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Introduction

«  L’idée de représentation est moderne, elle nous vient du gouvernement féodal. Dans les
anciennes républiques et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de représentants  ; on ne
connaissait pas ce mot là.  »1 Rousseau a eu bien raison, car en France on commence vraiment à
s’intéresser au vote et à la science électorale d’une façon démocratique qu’à partir du XXème siècle.
C’est avec de la publication du « Tableau politique de la France de l’Ouest en 1913  » qui appartient
au fondateur de la sociologie électorale, le « père putatif » de la science politique en France2, qu’on
commence à conceptualiser le vote et la représentation politique comme on les comprend
aujourd’hui.

Le droit de vote, un des droits civiques de base dans une démocratie 3, c’est l’action qui
permet aux citoyens d’un Etat d’exprimer leur volonté, à l’occasion d’un scrutin, ainsi que d’élire
leurs représentants et leurs gouvernants ou de répondre à la question posé par un référendum.

Donc le vote permet aux citoyens d’élire leurs représentants. Ces deux notions sont liées par
leur sens, vu que l’une inclue l’autre.

Par représentation, du point de vue de la science politique, on comprend le transfert du


pouvoir de chaque individu d’un groupe à la faveur d’une autre personne censée représenter leurs
intérêts, c’est-à-dire plena potentia agendi4, plein pouvoir d’agir.

Les deux concepts, le vote et la représentation, sont extrêmement complexes, motif pour
lequel il y a des nombreux débats parmi les politologues, les sociologues, les juristes etc. Après avoir
lu quelques opinions sur ces sujets, on vous propose de réfléchir à quelques questions qui ressortent,
comme par exemple en quoi consiste le vote ? Pourquoi et comment vote-t-on ? Dans quelle mesure
le mandataire issu de l’élection parvient-il à s’émanciper du peuple et avoir autorité sur ce dernier ?

Pour essayer de répondre à ces questions, nous étudierons dans le premier temps L’élection
comme instrument par excellence de la démocratie, où l’on abordera La conception démocratique du
vote et Les déterminants du vote  ; la deuxième partie, sera consacrée à La complexité du
phénomène de la représentation  : de la délégation du pouvoir du peuple vers l’autoconsécration du
mandataire, où l’on analysera les dérives de la représentation ainsi que le phénomène de la crise de
la représentation.

1
Rousseau, Du contracte social, livre III, chap. XV, p.430, cité dans l’article L’idée de la représentation à l’époque de la Révolution française,
Simone Goyard-Fabre- Etudes Françaises, vol. 25, n°2-3, 1989, vu sur www.erudit.org
2
Antoine Cohen, Bernard Lacroix, Philipe Riutort, Nouveau manuel de science politique, ed. La Découverte, Paris, 2009, p.425
3
Démocratie- Régime politique dans lequel le peuple est souverain et détient le pouvoir collectivement.
4
Pierre Bourdieu, Choses dites, Les éditions de minuit, 1987, p. 185

1
I. L’élection comme instrument par excellence
de la démocratie

A. La conception démocratique du vote


Le vote c’est l’objet d’étude principalement de la science politique mais, d’autres disciplines,
parmi lesquelles la sociologie, le droit, l’histoire, la philosophie, essayent d’expliquer et d’analyser le
vote, cette opération électorale si complexe.

A la base, le mot « vote » nous vient du latin « votum » et qui signifie « vœu ». Dans Larousse
on trouve cette notion avec l’explication suivante : «  Manifestation de volonté individuelle ou
globale  …  ». Cette manifestation de volonté, permet aux citoyens d’un Etat de choisir leurs
représentants, leurs gouvernants et d’avoir une participation active à la vie politique par la voie du
référendum5, lorsqu’un texte est soumis à leur approbation. Le vote doit être secret, égal et être
exercé sans aucune pression. L’urne est le symbole majeur du vote démocratique.

Le droit de vote a été établit en 1789, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
mais il a été complètement effectif en 1944 avec la reconnaissance du droit de vote aux femmes,
même si on a du attendre jusqu’au 1970 pour qu’elles en fassent usage. Aujourd’hui, il est consacré
par la Constitution même, dans son premier6 et troisième article7. Selon la Constitution, le droit de
vote est lié à la nationalité française mais, le Traité sur l’Union Européenne de 1992, permet aux
ressortissants des états membre de l’Union Européenne résidant en France de voter et être élus aux
élections européennes, municipales et aussi professionnelles ou universitaires.

