Vous êtes sur la page 1sur 157

UN OEIL SUR

LA PHOTO DE RUE

Première Édition
AVANT PROPOS

Je m’appelle Thomas Benezeth, je suis né en 1984 et je suis passionné par la photo-


graphie depuis 2012. J’ai toujours fait un peu de photo, notamment pour les souve-
nirs, mais sans vraiment m’y intéresser plus que ça. L’achat de mon premier reflex
fin 2012 a été un véritable déclic, même si je n’y connaissais rien. J’ai tout appris
tout seul, il y a suffisamment d’informations sur le net et dans les livres pour se for-
mer, sans oublier une pratique régulière ! La création de mon blog photo m’a per-
mis de m’améliorer grâce aux critiques de mes visiteurs, c’est essentiel de montrer
ses photos.

i
J’ai inconsciemment découvert la photo de rue en 2009 lorsque je vivais en Chi-
ne où j’ai fait des milliers de photos souvenirs et quelques dizaines de photos urbai-
nes, que j’ai depuis redécouvert d’un autre oeil.

La photo de rue est aussi délicate que passionnante, mais toujours


surprenante. J’essaie de vous la rendre plus simple en vous parta-
geant mon expérience acquise dans les rues Parisiennes !

La photo de rue est apparue à l’époque de Henri Cartier Bresson qui photogra-
phiait les gens qui profitaient pour la première fois de congés payés : les gens sor-
taient alors dans les rues pour profiter de leur temps libre et c’était le début d’une
vie plus sociale. Je crois que le terme est resté tel quel, tout simplement, alors que
la pratique a un peu évolué.

Le terme « photographe de rue » est spécifique et pourtant assez généraliste,


c’est pourquoi je me définis également comme photographe urbain. J’ai lu une fois
que « des photos prises dans les rues ne sont pas forcément des photos de rue »,
mais l’inverse est tout aussi vrai : des photos de rue ne sont pas forcément des pho-
tos prises dans les rues. On peut tout aussi bien photographier les gens dans un su-
permarché, un musée, une gare, et même à la campagne ! Au final, la photo de
rue pourrait être appelée « photo humaniste », mais une photo de rue n’est pas
obligée de contenir une présence humaine : l’architecture par exemple respire l’hu-
main, c’est donc de la photo de rue.

Personnellement, je photographie presque exclusivement dans les villes, parce


que je suis urbain et j’aime la géométrie offerte par l’architecture. J’aime photogra-
phier l’humain dans son environnement urbain ! J’apprends tous les jours sur cette
pratique, et je vous fais partager mon expérience sur mon blog au travers d’articles
dédiés et d’interviews de talentueux photographes de rue. Ce livre numérique re-
prend ce contenu, mais pas seulement..

Bonne lecture !
Thomas.

ii
SOMMAIRE
Chapitre 1 (Page 4)

Cueilleur ou chasseur ?

Chapitre 2 (Page 17)

Photographier en toute discrétion

Chapitre 3 (Page 26)

Un lieu n’a jamais fini de nous surprendre

Chapitre 4 (Page 35)

La composition

Chapitre 5 (Page 43)

Couleur ou N&B ?

Chapitre 6 (Page 49)

Photographier les sans abris

Chapitre 7 (Page 53)

Le droit à l’image

Chapitre 8 (Page 65)

Choisir son appareil photo

Chapitre 9 (Page 72)

Quels réglages utiliser ?

Chapitre 10 (Page 79)

Photo de rue et argentique

Chapitre 11 (Page 98)

La photo de rue selon...

Chapitre 12 (Page 149)

Partager ses photos


iii
1

CUEILLEUR OU CHASSEUR ?
En photo de rue, on entend souvent parler d’instant décisif, cet instant qu’Henri Car-
tier-Bresson a presque toujours essayé de capturer. Mais contrairement à ce que
l’on pourrait penser, il ne s’agit pas forcément d’une photo prise rapidement,
comme si la scène nous sautait aux yeux pour disparaitre dans la seconde. Il n’est
pas forcément question de rapidité, mais bien d’instant décisif, un moment t parmi
une période qui peut être très courte ou bien très longue.

4
Le photographe de rue peut fonctionner de deux façons différentes: il y a des mo-
ments de chasse et des moments de cueillette.

Il peut se retrouver devant une scène intéressante et dégainer sur le vif pour l’im-
mortaliser à l’instant décisif – l’attente est donc très courte.

Il peut aussi trouver un cadre, un environnement ou une architecture qu’il apprécie


et attendre que la bonne personne passe au bon moment – on retrouve donc l’ins-
tant décisif, tandis que l’attente du sujet peut être longue.

Quand je promène mon X100s l’oeil grand ouvert, je ne sais pas ce que je vais trou-
ver. Mais je sais à peu près ce que je veux trouver. Si je devais aujourd’hui me clas-
ser dans l’une ou l’autre catégorie de photographe de rue, je crois que ce serait les
cueilleurs. 60 à 70% de mes photos de rues ne sont pas des photos prises sur le
vif, elles n’ont pas nécessité de rapidité d’exécution, si ce n’est d’être concentré,
précis et réactif. Pas de réglage fait dans l’urgence, ni d’appareil photo sorti en ca-
tastrophe.

J’apprécie beaucoup la cueillette: on a tout le temps de soigner son cadrage et


ses réglages. La chasse est quant à elle beaucoup plus directe, plus franche. On
se promène et on saisit plus une scène qu’un lieu, mais il ne faut pas pour autant
négliger la composition. Pour cela, il faut être réactif et préparé, même si l’inconnu
nous fait face.

L’idéal est de vous présenter quelques exemples, pour vous montrer comment je
réalise mes photos. J’ai donc choisi quelques clichés pour vous expliquer le behind
the scene....

5
Le cueilleur
D’une manière générale, la photo de rue se fait un peu à l’instinct. Et tel un animal
qui guette sa proie, il est possible de se fondre dans le décor et d’attendre tranquil-
lement. On trouve un terrain de chasse et on se positionne discrètement en regar-
dant ce qui va arriver dans le cadre. En haut d’un escalier, appuyé à une rambarde,
adossé à un mur... il est très facile de passer inaperçu et de photographier sans
être vu.

J’ai pris cette photo à l’entrée d’une station métro proche du Trocadéro. C’était la
fin de ma sortie et je m’y rendais simplement pour rejoindre la Gare du Nord, mais
en arrivant en haut de ces escaliers, j’ai tout de suite vu ce carré de lumière qui se
projetait à moitié au sol, à moitié au mur.

6
J’avais donc trouvé un cadre qui me plaisait beaucoup, il ne manquait plus que
l’instant décisif. Et celui ci ne pouvait qu’être l’apparition d’une personne, à condi-
tion que celle ci passe par l’escalier de droite, et en descendant: si elle était passé
en montant, l’impact de l’ombre aurait été moindre. En attendant, j’en profite pour
effectuer mes réglages sur l’appareil, mesure d’exposition, ouverture. Je prends
une photo à vide pour voir mon cadrage (il n’y a toujours personne en vue) et véri-
fie l’exposition que j’ajuste si besoin. Une fois que tout est bon, je vérouille ma mise
au point là où ma cible va passer ainsi que mon cadrage, et je reste vigilant et dis-
cret.

Première apparition, deux personnes qui montent. Raté. Deuxième apparition, une
jeune fille qui descend par l’escalier droit, je me prépare à shooter. Son ombre ar-
rive dans le carré lumineux, c’est l’instant décisif: je tire. C’est dans la boite.

7
Sur le quai du métro à Châtelet-Les-Halles, je repère cette Dame au regard vague
et l’air pensif dès mon arrivée. Je repère également le cadre offert par la structure
du souterrain, et me positionne pile en face d’elle. Je décide tout de suite de faire
un cadrage strict pour jouer sur la symétrie, et la casser avec le sujet J’ai tout mon
temps.

Je fais une ou deux photos, mais le résultat ne me plait pas, la photo n’a rien de
spécial. Il manque quelque chose, et le métro que j’entends arriver sera parfait. Il
ne faut pas rater l’instant décisif, alors je me mets en mode rafale. J’attends, puis je
shoote une bonne dizaine de photos.

Ensuite, il suffit de regarder le résultat et avec un peu de chance, on obtient l’ins-


tant décisif. Il y avait deux photos correctes: peut il y avoir deux instants décisifs ?
En tout cas, il y a forcément une photo dont l’histoire est plus intéressante que l’au-
tre: celle que je n’ai pas gardé montrait un musicien présent dans le métro tandis
que ce dernier cachait la Dame sur le quai (et le métro n’ajoutait pas de symétrie,
contrairement aux trois bandes noires que l’on voit sur celle-ci).

J’ai préféré l’histoire de la Dame.

8
J’ai toujours été attiré par l’Art de rue, et j’ai tout de suite repéré ce graffiti assez ori-
ginal lors d’une de mes sorties parisiennes. La rue n’était pas bien large mais le
23mm de mon X100s est idéal dans une pareille situation.

J’ai immédiatement eu envie de faire une photo, mais il me fallait quelque chose
de plus: je ne pouvais pas me résoudre à photographier uniquement l’oeuvre d’un
autre. Quelques passants, cinq-six photos et je vois arriver cette jeune femme avec
son chien en laisse. Par chance, elle s’arrête juste devant moi alors que je ciblais
déjà le graffiti, oeil dans le viseur. Elle attend son chien.

J’ai tout de suite aimé le fait que l’animal ne soit pas dans le cadre avec la laisse
tendue, alors j’ai shooté.

9
J’ai fait cette photo dans le quartier Jussieu à Paris, il s’agit de la faculté. Le bâti-
ment est très moderne et j’ai aimé son architecture, sa géométrie et bien sûr, tou-
tes ces fenêtres qui donnent sur des bureaux.

Tout le côté du bâtiment est bordé de piliers tels que l’on voit sur l’image, et
j’adore les reflets que l’on voit dans les fenêtres. Encore une fois je n’avais plus
qu’à attendre qu’il se passe quelque chose, et c’est au bout d’environ un quart
d’heure que c’est arrivé !

Quinze minutes d’attente pour capturer ces deux personnes dans ce cadre origi-
nal, je ne regrette pas.

10
Le chasseur
 
L’autre facette du photographe de rue, c’est son côté chasseur. Il n’est plus ques-
tion de se terrer dans un coin pour espionner tranquillement, mais bel et bien tra-
quer sans cesse une éventuelle proie. Il faut être attentif, mais surtout réactif. L’ins-
tant que l’on voit peut durer quelques secondes ou être très court.

Une nouvelle photo prise dans Paris, dans une rue proche de Châtelet-Les-Halles.
J’avais mon X100s autour du cou, allumé et déjà réglé - je venais de faire quelques
photos juste avant. J’ai vu ce Monsieur en tenue de travail en train de boire son ca-
fé, et sans réfléchir, j’ai mis l’oeil dans le viseur.

11
Tout de suite, je suis repéré et je le vois réagir assez vigoureusement. Encore une
fois sans réfléchir, j’ai tout de même shooté, pendant qu’il manifestait. Il a rouspété,
mais sans plus et surtout sans rien réclamer, ni même demander la suppression
de la photo. J’ai bien vu qu’il s’était senti agressé et je lui ai présenté mes excuses
pour ça.

Ensuite, c’est à vous de voir: soit vous décidez vous même de l’effacer, soit vous la
gardez. C’est votre choix et même si on peut en discuter pendant des heures, je le
respecte. Bien entendu, j’ai décidé de la garder. La photo ne lui porte pas préju-
dice, il n’a rien réclamé, j’ai été courtois (la moindre des choses), je n’ai pas de pro-
blème de conscience sur ce coup là.

Sans sa réaction, la photo aurait été banale, présentant le Monsieur tête plongée
dans son smartphone. Là, on a non seulement le regard, mais aussi une attitude
avec ses doigts pointés vers moi, d’un air presque menaçant.

12
Cette fois ci, c’était sur le Pont Neuf. J’étais avec un groupe de photographes pour
une sortie photo d’architecture sur le Paris d’Henri IV. Je shootais avec mon D300s
et mon 35mm.

Je me situais de l’autre côté du pont, un peu à la traine du groupe, quand j’ai vu les
gens passer au centre de cette symétrie formée par les deux lampadaires et cette
« avancée ». J’ai tout de suite commencé à regarder à travers l’objectif, puis j’ai vu
cet homme passer. Je ne voulais qu’une seule personne. J’ai shooté mais il y avait
d’autres passants.

Je n’ai pas abandonné, je me suis mis à marcher très vite pour me rendre au pro-
chain point symétrique et j’ai de nouveau shooté. J’ai été plus rapide et plus précis
que la première fois. Mais l’instant décisif n’a pas été difficile à obtenir, puisque j’ai
utilisé le mode rafale de mon reflex.

Quatre-cinq photos au bon moment, un peu avant et un peu après (comme si on


faisait un filé sur un vélo), et un peu de chance pour le placement parfait des jam-
bes au centre de la scène, et voilà une photo qui fait tilt.

13
Cette photo, c’est une de mes préférées ! Et sa réalisation tient tout du hasard, puis-
que j’étais à ce moment là avec d’autres photographes pour une sortie architec-
ture. J’aurais pu être déconcentré et ne pas voir ce miroir en forme de coeur !

C’est aussi ça la photo de rue, il faut observer ce qui se passe autour de nous, les
déplacements des gens, mais aussi les éléments de décors. D’autres photogra-
phes m’ont suivi pour le prendre en photo, mais je n’ai jamais vu leurs images.

Ce qui m’importait, moi, ce n’était pas uniquement le miroir, mais ce que l’on pou-
vait y voir. J’ai donc choisi un angle de vue particulier pour voir ce marchand de ba-
bioles à touristes.

14
J’ai pu prendre mon temps pour cadrer ma scène et surtout attendre que le mon-
sieur regarde le miroir, parce que je ne le prenais pas directement en photo, le mi-
roir faisait office de barrière: je suis persuadé que pour lui, je prenais simplement
une photo du coeur, et non de lui. Tant mieux ! Et hop, c’est dans la boite, et j’ai
tout de suite su que je tenais une photo que j’allais adorer !

Cette photo a été prise lors d’une sortie à l’Axe Majeur de Cergy dans le Val d’Oise,
et rien ne laissait penser que j’allais revenir avec une photo de rue. L’idée de dé-
part était plutôt d’y faire de la photo d’architecture, voir de nature.

Mais parfois une scène se présente à nous sans qu’on ait demandé quoi que ce
soit, il suffit alors de l’immortaliser. Quelques minutes avant, j’étais à la place de ce
monsieur en train d’admirer le panorama qu’offre cette vue. Et quand je me suis re-

15
tourné, j’ai donc vu cette personne en train de prendre une photo du paysage:
c’était moi, quelques instants plus tôt.

J’étais déjà positionné au centre des colonnes (c’est là que descend l’escalier où je
me trouve) et je n’avais donc qu’à cadrer puis déclencher. Le monsieur ne pouvait
pas me voir puisqu’il prenait lui même une photo: c’était donc facile !

Je suis rentré satisfait de cette image mais je m’interrogeais tout de même sur les
possibilités que j’aurais pour redresser les perspectives: à la prise de vue, les colon-
nes n’étaient pas droites, à cause de la déformation de l’objectif. Mais finalement,
LR a très bien fait le boulot et je suis très content de cette image !

Une photo de rue n’est pas forcément prise sur le vif, dans l’urgence, elle peut aus-
si être anticipée, préparée à l’avance et très discrète.

Je pense que tous les photographes de rue alternent entre le côté chasseur et le
côté cueilleur, tout dépend de ce que l’on trouve au coin de la rue. Il faut savoir
s’adapter rapidement, mais une bonne préparation fera une grande partie du tra-
vail. Il faut avoir l’appareil photo autour du cou, allumé, voir même l’index posé sur
le déclencheur. Et dans tous les cas, il faut rester calme et discret

16
2

PHOTOGRAPHIER EN TOUTE
DISCRÉTION
A la lecture du titre, vous devriez comprendre que je vais parler ici des photos de
rue dites « volées ». Certains n’osent pas en prendre et préfèrent demander l’autori-
sation au risque de se retrouver face à une personne pas très à l’aise devant l’ob-
jectif, quand d’autres n’osent simplement pas par peur de se faire remarquer. De-
mander la permission n’est pas interdit, cela peut même vous donner plus de con-
fiance, mais c’est moins courant que la photo dite «candide».

17
Si vous faites parti de ceux qui, par conviction, ne souhaitent pas photographier les
gens à leur insu, vous n’allez pas aimer ce chapitre Mais si au contraire vous sou-
haitez apprendre quelques astuces pour ne pas se faire remarquer lorsque vous
faites des photos de rue, je vous souhaite une bonne lecture.

La première fois que j’ai fait une sortie dédiée à la photo de rue, c’était à mes dé-
buts en janvier 2013. Une après-midi passée dans les rues de Paris, armé de mon
modeste D3100 et mon 35mm, à la recherche de scènes de vie. Je découvrais à
l’époque Thomas Leuthard et la lecture de ses deux livres m’avait appris quelques
astuces pour être plus à l’aise dans cette pratique. J’étais presque inconscient,
j’osais photographier à deux mètres des gens. J’ai même fait demi tour pour aller
photographier un monsieur dans un kiosque, un culot incroyable que je n’ai plus
aujourd’hui.

Est ce une cause ou une conséquence, toujours est-il que je préfère maintenant
les photos de rue qui montrent l’humain dans son environnement urbain. Des pho-
tos au cadrage plus large plutôt que des portraits volés. Jouer avec l’architecture,
trouver des scènes intéressantes, s’amuser de la géométrie urbaine, voilà ce qui
me plait.

Dans tous les cas, le but est de ne pas se faire remarquer lorsque l’on photogra-
phie des inconnus dans les rues. Que ce soient des photos de près ou de loin, il
existe des astuces assez faciles à mettre en place. Je ne les ai pas toutes trouvées
tout seul, je vous fais partager ce que j’ai appris depuis que je pratique la photo ur-
baine.
 
 
 

S’arrêter sans se faire remarquer


C’est en regardant une vidéo de Zack Arias que j’ai découvert cette astuce plutôt
géniale. L’idée est simple, lorsque vous voulez photographier quelqu’un d’assez
près, approchez vous sans le regarder. Dirigez votre regard en haut, comme si vous
alliez photographier ce qui se trouve au dessus de lui, et positionnez vous face à
votre sujet.

18
Mettez l’œil dans le viseur et faites mine de photographier en hauteur, vers le ciel
(une branche d’arbre, un toit...). Ensuite, il vous suffit de faire semblant de regarder
votre photo au dos de l’appareil, celui ci étant maintenant pointé vers votre sujet.
Au lieu de regarder la photo que vous n’avez pas pris, il vous suffit de photogra-
phier votre sujet avec le liveview. C’est top, et ça fonctionne !

Je ne pourrais vous dire si ces deux dames m’ont vu quand je me suis approché
ou quand je faisais mine de photographier en l’air, la technique m’a permis d’être
tellement à l’aise qu’à aucun moment je n’y ai prêté attention.

Cette technique permet donc de s’arrêter devant notre sujet sans se faire remar-
quer. C’est beaucoup plus facile et discret que de s’arrêter franchement devant la
personne l’appareil photo pointé sur elle. Bien sûr, s’il n’y a rien au dessus de votre

19
sujet, ce sera plus compliqué. Par contre, l’avantage est que ça fonctionne aussi
bien avec un mirrorless qu’un reflex, ce n’est donc pas une question de matériel !

Au smartphone: je joue, je lis, mais je


ne photographie pas...
Il est plus facile de passer inaperçu avec un smartphone, sachant qu’on peut pré-
tendre être en train de jouer ou de consulter nos réseaux sociaux. Si vous manipu-
lez votre téléphone d’un air concentré, personne ne pensera que vous prenez des
photos.

Évidemment, n’oubliez pas de désacti-


ver le flash et le son (j’ai déjà oublié
une fois de couper le son, dans un es-
pace confiné, mais les gens étaient tel-
lement absorbés par leur téléphone
que personne n’a relevé la tête). Si vous
êtes déjà en train d’utiliser votre
smartphone lorsqu’une scène attire vo-
tre attention, il suffit de changer l’orien-
tation du téléphone. Si par contre, votre
smartphone est dans votre poche, sor-
tez le comme si vous alliez consulter vo-
tre profil Facebook, et pointez le discrè-
tement, sans le mettre devant vos
yeux, vers votre sujet.

20
Photographiez de loin
Ce n’est peut être pas l’idée première que l’on se fait de la photo de rue, mais il est
tout à fait possible de photographier de loin. L’impact de la scène ne sera pas le
même, il ne convient donc pas à toute situation. Si vous voulez photographier
l’émotion d’un événement sportif, il vaut mieux être proche des sujets, au contact
des gens: Robert Capa disait « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que
vous n’êtes pas assez près ».

Mais pour d’autres types de photos, cela s’y porte bien, comme les photos de rue
qui mettent l’accent sur l’architecture urbaine. Il n’y a donc pas de contact avec la
personne qui se trouve dans la cadre, elle n’est même pas forcément reconnaissa-
ble, ce qui devrait en plus vous conforter dans l’idée que vous avez non seulement
le droit de la prendre en photo, mais aussi de la publier.

21
Trouvez un endroit et restez discret
Je viens d’en parler dans le chapitre précédent, il y a des moments où le photogra-
phe de rue saisit une scène qui se présente à lui et d’autres où il trouve un cadre
intéressant et attend que quelque chose se passe, comme dirait Henri Cartier-Bres-
son.

C’est une pratique que j’aime beaucoup puisqu’elle permet de choisir un lieu qui
nous plait, elle permet de perfectionner nos cadrages en prenant le temps de
jouer avec la géométrie du lieu. Il ne suffit plus qu’à attendre le bon moment, à at-
tendre ce que vous souhaitez capturer.

Tout se joue dans l’attente. Si vous êtes tendu, que vous regardez sans cesse les
passants qui défilent devant vous, vous vous ferez remarquer. Mais si vous restez
calme et discret, en maintenant votre appareil photo en position et en regardant
constamment votre écran Liveview, personne ne se préoccupera de vous.

22
Faites semblant de régler votre appa-
reil photo

C’est une astuce toute simple mais redoutablement efficace, et je l’applique très
souvent ! Il suffit de tenir l’appareil photo au niveau de la taille, le regarde rivé sur
lui et non sur votre sujet.

Faites mine de régler votre appareil, touchez aux boutons, regardez la lentille...
mais surtout, visez discrètement et déclenchez ! Même à 2m d’une personne, elle
ne se doute de rien.

23
Jouez au touriste
Il est possible de se fondre dans la masse pour se faire oublier, notamment en se
faisant passer pour un touriste. Quand on voyage à l’étranger, la photo de rue de-
vient plus facile, la barrière de la langue et les différences de culture nous aident à
surpasser nos appréhensions.

En France, vous pouvez faire semblant en vous habillant comme tel, avec lunette
de soleil et guide du routard. Si en plus vous parlez anglais, vous pouvez en jouer
si quelqu’un vous adresse la parole quand vous prenez une photo.

Photographiez avec de la musique


dans les oreilles
Ce n’est pas une astuce pour
passer inaperçu mais plutôt
pour être simplement plus à
l’aise. Le fait d’écouter de la mu-
sique casque sur les oreilles
vous permettra d’être pleine-
ment concentré sur la photo et
non sur la réaction des gens.

