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biologie au quotidien

Ann Biol Clin 2010 ; 68 (5) : 609-13

Cristallurie de felbamate
Felbamate crystalluria

Xavier Parent1 Résumé. Nous décrivons un cas de cristallurie chez un enfant de 11 ans qui
Franz Schieffer2 suit depuis plusieurs années un traitement antiépileptique comprenant du
1
felbamate (Taloxa®). Les morphologies cristallines que nous avons observées
Service de biochimie,
<xavier.parent@ch-colmar.rss.fr> étaient très hétérogènes : cristaux en fines aiguilles voire en cheveux ou cris-
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Service de pédiatrie, taux en grandes aiguilles asymétriques et larges. Les cristaux étaient fortement
Hôpitaux civils de Colmar polarisants et présentaient une forte tendance à l’agrégation. Une spectropho-
tométrie infrarouge en pastille de KBr sur le culot urinaire lavé et séché a
permis de conclure à des cristaux de felbamate. L’espèce cristalline ne
contient pas de Ca2+ et n’est pas sensible aux variations de pH, suggérant
que le risque de cristallisation n’est pas modifié par l’association éventuelle
d’un inhibiteur de l’anhydrase carbonique. La créatininémie à l’admission
était normale, mais les hématuries décrites par la maman pouvaient être révé-
latrices d’épisodes de cristallisation plus importants voire objectiver un risque
obstructif. Le maintien dans le temps d’une bonne dilution des urines est la
mesure essentielle pour contrôler le risque de cristallisation. Une surveillance
régulière de la densité urinaire et des hématies urinaires très simple au moyen
d’une bandelette peut être proposée.
Mots clés : cristallurie, felbamate, antiépileptiques

Abstract. This report describes the case of an 11-year-old child, who presents
crystalluria occurring after several years of treatment with antiepileptic felbamate
(Taloxa®). The crystalline morphologies observed were very heterogeneous,
long and thin needle shapped-crystals or even hairy crystals or large needle
asymmetric crystals. Crystals showed an intense polarization and a strong
tendency to aggregation. An infrared spectrum (KBr pellets) recorded in washed
and dried urinary sediment demonstrated that these crystals are felbamate
crystals. Crystal does not contain any Ca2+ and is not sensitive to pH changes
suggesting that crystallization risk will not be affected by the potential associa-
tion of felbamate with an inhibitor of carbonic anhydrase. After admission,
creatinine level was in normal range but hematuria described by the child’s
mother could be symptomatic of even greater crystallization episodes and
substantiate obstructive risk. A permanent good dilution of urine is the key
measure to control risk of crystallization. Regular monitoring of urine specific
gravity and urinary red cells by simple urine dipstick test can be proposed.
Article reçu le 24 mars 2010,
accepté le 4 juin 2010 Key words: crystalluria, felbamate, anticonvulsants

Les cristalluries ou lithiases induites par les médicaments de lithiase et/ou d’insuffisance rénale dans 15 % des cas
doi: 10.1684/abc.2010.0469

peuvent contenir le médicament ou ses métabolites ou résul- voire 33 % des cas si on exclut les cristalluries de
ter des effets du médicament sur le métabolisme [1]. Les cris- N-acétylsulfaméthoxazole [2]. Les antibactériens sont les
talluries médicamenteuses sont peu fréquentes, représentant plus fréquents (un peu plus de 54 %) au début des années
moins de 1 % des cristalluries, et leur expression clinique 1980, particulièrement le N-acétylsulfaméthoxazole [2].
n’est pas systématique. Dans l’expérience du laboratoire Dans deux revues de 1999 et 2000 concernant les principaux
Cristal avant 1985, elles s’accompagnaient cliniquement médicaments responsables de néphropathies obstructives,

