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Vagues

Au fond des mers tropicales,


parmi les cadavres ensable’s des caravelles,
les fleurs d’argile
et l’or inutile
des gah'ons perdus
dorment d’étranges peuples.

Piroguiers hagards de nuits imme’moriales,


galériens des Césars oubliés,
pécheurs jamais rentrés des noirs septembre,
adolescents asphyxiés
semés aux sillages des négriers,
leurs cœurs ont dissout '
des angoisses inavouées
au fond des mers tropicales.

Quand le ciel est beau


leur puissance enclose
en chaque atome des mers
dessine de diaphanes oasis,
sous 1e soleil ou la lune,
parmi les éponges brunes.
Mais les nuits d’août,
je ne sais quelle antique douleur
jamais apaisée,
la proue des navires
réveille en leurs foules ballotte’es.

Ecoute leurs bataillons 1n'v1'nc1'bles,


aux sons des fanfares du cyclone,
monter a‘ l’assaut de la nuit
et broyer les vaisseaux
contre les contin'ents.

Mon. âme est pareille


a‘ la mer tropicale,
pareille a‘ la nuit
ou‘ mon amour rejom't
l’amour m'connu
des peuples anonymes
dont les muscles dis'sous
au jeu souple des vagues
déploient au long des contin'ents
l’ampleur foudroyante
de leur vaste symbole.
lll

Soutiers Nègres
a‘ jean Brierre
Un jour,
sur un bateau plein de lumières
qui faisait un voyage de fête,
je vous vis en sueur,
et brisés,
comme a‘ cet autre voyage
que nous fimes jadis
de la lointaine Afrique
aux îles atlantiques.
Les gestes géométriques
des longues pièces d’acier
rythmaient le jeu brutal
de vos biceps d’ébène,
tout au fond de la cale
ou‘ sont les machines,
et la fatigue,
et le péril.
Tout le navire chantait.
Les femmes,
pour boire,
pour danser,
avaient de lents gestes de reine
et des sourires tout rouges
pour appeler les désirs.

La bière avait des douceurs d’oasis


aux gorges des causeurs
que servait un steward
onctueux comme un prélat.
Et l’a‘prete’ du roulis
re'veil'lait en vos cœurs non guéris,
au long de vos nerfs,
des rythmes négriers,
tout au fond de la cale
ou‘ sont les machm'es
et la fatigue,
et le péril.

Le nav1r'e chantait si fort


dans l’effervescence des cocktails
et la g101r'e m'soucieuse des rire's,
si rugueuse était la mer
qui varlopait la coque
tout près de vous,
si prec’ipités étaient les ordres
qui pleuvaient de la passerelle
qu’a‘ pem'e vous e’coutiez
au cœur des chaudières et des turbines
une rouge espérance
accompagner triomphalement

vos chansons torturées,


les mêmes que nous chantions
a‘ cet autre voyage,
de la lom'taine Afrique
aux îles atlantiques.
Tout au fond de la cale
où étaient les bras lie’s,
la fatigue
et la souffrance.
XVI

Notre chanson

Au Dahomey,
au Congo,
tout le long du Niger,
ma chanson avait le rythme lent
des paisibles amours,
la douceur floue
des oracles heureux,
ou l’orgueil énervé
des matins de bataille.

Des îles australes


jusqu’au Nil
ma mélodie s’étendait
comme un fleuve de cristal.
Mais pendant trois siècles,
des vaisseaux noirs
promene‘rent leurs effroyables proues
dans toutes les eaux
ou‘ Vibraient ma mélodie.

Des désirs asphyxiés,


des cadavres d’amours,
des squelettes de rêves,
de la cendre,
de la boue aussi,
tombés des vaisseaux noirs
troublent le cours du fleuve
qui coule désormais,
nostalgique et terrible,
des îles atlantiques
au Mississippi.
Et jusqu’aux douleurs m'finies.

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