Vous êtes dans votre bulle, vous


n’entendez plus les passants
mais de fait vous pouvez vous
concentrer d’avantage sur l’ob-
servation. Essayez, peut être
que cela vous plaira !

24
Ne regardez pas vos sujets
Le premier conseil que je donnerai, mais que je ne cite que maintenant parce qu’il
est lié à tous les autres conseils que je viens de vous donner, c’est de ne jamais re-
garder votre sujet. « No eyes contact ».

N’oubliez pas que je pars toujours du constat, énoncé en introduction, selon le-
quel vous n’avez aucun problème de conscience sur les photos dites volées, cel-
les prises sans le consentement de la personne photographiée. L’idée est la sui-
vante: si vous regardez votre sujet avant, il va comprendre que vous vous apprêtez
à le photographier. Si vous le regardez après, il sait que vous venez de le prendre
en photo. Dans les deux cas, vous êtes repéré et sujet à une éventuelle contesta-
tion.

Un dernier conseil qui est plus ou moins lié à celui ci, fiez vous à votre instinct. Si
vous sentez qu’une personne risque de ne pas apprécier d’être prise en photo si
jamais elle vous remarque, passez votre chemin. Il y a tellement de possibilités
dans nos rues qu’il est inutile de prendre des risques, inutiles.

La discrétion est primordiale en photo de rue mais pas seulement pour combattre
votre timidité. Comme pour la photo animalière, il ne faut pas déranger nos sujets,
ne pas perturber la scène. Ce n’est pas toujours évident, mais ces astuces nous
permettent d’y arriver dans la plupart des cas.

Le matériel a une certaine influence, puisqu’un reflex est plus voyant qu’un mirror-
less, mais tout est une question d’attitude. Vous vous ferez plus facilement remar-
quer si vous faites de grands mouvements mirrorless autour du cou que si vous
vous déplacez tranquillement reflex à la main. Dans tous les cas, restez calme et
soyez sûr de vous. Et si vous vous faites repérer, souriez !

25
3

UN LIEU N’A JAMAIS FINI DE


NOUS SURPRENDRE
Faut il habiter une grande ville pour faire de la photo de rue ? Pas forcément ! Il y a
des scènes à saisir partout, à tout moment. Chaque minute passée est une photo
perdue, que ce soit en métropole ou dans une petite ville. Il suffit d’ouvrir les yeux,
de voir, de regarder. Soyez attentifs aux moindres détails.

Observer votre ville d’un oeil nouveau en cherchant des environnements particu-
liers, des lumières, des gens, des contrastes, des textures, des scènes de vie.... Je

26
suis sûr que vous ratez un tas de choses à photographier sur votre trajet le plus fré-
quent (boulot, boulangerie, aller chez un ami...).

C’est aussi l’occasion de se balader à pied, de profiter du beau temps pour chasser
les bonnes affaires: il faut provoquer la chance !

Une grande ville offre mathématiquement plus de possibilités qu’une petite, mais
cette dernière nous propose tout de même plus que ce qu’on imagine. C’est ce
que je veux vous montrer en vous présentant 7 photos réalisées dans le centre
commercial Arts de Vivre situé dans le Val d’Oise (95).

C’est un lieu très moderne qui regroupe de nombreux magasins sur trois étages.
L’architecture nous offre une géométrie incroyable et quelques points de vue origi-
naux avec des plongées sur un ou deux niveaux ou à 90°. Il y a aussi des escala-
tors, des escaliers, deux ascenseurs et quelques autres trucs sympas. Je m’y suis
rendu de nombreuses fois, avant même de faire de la photo.

J’avais fait une première série de photographies dans ce lieu, les quatre premières
photos, et j’en ai fait une seconde quelques mois plus tard. Chaque sortie est diffé-
rente, c’est ce qui rend la photo de rue passionnante !

Sept photos dans un même centre commercial. J’ai hâte de voir ce que j’y ver-
rais la prochaine fois, parce qu’un lieu n’a jamais fini de nous surprendre !

27
J’ai profité des vue en plongée, plutôt rares dans les rue, pour réali-
ser cette première photo. J’ai tout de suite aimé le graphisme offert
par toutes ces formes: des triangles, des ronds, des rectangle....

28
J’avais déjà remarqué ce cadre assez original, une fausse bibliothè-
que dans un centre commercial. Mais cette fois ci, il s’est passé
quelque chose d’intéressant: ce monsieur intriguant qui regarde
vers le haut. Alors j’ai shooté. J’ai attendu que la femme soit dans le
cadre, et que les gens qui la précèdent soient cachés derrière le pi-
lier. J’aime beaucoup la géométrie du lieu, cette imposante
croix sombre, tous ces rectangles, ces verticales et diagonales. Le
contraste général aussi est plaisant.

29
Pour cette photo, j’étais en mode cueilleur ! Je suis resté quelques
minutes devant cet escalier afin d’attendre le bon moment pour dé-
clencher. Il y avait pas mal de monde dans le centre commercial et
je ne voulais qu’une ou deux personnes, il fallait donc être patient !

30
C’est un endroit dans le centre commercial où les gens peuvent
faire une pause entre deux magasins, et souvent ce sont les enfants
qui investissent les lieux. Il y a même des activités ludiques pour
eux, avec des dessins animés ou des applications sur écrans tacti-
les. Là, ces enfants s’étaient retournés, il étaient dos au film et regar-
daient quelque chose... Qu’est ce que cela pouvait bien être pour
que ces garçons cessent de regarder le dessin animé ? Le retour de
leurs parents ? On ne saura jamais, je n’ai pas regardé. J’ai eu des
difficultés à faire la mise au point, ce qui explique le manque de net-
teté, mais ce n’est pas grave, l’essentiel y est. Le regard.

31
J’ai récidivé avec la plongée à 90° pour jouer avec toutes ces for-
mes géométriques. Dans ces cas là je mets toujours ma sangle au-
tour du cou, elle est prévu pour être portée en bandoulière donc
elle est suffisamment grande pour que je puisse tendre les bras. J’ai
tenté plusieurs situations avec toujours ce monsieur en train de lire
sur sa lieuse: avec ou sans une autre personne dans le cadre, j’ai
préféré sans.

32
Les balustrades sont en verre alors j’ai aussi profité de l’effet de mi-
roir. J’ai également remarqué que les spots de lumière étaient assez
puissants pour projeter des ombres bien visibles au sol, ça m’a bien
plu !

33
Et puis j’ai trouvé une citation intéressante sur l’architecture me fai-
sant penser au Nombre d’Or, inscrite sur le mur d’un couloir étroit
menant aux toilettes. Les possibilités de compositions étaient limi-
tées mais j’ai réussi à obtenir une image qui me plait. J’ai déclenché
dès que la personne est apparu dans le cadre, puis j’ai immédiate-
ment relevé la tête pour la regarder tout en baissant mon appareil
photo, comme si je la laissais passer pour que je puisse faire ma
photo. Ça a fonctionné, elle n’a rien vu.

34
4

LA COMPOSITION
Depuis que je me suis pris de passion pour la photographie, je ne cesse d’enten-
dre parler du Nombre d’Or, mais sans vraiment savoir ce que c’est... Une spirale ?
Un rectangle ? Un numéro ?? Tout ce que je savais, c’est qu’il s’agissait d’une pseu-
do règle permettant de réaliser des oeuvres d’art en peinture, d’améliorer les com-
positions en photographie.

35
Je me suis intéressé à ce Nombre d’Or, j’ai donc fait des recherches et lu quelques
articles sur le sujet. Je vais vous expliquer l’essentiel à ma façon. J’ai écrit ce chapi-
tre en deux parties: une première pour percer le mystère de ce nombre d’Or, et
une seconde pour expliquer ce qu’il peut nous apporter en photographie.

Le Nombre d’Or
Le nombre d’Or n’est que le point de départ des règles de composition qui vont
être expliquées ci dessous. Un rapport entre deux dimensions qui permet de cons-
truire différentes formes géométriques...
 

Le Nombre D’Or 
Il faut savoir que le Nombre d’Or permet en réalité d’obtenir des proportions harmo-
nieuses, tout simplement. Son origine est mathématique, et est déterminée à partir
d’une simple figure géométrique: un segment. L’idée est la suivante: si ce segment
devait être découpé en deux segments, il n’y a qu’une seule façon pour que ce
soit fait harmonieusement. Tout est une question de proportions. C’est ce que l’on
appelle les proportions d’Euclide, le « père de la géométrie », mises en avant 300
ans avant notre ère.

Regardez cette figure: un segment [AB] coupé en un point C. Nous avons donc 3


segments: le grand [AB], le moyen [AC] et le petit [CB].

Le point C est positionné selon le Nombre d’Or, de telle sorte que le rapport
(grand segment/moyen segment) soit égale au rapport (moyen segment/petit
segment).

Autrement dit, [AB]/[AC] = [AC]/[CB].

36
Pour que cette égalité de rapport soit vraie, il n’y a qu’une seule valeur possible.
C’est mathématique. Quelle que soit la longueur de votre segment de base, [AB],
le rapport de ces dimensions sera toujours égal à 1,618... il s’agit du nombre d’Or,
nommé φ ! (Phi)

[AB]/[AC] = [AC]/[CB] = 1,618

Notez que deux découpages sont possibles, l’un à droite et l’autre à gauche, ce
qui permet d’obtenir deux points C et C’ placés harmonieusement, tout deux symé-
triques par rapport au centre du segment.

Le premier mystère vient donc d’être élucidé: le Nombre d’Or est bien une va-
leur, qui est déterminée mathématiquement par cette fameuse règle de propor-
tions harmonieuses, de proportions dorées.

Mais alors, pourquoi une telle proportion ?

Il s’avère que ce Nombre d’Or n’est pas uniquement théorique, puisqu’on le re-
trouve de manière concrète dans notre vie de tous les jours. Leonard De Vinci utili-
sait ce système de proportions harmonieuses pour ses peintures, parce qu’il avait
découvert quelque chose d’assez stupéfiant en dessinant l’Homme de Vitruve, qui
représente les proportions de l’anatomie humaine.

De Vinci s’est aperçu que ces proportions harmonieuses se retrouvaient égale-


ment chez l’Homme. Nos bras se rapprochent du Nombre d’Or: notre avant bras
est le segment [AB], la main le segment [CB], le point C étant notre poignet. Et
bien, les proportions de nos bras sont très proches des proportions dorées dictées
par le Nombre d’Or. Le rapport se rapproche du nombre φ, soit 1,618...

37
Autre exemple. Un mathématicien italien, Leonardo Fibonacci, a étudié au XIIème
siècle la reproduction des lapins, et a prouver que celle ci était liée au nombre d’Or
(nombre de lapins après chaque naissances).

Ce Nombre d’Or permet de construire des formes géométriques aux proportions


idéales, harmonieuses, telles que le rectangle ou la spirale...
 

Le Rectangle D’Or

Nous allons passer du segment au rectangle, mais en utilisant le Nombre d’Or. Un


rectangle d’Or est un rectangle dont le rapport entre sa longueur et sa largeur est
égale au Nombre d’Or. Tout simplement.

Si on retire à ce rectangle d’or un carré (dont le côté est égal à la largeur du rectan-
gle d’Or), il reste alors un rectangle, qui est aussi un rectangle d’Or ! Et on peut réi-
térer l’opération à l’infini à partir du nouveau rectangle d’Or obtenu...

Certains peintres, dont Leonard De Vinci, utilisaient des toiles avec des dimensions
dorées (Rectangle d’Or) pour réaliser leurs oeuvres d’Art. Ils jouaient également sur
les différents cadres que l’on obtenait en découpant le rectangle de cette façon là,

38
ils y plaçaient soigneusement leurs éléments de composition. Certains architectes
utilisaient également ce Rectangle d’Or pour la conception de leurs édifices.
 

La Spirale D’Or 
Après le segment et le rectangle, la figure se poursuit en spirale. Il suffit de tracer
des arcs de cercles dans les carrés, et la spirale d’Or apparait:

 
Il y a d’autres formes géométriques que l’on peut qualifier de formes dorées,
comme le triangle ou l’hexagone. Vous trouverez plus d’infos dans les sources.
Nous allons voir à quoi cela peut nous servir en photographie...
 

Le Nombre d’Or en photographie


Maintenant que vous avez survécu à la partie « théorique », les explications sur
le Nombre, le Rectangle et la Spirale d’Or, il est temps de nous intéresser concrète-
ment à la photographie et voir le lien qu’a la science avec l’art. Savoir que le nom-
bre d’Or vaut 1,618 ne vous aidera pas à composer vos photos !
 

39
La Règle Du Nombre D’Or, Ou La Règle Des Tiers Selon
Leonard De Vinci 
Ce qui nous intéresse le plus, c’est le rectangle. Bien évidemment, l’idée n’est pas
de recadrer nos photos pour obtenir un rectangle d’Or, je crois que cela fausserait
la composition à la prise de vue et il serait de plus difficile de les faire développer,
à moins peut être de posséder sa propre imprimante. L’importance du nombre
d’Or, c’est la proportion harmonieuse, comme le fait approximativement la règle
des tiers.

Nous savons comment découper un segment en deux, de la façon la plus harmo-


nieuse, il suffit donc de le faire pour la longueur et la largeur du cadre de l’image.
Deux points par segments, ce qui permet de tracer une grille similaire à celle que
nous connaissons:

J’imagine que la règle des tiers (rouge) est une vulgarisation de ce que l’on pour-
rait appeler la « règle du nombre d’Or » (jaune), celle qu’utilis(ai)ent de nombreux
artistes. Avec un peu de pratique, il devrait être facile de situer précisément ces

40
nouveaux points par rapport à la grille des tiers, mais les fabricants pourraient aus-
si proposer les deux versions, une mise à jour de l’appareil suffirait.
 

La Spirale D’Or, beauté Naturelle Ou Fil Conducteur 


Une nouvelle chose passionnante à propos de cette histoire de Nombre d’Or, c’est
que cette spirale se retrouve dans de nombreuses choses de la Nature. Une co-
quille d’escargot, notre oreille, une pomme de pain... Vous pouvez vérifier par vous
même. Mais je doute qu’une photo des spirales d’une pomme de pain puisse être
une oeuvre d’Art. Il y a pourtant des situations où il est possible de composer notre
image pour obtenir une spirale d’Or, notamment les escaliers en colimaçons, pho-
tographiés en plongé: vous savez où placer le centre de l’escalier, et comment
orienter la scène pour reprendre la forme de la Spirale d’Or. Cette dernière est
alors explicite, concrète.

La Spirale d’Or peut également être plus subtile, notamment en guidant le sens de
lecture de l’image. Elle peut envelopper votre sujet, suivre ses contours, ou bien
lier des éléments entre eux dans une suite logique. Dans ce cas la spirale n’appa-
rait pas concrètement, elle est imaginaire, implicite.
 

Quelques idées En Vrac . . . 
Je crois que le simple fait d’avoir ces idées en tête nous aide à prendre conscience
de l’importance de l’harmonie dans la composition de nos images. Cela nous
pousse inconsciemment à considérer le cadre de notre appareil photo comme
une toile qu’utiliserait un peintre.

D’ailleurs, c’est dans ce même esprit qu’il faut utiliser les différents cadres dans le
cadre, qui découlent du découpage du rectangle d’Or, pour positionner vos élé-
ments de composition.

La photo d’architecture se prête bien à l’utilisation du Nombre d’Or, il est donc pos-
sible de l’introduire dans la photo de rue (qui mêle généralement architecture et
humain). Si vous utilisez une focale fixe, avec laquelle vous devez vous rapprocher

41
ou vous éloigner du sujet, vous modifiez les perspectives, vous changez les propor-
tions. Pensez à l’harmonie.

Il ne faut pas penser uniquement en « segment », de façon linéaire. La proportion


dorée peut se retrouver entre deux éléments liés et distincts de la composition,
comme par exemple un petit enfant sur un grand skate, dont le rapport des dimen-
sions (longueur du skate/hauteur de l’enfant) se rapprochera du Nombre d’Or.
L’idée n’est pas d’aller prendre des mesures pour calculer le rapport mais bien d’ai-
guiser notre oeil pour le reconnaitre.
 
 

Je crois que le Nombre d’Or et toutes les règles de composition qui en découlent
sont plus facilement applicables à la peinture et à l’architecture qu’à la photogra-
phie. Le peintre et l’architecte créent leurs oeuvres de toutes pièces, à partir de zé-
ro. Ils n’ont pour limite que la palette de couleur pour l’un et les lois de la physique
pour l’autre. Bien que le photographe soit également un artiste, quelqu’un qui
créé, il doit composer avec ce que son environnement lui propose. Impossible de
créer des éléments (ou dans une certaine limite), de dessiner ce qui n’existe pas,
nous ne pouvons que jouer avec les éléments présents, en les ordonnant de façon
personnelle.

Il y a pourtant des choses très intéressantes parmi ces quelques règles, des cho-
ses accessibles en photographie. Le découpage du Rectangle d’Or, la Spirale, les
proportions harmonieuses, tout cela peut nous aider à améliorer les compositions
de nos images. C’est exactement ce que faisait Henri Cartier-Bresson: il aimait
jouer avec les formes géométriques que lui offraient les rues, et il avait l’art d’obte-
nir des compositions harmonieuses. Comme quoi, ça sert d’étudier l’Art de la Pein-
ture !
 

42
5

COULEUR OU N&B ?
C’est une question qui revient souvent, comme s’il y avait une réponse nette et pré-
cise. Beaucoup de gens pensent même, à tort, que la photo de rue doit être en
noir et blanc, et ne doit pas être en couleur. C’est compréhensible pour la photo-
graphie argentique puisque la pellicule couleur coûte bien plus cher que le N&B,
tant à l’achat qu’au développement. Mais à l’ère du numérique, pourquoi se priver
de la couleur ? Pourquoi s’imposer du N&B ?

43
Personnellement, je préfère ce dernier, tout simplement parce que je suis plus à
l’aise qu’avec la couleur. J’aime jouer avec les contrastes ou les textures, et le mo-
nochrome s’y prête bien. Idem pour le post-traitement, je ne suis pas très doué
avec la couleur alors qu’en N&B, je m’éclate ! Un vrai plaisir à développer.

Mais parfois, la couleur devient le sujet et une photo monochrome n’aurait aucun
intérêt. Spyros Papaspyropoulos, un photographe de rue grec que j’ai interviewé,
explique quelque chose que je trouve très juste : « c’est en fonction de l’humeur,
de la scène, des couleurs ou des contrastes », c’est pourquoi il lui arrive très sou-
vent de photographier en couleur pendant l’été ou l’automne, et en N&B pendant
l’hiver.

En fait, rien n’est imposé, c’est à chacun de choisir ce qu’il préfère : je choisis géné-
ralement le N&B !

Ne soyez pas déçu de ne pas avoir de réponse franche et officielle, c’est à vous de
choisir, en fonction de vos envies, vos goûts, et bien entendu la scène que vous
photographiez !

Il y a tout de même quelques astuces à connaitre...

Pourquoi choisir le Noir et Blanc


Je préfère le Noir & Blanc parce qu'il permet de se focaliser sur l'émotion de la
scène sans être perturbé par des détails. Il a d’autres avantages, comme un déve-
loppement photo (numérique ou argentique) plus facile, et il permet de mettre en
avant les contrastes, les silhouettes, les textures, des ambiances particulières...

Il y a assez de photos N&B dans ce livre pour comprendre pourquoi c’est ce que je
choisis la plupart du temps, mais je vous propose de vous expliquer ma manière
de le développer en numérique.

44
Développer Une Photo N&B
Une photo N&B est composée de noirs et de blancs, mais aussi de différentes
nuances de gris !

Le problème, c’est que deux couleurs différentes peuvent se confondre une fois
converties en noir et blanc. Un jaune et un bleu peuvent avoir la même nuance de
gris, et il est parfois très utile de les différencier.

Il faut donc soigner le post-traitement et ne pas se contentez de convertir la photo


en Noir et Blanc. Il faut jouer avec les couleurs pour les faire ressortir en blanc ou
en noir. Tout ça, c’est votre touche personnelle ! C’est ce que j’ai fait sur la photo ci
après. J’ai ajusté le canal de couleur Orange et Bleu pour faire ressortir ces cou-
leurs présentes sur le parapluie et le sac de la passante.

N’hésitez pas non plus à tirer les curseurs au maximum (contraste, ombres, hautes
lumières...), à effacer un petit élément gênant ou à redresser les perspectives.

Pour en apprendre plus sur ma façon de développer le N&B, je vous invite à vision-
ner le tutoriel vidéo que j’ai réalisé pour le blog (extrait sur la page suivante):

[TUTO VIDÉO] DÉVELOPPEMENT NOIR & BLANC

Cliquez sur l’image ci dessus pour accéder au tutoriel vidéo

45
:

Version Originale

RAW

Conversion en N&B

N&B fade

Version Finale

N&B contrasté

46
Pourquoi choisir la Couleur
Même si cela reste un choix personnel et que rien n’est imposé, il y a certaines si-
tuations où la couleur devient nécessaire.

Les couleurs saison d’été (ou d’automne):

Les heures dorées (Golden Hour) ou les heures bleues:

47
Les concordances de couleurs:

Les couleurs complémentaires:

Sans rentrer dans les détails, sachez que chaque


couleur à sa teinte complémentaire, ce qui signifie
que mises côte à côte, le binôme apportera une di-
mension esthétique !

Beaucoup de peintres utilisent ces combinaisons de


couleur, parmi lesquelles se trouve le couple bleu/o-
range, comme sur la photo ci contre (avec en plus
un effet caméléon du sujet).

Vous retrouverez plus d’informations sur les couleurs


complémentaires en vous intéressant au disque chro-
matique.

48
6

PHOTOGRAPHIER LES SANS


ABRIS
On voit beaucoup de photos de sans-abris postées sur les réseaux sociaux, et à
chaque fois que j’en vois une, ou presque, je peste tout seul dans mon coin. Je ne
veux pas donner de leçon à qui que ce soit mais je me demande ce qui peut moti-
ver les photographes dans cette démarche. Cette dernière est-elle toujours noble
?
 
 

49
Doit-on photographier les sans-abris ?
Certains diront qu’il faut absolument les photographier pour laisser un témoi-
gnage... L’idée est belle, mais n’est elle pas déjà connue de tous ? Témoigner de la
pauvreté de ces gens, c’était peut être valable dans les années 50, mais en 2015,
qui ne sait pas que de nombreuses personnes vivent dans de telles conditions
? Personne, tout le monde est au courant. Alors pourquoi les prendre en photo ?

Il est bien sur possible de prendre le problème dans l’autre sens. Les sans-abris
sont des êtres humains comme vous et moi, qu’est ce qui nous empêche donc de
les prendre en photo ? S’interdire de les immortaliser ne revient-il pas à les exclure
encore plus ?

Les deux points de vue sont valables. Il serait bien sûr dramatique de les exclure
plus encore de notre société, ce serait retourner le couteau dans la plaie. Mais
l’idée d’un témoignage reste selon moi utopique. Alors comment photographier
les sans-abris ? Je crois que ces personnes méritent plus de respect que quicon-
que vis à vis de la photographie. Voler l’image d’un inconnu dans la rue ne me dé-
range pas, ce n’est qu’un instant d’intimité publique. Sa véritable intimité, celle qu’il
refuse d’exposer aux autres, se trouve chez lui, dans son foyer.

