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1.4.

La classe de FLE et le monde


Nastasja Caneve : Mes premières expériences en tant que prof de FLE m’ont rappelé cette
ambiance toute particulière des classes de langue étrangère quand j’étais moi-même
étudiante. Qu’est-ce qui fait cette particularité ?

Jean-Marc Defays : C’est vrai qu’une classe de langue étrangère, notamment de FLE, ne
ressemble pas à aucune autre. À une certaine époque, on opposait la classe au monde
extérieur, en défaveur de la classe qu’on estimait être un endroit artificiel, fermé, figé où il
n’était pas possible d’avoir des communications authentiques, donc d’apprendre des langues
étrangères. Cette opposition classe vs. monde (naturel) est maintenant dépassée : non
seulement on estime que la classe fait partie du monde, au même titre que la gare, le bureau,
le magasin, mais que la classe n’est plus un lieu fermé et artificiel, mais qu’elle doit au
contraire s’ouvrir sur le monde et en faciliter l’accès.

Une des principales spécificités de l’enseignement des langues actuel est précisément
d’associer étroitement son objet et son instrument : on enseigne la langue en la parlant, la
communication en communiquant, l’approche interculturelle en la pratiquant. On ne peut
plus compter sur le principe du « Fais ce que je te dis, mais pas ce que je fais ».

Pour être plus précis, on peut décrire deux mouvements fondamentaux qui animent une
classe de langue :

- Une force centripète : Nous avons déjà dit, l’exercice d’une langue et l’exposition à une
culture étrangères sont exigeants, souvent déstabilisants. Aussi est-ce important que
règne dans cette classe un climat de confiance et un esprit de solidarité pour que les
apprenants osent y prendre non seulement la parole, mais aussi des initiatives sans avoir
peur d’être mal jugés sur leurs erreurs linguistiques ou leurs maladresses culturelles. Dans
cette perspective, la classe de langue constitue donc un microcosme où chaque membre
a un rôle sur mesure et une zone franche où l’on peut parler librement, et le professeur
est surtout le coach d’une équipe.
- Une force centrifuge : Cette même classe doit être en rapport direct – linguistiquement,
culturellement, mentalement, techniquement (grâce à internet) – avec le monde cible,
qu’il se trouve de l’autre côté des murs de l’école ou à des milliers de kilomètres. Il est
indispensable, si l’on veut que l’usage de la langue que l’on enseigne dépasse le cadre de
cette classe, de décloisonner le cours de langue, de faire sortir les élèves ou d’y inviter

MOOC ULiège « Moi, prof de FLE » © Module 1, Séquence 4, La classe de FLE et le monde 1
des autochtones (réellement ou virtuellement), en commençant notamment par des
projets interdisciplinaires avec des collègues (autochtones ou allophones) au sein de la
même école.

Faut-il ajouter que le travail au sein de la classe – parfois seulement quelques heures
hebdomadaires – ne peut suffire à apprendre une langue étrangère, qu’il doit s’articuler à un
travail en dehors de la classe, activités personnelles et en groupe, aussi importants au progrès
de l’apprentissage. Un des rôles principaux du professeur est d’orchestrer ces activités au sein
et en dehors de la classe pour les associer de manière stimulante et cohérente dans la
perspective du projet d’apprentissage de chaque apprenant.

Quand je parle de « travail », il ne faudrait pas penser que tout doit être prévu et contrôlé : au
contraire, suffisamment de marges de manœuvre doivent être laissées à l’apprenant pour
pratiquer librement la langue et la culture étrangères en fonction de ses goûts et des
occasions.

Nastasja Caneve : C’est important d’articuler la classe au monde. Comment peut-on


procéder ?

Jean-Marc Defays : Dans la mesure du possible, on utilisera en classe la langue pour les
mêmes raisons, ou plutôt les mêmes « fonctions », pour parler comme les sociolinguistes, que
dans la vie quotidienne. Quelles sont ces fonctions ?

1. La première à laquelle on pense, mais qui n’est peut-être pas la plus importante, est que
l’on parle pour communiquer, c’est-à-dire transmettre des informations. Aussi faut-il
s’assurer qu’on échange réellement des informations en classe, intéressantes de
préférence, et que l’on ne se contente pas à faire semblant, seulement pour s’exercer.
2. On prend tout aussi souvent la parole dans la vie quotidienne pour socialiser, pour
s’associer aux autres, des proches ou des inconnus, pour former des groupes. Cette
fonction est aussi essentielle à mettre en œuvre en classe pour y susciter la convivialité
et la collaboration.
3. La langue nous est aussi indispensable pour comprendre le monde. En classe aussi, il est
important que la pratique de la langue étrangère permette d’apprendre autre chose que
cette langue. C’est d’ailleurs le principe de l’immersion et des écoles plurilingues.

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4. On ne peut se contenter de comprendre ; on recourt aussi à la langue pour agir sur le
monde, y prendre une part active. On parle ici de la « fonction pragmatique » que l’on
peut exercer notamment dans la pédagogie par projet ou actionnelle.
5. Mais la langue n’est pas seulement un instrument de communication ou d’action. Elle fait
également partie de notre identité, collective ou individuelle ; on en a besoin pour se
(re)connaître, culturellement, symboliquement, personnellement. L’apprentissage
d’une langue étrangère doit être l’occasion pour chacun d’approfondir et d’enrichir sa
personnalité.
6. Enfin, on peut pratiquer la langue pour rien, si ce n’est pour le seul plaisir que cette
activité nous procure, que ce soit quand on joue avec les mots, quand on fait de l’humour,
quand on lit ou on écrit de la poésie. Cette fonction n’est certainement pas moins
importante que les autres.

Je pense que toutes les activités à organiser en classe de langue et de culture étrangères (et
en dehors, bien sûr) peuvent, doivent même répondre à ces différentes fonctions pour que
les apprenants puissent s’approprier cette langue et cette culture, qu’elles finissent par faire
partie d’eux-mêmes, de leur vie intime et quotidienne.

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