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À PROPOS DU “MAÎTRE IGNORANT” ET DE SES LEÇONS.

Témoignage à propos d'une relation transférentielle


Graciela Frigerio

Presses universitaires de Caen | « Le Télémaque »

2005/1 n° 27 | pages 57 à 62
ISSN 1263-588X

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ISBN 2841332527
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Pour citer cet article :


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Graciela Frigerio, « À propos du “Maître ignorant” et de ses leçons. Témoignage à
propos d'une relation transférentielle », Le Télémaque 2005/1 (n° 27), p. 57-62.
DOI 10.3917/tele.027.0057
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DOSSIER : LE MAÎTRE IGNORANT

À propos du “Maître ignorant” et de ses leçons.


Témoignage à propos d’une relation transférentielle

Résumé : Si le propos de Jacotot / Rancière est de poser la possibilité d’une pédagogie non expli-
cative, il faut l’envisager comme une pédagogie du transfert, avec les conséquences suivantes : la

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possibilité de s’émanciper sans référence à aucun curriculum conçu dans ce but ; la possibilité
d’enseigner la démocratie même si on ne la connaît pas – sur le fond d’un amour, sans doute,
mais qui résiste à être partagé.
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de Jacques Rancière a déjà une histoire et on peut aussi


L
A LECTURE DU LIVRE
observer qu’elle opère sur ses lecteurs des “captations” de nature extrêmement
diverses. Permettez-moi de faire référence à quelques aspects de l’œuvre de l’auteur
et de le faire à partir des passages qui m’ont captivée tout en me laissant libre, c’est-
à-dire à partir des liens que ne manque jamais de tisser une relation transférentielle.
Le transfert est, comme la psychanalyse le laisse entendre, le processus qui actua-
lise les désirs inconscients dans le cadre d’une relation ; il s’agit d’un déplacement
qui donne lieu à une sorte de méprise : quelqu’un croit que l’autre est ce qu’il n’est
pas, quelqu’un choisit un destinataire là où il n’y a personne. Le transfert permet
de sentir, en se trompant, que quelque chose n’est pas bien orienté. C’est pourquoi
je peux énoncer le non-sens suivant : les livres de Rancière m’ont parlé avant que
je n’aie pu le connaître, avant qu’il ne m’adresse la parole. Le transfert crée l’occa-
sion d’une élaboration quand une règle garantit un travail qui la permet.
L’œuvre de Rancière a pour moi quelque chose d’émouvant. Nous pourrions
penser que c’est dans l’écriture que le philosophe est à la fois émotion et raison.
Que l’obsession du travail minutieux disparaît sous la poésie du style. L’écriture
devient voix et la parole invite avec simplicité chacun à penser par lui-même. La
production de Rancière est pour cette raison, mais pas seulement pour elle, “jaco-
tiste” si cela peut se dire. Elle nous confronte toujours à une énigme, à un message
quand il s’agit de la traduire, et elle nous laisse la charge de l’interprétation.
Il y a déjà plusieurs années que les écrits de Rancière m’accompagnent. J’en
remercie quelques amis chers : Patrice Vermeren et Stéphane Douailler. Leurs livres,
lus dans le désordre, avec un plaisir non dépourvu de pauses agitées, sont devenus,
au cours du temps, des espèces de compagnons de route, de confidents. Disons que
si « le maître est celui qui maintient celui qui cherche sur sa route » 1, là où chacun,

1. J. Rancière, El Maestro ignorante, Barcelone, Laertes, 2003, p. 48.

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communiquant avec les autres, ne cesse de chercher seul, comme l’affirme la leçon
du maître ignorant, alors Rancière doit être reconnu comme maître dans l’art d’en-
seigner.

Une pédagogie du transfert

À chaque fois que je relis, que je trace une ligne pour souligner un nouveau pas-
sage, je rajoute une nouvelle annotation à la marge déjà bien remplie. Je me surprends
à retrouver un nouveau sens qui m’avait jusque-là échappé. Je trouve une nouvelle
raison pour confirmer sa modernité. Chaque livre a constitué pour moi une invita-
tion. Peut-être qu’écrire a été la voie que cet homme minutieux, si timide et si rigou-