Le sans-abris, lui, n’a aucune intimité. Aucune. Et personnellement, je me sens très


mal à l’aise à l’idée de lui voler, à son insu, le peu qui lui reste. Oui, il est dans un
lieu public, mais pour lui, c’est un peu un lieu privé.

La solution me parait alors évidente: demandez, échangez, communiquez, parta-


gez ! Si la personne refuse, acceptez le. Si elle accepte, profitez en pour discuter
avec lui, connaitre un peu plus son histoire, son parcours, sa vie actuelle. Je suis
persuadé que cela vous aidera à obtenir une photo pleine de vie, et son image
n’en sera que meilleure !

Et vous leur apporterez un peu de gaité dans leur journée, je pense qu’ils n’ont mal-
heureusement pas souvent l’occasion d’échanger leurs points de vue avec quel-
qu’un. D’ailleurs, la discussion peut très bien dériver sur autre chose que sa vie per-
sonnelle.

50
S’il accepte que la photo soit publiée sur votre blog, profitez en alors pour raconter
son histoire, celle que vous aurez appris en discutant avec lui. Mais soyez honnête
avec lui, ne publiez pas sans lui en avoir parlé.
 
 

Évitez la facilité...
La facilité ? C’est de prendre en photo les sans-abris pendant qu’ils dorment !
C’est d’ailleurs ce que l’on voit la plupart du temps sur ces clichés, des personnes
endormies dans la rue. Des photos qui n’ont aucun message, aucun intérêt, ni so-
ciologique ni artistique. Juste l’image d’un sans-abris qui dort, qui ne se rend
même pas compte que quelqu’un le prend en photo.

Sa vie est dans la rue, aux yeux de tous, jour et nuit, il ne possède presque rien et
n’a aucune intimité, et quand il dort on lui vole le peu qui lui reste. L’humiliation
quitte la rue pour devenir mondiale, à l’échelle d’internet. Quand on y pense c’est
assez cruel et tellement irrespectueux, et tout ça pour quoi ? Pour rien.
Alors il faut arrêter de prendre ces personnes en photo pendant qu’elles dorment,
je trouve ça trop facile et lâche.

Mais au final, comment les aider ?


Je ne crois pas que nos photos soient directement utiles pour aider les sans-abris.
Ce ne sont pas les photographes qui vont leur proposer un emploi, un
logement, car c’est bien une situation stable dont ils ont besoin.

Mais si vous tenez vraiment à les aider, commencez par donner une pièce ou deux
de temps en temps, de quoi leur permettre d’améliorer leur quotidien en s’ache-
tant à manger. Vous leur rendrez service et à vous aussi: vous vous sentirez bien
après avoir fait cette bonne action.

51
Et si vous voulez vraiment les prendre en photo, il faut être capable de faire passer
un message autre que « il y a des gens qui dorment dans la rue », tout en respec-
tant la personne que l’on a en face de soi. Montrez aux autres que ces personnes
ont autant de valeur que nous et qu’elles méritent donc notre attention.

Ces photos doivent nous faire prendre conscience qu’on les ignore trop
souvent, elles doivent nous donner envie de nous soucier de ces gens qui souf-
frent.

En fait, donnez une pièce et/ou donnez envie aux autres de le faire. Mettez de
côte vos préjugés, vous serez surpris de voir comment un sans-abris peut dépen-
ser son argent !

Oui, j’ai déjà pris en photo des sans-abris. Deux fois pendant que la personne dor-
mait, une fois en volant tout simplement son image. Oui, je le regrette. Non, je ne
le fais plus. C’est un choix personnel, et j’espère juste vous faire réfléchir sur les rai-
sons qui vous motivent à les prendre en photo.

N’oubliez pas que la photo de rue ne doit pas porter atteinte à l’image de la person-
nes photographiée. C’est d’ailleurs en respectant ce principe que nous avons le
droit de photographier tout le reste, tout ce qui est respectueux.

Vous ne serez peut être pas tous d’accord avec moi, je ne juge personne. Mais la
prochaine fois que vous croiserez un sans-abris, pensez-y. Échangez avec lui plu-
tôt que de voler son image. Mieux encore, sortez un peu de monnaie plutôt que vo-
tre appareil photo. Donnez, au lieu de prendre égoïstement.

52
7

LE DROIT À L’IMAGE
A-t-on le droit de prendre des inconnus en photo, de diffuser leur image et même
de vendre le cliché ? Tout le monde se pose ces questions, c’est pour cette raison
que je demande à tous les photographes de rues que j’interviewe de me donner
leur point de vue sur le droit à l’image, savoir s’ils s’en soucient ou non...

Je précise que je ne suis pas juriste, vous allez donc vous demander quelle
légitimité j’ai à parler de ce sujet: je vais être franc, je n’en ai aucune si ce n’est le

53
fait que je sois moi même un photographe de rue, donc de fait confronté à cet
aspect de la discipline. Mais je n’invente rien, je retranscris ce que j’apprends. Et ce
que j’apprends dans ce domaine, je le dois en grand partie à Joëlle Verbrugge qui
est une juriste spécialisée dans le droit en photographie. Elle a été interviewée sur
le sujet du droit à l’image par Sébastien Roignant dans une vidéo de 45min qui ne
parle pas uniquement de son application à la photo de rue. J’ai donc extrait ce qui
nous intéressait pour rédiger ce chapitre que j’ai synthétisé avec mes mots en y
apportant ma touche personnelle (j’ai synthétisé la forme, pas le fond).

Dans le livre Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique co-écrit


par Pauline Kasprzak et Jean-Christophe Béchet, ce dernier dit une phrase
intéressante sur le droit à l’image des personnes photographiées, mais sachez qu’il
s’agit d’un point de vue philosophique et non de juriste:

«Les ambiguïtés sur le droit à l’image sont apparues


avec l’idée que l’acte de photographier pouvait être
une violence faite à autrui.»

La violence dont parle l’auteur est en fait liée au vocabulaire utilisé dans la
photographie. On arme la pellicule, on vise, on tire. Est-ce également lié à la
gestuelle du photographe ? Je n’en suis pas convaincu. Le fait de porter l’appareil
photo au niveau de notre visage pour mettre l’oeil dans le viseur n’a pas grand
chose à voir avec un militaire qui fait la même chose avec son arme. Un appareil
photo ne tue pas, il a même généralement un look sympathique, qui devrait plutôt
donner envie de s’y intéresser que d’en avoir peur. Je n’ai jamais vu quelqu’un
partir en courant tout en criant « au secours, il veut me prendre en photo !!! ».

L’idée que l’acte de photographier puisse être une violence faite à autrui est selon
moi une mauvaise idée. Un cliché négatif, si j’ose dire.

54
Alors, quelles peuvent être les raisons valables pour lesquelles une personne
photographiée refuserait que son image soit diffusée ? C’est ce que nous allons
voir dans la suite, car dans certains cas seulement, il est tout à fait légal de
s’opposer à la diffusion de la photo...

Droit à l’image d’une personne photo-


graphiée

Avant de passer à la pratique, intéressons nous brièvement à la manière dont le


droit à l’image est perçu par la loi. Joëlle Verbrugge l’explique dans l’interview, le
droit à l’image est régi par trois textes de loi:

L’article 9 du Code Civil qui stipule, en une phrase, que chaque personne a
le droit au respect de sa vie privée.
La Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Le Code Pénal (uniquement pour les photos réalisées dans un lieu privé).
 

Il n’y a finalement pas grand chose dans les textes qui encadre officiellement et
clairement le droit à l’image. C’est donc par des cas de jurisprudences que les
désaccords seront généralement réglés: en réalité, ce droit à l’image est en conflit
avec le droit d’auteur, le droit qu’a le photographe de s’exprimer par la
photographie. En cas de plainte, c’est donc au magistrat de peser le pour et le
contre, de décider s’il faut donner la priorité au droit d’auteur du photographe ou
au droit à l’image de la personne photographiée.

De manière plus concrète, le droit à l’image s’applique dans trois cas de figures:

Le droit à l’image d’une personne (un inconnu dans la rue).

Le droit à l’image d’un bien (un vélo, un sac...).

55
Le droit à l’image d’une oeuvre (tableau, sculpture, architecture...).

Le sujet global est vaste, aussi je préfère ne parler ici que de ce qui nous
intéresse le plus: le droit à l’image d’une personne photographiée dans la rue. Je
glisserai un court passage sur la photo d’architecture, mais le sujet n’ayant pas été
traité aussi profondément que le cas d’une personne, je ne m’étendrai pas trop
dessus.

Dans le cas qui nous intéresse, le droit à l’image consiste donc au droit qu’a une
personne à s’opposer à la diffusion de son image. Mais dans quel(s) cas ce droit
existe-il ?

La première question à se poser est la suivante:

La personne présente sur ma photo est-elle reconnaissable ?

Si la réponse est non, alors ne vous posez plus de questions, vous êtes à 100%
dans votre droit: une personne de dos, en contre-jour, de loin, une vue de ses
mains, de ses pieds... Toutes ces prises de vue sont autorisées sans aucun
problème, car seul le visage permet de reconnaitre une personne.

Mais si votre sujet est reconnaissable, plusieurs cas de figures sont à prendre en


compte. Son droit à l’image sera différent suivant l’utilisation que vous allez faire de
la photo, et Joëlle Verbrugge donne trois principales catégories.: l’utilisation
artistique, commerciale ou en tant que photo-journaliste.

56
Utilisation Artistique

Tout d’abord, il faut savoir que l’artiste n’est pas forcément un photographe
professionnel, il peut être amateur. En fait, tous ceux qui pratiquent la photo de rue
pour s’exprimer font parti de cette catégorie. Et le seul cas où la personne
photographiée obtiendra gain de cause si elle refuse qu’on diffuse son image, c’est
si elle prouve que celle ci lui a porté un préjudice qui peut être moral ou financier.

Joëlle Verbrugge l’explique très clairement en citant le verdict d’un procès, la


personne photographiée est dans son droit:

«Soit quand l’image de la personne est contraire à sa dignité; soit


quand la personne démontrait que la diffusion lui causait « des con-
séquences d’une particulière gravité ».»

Elle donne également un exemple. Vous photographiez un couple qui s’embrasse,


mais il se trouve qu’il s’agit d’un homme et de sa maitresse. La femme est
malheureusement tombée sur votre cliché et demande le divorce à son mari. Ce
dernier peut porter plainte pour préjudice moral et éventuellement financier. Mais
avouez qu’il faut vraiment manquer de chance pour en arriver là !

S’il n’y a aucun préjudice, aucune conséquence sur la personne photographiée,


vous êtes dans votre droit. La liberté d’expression artistique, qui est un fondement
important de notre démocratie, prime sur le simple désir d’une personne qui ne
souhaite pas voir son image diffusée.

Ce même droit d’expression artistique nous autorise également à vendre nos


photos (tirages), à les exposer en galerie et à éditer et vendre un livre
photographique. En voilà une bonne nouvelle !

57
Le Photo-journalisme

Ce qui différencie le photographe artiste du photo-journaliste, c’est que ce dernier


a la possibilité de diffuser une image qui dégrade l’image de la personne
photographiée si et seulement si cette photographie a pour vocation d’informer
sur un événement d’actualité. C’est ce qu’on appelle le droit d’information, et cela
peut aussi bien s’appliquer à une guerre civile, internationale ou même une
manifestation dans la rue devant chez vous.

Le premier exemple qui me vient à l’esprit sont les photos de la seconde guerre
mondiale, notamment celles du photographe Robert Capa. On peut y voir des
photos de morts, mais les images ont été faites pour informer le monde, pour
garder une trace d’histoire. Bien sûr, ce sera totalement différent de celui qui
photographie son voisin décédé d’une crise cardiaque devant chez lui.

Plus actuel, le photographe français Eric Bouvet qui a, entre autres, couverts la
guerre en Ukraine, au plus près du conflit.

Utilisation Commerciale

La loi est claire, que l’image soit préjudiciable ou non, il est strictement interdit de
photographier quelqu’un, connu ou non, pour utiliser son image
commercialement. Une autorisation est obligatoire, normalement associée à
un contrat avec rémunération. Imaginez un instant voir votre tête sur des t-shirts
d’une marque urbaine sans que vous soyez au courant ! Pire encore, sur une
affiche de campagne d’un parti politique aux idées très extrêmes !!

Pas d’autorisation de la personne photographiée, pas d’utilisation commerciale.


Point barre.

58
Le Cas Particulier De L’architecture

Comme promis, voici un court passage sur la photo d’architecture. Joëlle


Verbrugge en parle brièvement mais explique clairement qu’il s’agit plus d’un
conflit entre le droit d’auteur du photographe (le droit de s’exprimer à travers la
photo) et le droit d’auteur de l’architecte qui a crée le bâtiment photographié.

En théorie, il faudrait donc une autorisation de l’architecte pour pouvoir diffuser


une image de son oeuvre. Je dis en théorie, parce qu’il faut que son oeuvre soit
suffisamment originale pour être protégée par ce droit d’auteur, comme pour une
photographie. J’imagine aussi qu’une différence sera faite entre une photo
proprement dite d’architecture, où on cherche uniquement à mettre en valeur un
bâtiment; et une photo de rue qui se joue de l’architecture du bâtiment et d’une ou
plusieurs présences humaines. Cette dernière sera bien plus difficile à traiter
puisque qu’il faudra alors décider si c’est le bâtiment qui est le sujet principal ou si
ce sont les passants.

Une chose est sûre, pour toutes les oeuvres architecturales dont l’auteur est
décédé depuis au moins 70 ans, vous n’avez plus besoin d’autorisation pour les
prendre en photo et diffuser leur image.

Le droit à l’image selon quatre photo-


graphes de rue

Je disais en introduction que je demande systématiquement aux photographes de


rue que j’interview leur point de vue sur le droit à l’image, pour savoir comment ils
appréhendent le sujet. Je suis sûr que vous ne serez pas contre de savoir
comment certains photographes vivent concrètement avec cette réglementation.

59
Je vous propose donc d’extraire leurs réponses pour les présenter dans ce
chapitre, mais uniquement des photographes exerçant en France. À l’exception de
Spyros Papaspyropoulos qui parle de la loi française, je trouve intéressant d’avoir
le regard d’un étranger sur le droit à l’image dans notre pays.

Question À Bernard Jolivalt

Comment gères-tu l’aspect juridique dans ta pratique ? Te refuses-tu de publier


certaines photos ou au contraire t’imposes-tu aucune limite ?

« L’aspect juridique est un poison qui pourrit l’existence des photographes. Le droit à
l’image n’est pour beaucoup de plaignants qu’un prétexte pour exiger des dommages
et intérêts. C’est une mentalité procédurière qui apparaît hélas dans bien d’autres
domaines que la photographie.Dans des conférences ou dans des réunions sur la
photographie de rue, quelqu’un pose inévitablement la question du droit à l’image.
C’est un problème sans solution car chaque partie a des droits : celui de son image
pour l’un, celui du droit à l’expression pour l’autre. Sur le plan pénal, le photographe
qui publie est toujours en faute. La Justice a la main beaucoup plus lourde pour un
photographe humaniste que pour des voleurs. Il y a là matière à méditer sur ce sens
que la Justice accorde au mot justice.Quand j’ai commencé la photo, et même plus
tard, ce problème ne se posait guère. Les photographes qui publiaient étaient
relativement peu nombreux. Or, avec l’Internet, tout le monde peut maintenant le
faire. Aux yeux de la loi, l’Internet est assimilé à de la presse. Publier sur un site est
risqué, à moins d’avoir obtenu l’autorisation écrite de la personne représentée, ce qui
est rarement le cas.Je refuse toutefois de me promener avec un code civil et un code
pénal dans mon fourre-tout. J’ai expliqué mon attitude sur mon blog, dans un article
fort justement intitulé « délinquant assumé ». »

60
Question À Vincent Montibus

Les photographes de rues se posent souvent la question du droit à l’image en


France, comment gères-tu cet aspect de la discipline ? 

«Je gère cet aspect sans me prendre la tête. Lorsque je prends une personne en
photo, j’essaye que l’instant que je capture ne dégrade pas l’image de la personne.
Après lorsque les photos sont des candides souvent je n’ai pas d’interaction avec le
sujet et ça s’arrête là. Par contre quand je fais poser un inconnu, je demande toujours
une adresse mail ou postale pour envoyer une copie de la photo. Lorsque j’ai pris la
photo sur du film, j’essaye dans la mesure du possible de faire un tirage papier à
l’agrandisseur et je retourne voir la personne pour lui offrir. Bien que je doive le faire
dans certains cas, je n’ai jamais fait signer d’autorisation de diffusion.Au final, je ne
me refuse pas de diffuser une photo. Si le sujet se reconnait sur la photo en la voyant
sur internet et qu’il me contacte j’aviserai à ce moment-là. Mais ça n’est jamais
arrivé.»

Questions À Benoit Rousseau

La loi française n’est pas toujours claire concernant le droit à l’image, en tiens-
tu compte ou au contraire la photo de rue est pour toi trop précieuse pour s’en
soucier ?

« A l’exception des images de foule, vous n’avez pas le droit de diffuser les photos
d’un individu sans son accord ; mes photos sont donc hors la loi. Sinon rien ne vous
interdit de photographier des gens dans les lieux publics mais les espaces privés
(jardin, métro, voiture... ) restent interdits. Dans la pratique, la liberté d’expression
artistique est-elle plus importante que le droit à l’image ? Si la démarche est non
commerciale, artistique, non dégradante pour la personne photographiée, les juges
tendent à penser que oui. Toutefois si une personne vous demande expressément

61
d’effacer la photo que vous avez fait d’elle, vous lui devez de le faire. Je suis né d’une
génération qui avait pour slogan « interdit d’interdire » alors je continue de braver le
droit à l’image, loi qui aurait empêchée Brassaï, Ronis, Bresson, d’exister. »

Tu photographies principalement dans Paris, que penses-tu du comportement


des personnes photographiées ? Quelle est leur réaction ? As-tu déjà été
confronté à un personne très réticente ? 

«Quelques personnes détestent être photographiées : les bandits et les timides ;  cela
se ressent et celles-ci je ne les shoote pas. A part quelque-uns les parisiens ne sont
pas aussi désagréables que leur réputation, j’en ai même vu sourire !»

Question À Spyros Papaspyropoulos

Que penses-tu de la loi vis à vis de la photo de rue ? As-tu déjà rencontré un
problème avec une personne que tu photographiais ? 

«La loi « aime » la photo de rue. Ce que j’entends par là, c’est que, autant que je
sache, vous pouvez photographier dans les rues sans avoir de problème, quel que
soit le lieu où vous vous trouvez. D’après ce que je sais, si une personne est dans un
lieu public, vous avez le droit de la prendre en photo. Bien sur, certains pays sont des
exceptions: j’ai lu qu’en France les gens pouvaient demander au photographe de
supprimer la photo pour conserver leur droit à l’image. Dans d’autres pays vous n’êtes
pas obligé de supprimer le cliché. Si par contre vous voulez utiliser la photo d’une
manière commerciale, c’est à dire pour promouvoir un produit ou un service, vous
devez obtenir l’autorisation de la personne photographiée. Cela ne s’applique pas
aux livres photos ni au photo-journalisme. Et c’est à peu près tout ce que je sais en
terme de loi vis à vis de la photo de rue. Pour plus d’informations, il vaut mieux
consulter un juriste  Je vis et photographie en Grèce et la loi est très claire ici. Si vous
êtes dans un lieu public, vous acceptez que n’importe qui vous prenne en photo, à
moins d’être un homme politique. Encore une fois, une autorisation est nécessaire

62
pour une utilisation commerciale. Durant toutes mes années de photo, je n’ai
rencontré que deux problèmes, et à chaque fois j’ai supprimé la photo. J’ai ensuite
continué à photographier les gens comme si rien ne s’était passé. L’unique raison
pour laquelle j’ai supprimé les photos est que je ne voulais pas prendre de temps à
expliquer ma démarche photographique, d’autant plus que je n’appréciais pas
spécialement ces deux photos. Si elles m’avaient plu, je les aurais gardé.»

Ce qu’il faut retenir de ces retours d’expériences, c’est que tous les quatre
privilégient leur passion pour la photo de rue aux éventuels problèmes que cette
pratique pourrait leur apporter. Concernant le réponse de Spyros, on peut imaginer
la réputation que l’on a dans les autres pays.

J’ai un avis très proche de celui de Bernard, Vincent et Benoit. Je ne me refuse


presque rien, tant que je ne dégrade pas l’image de mon sujet. Je choisis ce que je
veux montrer et ce que je ne souhaite pas photographier, comme les sans abris. Je
me suis déjà retrouvé face à des personnes qui ne voulaient pas être
photographiées, bien que les images ne leur créaient pas de préjudice. Dans tous
les cas, j’ai choisis moi même si je publiais ou non la photo. Si elle me plaisait, je la
gardais; si elle ne me plaisait pas, je la supprimais.

La photo de rue est en première ligne en ce qui concerne le droit à l’image. On


photographie des inconnus, le plus souvent sans leur accord et même sans se
faire remarquer. On sera toujours confronté à des personnes qui ne souhaitent pas
qu’on les prenne en photo, certaines réagiront gentiment quand d’autres seront
plus virulentes. Dans tous les cas, il faut connaître ses droits et agir
respectueusement.

63
Si c’est pour une utilisation commerciale, il vous faut impérativement une
autorisation.

Si vous êtes en train de photographier des gens pour couvrir une actualité,
photographiez sans hésiter sous couvert du droit à l’information, c’est votre
conscience et votre morale qui sera votre limite.

Enfin, si vous faites de la photo de rue par passion, simplement comme moyen
d’expression, vous pouvez faire des photos de gens dans les lieux publics mais
respectez vos sujets, pas d’image dégradantes. Vous n’aurez de problème que si
votre image crée un préjudice à votre sujet, ce qu’il devra prouver. Heureusement
pour nous, tenter n’est pas gagner, mais c’est parfois un peu la loterie !

N’oubliez pas que la photographie de mineur nécessite systématiquement une


autorisation des parents ou des tuteurs légaux.

64
8

CHOISIR SON APPAREIL


J’ai commencé la photo de rue avec un reflex (un Nikon D3100 d’abord, puis un
Nikon D300s) avec un 35mm (qui équivaut donc à un 50mm -> APS-C), mais je sen-
tais bien que mon gros boîtier ne me permettait pas d’être aussi discret que je le
souhaitais.

Et puis j’ai entendu parler du Fujifilm X100 qui a ensuite été remplacé par le Fujifilm
X100s, qui reprenait le succès du petit frère et corrigeait la plupart de ses défauts.

65
Je le voyais comme un boîtier idéal pour la photo de rue : petit, léger, discret, tota-
lement silencieux, plus qualitatif que mon reflex (le capteur XTrans II y est pour
beaucoup), un vrai rêve.

L’ergonomie me tentait aussi ! Et je ne regrette pas du tout. Quel plaisir d’utiliser


cet appareil ! L’ergonomie est similaire à celle des appareils argentiques, que je
n’ai jamais connus (les seuls appareils argentiques que j’ai utilisés dans le passé
étaient des jetables). Je suis immédiatement tombé accroc aux molettes de vites-
ses, de correction d’exposition et à la bague d’ouverture ! C’est naturel, logique,
magique ! Je n’ai plus envie d’utiliser des boutons pour régler mon appareil lors de
la prise de vue, sur le X100s tout est rapide et pratique. Un régal.

