois que celle du désir d’enfant vient dans le discours de la
patiente – que ce soit dans le cadre d’un symptôme de stérilité ou pas, bien
entendu – relève de l’éthique du psychanalyste.
Alors pourquoi ?
C’est que le désir d’enfant – et c’est peut être là ce que la psychanalyse peut
apporter de plus précieux à l’élucidation de cette clinique féminine actuelle –,
c’est d’abord un désir infantile qui, s’il reste sous cette forme, n’appelle aucune
réalisation concrète ou réelle. Car le désir d’enfant s’origine dans le rapport
premier de l’enfant à sa mère comme désir de lui faire un enfant. C’est un désir
marqué d’emblée par le phallicisme sans faille qui règle ce lien originaire. Ainsi,
« faire un enfant à la mère » est une première signification, une première produc-
tion de sens qui vient ordonner le hors sens de la poussée pulsionnelle qui traverse
le corps d’un enfant lorsqu’il est érotisé par le désir maternel. En cela, c’est un
désir commun à tout enfant, quel que soit son sexe anatomique. « Faire un enfant
à la mère » est d’abord une réponse à l’énigme du désir maternel, ce qui permet
de lui donner un sens. À ce titre, il ne s’agit d’aucun objet réel, ni de l’enfant
fantasmatique œdipien qui pourra être attendu symboliquement du père. Ce « faire
un enfant à la mère » est une simple mise en forme de la poussée pulsionnelle.
Cela montre que la sexualité infantile est tout entière soumise à la satisfaction de
la demande supposée de la mère. Avec cette ébauche du désir d’enfant, il s’agit de
dénier la castration maternelle dans le moment même où le sujet naît au désir en
aliénant son désir au désir de l’Autre maternel.
C’est ce qui fait qu’un enfant peut prendre si souvent le statut de « monnaie
vivante 4 », de la monnaie qui a cours dans l’économie du rapport fille/mère. Ainsi
de toutes ces mères-encore-filles qui ne peuvent s’empêcher de sacrifier leur
enfant, surtout s’il est le premier, au paiement de cette dette insolvable : enfants
avortés, enfants maltraités, mais aussi, plus banalement, tous ces enfants qu’une
fille « cède » à sa propre mère pour toutes les bonnes raisons que les difficultés,
voire la simple organisation de la vie quotidienne offrent comme alibi. Car
comment s’autoriser à penser que son enfant sera mieux chez une nourrice
qu’élevé par sa grand-mère, par exemple ?
Cependant, si le désir d’enfant prend sa source dans le phallicisme originaire
de la fille, alors la question se pose de savoir, chaque fois qu’une patiente nous
parlera de son désir d’enfant, s’il n’est pas, par excellence, un leurre pour sa fémi-
nité, voire un déni de celle-ci. Car il peut, tout aussi bien, manifester le choix
inconscient de rester à jamais fille pour soutenir la complétude maternelle et
dénier de la sorte la dimension même du manque. Le désir suppose, au contraire,
que l’objet demandé soit marqué par la possibilité qu’il puisse manquer.

4. Klossowski, La monnaie vivante, Paris, Payot et Rivage, 1997. « Nul ne songerait à


confondre un ustensile avec un simulacre. À moins que ce ne soit qu’en tant que simulacre
qu’un objet en est un d’usage nécessaire », écrit-il, p. 11.
88 La psychanalyse, encore !