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les métabolites de la sulfadiazine et du sulfaméthoxazole À l’admission, la créatininémie était à 30 μmol/L (46 à


sont toujours présents à côté des antiviraux, principalement 70 μmol/L) ; le bilan sanguin ne présentait pas d’anoma-
aciclovir et indinavir [3, 4]. lie. La mère signalait la présence itérative de sang dans les
La prévalence des calculs contenant un médicament est de urines, un prélèvement urinaire a alors été adressé au
l’ordre de 1 %. Jusqu’en 1996, il s’agit principalement du laboratoire. La cytologie urinaire était normale, le pH
triamtérène et de ses métabolites [5]. Ces quinze dernières était à 7,50 et la densité à 1,026. L’urine contenait des
années, l’indinavir et les dérivés de la sulfadiazine, utilisés cristaux de struvite indiquant la présence d’un germe
dans le traitement des patients infectés par le VIH, sont les uréasique, probable contaminant de l’urine. Nous avons
plus fréquemment retrouvés [1]. également remarqué quelques cristaux sous forme de très
Les cristalluries et calculs résultant des effets du médica- fines aiguilles isolées ou agrégées de tailles variables
ment sur le métabolisme sont plus difficiles à identifier et (figure 1).
à quantifier : modification du pH (bicarbonate, inhibiteur L’enfant n’avait reçu ni antibiotique ni antiviral et
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de l’anhydrase carbonique), de la calciurie (furosémide), l’addition d’une goutte d’EDTA à 10 % pour éliminer
de l’uricurie (probénécide) ou du métabolisme de l’acide les cristaux de struvite n’a pas affecté ces cristaux.
urique (allopurinol et xanthinurie). En bord de lamelle, sont apparus progressivement de
Les antiépileptiques n’apparaissent que rarement dans les nombreux cristaux sous forme d’aiguilles larges, de
statistiques portant sur les cristalluries et les lithiases grande taille, de polarisation intense, avec une forte
induites par les médicaments. Néanmoins, certaines molé- tendance à l’agrégation (figure 2). Nous avons pratiqué
cules utilisées dans le traitement de l’épilepsie ont une une évaporation partielle de l’urine sous azote. Nous
activité inhibitrice de l’anhydrase carbonique : acétazola- avons recueilli une urine chargée de très nombreux cris-
mide, zonisamide, sulthiam, topiramate. Elles induisent taux et agrégats cristallins. Le culot cristallin a été lavé
une acidose tubulaire, une hypocitraturie et une augmen- une première fois par une goutte d’EDTA à 10 % pour
tation du pH urinaire voire une hypercalciurie. Elles favo- éliminer la struvite puis deux fois par une goutte d’eau
risent la sursaturation phosphocalcique et sont à l’origine distillée. Après séchage du culot lavé, nous avons pratiqué
d’une fréquence accrue de cristalluries et de la formation une identification par spectrophotométrie infrarouge
de calculs urinaires [6]. Ces calculs, essentiellement (figure 3). Sur la base des médicaments pris par l’enfant
et par comparaison avec le spectre publié par Sparagana
constitués de phosphate de calcium, sont principalement
et al. [11], nous avons conclu à des cristaux de felbamate.
décrits avec l’acétazolamide et encore actuellement avec
le topiramate [6, 7]. Enfin, moins connus, des cristalluries Trois fractions de 3 mL d’urine ont été ajustées à respec-
de primidone [8] et un cas de calcul constitué de métabo- tivement pH 5, pH 6 et pH 7,3 ; une goutte d’EDTA à
lites de la phénytoine [9] ont été rapportés. 10 % a été ajoutée pour élimination de la struvite. Après
une évaporation partielle (- 0,5 mL) sous azote, des cris-
Le felbamate (TaloxaND), dérivé du carbamate (2-phényl-
taux de felbamate ont été retrouvés dans les trois tubes.
1,3-propanediol dicarbamate), est un antiépileptique indiqué
en association dans le syndrome de Lennox-Gastaut non
contrôlé par les autres antiépileptiques dont l’éventuelle
toxicité hématologique et hépatique nécessite une surveil- Discussion
lance régulière [10].
Nous décrivons un cas de cristallurie chez un enfant L’observation de cristaux en aiguilles est fortement évoca-
traité par felbamate. À partir de cette observation, nous trice d’une cristallisation médicamenteuse et la connais-
discutons de la morphologie et de la composition des sance des médicaments pris par le patient au moment du
cristaux observés, nous envisageons les facteurs de risque prélèvement est primordiale pour orienter le diagnostic
de cristallisation et proposons une surveillance urinaire. cristallin. L’enfant âgé de 11 ans suivait depuis plusieurs
années un traitement antiépileptique comprenant du felba-
mate. Le felbamate est une molécule peu soluble dans l’eau.
Sa demi-vie d’élimination, variable de 13,5 à 23,1 heures,
Cas clinique et biologique est potentiellement raccourcie par l’association d’autres
antiépileptiques. La voie d’élimination est essentiellement
L’enfant âgé de 11 ans, suivi pour un syndrome de urinaire (90 %) : un peu plus de la moitié sous forme
Lennox-Gastaut, a été hospitalisé pour réalisation d’une inchangée et pour moins de 20 % sous forme de dérivés
gastrostomie. Son poids à l’entrée était de 18,5 kg, le trai- hydroxylés et de monocarbamate [12].
tement comprenait : Inexium®, Rivotril®, Depakine®, Les cristaux en fines aiguilles voire en cheveux que
Lamictal® et Taloxa® 2 x 4 mL/j soit 52 mg/kg/j. nous avons observés tout d’abord (figure 1) étaient