Le Fujifilm X100s possède d’autres avantages, comme une montée en ISO incroya-
ble (du coup je ne m’en soucie presque plus, de quoi me libérer l’esprit pour la pho-
to), un niveau pour des photos toujours droites, une mise au point manuelle top
avec le focus peaking... Une révolution pour moi !

Et le plus important : je l’ai toujours sur moi ! Toujours, je ne sors jamais sans. Il ren-
tre dans n’importe quel sac urbain et ça, c’est juste génial ! (Avant/Après ci des-
sous).

Image CameraSize

66
Mais le X100S ne conviendra pas à tout le monde, car il faut bien comprendre que
l’appareil photo n’est qu’un outil, et un outil doit être adapté à sa fonction et à son
utilisateur.

Il m’est donc impossible de vous dire précisément quel appareil acheter. Je peux
cependant vous guider dans votre choix en vous aidant à vous poser les bonnes
questions, et en vous proposant une sélection d’appareils photo qui me paraissent
idéaux pour la photo de rue. N’oubliez pas de prendre en compte votre budget !

Choix du boitier
Premier conseil, toujours essayer un appareil photo avant de l’acheter ! Il faut le tou-
cher, le manipuler, mettre à l’épreuve son ergonomie, son poids, sa taille, sa réacti-
vité... Vous devez être très à l’aise lorsque vous l’utilisez, pour pouvoir l’oublier lors-
que vous photographiez dans les rues. Si vous êtes grand ou petit, avec de gran-
des ou petites mains, vous ne choisirez pas le même appareil.

La compacité et l’ergonomie sont pour moi les deux critères les


plus importants.

Compacité
Je n’ai pas de grandes mains, ce qui me permet d’utiliser des appareils photo de
tailles très raisonnable, comme le X100S. Outre le fait qu’un petit appareil sera plus
discret qu’en gros reflex, il a aussi pour avantage d’être plus facilement transporta-
ble. Vous pouvez le ranger dans presque n’importe quel sac, et donc l’avoir sur
vous en permanence: je vous mets au défi de faire de même avec un reflex !

Ce premier critère élimine donc tous les reflex, ce qui permet de réduire la sélec-
tion aux appareils photos hybrides et compact expert (les mirorless). La gamme Fu-

67
ji X est parfaite, avec les X100S ou X100T, X20 ou X30, X-E2 ou X-T1.. Mais il ne faut
pas oublier le Sony A7 et la gamme Olympus OMD.

Pour la photo de rue, mon choix se porte en priorité sur les compacts experts qui
permettent d’avoir le plus faible encombrement possible, notamment avec une fo-
cale fixe comme mon X100S. Avez vous vraiment besoin de pouvoir changer d’ob-
jectif ? Pensez y !

L’ergonomie
C’est ce qui va rendre votre appareil agréable à utiliser ! Et c’est pour cela qu’il est
primordial d’essayer un appareil photo avant de l’acheter. Aucun test sur internet
ou dans un magazine photo ne pourra vous dire si les boutons sont bien position-
nés en fonction de vos habitudes et de la taille de vos mains.

Certains boitiers sont très bien pensés quand d’autres laissent à désirer, obligeant
le photographe à pratiquer une gymnastique des doigts pas toujours agréable.

Personnellement, je suis tombé sous le charme de l’ergonomie offerte par Fujifilm


sur sa gamme de mirorless X, et notamment celle du X100S. Ce compact expert
va droit au but, il se concentre sur l’essentiel en proposant une molette de vitesse,
de correction d’exposition et une bague d’ouverture du diaphragme, comme au
temps de l’argentique. Dans la même gamme, le X-T1 propose quant à lui une troi-
sième molette, celle dédiée à la sensibilité ISO. Tout est accessible sur le boitier, il
n’est plus nécessaire de passer par le menu. C’est un véritable régal à l’utilisation.

Ces molettes sont disponibles uniquement sur les appareils suivants:

• Fujifilm: X100S, X100T, X-E2, X-T1.


• Panasonic: LX100

Très honnêtement, je ne connais pas le modèle de Panasonic et même s’il me pa-


rait être très bien, le fait que sa focale soit un son zoom, qui plus est électronique,
me rebute totalement.

68
Qualité D’image / Capteur
La qualité de l’image produite dépend à la fois du capteur du boitier utilisé et de la
focale que l’on met dessus. Je ne parle pas ici de la qualité artistique de vos ima-
ges, mais bien de la qualité «technique».

Je pense que tous les appareils photos actuels, parmi les hybrides et compacts ex-
perts voir les smartphones, proposent une très bonne qualité d’image. Peu importe
la taille du capteur, qu’il soit plein format, APS-C ou Micro 4/3, son influence en
photo de rue sera minime voir insignifiante en terme de qualité.

Le capteur plein format, on le retrouve uniquement dans le Sony A7 (hors reflex en-
tendons nous bien), mais il n’a aucune utilité en photo de rue puisque l’un de ses
principaux avantages est une profondeur de champ plus réduite et donc un bokeh
plus doux, plus agréable. Mais en photo de rue, on ne cherche généralement pas
à avoir une faible profondeur de champ mais au contraire à avoir le plus de netteté
possible sur l’image, c’est pourquoi on utilise une ouverture moyenne de f/8.

Les capteurs APS-C (Fujifilm X) et Micro 4/3 (Olympus OMD) sont donc avantageux
en photos de rue, car il permettent un encombrement plus faible pour une même
distance focale (35mm sur FF = 23mm sur APS-C, et un objectif de 23mm est géné-
ralement plus compact que celui de 35mm) et une plus grande zone de netteté
sur l’image.

Par contre, le capteur peut avoir son influence sur le style d’image que vous souhai-
tez faire. Si vous voulez par exemple vous lancer dans la photo de rue de nuit, il
vous faudra un capteur capable de monter facilement en sensibilité ISO, sans trop
de bruit sur l’image. Je vous conseille alors d’éviter Olympus et son capteur Micro
4/3.

L’écran Orientable
Cette option peut faire partie de vos critères, l’écran orientable permet de réaliser
des photos avec un point de vue original, au ras du sol par exemple. Je n’en ai pas

69
sur mon X100S et ça me manque, même si cela augmenterai légèrement l’épais-
seur de l’appareil.

L’écran orientable permet d’être plus discret, en abaissant l’appareil photo au ni-
veau de la taille, le regard n’est plus dirigé vers le sujet mais vers le sol, vers
l’écran. Si vous utilisez un petit trépied du style Gorillapod pour réaliser une pause
longue, vous pouvez composer votre image beaucoup plus facilement.

Bon point pour les Olympus OMD et le Sony A7 pour cette option. Quant aux appa-
reils Fuji X, seuls les X30 et X-T1 en possèdent un.

Choix de la focale
Ce n’est pas une règle, mais en photo de rue on utilise généralement une focale
courte, de manière à être proche de nos sujets, au coeur de l’action. Cette focale
«idéale» se situe entre 18 et 50mm. On dit que ces focales se rapprochent de no-
tre vision humaine. Au delà ce ces valeurs, vous mettez trop de distance entre vo-
tre sujet et vous, les perspectives se tassent et ne rendent pas compte de l’émo-
tion de la scène.

Si vous voulez utiliser un téléobjectif (100 à 200mm), ce n’est pas interdit, mais fran-
chement peu recommandé pour la raison évoquée juste au dessus, ainsi que pour
le poids et l’encombrement très important lié à ces focales.

Quand j’utilisais un reflex, j’avais une focale de 50mm (objectif de 35mm sur APS-
C). Maintenant, avec le X100S, j’ai une focale de 35mm (23mm sur APS-C) et
j’adore, je crois avoir trouver ma focale idéal !

Je vous conseille enfin d'acquérir un objectif pancake, ils sont bien plus compacts
que les autres et aussi qualitatifs. Fuji propose un 27mm, Sony un 16 et 20mm et
Olympus un 17mm.

70
Gardez à l’esprit que le choix d’un appareil photo est très personnel. Il faut le choi-
sir en fonction de votre morphologie, de ce que vous souhaitez photographier, de
son ergonomie, sa taille, son prix, ses focales... Chaque photographe est différent,
tout comme ses besoins et envies.

J’ai beaucoup parlé de Fujifilm et notamment du X100S parce que c’est le modèle
que je possède, je suis donc plus à l’aise pour en parler. Sa focale fixe de 23mm
qui équivaut à un 35mm en FF, ses molettes et bagues de contrôles, son poids
plume, son déclenchement totalement silencieux, son capteur.... Tous ces critères
en font un appareil photo idéal pour ma pratique, et bien entendu particulièrement
pour la photo de rue.

Vous pouvez choisir de photographier au reflex, au compact grand public, au mir-


rorless, au smartphone ou même au sténopé, c’est vous qui décidez !

71
9

QUELS RÉGLAGES UTILISER ?


On dit que l’appareil photo ne fait pas la qualité d’un photographe et c’est tout à
fait juste, c’est son regard qui rendra belles ses compositions. Mais pour cela, nous
sommes bien obligés de passer par la technique, sans quoi nos photos ne seraient
en réalité que des souvenirs impossibles à partager. Je vais parler des différents ré-
glages que l’on peut utiliser en photo de rue, mais cela peut également être utile
pour d’autres disciplines.

72
Quels sont les réglages couramment utilisés en photo de rue ? Quel programme
choisir, que faire des ISO, comment faire la mise au point, quel mode de mesure
de la lumière utiliser, voici les questions auxquelles j’essaie de répondre dans ce
chapitre, si réponse il y a !

Quel programme utiliser ?


Priorité À L’ouverture
C’est le mode le plus couramment utilisé en photo de rue, puisque le photographe
qui pratique cette discipline cherchera généralement à avoir le plus de profondeur
de champ possible. Dans ces cas là, on se rapproche de la photo de paysage et on
choisira une ouverture entre f/8 et f/11.

Je ne parlerai pas du piqué que l’on dit meilleur à ces ouvertures -mince, c’est fait,
je ne suis pas technicien et je crois que les objectifs actuels offrent une très bonne
qualité même à pleine ouverture. La différence n’est pas toujours flagrante, sauf
peut être sur le bas de gamme.

On peut également choisir une ouverture plus grande pour justement jouer avec
la PDC, c’est généralement l’effet recherché lorsqu’on fait un portrait, pour déta-
cher le visage de l’arrière plan. Mais avec une ouverture de f/2 par exemple, il faut
assurer la MAP !
 

Priorité À La Vitesse
Dans certaines situations, il devient nécessaire de maîtriser la vitesse de l’obtura-
teur plutôt que son ouverture. C’est notamment le cas lorsque vous souhaitez figer
une action relativement rapide (une personne qui court ou un cycliste) ou au con-
traire créer un effet de flou pour montrer le mouvement d’une façon différente.
Dans le premier cas, on aura besoin d’une vitesse rapide, et d’une vitesse lente
pour le second.

73
On redonne alors le contrôle de l’ouverture à l’appareil et on choisit une vitesse
adaptée. Pour créer un effet de flou d’une personne qui marche, je sélectionne
une vitesse autour de 1/30 de secondes. Même réglage pour un filé de cycliste, et
si je souhaite figer son mouvement, j’augmente jusqu’à 1/200 de secondes.
 

Mode Manuel
Choisir une ouverture pour maîtriser la profondeur de champ tout en s’assurant
d’une vitesse suffisamment élevée pour figer la scène, quitte à bruiter légèrement
l’image en augmentant la sensibilité ISO, voilà ce que permet le mode Manuel. Il
m’arrive de l’utiliser et de laisser la sensibilité en automatique, ce qui laisse à l’appa-
reil la liberté de l’ajuster.

C’est quelque chose qu’il faut anticiper, parce que ce besoin peut arriver à n’im-
porte quel moment, notamment celui où vous n’êtes pas en mode manuel. Mon
X100s me permet de passer rapidement du mode priorité ouverture (ou vitesse) au
mode manuel, je n’ai pour cela qu’à tourner la molette des vitesses (ou le dia-
phragme).
 

Mode Automatique
À vrai dire, je n’ai jamais vraiment utilisé le mode tout automatique, mais depuis
que j’ai vu Thomas Leuthard le faire sur son OMD, je me dis pourquoi pas. Les appa-
reils actuels sont de plus en plus efficaces pour éviter de se faire piéger par la lumi-
nosité, et dans des conditions si on peut dire idéales de lumière, il suffit la plupart
du temps.

Tout dépend de votre scène et du résultat que vous souhaitez obtenir. Si par exem-
ple vous tenez absolument à ce que votre portrait urbain ait une faible profondeur
de champ, mieux vaut choisir votre ouverture. Mais si votre composition est plus
large, sans effet particulier, alors le mode automatique ferra le job. L’idéal est en-
core une fois de connaitre son appareil photo pour savoir dans quelles situations le
mode auto pourrait se faire piéger.

74
À gauche, une photo prise avec priorité à l’ouverture; à droite priorité à la vitesse (lente).

Que faire de la sensibilité ?


L’idéal est d’avoir un appareil photo qui permet de régler les ISO en automatique
en fixant une valeur maximale, tout en fixant une vitesse minimale pour éviter le
flou de bougé.

C’est le cas de mon X100s et la plupart du temps je ne me soucie pas de la sensibi-


lité. Mais parfois, il faut être plus malin que l’appareil et choisir soi même sa valeur.
Il peut être utile de fixer les ISO sur 400 ou 2000 suivant la qualité de votre capteur
pour être vraiment à l’aise avec votre vitesse, alors pensez y !

Si vous n’avez pas la possibilité de mettre les ISO en automatique, choisissez les
manuellement, c’est assez facile à faire. Si votre journée est très ensoleillée, privilé-
giez une sensibilité très faible, la plus petite que vous propose votre appareil (géné-
ralement ISO100, mais cela peut aussi être 50 ou 200). À l’inverse, une journée nua-
geuse ne fournira pas la même quantité de lumière alors il faudra augmenter la
sensibilité du capteur de ISO400 à ISO3200 suivant votre appareil photo (tous les
appareils ne réagissent pas de la même façon face au bruit numérique, tout dé-
pend de la qualité de leur capteur).

75
Quel Mode De Mise Au Point Utiliser ?
Mise Au Point Automatique
Choix du collimateur: c’est le mode de mise au point que j’utilise 90% du temps.
Efficace dans la plupart des situations, je choisis mon collimateur pour faire ma
mise au point sur mon point d’intérêt si j’ai le temps, sinon j’utilise le central et fait
la technique du « mise au point puis recadrer ». Sur mon X100s, j’ai la possibilité de
modifier la taille du collimateur, ce qui me permet de m’adapter aux conditions de
lumières: un grand collimateur sera rapide mais peu précis, notamment en basse
lumière, tandis qu’un petit sera lent mais bien plus efficace. Il faut savoir s’adapter.

Détection de visage: c’est une option que je n’ai pas -encore, j’attends une éven-
tuelle mise à jour du X100s, mais qui est me semble-t-il très utile. Ne plus se sou-
cier de la mise au point mais uniquement penser à la profondeur de champ, ça
doit être cool ! J’imagine le gain de temps énorme !

Mise Au Point Manuelle


Hyperfocale: cette technique consiste à pré-régler la MAP sur une distance défi-
nie qui assurera d’avoir une profondeur de champ suffisamment grande. N’oubliez
pas que celle ci est liée à l’ouverture mais aussi à la distance de MAP. Il faut connaî-
tre son appareil photo, mais c’est à ça que sert l’hyperfocale: une formule permet
de calculer la distance à laquelle la MAP apportera le plus de netteté à l’image, la
plus grande PDC (recherchez « hyperfocale -votre référence d’appareil photo- »
sur Google et vous devriez trouvez vos distances sans problème).

Pour donner une exemple, une focale de 35mm et une ouverture de f/11 donnera
une hyperfocale d’environ 3m, ce qui signifie concrètement que l’image sera nette
de 2m (1/3 de l’hyperfocale avant le point d’hyperfocale = 1m avant le point de
MAP situé à 3m = 3m – 1m = 2m – c’est ce que dit la règle de l’hyperfocale) jusqu’à
l’infini. L’énorme avantage: pas de temps perdu pour la MAP, la prise de vue est
quasi instantanée !

76
Mise au point avec aide: il s’agit ici de simplement utiliser manuellement la bague
pour faire la mise au point là où vous le souhaitez. Ce n’est pas toujours facile, c’est
pourquoi je le fais rarement, mais certains appareils possèdent une aide à la MAP.
Les Leica sont, me semble-t-il, les plus favorisés (ils superposent deux images au
centre qui s’alignent parfaitement lorsque la zone est nette), mais d’autres mar-
ques trouvent des alternatives convaincantes. C’est le cas de Fujifilm avec le Focus
Peaking ou le Digital Split Image.

Et dans des situations où le temps n’est pas votre ennemi et les conditions de lu-
mière difficiles, la mise au point manuelle pourrait bien vous sauver !

Quel mode de mesure de la lumière


utiliser ?

Mesure Matriciel
Ce mode utilise presque la totalité de l’image pour calculer son exposition, et il est
adapté à la plupart des situations. Il faut pratiquer pour mieux connaitre son boitier
pour ainsi éviter de se faire piéger, car il existe des situations où l’appareil photo ne
réagira pas comme vous le souhaiteriez. Si vous souhaitez rendre compte d’une si-
tuation sombre, avec juste une petite zone éclairée, il faudra corriger l’exposition
en sous-exposant: l’appareil verra une scène globalement sombre et décidera
plus ou moins selon le modèle de sur exposer la scène pour que tout soit clair. À
l’inverse, il faudra sur-exposer pour une scène très lumineuse, que l’on souhaite
garder lumineuse.

Mesure Spot
Le mode spot n’utilise qu’une toute petite partie de l’écran et est très utile pour les
contre-jour notamment, mais aussi pour les scènes peu lumineuses. Dans ce

77
cas, il est plus efficace que le mode Matriciel. Le mode Spot peut également être
utilisé avec la technique du Zone System: je ne veux pas rentrer dans les détails
parce que je ne maîtrise pas cette technique, sachez simplement qu’elle permet
de faciliter la prise de vue lorsque l’on a une vision très précise du rendu finale de
notre photo, en jouant sur les différentes zones de tonalités.

À gauche, une photo prise avec la mesure de la lumière matricielle; à droite la mesure spot

Il me parait essentiel de rappeler encore une fois que le plus important dans la
photographie, c’est la composition de nos images, l’harmonie qu’on y apporte. Et
chacun y va de sa touche personnelle, c’est en fonction de notre propre regard, de
notre façon de voir les choses. L’appareil photo n’est pas si important qu’il n’y pa-
rait, mais on ne peut pas négliger l’aide précieuse qu’apporte la plupart de ses
fonctions.

La technique passe après, mais elle ne peut pas être oubliée, c’est une contrainte
dont il faut essayer de s’acquitter par l’expérience, alors photographions, encore et
encore !

78
10

PHOTO DE RUE ET ARGENTIQUE

La photo de rue à l’argentique, je ne connais pas ! J’ai connu les appareils jetables
et je possède aujourd’hui le Canon AE-1 de mon grand père, avec plusieurs objec-
tifs que j’ai moi même acheté, mais je ne l’utilise pas pour la photo de rue: la seule
photo que j’ai fait avec, c’est celle ci dessus.

Mais je vous propose de découvrir cette pratique à travers une interview croisée
de trois photographes de rues argentiques !

79
ITW DE 3 PHOTOGRAPHES
DE RUE QUI UTILISENT UN
APPAREIL ARGENTIQUE

François Constant - Vincent Montibus - Fred Laurent

Entretien Avec François, Vincent Et Fred


Comment êtes vous venu à l’argentique ? Dès le début de votre pratique photo-
graphique ou un peu par hasard ?

François
J’ai commencé par le numérique, pendant 3 ans j’ai utilisé des réflex, avec pleins
d’optiques, des flashs etc etc. Je changeais de boitier tous les 6 mois, je voulais le
nouveau, le dernier cri, avec les optiques qui « piquent » et qui ouvrent le plus pos-
sible. Un blaireau quoi.
A cette époque, je ne faisais pas de street photo, je ne savais même pas ce que
c’était. Je faisais de la photo sportive, skateboard et parkour.
Un jour, mon père m’a prêté son vieux Nikon FE2, j’ai chargé une pellicule noir et
blanc et je l’ai amené avec moi lors d’une séance photo, pour tester un peu. J’ai fait
développer le film et j’ai adoré les photos qui en sont sorties. Ça a été le début de
l’aventure argentique et aussi le début de la fin de l’aventure numérique.
En plus de ça, mon père est lui aussi amateur de photo, j’avais la chance d’avoir un
labo photo dans la cave chez mes parents, ou j’ai appris à développer et à tirer.

80
Vincent
J’ai recommencé à faire de la photo argentique, il y a environ 4 ans maintenant.
J’avais besoin de ralentir mon processus photographique, de revenir aux fonda-
mentaux et à la photo plaisir. L’argentique c’est imposé naturellement.

Fred
L’argentique est venu tout naturellement puisque j’ai commencé à la fin des an-
nées 80. A l’époque, je voulais figer mes souvenirs de voyage. Par la suite, je faisais
beaucoup de portraits, notamment à la naissance de ma fille en 93. Depuis, je n’ai
jamais arrêté la photo argentique. Le matériel dans mon sac a évolué mais tou-
jours avec de la pellicule.
 

© François Constant

81
 
Pourquoi pratiquer la photo de rue à l’argentique ? Quels sont les avantages ? 

François
Je pratique la photo de rue en argentique parce que j’aime tout simplement le pro-
cess et le rendu. Je gère tout de A à Z (choix du film, exposition, développement,
numérisation, post traitement, planches contact, tirages argentiques), je n’ai pas
d’écran qui vient me distraire, c’est simple, instinctif, j’aime passer les vues manuel-
lement, développer mes films, découvrir mes images plusieurs jours, semaines,
mois après les avoir prisent.
A côté de tout ça, le rendu d’un film est unique, et aujourd’hui il n’y à rien qui peut
imiter ça.
Le rapport matériel que l’on a avec ses photos, elles existent, physiquement. Pour
moi le numérique n’a pas de saveur, pas d’odeur, pas de toucher, ce ne sont que
des 0 et des 1, sans âme.
Pour moi l’argentique est avant tout un état d’esprit, et une démarche personnelle,
des sensations et une réflexion que le numérique ne m’apporte pour l’instant pas.

Vincent
La première motivation est le plaisir. Je fais de la photo pour moi et non pour un
client et si je ne déclenche pas, que je loupe une photo, ce n’est pas grave. Je ne
me mets pas de pression.
D’un point de vue des avantages, je trouve le matériel plus simple (ouverture, vi-
tesse, focus) ce qui me permet de me concentrer sur mon cadrage, et également
sur les gens et leurs interactions. Les appareils que j’utilise sont plus petits que
des réflex numériques et sont donc moins intimidants.