L’ensemble des personnes qui ont le droit de voter on l’appelle le corps électoral. Pendant
longtemps, l’âge était fixe à 21 ans, c’est depuis la loi de 5 juillet 1974, tous les citoyens de l’Etat
français de plus de 18 ans, qui ne sont pas frappés d’une incapacité électorale 8, font partie de ce
corps électoral. La France compte, parmi ses environ 63 millions d’habitants, sur 45 millions
d’électeurs potentiels. Mais plusieurs millions d’individus 9 manquent lorsqu’on les appelle à exercer
leur droit de vote10.

Le suffrage universel, représente une longue conquête en France. Elle commence en 1791, à
l’époque de la monarchie constitutionnelle, où le suffrage était censitaire et indirect 11, on passe en
1789 à un suffrage masculin universel mais restreint 12 pour arriver en 1815 an un droit de vote
élargie, mais toujours censitaire. Le vote devient secret en 1848 et en 1944 les femmes y ont aussi

5
Référendum- procédure du vote qui permet de consulter directement les électeurs sur une question ou sur un texte, et qui serra adopté
en cas de réponse positive.
6
Art. 1/ Constitution-  « …La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives,… »
7
Art. 3/Constitution- « …Le suffrage peut être direct au indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel,
égal et secret… »
8
Incapacité électorale, temporaire ou permanente, c’est l’interdiction du droit de vote pour certaines personnes condamnés pour
certaines infractions prévus par le code pénal, à cause des troubles mentaux ou pour les personnes placés sous tutelle.
9
Ce problème on va l’analyser dans le deuxième chapitre.
10
Taux de représentation : par exemple à l’occasion du référendum du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel européen, 69.4% des
citoyens inscrits sur les listes électorales ont exercé leur droit de vote, par contre en 1958, il y a eu un taux de 84.9% des électeurs inscrits.
11
Seuls les hommes de plus de 25 ans et qui paye un impôt direct, un cens, ont le droit de vote.
12
Tous les hommes de plus de 21 ans, ayant demeuré plus d’un an sur le territoire français, on le droit de voter, mais il est limité par le
système des listes de confiance.

2
accès. C’est comme ça que le corps électoral s’élargie, on passe d’un marché politique de 250 000
électeurs à 45 millions.

Aujourd’hui, le vote est universel, personnel, libre et secret, il est le symbole de la


démocratie, la liberté d’expression de la volonté de chaque électeur possible. Pourtant, beaucoup
des français ne se précipitent pas vers les urnes à l’occasion d’un scrutin ou d’un référendum. On
parle actuellement d’une crise de la représentation, sujet qu’on va aborder dans le deuxième partie,
et de l’instauration du vote obligatoire, présent déjà dans certains pays. Selon quelques opinions, le
vote obligatoire est une solution pour l’abstention, mais en France il n’a jamais été mis en pratique.
Or, le droit de vote est une liberté, un droit personnel, comme on l’a vu, donc chaque individu peut
en faire usage ou non. Mais quelques Etats, comme la Belgique, l’Australie, Turquie, Grèce, Autriche,
ont fait le choix du vote obligatoire.

La technologie nous propose une autre façon d’exprimer notre volonté à l’égard de nos
représentants et nos gouvernants : le vote en ligne et les machines à voter. Y en a des opinions pro –
moderne et contra - traditionnelle. Selon Christophe Voilliot 13, ces pratiques du vote « seraient
socialement discriminatoires… et c’est tout le rituel collectif de l’élection qui serait amené à
disparaitre. » Par contre, P. Barber14, considère que ce n’est pas seulement une technique de vote
supplémentaire, mais surtout la reconstruction d’une « Démocratie forte », « une culture civique plus
proche des concepts de participation, de citoyenneté et d’interactivité politique qui sont ses vertus
essentielles ». En France, les machines à voter son autorisés par le code électoral.

Le principe de la République est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le


peuple. »15 On comprend ici que l’élection est la forme ultime de fonctionnement des sociétés
démocratique, le principe cardinal de la représentation 16. Celui-ci représente l’idéal démocratique.
Certains auteurs ne sont pas d’accord et considèrent que la lutte pour le pouvoir des hommes
politiques n’est menée qu’à la faveur de leurs intérêts, et pas de l’intérêt commun.