Or la clinique avec les femmes nous apprend, encore aujourd’hui, que ce n’est
qu’à consentir à ne pas être toute captive du désir maternel et à soutenir sa ques-
tion dans un rapport – aussi minime soit-il – avec un homme, généralement en
position paternelle, qu’une fille entrera dans la dimension propre au désir, en cela
même que l’objet s’en trouve immédiatement porteur du trait de la castration. Car,
à passer de la mère au père, dans le transfert de la demande de la fille, celle-ci
subit un changement de registre. Ce que la fille attend, lorsque sa demande
s’adresse au père, est de l’ordre d’un don, elle veut le signe qu’elle est aimée de
l’Autre. C’est par là qu’elle pourra partiellement symboliser la perte de jouissance
dont elle a fait l’expérience traumatique dans le rapport à la mère. En cela, l’en-
fant du désir œdipien, attendu comme objet symbolique du père porte la marque
de la castration. C’est pourquoi il n’a pas d’autre statut que d’être demandé et
c’est même par là qu’il peut prendre la valeur de don.
Le terme de don est justement celui qui vient sous la plume de Freud pour
qualifier la relation de la mère à son enfant. Elle « lui fait don 5 », dit-il, on pour-
rait dire de son rapport au manque, et c’est par là qu’elle l’humanise.
Cependant, ce « faire don » auquel une femme peut accéder au travers de son
désir ne provient pas d’un « instinct maternel » censé être inhérent aux femmes et
miraculeusement advenu avec l’enfant, ni d’une transmission de mère à fille,
comme le laisse entendre une théorisation maternante de la psyché féminine. Ce
« faire don » résulte de l’apprentissage logique qu’une fille peut faire au travers
de sa demande œdipienne, du fait du questionnement qu’elle y soutient quant à
son rapport à l’Autre. C’est ce qui pourra le plus sûrement la conduire à recon-
naître et à accepter que l’Autre soit manquant, lui ouvrant de la sorte une voie de
sortie de l’Œdipe telle qu’elle laisse ouverte la modalité selon laquelle féminité et
maternité vont s’articuler pour elle.
C’est la voie par laquelle le « désir d’enfant » comme désir inconscient, peut
ouvrir, dans le désir d’une femme, l’enclave d’un assentiment du sujet à sa fonc-
tion procréatrice. Il lui devient alors possible de « mettre un enfant au monde »,
ce qui veut dire être capable d’accueillir une vie neuve. Neuve d’une subjectivité
à venir qui demande, pour advenir, qu’une mère consente à inscrire son enfant non
seulement dans son désir, mais aussi dans le symbolique et dans la filiation. N’est-
ce pas cet assentiment qui devrait être requis d’une femme au moment où, deve-
nant mère, elle ne devient rien moins que l’Autre de la demande primordiale ?

Féminité et infertilité

Comment situer par rapport à cela le désir qui se manifeste dans une stérilité tran-
sitoire, c’est-à-dire par une infertilité momentanée de la fonction de procréation ?
Évoquons rapidement deux situations très différentes dans leur présentation.
Dans la première, il s’agit d’une très jeune femme qui ne parvient pas à être
enceinte malgré les deux FIV qu’elle a déjà tentées. Son jeune âge lui fait penser
qu’elle a le temps, mais son compagnon, un peu plus âgé, aimerait bien devenir
père. En fait, la demande d’un enfant provient surtout des deux familles dans

5. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, NRF, p. 166.
Désir d’enfant, féminité et infertilité 89

