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Steven Coissard
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ISSN 0180-7307
ISBN 9782200923235
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2007-1-page-111.htm
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Contributions and limits
Steven COISSARD
Docteur en sciences économiques
Espace Europe – CREPPEM
Université Pierre Mendès France, Grenoble II
BP 47
38040 Grenoble Cedex 9
steven.coissard@upmf-grenoble.fr
RÉSUMÉ
Paul KRUGMAN, professeur d’économie à l’université de Princeton, est reconnu pour la modélisation
des rendements croissants, tout d’abord dans la théorie du commerce international, puis dans son
application à l’économie géographique. Ses modèles visent essentiellement à expliquer la localisation
des activités et la concentration des entreprises sur une région, un territoire ou un pays. L’objectif est
ici de présenter la participation de Paul KRUGMAN à l’évolution récente de l’économie géographique.
Certes, son approche n’est pas novatrice, mais elle a donné un nouvel élan à cette « discipline » qui ne
parvenait pas à sortir d’une certaine léthargie. Néanmoins, ses travaux n’ont pas reçu un accueil
unanime de la part des géographes, du fait de leurs limites mais également parce que ses méthodes de
travail sont différentes. Chacun aurait cependant à gagner à une mise en commun des recherches, à
une approche réellement pluridisciplinaire.
SUMMARY
Paul KRUGMAN, professor of economics at Princeton University, is well-known for his models of
increasing returns in the world trade theory and their use in economic geography. His aim is to explain
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the reasons for the localization of activities and the concentration of firms. The purpose of this paper
is to set out KRUGMAN’s key role in the current evolution of economic geography. Even though his
approach is not innovative it gave new impetus to this field, which could not get through a state of
lethargy. Nevertheless, geographers did not welcome his research because of its limitation and also
because his methodology is different. Still, everybody would benefit from sharing one another’s
research, to concur in a multidisciplinary approach.
Introduction
Depuis la fin des années 1980, la géographie économique connaît un second
souffle à travers deux mouvements plus ou moins contradictoires : d’une part la
nouvelle géographie économique émanant de géographes anglo-saxons tels que
SCOTT, STORPER ou WALKER mais également français avec BENKO, LIPIETZ, COURLET ou
PECQUEUR, et d’autre part, l’économie géographique de Paul KRUGMAN, vieille
réminiscence de la regional science pour certains. Ce regain d’intérêt pour la géogra-
phie économique est principalement la conséquence de la globalisation économi-
que. Effectivement, les anciennes théories ne pouvant plus expliquer la conjoncture
économique, les spécialistes se sont portés sur de nouveaux axes de recherche. Ainsi,
selon Alain LIPIETZ, un nouveau « champ d’économie [{] a vu monter comme une
étoile filante Paul KRUGMAN » (BENKO, 1999a, p. 218) à travers un travail de rappro-
chement entre la nouvelle théorie du commerce international et l’économie géogra-
phique. Sur la base des nouveaux résultats établis dans la nouvelle théorie du
commerce international, l’économiste de Princeton va appliquer ses modèles à la
géographie économique, notamment en ce qui concerne la localisation des activités
industrielles. Ainsi, il utilise le modèle de concurrence monopolistique originelle-
ment décrit par DIXIT et STIGLITZ en suivant une dynamique spatiale. Si ce dernier est
fortement irréaliste, il constitue l’unique moyen d’inscrire les rendements croissants
dans l’analyse géographique. De plus, il comporte l’avantage d’être flexible et
malléable. Dès lors, les externalités seront une conséquence des interactions du
marché permettant aux entreprises de réaliser et d’exploiter des économies d’échelle.
Les bases du modèle de Paul KRUGMAN ont été exposées dans Increasing Returns and
Economic Geography{ (KRUGMAN, 1991) puis réactualisées grâce aux nombreuses
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Pour répondre à ces questions, nous allons tout d’abord essayer de définir
l’économie géographique au sens de Paul KRUGMAN (partie I), puis nous analyse-
rons quelle est l’importance de son travail de recherche (partie II) et enfin nous
exposerons les principales critiques qui peuvent lui être adressées (partie III).
-1-
L’économie géographique selon Paul KRUGMAN
By «economic geography»’, [il entend] «the localisation of production in space»; that is,
that branch of economics that worries about where things happen in relation to one another.