B. Les déterminants du vote


Mais d’autres questions se posent. Pourquoi vote-t-on ? Qu’est-ce qui nous fait voter ?

13
Article dans le Nouveau manuel de science politique, A. Cohen, B. Lacroix, P. Riutort, p. 405
14
P. Barber, 1997, p.45, cité par Maigret E. et Monnoyer-Smith L., Le vote en ligne, Réseaux 2002/2-3, n°112-113, p.378
15
Article 2 de la Constitution.
16
Antoine Cohen, Bernard Lacroix, Philipe Riutort, Nouveau manuel de science politique, p. 397

3
Dans la monarchie parlementaire, se sont mises en place les marchés politiques restreints et
censitaires. Il y avait une relation d’échange, personnelle entre les candidats et les électeurs. Avec le
temps, ces « marchés politiques » se sont élargis, et une relation personnelle entre les citoyens et
l’élu est devenue impossible. Dans la démocratie, les candidats ne sont pas élus, mais se font élire 17.

La probabilité de voter dépend du fait que les électeurs se sentent concernés ou pas par
l’élection18. Les individus appartiennent à des groupes sociaux, professionnels, ou politiques, les
partis. «  La scène électorale permet de réactiver le sentiment euphorisant d’appartenance au plus
grand groupe  : la communauté nationale.  »19 Pour Philipe Braud, l’idée de donner son pouvoir à
quelqu'un d’autre, l’appartenance à un groupe avec les même intérêts c’est perdre toute importance
individuel, être une simple fiche, un numéro sur les listes électorales. Il considère que la souveraineté
du peuple est seulement une illusion, que ne concerne que des intérêts personnels : « Faites-moi
plaisir en m’élisant puisque je vous fais plaisir en vous promettant.  » «  Faites-moi plaisir en me
berçant d’illusions (crédibles) puisque je m’apprête à vous faire plaisir en votant.  »

Le vote c’est aussi l’expression d’une identité politique, on vote pour la Gauche ou pour la
Droite, pour le candidat d’un parti ou un autre, parce qu’on a toujours voté comme ça, parce que les
membres de la famille, d’une association, d’un parti votent de la même façon. On parle du désir
d’avoir une identité, d’exister socialement, exercer notre pouvoir par le vote. Je vote, donc j’existe, je
défends mes intérêts, ou j’exprime mon mécontentement à l’égard d’une telle ou telle proposition.
Braud trouve trois exigences de l’électorat : le désir de sécurisation20 (appartenance au groupe
national), le désir d’agression21 (le Pouvoir d’Etat, considéré comme répressif, partial ou incapable) et
le désir de valorisation22 (affirmer une prérogative, exister socialement).

Le vote est le pilier fondamental de la démocratie, les élections constituent donc un moment
unique dans son fonctionnement : celui où chaque citoyen, de manière égale et libre, fait entendre
sa voix. Le vote représente le moyen ultime et décisif dont chacun dispose pour orienter la gestion de
sa commune, de sa région, du pays, de l'Union européenne 23. L’action de voter met le citoyen en
contact direct avec le processus politique et nous lie en tant que citoyens du même Etat.

Dans le sens de la démocratie, exprimer son opinion librement signifie ne pas laisser d’autres
décider à notre place. On a de la chance de vivre dans un pays où tous les citoyens peuvent participer
au gouvernement, à travers le vote, où le parlement discute les affaires d’Etat publiquement. On
peut se mêler des affaires politiques, on peut parler et être écoutés.

Il faut comprendre que la démocratie, le droit de vote universel, la liberté des citoyens, ont
eu un long processus, pour arriver à leur forme actuelle. Ne pas exercer cette prérogative que
représente le droit de vote c’est ne pas reconnaitre ou ignorer l’importance de la démocratie et de la
lutte menée pour l’atteindre (25 siècles). Le vote c’est l’expression de la souveraineté, plus
l’abstention est forte, plus la démocratie est faible.

17
Nouveau manuel…., p. 406
18
Daniel Gaxie, Explication du vote, Un bilan des études électorales en France, 2ème édition, 1985, p. 26
19
Philipe Braud, Le suffrage universel contre la démocratie, 1er édition, 1980, p. 138
20
Idem, p. 137-150
21
Idem, p. 150-159
22
Idem, p. 160- 180
23
www.bruxelles.irisnet.be

4
La crise de la représentation, qui domine l’actualité, est causée par le manque d’intérêt des
jeunes, par exemple, pour la politique. Les citoyens ne se sentent plus représentés dans leurs
intérêts, ils ont perdu la confiance en la politique, par exemple les français font davantage confiance
aux syndicats professionnels pour défendre leurs intérêts, qu’aux partis politiques.