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reux, aussi exigeant avec lui-même que sensible et solidaire pour les justes causes, a
choisie pour mettre en acte une “pédagogie du transfert”, une transmission qui, tout
en sachant qu’il s’agit d’un maître qui ne sait pas tout, instituent la pensée comme
un lieu offrant la possibilité à la grammaire singulière de chacun et à celle du col-
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lectif d’advenir. Y aurait-il une autre pédagogie possible, s’agissant d’émancipation


intellectuelle ?
Il n’est pas question de faire du transfert une pédagogie sinon d’accepter qu’“une
pédagogie non explicative” se fonde sur la reconnaissance d’un transfert, qui rend
possible non seulement le fait que quelqu’un enseigne « même ce qu’il ne sait pas »,
mais encore que quelqu’un s’émancipe en apprenant ce qui n’est inscrit dans aucun
curriculum. C’est-à-dire ce qui ne figure dans aucun programme, ce qui n’est tra-
duisible ni en terme de didactique, ni de contenu, ni de compétences. Ces choses
mêmes qui ne se laissent saisir par aucune discipline et qui sont bien au-delà de
tout curriculum.
Nous avons recours à la notion de “pédagogie du transfert” avec comme hori-
zon la notion de “relation d’objet”.
Rancière est sans doute un maître, “un maître à penser” (nous l’affirmons même
si nous pensons que lui pourrait discuter cette assertion) dont l’écriture est une phi-
losophie devenue trace, trait, empreinte dans lesquels on peut percevoir les marques
que lui ont imprimées tous ceux qu’il a avec rigueur étudiés, cherché à comprendre,
analysés, ceux qu’il a lus, écrits lumineux ou points d’ombre, quand il se penche sur
La Nuit des prolétaires. En même temps, chacun apporte sa propre marque, sa réor-
ganisation créatrice, sa signature, son nom propre.
Son style a toute la rigueur d’une pensée critique et, tout en étant très poéti-
que nous l’avons déjà dit, réunit dans les phrases la complexité d’une pensée sans
concession et la tendresse d’une narration qui se propose de n’ajouter à la sophis-
tication de l’idée aucun élément qui obscurcisse le dialogue.
Le contenu n’élude pas les compromis avec ce qui dépasse le cadre du livre, ainsi
dans Aux bords du politique, où Rancière évoque les sentiments que génère le thème
de la communauté d’égaux ; à la frontière de la discipline, il s’enfonce dans les vides
des institutions comme dans La Grève des philosophes, où il interroge la place de la
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philosophie dans le système éducatif et où il se demande quelle philosophie on peut


y enseigner, dans les interstices de la trame déshumanisée du milieu social, là où
l’homme hurle encore, et il faut lire Brefs voyages au pays du peuple, pages offertes
aux « sans rien ». Plus récemment encore, dans L’Inconscient esthétique, il explore,
avec une grande hardiesse conceptuelle, une esthétique cofondatrice de l’incons-
cient.
Toute l’œuvre dialogue avec ceux de son pays natal, celui de la philosophie, en
proposant autant de filiations symboliques qu’en soutenant une ouverture toujours
vivifiante. Toute l’œuvre met à nu l’inquiétude devant le subjectivisme du politi-
que, devant les paysages arides de la politique, l’égalité comme point de départ et
horizon de toute traversée, la place pour la parole de l’homme, que tout homme

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peut énoncer et à laquelle tout homme, parce qu’il est homme, peut répondre (une
leçon du maître ignorant). L’écriture de Rancière peut à la fois être pensée comme
une manière d’inviter ceux qui ne sont pas philosophes à une aventure philosophi-
que, et comme une manière de concrétiser l’intention de faire exister une philoso-
phie extra-muros.
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Enseigner la démocratie

C’est sur le territoire de la pédagogie, ou pour mieux le dire, sur le territoire


