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Annales de Géographie

Alger, étude de géographie et d'histoire urbaines


Augustin Bernard

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Bernard Augustin. Alger, étude de géographie et d'histoire urbaines. In: Annales de Géographie, t. 40, n°224, 1931. pp. 202-
204;

doi : https://doi.org/10.3406/geo.1931.11301

https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1931_num_40_224_11301

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ALGER
ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE URBAINES
Parmi les nombreuses publications auxquelles a donné lieu le Centenaire
de l'Algérie, une des plus importantes est sans contredit le beau livre que
Mr René Lespès a, consacré à la monographie d'Alger1. En 1925, l'auteur, à
la demande de la municipalité d'Alger, avait publié sur le même sujet une
première esquisse2, destinée à servir d'introduction au plan
d'agrandissement et d'embellissement de la ville. Élargissant cette fois son cadre, il s'est
proposé de montrer comment l'ancienne capitale de la Régence, qui nous avait
été livrée en 1830 dans un état de déchéance complète, s'est transformée en
une grande cité des plus prospères, véritable capitale de l'Algérie : c'est là
un chapitre, et non le moins intéressant, de l'histoire de la colonisation
française dans l'Afrique du Nord, et Mr Lespès a écrit ce chapitre d'une manière
définitive.
Son livre n'est ni un ouvrage de pur urbanisme, ni une thèse de
géographie pure. Tout en étudiant très soigneusement les circonstances physiques
qui ont favorisé ou retardé la croissance d'Alger, Mr Lespès a fait une large
place à l'histoire. L'illustration, très riche et très documentaire, permet de
suivre Alger ancien et moderne dans ses transformations successives, et une
belle carte d'Alger et de ses environs, avec courbes de niveau, d'après les levés
de précision du Service géographique de l'Abmée, met sous nos yeux la
topographie si curieuse de la grande ville et de ses extensions.
Mr Lespès, comme il convient, étudie d'abord les conditions naturelles,
la position, le site, les ressources, le climat. Ces conditions sont pour la
plupart assez favorables ; cependant, si la banlieue d'Alger, Sahel et Mitidja, est
vraiment un cadre digne d'une grande ville, des obstacles assez sérieux, dont
on n'a triomphé qu'au prix de travaux considérables, s'opposent aux
relations d'Alger avec le reste du pays : obstacle de la Kabylie à l'Est, du massif
de Miliana à l'Ouest, de l'Atlas de Blida au Sud. A vrai dire, les Français en
Algérie n'ont pas travaillé dans le neuf, comme on l'a fait dans les Amériques
ou en Australie : ils étaient les héritiers du passé, et, s'ils ont établi leur
capitale à, Alger, c'est qu'ils y succédaient aux Turcs. Peut-être Alger élèvera-
t-elle un jour une statue à Barberousse, comme Mexico l'a fait à Montézuma,
car c'est bien Barberousse qui, en réunissant l'îlot du Pefion à la terre ferme
par un môle et en créant le célèbre port des corsaires, a été son véritable
fondateur. La bonne fortune a voulu que les Français trouvassent dans le site
d'Alger, pour leur ville et pour leur port, des avantages auxquels n'avaient
nullement songé les Barbaresques, l'ancienne darse turque et l'ancienne ville
turque jouant, par rapport au port moderne et à la ville moderne, à peu près
le même rôle que le cothon de Marseille et la vieille cité phocéenne par
rapport au Marseille du xxe siècle. L'Alger turc, tout grouillant de janissaires, de
corsaires, de renégats et d'esclaves, était une des cités les plus curieuses et les
1. René Lespès, Alger, étude de géographie et d'histoire urbaines, Thèse pour le
doctorat, Paris, F. Alcan, 1930, in-8°, 860 p., 16 pi. phot., 21 plans, croquis et graphiques,
1 carte hors texte à 1 : 10 000.
2. Alger, esquisse de géographie urbaine, Alger, J. Carbonel, 1925, in-8°, 230 p. Voir
Bibliographie géographique, 1925, n° 2142.
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plus pittoresques du monde. Les Algérois, après l'avoir défigurée et détruite
par un impardonnable vandalisme, se sont pris de passion pour le peu qui en
reste, et Mr Lespès nous en a donné une description qui sera très goûtée de ses
lecteurs.
La plus grande partie du livre est, comme de juste, consacrée à
l'aménagement du site, à la construction de la ville moderne et à son développement
depuis 1830 jusqu'à nos jours. C'est l'étude d'urbanisme proprement dite ;
on y suit, par périodes et par quartiers, les diverses phases de la croissance
d'Alger et parfois de son enlaidissement, dont Mr Lespès explique très bien
les causes, à savoir l'erreur initiale de vouloir greffer une ville européenne sur
une vieille ville indigène dont l'emplacement ne pouvait en aucune façon lui
convenir, les hésitations du début, les vues mesquines et sans grandeur, les
difficultés incontestables de la topographie, enfin les servitudes militaires.
Quelques-uns des derniers maires d'Alger, un artiste comme Charles de Gal-
land, un réalisateur comme Mr Brunel, se sont efforcés de réparer le mal,
sans toujours y réussir. Une comparaison s'impose entre Casablanca, où le
Maréchal Lyautey et son collaborateur Mr Prost ont su créer une ville bien
aménagée dans le site le plus triste et le plus ingrat du monde, et Alger, où
l'homme a gâché de tant de façons le cadre merveilleux tracé par la nature.
Mr Lespès a fait une étude très approfondie du mouvement de ,1a