II. La complexité du phénomène de la représentation :


de la délégation du pouvoir du peuple vers
l’autoconsécration du mandataire

Il convient dans cette deuxième partie de comprendre le phénomène de


représentation politique et d’en dégager les problématiques actuelles autour notamment
d’une «crise» de la représentation politique qui émerge depuis quelques années.

A. Quand le représentant se « représente ».


Il s’agit principalement dans ce point d’aborder l’analyse de Bourdieu portant sur la
délégation du pouvoir à nos représentants ; sur ce lien si particulier qui unit le mandataire aux
mandants dans le cadre de la représentation politique. Comment le mandataire se positionne-t-il par
rapport à électorat qui lui a préalablement délégué son pouvoir? Quelles stratégies emmènent le
mandataire à calquer ses intérêts personnels sur ceux des représentés?

La délégation, par laquelle une personne donne à une autre personne du pouvoir, c’est-à-
dire une procuration pour agir en son nom et à sa place, est un mécanisme complexe. Bourdieu met
en évidence le paradoxe qui veut qu’un groupe ne peut exister que par la délégation de son pouvoir
à une personne : le groupe fait l’homme qui parle à sa place, mais c’est aussi le porte-parole qui fait
le groupe. C’est parce qu’il est représenté symboliquement par son mandataire que le groupe existe
réellement et fait exister en retour son représentant. Puis, les individus, surtout les plus démunis, ne
peuvent se constituer en tant que groupe, force capable de se faire entendre, qu’en se dépossédant
au profit d’un représentant : « il faut toujours risquer l’aliénation politique pour échapper à
l’aliénation politique ». Car pour exister, les dominés doivent se mobiliser, alors que les dominants
ont intérêt au laisser-faire, aux stratégies isolées. Les plus démunis, isolés et sans parole, ont le choix
entre se taire ou se faire représenter. «  L’usurpation est à l’état potentiel dans la délégation », le fait
de « parler pour » implique souvent de « parler à la place ». Les représentants s’approprient alors
l’identité du groupe et s’incarnent légalement dans ce groupe. De plus, le travail de délégation est au
principe de l’aliénation politique : les fétiches politiques sont des personnes ou des institutions qui
semblent ne devoir qu’à eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée.

L’autoconsécration du mandataire quant à elle apparaît également comme une dérive


inévitable de la représentation politique. Le mandataire titulaire du pouvoir par le biais de la
délégation expliquée ci-dessus va développer des stratégies qui aboutissent à son autoconsécration.

5
Le mandataire doit alors se faire apparaître comme nécessaire devant l’électorat. Il se présente à ce
dernier comme ayant fait dont de soi, de sa personne pour ne servir que l’intérêt du groupe qu’il se
prétend incarner. L’usurpation nécessite la modestie et la dissimulation. Ainsi c’est parce que le
représentant est capable de devenir « rien », de s’annuler totalement, de se sacrifier qu’il devient 
« tout ». «  Je ne suis rien que le mandataire du peuple, mais ce au nom de quoi je parle est tout, à ce
titre je suis tout  ». La personne individuelle du représentant s’annule au profit d’une personne
morale transcendante qu’est le groupe. Il utilise ainsi le nous dans ces discours mais le je se cache
toujours derrière le nous mis en avant. Si nous étudions le discours du représentant, on peut
remarquer qu’il passe également de l’indicatif à l’impératif lorsqu’il s’adresse au peuple. Ainsi c’est
parce qu’il se présente comme le représentant des classes populaires par exemple qu’il peut inciter
ces mêmes classes à manifester (il utilisera l’impératif : « il faut manifester »).

De plus, Bourdieu développe le concept « d’homologie et les effets de méconnaissance ». Ce


dernier parle alors du « double jeu » du porte-parole : le « je » du mandataire, son intérêt
particulier, doit se cacher derrière l’intérêt professé du groupe, il doit « universaliser son intérêt
particulier » (pour reprendre les termes de Marx) afin de le faire passer pour l’intérêt du groupe.
Passer du « je » au « nous » est un coup de force symbolique au fondement de l’usurpation.