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Figure 1. Cristaux de felbamate sous forme de très fines aiguilles isolées ou agrégées souvent de grandes tailles. Objectif x 40.

comparables aux cristaux contenant du felbamate situait dans un contexte d’intoxication aiguë accidentelle, à
(chromatographie phase gaz) décrits par Rengstorff et al. très forte posologie (230 mg/kg), chez une jeune enfant de
[13] dans un contexte d’insuffisance rénale aiguë. 3 ans. L’observation de Sparagana et al. [11] et la nôtre
Un début d’évaporation au bord de la lamelle nous a concernaient des enfants plus âgés (15 ans et 11 ans).
permis d’observer l’apparition « in vitro » d’aiguilles Elles étaient consécutives à une prise de felbamate
larges et asymétriques (figure 2), morphologie cristalline chronique, à posologies thérapeutiques, respectivement
similaire aux images présentées par Meier et al. [14]. inférieure ou égale à 100 mg/kg/j et 50 mg/kg/j, et associée
Dans cette observation, les cristaux étaient associés à une à d’autres antiépileptiques également susceptibles d’en
discrète hématurie et issus d’une urine trouble suggérant modifier le métabolisme.
plutôt une formation in vivo [14]. Le spectre infrarouge Nous n’avons retrouvé que trois cas de cristallurie de fel-
que nous avons obtenu sur les cristaux apparus in vitro bamate dans la littérature : une cristallurie avec hématurie
était identique à celui obtenu par Sparagana et al. [11] sans altération de la fonction rénale lors d’un surdosage
sur un matériel cristallin recueilli à l’issue d’une obstruc- chez une enfant de trois ans [14], une insuffisance rénale
tion urétérale. Ces auteurs ont conclu à du felbamate aiguë consécutive à une absorption massive intentionnelle
inchangé par comparaison au spectre de référence de la chez une femme de 20 ans [13], une obstruction urétérale
molécule. L’analyse par chromatographie liquide/spectro- répétée avec hydronéphrose, hématurie et rétention
métrie de masse pratiquée par Meier et al. [14] montrait urinaire chez un enfant de 15 ans sans surdosage [11].
des cristaux essentiellement (81 %) constitués de felbamate Dans notre cas, la créatininémie à l’admission n’était pas
inchangé, accompagné toutefois pour 19 % du dérivé en faveur d’une altération de la fonction rénale. Néan-
monocarbamate du felbamate (2-phényl-1,3-propanediol moins, les hématuries décrites par la maman pouvaient
monocarbamate). L’identification de ce métabolite en plus être révélatrices d’épisodes de cristallisation plus impor-
de la molécule inchangée pourrait éventuellement poser la tants voire objectiver un risque obstructif. La densité
question d’une différence de sensibilité des techniques urinaire élevée que nous avons mesurée chez l’enfant
d’identification mises en œuvre. Néanmoins, sur le plan objectivait des urines insuffisamment diluées et la facilité
métabolique la cristallurie décrite par Meier et al. [14] se de cristallisation in vitro entre lame et lamelle reflétait la

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Figure 2. Cristaux de felbamate après légère évaporation en bordure de lamelle, cristaux en aiguilles élargies ou en plumes, de grande
taille, de polarisation intense, avec une forte tendance à l’agrégation. Objectif x 20.