Fred
Je dirai surtout que c’est une question d’affect. J’ai une passion infinie pour la pho-
to argentique. L’aspect, le rendu, la souplesse de travail. Pour moi, il n’y a pas en-
core d’égal. Côté avantage, je dirai : simplicité. La prise de vue en argentique se ré-
sume à une ouverture, un temps de pause et un choix de sensibilité pour la pelli-
cule. C’est tout. On pourrait penser que le numérique apporte plus de souplesse
mais ce n’est pas si évident. Par exemple, je me sens bien plus efficace en photo
de rue avec un appareil argentique qu’avec un numérique. Pas besoin d’autofocus,
l’hyperfocale est une aide précieuse lorsqu’il faut être très réactif. Ensuite, la dyna-

82
mique d’une Kodak Tri-X n’est égalée que par le Nikon D800 et ses confrères haut
de gamme et encore... Le noir et blanc numérique n’est toujours pas aussi riche en
nuances qu’en argentique.

© Vincent Montibus
 
Et les inconvénients ?

François
Je ne pense pas qu’il y ait vraiment d’avantage à utiliser de la pellicule, au con-
traire, c’est bien plus contraignant et exigent que le numérique.
Si tu charges une pellicules 400 iso, et que tu décides de la faire à 400 iso, et bien
tu es coincé à 400 iso jusqu’à ce que tu aies fait tes 36 vues. Rien que pour ça, le
numérique est beaucoup plus souple et pratique.

83
Ensuite, il faut porter les pellicules, les stocker, y faire attention. On dirait pas
comme ça mais, ça pèse dans un sac.
Si jamais tu as fait une connerie en chargeant ton film ou dans tes réglages, tu ne
le sauras qu’une fois la pellicule développée, il faut donc toujours être concentré
et très attentif à ce que tu fais, c’est très exigent.

Vincent
Le plus gros est le manque de versatilité par rapport au numérique. Il faut travailler
à ISO fixe, et on est soit en noir et blanc soit en couleur. Et bien sûr, la carte mé-
moire n’a que 36 poses ! Ces inconvénients peuvent facilement se convertir en
avantages car à toujours travailler avec un boitier, un objectif, un film à ISO donné,
et un révélateur, on reste consistant dans le temps et on arrive à produire un travail
homogène.
Il faut également aller au bout du processus (développement, tirage ou scan) pour
voir la photo, ce qui peut être « frustrant » pour certain.

Fred
L’inconvénient majeur en argentique si je devais en retenir un serait au niveau des
sensibilités. Mais là encore, c’est à relativiser. C’est comme si je vous disais : l’incon-
vénient des voitures du 21ème siècle est qu’elles ne volent pas. Avec un réflex nu-
mérique de bonne facture, on peut monter assez en haut en sensibilité mais il faut
mettre le prix. Tout le monde n’a pas les moyens de débourser 1500, 2000 euros
uniquement dans un boîtier. Et l’argentique ne m’a jamais empêché de photogra-
phier la nuit ou sur scène bien au contraire, c’est dans des conditions difficiles que
j’ai fait mes meilleures photos. Le tout est de savoir s’adapter à la situation. Par con-
tre, il est vrai qu’un bon photographe, bien équipé aura plus de chance de travailler
dans de meilleures conditions que moi et sortira plus de bonnes photos.
 
 
Les gens vous regardent-ils différemment ?

François
Les gens... Quels gens ? Les photographes, ou les amateurs de photo me voient
comme un « hipster », un mec qui fait ça pour la frime, parce que c’est à la mode,
alors que ça coute cher, que c’est contraignant... etc etc

84
Les personnes que je prends en photo eux, à mon avis, ne savent même pas si
mon appareil est un numérique ou un argentique.
Dans la rue, utiliser un argentique ou un numérique ne change absolument rien.
Tout est une question de pratique, d’attitude et de comportement.

Vincent
Je n’ai pas noté de différence de regards ou alors je ne l’ai pas remarqué. Les gens
remarquent que c’est un appareil argentique quand ils demandent à voir la photo
et qu’il est impossible de la montrer mais c’est une situation tellement rare que ce
n’est pas gênant.

© Fred Laurent

85
Fred
Non, dans la rue, les gens ne voient pas la différence entre un reflex numérique et
mes boîtiers. Depuis une quinzaine d’années, j’utilise des reflex argentiques der-
nière génération.

 © François Constant
 

Quels sont vos formats (pelicules 24×36, 6×6...) favoris et pour quelles raisons ?

François
J’utilise uniquement le format 24×36.

86
Vincent
En photo de rue, je shoote principalement avec un 24×36 car les appareils sont
plus petits que les moyens formats (120) mais il m’arrive quand même d’utiliser
une Plaubel Makina 67.

Fred
Je travaille uniquement en 24 x 36. C’est un format que je connais bien et que je
maîtrise. Il me permet d’être opérationnel en reportage. Le moyen format de-
mande une autre approche. J’aime beaucoup les sensations que peuvent offrir le
6×6 par exemple. Le rendu est exceptionnel mais je ne me suis jamais investi dans
ce format.
 

 
Et pour les appareils photo, vous utilisez quoi ? Quels doivent être leurs qualités
selon vous ?

François
J’utilise un Leica M7 et un 2/35mm Summicron ASPH. Je l’ai toujours dans mon
sac.
Selon moi, il n’existe pas d’appareil parfait, il faut juste trouver celui qui nous corres-
pond et qui répond le mieux à nos attentes.
Pour la streetphoto, je pense qu’il doit être petit, discret, simple dans ses réglages,
et très rapide dans son utilisation et sa mise au point.
Il faut le maitriser parfaitement et pouvoir aller vite, très vite, lorsqu’on veut pren-
dre une photo.

Vincent
J’utilise principalement 2 appareils, un Leica M6 TTL avec un Summicron 35mm et
un Rollei 35. Ils sont petits, discrets, légers et silencieux toutes les qualités qu’il
faut pour la photo de rue.

Fred
Je me suis débarrassé des vieux boîtiers Olympus OM, Pentax et des compacts. Je
ne travaille plus qu’avec deux EOS 3 et accessoirement un EOS 30v. Ils sont com-
plets, précis. D’ailleurs, les reflex numériques actuels ont été conçus à partir de
ces reflex argentiques. Le viseur de l’EOS 3 est agréable. Il monte au 1/8000. On re-

87
trouve les mêmes types de mesures que sur un EOS 7D par exemple : évaluative,
pondérée centrale, sélective et spot. On peut même définir une mesure moyenne
de plusieurs points et la mémoriser. Le pilotage par l’oeil existe mais je ne l’utilise
quasiment jamais. Sur l’EOS 3 comme sur l’EOS 30v, on peut changer de bobine en
cours de route et la reprendre plus tard. C’est tout de même un avantage quand
on passe de la lumière à l’ombre comme cela arrive souvent en photo de mariage.
 

© Vincent Montibus © Fred Laurent

88
Votre façon de photographier change-t-elle entre la couleur et le N&B ?

François
Oui complètement, je ne regarde pas les choses de la même façon en couleur ou
en N et B, forcément.
En noir et blanc je suis plutôt concentré sur l’humain et l’émotion, alors qu’en cou-
leur je suis attiré par la couleur (ça va de soit) et les scènes marrantes, clownes-
ques.
J’ai aussi tendance à sur exposer un peu mes films couleurs pour rendre les cou-
leurs un peu plus flashy.

Vincent
Que ce soit en couleur ou en noir et blanc, les films encaissent plus facilement
une surexposition qu’une sous-exposition. Je m’efforce donc la plupart du temps
d’exposer pour les ombres plutôt que pour les hautes lumières. A part en condi-
tions de lumières difficiles, j’essaye toujours d’estimer à l’œil et avec la règle du f/
16, mon couple ouverture / vitesse quand je suis dans la rue.

Fred
Oui, pas tellement par rapport à l’exposition de la pellicule parce qu’en noir et
blanc, j’expose pour les ombres et en couleur j’expose souvent avec 1L de plus.
Une pellicule de 400 ISO se comporte mieux quand on l’expose à 200 ISO. Le scan
est plus facile, les images sont plus brillantes. Après tout dépend de la pellicule.
La Kodak Ektar par exemple n’aime pas trop les écarts d’exposition un peu comme
en diapo Mais surtout dans le type d’image que ma façon de travailler change en-
tre couleur et noir et blanc. En noir et blanc, je fais attention à l’alternance ombres
et lumières et je m’arrange pour obtenir un beau contraste. En couleur, je pense à
la couleur comme une matière. J’aime beaucoup les couleurs denses et sourdes.
 
 
J’imagine que vous avez des pellicules préférées, dites nous tout !

François
Je ne travaille qu’avec de la TriX 400 (film noir et blanc) en 135 (24×36) parce qu’elle
est pas chère, que je peux la pousser facilement si besoin et j’adore son rendu, il
correspond bien à mon style je trouve. En plus de ça, elle encaisse très bien les

89
© François Constant

écarts d’exposition donc elle tolère quelques erreurs.



J’expérimente de temps en temps la couleur mais le rendu que j’obtiens ne me
convient pas, pour l’instant. Je trouve le numérique meilleur pour la couleur et plus
pratique.

C’est d’ailleurs pour ça que je ne fais quasiment jamais de photos couleur.

Vincent
Au niveau des films, en noir et blanc après avoir beaucoup shooté de la Kodak Tri-
X 400, je bascule petit à petit sur de la TMax 400 qui possède un grain plus fin et
qui se « pousse » bien (en gros je l’expose comme si c’était un film 1600 ISO par
exemple et je compense au développement). En couleur, je suis principalement

90
sur de la Fuji Superia 400 car j’aime son rendu et également pour une question de
prix.

Fred
J’affectionne particulièrement la Kodak Portra et la Kodak ektar. En noir et blanc,
mes préférences vont pour la Kodak Tri-X et la Kodak TMAX même si j’utilise aussi
d’autres pellicules comme Rollei, Agfa et Ilford. De temps en temps, je reprends de
la pellicule amateur Fuji Superia pour des petits projets sans importance.
 

© Vincent Montibus
 

91
Parlez nous de la planche contact, qui est un outil venant de l’argentique. La
conseilleriez vous à quelqu’un qui fait du numérique pour choisir ses photos ?

François
Mes planches contacts me servent avant tout à archiver mes négatifs, je vois
comme ça toutes les photos qui sont sur un film et ça m’aide aussi à retrouver plus
facilement les négatifs que je cherche quand je veux scanner une photo ou faire
un tirage.
C’est aussi un moyen de travailler, et de sélectionner ses photos. On voit les cho-
ses dans leur ensemble alors que sur un écran, je n’arrive pas du tout à prendre de
recul sur une/des image(s).
Là encore, je pense qu’il est propre à chacun de travailler comme il aime.
Dans ma démarche, la planche contact est une suite logique. Je me dis aussi que,
un jour, quelqu’un tombera peut être sur mes classeurs et pourra tourner les pa-
ges et regarder les photos. Pas sur que ça arrive un jour avec un disque dur...
Je déteste lire sur un écran, j’aime lire un livre en l’ayant dans mes mains, en le tou-
chant, la texture du papier, son odeur. C’est un peu la même chose avec les plan-
ches contacts opposées à la bibliothèque Lightroom, par exemple.

Vincent
Par manque de temps, je ne fais que très rarement des planches contact à l’agran-
disseur mais je me sers du scan (basse définition) et de LightRoom pour travailler
avec des « planches contact numériques ». Pour moi à partir du moment où un
photographe utilise un logiciel de catalogage type LR, il fait son editing comme on
peut le faire avec une planche contact papier. On choisit les photos avec des cou-
leurs, drapeaux, étoiles au lieu de les regarder à la loupe et de les entourer avec
un crayon rouge mais le travail intellectuel du choix reste le même.

Fred
La planche contact, on la retrouve dans Lightroom. L’outil est bien pratique pour ef-
fectuer une sélection. En numérique, la planche contact papier n’est pas nécessaire
et vu la quantité d’images que l’on peut produire, cela devient difficile à gérer. Le
principal est d’apprendre à faire une sélection drastique de ses images. Sinon, moi,
j’utilise Adobe Bridge une fois les images scannées.
 

92
© Fred Laurent
 
Concernant le développement, le faites vous vous même ? Tirage par agrandis-
seur, scan des négatifs ?

François
Oui, je développe mes films noir et blanc moi-même, je les scanne aussi moi-
même et je fais mes tirages.
J’aime cette idée de gérer entièrement mon processus de prise de vue, comme
ça, je m’approprie vraiment mes photos. C’est mon travail, mes photos, ma vision.

Vincent
Je développe mes films noir et blanc et couleur moi-même car c’est une étape
que j’apprécie. J’aime redécouvrir mes photos lorsque je sors le film de la spire

93
pour le faire sécher. Ça me permet d’accumuler un peu les films exposés avant de
les développer. On redécouvre comme cela les photos prisent il y a quelques
temps. Ensuite, je scanne en basse définition mes négatifs afin de réaliser ma plan-
che contact sous LR et de choisir les photos (pour le noir et blanc) que je vais tirer
à l’agrandisseur ou scanner proprement. Le labo (développement et tirage) a vrai-
ment un côté « magique » que j’aime énormément.

Fred
Je confie mes développements à des laboratoires parisiens. Le travail est propre et
régulier. Je n’ai pas de surprise. Par contre, je scanne mes négatifs. J’aime choisir
moi-même les densités, les contrastes et travailler sur la palette des couleurs.
 

© François Constant

94
Quels sont vos papiers favoris pour le tirage de vos photos ?

François
Je ne suis pas un grand spécialiste du tirage argentique, j’ai fait quelques essais et
mon papier préféré reste pour l’instant le Baryté Ilford.
J’aime son rendu contrairement aux autres papiers brillant qui font cheap, je
trouve. Il existe beaucoup de papiers Barytés différents, avec beaucoup de rendus
différents. Je suis encore loin de les avoir tous testés.

© Vincent Montibus © Fred Laurent

95
Vincent
Je ne me suis pas encore lancé dans le tirage sur papier baryté donc pour l’instant
je reste sur du classique papier RC multigrade plus simple à rincer et à faire sé-
cher.

Fred
Les tirages sont réalisés en majorité sur du papier Canson Baryta 310 grs surtout
en noir et blanc.
 
 
Quels conseils donneriez vous à un photographe qui souhaiterait découvrir la
photo de rue à l’argentique ?

François
D’essayer ! Pas besoin d’un appareil pointu pour expérimenter. Et ça ne coutera
que le prix d’un film + développement et scan. Encore une fois, selon moi, l’argenti-
que est avant tout une question de démarche et de recherche d’un rendu spécial.

Vincent
Je lui dirais de foncer !
Plus sérieusement, s’il n’a aucune base en photographie argentique, je lui conseille-
rai de prendre un cours ou de suivre une formation avec un autre photographe ou
une association. Il pourra comme cela apprendre rapidement à développer ses
films et fera des économies (pas de frais de labo). Je lui conseillerai également de
choisir un appareil qu’il maitrise et tester plusieurs types de films / révélateurs
pour trouver le couple qui lui convient.

Fred
Le principal, concernant la photo de rue, c’est de choisir un boîtier type reflex avec
une seule focale fixe type 35 mm ou 50 mm et d’apprendre à le connaître sur le
bout des doigts. Cela peut être un Olympus OM1, OM2n, un Canon AE1, un Nikon
FM, FM2, un Nikon autofocus F80, F100 ou un Canon autofocus EOS 100, EOS5,
EOS30, 33... Ensuite, faire un petit stage développement pour comprendre les ba-
ses du noir et blanc. Cela peut servir à bien placer ses gris et à choisir une bonne
exposition au moment de la prise de vue. L’idéal en photo de rue argentique, c’est
de pouvoir travailler en mode manuel.

96
 
Merci beaucoup à vous trois ! Je vous laisse le mot de la fin

François
Merci Thomas pour cette interview et bonnes photos !

Vincent
Pour finir, je dirais simplement que ce qui compte c’est l’image et le plaisir de la fai-
re !

Fred
N’ayez pas d’apriori à propos de l’argentique. Ne vous fiez pas uniquement à ce
que l’on peut lire sur les forums et les sites. Testez par vous même et faîtes un es-
sai scanner chez vous. Vous y prendrez goût rapidement.

Cette triple interview n’a pas pour prétention de tout vous apprendre sur la photo
de rue à l’argentique mais j’espère qu’elle vous aura éclairé sur cette pratique.
Peut être même vous aura-t-elle donné envie !

97
11

LA PHOTO DE RUE SELON...

INTERVIEWS DE PHOTOGRAPHES DE RUES


Thomas Leuthard - Benoit Rousseau - Vincent Montibus - Bernard Jolivalt - Spyros Papaspyropoulos

98
THOMAS LEUTHARD
Thomas est un photographe Suisse qui parcourt le monde entier pour témoigner
de ce qu’il voit dans les rues.

Ses photos sont libres de droits, et représentent tout ce que j’aime dans cette disci-
pline.

Crédits Photos: ©Thomas Leuthard

Entretien Avec Thomas Leuthard

Pour commencer, peux tu nous dire ce qui t’intéresse dans la photo de rue et ce
que cette discipline t’apporte ?

D’abord, la photographie de rue est disponible partout et tout le temps. Elle est
aussi gratuite, du moment que tu as un appareil photo. Elle est toujours différente,
éprouvante et sans fin. On découvre de nouvelles choses, on a de nouvelles idées,
et les choses changent tout le temps. C’est même imprévisible et on ne sait jamais
à l’avance ce qui va finir dans la carte mémoire à la fin de la journée.

Cela me fait voyager, m’apporte équilibre et excitation dans ma vie ennuyeuse de


professionnel informatique au compte du gouvernement local. Cela maintient ma
créativité et ma curiosité.

Je ne vais pas te demander quels sont tes photographes favoris, je crois que tu
as ton propre style, ta façon de fonctionner. Faire ce qui te plait, c’est ça l’essen-
tiel ?

99
À mes yeux on n’a pas de photographe favori. J’aime assurément le portfolio de Ro-
bert Capa, l’histoire de Vivian Maier et des photos d’autres gens. Mais au bout du
compte c’est ta vie, ton œuvre et il faudrait que tu aies ton propre style.

Si tu arrives à capturer la vie dans les rue avec ton style unique et ta manière de
voir les choses, alors tu as une chance de devenir un photographe de rue de re-
nom. C’est aussi beaucoup plus sympa d’avoir ton propre style plutôt que d’être en
permanence comparé aux autres. La photographie de rue c’est un jeu de shoot de
ton ego avec un appareil. C’est juste toi et ton appareil. Si tu es incapable de pro-
duire quoi que ce soit d’unique tu seras remplaçable et oublié avant d’être connu.

100
Certains photographes de rue sont des chasseurs, d’autres sont des cueilleurs.
Quelle catégorie te correspond le mieux ?

Je dirais que chasseur est plus approprié. Avec le temps on peut devenir un
cueilleur, en récoltant toutes les photos, mais lors de la prise de vue on chasse les
gens dans les rues. Comme dit précédemment, c’est comme un jeu de shoot de
ton ego. Tu es seul dans les foules dans les rues, chassant un morceau de créativi-
té avec ton appareil dans la jungle de la vie ordinaire.

Tes photos sont elles toujours improvisées, ou t’arrive-t-il de vouloir faire une
photo anticipée, avec une scène ou une composition précise ?

Toutes les photos sont naturelles, mais parfois il y a des scènes, des fonds ou des
endroits qu’on voit au préalable. Alors on n’a plus qu’à attendre qu’une personne
monte en scène pour complèter le tableau. Comme on ne peut jamais être sûr de
ce qu’on va avoir en photographie de rue, il faut être toujours prêt. Quelque chose
peut arriver à n’importe quel moment.

J’ai remarqué que tu aimais particulièrement photographier à travers les vitres,


utilisant le reflet pour créer une double image. Est ce une façon de raconter
une histoire ?

Ce n’est pas vraiment une manière de raconter une histoire. C’est juste un genre de
style ou d’effet où il faut s’y prendre à deux fois pour comprendre l’image. C’est aus-
si intéressant que le photographe soit lui-même visible et en fonction du type de
reflet c’est un genre de double portrait. Un portrait d’inconnu combiné avec un au-
to-portrait.

Pour toi, ni l’objectif ni l’appareil ne sont importants pour faire une belle photo,
seule la composition compte. Quelle est alors l’importance de la lumière en
photo de rue ?

La lumière est là ou ne l’est pas. Si elle est là elle peut être claire et forte ou faible
et douce. Parfois il faut ajuster ses photos en fonction de la direction de la lumière.
On ne peut faire certaines photos qu’avec une lumière dans une configuration bien
particulière. Silhouettes, ombres, portraits dépendent d’une bonne lumière.

101
Pour moi c’est juste une manière de s’adapter à la configuration lumineuse afin
d’obtenir une bonne photo quelle que soit la lumière. En tant que photographe de
rue, il faut être souple vis-à-vis de la lumière.

As tu prévu d’exposer ton travail pour sensibiliser plus de gens sur notre monde
actuel ?

Ce n’est pas mon but. C’est sûr qu’il y a des photos qui pourraient aider à éveiller
les consciences, mais ce n’est pas mon intention. Pour moi c’est une manière d’ex-
primer ma créativité quand je photographie dans les rues. Bien sûr, je rencontre
des gens de toutes classes sociales, mais je ne voudrais pas les montrer du doigt.
Si mes photos expriment quelque chose ou influencent quelqu’un pour faire quel-
que chose de bien pour le Monde, alors c’est bien. Mais ce n’a jusqu’à présent pas
été mon but.

102
Tu ne te préoccupes pas des lois concernant le droit à l’image: en quoi la photo
de rue vaut-elle la peine de prendre un si grand risque ?

Bien sûr, il y a des lois qui, en théorie, m’empêchent de publier mon travail. Je ne
vois pas ces lois comme un gros risque. Pour moi, la satisfaction et la manière dont
je vis ma créativité ont bien plus d’importance et de valeur. Je sais qu’un jour j’aurai
un souci avec la loi, mais d’ici à ce que ça arrive je vais continuer de profiter de la
vie en tant que photographe de rue.

Cela fait à peu près 5 ans que tu photographies dans les rues du monde entier,
as tu déjà remarqué un changement important dans la vie des gens, dans leur
situation ou comportement ?

Non, je ne pense pas déjà voir une différence. Je ne sais pas, si j’en verrai une. La
raison en est que je fais très souvent des photos et qu’on s’habitue aux change-
ments qui ne sont pas instantanés. Le changement prend place dans la durée, et
je ne m’en rendrais pas compte. Peut-être dans 10-20 ans verra-t-on une diffé-
rence de comportement, mais pas après 5 ans.

Qu’est ce qui te différencie d’un journaliste ?

Le journaliste a une histoire à raconter et est payé pour ça. Je n’ai parfois pas d’his-
toire et je ne le fais pas pour l’argent. J’observe juste la vie et je photographie ce
que je vois. Parfois c’est juste des lignes et des motifs, parfois il y a une histoire
énorme dans le cadre. Mais la plus grande différence est que je peux faire ce que
je veux et que je suis libre dans ce que je fais.

Est ce qu’il t’arrive de rater une photo, de manquer l’instant décisif ?


Ça arrive souvent. Je n’ai pas plus de photos mémorables que les autres. Je tra-
vaille juste plus dur et photographie plus souvent. Mais toujours 95% de ces cli-
chés seront supprimés à la fin de la journée. Ça maintient l’interêt de la photogra-
phie de rue, quand on sait qu’on n’a pas toujours ce qu’on veut.