population de 1830 à 1926, de sa répartition et des éléments du peuplement. Il a
suppléé dans la mesure du possible à l'insuffisance des statistiques, s'astreignant
à dépouiller lui-même les feuilles individuelles de recensement rue par rue et
maison par maison. Enfin, et on ne saurait assez l'en féliciter, il s'est livré à
des enquêtes personnelles sur divers faits d'ordre économique et social,
enquêtes qui sont partout nécessaires, mais qui s'imposent plus qu'ailleurs
dans un pays comme l'Algérie où l'étude des villes est encore à ses débuts et
où l'inventaire détaillé de leurs ressources est à peine ébauché.
Alger, qui comptait environ 30 000 hab. en 1830, en avait 214 920 en 1926,
date du dernier recensement, dont 159 649 Français ou étrangers. Si l'on y
joint la population de la banlieue, on arrive au chiffre de 284 466 hab., dont
203 448 Européens. C'est seulement à partir de 1880 et surtout à partir de
1900 qu'Alger, jusque-là petite ville provinciale un peu endormie, est devenue
vraiment une des grandes cités méditerranéennes. Les divers éléments aussi
bien européens qu'indigènes se sont groupés suivant leurs origines, leurs
affinités, leur mode d'existence, dans des quartiers ethniques plus ou moins
compartimentés, ici les Français, ailleurs les Espagnols, ailleurs les Italiens,
ailleurs les Israélites, ailleurs les musulmans ; ces divisions tendent à s'effacer
quelque peu, et il était d'autant plus intéressant de noter leur localisation
avant qu'elle ne perde de sa netteté. Alger n'est pas seulement la plus grande
ville européenne de la colonie, c'est aussi la plus grande ville indigène. Au
résidu de l'ancienne population de Maures, dont on ne peut dire exactement
ce qu'elle est devenue numériquement, s'est ajouté un peuplement indigène
nouveau provenant de l'intérieur ; ce peuplement est composé surtout de
Kabyles ; en 1926, on en comptait 20 165 sur 55 271 indigènes musulmans,
soit 38 p. 100 du total ; les anciens citadins constatent du reste cette
invasion kabyle, et les vieilles familles indigènes appellent le quartier de la Kasba
« Tizi-Ouzou ».
204 ANNALES DE GÉOGRAPHIE
Le principal facteur de la vie économique d'Alger est évidemment son
port, qui a passé par les mêmes alternatives que la ville elle-même, reflétant
comme elle les crises de langueur et les poussées de croissance de la colonie.
La ville et le port ont suivi dans leur extension la même direction, celle du
Sud. Alger doit à sa position centrale, à son rang de capitale, aux services
réguliers qui le desservent, d'être la principale porte d'entrée et de sortie des
voyageurs (217 592 en 1926) ; le trafic des importations, en cette même année
1926, a été de 1 440 388 t., celui des exportations, de 1 478 611 t. Mais Alger,
qui, jusqu'en 1922, était de beaucoup et sans comparaison possible le premier
port de l'Algérie, s'est laissé regagner, puis devancer par Oran, qui a fait dans
ces dernières années des progrès impressionnants. En 1929, Oran accusait
6225972 t. de relâcheurs, et Alger, 2711705t. seulement ; pour le tonnage
métrique des marchandises manipulées, Oran, avec 3 805 248 t., dépassait
également Alger (3 713 742 t.), et il en avait déjà été de même en 1928.
Mr Lespès cependant ne croit pas qu'Alger soit sérieusement menacé ; si les
relâcheurs s'en sont écartés, ce n'est pas pour des raisons d'ordre naturel,
mais pour des raisons d'outillage et d'économie. Ainsi que le reconnaît la
Chambre de Commerce d'Alger dans son dernier rapport, on s'est
préoccupé presque uniquement de l'extension du port et pas assez de son outillage ;
la main-d'œuvre indigène étant devenue très chère (35 fr. et 40 fr. par jour, au
lieu de 3 fr. avant la Guerre), il faut développer les appareils de levage et les
engins de manutention mécanique. Les travaux en cours d'exécution à Alger
pour faciliter les opérations de charbonnage pourront y attirer ou y ramener
cette catégorie de navires, mais il faut que le port modernise son outillage et
que l'exploitation en soit conduite en vue d'un maximum de rendement
maritime et commercial.
Par le chiffre de sa population, par le groupement humain, dont
l'agglomération dépasse les limites de la commune, Alger justifie pleinement son
titre de capitale, au sens absolu et relatif du terme. Des 45 ha. qui suffisaient
en 1830 à contenir ses 30 000 hab., la superficie couverte de constructions
denses a passé à environ 1 500 ha., qui en abritent plus de 270 000. Ce n'est
pas seulement par cette supériorité numérique qu'Alger se montre la première
ville de l'Algérie, c'est aussi par la composition de sa population et par le
dosage des éléments dont elle est formée. C'est, à tous égards, la ville la plus
française. Si l'Algérie est le prolongement de la France, c'est à Alger que se
sont noués les liens les plus forts entre la métropole et la colonie. Paris, Lyon,
Marseille, Alger, telle est la route la plus fréquentée par les hommes et par les
marchandises entre la France et l'Afrique du Nord ; c'est aussi le chemin que
suivent les idées sous les formes les plus diverses ; c'est par Alger, en un mot,
que passe le grand axe de notre empire colonial africain. Mr R. Lespès a fait
un beau livre et un livre utile en rappelant ces choses à ceux qui les savaient
et en les apprenant à ceux qui les ignoraient : qu'il en soit remercié.
Augustin Bernard.

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