It is not worth trying to define my subject more exactly than that 1 ». L’économie
géographique ne peut pas se définir comme un domaine structuré mais plutôt
comme un ensemble d’idées rassemblées autour de l’axe de recherche auquel nous
nous intéressons.
les différences de développement entre les régions parce qu’il pense que l’économie
géographique est le cœur du processus « qui crée et qui entretient la richesse
économique et les échanges d’un pays » (MARTIN et SUNLEY, 2000, p. 35). Les fins de
la géographie économique sont donc multiples et au centre de plusieurs questions
économiques déterminantes.
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plutôt que dans une autre, Paul KRUGMAN propose d’essayer d’appréhender les
raisons pour lesquelles certaines activités se concentrent dans une région, alors que
d’autres régions jouent le rôle de périphérie de ce cœur industriel. Dans ces condi-
tions, le second objectif dépend implicitement du premier puisque les raisons d’un
développement inégal reposent sur la concentration de l’activité industrielle dans
une région, laissant d’autres régions dans un état végétatif. L’interaction entre les
rendements croissants et les coûts de transport peut permettre d’expliquer le déve-
loppement inégal à une grande échelle, avec une région qui en démarrant son
industrialisation plus tôt, du fait de conditions initiales favorables ou en raison du
rôle de l’histoire, attire toutes les capacités industrielles des autres régions. Dans cet
objectif, FUJITA, KRUGMAN et VENABLES démontrent, dans leur dernier ouvrage, à
partir de leur modèle de base auquel ils intègrent les biens intermédiaires (chapitre
14), les raisons de la division du monde en deux parties de développement inégal et
l’essor industriel des pays asiatiques. Enfin, selon Paul KRUGMAN, la géographie
économique est essentielle pour déterminer l’origine de crises n’ayant a priori
aucune cause précise. À travers le caractère auto-organisateur de l’économie, il prend
l’exemple de la croissance des ouragans et des embryons pour définir le principe
d’« ordre à partir de l’instabilité ». En fait, il propose de décrire l’économie comme
un système complexe où le « hasard et l’ordre semblent spontanément évoluer en un
ordre inattendu » (KRUGMAN, 1998a, p. 10) ; or, la géographie économique est le
moyen de le faire.
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-2-
Paul KRUGMAN dans l’économie géographique
L’influence d’illustres économistes tels que Nicholas KALDOR ou Walter ISARD sur
les travaux de Paul KRUGMAN nous amène logiquement à nous demander si l’éco-
nomiste, qui a été à l’origine de la nouvelle théorie du commerce international, peut
apporter quelque chose de nouveau et d’utile à la géographie économique. Néan-
moins, avant de répondre à cette question, nous allons exposer quelles ont été les
raisons qui ont poussé Paul KRUGMAN à étudier l’économie géographique.
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hender les différents aspects du commerce international qui restent sa principale
priorité. Pourtant, s’il décrit au moins trois causes pour lesquelles il est important de
faire de la géographie économique, lui-même a more or less suddenly realized that [he
has] spent my whole professional life as an international economist thinking and writing
about economic geography, without being aware of it 3. Par la suite, il s’est rendu à
l’évidence que la localisation des activités à l’intérieur des nations est un sujet
important en lui-même. Pour un pays aussi grand que les États-Unis, l’allocation de
la production entre les régions est, très certainement, un problème aussi important
que le commerce international et, en tout cas, plus important que les questions
traitées par la plupart des économistes. Ensuite, la relation entre l’économie inter-
nationale et l’économie régionale devient de plus en plus difficile à déterminer.
Le plus grand frisson, dans la théorie, est le moment où le modèle vous dit quelque chose
qui aurait dû s’imposer depuis le début, quelque chose que vous pouvez mettre immédia-
tement en relation avec ce que vous savez du monde et dont vous n’aviez pas, jusqu’à ce
moment-là, pris réellement conscience. La géographie procure toujours ce frisson (BENKO,
1999b, p. 408).
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économique. En effet, après avoir développé une nouvelle conception de la théorie
des échanges internationaux, il reprend, dans Geography and Trade, l’analyse des
rendements croissants à partir d’un nouvel angle de vue. En légitimant le rôle des
rendements croissants dans le commerce international, Paul KRUGMAN s’est rendu
compte que ces mêmes techniques pouvaient être utilisées pour conquérir un
nouveau domaine jusqu’alors totalement proscrit, l’économie géographique. Par
conséquent, avec l’introduction de la concurrence imparfaite, il va mettre en évi-
dence l’implication des rendements croissants et des économies d’échelle dans la
localisation de la production.