103
Si par hasard, tu me photographies dans la rue. M’offriras tu la photo ?

Si on me demande d’être pris en photos, je suis le premier à envoyer la photo à la


personne. Mais vu que ça n’arrive pas très souvent, je ne le fais pas. Ce n’est pas
non plus mon but, que les gens se rendent compte que je les ai pris en photo.

Donc en temps normal personne ne me demande d’être pris en photo. Mais je


peux faire un portrait de toi et tu peux le télécharger sur flickr, si tu ne t’es pas ren-
du compte de ma présence lors de la prise de vue. 

104
BEHIND THE SCENE

« J’étais au Terminus de la gare de Chhatrapati Shivaji à Mumbai


où il yavait plus de 1000 trains et environ 3 millions de personnes en
transit. Et j’ai eu une seule personne dans le cadre. Comment était-
ce possible? La réponse est assez simple. À gauche il y avait les
trains de banlieue et à droite les trains grandes lignes. Au milieu il y
avait ce couloir avec une lumière fantastique et seulement quel-
ques personnes qui passaient. Donc je n’ai eu qu’à attendre pour
que la bonne personne entre dans le cadre. »

105
Apparté
J’ai eu l’occasion de rencontrer Thomas Leuthard lors d’une balade à Paris, dans le
quartier de la Gare de l’Est en 2014. J’ai passé un très bon moment avec lui et d’au-
tres photographes de tout horizon, et j’ai préféré l’observer plutôt que photogra-
phier. Voici ce que j’ai appris en le voyant faire.

Quand Thomas photographie, ça va vite, très vite ! Un arrêt de 3 a 4 secondes de-
vant le sujet et la photo est dans la boîte. Il faut une certaine assurance pour faire
ça, surtout quand on se trouve à moins de 50 cm du sujet ! Ou des balls, comme
dit Thomas. Pas de réglage fait dans l’urgence, pas de problème de mise au point,
Thomas shoote en mode tout automatique ! Oui oui, mode AA Associé à une mise
au point très rapide grâce à la détection de visage proposé par son Olympus OMD,
sa réactivité est maximale !

Il utilise le format Raw mais ne passe pas énormément de temps au post traite-
ment de ses images, préférant se concentrer sur la prise de vue. Quelques secon-
des pour ajouter un preset personnel, et le tour est joué. Le Raw lui permet égale-
ment de garder la couleur, si besoin.

J’ai également remarqué l’importance de son appareil photo, de son écran orienta-
ble plus précisément. Thomas l’utilise dans la plupart des cas, puisqu’il lui permet
de photographier sans pointer l’appareil photo vers le sujet de façon trop agres-
sive: son regard n’est plus dirigé vers le sujet mais plutôt vers le « sol », à 90 degré.
C’est assurément plus discret dans la plupart des situations. Avant le rendez vous,
lorsque nous marchions à la recherche d’un café, il s’est arrêté devant un jeune
homme assis en terrasse, appareil à hauteur de la ceinture, l’oeil tourné vers son
écran. Le jeune lève la tête, Thomas shoot et relève immédiatement la tête sans le
regarder, comme s’il regardait autre chose, puis continue sa route. Aucune réaction
du jeune, c’est dans la boite.

106
BENOIT ROUSSEAU
Benoit est un photographe de rue Parisien, qui aime jouer avec les lignes, perspec-
tives, formes et couleurs.

Ses photos sont très graphiques, et alternent entre la couleur et le N&B.

Crédits Photos: ©Benoit Rousseau

Entretien Avec Benoit Rousseau


Peux-tu te présenter en nous racontant notamment ton parcours photographi-
que ?

J’ai découvert la photo fin 2008 à 44 ans, avant je n’avais jamais déclenché. J’essaie
avec la street photography, de raconter une histoire, de procurer de l’émotion, déli-
vrer un message. Les rares fois où l’on peut obtenir tout ça en une seule prise sont
du bonheur. Je suis accroc aux instantanés urbains, mais plus on les pratique, plus
réussir « la photo » est difficile. C’est con comme addiction !
 
Qu’est ce qui te plait le plus dans la photo de rue ? Pourquoi avoir choisi cette
discipline plutôt qu’une autre ?

Tous simplement parce que je suis urbain et que ce terrain de jeu est celui qui
m’est directement accessible. Quand je suis à la campagne il m’arrive de me met-
tre à plat ventre dans l’herbe pour photographier les bestioles. Le sujet humain me
parle aussi particulièrement, j’ai toujours aimé les peintres ou écrivains humanis-
tes, c’est peut-être aussi pourquoi ce type de photo m’attire.
 

107
Tu définis le photographe de rue comme un spectateur-chasseur, peux-tu nous
en dire plus ?

Spectateur car il faut savoir prendre le temps d’observer de s’imprégner du lieu, le


photographe de rue n’est surtout pas un marathonien qui arpente le pavé. Il doit sa-
voir se poser. Chasseur car il y a de grandes similitudes entre la chasse et la street
photography :

Chasse à l’approche : C’est sans doute la plus difficile mais la plus prenante, il vous
suffit de marcher et d’observer, guetter ou anticiper l’instant qui pourrait se pro-
duire afin d’être assez rapide pour le saisir quand il est là. Souvent vous rentrerez
bredouille, mais quand des instants rares ou des scènes de vie expressives se pro-
duisent... En un instant, choisissez l’angle et tirez !

108
Chasse  à l’affut : Vous avez repéré un paysage urbain particulièrement graphique,
une affiche qui se prêterait à... Votre composition est prête ; il ne vous reste plus
qu’à attendre le(s) personnage(s) en phase avec votre contexte. C’est sans doute
plus facile mais avec un inconvénient notoire pour le photographe de rue prati-
quant l’instantané : il faut du temps et de la patience.

Chasse à courre : C’est cette fois le personnage qui fait l’action : que ce soit les jam-
bes fuselées d’une jolie fille ou la « touche » improbable d’un passant ; vous avez
repéré votre sujet il faut alors le suivre pour qu’il réalise une action « qui raconte »
ou qu’il passe dans un contexte photogénique.
 
Quelle importance accordes-tu au matériel pour la photo de rue, et quel(s) ap-
pareil(s) utilises-tu ?

Le matériel n’a presque pas d’importance. L’outil n’est qu’un outil ce n’est pas lui
qui va choisir le cadre, la profondeur, la scène ou encore la lumière. Il m’est arrivé
de sortir avec un Zorki (télémétrique russe particulièrement rustique fabriqué à
plus 1 700 000 exemplaires) à la fin le nombre de photographies qui me parlent
est équivalent à celui que j’aurais obtenu avec un reflex numérique.

Je travaille avec un reflex Canon 5D et essentiellement deux focales fixes, un 24


mm pour les instantanés et un 85 mm pour les portraits, même si j’ai toujours avec
moi, le 35 et le 50 je ne m’en sert que rarement.
 
Tu fais aussi bien des photos en noir et blanc qu’en couleur, quels sont selon toi
les avantages et inconvénients de ces deux façons de photographier ? Laquelle
préfères-tu ?

Aucune des deux, ce sont l’ambiance et le contexte de l’image qui décident


même si maintenant les couleurs m’intéressent peut-être un peu plus. Le noir et
blanc se prête plus facilement au contrejour où les couleurs sont naturellement fai-
bles ou pour faire ressortir le graphisme. Pour un bon noir et blanc il faut de la lu-
mière, pour une bonne photo couleurs il faut que celles-ci soient harmonieuses.

109
En regardant ton portfolio, on s’aperçoit que tes photos sont très graphiques,
que ce soient les couleurs, les lignes, les perspectives.. Comment définirais-tu
ton style ?

Un amateur de paysage, de BD et de poésie qui fait de la rue ?


 
Peux-tu nous décrire ta façon de photographier dans la rue ? (Comment fais tu
pour rester discret ? abordes tu les gens ? Pars tu avec une idée en tête ou au
contraire laisses tu le hasard faire son travail ?)

Je recherche l’instant incongru, qui raconte une histoire, c’est malheureusement le


hasard qui décide. Si je savais concrètement ce que je vais faire, la vie serait plus

110
belle. A part les portraits posés je ne demande jamais avant et ne prends pas con-
tact après. Enfin pour rester discret, j’y répondrai juste après.
 
Tu photographies principalement dans Paris, que penses-tu du comportement
des personnes photographiées ? Quelle est leur réaction ? As-tu déjà été con-
fronté à un personne très réticente ?

Quelques personnes détestent être photographiées : les bandits et les timides ; ce-
la se ressent et celles-ci je ne les shoote pas. A part quelque-uns les parisiens ne
sont pas aussi désagréables que leur réputation, j’en ai même vu sourire !
 
Quels conseils donnerais tu aux photographes qui appréhendent la photo de
rue ? Comment se surpasser ? Comment oser ?

Racontez l’histoire que vous avez envie de raconter et partagez votre émotion
dans vos photos en remplaçant vos zooms par un grand angle. Pour rester discret,
c’est une question d’attitude : pour photographier dans la rue soyez « furtif » et
« positif » ! Furtif, par votre gestuelle et votre comportement : le photographe de
rue doit passer inaperçu.

Les mouvements brusques, les cadrages interminables, sont évidemment à ban-


nir. Soyez naturel, à l’aise dans vos mouvements, anonyme dans la façon de vous
comporter et vous deviendrez invisible. J’ai un boitier 5D qui n’est pas vraiment pe-
tit ou discret et travaille très souvent au 24mm ce qui implique que je suis à un mè-
tre de la personne que je photographie et pourtant dans 90% des cas le déclen-
chement passe inaperçu. Positif, parce que votre attitude reflète la perception que
les autres ont de vous. Si quand vous photographiez quelqu’un vous avez l’impres-
sion de violer son intimité, la personne le remarquera et se sentira agressée. En re-
vanche, si vous ne vous cachez pas et déclenchez tout en souriant et en y prenant
du plaisir, les gens tout autour de vous le ressentiront aussi et se prêteront au jeu.
Ils seront même flattés d’être votre point d’attention.

La loi française n’est pas toujours claire concernant le droit à l’image, en tiens-
tu compte ou au contraire la photo de rue est pour toi trop précieuse pour s’en
soucier ?

111
A l’exception des images de foule, vous n’avez pas le droit de diffuser les photos
d’un individu sans son accord ; mes photos sont donc hors la loi. Sinon rien ne
vous interdit de photographier des gens dans les lieux publics mais les espaces pri-
vés (jardin, métro, voiture...) restent interdits.

Dans la pratique, la liberté d’expression artistique est-elle plus importante que le


droit à l’image ? Si la démarche est non commerciale, artistique, non dégradante
pour la personne photographiée, les juges tendent à penser que oui. Toutefois si
une personne vous demande expressément d’effacer la photo que vous avez fait
d’elle, vous lui devez de le faire. Je suis né d’une génération qui avait pour slogan
« interdit d’interdire » alors je continue de braver le droit à l’image, loi qui aurait em-
pêchée Brassaï, Ronis, Bresson, d’exister.
 
À travers tes photos, tu nous présentes la ville de Paris telle que tu la vois: as-tu
prévu d’exposer ton travail de reporter ?

La photo de rue est mon travail d’expression libre. Je ne recherche pas aujourd’hui
à en faire commerce. Pour vivre avec la photo il est pour moi plus efficace de réali-
ser des reportages d’événements ou de la photothèque que de chercher à expo-
ser mes photos de rue où l’investissement est élevé et le retour incertain.
 
Quels sont les photographes de rues, actuels ou non, que tu aimes le plus et
pourquoi ?

Mes photographes préférés ne font pas de la rue, j’aime le surréalisme de Man


Ray, la vision grand angle de la journaliste Ami Vitale, le sens du détail de Jacques
Tati, l’humour de Gilbert Garcin etc. Même si les travaux de Matt Stuart, d’Alexey Ti-
tarenko, Gmb Akash sont ceux de la rue qui m’inspirent.

Benoit Rousseau
www.thomas.leuthard.photography
112
BEHIND THE SCENE

« Pendant la techno parade, je me suis intéressé au ballet du net-


toyage urbain qui suit la manifestation. J’ai vu ce cycliste arriver de-
vant le jet d’eau et j’ai eu juste le temps de faire mes réglages et de
shooter. En me voyant me baisser pour le prendre en photo il a écla-
té de rire. C’est cette banane de bonne humeur qui fait la photo. »

113
VINCENT MONTIBUS
Photographe Parisien, Vincent aime particulièrement les scènes de vie et les por-
traits, posés ou non.

Il utilise différents matériels, numériques ou argentiques, allant du sténopé au Lei-


ca.

Crédits Photos: ©Vincent Montibus

Entretien Avec Vincent Montibus


Afin de te connaitre un peu plus, peux-tu nous expliquer ton parcours photogra-
phique ?

Mon parcours photographie est relativement simple. J’ai découvert la photogra-


phie lorsque j’étais au collège lors d’ateliers le mercredi après-midi. J’y ai appris les
bases de la photographie, du développement et du tirage noir et blanc. C’est en-
suite avec l’arrivée des appareils numériques que j’ai recommencé à faire de la
photo. Ma femme ayant la passion de la photographie, nous nous sommes mis à
en faire de plus en plus.

Sur des retours positifs sur ses photographies lors de mariage d’amis en totale
amatrice, elle a décidé de franchir le cap et de passer pro. Ayant attrapé le virus, je
l’ai suivi et nous avons créé « un nuage en bouteille » afin de proposer nos servi-
ces de photographes (mariage, grossesse, nouveau-né, famille...).

Tu es un photographe polyvalent, très bon dans beaucoup de domaines, mais je


constate tout de même que la photo de rue occupe chez toi une part impor-
tante. Que t’apporte cette discipline ? Qu’aimes-tu dans la photo de rue ?

114
Merci, c’est gentil ! C’est vrai que depuis quelques années maintenant, je pratique
la photo de rue et au fil du temps ma pratique a beaucoup évolué et continue de
changer. La photo de rue m’aide à me dépasser et à quitter ma zone de confiance.
Elle me permet également de sortir faire des photos sans prise de tête, sans con-
trainte. Certains jours, je ne déclenche pas et pourtant je vais avoir passé 2 heures
à arpenter les rues de Paris mais ce n’est pas grave.

Je ne me donne aucune obligation de résultat. Mais il est vrai que j’aime rentrer en
me disant j’en ai une bonne !
Ce qui me plait dans cette pratique, c’est le côté spontané et imprévisible. On ne
sait jamais ce qu’il va se passer au coin de la rue. Il faut être en alerte, savoir antici-
per les choses, maîtriser son appareil afin de déclencher au bon moment.
Je dirais aussi que la photo de rue m’aide à être plus ouvert et attentifs aux autres. 

115
Quand je pense à tes photos, trois choses me viennent immédiatement à l’es-
prit: Leica, Argentique et Sténopé. Pour la photo de rue, quel matériel préfères
tu utiliser et pourquoi ?

Je dirais que n’importe quel appareil photo permet de faire de la photo de rue. Au-
jourd’hui ma préférence va aux appareils télémétriques. Plusieurs raisons à ce
choix :
La visée : généralement le viseur couvre plus que le cadre et le fait
d’avoir l’œil gauche libre permet de « surveiller » l’action hors du cadre. Viser avec
l’œil droit permet également de ne pas être caché derrière l’appareil comme c’est
généralement le cas avec un reflex.

La taille : les boitiers télémétriques sont généralement plus petits qu’un


DSLR et par conséquent font moins peur et pèsent moins lourds dans le sac.

Le bruit : dans la rue même à 1m50 du sujet, le déclenchement d’un télé-


métrique est imperceptible.
 
D’un point de vue longueur focale, j’alterne entre le 35 et le 50. Il m’arrive égale-
ment d’utiliser un flash afin de déboucher les ombres.

La photo de rue à l’argentique, ce n’est pas trop difficile ? Ça permet de s’amé-


liorer plus que le numérique ?

Sincèrement, c’est pareil, c’est juste le support qui est différent et qui impose plus
de choses (contraintes : ISO fixes, 10, 12 ou 36 poses en fonction du film et du for-
mat).

On peut dire que faire de la photo de rue à l’argentique permet de s’améliorer car
généralement on fait plus attention avant de déclencher. Mais il est tout aussi pos-
sible de se mettre dans une démarche de réflexion et de déclencher plus intelli-
gemment même en numérique. Il est simple aussi de désactiver l’écran arrière de
son boitier pour éviter de faire du « chimping » (regarder l’écran de son boitier
juste après avoir déclenché).

116
 

Peux-tu nous décrire ta façon de photographier dans la rue ? Cherches-tu à


être discret ou au contraire privilégies-tu les rencontres avec tes sujets ?

Généralement, je parcours les rues sans but précis en laissant mes pas me guider
et j’avise en fonction de mon environnement. Je reste attentif à ce qui se passe au-
tour de moi et j’ai toujours mon boitier prêt à portée de main. J’essaye également
d’avoir toujours le sourire et d’avoir une démarche confiante sans être suspect ou
agressif. Ensuite, ça dépend énormément de mon état d’esprit. Ça peut être dis-
cret au 50mm ou plus frontal au 35mm ou 21mm + Flash.

Il m’arrive aussi souvent de m’arrêter lorsque je vois une personne avec un visage,
une « gueule » avec du vécu et d’aller lui demander l’autorisation de faire un por-
trait.

117
Une question qui revient souvent, chacun ayant son propre point de vue, pour-
quoi shooter principalement en noir et blanc ?

Pour moi le noir et blanc a un côté intemporel que j’aime beaucoup. L’absence de
couleur permet aussi de se focaliser sur la composition et les émotions. Mais, je
reste persuadé que l’on peut faire de la « bonne » photo de rue en couleur. Mais
ça reste plus compliqué et c’est un domaine où j’aimerai m’améliorer.

Les photographes de rues se posent souvent la question du droit à l’image en


France, comment gères-tu cet aspect de la discipline ?

Je gère cet aspect sans me prendre la tête. Lorsque je prends une personne en
photo, j’essaye que l’instant que je capture ne dégrade pas l’image de la personne.
Après lorsque les photos sont des candides souvent je n’ai pas d’interaction avec
le sujet et ça s’arrête là.

Par contre quand je fais poser un inconnu, je demande toujours une adresse mail
ou postale pour envoyer une copie de la photo. Lorsque j’ai pris la photo sur du
film, j’essaye dans la mesure du possible de faire un tirage papier à l’agrandisseur
et je retourne voir la personne pour lui offrir. Bien que je doive le faire dans certains
cas, je n’ai jamais fait signer d’autorisation de diffusion.
Au final, je ne me refuse pas de diffuser une photo. Si le sujet se reconnait sur la
photo en la voyant sur internet et qu’il me contacte j’aviserai à ce moment-là. Mais
ça n’est jamais arrivé.
 
Y a-t-il un sujet ou un environnement que tu aimes particulièrement photogra-
phier ? 

J’aime beaucoup photographier dans Paris. Je suis parisien et j’aime ma ville.


J’aime m’y promener et du coup, y faire des photos. Ensuite, j’aime faire des por-
traits posés ou non des gens que je croise dans la rue. J’aime aussi capturer des
émotions et des scènes de vie.
 
Ce n’est pas évident de se lancer dans la photo de rue, notre timidité ou nos ap-
préhensions nous freinent souvent. Quels conseils nous donnerais-tu pour sur-
passer tout ça et pouvoir shooter en toute liberté d’esprit ?

118
En tout premier, je dirais de parfaitement maîtriser le fonctionnement et les régla-
ges de son appareil. Un appareil mal réglé ou le fait de mettre trop longtemps à le
régler peut faire passer une scène de rue ou un portrait candide.
Ensuite, je pense que l’attitude fait beaucoup, il faut sourire, être positif et ouvert
au dialogue.

Il faut également savoir et en être persuadé que l’on a parfaitement le droit de


faire des photos d’inconnus dans la rue.
En avant dernier, je dirais qu’il faut oser et s’approcher. Pour citer Robert Capa « if
your pictures aren’t good enough you’re not close enough » (si vos photos ne sont
pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près).

Et en tout dernier, si vous n’arrivez pas à vous dépasser et à vaincre votre timidité,
buvez une bière ou un verre de vin (avec modération bien sûr). L’alcool vous désin-
hibera !

119
Quels sont les photographes de rue que tu apprécies, et dans quelle mesure
t’ont ils aidé à t’améliorer ?

Comme beaucoup, j’aime le travail des grands (HBC, Doisneau, Capa, Elliott Erwitt,
Man Ray, Brassaï, Jacques Henri Lartigue, Garry Winogrand, Josef Koudelka, Bruce
Gilden...) et je ne me lasse jamais d’admirer et d’étudier leurs photos.

En ce moment, J’essaye de me concentrer sur le travail de photographes qui shoo-


tent en couleur (Joel Meyerowitz, Matt Stuart, Martin Parr, Saul Leiter...) afin d’arriver
à moi-même utiliser la couleur dans la rue.

Ils m’aident à m’améliorer dans le sens où voir un maximum de bonnes photos ai-
guise l’œil. J’analyse les cadrages, l’utilisation de la géométrie, les différents plans,
la lumière afin d’éduquer mon esprit et d’améliorer mes photos. J’essaye de m’ins-
pirer mais sans copier.
 
Fin 2013, j’ai pu voir ton travail lors d’une exposition, qu’en as-tu retenu et quels
sont tes futurs projets ?

Merci d’être passé. Lors de cette exposition j’ai présenté une série de photogra-
phies noir et blanc de Paris réalisées avec un sténopé. Ce que je retiens de cette
expérience, c’est qu’il faut que je me force à travailler sous forme de séries cohé-
rentes. J’ai également réalisé qu’une exposition c’est beaucoup de travail et que ça
se prépare longtemps à l’avance. Voir son travail exposé et en parler est un réel
plaisir

Vincent Montibus
www.unnuageenbouteille.fr

120
BEHIND THE SCENE

« Cette photo a été prise un soir où il neigeait sur Paris. Je sortais


d’un TAAg (http://www.danstacuve.org). J’ai tout de suite été attiré
par la lumière (ou l’absence de lumière d’ailleurs) et cette neige qui
tombait tranquillement. A l’angle de la rue, j’ai aperçu deux fem-
mes, une étudiait le menu d’un restaurant qui proposait des plats
de saisons et l’autre avait le nez en l’air et regardait les flocons tom-
ber. La scène m’a plu, j’ai attrapé le boitier, un Leica M6 avec un

121
35mm. Pour la saison, je l’avais chargé avec du film Kodak T-Max à
3200 ISO. Mon 35 ouvre au maximum à 2.8 donc je l’ai réglé à P.O.
et j’ai réglé la vitesse en conséquence afin d’exposer les deux per-
sonnages correctement. Le détail qui m’a vraiment fait déclencher,
est la pancarte qui faisait la publicité des plats qui caractérisent la
saison hivernale. »

122
BERNARD JOLIVALT
Bernard photographie les rues depuis de nombreuses années, il a un parcours pro-
fessionnel des plus intéressants.

Publié dans les mêmes magazines que Henri Cartier-Bresson, il a vu la photo de


rue évoluer au cours de ces dernières années.