sursaturation de l’urine vis-à-vis du felbamate. La cristalli- et ne pas seulement accompagner la prise du médicament.
sation par évaporation partielle de l’urine a persisté entre Une surveillance régulière de la densité urinaire et des
pH 5 et 7,5 et Rengstorff et al. [13] ont indiqué que les hématies urinaires peut être proposée très simplement,
cristaux qu’ils avaient observés n’étaient pas dissous par même à domicile, au moyen d’une bandelette. Si néces-
acidification ou alcalinisation. Le risque de cristallisation, saire, elle pourra être complétée ponctuellement par une
indépendant du pH urinaire, ne devrait pas être modifié mesure de la créatininémie et une étude de la cristallurie.
par une infection urinaire voire par l’association de Lors de l’étude de la cristallurie, une étape préanalytique
médicaments antiépileptiques inhibiteurs de l’anhydrase limitant les risques d’évaporation et surtout une lecture
carbonique. La calciurie ne semble pas non plus intervenir, microscopique rapide une fois l’urine placée entre lame
puisque la persistance des cristaux après addition et lamelle sont souhaitables pour réduire les risques de
d’EDTA a confirmé l’absence de cation divalent dans cristallisation in vitro.
l’espèce cristalline. Au total, le maintien d’une bonne
dilution des urines apparaît comme la mesure essentielle Conclusion
pour limiter le risque de cristallisation. Du fait de la
demi-vie d’élimination relativement élevée du felbamate, Le felbamate (Taloxa®) est un antiépileptique indiqué en
l’apport hydrique doit être réparti sur tout le nycthémère association dans le syndrome de Lennox-Gastaut. Le

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Cristallurie de felbamate

3437.80
3340.19
3273.72
3216.59
2969.10

1706.02

1614.45

1429.90
1373.86
1349.15
1320.47

1138.55
1082.27
1065.17
1007.00
1693.42

1474.61

765.11
703.30

568.01
507.90
0.7
Absorbance Units
0.6
0.5
0.4
0.3
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0.2
0.1
0.0

3500 3000 2500 2000 1500 1000 500


Wavenumber cm-1

Figure 3. Spectre infrarouge (pastilles KBr) sur culot cristallin lavé et séché.

felbamate est peu soluble dans l’eau, son élimination est 5. Servais A, Daudon M, Knebelman B. Lithiases médicamenteuses.
essentiellement urinaire et pour une majeure partie sous Ann Urol (Paris) 2006 ; 40 : 57-68.
forme inchangée. Trois cas de cristallurie de felbamate 6. Barbey F, Nseir G, Ferrier C, Burnier M, Daudon M. Inhibiteurs
avec ou sans obstruction des voies urinaires et/ou altéra- de l’anhydrase carbonique et lithiase urinaire phosphocalcique. Nephro-
logie 2004 ; 25 : 169-72.
tion de la fonction rénale ont été précédemment décrits
dans la littérature. La cristallisation urinaire est indépen- 7. Goyal M, Grossberg GM, O’Riordan MA, Davis ID. Urolithiasis with
dante du pH et de la calciurie et le maintien sur tout le topiramate in nonambulatory children and young adults. Pediatr Neurol
2009 ; 40 : 289-94.
nycthémère d’une bonne dilution des urines est la mesure
nécessaire pour limiter le risque de cristallisation. Une 8. Lehmann DF. Primidone crystalluria following overdose. A report of
a case and an analysis of the literature. Med Toxicol Adverse Drug Exp
surveillance régulière de la densité et des hématies urinai- 1987 ; 2 : 383-7.
res peut être proposée très simplement, même à domicile,
au moyen d’une bandelette. 9. Kalorin CM, Bauer R, White MD. Phenytoin metabolite renal
calculus : an index case. J Endourol 2008 ; 22 : 1665-8.

Conflit d’intérêts : aucun. 10. Motte J, Bednarek N, Sabouraud P. Algorithme des indications
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peutique Pédiatrie 2001 ; 4 (hors série 1) : 51-5.

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Epilepsia 2001 ; 42 : 682-5.
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2. Daudon M, Reveillaud RJ. Cristalluries médicamenteuses : mythes et epilepsy. Drug Eval 1993 ; 45 : 1041-65.
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Feuillets de biologie 2000 ; 41 : 45-7. crystalluria. Clin Toxicol (Phila) 2005 ; 43 : 189-92.

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