Les attaques contre Paul KRUGMAN, sur le fait qu’il ne fait que reprendre la vieille
science régionale de Walter ISARD, ne sont pas entièrement fondées. Effectivement,
s’il ne renie pas l’héritage d’ISARD, il rajoute la critique émise il y a 50 ans par KALDOR,
contre la théorie de l’équilibre pur et parfait, et les économies externes de proximité
ou d’agglomération développées par MARSHALL. En fait, Paul KRUGMAN s’est engouf-
fré dans une brèche laissée vacante par les tenants de la géographie économique et
a construit, sur une base néoclassique, une théorie hybride composée de ce qu’il
appelle les cinq traditions bannies : la théorie de la localisation, la physique sociale,
la causalité cumulative, la modélisation de l’utilisation du sol et les externalités
locales marshalliennes de la théorie « centre-périphérie. » Dans cette optique, il
rejette les approches marxistes et régulationnistes en relation avec le « post for-
disme » qui avaient remplacé les modèles quantitatifs. Encore une fois les critiques
sont nombreuses parce que l’économie spatiale néoclassique néglige les aspects
sociaux.
the decision by international economists to ignore the facts that they are doing geography
wouldn’t matter so much if someone else were busy{ looking at localization and trade
within countries. Unfortunately, nobody is. That is, of course, an unfair statement. There
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are excellent economic geographers out there{ They may do excellent work, but it does not
inform or influence the economics profession 4.
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Alain LIPIETZ, cette méthode ajoutée à la faiblesse de la concurrence a permis à Paul
KRUGMAN de devenir le leader de la nouvelle « économie géographique ». Ainsi, les
critiques, de simplicité ou de réactualisation d’anciennes idées, portées à l’encontre
de l’économiste de Princeton ne semblent pas totalement fondées : la configuration
centre-périphérie dans laquelle toutes les unités de production sont concentrées
dans une seule région avait déjà été développée par KALDOR mais restait à modéliser.
Similairement, Paul KRUGMAN a formalisé les rendements croissants et les externa-
lités pécuniaires définies par MARSHALL.
Ces deux résultats ont donné lieu à de nombreux développements. Sur le premier
point, nous pouvons notamment citer les travaux de MARTIN et OTTAVIANO, lesquels
ont rapproché les théories de la croissance endogène avec le modèle de KRUGMAN et
VENABLES (MARTIN et OTTAVIANO, 1996), puis ont donné une explication de l’agglo-
mération par les dotations initiales des régions en capital (MARTIN et OTTAVIANO,
1999), enfin ils ont introduit les concepts d’innovation et d’accumulation pour
aboutir à une structure de centre-périphérie (BALDWIN et al., 2001). Sur le second
point, les recherches les plus abouties sont celles menées par D. PUGA, d’abord avec
VENABLES, en distinguant les industries selon leur intensité en travail (PUGA et
VENABLES, 1996). Ensuite, en démontrant l’importance du rôle de la mobilité de la
main-d’œuvre dans la localisation finale des activités (PUGA, 1999). Si les tra-
vailleurs sont mobiles géographiquement, alors les relations verticales entre les
Paul KRUGMAN peut sans nul doute être considéré comme le père et le chef de file
de la nouvelle géographie économique, d’une part, parce qu’il a permis de modéliser
les rendements croissants et les a utilisés pour comprendre la localisation des
activités, d’autre part, parce que ses travaux sont à l’origine de plusieurs développe-
ments et élargissements. Néanmoins, pour être tout à fait objectif, nous devons
désormais nous pencher sur les limites de son approche.
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Les limites de l’approche Krugmanienne
La principale faiblesse de l’économiste de Princeton, se retrouve dans la plupart
de ses travaux. Sous des apparences de respectabilité mathématique, Paul KRUGMAN
parvient à rendre compte de tout et de son contraire. Cette limite est à nuancer
puisqu’elle est moins valable si nous considérons l’ensemble du champ auquel les
travaux de Paul KRUGMAN ont donné naissance. En outre, il est très difficile de décrire
une vue d’ensemble de son œuvre étant donnée la profusion et la constante évolu-
tion, remettant parfois en cause ses anciennes publications de son travail. Nous
rejoignons les commentaires de Ron MARTIN et Peter SUNLEY qui se sont heurtés à
cette « tendance{ [de] revenir sans cesse sur ses idées antérieures voire à les rejeter »,
ce qui les a « réduit à tenter de viser une cible mouvante » (MARTIN et SUNLEY,
2000, p. 79).