Crédits Photos: ©Bernard Jolivalt

Entretien Avec Bernard Jolivalt

Peux-tu commencer par nous raconter comment la photo est entrée dans ta vie
? Tu as un parcours professionnel très intéressant et j’aimerai en savoir un peu
plus sur ton expérience.

La photographie n’est pas entrée d’un seul coup dans ma vie. Assez jeune, je pre-
nais des photos de temps en temps, comme beaucoup de gens. Ça aurait pu en
rester là. J’avais bien vaguement l’idée de professionnaliser ce passe-temps, mais
je ne savais pas trop comment m’y prendre.

Un jour, je suis parti. C’était la grande époque de « la route ». Elle est révolue et
elle n’existera plus jamais parce que les transports en masse et l’Internet ont réduit
la planète à un village global, pour reprendre l’expression de Marshall McLuhan.
Au fin fond de l’Afrique et de l’Asie, le courrier mettait des semaines à parvenir à
destination. Dans le désert, il fallait parfois des jours d’attente avant de pouvoir quit-
ter un lieu. La route était un retrait du monde.

Aujourd’hui, avec les blogs sur lesquels on peut poster ses impressions au jour le
jour, la distanciation que donnait la route n’existe plus. Il n’y a plus de long voyage

123
initiatique, seulement des aller-retour low-cost et une exposition permanente au
travers des réseaux sociaux.

Lors de mon plus long voyage qui dura près de deux ans, je n’avais emporté qu’un
tout petit bagage et un Rollei 35 qui restait en permanence dans la poche de ma
chemise. Mais je n’avais pas beaucoup de pellicule. Elle coûtait cher et je n’avais
pas de sous. Et je ne découvris les photos qu’à mon retour.

Après la route, je me suis installé en région parisienne en tant que photoreporter.


Je travaillais surtout avec des maisons d’édition, mais aussi avec Sélection de Rea-
der’s Digest, Kodak, Atlas/Air France, le Club Méditerranée... Pour ces clients, je ne

photographiais qu’en couleur. Mais mes photos les plus personnelles, je les faisais
en noir et blanc, avec un Leica CL chargé avec de la Tri-X, une pellicule mythique.

124
C’était de la photo de rue, bien que le terme n’existait pas encore à cette époque.
Mon principal client était France Nouvelle, l’hebdomadaire de réflexion politique
du Parti Communiste. Mes photos étaient publiées sur les mêmes pages que cel-
les d’Henri Cartier-Bresson, de Martine Frank, de Guy Lequerrec et d’autres grands
noms.

À la fin des années 80, je fus pris d’une passion soudaine pour une activité complè-
tement nouvelle : la micro-informatique. C’était un nouveau monde à découvrir.
Les ordinateurs étaient des jouets de la taille d’un livre de poche et il fallit tout pro-
grammer soi-même. J’abandonnais la photographie pour la presse informatique,
où je fus successivement rédacteur en chef de mensuels comme Amstrad Maga-
zine, Joystick, PC et Compatible... Je m’intéressais à l’imagerie de synthèse. En
1992, je fondais un mensuel consacré à la simulation de vol, Micro-Simulateur, qui
existe toujours. Et je traduisais et écrivait des livres sur l’informatique, la simulation
et la réalité virtuelle.

Le milieu des années 2000 marqua le retour à la photographie. La photographie


numérique était enfin arrivée à maturité et intéressait les professionnels. Je me
suis rééquipé, avec des compacts d’abord pour tâter le terrain. Puis un Nikon DX2
me fut vendu par un ami rencontré à Djibouti presque trente ans auparavant. Nos
chemins s’étaient croisés dans ce port du bout du monde où nous nous étions trou-
vés sans un sou ou presque. Puis chacun avait suivi son chemin. L’ami en question
n’est autre que Guy Ferrandis, devenu un photographe reconnu, spécialiste du
show-biz – quasiment aucune vedette française ou internationale a échappé à son
objectif – et photographe de plateau attitré de Roman Polanski, Matthieu Kasso-
witz et d’autres cinéastes.

Je me suis aussi remis au genre de photographie que j’affectionnais dans les an-
nées 1970. Elle avait enfin un nom : « la photographie de rue ». Je m’intéresse aussi
à d’autres genres photographiques. Mes photographies illustrent les livres techni-
ques que j’écris et parfois les traductions. J’ai la chance et le privilège de contrôler
entièrement la chaîne de production, de la prise de vue à la publication. Le rêve de
tout photographe.

 
 

125
On parle souvent de « photo de rue » ou « photo humaniste », comment défini-
rais-tu cette discipline ?

La photographie de rue est par définition prise dans la rue, mais le terme est res-
trictif. C’est une photographie urbaine, bien que son champ d’action s’étende bien
au delà. Elle peut est prise dans n’importe quel espace accessible au public : le
métro, les galeries marchandes, les cafés et restaurants, les musées et même sur
une plage.

J’aurai préféré le terme de « photographie sociale », mais le terme est déjà pris.
Peu utilisé, il désigne généralement les photos de mariage, de couple... Or, le
terme « social » aurait sans doute mieux convenu à la photographie de rue dans la
mesure ou cette dernière a une dimension sociologique, surtout quand dans la
photo, le personnage est confronté à l’environnement urbain.

126
Ceci nous amène au terme « humaniste », volontiers associé à la photographie de
rue. Il caractérise le regard sur l’humain, qui est le sujet de prédilection de ce
genre de photographie, même si une photo de rue peut se concevoir sans person-
nage. La trace que laisse l’humain – des édifices, des graffitis... –, c’est encore de
l’humain.

Mais toute photographie de rue n’est pas humaniste. Un clochard ou un mendiant


sur une photo n’en fait pas une photo humaniste. Ce sont des sujets délicats qui
exigent tact, sensibilité et talent, ce qui n’est pas toujours, et même rarement le
cas. Et lorsque Bruce Gilden fond sur sa proie, le flash brandit d’une main et Leica
dans l’autre, il n’y a plus d’humanisme. La photo est alors prédatrice.

Fort heureusement, la plupart des photographes de rue portent un regard bien-


veillant sur les gens qu’ils photographient, même s’il est parfois narquois.

Pourquoi avoir choisi la photo de rue ? Qu’est ce qui te plaît le plus ? Et au con-
traire, quels aspects aimes-tu le moins ?

Je n’ai jamais choisi la photographie de rue. Comme je l’ai expliqué précédem-


ment, j’en ai toujours fais sans le savoir. Un jour, cette étiquette est venue se coller
sur mon genre de prédilection.

Ce qui me plaît le plus dans la photographie de rue est sa dimension sociale. C’est
surtout ce que je recherchais au début, et c’est sans doute cela qui plaisait à
France Nouvelle. Mes photos étaient à leur place.

Aujourd’hui, l’aspect social m’intéresse moins. C’est l’affaire des photojournalistes.


je recherche surtout les petits dérapages du quotidien et en cela, j’ai renoué avec
une autre passion de jeunesse : le surréalisme, fondé sur l’errance, le hasard objec-
tif. Ce n’est pas pour rien que figure en exergue, sur ma page Facebook, une cita-
tion d’Isidore Ducasse, qui se faisait appeler le Comte de Lautréamont : « Beau
comme la rencontre fortuite entre un parapluie et une machine à coudre sur une
table de dissection. »

L’aspect qui me plaît le moins ? L’épée de Damoclès que fait peser sur ce genre
de photographie l’imbécilité procédurière fondée le prétexte du droit à l’image
mais alimentée en réalité par l’appât du gain. Je trouve cela indécent et sordide.

127
Sur ton site, on peut y voir des photos de rue datant des années 70, que ce soit à
Paris où à l’étranger (Inde, Cameroun, Népal..). Comment, selon toi, a évoluée
cette discipline au cours de ces 40 dernières années ?

Même si bon nombre de photographes restent attachés à l’argentique, le fait est


que les appareils numériques ont considérablement favorisé la photographie de
rue. Les compacts experts sont discrets et performants. Ils sont silencieux, opéra-
tionnels même en lumière très faible, et l’autofocus permet de travailler vite et
avec précision. Et la pratique est économique, car le coût du déclenchement est
nul. En revanche, la visée laisse parfois à désirer.

Les réseaux sociaux créent une émulation au niveau international et permettent


de savoir ce qui se fait. Les groupes Facebook sont nombreux et fréquentés par
des milliers de membres, même si beaucoup ne font que passer. Dans ce déferle-

128
ment d’images, il y a beaucoup d’images banales – une photo simplement prise
dans la rue ne fait pas une photo de rue – mais il y a aussi beaucoup d’excellentes
photos, prises par des photographes dont le style est affirmé, qui exposent dans
des galeries et publient des livres. Tout ceci prouve, s’il en était besoin, que la pho-
tographie de rue n’est pas passéiste, mais qu’elle a un bel avenir.

Quelle est ta façon de photographier dans les rues ? « Réservé et discret » ou


au contraire « Ouvert et dynamique » ?

Je suis plutôt du genre réservé donc discret. J’essaie de ne pas être remarqué, et
j’y parviens même avec un reflex équipé d’un zoom ouvrant à f/2.8 constant. En re-
vanche, on peut se faire remarquer de loin même avec un modeste compact. Tout
est une question d’attitude. Le photographe qui regarde partout, qui recherche ma-
nifestement sa proie, sera vite repéré. Il faut savoir se fondre parmi les piétons, voir
sans regarder avec insistance. Réagir très vite et continuer comme si de rien n’était.

Quels conseils donnerais-tu à une personne voulant se lancer dans la photo de


rue ? Comment oser ? Par où commencer ?

Le mieux, pour débuter, est de s’attarder dans une zone touristique, là où les appa-
reils photo pullulent et où personne ne se soucie des photographes. Peu à peu, on
s’imprègne de l’idée que les gens n’ont que faire de votre présence et l’on finit par
travailler avec une certaine sérénité, qui est ensuite transposable dans d’autres
contextes.

Il est aussi plus facile de pratiquer la photo de rue dans une grande ville. Changer
de quartier permet de changer d’ambiance et aussi de style de photographie. On
ne fait pas les mêmes photos dans un quartier d’affaire à l’architecture futuriste
que dans un quartier historique ou dans une banlieue industrieuse.

Ne vous laissez pas rebuter par la météo. Un temps ensoleillé favorise les ombres
dures et les couleurs saturées, surtout en sous-exposant légèrement. Mais un
temps couvert produit une lumière diffuse, sans ombre, qui adoucit le paysage.
Quant à la pluie, elle est l’occasion de prendre de saisissantes photos, à condition
bien sûr de protéger le matériel photo (ou d’emporter un appareil photo étanche). 

129
Quel(s) matériel(s) utilises-tu dans les rues ? D’ailleurs, l’appareil photo a-t-il
une importance selon toi ?

Mes deux appareils de prédilection sont actuellement le Nikon D7100 équipé d’un
zoom 24-70 et le Fuji x100. J’utilise le premier dans la rue et, malgré son encombre-
ment je passe relativement inaperçu. Le second sert dans les lieux confinés,
comme le métro, les galeries marchandes, ou quand un appareil photo n’est pas le
bienvenu. Sa focale fixe – un équivalent 35 mm – est appréciable, mais parfois, un
petit coup de zoom me manque...

Beaucoup de photographe affirment que l’appareil n’a pas d’importance, que le


meilleur appareil est celui que l’on porte sur soi, fut-il un smartphone. Je n’irais pas
jusqu’à l’affirmer. Il existe en effet des appareils photo inappropriés qui peuvent
faire manquer des photos fortes.

130
Le point le plus important pour la photo de rue est la réactivité. Celle du photogra-
phe bien sûr, mais aussi celle de son appareil. Le retard au déclenchement, entre
le moment où l’on appuie sur le déclencheur et celui où la photo est prise, est re-
doutable. Un délai d’un quart de seconde, causé soit par la latence, soit par la len-
teur de l’autofocus, ou par les deux, fait manquer l’instant décisif. Ne comptez pas
trop sur le mode Rafale pour pallier ce défaut.

La qualité optique compte aussi. Rien n’est plus frustrant qu’avoir pris l’instant déci-
sif, mais d’une manière techniquement insatisfaisante.

Plus que jamais en photo de rue, la question du N&B et de la couleur fait débat.
Peux-tu nous donner ton point de vue ?

Je pratique l’un et l’autre. Certaines photos se prêtent plutôt au noir et blanc, car il
met en valeur les lignes et les volumes, d’autres valent par les couleurs. Je sais gé-
néralement dès la prise de vue si la photo sera finalement traitée en noir ou en
couleur. 

Comment gères-tu l’aspect juridique dans ta pratique ? Te refuses-tu de publier


certaines photos ou au contraire t’imposes-tu aucune limite ?

L’aspect juridique est un poison qui pourrit l’existence des photographes. Le droit à
l’image n’est pour beaucoup de plaignants qu’un prétexte pour exiger des domma-
ges et intérêts. C’est une mentalité procédurière qui apparaît hélas dans bien d’au-
tres domaines que la photographie.

Dans des conférences ou dans des réunions sur la photographie de rue, quelqu’un
pose inévitablement la question du droit à l’image. C’est un problème sans solu-
tion car chaque partie a des droits : celui de son image pour l’un, celui du droit à
l’expression pour l’autre. Sur le plan pénal, le photographe qui publie est toujours
en faute. La Justice a la main beaucoup plus lourde pour un photographe huma-
niste que pour des voleurs. Il y a là matière à méditer sur ce sens que la Justice ac-
corde au mot justice.

Quand j’ai commencé la photo, et même plus tard, ce problème ne se posait


guère. Les photographes qui publiaient étaient relativement peu nombreux. Or,
avec l’Internet, tout le monde peut maintenant le faire. Aux yeux de la loi, l’Internet
est assimilé à de la presse. Publier sur un site est risqué, à moins d’avoir obtenu
l’autorisation écrite de la personne représentée, ce qui est rarement le cas.

131
Je refuse toutefois de me promener avec un code civil et un code pénal dans mon
fourre-tout. J’ai expliqué mon attitude sur mon blog, dans un article fort justement
intitulé « délinquant assumé ». 

As-tu été (et l’es-tu encore) influencé par des photographes en particulier ?

J’admire l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson, comme quasiment tous les photogra-


phes de rue. Mais à mes tout début, c’est une autre génération de photographes
qui m’avait séduit : Pete Turner et Art Kane, des photographes publicitaires férus
de couleurs très saturées. J’avais aussi flashé sur le très gros grain des nus dans
l’album November Girl de Sam Haskins, les portraits de Richard Avedon... En ce qui
concerne la photographie de rue, je suis aussi de la génération de Bruce Davidson,
Lee Friedlander, Robert Frank... Je pourrais ajouter des dizaines de noms, dans
tous les domaines de la photographie.

Quels sont tes projets photo pour l’année 2014 ?

Je viens juste de publier mon Dictionnaire anglais-français de la photographie, un


livre de 600 pages comprenant plus de 10 000 termes.

Pour les prises de vues, ça dépend de l’air du temps. Un photographe de rue ne


sait jamais ce qu’il va ramener comme image.

Tu es l’auteur du livre La photo sur le vif, paru aux éditions Pearson. Peux-tu
nous en dire plus ? À qui est-il destiné et quels sujets aborde-t-il ?

La photo sur le vif, ce n’est pas que la photo de rue. C’est pourquoi je ne considère
pas ce livre comme un manuel sur le sujet, bien qu’il soit beaucoup question de
photo de rue. Mon véritable livre sur la photo de rue reste à écrire. C’est l’un de
mes projets.

132
BEHIND THE SCENE
 
 

« C’était à Berlin, en juin 2012, lors de la première rencontre des pho-


tographes du groupe On Every Streets, sur Facebook. Nous nous
rencontrions le soir dans un restaurant berlinois. Le jour, c’était cha-
cun pour soi ; j’ai toujours pratiqué la photographie de rue en loup
solitaire.Sur la photo, le photographe à gauche s’intéressait à une
enseigne au-dessus d’une boutique. J’entendis du bruit derrière la
porte d’entrée, quelques clameurs, puis un groupe de joyeux fê-

133
tards en sortit, dont le personnage principal de la photo, très peu vê-
tu. Je pris deux ou trois photos de lui parmi ses amis, à la volée,
quand tout à coup, il se planta devant le photographe qui n’en finis-
sait pas de cadrer. Il le toisa longuement tout en se grattant, puis il
s’en alla en trottinant pour rejoindre le groupe qui s’éloignait (le
jeune homme à droite sur la photo en faisait partie). Le photogra-
phe ne remarqua rien du tout et continua de cadrer. Quand il dé-
clencha enfin, les fêtards étaient déjà loin. »

134
SPYROS PAPASPYROPOULOS

Spyros est un photographe grec qui photographie essentiellement à l’argentique.

Il aime les portraits candides mais aussi des scènes plus originales.
Il publie régulièrement des StreetHunts!, des vidéos sur la photo de rue !

Crédits Photos: ©Spyros Papaspyropoulos

Entretien Avec Spyros Papaspyropoulos


Bonjour Spyros ! Pour commencer, peux-tu nous dire ce qui t’intéresse dans la
photo de rue et ce que cette discipline t’apporte ? Quand as-tu commencé et
pourquoi ?

Bonjour Thomas et bonjour à tes supers lecteurs ! Merci beaucoup pour cette su-
perbe opportunité, je me sens honoré d’avoir été choisi pour une interview sur ton
site. Répondre à tes questions va me permettre d’expliquer ce que je trouve impré-
visible et intéressant en photo de rue. Le nombre illimité d’images différentes que
l’on peut faire à tout moment et en tout lieu.

J’aime également la sensation que me procure la pratique de cet art, comme une
montée d’adrénaline. J’adore les moments de chasses qui précèdent la capture
de LA photo et pour trouver la lumière parfaite. Ce sont des moments très exci-
tants, c’est une source de créativité et de passion que j’ai constamment à l’esprit.
J’adore photographier dans les rues !

Quand ai-je commencé ? Difficile à dire. J’ai pas mal évolué dans ma pratique pho-
tographique, j’ai utilisé différents appareils photos... J’ai toujours été attiré par la
photo, même par les vieilles pellicules que j’utilise depuis peu. Mais en ce qui con-

135
cerne la photo de rue, je dirais que mon intérêt à du commencer il y a 2 ou 3 ans.
J’ai commencé à photographier de plus en plus les gens et l’excitation que cela
me procurait, réussir à ne pas se faire remarquer ni se faire crier dessus, m’a tout
de suite énormément plu ! Plus je regardais mes photos sur mon Mac, plus j’étais
excité et accroc. Mais ces raisons me sont personnelles, et je suppose que chaque
photographe de rue aura les siennes.
 
Quand je regarde tes photos, je vois des portraits et beaucoup de photos que je
qualifierais de surréalistes, comment définirais-tu ton propre style ?

Difficile pour moi de juger mon propre travail, je pense ne pas avoir de style défini.
Je photographie tout ce qui me plait, quelque soit la raison. Il m’arrive de faire des
portraits, mais aussi de photographier d’autres sujets. Je ne sais pas si on peut les

136
classer comme surréalistes comme tu le dis, mais en tout cas je suis satisfait de
mes efforts lorsque je regarde mes photos.

C’est selon moi ce qui importe le plus, et je suppose que cela fait de moi un photo-
graphe de rue sans style reconnaissable. Je sais qu’il peut être important pour un
photographe d’avoir son propre style qui lui permet de se démarquer, mais je ne
me vois pas me contenter d’un aspect ou d’une sensation particulière. Il y a des
moments où j’apprécie les photos N&B avec le grain de l’argentique, d’autres où
j’aime utiliser un flash ou encore photographier sur pellicule couleur lorsque je suis
sur une plage juste pour capturer ces couleurs vives.

Peu importe si mon portfolio n’est pas si cohérent que ça, l’essentiel est de faire ce
que j’aime faire, de photographier dans les rues parce que j’aime ça. C’est ma pas-
sion, mon art, ce qui me tient éveillé la nuit et me pousse à me lever très tôt le ma-
tin pour une sortie photo, ou comme j’aime les appeler, des « Street Hunts ».
 
Tu es le co-créateur du site streethunters.net, tu apparais donc comme un chas-
seur lorsque tu photographies dans les rues, mais est ce qu’il t’arrive de devenir
un cueilleur ?

Oui, tout à fait ! C’est même quelque chose que je fais souvent l’hiver parce que
dans ma ville à Rethymno, en cette saison, les gens ne sortent pas beaucoup.
Donc au final, les rues étant plutôt vides, je me rend dans un endroit que je con-
nais et que j’apprécie, et je n’ai plus qu’à attendre que quelqu’un passe dans le
cadre.En général, j’attends 10 à 15 minutes et si jamais rien ne se passe, je change
de lieu. Selon moi, l’attente fait aussi parti de la chasse et est aussi importante que
la méthode plus agressive. Il m’arrive donc, comme beaucoup de photographes
de rue, de chasser comme d’attendre plus passivement, c’est en fonction de mon
état d’esprit et du moment.
 
Pour quelles raisons/occasions photographies-tu en couleur ou en noir et
blanc ?

C’est une très bonne question ! Et en réalité, je ne sais pas ! À moins de photogra-
phier en argentique, auquel cas je sais à l’avance si je suis en couleur ou en N&B,

137
c’est en fonction du feeling que je ressens sur le moment. Mais justement, j’ai ré-
cemment compris quelque chose... !

Ça m’a toujours intrigué de ne pas vraiment savoir pourquoi je photographiais en


couleur ou en N&B, mais j’ai finalement compris il y a quelques jours. Ce qui me
donne envie d’utiliser la couleur ou le N&B, c’est la lumière, la météo et l’état d’es-
prit du moment et du lieu où je me trouve. Par exemple, je photographie en cou-
leur pendant l’été où la lumière est très intense.

En fait, c’est ce que j’ai fait ces dix dernières semaines ! Aucune pellicule N&B n’est
rentré dans mon appareil photo, tout autour de moi me semblaient parfait pour uti-
liser ma pellicule préférée, la Kodak Ektar 100 (couleur). Depuis une semaine la mé-
téo se dégrade ici à Rethymno: temps nuageux, le froid et la pluie. Un matin, je
photographias en couleur mais je ne sentais aucune inspiration. La lumière est de-
venue ennuyeuse, ce qui rend les couleurs plutôt fades. J’ai donc automatique-

138
ment ressenti le besoin d’utiliser une pellicule N&B, la Kodak Tri-X ou la ILFORD
HP5: des pellicules au grain que j’apprécie, qui m’aident a photographier les rues
devenues plus sombres. Au final, je dirais que c’est bel et bien la lumière qui guide-
ra mon choix entre la couleur et le N&B !
 
Beaucoup de débutants ne savent pas quel appareil photo utiliser, et beaucoup
de photographes disent que ce n’est pas important. Quel est ton point de vue
sur ce sujet ? Quel(s) appareil(s)/objectif(s) utilises-tu ? 

Une autre bonne question ! Je pense que l’appareil photo que l’on utilise n’a pas
d’importance, mais celui ci peut être une aide s’il est de bonne qualité ! Je m’expli-
que. Ce qui compte en photographie, c’est la composition et la maitrise de la lu-
mière: un photographe qui n’a pas ces capacités ne pourra pas réaliser de bonnes
photos quel que soit son appareil.