aux frontières diffuses qu’il reste à l’école en Amérique latine, là où les politiques
ont esquivé la justice du politique, c’est là où je ne cesse de me rendre compte de
l’actualité et de la validité des leçons du maître ignorant.
En effet, le maître ignorant fait classe pour nous qui comprenons qu’éduquer
est « l’acte politique de distribution de l’héritage, sous la forme d’un don sans équi-
voque, l’héritière désignée étant la collectivité » 2 ; pour nous qui affirmons qu’édu-
quer est un acte de « résistance à la reproduction des inégalités » 3 ; pour les éducateurs
qui se confrontent quotidiennement aux conditions difficiles d’une économie qui
déprécie l’homme, pour ceux qui se défient des politiques qui refusent la justice à
tous, le maître ignorant offre sa leçon émancipatrice en soutenant sans rien expli-
quer qu’au moyen de notre intervention – exercice effectif de l’acte de “pouvoir”
comme pourrait le définir Gérard Mendel – il est possible d’interrompre l’accom-
plissement des prédictions catastrophiques pour les corps fragiles des enfants de
milieux populaires.
Le maître ignorant nous apprend que l’on peut enseigner la démocratie même
si l’on ne la connaît pas et créer les conditions pour que les autres apprennent ce
que nous ne savons pas. Il nous dit aussi que les tentations technocratiques trou-
vent, comme les pragmatismes si à la mode, leur limite chez chaque éducateur,
quand cet éducateur décide qu’il est possible à tous – à la seule condition de leur

2. G. Frigerio, « Educar : una filosofia del tiempo », Ensayos y Experiencias, no 44, 2002, p. 5-16.
3. G. Frigerio, Contra lo inexorable, Buenos Aires, GCBA / CePA, à paraître.

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faire confiance 4 – d’apprendre les langages inconnus de toutes les sciences. Que c’est
le rôle de l’école publique de maintenir une offre même pour ce qui peut-être ne fait
pas l’objet d’une demande, et celui de tout éducateur d’analyser les pertinences des
demandes, avant de se plier à la tyrannie d’une mondialisation qui défait le monde.
Que l’ancienne maxime “enseigner tout à tous” ne doit peut-être pas devenir une
vieille consigne dépassée.
Le maître ignorant ne croit pas aux méthodologies explicatives, dénonce dans
ses leçons le didactisme (si à la mode aujourd’hui) qui abêtit, en enseignant de faus-
ses vérités là où il conviendrait de laisser de l’incertitude. La place du maître igno-
rant offre une structure symbolique proche de la figure de l’analyste supposé savoir.
Il sait, de sa position, de sa place, quand il peut défier les destins d’échecs en disant :

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tu peux voir, tu peux sentir, tu peux penser, tu peux demander, tu peux faire. C’est
son offre qui crée la demande. C’est son pari inconditionnel qui émancipe, c’est le
caractère gratuit de son enseignement et de ses intentions qui contribue à ce qu’un
autre pense. Le maître émancipateur offre seulement un cadre, il est sans le savoir le
point de mire qui permet le travail de pensée de l’autre. Peut-être, sans en être cons-
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cient, il accomplit sur lui-même un travail psychique, ignorant le mirage de l’effi-


cacité de la méthode explicative, et il ose s’aventurer dans une relation d’inconnu 5.
Travail psychique sur l’énigme qui prend différents noms et excuses pour dire et se
dire.

Le transfert dans les relations pédagogiques

En tout cas il s’agit d’une relation aussi intéressante et complète qu’indispensa-


ble, pour que quelque chose soit appris. Siège d’un déplacement, point d’appui pour
un amour incommode, aussi désactualisé qu’actuel, un amour impertinent, “mal à
propos” comme pourrait dire Octave Mannoni. Cet amour, pourvu qu’il résiste au
partage, devient la condition d’un travail d’élaboration. D’une altérité qui, convo-
quée depuis une asymétrie fondatrice, favorise une égalité et annonce alors pour les
mineurs une majorité, accompagnée de la présence nécessaire d’un tuteur ou d’un
responsable.
Bien entendu ce serait une erreur de croire qu’il s’agit d’un autre en soi, il s’agit
bien d’un autre en lui-même. Nous savons qu’il est moins question d’un Télémaque
que d’un Ulysse fuyant toute relation d’éternité, rétif à toute immortalité obtenue
au prix de l’isolement mis en scène par Fénelon au début du texte choisi par Jaco-
tot, qui offre à Rancière la matière première de ses leçons émancipatrices. Suivant
cette ligne : Télémaque – Ulysse ; Ulysse – Télémaque – Fénélon ; Fénélon – Jacotot ;
Jacotot – Rancière ; la filiation, symbolique, déplace le sujet.