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Après ces faiblesses d’ordre général sur son travail, nous allons maintenant nous
recentrer sur les limites intrinsèques à ses modèles de base.
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nous situons : pays, régions, villes{ Ce qui est possible au niveau régional peut ne
pas être applicable au niveau national. Hormis cela, le principal défaut de la
description centre-périphérie repose sur son irréalisme. En effet, la représentation de
la concurrence imparfaite et la formalisation mathématique nécessitent l’applica-
tion d’hypothèses peu réalistes. Certes, la simplification des hypothèses permet de
rendre compte de certains éléments qui n’auraient pas pu l’être autrement, mais
lorsqu’il s’agit d’appliquer le modèle à d’autres problèmes, ces hypothèses engen-
drent une difficulté supérieure à l’avantage de malléabilité qu’elles produisent.
Ainsi, si cette simplification peut être nécessaire dans un premier temps, les résultats
doivent faire l’objet d’une plus grande robustesse.
Ces limites portent sur l’environnement du modèle, celles que nous allons
décrire maintenant sont inhérentes au modèle. Nous examinerons successivement
les retombées technologiques, le comportement stratégique des entreprises, l’effet
pro-compétitif, les aspects sociaux, les coûts de transport et la formalisation.
Dès 1920, Alfred MARSHALL avait indiqué les raisons de la localisation des
entreprises en décrivant trois sortes d’externalités. Le modèle de Paul KRUGMAN
s’appuie largement sur cette description, mais, s’il insiste sur les deux premières : la
mise en commun du marché du travail et la disponibilité de fournisseurs spécialisés,
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il néglige l’impact de la troisième : l’existence d’effets d’entraînement des connais-
sances techniques. Pourtant, dans la théorie du commerce international, il affirme
que les échanges produisent des externalités positives parce que les entreprises
innovantes ne parviennent pas à conserver le monopole des connaissances qu’elles
produisent. Une fois encore, il se contredit. La raison explicative de « son manque
d’enthousiasme à mettre en avant les effets d’entraînement technologiques comme
déterminants majeurs des regroupements d’activités actuels » (MARTIN et SUNLEY,
2000, p. 50) réside dans la difficulté de modéliser ces externalités dont l’envergure
est soit nationale, soit internationale. La minimisation de l’importance de ces
externalités amène KRUGMAN à interpréter la concentration moderne avec les forces
de localisation présentes au XIXe siècle. En outre, l’héritage du modèle de CHAMBER-
LIN renforce l’éviction des effets fondés sur la connaissance technique. Effective-
ment, cette approche suppose que les économies d’échelle sont internes aux entre-
prises et, qu’elles-mêmes, produisent des biens différents. En définitive, si nous
tenons compte du fait qu’une infime partie des économies externes est utilisable, en
négliger une réduit d’autant plus la portée du modèle.
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Above all, the assumed symmetry among varieties, and the resulting absence both of
monopoly rents in equilibrium and of strategic behaviour by firms, means that Dixit-
Stiglitz analyses undoubtedly miss much of what really happens in imperfectly competi-
tive industries (KRUGMAN, 1998b, p. 164).
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entreprises et donc du mark up constant repose sur la négligence de l’effet pro-
compétitif ou pro-concurrentiel. Cet effet peut s’entendre comme une force centri-
fuge tendant à réduire les prix, les profits et l’attractivité de la région au fur et à
mesure que la concurrence s’accroît dans une localité. Cette hypothèse est particu-
lièrement atypique dans les études traditionnelles de concurrence spatiale puis-
qu’elle ne fait pas la différence entre concurrence sur les prix et concurrence sur les
quantités. Par conséquent, l’effet stratégique de baisse des prix du fait de la concur-
rence, élément essentiel dans un modèle de type HOTELLING, est absent.