D’un autre côté, un photographe peut faire de bonnes compositions sans pour au-
tant être capable de maitriser la lumière, que ce soit avec un vieil appareil photo
ou un smartphone. La différence entre ces deux photographes, c’est leurs compé-
tences. Comme je disais, le premier fera toujours de mauvaises photos s’il n’est
pas capable de faire de bonnes compositions ni de comprendre la lumière, quel-
que soit l’appareil qu’il possède. Or, le second photographe, qui lui maitrise la com-
position, pourra profiter des avantages des appareils photos actuels (un objectif de
meilleur qualité par exemple, avec une plus grande ouverture) pour palier à son
manque de maitrise de la lumière.

Personnellement, je n’utilise qu’un seul appareil et un seul objectif lorsque je pho-


tographie dans les rues, même si j’en possède de nombreux: je ne les prends pas
tous avec moi. Si vous voulez savoir plus en détails pourquoi je pense qu’utiliser un
seul appareil photo et un seul objectif en photo de rue est un bon exercice pour
progresser, vous pouvez lire mon article One Camera One Lens sur mon site
StreetHunters.net.

En ce moment, j’utilise le matériel suivant:

SONY NEX-6 (appareil photo numérique, mirrorless)


SEL20F28 20mm (objectif fixe Sony)

139
SEL35F18 35mm (objectif fixe Sony)
SEL50F18 50mm (objectif fixe Sony)
SELP1650 16-50mm (objectif Zoom Sony)
Yashica ML 35mm F2.8 legacy (objectif avec adaptateur Novoflex)
Yashica ML 50mm F1.7 legacy (objectif avec adaptateur Novoflex)
Yashica MG-1 RF (Film rangefinder camera)
Yashica CC RF (Film rangefinder camera)
Yashica GTN RF (Film rangefinder camera)
Olympus mju II Stylus Epic
Canon Canonet QL17 RF (Film rangefinder camera)
iPhone 4 un peu bousillé (non, pas le 4S, juste le 4)

J’ai donné mon Sony NEX-6 et tous ses objectifs à ma charmante femme parce
que j’ai décidé de ne photographier qu’en argentique aussi longtemps que je pour-
rais. Je n’ai pas utilisé d’appareil numérique depuis septembre 2014 et j’utilise donc
uniquement des pellicules. Les raisons sont multiples et complexes. J’aime la facili-
té qu’offre le numérique, le rendu doux des photos obtenues et le fait que cela ne
coûte pas grand chose; mais j’aime aussi le mystère et l’imperfection que nous of-
fre l’argentique, tout comme le prix élevé des pellicules. Les deux formats sont su-
pers, mais je préfère l’argentique pour l’aspect des photos et pour le temps d’at-
tente que cela implique. Cela signifie que je veux voir mes photos une à deux se-
maines, voir plus, après les avoir faites. De cette manière, je m’en détache émotion-
nellement et cela me permet de les voir de manière plus objective.

En ce moment, mes pellicules préférées sont la Kodak Ektar 100 pour la couleur,
et les Kodak Tri-X et ILFORD HP5 pour le N&B. La Kodak Ektar 100 n’est pas une
pellicule très sensible, ce qui ne permet pas forcément d’utiliser des vitesses d’ob-
turation rapides, et nombreux sont ceux qui la trouvent inappropriée pour la photo
de rue. Je ne dirais pas le contraire, mais c’est tout simplement la pellicule que
j’aime. Ses couleurs et sa netteté font que la qualité d’image correspond exacte-
ment à ce que je recherche pour mes photos. Est ce qu’elle n’est pas assez sensi-
ble pour la photo de rue ? Je pense que c’est largement suffisant, l’important est
d’être capable de faire une mise au point manuelle rapidement, même à pleine ou-
verture. Cela ne demande que de la pratique.
 
 

140
Quels réglages utilises-tu généralement ? Priorité à l’ouverture ou à la vitesse ?
Mode manuel ou automatique ? Et qu’en est-il de ton mode de mise au point,
manuel ou auto ?

Je peux utiliser tous les modes, cela dépend de l’appareil photo que j’utilise et du
rendu que je souhaite obtenir en fonction de mon état d’esprit. Avec un appareil nu-
mérique, j’utilise l’autofocus si l’objectif le permet, sinon j’utilise la mise au point
manuelle avec des objectifs plus anciens. Avec un appareil argentique, la question
ne se pose pas puisque la mise au point est manuelle uniquement: dans ces cas
là, je fait ma mise au point sur une zone précise ou alors j’utilise l’hyperfocale qui
permet d’être très rapide, parfois même plus rapide qu’un autofocus. Avec la pelli-
cule Ektar 100 je fais ma mise au point sur un point précis: les appareils argenti-
ques permettent une mise au point manuelle très facile.
 

141
Fais-tu uniquement des photos candides ou t’arrive-il de demander la permis-
sion pour photographier quelqu’un ?

Cela dépend aussi de mon état d’esprit sur le moment. En général je fais plutôt
des photos candides, prises sur le vif, mais il m’arrive aussi de faire des portraits po-
sés. Si je vois qu’une personne dans une rue veut ou accepterait de se faire photo-
graphier, je vais à sa rencontre pour lui demander. La personne accepte 9 fois sur
10. Ces deux styles, photos candides ou posées, font selon moi parti de la photo
de rue et sont aussi gratifiants l’un que l’autre.
 
Que penses-tu de la loi vis à vis de la photo de rue ? As-tu déjà rencontré un pro-
blème avec une personne que tu photographiais ?

La loi « aime » la photo de rue. Ce que j’entends par là, c’est que, autant que je sa-
che, vous pouvez photographier dans les rues sans avoir de problème, quel que
soit le lieu où vous vous trouvez. D’après ce que je sais, si une personne est dans
un lieu public, vous avez le droit de la prendre en photo.

Bien sur, certains pays sont des exceptions: j’ai lu qu’en France les gens pouvaient
demander au photographe de supprimer la photo pour conserver leur droit à
l’image (Ndlr: c’est une idée reçue, voir le chapitre sur le Droit à l’image). Dans d’au-
tres pays vous n’êtes pas obligé de supprimer le cliché. Si par contre vous voulez
utiliser la photo d’une manière commerciale, c’est à dire pour promouvoir un pro-
duit ou un service, vous devez obtenir l’autorisation de la personne photographiée.
Cela ne s’applique pas aux livres photos ni au photo-journalisme. Et c’est à peu
près tout ce que je sais en terme de loi vis à vis de la photo de rue. Pour plus d’in-
formations, il vaut mieux consulter un juriste

Je vis et photographie en Grèce et la loi est très claire ici. Si vous êtes dans un lieu
public, vous acceptez que n’importe qui vous prenne en photo, à moins d’être un
homme politique. Encore une fois, une autorisation est nécessaire pour une utilisa-
tion commerciale. Durant toutes mes années de photo, je n’ai rencontré que deux
problèmes, et à chaque fois j’ai supprimé la photo. J’ai ensuite continué à photogra-
phier les gens comme si rien ne s’était passé. L’unique raison pour laquelle j’ai sup-
primé les photos est que je ne voulais pas prendre de temps à expliquer ma dé-

142
marche photographique, d’autant plus que je n’appréciais pas spécialement ces
deux photos. Si elles m’avaient plu, je les aurais gardé.
 
Les débutants dans cette pratique sont souvent timides, pas sûr d’eux ni de
leurs capacités... La photo de rue n’est pas si évidente et c’est pourquoi beau-
coup de gens n’osent pas essayer. Quels conseils pourrais-tu donner aux photo-
graphes qui veulent commencer à shooter dans les rues ?

Tu as tout à fait raison Thomas, la photo de rue n’est pas facile et plus encore lors-
que le photographe est timide ou n’a pas l’habitude d’interagir avec des étrangers.
Il est bien sur possible de photographier de loin, mais il est généralement préféra-
ble de shooter proche du sujet. Je conseillerais aux débutants de franchir les éta-
pes unes à unes.

Commencez par photographier en mode automatique: inutile de se compliquer la


vie avec des réglages d’appareil photo quand on débute, le plus important est de
comprendre l’art de la composition et la maitrise de la lumière. Essayez de photo-
graphier à partir d’une distance où vous vous sentez à l’aise, avec ou sans pré-
sence humaine dans le cadre.

Puis, approchez vous un peu plus. Une fois ce cap passé, la prochaine étape est
d’apprendre à photographier les gens de près sans se sentir coupable, inquiet ou
apeuré. En réalité, la plupart de gens ne se plaint pas ou même ne dit rien du tout,
mais si jamais cela vous arrive, souriez, soyez sympathiques et agissez aussi natu-
rellement que possible. Il ne vous arrivera rien de mal car ce n’est pas illégal, donc
il n’y a aucune raison de s’en inquiéter. Une fois ces points là appris et assimilés,
vous pouvez photographier dans les rues avec vos propres réglages. J’ai écris un
article intitulé « THE FEARS OF STREET PHOTOGRAPHY AND HOW TO GET OVER
THEM » qui pourrait être utile aux futurs photographes de rue.
 
Peux-tu nous parler de ton site streethunters.net ?

Avec plaisir ! Le concept de StreetHunters.net est né en mars 2013 dans le but de


proposer une importante source d’informations pour la photo de rue ! Un site plein
d’infos très utiles et la plupart est gratuit. J’ai partagé mes idées avec Andrew Swei-
gart, mon partenaire de crime :-), et il a adoré le concept ! Nous nous sommes

143
donc lancé dans l’aventure qui ne s’est jamais interrompu, en publiant du contenu
chaque semaine ! Le site actuel est la version 2, la version originale n’était qu’une
simple présence en ligne, et le besoin de changer s’est vite fait ressentir au vue du
nombre grandissant de lecteurs.

Nous avons donc, fin 2013, lancé cette nouvelle version qui inclu des tonnes d’infor-
mations, avec notamment nos vidéos que l’on appelle Street Hunts! Nous avons
également une importante communauté privée sur le réseau social Google Plus
appelé SHRC (StreetHunters.net Readers Community) où nous discutons photo de
rue avec nos lecteurs et proposons des photos pour la critique. Le but de cette
communauté est de nous aider à devenir des Street Hunters ! Andrew a écrit un su-
perbe article en deux parties pour expliquer l’histoire complète de Street Hunters
que vous trouverez ici: STREET HUNTER, YEAR ONE (PART ONE -PART TWO).

144
As-tu des projets en photo de rue pour l’année 2015 ? As-tu prévu d’exposer un
jour ton travail ?

Je travaille actuellement sur un projet personnel intitulé « Life Through a Win-


dow » qui est déjà publié sur Flickr. J’y ajouterai mes photos au fil du temps. Je
trouve très excitant de photographier les gens à travers une fenêtre, je crois que
c’est le fait de rentrer dans l’intimité d’une personne qui me plait autant, cela fait
battre mon coeur plus vite. J’essaie le plus possible de ne pas me faire remarquer
pour les laisser faire ce qu’il font tous les jours, mais il m’arrive d’être repéré. Cela
ne me dérange pas, je garde ces photos dans le projet.

145
BEHIND THE SCENE
 

« Thomas, cette question m’a fait des noeuds au cerveau ! J’ai re-
gardé mes photos des dizaines de fois et il m’est impossible de n’en
retenir qu’une. J’ai diminué un peu la liste et j’ai finalement choisis
une photo qui symbolise bien la nouvelle, ou devrai-je dire la der-
nière, vision de la photographie que j’ai. Quelle est cette vision ?
Celle de l’exploration, de l’aventure, d’une riche journée photo in-
fluencée par ma propre personnalité. J’ai envie de créer de nouvel-

146
les choses, peu importe si elles ne sont pas comprises ni même ai-
mées. J’ai besoin de faire des photos qui me parlent, qui me font res-
sentir le moment et qui me satisfassent par rapport à mon idée de
départ. Ça peut être flou, précis ou net, avec du grain, ce n’est pas
important pour moi. Seul le résultat m’importe. Au final, l’idée der-
rière cette photo est de trouver un moyen de photographier les gens
sans montrer leur visage. J’ai quelques photos avec des têtes « cou-
pées », ou masquées par l’éblouissement d’un flash à travers une
vitre, et pour celle ci, c’est une fleur qui cache le visage. Je ne la
classe pas encore dans un projet mais peut être cela le deviendra-
t-il un jour, je ne sais pas encore.

Le matin où j’ai fait cette photo, je me promenais avec mon petit Ya-
shica Electro 35 CC armé d’une pellicule Agfa Vista 200. La photo
était déjà faite dans ma tête, quelques jours plus tôt, je recherchais
donc un endroit propice pour la réaliser. Je savais que là où je vis, à
Rethymno, il y avait ces fleurs rouges donc j’ai recherché celle qui
me paraissait parfaite pour la photo. Il m’en fallait une de parfaite
en terme de proportion, d’angle et de positionnement (sur le côté
droit du trottoir). J’ai du me positionner sur la route pour cette photo
pendant que les passants marchaient sur le trottoir. J’ai fait trois
photos. Je savais que la première n’était pas bonne et j’avais raison:
j’avais oublié de régler ma mise au point sur l’hyperfocale et la fleur
n’était pas nette, sans parler de la personne. Totalement flou en
d’autres termes. La seconde prise n’était pas bonne dans le timing,
ce qui veut dire que j’ai raté le moment où la tête était au niveau de
la fleur, mais la troisième photo était la bonne ! Bam ! Je me sou-
viens avoir été tellement heureux après avoir realisé cette photo, à
tel point que je suis rentré chez moi sans prendre aucune autre pho-
147
to. Je n’en avais pas besoin. Même en shootant à l’argentique, sans
pouvoir controller la photo sur un écran après l’avoir faite, je savais
que la photo était là, sur la pellicule, n’attendant plus qu’à être déve-
loppée. »

148
12

PARTAGER SES PHOTOS


En photographie, l’important est de se faire plaisir. et non de faire des photos pour
plaire aux autres. Bien sur, c’est plus agréable lorsque vous avez des gens qui vous
soutiennent, ce qui se traduit par des commentaires, des Like ou des favoris. Mais
ce n’est pas le but premier.

Soyez patient, allez y doucement. Si la gloire doit venir, elle viendra avec le temps
et l’expérience. Rome ne s’est pas fait en un jour.

149
Utilisez Flickr pour découvrir tout un tas de photographies et toucher le public qui
correspond à vos photos. Utilisez aussi Facebook, en complément de Twitter qui
vous servira à découvrir d’autres photographes, à échanger et partager autour de
votre passion.

Est-il utile de créer un blog-photo ?


Vous imaginez bien ma réponse, puisque j’anime moi même un blog photo. Le
photo-blog est pour moi la meilleure manière de partager vos photos, puisqu’il res-
tera toujours votre espace personnel. Vous en faites ce que vous voulez, et vous
gardez plus de contrôle sur vos photos. Vous pouvez le personnaliser, au contraire
des réseaux sociaux sur lesquels nous avons tous, à une photo de profil près, la
même interface graphique.

Par expérience, je vous conseille de créer votre blog sous WordPress avec votre
propre nom de domaine: cela vous évitera de devoir abandonner votre premier
blog lorsque vous sentirez le besoin d’être plus libre dans la construction de votre
site (ce n’est pas non plus une obligation, si vous ne vous sentez pas à l’aise avec
WP, d’autres services plus simples existent).

La création et l’entretien d’un blog, qu’il concerne la photo ou non, vous apprendra
beaucoup de choses très utiles, comme devenir plus indépendant, prendre des dé-
cisions et du recul sur les critiques que vous recevrez. Cela améliorera également
vos qualités rédactionnelles, votre orthographe... Bref, c’est une très chouette expé-
rience que vous ne regretterez pas ! 

Il est également plus facile de venir commenter sur un blog, la critique de photo
devient alors plus constructive puisqu’il n’y a aucune limite dans la communica-
tion. Cela vous donnera aussi plus de crédit lorsque vous irez commenter sur d’au-
tres blogs de photo.

D’ailleurs, c’est en commentant d’autres blogs de photo que vous commencerez à


vous faire connaitre: généralement, la personne sera curieuse et ira donc voir ce

150
que vous proposez sur votre blog, et hop, voilà un nouveau visiteur susceptible de
revenir régulièrement.

Suivez ces photographes sur les réseaux sociaux, et vous pourrez alors vous faire
connaitre...

Comment partager ses photos sur les


réseaux sociaux ?
Vous vous demandez comment obtenir des Like ? Personnellement, je n’y accorde
pas beaucoup d’importance. Vous pouvez avoir 10 favoris sur votre page Face-
book, dont 9 viennent de membres de votre famille... Votre grand-mère peut aimer
votre photo, mais ce n’est pas pour autant que celle ci est d’une qualité irréprocha-
ble.

Avoir des Like, c’est pourtant gratifiant, surtout quand ils viennent de personnes
qui aiment le même domaine photographique que vous. Pour la Street Photogra-
phy, j’essaie de différencier le commentaire d’un amateur de photo de rue de celui
qui n’en est pas fan, sans pour autant ignorer ce dernier: l’importance que j’y ac-
corde n’est simplement pas la même.

Ce n’est qu’une question de logique: si je critique une photo de concert d’un photo-
graphe qui en fait depuis des années, quel impact aura mon commentaire sachant
que je n’ai jamais pris de photo dans ces conditions si particulières ? Quasi nul, logi-
que. Cependant, mon regard nouveau sur cette discipline amènera peut être le
photographe à se remettre en question, à voir les choses différemment: il ne faut
donc pas l’ignorer, mais le considérer intelligemment.

Mais tout ça ne viendra pas du jour au lendemain, il faut être très patient. Sur Twit-
ter, mes débuts étaient assez difficiles, mais à force de tweeter et de quelques
coups de pouce, la sauce commence à prendre. Cela fait environ deux ans que j’y

151
suis présent, et je peine à dépasser le 500 followers (ce qui, même si j’en suis satis-
fait, n’est pas énorme). Idem pour Facebook.

D’autant plus que, selon moi, les différents réseaux sociaux ont chacun leur propre
utilisation, avec leurs avantages et leurs inconvénients... (je ne parle que de ceux
que je connais, vous n’y trouverez donc ni Google+, ni 500px pour ne citer qu’eux).

Comment Utiliser Flickr ?


Flickr est un album photo géant qui réuni des millions de photographes du monde
entier: une véritable mine d’or ! Mais au début, il est effectivement difficile de se
faire connaitre, vous y mettez vos photos, mais personne ne les commente ou ne
les aime. En fait, personne ne voit vos photos !

Pour cela, il faut utiliser les groupes. Ceux-ci regroupent de nombreux photogra-
phes autour d’un même thème photographique, et il en existe des milliers ! Un
groupe lié à votre boitier, vos objectifs, votre ville, la photo de rue, le noir et blanc
(il y en a des dizaines).... De tout, pour tous.

Pour trouver les groupes qui vous conviennent, il suffit d’effectuer une recherche
en prenant soin de sélectionner « groupe ». Rejoignez en quelques un et postez y
vos photos: celles ci seront enfin vues, par de nombreuses personnes, et surtout
par celles qui sont susceptibles de les aimer.

Et c’est ainsi qu’avec le temps, vous aurez de plus en plus d’abonnés, et donc de
nombreux échanges autour de la photo !

N’oubliez pas non plus de regarder des photos, beaucoup de photos ! Utilisez ces
mêmes groupes pour découvrir ce qui vous intéresse, cela aiguisera votre œil.

Je vous conseille également de vous créer un album type TOP20 ou TOP50, ce qui
permettra aux curieux qui se retrouvent sur votre galerie de se faire une idée très
rapide de vos meilleures photos.

152
Un dernier mot pour parler de l’Explore: méfiez vous en, car même si c’est super
sympa d’y voir une de ses photos (ça ne m’est arrivé que quatre fois, dont une pho-
to qui, selon moi, n’avait rien d’extraordinaire), on se demande parfois ce qui fait
qu’une photo y sera publiée ou non. Ce n’est pas toujours un gage de qualité. Si ce-
la vous arrive, Flickr ne vous en notifiera pas: pour cela, utilisez le service Xplor
Stats.

Comment Utiliser Twitter ?


Contrairement à Flickr, Twitter n’est pas du tout spécialisé dans la photographie.
Pire, les photos y sont même compressées, à tel point que Twitter ne sera jamais
votre vitrine photographique. Mais ce réseau social n’est pourtant pas à jeter à la
poubelle, bien au contraire.

Sa grande force réside dans sa capacité de communication ! Sur Twitter, je par-


tage, je communique, je discute, je découvre... je m’éclate !

Il suffit de suivre des twittos pour en découvrir pleins d’autres. Les échanges y sont
faciles, les gens sont pour la plupart très abordables et vous répondront presque à
coup sûr. N’hésitez pas à entrer en contact avec des personnes que vous ne con-
naissez pas, vous ferez vite connaissance !

Tous les vendredis, il y a une tradition d’outre-atlantique qui consiste à mettre en


avant des twittos que l’on apprécie. C’est de plus en plus suivi en France, et cela
permet de découvrir de nouvelles personnes toutes les semaines. On appelle ça
des #FF pour Follow Friday.

Twitter permet également de relayer les informations de votre blog, principale-


ment les parutions de vos articles.

153
Comment Utiliser Facebook ?
Comme chez le petit oiseau bleu, Facebook compresse les photos, qui seront vrai-
ment très pixélisées une fois uploadées sur le net. Ne comptez donc pas en faire
votre portfolio. Il y a tout de même une astuce à connaitre: si votre photo ne dé-
passe pas les 2048px, elle ne sera pas compressée par Facebook !

En fait, le principal intérêt de Facebook est sa popularité. Qui, aujourd’hui, n’est pas
inscrit dessus ? Il faut voir ce réseau social comme un outil de plus, qui touchera
un public souvent différent, parfois similaire. J’y poste principalement les actualités
de mon blog, ce qui me permet, tout comme Twitter, de communiquer à la publica-
tion d’un nouvel article. J’ai pour cela crée une page liée au blog, et je partage éga-
lement sur mon profil personnel.

Mais, à l’instar de Flickr, Facebook propose également quelques groupes dont cer-
tains sont dédiés à la photographie. Pour ma part, je n’y poste plus de photo, je
trouve que les critiques ne sont pas du tout constructives et la qualité n’est pas
toujours au rendez-vous. À vous de voir, essayez et vous verrez !

Au delà de tous les conseils que je viens de vous donner pour partager vos photo-
graphies et vous faire connaitre, il y a un paramètre essentiel dans votre réussite: la
qualité de vos photos ! Mettez donc de côté votre compteur de pouces levés et
concentrez vous sur vos qualités de photographe, vous aurez tout à y gagner !

MERCI POUR VOTRE LECTURE ET BONNES PHOTOS...

...DE RUE !!

154
MON BLOG

Cliquez sur l’image

RÉSEAUX SOCIAUX

©2012-2015 Thomas Benezeth I Urban Photographer


www.thomas-benezeth.fr

155
© Sauf indication contraire, les textes et images présents dans ce livre appartien-
nent à son auteur, Thomas Benezeth.
Ce livre numérique est placé sous licence Creative Common, ce qui signifie que vous avez le droit
de le télécharger et de le partager à condition de ne pas le modifier et de citer son auteur. Toute mo-
dification, copie ou utilisation commerciale est formellement interdite. Pour toute question, n’hésitez
pas à me contacter: contact@thomas-benezeth.fr

Première édition
Juin 2015

UN OEIL SUR

LA PHOTO DE RUE 156

Vous aimerez peut-être aussi