Mais pourquoi est-ce possible ? Bourdieu questionne la vision naïve du mandataire dévoué,
qui fait don de sa personne au groupe avec abnégation, mais aussi la vision machiavélienne, tout
autant naïve, du mandataire comme usurpateur cynique et conscient de son cynisme : « L’imposture
légitime ne réussit que parce que l’usurpateur n’est pas un calculateur cynique qui trompe
consciemment le peuple, mais quelqu’un qui se prend en toute bonne foi pour autre chose que ce qu’il
est »: si l’usurpation et le double jeu fonctionne avec innocence, c’est que souvent les intérêts du
mandataire coïncident avec ceux des mandants.

Par exemple, dans le champ politique c’est-à-dire l’univers autonome, espace de jeu dans
lequel on joue un jeu qui a certaines règles, différentes selon chaque champ, les agents ont des
intérêts spécifiques qui ne sont pas déterminés par leurs mandants. Le champ politique a une gauche
et une droite, l’espace social a des dominants et des dominés, et ces deux espaces se correspondent,
il y a homologie. Si bien que cette « coïncidence structurale » des intérêts des mandataires et des
mandants rend possible une mandature sincère. Les agents qui se contentent d’obéir aux règles du
jeu de leur champ « servent ceux dont ils se servent ». Pour Bourdieu, ce modèle est intéressant en
ce qu’il montre que les mandataires ne sont pas cyniques mais pris dans un jeu.

Enfin, d’après Bernard Manin (Principes du gouvernement représentatif) c’est l’absence de


mandats impératifs ou de promesses légalement contraignantes et le fait que les élus ne sont pas
révocables à tout moment qui confère aux mandataires une réelle indépendance vis-à-vis de leurs
électeurs. Les mandataires préalablement investis par le peuple s’émancipent de lui et ceci sans une
contrainte légale. Néanmoins il faut relativiser cette idée selon laquelle le représentant serait tout
puissant une fois élu. La liberté d‘expression ainsi que l’étude de l’opinion publique (à travers les
sondages notamment) tempère la marche de manœuvre de l’élu. Si ce dernier n’a pas satisfait
l’électorat il se verra sanctionné aux prochaines élections (la manifestation peut également se révéler
comme un moyen de pression important à l’instar du retrait du CPE en 2006). Alors la «Liberté de
l’opinion publique forme ainsi un contrepoids populaire à l’indépendance des gouvernants. ». On

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peut ainsi dire qu’il y a présence d’un mandat impératif symbolique et un mandat effectivement
représentatif.

Après l’étude de ces concepts : délégation du pouvoir, fétichisme politique, auto


consécration du mandataire ainsi que l’homologie des intérêts de ce dernier avec ceux des
représentants; il en ressort très nettement une dérive de l’exercice de représentation politique par
l’élu. Ce dernier investi par le peuple confond ses propres intérêts à ceux du groupe qui l’a promu au
pouvoir. En ce sens, le représentant tend à se représenter avant tout. Le principe de la République
« gouvernement du peuple  par le peuple et pour le peuple »  semble dans son essence être
détourné. Mais quand est-il du phénomène de « crise » de la représentation politique qui est de plus
en plus évoqué dans les médias? Peut-on parler à juste titre d’une crise ou s’agit-il plutôt d’une
simple transformation de la représentation dans les sociétés occidentales?

A. Le phénomène de « crise  » de la représentation politique en


question.

Aujourd’hui, il est de plus en plus fréquent d’entendre parler de «crise» de la représentation


politique dans les médias ainsi que dans les discours des hommes politiques. Cette dernière semble
aux premiers abords pertinente s’il on observe la confusion des intérêts particuliers des
représentants avec ceux du peuple, un taux d’abstention significatif ou encore la confusion entre le
souverain et la société.

À l'origine, les représentants n'étaient censés n’exprimer ou n’incarner que l'intérêt général.
Progressivement, de façon ouverte ou insidieuse, on a admis qu'ils puissent prendre en compte des
intérêts particuliers.