4. Cf. L. Cornu, « La confiance », Le Télémaque, no 24, novembre 2003, p. 21-30.


5. Voir G. Rosolato, La Relation d’inconnu, Paris, Gallimard, 1975.
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C’est de tout cela dont nous parle un Rancière-Jacotot. Et il nous le dit de mille
façons. En se chargeant de faire ressurgir du passé la pensée de ce professeur / homme
politique exilé, allergique à toute méthode abrutissante, qui n’hésite pas à utiliser le
sobriquet méprisant de “La Vieille” pour parler de cette pédagogie qui ne cesse d’affir-
mer que sans elle, sans la baguette magique de l’explication, le monde resterait muet.
Nous pouvons faire l’hypothèse – l’affirmer serait trop présomptueux – qu’entre
Rancière et Jacotot, à travers les siècles, le transfert opère, et qu’au nom de la trans-
mission, la filiation imprime sa marque.
Jacotot n’était pas ignorant en matière d’amour. C’est ce que nous laisse suppo-
ser le choix d’un texte qui commence avec le récit d’une rencontre d’où va naître
une offre d’amour. L’amour de Calypso pour commencer, amour “mal à propos” en

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ce qui concerne Télémaque. Mais aussi récit d’amour “à propos” dans le cas du lien
entre deux générations, entre un père et un fils. Également amour à propos pour
l’art de gouverner dans le respect de la justice.
Entre Jacotot et ses étudiants, Télémaque travaille sur le mode de “l’objet tran-
sitionnel”, entendu à la manière de Winicott qui l’utilise pour nommer la possibilité
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de concilier une offre de sens et une signification déterminée. Objet structurant qui
ne peut se trouver sans offre et qui ne peut devenir tel sans découverte. (bien sûr les
leçons de Rancière auront aussi cette caractéristique).
Jacotot, objet et excuse des leçons de Rancière, proposa à ses étudiants un récit
traduit, faute d’une langue commune. Disons que sa trame ne laisse indifférent aucun
lecteur : un fils à la recherche de son père ; une épouse / mère dans l’attente, qui fait
et défait des intrigues pour retenir le temps ; des personnages séducteurs pleins de
promesses ; une figure protectrice féminine, déguisée en tuteur ; un arrière-fonds de
guerre et de conflits ; le combat permanent contre les forces de la nature – externes
et internes – ; le souci d’un bon gouvernement ; une demande de reconnaissance.
La leçon signale que la traduction n’explique pas, ni n’impose aucune interpré-
tation, elle reste disponible pour l’étudiant / interprète qui voudrait se saisir des mots,
explorer ses significations et analyser son importance.
La traduction offerte constitue un cadre qui génère les conditions pour le tra-
vail de la parole. Nous pourrions dire qu’elle est à disposition et qu’elle favorise une
“association libre” sous le contrôle d’une “règle fondamentale” qui la contient et lui
donne sens (sans en imposer aucun).

Égalité asymétrique

Le cadre, et les limites posées, créent la classe : où il est dit : là on enseigne « même
ce que l’on ne sait pas » dira le maître ignorant, parce qu’on sait « que les intelligen-
ces ont la même valeur », que c’est la confiance déposée, la mise de départ, qui réac-
tualise l’occasion d’un “contrat narcissique” – expression que nous devons à Pierre
Aulagnier – offrant une opportunité : “l’opportunité égale”. Ainsi un père analpha-
bète ne sera pas dans l’impossibilité d’accompagner les succès de son fils apprenant

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à lire, un enfant en échec scolaire pourra apprendre une troisième langue, un ado-
lescent pourra tomber amoureux des mathématiques et même d’une géométrie ver-
tigineuse – comme l’illustrent les exemples de J.-B. Pontalis.
L’égalité n’annule pas l’asymétrie, elle la respecte et la compense. L’asymétrie doit
garantir qu’aucune différence ne devienne le siège de l’inégalité. L’asymétrie permet
le transfert ; elle fonde le désordre qui rend possible le fait qu’une erreur de départ :
l’autre me confond, je ne suis pas celui qu’il croit, je confonds l’autre avec celui qu’il
ne paraît pas être, devienne la clé d’une émancipation qui affirme : je ne peux être
sans autre, mais l’autre n’en profite pas, il ne me soumet pas, il ne me domine pas, il
ne m’aliène pas, il ne tire pas profit de moi. En conséquence, je ne lui dois rien. Pour
ces raisons mêmes, au maître ignorant, dont le synonyme pourrait ici être “maître

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émancipateur”, je témoigne toute ma reconnaissance.

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Centro de Estudios Multidisciplinarios, Buenos Aires


Traduction Michel Xufré

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