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mération, soit de diversification. Or, les coûts de transport font l’objet d’une
hypothèse sur laquelle nous devons nous attarder. Il y a plusieurs années, Paul
SAMUELSON a mis en évidence une forme particulière des coûts de transport :
l’« iceberg ». Cette hypothèse est très fonctionnelle puisqu’elle permet d’affirmer
que la technologie utilisée pour exporter les biens est la même que celle qui a été
employée pour les produire. Afin de valider sa supposition, Paul KRUGMAN fait
référence au modèle développé par VON THÜNEN en 1826. Dans celui-ci, l’écono-
miste allemand supposait que le coût principal du transport pouvait être interprété
comme le grain consommé par les chevaux tout au long du trajet. Or, comme les
marchandises transportées étaient elles-mêmes des produits agricoles, en l’occur-
rence du grain, nous pouvions dire que la technologie de production et de transport
sont identiques. Certes, cela peut être encore valable aujourd’hui, mais, de toute
évidence, il s’agit d’une situation particulière. En outre, le modèle de Paul KRUGMAN
suppose que seul les biens industriels supportent un coût de transport, les produits
agricoles pouvant, quant à eux, être transportés librement. Donald DAVIS (DAVIS,
1998) démontre qu’une telle hypothèse est susceptible de neutraliser l’effet lié au
marché domestique, d’autant plus que, dans le monde réel, les coûts de transport sur
les biens agricoles sont au moins aussi importants que ceux s’appliquant aux biens
industriels. Dans le chapitre 7 de The Spatial Economy{, Paul Krugman engage une
approche identique, sans aucune référence à Davis, mais parvient à un résultat
différent. Selon Davis, il n’existe aucune preuve formelle de l’influence de la taille du
marché du secteur industriel, alors que pour Krugman, une réduction des coûts de
transport agricoles pourrait déclencher la concentration. Quoi qu’il en soit, étant
donnée l’importance des coûts de transport dans le modèle F.K.V., ils ne devraient
pas reposer sur des hypothèses trop restrictives.
3.6. La formalisation
Réaliser de jolis modèles mathématiques amène souvent à négliger les éléments
difficilement formalisables. Alain LIPIETZ et Ron MARTIN ont parfaitement vu que
Paul KRUGMAN n’échappe pas à la tradition. Dans l’entretien qu’il a accordé à
Géographie, Économie et Société en 1999, Alain LIPIETZ reproche au père de la théorie
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De son côté, Ron MARTIN (MARTIN, 1999) fait, à quelques choses près, les mêmes
remarques. Pour lui, la formalisation mathématique est la principale cause de la
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négligence du monde réel. Par conséquent, l’une des différences majeures entre
l’économie géographique de Paul KRUGMAN et la géographie des géographes se
traduit par la distinction entre théorique et empirique. La question est donc de
savoir si un modèle théorique est nécessaire pour étudier les phénomènes de
concentration que nous pouvons réellement observer dans notre économie. Cela
peut paraître bizarre de porter cette critique sur le travail de KRUGMAN qui s’est
toujours placé en dehors de l’orthodoxie traditionnelle. Dans Development, Geogra-
phy and Economic Theory, Paul KRUGMAN a même dénoncé le développement de la
formalisation en géographie économique qu’il considère comme un retour en
arrière puisque depuis, le modèle décrit par DIXIT-STIGLITZ reste toujours la seule
référence disponible pour représenter la concurrence imparfaite.
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NOTES
1 - « Par ‘‘géographie économique’’ [il entend] ‘‘la localisation de la production dans
l’espace’’ ; c’est-à-dire la branche des sciences économiques qui s’intéresse au lieu où les
choses se produisent et leurs relations entre elles. Cela ne vaut pas la peine de définir mon
sujet plus exactement », P. KRUGMAN, 1992, Geography and Trade, 2nd Printing, MIT Press,
Cambridge, p. 1.
2 - « De donner un sens à la complexité confuse du monde réel », P. KRUGMAN, 1992,
Geography and trade, op. cit. p. 2.
3 - « A plus ou moins subitement réalisé qu’il avait passé l’ensemble de sa vie professionnelle
comme un économiste international pensant et écrivant sur l’économie géographique
sans en avoir conscience », P. KRUGMAN, 1992, Geography and Trade, op. cit. p. 1.
4 - « La décision prise par les spécialistes de l’économie internationale d’ignorer qu’ils fai-
saient de la géographie n’aurait pas autant d’importance si certains s’occupaient [{] à
étudier la localisation et les échanges dans les pays. Malheureusement, personne ne le fait.
Bien sur, c’est injuste. Il existe d’excellents spécialistes de géographie économique [{] Ils
font un excellent travail mais ce dernier ni n’éclaire ni n’a d’impact sur le monde
économique », P. KRUGMAN, 1992, Geography and Trade, op. cit. p. 3-4.