 De façon ouverte :

La Révolution française avait, par la loi Le Chapelier, supprimé les corporations, c'est-à-dire
les organismes représentant les intérêts professionnels. On voulait, à l'époque, que seuls les citoyens
s'expriment en désignant des députés animés par la recherche du seul intérêt général. Mais, à partir
du 19ème siècle, on a admis que des intérêts particuliers de type économique et social puissent
s’organiser et être entendus. Pour la France, légalisation des syndicats (1884) et des associations
(1901). Aujourd'hui, ces intérêts particuliers sont tout à fait reconnus et peuvent être représentés
par des organismes spécifiques aux niveaux politique et administratif. Mais normalement, ces
organismes ont un rôle réduit par rapport aux organes qui incarnent l'intérêt général notamment
Assemblée Nationale et le Sénat. Ils ne sauraient par exemple légiférer. Ainsi, au niveau politique et
administratif, ils n’ont, en droit, qu’un rôle consultatif (voire un rôle de participation à la gestion des
activités administratives). Mais, en fait, syndicats, associations tendent à devenir des partenaires des
autorités élues, participant à la définition des politiques publiques. Il y a ainsi une mise en place

7
d‘une certaine idée de cogestion. Ainsi la Constitution de 1958 a créé un Conseil Économique et
Social succédant au Conseil Économique de la Constitution de 1946; (il comprend aujourd'hui 230
membres dont des représentants des intérêts économiques : 69 représentants des salariés, 72
représentants des entreprises, des intérêts sociaux etc.). Son rôle est précisé par les articles 69 et 70 :
Art 69 : « Le Conseil économique et social, saisi par le Gouvernement, donne son avis sur les projets
de lois, d'ordonnances ou de décrets ainsi que sur les propositions de loi qui lui sont soumis », Art 70:
« Le Conseil économique et social peut être également consulté par le Gouvernement sur tout
problème de caractère économique et social... ». Puis, certains organismes publics sont créés par
l'État comme les chambres professionnelles (gérées par des conseils élus par les professionnels
œuvrant aux intérêts communs ex-: Chambres de Commerce et d'industrie) ou des organismes à la
fois publics et privés tels que les ordres professionnels (organisant certaines professions libérales et
précisant leur déontologie). Il s’opère donc une réelle confusion légale des intérêts particuliers à ceux
de la nation.

 De façon insidieuse :

C’est l'intervention dans le fonctionnement même des institutions politiques élues défendant
donc en principe l'intérêt général, d’organismes défendant des intérêts particuliers de type
économique, politique ou social. Il s’agit des groupes de pression ou lobbies, des syndicats et partis
politiques qui cherchent à avoir une influence sur les représentants au risque de menacer leur liberté
d'expression. Dès lors le risque est que les représentants agissent sans le dire selon un mandat
impératif. En France, les partis politiques selon l'article 4 de la Constitution française de 1958
devraient seulement «  concourir à l'expression du suffrage  ». En fait, ils font bien plus. Ils sont
conduits à établir des programmes électoraux, à investir des candidats et à financer leur campagne
ou encore à les encadrer lorsqu'ils sont élus... etc. ; mais, par ce biais, les partis politiques influencent
sinon déterminent largement les positions de nos représentants. Ainsi à l'Assemblée Nationale ou au
Sénat, les élus sont prisonniers pour la plupart d'une discipline de vote partisane. Ils votent en
fonction des consignes données par les chefs des groupes parlementaires, émanations de partis
politiques. En ce sens, le mandat représentatif de nos députés et sénateurs devient en grande partie
théorique.

Puis, on constate une réelle désaffection des citoyens vis-à-vis de la représentation. Cette
dernière se manifeste notamment par des taux d’abstention de plus en plus élevés dans Europe.
Ainsi aux élections présidentielles 2002, on compte au premier tour 28,4% d’abstention contre 15,2
% en 1965. Néanmoins la forte participation à l'élection présidentielle de 2007 contredit
apparemment cette évolution sauf à considérer que le style assez populiste de certains candidats, et
une médiatisation inégalée ont pu provoquer ce faible taux d’abstention. Le succès de partis
populistes ou nationalistes en Europe ainsi que le recours aux techniques de démocratie directe tels
que le référendum et le droit de pétition semblent aller en faveur d’une «  crise » de la
représentation politique.