lesquelles il y a quatre parents de chaque côté. La pression sur elle est donc très
lourde, ce dont elle se plaint, d’autant plus qu’elle ne trouve pas vraiment de
soutien du côté de son compagnon qu’elle trouve assez englué dans la demande
des parents, alors qu’il s’agit de sa propre paternité. Elle vit, à juste titre, comme
une intrusion dans son intimité tous ces regards braqués sur elle et plus particu-
lièrement sur son ventre auquel elle se sent réduite. Elle se doit de rendre des
comptes à toute la famille chaque mois. La sexualité du couple s’en est ressentie
rapidement, bien qu’elle dise désirer cet homme. Il a été « son séducteur » et c’est
ce qui l’a attachée à lui. Elle souffre de ne plus le faire désirer autant depuis que
cette histoire d’enfant s’est installée entre eux et qu’elle pense le décevoir. Ce
n’est pas qu’elle n’aimerait pas lui donner l’enfant qu’elle croit qu’il désire, mais
elle a la pénible impression de céder à une injonction familiale qui les réduit l’un
et l’autre au statut d’enfant. Les choses seraient donc beaucoup plus simples pour
elle « si ces quatre mères et quatre pères n’étaient plus là », dit-elle. À l’écouter,
il serait difficile de dire que son refus inconscient d’enfanter relève d’un refus de
la féminité. Au contraire, elle nous dit qu’elle ne désire pas devenir mère pour
préserver sa féminité en restant l’Autre du désir de son homme dont elle soutient,
du même coup, le désir défaillant en ne cédant pas, elle aussi, à la demande forte
et intrusive des parents. Dans un premier temps, le travail de l’analyse va rapide-
ment dévoiler que « le séducteur » a été choisi sur le modèle du père, pris au piège
par la grossesse de la mère et tôt parti de la maison pour d’autres conquêtes, lais-
sant la petite fille se débrouiller seule avec sa mère, une femme « peu féminine »,
définitivement dépressive après l’abandon du mari et qui « ne refera que tardive-
ment sa vie », c’est-à-dire peu de temps après que sa fille ne la quitte pour vivre
avec son compagnon. Ainsi, choisir un « séducteur », c’est faire le choix du père
plutôt que de la mère, tout en se hissant à la hauteur de toutes les conquêtes pater-
nelles, ces femmes qui savent faire désirer. C’est en quoi elles sont supposées être
de vraies femmes. Se faire elle-même objet de désir pour « le séducteur », c’est
donc le mode que cette jeune femme, en mal d’Œdipe, a trouvé pour se soutenir
en tant que femme, tout en se mettant ainsi hors de portée d’une identification
possible à une mère si peu féminine. Et c’est pourquoi elle supporte si difficile-
ment que son compagnon ne se montre pas toujours à la hauteur du « séducteur »
attendu.
Mais, dans un second temps, le montage névrotique de la patiente va se préci-
ser comme étant tout entier au service de la demande maternelle. En effet, grâce
à sa fille, la mère est toujours restée en contact avec son ex-mari et dans sa dépen-
dance. Ils les a entretenues l’une et l’autre jusqu’au départ de la jeune fille. Mais,
surtout, elle découvre que cette mère « s’est servie » de sa fille pour entretenir sa
relation fantasmatique à l’homme qu’elle n’a pas su, elle-même, séduire. Par l’in-
termédiaire de la séduction de sa fille, elle a pu trouver un « être femme » sur le
mode « être la femme d’un seul homme », souvent montré par ses amies comme
un exemple d’amour absolu et rester, ainsi, fantasmatiquement, la femme de cet
homme.
Ainsi, se faire l’objet de désir du séducteur, loin d’être ce qui la séparait à
jamais de sa mère, comme elle avait cru le découvrir, était ce qui la ramenait le
plus sûrement à être l’instrument de la jouissance maternelle et la condamnait à
rester, indéfiniment, « l’homme » d’une seule femme, sa mère. Avec le dégonfle-
90 La psychanalyse, encore !

ment du fantasme (du fait même de sa construction), la fonction du séducteur perd


de son cours. Surgit alors la question de sa jouissance, que la nécessité du montage
fantasmatique névrotique avait mise, jusque-là, de côté. Dans ce contexte, elle prit
rapidement un amant et, comme elle n’avait jamais eu à faire avec la contracep-
tion, elle « tomba » aussitôt enceinte et choisit d’avorter. Ni elle, ni son amant
n’avaient désiré cette grossesse. Il fallut encore quelque temps et quelques étapes
pour qu’elle s’autorise à devenir mère et à rendre père un homme avec lequel elle
eut un enfant en cours d’analyse, et deux autres depuis.
J’ajouterai que le fait que ce symptôme soit tombé de lui-même à un moment
où la patiente ne s’en préoccupait plus du tout n’a rien, en soi, de remarquable et,
s’il représente un gain de l’analyse, il ne doit pas être confondu avec un succès qui
justifierait d’y mettre un terme.