La confusion entre le souverain et la société «réelle» semble quant à elle poser problème. En
effet, cette confusion est née d’une radicalisation de l’exigence de représentativité. Les
représentants devraient parler au nom d’un souverain identifié au peuple ou encore les assemblées
devraient refléter fidèlement la composition du corps électoral qui les a élues. On aboutit à cette
idée utopique que la représentation doit être « une photographie » du corps social. Une idée qui

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finalement tend à contredire le principe de souveraineté nationale, la recherche d’un intérêt général
qui transcende les différences d’origine et le nature anarchique de la démocratie. Ainsi si l’on prend
la parité sociale, ethnique qui est de plus en plus revendiquée ; on remarque que pose deux types de
problèmes. Tout d’abord, le but originel de la représentation était de favoriser la formation,
l’expression de l’intérêt général et non de refléter la composition de la société ou d’exprimer la
volonté de ses différentes composantes politiques, sociales, ethniques, etc... La recherche de la
parité si sa logique est poussée jusqu’au bout contredit la représentation. En effet, une Assemblée
composée à l’image de la société « réelle » risque de devenir une réunion de mandataires d’intérêts
particuliers. La parité peut également conduire à l’introduction de procédures portant atteinte au
principe d’égalité. Des citoyens, indépendamment de leurs mérites et de leur réelle conviction
(critère subjectif), auront un poste de représentant en fonction de leur sexe, de leur origine ethnique
(critère objectif).

Enfin, il est devient nécessaire de critiquer la notion de représentation. La représentation est


comprise le plus souvent comme une innovation technique introduite dans la transformation
moderne du régime démocratique. De ce point de vue, elle pourrait être "dépassée" notamment en
ayant recours à des mécanismes originaux visant à permettre une expression directe des peuples ou
à éviter certaines dérives des représentants.
Mais la représentation correspond à une nécessité fonctionnelle de la démocratie liée à
l'impossibilité pour le Souverain d'exister comme être réel. Reconnaître cette nécessité ne signifie
pas renoncer à promouvoir une démocratisation accrue de la représentation. L’instauration de
mandats électoraux courts, non cumulables et renouvelables permettrait sans doute un meilleur
contrôle du travail du représentant ainsi qu’un renouvellement de la classe politique.

Pour Bernard Manin, on ne peut pas vraiment parler de « crise » de la représentation, la


représentation politique se modifie. L’évolution de la représentation politique est liée à la
métamorphose du gouvernement représentatif. Cette mutation du gouvernement représentation
s’articule autours de quatre points : l’indépendance relative des mandataires, la mise en place
d’élections à intervalles réguliers, la liberté de l’opinion publique et la prise de décision après
l’épreuve de la discussion publique. Il présente alors trois idéaux-types de gouvernements
représentatifs à savoir « parlementarisme », « la démocratie de parti  » et « la démocratie du
public ». Les démocraties occidentales seraient passées du « parlementarisme » à «  la démocratie du
public ». La dernière phase du gouvernement représentatif serait apparut avec le développement
des masses médias dans les années 1980.c’est le règne des experts en communication. L’élu
redevient le leader politique et le parti son instrument. Sa marge de manœuvre découle de l’image
floue et schématique de ses promesses électorales. Le Parlement est dominé par la discipline de
soutien du leader et la discussion a lieu avec des groupes d’intérêts et est portée devant le public via
les médias. Ainsi parler d’une « crise» de la représentation semble dépassé.

9
Conclusion:

On peut dire que le principe de la représentation politique tel qu’il a été conçu n’est pas
aujourd’hui appliqué effectivement. En effet, ce dernier tend à s’éloigner toujours plus de l’idéal
démocratique selon lequel les élus investis par le peuple souverain ne défendraient que l’intérêt
général. De ce fait l’intérêt personnel du représentant semble primer sur ceux de la nation. Ce
dernier s’émancipe du peuple et il est fortement influencé par les partis qui exercent sur lui dans
une certaine mesure « un mandat impératif ». La représentation politique est en devenir et parler
d’une crise de la représentation politique semble dépassée puisque les citoyens même s’ils désertent
les urnes ne sont pas pour autant apolitiques. Ils rejettent dans une certaine mesure les moyens
traditionnels d’expression de leurs opinions politiques (le vote) pour des pratiques de participation
au champ politique moins conventionnelles telles que la manifestation. La notion de représentation
politique est donc en mutation.

Question débat : pensez-vous que l’octroi du vote aux étrangers non ressortissants de l’Union
Européenne, de l’insertion d’éléments de démocratie directe ainsi que l’instauration d’un mandat
impératif pourrait améliorer la représentativité des Français ?

10
Bibliographie

 Philipe BRAUD, Le soufrage universel contre la démocratie, chapitre III, Les exigences
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 www.politique.net
 www.bruxelles.irisnet.be

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