Dans le second cas, il s’agit d’une jeune femme déjà mère d’un enfant de 4 ans
qui ne parvient pas à mener à bien la grossesse d’un second enfant. Elle a fait déjà
plusieurs fausses couches suivies, chaque fois, d’une grande déprime dans
laquelle elle craint de finir par s’installer. Une mère, ne trahirait-elle pas son
enfant à en avoir un second, car comment un enfant pourrait-il supporter la nais-
sance d’un autre et devoir être exclu du nouveau lien sans se sentir rejeté par la
mère ? Est-ce pour cela qu’elle, qui est une aînée, ne parvient pas à mettre au
monde son cadet ? Ses avortements à répétition ne seraient-ils pas à mettre au
compte de la « jalouissance 6 » qu’elle a éprouvée à la naissance de son frère ?
Cependant, des rêves et la crainte quasi permanente qu’il n’arrive quelque
chose à son enfant vont, d’emblée, mettre la jeune femme sur la piste de deux
syntagmes articulés, bien que contradictoires, qui jouent, pour elle, le rôle de
signifiants maîtres et qui sont extraits d’un discours sur la maternité qui se trans-
met d’une génération de femmes à l’autre. Le premier dit qu’il faut avoir plusieurs
enfants, au moins deux, au cas où l’un mourrait et il dissimule tant bien que mal
le contenu du second : la jouissance maternelle ne trouverait à se satisfaire que
dans la dévoration d’un nouveau né par la mort et de sa déploration. En ne mettant
pas le second enfant au monde, elle fait donc d’une pierre deux coups : d’une part,
elle épargne son fils qui, en tant qu’aîné, risque de souffrir, voire de mourir, si un
autre enfant ne venait à naître. D’autre part, en donnant répétitivement à la jouis-
sance maternelle l’enfant mort dont elle est supposée se nourrir, elle la détourne
de son fils tout en s’y soumettant en tant que fille pourvoyeuse. Or, elle pense
qu’elle n’a pas eu d’autre choix que de se soumettre corps et âme à ce que la mère
est supposée vouloir car elle a fait sien le discours maternel qui infantilise le père
en en faisant un être irresponsable et incapable de prendre soin de ses enfants. Elle
campe, depuis son enfance, sur cette déception. En effet, elle a pu, à plusieurs
reprises, vérifier le bien-fondé du discours maternel, mais elle reproche surtout à
son père de n’avoir jamais cherché à la détromper en lui prouvant le contraire.
Cette thèse lui fait donc craindre toujours le pire pour son fils, notamment lors-
qu’il est seul avec son père. Or, elle découvre que le père qu’elle lui a donné est

6. Néologisme forgé par Lacan à partir du terme de jalousie et celui de jouissance pour
qualifier ce sentiment d’envie à l’égard d’un petit autre supposé jouir de ce qui est refusé
au sujet et qui l’atteint dans sa jouissance jusqu’au niveau de son narcissisme.
Désir d’enfant, féminité et infertilité 91

tout autre, à la fois très attentif à son fils, mais aussi capable de se substituer à elle
pour administrer les soins à l’enfant quand cela est nécessaire. De plus, il inter-
vient fréquemment dans la vie de son fils et refuse de se laisser intimider par les
dictats maternels, ce qui occasionne parfois des conflits entre eux. Son regard sur
le père s’en trouve modifié, et elle va pouvoir lâcher sur l’omniprésence, l’omni-
vigilance épuisante, bref, sur l’omnipotence qu’elle a accolée à son rôle de mère.
Le père reprenant son statut, elle n’est plus seule dans la relation à l’enfant, ce qui
lui permet de regarder ailleurs, notamment du côté de son désir à elle. C’est le
moment où la fixation de jouissance à l’œuvre dans le symptôme peut se délier,
laissant la libido s’investir autrement. Elle peut s’autoriser à mettre au monde un
autre enfant dès lors que le déplacement psychique qu’elle a opéré dans la cure lui
a permis de se déprendre de la demande de l’Autre et de la jouissance qu’elle y
soutenait.
Ainsi, lorsque le travail d’une cure permet de repérer puis de destituer la réfé-
rence toute-puissante que la mère, comme idéal, incarnait encore pour la fille,
pour poser dans le cadre de son désir la question de sa féminité, lorsque la jouis-
sance de l’Autre maternel qui fixait le symptôme cesse de menacer le sujet, le
symptôme, le plus souvent, tombe de lui-même et la maternité devient possible.
Une femme peut alors risquer de devenir mère à son tour sans pour autant s’iden-
tifier à la toute-puissance phallique maternelle et sans renoncer à être une femme
pour un homme.
On peut donc en déduire que le motif actif de ce choix inconscient de ne pas
enfanter n’était autre que la haine envers l’exigence de complétude que le rapport
à la mère idéale impose à une fille. C’est cette complétude de la mère qu’elle
refuse pour elle-même, au nom du désir et de la féminité. C’est pourquoi l’infer-
tilité leur permet non seulement de maintenir une non-équivalence entre la mère
et la femme, mais aussi de soutenir la condition même de leur désir en n’accor-
dant pas à la jouissance maternelle l’enfant idéalement désiré que toute femme
libérée est, aujourd’hui, supposée devoir posséder.
Ceci permet de vérifier que ce type de symptôme sert à préserver la jouissance
de la mère tout en témoignant du refus de la fille de lui céder son désir de femme.
C’est pourquoi elle est à mettre au compte du « ravage » de la relation mère/fille
et à traiter comme tel, c’est-à-dire par la construction du fantasme qui met en
forme la pulsion et permet, à son terme, la destitution de l’Autre sous toutes ses
figures surmoïques.

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